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ISSN 1278-5105 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE N° XXXVII - 2010 UMR 6012 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

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ISSN 1278-5105 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

ÉTUDES

DE

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

N° XXXVII - 2010

UMR 6012 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

UMR 6012 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

Études de Géographie Physique

N° XXXVII - 2010

SOMMAIRE

Pages C. MARTIN - Détermination de la sensibilité potentielle des roches cristallophylliennes à

l'altération chimique à partir de leur composition chimique ............................................. C. MARTIN - Les grands traits du relief de la partie occidentale du massif des Maures (Var,

France) : formation et évolution ........................................................................................ C. MARTIN - Les inondations du 15 juin 2010 dans le Centre Var : réflexion sur un épisode

exceptionnel .......................................................................................................................

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ÉTUDES

DE

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

N° XXXVII - 2010

Responsable de la publication : Claude MARTIN

UMR 6012 "ESPACE" - Équipe G.V.E. Département de Géographie

98, Boulevard Édouard Herriot B.P. 3209

06204 NICE cedex 03

Tél. : 04 94 47 53 24 Courriel : [email protected]

ISSN 1278-5105 Dépôt légal : 4ème trimestre 2010

Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

Reproduction réalisée par l'imprimerie Ollane (Nice)

Ont assuré la relecture des articles : Yannick LAGEAT (texte sur la sensibilité potentielle des roches cristallophylliennes à l'altération chimique), Bruno COMENTALE (texte sur le relief de la partie occidentale du massif des Maures) et Jean-Louis BALLAIS (texte sur les inondations du 15 juin 2010 dans le Centre Var). Nous leur exprimons notre profonde reconnaissance Les numéros des Études de Géographie Physique parus depuis 2002, ainsi que le supplément au numéro XXXIII (2006), peuvent être consultés en ligne à partir de la page E.G.P. de la revue en accès libre Physio-Géo, sur le site : www.physio-geo.fr. Photo de couverture : La Florièye après la crue du 15 juin 2010, vue depuis le pont de la route D562 entre Draguignan et Lorgues, en regardant vers l'aval. La rivière a arraché sa ripisylve et érodé ses berges (voir l'article de C. MARTIN, p. 41-76). [cliché : C. MARTIN]

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DÉTERMINATION DE LA SENSIBILITÉ POTENTIELLE DES ROCHES CRISTALLOPHYLLIENNES À L'ALTÉRATION CHIMIQUE À PARTIR DE LEUR COMPOSITION CHIMIQUE

Claude MARTIN (1) (1) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, Département de Géographie, Université de Nice-Sophia-Antipolis,

98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] RÉSUMÉ : La sensibilité potentielle des roches cristallines à l'hydrolyse dépend très fortement de leur composition minéralogique. Un indice d'altérabilité (Ia) calculé à partir de la composition chimique globale des matériaux non altérés permet de prendre indirectement en compte le facteur minéralogique. Cet indice est particulièrement utile dans le cas des roches cristallophylliennes, pour lesquelles l'observation des lames minces renseigne mal sur la composition modale. Un indice de sensibilité à la décohésion chimique (Id), au caractère plus empirique, intègre l'influence de l'agencement des minéraux. MOTS-CLÉS : altération chimique, hydrolyse, composition minéralogique, composition chimique, indices d'altérabilité, roches cristallophylliennes, massif des Maures. ABSTRACT : The potential vulnerability of the crystalline rocks to hydrolysis is for a large part under the dependence of their mineralogical composition. A weatheribility index (Ia) calculated using the chemical composition of rocks takes indirectly in consideration the mineralogical parameter. This index is particularly useful in the case of metamorphic rocks for which the observation of thin sections gives insufficient information on the modal composition. An index of sensibility to the chemical decohesion (Id), more empiric, takes into account the arrangement of minerals. KEY-WORDS : chemical weathering, hydrolysis, mineralogical composition, chemical composition, weatheribility index, metamorphic rocks, massive of Maures. I - INTRODUCTION Jusque dans les années 1990, les géomor-phologues français ont consacré de nombreux travaux à l'altération des roches cristallines. Ce sujet est largement passé de mode, après que beaucoup de résultats aient été compilés. Cette note reprendra les résultats obtenus dans le massif des Maures (C. MARTIN, 1973, 1986), où affleurent des roches métamorphiques variées allant de phyllades plus ou moins quartzeux à des gneiss parfois migmatitiques, en passant par des micaschistes, des leptynites et des amphibolites. En effet, même s'ils ont été repris par J.J. LAGASQUIE et al. (1994, 2001) et s'ils témoignent d'une problématique maintenant un peu datée (ce qui ne signifie pas dépassée), ces résultats méritent bien que nous les diffusions enfin largement sous notre signature. De façon synthétique, la résistance d'une roche cristalline à l'hydrolyse dépend de celle de

ses minéraux (essentiellement en fonction de leur nature, mais aussi de leur taille), de la manière dont les éléments fragiles et résistants sont agencés les uns par rapport aux autres et de la possibilité offerte à l'eau de pénétrer dans les volumes rocheux (porosités de fissures et d'in-terstices). Nous ne traiterons ici que de l'établissement d'une échelle de résistance des roches à partir de leur composition chimique, celle-ci étant bien sûr sous la dépendance de leur composition miné-ralogique. II - LE FACTEUR MINÉRALOGIQUE L'étude du comportement des différents minéraux à l'altération a suscité une multitude d'observations sur le terrain et en laboratoire. Il ne nous appartient pas de reprendre dans le détail toutes ces recherches (A. RONDEAU, 1961 ; A. GODARD, 1965 ; M. PETIT, 1971 ; R. COIN-

Études de Géographie Physique, n° XXXVII, 2010

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ÇON, 1972 ; J.C. FLAGEOLLET, 1977 ; B. COQUE-DELHUILLE, 1981, 1987 ; J.J. LA-GASQUIE, 1980 ; J.P. PEULVAST, 1985 ; Y. LAGEAT, 1987 ; M.J. PENVEN, 1988). Elles sont d'ailleurs parfaitement résumées dans des ouvrages de synthèse, notamment ceux de J. DEJOU et al (1977), de P. BIROT (1981) et les textes de J.J. LAGASQUIE et al. (1994, 2001). Il suffit pour nous d'en retenir ici les informations majeures : - Le quartz et, dans une moindre mesure, les

micas blancs et les feldspaths sodi-potassiques constituent les principaux éléments de résis-tance d'une roche.

- La fragilité des plagioclases dépend de leur

composition chimique. Ainsi les termes calciques sont très sensibles à l'hydrolyse, alors que les termes sodiques y résistent beaucoup mieux.

- La dégradation des micas noirs se manifeste

nettement dès le début de l'altération des roches. L'évolution de ces minéraux se traduit alors, généralement, par de simples trans-formations plutôt que par une véritable destruction. Mais les modifications subies, fussent-elles légères, s'accompagnent d'efforts mécaniques qui affaiblissent les roches, en ouvrant de nouvelles fissures pour la péné-tration de l'eau (P. BIROT, 1962). Dans une optique strictement géomorphologique, il faut donc admettre que les micas noirs constituent un facteur de fragilité plus important que les plagioclases calciques, lesquels atteignent pourtant, très souvent, dans les arènes, des stades d'évolution plus poussés.

Fort de ces informations, et afin d'apprécier les possibilités de résistance des roches à

l'altération en fonction de leur composition minéralogique, A. GODARD (1965) affecte aux minéraux, en se fondant sur l'échelle de S.S. GOLDICH (1938), un coefficient d'autant plus élevé qu'ils sont plus altérables : quartz = 1 ; muscovite = 1,5 ; orthoclase = 2,5 ; plagioclase = 4 ; biotite = 8 ; amphibole et pyroxène = 9. Cette échelle, déduite de la comparaison entre les roches saines et les manteaux d'altération, a été appliquée par la plupart des chercheurs. En reprenant la même idée, une autre approche est cependant possible. En effet, les coefficients d'altérabilité peuvent être déterminés à partir de la composition chimique des minéraux et de leur structure cristalline (C. MARTIN, 1973). Dans la constitution d'un minéral, entrent différents éléments chimiques, qui représentent soit des facteurs de résistance (Si4+, Al3+, Fe3+), soit des facteurs de faiblesse (Ca2+, Mg2+, Fe2+, K+, Na+). L'agencement de ces différents éléments détermine en grande partie la résistance potentielle du minéral : - Dans le quartz, uniquement formé de tétraèdres

SiO44-, il n'existe que des éléments de résis-

tance. Nous avons donc adopté le coefficient 0. - Les tectosilicates sont également formés de

tétraèdres. Mais la substitution d'un Al3+ à un Si4+ au centre de certains d'entre eux provoque un déficit de charge positive qui est compensé par des cations extérieurs (K+, Na+ ou Ca2+). Si les tétraèdres de silice forment une trame résistante, ceux d'alumine sont au contraire des facteurs de faiblesse, en raison des cations extérieurs compensateurs de charge. Nous avons donc calculé le coefficient d'altérabilité (C) des tectosilicates en appliquant l'équation :

(Somme des valences des ions K+, Na+ et Ca2+) × 10 C = Nombre d'ions silicium (1)

- En ce qui concerne les phyllosilicates, le

problème s'avère plus complexe. Certes, des cations extérieurs (K+) peuvent également assurer la neutralité de l'édifice quand l'alumi-nium se substitue au silicium au centre de certains tétraèdres. Mais surtout, il existe entre deux couches de tétraèdres pointant l'une vers

l'autre, une couche d'octaèdres dont le centre est occupé soit par des éléments de faiblesse (Mg2+, Fe2+), soit par des éléments de résistance (Al3+, Fe3+). Aussi avons-nous calculé le coefficient d'altérabilité (C) des phyllosilicates de la manière suivante :

C = A + B (2)

(Somme des valences des cations extérieurs) × 10 A = Nombre d'ions silicium (3)

et

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(Somme des valences des éléments faibles de la couche octaédrique) × 10 B = Somme des valences positives de la couche octaédrique (4)

Mais le centre des octaèdres de la muscovite reçoit uniquement des ions aluminium, ce qui augmente évidemment la résistance de l'ensem-ble du minéral. En effet, le départ d'un cation métallique externe n'a pas de répercussion sur

le comportement de la couche octaédrique et, par conséquent, sur la stabilité des feuillets. Dans ce cas, il faut corriger le coefficient d'altérabilité (C), en lui retranchant le terme (D) :

A × (Somme des valences des ions Al3+ de la couche octaédrique) D = Somme des valences positives (5)

- Enfin, pour les inosilicates, le coefficient d'alté-

rabilité se calcule ainsi :

(Somme des valences des éléments faibles) × 20 C = Somme des valences positives des couches intermédiaires (6)

Finalement, on obtient les résultats suivants : Quartz : 0 Muscovite : 2,4 Microline : 3,3 Albite An 0 : 3,3 Phengite : 3,9 Chlorite : 7 (4 à 10) Anorthite An 100 : 10 Biotite : 13,3 Hornblende : 16,3 (12,5 à 20) Ces valeurs rendent bien compte du rôle des différents minéraux dans les étapes préliminaires de la météorisation des roches sous l'effet de l'hydrolyse. Elles peuvent servir à calculer un indice d'altérabilité potentielle des roches, suivant une démarche semblable à celle d'A. GODARD (1965). L'indice s'obtient en multipliant la teneur de la roche en chacun des minéraux constitutifs par le coefficient d'altérabilité correspondant, puis en effectuant la somme des résultats partiels. III - INTERPRÉTATION DE LA COMPO-

SITION CHIMIQUE DES ROCHES En pétrologie métamorphique, et principale-ment pour les ectinites, la détermination de la composition minéralogique modale se révèle d'une extrême imprécision. Or la reconstitution de la composition minéralogique à partir de la composition chimique pose toujours des pro-blèmes très délicats. Il faut donc rechercher une méthode simple permettant de déterminer direc-tement l'indice d'altérabilité d'une roche à partir de sa composition chimique. A. RONDEAU (1961) explore le premier

cette voie, en synthétisant les observations présentées par différents chercheurs travaillant sur les modifications chimiques des roches soumises à l'altération hydrolytique. Cette appro-che le conduit à souligner les faits suivants : - Les éléments les plus stables sont l'alumine, qui

augmente dans les roches altérées, et la silice, qui diminue légèrement.

- Le potassium est également un élément stable. - Le fer ferrique augmente le plus souvent, mais

surtout aux dépens du fer ferreux. - Les éléments les moins résistants sont, dans

l'ordre de mobilisation croissante, le magné-sium, le sodium et le calcium. Ces éléments et le fer ferreux servant généralement à compen-ser le déficit de charge cationique occasionné par la substitution d'un Al3+ à un Si4+ au centre de certains tétraèdres, l'alumine ne peut pas être considérée comme un facteur de résistance des roches.

Ces premiers résultats seront confirmés par de nombreux travaux traitant de l'altération des roches cristallines. Cependant la démarche adoptée par A. RONDEAU (1961), en vue d'aborder le problème des relations entre la composition chimique des roches et leur résis-tance à l'altération, conduit son auteur à une impasse. Certes, il constate justement que la silice est un facteur de résistance, alors que le sodium, le magnésium et le calcium sont au contraire des facteurs de faiblesse. Mais il reconnaît aussi son incapacité à interpréter la composition chimique d'une roche sans tenir compte de la structure des minéraux. En conséquence, il renonce à poursuivre dans cette voie de recherche, pour s'intéresser uniquement à l'influence de la composition minéralogique.

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Pourtant, si l'on veut établir une équation qui fournisse l'indice d'altérabilité d'une roche à partir de sa composition chimique, il suffit de rechercher un moyen permettant de retrouver l'échelle de résistance potentielle des minéraux en

partant du seul critère chimique, donc sans considérer leur structure. Ce faisant, on s'aperçoit que le coefficient d'altérabilité des minéraux correspond aux rapports ci-dessous :

- Pour l'anorthite :

(Valences des Ca2+) × 80 Somme des valences positives (7)

- Pour la muscovite, l'albite et les feldspaths sodi-potassiques :

(Valences des K+ ou Na+) × 53,3333 Somme des valences positives (8)

- Pour les micas noirs :

[(Valences des K+) × 53,3333) + (Valences des Mg2+ et Fe2+) × 36,6666)] Somme des valences positives (9)

En définitive, on peut aisément calculer l'indice d'altérabilité des roches (Ia) à partir de

leur composition chimique :

(A + B + C) × 100 Ia = Somme des valences positives (sauf H+) (10)

A = (Valences des Ca2+) × 80 (11)

B = (Valences des K+ et Na+) × 53,3333 (12)

C = (Valences des Mg2+ et Fe2+) × 36,6666 (13) Cette expression, de par son dénominateur, tient approximativement compte de la densité des minéraux. Elle paraît satisfaisante pour les roches pauvres en chlorites, y compris les amphibolites et les micaschistes à minéraux. Toutefois, comme il est exceptionnel de rencontrer des roches absolument saines, dans lesquelles le fer ferreux n'a pas au moins subi une oxydation partielle, nous l'avons toujours utilisée après avoir exprimé

le fer total sous forme ferreuse. D'autre part, lorsqu'une roche contient des chlorites, la présence dans ces minéraux de couches d'hydroxydes de fer et de magnésium fausse les calculs. En effet, dans ce cas, on ne connaît pas avec précision le terme C de l'équation. On a alors :

C = r × (Valences des Mg2+ et Fe2+) (14)

où r = 12,444 à 23,333. Cependant, si la roche ne contient pas de biotites, il est possible d'estimer le coefficient multiplicateur (r) de la manière suivante :

r = 23,333 - (10,889 X) (15) avec :

X = [Al3+ - (Ca2+ + Na+ + 9 K+)] / (Mg2+ + Fe2+) (16) où toutes les teneurs sont exprimées en méq/100 g de roche. Ajoutons que, si X dépasse 1, le coefficient vaut toujours 12,444. Le tableau I synthétise les résultats obtenus dans le massif des Maures à partir des analyses présentées par différents auteurs (S. GUEIRARD,

1957 ; Y. MASUREL, 1964 ; M. SEYLER, 1975 ; M. SEYLER et M. BOUCARUT, 1979 ; C. CARU-BA et G. TURCO, 1976 ; P. CONTI, 1978 ;

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J.O. BANOS, 1979 ; C. MARTIN, 1986). Pour cette note à caractère méthodologique, nous n'avons pas jugé utile d'intégrer d'autres données

(C. CARUBA, 1983 ; G. CREVOLA, 1985 ; M. SEYLER, 1986).

Tableau I - Indices d'altérabilité (Ia) des roches métamorphiques du massif des Maures. Les roches sont classées par ordre d'altérabilité croissante de haut en bas. n Moy Méd Max Quartzites 4 62 65 92 Quartzo-phyllades 1 103 Schistes 14 185 179 238 Phyllades du Bénat * 4 187 à 307 173 à 295 238 à 358 Leptynites du Cap Nègre 5 216 228 Leptynites des Berles 4 320 224 425 Gneiss de la Malière 1 269 Gneiss du Cap Nègre 2 284 285 Gneiss de Bormes 23 295 293 379 Micaschistes des Berles 7 319 280 525 Micaschistes du Cap Nègre 13 350 336 472 Migmatites du Cap Nègre 6 401 381 511 Amphibolites 12 995 1049 1132 La dénomination des roches est celle de la carte géologique au 1/50000 Collobrières (P. BORDET, 1969), sauf pour les phyllades du Bénat (L. LUTAUD, 1951), que l'approche géomorphologique oblige à distinguer. * : Les phyllades du Bénat, à caractère schisteux, se distinguent des phyllades détritiques (alternance de bancs schisteux et quartzitiques) des Sauvettes, auxquels ils ont été rattachés par P. BORDET ; en outre, ils renferment à la fois des chlorites et des biotites. n : nombre d'échantillons analysés. Moy moyenne des valeurs calculées. Méd : médiane des valeurs. Max : valeur maximale.

IV - ESSAI DE PRISE EN COMPTE DE

L'ARRANGEMENT DES MINÉRAUX L'arrangement des minéraux détermine en partie les possibilités offertes à l'altération chimique de progresser rapidement à l'intérieur d'une roche cristalline. Ainsi, dans les roches isotropes, comme les granitoïdes, la trame des minéraux résistants peut assurer une certaine protection aux minéraux fragiles, si ceux-ci ne sont pas trop nombreux. Mais, au contraire, dans les roches anisotropes très redressées, comme les roches métamorphiques du massif des Maures, les minéraux résistants protègent généralement très mal les minéraux altérables, et en particulier les biotites groupées en lits continus. À cet égard, J. DEJOU et al. (1971), travaillant dans le Massif Central français, montrent parfaitement combien le pendage de la foliation des micaschistes joue un rôle considérable dans l'approfondissement des profils d'altération. Dans les micaschistes et les gneiss du massif des Maures, qui possèdent par définition une

structure nettement foliée, l'altération progresse d'abord par les lits phylliteux, dans lesquels les muscovites ne sont jamais en quantité suffisante pour protéger les biotites. Pour ces roches, la concentration des micas noirs constitue un handicap d'autant plus grand que l'ouverture des feuillets lors des premières étapes de l'altération provoque des contraintes mécaniques impor-tantes. Toutefois la désagrégation granulaire des gneiss, pauvres en micas, passe toujours par l'altération des plagioclases. Il en va évidemment de même de celle des leptynites. Dans les phyllades, si les micas blancs sont en général largement dominants, ils n'arrivent tout de même pas à protéger efficacement les chlorites. En effet, d'après les analyses chimiques des roches et le calcul des compositions minéralogiques qu'elles permettent, le rapport micas blancs / chlorites avoisine le plus souvent 2,5 ; alors qu'il faudrait une valeur supérieure à 3,3 pour que la protection soit réelle. En conclusion, dans la plupart des roches métamorphiques à pendage très incliné, beaucoup

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plus encore que dans les roches granitoïdes, l'altération progresse surtout par les minéraux les plus altérables. Il apparaît donc clairement que l'indice d'altérabilité des roches (Ia) sous-estime l'influence de ces minéraux. C'est pourquoi nous lui préférons un autre indice, l'indice de sensibilité des roches à la décohésion par voie

chimique (Id), qui reconnaît aux minéraux très altérables une influence plus forte. Cet indice est calculé à partir de la composition chimique des roches, après avoir exprimé le fer total sous forme ferreuse, en appliquant l'équation suivante :

(3C + 2A + B) × 100 Id = Somme des valences positives (sauf H+) (17)

C = (Valences des Mg2+ et Fe2+) × 36,666 (18)

A = (Valences des Ca 2+) × 80 (19)

B = (Valences des K+ et Na+) × 53,333 (20) J.J. LAGASQUIE et al. (1994, 2001) sou-lignent, à juste titre, que l'introduction des coefficients (3, 2 ou 1 selon l'élément chimique) introduit une part d'empirisme. Mais la démarche n'en permet pas moins d'approcher de plus près la réalité du comportement des roches. Les données présentées dans le tableau II confirment les indications fournies par l'indice

d'altérabilité (Ia), à savoir la très grande résis-tance potentielle des quartzites et des phyllades, ainsi que l'extrême fragilité des amphibolites. Mais elles mettent également en lumière, d'une part, la résistance des leptynites et des gneiss, y compris les migmatites de la Malière, et, d'autre part, la fragilité de tous les micaschistes sensu stricto et des micaschistes migmatitiques du Cap Nègre.

Tableau II - Indices de sensibilité à la décohésion par voie chimique (Id) des roches métamorphiques du massif des Maures. Les roches sont classées par ordre d'altérabilité croissante de haut en bas. n Moy Méd Max Quartzites 4 124 143 157 Quartzo-phyllades 1 171 Schistes 14 332 326 464 Leptynites du Cap Nègre 5 302 323 Leptynites des Berles 4 522 305 736 Phyllades du Bénat (1) 4 349 à 708 316 à 685 464 à 824 Gneiss de la Malière 1 515 Gneiss du Cap Nègre 2 539 573 Gneiss de Bormes 23 551 525 769 Micaschistes des Berles 7 690 640 1198 Micaschistes du Cap Nègre 6 749 690 1040 Migmatites du Cap Nègre 6 808 706 1070 Amphibolites 12 2720 2891 3186 Légende : voir tableau I.

