e.verhagen, la photographie conceptuelle

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ERIK VERHAGEN, « LA PHOTOGRAPHIE CONCEPTUELLE, PARADOXES, CONTRADICTIONS ET IMPOSSIBILITÉS », IN, ÉTUDES PHOTOGRAPHIQUES, N°22 SEPTEMBRE 2008 (EN LIGNE) MIS EN LIGNE LE 9 SEPTEMBRE 2008. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/index1008.html (consulté le 01.02.13) > 9 avril 1917, Alfred Stieglitz photographie à la demande Marcel Duchamp la Fountain de R. Mutt. C'est cette image qui sera diffusé, et l'original soit disant perdu. 26 janvier 1962, Yves Klein investit une des salles du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris pressentie pour expo Nouveaux Réalistes « Comparaisons ». Une fois salle vidée de son contenu, la salle est “convertie“ par Klein en une “Zone de sensibilité picturale immatérielle“ photographiée par Harry Shunk qui réalisera dans la foulée un second cliché de la salle “rematérialisée“ par les œuvres Nouveaux Réalistes. > Ces deux exemples mettent en évidence l'importance de la photographie puisque ces deux “œuvres“ seront rendues visibles par leur photographies. Les photographies (images reproductibles) substitueront donc les originaux. On peut voir dans ces attitudes deux stratégies préfigurant une photographie dite conceptuelle qui éclora dans seconde moitié des années 1960. N.B : Sur la question de la définition de l'art conceptuel, voir : Lucy Lippard, « Escape attemps », in Reconsidering the Object of Art, cat. exp., Los Angeles, MoCa, 1995, p.17. Selon elle l'art conceptuel correspond à des œuvres dans lesquelles « l'idée est de la plus haute importance et sa forme matérielle accessoire, éphémère, pauvre, sans prétentions et/ou “dématérialisée“ » + Photoconceptuels : « Nous entendons par “photoconceptuels“ des artistes apparentés de près ou de loin à ce phénomène qui ont eu recours, à un moment donné, au médium photographique » (E.V, note 1) + voir : E.V. « Histoires de l'art conceptuel. Une rétrospective », Perspective, N°2007- 3, décembre 2007. > Médium photographique intimement lié à l'émergence de ce phénomène. Ex : Joseph Kosuth avec ses Protoinvestigations (dès 1965) qui mettent en scène conjointement un objet, sa reproduction photo échelle 1, et sa définition extraite du dictionnaire. D'autre pionnier tel que Ed Ruscha (multiples), Mel Bochner (photocopies), Bruce Nauman (performances photo), Dan Graham (photojournalisme). N.B : Sur rapport de Ed Ruscha avec « Style documentaire » de Walker Evans (mais aussi sur art conceptuel en général) voir : M. Marino, « Almost not photography », in Michael Corris (éd.), Conceptual Art Theory, Myth, and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p 64. > Le projet de l'art conceptuel était un « cheminement critique visant à contrecarrer le modèle moderniste et son culte de l'originalité de l'œuvre d'art tout en traduisant les aspirations d'une nouvelle génération qui s'attache à instrumentaliser et à diffuser des images “pauvres“, sans valeur marchande, dépourvues de toute connotation esthétisante ». > L'un des aspect (propre à la photo) qui va fortement alimenter la photo conceptuelle c'est son rapport à l'information (cf. Ed Ruscha, entretien avec John Coplans). > Aussi aspect “seconde main“ de la photographie conceptuelle = qualité postmoderne (cf. « Nous résumons cette notion à la diversification et à la systématisation de procédures artistiques qui s'attachent d'avantage à des copies, multiples et simulacres », note 9) > Caractéristique de l'art des années 60 est la « prolifération de copies sans originaux » (Frederic Jameson, voir note 10) > « Information et document(aire) deux termes incantatoires auxquels ne manqueront pas de se plier les artistes apparentés de près ou de loin au phénomène conceptuel » (p.3) + « Les travaux à base de photographies des uns comme des autres témoignent en tous cas d'une approche tributaire d'une réalité que l'on pourrait qualifier d'exogène (qui provient de l'extérieur, qui a une cause externe), leurs contenu “préexistants“ servant au mieux de prétextes à des opérations d'“indexation“ qui sont comme le précise David Campany, “diamétralement opposées à l'aspiration moderniste pour l'autonomie ou la transcendance “ (David Campany, « Conceptual Art History or, A Home for Homes for America », in Michael Newman & John Bird (éd.), Rewriting Conceptual Art, London,

