essai sur l'art de cultiver la canne et d'en extraire le sucre (1)

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Auteur. Casaux, A. / Ouvrage patrimonial de la Bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation, Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Martinique, Bibliothèque Schœlcher.

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ESSAI

SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE

ET

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

Par M. D. C. . .. X, de la Société Royale

de Londres.

A PARIS,

Chez CLOUSIER, Imprimeur-Libraire, rue Saint-Jacques, vis-à-vis les Mathurins.

M. DCC. LXXXI.

Avec Approbation de l'Académie des Sciences.

162127

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AVERTISSEMENT. CET Ouvrage intéresse plusieurs nations, & c'est le premier qui traite de l'objet ultra-maritime qui a le plus d'influence fur le

commerce, & conséquemment fur l'agri-

culture de l'Europe. Si l'Auteur est jugé

capable de lui donner le degré de bonté dont la matière le rend susceptible, & qu'on

veuille le favoriser d'observations, soit an-ciennes, soit nouvelles , même contraires à celles qu'il ose présenter , il les recevra avec reconnoissance, de quelque part & de quelque pays qu'elles lui viennent, & ce fera

avec le plus grand plaisir qu'il donnera un Supplément, dans lequel il n'hésitera point

à rétracter ce qui se sera trouvé d'inexact, & en un mot, à profiter de toutes les lu-mières qu'on aura bien voulu lui commu-niquer. On observera encore que le dessein de l'Auteur , qui n'a pas voulu faire un Ouvrage volumineux, est de traiter sépa-

a

ij AVERTISSEMENT.

rément de cette espèce de corps muqueux doux & sucré, qui se trouve en plus grande quantité dans la Canne que dans les autres végétaux , & de l'utilité dont il peut être pour la bonification de tous les vins d'Eu-rope. Quelques expériences que l'Auteur a

faites à cet égard, confirment les princi-pes exposés dans l'OEnologie de M. Beguil-let , & augmentent beaucoup la valeur réelle de ce Sucre déjà fi précieux.

On est prié d'adresser les paquets, francs de port, à M. Clousier , Imprimeur , rue St. Jacques, à Paris ,

Pour faire parvenir à M. de C .... X.

TABLE

DES MATIERES. On a indiqué dans les notes auxquelles on

renvoie à la fin de quelques articles, les autres pages où il étoit question du même sujet, ou de quelque autre qui pouvoit y avoir rapport.

On a marqué d'un astérique les Articles qui peuvent intéresser l'Agriculture de l'Europe.

PRÉFACE, Page 3 Plan de l'ouvrage, 7 Histoire naturelle de la Canne, 13 Observations sur le climat, 17 Tableau de la pluie tombée à la Grenade pendant

un an (1), 18 Histoire des racines de la Canne & de ses produc-

tions en terre, 19 Histoire des nœuds de la Canne hors de terre, 30 Histoire d'une révolution singulière dans l'intérieur

de la Canne, de la flèche qui la suit, & forme le dernier développement de la plante, 42

Histoire de la Canne dans les différens systêmes & dans les différentes especes d'années, favorables , sèches, & pluvieuses, 4 5

(1) Voyez aussi le Tableau détaillé, p. 372, & l'usage qu'on peut faire de pareils tableaux, p. 375, voyez aussi le

Résumé, p. 501.

a 2

iv TABLE Des anciennes méthodes de cultiver la Canne, & plus

en détail De la grande culture, 51 Inconvéniens attachés aux plantations d'Octobrc &

de Novembre, 54 Inconvéniens attachés aux grandes distances entre

les plantes, 60 Inconvéniens attachés aux récoltes précipitées, 64 * De quelques préjugés sur les effets prétendus de

l'épuisement des terres, 66

* De la prétendue détérioration des terres, 67 * Opposition apparente & conformité réelle entre

mon sentiment & celui de M. Duhamel, 80

* Conformité absolue entre l'opinion de M. Tull & la mienne, 86

Systême de la petite culture, Par quels degrés on a senti la nécessité d'étudier la

Canne avant de prononcer sur ses besoins, ibid.

* Objet final de l'Agriculteur, d'où naissent les caractères auxquels on peut reconnaître un bon & un mauvais systême d'agriculture, 96

Exposition des principes de la petite culture & rai-sons générales de ces principes, 98

Questions relatives à différentes propriétés de mon systême, 106

Première question. Quel que soit un Attelier, s il suffit pour les opérations de la grande culture, suf-fira-t-il pour celle de la petite culture (1) ? ibid.

Seconde question. Mon systême peut-il être adopté avec avantage quelque foible que soit l'Attelier que l'on puisse avoir pour le suivre ? 107

Troisième question. Mon systême a-t-il, relativement à la détérioration supposée possible de la terre quel-

(1) Voyez aussi le parallèle des deux systêmes, p. 264.

DES MATIÈRES. v que avantage sur les autres méthodes ? 109

Quatrième question. Mon systême convient-il à plu-sieurs espèces. de terres ? 110

Cinquième question. Mon systême convient-il aux terres les plus arides & aux plus humides, aux meilleures & aux plus mauvaises (1) ? 114.

Sixième question. Mon systême peut-il convenir sous toutes les latitudes où la Canne peut être un objet de culture lucrative ? 120

Examen du premier & du sixième principe (2), 128 Idée de la maturité fixée, 131 Tableau des mois de végétation dans les deux systê-

mes, 140 Tableau des mois de nœuds dans les deux sysê-

mes, 142 Examen du second principe, 143 Plusieurs faits qui présentent un Problème intéres-

sant, 145 Matériaux destinés à la solution du Problême, 147 Différens essais, p. 151, 155, & 159 (3), * Principe universel d'Agriculture, 165 * Des différentes espèces de terre, 166 * Division des terres destinées aux Cannes en quatre

classes différentes (4), 168 Régime propre aux différentes classes, 169 Quelle est la différence que doit produire sur le re-

venu, la nouvelle méthode suivie dans tous les points ? 172,

(1) * L'Examen de la cinquième & sixième question a ce me semble un rapport indirect avec l'Agriculture d'Europe.

(2) Voyez aussi, p. 237. (3) Voyez aussi la troisième Expérience, p. 219. (4) Ne pourroit-on point essayer quelque chose de mon

idée, à l'égard des terres d'Europe.

vj TABLE * La valeur des terres suivra-t-elle la proportion des

nouveaux produits ? 175 * Quelle différence l'augmentation du produit occa-

sionnera-t-elle dans son prix ? 175 * Examen du troisième principe, 178 De l'inutilité des grandes distances, ibid.

Quelle est la nourriture de la Canne ? 180 Raisons de M. Duhamel discutées dans leur appli-

cation à la Canne, 183

Effets de la circulation de l'air, appréciés, p. 187,

188 & 189. De l'inutilité de la grande profondeur des fosses, 191 Généalogie des rejetons, 195 Destination probable des différens ordres de racines

dont j'ai parlé, histoire de la Canne, 196 Examen du quatrième principe, 198 Observations sur la manière de fossoyer, de planter

les Cannes, & de traiter les Cannes plantées, 203

Examen du cinquième principe, 208 Examen du septième principe, 210

Expériences sur lesquelles on peut juger mes princ. 216 Distribution des travaux, emploi des six premiers

mois, 223 * Etablissement à former, intéressant pour les Scien-

ces, le Commerce & l'Agriculture, p. 225 226,

227, & 228 (1), "Nouvelle observation sur le premier principe, 237

Précis du systême de la petite culture, 244

Récapitulation de l'emploi des six premiers mois, 245 Emploi des six derniers mois, 248

Récapitulation de l'emploi des six derniers mois, 263

Parallèles des deux systêmes, 110 journées de béné-

(1) Voyez aussi le Résumé, p. 473.

DES MATIÈRES. vij

fice dans le systême de la petite culture, 264

Détails & vues d'amélioration, 273 gouvernement des Nègres, ibid.

Des sous-ordres blancs, 290

Des fumiers & autres amendemens, 292 Du chauffage, 311 Des fourmis, 315 Plan d'opérations à suivre dans une habitation four-

millée, 321 * Connoissances essentielles pour apprécier quelque

nouvelle espèce de moulin à Sucre qu'on puisse

proposer, 333 Du parcage des Moutons, probablement aussi facile

& aussi avantageux en Amérique qu'en Europe, 337

* Des labours à la charrue, & de la meilleure manière de les adapter à la culture des Cannes & à mon systême, 344

* Comparaison de la culture du bled dans l'Isle de Bourbon, avec la culture usitée en Europe, 348

* Nouvelle appréciation des influences de l'air, 349

* Tableau détaillé de la pluie (1), 372 * Développement de mes idées sur l'usage de pareils

tableaux (2), 379 * Récolte nécessaire d'après le Tableau détaillé, 387 De la fabrique du Sucre, 393 Proportion entre le Sucre & la melasse dans les Can-

nes ordinaires, base de tous mes principes, 397 Procédés, triomphes, & embarras des Rafineurs, 398 De l'objet du Rafineur, 402 Observations sur différentes espèces, odeurs & cou-

(1) Voyez aussi Tableau détaillé, & son ufsage, p. 332 & 355, & le Résumé, p. 501.

(2) Voyez aussi le Résumé, p. 501.

viij TABLE DES MATIÈRES. leurs de vesou, & sur les différentes manières de les traiter, 429

Expérience qui prouve que la seule différence qu'il y ait entre le meilleur & le plus mauvais vesou, con-siste dans la proportion du Sucre, & de la melasse, d'où il suit que toutes les Cannes bien traitées, doivent à peu de chose près donner du Sucre égal, 436

Réflexions sur la transmutation prétendue de la me-lasse en Sucre, 441

Observations sur la cuite du Sucre, 444 Moyen sûr de vérifier les cuites & la qualité du Sucre,

448 Nécessité d'un ordre invariable dans les travaux de

la Sucrerie & de la Purgerie, 450 Précautions ultérieures à l'égard des points recom-

mandés, 454 * Note sur la différence des opérations de nos Rafi-

neurs & de ceux d'Europe, 462 Du Rum, 469 Résumé de l'essai sur l'Art de cultiver la Canne &

d'en extraire le Sucre, 473 — de l'histoire de la Canne, ibid. — des anciennes méthodes & de quelques préjugés

sur l'épuisement des terres, 474 — du systême de la petite culture, 478 * Supplément à l'article sur l'usage qu'on peut faire

du Tableau détaillé des pluies, 501

Fin de la Table.

PRÉFACE.

PRÉFACE. LORSQUE l'approbation donnée par des Juges éclairés à un ouvrage quelcon-que , porte visiblement fur une supposition. de faits admis fur la parole de l'Auteur, elle ne peut être considérée que comme une simple assertion du rapport reconnu entre les faits supposés tels, & les consé-quences que l'Auteur en a tirées. Le pré-jugé qui doit naître d'une pareille assertion, est le seul avantage que je me fois promis de l'honneur que la Société de Londres a fait à mon Systême, en le faisant imprimer dans lès Transactions, & de l'approbation que l'Académie des Sciences de Paris a donnée à son développement : ce préjugé suffit, ce me semble , pour en balancer un autre dont je reconnois aussi le poids & la légi-timité : tous méritent des égards ; le plus absurde a, peut-être, un fondement respec-

* A 2

4 PRÉFACE. table, & aura certainement des suites avan-tageuses, s'il nous arme de la plus grande circonspection lorsqu'on nous proposera d'y renoncer : celui dont je vais examiner la solidité , naît de l'ancienneté des méthodes usitées ; nos pères se seroient-ils trompés pendant deux siècles ? Le fait n'est pas fans exemple, & s'il est constaté, qu'il nous soit permis d'abandonner leur pratique. Il fera juste néanmoins de penser qu'à leur place nous n'eussions pas mieux fait qu'eux ; riches de leur expérience & de la nôtre, ce seroit reculer que de ne pas aller plus loin ; d'ail-leurs combien d'idées que nous ne devons qu'aux circonstances ? Je suis né François, le Traité de Paris m'a fait Anglois ; si j'avois toujours été l'un ou l'autre, j'aurois manqué d'objets de comparaison & pro-bablement toujours suivi , à-peu-près ma-chinalement , l'espèce de routine établie dans celui des deux pays que j'aurois habité. C'est donc au hasard, qui m'a mis à portée de comparer deux méthodes très-différentes, que je dois l'observation des inconvéniens de l'une & de l'autre,& l'idée d'une troisiè-me, dont l'épreuve faite pendant six années

PRÉFACE. 5 me porte à croire, j'oserai même dire, m'en-courage à garantir , qu'il est possible d'aug-menter considérablement le produit des terres plantées en Cannes :

Qu'on peut faire la même quantité de Sucre avec beaucoup moins de Nègres, en les traitant avec plus de douceur :

Que les Cannes qu'on appelle mauvaises, doivent donner d'aussi beau Sucre que les bonnes :

Que beaucoup de terres qu'on dit épui-sées, donneroient autant de Sucre que les meilleures, fi on leur donnoit une culture convenable ; & que l'espèce de culture qui leur convient n'exige pas un plus grand nombre de bras.

Ces objets intéressent les revenus publics de plus d'une nation, les fortunes particu-lières , l'Agriculture, le Commerce , l'hu-manité ; je supplie qu'on examine mes rai-sons. Beaucoup de gens cultivent la Canne depuis trente ans, fans s'être donné la peine de l'étudier ; je la cultive moi-même de-puis 25, je ne l'ai vraiment étudiée que pen-dant six ; c'est ce travail de six ans, joint aux observations ordinaires de années,

A 3

6 PRÉFACE.

que je préfente au public, dans le stile d'un homme long-tems obligé de faire un usage égal de deux langues très-différentes par le génie & la construction. Puisse l'utilité des choses compenser l'inélégance &, peut-être, l'impropriété de quelques expressions.

PLAN DE L'OUVRAGE. 7

PLAN DE L'OUVRAGE.

JE ne pourrais être que l'écho de beaucoup d'autres , si je donnois la description de la Canne à sucre ; mais l'histoire de ses déve-loppemens intéressera sans doute, si elle con-duit au systême de culture qui lui convient. C'est dans cette histoire & dans celle du cli-mat , que je puiserai les raisons sur lesquelles j'établirai mon sentiment sur cette impor-tante matière, & c'est d'après l'examen jus-qu'ici négligé, des proportions dans lesquelles les différentes parties qui composent le jus de la Canne, se trouvent entr'elles à différen-tes époques, que je chercherai les moyens d'en extraire la plus grande quantité des plus utiles, dans leur plus grande perfection.

Cet essai fera composé de cinq Parties. La première contiendra un précis des an-

ciennes méthodes, de celle que je propose, & de leurs raisons les plus générales, avec l'histoire naturelle de la Canne, fur laquelle on pourra apprécier non-seulement ces di-verses raisons, mais , même toutes celles de détail, dont je ne dois faire usage que lorsque

A 4

8 PLAN je traiterai chaque Partie des différens systê-mes auxquels elles se rapportent plus spécia-lement.

Dans le premier Chapitre de la fécondé Partie , je détaillerai les inconvéniens atta-chés aux anciennes méthodes. Dans le fécond Chapitre , je traiterai d'un objet qui inté-resse l'Agriculture en général, tant d'Europe que d'Amérique, & je tâcherai de détruire des préjugés, qui me paroissent avoir servi de base à quelques usages des anciennes mé-thodes , & qu'on ne manquerait pas d'op-poser a quelques conséquences avantageuses qui résultent du point fondamental de la mienne.

La troisième Partie de cet Essai fera con-sacrée au développement de mon systême. Dans le premier Chapitre j'établirai mes principes fur les raisons les plus simples ; dans le fécond, j'examinerai chaque principe & les différentes questions qui y font rela-tives ; je proposerai des essais qui présente-ront l'objet fous le point de vue qui me paroît le moins susceptible d'équivoque. Quoique je ne puisse m'aveugler fur mon peu de lumières à l'égard de l'Agriculture d'Europe , je ne me refuserai cependant pas aux idées qui peuvent l'intéresser ; le desir d'être utile étant mon seul objet, qu'im-porte fi je le fuis par des vérités que j'aurai

DE L'OUVRAGE. 9 trouvées, ou par celles que j'aurai donné lieu d'éclaircir. Dans le troisième Chapitre je rapporterai quelques expériences qui me pa-roissent prouver la justesse de mes idées. Le Chapitre suivant n'est autre chose que mon systême réduit en pratique ; j'y traite de la distribution des travaux ; & je termine cette Partie par le parallèle des différens systêmes.

La quatrième Partie contiendra divers détails économiques, & des vues particulières d'amélioration ou négligées ou regardées comme impratiquables ; je tâche d'en prou-ver la facilité & les avantages.

Dans la cinquième & denière Partie, je traiterai de la fabrique du Sucre ; si je n'ac-crois pas considérablement la très - petite malle de lumières qu'on a fur cet article, je donnerai peut-être les moyens d'y parve-nir. Le peu que je dirai fur le Rum, regar-dera moins la façon de le faire, que les pré-cautions nécessaires pour éviter des abus plus ruineux encore que le défaut de connoissan-ces qui ne peuvent être que le fruit de la pra-tique, & qu'une pratique de quelques semai-nes donnera infailliblement à quiconque aura des yeux, un peu de bon sens , beaucoup d'exactitude & encore plus d'assiduité.

Explication de la première Figure. La Figure I, représente une Canne entière

dépouillée de ses feuilles.

10 PLAN Numéro 1. présente le premier ordre de

ses racines ; elles sortent du nœud auquel est attaché le bouton qui doit produire la première Canne ; elles n'ont besoin pour Sortir que de l'humidité contenue dans la partie médullaire du plan, & de la petite fer-mentation qui fuit la cessation du mouve-ment de la fève, après que les deux extrémi-tés y & £ ont été coupées.

Numéro 2. préfente le fécond ordre de racines, composé de son premier plan a a , du fécond bb, du troisième cc, du quatriè-me dd. Ces quatre plans du fécond ordre proviennent du quadruple étui de feuilles séminales a,b,c,d, qui enveloppoient l'em-bryon : les racines de ce premier plan n'ont pu sortir fans chasser la feuille a enveloppe du tout; ainsi des autres. Je crois que la par-tic R forme le collet de la plante.

Numéro 3. préfente le troisième ordre de racines, composé de son premier plan ee, du fécond ff, du troisième gg, du quatriè-me h h ; chacun de ces plans fait aussi tom-ber en sortant une de ces feuilles e, f, g, h, que j'appelle extérieures ou propres de la plante : je désigne ici leur place plutôt que leur longueur , puisqu'elles ont ordinaire-ment depuis vingt jusqu'à trente pouces, xx sont les secondes productions, propres de la souche ; ces fécondés productions fort

DE L'OUVRAGE. 11 tent des boutons attachés aux plans de ra-cines du troisième ordre qui seul donne des productions hors de terre. Les troisièmes pro-ductions t & t sortent des fécondés. Le nom-bre des plans de racines du troisième ordre est illimité ; le fécond ordre est borné à quatre plans. Depuis i jusqu'a k, on voit l'effet d'un sec très - vif, les nœuds font étranglés & n'ont quelquefois que deux lignes, au lieu d'un pouce & demi, deux pou-ces. Lorsque les pluies recommencent, les noeuds qui sortent, font plus longs ; comme on les voit depuis k jusqu'a l, tels qu'ils étoient depuis h jusqu'a i.

La partie depuis l jusqu'à n est celle qui sert de plant : y & z est le plant dépouillé de ses feuilles ; on le met cependant en terre avec ses feuilles tel qu'il est dans la figure 7 : u est l'ombilic par lequel l'embryon est atta-ché au plan: oo est la dernière production de la Canne, on l'appelle la flèche ; elle pa-raît effectivement d'abord comme une flè-che telle qu'elle est en oo, & se couronne ensuite d'un panache p. Elle fort en Septem-bre ou Octobre , & tombe en Novembre ou Décembre. On prétend que ce panache con-tient la graine de la plante, j'ai semé cette graine , rien n'a levé.

l. m. Sont des nœuds qui se développent à mesure que la flèche se dessèche.

12 PLAN DE L'OUVRAGE. On trouvera l'explication des autres figu-

res , dans l'histoire de la Canne & dans la fuite de l'ouvrage.

ESSAI

SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE

ET

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE NATURELLE

De la Canne à Sucre (1) , & précis des différentes manières de la cultiver.

L'OUVRAGE que je préfente au Public, après l'avoir fournis au jugement de la So-ciété Royale de Londres, & de l'Académie des Sciences de Paris, fut entrepris unique-ment pour des vues particulières ; mais il

(1) Imprimée dans les Transactions de la Société Royale de Londres de 1779.

14 ESSAI SUR L'ART m'a paru susceptible d'une utilité générale, quand il ne produiroit qu'une discussion sur une plante , j'ose dire, peu connue , & qui mérite de l'être, puisqu'elle fournit à l'Europe une reproduction annuelle de deux cents millions, l'emploi d'une quantité pro-digieuse de ses matières premières jusques-là fans valeur, le débouché de ces mêmes matiè-res portées par la main-d'œuvre jusqu'à la ba-lance d'une importation aussi considérable, & l'occupation de plusieurs millions de ses habi-tans dont elle assure la subsistance & l'entretien.

La culture ordinaire de la Canne me pa-raît plutôt être le fruit de quelques obser-vations générales, que le résultat de celles qu'on auroit dû faire.

On peut réduire a deux méthodes les sys-têmes établis avant celui que je propose.

L'une consiste à faire du Sucre presqu'in-distinctement en tout temps, & conséquem-ment a planter, s'il est permis de le dire , plutôt dans le temps où l'on est le mieux arrangé pour cette opération, que dans celui qui conviendroit le mieux au but essentiel qui doit être , de tirer ANNUELLEMENT de TOUTE sa terre tout ce qu'on peut espérer de sa fertilité combinée avec les différentes circonstances de l'accroissement de la Canne & des révolutions qu'elle éprouve dans les différentes faisons.

Cette méthode fut une fuite nécessaire de la difficulté qu'on eut dans le principe, à se procurer la quantité de Nègres qu'il auroit fallu pour travailler différemment, jointe au défaut d'observations qui pussent encore diriger les travaux.

DE CULTIVER LA CANNE. 15 Lorsque le Cultivateur fut mieux pourvu

de Nègres, entraîné par une ambition peu réfléchie , il ne vit dans l'augmentation de ses forces , que des moyens pour défricher de nouvelles terres , & ne fit d'autre chan-gement dans son systême que de couper un peu plus de Cannes dans la bonne faison que dans la mauvaise.

L'autre méthode, que j'appellerai le Systême de la grande culture (1) a été suivie ou adoptée dans tous les pays où la facilité de se pro-curer des Nègres, fut proportionnée à l'avan-tage qu'on avoit eu loin d'assurer au Mar-chand d'en recevoir le paiement aux termes stipulés.

Cette méthode consiste : 1°. A planter, en Octobre, Novembre &

Décembre, le quart ou le cinquième de la terre destinée aux Cannes;parce qu'alors tous les autres travaux étant finis , on est tout en-tier à cette opération importante.

2°. A faire des fosses très-profondes, parce que les racines trouvent plus de nourriture dans une plus grande profondeur.

3°. A planter à de grandes distances, parce que l'air circule mieux entre les plantes & leur procure une maturité plus parfaite.

