et de sa diversité. l'Échec scolaire un dÉbat historique

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« L'EPS n'existe que dans, par et pour l'école » (Arnaud P.). Selon cette perspective, l'analyse de l'échec dans cette discipline d'enseignement est à resituer dans le thème plus vaste de l'échec scolaire. Notion centrale du champ éducatif aujourd'hui, l'échec est devenu une problématique au coeur des débats scolaires. Si la pers- pective historique montre son lien intime à l'école, elle témoigne autant de son intérêt récent que de sa relativité et de sa diversité. L'ÉCHEC SCOLAIRE UN DÉBAT HISTORIQUE CONTRASTÉ PAR M. ATTALI, T. BELLIER L'échec est un produit de l'éva- luation « comme pratique régu- lière de l'organisation scolaire et de ses agents, pratique conforme à des procédures plus ou moins codifiées, sous-tendue par des normes d'excellence et des niveaux d'exigence institution- nellement définis » [11. Un élève est donc en échec lorsqu'il n'at- teint pas l'objectif défini, lorsque l'école juge ses résultats insuffi- sants. Etudier la notion d'échec ne saurait donc se satisfaire de la seule approche institutionnelle. Depuis son apparition au milieu du X X e siècle et l'intérêt accru qu'elle suscite dans les années 1960 [2], la notion d'échec semble désormais avoir dépassé les seuls résultats scolaires pour embrasser un large spectre de conduites réprehensibles [3]. De fait, les définitions diffèrent considérablement, suivant que l'accent est mis sur l'épanouisse- ment de l'enfant ou sur la réfé- rence à une norme institution- nelle. Le curseur permettant d'identifier l'échec n'est alors pas mis au même niveau et les raisons qui en dépendent diffè- rent. Parmi ces dernières, trois paraissent prépondérantes : celles propres à l'élève (capacité d'ap- prentissage, comportement et personnalité), celles liées au sys- tème (organisation, attitude péda- gogique, démarche didactique) et enfin celles induites par l'envi- ronnement (essentiellement en raison des facteurs sociolo- giques). L'inexistence de l'échec ? Au moment où l'école devient obligatoire, publique et ouverte à tous, elle intègre le principe de ségrégation sociale. En effet, à la fin du XIX e siècle et au début du XX e , la structuration des qualifi- cations et des positions sociales est pyramidale : la masse des individus est peu ou pas qualifiée, un nombre restreint occupe des positions intermédiaires et une minorité constitue l'élite. Loin de s'attaquer à cet état, l'idéal républicain prôné par Jules Ferry n'affiche pas de pré- tention de modification de l'ordre social [2]. Il vise à faire accéder l'ensemble des Françaises et des Français à un savoir de base constituant une culture citoyenne minimale. Et si des différences de réussite existent, elles ne sont pas apparentées à un échec car elles n'influent pas sur l'avenir sco- laire des élèves concernés. Les raisons incombent soit au manque de travail de l'élève soit au déterminisme social qui condi- tionne les niveaux des réussites des élèves [4]. La finalité « réadaptative » de l'EP C'est alors autour du principe d'inadaptation scolaire, d'anor- malité que se forge l'idée d'échec scolaire à laquelle adhère la gym- nastique. Bien qu'instituée autour de préoccupations mili- taires, l'ЕР affiche des préten- tions rééducatives, de corrections des attitudes mais aussi de réadaptation par l'exercice. Par la réalisation de leçons de gymnas- tique suédoise, son objet vise à rectifier les anormalités de recti- tude de l'axe central. Sous l'im- pulsion de certains de ses promo- teurs, elle s'inscrit dans la lutte contre le surmenage scolaire comme en témoigne l'expérience lyonnaise, en 1923. Cependant, tiraillée entre l'organisation d'un enseignement par tranche d'âge et les divergences d'aptitudes des élèves, l'ЕР campe sur sa finalité EP.S N° 323 - JANVIER-FÉVRIER 2007 47 Revue EP.S n°323 Janvier-Février 2007 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Page 1: et de sa diversité. L'ÉCHEC SCOLAIRE UN DÉBAT HISTORIQUE

« L'EPS n'existe que dans, par et pour l'école » (Arnaud P.). Selon cette perspective, l'analyse de l'échec dans cette discipline d'enseignement est à resituer dans le thème plus vaste de l'échec scolaire.