V - CONCLUSION L'établissement de l'indice d'altérabilité (Ia) s'est révélé un exercice passionnant, puisqu'il s'agissait de résoudre un problème théorique qui

n'avait pas encore trouvé le moindre début de solution. L'indice de sensibilité à la décohésion par voie chimique (Id) inspire moins de fierté, car il représente un simple ajustement rendu nécessaire

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par le fait que l'altérabilité potentielle d'une roche ne peut pas être seulement appréhendée par l'altérabilité moyenne de ses minéraux, les plus fragiles d'entre eux jouant un rôle déterminant, en particulier dans le cas des roches cristallo-phylliennes. Toutefois l'approche minéralogique nécessiterait le même prolongement (B. COQUE-DELHUILLE, 1981). D'autres facteurs interviennent dans l'alté-ration chimique différentielle des roches. À cet égard, rappelons que le terme de porosité recouvre deux notions complémentaires : d'une part, celle de porosité de fissures et, d'autre part, celle de porosité d'interstices. Selon B. COQUE-DELHUILLE (1981), la porosité d'interstices joue en général un rôle plus important que le diacla-sage. Mais, de toute façon, il semble que ces deux facteurs n'interviennent que secondai-rement, introduisant seulement des nuances entre les roches pétrographiquement voisines (A. GO-

DARD, 1972), sauf localement le long des zones de tectonisation. Dans les roches cristallophylliennes, quelle que soit la fracturation, les plans de stratification, de foliation et de schistosité prennent largement le pas sur les diaclases. Les plans de faiblesse peuvent se trouver révélés par la décompression des roches, tout particulièrement en relation avec le creusement des vallées. Or les tensions horizontales sont extrêmement fortes dans ces roches ayant subi un plissement isoclinal. Avec L. VOISIN (1978), soulignons que les effets de la décompression sur les versants sont surtout sensibles lorsque les plans de faiblesse ont une direction parallèle à celle de la vallée et que leur inclinaison épouse le sens de la pente topographique. Ce phénomène intervient du reste dans l'évolution dissymétrique de certaines vallées (C. MARTIN, 1972, 1973, 1986 – voir C. MARTIN, 2010).

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13

LES GRANDS TRAITS DU RELIEF DE LA PARTIE OCCIDENTALE DU MASSIF DES MAURES (VAR, FRANCE) :

FORMATION ET ÉVOLUTION

Claude MARTIN (1) (1) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, Département de Géographie, Université de Nice-Sophia-Antipolis,

98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] RÉSUMÉ : En l'absence quasi-totale d'éléments de datation absolue, la reconstitution de l'évolution paléogéographique de la partie occidentale du massif des Maures s'appuie sur les connaissances disponibles sur la Provence calcaire. Le relief doit ses principaux traits à la phase d'aplanissement du Miocène inférieur, à la tectonique pontique (Tortonien) et au profond encaissement du réseau hydrographique qui s'est amorcé à la fin du Tertiaire et s'est développé au Quaternaire. La résistance des roches aux agents météoriques joue également un rôle : d'une part, les principaux sommets sont constitués de phyllades, résistants à l'altération chimique, et, d'autre part, les gneiss de Bormes, résistants à l'érosion linéaire et peu altérables, conservent des lambeaux de la surface et des niveaux d'érosion miocènes. Toutefois les roches métamorphiques manifestent leur originalité à travers l'influence que les structures planaires des roches exercent sur la formation des vallées secondaires et sur l'évolution de certains versants. MOTS-CLÉS : roches métamorphiques, évolution paléogéographique, érosion différentielle, massif des Maures. ABSTRACT : In almost total absence of elements of absolute dating, reconstruction of the paleogeographic evolution of the western part of the massif des Maures is largely based on the knowledge available on the calcareous Provence. The relief owes its main characters to the planation phase of the lower Miocene, the tectonic movements during the Pontian and the deep down-cutting of the hydrographic network that began in late Tertiary and developed during Quaternary. The differential resistance of rocks to chemical and mechanical weathering is also involved: 1/ the highest summits are composed of phyllites, very resistant to chemical weathering, and 2/ the gneisses of Bormes, resistant to linear erosion and chemical weathering, have allowed the preservation of elements of the Miocene planation surface and erosion levels. However, the metamorphic rocks show their originality through the influence of their level structures on the formation of the secondary hydrographic network and the asymmetrical evolution of certain small valleys. KEY-WORDS : metamorphic rocks, paleogeographic evolution, differential erosion, massif des Maures. I - INTRODUCTION L'évolution paléogéographique du massif des Maures a fait l'objet de différents travaux, dont deux très importants, ceux de L. LUTAUD (1924) et d'Y. MASUREL (1964). À leur suite, nous avons nous-même mené quelques observations sur ce sujet dans la partie occidentale du massif (Fig. 1). Nous reproduirons ici, avec de très légères modifications, les pages que nous lui avons consacrées dans notre thèse de Doctorat d'État (C. MARTIN, 1986). Certes, ce sujet ne représente in fine qu'une part marginale de notre implication dans le massif des Maures. Mais il a été au cœur de nos premières recherches et à l'origine d'une relation passionnelle avec ce

qui aura été le terrain d'étude privilégié de toute une carrière. II - LES GRANDES LIGNES DU RELIEF À première vue, la partie occidentale du massif des Maures est constituée par tout un fouillis de vallées et de crêtes sinueuses (bien injustement qualifiées de croupes monotones par P. BIROT, 1965) développées dans des roches métamorphiques variées (Fig. 2). La série sédimentaire originelle a subi un métamorphisme croissant d'ouest en est lors des phases de plissement isoclinal de l'orogénèse hercynienne. Une migmatitisation de certains

Études de Géographie Physique, n° XXXVII, 2010

14

Figure 1 - Localisation du terrain d'étude.

niveaux est en outre sensible dans la partie orientale du terrain d'étude. D'ouest en est, affleurent (L. LUTAUD, 1951 ; S. GUEIRARD, 1957 ; P. BORDET, 1969, 1976 ; M. SEYLER, 1975, 1986 ; C. CARUBA, 1983 ; etc.) : des phyllades, soit schisteux, soit présentant une alternance de bancs schisteux et quartzeux, et des quartzites ; les micaschistes, amphibolites et leptynites des Berles ; les gneiss de Bormes ; les micaschistes, gneiss, amphibolites et leptynites du Cap Nègre (Fig. 3). Dans toutes ces roches, du fait des plissements isoclinaux, schistosité et foliation correspondent grossièrement à la stratification. Les bancs sont le plus souvent inclinés vers l'O-NO. La valeur du pendage qui avoisine 30° à l'extrémité occidentale du massif, augmente progressivement vers l'est, jusqu'à dépasser 70° dans les affleurements de gneiss de Bormes.

Comme l'a noté L. LUTAUD (1924), si l'on s'en tient aux lignes principales du relief, la partie occidentale du massif présente trois chaînes parallèles, de direction E.NE-O.SO, séparées par deux alignements de vallées. 1 ) La chaîne septentrionale Entre la dépression permienne (1), au nord, et les vallées du Réal Collobrier (creusée elle aussi dans des roches permiennes) et du Périer, au sud, s'étend ce que L. LUTAUD (1924) appelle la chaîne septentrionale des Maures. C'est la partie la plus élevée du massif. Les sommets de la Sauvette et de Notre-Dame des-Anges (Photo 1), qui atteignent respectivement les altitudes de 780 et 767 m, y dominent nettement le plateau du Treps, lequel culmine à 672 m.

______________________________ (1) Expression consacrée, bien qu'assez malheureuse. Il s'agit, en fait, d'une dépression périphérique creusée dans des roches permiennes.

MER

MÉDITERRANÉE

Îles d'Hyères

Toulon

St-Tropez

La Môle

Draguignan

Bormes

Collobrières

Gonfaron

Les Arcs

Fréjus

Hyères

La Garde- Freinet

Cours d'eau

Massif des Maures

Dépression permienne

Provence calcaire

Terrain d'étude

N5 km

15

Figure 2 - Photo satellitaire du terrain d'étude

(source : GOOGLE Earth – © 2010 Europa Technologies, ©2010 Tele Atlas, © 2010 IGN France – en libre utilisation à des fins non commerciales).

C : Capelude. L : Laquina. CMR : crête Marc ROBERT. LM : La Malière. LS : La Sauvette.

Mar : Maravielle. Mau : Maurets. NDA : Notre-Dame des Anges. P : Pounches. PS : Plan de Suvière. RC : Réal Collobrier. RLG : rivière de La Giscle. RLM : rivière de la Môle. RLV : ruisseau de La Verne.

RP : ruisseau du Périer. T : Treps. V : Valescure. VL : Val Lambert.

Photo 1 - La chaîne septentrionale des Maures vue depuis la crête de la Verne (bassin du Rimbaud).

NDA : Notre-Dame des Anges. LS : La Sauvette. T : Treps. RC : vallée du Réal Collobrier.

P : Pounches. VL : Val Lambert.

2 km

T

VL

LSNDA

VMau

P

LM

RP

RLVRC

CMR

Chaîne méridionale

Chaîne centrale

Chaîne septentrionale

CPS

RLG

LMar

T

RLM

LS NDA T

VL P

RC

16

Figure 3 - Carte géologique schématique du massif des Maures, d'après S. GUEIRARD (1957),

P. BORDET (1969), M. SEYLER et M. BOUCARUT (1978) (C. MARTIN, 1986). La crête de la Sauvette (Photos 2) est constituée de micaschistes à mica blanc. Elle présente un puissant escarpement sommital de regard est. En contrebas de celui-ci, un banc de micaschistes intercalé dans des amphibolites arme une série de pointements rocheux ; plus à l'est, les affluents du ruisseau de Valescure ont découpé des échines parallèles dans des micaschistes entrelardés de bancs d'amphibo-lites. De son côté, le versant occidental de la Sauvette est beaucoup moins entaillé par les affluents de rive gauche du ruisseau des Maurets

(Photo 3). Il offre d'abord une pente assez faible, de l'ordre de 20°, mais en dessous de 550-600 m son inclinaison dépasse généralement 30°. La croupe joignant Notre-Dame des Anges au sommet du Cros de Paneau (662 m) est constituée de phyllades. Elle présente des formes beaucoup plus lourdes que celles de la crête de la Sauvette, bien qu'elle subisse aussi de toutes parts les attaques du réseau hydrographique. Comme dans le cas de la Sauvette, les cours d'eau descendant vers l'est ont découpé, dans les

1 : phyllades et quartzites. 2 : micaschistes des Berles. 3 : gneiss de Bormes. 4 : micaschistes, gneiss et leptynites du Cap Nègre. 5 : amphibolites et leptynites. 6 : migmatites. 7 : orthogneiss. 8 : granites intrusifs. 9 : Stéphanien. 10 : failles majeures. LS : sommet de la Sauvette.

MER MÉDITERRANÉE

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Photos 2 - Le versant oriental de la crête de la Sauvette vu depuis : a / la route de

Collobrières à Grimaud, b / l'extrémité nord du bassin du Valescure. [clichés : C. MARTIN, 2010 et 1970]

Photo 3 - Le versant occidental de la crête de la Sauvette : des pentes relativement faibles en haut de

versant qui s'accentuent ensuite nettement, des têtes de vallon évasées en amont de thalwegs encaissés. [cliché : C. MARTIN, 2010]

phyllades, une série d'échines très rocailleuses (Photos 4). Dans la partie aval du ruisseau des Maurets, la vallée s'élargit et les versants devien-nent plus doux dans les amphibolites. Le plateau du Treps (Photos 5), situé à l'est du vallon de Valescure, est entièrement déve-loppé dans des gneiss de Bormes. Avec une longueur de six kilomètres pour une largeur d'un kilomètre environ, il présente une orientation NE-SO. Par ailleurs, il offre l'aspect d'une surface faiblement ondulée et légèrement inclinée vers l'est. Enfin, le plateau est prolongé vers le nord-est, jusqu'au village de la Garde-Freinet, par la haute crête Marc ROBERT (du nom d'un pompier tué dans l'incendie de 1970). À l'ouest, le plateau du Treps domine des

versants très raides qui descendent vers les ruis-seaux de Valescure (affluent du Réal Collobrier) et de la Garrière (affluent de l'Aille). La pente moyenne de ces versants avoisine 30°. Sur le versant oriental du vallon de Valescure (Photo 6), certains ruisseaux ont creusé des amphithéâtres d'érosion torrentielle. Ceux de la Louvière et de Serevengude en sont les plus beaux exemples. En réalité, le bord occidental du plateau du Treps constitue une ligne de partage des eaux entre, d'une part, le bassin-versant du Réal Collobrier, qui coule vers l'ouest, et, d'autre part, ceux de la rivière de la Giscle, à l'est, et du ruisseau de la Verne, au sud, qui coulent vers l'est. Notons que dans son cours supérieur, en amont de Grimaud, la rivière de la Giscle (ainsi nommée sur la carte topographique au 1/25000) devrait plutôt porter le nom de rivière de Grimaud.

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Photos 4 - Le sommet de Notre-Dame des Anges et sa retombée orientale, sur le ruisseau des Maurets

(appelé des Dourganières et de la Sauvette dans ses parties moyenne et amont). Les photographies sont prises en descendant du col des Fourches par la route de Gonfaron à Collobrières. Celle du haut

regarde vers le SO depuis le haut du col, celle du bas, vers l'O-NO au quart de la descente. [clichés : C. MARTIN, 1985 et 2010]

À l'est du Treps, la Giscle s'encaisse, par paliers, en gorges profondes dans des roches métamorphiques variées (Photo 7). Ce cours d'eau et ses principaux affluents ont découpé un ensemble de crêtes sinueuses. Dans cette partie du massif, les altitudes ne dépassent pas 500 m, mais les versants ont toujours une pente forte (souvent supérieure à 30°). Enfin, il faut signaler que la Giscle est séparée des ruisseaux de la Verne et du Périer par une croupe irrégulière, dont l'altitude décroît d'ouest en est. On y trouve, à Plan de Suvière, une forme en berceau, orientée nord-sud, qui représente certainement un ancien niveau d'érosion. Depuis les Roches Blanches de La Garde Freinet jusqu'au sommet de Notre-Dame des Anges, la ligne de faîte, qui sert de ligne de

partage des eaux entre, d'une part, le réseau hydrographique de l'Aille, et, d'autre part, ceux du Réal Collobrier et de la Giscle, dépasse presque toujours 600 m. Elle tombe en dessous de cette altitude au col des Fourches (535 m) et dans le quartier du Cros de Mouton (550 m), ces deux localisations correspondant à des seuils hydrographiques importants. En définitive, vue depuis la dépression permienne (Photo 8), l'irrégularité du relief de la partie du massif comprise entre Notre-Dame des Anges et le plateau du Treps contraste avec l'extrême régularité de la crête Marc ROBERT. Par ailleurs, les ruisseaux descendant vers la plaine de Gonfaron ont taillé une série d'échines qui dominent de 100 à 150 m les glacis de la rive droite de l'Aille.

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Photos 5 - Le plateau du Treps, en haut dans sa partie sud (au nord du ruisseau du Froid – en regardant

vers le N-NO) et en bas dans sa partie nord (depuis la crête Marc ROBERT – en regardant vers le S-SO). [clichés : C. MARTIN, 1985]

Photo 6 - Le versant occidental du plateau du Treps, dans le bassin versant du Valescure, vu depuis le versant oriental de la crête de la Sauvette. Au centre de la photo, l'amphithéâtre d'érosion torrentielle

de la Louvière. À l'extrême gauche, on devine celui de Serevengude. [cliché : C. MARTIN, 2010]

20

Photo 7- La chaîne septentrionale des Maures à l'est du plateau du Treps (la photographie regarde vers le nord, depuis la croupe située entre les hameaux de Capelude et de Vaucaude ; la rivière de la Giscle

descend, par paliers, du plateau du Treps jusqu'aux gorges dominées par le sommet de Cuguyon, à droite de la photo ; à l'arrière plan, on aperçoit la crête Marc ROBERT).

[cliché : C. MARTIN, 1985]

Photo 8 - Le massif des Maures vu depuis la dépression permienne circum-mauresque

(colline Sainte-Brigitte à Vidauban). [cliché : C. MARTIN, 1985] À l'ouest de Notre-Dame des Anges, le ruisseau du Val de Collobrières s'est inscrit bien à l'intérieur du massif. De ce fait, la ligne de partage des eaux entre, d'une part, le réseau hydrographique du Réal Martin et, d'autre part, ceux du Réal Collobrier et du Maraval, se trouve repoussée plus d'un kilomètre au sud de Notre-Dame des Anges, le long de la crête des Martels. Entre Notre-Dame des Anges et le sommet des Quatre Termes (570 m), l'altitude de cette crête varie de 479 à 572 m. Elle diminue ensuite vers l'ouest, dans un secteur tout particulièrement disséqué où le sommet du Fédon culmine à 447 m. 2 ) La chaîne centrale La chaîne centrale des Maures (Photo 9) est délimitée par la dépression correspondant aux

vallées du Réal Collobrier et du ruisseau du Périer, au nord, et par la rade d'Hyères et la rivière de la Môle, au sud. Cette chaîne culmine à 647 m au sommet de Boussicaut, sur la crête joignant le petit plateau du Laquina (603 m – Photo 10) au sommet de la Verne (628 m). La crête de la Verne est constituée de gneiss massifs, à l'ouest, et d'un ensemble de micaschistes, de leptynites et de gneiss, à l'est. Elle domine la rivière de la Môle, au sud, et le ruisseau de Valcros, à l'ouest, par des versants très raides, hérissés de chicots et coupés de replats comme ceux du Grand-Noyer et du Petit-Noyer. La partie culminante de la chaîne centrale est limitée à l'est et au nord par le ruisseau de la Verne, un affluent de la rivière de la Môle.

Notre-Damedes Anges La SauvetteTreps Crête Marc ROBERT

La Garde-Freinet

21

Photo 9 - La chaîne centrale des Maures vue de la route de Collobrières à Grimaud. En dessous de la

ligne de crête, sur la gauche de la photo, on devine les bâtiments de la chartreuse de la Verne. En fond de vallée, le ruisseau de La Verne décrit des méandres encaissés. [cliché : C. MARTIN, 2010]

Photo 10 - Le plateau du Laquina (un haut vallon aux formes très molles perché au-dessus de la vallée de la Malière). [cliché : C. MARTIN, 1985]

Le ruisseau de la Verne décrit de nombreux méandres irréguliers. Mais surtout, il s'encaisse profondément en aval de sa confluence avec le Bousquet. De fait, le profil en long présente une nette rupture de pente, et l'altitude du thalweg passe de 300 à 200 m en moins de 1500 m. La Verne est alors dominée, sur sa rive gauche, par le plateau du Treps et, à un niveau intermédiaire, par de larges croupes dont l'altitude avoisine 400-500 m près des cols de Boulin et de Taillude. Dans la partie supérieure du bassin-versant, le Val Lambert, long de 1200 m et large de 200 à 400 m, avec une altitude comprise entre 450 et

471 m, possède un fond remarquablement plat (Photos 11). Les versants qui le rejoignent à partir de la crête de la Verne, au sud, et du plateau des Pounches, au nord, ont une pente relativement faible, de l'ordre de 15°. En définitive, le secteur du Val Lambert correspond certainement à un ancien niveau d'érosion en berceau, encore assez peu dégradé. Vers l'ouest, le Val Lambert et le plateau des Pounches dominent la vallée de la Malière, qui appartient au bassin versant du Réal Collobrier. Les cours d'eau descendant de la crête de la Verne, de la partie comprise entre le plateau du

22

Laquina et la Montagne du Faucon (640 m), vers le ruisseau de la Malière ont creusé des reculées dont la plus impressionnante est celle du Rimbaud. Il s'agit de l'amphithéâtre de la Lave du Desteu, sauvage et grandiose, au fond duquel le Rimbaud se précipite par une série de cascades,

qui présente des abrupts hauts de plus de 100 m (Photos 12). En 300 m environ, entre l'amont et l'aval de l'amphithéâtre, l'altitude du thalweg passe de 450 m à 330 m ; la pente est ensuite moins forte jusqu'à la confluence avec le ruisseau de la Malière, à 218 m d'altitude, 900 m plus loin.

Photos 11 - Le fond plat et la forme en berceau du Val Lambert : en haut, vue de l'amont vers l'aval (à noter les menhirs) ; au centre, vue du nord-ouest vers le sud-est ; en bas, vue vers le sud-ouest depuis

la maison forestière. [clichés : C. MARTIN, a et c en septembre 1985, b en mai 2010]

a

b

c

23

Photos 12 - L'amphithéâtre d'érosion torrentielle de la lave du Desteu : a / l'extrêmité amont et ses

cascades ; b / le versant de rive gauche (la pente topographique est presque parallèle au pendage des gneiss ; c / le versant de rive droite ; d/ détail en haut du versant de rive gauche (la décompression des

roches favorise les éboulements). [cliché : C. MARTIN, 2010]

a

b c

d

24

En aval de l'amphithéâtre de la Lave du Des-teu, une autre forme, plus anecdotique, témoigne de l'incision en cours du réseau hydrographique : un peu avant la confluence avec le ruisseau de la Malière, dans le fond de sa vallée déjà très encaissée, le Rimbaud a exploité les structures planaires des gneiss, auxquelles il est ici paral-lèle, pour creuser un couloir extrêmement étroit, profond de plusieurs mètres. Aucun relief ne se trouve en amont du Val Lambert, lequel surplombe l'amphithéâtre d'éro-sion torrentielle de la Lave du Desteu et la vallée de la Malière (Photo 13). De toute évidence, une partie du réseau hydrographique de la Verne (en tout cas, le ruisseau du Rimbaud) a été capturée par celui du Réal Collobrier. À l'ouest des plateaux des Pounches et du Laquina, les reliefs taillés dans les phyllades sont beaucoup moins élevés. Les altitudes maximales dépassent à peine 300 mètres à l'extrémité occi-dentale du massif, entre les villages de Pierrefeu et de La Londe. Dans ce secteur, le ruisseau du Pansard (qui se jette dans la rade d'Hyères) et ses affluents, en échancrant largement le massif au nord de La Londe, ont porté la ligne de partage des eaux à proximité immédiate du Réal Collobrier. 3 ) La chaîne méridionale Située entre la rivière de la Mô1e et la mer Méditerranée la chaîne littorale (Photo 14) se confond presque avec la crête de la Pierre d'Avenon. C'est une échine très régulière, de direction est-ouest, dont l'altitude maximale atteint 528 m. Elle comporte quelques éléments de plateau, en particulier dans le quartier du Pré de Roustan et à proximité du col de Barral (Photo 15). La ligne de faîte tranche indis-tinctement des gneiss, des micaschistes et des leptynites. La chaîne littorale descend brutalement vers la mer. Sa retombée septentrionale est plus douce, mais elle est entaillée par de nombreux affluents de la rivière de la Mô1e. III - L'ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE

AU TERTIAIRE La première synthèse concernant l'évolution paléogéographique du massif des Maures est

l'œuvre de L. LUTAUD (1924) qui en propose une reconstitution séduisante, à la fois rigoureuse et prudente. Ses arguments sont d'ailleurs repris et développés par J. CHARDONNET (1952) et Y. MASUREL (1964). Toutefois, sur bien des points, C. CORNET (1965) remet ensuite en question les conclusions de ces trois auteurs. Assurément, la variété du matériel métamor-phique et l'absence quasi totale de dépôts postérieurs au Permien expliquent la fragilité de beaucoup d'hypothèses. L'histoire de la Provence au Tertiaire est dominée par des mouvements tectoniques importants et par la réalisation de surfaces et de niveaux d'érosion, pour lesquels J.J. BLANC (2010) a produit récemment une synthèse. 1 ) La fracturation À la suite des plissements accompagnés de métamorphisme, les roches ont réagi aux efforts tectoniques en se cassant. Le paroxysme hercynien à provoqué des fractures selon deux directions : - Une direction nord-sud. Elle est surtout repré-

sentée, à l'est du terrain d'étude, par la faille de Grimaud, d'âge anté-Stéphanien (A. DEMAY, 1927). D'après M. BOUCARUT et R. CAMPRE-DON (1975), la tectonique cassante de direction nord-sud a débuté au Carbonifère et s'est amortie au Permien.