(1) Le nom de grande culture mis en opposition avec celui de petite culture, dont je vais parier, pourroit induire en erreur, si je ne prévenois que je n'ai eu d'autre inten-tion que de donner un nom distinctif à chaque systême , afin d'éviter des répétitions & des longueurs qui souvent eussent été iudispensables.

16 ESSAI SUR L'ART 4°. Enfin, a faire la récolte pendant les

quatre mois de la plus belle faison, Fé-vrier, Mars, Avril & Mai ; parce qu'alors le Sucre se fait plus aisément, plus beau, & que les Cannes , dit-on , en donnent une plus grande quantité.

On coupe, dans ce systême, environ les trois quarts de la terre destinée aux Cannes ; le reste est, partie en jeunes plantes qu'on ne peut couper que l'année d'après, & par-tie en quelque portion de terre, sacrifiée né-cessairement pour se procurer du plant dans une faison où la récolte est déjà faite.

Je propose d'employer en entier les six pre-miers mois de l'année à faire la récolte, & de planter en Mai & Juin, les pièces de Cannes coupées en Janvier , ce qui entraîne la né-cessité de couper toujours les rejetons a onze mois, au lieu de les couper à 12, & les Cannes plantées, à 12, au lieu de les cou-per a 15 mois ; mais l'on coupe chaque an-née toute la terre destinée aux Cannes. Je ne plante aussi annuellement que le sixiè-me de ma terre, mais ce n'est pas l'article fondamental de mon systême, il me paroît feulement en être une fuite avantageuse : enfin , je plante moins profondément & à des distances moins considérables, parce que j'ai cru voir l'inutilité des grandes profon-deurs , dans l'expansion des racines de la Canne plus horisontale que perpendiculaire, & les fuites fâcheuses des grandes distances dans l'action du soleil fur une terre plus long - temps découverte , dont il absorbe bientôt toute l'humidité : je donne à ce

systême

DE CULTIVER LA CANNE. 17 systême, le nom de petite culture : les objec-tions qu'on y fait, ne me paroissent que spé-cieuses , je crois répondre à toutes, par l'his-toire de la Canne , des Saisons, de leurs effets, & de l'expérience ; quant à celle de la Can-ne, quoique je n'aie écrit dans le principe que pour instruire mon Econome, & point du tout avec la présomption d'enrichir le dépôt d'histoire naturelle , de celle d'une plante digne de la plume d'un Buffon ; je ne pense pas néanmoins qu'il y ait un seul point intéressant de cette histoire qui m'ait échappé ; mais tous étoient épars, sans ordre, comme ils s'étoient présentés, à me-sure qu'il falloit discuter & établir quelque partie de mon systême , & que j'étois obligé de chercher dans la nature de la plante, la raison de quelque phénomène que plusieurs années d'expérience m'avoient fait obser-ver ; je les rapproche aujourd'hui : mais pour apprécier la culture que je propose, il ne suffiroit pas de connoître la plante , il faut aussi connoître le climat où on la cul-tive.

Observations sur le Climat.

Dans les Isles Antilles, du quinze Février au quinze Mai, il fait ordinairement sec , les pluies font modérées jusqu'en Août ; elles font très - fortes pendant les deux ou trois mois suivans ; elles diminuent ensuite jusqu'en Février. Voilà donc une succession de neuf mois de pluies, suivie de trois mois de sec : voyez le tableau de la pluie tombée

* B

18 ESSAI SUR L'ART à la Grenade dans la partie de l'est, depuis le premier Juin 1772 jusqu'au premier Juin 1773 ; c'est le Tableau d'une année commu-ne , mais cependant un peu plus avantageuse que médiocre.

TABLEAU

De la pluie tombée à la Grenade dans la partie de l'est, depuis le premier Juin 1772 jusqu'au pre-mier Juin 1773.

pouces. 10e de pouc. Anglois. Juin, 9 3 Juillet, 13 9 Août, 11 9 Septembre, 19 0 Octobre, 12 7 Novembre, 9 1 Décembre, 18 8 Janvier, 9 5 Février, 6 4 Mars, 6 4 Avril, 0 8 Mai, 2 9

Total des po. d'eau 116. 0

On verra par la fuite, un Tableau détaillé des intervalles entre les ondées.

Histoire naturelle de la Canne. Parmi les détails minutieux dans lesquels

je vais entrer, il en est peu qui n'aient quel-

DE CULTIVER LA CANNE. 19 que rapport avec le systême que je propose.

La partie supérieure de la Canne est le meilleur plant dont on puisse se servir pour la multiplier ( Voyez figure 7 : voyez aussi figure 1.) c'est la partie depuis l jusqu'à n ; elle est dans cette fécondé figure dépouillée de ses feuilles : il est reconnu que le corps de la Canne ne réussit point, à moins d'une pluie continuelle depuis le moment qu'il est en terre, jusqu'à celui où tous les jets font sortis & allez vigoureux.

Histoire des racines de la Canne & de ses productions en terre.

1°. Si le plant est mis en terre aussi-tôt qu'il est coupé, & qu'il survienne de grandes chaleurs fans pluie, il reste souvent quinze jours fans que l'oeil découvre la moindre altération dans les deux ou trois nœuds de la plus grande espérance ; les premiers trop durs ( Voyez a figure 2.) sont d'abord dessé-chés ; les autres herbacés ( Voyez y jusqu'à z même figure ) ne produisent rien , à moins que le dernier ne se développe par son ex-trémité. Si le sec continue & qu'il ne se fasse pas sentir vivement jusqu'à la terre qui touche la partie inférieure du plant, on dé-couvre, après trois semaines, à cette partie du noeud qui touche le fond de la folle, quel-ques fils blancs de la longueur & de la gros-seur d'une demi-ligne. Après ce commence-ment de végétation , le plant meurt, s'il ne pleut pas avant que la terre qui touche ces petites racines soit entièrement desséchée ; ou

B 2.

20 ESSAI SUR L'ART du moins j'ai toujours trouvé la terre sèche fous ces petites racines., lorsqu'après un long sec , le plant qui les avoit données étoit entièrement desséché ; mais j'ai vu du plant mis en terre aussi-tôt que coupé, privé de pluies pendant plus d'un mois, donner un & quelquefois deux jets après six semaines. Si le plant est un peu fané, c'est-à-dire coupé quelques jours avant d'être mis en terre, il lève plus vîte s'il est fécondé de la pluie , & meurt plutôt s'il en est privé, parce qu'il n'a pu se faner , sans perdre une partie de l'eau qu'il contenoit, & dont il auroit eu besoin pour se soutenir plus long-temps contre la sécheresse de la terre qui l'environne, & qui probablement pompe même une partie de son humidité.

Je crois donc qu'il vaut mieux mettre le plant en terre aussi-tôt qu'il est coupé.

Nous supposerons un temps assez favo-rable. Lorsque ces petites racines qui se forment à l'entour du nœud , si la terre est par-tout humide , font longues d'une ligne

& demie ou deux, le bouton qui lui est atta-ché paroît gonflé ; quelques jours après il s'allonge horisontalement ( Voy. b, fig. 2.) suivant la direction dans laquelle le plant est couché, ensuite il décrit une spirale, (Voy. c même fig. ) & fort de terre comme une flè-che d : c'est ce que ^'appellerai les premières productions, qui font les productions directes du plant : deux ou trois jours après, le fais-ceau qui compose cette flèche se développe, les deux premières feuilles se déployent ( Voy. ee, fig. 3.) elles s'élèvent jusqu'à vingt-quatre

DE CULTIVER LA CANNE. 21 & trente pouces, ce font les feuilles propre-ment dites de la plante je les appellerai extérieures quoiqu'elles soient dans leur ori-gine enveloppées dans un quadruple étui de feuilles séminales (Voy. f, f, f, f, même fig. ), parce que celles-ci ne s'élèvent que très-peu au-dessus de la terre : je crois que le nœud auquel est attachée la dernière feuille de cette enveloppe, doit être regardé comme le collet de la plante qui divise la partie inférieure qui ne donne point de production hors de terre, d'avec fa partie supérieure d'où il en fort de toute espèce ; je n'ai du moins jamais remar-qué dans la partie inférieure d'autres produc-tions que ces quatre petites feuilles & des racines.

3°. Jusqu'au moment où les feuilles exté-rieures font hautes de huit à dix pouces , la terre ne transmet de nourriture à la plante que par les racines sorties à l'entour du nœud auquel étoit attaché le bouton qui l'a pro-duite, & qu'on peut regarder comme un premier ordre de racines. ( Voy. N°. 1. fig. 5. )

4°. Mais alors les feuilles séminales qui composoient l'enveloppe , se fanent, rou-gissent, peu de temps après elles se déssèchent & font bientôt chassées par un second ordre de racines qui paroissent a l'endroit où chacune des feuilles séminales étoit attachée. La Fig. 4 préfente la jeune plante dépouillée de ses quatre feuilles séminales & pourvue de son second ordre de racines ( Voy. N°. 2,) qui a pris leur place.

5°. Chacune des feuilles extérieures dont j'ai parlé ci-dessus ( j'entends les premières for*

B 3

22 ESSAI SUR L'ART tics) annonce aussi un nœud en terre d'autant plus distinct, que la feuille est pins vigou-reuse , & a mesure que chacune de ces feuil-les se déssèche , chaque nœud donne succes-sivement un plan de racines qui forment le troisième ordre ( Voy. n°. 3 , fig.5.); c'est a chacun de ces plans de racines qu'est attaché le bouton qui doit donner les jets que j'appel-lerai secondes productions : les premières, comme je l'ai déjà dit, font les productions directes du plant, on voit que les fécondés font les productions propres de la souche déjà for-mée. La Fig. 5 présente la plante dénuée tant de ses feuilles séminales que de ses feuil-les extérieures dont les nœuds font en terre ; elle paroît aussi pourvue de son premier or-dre de racines n°. 1 , de son fécond ordre de racines n°. 2, & du troisième no. 3 ; chaque plan de ce troisième ordre de racines est des-tiné à nourrir la plante qui sortira du bouton qui lui est attaché, si la saison est assez favo-rable & la terre assez bien préparée pour qu'il se développe

,

ou bien à nourrir seule-ment la plante déjà formée, fi le défaut de saison ou de culture s'oppose au développe-ment du bouton.

60. Revenons fur nos pas , supposant la saison très-favorable, & le premier jet sorti de terre après quinze jours ou trois semaines, & conséquemment le premier ordre de racines déjà formé :

A cinq ou six semaines les feuilles sémi-nales cèdent au second ordre de racines.

A neuf ou dix semaines , la première des feuilles extérieures commence à céder au

DE CULTIVER LA CANNE. 23 premier plan de racines du troisième ordre.

A douze ou quatorze semaines, le bou-ton attaché au nœud qui forme ce premier plan de racines du troisième ordre, se gon-fle , se développe & paroît aussi comme une flèche ( Voyez f, figure 5. ), c'est ce que j'ai appellé fécondés productions. Les boutons attachés aux deuxième, troisième , &c. plans de racines du troisième ordre se développent aussi & paroissent successivement chaque semaine fi la pluie continue : mais ce ne font encore que des fécondés productions ; les troisièmes productions

, feront celles qui un

mois ou cinq semaines après, Sortiront des fécondés ( Voyez g fig. ) fi la pluie continue; mais ce qu'il ne faut pas oublier par rap-port aux fécondés productions

} c'est qu'elles ont

besoin pour paroître, d'une saison avanta-geuse (pluvieuse ), & que cette douzième ou quatorzième semaine dans laquelle elles doi-vent for tir, ne tombant, eu égard aux plan-tations de Novembre & Décembre, qu'en Février ou Mars, temps du plus grand sec, qui lui pend toute végétation dans la terre découverte , ces fécondés productions retenues dans la terre , ne paraîtront qu'en Mai ou Juin suivant, lorsque les pluies feront déci-dées. La figure 5 préfente au-dessus de la terre , que nous supposons k a, le jet f (fé-condé production sortie du bouton b) attaché au premier plan du troisième ordre de racines de la plante h (première production), elle pré-fente aussi le jet g ( troisième production) fort! du bouton c attaché au premier plan du troisième ordre de racines de la plante f

B4

24 ESSAI SUR L'ART qu'on doit supposer plus avancée qu'elle n'est représentée ici. Le tems & les condi-tions du développement de ces différentes productions me paroissent autant de preu-ves de la partie fondamentale de mon sys-tême ; savoir , la nécessité de planter dans l'uni-que saison qui fait propre à hâter & entretenir ces dé-veloppemens : les neuf mois , où l'on peut rai-sonnablement espérer une continuité de pluies, font depuis le 15 Mai jusqu'au 15 Fé-vrier ( Voyez le Tableau des pluies. ) Elles aug-mentent pour ainsi dire avec vos Cannes plantées en Mai ; foibles d'abord , ensuite plus considérables, & par averses lorsque vos Cannes font assez grandes pour ne les plus redouter, cessant enfin par degrés , à mesure qu'approche le tems connu le plus favorable à la coupe.

7°. Lorsque j'ai déraciné des souches qui provenoient d'un plant mis en terre depuis dix mois, j'ai toujours trouvé très-faine, une por-tion de la partie ligneuse du plant, & la partie médullaire entièrement pourrie ; & j'ai cru que chaque Canne plantée

, continuoit ,

pendant qu'elle subsistoit, à tirer fa nourri-ture, non-seulement du second & troisieme or-dre de racines qu'on peut regarder comme les racines propres, mais encore du premier ordre de racines, c'est-à-dire , de celles qui s'étoient formées à l'entour du noeud auquel étoit attaché le bouton qui l'avoit produite. La figure 6, présente une canne entière a provenant du plant b, dont à dix mois la partie ligneuse cc étoit aussï faine que lors-qu'on l'avoit mise en terre : la partie médul-

DE CULTIVER LA CANNE. 25 laire étoit entièrement pourrie, ainsi que la partie herbacée dddd, qui compose l'extré-mité de la tête. La partie médullaire fournit fans doute au bouton la nourriture que les lobes des amandes fournissent au germe qu'elles contiennent.

8°. Lorsque j'ai déraciné des souches qui provenoient d'un plant mis en terre depuis treize mois, & dont on avoit coupé les Can-nes depuis un ou deux mois, j'ai toujours trouvé pourrie la partie ligneuse du plant d'où provenoit la souche ; les racines de ce plant étoient desséchées ; chacun des nouveaux rejetons jouissoit de son fécond & troisième ordre de racines & chacun de ces rejetons étoit attaché dans la terre à un nœud d'une des Cannes qu'on avoit coupées ; ce nœud étant encore verd, j'ai conclu que les rejetons jouis-soient aussi non-seulement de leurs propres racines, mais encore de celles du nœud dont ils étoient sortis, comme la Canne plantée jouit de ses propres racines & de celles du nœud dont elle tire son origine.

Mais comme le plant, suivant ce qu'on vient de voir, s'est toujours trouvé pourri , peu de temps après que la Canne qu'il avoit produite avoit été coupée ; j'ai soup-çonné que toutes les Cannes plantées , mais même les rejetons , ne jouissoient ja-mais que des trois ordres de racines dont j'ai parlé ; ce qui seroit bien contraire a la vé-tusté prétendue des souches qu'on dit être de dix , quinze & vingt ans ; & seroit un grand argument en faveur de mon principe, de l'inutilité de replanter, lorsque la souche

26 ESSAI SUR L'ART n'est pas élevée au-dessus de la terre; puisque dans le cas ou mon soupçon seroit juste, la plus vieille de toutes les racines d'une souche DONT

ON COUPE LES CANNES TOUS LES ANS , n'auroit pas au-delà, de deux années.

9°. Pour éclaircir un point aussi impor-tant, j'ai fait déraciner une souche de Can-nes plantées depuis quatre ans & coupées ré-gulièrement chaque année, & pour la der-nière fois depuis six mois; les rejetons étoient fort beaux, il y en avoit plus de quatre-vingt tant grands que petits ( il en réusssit rarement la sixième partie), la touffe n'avoit cependant pas au-delà de dix pouces de diamètre a fa naissance hors de terre : pour ne la point endommager j'ai fait cerner & enlever avec elle six pouces de terre a l'entour , & après l'avoir lavee & débarrassée de toute sa terre, je n'ai vu de trace d'aucun bois que de ce-lui des dernières Cannes coupées; j'ai déta-ché chaque rejeton séparément , & j'ai vu qu il étoit attaché a un nœud d'une de ces dernières Cannes, & que ce nœud étoit en-core verd ; j'ai suivi chacune de ces derniè-res Cannes , & j'ai vu entièrement desséché l'espèce d'ombilic ( Voyez u figure 1. ) par le-quel elles étoient attachées au nœud de quelques Cannes de l'année précédente ; je n'ai vu aucune apparence de ces ancien-nes Cannes qui par conséquent étoient alors pourries ; on ne voyoit a leurs places que des racines desséchées ; les racines sont allez long-temps à pourrir.

Concluons, comme je l'avois soupçonné , que les rejetons ne jouissent comme les Can-

DE CULTIVER LA CANNE. 27 nes plantées, que des trois ordres de racines dont j'ai parlé , avec cette différence que le premier ordre de racines des Cannes plan-tées , provient du plant mis en terre , & que celui des rejetons provient de cette partie des Cannes coupées qui relie dans la terre, partie qui pourrira l'année suivante peu de temps après que les rejetons subséquens auront paru ; de forte que le troisième ordre de racines d'une Canne qu'on vient de cou-per , devient le premier ordre de racines du rejeton qu'elle va produire , lequel premier ordre pourrira l'année suivante , ainsi que le fécond , après que de nouveaux rejetons auront suivi la coupe qu'on doit faire des précédens.

Il faut donc renoncer à la prétention d'avoir des souches de quinze & vingt ans ; les plus vieilles font de l'année précédente: & cette prétendue vétuste des souches étant démontrée fausse, elle ne doit plus être une raison pour replanter aussi souvent, il sera toujours inutile de le faire lorsque la souche ne fera pas élevée au-dessus de la terre, & que par des labours annuels & bien faits, on aura foin de soulever celle qui l'environne , que les pieds des Nègres & des bestiaux, quand on la travaille, ne manqueraient pas d'affaisser a la longue , & de rendre presque impénétrable aux nouvelles racines qui doi-vent se former chaque année.

On voit aussi combien il est essentiel de couper les Cannes dans la terre, afin d'em-pêcher la souche de s'élever, & combien est mauvaise la maxime de rechausser que tant

28 ESSAI SUR L'ART de gens trouvent fi bonne, qui élève cepen-dant tous les ans la louche, & qu'on ne de-vroit suivre que dans les pièces qu'on se pro-pose de replanter l'année d'après : elle cil excellente alors, mais alors feulement.

On voit aussi pourquoi les rejetons a douze mois font plus avancés que les Cannes plan-tées ne le font à treize : le premier ordre de racines des rejetons cil dans toute sa vigueur au moment de la coupe ; celui des Cannes plantées l'est rarement au bout d'un mois.

On voit aussi pourquoi les rejetons des Cannes coupées à dix, onze, Se douze mois, font toujours plus beaux que ceux des Can-nes coupées à quinze & seize ; le bois de celles-ci beaucoup plus dur, est dans le cas du plant dont j'ai remarqué ci-dessus , que les premiers nœuds qui étoient les plus durs, ne donnoient point de jets, a moins d'une saison singulièrement favorable.

On voit aussi pourquoi l'on n'a jamais de beaux rejetons dans ces terres qu'on appelle épuisées. On y coupe les Cannes plantées à quinze & seize mois ; la partie de leur bois qui reste en terre & d'où proviennent les rejetons est alors à un point extrême de du-reté : d'ailleurs cette coupe se fait en Février, Mars, & Avril, & ces trois mois ne font pas propres a produire des miracles de végéta-tion. Voyez le Tableau de la pluie.

On peut conclure aussi que rien n'est plus capable de réparer une pièce de rejetons , que d'en anticiper la coupe ; & qu'ainsi l'an-ticipation des coupes, nécessaire dans mon

DE CULTIVER LA CANNE. 29 systême n'est point fans un avantage qui di-minue la perte que j'ai supposée.

10°. Après avoir lavé & gratté légèrement jusqu'à leur origine, (jusqu'à cette espèce d'ombilic dont j'ai parlé ) deux Cannes , re-jetons de six mois, l'une prise dans un ter-rain humide, l'autre dans un terrain très-sec, l'une ayant hors de terre quatorze noeuds dans une longueur de vingt - huit pouces, l'autre ayant feulement cinq nœuds dans une longueur de deux pouces, j'ai vu que la Canne qui avoit quatorze noeuds hors de terre , n'avoit en terre que cinq plans déracinés du troisième ordre, dans une longueur d'un pouce & demi ; & que la Canne qui n'avoit que cinq noeuds hors de terre, avoit en terre quatorze plans de ra-cines aussi du troisieme ordre & dans la même longueur d'un pouce & demi.

Cette observation prouve que jusqu'au temps où la Canne noue, c'est-à-dire, laisse voir un nœud hors de terre, le dessèchement de chaque feuille extérieure est toujours suivi d'un plan de racines du troisième ordre, & l'on voit pourquoi dans les terrains hu-mides , les Cannes nouent hors de terre à trois mois ; mais alors elles n'ont en terre que quatre à cinq plans de racines du troisiè-me ordre, distans les uns des autres de trois, quatre ou cinq lignes ; dans les terres sèches au contraire, ou ( ce qui est égal) singuliè-rement affaissées par le défaut de culture , les Cannes ne font nouées hors de terre qu'à cinq mois , mais alors elles ont en terre quatorze à quinze nœuds ou plans de ra-

30 ESSAI SUR L'ART cines, distans les uns des autres d'une ligne feulement & quelquefois moins : les noeuds d'un terrain sec ou mal cultivé , font donc égaux en quantité à ceux d'un terrain hu-mide ou fertile, mais ils différent en ce que la plus grande partie des uns font courts, petits, & dans la terre; le plus grand nombre des autres font gros , longs & hors de terre.

C'est donc la bonté ou le défaut de la cul-ture ou de la saison qui retient & abâtar-dit les uns, hâte & grossit les autres : choi-sissez donc pour planter, la saison où la plus grande continuité de pluie possible, forcera le plutôt à paraître hors de terre, les nœuds qui dans une saison plus sèche, formeraient uniquement en terre une quantité considéra-ble de plans de racines , dont l'inutilité est visible par l'état des plantes qui en font, ( l'on peut dire) affligées.

La première raison de planter en Mai & en Juin , dont j'ai parlé page 23, intéres-soit la sortie des différentes productions en général, première, fécondé, troisième, &c. La fécondé raison dont je viens de parler, in-téresse les premiers développements de cha-que production en particulier : voyons fi mon systême s'accorde également avec ceux qui doivent donner a la plante toute la perfection dont elle est susceptible.

Histoire des nœuds de la Canne hors de terre.

Il se présente à l'égard des nœuds de la Canne, deux points essentiels a considérer , le nombre & la qualité : quant au nombre,

DE CULTIVER LA CANNE. 31 le calcul qu'on pourroit en faire dans les deux systêmes, seroit subordonné h tant de sup-positions, que je crois devoir, pour ce mo-ment-ci, simplifier la quel) ion, en exposant que je coupe maintenant toutes mes Cannes chaque année, au lieu d'en couper feulement les trois quarts , comme je faisois, lorsque je suivois l'autre systême. On verra cependant ci-après l'unique espèce de calcul dont je crois la matière susceptible.