Notion centrale du champ éducatif aujourd 'hui , l'échec est devenu une problématique au cœur des débats scolaires. Si la pers­pective historique montre son lien intime à l'école, elle témoigne autant de son intérêt récent que de sa relativité et de sa diversité.

L'ÉCHEC SCOLAIRE U N DÉBAT HISTORIQUE

CONTRASTÉ PAR M. ATTALI, T. BELLIER

L'échec est un produit de l'éva­luation « comme pratique régu­lière de l'organisation scolaire et de ses agents, pratique conforme à des procédures plus ou moins codifiées, sous-tendue par des normes d ' exce l l ence et des niveaux d'exigence institution-nellement définis » [11. Un élève est donc en échec lorsqu'il n'at­teint pas l'objectif défini, lorsque l'école juge ses résultats insuffi­sants. Etudier la notion d'échec ne saurait donc se satisfaire de la seule approche institutionnelle. Depuis son apparition au milieu du X X e siècle et l'intérêt accru qu'elle suscite dans les années 1960 [ 2 ] , la notion d 'échec semble désormais avoir dépassé les seuls résultats scolaires pour embrasser un large spectre de conduites réprehensibles [3]. De fait, les définitions diffèrent considérablement, suivant que

l'accent est mis sur l'épanouisse­ment de l'enfant ou sur la réfé­rence à une norme institution­nel le . L e curseur permettant d'identifier l 'échec n'est alors pas mis au même niveau et les raisons qui en dépendent diffè­rent. Parmi ces dernières, trois paraissent prépondérantes : celles propres à l'élève (capacité d'ap­prentissage, comportement et personnalité), celles liées au sys­tème (organisation, attitude péda­gogique, démarche didactique) et enfin celles induites par l'envi­ronnement (essentiellement en raison des facteurs soc io lo ­giques).

L'inexistence de l'échec ?

Au moment où l 'école devient obligatoire, publique et ouverte à tous, elle intègre le principe de ségrégation sociale. En effet, à la fin du X I X e siècle et au début du

X X e , la structuration des qualifi­cations et des positions sociales est pyramidale : la masse des individus est peu ou pas qualifiée, un nombre restreint occupe des positions intermédiaires et une minorité constitue l'élite. Lo in de s'attaquer à cet état, l ' idéal républicain prôné par Jules Ferry n'affiche pas de pré­tention de modification de l'ordre social [2]. Il vise à faire accéder l'ensemble des Françaises et des Français à un savoir de base constituant une culture citoyenne minimale. Et si des différences de réussite existent, elles ne sont pas apparentées à un échec car elles n'influent pas sur l'avenir sco­laire des élèves concernés. Les raisons incombent soit au manque de travail de l'élève soit au déterminisme social qui condi­tionne les niveaux des réussites des élèves [4].

La finalité « réadaptative » de l'EP C'est alors autour du principe d'inadaptation scolaire, d'anor-malité que se forge l'idée d'échec scolaire à laquelle adhère la gym­nastique. Bien qu'instituée autour de préoccupations mili­taires, l'ЕР affiche des préten­tions rééducatives, de corrections des attitudes mais aussi de réadaptation par l'exercice. Par la réalisation de leçons de gymnas­tique suédoise, son objet vise à rectifier les anormalités de recti­tude de l'axe central. Sous l'im­pulsion de certains de ses promo­teurs, elle s'inscrit dans la lutte contre le surmenage scolaire comme en témoigne l'expérience lyonnaise, en 1923. Cependant, tiraillée entre l'organisation d'un enseignement par tranche d'âge et les divergences d'aptitudes des élèves, l'ЕР campe sur sa finalité

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rééducative, de réadaptation par l'exercice physique. Son ensei­gnement comme son évaluation sont cloisonnés à partir de groupes physiologiques où fonc­tionnent des référentiels anato-miques ou énergétiques au gré des déterminismes. Véri table « impensée » pédagogique , l'échec, par l'intermédiaire de la déviance à une norme préconçue, structure l'enseignement de l'EP sans toutefois être référé à l'ap­propriation de savoirs communs.