- La direction est-ouest. Elle est bien représentée

dans la partie occidentale du massif où l'on trouve notamment les deux faisceaux de failles de Pierrefeu-Collobrières et de la Môle. La phase tectonique est-ouest a débuté au Stéphanien et s'est amplifiée au Permien (H. PARENT, 1932 ; P. BORDET, 1966). À cette époque, l'érosion consécutive aux mouve-ments de surrection a arraché au massif une énorme masse de matériaux qui se sont accu-mulés dans les fossés tectoniques.

Les failles des Mayons, qui limitent le massif des Maures vers le nord, et celles de Pierrefeu-Collobrières se prolongent en Provence calcaire où elles affectent le Lias et le Jurassique. Leur principal rejeu post-Permien correspond certainement à la phase tectonique pyrénéo-provençale, d'âge éocène. En soulevant le massif, celle-ci a permis le dégagement du socle de sa couverture sédimentaire. Selon P. BORDET (1969), elle est en outre responsable, d'une part, de la virgation des roches entre le plateau du

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Photo 13 - La Lave du Desteu et le Val Lambert (où l'on voit la maison forestière au bas

du versant sud-est du plateau des Pounches). [cliché : C. MARTIN, 2010]

Photo 14 - La chaine méridionale des Maures vue depuis la chaîne de la Verne. La photographie

donne, au premier plan, un exemple de la topographie sommitale de la chaîne centrale (ici dans le secteur du Laquina). [cliché : C. MARTIN, 2010]

Photo 15 - Exemple de topographie sommitale dans la chaine méridionale des Maures.

[cliché : C. MARTIN, 1985]

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Treps et le village de La Garde-Freinet et, d'autre part, des failles E.NE-O.SO et E.SE-O.NO. Plus tard, à l'Oligocène, la Provence subit une nouvelle phase tectonique importante. C. CORNET (1965) lui attribue un âge stampien. Cependant les travaux de G. GUIEU (1977) et de D. NURY (1977), sur la tectonique du bassin de Marseille, montrent que les mouvements oligo-cènes se poursuivent au Chattien. Ils provoquent évidemment le rejeu des accidents tectoniques antérieurs. Mais surtout, d'après J. AUBOUIN et G. MENNESSIER (1963), ils donnent au massif des Maures l'allure d'un méga-anticlinal dirigé NE-SO. Les fractures sans rejet appréciable NE-SO et NO-SE, parallèles aux axes d'inflexion du méga-anticlinal, ont donc vraisemblablement un âge stampo-chattien. Enfin, au Tortonien, la région enregistre les effets de la phase tectonique pontique qui, selon G. GUIEU (1977), confère à la Provence une physionomie proche de l'actuelle. 2 ) Les niveaux d'érosion Les nombreux témoins de surfaces et de niveaux d'érosion d'âge tertiaire conservés dans la partie centrale du massif des Maures (Fig. 4) permettent de distinguer les éléments suivants : a. La surface d'aplanissement sommitale (S 2)

et les points culminants du massif (S 1) La surface d'aplanissement sommitale est représentée, à une altitude de 600-650 m, par le plateau du Treps et la crête Marc ROBERT, dans la chaîne septentrionale, et par le plateau du Laquina et la crête de la Verne, dans la chaîne centrale. Par ailleurs, la zone faîtière de la chaîne méridionale, dont l'altitude avoisine 500 m, présente un modelé semblable à celui des élé-ments de surface précédents. Comme le suggère L. LUTAUD (1924), il s'agit certainement d'un lambeau de la surface sommitale dénivelée par un rejeu de la faille de la Môle. À l'évidence, l'élaboration de la surface d'aplanissement sommitale S 2 est postérieure à la phase tectonique pyrénéo-provençale, puisque l'on retrouve des lambeaux de cette surface à des altitudes voisines de part et d'autre du faisceau de failles de Collobrières, dont on sait qu'il a rejoué à la fin de l'Éocène. En outre, elle est manifes-tement antérieure à la phase tectonique pontique, celle-ci étant susceptible d'avoir provoqué le rejeu de la faille de la Môle, responsable de

l'abaissement de la chaîne méridionale par rap-port aux chaînes centrale et septentrionale. L'âge de la surface S 2 est donc à la fois post-Éocène et anté-Tortonien. Certes, les plateaux de roches métamor-phiques dominent nettement les éléments de la surface fondamentale de la Provence calcaire, qui apparaissent à une altitude de 300-400 m au nord de la dépression permienne circum-mauresque. Cette observation peut amener à paralléliser la surface sommitale des Maures avec la surface supérieure de la Provence calcaire, représentée par des sommets d'aspect tabulaire qui se tiennent à une altitude de 600 m environ, surface datée du Sannoisien par J. NICOD (1967). L. LUTAUD (1924), puis Y. MASUREL (1964), adoptent cette hypothèse. Toutefois il n'existe pas, dans la chaîne septentrionale des Maures, de niveau inférieur à celui du Treps qui puisse être raccordé aux bas-plateaux de la Provence calcaire. Et pourtant il serait incompréhensible que la surface fonda-mentale, largement développée au delà de la dépression permienne, ne se soit pas inscrite dans les terrains métamorphiques. En conséquence, nous rattachons la surface sommitale des Maures à la surface fondamentale de la Provence cal-caire, à laquelle la plupart des auteurs concernés, et notamment Y. MASUREL (1964), C. CORNET (1965), J. NICOD (1967) et C. ROUSSET (1975) attribuent un âge miocène. À cet égard, C. ROUS-SET fait justement valoir, en réponse à la prise de position de J. TOURAINE (1975) en faveur d'un âge oligocène, que la surface affecte des terrains oligocènes et tronque des failles d'âge chattien. Notons que la surface fondamentale de la Provence calcaire porte des matériaux détritiques venus du massif des Maures, et datés du Vindo-bonien par C. CORNET (1965). La présence de ces cailloutis cristallins prouve que le creusement de la dépression permienne n'était pas encore réalisé à cette époque et que le drainage du massif des Maures se faisait vers le nord. Par ailleurs, J. NICOD (1967) note que les dépôts les plus récents apparaissent généralement en con-trebas de la surface, dans des vallons ou des dépressions karstiques. Il est donc possible, sinon probable, que la surface d'aplanissement ait subi une certaine dégradation au cours du Vindo-bonien. En définitive, la surface d'aplanissement sommitale du massif des Maures a été élaborée de l'Aquitanien à l'Helvétien, après la phase tectonique stampo-chattienne et le démantèle-ment de la surface d'aplanissement sannoisienne.

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Figure 4 - Les niveaux d'érosion d'âge tertiaire (C. MARTIN, 1986).

Ensuite, elle a été nettement soulevée par rapport à la Provence calcaire, lors de la phase tectonique pontique. Ces conclusions rejoignent celles présentées par C. CORNET (1965). Mais il faut regretter l'excès de conviction mis par cet auteur à voir partout les restes d'une surface unique, d'âge miocène. Ainsi C. CORNET n'hésite-t-elle

pas à rattacher à la surface S 2 les sommets de la Sauvette (780 m) et de Notre-Dame des Anges (767 m), qui dominent pourtant le plateau du Treps de plus de cent mètres. Or il est impossible d'expliquer cette dénivelée par des mouvements tectoniques postérieurs à l'Helvétien, et cela pour deux raisons :

La Garde-Freinet (345 m)

La Môle

Collobrières

Le Lavandou

Bormes

Les Mayons

Légende :

S1

S2 S3 S4

R. : rivière

MER MÉDITERRANÉE

0 1 2 km N

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- D'une part, aucun des chercheurs qui ont travaillé sur cette partie du massif (L. LU-TAUD, 1924, 1951 ; P. BORDET, 1969 ; R. COVA et al., 1971 ; M. SEYLER, 1975, 1986 ; etc.) n'y ont trouvé de faille nord-sud. Certes, les fractures NO-SE sont nombreuses, mais elles ont toutes un rejet très faible.

- D'autre part, la régularité de la crête Marc ROBERT, entre le plateau du Treps et le village de La Garde-Freinet, prouve que la surface sommitale n'a pas subi de mouvement de voussure important, contrairement aux affir-mations de C. CORNET (1965).

La crête de la Sauvette et la croupe de Notre-Dame des Anges doivent être interprétées comme des reliefs résiduels, dont le sommet correspond peut-être approximativement à une ancienne surface d'aplanissement S 1 d'âge sannoisien. b. Le niveau d'érosion inférieur (S 4) Ce niveau est surtout bien représenté dans la vallée de la Verne, où l'on observe les éléments suivants : - Le haut vallon de Lambert. L'entaille réalisée

par le ruisseau du Rimbaud permet de constater que la forme en berceau est effectivement développée dans les gneiss de Bormes en place. Rappelons que l'altitude de cet élément passe de 471 à 450 m, sur une distance de 1200 m.

- Le cirque de Capelude. Il est formé de cinq croupes très molles, dont l'altitude est comprise entre 315 et 340 m.

- La plate-forme du Brémond, au sud-est du sommet du Laïré. Son altitude avoisine 260 m.

- La plate-forme de Maravielle. Son altitude varie de 260 à 230 m. Elle est fossilisée par une coulée basaltique qui en a favorisé la conser-vation.

Le niveau S 4 de la vallée de la Verne se prolonge dans la vallée de la Mô1e par la plate-forme du Bois de Faucon, également fossilisée par du basalte. On trouve un autre lambeau de ce niveau au sud de la faille de la Mô1e, près du hameau de Murène, entre 320 et 280 m d'altitude. Ce lambeau, très instructif au point de vue géomorphologique, n'a jamais été signalé aupa-ravant. J. AUBOUIN et G. MENNESSIER (1963), puis C. CORNET (1965) rattachent le niveau de Val Lambert - Bois de Faucon à la surface d'aplanissement miocène. Celle-ci aurait donc été affectée par des mouvements tectoniques pontiques suffisamment originaux pour créer un

réseau sinueux de fossés d'effondrement. Évi-demment, cette hypothèse n'est pas satisfaisante. De son côté, Y. MASUREL (1964) indique que les lambeaux du niveau S 4 sont en continuité quasi parfaite le long d'un profil joignant le Val Lambert à la plate -forme du Bois de Faucon, en suivant les vallées de la Verne et de la Môle. Par conséquent, le niveau de Val Lambert - Bois de Faucon correspond à une ancienne vallée qui écoulait ses eaux vers la Méditerranée. Il s'agit d'un niveau d'érosion particulier, témoignant de la réorganisation du réseau hydrographique après le Vindobonien. Notons en outre que la plate-forme de Murène et le niveau de Val Lambert - Bois de Faucon se raccordent parfaitement au point de vue topographique, bien qu'ils soient situés de part et d'autre de la faille de la Môle. La formation du niveau S 4 est donc postérieure au dernier rejeu important de cette faille et, en tout cas, aux dernières manifestations violentes de la phase tectonique pontique, d'âge tortonien. Enfin, le niveau S 4 a été élaboré avant l'épanchement des basaltes qui le fossilisent. Les mesures paléomagnétiques présentées par Y. MASUREL (1964) indiquent qu'ils sont contemporains de ceux d'Évenos, près de Toulon, qui ont livré des âges radiométriques de -6 Ma (H. BELLON et R. BROUSSE, 1977) et de -5 Ma (M. et N. GIROD, 1977). Sur la base du critère paléomagnétique, le seul disponible à l'époque, Y. MASUREL accorde un âge pontien aux basaltes de Maravielle, position critiquée par P. BIROT (1965), pour lequel ils pourraient tout aussi bien être villafranchiens. Une analyse radiométrique fournira finalement un âge de -5 Ma (J.C. BAUBRON, 1984). En définitive, le niveau d'érosion inférieur s'est élaboré, au moins en grande partie, au Messinien, après la phase tectonique pontique responsable de la dénivellation de la chaîne méridionale et de celle, encore plus forte, du bloc des Îles d'Hyères (voir Fig. 1) par rapport aux deux chaînes septentrionales. Cette conclusion diffère sensiblement de toutes les conceptions antérieures, y compris de celle émise par Y. MASUREL (1964), qui pensait que le niveau S 4 s'est emboîté dans la surface d'aplanissement sommitale entre l'Aquitanien et le Tortonien supérieur. c. Le niveau d'érosion intermédiaire (S 3) Dans la vallée de la Verne, on constate la présence d'un niveau d'érosion intermédiaire entre la surface d'aplanissement sommitale et le

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niveau d'érosion inférieur (C. MARTIN, 1973). Les formes, plus ou moins dégradées, corres-pondant à ce niveau S 3 sont le plateau des Pounches (545 m), le sommet de Ragusse (509 m) et quelques croupes situées au sud des cols de Boulin et de Taillude. Peut-être faut-il aussi leur rattacher certains sommets de la crête dominant le cirque de Capelude, jusqu'au sommet de Plan de Suvière (453 m), ainsi que le sommet du Laïré (441 m). Ces formes, nettement emboî-tées dans la surface d'aplanissement sommitale, marquent évidemment une étape de la réor-ganisation du réseau hydrographique après l'Helvétien. En fait, l'élaboration du niveau d'érosion S 3 est certainement liée au rejeu de la faille de la Môle au Tortonien ; celui-ci, en dénivelant la chaîne méridionale par rapport aux deux chaînes septentrionales, a déterminé un escarpement et un niveau de base local qui ont permis le développement d'une vague d'érosion régressive particulière. 3 ) Les canyons sous-marins Les campagnes de plongées en submersible, entamées par J. BOURCART et al. (1952), révèlent la présence, au sud-est du massif des Maures, de vallées sous-marines encaissées dans des roches détritiques d'âge oligo-aquitanien (J. ANGELIER et al., 1977). Le creusement des vallées résulte de l'eustatisme endoreïque qui a frappé la Méditerranée au Messinien (J. BOUR-CART, 1962 ; L. GLANGEAUD et al., 1965). Cet épisode qui a duré pour l'essentiel de -5,7 à -5,3 Ma (G. CLAUZON, 1996) a été suivi de la transgression pliocène, laquelle a laissé des dépôts argileux près des embouchures de l'Argens et de la Siagne, à l'est des Maures, deux fleuves côtiers prolongés par des canyons sous-marins (Y. MASUREL, 1964). Les roches d'âge fini-Oligocène apparaissent actuellement, au fond des vallées sous-marines, à plus de 1900 m au-dessous du niveau de la mer. En conséquence, force est de constater l'ampleur des mouvements épirogéniques responsables de l'affaissement des terrains situés au sud du continent actuel. À cet égard, Y. MASUREL (1964) parle justement d'une flexure d'effon-drements nettement accidentée. Or l'absence, dans le massif des Maures, de rejeux tectoniques importants postérieurs au Tortonien ne prouve pas le non-fonctionnement de la flexure après le Messinien. Au contraire, des mouvements tardifs (tectoniques ou isostasiques) sont attestés par

la très forte pente des thalwegs sous-marins (0,8 ou 0,9 %). 4 ) En résumé À la fin de l'Éocène, la phase tectonique pyrénéo-provençale soulève le massif. Non seule-ment elle fait rejouer les fractures hercyniennes, mais encore elle crée des failles E.NE-O.SO et O.NO-E.SE. La surrection du massif permet le dégagement du socle de sa couverture sédi-mentaire. Au Sannoisien, l'érosion aboutit à la formation d'une surface d'aplanissement. À cette époque, le drainage se fait vers le nord. Les sommets de la Sauvette (780 m) et de Notre-Dame des Anges (767 m) correspondent sans doute approximativement à cette surface. Au Rupélien et au Chattien, des mou-vements tectoniques importants disloquent la surface formée au Sannoisien. Les accidents antérieurs rejouent certainement. En outre, le massif prend la forme d'un méga-anticlinal dirigé NE-SO. Ce mouvement de voussure s'accompa-gne de fractures, sans rejet appréciable, parallèles aux axes d'inflexion. Entre le début de l'Aquitanien et la fin de l'Helvétien, la Provence subit une nouvelle phase d'aplanissement. Celle-ci élabore à la fois la surface fondamentale de la Provence calcaire et la surface sommitale du massif des Maures. Dans la chaîne septentrionale des Maures, la surface sommitale, qui est bien représentée par le plateau du Treps (600-672 m), est nettement dominée par les reliefs résiduels de la Sauvette et de Notre-Dame des Anges. Au Tortonien, la phase tectonique pontique soulève le massif par rapport à ses enveloppes sédimentaires. Le rejeu de la faille de la Môle provoque la dénivellation de la chaîne méri-dionale par rapport aux deux chaînes septen-trionales, alors que les failles de Pierrefeu-Collobrières ne rejouent pas. En définitive, les mouvements tectoniques pontiques renversent le drainage vers le sud. À partir du Tortonien, et à la fin du Miocène, le réseau hydrographique adopte son dessin actuel. Le creusement de la dépression permienne isole définitivement le massif des Maures de la Provence calcaire. Les cours d'eau

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s'encaissent en deux étapes marquées par la réalisation de niveaux d'érosion. Au Messinien, les vallées très évoluées ont un large fond plat et des versants assez doux. Mais, dans le même temps, l'eustasie endoreïque méditerranéenne déclenche un cycle d'érosion régressive très important. Enfin, la transgression pliocène provoque l'immersion de la marge continentale émergée au Messinien. IV - LE QUATERNAIRE Le niveau d'érosion de Maravielle domine le fond des vallées de la Môle et de la Verne de plus de 200 mètres. Cette dénivelée indique bien l'importance de la dissection du massif des Maures à la fin du Tertiaire et au Quaternaire. Malgré cela, beaucoup de vallées conservent quelques témoins de leur évolution postérieure au Messinien. Différents stades de creusement et de rem-blaiement ont été reconnus à l'intérieur du massif des Maures (L. LUTAUD, 1924 ; Y. MASUREL, 1964 ; C. MARTIN, 1973, 1986) : - Le glacis terrasse du Réal Collobrier. Les

lambeaux de ce glacis, développé sur les grès permiens du fossé tectonique de Pierrefeu-Collobrières, dominent le thalweg actuel d'une quinzaine de mètres.

- La nappe alluviale supérieure. Le Réal Collo-

brier, la rivière de la Môle et celle de la Giscle sont bordés localement par les restes d'une haute-terrasse alluviale dont le matériel apparaît entre 5 et 18 m au-dessus du thalweg actuel. Notons que la nappe alluviale de la vallée du Réal Collobrier est en partie emboîtée dans le glacis-terrasse, sur lequel elle déborde très largement (C. MARTIN, 1973). Le matériel alluvial est essentiellement constitué de galets de quartz et de roches métamorphiques très faiblement émoussés. Les éléments caillouteux sont emballés dans une matrice grossière, presque exclusivement gravelo-sableuse quand le matériel n'a pas connu de phase d'illuviation après son dépôt (C. MARTIN, 1973). Cette nappe a subi une certaine altération chimique. Elle apparaît en effet légèrement rubéfiée. En outre, beaucoup de galets d'amphibolites, de micaschistes et même de gneiss sont pulvé-rulents au marteau, et se brisent facilement à la main. Par comparaison avec d'autres formations

alluviales, comme celles étudiées par O. CON-CHON (1972) en Corse et par M. ICOLE (1974) sur le piémont occidental nord-pyrénéen, et en l'absence de critères de datation plus précis, nous avons suggéré d'en dater le dépôt soit du Riss, soit du début du Würm (C. MARTIN, 1986).

- La nappe alluviale inférieure. De nombreux

ruisseaux (le Réal Collobrier, le Maraval, la Malière, la Mô1e, la Giscle dans son cours inférieur, le Batailler, le Pansard...) coulent sur roches deux à quatre mètres en dessous du sommet d'une nappe alluviale très grossière, de couleur brune. Dans cette nappe, les galets de gneiss et de micaschistes sont relativement sains, alors que ceux d'amphibolites ne sont que très légèrement altérés. Le faible degré d'altération du matériel ne laisse d'ailleurs aucun doute sur l'âge würmien du dépôt.

- La nappe grise du Réal Collobrier. Des gra-

vières creusées le long du Réal Collobrier ont dévoilé la présence, à proximité immédiate du ruisseau, d'une nappe alluviale grise, emboitée dans la nappe brune (C. MARTIN, 1973). Cette nappe est beaucoup moins grossière que les précédentes. Elle renferme des débris de briques et de tuiles. Avec certains dépôts fins, elle correspond aux épisodes érosifs les plus récents (C. MARTIN et al., 2007).

Au total, les formations alluviales du massif des Maures fournissent quelques jalons relatifs, mal ou non datés, qui ne permettent pas de reconstituer l'histoire de l'encaissement du réseau hydrographique au Quaternaire. Enfin, même si le massif des Maures peut sembler "plus justiciable de l'analyse morpho-métrique que de l'analyse cyclique" (P. BIROT, 1965), il n'est pas sans intérêt d'examiner le profil en long de deux cours d'eau : la rivière de la Giscle et le ruisseau de la Verne. Ils présentent, en effet, plusieurs ruptures de pente très nettes (Fig. 5), dont la principale affecte le cours supérieur immédiatement en amont du contact entre l'ensemble pétrographique du Cap Nègre et les gneiss de Bormes. Manifestement, la localisation de ces formes doit beaucoup à la lithologie. Mais il convient de s'interroger sur les modalités de leur formation, en recherchant la cause des reprises d'érosion linéaire. J. NICOD (1967), non loin de là, explique les ruptures de pente de la vallée de l'Argens en faisant référence aux mouvements eustatiques. Cette façon d'abor-der le problème du creusement des vallées semble judicieuse dans une région proche de la

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mer. Cependant il n'existe certainement pas de relation simple entre les variations du niveau marin et l'évolution du fond des vallées, tant il est vrai que la lithologie, les mouvements épirogé-niques et les changements climatiques intervien-nent également. L'influence des différents facteurs de l'en-foncement du réseau hydrographique apparaît clairement dans le bassin versant de la Giscle (Fig. 5), où l'étude conjointe du profil des thalwegs et de la topographie des versants met en évidence certaines modalités de l'encaissement des cours d'eau : - Les ruptures de pente Rl et R2 se trouvent

situées dans des secteurs où le cours des ruisseaux, de parallèle aux structures planaires des roches en aval de la rupture de pente, leur devient brusquement perpendiculaire en amont. De son côté, la rupture de pente R3 marque le contact entre les gneiss de Bormes et les roches du Cap Nègre, Le facteur lithologique a donc joué un rôle considérable dans l'évolution du profil en long des cours d'eau.

- Mais la rupture de pente R2 manifeste en outre

un caractère cyclique. En effet, sur le versant de rive droite, quatre petits replats, à 330-350 m d'altitude, prolongent le profil P3. Ces formes se raccordent au niveau d'érosion en berceau de Plan de Suvière (270-290 m), lequel appartient à l'ensemble S 4, selon le critère altitude. Ainsi le profil P3 correspond au cycle d'érosion régressive amorcé au Tortonien à partir du niveau de base général. Toutefois il est bien évident que les replats ne constituent pas les restes d'un niveau en berceau, car le versant qui les domine possède une pente beaucoup trop forte. Un tel niveau aurait pu éventuellement se former dans le courant du Pliocène. Par conséquent, le profil en long correspondant au niveau d'érosion S 4 ne s'est inscrit dans cette partie du bassin versant de la Giscle qu'au Quaternaire, par recul de la rupture de pente existant à la fin du Tertiaire. Au demeurant, il paraît vraisemblable que le cycle d'érosion régressive s'est trouvé longtemps bloqué par les gneiss de Bormes affleurant dans le secteur de Plan de Suvière.