Quant a la qualité des nœuds, il me sem-ble qu'elle peut être décidée par leur histoire, à laquelle on n'a fait jusqu'a-présent qu'une médiocre attention, quoique la plus légère eût suffi pour démontrer la fausseté des idées qu'on a fur l'âge qu'il faut donner aux Can-nes pour leur procurer une maturité par-faite.

A 3, 4 ou 5 mois , selon la terre & le temps qu'il a fait, la Canne ne préfente en-core qu'une tige herbacée garnie de feuilles, Voy. fig. 8 depuis a jusqu'à z, qui est un petit rouleau verd dans lequel est renfermée une quantité de feuilles blanches qui doivent se développer successivement -, la feuille b , (Voy. fig. 9 ) tombe enfin & lai lie voir le pre-mier nœud a hors de terre , bientôt après la feuille bb tombe ( Voy. fig. 10) & le fécond nœud b paroit ; de ce moment jusqu'a celui où elle a pris tout l'accroissement dont elle est susceptible , elle augmente chaque mois de quatre a cinq nœuds, plus ou moins gros , plus ou moins longs ( c'est aussi suivant le temps & le sol ) : on peut voir Fig. 1, depuis i jusques à k, l'effet d'un sec très-vif, lorsqu'il

32 ESSAI SUR L'ART commence avec le mois de Février, & qu'il continue jusqu'à la fin de Mai ou plus long-temps ; les noeuds font étranglés, & au lieu d'avoir un pouce & demi, deux pouces de long, comme les nœuds depuis h jusqu'à i, produits dans une bonne saison, quelques-uns de ceux qui ont été produits dans le temps du sec, ont à peine deux lignes, d'autres en ont moins. Lorsque les pluies reviennent & con-tinuent , les noeuds qui sortent font plus longs, comme on les voit depuis k jusqu'à l, & tels que les premiers depuis h jusqu'à i : l'effet de l'aridité du fol est exactement le même que celui de l'intensité & de la lon-gueur du sec : j'ai vu chez moi dans une es-pèce de tuf, près d'une carrière, une Canne digne d'être mise dans le cabinet d'un Cu-rieux , elle étoit grosse comme une plume à écrire, longue de trois pouces, & n'en avoit pas moins les vingt-deux noeuds très-distincts ; je l'envoyai dans une lettre à une personne qui auroit pu m'en envoyer en échange quelques autres de six pieds de long, & qui dans cette longueur n'auroient eu que vingt-deux nœuds comme la mienne , si elles avoient noué hors de terre en même-temps qu'elle.

Le premier nœud qui paroît, soit à trois,, soit à quatre ou cinq mois, reste toujours à fa place près de la terre (Voy. a fig. 8.) ; de celui-là sort le second ( Voy. b fig. 10. ), du second le troisième, ainsi du reste ; mais ils ne paroissent qu'après que les feuilles aa, bb , cc , &c. font desséchées & tom-bées ; chaque semaine fournit à-peu-près

son

DE CULTIVER LA CANNE. 33 ion nœud , & assez ordinairement on voit chaque semaine une feuille se dessécher & tomber ; dans une Canne de trente-deux noeuds que je suppose bons à couper, on en voit vingt-cinq ou vingt-huit dépouillés naturellement de leurs feuilles, & cinq à six autres garnis encore de leurs feuilles dessé-chées, prêtes a tomber : les nœuds suivans garnis de feuilles vertes forment la tête qu'on a foin de couper après la dernière feuille dessechée ; la feule exposition des faits sem-ble démontrer que le dessèchement & la chute d'une feuille est l'unique preuve , & une preuve suffisante de la maturité du nœud auquel elle étoit attachée, & que les deux derniers nœuds de deux Cannes coupées le même jour, font exactement du même âge & de la même maturité , quand bien même l'une de ces deux Cannes auroit quinze mois & que l'autre n'en auroit que dix : ce raisonnement est confirmé par des expé-riences réitérées de deux quantités égales de Cannes prises dans des pièces d'un âge diffé-rent & coupées le même jour, par lesquelles il est évident que chaque nœud de Cannes prétendues de dix mois, contient autant de lucre que chaque nœud de Cannes prétendues de quinze. Voyez ci-après les Expériences.

La nécessité où je fuis de couper mes Can-nes plantées a douze mois, & mes rejetons à onze, n'a donc rien de contraire a l'idee qu'on doit se faire de la maturité absolue de cette plante, décidée par l'expérience aussi bien que par l'histoire de ses nœuds : quant à sa maturité relative, celle qui intéresse le su-

* C

34 ESSAI SUR L'ART cre , elle n'est pas l'effet de l'âge des Cannes, mais de la saison : en Février, Mars & Avril, routes les Carmes, de quelque âge qu'elles soient, ont la perfection de maturité dont la qualité du terrain les rend susceptibles ( je le prouverai ci-après ) & je ne manque pas de faire la plus grande partie de mon lucre dans cette saison.

Examinons quelques autres circonstances de la Canne, & sur-tout celle de fa durée.

Histoire de la Canne dans les différentes espèces de terre : Des divers degrés & de l'espèce d'accroissement qu'elle y acquiert.

Il ne faut pas juger de l'histoire d'une plante , dans un climat qui favorise tous ses développements , par son état dans un pays où elle ne retire d'autre fruit des foins qu'on lui donne, que la prolongation d'une trille existence, inutile à tous autres égards que celui de la curiosité : la Canne qu'on voit dans les ferres en Europe, n'est que l'ombre de celle d'Amérique : Ne jugeons donc point de la durée naturelle de l'une, par la durée arti-ficielle & en quelque façon apparente de l'autre ; je dis apparente , car si la Canne d'Europe ne croît, je suppose que d'un nœud chaque année , cinquante - deux années d'existence en Europe n'équivaudroient qu'a cinquante-deux semaines d'existence en Amé-rique ( 1 ).

( 1 ) Lorsque je hasardois cette supposition, je ne faisois

DE CULTIVER LA CANNE. 35 Première Observation. Je n'ai jamais vu , chez

moi ni ailleurs, de Cannes qui eussent au-delà de quarante-six nœuds utiles ( je ne parle pas de ceux de la tête) & j'ai rarement vu cette

Quantité de nœuds dans une longueur moin-dre de sept, huit & neuf pieds. Seconde Observation. Je n'ai jamais vu cette

longueur ailleurs que dans un terrain neuf, ou le plus humide fans être noyé, c'est-à-dire, dans le terrain le plus favorable au plus prompt & au plus grand accroissement de la Canne.

Troisième Observation. Dans un terrain de cette espèce, j'ai toujours vu la Canne nouée hors de terre a trois mois, quelquefois même à deux & demi s'il y avoit eu des ondées fré-quentes fans averses.

Quatrième Observation. Je n'y ai jamais coupé les Cannes à treize & quatorze mois, fans en trouver beaucoup de pourries ou presque des-séchées ; pourries & couchées si l'annee avoit été pluvieuse ; presque desséchées quoique fur pied s'il y avoit eu très-peu de pluie.

qu'imaginer ce qui pouvoir être : M. Touin , du Jardin du Roi, à Paris, m'a mis en état d'apprécier une idée fur la-quelle je n'étois pas fans une espèce d'inquiétude ; il m'a fait voir une Canne qu'il croit plantée , il y a douze ans : elle a trente nœuds. Pour établir que c'est à raison de deux nœuds

& demi par an, il faudroit être certain qu'elle a été plantée il y a douze ans. Mais il m'a fait voir aussi une Canne qu'il sait avoir été portée d'Amérique dans un pot, il y a deux ans, elle n'a encore que deux nœuds hors de terre. Con-cluons du moins, comme je l'avois dit, que pour connoître une plante, il faut la suivre dans le climat qui lui est propre ; exposons les faits que j'y ai observés.

C 2.

36 ESSAI SUR L'ART Ne peut-on pas conclure de ces quatre

observations que ces quarante - six nœuds sont à-peu-près le non plus ultrà de l'accroisse-ment des Cannes dans les terrains neufs ou humi-des ? que ces quarante-six nœuds étoient le travail d'a-peu-près autant de semaines qui s'étoient écoulées depuis la sortie du pre-mier nœud, puisqu'on ne peut pas supposer que les Cannes croissent jusqu'au moment où l'on en trouve beaucoup de pourries. Qu'ainsi les Cannes de la première production , qui subsistent encore après douze, ou tout au plus treize mois , subissent néanmoins tous les jours quelque diminution de leur va-leur réelle : les secondes productions font les feules qui subsistent alors dans leur perfec-tion ; les troisièmes & quatrièmes ne l'ont pas encore atteinte.

Cinquième Observation. Dans un bon terrain , bien exposé , égoutté, & travaillant depuis plusieurs années, je n'ai jamais vu de Cannes qui eussent au-delà de trente-huit à quarante nœuds, ni cette quantité de nœuds dans une longueur moindre de quatre pieds & demi, & je n'ai jamais vu ces quarante nœuds, que dans les années très favorables.

Sixième Observation. Je n'ai jamais vu la Canne nouée dans cette espèce de terrain, avant le quatrième mois, ou la fin du troi-sième.

Septième Observation. Je n'y ai jamais vu

couper les Cannes a quatorze ou quinze mois, sans en trouver beaucoup de pourries ou de desséchées, suivant la saison ; pourries, si je les coupois après les pluies en Janvier ;

DE CULTIVER LA CANNE. 37 desséchées, si je les coupois après trois mois de sec en Avril.

Ne peut-on pas conclure de la cinquième & sixieme observation, que ces trente-huit a quarante nœuds font le travail de trente-huit à quarante semaines, écoulées depuis la sortie du premier nœud à quatre mois , quatre mois & demi ; & qu'ainsi l'accroissement des Cannes dans un pareil terrain , ne différé de celui qu'elles prennent dans un terrain neuf ou humide, que des quatre ou cinq semai-nes de nœuds qu'elles acquièrent de plus dans celui-ci , parce qu'elles y sont nouées quatre ou cinq semaines plutôt.

Et ne peut-on pas conclure de la cinquiè-me , sixieme, & septième observation réu-nies que dans un bon terrain bien exposé & égoutté , les Cannes de la première production peuvent bien se soutenir jusqu'à quatorze mois, peut-être même jusqu'à quinze, fi elles ont atteint le quatorzième en Février & que le sec ne soit pas bien vif ; mais qu'il en fera de leur état depuis treize jusqu'à quinze , comme de celui d'un homme sec & nerveux depuis quarante jusqu'à quarante-cinq ans, qui s'abuse s'il croit être aussi vigoureux qu'à trente-cinq : d'où il fuit qu'il ne peut être qu'avantageux de couper dans un pareil ter-rain les Cannes à douze mois, si les autres circonstances du systême qu'on aura adopté peuvent le permettre, & même à onze mois si d'autres circonstances l'exigeoient , parce que dans ce cas on peut espérer un dédom-magement dans la vigueur qu'on procure à la louche par une coupe anticipée.

C 3

38 ESSAI SUR L'ART Huitième Observation. Dans un terrain sec ,

quoique bon, point fumé, mais bien travaillé & très-aide de la saison , je n'ai jamais vu de Cannes qui eussent au-delà de trente a tren-te-quatre nœuds, & cette quantité se trou-voit dans une longueur de trois à quatre pieds.

Neuvième Observation. Je n'y ai jamais vu le premier nœud sortir avant quatre mois, qua-tre mois & demi.

Dixième Observation. Lorsque j'ai coupé ces

Cannes à quinze mois, je les ai toujours trouvées fur pied , mais très-sèches & quel-quefois un peu altérées.

Ne peut-on pas conclure de la huitième & neuvième observation , que ces trente à trente-quatre noeuds sont à-peu-près le non plus ultrà de l'accroissement des Cannes dans un terrain bon quoique sec , point fumé , mais allez bien travaillé & aidé de la saison ?

Et ne peut-on pas conclure des trois ob-servations réunies, que ces trente ou trente-quatre nœuds font l'ouvrage d'autant de semaines écoulées depuis la sortie du pre-mier nœud à quatre mois & demi , cinq mois ; qu'ainsi l'accroissement des Cannes dans un pareil terrain est à-peu-près égal à celui qu'elles prendroient dans un terrain humide ou dans un autre bien exposé & égoutté, avec cette différence cependant, que les Cannes nouent d'autant plus vîte, que le terrain est plus humide, & que dans ce cas les nœuds font plus gros & plus longs, mais qu'enfin tout l'accroissement réel se

DE CULTIVER LA CANNE. 39 trouve renfermé dans l'espace d'environ douze à treize mois.

Onzième Observation. Dans un terrain plus sec , plus aride, & sur-tout si le travail ou la saison n'ont pas un peu balancé le désavan-tage de l'exposition & du fol, je n'ai jamais vu de Cannes qui eussent au-delà de vingt-quatre à vingt-huit nœuds, & j'ai vu cette quantité de nœuds même dans des Cannes qui n'avoient que deux pieds de haut.

Douzième Observation. Je n'ai jamais vu dans un terrain de cette espèce, la Canne nouée avant cinq mois, souvent plus tard.

Treizième Observation. Lorsque j'ai voulu couper ces Cannes en Janvier , à quinze mois ; que je n'ai point été satisfait de leur état actuel; & que je les ai attendues jusqu'en Avril ; je n'en ai pas trouvé à la vérité une feule pourrie, mais j'en ai trouvé beaucoup d'entièrement desséchées.

Quatorzième Observation. Dans ce même ter-rain , lorsque les Cannes ont eu dans le mois de Mars ou d'Avril, soit douze, soit quinze mois , & que je n'ai pas voulu ou pu les couper alors, j'ai trouve aux mois de Mai & Juin fui vans beaucoup de souches mortes, j'ai trouvé dans celles qui avoient résisté , le plus grand nombre des premières productions totalement desséchées, & les secondes si alté-rées par le soleil , que ce n'a été qu'avec beaucoup de peine & d'attention qu'on a pu en faire du sucre.

Ne peut-on pas conclure de la onzième, treizième & quatorzième observation , que ces vingt-quatre & vingt-huit nœuds des

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40 ESSAI SUR L'ART Cannes dans cette espèce de terrain , font le non plus ultrà de l'accroissement qu'elles peu-vent y prendre.

Et ne peut-on pas conclure de la douzième, que ces vingt-quatre à vingt-huit nœuds font l'ouvrage d'autant de semaines qui jointes aux cinq mois, cinq mois & demi qui se font écoulés depuis la sortie du premier noeud, ne font que douze a treize mois d'ac-croissement réel dans les Cannes du terrain le plus sec comme dans celles du terrain le plus humide , sauf , comme j'ai dit plus haut la différence de longueur & de gros-seur des nœuds.

Quinzième Observation. Lorsqu'on a cil foin de travailler parfaitement de fumer beau-coup les endroits arides, j'y ai toujours vu les productions égales en tout a celles d'un bon terrain bien exposé & égoutté.

Seizième Observation. Lorsqu'on a fait des tas de fumier fur quelques parties de ce terrain sec & aride, pour les distribuer dans le reste de la pièce , j'ai toujours vu les Can-nes dans ces petits espaces qui avoient été couverts de fumier , pourries ou desséchées suivant la saison à treize mois, comme les Cannes du terrain humide ; j'y ai cependant observé cette différence qu'en les coupant les unes & les autres à douze mois , le lucre des Cannes du terrain trop fumé brûloit en Avril , & que celui des Cannes du terrain humide se faisoit alors plus beau qu'en au-cune autre saison.

Dix - septième Observation. J'ai vu même , après dix ans , l'effet de ces tas de fumier,

DE CULTIVER LA CANNE. 41 & tous les emplacemens fur lesquels ils avoient été mis, donner encore d'excellentes productions, lorsqu'on les coupoit à douze mois.

Ne peut-on pas conclure de la quinzième & seizième observation , que c'est toujours la faute du Cultivateur & jamais celle de la plante, fi la Canne n'est pas bonne à couper a douze mois ? Or, fi l'on plante en Octo-bre & Novembre , il est presqu'impossible que les Cannes soient bonnes à couper douze mois après ; arrêtées par le sec au moment où elles alloient nouer, ce n'est que vers la fin de Juin qu'elles commencent à sentir le bénéfice du renouveau ; d'ailleurs , en supposant même que les Cannes plantées en Octobre & Novembre fussent bonnes a couper douze mois après, la pluie qui tom-be alors en abondance ne permettroit pas de faire du sucre, a moins qu'on ne voulût le faire abominable, & écraser les bestiaux. Je n'ai point parlé ici des plantations de Dé-cembre , parce qu'il est rare que dans les terrains qui ne font pas privilégiés ( humides sans être noyés ), il en réussisse deux ou trois fur dix ; le sec est trop voisin.

Ne peut-on pas conclure aussi de la dix-septième observation , que c'est encore la fuite du Cultivateur, & point du tout celle du terrain s'il ne donne pas encore d'excellen-tes productions c'est-à-dire en d'autres mots, de bons rejetons a la sixieme coupe ?

Et ne résulte-t-il pas du total de ces obser-vations, que s'il paroît que dans certains ter-rains la Canne peut subsister jusqu'a quinze mois fans un dépérissemcnt manifeste , elle

42 ESSAI SUR L'ART ne croit cependant jamais au-delà de treize mois réels ? peut-être même serons-nous for-cés de réduire ces treize mois a douze , lors-que nous aurons parlé de la révolution sin-gulière & annuelle qui précède & produit peut-être le dernier développement de cette plante.

Histoire d'une révolution singulière dans l'intérieur de la Canne : De la flèche, qui la suit & qui forme le dernier développement de cette plante. D'après ce que j'ai dit fur la maturité de

la Canne , on voit que l'effet principal & nécessaire du sec fur cette plante , est la dimi-nution de la partie aqueuse de son jus : l'on ne fera donc point surpris que la même quantité de Cannes qui donne au mois de Jan-vier cent quarante à cent soixante gallons (1) de liqueur, n'en donne que quatre-vingt-dix à cent dans le mois d'Avril ; ni que ces quatre-vingt-dix gallons d'Avril donnent autant de lucre que les cent quarante de Janvier ; mais il sembleroit qu'au retour des pluies la Canne devroit recouvrer l'eau qu'elle a perdue par le soleil confiant de Février, Mars & Avril ; c'est le contraire qui arrive: non-seulement le jus diminue, mais sa qualité se détériore -, il contient moins de sucre ; & lorsque le renouveau est tout-a-fait décidé , que les pluies font fréquentes & abondantes, ce qui arrive ordinairement du premier Juillet au quinze Août, il semble

(1) Gallon , mesure de 4 pintes de Paris.

DE CULTIVER LA CANNE. 43 que tous les efforts de la végétation soient consacrés à la production de la flèche ( Voy. o O fig. 1 ) ; le corps de la Canne est alors pres-que totalement destitué de ion jus qui se porte en abondance vers la tête de la plante ; bientôt il fort de son extrémité supérieure une tige allez grêle & pointue, qui s'élève dans l'espace de cinq a six semaines jusqu'a la hau-teur d'environ trois pieds, se dévelope enfin par fa pointe, & se couronne d'un panache allez semblable a celui du roseau.

o O P fig. 1 , présente la flèche couronnée de son panache ; elle est ordinairement tout-à-fait développée à la fin d'Octobre, peu-à-peu elle se dessèche & tombe le mois suivant. Quelques personnes prétendent que ce pana-che contient la semence de la Canne : j'ai déjà dit que j'avois semé l'espèce de poussière ou de graine qui en fort, & que rien n'avoit levé ; peut-être ai-je mal fait l'expérience, ou que la Canne qui vient de bouture ne porte que des graines folles : quoiqu'il en soit , après que la flèche est sortie , la Canne est à son dernier période , & un peu plutôt, un peu plus tard après la chute de la flèche ( tou-jours suivant la saison ) , les nœuds qui la pré-cèdent se dessèchent successivement, cette gangrène , si j'ose m'expliquer ainsi , n'est arrêtée que lorsqu'il se forme une espèce de fausse tête vers le huitième & neuvième avant dernier nœud ( Voy. l m fig. 1 ) ; ce font deux nœuds qui se développent après la chute de la flèche , s'il y a beaucoup de pluie , & qui forment cette fausse tête qui fait en partie l'office de la première, puisqu'elle entretient

44 ESSAI SUR L'ART l'action de la sève dans la partie de la Canne qui reste encore (aine , & que s'il ne tombe pas assez de pluie pour que ces deux nœuds le développent, tous se dessèchent successi-vement jusqu'à la racine.

Observons encore, par rapport a la flèche : 1°. Qu'ainsi que la maturité, elle n'est point

l'effet de l'âge , mais de la saison. Dans le mois de Septembre ou d'Octobre, les Cannes de six mois flèchent comme celles de douze & quinze , mais toutes les Cannes ne font point susceptibles de ce phénomène , & l'on en voit d'autant moins de fléchées, que le ter-rain est plus sec, ou la saison moins pluvieuse.

Que celles qui ont fléché n'augmen-tent pas d'un seul nœud ; quelques personnes prétendent que ceux qui font déjà sortis , s'allongent considérablement ; je n'en fais rien , mais je n'ai fait aucune remarque qui m'induise à le croire.

3°. Que les Cannes qui ne flèchent point n'en éprouvent pas moins la révolution inté-rieure dont j'ai parlé, cette diminution & cet appauvrissement de leur jus.

4°. Que lorsqu'il s'est trouvé dans une pièce de Cannes abandonnées ( bonne terre cependant , & sur-tout un peu humide ) quelqu'ar-brisseau qui a pu servir d'appui a une Canne fléchée , & aux jets sortis de son huitième & neuvième avant-dernier nœud , l m fig. 1, chacun de ces jets a donné l'année suivante une Canne beaucoup moins belle a la vérité que celle dont ils sortoient ; mais ces Cannes n'auroient fans doute eu besoin pour flécher ensuite & donner d'autres Cannes l'année

DE CULTIVER LA CANNE. 45 d'après, que d'être appuyées comme celles qui les avoient produites.

Il me reste à parler de la Canne dans les deux systêmes.

Histoire de la Canne, dans les deux systê-mes & dans les différentes espèces d'an-nées , favorables , sèches & pluvieuses.

Nous distinguerons trois espèces d'années, j'appellerai l'une très-sèche, l'autre très-plu-vieuse , l'autre favorable : & afin qu'il n'y ait pas d'équivoque fur le mot favorable, je dirai qu'une année fera telle, lorsqu'au tems de la coupe, en Février, on trouvera toutes les Cannes qui ont été plantées en Novem-bre, quinze mois avant, assez belles pour en être satisfait, ou du moins qu'il y en aura peu de pourries ou renversées.

Je dois ajouter que la feule différence qu'il y ait entre une bonne & une mauvaise année, eu égard au sec, est qu'il commence ou finit quelques semaines plutôt ou plus tard , & que dans le total, il est plus long dans la mauvaise que dans la bonne.

Examen de Vannée favorable dans les deux systêmes.

Je commencerai par l'année favorable, j'examinerai mes plantes de Mai avant de parler des plantes de Novembre.