Le tournant de la Libération

Au lendemain de la Libération, les aspirations scolaires devien­nent plus importantes et les voix s'élèvent pour rendre plus juste l 'accès aux études. Embléma­tique à bien des égards, le rapport Langevin-Wallon, rendu public en 1947, proclame ainsi le droit égal de tous les enfants au « déve­loppement maximum que leur personnalité comporte » . L 'évo­

lution n'est pas mince et témoigne d'un renversement de logique important, tout au moins sur le plan idéologique. Car si la démocratisation devient le leit­motiv des années 1950, la dimen­sion quantitative [5] est privilé­giée en vue de faciliter un large accès à l'école. La réduction des échecs ne fait pas l'objet d'ana­lyse approfondie et le rôle de l'inné reste prégnant.

L'EPS et l'idéologie des dons En EPS, l'utilisation de plus en plus importante du sport durant les années 1950, au moment-même où les portes de l ' école s'ouvrent au plus grand nombre, participe à ce processus de démo­cratisation [6]. Néanmoins seule l'accessibilité à ces pratiques, le plus souvent considérées comme intrinsèquement éducatives, fait l'objet d'attention. Rares sont en effet les analyses portant sur l'échec que ces dernières peuvent

provoquer. Reprenant les pré­ceptes scolaires en vigueur, les enseignants d'EPS assignent les résultats essentiellement aux dons naturels des élèves. La méri-tocratie sportive se veut un gage d'équité et de rationalité dont l ' ob jec t iv i t é impose l 'échec comme marqueur de différences irrémédiables.

L'attitude dominante reste déter­ministe comme en témoigne le maintien de la représentation de l'existence de l'élève doué. Les réformes de 1959 et 1963 lui don­nent une légitimité institution­nelle conséquente en instaurant une orientation reposant pour une large part sur des aptitudes innées : « Il faut détecter les plus doués, quel que soit l'endroit où ils se trouvent pour leur donner immédiatement les plus larges accès aux enseignements longs » (circulaire du 17 novembre 1961). La détection des talents passe par une orientation rapide et n'a nullement besoin d'une rénovation des procédures péda­gogiques . L'enseignement de l 'EPS est ainsi en adéquation avec la log ique scolaire à l'œuvre. En effet, à l'initiation sportive qui permet de détecter les aptitudes des élèves succède un entraînement maximisant les potentialités de chacun en vue de participer à des compétitions où seuls les plus brillants pourront faire valoir leurs qualités. Un tri s'effectue donc au cours de la scolarité sans que des voies de rattrapage ne soient instaurées puisque le rôle de l 'école est davantage de hiérarchiser que d'égaliser.

L'interpellation sociologique

Cependant les premières analyses sociologiques vont contribuer progressivement à faire évoluer la perception des parcours scolaires. En 1952, René Zazzo s'intéresse au redoublement et constate qu'à Paris, 27 % des enfants redou­blent la 6e. En 1959, les données statistiques recueillies montrent la constance du taux de double­ment du cours préparatoire (25 % ) , l'importance du retard scolaire (60 % des élèves de CM2 sont en retard), la faiblesse de l'admission en 6e (moins de 50 % des élèves de CM2 passent en 6 e) et la rareté de l'accès au bac (7 % environ d'une génération). Le milieu social d'origine est alors peu à peu désigné comme facteur de réussite ou d'échec d'une sco­

larité structurée autour d'un enseignement exclusivement dis­ciplinaire.

