etablissement des faits sur des violations du droit
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Etablissement des faits sur des violations du droit international
humanitaire. Pratique récente et l’avenir de la Commission
Internationale Humanitaire d’Etablissement des Faits- Quelques
considérations
Stelios Perrakis
Etude dédiée au Professeur Paul Tavernier
A paraitre aux «Mélanges» Paul Tavernier (2011)
Professeur des Institutions Internationales et Européennes à l’Université Panteion d’Athènes;
Chaire J. Monnet “ad personam” “Démocratie et Droit de l’Homme dans l’UE; Chaire UNESCO
« Démocratie, droits de l’homme et paix » ; Directeur du Centre Européen de Recherches et de
Formation des Droits de l’Homme et de l’Action Humanitaire; Membre de la Commission
Internationale Humanitaire d’Etablissement des Faits ; Membre de la Commission d’Enquête sur le
Liban du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (septembre-novembre 2006).
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Etablissement des faits sur des violations du droit international humanitaire.
Pratique récente et l’avenir de la Commission Internationale Humanitaire
d’Etablissement des Faits- Quelques considérations
Stelios Perrakis
I. Remarques liminaires
1. Les missions d’enquête internationale pour l’établissement des faits (fact-
finding) apparaissent aujourd’hui, assez fréquemment, comme le moyen (non
juridictionnel) de constater les violations des engagements internationaux des Etats –
et autres acteurs non étatiques – dans le domaine du Droit International Humanitaire
(DIH) ; là, où une situation de crise ouverte– incluant le recours à la force – appelle à
l’intervention de la communauté internationale. Effectivement, durant les deux
dernières décennies, à des occasions et des situations différentes, la création des
plusieurs missions d’enquête internationale affirme la volonté politique des diverses
instances de l’ONU et autres institutions internationales, d’exercer un certain contrôle
sur les obligations internationales que les parties à un conflit devraient respecter.
2. De l’autre côté, la Commission Internationale Humanitaire d’Etablissement des
Faits (CIHEF), instituée au titre de l’article 90 du Protocole I de Genève de 1977
relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, 20 ans après sa
création, attend – en vain? – toujours d’être sollicitée pour une mission, un mandat
qu’il allait donner, enfin, action, à la seule existante aujourd’hui institution
conventionnelle de contrôle international en matière de DIH.
Professeur des Institutions Internationales et Européennes à l’Université Panteion d’Athènes;
Chaire J. Monnet “ad personam” “Démocratie et Droit de l’Homme dans l’UE; Chaire UNESCO
« Démocratie, droits de l’homme et paix » ; Directeur du Centre Européen de Recherches et de
Formation des Droits de l’Homme et de l’Action Humanitaire; Membre de la Commission
Internationale Humanitaire d’Etablissement des Faits ; Membre de la Commission d’Enquête sur le
Liban du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (septembre-novembre 2006).
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3. Par ailleurs, depuis l’affirmation que les droits de l’homme (DH) s’appliquent en
période de conflits armés, et, après qu’il y a eu une élaboration significative – en fait
et en droit – sur les rapports entre les deux branches de droit international – DH et
DIH – d’application cumulative et convergente dans des situations précises, la
question de la violation du DIH va de pair avec la violation des DH1. Cette conception
se dégage formellement par l’attitude répétée constamment par les organes onusiens
(p.e. Conseil de Sécurité, Assemblée Générale, Conseil des Droits de l’Homme).
Ainsi, quand un de ces organes décide de procéder p.e. à l’institution d’une mission
d’enquête internationale, afin d’établir les faits sur des violations signalées lors d’un
conflit armé ou d’une situation de crise humanitaire encadrée par des activités
violentes des forces armés contre des populations civiles, le mandat donné comporte à
la fois un fact-finding sur les violations alléguées DH et DIH. Il est intéressant à
noter, que de cette constatation n’échappe pas du contrôle des organes nettement
qualifiés des DH, comme p.e. le Conseil des Droits de l’Homme, sans compétence –
statutaire à priori – au DIH.
4. De l’ensemble des initiatives surtout des Nations Unies, mais aussi de l’Union
Européenne etc. quant au contrôle du respect du DIH moyennant une enquête
internationale – une activité qui fonctionne indépendamment et sans aucun rapport
avec le fact-finding organisé par des ONG (notamment les Human Rights Watch,
Amnesty International) – découlent certaines constatations à considérer quant à
l’efficacité de l’intervention de la communauté internationale dans ce domaine, y
compris de la CIHEF.
Mon propos vise à évaluer, d’une manière critique et sommaire, quelques traits et
éléments caractérisant les missions d’enquête récentes quant à la forme, le contenu et
le suivi de leurs constatations et/ou recommandations. Quelles leçons tirés par les
missions en question et leurs produits (rapports) ? Quid pour la mise en œuvre du DIH
et l’efficacité de l’action eu égard du respect du DIH ? Dans ce contexte y-a-t-il
encore un avenir pour la CIHEF ?
1 Voir S. Perrakis, Le droit international humanitaire et ses relations avec les droits de l’homme.
Quelques considérations, dans P. Tavernier, J.M. Henckaerts (sous la dir.), Droit international
humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporains, Bruylant, Bruxelles, 2008. 115-136 ; du même,
L’application des droits de l’homme en temps de conflit armé et leur articulation avec le droit
international humanitaire : état de la question et aspects jurisprudentiels, dans S. Perrakis, M.-D.
Marouda (ed.), Armed conflicts and international humanitarian law. 150 years after Solferino : acquis
and prospects, ed. Ant. N. Sakkoulas, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 75-107.
4
II. L’enquête internationale comme institution et les investigations
internationales pour violations du DIH, mais aussi des DH : approche générale et
quelques délimitations
a) L’enquête internationale
5. L’enquête internationale, ancienne institution du droit international2, constitue
d’abord une méthode – souple et non judiciaire – de constater les faits d’une situation
conflictuelle et, partant, contribuer au règlement pacifique des différends
internationaux3. Utilisée au cours du 20ème siècle dans des affaires importantes
interétatiques ou dans le cadre des organisations internationales4 s’est vue
institutionnalisée avec le temps5, l’enquête figure à la Charte de l’ONU dans le cadre
du règlement pacifique des différends (Chapitre VI, art. 33 §1) comme un des moyens
politiques/diplomatiques pour réglementer un litige interétatique. En effet, il
appartient aux parties à un différend de choisir l’option de l’enquête internationale
pour la solution d’un litige, et d’instituer à cet égard, par accord spécial, une
commission d’enquête ; l’accord doit déterminer la mission et son mandat, les
conditions de fact-finding (terms of reference), la durée etc.
6. Une des questions importantes qui se pose, à ce niveau d’approche, c’est si
l’établissement des faits serait accompagné des conclusions quant à la responsabilité
internationale des parties concernées. En effet, le fait signalé comme étant une
violation du droit international (humanitaire) ne signifie, en même temps, que la partie
– commise la violation en question – est-elle responsable avec tout que cette
constatation implique? La réponse à cette question intéresse les parties au litige, vu le
fait que le rapport dressé à l’issue de l’examen de l’affaire n’a pas un effet obligatoire.
7. Il importe de signaler, que l’enquête internationale, comme institution de
contrôle, a connu, avec le temps, un développement extraordinaire, sous forme
diverse, ayant une base conventionnelle et notamment dans le cadre des activités des
2 Voir N. Politis, Les commissions internationales d’enquête, RGDIP, 1912. 149-188.
3 T. Bensalah, L’enquête internationale dans le règlement des conflits, LGDJ, 1976.
4 Le fact-finding a toujours été un moyen effectif pendant des crises internationales, voir la
« Commission of Investigation concerning greek frontier incidents » (UN doc. S/360, 27 May 1947)
créée par le Conseil de Sécurité de l’ONU (Rés. 15, 19 décembre 1946) lors de la guerre civile en
Grèce pour enquêter les allégations du gouvernement grec quant’ à l’intervention implicite des pays
voisins par le biais de fourniture d’armes aux rebelles. 5 K.-J. Partsch, Fact-finding and inquiry, Encyclopedia of Public International Law, ed. by R.