- Pour sa part, le profil P2 correspond certaine-

ment au niveau d'érosion S 3. Cependant le profil des versants, toujours raides et rectilignes entre les ruptures de pente Rl et R2, montre que le niveau S 3 ne s'est pas développé dans les gneiss de Bormes du plateau du Treps avant la

fin du Tertiaire. Le profil P2 s'est donc inscrit dans cette partie du massif pendant le Quaternaire, par recul de la rupture de pente correspondant au cycle d'érosion régressive consécutif au rejeu de la faille de la Môle au Tortonien.

- La rupture de pente R3 provient, quant à elle, de

la remontée du cycle d'érosion amorcé au Messinien à la suite de la régression endoréique méditerranéenne. En aval de cette rupture de pente, le profil en long de la Giscle est grossiè-rement régularisé. Pourtant les travaux réalisés dans la dépression permienne par L. LUTAUD (1924), C. JOURNOT (1948) et Y. MASUREL (1964) montrent plusieurs phases de creuse-ment successives. Mais, dans le massif des Maures, certaines vagues d'érosion remontante ont peut-être rattrapé le cycle amorcé au Messinien, car celui-ci est maintenant considé-rablement ralenti dans les gneiss de Bormes.

Le profil en long du ruisseau de la Verne est beaucoup plus régulier que celui de la rivière de la Giscle. On y trouve seulement la rupture de pente correspondant au cycle d'érosion régressive amorcé au Messinien. Celui-ci a donc rejoint le cycle précédent. Quant à la rupture de pente R0, elle provient simplement de la dégradation du niveau d'érosion S 4 du Val Lambert en aval du confluent du ruisseau de la Verne et de son premier affluent important. On a donc là un creusement d'origine climatique. Cette évolution au Quaternaire, surtout mar-quée par le profond encaissement des vallées, a fixé la limite occidentale des affleurements de gneiss de Bormes comme ligne de partage des eaux entre l'est et l'ouest du terrain d'étude. Les cours d'eau orientés vers l'est ont donc mordu largement dans les gneiss, alors que ceux orientés vers l'ouest, et en particulier le Réal Collobrier, n'ont pas encore réussi à le faire. Cela tient certainement à la disposition adoptée par le réseau hydrographique dès le Miocène inférieur. En effet, à cause de la présence de reliefs résiduels en terrains de phyllades, le drainage de la zone d'affleurement des gneiss de Bormes s'est organisé très tôt vers l'est. Et cette disposition s'est maintenue jusqu'à nos jours, en dépit de la conquête quasi certaine par le réseau hydro-graphique du Réal Collobrier de la partie supérieure des bassins versants de la Giscle et de la Verne.

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A - Rivière de la Giscle :

B - Rivière de la Verne :

Figure 5 - Profil en long de la rivière de la Giscle et du ruisseau de la Verne (C. MARTIN, 1986).

V - L'INFLUENCE DES CONDITIONS

MORPHOSTRUCTURALES : LA FORMATION ET LA CONSERVATION DES RELIEFS

Si le massif des Maures doit les grandes lignes de son relief à la phase d'aplanissement d'âge miocène et, plus encore, au creusement des vallées à partir du Tortonien, il reste à préciser de quelle manière les processus d'érosion ont exploité les conditions morphostructurales pour façonner le modelé. 1 ) La dissection du massif Après la réorganisation du réseau hydrogra-

phique au Tortonien, les cours d'eau se sont profondément encaissés dans le socle dur, en exploitant la fracturation des roches. Le réseau hydrographique a surtout bénéficié de l'existence des accidents tectoniques majeurs de Pierrefeu-Collobrières et de la Môle, dirigés est-ouest, pour pénétrer au cœur du massif. Mais l'examen attentif des photographies aériennes montre que la plupart des cours d'eau secondaires sont également guidés par des fractures, E-O, NO-SE ou NE-SO (C. MARTIN, 1973). En exploitant au mieux les cassures et les structures planaires des roches, certains cours d'eau ont du reste adopté un parcours très sinueux. C'est ainsi que les ruisseaux des Maurets, de Valescure, de la Verne et la rivière de la Giscle décrivent des méandres encaissés extrêmement irréguliers.

Longueur un espacement = 400 m

Altitude, en m

Altitude, en m

Longueur un espacement = 400 m

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Dans ces conditions, les modifications du réseau hydrographique sont devenues pratique-ment impossibles. D'ailleurs, une seule capture s'est produite de façon certaine après le Messinien, celle du Rimbaud, en amont de la Lave du Desteu, par un affluent du ruisseau de la Malière. En définitive, il apparaît tout à fait normal que le réseau hydrographique manque d'organisation. Au demeurant, d'après la classi-fication de SCHUMM, les principaux cours d'eau ne dépassent pas le 6ème ordre, et, si la Mô1e atteint ce degré d'organisation, le Réal Collobrier, la Verne et la Giscle en restent au 5èmeordre. Le Réal Collobrier fournit un exemple particulièrement intéressant pour l'étude des modalités de l'organisation du réseau hydro-graphique. Bien évidemment, ce cours d'eau a très facilement creusé dans les grès d'âge permien conservés au niveau du graben de Pierrefeu-Collobrières et les cycles d'érosion régressive sont venus buter à l'amont contre les gneiss de Bormes. La remontée rapide des vagues cycliques le long de l'accident tectonique est-ouest explique la présence en plein cœur du massif de vallées importantes creusées dans les phyllades et les micaschistes, comme celles des Dourganières, du Valescure et de la Malière. La plupart des affluents du Réal Collobrier sont alignés sur des fractures NO-SE. Très peu de ruisseaux exploitent les plans de stratification et de schistosité des roches, dirigés NE-SO, et cela bien que les cours d'eau s'encaissent normalement avec d'autant plus de facilité qu'ils sont parallèles à la direction de ces structures planaires. Cet état de fait nous a inspiré l'explication suivante (C. MARTIN, 1973) : - Après la réorganisation du drainage au Tor-

tonien, le Réal Collobrier a creusé une vallée de ligne de faille, peut-être par recul d'une sour-ce abondamment alimentée par les fractures drainantes. Sur les plateaux, l'épais manteau d'altérites hérité de la phase d'aplanissement précédente absorbait certainement la majeure partie des eaux précipitées. De ce fait, dans un premier temps, le Réal Collobrier fut surtout alimenté, en ce qui concerne les apports souter-rains, par des eaux provenant des plateaux et circulant le long des structures planaires. Or il n'y avait évidemment aucune possibilité de concentration des eaux selon celles-ci. En outre, les fractures NO-SE drainaient une partie des eaux profondes, car la relation entre le sens de la pente topographique et la direction des fractures était au moins aussi favorable à la

circulation des eaux sur les versants que celle entre le sens de la pente et la direction des structures planaires. Les fractures drainantes ont engendré des sources abondantes dont le recul a déterminé la formation de vallées NO-SE, perpendiculaires à la direction des structures planaires. Sur les versants de ces vallées, la circulation des eaux se fait selon les structures planaires des roches, donc sans qu'il y ait possibilité de concentration du drainage par les fractures. Cela explique, pour beaucoup, le manque d'organisation du réseau hydro-graphique.

- Par ailleurs, au contact des gneiss de Bormes,

des bandes étroites de phyllades schisteux drainaient une partie des eaux des nappes de la zone d'affleurement des micaschistes, des amphibolites et des leptynites du groupe des Berles. Ces circulations d'eau abondantes et localisées ont permis la formation de vallées orientées suivant la direction des structures planaires, celles du Valescure, du Vaubarnier et de la Malière dans sa partie supérieure. Les cours d'eau du bassin du Réal Collobrier ont du mal à mordre dans les gneiss de Bormes, en raison bien sûr de la résistance de ces roches à l'érosion linéaire, mais peut-être aussi du fait de la disposition du matériel. En effet, dans le cas de cours d'eau perpendiculaires à la direction de la schistosité, les plans de faiblesse à l'affleu-rement sont moins nombreux lorsque la pente du thalweg et le pendage ont le même sens.

Les modalités ainsi définies de la dissection du massif font bien sûr la part belle à la fracturation dans l'organisation du réseau hydro-graphique, mais elles mettent surtout en lumière le rôle particulier des structures planaires des roches métamorphiques, dont les relations avec les failles et le relief qui se dessinait après le creusement des grandes vallées est-ouest, ont déterminé la concentration des écoulements profonds selon des axes préférentiels et donc l'orientation des vallées affluentes. Ce "modèle" est évidemment spécifique aux massifs de roches métamorphiques. 2 ) L'érosion différentielle des roches Sous ce titre, nous évoquerons la localisation des sommets les plus élevés en terrain de phyllades, les modalités de la dégradation de la surface d'aplanissement d'âge miocène à l'est des gneiss de Bormes et l'évolution dissymétrique de certaines vallées.

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a. La localisation des principaux sommets Les gneiss de Bormes conservent de nom-breux témoins de la surface d'aplanissement miocène et des niveaux d'érosion fini-miocènes. Ces formes héritées dominent généralement le fouillis des crêtes et des croupes découpées dans les phyllades par le réseau hydrographique au Plio-Quaternaire. Cependant les plateaux gneis-siques, restes de la surface d'aplanissement miocène, se trouvent en contrebas des sommets de Notre-Dame des Anges et de la Sauvette, constitués de phyllades. Certes, l'existence à l'Helvétien de reliefs résiduels dans la zone d'affleurement des phyllades ne saurait surpren-dre, tant ces roches sont a priori résistantes à l'altération chimique (pour l'altérabilité des roches, voir C. MARTIN, 2010). Mais leur con-servation au Plio-Quaternaire peut surprendre, compte tenu de l'extrême dissection du massif à l'ouest des affleurements de gneiss de Bormes, qui atteste la sensibilité d'ensemble des phyllades au creusement par les eaux courantes. Celle-ci est d'autant plus grande que les quartzophyllades résistants se trouvent presque toujours en asso-ciation étroite avec des phyllades schisteux très tendres. Toutefois le problème n'est pas des plus ardus. En effet, les branches supérieures d'un cours d'eau prenant naissance sur un relief ne peuvent pas provoquer l'abaissement du sommet, car elles ne disposent pas d'une alimentation suffisante à l'amont. La diminution de l'altitude sommitale résulte donc uniquement de l'éro- sion des roches sur les versants dégagés par l'encaissement des axes hydrographiques plus importants. La croupe E-O allant de Notre-Dame des Anges (767 m) au Cros de Paneau (662 m) et la crête N-S de la Sauvette (780 m) sont respecti-vement situées à plus de 800 m du ruisseau du Val de Collobrières et à plus de 1000 m de celui des Dourganières (Maurets). L'inclinaison des versants dépassant toujours 35 % dans cette partie du massif, la dénivelée entre les sommets et les thalwegs considérés peut donc avoisiner 300-350 m. Or les thalwegs principaux présentent ici, dans leur partie amont, une altitude encore actuellement supérieure à 400 m, du fait de leur situation au centre nord du massif. b. La dégradation de la surface d'aplanis-

sement miocène Dans la chaîne centrale, sur la croupe joi-gnant le sommet de la Verne au plateau du Laquina, et dans la chaîne méridionale, les restes

de la surface d'aplanissement d'âge miocène apparaissent partout à la même altitude, aussi bien sur les gneiss que sur les micaschistes et les ensembles de gneiss, micaschistes et leptynites. Cela implique que, vers la fin de la phase d'aplanissement, l'altération chimique n'était pas en mesure d'exploiter la variété du matériel lithologique pour préparer le dégagement d'un relief d'érosion différentielle. Mieux, on peut avancer qu'après l'Helvétien l'altération n'a pas non plus agi de façon différentielle sur les lambeaux de la surface d'aplanissement S 2. Et pourtant on a la preuve de l'efficacité de la météorisation chimique à la fin du Miocène. En effet, les formes en berceau fossilisées par la coulée basaltique de Maravielle témoignent de la douceur du modelé à la fin du Miocène, voire au début du Pliocène dans cette partie du massif. Le niveau d'érosion S 4 présente toujours des versants aux pentes faibles, y compris dans la zone d'affleurement des gneiss de Bormes où l'on trouve et le Val Lambert et la plate-forme de Plan de Suvière. Pour expliquer que le front d'altération ait été bloqué à une profondeur identique partout sur la surface d'érosion miocène, on doit invoquer les conséquences de la capacité de stockage des altérites héritées et de l'inclinaison de la pente topographique sur le drainage des matériaux minéraux à la base des profils d'altération. Sur des surfaces topographiques légèrement ondu-lées, recouvertes par un manteau d'altérites épais et subissant un climat chaud modérément humide, la lame d'eau évapotranspirée corres-pond approximativement chaque année aux préci-pitations, la majeure partie des eaux précipitées étant retenues dans le manteau d'altérites avant d'être évapotranspirées. De plus, l'absence de pente topographique nuit à l'écoulement rapide des eaux souterraines vers le réseau hydrogra-phique. Or les eaux mal renouvelées se concen-trent et perdent beaucoup de leur agressivité. En définitive, l'abaissement du front d'altération se trouve bloqué dès que les altérites ont une capacité de stockage suffisante, en particulier en eaux non-gravitaires, pour empêcher un drainage abondant des profils et, par conséquent, un bon renouvellement des eaux à leur base. Dans ce cas, la profondeur du front d'altération pourrait être à peu près la même sur toutes les roches, car elle dépend alors essentiellement du climat. Ces conditions étaient certainement réalisées à l'Hel-vétien sur la surface d'aplanissement, et encore à la fin du Miocène sur les plateaux dégagés par l'érosion linéaire.

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Par contre, le creusement des vallées, en réduisant localement l'épaisseur du manteau d'altérites, permet à l'altération chimique d'inter-venir efficacement sur les versants, où elle bénéficie en outre d'une pente topographique favorable au renouvellement des eaux profondes. Aussi le creusement des vallées à la fin du Miocène s'est accompagné d'une météorisation chimique intense sur les versants, alors que dans le même temps la progression du front d'altération restait bloquée sur les lambeaux de la surface d'aplanissement S 2. Par ailleurs, dans la chaîne septentrionale, le plateau du Treps et la crête Marc ROBERT, tous deux développés dans les gneiss de Bormes, dominent nettement les formes modelées dans les roches du groupe du Cap Nègre : - Immédiatement à l'ouest de l'agglomération de

La Garde-Freinet, une faille nord-sud, d'origine hercynienne, met en contact les gneiss de Bormes et les micaschistes migmatitiques du Cap Nègre. Le contact entre ces roches est marqué par un bel escarpement dont la puissance peut dépasser 100 m (Photos 16). Il s'est formé à partir de la surface d'aplanis-sement miocène soit par rejeu de la faille, soit par érosion différentielle. L'examen, sur photographies aériennes, des relations entre l'accident tectonique nord-sud et un réseau de fractures grossièrement est-ouest permet de choisir entre ces deux hypothèses (C. MARTIN, 1973). En effet, les failles est-ouest décalent parfois très nettement l'accident tectonique nord-sud, alors qu'elles sont toujours en continuité de part et d'autre de celui-ci, même quand elles ne sont pas verticales. En définitive, la faille méridienne n'a pas rejoué après la formation des fractures transversales, dont on sait qu'elles ont commencé à fonctionner bien avant la phase d'aplanissement miocène. L'escarpement est donc un escarpement de ligne de faille, lié au dégagement, dans les micaschistes migmatitiques, du col de La Garde-Freinet, une large dépression drainée vers le nord. À l'aval de cette dépression, les hautes branches du ruisseau des Neuf-Riaux présentent une rupture de pente assez nette. En réalité, le col de La Garde-Freinet (345 m) correspond certainement à un ancien niveau d'érosion du bassin versant de l'Aille. Étant donné son éloignement de la mer, le critère altitude permet de le rattacher à l'ensemble des niveaux S 4.

- Entre le village de La Garde-Freinet et le hameau de Vaucaude, en contrebas de la crête

Marc ROBERT et du plateau du Treps, on rencontre une série de formes topographiques molles, modelées vers 350-400 m d'altitude dans un ensemble de micaschistes, de gneiss, de leptynites et d'amphibolites. Elles offrent l'allure de replats, à la fois dominés par un escarpement lithologique taillé dans les gneiss de Bormes et perchés au-dessus des vallées profondément creusées en aval. Le dégagement de l'escarpement résulte certainement de l'inscription, à la fin du Tertiaire, du niveau d'érosion S 3 à proximité immédiate des gneiss de Bormes. La météorisation chimique ainsi réactivée a mis en valeur la différence d'alté-rabilité entre les roches, les replats étant armés par des roches considérées comme des gneiss par P. BORDET (1966) et comme des leptynites par M. SEYLER (1986). Enfin, le secteur n'a pas encore été trop affecté par le cycle d'érosion régressive amorcé au Messinien, celui-ci étant actuellement ralenti, sinon bloqué, à l'aval des replats ou à leur niveau, du fait de la dureté des leptynites et de l'alimentation médiocre des ruisseaux si près de leur tête.

c. L'évolution dissymétrique de certaines

vallées La plupart des escarpements regardent dans le sens opposé à celui du pendage. Il s'agit essentiellement d'escarpements lithologiques, comme ceux des crêtes de la Sauvette et Marc ROBERT. Toutefois tous les escarpements ne résultent pas de la juxtaposition de roches différentes. En effet, lorsque les cours d'eau coulent selon la direction des structures planaires, les vallons élémentaires et le fond des vallées principales, qui ont connu un creusement rapide au cours des derniers épisodes de leur histoire morphologique, sont nettement dissymétriques et présentent souvent un escarpement sur le versant regardant dans le sens opposé à celui du pendage (Photos 17-a). Sur le versant opposé, en revan-che, les roches sont altérées et subissent généra-lement un fauchage des couches (Photo 17-b). La figure 6 rappelle les modalités de ce type d'évo-lution (C. MARTIN, 1972). L'évolution dissymétrique des vallées est liée à la pénétration différentielle des eaux dans les roches. Au demeurant, la météorisation chimique est favorisée, sur les versants dont la pente a le même sens que le pendage, par la décompression très poussée des matériaux. Les exemples de ce type d'évolution sont particu-lièrement nets le long de certains ruisseaux du versant occidental de la crête de la Sauvette.

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Photos 16 - L'escarpement de La-Garde-Freinet : a / le village et l'escarpement depuis le nord (sur la route D558), b / une vue de l'escarpement au sud du village. [clichés : C. MARTIN, 2010]

Photos 17 - Évolution dissymétrique d'un vallon (Haute Sauvette) sur le versant occidental de la crête

de la Sauvette : a / escarpement de rive droite, b / fauchage des phyllades en rive gauche. [clichés : C. MARTIN, 2010]

a b

b

a

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Figure 6 - L'évolution dissymétrique des vallées de roches métamorphiques.

Précisons que ces ruisseaux, alignés sur des failles dont la direction est localement presque parallèle à celle des structures planaires, sont alimentés par la partie supérieure du versant, où la pente topographique est perpendiculaire à ces structures. Les escarpements regardant dans le sens du pendage, quant à eux, sont très rares. En effet, il faut une érosion mécanique intense pour que l'altération chimique, qui profite au mieux des structures planaires, ne puisse pas atténuer les formes. Cependant 1'abrupt le plus puissant des Maures appartient à ce type. Il s'agit d'un escar-pement de l'entonnoir d'érosion régressive de la Lave du Desteu, qui présente une dénivelée atteignant localement 150 m et une pente de 70° correspondant au pendage. Cette forme, qui fait exception, présente les caractères d'une grande jeunesse. Elle résulte d'une évolution parti-culière : de la capture "récente" du ruisseau du Rimbaud par celui de la Malière et de l'incision brutale qui en a résulté et qui se poursuit. VI - CONCLUSION Le massif des Maures conserve uniquement des traces de son évolution paléogéographique postérieure à la phase tectonique pyrénéo-provençale. Après le dégagement du socle de sa couverture sédimentaire, la région a connu une première phase d'aplanissement (Oligocène) qui a

été suivie par la phase tectonique rupélo-chattienne. Toutefois les caractères actuels du relief ont été fixés par : 1/ l'aplanissement réalisé au Miocène inférieur ; 2/ la dislocation de la surface d'érosion ainsi formée, par les mouve-ments tectoniques pontiques ; 3/ l'encaissement des vallées à partir du Tortonien. Les principaux sommets, Notre-Dame-des-Anges et la Sauvette, sont les vestiges des reliefs résiduels, constitués de phyllades, qui dominaient la surface d'aplanissement élaborée de l'Aquita-nien à l'Helvétien. Par ailleurs, sur les lambeaux de la surface d'érosion du début du Miocène, des roches très différentes, gneiss et micaschistes, affleurent à des altitudes identiques. Cette dis-position atteste qu'à l'Helvétien, l'altération ne progressait plus au delà d'une certaine profondeur sous la surface topographique. Or, de son côté, la douceur de la topographie messinienne dans les secteurs repris par l'érosion linéaire après le Tortonien, témoigne de l'efficacité de l'altération des roches sur les versants des vallées à la fin du Miocène. Ces observations touchent évidemment au problème de l'influence de la topographie sur la circulation et le renouvellement des eaux participant à l'altération des volumes rocheux. À la fin du Miocène, les vallées sont très évoluées, mais les cycles d'érosion régressive amorcés au Tortonien n'ont pas encore réussi à s'inscrire partout au cœur du massif, dans les gneiss de Bormes. L'eustasie endoreïque méditer-ranéenne engendre, au Messinien, une nouvelle vague d'érosion régressive. Le creusement des

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vallées se poursuit jusqu'à nos jours. Il est entre-coupé, au cours du Quaternaire, par des phases de remblaiement dont les dépôts alluviaux sont encore visibles, pour les toutes dernières, le long des vallées principales. Sur le plan morpho-structural, l'interpré-tation des grandes lignes du relief met en évidence les facteurs de l'évolution morpho-logique. Bien sûr, il apparaît que les accidents tectoniques majeurs guident les axes hydrogra-phiques principaux, et que la résistance diff-érentielle des roches aux actions météoriques s'exprime nettement dans le modelé. Mais l'évo-

lution des massifs de roches métamorphiques présente des caractères spécifiques, du fait de deux traits originaux essentiels : - d'une part, l'influence des relations entre la

direction de la pente des versants et celles des plans de faiblesse des roches, fractures et structures planaires, sur la formation des vallées secondaires ;

- et, d'autre part, l'influence de la relation entre le sens de la pente des versants et celui de l'incli-naison des structures planaires sur l'évolution des versants dont la pente est perpendiculaire à la direction de ces structures.