L'apparition de la notion d'échec scolaire

Une démocratisation « inéqui­table »

La transformation structurelle d'envergure du début des années 1960 conduit en effet une cohorte d 'élèves à être accueillis dans l'enseignement secondaire sans y être véritablement préparés. Car, si l 'organisation de l ' éco le se modifie sensiblement, les modes pédagogiques évoluent peu mal­gré l'afflux d'élèves qui bouscu­lent les habitudes. À l'image des autres disciplines, l 'enseigne­ment de l'EPS reste organisé sur des progressions techniques dis­pensées uniformément à tous les élèves [6] . Sur un autre plan, la mixité, par exemple, consécutive de la démocratisation de l'école, entraîne peu de renouvellement et la reconduction de schémas anciens participe à la reproduc­tion des inégalités [7]. Bien que la massification soit défendue afin d'assurer l'égalité de tous devant l 'école, force est de constater qu'elle ne suffit pas à établir l 'équité entraînant par conséquent dans son s i l lage l'échec de plus en plus d'élèves. L'ampleur du phénomène et les difficultés qu'il provoque anime une réflexion nouvelle sur un sujet ancien.

D'un fatalisme à l'autre

Désormais, on considère que l'échec est de moins en moins dû à la seule responsabili té de l'élève mais de plus en plus le fait de déterminismes sociologiques prégnants. Les données statis­tiques montrent que, selon les f i l ières, l ' o r ig ine sociale des élèves change et qu'en fonction des positions de chacun les taux de réussite se modifient. Les tra­vaux de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, initiés en particulier avec Les Héritiers [8] , font ainsi l'effet d'un électrochoc dans la communauté scolaire, au cours des années 1970. Les auteurs mettent en évidence que la composante essentielle de l'échec, chez les sujets observés, est de n 'avoi r pas hérité des savoir-faire intellectuels omni­présents et essentiels dans les attentes institutionnelles condui­sant au succès. Les élèves issus des catégories sociales les plus

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Une séance de gymnastique corrective à l'École de Joinville devant une section de la division des instituteurs (vers 1920).

Une séance d'éducation physique : initiation au saut en hauteur (vers 1950).

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élevées s'identifieraient ainsi davantage aux maîtres, leur per­mettant une meilleure adhésion aux valeurs et normes de l'institu­tion. Les travaux sur l'effet Pyg­malion sont ainsi régulièrement évoqués pour montrer combien tout apprentissage est chargé de significations [9 ] . Un bascule­ment des logiques s 'effectue alors pour faire de l'échec le fac­teur de régulation essentiel du système éducatif. Les syndicats enseignants s'emparent de la question dénonçant notamment son iniquité et les revues pédago­giques multiplient les dossiers à son égard en vue de trouver des solutions pratiques à son dépasse­ment. Les travaux sociologiques per­mettent alors de mettre en exergue ce qui va vite devenir des évidences : - la massification, en multipliant le nombre d'élèves en échec, a provoqué une prise de conscience de l'extrême difficulté à laquelle étaient confrontés les enfants issus de catégories sociales habi­tuellement exclues de ces niveaux d'enseignement ;

- le maintien des références cultu­relles d'une élite et des procédés pédagogiques fonctionnant quand une infime minorité était scolarisée, pose problème aux nouveaux venus de l'enseigne­ment secondaire.

Ainsi s'effectue le passage d'un fatalisme psychologique/biolo­gique à un fatalisme sociologique qui sclérose les chances de faire régresser l'échec scolaire.

1970-1980 : des remédiations possibles

Au cours de cette décennie, deux

mouvements se dessinent pour tenter de remédier à ce qui devient la préoccupation essen­tielle de l'école. • Une perspective de reformula­tion de la notion de démocratisa­tion. A la fréquentation de l'école doit s'associer l'assimilation par l'ensemble de la collectivité de ce qui est désormais nommée une culture commune. Une adapta­tion de l'institution aux publics qu'elle accueille devient incon­tournable pour dépasser les écueils précédents. La loi Haby. en 1975. en établissant le collège unique et surtout en mettant en avant cette notion que certains assimileront à un SMIG culturel, vise ainsi à dépasser les limites de la démocratisation issue de 1959.