Bernhardt, 1981, vol. 1, pp. 61-62; G. Fischer, D. Vignes, L’inspection internationale: 15 études de la
pratique des états et des organisations internationales, Bruylant, Bruxelles, 1976.
5
organisations internationales en matière des droits de l’homme etc.6 Dans ce domaine,
l’enquête couvre à la fois fact-finding et monitoring.
En revanche, la qualification des faits p.e. comme crimes de guerre ou crimes
contre l’humanité, nécessite une investigation juridique plus approfondie quant’ à la
responsabilité pénale individuelle et les poursuites pénales au niveau national ou
international.
b) Investigations internationales et DIH
8. Les procédures d’enquête pour établir les faits, on les retrouve, par excellence,
dans le cadre du DIH et notamment de sa mise en œuvre. En effet, les états partis aux
Conventions de Genève de 1949 s’engagent (art. 1) « de respecter et de faire respecter
en toute circonstance les règles du DIH ». Cette obligation conduit à un contrôle sur le
respect des engagements qu’impose le DIH. Or, après une première introduction à la
Convention de Genève de 1929 sur les blessés et les malades (art. 30), l’enquête fut
insérée dans les quatre Conventions de Genève de 1949 (arts. 52/53/132/149
respectivement)7.
L’enquête prévue aux Conventions de 1949 reste unilatérale et son déclenchement
demeure un privilège d’une partie au conflit, même si, par la suite, les modalités d’un
tel exercice nécessitent le consentement des parties.
9. Sous cet angle, il importe de rappeler que la mise en œuvre du DIH et
l’évaluation des faits sont étroitement liées, abstraction faite du développement et de
l’évolution pluridimensionnelle des missions de l’établissement des faits. Selon une
première approche – nationale – il faut distinguer l’enquête unilatérale engagée par un
Etat, notamment dans des situations d’après-conflit. Dans ce cas, les conclusions d’un
tel exercice pourraient s’avérer un outil significatif pour le rétablissement de la paix et
6 E. Decaux, Droit international public, 7ème éd., Dalloz, 2010, pp. 315-319 ; N. Quom Dinh ; P.
Dailler, A. Pellet, Droit international public, 7ème éd., LGDJ, 2002, pp. 834 ss. 7 S. Villé, Les procédures internationales d’établissement des faits dans la mise en œuvre du droit
international humanitaire, Bruylant/Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1999 ; K.
Obradovic, Les mécanismes d’enquête et de constatation des violations du droit humanitaire, dans La
guerre aujourd’hui, Berger-Levrault, Paris, 1986, pp. 187-214 ; D. Weissbrodt, The role of international
organizations in the implementation of human rights and humanitarian law in situations of armed
conflicts, Vanderbilt Journal of Transnational Law, 1988, pp. 319 ss. ; S. Ihrai, Les mécanismes
d’établissement des faits dans les Conventions de Genève de 1949 et dans le Protocole de 1977,
Travaux du Centre d’Etudes de l’Académie de Droit International de la Haye, M. Nijhoff Publishers,
1986, pp. 153-168 ; Y. Sandoz (sous la dir.), Les moyens de mise en œuvre du droit international
humanitaire. Etat des lieux, analyse des problèmes et éléments de réflexion, IIDH, Genève, 2005.
6
de conciliation dans le pays, accepté par tous les intéressés. Dans ce sens, les
Commissions de vérité, qu’on a un apparaitre ici et là, constituent des exemples de
bonne pratique.
10. En outre, des Commissions d’enquête à dimension nationale étaient constituées
aussi à l’initiative des gouvernements. Telle était p.e. la Commission Winograd en
Israël, instituée pour enquêter sur la « campagne militaire » au Liban, l’été 2006, qui a
remis au Premier Ministre Olmert un premier rapport intérimaire, le 30 avril 2007 et
son rapport final le 30 janvier 20088.
11. Bien entendu, en matière du DIH, c’est le CICR l’acteur le plus important dans
les enquêtes d’établissement des faits. Avec une autorité majeure, dérivée directement
du droit de Genève (Conventions de 1949 et ses Protocoles de 1977), le CICR,
agissant avec discrétion et une diplomatie efficace, intervient dans toutes les situations
afin d’assurer la protection des victimes et d’une manière générale dans le but du
respect du DIH dans sa mise en œuvre pour les parties concernées9.
12. La pratique internationale récente – couvrant une période de 20 ans – démontre
que l’enquête internationale relative aux violations du DIH était utilisée, avec un
rythme accéléré, par les organes des Nations Unies. Certes, un tournant constitue la
dissolution de l’ex-Yougoslavie et, partant, la création d’une Commission d’Experts
pour l’ex-Yougoslavie à la suite de la Résolution 780/1992 du Conseil de Sécurité,
dont le mandat visé les violations commises du DIH. Les constatations de cette
Commission sur le conflit yougoslave étaient utilisées par les Nations Unies comme
matériel pertinent de réflexion pour l’institution de l’ICTY en 1993. Par ailleurs, une
autre Commission d’experts fut créée par le Conseil de Sécurité10
, en vue d’examiner
les violations du DIH et les actes de génocide commis au Rwanda en 1994.
13. Mais, déjà, bien avant la fin de la guerre froide, qui marque un renouveau de
l’institution d’établissement des faits, des organes internationaux avaient procédé à
l’organisation des diverses missions d’enquête. Historiquement, un précédent de
valeur, dans ce type des activités, visant à la protection de l’homme, s’était affiché par
la Commission Interaméricaine des droits de l’homme. En effet, bien avant
l’avènement de la Convention Américaine des droits de l’homme en 1969, la
Commission Interaméricaine, agissant comme institution du système interaméricain
8 Voir, New York Times, 30.1.2008.
9 Entre d’autres F. Bugnion, The ICRC and the protection of war victims, Geneva/Oxford, 2003.
10 Res. 935 (1994).
7
des droits de l’homme dans le cadre de l’Organisation des Etats Américains, elle avait
procédé à plusieures missions fact-finding à travers l’Amérique Latine, afin de
constater la compatibilité avec le droit international (DH/DIH) des situations en
question11
.
14. Aussi, après la Résolution 1235 de l’ECOSOC apparaissent – pour la première
fois- des Rapporteurs Spéciaux, dont la mission était d’enquêter sur des situations en
crise. De l’autre côté, par sa Résolution 2443/1968, l’Assemblée Générale de l’ONU
procède à la création du Comité Spécial pour enquêter sur les pratiques israéliennes
affectant les droits de l’homme des palestiniens et d’autres arabes dans les Territoires
Occupés. Un comité, dont la mise en œuvre de son mandat, établissait un pont entre
DIH et DH.
Plus tard, une Commission d’enquête fut créée par la résolution 446 (1979) du
Conseil de Sécurité afin « d’étudier la situation concernant les colonies de peuplement
dans les Territoires arabes occupes depuis 1967, y compris Jérusalem».
15. Il y a d’autres exemples des activités visant à l’établissement des faits pour
violations du DIH, afin d’établir la responsabilité internationale des Etats ou la
responsabilité individuelle des personnes.
Dans le domaine de la justice pénale internationale, les deux Tribunaux ad hoc
pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ainsi de la CPI ont procédé à plusieures enquêtes
d’établissement des faits, afin de conclure sur des crimes perpétrés et mettre au clair
la responsabilité individuelle correspondante à des personnes accusées des violations
du DIH.