Remerciements : Nous sommes reconnaissant à l'Office National des Forêts de nous avoir toujours donné libre accès aux pistes interdites à la circulation publique de la forêt domaniale des Maures. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ANGELIER J., AUBOIN J., BELLAICHE G.,

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LES INONDATIONS DU 15 JUIN 2010 DANS LE CENTRE VAR : RÉFLEXION SUR UN ÉPISODE EXCEPTIONNEL

Claude MARTIN (1) (1) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, Département de Géographie, Université de Nice-Sophia-Antipolis,

98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] Note de la rédaction : pour une lecture plus facile de cet article, il est conseillé de se reporter à la version non bicolonnée, présentée séparément. RÉSUMÉ : L'épisode hydrologique qui a frappé le département du Var le 15 juin 2010 revêt un caractère exceptionnel. Les périodes de retour sont plus que millennales pour les pluies journalières et au moins pluri-centennales pour les débits de pointe de crue. Après 200 mm de précipitations, les cours d'eau ont manifesté une montée de crue éclair, extrêmement brutale (en 15 minutes) et violente. Cette réaction est liée au comportement des terrains karstiques, qui ont été très largement saturés. Certains aménagements (ruisseaux couverts sous une rue ou une place, ponts trop facilement submersibles, habitations et locaux professionnels en bordure de cours d'eau ou en zone inondable dangereuse) ont participé à aggraver les conséquences de cet épisode. Si quelques mesures sont possibles pour se garantir un peu des effets dévastateurs d'un épisode de cette importance, il convient également d'accepter de composer avec un risque non maîtrisable. MOTS-CLÉS : précipitations, montée de crue éclair, débit de pointe de crue, inondation, occupation humaine, aménagement du territoire, terrains karstiques, département du Var, France. ABSTRACT : The hydrological event which affected the Var Department on 15th June 2010 must be considered as very exceptional. The return periods of daily rainfalls are more than millennial and those of peak discharges are at least multi-centennial. After 200 mm of rainfall, rivers presented a flash rising of flood, extremely fast (15 minutes) and violent. This response is in relation with the behaviour of karstic areas, which were largely saturated. Some practises of management (streams covered by a street or a place, too easily flooded bridges, residential and commercial areas located along streams or in dangerous flood areas) took part in exacerbating the consequences of this event. If certain measures can reduce the devastating effects of a so important event, it is also necessary to accept to deal with a risk which can be out of control. KEY-WORDS : rainfall, flash-flood rising, peak discharge, flooding, human occupation, karstic area, Var Department, France. I - INTRODUCTION Les inondations qui ont endeuillé le départe-ment du Var le 15 juin 2010 ont évidemment amené les médias à ressortir tous les poncifs habituels en la matière et à poser la question des responsabilités. Selon eux, la catastrophe était prévisible, puisque annoncée par les plans de prévention des risques (dont celui de Draguignan, 2005), mais rien n'a été fait pour l'éviter (pas de réseau d'annonce de crue dans le Var, par exemple) ou pour en minimiser les conséquences (constructions en zones inondables), sans parler

du rôle supposé de l'imperméabilisation du milieu par les constructions et de celui d'une défores-tation… imaginaire. Les observateurs les plus prudents, ou les plus lucides, ont cependant argu-menté que si une telle catastrophe pouvait être considérée comme possible, elle était certaine-ment inévitable. Du côté des populations, la stupeur et le besoin de "rationaliser" l'événement en recher-chant quel barrage avait bien pu faire des lâchers meurtriers (même en amont de Draguignan, où aucun ouvrage n'a été construit) a laissé rapide-ment la place à la prise de conscience de la

Études de Géographie Physique, n° XXXVII, 2010

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puissance encore incontrôlée de la Nature. Avec respect pour ceux qui ont été plongés dans le deuil et le chagrin, le temps est venu des indem-nisations et de la remise en état. Sur le plan politique, après les flottements qui ont suivi la tempête Xynthia, les propos sont restés assez modérés, avec un petit regret tout de même, que la condamnation par le Président de la République des constructions en zones inondables n'ait pas été prononcée en un lieu plus approprié que le Pont-Vieux de Trans-en-Provence, village multiséculaire traversé par la Nartuby. Le Secrétariat d'État à l'Écologie a lancé une mission d'experts pour mieux identifier les causes de la catastrophe et en tirer les enseignements. Nul doute que cette mission réunira des éléments indispensables à une compréhension fine de ce qui s'est passé : chronologie des événements, évaluation des hauteurs d'eau et des débits de pointe de crue (beaucoup de limnigraphes ont été emportés ou endommagés), cartographie des zones inondées, comportement des populations, réaction des services publics… Le présent article n'est pas destiné à se substituer à ce travail essentiel, mais comment résister à la tentation d'exprimer quelques idées – certaines très banales, d'autres un peu iconoclastes – sur un sujet qui relève de mon champ disciplinaire habituel, alors que j'étais sur place (dans les environs des Arcs-sur-Argens), même si je dois avouer ne pas avoir vu grand-chose (Photo 1) et en tout cas beaucoup moins que tout ce qui peut être consulté sur internet. Considérant que d'autres travaux seront réalisés, avec des moyens sans doute importants, j'ai opté pour l'utilisation des seules informations facilement accessibles par tout un chacun disposant d'une connexion internet. Le traitement des données sur les pluies et les débits a été effectué à l'aide du logiciel HYDROLAB (J.P. LABORDE et N. MOUHOUS, 1998). Toutes les possibilités offertes par les statistiques pour la détermination des valeurs de référence ou celle des périodes de retour (M. LANG et J. LAVABRE, 2007) ne seront donc pas exploitées, mais la mise en évidence de ten-dances lourdes suffira à atteindre mon objectif. Par ailleurs, les aspects réglementaires ne seront abordés qu'en filigrane. En effet, s'il est normal d'exprimer librement un avis sur les conséquen-ces de certains aménagements, il ne m'apparaît pas du rôle du chercheur (même s'il est aussi un citoyen) de porter un jugement sur le niveau de protection des biens et des personnes que la société veut (ou peut) assumer.

Parmi les secteurs les plus touchés par l'épisode, le terrain d'étude sera limité à ceux présentant un relief différencié, tous situés dans le bassin de l'Argens, entre Carcès et Roquebrune (Fig. 1). La plaine alluviale du cours inférieur de l'Argens, où les problématiques sont sensible-ment différentes, ne sera pas traitée. Par souci de cohérence géographique, je ne m'intéresserai pas non plus aux petits fleuves côtiers, comme le Préconil, sur lequel des précipitations de 258 mm ont été enregistrées le 15 juin 2010 à Sainte-Maxime. II - L'ÉVÉNEMENT PLUVIOMÉTRIQUE

DU 15 JUIN 2010 Le 14 juin à 16h00, Météo-France publie une alerte orange pour 11 départements du Sud de la France (les départements de Corse, les Alpes-Maritimes, le Var, les Bouches-du-Rhône, le Gard, le Vaucluse, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, la Drôme et l'Ardè-che). Le 15 juin à 6h00, la vigilance orange est renforcée pour 6 départements, dont le Var, avec de fortes précipitations attendues en fin de jour-née et dans la nuit, les cumuls sur l'ensemble de l'épisode pouvant atteindre 80 à 150 mm selon les endroits. À 18 h00, le Gard et l'Ardèche sont retirés de la liste. Il est indiqué que la partie centrale du Var a été particulièrement touchée et que l'on y a relevé par endroits jusqu'à 150 mm de pluie au cours des 6 dernières heures. Pour l'ensemble de l'épisode, qui devrait se poursuivre au moins jusqu'au 16 juin à 4h00, Météo-France prévoit des totaux pluviométriques pouvant atteindre localement 250 mm. Notons que cette valeur est alors déjà atteinte à certains postes (255 mm à Taradeau). L'Observatoire Français des Tornades et des Orages Violents a également suivi cet épisode (G. ARTIGUE et. al., 2010). Le 14 juin, à la mi-journée, un risque d'orages forts à violents est annoncé pour un large Sud-Est de la France ; la prévision est affinée dans la soirée, la zone ciblée allant des Alpes-Maritimes aux Cévennes. Le 16 au matin, des précipitations de 110 à 150 mm sur l'ensemble de l'épisode (dont 40 à 70 mm dans l'après-midi) sont prévues pour le Var ; des débordements localisés des cours d'eau secon-daires sont envisagés, ce qui correspond à un niveau de risque de crue modéré. Un avis d'orages violents est diffusé à 11h30 (heure légale), pour des lames d'eau de 70 à 90 mm en trois heures. À 13h45, le risque commence à être mieux pris en compte, mais ce n'est plus de la

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Photo 1 - La pluie aux Arcs-sur-Argens le 15 juin 2010 en fin d'après-midi,

dans le quartier des Badiés. [cliché : C. MARTIN]

Figure 1 - Localisation du terrain d'étude (encadré rouge).

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prévision, c'est de la simple constatation : les cumuls initialement attendus sont largement dépassés, le Gapeau a débordé dans la partie aval de son cours (ce qui est au demeurant assez fréquent). Les informations disponibles (Météo-France, réseau CIRAME et météorologues ama-teurs) montrent des précipitations très fortes autour de Draguignan et Les Arcs (Fig. 2). Sur l'ensemble de l'épisode, les cumuls ont dépassé 200 mm à l'intérieur d'un triangle aux sommets situés approximativement au nord de Comps- sur-Artuby (au nord), à La Roquebrussanne (à l'ouest) et à Sainte-Maxime (à l'est). Les valeurs

les plus élevées ont été enregistrées dans le secteur comprenant les stations des Arcs-sur-Argens (400 mm), de Lorgues (395 mm – le CIRAME donne une valeur, non validée, de 461 mm) et de Taradeau (384 mm), ainsi que sur le plateau de Canjuers (307 mm au camp militaire, au-dessus de Montferrat). Pour Vidauban, si Météo-France indique 292 mm, un météorologue amateur a enregistré près de 335 mm. Notons que pour les stations strictement automatiques, les pluviographes (et certains plus que d'autres, en fonction de leurs caractéris-tiques) ont certainement fonctionné aux limites de leurs possibilités.

Figure 2 - Le terrain d'étude et les précipitations du 15 juin (de 6h00 TU à 6h00 TU).

Source de l'image satellitaire : GOOGLE Earth – Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO,

Image © 2010 IGN France, © 2010 Tele Atlas, © 2010 Europa Technologies – en libre utilisation à des fins non commerciales.

Faute de disposer de précipitations journa-lières sur une longue période pour le secteur Draguignan-Lorgues-Les Arcs, je rappellerai les valeurs de référence calculées pour un poste du bassin versant du Réal Collobrier, dans le massif des Maures (M. LANG et J. LAVABRE, 2007). À partir des observations effectuées par le

Cemagref sur la période 1966 à 2001, la valeur décennale (suivant la loi de GUMBEL) de la pluie journalière s'établit à 130 mm, la valeur centen-nale à 185 mm et celle millennale à 240 mm. Le poste considéré reçoit des précipitations annuelles moyennes de l'ordre de 1000 mm, donc supérieures à celles du secteur de Draguignan

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(837 mm à la station du Luc – en réalité sur la base militaire du Cannet-des-Maures – sur la période 1946-2009 ; un peu moins à Draguignan et un peu plus à Comps, avec des coefficients multiplicateurs par rapport au Luc de 0,968 et de 1,174 respectivement sur la période 1951-1975 – R. COVA et G. DUROZOY, 1983). L'épisode du 15 juin a donc présenté un caractère tout à fait exceptionnel. Depuis 1946, le précédent record journalier au Luc avait été établi le 23 août 1983, avec 144 mm (de 6h00 TU à 6h00 TU). Les données journalières sur le Bassin Versant de Recherche et Expérimental (BVRE) du Réal Collobrier étant déterminées de 1h00 TU à 1h00 TU, ce qui n'est pas indifférent aux résultats (les pluies les plus fortes se produisant souvent au cours de la nuit), j'indiquerai les précipitations ainsi mesurées à Taradeau pour le 15 juin : 362 mm, soit de toute façon bien au delà de la valeur millennale. La figure 3 présente les précipitations enre-gistrées à Taradeau. (Daniel SILORET : lien internet 1). Sur l'ensemble de l'épisode, la station a reçu 387 mm. Les intensités maximales sur une période mobile ont été enregistrées à 14h28 pour celles en 30 minutes (78,8 mm/h), 14h48 pour celles en 60 minutes (68,6 mm/h) et 15h44 pour celles en 120 minutes (56,4 mm/h). L'intensité maximale sur 6 minutes s'élève à 120 mm/h. Les intensités en 6 minutes passent définitivement en dessous de 20 mm/h le 16 juin à 1h57. Aux Arcs-sur-Argens, le 15 juin, après des pluies faibles dans la matinée, 45 mm tombent entre 12 et 13 heures. Jusqu'à 20h00, la station reçoit 40 mm environ chaque heure, puis 50 mm sont enregistrés entre 19 et 20 heures. Ces valeurs sont globalement plus élevées qu'à Taradeau où, là-aussi, les précipitations deviennent fortes entre 12 et 13 heures (39,6 mm ; contre 15,4 entre 13 et 14 heures) et se maintiennent entre 26,2 (de 17 à 18 heures) et 64,6 mm (de 16 et 17 heures) jusqu'à 20h00 (32,2 mm de 19 à 20 heures). L'épisode du 15 juin 2010, assez surprenant en cette saison, les pluies les plus fortes tombant généralement en automne, survient après des précipitations à Taradeau de 760 mm depuis le 1er septembre 2009. Si les années de 2002-03 à 2007-08 ont été sèches (moins de 700 mm/an – de 538 mm en 2003-04 à 690 mm en 2007-08), 2008-09 a reçu 1253 mm.

III - LES MESURES HYDROLOGIQUES LE 15 JUIN 2010 – PLACE DANS LES CHRONIQUES

Dans le secteur concerné par l'étude, la DIREN gère plusieurs stations hydrométriques : - Trois sur le fleuve Argens, à l'aval de Carcès,

aux Arcs-sur-Argens et à Roquebrune-sur-Argens ;

- Une sur la Bresque, à Salernes ; - Une sur l'Aille, au pont du Baou, près de Vidau-

ban. - Deux sur la Nartuby, à Rebouillon dans les gor-

ges de Châteaudouble et à Trans-en Provence. Parmi elles, seules les stations de Carcès et du Baou ont résisté à la violence des écoule-ments. Ce fait est déjà instructif en soi, puisque les stations avaient subi sans dommage toutes les crues depuis 1966 pour celle des Arcs, 1969 pour celle de Trans et 1974 pour celle de Rebouillon. Pour toutes les stations, les courbes de tarage sont très largement théoriques, en tout cas pour les forts débits. Un point doit être immédiatement souligné, afin de ne pas avoir à le répéter dans chacun des paragraphes suivants : la très forte teneur des eaux en matériaux solides, et notamment en suspensions. Partout, des masses énormes de sédiments ont été abandonnées par les eaux, dans Draguignan, dans les villages des Arcs, du Luc, de Figanières… et dans le lit majeur des cours d'eau. 1 ) Les débits de pointe de crue de l'Argens à

Carcès et aux Arcs À Carcès, en aval du barrage, le débit de l'Argens en pointe de crue a atteint 115 m3/s (pour un bassin de 1181 km2) le 16 juin à 3h55 (les heures sont exprimées en heures légales). Bien loin des 428 m3/s enregistrés le 17 janvier 1978 (à 21h12), cette valeur est proche de celle de fréquence biennale (100 m3/s selon la loi de GUMBEL ; 85 à 130 m3/s, avec un indice de confiance à 95 %) calculée avec les données antérieures (depuis 1971 – Banque Hydro). L'Issole et le Caramy, qui se jettent dans le lac de Carcès (plein au début de l'épisode) avant de rejoindre l'Argens, montrent également des débits de pointe relativement modestes :

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45,6 m3/s pour l'Issole à Cabasse (bassin de 223 km2) le 15 juin à 21h16 (valeur de fréquence quinquennale : 42 à 60 m3/s, avec un IC à 95 %) ; 33,0 m3/s pour le Caramy à Vins (bassin de 215 km2) le 16 juin à 7h06 (valeur de fréquence pas même biennale : 33 à 44 m3/s). Ainsi, en dépit de précipitations sur son bassin versant sans doute supérieures à 120 mm (206 mm à Entrecasteaux, au nord de Carcès, 102 mm à Saint-Maximin, à l'ouest du bassin), l'Argens est resté fort sage immédiatement en aval de Carcès. Le caractère karstique du bassin n'est pas étranger à cette situation. On notera également, même si cela n'était pas à démontrer, que le barrage de Carcès (retenue de 8 millions de m3 destinée à l'alimentation en eau, notam-ment de la région toulonnaise) n'a en rien contri-bué à ce qui s'est produit plus en aval. En aval de Carcès, l'Argens coule sur un plateau essentiellement constitué de roches calcaires du Trias (Keuper, qui présente aussi un niveau argilo-gypseux, et Muschelkalk). Il rejoint la dépression formée à la périphérie des Maures, dans les dépôts permiens, par une gorge qui a permis l'édification d'un barrage hydro-électrique (petite retenue de 70000 m3). Après quelques kilomètres dans la dépression circum-mauresque (dite "permienne"), de Vidauban aux Arcs, il bifurque vers le massif des Maures dans lequel il a creusé une gorge. Entre Carcès et Les Arcs, l'Argens reçoit la Bresque et la Florièye (près de Vidauban). Ces affluents, comme plus loin la Nartuby, prennent naissance sur la bordure méridionale de hauts plateaux constitués par des calcaires et dolomies du Lias et du Jurassique, avant de rejoindre le plateau triasique (A.F. de LAPPA-RENT et al., 1964, 1969). Les eaux infiltrées participent à des circulations souterraines dans les assises karstifiées (R. COVA, 1974, 1975 ; R. COVA et al., 1983). Le couvert végétal des hauts plateaux et de leur bordure méridionale appartient à l'étage supra-méditerranéen, celui de la chênaie pubes-cente, parfois envahie par des résineux issus des essais de reboisement du Haut-Var (R. MOLI-NIER et al., 1976). Les bas plateaux appar-tiennent à l'étage méditerranéen : chênes verts et chênes pubescents se trouvent associés dans des taillis complantés de pins d'Alep (sur marnes et calcaires) ou de pins mésogéens (sur dolomies). La vigne représente la principale culture. On la trouve sur les bas plateaux et dans la vallée de

l'Argens, en dehors des secteurs encaissés. Mais elle prend une grande extension surtout dans la dépression permienne. En dépit d'images assez spectaculaires, trouvées sur internet, de ruissellements géné-ralisés sur les versants entre Cotignac et Salernes (lien internet 2), la Bresque n'a pas réagi très violemment à Salernes. En tout cas, d'après la cote indiquée par la DIREN (2,37 m le 16 à 2h01), il semblerait que le débit maximal à Salernes (bassin de 166 km2) n'ait pas même atteint une valeur de fréquence décennale. La situation a été fort différente sur la Florièye et le Réal. Aux Arcs, pour un bassin versant de 1730 km2, l'Argens présente un débit maximal sur la période 1966-2009 de 447 m3/s (le 18 janvier 1978 à 6h12 – donc 9h00 après Carcès). La DIREN ne dispose pas, malheureusement, de mesure pour les 15 et 16 juin 2010. Mais il est possible d'estimer le débit en aval, après la confluence avec le Réal, dans le secteur des Badiés. Par comparaison du niveau atteint en juin 2010 avec celui des laisses de crue observées à la suite de la principale crue de l'année 2007-08, le débit maximal dans la nuit du 15 au 16 juin 2010 pourrait correspondre à une cote de 4,5 m à la station hydrométrique des Arcs. La valeur du débit extrapolée en prolongeant linéairement la partie supérieure de la courbe de tarage, s'élève à 710 m3/s. Elle intègre bien sûr les apports du Réal. Si l'on excepte juin 2010, ce cours d'eau à des écoulements fort modestes et influence très peu les débits de pointe de crue de l'Argens, surtout que son pic se place généralement bien avant celui du fleuve. Il est donc possible de considérer que la série des débits disponibles sur la période 1966-2010 est représentative des écoulements dans le secteur des Badiés. Appli-quée à cette série, la loi de GUMBEL attribue une période de retour de 258 ans à la pointe de crue du 15 juin 2010 (débit centennal = 605 m3/s – 516 à 739 m3/s, avec un intervalle de confiance à 80 %). Toutefois la relation entre les débits mesurés et théoriques n'est pas très bonne (si r2 = 0,964, le débit théorique correspondant au débit mesuré de 710 m3/s atteint seulement 591 m3/s). La loi de WEIBULL, qui apparaît plus satis-faisante (r2 = 0,984 ; débit théorique de 655 m3/s pour un débit mesuré de 710 m3/s), indique une période de retour de 132 ans pour un débit de

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Figure 3 - Intensités de la pluie et précipitations cumulées (Pc) à Taradeau les 15 et 16 juin 2010

(les heures sont indiquées en heures légales).

Photos 2 - Le pont de la Tournavelle, sur l'Argens, en aval du quartier des Badiés, sur la commune des Arcs-sur-Argens. L'eau est passée près de 2 m au-dessus du pont, défonçant la chaussée et arrachant

les rambardes. [clichés : à gauche, C. MARTIN, août 2010 ; à droite, Cécile MARTIN, juin 2010] 710 m3/s. Sans intégrer 2009-10 dans le traite-ment (r2 = 0,975 ; débit théorique de 495 m3/s pour un débit mesuré de 447 m3/s), la période de retour passe à… 952 ans (valeur millennale : 714 m3/s – 607 à 876 m3/s).