Après vingt-cinq , trente ou trente-cinq jours , on ne voit que cinq a six jets dans chaque fosse , l'une dans l'autre, ils ne font

46 ESSAI SUR L'ART que se fortifier jusqu'à la fin du troisième mois, c'est celui d'Août ; alors comme la pluie augmente ( Voyez le Tableau ), on voit sortir de nouveaux jets ; ce sont, comme nous l'avons dit, les fécondés productions ou les productions propres de la louche déjà formée. Ils sortent, répétons-le encore, des premiers jets. ( Voy. f, fig. 5. )

L'accroissement de ces féconds jets conti-nue fans interruption, non-seulement jus-qu'en Février, mais même pendant le sec, parce que la terre est couverte depuis cinq mois , que l'humidité s'y conserve, & que la moindre pluie tourne à profit : ces Cannes que je couperai en Mai suivant, feront donc moitié de douze mois (savoir les premières productions) le reste fera, partie de neuf, partie de huit mois, &c. car tous les mois pluvieux font accompagnés de productions nouvelles.

Passons au systême de la grande culture : le plant mis en terre en Novembre, donnera aussi par chaque touffe, cinq à six jets qui se fortifieront jusqu'en Février ; mais alors la végétation est presque arrêtée. 1°. Parce que ces plantes ne couvrent point la terre qui se trouve desséchée après quelques jours d'un sec très-vif. 2°. Parce que les petites pluies font repompées par le soleil presqu'aussi-tôt après qu'elles font tombées. 30. Parce que les racines de ces plantes , foibles encore, ne peuvent s'introduire dans une terre qui se durcit de jour en jour; ce ne fera donc qu'au renouveau , c'est-à-dire après les pluies de Mai OU de Juin ( lorque je couperai mes Cannes plantées ), qu'on appercevra dans les autres,

DE CULTIVER LA CANNE. 47 les féconds jets , produirions propres de la souche, qui se succéderont le fortifieront jusqu'en Février suivant : alors si l'on trouve dix à douze Cannes à chaque touffe , il ne faut pas prétendre couper dix à douze Cannes parfaites de quinze mois ; mais il faut dire, si l'on veut avoir l'air de raisonner conséquem-ment, je coupe cinq à six Cannes mûres de quinze mois égaux à treize , à cause des trois mois de sec qui n'en valent qu'un tout au plus, je coupe aussi deux Cannes de neuf mois qui ne font pas mûres, deux de huit qui le sont encore moins, &c.

D'après cette observation seule , & sans revenir à ce que j'ai dit plus haut de l'âge réel de chaque nœud de Cannes , que de-vient le principe de la maturité considérée comme effet de l'âge ? & de quel poids doit-il être dans le choix du temps des planta-tions ?

Comparons nos produits ; le systême de la grande culture donne cinq à six Cannes de treize mois; celui de la petite en donne cinq à six de douze : les cinq à six autres feront égales dans les deux systêmes, partie de neuf mois, de huit, &c. La grande culture n'a donc que l'avantage du treizième mois fur une par-tie de la première récolte; la petite culture a la féconde récolte entière pour dédommage-ment.

Examen de Vannée sèche. Les plantes de Novembre auront en Février

quatre ou cinq jets qu'elles conserveront jus-qu'à la fin de Mai ; les pluies du reste de l'an-

48 ESSAI SUR L'ART née , quoique peu considérables, suffiront pour leur procurer un triste accroissement, mais il ne paraîtra pas de nouvelles produc-tions -, & l'on coupera en Février quatre à cinq cannes de quinze mois , égaux, j'y con-sens encore, à treize mois, en supposant que les trois du très-grand sec n'aient pas détruit quelques-unes des Touches, ce qui dans une année sèche est presque impossible.

Mes plantes de Mai conserveront aussi leur quatre à cinq jets, elles ne cesseront de croître tristement comme celles de Novembre jus-qu'en Février , mais moins tristement que celles de Novembre depuis Février jusqu'en Mai, parce que, comme je l'ai déjà dit, la terre qu'elles couvriront, quelque pitoyable qu'ait été leur accroissement pendant neuf mois, conservera plus d'humidité : je coupe-rai donc en Mai mes quatre à cinq trilles Cannes de douze mois , aussi pitoyables que celles de Novembre ; la différence fera donc encore très-peu considérable, & j'aurai le même dédommagement dans la fécondé ré-colte.

Examen de l'année pluvieuse.

Les Cannes de Novembre auront en Février, sept à huit jets au lieu de quatre a cinq, elles couvriront mieux la terre & continueront de croître pendant le sec que je dois aussi sup-poser moins long & moins vif, mais qui fera néanmoins toujours assez fort pour empê-cher qu'il ne se forme de nouvelles produc-tions ; il n'en paraîtra qu'après les pluies de

Mai

DE CULTIVER LA CANNE. 49 Mai & de Juin décidées; le tout alors pren-dra un accroissement rapide , prodigieux , Se l'on trouvera, en Février fui vaut, les sept a huit premiers jets à moitié pourris, parce qu'ils se feront malheureusement trouvés allez grands pour couvrir la terre & croître pendant un sec peu considérable ; mais on aura dans toute leur bonté , les fécondés & troisièmes productions, celles de Mai, Juin, &c. c'est-à-dire , les jets de neuf mois, de huit, &c. qui feront très-beaux & très-bons à couper.

Mes plantes de Mai auront aussi en Août leurs sept à huit jets magnifiques qui feront immédiatement suivis de beaucoup d'autres ; tous croîtront prodigieusement pendant la continuation des pluies; mais ni les aînés, ni les cadets n'auront le temps de pourrir, parce que je les couperai en Mai suivant à douze mois , & j'aurai cette année-là , outre la même quantité des jets de neuf mois, de huit , &c. qu'on a dans la grande culture, mes sept à huit premiers jets de douze mois égaux au moins à la demi-pourriture de quin-ze , qu'on doit se promettre dans l'autre systême.

La différence totale fur le produit des trois années combinées, ne peut donc être allez considérable pour n'être pas beaucoup plus que compensée par le produit de ma fécondé récolte , car il ne faut pas oublier que j'en fais deux de mes Cannes plantées: c'est la feule chose fur cet article qui puisse être supputée exactement, aussi je ne prens point avantage du bénéfice qui résulteroit de mon

* D

50 ESSAI SUR L'ART, &c. calcul de comparaison dont je reconnois l'exacte justesse impossible -, mais je crois que les différentes observations que j'ai présen-tées établissent d'une façon bien positive :

1°. Que la Canne est une plante annuelle & vivace par fa racine.

2°. Que la plus vieille des racines d'une souche de Cannes plantées depuis vingt ans, n'a pas au-delà de deux années, fi le produit de la souche a été coupé annuellement.

3°. Que tout l'accroissement utile de cha-que Canne en particulier cil renfermé dans un espace de douze a treize mois.

Le systême de culture qui lui convient, le systême le plus avantageux au cultivateur, fera donc celui qui aura ces trois points pour base, & qui les combinera le mieux avec les effets que doivent opérer fur cette plante les différentes saisons qui régnent dans les climats où on la cultive : je ne prétends point que le systême que je propose soit le meilleur possible, mais je crois qu'il est le seul qui puisse soutenir l'examen à ces différens égards, je ne dois le développer qu'après avoir parlé plus particulièrement des anciennes mé-thodes.

Fin de la première Partie.

ESSAI SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE

ET

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

SECONDE PARTIE.

Des anciennes Méthodes de cultiver la Canne, & de quelques préjugés sur les effets pré-tendus de l'épuisement des terres.

CHAPITRE PREMIER.

Des anciennes Méthodes.

IL seroit inutile de développer le systême dont j'ai donné le précis dans l'histoire natu-relle de la Canne , avant d'avoir prouvé qu'il peut en être un meilleur que ceux dont une longue pratique semble avoir confirmé les avantages : c'est a quoi je me flatte de par-venir en présentant dans un plus grand détail

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52 ESSAI SUR L'ART les inconvéniens attachés aux deux méthodes dont j'ai parlé pag. 14 & 15.

On a vu que la plus grande perfection de la première consiste à couper un peu plus de Cannes dans la bonne saison , un peu moins dans la mauvaise ; & a planter, j'ai oie le dire, plutôt dans le temps où l'on est le mieux arrangé pour cette opération que dans celui qui après une étude exacte de la plante , qu'on n'a jamais faite & des dif-férens degrés comme des conditions de son accroissement a quoi l'on n'a jamais songé, pa-roît être plus propre à favoriser tous ses dé-veloppemens ; les travaux intermédiaires dans cette méthode se substituent, se suppléent, se modifient suivant qu'ils font jugés plus ou moins pressans, & se font très-souvent avec l'inexactitude attachée au défaut d'un ordre fixe & invariable. Qu'en résulte-t-il ? quelques belles récoltes, suivies de beaucoup d'autres qui payent à peine les frais ; j'en appelle à l'expérience du plus grand nombre de ceux que leur fantaisie ou leur goût amène & re-tient en Europe. Ils ne lavent point quel tra-vail on fait sur leur habitation telle semaine, tel jour de tel mois, ce qui paroît impossi-ble & ne l'est pas, mais ils fa vent bien qu'on ne leur a envoyé depuis tant d'années que la moitié ou le quart du lucre qu'ils atten-doient ; il est vrai qu'on a toujours suppléé au déficit par des raisons transcendantes qui ont prouve que tout alloit au mieux possible, Se que l'année suivante il faudroit une addi-tion de nègres pour suffire a la récolte pro-digieuse que l'on promettoit.

DE CULTIVER LA CANNE. 53 L'exposé des fuites mineuses d'un pareil

systême, en supposant qu'on puisse appeller ainsi une fuite de travaux independans, fans liaison, suffiroit feule pour le proscrire , fi la prévention pour ce qu'on a toujours fait, la commodité de travailler a-peu-près au jour la journée , & souvent la difficulté de se pro-curer les forces qu'on croit nécessaires pour une autre méthode, ne tenoient lieu de rai-sons péremptoires dans un pays dont les ha-bitans songent plus à jouir qu'à discuter ; je désire d'obtenir de la vivacité créole qu'elle veuille bien être en garde contre fa préven-tion, approfondir ensuite , & ne juger qu'a-près avoir approfondi. Pour la dédommager de cet effort, dont ( créole moi-même ) je sens tout le prix, je lui garantis , immédiate-ment après le travail pénible d'un plan fait, tracé & ordonné, une commodi té aussi gran-de & moins ruineuse que celle dont je Solli-cite le sacrifice, & je m'oblige de lui démon-trer dans le cours de nos opérations que la méthode que je propose convient également au plus petit, comme au plus grand atte-lier.

Il suffit maintenant d'observer qu'à l'excep-tion des évènemens imprévus qui peuvent interrompre la récolte pendant les mois de Mai & de Juin, le temps où l'on est com-munément le mieux arrangé ( c'est-à-dire où l'on a le plus de loisir ) pour planter, est celui d'Octobre & de Novembre, où la quantité de pluie empêche de faire beaucoup de sucre ; ainsi le temps des plantations se trouve le plus souvent dans le premier systême , le

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54 ESSAI SUR L'ART même que dans celui que j'ai désigné sous le nom de grande culture qui n'en différé essen-tiellement que par des époques plus fixes qu'il assigne aux travaux , par des usages plus soutenus & conséquemment plus aisés à failli' & à combattre, pat la rapidité sur-tout avec laquelle il précipite ses récoltes, & par la nécessité d'un nombre beaucoup plus con-sidérable de nègres & de bestiaux pour l'ache-ver dans le petit nombre de mois qu'il regar-de comme les seuls propres à la faire. Or comme le point fondamental de la culture des Cannes consiste dans le temps des plan-tations , qui me paroît être la source de tout le bien comme de tout le mal que j'ai observé, je commencerai par exposer les inconvéniens du principe souvent commun aux deux sys-têmes ; je parlerai ensuite indistinctement de tous ceux que j'aurai cru remarquer , soit dans l'un, soit dans l'autre.

SECTION PREMIÈRE.

Inconvéniens attachés aux Plantations

d'Octobre & de Novembre.

PREMIER INCONVÉNIENT.

Difficulté de se procurer du Plant.

APRES qu'on a prélevé la quantité de ter-rain nécessaire a l'entretien des nègres des bestiaux, le reste de la terre se trouve ordi-nairement divise en cinq parties égales, dont

DE CULTIVER LA CANNE. 55 l'une est toujours en jeunes plantes : on cou-pe régulièrement tous les ans les quatre au-tres , dont on replante la plus ancienne plantée qui a déjà donné quatre récoltes , cette quatrième coupe s'appelle troisieme re-jetons , parce que la première coupe s'ap-pelle coupe de grandes Cannes ou première coupe.

Supposons quatre-vingt quarrés (1) desti-nés aux Cannes, on en replante tous les ans seize ; c'est en Octobre & Novembre qu'une quantité de pluie suffisante & presque assu-rée , garantit en quelque façon le succès des plantations qu'on fait assez générale-ment pendant ces deux mois. Voyez le tableau de la pluie tombée en 1773 & 1774 ; Mai & Juin n'ont donné que douze pouces & deux dixièmes , Octobre & Novembre ont donné vingt un pouces & huit dixiè-mes : il ne s'agit donc que d'avoir à vos ordres la quantité de plant nécessaire pour garnir la terre que vous avez préparée. Voici les quatre moyens que vous avez pour vous procurer ce plant.

Le premier est de consacrer à jamais qua-tre a cinq quarrés de Cannes à cet objet, de forte que non-seulement vous aurez de moins à couper tous les ans les quinze ou seize quarrés que vous replanterés, mais encore les quatre ou cinq quarrés consacrés a servir de plant ; donc de quatre-vingt quarrés des-

(1) Le quarré est une espace de 350 pieds de long fur 350 de Large.

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56 ESSAI SUR L'ART tinés aux Cannes , vous n'en couperez an-nuellement que soixante : dans mon systême je couperai les quatre-vingt & j'aurai, fans faire aucun sacrifice, tout le plant qui me fera nécessaire. Il n'est pas encore temps de comparer le produit de quatre-vingt quarrés avec celui de soixante ; je conviens

d'avance que le bénéfice ne peut pas être supposé suivre la différence de ces deux quantités plantées suivant les deux métho-des.

Le fécond moyen de se procurer du plant est de laisser tous les ans les rejetons des Cannes que vous couperez en Janvier & Fé-vrier, croître jusqu'en Octobre & Novem-bre , pour les faire servir au plant dont vous aurez besoin ; mais dans ce cas vous ne pour-rez les replanter que l'année d'après , ce qui est l'usage le plus ordinaire; & le vuide de ces premiers rejetons vous mettra dans la nécessité d'anticiper à la récolte suivante la coupe des seconds rejetons qui ainsi feront coupés a onze mois, comme dans ma métho-de, dont vous perdez un avantage, celui de vous dédommager du mois que vous donnez de moins a vos rejetons par les seize quarrés que vous coupez de plus tous les ans. D'ail-leurs la partie de rejetons que vous aurez été obligé de renvoyer à l'année d'après pour les replanter, fera encore autant de moins que vous aurez à couper, ce ne fera encore que soixante quarrés au lieu de quatre-vingt que vous aurez à couper cette année-là.

Le troisième moyen de vous procurer du plant , est de réserver une pièce de Cannes

DE CULTIVER LA CANNE. 57 pour faire du sucre en Octobre & Novem-bre ; mais il faut plus de peine alors pour faire quatre cent formes de sucre, que pour en faire mille au mois de Mai, la flèche n'est que développée , les Cannes n'ont presque pas de jus, ce jus ne rend presque pas de sucre, fur six plans a peine en trouverez vous quatre de bons : or on peut juger combien il importe d'avoir d'excellent plant , & l'on verra bientôt de quelle conséquence il est d'en avoir une grande quantité.

SECOND INCONVÉNIENT.

Nécessité & difficulté des recourais ( 1 ).

J'ai toujours observé dans les plantations d'Octobre & de Novembre , que, soit par le défaut du plant dont on ne peut empêcher qu'il n'y ait beaucoup de fléché, bien moins bon que l'autre, parce qu'il est presque épuisé par la production de la flèche, soit par les averses très - fréquentes alors , & qui en-traînent ou pourrissent une partie du plant, vous êtes obligé a des recourages considéra-bles, & qu'ensuite par le défaut de pluie, qui manque souvent a vos premiers & fé-conds recourages, vous êtes encore obligé de recourir en Mai suivant ; d'où il arrive que lorsque vous coupez ces Cannes l'année d'a-près, il s'en trouve de dix-sept mois , de quinze , de douze & même de dix, c'est-à-dire beaucoup de Cannes renversées & pour-ries , quelques-unes de bonnes, d'autres ver-

( 1 ) Recourage , substitution d'un nouveau plant a celui qui n'a pas réussi.

58 ESSAI SUR L'ART tion qui n'est pas même propre à faire du rum.

TROISIÈME INCONVÉNIENT.

Mauvais Sucre que donnent les grandes Cannes.

Voici la cause & l'effet de la superfétation dont je viens de parler : lorsqu'un sec long & violent est suivi d'une arrière-saison très-plu-vieuse, les Cannes déjà existantes, raccornies par la sécheresse , ne peuvent au moment du renouveau admettre toute la nourriture que leurs racines font capables de leur donner: les boutons les plus tendres de quelques-uns des plans du troisième ordre de racine se dé-veloppent, & les Cannes qui en proviennent reçoivent dans l'espace de quatre mois, quel-quefois moins, un accroissement prodigieux; on les appelle Créoles : elles font d'abord blanches, puis vertes, presque fans faveur, & n'ont que très-peu de nœuds , mais ces nœuds font une fois plus longs & plus gros que ceux des Cannes ordinaires; on a foin de rejetter celles qui font évidemment mau-vaises, mais beaucoup le font fans le paroî-tre, j'en dis autant de celles dont la pourri-ture n'est pas visible ; il faudroit pour le tria-ge une attention minutieuse dont les nègres ne font pas capables, & dont le Comman-deur qui voit tomber cinquante Cannes par minute, ne sauroit certainement répondre; supposez même le triage effectué bien scru-puleusement, vous aurez pris beaucoup de soin , beaucoup de temps pour avoir de très-

DE CULTIVER LA CANNE. 59 tes, d'autres blanches , espèce de superféta-belles Cannes , dont un tiers reliera fur la pièce.

QUATRIÈME INCONVÉNIENT.

Ravages des Vents & des Rats.

Les grands vents de Novembre & Décem-bre qui succèdent aux grandes pluies, ren-versent toujours & ne peuvent manquer de renverser la plus belle partie de vos Cannes plantées l'année précédente ; de-là une gran-de quantité de rats, & sur-tout de souches déracinées & étouffées ; ce dernier inconvé-nient est si considérable, qu'il a déterminé plusieurs personnes à ne planter qu'en Jan-vier ; de quatre fois cela peut réussir une, le sec est trop prochain ; d'autres on fait des fosses plus profondes, plus larges ; ils ont conséquemment ameubli plus de terre, les Cannes ont été plus grosses, plus longues; leurs têtes chargées de feuilles plus étendues, ont présenté aux vents une plus grande super-ficie, il y a eu plus de souches renversées , elles l'ont été plutôt, & les rats y ont fait plus de dommage : sur quoi il faut bien re-marquer que lorsque les rats se font une fois emparés d'une habitation régie suivant le sys-me de la grande culture, il n'est pas possible de les détruire, quelque quantité de nègres qu'on veuille y consacrer ; à mesure qu'on coupe une pièce, les rats passent dans une autre ; lorsque la récolte est finie, ils tom-bent dans les Cannes plantées, hautes déjà de deux & trois pieds, & ils les ravagent

60 ESSAI SUR L'ART comme on peut le supposer d'un rendez-vous général, seul endroit de l'habitation où. ils puissent trouver de la subsistance. Dans le systême de la petite culture, la récolte finie, toute subsistance manque, on ne trouve plus de rats qu'aux bords des rivières ou des ravi-nes , & leur ravage ne m'a pas même paru assez considérable pour me déterminer à per-dre le temps d'un seul nègre pour leur faire la guerre

SECTION SECONDE.

Inconvéniens attachés aux grandes distances entre les Plantes.

PREMIER INCONVÉNIENT.

Multiplicité des Sarclages dans les grandes Cannes.

LA distance jugée la plus favorable au plus grand accroissement des Cannes, est celle de quatre pieds, quatre pieds demi quarrés ; on la tait même quelquefois de cinq pieds du cen-tre d'une fosse a celui de l'autre. Dans un sens les folles font séparées par des banquettes nues de quatre pouces, elles le font dans l'au-tre par la terre qu'on en retire, ce qui lors-que la pièce est travaillée en entier , forme

des espèccs de filions dont l'élévation pré-lente une profondeur de quinze a dix-huit pouces, quoiqu'on n'ait pénétré réellement qu'à huit. Après que la terre a été exposée quelques semaines aux influences de l'air , on y met le plant ; un seul suffit, dit-on ; la dif-

DE CULTIVER LA CANNE. 61 ficulté d'en avoir beaucoup l'a fait imaginer fans doute, car on en met au moins trois, lorsqu'on l'a à discrétion, & cela diminue le mal ; mais pour en connoître toute l'étendue, il faut se rappeller ce qui a été dit dans l'Exa-men de L'année sèche ; il faut suivre la Canne de-puis le moment où elle est en terre jusqu'à celui où elle la couvre : supposons toutes vos premières productions ( les productions directes du plant) sorties le 15 Décembre ; si vous n'a-vez employé qu'un plant vous aurez ordinai-rement deux jets par fosse ; vous en aurez cinq ou six, si vous avez employé trois plants : quelques-unes des secondes productions ( de la

souche déjà formée ) se feront peut-être soup-çonner en Janvier , mais le sec les arrêtera; & le sec qui suspend la végétation dans vos jeunes cannes, n'empêchera pas la mauvaise herbe d'y croître, l'humidité de la terre lui suffit ; les fécondés productions ne se déve-lopperont parfaitement qu'après le renou-veau , au mois de Juin ; ce fera donc tout au plutôt a la fin d'Août que toute votre terre fera couverte ( hors de sarclage). Du com-mencement de Novembre, où je suppose le premier plant en terre, jusqu'à la fin d'Août, voilà dix mois pendant lesquels il a fallu don-ner six sarclages à vos Cannes ; à moins que l'on ne continue à croire que les mauvaises herbes font excellentes pour entretenir l'hu-midité dans la terre; je l'ai souvent oui dire.

En plantant en Mai ou Juin, à trois pieds quarrés, la terre est couverte, après trois sar-clages.

62 ESSAI SUR L'ART

SECOND INCONVÉNIENT.

Luxe des Productions.

J'emprunte ce mot des Anglois, comme ils l'ont probablement emprunté du latin , il est pittoresque ; il pourrait cependant laisser un équivoque fur l'idée qu'on doit se former d'une beauté dont on est souvent la dupe ; le luxe des Cannes est pis qu'une superfluité agréable ; c'est une longueur & une grosseur prodigieuse qui ne peuvent en imposer qu'aux yeux, & dont on paye cher l'agré-ment lorsqu'une fois passées au moulin , elles ne donnent a l'épreuve redoutable & certaine de la sucrerie, qu'une mesure plus considérable, de jus fi stérile qu'il faut tout l'art d'un vrai Rafineur ( & ils font bien rares ) pour en extraire à grands frais une médiocre quantité de sucre. Telles font ce-pendant les Cannes qu'on peut attendre non-feulement des bonnes terres. , mais même des médiocres, quand elles font plantées en Octobre & Novembre, à la distance que la grande culture a fixée, & cultivées avec le foin dont elle se glorifie : ajoutons que le sucre est toujours d'autant plus mauvais que les Cannes font plus étonnamment belles.