De son côté, la CIJ – qui déjà dans le passé avait fait l’expérience12
– après une
enquête approfondie, elle a conclu, le 19 décembre 2005 dans l’affaire
Congo/Uganda, que la partie défenderesse avait violé ses obligations en vertu du
DIH, lors de l’occupation de la région de Bunia.
c) Les enquêtes relatives aux violations des DH simultanées à celles du DIH : de
la Proclamation de Téhéran au présent
11
À cet égard, voir l’œuvre classique de K. Vasak, La Commission Interaméricaine des droits de
l’homme, LGDJ, Paris, 1968. Aussi, L. Hennebel, La Convention Américaine des droits de l’homme :
Mécanismes de protection et étendue des droits et libertés, Bruylant, Bruxelles, 2007. Voir, sous un
autre angle, M. Mutangi, Fact-finding missions or omissions : a critical analysis of the African
Commission on Human Rights and Peoples Rights and lessons to be learnt from the IACHR, East
African Journal of Peace and Human Rights, vol. 12, 2006, p. 1-48. 12
Affaire Nicaragua, arrêt du 27.6.1986.
8
16. A partir, donc, d’une certaine période, qui affirme la volonté politique de la
communauté internationale – au moins au niveau des déclarations – de faire face à des
situations de crise et des violations graves du DIH, ainsi que des violations flagrantes
des DH, se développe graduellement une série d’enquêtes internationales, moyennant
divers instruments d’action et des organes. Désormais, une certaine politique en la
matière émerge dans le domaine de la protection internationale des droits de l’homme,
liée ou non avec l’énoncé des droits.
17. Promoteur dans cette action et politique s’est révélée la Commission des Droits
de l’Homme de l’ONU13
, sans méconnaître le rôle d’autres instances internationales,
au niveau international voir universel, et régional, notamment le Conseil de
l’Europe14
.
18. En outre, après 1990, on remarque une insistance du Conseil de Sécurité à de
références cumulatives aux DH et DIH15
. Cette attitude politique, qui fut accentuée en
particulier après l’Avis « Mur » de la Cour Internationale de Justice (2004) et ses
éclaircissements sur les relations DH-DIH16
– est partagée par le Secrétaire Général et
l’Assemblée Générale de l’ONU.
19. En tout état de cause, c’est le Conseil des Droits de l’Homme, qui après sa
création en juin 2006, développe, dans son action pluridimensionnelle, l’examen
systématique des violations DIH et DH17
.
20. Toutefois, bien avant l’avènement du CDH, les organes juridictionnels dans les
systèmes régionaux de protection des DH, en tête la Commission et la Cour
Interaméricaines des DH avaient prises le devant dans cet exercice (voir l’affaire
exemplaire « La Tablada »)18
. D’ailleurs, elle appartient aux organes interaméricains
13
Voir p.e. La question des violations des Droits de l’Homme dans les Territoires arabes occupés, y
compris la Palestine, UN doc. E/CN.4/2002/L.16, 9 avril 2002. B. Ramcharan, International law and
fact-finding in the field of human rights, M. Nijhoff Publ., 1982; I. Nifosi, The UN special procedures
in the field of human rights, Intersentia, 2005 ; J. Gutter, Thematic procedures of the UN Commission
of Human Rights and international law: in search of a sense of community, Intersentia, 2006. 14
Pour une vue d’ensemble voir A. Weber, Les mécanismes de contrôle non contentieux du respect
des droits de l’homme, Pedone, Paris, 2008. 15
Notamment ses résolutions 1590 (2005) et 1706 (2006) sur le Darfour. 16
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ
Recueil 2004, §106. Voir aussi l’arrêt Congo/Uganda, CIJ Recueil 2005, §§178, 180, 211. 17
A. Duernsteiner, The debate on the new Human Rights Council, Revue de la Sécurité Humaine,
vol. 8, 2009, p. 33-41; P. Alston, j. Morgan-Foster, W. Abresch, The competence of the UN Human
Rights Council and its special procedures in relation to armed conflicts: extrajudicial executions in the
“War on Terror”, 19 EJIL, 2008. 183-209; J. Gutter, Special procedures and the Human Rights
Council: achievements and challenges ahead, 7 Human Rights Law Review, 2007, p. 93 18
Voir affaire Abella, rapport no 55/97, 18.11.1997, dans le rapport annuel de la Commission
Interaméricaine des DH, 1998, §§155-156. Aussi, L. Zegveld, Commission Interaméricaine des droits
9
le mérite d’avancer, les premiers, vers cette approche interprétative, à savoir d’utiliser
les instruments DH, y compris la Convention Américaine des droits de l’homme, pour
faire appliquer les règles DIH19
.
III. L’enquête internationale d’établissement des faits : typologie
institutionnelle, mécanismes et fonctions
a) L’encadrement juridique
21. L’enquête internationale d’établissement des faits trouve aujourd’hui sa source
juridique soit à un traité international, soit sur une base extra-conventionnel20
. Dans le
deuxième cas, elle est fondée sur des différends instruments adoptés au sein ou dans
le cadre d’une organisation internationale. Sous ce deuxième angle, la situation à
Darfour s’est présentée – entre autres – comme un bon exemple21
.
b) Principes et lignes directrices
22. L’expérience acquise, à côté de la problématique développée par la doctrine,
amena certains acteurs internationaux d’entreprendre la codification des directives et
principes existant en matière d’établissement des faits. Le résultat de cet exercice fut
impressionnant et fort utile. A cet égard, se distinguent trois instruments, de valeur
juridique inégale, à savoir :
- le Rapport final sur les commissions internationales d’enquête [Institut de Droit
International (1984)]
de l’homme et droit international humanitaire : commentaire sur l’affaire « La Tablada », RICR, 1998,
p. 543-550. 19
F. Martin, Application du droit international humanitaire par la Cour Interaméricaine des droits
de l’homme, RICR, 2001. 1037-1055. 20
Voir J. Gomez del Prado, Extra-conventional protection of human rights, in F. Gomez Isa, K. de
Fayter, International protection of human rights: achievements and challenges, Bilbao, 2006, pp. 285-
356; A. Weber, Les mécanismes de contrôle non contentieux du respect des droits de l’homme, op.cit. 21
Déjà en 2006, après avoir organisé une session spéciale sur la situation des DH au Darfur,
inquiété par les violations DIH/DH dans la région de Darfur, décida de dépêcher d’urgence une mission
sur place, conduite par le Rapporteur Spécial sur la situation des DH au Soudan (UN doc. A/HRC/S-
4/L.1, 4.12.2006).
10
- la Déclaration sur l’établissement des faits par l’ONU dans le domaine du
maintien de la paix et la sécurité internationales [Assemblée Générale de l’ONU, Rés.
46/59 (1991)]22
- les Directives pour la conduite des Enquêtes des Nations Unies relatives à des
allégations de massacres (1995)
c. Pratique récente
23. C’est le Conseil de Sécurité, dans la plupart des cas, qui créa, d’une manière
autonome ou par le biais du Secrétaire Général, des diverses commissions d’enquête
relatives à des violations graves du DIH/DH, dont le mandat s’imposait aux parties
aux conflits concernés. Le but de ses missions était de fournir au Secrétaire Général
les éléments d’information, ou qui allaient permettre au Conseil de Sécurité de
disposer de tous les éléments de la cause, afin de pouvoir dégager une décision à cet
égard. Dans cet exercice, la question de la responsabilité pénale individuelle, parfois,
entrait en jeu, rendant la décision sur la situation en crise plus éloquente (p.e. au sujet
de la création des Tribunaux ad hoc, ou du Darfur).
24. Outre l’action dynamique en la matière du Conseil des Droits de l’Homme,
depuis sa création en 2006, il faut rappeler que des enquêtes d’établissement des faits
étaient organisées assez couramment dans d’autres contextes des activités
internationales. Ainsi, dans le cadre du règlement interétatique des différends p.e.
l’arbitrage entre Erythrée et l’Ethiopie illustre la question. Effectivement, la
Commission des réclamations instituée par les deux pays pour trancher des questions,
entre autres, des violations du DIH pendant le conflit qui les opposa, après avoir
effectué une enquête, elle constatait que des violations du DIH étaient commises et
que la partie responsable devait réparer voir indemniser les dommages subis.