• Un questionnement de la logique « économiste » , apparue avec les réformes Berthoin et Fouchet. Dans la phase de croissance de la scolarisation, liée à la prolonga­tion de l'obligation scolaire jus­qu'à 16 ans, le bénéfice en terme de qualification s'accompagne de bénéfice en terme d'accès à l'em­ploi. Mais avec la crise des années 1970. et la montée du chômage, notamment celui des jeunes, l'in­sertion redevient, malgré 15 ans de démocratisation de l'accès à l'enseignement secondaire, un processus complexe et difficile. L'école se retrouve interpellée : sa fonction « d'ascenseur social » serait en panne.

L'échec : une donnée structurelle du système éducatif

L'échec comme « un obstacle à franchir »

Au début des années 1980,

l'échec devient une donnée cen­trale des politiques éducatives surtout avec l'avènement d'un gouvernement de gauche qui en fait l'étendard de sa politique scolaire. Les mesures ne se font pas attendre et le 1er juillet 1981, les zones d'éducation prioritaire (ZEP) sont créées afin d'adapter le système aux élèves et non de forcer ces derniers à s'adapter à un système dont ils ne compren­nent pas la logique. Pouvant être considérée comme un véritable gap philosophique, cette initia­tive vise à neutraliser la variable soc io log ique appréhendée comme la principale cause d'échec. Elle initie ainsi des dis­positifs pédagogiques, des conte­nus d'enseignement, visant non pas à réduire les exigences mais à emprunter d'autres voies pour les atteindre. Désormais, l 'échec scolaire ne doit plus être consi­déré comme une fatalité mais comme un obstacle que tous les élèves doivent pouvoir franchir. Les Z E P ne constituent pas d'ailleurs la seule réflexion sur ce sujet. La série de rapports com­mandée par Ala in Savary y consacre une part importante des analyses. Celui que Louis Legrand remet, en 1983, est à ce sujet sans ambiguïté : « Le col­lège réalise une scolarisation de masse par un enseignement uni­forme : c'est un premier facteur d'échec car il ne tient pas compte de la diversité des élèves » [10]. Antoine Prost de son côté relève que « cet enseignement uniforme est en porte-à-faux par rapport à sa clientèle effective [ . . . ] . Le col­lège a répondu par un enseigne­ment uniforme et de type secon­daire à une demande qui était du type primaire supérieur » [11].

À la mobili­sation des enseignants sont ainsi associés des dispositifs de soutien scolaire et de différenciation des pédagogies qui ne permettent pas, loin s'en faut, d'éradiquer l'échec. Ils doivent inviter chaque élève rencontrant de grandes dif­ficultés à mieux vivre sa scolarité. Dès lors, comme un véritable raz-de-marée, les initiatives se succè­dent, se télescopent pour favori­ser tant la curiosité de l'élève que son investissement dans des apprentissages qui doivent deve­nir « palpables » .

L'EPS, moyen privilégié ?

La didactique comme la pédago­g ie d i f férenciée inondent le champ de l 'EPS dans un but de réduire les fortes différences dues à une utilisation du sport que cer­tains jugent inconsidérée. Confrontée d'une part à l'hétéro­généité des apprentissages moteurs et toujours en mal de reconnaissance scolaire, les enseignants d'EPS s'auréolent de pouvoir apporter leur contribu­tion à la généralisation de ces outils, perçue alors comme une thérapie incontournable au malaise de l 'école. L ' E P S se forge ainsi une place de choix dans le second degré et ses ensei­gnants deviennent des référents dans la compréhension des élèves en situation d'apprentissage. A l'heure de la rénovation des col­lèges, ils portent les projets péda­gogiques disciplinaires et inter­disciplinaires et sont à l'initiative des projets d'action éducatives. Portée par une dimension ludique, tout en démontrant des vertus propédeutiques et un

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Une séance d'éducation physique mixte : un parcours sur portique (vers 1960).

Une séance d'escalade en ZEP (2004).