DE CULTIVER LA CANNE. 63

TROISIÈME INCONVÉNIENT.

Multiplicité des Sarclages pour les rejetons.

Un quarré de terre plante à quatre pieds & demi, contient 6084 touffes de Cannes ; planté à trois pieds, il en contient 13456 ; il est donc visible que dans le premier cas, la terre doit être couverte beaucoup plutôt que dans le fécond; la différence de l'un a l'autre à cet égard est de trois a quatre mois dans un tems ordinaire, ni trop sec ni trop pluvieux : jusqu'à ce que la terre soit parfaite-ment couverte, les petites pluies font d'abord absorbées par le soleil qui darde avec violence fur les intervalles découverts ; il n'y a que les grandes pluies , les pluies continuelles qui puissent y entretenir la fraîcheur & l'hu-midité , principale nourriture de la Canne ,

si elle n'est pas la feule ; les mauvaises her-bes croissent toujours cependant malgré le sec , qui ne leur nuit jamais : il faut donc aux moins deux sarclages de plus, dont le tems peut être beaucoup mieux employé ; nous discuterons ailleurs s'il est bien vrai que l'humidité soit la principale nourriture de la Canne, j'ai supposé d'avance que les plantes qui la partagent avec elle doivent nécessairement être arrachées le plus promp-tement possible.

Si l'on a de grandes Cannes monstrueuses , qui donnent peu de Sucre , & des rejetons qui demandent beaucoup de sarclages, on a du moins l'avantage de faire son sucre dans

64 ESSAI SUR L'ART les quatre mois où il se fait le plus beau & le plus aisément, mais cet avantage est-il fans inconvénient ? C'est ce qu'il faut examiner.

SECTION TROISIÈME.

Inconvénient attaché aux récoltes précipitées.

Nécessité d'une augmentation considérable de forces de toute espèce.

ON peut tirer des conséquences très-faus-ses du principe le plus incontestable : beau-coup de vérités se choquent, se balancent & font enfin obligées de se modifier Tune par l'autre. Le Sucre se fait plus beau, plus aisément ; le vesou ( ou jus de Canne ) en don-ne davantage pendant les quatre mois de sec ; donc il faut faire son Sucre pendant ces quatre mois; fort-bien : mais le Sucre se tait le plus beau , le plus aisément, le vesou en donne la plus grande quantité possible pendant deux de ces quatre mois ; resserrez donc encore d'une moitié les limites que vous donnez au tems de votre récolte ; de proche en proche perfectionnez votre systême jusqu'a épier la semaine, le jour, le mo-ment qui réunira tous ces avantages au su-prême degré ; coupez alors, cuisez , terrez, séchez & charroyez dans une minute, ce fera bien plus admirable encore , mais bien plus dispendieux : mesure en tout, direz-vous ; certainement -, il ne reste donc plus

qu'a

DE CULTIVER LA CANNE. 65

qu'a lavoir quelle est la mesure qu'il faut con-sulter.

Si une quantité quelconque de Nègres, de bestiaux, de bâtimens, d'ustensiles , est né-cessaire & suffisante pour faire une récolte, donnée dans l'espace de six mois, & que la même quantité de préalables suffise pour la préparer pendant les six autres mois , n'est-il pas évident que pour faire la même récol-te feulement dans quatre , il vous faut un tiers de plus de bâtimens, de bestiaux & de Nègres ? Evaluez votre bénéfice, vous ne trouverez qu'une légère différence fur la qua-lité d'un quart peut-être de votre Sucre , aucune fur la quantité : ces deux points ne feront pas difficiles à prouver ; mais ils tou-chent de trop près le fond de ma méthode pour les traiter ici sommairement, comme j'y se-rois obligé pour éviter des répétitions tou-jours fastidieuses , même à leur place. Qu'on me permette de différer ce que j'ai à dire à cet égard, si la réalité des autres inconvé-niens que je viens d'exposer est reconnue, & s'ils suffisent pour démontrer l'imperfec-tion des deux anciennes méthodes: celle que je propose de leur substituer a ses inconvé-niens aussi, mais sont-ils moindres & mieux compensés ? C'est ce que j'examinerai, après avoir hasardé quelques idées fur deux préju-gés communs aux anciennes méthodes, & qu'on ne manquerait pas d'opposer aux conséquences avantageuses qui résultent de la mienne. D'ailleurs, c'est un objet qui in-téresse l'Agriculture en général. Celle de l'Amérique & celle d'Europe comparées,

* E

66 ESSAI SUR L'ART seroient peut-être capables de s'éclairer mu-tuellement ; s'il ne peut y .avoir entr'elles que des différences locales, ces différences doivent occasionner des phénomènes dont

la contradiction apparente mériteroit d'être approfondie, & pourrait donner lieu à l'éta-blissement de nouveaux principes, ou dési-gneroit la limite des Anciens : je ne pré-pare à cet ouvrage intéressant que de foi-bles matériaux , mais ce font les premiers offerts, & c'est le denier de la veuve ; com-bien de mes Compatriotes à qui il n'a man-qué pour être plus magnifiques , que d'en avoir eu l'idée & la patience.

CHAPITRE SECOND.

De quelques préjugés sur les effets prétendus de l'épuisement des Terres.

LA terre est la base de tous les corps. Il n'est pas fans doute réservé à la sagacité hu-maine de pénétrer le méchanisme qui dans la végétation donne & varie en tant de manières les formes fous lesquelles elle frap-pe nos yeux, mais il me semble qu'il est aisé de s'assurer , fi la différence ou l'alté-ration que produit l'action de ce méchanis-me fur le siége de ces grandes opérations de la nature , c'est-à-dire fur un fond de terre quelconque , peut devenir allez con-

DE CULTIVER LA CANNE. 67 sidérable pour lui attirer enfin avec jus-tice , une sentence irrévocable de stérilité. Puissent les réflexions que je vais faire être assez solides pour réduire à leur valeur deux idées généralement établies en Amérique ; l'une est que les terres s'épuisent a produire continuellement; l'autre, qu'il est impossi-ble d'avoir de bons rejetons dans les terres qu'on appelle épuisées.

SECTION PREMIÈRE.

De la prétendue détérioration des terres.

J'AI souvent entendu parler, j'ai souvent parlé moi-même des terres ruinées d'une telle personne, d'une telle Isle ; mais ayant enfin réfléchi que je n'avois pas une idée fort claire de ce que je disois , j'ai soup-çonné que les autres pouvoient bien n'en pas avoir une plus nette.

J'ai donc demandé ce qu'on entendoit par une terre ruinee, l'on m'a répondu que c'étoit une terre épuisée ; j'ai demandé ce que c'étoit qu'une terre épuisée, l'on m'a répondu que c'étoit une terre où. les plan-tes ne trouvoient plus la nourriture néces-saire à leur subsistance, nourriture dont elle avoit été dépouillée par les plantes dont on l'avoit ci-devant chargée, & que s'il falloit des objets pour mouvoir mes puissances, je n'avois qu'a aller voir l'habitation d'un tel. Il y avoit quelques jours que j'avois vu cette habitation d'un tel ; les Cannes

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68 ESSAI SUR L'ART y étoient misérables par-tout , excepté le long d'un chemin qu'on avoit ouvert dans le tuff, & la les Cannes étoient magnifi-ques : il ne faut pas supposer que c'étoit une terre grasse améliorée par le tuff qui s'y étoit incorporé ; le tuff n'étoit point mêlé avec la terre, il la couvroit de plus de deux pieds dans quelques endroits où l'on avoit planté les Cannes : & dans ce tuff même , où l'on ri'avoit pas mis de fumier, l'on voyoit les Cannes aussi belles que dans les terres les plus fertiles, ( l'année avoit été ex-trêmement pluvieuse ) ; j'ai demandé quelle différence on faisoit entre les terres d'Amé-rique & celles d'Europe ; on m'a répondu que celles d'Amérique étoient beaucoup plus fertiles,mais que cela n'étoit pas surpre-nant, puisque celles d'Europe travailloient depuis des milliers d'années ; j'ai demandé comment l'habitation d'un tel qui ne tra-vailloit que depuis cent ans étoit déjà épui-sée ; l'on m'a répondu qu'il en seroit bien-tôt de même de toutes les Isles, & que la preuve en étoit dans une Isle qu'on m'a nommée , ou le revenu paie à peine la dé-pense. Cette perspective me déplaisoit ; je doutai de la prophétie, quoique cette idée me parût aussi généralement établie que celle d'un destructeur chez les Américains & d'un libérateur chez les Hébreux.

Je crois que pour se faire une idée précise du mot fertilité, il ne faut pas comparer les produits des plantes entre lesquelles il n'y a qu'une analogie générale, le bled, par exem-ple, & la Canne ; mais il faut comparer les

DE CULTIVER LA CANNE. 69 plantes d'Amérique destinées a la nourriture des hommes , avec les mêmes plantes desti-nées au même usage en Europe. Après quoi examiner fi un acre de terre en Europe peut nourir moins d'hommes qu'en Améri-que ; ensuite chercher fi un acre de la terre qu'on appelle épuisée en Amérique peut nour-rir moins d'hommes que la terre qui jouit encore de la réputation d'une grande fertili-té ; c'est ce que je vais faire.

Je connois a la Grenade quinze quarrés de terre cultivés en vivres du pays ; le proprié-taire auroit pu les vendre ce qu'on appelle un prix extravagant ; cela prouve que ceux qui vouloient l'acheter, l'estimoient beaucoup & que le propriétaire l'estimoit encore davan-tage , ou en d'autres mots qu'elle est excel-lente. Ces quinze quarrés ou quarante-huit acres de terre bien entretenus, font beaucoup plus qu'il ne faut pour nourir deux-cents Nègres dans des années pluvieuses, mais , année commune, un acre de cette excellen-te terre suffit à la nourriture de quatre per-sonnes, & c'est l'année commune qui doit décider.

L'Irlande est un pays misérable, dit-on, un acre de terre y donne cependant, suivant la culture & la saison , depuis dix jusqu'à vingt milliers pesant de patates ; c'est assuré-ment autant qu'il en faut pour nourrir quatre personnes.

Un acre de terre de la pauvre Irlande, peut donc nourrir autant d'hommes qu'un acre de terre de l'opulente Amérique : consi-dération de quelque importance pour tous

E 3

70 ESSAI SUR L'ART ceux qui ne sauroient voir indifféremment l'objet le plus intéressant pour l'espèce hu-maine ; considération aussi dont on peut con-clure qu'au lieu de ces distinctions de terres, qui presentent fort peu de choses à l'esprit, il seroit peut-être mieux de les distinguer en terres propres a telle plante ou a telle autre; cette idée seroit susceptible de développe-mens qui formeroient peut-être le plus long & le plus utile traité d'agriculture. Je reviens à ces terres épuisées de cette partie du monde qui travaille depuis si peu de temps : on y cite une île, remarquable, dit-on , par l'épuise-ment de ses terres : & je scai que là, comme chez moi, un acre de terre bien entretenu y donne comme en Irlande depuis dix jusqu'a vingt milliers pesant de patates; voilà quant à l'objet le plus important, celui de la nour-riture des hommes , la question de l'épuise-ment & de la fertilité des terres décidée , ce me semble, d'une façon contraire à l'opinion générale.

Il ne faut pas dire, & contre l'Amérique & contre l'Irlande , que les patates font une triste nourriture; beaucoup de gens les préfè-rent au pain: & la vigueur de deux millions d'Irlandois dont elles font l'unique aliment, prouve assez qu'à cet égard, c'est la quan-tité beaucoup plus que la qualité qui dé-cide.

Cependant en Europe comme dans nos Isles, la culture nécessaire à ce quatrième d'acre, qui nourrit un homme, ne lui pren-drait pas 20 jours dans l'année, quand mê-me il la travaillerait à bras. Qu'il me soit

DE CULTIVER LA CANNE. 71 permis de supplier en passant ces partisans amers de la liberté , dont le zèle s'enflamme à l'idée de l'esclavage de nos Nègres, de tour-ner leurs spéculations vers un objet immé-diatement fous leurs yeux, & de commencer leur réforme par empêcher qu'en Europe , des millions d'hommes, libres fans doute , puisqu'ils n'habitent pas ce pays proscrit de l'Amérique , des hommes d'ailleurs qui tra-vaillent depuis le premier jour de l'année jusqu'au dernier, beaucoup plus que nos Nè-gres , ne soient souvent réduits à beaucoup moins de pain & même de patates qu'ils n'en pourroient manger , quoique pro-bablement les patates qui réussissent dans les terres brûlées de l'Amérique & dans les terres froides de l'Irlande, réussiroient fans doute aussi dans tous les endroits qu'on accule de stérilité en Europe : Quant a l'Amérique, comme il n'y a certainement que les gens dépourvus de bon sens qui ne nourrissent pas très-abondamment leurs Nègres, que l'abondance de la nourriture , jointe à l'ap-pétit & à la facilité de digérer, font les trois feules choses véritablement essentielles au plus grand bonheur delà vie,je me repose fur l'intérêt des habitans, du foin de rendre leurs esclaves plus heureux que la moitié de ces gens prétendus libres dont l'Europe le glorifie.

Examinons maintenant l'effet de la ferti-lité , Se de l'épuisement de la terre fur des plantes qu'on regarde comme plus précieu-ses que la patate , mais qu'en Agriculteur, je regarde feulement comme demandant

E 4

72 ESSAI SUR L'ART peut-être un peu plus de culture , ou plutôt une culture différente ; le bled est fans doute de ce nombre , mais la Canne feule est de mon ressort : je me permettrai cependant par la fuite quelques réflexions fur le bled.

Je plante dans le meilleur terrein possible, quinze mois après l'acre de terre me donne 60 a 70 formes de Sucre ; l'année suivante mes rejetons me donnent ( toutes circons-tances égales ) à-peu-près même quantité de formes.

Je prends diverses informations que je crois exactes, parce qu'elles ne varient point, & j'apprends que l'acre de terre de l'Hic épuiséc, lorsqu'il est bien fumé, bien plan-té , bien entretenu , donne 60 a 70 formes : mais, dit-on, les rejetons ne vaudroient pas la peine de l'entretien , il faut planter à tou-tes les coupes dans les terres épuisées. Voyons donc fi la différence qu'il y a entre une terre épuisée & une terre fertile, est telle qu'elle puisse anéantir dans une plante une propriété qui dérive essentiellement de fa nature , la propriété de rejetonner.

Je plante une Canne dans une terre neu-ve , elle me donne des jets très-vigoureux qui font noués a trois mois, quelquefois ren-versés a douze, pourris à 13 ou 14, si l'an-née est pluvieuse.

Je plante une Canne près d'une ravine dans une terre qui travaille depuis cent ans; jets aussi vigoureux , renversement & pour-riture aux mêmes époques dans la partie plantée près de la ravine qui jouit toujours de l'humidité , & de la terre meuble que les

DE CULTIVER LA CANNE. 73 averses entraînent du haut de la colline.

Je plante une Canne dans un terrein epuisé que je ne travaille qu'imparfaitement, les jets font foibles, nouent à cinq mois, & au lieu de pourrir, se dessèchent quelques mois plutôt ou plus tard suivant le degré d'épuisemént prétendu.

Je cherche la différence entre ces trois es-pèces de terre ; j'observe que mon bâton pénètre fans effort jusqu'a cinq & six pou-ces de profondeur, soit dans la terre neuve, soit dans la terre près de la ravine, & qu'il faut un coup de houe du plus fort Nègre, pour pénétrer jusqu'à quatre pouces dans la terre épuisée.

Je verse de l'eau fur la terre neuve , & fur la terre de la ravine, & je vois l'eau y pénétrer aussi-tôt.

J'en verse fur la terre épuisée, & je la vois couler dessus comme fur une pierre il le terrein est un peu en pente , ou bientôt absorbée par le soleil fi la surface est plane.

Je prends vingt livres de la terre neuve vingt de celle de la ravine, & vingt de la terre épuisée, je mets le tout dans trois vases différens Je verse pendant plusieurs jours un verre d'eau fur chacune, & je trouve toujours entr'elles la même différence, les deux premières aussi faciles, la dernière aussi difficile à pénétrer.

Je triture avec foin ma terre épuisée, j'y verse par degré une quantité d'eau suffisante pour l'imbiber entièrement, j'entends le sif-flement de l'effervescence, elle se gonfle, remplit presque aux trois quarts le vaisseau

74 ESSAI SUR L'ART qu'elle ne remplissoit qu'à moitié. Je la pèse de nouveau, elle pète trois livres de plus, j'ôte ces trois livres , je continue à verser journellement un petit verre d'eau sur cha-cune de ces trois terres différentes, je n'ob-serve plus aucune différence entr'elles , le petit verre d'eau suffit pour entretenir dans les trois le même degré de gonflement, Se le petit pieu dont je me fers pour les fonder, pénètre aussi facilement dans la terre épuisée, que dans la terre neuve & dans celle de la ravine.

Encouragé par cette remarque , je fosse une terre épuisée, je la plante , je la fume avec soin , je la laboure de même , & elle me donne en rejetons à sa fécondé coupe au-tant que ma meilleure terre.

Je prends ensuite de cette même argille dont je me fers pour terrer mon Sucre, je la pétris avec une certaine quantité d'eau & de fable j'ajoute du fable, jusqu'à ce que la mixtion me paroisse avoir le même degré de division que la terre ordinaire ; je la laisse bien sécher , je l'expose à un bon grain de pluie après lequel elle me paroît aussi meu-ble que la meilleure terre.

En conséquence de cette observation je fais transporter du fable auprès d'une pièce de terre argilleuse, où les plantes étoient grê les , jaunâtres , misérables enfin ; je le fais répandre fur une partie de ce terrein, je l'y incorpore au moyen d'un bon labour : huit jours après les plantes du terrein divisé par-le fable , reverdissent, prennent une vigueur étonnante, pendant que leurs voisines relient dans leur état de langueur.

DE CULTIVER LA CANNE. 75 Je ne puis donc m'empêcher de conclure: 1°. Qu'il est très-probable que toute la

différence entre une terre & une autre, eu égard à la végétation, consiste dans le degré de porosité, & dans la facilité à l'obtenir & à le conserver, ainsi qu'a obtenir & conserver l'humidité nécessaire (1).

2°. Que cette porosité naturelle ou acqui-se peut être telle que les plantes ne feront que très-vigoureuses & fort peu substantiel-les, comme on le remarque dans toutes les terres neuves ou trop fumées.

3°. Que la terre ne s'épuise pas, mais qu'elle s'affaisse.

4°. Que les racines y pénètrent d'autant plus difficilement qu'elle est plus affaissée & vice versâ.

Que la terre fera toujours essentielle-ment ce qu'elle a été dans le principe.

6° Que les labours rémédieront toujours à son affaissement, mais leur effet fera fans

( 1) Ces mots conserver l'humidité nécessaire, répondeur a la feule objection qui se présente à mon esprit ; savoir, que le sable pur est reconnu stérile , & que cependant il ne seroit pas difficile de trouver une espece de fable, dont les molécules auroient exactement la grosseur & la forme capables de pré-senter , nécessairement & constamment, la porosité nécessaire aux besoins des racines ; la nécessité de conserver l'humidité, annonce que la terre doit avoir, outre cette porosité, une cer-taine onctuosité qui ne permette à l'eau, ni de traverser trop rapidement, ni d'être repompée par le soleil avec trop de faci-lité. D'ailleurs , on verra par la fuite que je fuis bien éloigné de prétendre qu'on doive s'obstiner à planter des Cannes

dans toutes fortes de terreins.

76 ESSAI SUR L'ART doute moins durable que celui du fumier, tant a cause de l'onctuosité de ses parties que de la fermentation qu'il subit du gon-

stement qu'il communique à tout ce qui l'envi-ronne , jusqu'à ce qu'il soit réduit en terre.

7°. Que le fumier fera d'autant plus avan-tageux , que la terre plus légère plus friable aura moins de parties onctueuses, & consé-quemment plus de facilité a s'affaisser.

8°. Qu'une terre qui a une fois produit une plante quelconque dans fa perfection , la produira toujours de la même beauté , lorsqu'on lui procurera le même degré de gonflement, de porosité qu'elle avoit lors-qu'elle l'a d'abord produite.

9°. Que fi cette plante est vivace par fa racine , la faculté de rejetonner étant un effet de fa nature , & non de la terre, la ra-cine conservera toujours cette même facul-té , a moins que quelque cause étrangère ne s'y oppose.

10°. Que la cause étrangère la plus a crain-dre , est fans doute un mauvais systême d'a-griculture , un systême dont les opérations ne sont pas déterminées par les effets des différentes saisons fur les développemens de la plante.

11°. Que tout ce qu'on dit de l'Isle pré-tendue épuisée , ne détruit point des raison-nemens fondés fur la nature des choses, & qu'il est plus probable qu'on y fuit un mau-vais systême , qu'il n'est possible que la ra-cine d'une plante vivace par cette partie, ne rejetonne pas jusqu'a la consommation, des siècles.

DE CULTIVER LA CANNE. 77 12°. Que les habitans de cette Isle gagne-

roient probablement beaucoup plus à dou-ter , examiner, & faire quelques essais, qu'a s'opniâtrer à croire & à soutenir qu'ils ont atteint le non plus ultra de la culture de leurs terres, & que non-seulement elles font in-contestablement épuisées, mais qu'il est im-possible qu'elles ne le soient pas.

Je ne fuis point arrêté par l'objection qu'ils peuvent me faire qu'un acre de terre bien cultive, qui produit annuellement 60 à 70 formes de Sucre , perdrait annuellement au moins quarante milliers pelant de ma-tière ( 20 à 30 charretées de Cannes ) qui doivent nécessairement l'épuiser à la longue ; je répondrai que ces 40 milliers passés au moulin & à la chaudière se réduisent à dix milliers pesant, tant en bagaces (1) qu'en Sucre & sirop , qui desséchés, brûlés & réduits en cendres qui font presque toute la partie vrai-ment terreuse qu'on suppose dérobée à la terre, n'en donneraient pas 40 livres.

Or, il est prouvé par l'expérience de M. Vanhelmont, que 200 livres de terre arrosée d'eau de pluie pendant cinq ans, ont pro-duit & nourri un saule qui dans l'espace de ces cinq ans, a acquis 165 livres trois onces de poids fans que la terre ait perdu au-dela de deux onces du sien, & ces 165 livres de bois de saule, réduits en cendre devant don-ner tout au moins 26 à 27 onces de parties terreuses , il paraît donc certain que l'eau de pluie dont M. Vanhelmont a arrosé fa

(1) Partie ligneuse de la Canne.

78 ESSAI SUR L'ART terre pendant cinq ans étoit réellement char-gée d'environ 25 onces de parties terreuses qui auraient annuellement augmenté de cinq onces le poids Se le volume de fa ter-re, si elle n'avoit rien produit, où si l'on y avoit laissé pourrir les productions.

Donc lorsqu'il pleut au-delà de ce qu'il faut pour l'entretien des plantes qui ne: pourrissent pas fur le lieu , le surplus de la pluie augmente réellement le volume de la terre.