25. D’une pratique récente riche des enquêtes d’établissement des faits relatives à
des violations du DIH, voici quelques exemples :
- Commission d’enquête des droits de l’homme sur la Palestine (2001)
- Commission internationale d’enquête sur le Timor Est (2004)
- Commission internationale d’enquête sur la Côte d’Ivoire (2004)
- Commission internationale d’enquête sur le Darfour (2004), suite à la résolution
1564 (2004) du Conseil de Sécurité pour « enquêter immédiatement sur les
22
A. Besg, The 1991 Declaration on fact-finding by the UN, EJIL, 1993. 107-114.
11
informations faisant état de violations du droit international humanitaire et des
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme par toutes les parties dans le
Darfour » et « pour déterminer également si des actes de génocide ont été lieu ». Suite
au rapport de la Commission, dite « Cassese », le Conseil de Sécurité par sa
Résolution 1593(2005), a déféré la situation dans le Darfur devant la CPI.
- Commission d’enquête sur le Liban, créée pour examiner des violations
commises lors du conflit de juillet-août 2006 au Liban, suite à la Résolution S-2/1 du
Conseil des Droits de l’Homme. La Commission –composée de 3 membres- a soumis
son rapport23
avec les constatations des violations du DIH et des DH de la part
d’Israël et avançait quelques recommandations pour y remédier la situation24
. A
signaler la non coopération d’Israël avec la Commission, considérant son mandat
comme partial.
- Mission de Haut-Niveau sur la situation des droits de l’homme à Darfour, à la
suite de la décision S-4/101 du Conseil des Droits de l’Homme. La MHN, composée
de 5 membres, dans son rapport, eu égard aux événements factuels rencontrés sur le
terrain, elle a présenté des conclusions sommaires, tant en insistant sur le besoin, voir
l’obligation évidente et urgente de la communauté internationale, d’exercer sa
responsabilité de protéger25
. Tout en adressant des recommandations à l’égard du
gouvernement soudanais, ainsi qu’aux mouvements rebelles, la MHN essentiellement
s’adresse à la communauté internationale avec une plaidoirie en faveur d’une mise en
marche de la nouvelle institution « responsabilité de protéger »26
.
- Mission d’établissement des faits sur le conflit de Gaza, conduite par le juge R.
Goldstone, suite à la Résolution S-9/1 du CDH de 27 février 2009. Le rapport dit
« Goldstone »27
, ayant constaté des violations du DIH et des DH de la part des deux
parties au conflit, notamment d’Israël, une fois adopté par le CDH, le 16 octobre 2009
(Rés. S-12/1), il était soumis à l’Assemblée Générale, où il fut approuvé par celle-ci,
avec 98 des voix en faveur, 9 contre et 31 abstentions.
La valeur ajoutée de la résolution sur Gaza adoptée par l’Assemblée Générale –
intéressant d’ailleurs plus globalement l’institution de l’enquête/fact-finding – fut le
23
UN doc. A/HRC/3/2, 23 novembre 2006. 24
James Stewart, The UN Commission of Inquiry on Lebanon: A Legal Appraisal, Journal of
International Criminal Justice, vol.5, no.5, 2007, 1039-1059 25
Voir A/HRC/4/80, 9 mars 2007. 26
Sur le concept et la mise en œuvre de cette institution voir SFDI, La responsabilité de protéger,
Colloque de Nanterre, Pedone, Paris, 2008. 27
UN doc. A/64/L.11, 2.11.2009.
12
suivi imposé aux parties concernés. En effet, l’Assemblée demanda, d’abord, à Israël
et aux Palestiniens d’enquêter, en conformité avec les standards internationaux, sur
les violations graves du DIH et des DH constatées par la Commission, en assurant
justice et « imputabilité ». En deuxième lieu, elle a recommandé à la Suisse de
convoquer – en tant que dépositaire de l’IVème Convention de Genève relative à la
protection des civils en temps de guerre – une Conférence des Parties-contractants,
qui prendra des mesures de mise en œuvre de l’IVème Convention dans les Territoires
palestiniens occupés, y compris Jérusalem de l’Est. Enfin, elle demanda, que le
Secrétaire Général soumette à l’Assemblée un rapport de suivi, dans les 3 mois qui
suivent, sur la mise en œuvre de la résolution. Le rapport du Secrétaire Général sur le
suivi de l’affaire fut communiqué le 4 février 2010 ; ses observations constataient le
début des processus entamés par les parties intéressés28
.
De sa part, l’Assemblée par une deuxième résolution – suivi relative au rapport
Goldstone, le 26 février 201029
, insistait sur le besoin que les parties concernées
appliquaient ses demandes/recommandations.
Il est à mentionner qu’en mars 2011, le CHD a créé un Comité d’experts
indépendants de l’ONU, chargé d’évaluer les enquêtes « nationales » menées par
Israël et les Palestiniens sur les violations graves des DIH/DH constatées lors du
conflit à Gaza. Le 21 septembre 2010, le Comité présidé par C. Tomuschat a estimé
que « les enquêtes restent incomplètes », ou « ne correspond pas aux standards
internationaux ». A signaler à cet égard, le manque de coopération de la part
d’Israël30
.
- Une mission d’enquête particulière fut établie par l’UE, à l’ occasion du conflit
de Géorgie. En effet, par la décision 2008/901/PESC du 2 décembre 2008, le Conseil
de l’UE décida de former une Mission Internationale Indépendante d’Etablissement
des Faits sur le conflit en Géorgie, dont le mandat était d’enquêter sur les questions
posées relatives au droit international, le droit humanitaire et des droits de l’homme,
ainsi qu’aux allégations se référant à des crimes de guerre commis par des parties au
conflit. Le rapport de l’ IIFFMCG, conduite par l’ambassadrice suisse H. Tagliavini,
était rendu public en septembre 2009.
28
UN doc. A/64/65. 29
UN doc. A/64/254. 30
Israël avait organisé plusieures procédures d’enquête, sans pour autant conclure à des violations
des obligations internationales et à la punition des responsables.
13
- La Mission internationale d’établissement des faits pour enquêter sur les
violations du droit international résultant des attaques israéliennes sur la flottille des
bateaux transportant de l’assistance humanitaire à Gaza. Suite aux événements
tragiques de 31 mai 2010 aux larges de Gaza, en haute mer, et en vertu de la
résolution S-14/1 du CDH31
du 2 juin 2010, une Commission d’enquête était établie le
23 juin 2010. Composée des 3 experts, la Commission avait comme mandat
d’examiner « les graves attaques menées par les forces israéliennes contre le convoi
humanitaire de bateaux ». La Commission a soumis au Conseil des Droits de
l’Homme son rapport le 27 septembre 201032
; elle constatait violations du DIH et des
DH par les forces israéliennes et que l’interception en haute mer du navire « Mavi
Marmara » était clairement illégale.
- Il est intéressant que pour le même incident tragique de « la flottille pour Gaza »
le 31 mai 2010, une autre commission avait été créée par le Secrétaire Général de
l’ONU. Ce panel des personnalités fut composé de quatre membres : un ancien
ministre néozélandais, le Président sortant de Colombie et deux représentants d’Israël
et de la Turquie.