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Fiche de lecture d'un article de Erik Verhagen sur la photographie conceptuelle publié dans la revue Etudes Photographiques

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  • ERIK VERHAGEN, LA PHOTOGRAPHIE CONCEPTUELLE, PARADOXES, CONTRADICTIONS ET IMPOSSIBILITS , IN, TUDES PHOTOGRAPHIQUES, N22 SEPTEMBRE 2008 (EN LIGNE) MIS EN LIGNE LE 9 SEPTEMBRE 2008. URL :http://etudesphotographiques.revues.org/index1008.html (consult le 01.02.13)

    > 9 avril 1917, Alfred Stieglitz photographie la demande Marcel Duchamp la Fountain de R. Mutt. C'est cette image qui sera diffus, et l'original soit disant perdu. 26 janvier 1962, Yves Klein investit une des salles du Muse d'Art Moderne de la Ville de Paris pressentie pour expo Nouveaux Ralistes Comparaisons . Une fois salle vide de son contenu, la salle est convertie par Klein en une Zone de sensibilit picturale immatrielle photographie par Harry Shunk qui ralisera dans la foule un second clich de la salle rematrialise par les uvres Nouveaux Ralistes.

    > Ces deux exemples mettent en vidence l'importance de la photographie puisque ces deux uvres seront rendues visibles par leur photographies. Les photographies (images reproductibles) substitueront donc les originaux. On peut voir dans ces attitudes deux stratgies prfigurant une photographie dite conceptuelle qui clora dans seconde moiti des annes 1960.

    N.B : Sur la question de la dfinition de l'art conceptuel, voir : Lucy Lippard, Escape attemps , in Reconsidering the Object of Art, cat. exp., Los Angeles, MoCa, 1995, p.17.Selon elle l'art conceptuel correspond des uvres dans lesquelles l'ide est de la plus haute importance et sa forme matrielle accessoire, phmre, pauvre, sans prtentions et/ou dmatrialise + Photoconceptuels : Nous entendons par photoconceptuels des artistes apparents de prs ou de loin ce phnomne qui ont eu recours, un moment donn, au mdium photographique (E.V, note 1) + voir : E.V. Histoires de l'art conceptuel. Une rtrospective , Perspective, N2007-3, dcembre 2007.

    > Mdium photographique intimement li l'mergence de ce phnomne. Ex : Joseph Kosuth avec ses Protoinvestigations (ds 1965) qui mettent en scne conjointement un objet, sa reproduction photo chelle 1, et sa dfinition extraite du dictionnaire. D'autre pionnier tel que Ed Ruscha (multiples), Mel Bochner (photocopies), Bruce Nauman (performances photo), Dan Graham (photojournalisme).

    N.B : Sur rapport de Ed Ruscha avec Style documentaire de Walker Evans (mais aussi sur art conceptuel en gnral) voir : M. Marino, Almost not photography , in Michael Corris (d.), Conceptual Art Theory, Myth, and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p 64.

    > Le projet de l'art conceptuel tait un cheminement critique visant contrecarrer le modle moderniste et son culte de l'originalit de l'uvre d'art tout en traduisant les aspirations d'une nouvelle gnration qui s'attache instrumentaliser et diffuser des images pauvres, sans valeur marchande, dpourvues de toute connotation esthtisante .

    > L'un des aspect (propre la photo) qui va fortement alimenter la photo conceptuelle c'est son rapport l'information (cf. Ed Ruscha, entretien avec John Coplans).

    > Aussi aspect seconde main de la photographie conceptuelle = qualit postmoderne (cf. Nous rsumons cette notion la diversification et la systmatisation de procdures artistiques qui s'attachent d'avantage des copies, multiples et simulacres , note 9)

    > Caractristique de l'art des annes 60 est la prolifration de copies sans originaux (Frederic Jameson, voir note 10)