Or, tout le monde fait qu'en Amérique, il y a six mois de l'année pendant lesquels il pleut trois fois autant que pendant les six autres ; & que la quantité de pluie qui tom-be pendant ceux-ci, partagée plus également, entretiendrait une végétation continuelle dont personne ne se plaindrait ; donc il pa-raît assez probable que les parties de terre contenues dans l'eau qui tombe pendant les six mois très-pluvieux , font plus que suffi-santes pour remplacer les 40 livres par acre, de parties vraiment terreuses contenues dans une récolte annuelle de 60 formes dont on peut la dépouiller.

Donc , on ne doit pas craindre que les hommes de l'Amérique soient jamais réduits à mourir de faim ou à se dévorer les uns les autres; la terre ne s'épuisera jamais ; fa masse reliera toujours la même par-tout où l'on aura l'attention de prévenir ou de répa-rer l'effet des averses ; & lorsque dans les bois de l'Amérique qui n'ont jamais été coupés , l'on trouve au-dessus d'une terre assez compacte une couche de terre beau-

DE CULTIVER LA CANNE. 79 coup plus légère , épaisse quelquefois d'un pied, quelquefois de deux & même davan-tage ( suivant que le terrein plus ou moins en pente est sujet a être plus ou moins lavé ), on peut regarder cette couche comme la dé-pouille des feuilles & des arbres qui ont suc-cessivement pourri, comme une addition à cette terre originelle ( compacte ) qui en est couverte : ajoutons même que dans les plaines immenses de ce Continent, l'épais-seur de cette couche additionnelle , com-parée avec la quantité de terre contenue dans l'eau de pluie qui l'arrose & l'augmente annuellement pourroit indiquer Mais

Ne sutor ultrà crepidam,

Concluons simplement que l'examen d'un brin d'herbe, nous élève presque nécessai-rement aux plus sublimes spéculations : tout se tient'dans la nature, une découverte con-duit a l'autre , & fi les connoissances que possèdent les plus habiles font aux connois-sances qui leur manquent, comme quelques petites fractions font a l'infinité des nom-bres , il n'y a donc de différence entre un homme & un autre , que quelques obser-vations & quelques calculs de plus ou de moins ; grand encouragement pour la jeu-nesse Américaine qui certainement a des yeux aussi avec lesquels elle peut voir

, &

des doigts fur lesquels elle peut compter. Pourquoi fait-elle fi peu d'usage d'instru-mens aussi précieux !

80 ESSAI SUR L'ART

SECTION SECONDE.

Opposition apparente & conformité réelle entre mon sentiment & celui de M. Duhamel.

JE dois m'étayer, s'il est possible, de l'opi-non d'un Juge irrécusable : je ne la cherche-rai point dans quelques-unes de les expres-sions , qui semblent me contredire formel-lement , mais dans ses raisons & dans les expériences.

M. Duhamel dit dans ses Elémens d'Agri-culture, T. I, p. 222. » Il y a des fonds oit » la terre fertile s'étend assez profondément » pour qu'en la fouillant de temps en temps » à une certaine profondeur, elle répare « celle de la superficie qui est usée «. Donc la terre s'use selon M. Duhamel. Cela est très-clair ; mais ce qui ne l'est pas autant, c'est ce que M. Duhamel entend par une terre usée. Pour savoir fi nous ne sommes pas du même avis malgré la contradiction évidente entre ses expressions & les mien-nes, je rapprocherai de ce passage quelques autres du même ouvrage, dont le sens ne me paroît pas équivoque.

Il dit page 18 : » Quelque chose que l'on » fasse, la terre retiendra toujours de la pre-» mière qualité , fi l'on néglige celle qui est » bonne elle sera bientôt rétablie «. Remar-quez bien que M. Duhamel ne dit pas que c'est lorsque la terre a beaucoup produit, qu'elle a besoin d'être rétablie ; mais lors-qu'elle a été négligée ; & quel peut être l'effet de cette négligence ? L'affaissement, & rien de plus. M.

DE CULTIVER LA CANNE. 81 M. Duhamel ajoute, » au contraire la mau-

» vaise a besoin d'un secours continuel : celles-» ci ne font fertiles que par art ; les autres le » font par leur propre fond ; & l'on voit les terres » qui étoient réputées de la meilleure qualité , il y a

» deux siècles, conserver encore cette même réputa-» tion «.

Je demande, fi les terres réputées de la meilleure qualité il y a deux siècles, conserve-roient encore cette même réputation, fi elles avoient pu s'user, dans le sens strict du mot; je demande, fi deux siècles pattes ne les ayant pas usées , deux autres siècles pourront le faire.

On ne peut pas supposer que M. Duha-mel prétende ici parler uniquement des ter-res » d'une grande profondeur, qui étant de » temps en temps fouillées, ont toujours la » portion de la superficie , changée, réparée » à mesure qu'elle s'use «, car M. Duhamel dit, page déjà citée, » il y a d'excellentes terres à » froment, mais qui ne forment qu'un lit » d'environ 4 pouces d'épaisseur sous lequel « on trouve une terre rouge stérile « : Ces excellentes terres a froment de 4 pouces feulement de profondeur, ne pouvoient être meilleures il y a deux cents ans ; car il n'y a rien de meilleur que l'excellent : elles de-mandoient alors comme aujourd'hui , & elles demandent aujourd'hui comme elles demanderont dans mille ans, d'être tenues assez soulevées , assez gonflées, pour que les racines s'y étendent avec facilite.

Il est donc bien probable que M. Duhamel auroit dit comme moi :

* F

82 ESSAI SUR L'ART Qu'une terre qui a une fois produit une

plante quelconque dans fa perfection , la produira toujours de la même beauté, lors-qu'on lui procurera le même degré de gon-

flement, de porosité qu'elle avoit, lorsqu'elle l'a d'abord produite.

Au dernier partage cité de M. Duhamel, qui me paroit très-décisif, j'en ajouterai ce-pendant quelques autres, qui non-seulement font soupçonner l'on sentiment, mais qui en donnent la raison.

M. Duhamel dit, Elémensd'Agriculture, p. 29 ; » M. Vaneslande m'a écrit qu'il y a en » Flandres des terres fi fertiles, qu'en les entre-» tenant en bonne culture , & en les secou-» rant par des fumiers, elles rapportent tout « les ans fans repos.

» Il peut bien le faire qu'il ne soit pas » aussi nécessaire qu'on le pense, de changer « les espèces de plantes d'une année a l'au-» tre.

» P. 220. Je crois que l'utilité de l'année de » Jachères consiste principalement en ce » qu'elle donne le temps de faire tous les

» labours nécessaires.... On ne peut pas se-» mer tous les ans du froment dans la même ». terre « ; M. Duhamel ne dit pas, parce que la terre s'useroit ; mais il dit: » parce que de-» puis la moisson jusqu'aux semailles, il n'y « a pas assez de temps pour donner les cultures » convenables.

» P. 86. Le suc nourricier des plantes se-» roit inutilement répandu dans le sein de » la terre , il les plantes ne pouvoient pas le » recueillir. Il faut qu'elles aient le moyen

DE CULTIVER LA CANNE. 83 » d'étendre leurs racines entre les molécules « de terre.

» P. 87. Il est nécessaire qu'il y ait entre ces » molécules, certains espaces par lesquels les

» racines puissent s'étendre P. 77. Les » pores intérieurs des terres font le plus sou-» vent trop petits, (argille, » que M. Duhamel dit aussi , p. 77 , être pour ainsi dire trop terre, & fort substancieuse ) : » ou bien les » pores étant allez grands , font en petit

» nombre (terre forte) ; ou bien ils font trop » grands, les racines les traversent presque » fans toucher à la terre & n'en tirent au-

» cun secours ( terre légère ). P. 79. ou bien » permettant aux racines de s'étendre, ils ne » fournissent par eux-mêmes aucune subs-» tance nutritive & ne retiennent pas l'eau » a moins qu'il ne pleuve fréquemment & » qu'ils ne soient ainsi presque inondés (sa-bles purs ) , » ou bien , p. 75 & 76 , s'ameu-» blissant facilement par les labours, font aisé-» ment pénétrés par la pluie qui y excite une » effervescence, se gonflent quand elles font

» convenablement humectées, font plus pé-» trissables que le fable , moins que la glaise,

» permettent aux racines de s'étendre & leur » fournirent une nourriture très-abondante » ( terres franches excellentes ) , qui lavées, ont » donné de gros sable, partie calcaire par-» tic vitrifiable ; puis un fable fin , qui m'a » paru , pour la plus grande partie vitrifia-» ble ; enfin un limon fin , très-différent de » la glaise, qui est peut-être en partie formé par » un débris des végétaux.

» P. 90. Il faut mêler des terres fortes & F 2

84 ESSAI SUR L'ART » même argilleuses, ou des fumiers gras dans » les terreins trop légers, afin de retenir l'eau » qui s'échappe trop promptement des terres » maigres. Il faut transporter du fable dans « les terres trop fortes afin de leur donner » de la légèreté

Plus je raproche ces idées de l'effet que j'ai observé, page 74, du mélange du fable avec l'argille la plus compacte , & plus j'in-cline a croire que par rapport à la végéta-tion, il n'y a d'autre différence essentielle entre toutes les espèces de terre cultivées, en Eu-rope comme en Amérique , que plus ou moins de parties limoneuses ou argilleuses avec plus ou moins de parties de fable, d'une qualité ou d'une autre ; la différence de couleur dans le fable qui est gris, noir, blanc, rouge, formera en très-grande partie la différente couleur des terres ; il y en a d'excellentes de toutes les couleurs ; le plus ou moins de fable fera la différence de po-rosité ; & le plus ou moins de fable calcaire formera peut-être le plus ou moins de faci-lité à acquérir & à conserver ce degré dégon-flement si nécessaire au progrès confiant de la végétation.

Ainsi donc plus ou moins de sable rendra l'argille pure, plus ou moins aisée a pénétrer par l'eau , plus ou moins disposée à la rete-nir , & conséquemment à nourrir les plan-tes.

Suivant le même principe, un peu d'argille rendra le fable pur capable de retenir un peu l'eau, & formera ce quon appelle terre légère.

DE CULTIVER LA CANNE. 85 Un peu plus d'argille formera la terre fran-

che. Un peu plus encore formera la terre forte. Je crois pouvoir justifier mon assertion sur

ies parties constituantes de la terre, ou du moins suffisantes pour former une terre pro-pre à la végétation, quoique dans le nom-bre de ces parties, je substitue l'argille au. limon fin qu'en a obtenu M. Duhamel ; limon qui forme la liaison des différentes espèces de fable qu'il a remarquée dans la terre fran-che, limon dont une partie se brûle, & l'au-tre se réduit en chaux, limon d'ailleurs qu'il soupçonne formé par un débris de végétaux ; car enfin la terre originelle a produit les végé-taux avant d'être couverte de leurs débris ; elle avoit donc toutes les parties nécessai-res a leur production, & n'avoit pas cepen-dant ce limon fin , s'il n'est formé que de leur débris ; & puisqu'il est prouvé par l'ex-périence qu'un mélange d'argille & de fable de différentes qualités & dans certaines pro-portions, donne de très-belles productions., n'est-on pas assez fondé a croire que la terre originelle n'étoit pas autre chose que ce mé-lange de fable & d'argille, & qu'ainsi par rapport à la végétation toute la différence entre une terre & un autre consiste dans le degré de porosité, & dans la facilité à l'obtenir & à le conserver, &c. Or, la terre ne pouvant perdre la faculté d'acquérir par les labours, & de conserver par les fumiers, le degré de porosité qu'elle avoit lorsqu'elle a produit une plante quelcon-que ; & cette plante consommant beaucoup, moins de parties terreuses que la pluie feule

F 3

86 ESSAI SUR L'ART n'en rend a la terre : voyez page 78 ; donc elle ne peut s'user, strictement parlant ; & les principes de M. Duhamel me paroissent très-contraires à l'idée de cette détérioration.

SECTION TROISIÈME.

Conformité absolue entre l'opinion de M. Tillet & la mienne.

J'ÉCRIVOIS ce qu'on vient de lire a la Grenade en 1774 : la même année M. Tillet publioit a Paris un petit ouvrage fous le titre » d'Expériences & Observations fur la végé-» tation du bled dans chacune des matières » simples dont les terres labourables font » ordinairement composées , & dans diffé-» rens mélanges de ces matières par lesquels » on s'est rapproché de ceux qui condiment » ces mêmes terres à labour. Tiré des Registres « de l'Académie Royale des Sciences «.

Ces Expériences de M. Tillet joignent au mérite d'être présentées avec la plus grande clarté, celui d'avoir été faites, suivies, ré-pétées avec ce scrupule qui examine avec rigueur, sans desirer une vérité plutôt qu'un autre, Se cette exactitude qui ne laisse échap-per aucune de celles qui se présentent.

Ce n'est pas l'honneur d'avoir imaginé ce que M. Tillet a prouvé , que je réclame ici; c'est l'avantage plus solide de pouvoir citer, comme démontré , ce que j'avançois comme probable, & de recommander avec plus d'assurance a mes Compatriotes, les

DE CULTIVER LA CANNE. 87 principes que j'ai établis contre l'opinion de l'épuisement des terres. La première Expérience de M. Tillet, préfente

lin succès complet, obtenu pendant les années 1771, 1772 & 1773 , d'un mélange de trois huitièmes d'argille dont les Potiers font usage, de deux huitièmes de fable de rivière , & de trois huitièmes de retaille de pierre dure. Les bleds que M. Tillet y avoit semés , y ont passé pendant ces trois années par tous les degrés de végétation, fans éprouver le moin-dre affoiblissement, les tiges s'y font élevées avec vigueur & ont donné de beaux épis où le grain a acquis toute fa maturité.

Même succès dans la quatrième & cin-quième Expérience obtenus pendant trois années consécutives, d'un mélange de deux huitièmes d'argille, trois huitièmes de retail-les de pierre , & de trois huitièmes de sable ; une quantité moins forte d'argille ne nuit donc point au progrès delà végétation.

La sixième Expérience de deux huitièmes de sablon substitué à la même quantité de fable de rivière, les autres matières conti-nuées dans la même proportion que dans les expériences précédentes , n'a réussi que la première année : M. Tillet soupçonne qu'il s'est fait ensuite un mélange trop inti-me du sablon avec l'argille, qui a réduit avec le temps ces matières à un espèce de ciment.

La vingt-cinquième Expérience concerne de vieux plâtre employé seul ; il paroissoit être le débris de quelque corniche d'un

F 4

88 ESSAI SUR L'ART appartement ; le bled y a parfaitement réussi pendant trois ans.

Même succès obtenu pendant le même nombre d'années, de la vingt-deuxièmeExpé-rience faite dans le sable de rivière tel qu'il entre dans la composition du mortier ; & de la vingt-huitième , faite dans des retail-les de pierre de Saint-Leu.

La trentième Expérience a été faite fur l'argille feule qui d'abord avoit été broyée , mile en poudre , dans la vue , dit M. Tillet, p. 7, que ses parties devinssent assez meu-bles pour que le grain en éprouvât de tou-tes parts le contact. Le bled y devint a fiez beau en 1771, quoique les pieds ne fussent pas nombreux , il y périt en 1772 ; mais en 1773 ? touffe y étoit raisonnablement four-nie & elle donna de très-beaux épis.

La vingt-quatrième Expérience faite fur un mélange de deux huitièmes de paille fraîche, hachée avec trois huitièmes d'argille & au-tant de retaille de pierre, n'a eu pendant trois ans qu'un médiocre succès. M. Tillet

p. 37 , qu'on préfumera avec fondement que s'il n'a pas réussi, c'est que les pailles dans l'état de ténuité où elles étoient, loin d'avoir produit l'effet auquel elles parois-soient tendre, ont occasionné dans le mélan-ge une liaison à laquelle il n'avoit pas pen-sé ; il ne s'apperçut bien de cette liaison & de la dureté qu'acquéroit par-là le mé-lange, qu'au mois d'Octobre de l'année 1771 ; qu'il ne le réduisit alors qu'avec peine à l'état d'une terre broyée grossièrement, &

DE CULTIVER LA CANNE. 89 tel qu'il convenoit, pour que le mélange ainsi préparé reçut une nouvelle semence.

Il résulte de ces Expériences , qu'il suffit, pour que les plantes réunifient non-seule-ment dans la terre , dans l'argille , mais en-core dans les matières qui offrent en appa-rence le moins de ressources à la végétation, telles que des retailles de pierre & du verre pilé ; il suffit, dis-je, que ces matières soient réduites au degré de ténuité , & maintenues au point de division nécessaires pour que les racines des plantes puissent s'y étendre avec facilité , & éprouver de toutes parts un contact immédiat. M. Tillet juge même, p. 49, qu'il seroit difficile d'après les faits qu'il expose & les Expériences qu'il a faites de regarder comme aussi nécessaire qu'on le suppose, le repos qu'on donne aux terres sous prétexte qu'elles s'épui-seroient fi l'on y semoit du bled tous les ans. M. Tillet s'etaie aussi du sentiment de M. Du-hamel ; les hommes, ajoute-t-il bientôt épuisés dans leurs productions passagères , ont mesuré les grandes opérations de la nature sur le prompt affoi-blissement de celles qui leur sont propres : loin de remarquer qu'a légard du point particulier dont il s'agit ici, la nature a une marche soutenue, des ressour-ces constantes , UN FOND INÉPUISABLE ; ils ont réduit en principe d'agriculture le repos des terres , auquel la difficulté du travail dans de grandes exploi-tations , le soin d'ameublir les terres par des la-bours multipliés & donnés par intervalles

, la durée

des semailles l'intempérie des saisons , la nécessité seule les obligent.

Bien-loin d'ajouter un mot, je serois tenté

90 ESSAI SUR L'ART, &c. d'effacer tout ce que j'ai dit de mon cru, persuadé que le peu qu'on vient de lire suf-fit, pour m'autoriser à présenter avec con-fiance, un systême qui suppose a la terre des ressources que M. Tillet démontre par des laits, toujours plus sûrs que les raisonnemens.

Fin de la seconde Partie,

ESSAI SUR

L'ART DE CULTIVER LA CANNE ET

D'EN EXTRAIRE LE SUCRE.

TROISIÈME PARTIE.

Systême de la petite. Culture.

INSTRODUCTION.

Par quels degrés on a senti la nécessité d'étudier la. Canne à Sucre, avant de prononcer sur ses besoins. Tableau de l'expérience des deux anciennes Mé-thodes.

S'IL est naturel de s'occuper de foi-même, il est ridicule de vouloir en occuper autrui ; mais j'espere que l'on s'appercevra que je n'ai eu d'autre dessein en rendant compte

92 ESSAI SUR L'ART de la marche de mes idées & de mes opé-rations , que de faciliter les moyens de les apprécier. Ce n'est point par un essai fur la culture d'une plante, qu'on peut prétendre à l'importance ; c'est beaucoup fi l'on par-vient a l'utilité.

Pendant les sept années qu'a duré la guerre dernière, j'ai été borné a un Attelier allez médiocre ; j'espérois l'augmenter, c'étoit l'usage. J'avois beaucoup trop de Cannes pour qu'elles fussent bien entretenues; c'étoit l'usage aussi. Je replantois quelquefois un quatre , quelquefois deux , des endroits les plus misérables ; mais le temps manquoit pour fumer. Sans autre plan que celui de couper quand le temps le permettoit, & de farder quand il y avoit trop de pluie, j'attendois & recevois de la terre ce qu'elle vouloit bien me donner. Uniquement aidée par les pluies plus fréquentes alors qu'aujourd'hui, ( l'Isle étoit plus couverte de bois) elle produisoit souvent plus que je ne pouvois recueillir; l'em-barras alors n'étoit pas bien grand, je coupois plus tard les Cannes que j'aurois coupées plutôt, ma récolte n'étoit jamais faite, elle se faisoit toujours.

La paix facilita les moyens, de se procu-rer des Nègres. Chacun voulut couvrir ses terres de travailleurs. Beaucoup de nouveaux habitans n'avoient d'autre idée d'Agriculture, que celle qu'ils avoient pu se faire pendant quelques semaines de séjour dans les autres Isles Angloises, & ce fut dans ces Isles qu'ils eurent loin de se pourvoir d'Economes, qui, ainsi que les nouveaux propriétaires,

DE CULTIVER LA CANNE. 93 n'ayant vu jusqu'alors, que des terres ou Ton travailloit beaucoup pour recueillir peu, conclurent, suivant l'axiome trop peu exa-miné, que II l'on travailloit avec le même foin , des terres qui produisoient pour ainsi dire d'elles-mêmes , elles produiraient fans doute en proportion de l'augmentation de culture qu'on leur donneroit.

Les premiers essais en imposèrent aux an-ciens comme aux nouveaux Colons. On ne parloit que de la longueur, de la largeur des Feuilles, de la grosseur des Cannes ; on étoit. plus modeste quand on parloit de la qualité du Sucre , & l'on disoit, mon gueux de Ra-fineur m'a fait d'abominable Sucre cette année-ci ! quelquefois aussi l'on battoit le gueux de Rafineur, parce qu'il est plus aisé de battre que d'instruire.

Je n'avois desiré un plus grand nombre de Nègres que pour replanter & fumer ; l'aug-mentation que je me procurai , ne suffit qu'à replanter suivant la nouvelle méthode ( la grande culture ) : mais le temps de cou-per étant venu , je m'estimai heureux de n'avoir pas eu allez de Nègres pour fumer ; en effet fi des Cannes plantées fans fumier, étoient si belles, le fumier n'auroit pu leur faire que du mal. L'extase ne passa pas du moulin à la sucrerie , & je dis comme les autres , mon gueux de Rafineur ! mais com-me j'entendois passablement cette partie, a laquelle je m'étois particulièrement attaché; j'entrepris de redresser mes gens , & je fis d'aussi mauvaise besogne , parce que n'ayant eu jusqu'alors que de très-bonnes Cannes a

94 ESSAI SUR L'ART traiter, je n'avois pas eu l'occasion d'étudier les mauvaises.

Je ne fais combien de temps l'ivresse des grosses Cannes m'auroit possédé, fi j'avois fait beaucoup de mauvais Sucre ; mais avec le double de Nègres je ne remplissois pas un plus grand nombre de formes : je le remarquai enfin au bout de quatre ans.

J'observai aussi que mes Cannes plantées étoient superbes à la vérité , mais qu'il en restoit une grande quantité de pourries fur la pièce.

Je me souvins d'ailleurs que lorsqu'une an-née trop favorable (pluvieuse), m'a voit empê-ché autrefois de couper mes Cannes a douze mois, je trouvois aussi ( dans mes excellentes terres ) beaucoup de Cannes pourries parmi celles que je coupois à 14 ou à 15.

Je remarquai encore que mes nouveaux rejetons me donnoient bien du Sucre assez beau , mais en moindre quantité que les anciens ne m'en avoient donné autrefois.

Je remarquai de plus que j'avois h peine allez de temps pour farder , parce que ce n'étoit qu'a dix mois que les Cannes plan-tées a de grandes distances, couvroient tota-lement la terre , qui rarement autrefois n'étoit pas couverte à cinq mois.