- Une autre mission d’enquête, d’un autre mandat et type, fut créée, le 15 juin
2010, par le Secrétaire Général Ban Ki-Moon. Un panel d’experts était chargé
d’examiner les violations du DIH perpétrées pendant le conflit au Sri Lanka. Les 3
experts, originaires de l’Indonésie, de l’Afrique du Sud et des Etats-Unis
respectivement, ont remis leur rapport le 12 avril 2001. Ils émettent un avis sur les
responsabilités dans ce conflit, si complexe, qui a duré près de 30 ans entre forces
gouvernementales et les séparatistes Tigres de libération de l’Eelan Tamal (LTTE). Il
s’agissait, donc, d’une tache plus compliquée qu’un simple fact-finding; établir les
faits après la fin déclarée du conflit interne en 2009, afin de constater les violations du
DIH, puis qualifier certains actes comme crimes de guerre et dégager les
responsabilités qu’elles incombent aux parties. Le rapport conclue que « des
violations graves du droit humanitaire et des droits de l’homme internationaux ont été
commises à la fois par le LTTE le gouvernement sri-lankais. Le Panel recommandait
que le gouvernement « …réponde aux graves accusations en initiant un processus de
recherche des responsabilités qui débuterait par des véritables enquêtes ». Cela vaut,
31
Adoptée par 32 voix pour, 3 contre et 9 abstentions. 32
Voir doc. A/HRC/15/21, Report of the International fact-finding mission to investigate violations
of international law, including international humanitarian law and human rights, resulting from the
israeli attacks on the flotilla of ships carrying humanitarian assistance.
14
pour le Secrétaire Général que Sri-Lanka devrait assumer sa responsabilité quant à
une suite juridiciaire à cet égard. Affaire à suivre…
- Le 18 mars 2011, le CDH a décidé de créer une commission internationale
indépendante d’enquête pour examiner les allégations relatives aux violations des
droits de l’homme perpétrées à Côte d’Ivoire après les élections présidentielles du 28
novembre 201033
. La situation dans la Côte d’Ivoire avait fait l’objet d’un débat, déjà
en décembre 2010, lors d’une session spéciale du CDH consacrée à ce pays en
relation avec les élections présidentielles, conclue avec l’adoption de la Résolution S-
14/1 du 23 décembre 2010, et demandait au Haut Commissaire aux Droits de
l’Homme de soumettre un rapport34
. Depuis lors, la situation s’est détériorée,
notamment avec des nombreuses attaques contre des civils de la part des forces
adverses dans le pays.
Il est intéressant que le CDH, bien qu’il se réfère dans le dispositif de la Résolution
S-14/1 à des « abus et violations du Droit International des DH et du DIH » dans le
mandat qu’il délimite pour la mission de la Commission d’Enquête, il se limite « aux
sérieux abus et violations des droits de l’homme ».
d. Quelques conclusions sur les commissions d’enquête et les violations du DIH
i. Les défis d’une mission d’établissement des faits
26. De l’examen et de l’analyse minutieuse de l’ensemble des éléments juridiques,
institutionnels et politiques qui entourent une mission d’établissement des faits,
notamment en matière des violations du DIH et tout en tenant compte de la variante
des missions d’enquête dépêchées par les institutions internationales, notamment
onusiennes, de moment de leur désignation jusqu’à la remise de leur rapport à
l’organe qui l’a commandé, ainsi que son suivi, ressortent les observations suivantes.
Sous un angle général
27. Les missions de fact-finding offrent aujourd’hui un moyen rapide – sans la
lourdeur d’un mécanisme juridictionnel – d’avoir des informations qui peuvent
articuler la conviction sur des faits alléguant des violations du DIH.
33
Résolution sur la situation des droits de l’homme à Côte d’Ivoire, UN doc. A/HRC/16/L.33, 18
mars 2011. 34
Voir UN doc. A/HRC/16/79.
15
28. Toute activité d’enquête sans le consentement des pays concernés risque à
soulever des problèmes quant’ au fond des conclusions du travail d’investigation ; de
leur côté, les Etats membres de l’ONU doivent coopérer avec les commissaires
d’enquête, sans entraver leur .
29. Une enquête, lors ou après un conflit, soulève énormément des difficultés,
inhérentes à la nature du fact-finding, à savoir le collecte des informations émanant
des témoins – victimes ou autres – dont parfois les dépositions/témoignages sont de
caractère subjectif partiel ou partial, même faux. Et cela dans des conditions parfois
extrémement difficiles. Cela pose la question des “standards de preuve” 35
Quant à la composition et le mandat d’une Commission d’enquête
- Les membres désignés doivent disposer d’une intégrité morale, capacités
intellectuelles, expérience et forces physiques et psychologiques pour affronter les
défis du terrain. Leur statut est international ; ils agissent à titre personnel, et leur
mission est de caractère publique et sont couverts par les immunités prévues pour le
personnel des NU36
.
- Il va sans dire, que toute enquête doit être assortie de l’indépendance,
l’impartialité et l’objectivité de chaque commission et de ses membres. Adopter un
rapport équilibré sur une conviction solide sur les faits incriminés, constitue un grand
défi pour chaque mission au delà des opinions personnelles des ses membres.
- Toute mission est réglé par son mandat « termes of reference », dont le contenu
précis dépend également, non seulement les conclusions de la mission, mais, aussi,
leur acceptation par l’Etat sous examen.
- Durant leur mandat, de courte durée (2-3 mois), ils doivent fonctionner dans un
respect absolu de l’Etat sous contrôle, et avec confidentialité.
- Les missions (de l’ONU) se déroulent en partie à Genève (préparations, à
plusieurs égards, de la mission, rédaction du rapport) et en partie sur le terrain, au
pays visé par l’enquête.
- Il importe que toute Commission d’enquête dispose de tous les moyens
(logistiques, budgétaires, sécurité etc.), ainsi que de la coopération de tous les acteurs
présents, censés de fournir des informations/témoignages, pour accomplir sa mission.
35
À ce propos, l’Académie de Droit International et des Droits de l’Homme de Genève et Geneva
Call ont entrepris un projet de recherche sur le fact-finding et les « standards de preuve » (Oct
2010-May 2011) 36
Dans les cas des missions « onusiennes ».
16
A cet égard, il faut souligner le rôle positif du Haut Commissariat aux Droits de
l’Homme qui fournit potentiel et ressources humaines.
ii. Le suivi
30. Depuis l’émergence de l’enquête comme instrument international indépendant
et impartial pour l’établissement des faits dans des situations des violations du droit
international, y compris des différends interétatiques, l’élément cardinal dans chaque
exercice d’enquête fut que ses conclusions soient acceptées par toutes les parties
concernées. Puis, qu’il y ait une suite. En effet, le constat d’une mission
d’établissement des faits amène à l’imputation de la responsabilité internationale et
tout que cela implique à l’échelle des conséquences juridiques. Quid, alors ?
31. D’une manière générale, il est certain qu’il y a des problèmes quant’ à la mise
en œuvre des conclusions et des recommandations incluses dans les rapports soumis
et leur suivi. Il y a un sentiment assez répandu que la soumission d’un rapport aux
organes compétents – dans la plupart des cas avec des constatations des violations du
DIH – n’a aucune suite. En particulier, outre l’impact politique –quelconque- à
l’égard de l’Etat « responsable » des violations du DIH, il n’y a pas au niveau
international ou national une suite, qui allait donner un sens aux conclusions du
rapport. Le cadre juridique, institutionnel et politique existant semble à présent
empêcher qu’il y ait une suite effective à une enquête d’établissement des faits, en
assurant la responsabilité internationale des Etats et leur obligation à réparer, ou bien
la responsabilité pénale individuelle. Cette question reste étroitement liée avec la
question capitale de la mise en œuvre du DIH et de la voie à suivre quant à
l’imputation de la responsabilité internationale des états, pour violations de normes du
DIH37
.
Devant une situation pareille, les cas rares, qui ont conduit des institutions
internationales, politiques ou juridictionnelles d’agir, permettent un espoir pour un
avenir avec refus d’impunité, avec réparations aux victimes, avec un respect du droit
international.
37
Sur cette question voir entre autre : Jann.K.Kleffner, Improving compliance with International
Humanitarian Law through the Establishment of an Individual Complaints Procedure, Leiden Journal
of International Law, vol.15/1, 2002, 237-250, Alain Pellet, Can a State Commit a Crime? Definitely,
Yes!, EJIL, vol.10/2, 1999, 425-434, Marco Sassòli, State responsibility for Violations of International
Humanitarian Law, IRRC, no.846, June 2002, 404-434
17
32. On arrive, ainsi, au niveau de l’efficacité de l’action de l’organe qui commanda
l’enquête et de ses résultats. D’un côté, que faire pour le respect du droit international
violé, ou comment assurer son respect? De l’autre côté, que faire pour la réparation
des préjudices commis par des autorités en contradiction/violation des obligations
internationales, qu’états et autres acteurs internationaux doivent assumer ?