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attachement aux savoirs acadé­miques, l 'EPS apparaît comme un moyen privilégié pour récréer une attractivité de l 'école chez des élèves rejetant les apprentis­sages traditionnels. Mais en EPS, comme dans les autres matières, les groupes de niveaux, de besoins, la différen­ciation des procédés pédago­giques, voire d'évaluation, ne suffisent pas à assurer la réussite de tous les élèves. Séduisantes à bien des égards, les ZEP, la géné­ralisation d'outils et d'interfaces didactico-pédagogiques se heur­tent aux habitudes scolaires et se détournent de leurs buts initiaux fondés sur le principe d'égalité des objectifs malgré une inégalité des procédures adoptées pour les atteindre. Ces distorsions inter­pellent les fondements de l 'ho­mogénéité nationale de l'ensei­gnement et des diplômes en conduisant à transiger sur les savoirs en fonction des lieux d'enseignement [12] et donc des publics concernés [13]. L'échec pourrait ainsi être plus faible non en raison des seules adaptations pédagogiques mais parce que les objectifs à atteindre seraient dif­férents.

Donner du sens aux apprentis­sages

Cette situation prend une réso­nance particulière au milieu des années 1990 lorsque s'accroît la force du lien entre diplôme et capacité d'insertion profession­nelle. Trop éloigné, pour certains, d'une utilité sociale et profes­sionnelle effective, le système scolaire favoriserait la diffusion de savoirs théoriques, non por­teurs de sens pratique générant un désengagement des élèves. Pour

y remédier sont organisés alors des travaux personnels enca­drés [14], des parcours diversi­fiés [ 1 5 ] , des itinéraires de découverte [ 1 6 ] , invitant les é lèves , par un enseignement interdisciplinaire, à donner du sens à leurs apprentissages mais aussi à en devenir des acteurs à part entière. « La réussite d'une école tient d'abord à ce qu'elle arme tous les élèves et les futurs citoyens de connaissances, de compétences et de règles de com­portement jugés aujourd'hui indispensables à une vie sociale et personnelle réussie [ . . . ] . Une école de la réussite est une école utile aux élèves, même et surtout aux plus faibles d'entre eux, qui, tous, devront nécessairement entrer dans la vie profession­nelle » [17].

Souvent portées par les équipes EPS, ces réalisations doivent favoriser l'attractivité scolaire, la réadaptation au métier d'élève. Si l'engagement des enseignants d'EPS leur permet d'éclairer leur contribution scolaire mais aussi de redonner du sens à leur disci­pline devenue très cogni t ive , générant à son tour de l 'échec [ 3 ] , il renoue avec des images d'antan. L'EPS est reposi­tionnée comme thérapie des maux de l'école sans qu'il lui soit reconnue une réelle valeur éduca­tive liée à des savoirs propres. Durant cette dernière décennie, les variables pédagogique et situationnelle pour expliquer et réduire l'échec ont pris le pas. Il s'agit de prendre en compte la situation qui voit naître l'échec et plus seulement l'institution et l'enfant. La pédagogie est deve­nue un médiateur de l'échec sur

lequel les enseignants peuvent agir pour en réduire la portée. Elle contribue ainsi à réduire le fata­lisme qui a longtemps marqué l'école : « Si l'on transforme les facteurs psychologiques, cultu­rels, structurels, socio-écono­miques en lois d'airain et en déterminismes implacables, l'in­tervention éducative ne peut être qu'une sorte de « soins palliatifs » ou de « mystification » des péda­gogues » [18]. Les débats à l'oc­casion du vote de la loi d'orienta­tion dite Fi l lon en 2005, ont néanmoins montré la résurgence d'un ordre établi des savoirs à enseigner dont les élèves auraient à s'approprier sans autre forme de procès pédagogique.