Plus de terre en Cannes, plus de Nègres, plus de bestiaux , plus de bâtimens, consé-quemment plus de dépense, plus de pertes, & cependant toujours même quantité de formes de Sucre ! c'étoit bien assez pour renoncer au systême de la grande culture, & tâcher d'en trouver un nouveau , dans le

DE CULTIVER LA CANNE. 95 calcul duquel je n'avois qu'à faire entrer mes nouvelles acquittions en tout genre : cependant je tâtonnai encore pendant deux ans, pour lavoir fi ce n'étoit point la terre ou les saisons qui eussent changé; & je vis que la petite altération dans les saisons (1), etoit balancée par un autre avantage , celui de pouvoir travailler pour ainsi dire en tout temps ; que la terre étoit, ce qu'elle avoit toujours été ; & qu'il auroit même fallu peut-être , encore vingt ans de la grande culture non pas pour la ruiner, ce qui me paroissoit impossible , mais pour l'altérer au point de ne pouvoir qu'à grands frais lui restituer les qualités dont on l'auroit dépouillée, en continuant à fossoyer indiscrètement, jus-qu'au point d'entamer la terre inférieure

stérile. Enfin dégoûté d'attendre tout de l'incons-

tance des saisons & de pratiques adoptées fur la foi d'autrui ; plus fatigué encore de ces superbes productions, obtenues par un travail énorme , sans un accroissement réel de revenu , je sentis la nécessité d'étudier plus particulièrement la Canne, d'examiner quel effet le travail & les saisons produisoient nécessairement sur elle, & de savoir ce qu'il étoit possible d'obtenir de la terre, en ne biffant à l'incertitude des saisons que la portion de ré-colte qu'un travail mieux combiné, plus sui-vi, uniforme sur-tout , ne pourroit pas lui enlever. Il falloit avant tout convenir de l'objet final de tant de recherches, en con-

(1) Diminution de pluie seulement.

96 ESSAI SUR L'ART noître toute l'étendue pour n'être pas dirigé , ni satisfait par des à-peu-près ; c'est donc a cet objet que je ramène mes lecteurs.

Objet final de l'Agriculteur, d'où naissent les caractères auxquels ont peut reconnaî-tre un bon & un mauvais systême d'agri-culture.

L'objet final du Cultivateur de Cannes, comme de tout autre Agriculteur, est fans doute ( s'il prend la peine de le raisonner), de tirer annuellement, aux moindres frais possibles , non pas d'une partie, mais de tou-te fa terre , tout ce qu'il est possible d'ob-tenir de ses facultés naturelles, & de celles que l'industrie peut lui procurer.

Il ne suffira donc pas d'avoir fait, une telle année , ou prépare pour l'année suivante, une récolte prodigieuse ; parce que c'est le produit constant & annuel que nous cherchons.

Il ne suffira pas que la récolte annuelle soit la plus grande possible , si les frais & les pertes absorbent une partie considérable de revenu qu'on auroit pu sauver par une admi-nistration plus économique ; parce que c'est le produit net que nous demandons.

Il ne suffira pas d'avoir tiré d'un seul quarré de terre, ou de dix, un nombre éton-nant de milliers de Sucre ; parce que c'est au produit de toute la terre que nous aspirons.

Il ne suffira pas d'avoir tiré beaucoup , relativement à beaucoup d'autres Cultiva-

teurs ;

DE CULTIVER LA CANNE. 97 teurs ; car il suivroit de cette façon de raison-ner, qu'un Cultivateur devrait être satisfait, s'il pouvoir se démontrer a lui-même, qu'il obtient par tête de ses Nègres, plus que le pro-duit général de fa colonie ou de son quartier, ne paraît en assigner à chacune; tandis que la supériorité de son revenu pourrait très-bien n'annoncer qu'un peu moins de défectuosité dans fa manutention ; il est même aisé de voir par le dépouillement général du produit de toutes les Colonies tant Angloises que Françoises, & la note des Nègres attachés aux Sucreries , ( je parle de tous les Nègres petits & grands, domestiques & ouvriers, car c'est ainsi qu'il faut calculer ) on peut voir, dis-je, que le produit général ne don-ne pas cinq cens livres de Sucre par tête, ce qui certainement fans aucun besoin de preuve , peut être décide fort peu de chose ; & ce n'est pas le produit d'une terre, com-paré au produit de la totalité des établisse-mens à Sucre, ni même a celui d'une telle Isle , d'un tel quartier; c'est tout le produit qu'on peut esperer des facultés naturelles de sa propre ter-re , dont il est ici question.

Et il la saison la plus avantageuse depuis le moment où vous avez planté, jusqu'au moment où vous avez recueilli, & l'état de perfection où avez trouvé toutes vos Cannes au moment de la coupe, ne vous permettent

pas de douter que vous n'ayez obtenu le non plus ultra des forces naturelles de votre terre, aidée même d'un travail assidu, cela ne suffira pas pour remplir votre objet; il fau-dra que vous fâchiez, ensuite s'il ne seroit

* G

98 ESSAI SUR L'ART pas possible d'en obtenir encore davantage par un autre espèce de travail, qui mieux combiné fur le temps, les moyens & les bor-nes du plus grand accroissement utile de la Canne , vous laisseroit quelques feulai nés, peut-être quelques mois de loisir, d'oisiveté pour ainsi dire , dont l'emploi ajouteroit aux facultés naturelles de la terre , celles que des secours étrangers proportionnés à l'étendue de votre loisir seroient capables de lui procurer.

Il n'y a donc rien de plus évident que notre objet, on a vu à quel point les ancien-nes méthodes s'en éloignoient, tâchons de nous en rapprocher.

CHAPITRE PREMIER.

Principes de la petite Culture, & raisons générales de ces Principes.

LES principes que je vais établir, sont fondes sur la supposition de l'exactitude des détails que j'ai donnés dans l'histoire natu-relle de la Canne : Je supplie donc mes lec-teurs d'être décidés avant d'aller plus loin , fur les points de cette histoire qu'ils peu-vent coutelier , afin de s'épargner la peine de poursuivre, si une attention plus scrupu-leuse, ou mieux récompensée , leur a fait dé-couvrir que l'accroissement de la Canne n'est pas exactement fournis aux conditions

DE CULTIVER LA CANNE. 99 de pluie & de culture que j'ai indiquées, & que Tes développemens n'obéissent pas pour ainsi dire en raison du plus ou du moins de ces deux circonstances, dont l'une est dans les mains de la Providence, & l'autre à la dis-crétion de ceux qui ne peuvent qu'observer, & faire usage de leurs observations. Si au contraire mes lecteurs font d'accord avec moi fur les faits que j'ai avancés, mes pré-tendus principes ne m'appartiennent plus, ils font dictés par la nature de la plante & du climat, je n'ai fait que les appercevoir & je rends compte de ce que j'ai apperçu.

Il résulte de la réunion de tous les points de l'histoire naturelle de la Canne , suivie depuis le moment où on la met dans la terre , jusqu'à celui où elle acquiert le dernier période de son accroissement , que si elle peut subsister sans un dépérissement mani-feste pendant 15 & 16 mois, elle ne croît cependant jamais au-delà de 13 mois, peut-être même au-delà de douze ; & que les Cannes qu'on trouve dans leur perfection après 15 & 16 mois , sont des secondes & troi-sièmes productions, qui ont paru trois & quatre mois après les premières, à qui mê-me elles doivent leur existence.

Je suppose maintenant qu'une pièce de terre ait besoin d'être replantée à chaque coupe : il est évident que fi je la coupe & la replante annuellement dans la saison que. j'ai observé la plus propre à favori fer tout ceux de ses développemens que je puis tour-ner à mon profit , je ferai quatre récoltes en quatre années.

G 2

100 ESSAI SUR L'ART Suivons, au contraire , le systême des plan-

tations de Novembre. Je coupe ma pièce en Mars 1780, je la

replante en Novembre même année, je ne puis la couper qu'en Février ou Mars 1782 ; je la replante en Novembre suivant, je ne puis la couper qu'en Février ou Mars 1784 ; en quatre ans je ne fais que deux récoltes.

Sur cet exposé seul , quel est le parti fan du systême de la grande culture , possesseur pour tout bien d'une pièce de Cannes pa-reille celle dont je viens de parler , qui hésitât a déclarer la Canne, plante annuelle , & à la traiter en conséquence ? mais alors, avec quel loin ne seroit-elle pas plantée, fumée , labourée , fardée ! C'est ce qu'il faut faire. Donc :

PREMIER PRINCIPE.

Il faut couper annuellement toutes ses Cannes.

Quelques palpables que soient les raisons qui nous ont déterminé a conclure que la faculté de rejetonner étoit inhérente à la Canne , que la puis vieille des racines de Cannes coupées annuellement, ne pouvoir avoir au delà de deux ans , & qu'une terre qui avoit produit une fois dans fa perfec-tion, telle plante que ce puisse être , pour-roit toujours la produire dans le même de-gré de bonté , parce que ni la plante, ni la terre, ne peuvent s'enlever mutuellement des propriétés qu'elles tiennent de la nature ; savoir , la terre de produire, la Canne de

DE CULTIVER LA CANNE. 101 rejetonner; cependant il est visible par l'état de plusieurs pièces de rejetons , que , soit par une raison , soit par une autre, très-in-différentes pour ce moment ci, il y a un cinquième, un quart, un tiers, une partie enfin de vos Cannes qui demande à être renouvellée. Donc :

SECOND PRINCIPE.

Il faut replanter annuellement une partie de sa terre.

Il résulte des observations qui nous ont appris les effers que produisent nécessaire-ment la pluie Se le sec fur la Canne , que cette plante est l'hygromètre le plus exact pour designer la quantité de parties humi-des contenues dans la terre qui l'environne ; cet hygromètre a même la propriété singu-lière d'enregistrer, pour ainsi dire, a mesure qu'il désïgne : je m'explique' ; prenez une Canne ( Voyez figure 1. ), la quantité de ses nœuds vous a appris son âge ; la longueur & la grosseur de chaque nœud vous donne-ront positivement la différence de la quan-tité de parties humides, existantes dans le petit espace de terre d'où la Canne a tiré sa subsistance , depuis la première semaine où elle a présenté son premier nœud hors de terre, jusqu'à celle ou vous l'avez cou-pée. M. Hales eût été plus loin, il eût pesé chaque semaine une portion de cette terre; il eût observé quelle quantité de parties humides donnoit la plus grande perfection aux nœuds &c. &c. &c. Qui fait quelles con-

G 3

102 ESSAI SUR L'ART séquences il eût tire du tout, & de quelle utilité leur application eût été pour un temps ou pour un autre, pour ce lieu-ci ou pour celui-là, pour une plante indigène ou pour une exotique , &c. car tout le tient dans la nature ; nous l'avons déjà dit après tant d'autres , & conséquemment il n'y a point d'observation vraie, qui ne puisse deve-nir précieuse ; je le répète a mes Compa-triotes , fi capables en général, de tout ce qu'ils auroient la patience de vouloir bien fai-re ; & je rentre dans le cercle qui me con-vient.

L'effet de la sécheresse de la terre qui en-vironne la Canne , étant infailliblement de l'étrangler , & de raccourcir ses nœuds & ma récolte, il fera de la plus grande conséquen-ce de veiller à tout ce qui peut conserver l'humidité de la terre par-tout où elle n'est pas noyée : or, le moyen le plus sûr, le plus indépendant des saisons, est celui de planter à cette distance, qui en laissant à l'Agricul-teur , la facilité de travailler à l'entour de la plante, & a la plante celle de profiter ce de tra-vail , procure le plutôt possible à la terre, un ombrage qui puisse la garantir du moins de l'action directe du soleil, fi redoutable pe-ine en Suisse , suivant M. Dechâteauvieux cité par M. Duhamel , pour le bled semé à une trop grande distance , & bien plus probablement nuisible dans la zone torride, où l'on ne voit pendant plus de trois mois presqu'aucune apparence d'herbe dans la plus grande partie des savanes (prairies).

Or , j'ai eu des Cannes superbes, quoique

DE CULTIVER LA CANNE. 103 plantées à deux pieds & demi ; & j'en ai eu de médiocres, quoique plantées a cinq pieds ; leur état a toujours dépendu de la saison & de mon travail, dans l'une comme dans l'autre distance ; à quoi j'ajouterai que pour fossoyer un quarré de terre à cinq pieds, il faut beaucoup plus de temps, que pour le fossoyer à deux pieds & demi, parce que plus de fosses supposent plus d'intervalles qui les séparent, & par conséquent moins de terres à fossoyer. Donc :

TROISIÈME PRINCIPE.

Il faut planter à deux pieds & demi dans les terres plus sèches, & à trois pieds dans les terreins les mieux exposés.

Il paroît aussi par nombre d'observations suivies avec exactitude, soit à l'égard des sai-

sons, soit a l'égard de leurs effets fur la sor-tie des premières, deuxièmes & troisièmes productions de la souche, & fur le développement de chacune en particulier -, il paroît dis-je, qu'après le renouveau qui fuit toujours in-failliblement le sec, un peu plutôt, un peu plus tard, c'est-a-dire , en Mai ou Juin , on peut se promettre une succession allez cons-tante de pluies, ordinairement proportion-nées a l'état des plantations faites pendant ces deux mois , foibles comme elles dans le pria-cipe plus considérables ensuite à mesure que ces plantes prennent de la force , & par averse lorsque les plantes sont parvenues au point de n'en plus rien redouter. V. Tableau de la pluie.

G 4

104 ESSAI SUR L'ART Ces différentes raiforts de planter au renou-

veau , déjà puissantes par elles-mêmes, font encore fortifiées par deux avantages considé-rables, 1°. la perfection du plant qu'on peut avoir alors, eu égard a la richesse des lues qu'il contient,& qui n'ont point été altérés par la production de la flèche: 2°. Cette espèce de secousse qu'éprouve la nature pendant les orages, & sur-tout au renouvellement de saisons opposées, comme les grands Obser-vateurs l'ont remarqué en Europe (Vo. . MM. Haies & Duhamel ) ; c'est alors que la végé-tation est à son plus grand degré d'activité. Donc :

QUATRIÈME PRINCIPE.

IL faut planter en Mai & Juin.

Il ne suffit pas d'avoir du plant, il faut on avoir beaucoup, pour replanter fi l'on s'est trompé fur la réalité du renouveau, & qu'on ait pris les lignes avant-coureurs , pour la crise décidée ; il faut aussi du plant pour re-courir , fi les premières pluies ont été suivies d'un trop long sec ; la chose est rare , mais elle peut arriver, & nous sommes convenus qu'il ne falloir laisser au ha fard que ce qu'il n'étoit pas possible de lui enlever. Donc :

CINQUIÈME PRINCIPE.

Il doit nous rester au 15 de Mai, le quart de notre récolte à faire , & elle ne doit pas finir avant le

dernier de Juin.

Mais pour planter fa terre aux premières

DE CULTIVER LA CANNE. 105 pluies qui peuvent arriver le premier de Mai, quoiquelles puissent n'arriver que le premier de Juin & même plus tard, il faut que cette terre soit déjà fossyée ; or, comme il seroit encore trop courageux trop confiant, de ne replanter que le moins de terre possible afin de la planter mieux , & pour un plus grand nombre dannées, ( car en fait d'Agriculture, la confiance & le courage ne doivent aller que jusqu'à des essais ) ; nous supposerons donc que tout ce que j'ai pu obtenir, soit de ma prudence, soit de mon irrésolution est de ne replanter annuellement que le sixième de ma terre. Or, il faut avoir le plus de temps possible pour bien fossoyer & préparer une quantité de terre aussi considerable qu'un sixième du tout, tel qu'il puisse être s'il est proportionné aux moyens. Donc :

SIXIÈME PRINCIPE.

Il faut toujours commencer la récolte par les Cannes qu'on a dessein de replanter.

Nous avons dit qu'il falloir se ménager le plus de temps possible pour bien fossoyer & préparer la terre ; il faut aussi le moins possible de bâtimens, d'ustenfiles, de Nègres, &c. parce que tous ces objets font fort coû-teux ; mais il faut encore dérober le moins possible à la qualité du lucre , à la quantité des nœuds qui doivent le fournir, a la faci-lité de le faire; or, personne n'ignore que la révolution favorable au jus delà Canne, & le moment de travailler avec aisance,

106 ESSAI SUR L'ART commence au mois de Janvier, & qu'alors raccroissement des Cannes est bien moindre que dans les mois décidés pluvieux ; nous satisferons à ces différons objets par le prin-cipe suivant:

SEPTIÈME PRINCIPE.

Il faut commencer la récolte avec l'année , & la continuer sans la presser ni l'interrompre jusqu'au 30 de Juin ; ou jusqu'au 15 de Juillet , fi Ion éprouve trop de contradictions fou de la part des saisons , soit de la part des accidens.

Avant d'examiner plus particulièrement, des principes qu'on a cru devoir rapprocher un instant, afin qu'on jugeât mieux de leur liaison fixons les degrés de l'intérêt que mérite cet examen.

QUESTIONS relatives à différentes pro-priétés de mon systême.

PREMIÈRE QUESTION.

Quel quesoit un Attelier, s'il suffit pour les opérations de la grande Culture

3 suffira-t-ïl pour celles de la

petite ?

Suivant ces principes, qui dérivent de la nature des choies, j'ai deux opérations simul-tanées a faire , aussi essentielles l'une que l'au-tre ; lavoir, profiter d'une récolte, & planter

DE CULTIVER LA CANNE. 107 pour la suivante. Quel que soit mon Attelier, s'il a suffi pour les opérations ordinaires du systême de la grande culture, suffira-t-il pour celles de la nouvelle ? On peur le décider en comparant les opérations de l'une & de l'au-tre ; je n'y trouve que des transpositions ; car il est parfaitement égal de consacrer à ma récolte quatre mois consécutifs de tout mon Attelier, & de l'appliquer, pendant deux mois à d'autres travaux ; ou de réserver journelle-ment pendant six mois le tiers de mon Atte-lier a des travaux étrangers à la récolte,pen-dant que les deux autres tiers feront con(lam-inent & uniquement occupés a récolter. Dans un cas comme dans l'autre, j'ai deux mois libres , soit en gros , soit en détail; & deux mois d'un Attelier qui pendant quatre a suffi pour couper soit quinze soit cent quarrés de Cannes , font beaucoup plus que suffi fan s aussi pour fossoyer , planter & sar-der une première fois, les trois ou vingt quarrés que ses forces permettent de fossoyer & planter chaque année. Donc :

Relativement a l' emploi des six premiers mois ,

mon systême peut être adoptéfans addition de Nègres par ceux qui en ont assez1 pour suivre le systême de la grande culture.

Nous parlerons bientôt des six derniers mois.

SECONDE QUESTION.

Mon systême peut-il être adopté avec avantage quelque foible que soit l'Attelier que l'on a pour le suivre ?

Quel que soit votre systême, vous avez une

108 ESSAI SUR L'ART récolte a faire, une autre à préparer ; & quel que soit votre Attelier , vous faites l'une , & préparez la fécondé, dans un temps ou dans un autre: pour adopter mon systême, il ne s agit donc encore que d' une transposition de travaux ; mais je dirai plus, il y a dimi-nution de travail ; car enfin vous supposez que c'est la médiocrité de votre Attelier qui vous engage a faire votre récolte partie dans les six premiers mois de l'année , partie dans les six derniers, parce que les premiers ne suffisent pas. Or, voici les raisons de cette prétendue insuffisance ; la portion de récolte que vous faites dans les six derniers mois, vous donne moins a la vérité qu'elle ne vous eût donné fi elle eût été faite plutôt, mais elle vous prend le triple du temps qu'elle eût pris dans les six autres -, considé-rez maintenant que le temps qui vous man-que pour la faire totalement dans les six pre-miers , est celui que vous perdez aux sarcla-ges que vous êtes obligé de donner pendant le temps de la récolte à vos Cannes plantées en Novembre ; sarclages devenus non-seule-ment inutiles , mais impossibles dans ma méthode, puisque toutes mes Cannes tant plantées que rejetons couvrent la terre a la fin de Septembre : ces sarclages cependant & d'autres travaux minutieux vous enlèvent deux mois des six premiers ; c'est autant qu'il en faut pour couper la petite portion de récolte que vous remettiez a l'arrière sai -son ; pour la couper, dis-je, fossoyer alter-nativement jusqu'a ce que vous ayez pré-paré la quantité de terre que la médiocrité

DE CULTIVER LA CANNE. 109 de votre Attelier vous permet de planter annuellement. Donc:

Relativement à l'emploi des six premiers mois mon systême peut être adopté avec avantage , quel-que foible que fait l'Attelier qu'on ait pour le sui-vre , fi cet Attelier est seulement assez considérable pour qu'on ne doive pas renoncer entièrement à la manutention d'une Sucrerie.

Dans la question suivante nous verrons ce qui résulte de mon système eu égard aux six derniers mois.

TROISIÈME QUESTION.

Mon systême a-t-il, relativement à la détérioration supposée possible de la terre , quelque avantage sur les autres méthodes ?

Transportons-nous au premier Octobre ; voyez ma terre, elle est couverte ; pas un sarclage possible ; tout au plus, quelques bor-dures de pièces à nétoyer pour le plaisir du coup-d œil : Regardez la vôtre ; vos premiers rejetons , plantés ci-devant à de grandes distances , demandent aujourd'hui encore un sarclage ; il en faut encore deux & peut-être trois aux derniers rejetons que vous avez coupés ; & le cinquième de votre terre attend votre commodité pour être fossoyée, plantée & sarclée ensuite. Je vois le travail qui reste à vos Nègres, voici celui des miens; préparer & charroyer des fumiers pour les planta-tions de l'année suivante. Or, que doit-il résul-ter de deux ou trois mois destinés & employés

110 ESSAI SUR L'ART annuellement, a préparer Se charroyer des fumiers ? une différence bien considérable, ce me semble, je ne dis pas entre votre terre & la mienne, puisque je prétends que la terre ne s'altère pas par l'usage ; mais dans les produits que nous devons raisonnablement attendre de l'une & de l'autre, puisque nous (avons également que le fumier y contribue. Donc :

Relativement à l'emploi des six derniers mois, mon systême a sur les autres l'avantage de laisser

libre , deux à trois mois de tout un Attelier, pour préparer des matériaux capables de donner de la fer-tilité à la terre grasse, au sable au tuff, aux re-tailles de pierre même ( Voyez les Expériences de M. Tillet déjà cité) , & conséquemment de rendre excellente , après un temps assez£ court, la terre reconnue pour la plus médiocre.

QUATRIEME QUESTION.

Mon système convient-il à plusieurs espèces de terre ?

C'est une question qu'il eut été fans doute important , mais certainement impossible de traiter plutôt , important ; car quicon-que sur le précis de mon systême ( v.p.2) Hist. nat. de la Canne, ) l'aura dans le même moment suivant l'usage universel soupçon-né , accule , déclaré incompatible avec la qualité de fa terre, n'aura pas manqué de fermer aussi-tôt la brochure , & de la con-damner , pour l'aquit du moins d'une partie des frais d'achat a augmenter le feu de la pre-mière batterie (chaudière a sucre): cependant

DE CULTIVER LA CANNE. 111 il étoit impossible de prononcer avant d'ins-truire, il falloir établir & prouver, avant dû ramener le tout fous un point de vue uni-que ; & conclure enfin d'après un principe qui fût simple , général & décisif ; c'est ce que je vais faire en examinant plus particu-lièrement l'espèce de rapport qui existe, entre une terre quelconque & les plantes qu'on y cultive.