Selon les souvenirs familiaux remontant jusqu'à la fin du XIXème siècle pour la commune des Arcs, l'Argens n'avait jamais approché le niveau atteint le 15 juin 2010. Lors de cet épisode, il a dévasté une partie du camping

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immédiatement en dessous du pont de la RD7 (ancienne RN7). Plus loin, dans le secteur des Badiés, il a rempli son lit majeur (profond d'une dizaine de mètres) à ras bords. Enfin, à l'entrée dans le massif des Maures, il a submergé et endommagé le pont de la Tournavelle (Photos 2). À 20h30 (dernière observation personnelle effec-tuée), le niveau en aval de la confluence avec le Réal était pratiquement à son maximum. Plus impressionnant que le débit maximal enregistré aux Arcs le 15 juin 2010, est l'écart entre les pointes de crue aux Arcs et à Carcès. Pour une différence de superficie des bassins versants de 549 km2, il s'élève à 595 m3/s (et encore la pointe de crue s'est-elle produite. aux Arcs avant Carcès). Pour les 28 années depuis 1970-71 pour lesquelles il est possible de comparer le débit maximal annuel aux Arcs à celui observé à Carcès au cours du même épisode, la valeur occupant le deuxième rang est de 219 m3/s (3 février 1974). Toutefois la loi de GUMBEL ne donne pas des résultats bien clairs : le débit centennal (442 m3/s) est compris entre 351 et 592 m3/s (avec un IC à 80 %) et le débit millennal (655 m3/s) entre 522 et 877 m3/s. La période de retour serait de 595 ans, mais la relation linéaire entre les valeurs mesurées et théoriques est lâche (r2 = 0,759). La valeur théorique correspondant à la valeur mesurée de 593 m3/s étant très faible (388 m3/s), la période de retour est certainement plus forte que celle trouvée (elle est en tout cas bien au delà de millennale si l'on n'intègre pas 2009-10 au traite-ment – r2 = 0,964 ; avec une valeur théorique de 209 m3/s pour un débit mesuré de 219 m3/s). Notons qu'une station a fonctionné sur l'Argens en amont de Vidauban, sur le site d'Entraygues (bassin de 1542 km2), de 1905 à 1975. Pour cette station, la représentation que donnent P. CHABALIER et al. (1981) des débits journaliers classés sur la période 1948-1963, ne laisse pas deviner de valeur supérieure à 100 m3/s (donc bien loin des plus forts débits journaliers observés aux Arcs de 1966 à 2009 : 401 m3/s le 18 janvier 1978, 339 m3/s le 29 décembre 1972, 309 m3/s le 20 février 1972…), ce qui est tout de même bien surprenant. 2 ) La crue de la Florièye à Taradeau Née sur un haut plateau des Plans de Canjuers (altitude maximale du bassin versant : 858 m), la Florièye rejoint rapidement le plateau des calcaires triasiques qu'elle parcourt au fond

d'une vallée encaissée. Son principal affluent est le Figueiret, en rive gauche. Au niveau de Tara-deau, la Florièye débouche dans la dépression permienne circum-mauresque. Le bassin versant en amont de Taradeau couvre une superficie de 85 km2 environ. Le cœur du village de Taradeau se trouve en rive gauche de la rivière, au pied du rebord du plateau, mais à l'abri des crues. Des habitations récentes ont été édifiées à proximité de la rivière, de part et d'autre de celle-ci en amont du pont conduisant vers Vidauban et Lorgues, et en rive gauche en aval. Petite rivière le plus souvent tranquille, la Florièye s'est rarement manifestée violemment dans le passé (PPRI Taradeau, 2010). Le 8 novembre 1907, le cours d'eau a emporté les aqueducs et les passerelles. Les 2 et 3 février 1974, du fait d'embâcles au pont et en aval, une forte crue a touché certaines maisons construites en bordure du cours d'eau (nous reviendrons sur cet épisode à propos de la Nartuby). En 1983, de fortes précipitations (138 mm au Cannet-des-Maures, en 3 heures) ont fait 30 sinistrés, mais sans que la Florièye soit en cause. La crue du 15 juin 2010 (lien internet 3) semble sans précédent historique. La rivière a bouleversé le paysage, balayant sa ripisylve et élargissant considérablement son lit. Plusieurs maisons, aussi bien en amont du pont qu'en aval, ont été détruites et même certaines totalement emportées (Photos 3 et 4). Le pont a été coupé, après qu'il ait été submergé (embâcle ?), le remblai en rive droite ayant cédé (Photo 5). La violence du courant est peut-être encore plus sûrement attestée par la destruction d'un pont submersible à la limite amont du village. Aucune victime n'est heureusement à déplorer. Le projet de PPRI de Taradeau table sur des débits de pointe de crue de 82 m3/s pour la fréquence décennale (méthode rationnelle) et de 254 m3/s pour la fréquence centennale (méthode du réservoir linéaire). Nul doute, en tout cas, au vu de la topographie et des niveaux d'eau, que le débit de pointe de crue a atteint au moins 250 m3/s le 15 juin 2010. Cela est encore plus évident plusieurs kilomètres en amont, sous le pont de la RD562 entre Draguignan et Lorgues, où la section est mieux calibrée (Photo 6). La rupture du pont s'est produite vers 16h00, alors que la station climatologique de Taradeau

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Photo 3 - Taradeau : La Florièye en aval du pont de la RD10 après la crue. La rivière a considéra- blement élargi son lit, balayant la ripisylve et emportant la maison dont on devine les fondations en bordure du lit actuel. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 4 - Taradeau : la Florièye en amont du pont de la RD10 après la crue. [cliché : C. MARTIN : juillet 2010]

Photo 5 - Taradeau : le pont de la RD10 après la crue. Le remblai de rive droite a été déblayé. À noter la faible section offerte par le pont au passage de l'eau (voir Photo 6). [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

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avait déjà reçu 197 mm depuis le début de l'épi-sode. 3 ) La crue du Réal aux Arcs Avec un bassin versant d'une quarantaine de km2 (dont moins de 30 en amont des Arcs), le Réal n'a en rien les caractéristiques d'un ruisseau dangereux, même s'il est qualifié de "capricieux" dans un fascicule de la fin du XIXème siècle (A. ARNAUD, 1890). Dans sa partie amont, sur le plateau des Selves (calcaires triasiques), ses écoulements sont épisodiques et peu abondants. Il ne devient pérenne qu'à moins de 3 km en amont du village, et tout particulièrement à partir de la zone sourceuse de Fantroussière, où un captage assure une partie de l'alimentation en eau de la commune. Plus en aval, au niveau du rebord du plateau, le ruisseau a entaillé une ancienne accumulation travertineuse et il descend en très forte pente vers la partie récente du village, située en contrebas, le quartier ancien surplombant la gorge en rive gauche. Ayant rejoint la dépression permienne, le Réal retrouve un cours plus tran-quille qui le conduit à l'Argens, 4 km plus loin. L'extension du village vers le sud, en bordure du Réal, a été réalisée au XIXème siècle ; certaines maisons datent de 1835 (É. SAUZE, 1993). Au bas de la gorge, après la construction d'un second pont en 1749, une nouvelle place est aménagée en 1840-1860, ce qui nécessite un remblai pour compenser la pente. Dans les années 1877-1884, l'actuelle mairie est construite en bordure de cette place et le Réal est couvert à partir du Pont-Vieux (place Paul Simon et place du Général de Gaulle – voir plan : lien internet 4). La perception des risques liés au Réal semble avoir évolué, au fil du temps, dans le sens d'un sentiment de sécurité de plus en plus fort. Au XIIème siècle, au niveau de l'actuelle place de la mairie (place du Général de Gaulle), le Réal coulait dans un chenal bordé de murs hauts de 10 m (Les Amis du Parage, 2005). Le Pont-Vieux (qui porte l'inscription 1724, mais qui avait déjà subi des réparations en 1539 et 1543 – le même ? – É. SAUZE, 1993), au pied de la section en gorge, présente une arche imposante par rapport au lit du cours d'eau. Les entrées du tunnel par lequel le ruisseau traverse la place s'ouvrent à l'intérieur de cette arche ; elles offrent donc au total une superficie nettement plus faible (Photo 7). En 2000, la réalisation d'un théâtre de verdure, en aval et en contrebas de la place,

oblige à prolonger la couverture du Réal. Cette opération est menée à "bien" en aménageant un chenal couvert de section fortement réduite par rapport au tunnel sous la place (voir Photo 12). Le 15 juin 2010, la situation devient inquié-tante dans le village vers 14h30, les écoulements urbains devenant très forts et les eaux dévalant les ruelles du vieux village. Mais le pire se produit à partir de 15h30, à la suite de la brusque montée des eaux du Réal, en quelques minutes seulement (lien internet 5). Sans qu'un embâcle empêche réellement l'eau de passer (Photo 8), le tunnel ne parvient plus à écouler le débit. Le niveau s'accroît derrière l'obstacle (Photo 9) et les eaux commencent à s'échapper en rive droite (rue du Saule). Très vite, le mur qui cachait le tablier du Pont-Vieux à l'amont de la place Paul Simon est pulvérisé ainsi que le parapet du pont, ce qui va accroître l'impression ressentie par les témoins d'une "vague" (lien internet 6). Une partie du flot emprunte la rue principale du village (boule-vard Gambetta), parallèle au cours d'eau (lien internet 7), avant de retourner à celui-ci, quelques centaines de mètres plus loin, grâce à la présence d'un escalier. L'autre partie passe par la place de la mairie, emportant les voitures qui sont charriées par une route vers le théâtre de verdure et le lit du Réal ; une vidéo prise à 15h37 en témoigne (lien internet 8). Une autre vidéo, sans précision d'horaire, montre les effets de la réduction de la section offerte au passage de l'eau au niveau du théâtre de verdure : des eaux s'échappent par un regard donnant sur le vieux tunnel ; sous la pression, les énormes plaques de béton qui recouvrent le chenal calibré sont soule-vées. Cette situation va se prolonger plusieurs heures. Mis à part ceux de l'autoroute et de la voie ferrée, tous les ponts sur le Réal (celui sur le plateau, comme ceux en aval des Arcs) ont été plus ou moins submergés, mais sans être sérieu-sement endommagés. Même un pont ancien, il est vrai sur la petite route des Badiés, qui ne devait guère être utilisée à l'époque où il a été construit (à une date non connue), n'a pas laissé passer librement les eaux du Réal (des écoulements de part et d'autre du pont ont cependant évité que le niveau atteigne le sommet de l'arche). À 16h15, entre les Arcs et son embouchure, le Réal sort de son lit et envahit la route sous le pont de l'autoroute. Vers 17h00, seul le pont de la RD7 reste provisoirement praticable, les deux ponts entre les Arcs et la RD7 étant coupés. Dans le secteur des Badiés, une sensible élévation du

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Photo 6 - Le pont de la RD562 sur la Florièye : la rivière a emporté la ripisylve et élargi son lit. Avec un niveau moyen de 4,5 m environ, elle était loin d'utiliser toute la section offerte par le pont (largeur : 13 m – pente longitudinale de l'odre de 1 %). [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 7 - Les Arcs-sur-Argens : l'entrée du Réal dans le tunnel par lequel il traverse la place Paul Simon et celle du Général de Gaulle, avant la crue du 15 juin 2010. Cette entrée occupe une partie seulement de l'arche du Pont-Vieux. [Photo d'un document exposé sur la place Paul Simon]

Photo 8 - Les Arcs- sur-Argens : l'entrée du Réal dans le tunnel à l'amont de la place Paul Simon, le 16 juin au matin. [Photo d'un document exposé sur la place Paul Simon]

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niveau est encore observée entre 18h30 et 20h30. Si, par miracle, il n'y a pas de victime, les dégâts sont considérables (lien internet 9) : - Beaucoup de maisons sont endommagées, dont

certaines sont devenues insalubres, voire même dangereuses. De nombreux commerces sont touchés.

- Un gros trou est apparu sur la place, sur le trajet

du tunnel. La voute de celui-ci ne s'est pas immédiatement effondrée, mais le trou a évolué dans les jours suivants (Photo 10), venant même menacer le kiosque à musique.

- À l'aval de la place, le muret et la grille de

protection ayant été emportés, l'eau a dévalé en cascade et a entaillé le talus du remblai. L'érosion a mordu sur la place, qui domine maintenant par un à-pic ce qui reste du théâtre de verdure (Photo 11).

- Le théâtre de verdure est un champ de déso-

lation (Photos 11 et 12). Les livres retraçant l'histoire du village des Arcs (É. SAUZE, 1993 ; Les Amis du Parage, 2005) ne signalent pas de documents au sujet de crues ou d'inondations. Mais il serait sans doute téméraire d'en tirer argument pour faire de l'épisode du 15 juin 2010 un cas rarissime. En tout cas, il est vraisemblable que le Pont-Vieux n'a jamais été submergé au moins depuis 1724. Or les images qu'il est possible de visionner sur les écoulements du Réal le 15 juin 2010, ne laissent aucun doute sur l'impossibilité de son arche à permettre le passage d'un tel flot. 4 ) La crue de l'Aille L'Aille est réputée pour réagir rapidement et violemment aux précipitations. Drainant une large partie de la dépression permienne circum-mauresque, de Pignans à sa confluence avec l'Argens (en aval des Arcs), elle reçoit en rive droite les cours d'eau descendant de la chaîne septentrionale du massif cristallin des Maures. Des crues brutales, mais aussi de longs à sec estivaux, n'en font pas un cours d'eau attractif. Aucun village ne se trouve sur ses rives. Hormis la perte d'un troupeau de moutons et quelques dégâts à des vignes, l'Aille ne s'est pas manifestée tragiquement le 15 juin 2010. Il en a été différemment d'un sous-affluent, le ruisseau de Soliès, au Luc, au pied du rebord du plateau des calcaires triasiques. Le ruisseau, chenalisé et en partie couvert dans sa traversée du village (voir

plan : lien internet 10 – Photos 13), à débordé vers 17h30-18h00, faisant une victime (liens internet 11 et 12). L'Aille est suivie par la DIREN à la station du Baou, près de Vidauban (en amont du pont de la RD72). Le bassin versant contrôlé couvre 229 km2. Sur la période 1970-71 - 2008-09, le débit maximal de pointe de crue peut être estimé approximativement à 273 m3/s (24 août 1983) à partir de la cote indiquée par le Banque Hydro (2,39 m), soit un débit de fréquence cinquan-tennale (250 à 322 m3/s, avec un intervalle de confiance à 80 %) selon la loi de GUMBEL. Le 15 juin 2010, la hauteur d'eau est montée à 4,02 m. Il est impossible d'estimer valablement le débit à partir de la courbe de tarage disponible. En effet, si un seuil rocheux déterminant une cascade commande habituellement le niveau à la station, le 15 juin 2010, c'est le resserrement du lit en aval de cette cascade, entre deux parois rocheuses verticales, qui a influencé la cote. Il faut malgré tout retenir que le récent épisode à été extrêmement violent. La pointe de crue s'est produite dès 16h35, ce qui n'est pas surprenant sur un bassin versant de cette taille constitué de grès et pélites permiens et de schistes cristallins. Plus en aval, l'Aille pénètre dans le massif des Maures où elle rejoint l'Argens. À la confluence, un pont orienté nord-sud a été construit en 1888 (le "pont de fer"). En basses et en moyennes eaux, la confluence se trouve à l'ouest du pont, l'Argens décrivant un coude qui le fait passer deux fois sous le pont. En très hautes eaux, l'Argens peut emprunter un chemin direct : si le débit de l'Aille est suffisant, la confluence se trouve alors à l'est du pont. Le fonctionnement particulier de cette confluence a été décrit pas Y. MASUREL (1964). Le 15 juin 2010, nul doute que l'Aille avait pour elle l'en-semble du passage sous le pont. L'écoulement de pointe de crue de l'Aille le 15 juin 2010 a-t-il été le plus fort par rapport à ceux dont on a la mémoire ? Non, d'après les archives orales familiales. En effet, une aïeule aurait eu l'eau à portée de main à l'entrée du Pont de fer (peut-être en novembre 1907). Le 15 juin 2010, des branchages sont venus se bloquer dans la structure du pont (Photo 14). Mais d'après la position des dépôts limoneux en contrebas immédiat de la route, il n'aurait sans doute pas été tout à fait possible de toucher l'eau. Le débit

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Photo 9 - Les Arcs-sur- Argens : le Pont-Vieux à l'amont de la place Paul Simon. Le tablier a été endommagé par la crue, mais plus encore lors des opérations de dégagement. La fenêtre à gauche de la photo porte un repère de crue artisanal. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 10 - Les Arcs-sur-Argens : le trou apparu sur la place de la mairie. Il a commencé de se former pendant l'épisode, sous l'effet de la pression à l'intérieur du tunnel. L'effondrement de la voute s'est produit ensuite. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 11 - Les Arcs-sur-Argens : le théâtre de

verdure, le chenal assurant la sortie des eaux du tunnel et l'abrupt créé en dessous de la place.

[cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 12 - Les Arcs-sur-Argens : le Réal

immédiatement en aval du théâtre de verdure. Le chenal couvert offrait ici une section très réduite.

[cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

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Photos 13 - Le ruisseau de Soliès dans sa traversée du Luc. Si les passages couverts sont assez

largement calibrés (photo de gauche), les ponts et les passerelles (ici, à droite, le pont de la RD33) constituent des obstacles potentiels à l'écoulement des eaux par très forte crue.

[clichés : C. MARTIN, août 2010]

Photo 14 - Le pont de fer à la confluence de l'Argens et de l'Aille. En moyennes eaux, l'Argens décrit ici un coude et passe deux fois sous le pont ; l'Aille arrive de derrière le photographe, à droite. À noter les laisses de crue dans la structure du pont et le gros arbre déraciné au premier plan. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 15 - Draguignan : l'entrée du ruisseau de la Riaille dans sa section couverte au bas du Malmont. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

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maximal de l'Aille semble donc avoir été moins fort en 2010. Dans le même sens, notons que lors de l'épisode ancien, l'Argens n'a certainement pas submergé le Pont de la Tournavelle (ce qui aurait été un événement encore plus mémorable), si bien que l'Aille jouait alors un rôle relatif plus fort dans l'établissement du niveau d'eau à la confluence. En aval de la confluence, l'Argens a envahi son lit d'inondation, avec un niveau jamais atteint depuis au moins les années 1960. Il est vrai que des précipitations soutenues tout au long de l'après-midi ont assuré à l'Aille le maintien d'un débit très élevé. Vers 21h00, l'Argens grossi de l'Aille débitait probablement plus de 1000 m3/s. À titre de comparaison, le plus fort débit enregistré beaucoup plus en aval, à Roquebrune-sur-Argens (après plusieurs confluences, dont celles de la Nartuby et de l'Endre – bassin de 2530 km2), pour la période janvier 1971 - mai 2010 (pas de donnée disponible pour le 15 juin 2010), est de 748 m3/s (7 janvier 1994). On comprend, dans ces conditions, les problèmes qui se sont posés dans les secteurs de Puget-sur-Argens et de Fréjus. Ici, les eaux ont monté fortement dans la nuit du 15 au 16 juin, entre 2h00 à 4h00, recouvrant une large partie de la plaine (lien internet 13). Avec les données recueillies à Roquebrune sur 38 années climatiques de 1971-72 à 2008-09, la loi de GUMBEL indique une période de retour de 143 ans pour un débit de 1000 m3/s (bien inférieur à celui du 15 juin 2010). Le débit de fréquence centennale est compris entre 809 à 1152 m3/s (avec un IC à 80 %) et celui de fréquence millennale entre 1106 à 1611 m3/s (avec un IC à 80 %). Le coefficient de détermi-nation entre les valeurs mesurées et théoriques est de 0,955 ; mais le débit théorique correspondant au débit maximal mesuré est trop fort (901 m3/s, contre 748 m3/s). Avec la loi Normale, la période de retour s'élève à 2113 ans (débit de fréquence centen-nale : 710 à 874 m3/s ; débit de fréquence millennale : 845 à 1050 m3/s). Le coefficient de détermination entre les valeurs mesurées et théo-riques est de 0,952, mais il passe à 0,984 sans les trois mesures inférieures à 60 m3/s ; les plus fortes valeurs des débits théoriques et des débits mesurés sont proches (respectivement 761 et 748 m3/s).

5 ) La crue de la Nartuby C'est le long de la Nartuby que les dégâts ont été les plus importants et les victimes les plus nombreuses. Ce bassin est, en effet, assez fortement anthropisé et urbanisé, avec la ville de Draguignan et les bourgs de Trans-en-Provence, La Motte et Le Muy. a. Présentation du bassin versant (C. MARTIN,

1986 – d'après A. PALOMBA, 1986) Orienté NO-SE, le bassin versant s'étend de la bordure méridionale des hauts plateaux calcaires de Canjuers (1173 m d'altitude au sommet de Barjaude) au village du Muy (16 m d'altitude), dans la dépression permienne circum-mauresque, où la Nartuby rejoint l'Argens, sorti du massif des Maures. Sa superficie atteint 225 km2 (en englobant des zones sans réseau de drainage superficiel sur les hauts plateaux, entre la Montagne de Barjaude et celle de Beausoleil). La Nartuby, dont la longueur avoisine 35 km, reçoit son seul affluent important, la Nartuby d'Ampus (longue de 12,5 km), en rive droite, 9 km après sa source, au nord de Rebouillon. L'association de la Nartuby supérieure (ou de Châteaudouble) et de la Nartuby d'Ampus, orientées respectivement ENE-OSO et ONO-ESE, confère au bassin versant son dessin particulier, auquel correspond une forte compa-cité du haut bassin versant. Le bassin versant associe deux types de reliefs : - En amont de Rebouillon, la Nartuby d'Ampus

comme celle de Châteaudouble ont creusé des gorges profondes parfois de plus de 200 m dans un ensemble de terrains sédimentaires (du Lias et du Jurassique) plissé et fracturé. Les éléments de plateaux isolés par les vallées (Bois des Pranes, Bois de la Salle, Colle Pelade, etc.) possèdent en général des altitudes comprises entre 600 et 700 m. Ils sont dominés de 200 à 300 m par les Plans de Canjuers. Les ruisseaux ont une pente longitudinale de 6 % environ dans le secteur des gorges et de 3 % en amont de celui-ci.