    > Information et document(aire) deux termes incantatoires auxquels ne manqueront pas de se plier les artistes apparents de prs ou de loin au phnomne conceptuel (p.3) + Les travaux base de photographies des uns comme des autres tmoignent en tous cas d'une approche tributaire d'une ralit que l'on pourrait qualifier d'exogne (qui provient de l'extrieur, qui a une cause externe), leurs contenu prexistants servant au mieux de prtextes des oprations d'indexation qui sont comme le prcise David Campany, diamtralement opposes l'aspiration moderniste pour l'autonomie ou la transcendance (David Campany, Conceptual Art History or, A Home for Homes for America , in Michael Newman & John Bird (d.), Rewriting Conceptual Art, London,

  • Reaktion Books, 1999, p. 124). (p.3)

    > Ce rapport l'indexation se rapproche des position de Roland Barthes dans Le message photographique (1961) et Rhtorique de l'image (1964) : dans Le message photographique, parle de la photographie comme rduction mais non transformation, l'image serait un analogon du rel, un message sans code ; dans Rhtorique de l'image, parle du rapport signifi-signifiant quasi tautologique de la photo, ce rapport n'est pas transformation mais enregistrement .

    > Les artistes conceptuels ne cesseront de faire osciller leurs travaux entre l'analogique et le tautologique sans pour autant dcrypter les codes dont Barthes diagnostiqua un peu trop htivement l'absence, dfinissant le message photographique (p.3). Cette fois aveugle dans les vertus de l'information et de l'enregistrement dtournera bon nombre d'artistes de toute vise autocritique = vacuit autocritique et pourtant, la plupart des interrogations de ce phnomne tournent autour de l'acte culturel de la dfinition et par extension autour de la dfinition de l'art (Peter Osborne, Conceptual Art, London, Phaidon, 2002, p.14). Il aurait donc t logique que l'aspiration de ces artistes fusse la dfinition des paramtres propres au mdium photographique.

    > Le fantasme d'un dpouillement des acquis culturels, le rejet de l'hritage moderniste, les dsacralisations et dmatrialisation de l'objet d'art trouveront en effet en l'image photographique une incarnation d'autant plus inespre qu'elle avait permis aux artistes de contourner l'iconophobie ambiante de l'art conceptuel et de (re)produire des images dont ils n'avaient pas su ou voulu mesurer les antcdents historiques (p.3) + Par rapport iconophobie mais aussi sur art conceptuel, voir : B. Buchloch, De l'esthtique d'administration la critique institutionnelle , in L'art conceptuel, une perspective, cat. exp., Paris, Muse d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1989-1990, p.29

    > Pourtant, autres positions thoriques face la photographie, contemporaines des artistes conceptuels : Hubert Damisch ( Cinq notes sur une phnomnologie de l'image , L'ARC, N21, printemps 1963, p.36) : il insiste sur l'imposture constitutive de l'image photographique , rapport avec la perspective = construction conventionne de l'espace. + Pierre Bourdieu ( La dfinition sociale de la photographie , in Un art moyen, Paris, Minuit, 1965, p.108-109) le rapport au rel de la photographie est arbitraire, c'est une transcription, et puis exprime l'espace selon lois de la perspective : si la photographie est considre comme un enregistrement parfaitement raliste et objectif du monde visible, c'est qu'on lui a assign (ds l'origine) des usages sociaux tenus pour ralistes et objectifs . Et si prend aspect d'un langage sans code ni syntaxe (cf. Barthes), c'est parce que la slection qu'elle opre dans le monde visible correspond la reprsentation du monde qui s'est impos en Europe depuis le Quattrocento.

    > Et pourtant nombreux artistes ne prendront pas en considration ces aspects thoriques et continueront de considrer la photo comme un message sans code . En fait, aussi errone et approximative soit-elle, cette conception n'en demeure pas moins conforme au processus de dsacralisation de l'art auquel se rsignent ces artistes. Investir l'image photographique de problmatiques savantes eut t contraire son utilisation nave et surtout propice une iconoltrie en tous points incompatible avec leur doxa (p.4)

    > La photographie conceptuelle aura t tiraille entre l'hritage d'une esthtique de la transmission d'une authentique immdiatet et l'exacerbation d'une documentation qualifie par Douglas Fogle de problmatique , voire d' hybride (cf. Douglas Fogle, The Last Picture Show , in The Last Picture Show : Artists Using Photography 1960-1982, cat. exp., Minneapolis, Walker Art Institut, 2004, p.10). Deux familles qui s'opposent et se compltes : la premire (majoritaire) s'appuie sur une conception insouciante du mdium ; la seconde, plus autocritique, cherche mettre nu et dconstruire les codes qui alimentent l'acte photographique. Ex : Robert Smithson et Gordon Matta-Clark = premire famille, images indicielles (perso : pas tout fait d'accord).