Or, dès le début, il s’avérait pertinent pour toute mission et tous les rapports établis
par des commissions d’enquête, que sans la coopération, d’abord, et l’approbation,
par la suite, des Etats/parties intéressés, les résultats de chaque opération
d’établissement des faits – même accablants pour certains Etats – étaient condamnés à
rester minimes – essentiellement politiques et, même, encore sans effet. En avoir un
certain impact à l’opinion publique internationale, ou bien au sein de certaines
institutions internationales demeurant limité. Il est significatif que, dans plusieurs cas
(Liban-2006, Soudan, Gaza etc.), des Etats n’ont pas consenti ou coopéré avec les
Commissions d’Enquête, ou en contestant les conclusions des rapports soumis devant
les organes qui avaient demandé l’enquête ; ou, encore, les recommandations
adressées aux parties responsables.
33. Dans le même contexte des problèmes, se place, parfois, l’action des
Rapporteurs Spéciaux de l’ancienne Commission des DH et à présent du CDH, ou
bien des missions institués par des organes institués onusiens ou autres dont leurs
rapports, n’avaient guère de suite.
Il s’ensuit que, devant une contestation de la part d’un Etat, quant au bien fondé
d’un rapport, ou l’aspect soi-disant unilatéral, voir « partial » de son approche, il y a
peu de chances pour une suite positive qui servirait définitivement, la cause du respect
du droit. Autrement dit, même la mission d’enquête la plus « réussie », ayant établie–
dans les délais impartis – un rapport de qualité, équilibré, juridiquement bien
documenté, avec des éléments de preuve importants, qui ne laissent même pas une
marge de réserve quant à la façon de construire la conviction sur les faits de l’affaire
examinée, risque de se montrer inefficace. Même si les missions d’établissement des
faits sont composées des personnes de haute intégrité, compétentes et vraiment
indépendantes et impartiales et leurs conclusions semblent fondées, sans une attitude
positive de la part des Etats/parties concernées, sans leur consentement, par voie de
conséquence l’accomplissement de leur tache n’ira pas s’associer à la finalité de leur
raison d’être. Ceci démontre le rôle de l’Etat, dans ces situations, de ne pas à aligner
la vérité sur les faits et le respect du droit international.
18
34. Bien entendu, dans cette approche globale des missions d’établissement des
faits, devenues nombreuses les dernières années, il faut distinguer certaines dont les
résultats ne doivent pas se confondre avec les autres, notamment celles dépêchées par
certains organes de l’ONU ou d’autres institutions. Ainsi, l’analyse sous-développée
ne prend pas en considération p.e. les missions organisées par des ONG comme
Amnesty International ou Human Rights Watch, systématiquement intéressées pas les
conflits armés et les violations du DIH commises par les parties belligérantes (voir les
rapports sur Kosovo, Irak, Guantanamo, Liban, Gaza etc.). Même si les ONG – à
travers leurs rapports – jouent un rôle positif dans la mise en œuvre du DIH, il reste
peu de doutes que cette intervention reste politique et n’a que des effets limités.
De l’appréciation globale, il faut exclure, aussi, les cas des enquêtes entreprises
lors de l’examen des affaires devant des instances de la justice pénale internationale
(CPI, tribunaux ad hoc) la CIJ, ou bien des instances juridictionnelles dans le domaine
de la protection internationale des DH. En outre, il faut séparer les cas pour lesquels le
Conseil de Sécurité, après ou même avant l’établissement des faits sur une situation,
décide de procéder à une action précise visant au respect et la mise en œuvre du DIH
(p.e. création des Tribunaux ad hoc, saisine de la CPI à propos de Darfur, Libye etc.).
Egalement, n’entrent pas en ligne de compte les cas de l’arbitrage international
interétatique. Il arrive que les sentences arbitrales, rendues après l’évaluation des faits
ne sont pas appliquées par la partie concernée.
35. Ces remarques sont pertinentes pour l’institution de l’enquête, du moment où
au sein de l’ONU, le Conseil de Sécurité, le Secrétaire Général et surtout le Conseil
des Droits de l’Homme s’engagent fermement dans la voie des enquêtes visant à
évaluer des situations où des allégations des violations du DIH (et DH) ont eu lieu.
Par conséquence, on considère l’établissement des faits comme un instrument censé
rétablir le respect du DIH. Mais, comment, s’il n’y a pas une suite aux constatations
des rapports publiés confirmant les violations – initialement alléguées – du DIH ? Il
s’agit (simplement) d’exercer des pressions politiques sur un Etat, afin de la ramener à
une conduite conforme au DIH ? L’action du Conseil de Sécurité dans les affaires p.e.
de l’ex-Yougoslavie, de Rwanda, du Darfur, de Libye montre des moyens efficaces
pour le respect du DIH. Aussi la saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité c’est une
démarche appropriée et significative pour l’ordre juridique international.
19
IV. La Commission International Humanitaire d’Etablissements des Faits38
a) Le profil : une commission pas comme les autres
36. La CIHEF est la conséquence tardive pour que la communauté internationale se
dote d’un moyen permanent de contrôle des engagements des Etats-parties aux
Conventions de Genève de 1949 « à respecter et à faire respecter, en toutes
circonstances » les principes et les règles du DIH, destinés à protéger les victimes des
conflits. La CIHEF était conçue comme un élément important de la mise en œuvre du
DIH.
37. Prévue par l’art. 90 du Protocole Additionnel I de Genève de 1977, la CIHEF
est instituée en 1991, à la suite de la reconnaissance de sa compétence par 28 Etats
parties dudit Protocole I. A l’occasion, le 25 juin 1991, ont été élus les 15 premiers
membres de la CIHEF pour un mandat de 5 ans. La Commission est devenue
opérationnelle en 1992, après avoir adopté son règlement intérieur, ayant son siège à
Berne. La dernière (4ème) élection de la CIHEF remonte en 2006 et la suivante aura
lieu en décembre 2011.
Son Secrétariat est assuré par le Ministère des Affaires Etrangères de la Suisse, qui
assume également son coup de fonctionnement.
Quelques années plus tard après son avènement, la Commission décida d’ajouter à
son titre le terme « humanitaire », devenue désormais CIHEF. La raison d’être, donc,
de la CIHEF est un reflet d’une mission humanitaire. Son objectif est la protection des
victimes des conflits armés aussi que le respect des normes du DIH.
38. Au fil des années, le nombre des Etats ayant accepté la compétence de la
CIHEF est passé de 48 en 1996, à 58 en 2001 et à 72 aujourd’hui. Cette évolution,
même si elle reste limitée en tenant compte que 175 états, à présent, s’engagent avec
le Protocole I de 1977, a entrainé un nouveau profil pour la composition de la CIHEF.
38
E. Kussbach, Commission Internationale d’établissement des faits, Revue du Droit Militaire et du
Droit de la Guerre, Vol XX, 1981, pp. 78-103 ; du même, The International Humanitarian Fact-Finding
Commission, ICLQ, vol. 43, 1994, pp. 174-185 ; CICR, Commentaire des Protocoles additionnels du 8
juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 aout 1949, M. Nijhoff Publishers, Genève, 1986, pp.
1061-1077 ; S. Vité, La Commission Internationale d’établissement des faits, Mémoire, DES, Genève,
1992 ; Sir K. Keith, International Humanitarian Fact-finding Commission : its potential, Australian
Journal of Human Rights, 1995, pp. 101-108 ; A. Reinisch, The International Fact-Finding Commission
according to art. 90 Additional Protocol I to the Geneva Conventions and its potential enquiry
competence in the Yugoslav conflict, Nordic Journal of International Law, 1996, pp. 241-255 ; F.
