Éthique des sciences

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ÉTHIQUE DES SCIENCES JUIN 2013 FLORENCE PIRON, UNIVERSITÉ LAVAL [email protected] Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la licence creative commons attribution 2.5 canada

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Les grands enjeux de l'éthique des sciences. Présentation de Florence Piron, professeure à l'Université Laval.

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Page 1: Éthique des sciences

ÉTHIQUE DES SCIENCESJUIN 2013

FLORENCE PIRON, UNIVERSITÉ LAVAL

[email protected]

Cette œuvre est mise à disposit ion selon les termes de la l icence creative commons attr ibut ion 2.5 canada

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QU’EST-CE QUE L’ÉTHIQUE?Ce n’est pas la déontologie, outil de contrôle des comportements selon des normes, accompagné de possibilités de sanction en cas de désobéissance

C’est un espace de liberté qui conduit à faire des choix au plus près de nos valeurs : « La pratique réfléchie de la liberté » (Michel Foucault)

Elle met en cause l’identité (morale), les valeurs personnelles et collectives, la réflexion sur le sens de nos actions et leur impact notamment sur le futur (éthique de la responsabilité) et sur les autres, les plus vulnérables (éthique de la sollicitude)

Quand les règles morales et la déontologie ne suffisent pas à aider nos décisions : tout repose sur le jugement moral, le for intérieur, la conscience. 1% de liberté!

La visée d’une vie bonne, pour et avec autrui, dans des institutions justes (Paul Ricoeur)

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ÉTHIQUE ET RECHERCHE SCIENTIFIQUERecherche = un monde peuplé d’acteurs, d’institutions, d’objets, d’argent : des choix sont constamment à faire = l’éthique est cruciale

1. Éthique de la recherche avec des participants humains : inspirée de la bioéthique, elle s’occupe de la protection des droits des personnes qui participent aux projets de recherche (mais aussi des chercheurs et de leurs employeurs, pour éviter des poursuites)

2. Éthique de la recherche fondamentale ou intégrité scientifique ou intégrité en recherche ou conduite responsable de la recherche : l’idéal de la pratique scientifique

3. Responsabilité sociale des chercheurs et des universités : penser le lien entre la science et la société

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1. ETHIQUE DE LA RECHERCHE AVEC DES PARTICIPANTS HUMAINS

- Après la Seconde guerre mondiale

- En recherche biomédicale surtout

- Au Canada et aux Etats-Unis : pour tous les projets qui impliquent des êtres humains, y compris en sciences sociales

- Principes de base : protéger la confidentialité des données recueillies (le lien de confiance), informer adéquatement les personnes des risques et inconvénients de leur participation à un projet de recherche pour qu’elles prennent une décision éclairée et sans pression

- Affaire Markingson aujourd’hui à l’Université du Minnesota- Il faut que le projet propose un bon équilibre entre les

avantages et les inconvénients et que cet équilibre respecte la dignité des personnes.

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UNE INFRASTRUCTURE EN ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE AU CANADA

- Trois organismes canadiens ont produit en 1998 /2010 un énoncé de politique en éthique de la recherche : des normes à connaître pour tous les chercheurs qui travaillent avec des êtres humains!

- D’autres organismes sont impliqués, comme le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec : les textes normatifs

- Les universités et centres de recherche doivent mettre sur pied des comités d’éthique de la recherche – sinon, pas de financement de leurs chercheurs

- Ces derniers, et leurs étudiants post-gradués, doivent faire approuver leur projet par le comité d’éthique, sinon pas d’accès à leurs fonds de recherche ou pas de diplôme

- Des didacticiels ont été produits pour aider les membres des comités d’éthique à comprendre les textes normatifs, mais peu d’efforts pour former les chercheurs et encore moins pour informer les citoyens.

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UN PROCESSUS COMPLEXEDu point de vue du comité d’éthique:

- Composition

- Responsabilité et mandat

- Conflits d’intérêt

- Difficultés de communication

- Faire le suivi (les chercheurs font-ils ce qu’ils disent?)

- Manque de ressources pour la formation

- Ne peut se prononcer sur la pertinence sociale

Bilan : un comité de vérification des normes plutôt qu’un comité d’éthique

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DU POINT DE VUE DU CHERCHEUR

Un formulaire à remplir : bureaucratisation de la réflexion éthique, même si c’est un moment important et utile.

Concevoir et montrer au comité :

- Le formulaire de consentement

- Le feuillet d’information

- Tous les questionnaires

- Les annonces de recrutement

- Les ententes avec les organisations partenaires

Répondre aux questions et refaire ses devoirs…

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L’INTÉGRITÉ SCIENTIFIQUE« The growing body of research on research integrity clearly shows that the public’s investment in research is not adequately protected from irresponsible practice. Research is not uniformly “conducted with the highest ethical and intellectual Standards. » (Stenek 2006)

Trois délits principaux : fabrication de données, falsification de données, plagiat

De plus en plus de fraudes sont découvertes : affaire Stapel. Sur les 137 articles que le chercheur en psychologie Diederik Stapel a publiés, 55 contiennent des données inventées ou trafiquées.

Ces articles ont été retirés, « rétractés ». Retraction watch, un site pionnier.

Une étude récente: sur les rétractations des 10 dernières années, 63% l’ont été pour des causes d’inconduite (et non des erreurs de bonne foi).

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POURQUOI CES FRAUDES?

Ambition individuelle/pomme pourrie ou effet du système de financement de la recherche (partenariat avec le privé, subventions insuffisantes de l’État)?