Si l ' éco le a considérablement amélioré sa capacité à instruire, former, éduquer, orienter un nombre de plus en plus important d ' é l èves , jusqu'à conduire la quasi-totalité d'une classe d'âge au-delà même de la scolarité obli­gatoire, elle n'a pas réussi à éga­liser les chances de réussir. La massification du système sco­laire n'a pas été accompagnée d'un accroissement de même ampleur de l'égalité des chances. Le maintien d'une organisation et d'une pédagogie propres à un enseignement secondaire conçu pour une élite sociale et culturelle a engendré, chez les jeunes dont les parents n'avaient pas fré­quenté le secondaire, un échec scolaire significatif. Il aura fallu près d'un siècle pour accepter l ' idée que l'élève ne pouvait porter l'entière responsa­bili té de son échec et plus de trente ans pour envisager une redistribution des attributions de l'école et de ses modes de fonc­tionnement : « La réforme des co l l èges n'a pas seulement consol idé la stratification sociale : elle l'a légitimé, puis­qu'elle l'a fait reposer sur des critères apparemment scolaires et non plus ouvertement sociaux » [12].

À une élimination préalable, faite essentiellement à l'extérieur du système scolaire, s'est substituée une élimination progressive réali­sée depuis l ' intérieur. Ains i sommes-nous revenus au point de départ : l 'élève, avec sa famille, porte la responsabilité de sa car­rière scolaire comme il portait

autrefois la responsabilité de son échec qui prend désormais la forme d'une démobilisation mar­quée par l 'absentéisme et la déscolarisation.

Michaël Attal i , Thierry Bellier,

UFRAPS Grenoble 1 (38) [email protected] [email protected]

Notes bibliographiques

[ I ] Perrenoud P.. La triple fabrication de

l'échec scolaire, Genève. 1992.

[2] Isambert-Jamati V., « Quelques rappels

de l 'émergence de l'échec scolaire dans les

milieux pédagogiques français » in Pierre-

Humbert B. . L'échec à l'école : échec de

l 'école, Neuchâtel, Delachaux & Niest lé .

1992.

[3] Lê-Germain E., « Échec scolaire : place

et fonction de l 'EPS à travers l'histoire » .

Revue ERS, n° 289, mai-juin 2001.

[4] Hutmacher W . , « L ' é c o l e peut-elle se

considérer partie prenante du problème de

l'échec ? » in Pierrehumbert B. , L'échec à

l'école : échec de l'école, op. cit.

[ 5 ] R o b e r t A . , Système éducatif et

réformes, Paris : Nathan, 1993.

[ 6 ] At ta l i M . , Saint-Mart in J., l'EP de

¡945 à nos jours. Les étapes d'une démo­

cratisation, Paris ; A . Colin, 2004.

[7 ] Attali M . , Ot togal l i -Mazzacaval lo C. ,

Saint-Martin J.. « École et égalité sexuée

(1959-1975) : les résistances de l 'EPS » ,

Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, Tou­

louse : P U M , 2007 (sous presse).

[81 Bourdieu P., Passeron J.-C., Les Héri­

tiers : les étudiants et la culture. Paris : Éd.

de Minuit. 1964.

[9] Ferrandez G., « L'attente du milieu ou

l'effet Pygmalion » in G F E N , L'échec sco­

laire. Doué ou non doué ? Paris : Éd .

sociales, 1975.

[ 1 0 ] L e g r a n d L . , Pour un changement

démocratique, rapport au ministre de l 'É­

ducation nationale. Paris : La documenta­

tion française, 1983.

[11] Prost A . , Éducation Société et poli­

tiques. Une histoire de ll'nseignement en

France de ¡945 à nos jours, Paris : Seuil. 1992.

[12] Combaz G., « Décentralisation, auto­

nomie des établissements scolaires et éga­

lité des chances » . in Revue Française de

Pédagogie n° 115. 1996.

[13] P o g g i - C o m b a z M.P . , « Distribution

des contenus d 'enseignement en EPS au

col lège selon les caractéristiques sociales

du public scolaire : des différences non

aléatoires » in Revue Française de Pédago­

gie. n°139, 2002.

[14] B O E N n° 14 du 8 avril 2000.

[15] B O E N n ° 2 4 du 14 juin 2001.

[16] B O E N n° 16 du 18 avril 2002.

[17] Thélot C., Pour la réussite de tous les

élèves. Rapport de la commission du débat

national sur l'avenir de l'école, Paris : La documentation française, 2004

[18] Dictionnaire encyclopédique de l'édu­

cation et de la formation, Paris : Retz, 2005

( 3 e éd . ) .

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