- Avant de rejoindre la dépression permienne, la Nartuby s'inscrit, en aval de Draguignan, dans un plateau calcaire (Trias) assez peu incisé, dont les altitudes avoisinent 300 m. Le profil en long du cours d'eau présente le plus souvent une pente faible, de l'ordre de 0,12 %. Mais il est coupé par trois ruptures de pente impor-tantes : à Trans, à la Motte (saut du Capelan)

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et au Muy. Chacune d'elles correspond à une phase d'érosion régressive amorcée au cours du Quaternaire (J. NICOD, 1967). Du fait de leur présence, la déclivité moyenne du profil en long de la Nartuby s'élève à 1,3 % entre Trans et le Muy. Dans cette partie de la vallée, se sont constituées d'énormes accumulations traverti-neuses, actuellement en voie de démantèlement.

b. Le déroulement de l'épisode Comme dans les autres bassins, le début de l'épisode est marqué par une augmentation progressive du débit de la Nartuby, sans que cela apparaisse réellement préoccupant. La situation devenant catastrophique à Taradeau et aux Arcs, les premières mesures sont prises, mais de façon isolée et bien timide. Par exemple, à la Média-thèque de Draguignan, les agents sont invités à quitter le travail à 16h45. Au camp militaire de Canjuers, le départ des cars (et donc des person-nels souhaitant les emprunter) est fixé à 16h20, en remplacement des départs de 16 et 17 heures. Mais il est déjà trop tard pour qu'il soit possible de rejoindre Draguignan et les villages alentour sans d'énormes difficultés. Vers 18h00, interdic-tion sera donnée de quitter le camp… à bord d'un véhicule militaire. À Draguignan (voir plan : lien internet 14), la situation se dégrade brusquement un peu avant 17h00, lorsque le Malmont se met à "cracher" des flots considérables. Un canal de 4 km de long joint la Nartuby (la prise se trouve dans le secteur de la Clappe, au nord-ouest de Draguignan) au ruisseau de la Riaille (dans la partie haute de la ville). Ce canal risque évidemment de ne plus être sous contrôle en cas de crue très violente de la Nartuby. Il commence du reste alors à déborder en certains points de son parcours. Mais ce sont les cours d'eau descendant du Malmont qui s'avèrent les plus redoutables. Celui de la Riaille, habituellement très tranquille, même s'il s'est déjà fait remarquer par de légers incidents, est en grande partie couvert dans Draguignan. Une première, et courte, section couverte se présente dans la partie haute de la Ville. Or la conduite dans laquelle le cours d'eau doit passer est bien loin de pouvoir absorber le débit qui afflue (Photo 15). Les eaux refusées montent à plus d'un mètre au-dessus de la surface topo-graphique (Photo 16), dans un fond de vallon pourtant large de près de 10 mètres. Elles dévalent dans la rue qui s'offre à elles pour rejoindre l'un des grands axes de Draguignan, le boulevard de la Liberté, en pente forte. Toutefois, dans ce secteur, la situation est

complexe : une vidéo prise en haut du boulevard de la Liberté (lien internet 15) montre l'arrivée d'eaux descendant directement du ruisseau de la Riaille (en face), un écoulement extrêmement abondant venant de l'est (à droite) par la RD562 (route de Grasse) et un autre très fort venant de l'ouest (à gauche) dans le prolongement du canal mentionné plus haut. Sans avoir vraiment élucidé les apports d'eau par la route de Grasse, j'indiquerai que cette route serpente sur un versant du Malmont et surtout qu'elle est rejointe, un peu avant le haut du boulevard de la Liberté, par l'ancienne route de Grasse qui se trouve en contrehaut. Les eaux du ruisseau de la Riaille parties vers le boulevard de la Liberté ont été en grande partie déviées vers la droite par le chemin d'accès à un immeuble. Elles ont parcouru une aire de stationnement, puis descendu un terrain herbeux en forte pente pour atteindre le chemin de Folletière (provoquant l'effondrement d'un mur de soutènement), lequel est bordé par le canal (généralement en surplomb – Photo 17). Une partie des eaux a pu rejoindre le haut du boulevard de la Liberté, soit par le chemin de Folletière, soit après avoir rejoint le canal au niveau des quelques accès à des habitations (Photo 17) et du passage d'une voie privée. Une autre s'est écoulée vers le bas du versant par la voie privée et par une ruelle, ou en rejoignant le ruisseau de la Riaille revenu à la surface et canalisé. Dans le secteur délimité par le boulevard de la Liberté, la section canalisée du ruisseau de la Riaille (Photo 18), l'avenue de Montferrat (vers le haut) et l'avenue Jean Aicard (vers le bas) deux immeubles et des maisons ont été affectés, tout particulièrement l'immeuble "Les Floralies" (Photo 19) et le lotissement "Le Clos Jean Aicard" (près de 2 m d'eau), dans un secteur en légère cuvette (Photo 20). Le PPR de Draguignan (2005) traitant uniquement de la Nartuby, une telle situation n'était pas attendue. Près de la Nartuby, dans la zone commer-ciale et d'activité, en secteur réputé facilement inondable (PPR Draguignan, 2005), la rivière se déchaîne en quelques minutes seulement (lien internet 16). Vers 17h15, un peu en aval du pont vers Lorgues, une personne sort sa voiture d'un garage ; il n'aura pas le temps de refermer la porte de celui-ci, il devra s'enfuir et se réfugier dans un magasin proche, puis sur le toit. Les eaux gagnent vers Draguignan (lien internet 17). La prison est atteinte ; ses grilles extérieures sont arrachées ; la réactivité des gardiens permet d'éviter un drame. Une vidéo tournée vers 17h30 dans le quartier de la Clappe, en amont de

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Photo 16 - Draguignan : le ruisseau de la Riaille au bas du Malmont : à gauche, un ancien pont (maintenant colmaté, qui ne laisse plus passer que les basses eaux), à droite (en rive gauche du ruisseau) une grille basculée et des laisses jusqu'en haut d'un grillage. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 17 - Draguignan : le canal venant de la Nartuby. Ses eaux peuvent rejoindre la Riaille qui passe sous la route et débouche en dessous du grillage ; le mur de soutènement écroulé a été rebâti ; les eaux déversées sur la route ont pu rejoindre le canal, notamment par quelques accès aux habitations, comme celui que l'on aperçoit dans le virage. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 18 - Draguignan : le canal de la Riaille vu vers l'aval à partir de l'avenue de Montferrat. La partie où se trouve le grillage surplombe l'immeuble "Les Floralies". [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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Photo 19 - Draguignan : l'immeuble "Les Floralies" (jaune) et une habitation du "Clos Jean Aicard" (blanche) vus du canal de la Riaille : les eaux venant de la rue de Montferrat ont défoncé le mur de séparation entre l'immeuble "Les Magniolas" (en haut à gauche – lui-même touché) et le Clos Jean Aicard. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 20 - Draguignan : la voie d'accès au "Clos Jean Aicard" (à gauche des arbres), vue de celle à l'immeuble "Les Foralies", en contrebas de l'avenue Jean Aicard, qui fait obstacle à l'évacuation des eaux. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 21 - Le pont de Rebouillon : la Nartuby a creusé un nouveau lit, en rive gauche. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

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Draguignan, montre le fond de la vallée balayé par les flots (lien internet 18). Entre la zone en bordure de la Nartuby et le Centre-Ville, dans des quartiers indiqués comme inondables en cas de crue centennale (PPR Draguignan, 2005), la situation est très vite non moins dramatique. Les eaux se propagent rapide-ment, envahissant notamment un super marché, où un employé est piégé au sous-sol. Le SDISS, l'IUT, la Médiathèque, des immeubles et des pavillons résidentiels sont également touchés. Dans ce secteur en situation de légère cuvette au pied d'une collinette qui le sépare de la Nartuby, le niveau de l'eau atteint près de 2 m en quelques minutes. Le débit de la Nartuby augmente encore dans les heures suivantes. À Rebouillon, le pont est submergé ; il restera en place, mais la rivière creuse un nouveau lit sur le côté (Photo 21). Un cabanon proche, dans lequel se trouvent deux personnes, est emporté à 18h30. Si les maisons de la partie haute du hameau ne sont touchées que par les ruissellements abondants qui descen-dent du versant, celles dans la partie basse sont durement frappées, dont certaines sont pourtant anciennes. Le hameau de Rebouillon s'est retrou-vé dans un profond état de désolation (lien internet 19). Les zones d'activité de Draguignan et de Trans sont ravagées, mais des habitations sont également touchées. À Trans même (voir plan : lien internet 20), la Nartuby coule au milieu du vieux village. Le site se trouve au niveau d'une rupture de pente (24 m de dénivelée en plusieurs cascades), si bien que le village est relativement bien protégé des crues par l'encaissement du lit et sa très forte pente longitudinale (Photo 22). Malgré cela, vers 18h00 (Trans, 2010), un débor-dement en rive droite, en amont du Pont-Vieux (lien internet 21), provoque l'envahissement de la rue principale qui, comme cela s'est passé aux Arcs et à Draguignan, se transforme en torrent. La Nartuby arrache un cèdre vieux de 300 ans et emporte une placette (lien internet 22 – en aval du pont Bertrand, près de l'Hôtel de Ville). Elle sape ses berges, notamment à l'aplomb du vieux cimetière. En rive gauche, l'inondation touche un quartier récent (avenue Marguerite de Provence, boulevard Frédéric Mistral, avenue de Beaulieu – lien internet 23), en partie parcouru par tout un réseau de canaux d'irrigation, mais supposé non inondable pour une crue centennale (PPR Draguignan, 2005). La hauteur d'eau dépasse localement un mètre cinquante (Photo 23). Une

partie des eaux ayant débordé vient malgré tout passer sous le pont de l'avenue Marguerite de Provence (Photo 24) ; le reste retrouve le chemin de la Nartuby un peu en aval du cœur du village (Photo 25). Tout à fait en aval du village (Photo 26), des constructions (dont une maison tout nouvellement construite en aval du pont de la RD47 vers La Motte – source orale) sont emportées. Les scènes de désolation se répètent à La Motte et au Muy. À la Motte, le vieux village se trouve en retrait par rapport à la rivière, mais des habitations existent maintenant sur ses bords. Le brutal accroissement du débit se produit après 18h00 (heure non précisée) et la situation s'aggrave en début de nuit. Le vaste champ d'expansion des crues situé entre Trans et La Motte n'a eu qu'un effet minime, en raison de la durée de l'épisode. À certains endroits, la rivière a élargi son lit majeur de plus de 15 mètres. Un lotissement en rive gauche, les Hauts de la Nartuby (situé en bordure du lit majeur de la rivière), paie un lourd tribut au sapement des berges (une maison détruite, trois déclarées en état de péril – lien internet 24). En rive droite, l'écoulement d'eaux rejoignant la rivière en cascade provoque un profond ravinement au milieu des habitations (dont deux sont en état de péril – lien internet 25). La station d'épuration a été mise hors d'usage et une petite centrale élec-trique, très endommagée. Le pont de la RD254 (Photo 27) a été déstabilisé, mais il a laissé passer toutes les eaux, même si le niveau a consi-dérablement monté, inondant plusieurs maisons proches. Au Muy (voir plan : lien internet 26), enfin, de gros dégâts ont été occasionnés par la Nartuby dans l'extension récente du village à proximité de la rivière (lien internet 27). c. Des débits non connus pour l'épisode du

15 juin 2010 Le 15 juin 2010, la station limnigraphique de Rebouillon, en aval de la confluence des deux Nartuby, et celle de Trans ont été détruites. Nous ne disposons donc pas de mesures. Mais il n'est pas indifférent de savoir qu'un tel évènement ne s'était pas produit depuis l'installation des stations (en avril1969 à Trans et en novembre 1974 à Rebouillon). Depuis la mise en place de la station hydro-métrique en avril 1969, la plus forte crue enregistrée avant celle de juin 2010, est celle du 3 février 1974 : 124 m3/s en pointe de crue (hauteur d'eau à l'échelle : 3,63 m). Elle est suivie

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Photo 22 - Trans-en- Provence : le Pont-Vieux (XVIIème siècle) vu de l'aval. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 23 - Trans-en-Provence : en rive gauche de la Nartuby, laisses de crue derrière la barrière nord,

basculée, du stade. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 24 - Trans-en- Provence : le pont de l'avenue Margueritte de Provence, en amont du Pont-Vieux. Il associe une grande arche centrale à deux petites latérales ; celle de rive droite a été bouchée pour la construc- tion d'une maison au bord de la rivière en aval immédiat du pont ; cette maison a bien sûr été inondée. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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Photo 25 - Trans-en- Provence : ruelle empruntée par les eaux de l'avenue de Beaulieu pour rejoindre la Nartuby. [cliché : C. MARTIN, juillet 2010]

Photo 26 - La Nartuby en aval du village, vue du pont de la RD47, vers l'aval. La ripisylve a disparu en rive droite (près de la digue qui bordait jadis les bassins d'une ancienne pisciculture). En bas à droite, les débris déplacés d'une construction. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 27 - La Motte : le pont de la RD254 (une équipe en train d'évaluer les dommages provoqués par la crue). [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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de celle du 1er janvier 1988 : 98 m3/s, à 4h04 (hauteur : 3,23 m). Pour cette même crue, le débit en pointe de crue à Rebouillon est de 39,9 m3/s à 2h22 (hauteur : 1,88 m). Selon la loi de GUMBEL appliquée aux débits maximaux annuels sur la période allant de 1969-70 à 2008-09, la crue de 1974 a une période de retour de 119 ans. Le débit de fréquence décennale s'élève à 71 m3/s (61 à 85 m3/s, avec un IC à 80 %) et celui de fréquence centennale à 120 m3/s (102 à 147 m3/s). La loi de GUMBEL paraît bien adaptée : coefficient de détermination entre les valeurs mesurées et théorique de 0,985 ; alignement satisfaisant pour les forts débits (valeur théorique de 115 m3/s pour le débit maximal mesuré de 124 m3/s). Toutefois la loi de WEIBULL semble encore plus satisfaisante pour les très forts débits : r2 = 0,989 ; valeur théorique de 121 m3/s pour un débit mesuré de 124 m3/s. Elle attribue à un débit de 124 m3/s une période de retour de 93 ans (débit centennal : 125,4 m3/s). Pour le PPR de Draguignan (2005), la méthode du GRADEX utilisée à partir du débit de fréquence vicennale (20 ans), donne des débits de fréquence centennale de 180 m3/s à Rebouillon et de 245 m3/s à Trans. d. Les épisodes références Pour le département du Var, il faut remonter au 8 septembre 1651 pour trouver mention de l'épisode de crue le plus meurtrier, qui s'est produit dans la haute vallée du Gapeau, où il a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes à Belgentier (lien internet 28). Dans le bassin de la Nartuby, une seule crue aussi violente que celle de juin 2010 est connue, celle du 6 juillet 1827. Relatée dans des textes de M. Louis HONORÉ (Nadine de Trans, lien internet 29), il peut être ainsi résumé : Un gros orage sur toute la partie amont du bassin versant (gorges et hauts plateaux des bassins de la Nartuby de Châteaudouble et la Nartuby d'Ampus) provoque une brusque réaction des cours d'eau. En aval de la confluence entre les deux Nartuby, la propagation de la crue génère une onde de crue extrêmement brutale ("Tout à coup apparaît une masse effroyable d'eau…") emportant arbres, bétail et même un pont romain (en amont de Draguignan). Six personnes péris-sent. Beaucoup se sauvent en courant se réfugier sur des hauteurs ou en montant sur des arbres d'où ils ne redescendront qu'à la nuit. Quatre des six victimes périssent à 16h00 (trois à Trans et

une à Draguignan), une autre à 18h00 (à Dragui-gnan) et la dernière le lendemain à 11h00 (à Trans – le jour et l'heure ne sont pas expliqués). L'aspect extrêmement brutal de la montée des eaux est attesté par l'action courageuse d'un habitant de Trans, dénommé BOYER, qui, "dès la première apparition du danger, monta à cheval et parcourut rapidement les lieux menacés avertis-sant à grands cris les travailleurs de pourvoir à leur sûreté". En 1828, une plaque commémorative de cet événement est posée à Trans, au niveau atteint par les eaux, près du Pont-Vieux. Cette plaque sera ensuite déplacée. En 2010, dans la rue toute proche du pont où elle se trouve maintenant (Photo 28), les eaux sont restées une trentaine de centimètres en dessous de la plaque. Si le changement d'emplacement du repère peut faire douter de la comparaison, il convient de noter que le parapet du "Pont-Vieux" de Trans a été endommagé en 1827, alors qu'il n'a pas été atteint en 2010. Pour autant, la crue de 1827 n'a peut-être pas eu un débit de pointe de crue supérieur à celle de 2010. En effet, selon une source orale, un embâcle au niveau du Pont-Vieux aurait été responsable du débordement dans le village en 1827. La comparaison est rendue encore plus difficile du fait du débordement à l'est du cœur du village, secteur où les conditions ont été modifiées par le développement de l'urbanisation. Fondé en rive gauche de la Nartuby, Trans-en-Provence (cité dans un texte de 1024 – B. DUPLESSY et al., 1989) prend sa confi-guration actuelle, de part et d'autre de la rivière, au XVème siècle. Tirant profit du site et de ses cascades, le village a compté jusqu'à 25 moulins. Même si les épidémies, les guerres et les famines ont souvent fait l'habituel de tous les villages, nul doute qu'une crue dévastatrice qui se serait produite avant 1827, aurait laissé quelque trace écrite. À moins que les documents restent à découvrir. Dans sa genèse, la crue de 1827 diffère de celle de 2010. Elle a répondu à des pluies très localisées et extrêmement violentes qui, bien que tombant sur des sols sans doute très secs, ont rapidement dépassé la capacité d'infiltration sur des secteurs étendus. À l'époque, les terrasses de culture (conçues pour protéger les sols et non pour éviter les crues) étaient bien sûr encore entretenues et les parcours des troupeaux sans doute plus actifs. En 2010, c'est l'abondance des pluies, généralisées sur un vaste secteur, qui amène le déclenchement d'une crue brutale, une fois de larges parties du bassin proches de la

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saturation. Les intensités sont certainement plus faibles qu'en 1827, mais les superficies contri-butives sont plus grandes. On notera que le cèdre emporté en 2010 avait résisté en 1827, peut-être en raison de la moindre persistance des débits très élevés. Au cours des dernières décennies, après le développement des zones d'activité de Dragui-gnan et de Trans, des crues de fréquence d'ordre décennal (selon les lois de GUMBEL et de WEIBULL), ont suffi à causer quelques dégâts, en 1994 (débit instantané maximal : 68,5 m3/s le 7 janvier), 1996 (74,0 m3/s le 12 janvier) et 2000 (79,2 m3/s le 23 novembre). IV - LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DE

L'ÉPISODE DU 15 JUIN 2010 Si l'hydrologie n'est déjà pas une science exacte, surtout en l'absence de données, je revendique, pour les lignes qui vont suivre, sinon le droit à une certaine subjectivité, du moins celui à une très libre expression. 1 ) Un épisode exceptionnel Présentant une période de retour au delà de millennale pour l'abondance des précipitations journalières, cet épisode apparaît non moins

exceptionnel pour les débits. Certes, les lois simples que j'ai utilisées (GUMBELL, WEIBULL, Normale) peuvent être légitimement considérées avec méfiance pour l'estimation de la fréquence des risques hydrologiques extrêmes. Mais, à l'inverse, peut-on accepter comme beaucoup plus crédibles les valeurs "références" poussées vers le haut par d'autres approches ? Quoi qu'il en soit, le 15 juin 2010, sur la Florièye à Taradeau, comme sur la Nartuby à Rebouillon et à Trans, les débits de pointe de crue ont manifestement atteint ou dépassé les valeurs centennales don-nées par les plans de prévention des risques (PPRI Taradeau, 2010 ; PPR Draguignan, 2005). Par ailleurs, même en tenant compte de la crue de 1827 sur la Nartuby et de celle de 1907 (?) sur l'Aille, rien n'indique qu'un événement aussi fort et étendu se soit produit au cours des siècles passés dans ce secteur du bassin de l'Argens. Du reste, il serait inconcevable que des précipitations journalières plus que millennales tombant sur des bassins aux aquifères encore bien remplis, ne donnent pas des débits de pointe de crue de période de retour pluri-centennale à pluri-millennale, en fonction des intensités de la pluie et de leur répartition dans le temps. La compa-raison entre les débits journaliers du 13 juin 2010 et les valeurs médianes pour juin sur les années antérieures, met en évidence le bon niveau des écoulements immédiatement avant l'épisode (Tab. I).

Tableau I - Débits moyens journaliers (m3/s) enregistrés le 13 juin 2010 sur l'Argens aux Arcs, l'Aille à Vidauban et la Nartuby à Rebouillon et à Trans – comparaison avec les valeurs médianes pour juin sur les années antérieures.

Argens (Les Arcs)

Aille (Baou -Vidauban)

Nartuby (Rebouillon)

Nartuby (Trans)

13 juin 2010 8,36 0,298 0,908 1,07 Médiane 7,11 0,295 0,310 0,920 Nombre d'années 43 41 34 40 Depuis 1966-67 1969-70 1975-76 1969-70 Source : Données DIREN consultées sur la Banque Hydro (HYDRO-MEDD/DE). La réponse hydrologique à l'épisode pluvio-métrique exceptionnel du 15 juin 2010, ne doit pas grand-chose à l'occupation du milieu : pas d'imperméabilisation outrancière due à l'urbani-sation et pas de déforestation irréfléchie. Un peu de bon sens suffit à intégrer ces éléments (lien internet 30). S'il existe une petite ville, Dragui-gnan, et quelques zones d'activité "bétonnées" en

bordure de la Nartuby, les bassins versants de la Florièye en amont de Taradeau et du Réal en amont des Arcs sont presque exclusivement forestiers, avec seulement quelques parcelles de vigne. Là où elles existent, les surfaces artificiel-lement imperméabilisées ont joué tout leur rôle dans les premières heures de l'épisode, et ce rôle s'est révélé bien modeste par rapport à ce qui

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allait suivre. Par ailleurs, la forêt est plus étendue aujourd'hui qu'elle ne l'était à la fin du XIXème siècle. Ce ne sont pas les habitations construites dans certains secteurs en forêt, plutôt sous la forme d'un mitage, qui peuvent pour le moment représenter une menace. De toute façon, sous des abats d'eau de cette importance, la forêt ne peut exercer qu'une influence limitée (C. COSANDEY et al., 2005). Loin de moi l'idée que l'imperméabilisation des surfaces n'a pas d'effet négatif sur le comportement des cours d'eau. Mais elle s'exerce surtout localement, et sous des averses brèves mais très violentes. Sur les versants, la multipli-cation des routes est un facteur favorable à une évacuation plus rapide des eaux. La forêt, au contraire, en interceptant un peu d'eau de pluie, en ralentissant les écoulements (dans la canopée et à la surface du sol) et en assurant la présence d'un sol perméable et poreux, contribue à limiter et à ralentir le ruissellement. Toutefois tous ces éléments jouent essentiellement lors de précipi-tations peu ou moyennement abondantes. La brusque montée des eaux qui a été obser-vée sur tous les bassins versants est en relation avec une extension brutale et quasi généralisée des zones saturées et donc contributives. Un tel phénomène a été suivi, dans des conditions litho-logiques différentes (roches cristallines), sur un petit bassin versant cévenol, lors de pluies très intenses (110 mm en deux heures) à la fin d'un épisode extrêmement pluvieux (411 mm les 18 et 19 octobre 2006). Les effets de cette dernière averse ont été spectaculaires, des ruissellements très abondants se produisant dans les ravines et sur les versants. Ce fonctionnement s'est traduit par des transports solides que l'on n'aurait pas soupçonnés possibles au vu des observations sous des conditions moins extrêmes. Les montées de crue ont été immédiates et brutales (C. MAR-TIN et al., 2006, 2008). 2 ) Le rôle du karst En terrain purement karstique, les fonc-tionnements hydrologiques habituels donnent évidemment un sentiment de sécurité, la réponse des cours d'eau aux précipitations étant retardée et surtout amortie. Mais, comme pour l'endi-guement des cours d'eau, il s'agit en fait d'une fausse sécurité, car les protections peuvent être un jour débordées. C'est ce qui s'est produit le 15 juin 2010. Or, dans ce cas, les niveaux profonds étant saturés, ce sont d'anciens réseaux, souvent

très transmissifs, qui sont mis en charge, tandis que les circulations dans l'épikarst peuvent être extrêmement rapides lorsque les roches sont fissurées et décompressées. Le 15 juin 2010, le karst a parfaitement régulé les écoulements dans toute la partie amont du bassin de l'Argens, où les précipitations ont été très abondantes sans être exceptionnelles. Dans les bassins de la Florièye, du Réal et de la Nartuby, il a tenu son rôle jusqu'à ce que certaines parties des bassins soient totalement saturées. Des témoins ont rapporté (et certaines vidéos le montrent) que des écoulements généralisés se sont déclenchés sur les versants. Ce qui est normal sur des roches cristallines ou permiennes, apparaît évidemment beaucoup plus surprenant sur calcaire. L'apparition de ces ruis-sellements superficiels, après des précipitations proches de 200 mm, a provoqué un très brutal accroissement des débits, lesquels ont ensuite encore sensiblement augmenté avec la poursuite de pluies soutenues et donc la concentration de plus en plus forte d'écoulements abondants. Pour la Nartuby, certains ont évoqué l'effet possible d'un éboulement dans les gorges de Châteaudouble et la rupture de l'embâcle ainsi constitué. Sans nier les mouvements de terrain, qui ont eu raison de la route départementale 955 en amont de Rebouillon, force est de constater qu'il ne s'est produit aucun mouvement d'ampleur suffisante… et que les autres cours d'eau ont présenté le même type de fonctionnement sans qu'un embâcle puisse être envisagé : La Florièye, le Réal et la Nartuby n'ont pas échappé au même enchaînement catastrophique. 3 ) La prévision initiale et le suivi de l'épisode Météo-France avait prévu un épisode très fort, et il faut lui en faire crédit. Le secteur concerné n'était pas défini avec précision, ce qui est compréhensible. Enfin, si l'ampleur de l'épi-sode a été sous-estimé, c'est qu'il était impossible d'estimer réellement ce qu'il serait : d'après les chroniques disponibles, des pluies allant jusqu'à 150 mm pouvaient donc être considérées comme réalistes a priori. Un placement en alerte orange s'imposait donc. Le 15 juin dans l'après-midi, le niveau d'alerte reste à l'orange. Météo-France intègre des informations remontées du terrain, mais ne prend pas la mesure de la situation et de ses dévelop-pements à venir.