Dans une des premières enquêtes, 15% des biologistes interrogés avaient changé leurs données ou leurs résultats sous la pression de leur source de financement. « La pression sur les chercheurs (de publier de bons résultats) se renforce dans un contexte de compétition accrue ».

INSERM en France : un dispositif d’alerte (whistleblowing) a permis de traiter 20 cas par année. « Ce sont des gens pressés, qui dérapent parce qu’ils pensent qu’une promotion, un poste ou une subvention va leur échapper »

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RÉPONSES DES UNIVERSITÉSEn général, approche déontologique : liste de comportements indésirables de la part des chercheurs: plagiat, fraude, falsification de données. Peu de réflexion ou d’analyse sur les causes de ces « inconduites » : ça donne des déclarations de vertu qui n’ont que peu d’effets..

Règlement sur les conflits d’intérêts : intéressant, mais sont-ils suivis?

Les universités foncent tête baissée dans l’économie du savoir et certaines semblent prêtes à fermer les yeux ou même à abandonner leurs chercheurs intègres : Nancy Olivieri au Canada.

Autre approche : transformer la culture scientifique dominante en formant les chercheurs à l’histoire, la sociologie et l’économie de la science pour qu’ils soient moins naïfs, plus avertis des pièges, conscients de leurs responsabilités vis à vis des citoyens : miser sur la responsabilité sociale.

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LA RESPONSABILITÉ SOCIALE

La responsabilité sociale des chercheurs : avoir le souci des conséquences de ses travaux scientifiques, ne pas se dire « après moi, le déluge ». Être conscient de la portée de ses choix (sujet de recherche, lieux de diffusion, langue, jargon, etc.), se sentir inscrit dans une cité. Cf. science et guerre (nucléaire).

La responsabilité sociale des universités : rayonnement dans la communauté locale ou obsession pour la compétition internationale? Céder à l’idéologie du management ou se centrer sur les besoins de sa communauté? S’impliquer ou non dans les grands débats de société?

Responsabilité sociale de l’État : dans sa définition d’une politique scientifique au service du bien commun. Cela exige d’intégrer les débats publics et le point de vue des citoyens à la réflexion sur « la science que les citoyens veulent » : rapports avec l’industrie, les PME, la société civile, les priorités, les projets financés et l’accès aux publications scientifiques, entre autres.

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RESPONSABILITÉ SOCIALE DES CHERCHEURS

- Ne pas confondre rigueur intellectuelle et intégrité avec neutralité et indifférence aux conséquences : perdre cette naïveté et comprendre la place de la science dans la société et l’État avant d’agir.

- Adopter plutôt une éthique de la responsabilité (Hans Jonas) : se soucier de l’impact de nos travaux sur le monde. Faire preuve de réflexivité sur le sens du travail scientifique: quelles finalités? Pourquoi ce sujet de recherche plutôt que tel autre? Pourquoi cette méthode?

- Faire des choix délibérés sur la publication : science ouverte ou non, carriérisme ou partage des connaissances, science citoyenne ou confinée au laboratoire.

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RESPONSABILITÉ SOCIALE DES UNIVERSITÉSOffrir à ses chercheurs et étudiants gradués une formation SUR LA SCIENCE et pas seulement dans leur discipline scientifique. Leur offrir cet espace de réflexivité sur leurs choix scientifiques.

Ne pas faire de compromis sur l’intégrité en échange d’argent – sortir de la culture marchande du savoir

Assurer quand même les ressources minimales à ses chercheurs, en particulier accès à Internet et du temps pour travailler sur leurs travaux (bourses ou dégagement) – et faciliter certaines tâches connexes :

- Accès à une bibliothèque virtuelle de qualité (ressources numériques en accès libre)

- Formation sur les outils numériques (traitement de texte, logiciels d’analyse de données, logiciels bibliographiques)

- Suivi attentif des progrès et des besoins

- Promesse de la valorisation du travail accompli par un dépôt institutionnel

- Mise en place de relations de partenariat entre l’Université et sa collectivité externe:

• Les groupes communautaires ou de la société civile• Les petites entreprises• L’appareil d’État (section communale à ministère)

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RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ÉTATDoter le pays d’une politique scientifique orientée vers le bien commun, même avec peu de ressources

- Offrir des moyens financiers aux étudiants et chercheurs

- Privilégier la science ouverte

- Mobiliser les chercheurs autour de grands projets scientifiques pertinents collectivement, sans leur imposer de ligne directrice trop rigide

- Favoriser les collaborations et rencontres en encourageant colloques et équipes

- Stimuler la culture scientifique en appuyant le journalisme scientifique et les activités scientifiques pour les jeunes

- Valoriser les savoirs locaux et patrimoniaux

- Et surtout, avoir comme objectif ultime le débat public sur les enjeux de la politique publique scientifique : la démocratie scientifique

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DÉBATTRE DES POLITIQUES SCIENTIFIQUES

Le point crucial de la démocratie scientifique :

- Méthodes délibératives et participatives : « Il nous faut donc inventer ensemble des modalités de veille sociale et d'arbitrage démocratique des projets d'innovations biomédicales » (Emmanuel Hirsch)

- Débat au Parlement, pour informer et sensibiliser les députés sur les enjeux de la science locale

- Provoquer des rencontres égalitaires entre scientifiques et citoyens : dialogue ou travail collaboratif

Rôle de la société civile dans le domaine scientifique:

- Vigilance face aux politiques scientifiques des gouvernements

- Action pour stimuler le dialogue science et société, entre le monde scientifique et le reste de la société : rappeler aux scientifiques qu’ils sont des citoyens et que la science est un bien commun qui ne leur appartient pas!