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Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 2014 28 Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 2014 28 expérience Mieux encadrer et mieux évaluer en FLS Dans la région anglophone d’Ottawa, les programmes de français langue seconde (FLS) ont beaucoup évolué depuis une étude lancée en 2008. Le Cadre européen et le DELF sont désormais utilisés, pour plus de rigueur et de progrès. Par Denis Cousineau O ttawa est la capitale du Canada, pays of- iciellement bilingue anglais et français. Il est donc primordial que le système d’éducation prépare les apprenants à être fonctionnels selon cette réalité. Le conseil sco- laire de la région d’Ottawa propose diférents programmes de FLS : fran- çais de base (appelé Core French), à raison de 40 minutes par jour ; fran- çais intensif (Extended French) et d’immersion (French Immersion), mieux connu en Europe comme l’enseignement bilingue des disci- plines non linguistiques. En 2008 et 2009, le conseil scolaire s’est lancé dans une étude approfon- die de tous ses programmes de FLS aux niveaux primaire et secondaire. Cette étude avait pour but premier de déterminer le succès réel des apprenants. Dans un deuxième temps, elle ciblait les approches pédagogiques mises en œuvre dans les programmes de langue seconde. Dans un dernier temps, nous re- cherchions un outil permettant de mesurer les compétences des élèves de manière plus objective. Une acquisition technique de la langue Environ la moitié de nos 72 000 élèves sont inscrits dans le pro- gramme de français de base qui s’étend sur la période de 9 à 12 ans. Les élèves y apprennent le français sur une base quotidienne. L’étude a fait ressortir que les approches pédagogiques utilisées ciblaient surtout l’acquisition technique de la langue. Le français y était enseigné comme une matière à apprendre en espérant que les connaissances techniques et grammaticales ac- quises allaient mener vers une plus grande coniance et une meilleure compétence chez nos élèves. Mais notre étude a souligné que ce pro- gramme produisait des jeunes élèves qui ne voulaient pas parler le français. Avec nos connaissances ac- tuelles du Cadre européen commun de référence (CECR), nous pouvons airmer que très peu d’élèves de ce groupe dépassaient le niveau A2. Le programme Extended French était le plus difficile à mesurer car il variait énormément d’une école à l’autre. En général, les élèves dé- montraient une confiance accrue avec la langue mais sensiblement similaire à ceux de Core French pour ce qui est de la production orale, c’est-à-dire une coniance fragile. Le programme d’immersion est sans conteste le plus populaire et les parents le perçoivent comme la voie idéale vers le succès. Malgré cette popularité, l’étude pointait d’importantes lacunes. Nos élèves Une cohérence pédagogique qui devient un objectif local, régional, provincial voire national Denis Cousineau est membre du Ottawa-Carleton District School Board (OCDSB), conseil scolaire de la région d’Ottawa, en Ontario (Canada). © Stephen Finn - Fotolia.com © Monkey Business - Fotolia.com

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Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 201428 Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 201428

expérience

Mieux encadrer et mieux évaluer en FLS

Dans la région anglophone d’Ottawa,

les programmes de français langue seconde

(FLS) ont beaucoup évolué depuis une étude

lancée en 2008. Le Cadre européen et

le DELF sont désormais utilisés, pour plus de

rigueur et de progrès.

Par Denis Cousineau

Ottawa est la capitale du Canada, pays of-iciellement bilingue anglais et français. Il est donc primordial

que le système d’éducation prépare les apprenants à être fonctionnels selon cette réalité. Le conseil sco-laire de la région d’Ottawa propose diférents programmes de FLS : fran-çais de base (appelé Core French), à raison de 40 minutes par jour ; fran-çais intensif (Extended French) et d’immersion (French Immersion), mieux connu en Europe comme l’enseignement bilingue des disci-plines non linguistiques.En 2008 et 2009, le conseil scolaire s’est lancé dans une étude approfon-die de tous ses programmes de FLS aux niveaux primaire et secondaire. Cette étude avait pour but premier de déterminer le succès réel des apprenants. Dans un deuxième temps, elle ciblait les approches

pédagogiques mises en œuvre dans les programmes de langue seconde. Dans un dernier temps, nous re-cherchions un outil permettant de mesurer les compétences des élèves de manière plus objective.

Une acquisition technique

de la langue

Environ la moitié de nos 72 000 élèves sont inscrits dans le pro-gramme de français de base qui s’étend sur la période de 9 à 12 ans. Les élèves y apprennent le français sur une base quotidienne. L’étude a fait ressortir que les approches pédagogiques utilisées ciblaient surtout l’acquisition technique de la langue. Le français y était enseigné comme une matière à apprendre en espérant que les connaissances techniques et grammaticales ac-quises allaient mener vers une plus grande coniance et une meilleure compétence chez nos élèves. Mais notre étude a souligné que ce pro-gramme produisait des jeunes

élèves qui ne voulaient pas parler le français. Avec nos connaissances ac-tuelles du Cadre européen commun de référence (CECR), nous pouvons airmer que très peu d’élèves de ce groupe dépassaient le niveau A2.Le programme Extended French était le plus difficile à mesurer car il variait énormément d’une école à l’autre. En général, les élèves dé-montraient une confiance accrue avec la langue mais sensiblement similaire à ceux de Core French pour ce qui est de la production orale, c’est-à-dire une coniance fragile.Le programme d’immersion est sans conteste le plus populaire et les parents le perçoivent comme la voie idéale vers le succès. Malgré cette popularité, l’étude pointait d’importantes lacunes. Nos élèves

Une cohérence pédagogique qui devient un objectif local, régional, provincial voire national

Denis Cousineau est membre du

Ottawa-Carleton District School

Board (OCDSB), conseil scolaire

de la région d’Ottawa, en Ontario

(Canada).