Kalshoven, The IHFFC : its birth and early years, dans E. Denters, N. Schrijver (coord.), Reflections on
international law from the low countries, 1998, pp. 201-215 ; L. Condorelli, La Commission
internationale humanitaire d’établissement des faits : un outil obsolète ou un moyen utile de mise en
œuvre du droit international humanitaire ? RICR, vol. 83, 2001, pp. 393-405 ; Ch. Garraway, The
International Humanitarian Fact-Finding Commission, Commonwealth Law Bulletin, vol. 34, 4/2008,
pp. 813-816.
20
En effet, les membres de la CIHEF représentent, depuis un moment, vraiment tous les
continents, assurant une répartition géographique adéquate.
39. En vertu de l’art. 90, la CIHEF a compétence pour mener des enquêtes et prêter
ses bons offices aux Parties aux conflits (Etats et autres acteurs non etatiques). Dans le
premier cas, il s’agit d’enquêter sur des faits prétendu être une infraction grave ou une
autre violation des Conventions de 1949 et du Protocole Additionnel I (art. 90 §2c.i.).
Aussi, la CIHEF peut enquêter au sujet d’une autre situation (art. 90 §2d). A cet
égard, il faut signaler que la CIHEF, adoptant une interpretation extensive de son
mandat, se déclare prête à enquêter sur des violations alléguées de DIH survenant au
cours des conflits armés non internationaux, sous condition que toutes les parties au
conflit consentent à cet égard.
Dans le deuxième cas, les bons offices avancés par la CIHEF visent à faciliter le
retour à l’observation du DIH (art. 90 §2c.ii). Dans ce cadre, la CIHEF peut formuler
des observations et des recommandations en vue de l’amélioration de l’application du
DIH.
40. Il s’agit, donc, d’un organe conventionnel permanent spécialisé, dont le but est
d’assurer le respect du DIH. A cet effet, il est en mesure d’organiser une procédure
confidentielle, influencée par les Parties au conflit et basée sur la coopération. Son
rapport, divulgué ou non selon la décision des parties, n’énonce pas le droit. Ceci
étant, les parties peuvent décider de la suite à donner au litige (p.e. parvenir à un
accord par un juste dédommagement ; recourir à l’arbitrage international ou à la CIJ
etc.).
41. La CIHEF a gagné avec le temps une certaine reconnaissance internationale et
le soutien des institutions internationales. En effet, le Conseil de Sécurité, dans ses
résolutions 1265/1999 et 1894/2009 se réfère d’une manière positive à la
Commission39
. L’Assemblée Générale, quant à elle, après avoir mentionné
positivement la CIHEF dans ses résolutions 55/148 du 12.12.2000, 57/14 du
19.12.2002, 59/36 (2004), 63/125 du 11.11.2008 et 65/29 du 10.1.2011, lui accordait
le statut d’observateur (résolution 64/121, du 16.12.2009). Des prises de position
positives à son égard figurent, également, dans des instruments du Conseil de
l’Europe40
, de l’UE41
ou des Conférences Internationales de la Croix Rouge42
. Tous
39
Voir aussi le débat sur la protection des civils en période de conflit armé, UN doc. S/PV.5319. 40
Assemblée Parlementaire, Rec. 1427/1999; Comité des Ministres, doc. no 9174 du 4.7.2011.
21
ces textes encouragent les Etats à reconnaitre la compétence de la CIHEF et/ou
recourir à ses services. En outre, la Conférence des Etats parties au Statut de la CPI –
à laquelle la CIHEF dispose d’un statut d’observateur – à sa réunion de Kampala, en
juin 2010 a reconnu la possibilité de la CIHEF de s’engager dans « l’identification
rapide la collecte des informations relatives aux violations de droit international »43
.
b) 20 ans en quête d’un mandat
42. A la veille de son 20ème anniversaire, la CIHEF continue à exister en solitude,
en marge des activités internationales entreprises pour examiner ce dernier temps des
situations des violations du DIH/DH. Elle demeure en matière de fact-finding « the
sleeping beauty » selon l’expression – si réussie – de l’ancien Président de la
Commission44
.
43. Et pourtant, tout au long de cette période, la CIHEF, notamment dans sa
composition désignée après 2001, elle a tenté une ouverture qui parfois atteint des
extrêmes limites à la fois juridique, institutionnel, politique, afin de solliciter un
mandat. Dans tous les récents conflits, crises humanitaires ou autres situations
problématiques (Irak, Afghanistan, Gaza, Territoires palestiniens occupés, Sri Lanka,
Géorgie, Colombie, prison Abu-Ghraib etc.) la CIHEF s’est montrée prête à agir…
hélas sans résultat. C’était, d’ailleurs, elle-même qu’elle prenait des initiatives et
offrait ses bons offices avec discrétion et sans publicité45
. Dans d’autres cas, on avait
recommande l’intervention de la CIHEF sans, pourtant, suite positive à cet égard46
.
Cette ouverture et disponibilité n’a trouvé que certaine reconnaissance et
compréhension de la part des acteurs internationaux, surtout à travers de textes
déclaratoires. Quelquefois, on a failli de pen pour obtenir (dans le cas de Sri-Lanka,
41
Voir Lignes Directrices concernant la promotion du DIH adoptées par le Conseil le 12.12.2005
(JO C 327/04, 23.12.2005) 42
Voir Plan d’Action de la 27ème Conférence Internationale (1999); Déclaration et Résolution 1 de
la 28ème Conférence Internationale (2003); Résolution finale no 3 §32 et Pledges (engagements)
communs de la UE et de ses Etats-membres. 43
Cf. doc. ICC-AJP/8/Res.2, Cooperation, §11. 44
F.Kalshoven, The International Humanitarian fact-finding Commission: a sleeping beauty?,
Humanitäres Vol Kerrecht-Informationsschriften, Heft 4, 2002, 214(213-216), Mais voir aussi,
E.Mikos-Skuza, The IHFF Commission: An awakening beauty?, Festschrift für M.Botte, Nous, 2008,
481-492 45
Voir à ce propos le Rapport d’activité de la CIHEF à l’occasion du 20ème anniversaire, 2011. 46
Voir p.e. la déclaration conjointe de la Suisse, la France et de l’Espagne à la suite de la mort de
11 élus colombiens du 29.6.2007, par laquelle les 3 pays en question recommandaient aux parties en
Colombie “de faire usage des services de la CIHEF”.
22
tah, Tchétchénie, Afghanistan, Colombie)47
. Mais, enfin, les Etats persistent à
nier/négliger l’organe institutionnel qu’ils ont établi pour les aider à dépasser des
différends ou des points de litige nés dans certaines circonstances durant un conflit
armé48
.
44. Mais qu’y a-t-il en fait ? Une remise en cause – tacite et indirecte – de
l’opération lancée par les signataires de l’art. 90 du Protocole I de 1977 ? Une
contestation informelle du modèle avancé par l’art. 90 pour faire face à des situations
des violations du DIH ? Une question d’interprétation de l’article 90 ? Les réserves du
tiers monde traditionnelle pour le fact-finding, ne cause une ingérence directe de la
communauté internationale aux effets internes ? Est-ce le nombre limité des conflits
internationaux ? La question devienne plus aigue et exigeante, si nous prenons en
considération le fait que les résultats d’une mission de la CIHEF – dans l’hypothèse
d’une enquête demandée – seraient en conséquences juridiques « anodines » ; car les
conséquences de l’établissement des faits – en vertu de la construction de l’art. 90 –
n’engageraient pas la responsabilité internationale de la partie concernée par les
violations du DIH que pour « l’amélioration de respect du DIH ».