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L'Observatoire Français des Tornades et des Orages Violents publie des avis plus réalistes, déjà à 13h45, mais surtout à 16h00, où des débordements assez généralisés sont prévus. Il ne faut bien sûr pas s'étonner des limites de la prévision météorologique. Mais il est surprenant que le volet hydrologique ait été si mal pris en compte dans les bulletins de Météo-France. Le fait que le SCHAPI (Service Central d'Hydrométéorologie et d'Appui à la Prévision des Inondations) ne dispose d'aucune station d'annonce de crue dans le Var a été évoqué. En fait, l'argument ne tient pas pour Les Arcs, Draguignan ou même Taradeau : ces stations sont surtout utiles sur des rivières longues où les crues sont générées dans la partie amont (Cèze ou Tarn, par exemple). Sur de petits cours d'eau comme la Florièye, le Réal ou la Nartuby, avec le fonctionnement qui a été celui des bassins versants le 15 juin 2010, les stations d'annonce de crue auraient été parfaitement inutiles (et inutilement coûteuses, car elles auraient été détruites lors de la brutale montée des eaux). Pour la partie inférieure de la vallée de l'Argens, la transmission aux services compétents des observations visuelles faites à Taradeau, aux Arcs, puis à Draguignan et dans toute la vallée de la Nartuby aurait dû pallier l'absence de données télétransmises et permettre d'anticiper ce qui allait se passer dans la nuit. Connaissant la situation à Taradeau et aux Arcs, et compte tenu des précipitations encore attendues, une prévision de l'évolution de la situation aurait certainement été possible dès 16h00. Bien sûr, jusqu'au 15 juin 2010, il manquait l'expérience, à l'échelle d'un bassin versant étendu, du comportement de terrains karstifiés soumis à des précipitations très abondantes tombant en quelques heures. Que le maire de Draguignan lui-même ait été surpris par les eaux dans les locaux du SDISS montre bien que, jusqu'à 17h00 au moins, personne n'avait été capable d'anticiper les événements. Peut-être, du reste, que sur le coup de 18h00, il était trop tard pour alerter les populations de la plaine du Bas-Argens sans créer une panique qui aurait pu se révéler désastreuse. Mais cela a-t-il seulement été envisagé ? Aucune explication n'a été donnée. 4 ) La réaction des services publics Comme indiqué ci-dessus, la gestion initiale de l'épisode, celle de la montée de crise, a été fort

hésitante et sujette à bien des interrogations rétrospectives. En revanche, une fois la situation devenue catastrophique, la réaction a gagné en efficacité, à quelque échelon que ce soit, aussi bien pour secourir les personnes en perdition que pour l'accueil des sinistrés. Dans les jours qui ont suivi, les efforts ne se sont pas relâchés, pour dégager des masses de boue, pour rétablir l'eau potable, l'électricité et le téléphone, pour cons-truire des ponts de fortune… 5 ) Des aménagements parfois déficients Les Pouvoirs publics comme les particuliers se laissent aisément rassurer par la tranquillité apparente de beaucoup de cours d'eau. Pourtant, de temps en temps, un petit bassin versant varois, suite à un orage violent, subit une crue specta-culaire. Sans parler de la plaine du Bas-Argens, très exposée aux crues et souvent affectée, les arrêtés de catastrophe naturelle suite à une inondation sont loin d'être rares (lien internet 31). La position de certaines habitations récentes à proximité plus ou moins immédiate d'un cours d'eau – à la merci d'un écroulement de berge comme ce fut le cas à la Motte ou des flots eux-mêmes comme à Taradeau – ne répond pas à des normes élémentaires de sécurité. Et que dire de maisons construites dans le lit majeur (Photo 29) ! Mais jusqu'aux récents PPR, la possibilité de pluies extrêmement abondantes sur une courte période (supérieures à 200 mm/24 h) n'avait pas été prise en compte (B. COMBARRÉ, 1997). Nous avons évoqué plus haut les effets négatifs de la couverture "optimiste" de certains cours d'eau, à Draguignan et aux Arcs. Mais d'autres cas sont à signaler : - À Vidauban (voir plan : lien internet 32), un

petit cours d'eau (issu du secteur des Vallons), affluent de rive gauche de l'Argens, passant sous l'avenue du Maréchal Foch, la voie ferrée et la rue vers la cave coopérative, a débordé dans l'avenue, rue principale du village (lien internet 33). Le chenal couvert semble pourtant avoir été calibré en essayant de faire bonne mesure. En aval de la partie couverte, le ruisseau, renforcé par quelques ruissellements routiers, est monté plus haut que la voute d'un pont (Photo 30).

- À Lorgues (voir plan : lien internet 34), le Réal

Calamar, couvert dans les années 1980, a été en grande partie refusé par la conduite et a dévalé

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Photo 28 - Trans-en- Provence : la plaque commémorative de l'épisode du 6 juillet 1827. À gauche, on voit le parapet du Pont-Vieux. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 29 - Les Arcs-sur-Argens : une habitation dans le lit majeur du Réal, au-dessus de la section endiguée. Les eaux ont envahi le premier étage. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 30 - Vidauban : pont sur un affluent de l'Argens. L'agrandissement à droite permet de mieux

voir les branchages déposés au dessus du tuyau contre le pont. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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dans l'avenue du même nom (Lorgues, 2010 – lien internet 35).

- À Figanières (voir plan : lien internet 36), à la

confluence de deux vallons, l'axe routier prin-cipal s'est transformé en un torrent impres-sionnant (lien internet 37). Le ruisseau de la Tuilière passe sous le village dans un chenal couvert calibré à la taille du lit "majeur" (plus de trois mètres de large sur plus d'un mètre et demie de haut à l'entrée – Photo 31). Par ailleurs, à l'entrée nord du village, son petit affluent entre dans une conduite d'un diamètre de 80 cm, qui passe sous une place à l'amont de laquelle a été construit le bâtiment d'un théâtre de verdure (Photo 32). Le 15 juin 2010, vers 17h00, les eaux ont débordé en amont du chenal couvert du ruisseau de la Tuilière. Les laisses de crue montent jusqu'en haut du grillage au-dessus du cours d'eau, plus d'un mètre au-dessus du haut du tunnel d'entrée (Photos 33). Les eaux ont envahi des jardins et trouvé un passage par les maisons. Un débordement s'est également produit une cinquantaine de mètre en amont, au bout d'une impasse (Photo 34) connectée au centre-ville. Dans le vallon affluent, les eaux ont également débordé en amont du théâtre de verdure. Une grande partie des eaux a rejoint la place et s'est écoulée au bas du village. Mais une autre partie a suivi la rue menant au centre-ville. Le réseau pluvial, dont le chenal couvert du ruisseau de la Tuilière constitue un élément essentiel, étant saturé, les eaux précipitées sur le village sont venues renforcer celles ayant débordé des ruisseaux, sans compter les écoulements fournis directement par certains versants. Dans la rue principale, le flot boueux a grossi de manière spectaculaire et effrayante en une quinzaine de minutes (ADIL, 2010).

Un peu partout, les aménagements prévus pour canaliser les eaux se sont révélés insuf-fisants. Il ne faut pas incriminer une récente modification de l'occupation du sol. En effet, dans la plupart des cas, en amont de Rebouillon, comme de Taradeau, du Luc ou des Arcs, les bassins versants sont presque exclusivement forestiers. Certains ponts aussi peuvent poser problè-me, qu'un pilier vienne encombrer le lit majeur (Photo 35) ou que le tablier morde sur la section à ras-bords ou se trouve juste à son niveau (Photo 36). Ces ouvrages peuvent contribuer à aggraver les inondations en limitant l'écoulement

dans l'axe du chenal. Beaucoup de ponts sont dans ce cas, et celui de Taradeau entrait dans cette catégorie. Certes, ils peuvent parfois être utiles pour créer des zones d'expansion des crues (comme cela a été prévu entre Trans et La Motte au passage de la RD54), mais il faut bien évidemment tenir compte des perturbations qu'ils occasionnent le plus souvent lorsqu'ils sont sub-mergés.

Ainsi, à Trans le débordement dans la zone d'activité et résidentielle en amont du pont de la RD1555 a certainement été accentué par la passe-relle située immédiatement en aval de la route. Cette passerelle se trouve, en effet, à un niveau inférieur à celui du pont (Photo 37), ce qui réduit sensiblement la section offerte à la Nartuby. Ce secteur pose d'autres problèmes : - En amont de Trans, la Nartuby est chenalisée

entre des berges armées de gros blocs. La RD1555, qui longe la rivière entre Draguignan et Trans, est légèrement surélevée par rapport aux terrains de rive gauche. Lors des fortes crues, la rivière sort facilement de son lit en rive droite, les eaux revenant au pont de la RD1555 par la route du Plan (PPR Draguignan, 2005 – voir localisation : lien internet 20 – exemple du 16 juin : lien internet 38).

- Entre cette route et la Nartuby, un hypermarché

a été établi sur un terrain rehaussé par un remblai. Il a été touché le 15 juin 2010, mais bien peu par rapport aux autres bâtiments du secteur. Par sa présence, il aggrave évidemment la situation en dessous de lui, du côté de la route du Plan.

- Avant Trans, la RD1555 bifurque vers la droite

pour traverser la rivière en direction du Muy : le remblai conduisant au pont constitue un obstacle à l'écoulement des eaux en cas d'inondation (Photo 38). Non seulement il rehausse le niveau de l'eau en amont, mais il favorise certainement le débordement en rive gauche par crue extrêmement forte, d'autant que la Nartuby décrit elle-même un coude parallèle à celui de la route, avant de reprendre la direction du village.

Tout concourt, par conséquent, à ce que la situation devienne très difficile en amont du pont de la RD1555 lors d'une crue aussi exception-nelle que celle du 15 juin 2010 : la route du Plan, le long de laquelle se trouvent des habitations et des locaux professionnels, se transforme en torrent ; la Nartuby noie tous les commerces autour de l'hypermarché ; les eaux envahissent le quartier résidentiel en amont du coude de la

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Photo 31 - Figanières : entrée du ruisseau de la Tuilière dans sa section couverte. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photos 32 - Figanières : à gauche, entrée de l'affluent du ruisseau de la Tuilière dans la conduite

passant sous la place du théâtre de verdure ; à droite, théâtre de verdure (au fond) et terrain de boules. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 33 - Figanières : laisses de crue dans un grillage au-dessus du lit du ruisseau de la Tuilère près de l'entrée dans sa section couverte. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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Photo 34 - Figanières : bout de l'impasse responsable d'une partie de l'écoulement du ruisseau de la Tuilière vers le centre du village. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 35 - Draguignan : le pont de la D562 (pont de Lorgues). Des bâti-ments commerciaux se trouvent au niveau de l'aire de stationnement à partir de laquelle est prise la photo…! [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 36 - Draguignan : un pont de la zone d'activité de Saint-Hermentaire. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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Photo 37 - Trans-en- Provence : le pont de la D1555 et la passerelle située en aval, après la crue. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 38 - Trans en Provence : remblai de la D1555 en vive gauche du pont, vu de l'aval. Le remblai présente des traces d'érosion laissées par la crue du 15 juin 2010. En arrière du remblai, se trouvent plusieurs immeubles d'habitation. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

Photo 39 - Trans-en- Provence : les immeubles d'habitation en amont du remblai conduisant vers le pont de la D1555. [cliché : C. MARTIN, août 2010]

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RD1555 (Photo 39) ; un courant s'établit en rive gauche, (au delà de la rue prolongeant la RD1555 à l'entrée de Trans), qui ne retourne pas intégra-lement à la rivière avant le passage du pont de l'avenue Marguerite de Provence. Celui-ci et les deux plus anciens situés en aval (le Pont-Vieux et le pont Bertrand) n'ont pas été submergés. La situation a été toutefois très limite et le Pont-Vieux a été préservé par le délestage opéré en rive droite. Compte tenu de la violence de la crue, on peut considérer qu'en dépit de leurs effets négatifs, les ponts submergés n'ont eu qu'un rôle mineur le 15 juin 2010, sauf peut-être à Tara-deau, avant la rupture du remblai de rive droite pour l'amont, et au moment de cette rupture pour l'aval. Reste le problème de la concentration de centres commerciaux et de zones d'activité dans des secteurs inondables connus et reconnus, à Draguignan, à Trans et au Muy (SOGREAH, 1975 ; IPS'EAU, 1994). En dépit des inondations qui s'y sont déjà produites depuis 1974, ils n'ont pas cessé de se développer... 6 ) Des paramètres qui forcent au réalisme Il est bien évidemment très facile de dresser la liste de ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire pour assurer la sécurité maximale (jamais absolue) des biens et des personnes. Je ne me livrerai pas à cet exercice. En effet, à quelques exceptions près, les zones inondables étaient connues (et de nouvelles le sont maintenant), ainsi que leur degré de dangerosité, et des normes de construction (ou de non-construction) peuvent être définies en fonction du risque. Que l'on ne construise plus dans les zones réputées à risque, ou que l'on ne construise plus que des habitations adaptées (hauteur et résis-tance), ce qui a déjà été bâti restera en place. Ici ou là, il sera possible de faciliter le passage des eaux ou, au contraire, de faire en sorte de briser la violence d'un courant. Mais, au bout du compte, cela ne changera pas grand-chose à la situation : des gens continueront de vivre en zone inondable. De toute façon, si l'on voulait déplacer toutes les personnes menacées d'une inondation, les terrains utilisables ne suffiraient pas… et cela poserait certainement d'autres problèmes tout aussi sérieux.

Sur le plan économique, les dégâts sont estimés à plus d'un milliard d'euros. N'étant pas spécialiste du sujet, je ne me risquerai à aucune analyse. Mais quelques questions s'imposent : - les compagnies d'assurance n'intègrent-elles pas ce type d'aléa dans les primes qu'elles font payer ? ; - les entreprises installées dans des zones inondées plusieurs fois depuis 1974 n'y trouvent-elles pas finalement leur compte ? ; - la reconstruction n'aura-t-elle pas des retombées positives, y compris pour les finances publi-ques ?… Un bilan détaillé serait instructif. Vingt-cinq personnes ont péri dans la catastrophe. Les pertes humaines auraient pu être encore plus lourdes sans les interventions de voisins, de pompiers ou de militaires. Des imprudences, parfois commises pour une très bonne raison (tenter de sauver son chien), sont la cause de certains décès. Plusieurs personnes (souvent âgées) ont été piégées dans leur maison. D'autres ont été emportées dans leur voiture. La dangerosité de la circulation automobile lors d'une inondation est particulièrement forte en bordure d'un cours d'eau et sur les ponts lorsque la chaussée est déjà submergée. Mais le réseau routier ne sera bien sûr pas modifié en prévision de l'hypothétique répétition d'un événement exceptionnel. Encore faudrait-il faire un peu de pédagogie et mieux informer les population sur les comportements à adopter en cas de crise… même sans espérer être entendu de tous. Cela amène à évoquer un dernier point : "la culture du risque". Je n'aime pas cette expression, fort pédante, et finalement assez ambigüe, à laquelle je préfère "la conscience du risque". Jusqu'à tout récemment, celle-ci dépendait de la récurrence des événements. La gestion du risque découlait d'une adaptation en quelque sorte statistique, bien qu'empirique, aux conditions naturelles. C'est ce mode d'appréciation qui a commandé les aménagements anciens et, sauf anthropisation extrême du milieu, elle montre encore, le plus souvent, sa pertinence. Pour autant, d'autres aspects (militaires, écono-miques…) ont souvent été intégrés, si bien que la conscience du risque n'exclut pas forcément d'accepter de multiples désagréments (comme c'est le cas sur les cours d'eau cévenols, à Alès, Anduze ou Sommières), même si le maximum est fait pour s'en prémunir autant que possible. Je ne pense pas que ce soit là délivrer un message de résignation. En effet, faute de vouloir ou de pouvoir éviter le risque, il est bien sûr indis-pensable de s'y adapter (J.N. SALOMON, 1997).

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Cela nécessite une perception claire des dangers potentiels en fonction de la configuration du terrain, de sorte que les mesures préventives soient efficaces sans être inutilement coûteuses et contraignantes. V - CONCLUSION L'épisode du 15 juin 2010 est exceptionnel par l'abondance des précipitations et par leur concentration dans le temps. Cela s'est évidem-ment traduit dans les réponses hydrologiques. Les débits atteints en pointe de crue ont certainement des périodes de retour pluri-centennales, voire au delà. À cet égard, les méthodes statistiques que nous avons utilisées (lois de GUMBEL, de WEIBULL…) donnent des valeurs centennales plus faibles que les approches adoptées pour les PPR. Mais les événements connus pour le dépar-tement du Var à l'échelle historique n'incitent pas à raccourcir les temps de retour des crues excep-tionnelles. Les petits bassins versants répondent sou-vent violemment à des précipitations intenses. Des bassins de taille plus étendue, comme celui de la Nartuby, peuvent également fournir des débits très forts à la suite de pluies orageuses ; l'épisode du 6 juillet 1827 en témoigne. Mais plus grand est le bassin versant, plus la durée de l'événement prend d'importance pour générer un écoulement de pointe de crue élevé. Spectaculaire sur chacun des affluents prin-cipaux de l'Argens en aval de Vidauban, l'épisode du 15 juin 2010 ne l'a pas été moins dans la plaine du Bas-Argens. Près de 8 heures de pluies ininterrompues avec des intensités proches ou supérieures à 30 mm ont en effet provoqué l'accumulation d'eaux très abondantes. Sauf peut-être pour l'Aille, rivière très réactive, car coulant sur des roches imperméables en grand, la réponse brutale des cours d'eau s'est produite après 200 mm de précipitations environ. Ainsi, après un début d'épisode déjà sévère, qui a conduit à des débits élevés, les cours d'eau ont connu une brusque montée de crue, de type "éclair". Ensuite, les débits ont continué de croître, du fait de l'accumulation d'apports abon-dants impliquant une part de plus en plus grande des bassins versants. La montée s'est bien sûr produite plus tôt dans l'après-midi sur les bassins versants où les précipitations ont été les plus fortes, le Réal et la Florièye, que sur celui de la

Nartuby. De larges parties des bassins versants étaient alors saturées. Plusieurs documents témoignent, du reste, de l'abondance des écoule-ments sur les versants (liens internet : 2, 18, 39 et 40). La réalisation d'un tel épisode pouvait évidemment être prédite. Et l'on peut même imaginer bien pire : des précipitations plus abondantes, plus intenses, plus concentrées dans le temps, tombant à la fin d'un automne préala-blement pluvieux. En faisant l'hypothèse qu'un bassin versant arrive à saturation totale et en supposant que la durée de la pluie soit ensuite supérieure au plus long temps nécessaire au transfert de l'eau jusqu'à l'exutoire, le débit en pointe de crue est directement donné par l'inten-sité moyenne des précipitations sur cette période : 8 m3/s/km2 pour une intensité de 30 mm/h ; près de 14 m3/s/km2 pour une intensité de 50 mm/h. De tels débits spécifiques ont peut-être été atteints localement le 15 juin 2010, mais ils n'ont pas même été approchés à l'échelle des bassins étudiés (valeurs sans doute de l'ordre de 2 m3/s/km2 seulement en général). De plus, pour le Bas-Argens et même le cours moyen, que serait-il advenu si les précipitations sur le bassin versant avaient été partout aussi abondantes que dans le secteur Draguignan-Lorgues-Les Arcs ? Les pessimistes trouveront donc des raisons de se faire encore beaucoup de souci. Les opti-mistes penseront qu'il ne se reproduira rien de sérieux avant longtemps. Les réalistes considè-reront qu'il faut tirer les enseignements de cet épisode, et pas seulement à l'échelle du bassin de l'Argens, car pour être exceptionnel en un lieu donné, ce type d'événement est bien loin d'être rare. Les cynico-pragmatiques, enfin, avec le soutien des optimistes, jugeront qu'un événement exceptionnel ne doit en rien compromettre les bonnes affaires. Espérons qu'après quelques mesures de façade, la dernière catégorie n'empor-tera pas totalement la partie. Quoi qu'il en soit, la prise de conscience du risque n'empêchera pas les inondations. Or il y a maintenant des populations bien trop nombreu-ses, avec trop de résidences individuelles, trop éloignées des lieux de travail, avec des besoins matériels trop variés, satisfaits par des réseaux commerciaux consommateurs de vastes espaces, avec trop d'enjeux économiques et de contraintes sociologiques, pour que les solutions qui pour-raient paraître simples, ne soient pas pour l'essen-tiel irréalistes.

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Une meilleure perception du risque et des dangers par les autorités concernées (qui devront améliorer leur niveau de compétence), une information encore plus claire et spontanée des personnes désireuses de s'installer, aucune nouvelle habitation en zone dangereuse, des habitations adaptées en zone susceptible d'être plus légèrement inondée, des locaux profession-nels eux-aussi conçus spécifiquement, quelques réaménagements des lits et de certains ouvrages d'art… c'est bien tout ce qu'il est possible d'envisager. À partir de là, à chacun de prendre la responsabilité de s'installer ou pas dans des endroits, sinon très dangereux (espérons que ceux-là seront tous interdits), du moins à risque plus ou moins sévère selon les conditions hydro-logiques. Deux points particuliers méritent aussi d'être améliorés : la prévision hydro-météorologique et l'alerte des populations. Pour la prévision météorologique, l'épisode du 15 juin 2010 a mis en lumière tout à la fois des capacités indéniables et leurs limites actuelles. Point n'est besoin d'épi-loguer. En revanche, le suivi qui a été fait de

l'épisode au cours de la journée du 15 est surprenant, et tout particulièrement le bulletin de 18 heures de Météo-France. Des progrès sont possibles dans la circulation en temps réel des informations entre les services, dans l'utilisation des données disponibles en continu (préci-pitations) et dans leur interprétation. Nul doute que la leçon sera retenue, car l'argument de ne pas avoir disposé de stations télétransmises ne tient pas sur les bassins versants concernés, leur géométrie n'étant guère compatible avec une prévision fondée sur un suivi hydrométrique. Une fois décortiqué le fonctionnement des bassins versants à partir des données accumulées depuis des décennies et en tenant compte de l'épisode de 2010 (même si, pour lui, les enregistrements font défaut), sans doute sera-t-il possible de gagner en efficacité opérationnelle. Quant à l'alerte des populations, les responsables à tous les niveaux semblent avoir été continuellement surpris par une situation extrêmement évolutive. Point positif tout de même, la réactivité des secours, à tous les niveaux, et l'efficacité des travaux de remise en ordre.

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Lien 38 (Trans, route du Plan et Nartuby le 16 juin au matin) : http://www.youtube.com/watch?v=hw1TP6UrCXE&feature=related Lien 39 (inondation et ruissellement sur les versants, près de Flayosc) :

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yza9zJIs