© Stephen Finn - Fotolia.com© Monkey Business - Fotolia.com

Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 2014 29Le français dans le monde // n° 392 // mars-avril 2014 29

en mettant l’accent sur l’interaction orale. Il s’agit d’une véritable révo-lution dans notre façon de penser la pratique au quotidien dans nos salles de classes. Les enseignants ont maintenant une plus grande compréhension du travail à accomplir. Pour les ap-prenants, le parcours semble beau-coup plus clair car il est plus cohé-rent d’une classe à l’autre. Cette cohérence pédagogique devient un objectif local, régional, provincial voire national. Avec la possibilité de recevoir un diplôme certiiant une compétence reconnue internationalement, il est évident que le DELF est devenu chez nous un instrument de motiva-tion pour tous nos élèves en français lange seconde. Nous avons bon es-poir qu’ils développent leurs habile-tés langagières avec une plus grande maîtrise de cette langue officielle qu’est le français, mais vont surtout aicher une plus grande coniance, celle de l’utiliser chaque jour. n

étaient exposés à environ 5  000 heures d’enseignement en français sur un cursus de douze ans. En in de parcours, nous ne pouvions pas dé-terminer leurs compétences réelles.Aujourd’hui, grâce au DELF sco-laire, nous savons que nous avons des B2 incomplets : solides en com-préhensions orale et écrite mais encore très fragiles en productions écrite et orale.En général, la pédagogie était plu-tôt axée sur l’acquisition des règles grammaticales et fortement basée sur un programme de littérature. Le français était une matière à couvrir,

à maîtriser, et certains de nos appre-nants abandonnaient avant la fin du parcours. Leur coniance à com-muniquer demeurait fragile à l’oral malgré une grande exposition à la langue ciblée.

Le DELF et le CECR depuis 2009

Depuis 2009 et cette étude, notre pédagogie en FLS a beaucoup évo-lué. Désormais inspirés par l’apport du CECR et notre engagement à de-venir un centre DELF, nous obser-vons des changements : il devient de plus en plus évident pour nos professionnels en éducation que la

planiication, l’évaluation et les stra-tégies d’enseignement doivent être révisées.Depuis avril 2010, nous avons testé environ 2 500 élèves en in de par-cours en utilisant le DELF scolaire : 10 % au niveau A2, 30 % au niveau B1 et 60  % au niveau B2. Nous avons maintenant un portrait plus précis des compétences acquises et, en étant conscients des compé-tences visées, cette transformation pédagogique s’installe progressi-vement dans nos salles de classe. Une rélexion qui s’efectue par nos enseignants et est guidée par les conseils de tuteurs du curriculum. Nos tuteurs en FLS sont des experts du CECR et du DELF qui permettent également de faire des liens avec les programmes d’étude prescrits par la province de l’Ontario.Dorénavant, nous planifions et nous enseignons dans le but de dé-velopper les quatre grandes compé-tences : la compréhension orale et écrite, la production écrite et orale,

L’EFFEt « WashbaCk »

L’évaluation peut avoir un impact sur l’enseignement, un phénomène souvent désigné

sous le nom d’effet en retour ou washback. Cet impact, soit sur les programmes ou les

actions et les attitudes de l’enseignant ou de l’apprenant, peut entraîner des comporte-

ments positifs qui ne se produiraient pas en l’absence du test. Par exemple, lorsqu’un

test demande aux apprenants d’effectuer

des tâches de compréhension et d’expres-

sion orales liées à la vie réelle, il change les

attitudes des apprenants de sorte qu’ils valo-

risent davantage la pratique de ces tâches en

salle de classe. En revanche, si l’évaluation

se fait par le biais d’une dictée, par exemple,

les apprenants ne vont pas valoriser la pra-

tique des tâches communicatives en salle

de classe. Il faut s’assurer que le washback

soit positif.

La mise en œuvre du DELF dans plusieurs

pays européens a incité les enseignants à

réorienter et à enrichir leur pédagogie. Par

exemple, en Allemagne, Henny Rönneper a

noté, d’une part, que les capacités d’expres-

sion orale ont acquis plus d’importance et ont été développées de manière plus systé-

matique, et, que, d’autre part, les enseignants ont introduit des documents authentiques

plus stimulants dans leurs salles de classe. Les mêmes effets positifs ont été notés dans

une étude récente sur l’impact du DELF dans l’enseignement pédagogique au Canada. nLarry Vandergrift

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om

La ville d’Ottawa, située en Ontario et capitale fédérale du Canada,

pays oficiellement bilingue anglais et français.