    > Dimension aportique d'une grande partie des uvres photoconceptuelles (insoluble et invitable = impasse dans un raisonnement procdant d'une incompatibilit logique) : malgr pauvret originelle, les images photoconceptuelles seront exposes aux murs des galeries, soignes dans leur mises en pages, achetes, vendues ; elles jouiront d'un pouvoir d'attraction qui les rinvestiront d'une aura qui gagnera sur les rticences et rserves originelles des artistes. Seul exception, Daniel Buren et ses photo-souvenirs.

  • Il y aura un devenir iconique, au sens quasi religieux du terme, de ses reliques photographiques (p.5) + Ftichisme symptomatique de l'chec d'une tentativ de dmocratisation voulue par les conceptuels et traduit leur impossibilit d'chapper aux circuits conomiques . Ex : Ed Ruscha et ses livres, Dan Graham (trahison) vendant un ticket de caisse, Eleanor Antin et ses cartes postales...

    > Sur utilisation de la photographie pour sa valeur indicielle, nombreux sont les exemples. L'un d'eux est Mel Bochner, en 1966, pour une exposition prfre la traduction photographique d'une srie d'agencements sculpturaux (36 photographs and 12 diagrams) pour viter la prminence objectuelle pouvant obscurcir la part processuelle inhrente sa dmarche. Dans ce passage de la sculpture sa traduction dmatrialise (= passage du minimal au conceptuel), il est conscient d'activer des questions pineuses autour des enjeux thoriques de l'art minimal et conceptuel sur l'illusionnisme.

    > Aussi les diffrentes ramifications de la performance encourageront la prolifration de vestiges photographiques. Ex : Vito Acconci, Trademarks, 1970 (photos de morsures = indice d'un indice) ; Dennis Oppenheim, Reading Position for Second Degree Burn, 1970 (marque livre Tactics sur le torse = acte photographique).

    > Relation texte-image : voir, Jean-Luc Nancy, L'oscillation distincte , in Sans commune mesure, cat. exp., Paris, Centre National de la Photographie, 2002, p.8 + Regis Durand, Sans commune mesure ? , in ibid., p.22. Ces relations oscillent entre l'affirmation de leurs diffrences irrductibles, et l'tude de leur non moins vidente convergence et complmentarit (Rgis Durand). Ex : Joseph Kosuth, Victor Burgin, Mel Bochner, John Baldessari, James Coleman (Slide Piece). travers ces questionnements sont points les limites de l'objectivit de la photographie.

    > Les remises en question des prsupposs photographiques conceptuels sont rcurrents dans le corpus de l'artiste nerlandais Jan Dibbets. Ex : Corrections de perspectives (ds 1967), ces uvres attribuent au mdium photographique un rle beaucoup moins passif et plus participatif. La photographie ne se contente plus ici d'enregistrer un vnement et de nous en informer. Elle prennise une mutation anamorphique (par exemple un trapze converti en carr) et fait de la sorte basculer son statut de l'information celui de transformation (p.7). Il existe une accointance entre la photographie avec une logique picturale que Dibbets met en lumire. Dibbets dveloppera progressivement une dmarche qui tmoigne d'un travail de et sur ce pesant fardeau (Jeff Wall, Marques d'indiffrences ) que constitue la reprsentation dont il s'vertuera accentuer la double dimension rflexive et transitive (cf. Louis Marin, Mimesis et description , in De la reprsentation, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1994, p.254-255) .

    > Ce qui continue de nous fasciner encore aujourd'hui dans l'art conceptuel, ce sont les apories et erreurs de ce phnomne. Les liens souvent approximatifs, confus ou conflictuels entretenus par ces artistes avec la photographie sont au cur de cet inextricable nud de contradictions (p.8). Reste savoir si ils taient conscients des ambivalences ponctuant la scurit ontologique (M. Marino, Almost not photography , art. cit.) de ce mdium.

    > A vouloir investir les artistes conceptuels d'une conscience des pardoxes de la photographie, nous nous exposons une relecture de l'histoire errone (anachronisme) qui pourrait lgitimer une drive rvisionniste.