45. En outre, comment expliquer l’attitude des organes onusiens que, d’une part,
indiquent que la CIHEF constitue un moyen adéquat valable pour une enquête relative
aux violations du DIH, et, d’autre part, restent hésitants face à une telle perspective
qui allait donner enfin un sens à la prévision de l’art. 90 du Protocole I ? Pourquoi
ignorer un cadre institutionnel et permanent préexistant – même s’il n’appartient pas
au système onusien – et une composition des spécialistes prêts à agir – d’ailleurs
ayant, par leur élection, une certaine légitimité – et « s’aventurer » vers la création des
commissions ad hoc d’enquête chaque fois qu’une situation se présente ?
46. Le Conseil de Sécurité ne se rappelle pas de ses engagements ? Le Secrétaire
Général de l’ONU ou le CDH pourquoi ne tiennent compte de la présence de la
CIHEF ? La Cour Pénale Internationale ne pourrait pas tirer profit de l’existence de la
CIHEF ? Pourquoi d’autres institutions internationales (p.e. au Conseil de l’Europe,
l’Assemblée Parlementaire, l’UE etc.) intéressées par des résultats d’un fact-finding
dans les domaines en question ne sollicitent pas l’intervention de la CIHEF? Ou bien,
pourquoi on ne s’adresse pas partiellement à un certain nombre de ses membres,
47
Voir le Rapport de la CIHEF, concernant les armés, 1991-1996, 1997-2001, 2002-2004, 2002-
2004 48
P.e. la Croatie (1992), la Bosnie-Herzégovine (1992), la Colombie (1995), ayant connu des malheurs
d’un conflit armé
23
hautement qualifiés et, certes, au même niveau qualitatif que d’autres experts qui sont
appelés à composer des commissions d’enquête ad hoc dépêchées, ici et là, chaque
fois qu’une résolution onusien l’autorise ou une décision est prise (UE à propos du
conflit Géorgie).
Est-ce parce que les Etats ou d’autres parties à des conflits ont considéré que la
CIHEF n’a pas remplie ses fonctions et, par conséquence, elle n’est pas
opérationnelle ?
47. Ce n’est pas aisé à répondre à ces questions. D’ un côté la CIHEF a prise toutes
les mesures afin de devenir opérationnelle (en adoptant même des règles
additionnelles ou internes qui s’avéraient nécessaires pour son fonctionnement.
Il importe à signaler des préparations pratiques internes49
et de formation [p.e. la
Suède avait organisé une enquête simulée (1998) ; aussi la CIHEF avait organisé à
Genève un Séminaire sur la gestion du stress dans des situations de crise (2009)].
Aussi, l’établissement des contacts et des débats avec des acteurs des missions
entreprises par l’ONU (p.e. présentation du rapport sur Darfour et échanges des vues
avec A. Cassese), ONG [p.e. Human Rights Watch sur un rapport sur Irak (2005) ou
Geneva Call concernant son enquête sur l’utilisation des mines aux Philippines
(2010)].
Aussi, des activités de promotion de la CIHEF étaient entreprises constamment par
des contacts avec des Etats, des organisations internationales, notamment régionales,
par une présence à des conférences internationales50
etc.
Jusqu’à présent, il y un recours limité, à titre individuel, à des membres de la
CIHEF afin de participer à des missions d’établissement des faits. Un précédent fut
établi avec la nomination de deux de ses membres en 1992 pour participer à la
mission d’enquête sur les violations du DIH en Yougoslavie sur décision du Conseil
de Sécurité (Rés. 780 et 781/1992). Un membre de la CIHEF, l’auteur de cette
contribution, était nommé par le CDH à la Commission d’enquête sur le Liban
(2006), sans clarification, toutefois, si le choix était dû à son appartenance comme
membre à la CIHEF. Un autre (E. David) a participé à l’enquête de Geneva Call en
2009 aux Philippines (allégations concernant l’utilisation par les rebelles des mines
49
Avec l’adoption p.e. des “Operational Guidelines” (avril 2004). 50
Voir en détail le Rapport d’activité de la CIHEF à l’ occasion de son 20ème anniversaire, 2011.
24
antipersonnelles)51
. En outre, on avait envisagé – dans un premier stade – la
participation de la CIHEF ou de ses membres aux missions instituées pour enquêter la
situation à Jenine et Darfour (résolutions 1405/2002 et 1564/2004 respectivement),
sans toutefois donner suite à cette perspective.
48. De ce qui précède, il parait logique d’expliquer – à première vue – l’abstention
des Etats de solliciter l’intervention de la CIHEF, au fait qui jusqu’aujourd’hui il n’y a
pas eu de conflit où les deux parties reconnaissaient la compétence de la CIHEF.
De l’autre côté, la CIHEF comme instrument de mise en œuvre du DIH, elle est
conçue comme « un élément du système complexe des mesures qui visent à assurer
une meilleure application et un plus grand respect du DIH »52
. Donc, selon elle, on
devrait la considérer comme une composante dans un vaste contexte. A cet égard, le
rôle et le « potentiel » de la CIHEF doivent être placés dans « le contexte du
règlement des différends internationaux et de l’établissement des faits » au sens large
avec tous que cela implique.
49. Dans ces conditions de « concurrence » il y a-t-il un avenir pour la CIHEF,
organe spécialisé né d’un traité ? Vu sous l’angle positif de l’analyse, on peut
l’envisager une telle perspective. Le caractère ad hoc de l’enquête confidentielle,
basée sur un accord des parties et donc purement interétatique (art. 90 §2),
évidemment même quand la CIHEF offre ses bons offices (art. 90 §2c.ii) place
l’organe de l’art. 90 à une position avantageuse. D’autant plus que la CIHEF n’énonce
pas le droit ; elle ne se réfère pas à la responsabilité internationale des Etats, ni à la
responsabilité pénale individuelle (sauf demande expresse).
Cette perspective d’espoir ne pourra pas se réaliser sans le soutien politique des
gouvernements. Outre cet environnement politique nécessaire pour activer la CIHEF,
il faut d’avantage penser à valoriser la procédure des bons offices ; développer et
intensifier les rapports avec le système ONU, la CPI, et d’autres institutions
régionales, susceptibles de solliciter l’intervention de la CIHEF ; insister sur sa propre
promotion au sein des organisations internationales par le biais de la mise en œuvre
du DIH.
IV. Conclusions
51
Fact-finding during armed conflict: report of the 2009 Verification mission to the Philippines to
investigate allegations of antipersonnel landmine use by the Moro Islamic Liberation Front, Geneva
Call, 2010. 52
Dans ce sens le Rapport d’activité de la CIHEF sous-mentionné.
25
50. Pour l’observateur objectif des activités internationales, ces dernières années se
caractérisent par la volonté constante de la communauté internationale, notamment les
instances onusiennes, comme le Conseil de Sécurité ou le CDH, à ne pas manquer,
presque, une occasion - la Libye, le dernier exemple - sans entamer une procédure de
fact-finding sur des violations DIH/DH perpétrées dans divers conflits et crises
humanitaires ouvertes. Sous l’impulsion des principes et normes régissant, à présent,
la protection des victimes et leur réparation, la promotion de la punition des
responsables pour commettre des crimes de guerre/contre l’humanité/génocide, la
promotion de la justice liée à la paix est servie par plusieures missions d’enquête.
Pourtant, leurs conclusions – souvent contestées – ne semblent pas dégager que des
résultats minces.
Que faire, face à cette situation ? Y-a-t-elle une place pour la CIHEF ? Les états-
parties au Protocol I de 1977 devraient revoir l’art. 90 et décider de
l’amender/modifier d’une manière ou d’une autre ? Ou bien, devraient-ils
reconsidérer leur attitude vis-à-vis son application et mise en œuvre ? Bien entendu,
tant que les enquêtes d’établissement des faits restent à l’ordre du jour, les possibilités
d’une utilisation de la CIHEF par les organes onusiens, notamment le Conseil de
Sécurité, le Secrétaire Général et le Conseil des Droits de l’Homme, ainsi que par
l’autonome instance, la CPI, restent une perspective réaliste. Pourvue qu’il y ait la
volonté politique de part et d’autre.