Une terre peut être naturellement plus ou moins propre a la production d'une plan-te; cela dépend du plus ou du moins de pro-portion, non-seulement entre les besoins de la plante & les moyens de subsistance que renferme la terre, mais encore entre la flé-xibilité des canaux qui recèlent cette subsis-tance & la rigidité des organes dont la plan-te est douée pour se l'approprier. Grand nom-bre de végétaux réussissent dans une terre sablonneuse légère, qui périroient dans une terre forte & compacte, quoique la nour-riture nécessaire ( nous avons vu quelle es-pèce de nourriture) existe également dans l'une & dans 1'autre ; mais de quelque espè-ce que loit la terre, elle n'est que le maga-sin de la subsistance, & le théâtre de la végé-tation ; l'essence du sujet n'y peut être alté-rée -, elle peut gêner ses développemens ou n'y rien opposer ; elle ne peut rien fur leurs différens périodes ni fur les bornes que la nature leur a prescrites ; tel degré & telle espèce de chaleur & d'humidité , les opèrent toujours a des époques déterminées.

Sous le quarante-quatrième degré de lati-tude septentrionale, le bouton de la vigne

112 ESSAI SUR L'ART paroît en Mars ou Avril , ion fruit est mûr en Octobre : qu'on la cultive fous le quarante-quatrième degré de latitude méridionale ( toutes choses égales d'ailleurs ), le bouton paraîtra en Septembre, le fruit fera mûr en Avril. Conservez l'exposition & la distance du soleil, & changez feulement la qualité de la terre ; son fruit fera fans doute plus ou moins gros , mais les développemens qui l'amèneront a fa maturité, se feront aux mê-mes époques, fous les mêmes conditions ; & fa bonté dans le nouveau cas, suivra comme dans le premier la proportion qui aura existé entre ses besoins & la saison qu'il aura fait. Transportez cette plante fous la ligne; ses développemens feront plus rapides , au lieu de huit mois, six suffiront pour les opérer ; & fi vous la taillez en entier, vous aurez deux récoltes par an. Imaginez maintenant un climat, où le soleil soit seize mois à ne don-ner que progressivement ce qu'il donne en huit, a des pays plus favorisés ; le dévelop-pement de la vigne qui fous le quarante-quatrième degré de latitude tant septentrio-nale que méridionale, s'opère en huit mois, & fous la ligne en six, en exigera seize dans le nouveau climat.

C'est en raccourci ce que nous observons à l'égard de la Canne. Transportée dans les ferres de Paris, elle n'y ttouve dans- un an , que l'abrégé des moyens que l'Amérique lui fournit dans une semaine; & cet abrégé de moyens ne donne qu'un abrégé de produits. Voyez au Jardin du Roi, cette Canne dont j'ai parlé , p. 34 ; transportée en Europe

depuis

DE CULTIVER LA CANNE.113 depuis deux ans, elle n'a hors de terre que deux noeuds , qu'elle auroit en quinze jours dans les Antilles ; & remarquez bien qu'elle est à Paris dans cette même terre , qui fous le quinzième degré se fût prêtée en douze mois à tous ses développemens ; s'y refuse-t-elle ici ? Non , mais on n'a pas transporté le climat, & c'est le climat qui joue le plus grand rôle dans toute espèce de végétation ; voila pourquoi j'ai dit, tel degré & telle espece de chaleur & d'humidité opèrent toujours les dé-veloppemens à des époques déterminées : par-tout on peut donner le degré dans les ferres , rien ne peut suppléer à l'espèce, qui ne fait pas encore partie des connoissances humaines.

J'ai prouvé , ou du moins je crois avoir prouvé que mon systêmz ne contrarie aucun point de l'histoire naturelle de la Canne : que la qualité de la terre ne peut rien changer aux propriétés essentielles des plantes : qu'elle n'est autre chose que le magasin de leur subsistance & le théâtre où s'opèrent leurs développemens : que ces développemens font toujours fournis a des conditions , dont le concours dépend uniquement du climat & des saisons, c'est-à-dire de certaines époques toujours accompagnées de tel degré de cha-leur & d'humidité qui nécessairement pro-duisent leur effet. Donc

Mon systême convient à toute espèce de terre située dans le climat dont j'ai fait l'histoire relativement à la pluie. Voyez^ le tableau de la pluie.

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114 ESSAI SUR L'ART

CINQUIÈME QUESTION.

Mon systême convient-il également aux terres les plus arides & aux plus humides , aux meilleures & aux plus mauvaises ?

Il est des terrains secs, arides, où la Canne reçoit un accroissement si peu sensible , qu'a-près même dix-huit mois elle est encore au-dessous du médiocre. Ce seroit fans doute

parler un peu trop comme le Médecin Crispin de la Comédie , que de répondre à l'objection prise de l'aridité du fol, eh bien prenez mon systême , qui vous donne tant de loisir, tant de moyens pour rendre excellente la terre la plus commune ; il ne faudra ce-pendant l'abandonner , ce fystême , qu'au moment où il cessera de répondre a tout, mais un peu moins sommairement que Cris-pin. J'entrerai donc dans quelques détails qui pourront avoir leur utilité , par exemple, d'examiner a quelle culture telle espèce de terre est plus propre , afin de ne pas s'opi-niâtrer fans fruit a contrarier la nature, or-dinairement allez bonne pour nous ménager dans un point, les ressources qu'elle ne juge pas a propos de nous accorder dans un autre.

A considérer la question dont il s'agit fous un point de vue général , il est indubitable qu'il n'y a d'autre différence entre le mor-ceau de terre le plus aride & le meilleur, entre le plus sec & le plus humide, sinon , qu'il y a plus de Cannes dans la meilleure

DE CULTIVER LA CANNE.115 terre , & moins dans le morceau aride ; qu'a douze mois les Cannes de l'une, ont environ trente nœuds dans une longueur de cinq pieds, & que les Cannes de l'autre ont dix & quinze nœuds de moins dans une lon-gueur moindre de moitié ; or, je vois que cette différence est exactement celle que nous observons entre une année sèche & une année pluvieuse ; or, il a été prouvé, Voyez page 45 , histoire de la Canne dans les diffé-rentes espèce d'années, que relativement à ses deux récoltes, mon systême cil à préférer-dans les trois espèces d'années. Donc il con-vient aux terres les plus mauvaises comme aux meilleures , aux terrains les plus secs comme aux plus humides.

Mais la fureur de généraliser, & la gloire de systématiser , ne m'empêchera pas de dé-composer la question au lieu de la trancher , & je dirai :

Dans les années de pluie abondante , le systême de la petite culture est beaucoup plus avantageux , voyez page 49 ; dans les années qu' on peut appeller sèches ( quoi-qu' elles ne le soient pas au point d'être re-gardées comme très-mauvaises ), ce systême a moins d'avantage , a la vérité, mais il est encore préférable à celui de la grande culture, relativement à ses deux récoltes, voyez p. 47. Ces deux points reconnus suffisent, ce me semble, pour constater que plus l'année fera pluvieuse , plus mon systême fera avanta-geux ; & qu'il le fera d'autant moins, qu'il y aura moins de pluie. Il peut donc pleuvoir niiez pour qu'une année du produit des

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116 ESSAI SUR L'ART Cannes plantées de la petite culture , soit même plus considérable que celui des Cannes plantées de la grande culture ; par exemple, s'il pleuvoit allez, ce qui cil possible, pour que vos premières productions fussent pour-ries , & qu'il ne reliât que les fécondés & troisièmes ; dans ce cas, outre mes fécondés

& troisièmes productions , j'aurois encore mes premières, qui ne peuvent jamais être pourries à douze mois ; conséquemment j' aurois cette année-là , non-seulement le bénéfice de l'excédent de ma première ré-colte, mais encore celui de ma fécondé en entier.

Il peut aussi pleuvoir allez peu , pour me forcer à ne pas planter en Mai & Juin, ou pour m'obliger à replanter en Novembre les Cannes que j'aurois plantées inutilement en Mai, & dans ce cas, j'aurai l'année suivante, outre la perte du retardement de leur pro-duit, la perte occasionnée par l'anticipation annuelle de la coupe de mes rejetons, aussi nécessaire cette année-la , que fi j'avois eu mes Cannes plantées à couper.

T ransportons à la terre ce que nous avons dit de la saison , & vous verrez que plus vous monterez de la qualité ordinaire a l'ex-cellente , plus le systême de la petite culture fera avantageux ; mais en descendant de la qualité ordinaire à la très-mauvaise, il n'est pas douteux que vous ne trouviez un degré d'aridité qui vous forcera d'adopter , ou plutôt, d'essayer le systême de la grande cul-ture ; je dis essayer, car je fuis tenté de croire que s'il n'étoit question que des différens

DE CULTIVER LA CANNE. 117 degrés de mauvais , le degré qui vous obligerait à abandonner le systême de la petite culture , vous obligerait bientôt après à abandonner celui de la grande & à chercher quelqu' autre plante plus con-venable au fol.

Il est cependant une espèce de terre dans laquelle les Cannes s'échaudent , brûlent même , après quelques semaines de sec ; && j'accorde que mon systême conviendra d'au-tant moins a cette espèce de terre , qu'il faudra moins de semaines de sec , pour que les Cannes y soient échaudées, brûlées ; & que cette raison devient plus forte par la confidération que les Cannes plantées brû-lent encore plus vîte que les rejettons, parce que , probablement , étant plus aqueuses , elles font dans le cas des grappes ( mélange d'eau Se de mélasse avec lequel on fait le mm ) qui fermentent d'autant plus vîte qu'elles font moins chargées de mélasse fur une plus grande quantité d'eau.

Il faudrait donc, par rapport a ces terres, examiner fi ce défaut provient de leur qualité intrinsèque , ou des circonstances qui lui soient en quelque façon étrangères. Je m'ex-plique : fi la terre bonne en elle-même, est remplie de pierres, ou très-peu épaisse fur un lit de rocher ou de tuf!, qui une fois échauffé par le soleil de Février , conserve fa chaleur jusqu'au renouveau , alors il faudrait cer-tainement , pour ces parties exposées, adopter le systême de la grande culture, & le détermi-ner a n'avoir qu'une bonne récolte tous les deux ans; mais j'ai bien de la peine a croire qu'à la Grenade on trouvât en général une

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118 ESSAI SUR L'ART vingtième partie de la terre, où il ne fût essen-tiel d'examiner très-particulièrement s'il est bien vrai que les Cannes plantées s'y échau-dent au point de ne pouvoir attendre la pre-mière semaine d'Avril fans exposer la souche : car on peut couper les Cannes à dix mois, & en retirer une récolte passable ; on verra ci-après que le produit d'une pièce de cette espèce , coupée a dix mois, excède quelques fois celui des bonnes terres plantées en No-vembre, & coupée quinze mois après.

Je ne fais , d'ailleurs , s'il n'y auroit pas une bonne moitié de cette vingtième partie reconnue pour très-aride , où il seroit encore plus avantageux d'abandonner courageuse-ment la culture des Cannes, & d'y planter du Coton qui vient très - bien dans cette espèce de terre d'exposition.

Mais , dira-t-on , deshonorer une partie de sa terre par la culture d'une plante subalterne, & encore par morceaux pris çà & là ? car il est bien rare que ces portions affligées se touchent sur une habitation , il faut les chercher en dix endroits différens , quelle bigarurre ! Cela est vrai , mais en fait d'agricul-ture , je ne vois rien de plus déshonorant que de laisser quelque partie de fa terre en friche, & rien de plus mal adroit que de n'y pas cul-tiver la plante dont le produit disponible est le plus considérable.

Voyons maintenant le parti qu'il y auroit a prendre , fi le défaut provenoit d'une qua-lité intrinsèque de la terre ; c'est-à-dire, d'une terre grasse , potasse , capable d'acquérir aussi vîte & de garder aussi long-tems la chaleur, que le rocher & le tuff dont j'ai parlé.

DE CULTIVER LA CANNE. 119 Nous commencerons par supposer un point

démontré par l'expérience, qu'une certaine quantité de fable, mêlée avec cette qualité de terre, en change la nature au point de don-ner une espèce de résurrection à des plantes qui dépérissoient a vue d'oeil, & il ne fera plus question que d'examiner à quels frais on peut se procurer la quantité de fable nécessaire. Si le fable est à portée , charroyez & continuez le systême de la petite culture ; s'il est très-éloigné, examinez fi la faute que vous imputez a la terre, n'est pas celle d'une saison très-mauvaise ; dans ce cas attendez-en patiemment une meilleure, longez que le commun cil ce qui arrive le plus souvent, & que les années communes font en faveur du systéme de la petite culture.

Supposons cependant que vous ayez un dixième de votre terre où vous soyez obligé d'y renoncer -, partagez ce dixième en trois, & plantez le tiers de ce dixième chaque année ; quant au reste , continuez fur mes principes ; rien dans l'agriculture ne me paroît mieux prouvé.

N'objectez pas le tems nécessaire pour ameublir une terre forte & une terre grasse ; après qu'elles ont été fossoyées & exposées pendant un mois a l'ardeur du solzil ; un fort grain de pluie suffit pour en ameublir autant & plus qu'il ne faut pour les premiers besoins du plant. Donc:

Mon système convient dans l'Isle de la Grenade , à toutes les terres qui n'ont pas le degré d'aridité qui doit interdire la culture de la Canne , & qui coin-

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120 ESSAI SUR L'ART mande celle du Coton ou de quelqu'autre plante encore moins exigeante.

SIXIÈME QUESTION.

Mon systême peut-il convenir sous toutes les lati-tudes où la Canne peut être un objet de culture

lucrative ?

Tous les pays où l'on cultive la Canne, ne sont pas fous le onzième degré de latitude, en supposant même que la latitude fa lie tout ; cependant, je ne connois particulièrement que la Grenade, où je conviens même que c'est le ha lard qui m'a rendu observateur, & feulement après quinze années d'expérience inutile ; mais il est des points reconnus, des faits confiâtes, qui peuvent jetter quelques lumières fur une question aussi importante que celle où il s'agit de fixer les limites d'un systême de culture proposé pour une plante qui intéresse tant de peuples & de pays; d'un systême d'ailleurs dont les parties font peut-être a (fez bien liées pour en imposer.

La Canne vient naturellement & superbe dans quelques parties de l'Afrique , fous la ligne ; les foins qu'on lui donne dans les ferres à Paris, n'ont pu que l'approcher de-là triste existence dont elle jouit en pleine terre dans la Sicile ; fa culture à Madère n'a pû soutenir la concurrence de celle de la vigne ; ses succès, au Mississipi, n'ont pas encouragé à former ces établissemens confia

DE CULTIVER LA CANNE. 121 dérables & dispendieux qu'elle exige ; Ton. sucre a la Chine fournit a la consommation du pays, a la vérité assez bornée, & à la médiocre exportation que le génie de ses habitans, plus industrieux que spéculateur, a su se procurer : fou histoire bien suivie dans des climats aussi différens, eut été plus qu'un objet de curiosité ; on peut le préfumer d'après tout ce que j'ai dit ; mais les seuls matériaux dont nous puissions faire usage , & peut-être les seuls nécessaires, font jusqu'à prêtent , fa dégradation reconnue , averée depuis le vingt-huitième degré de latitude jusqu'au cinquantième , le commerce immense qu'elle a créé , qu'elle entretient & qu'elle enrichit , fur quelques parcelles de terre situées depuis le cinquième jusqu'au vingtième degré de latitude nord : c'est donc à la connoissance des saisons dans ces diffé-rens endroits que nous devons nous attacher; car nous avons vu plus haut qu"une histoire très-exacte & très-détaillée des saisons c'est-à-dire de la pluie & du sec , nous donne infailliblement l'histoire très-complette de la quantité comme de la force des productions du plant de la Canne , de celles de la souche déjà formée , de la quantité de se s plans de racines , de la quantité de la longueur , de la gros-

seur & de l'espèce de maturité de ses nœuds , POURVU que des détails également exacts ne nous ayent laissé aucun doute sur la qualité de la terre & sur les soins qui auront précédé accompagné & suivi le moment où elle aura été plantée.

Quoiqu'on n'ait point de tables exactes des époques & de la quantité de pluie qui tombe dans les différentes Isles, où l'on cultive la

122 ESSAI SUR L'ART Canne en-deça de la ligne , nous savons ce-pendant que toutes ces Isles ont annuelle-ment deux saisons, 1' une de sec, l'autre de pluie ; la saison du sec est si marquée qu'on ne peut s'y méprendre, mais en tout tems & par-tout, la chaleur y est à-peu-près égale, par rapporta la végétation ; je m'explique ; elle est rarement au-dessous du vingt-deuxième degré du thermomètre de Réaumur , rare-ment au-dessus du trentième ; & le tems de la plus grande chaleur n'est pas celui du plus grand sec : N'omettons pas une remarque essentielle par rapport a la Canne , c'est qu'elle reçoit un accroissement prodigieux pendant la chaleur la plus excessive , lors-qu'elle est coupée par quelques intervalles de pluies abondantes, & qu'elle dépérit visible-ment pendant une chaleur modérée & fans

pluie. Six semaines de sec n'étonnent pas à la Grenade ; mais ordinairement Avril seul est presque totalement privé de pluie ; Mai en donne communément plus que Mars, Fé-vrier beaucoup moins que Juin ; & comme la plus grande intensité du sec, fi l'on peut se servir de cette expression , se trouve pres-que toujours dans les quinze jours qui pré-cèdent, & les quinze qui suivent le tems où le soleil est au zénith de cette Isle, de même la plus grande abondance de la pluie est communément dans le mois qui précède le point du plus grand éloignement de cet astre. C'est la même époque qui amène les pluies confiantes en Europe , immédiatement après on y voit, ainsi qu'en Amérique, commen-cer une autre révolution ; lavoir, en Améri-

DE CULTIVER LA CANNE. 123 que de pluies modérées , qui diminuent à mesure que le soleil se rapproche , en Euro-pe , de gelées très - fortes qui diminuent aussi à mesure que le soleil revient. En Eu-rope , le mois où le soleil en approche le plus, est ainsi qu'à la Grenade, le temps de la saison la plus égale ; l'extrême chaleur & les pluies d'orages pendant le mois de Juillet & d'Août, font remarquables dans ces deux endroits, mais plus redoutables dans l'Amé-rique.

Si l'on voit vers le cinquantième comme fous le onzième degré de latitude nord, l'é-loignement & la proximité du soleil pro-duire à-peu-près les mêmes révolutions dans tout l'intervalle qui sépare le onzième degré & le quarante-huitième ou le cinquantième, ( sauf les petites variations que peuvent y ap-porter le plus ou le moins de proximité de l'équateur), quelle peut donc être la diffé-rence entre Saint-Christophe, Sainte-Croix, Saint-Domingue , je suppose, & la Grenade ? La différence fans doute que y, 7 ou 8 de-grés plus nord ou plus sud donnent entre les quatre instans ou le soleil passe au zénith de chacune de ces Isles ; on mange des pe-tits pois en Provence, six semaines ou deux mois avant qu'on n'y longe en Angleterre. Il ne seroit donc pas étonnant que le-plus grand sec se trouvât à Saint-Christophe, a Sainte-Croix & à Saint-Domingue , quelques semai-nes plus tard qu'à la Grenade, & l'on m'a dit effectivement qu'à Sainte-Croix, à-peu-près même latitude que Saint-Domingue, la belle saison commençoit un peu plus

124 ESSAI SUR L'ART tard que dans notre Isle ; il faut que cela loit, puisqu'on y plante encore au mois de Janvier,ce qu'on n'oseroit certainement faire à la Grenade année commune. Il ne seroit pas non plus étonnant que le sec fût un peu plus long fous le dix-neuvième degré que fous le onzième , par cette raison ci ; le sec a la Grenade commence ( année commune) quinze jours avant que le soleil soit à notre zénith , & finit quinze jours après qu'il l'a pal ; en supposant que le soleil opère par-tout également , le sec doit commencer à Saint-Domingue quinze jours avant que cet astre soit au zenith de cette Isle , il conti-nuera les quinze jours suivans ; mais com-me alors il se trouve à la fin de fa courte, & qu'il remonte vers la ligne , il doit en repassant pour la fécondé fois au zénith de Saint-Domingue & pendant quelques jours après , continuer d'opérer également à la même distance, & donner a Saint-Domingue un sec de six semaines , quoiqu'il ne soit communément que d'un seul mois à la Gre-nade; à moins que Saint-Domingue ne trou-ve contre le désavantage de fa position, des ressources dans son étendue & la hauteur de quelques-unes de ses montagnes.

Il ne reste maintenant qu'à examiner si la Canne ne préfente point dans tous les pays ou on la cultive, quelque phénomène annuel & décisif , que le temps & la lon-gueur du sec n'empêche jamais de paraître. Car il faudra bien que fins aucun égard a la latitude & à l'exposition , la Canne soit déclarée plante annuelle , & traitée en cou-

DE CULTIVER LA CANNE, 125 séquence , dans tous les pays où comme à la Grenade elle éprouve successivement la som-me & l'espèce de chaleur & d'humidité des-tinées par la nature a opérer son dernier développement : ce {'croit une plante sécu-laire dans un pays où l'on supposeroit cette même chaleur & cette même humidité divisée exactement dans une période de cent ans, de la même manière qu'elles le font à la Grenade en douze mois : elle mériteroit un mot nouveau pour désigner son espèce , si comme le maïs, ses développemens s'opé-roient dans quatre mois, car alors comme le maïs, elle nous donnerait trois récoltes par an. Mais enfin peut-on supposer que la Canne ne soit pas annuelle à Saint-Domin-gue, quand on voit, la comme à la Grenade, annuellement & invariablement, son dernier période annoncé par fa flèche ?

Avant de conclure, je me hâte de préve-nir une objection très-naturelle contre mon troisième principe. Le temps où paroît la flèche,dira-t-on, ( toujours clans nos Isles en Octobre & Novembre ) , annonce donc le temps destiné par la nature pour le renou-vellement de la Canne , c'est-à dire , pour les plantations? Je répondrai qu'en ceci comme en beaucoup d'autres choses, nous devons (sans prétendre rectifier ni critiquer la nature ), profiter de nos observations fur l'effet de fa marche, que nous ne pouvons accélérer ni suspendre : or , nous avons vu qu'à l'égard d'une pièce de terre où la Can-ne ne pourrait soutenir qu'une coupe, & exi-gerait. d'être replantée pour donner une ré-

126 ESSAI SUR L'ART coite passable , ce prétendu anathême pro-nonce par la nature , qui la condamneroit dans notre Isle a n'être plantée qu'en No-vembre, la condamneroit par conséquent a ne donner qu'une récolte tous les deux ans; ce qui ne peut jamais équivaloir aux deux récoltes qu'elle donnerait dans mon systê-me, en la replantant chaque année en Mai & en Juin ( j'espère bientôt le prouver). Donc au lieu de longer qu'il est fort désagréable de ne pas couper ses Cannes à quinze mois & l'es rejetons à douze, & de s'imposer la nécessité de couper les premières à douze mois & les autres a onze ( comme nous avons observé qu'il falloir le faire dans ma méthode), il fera beaucoup plus avantageux de calculer les pertes des deux côtés, & de se décider pour la moindre. Mais avant d'en-trer dans ce détail , revenons au point par-ticulier qui fait l'objet de notre examen actuel.

I1 n'y a donc de différence entre Saint-Chris-tophe, Sainte-Croix , Saint-Domingue & la Grenade relativement a mon systême, que la nécessité probablement ( & cela mérite d'être examiné ) de commencer le premier Février à Saint-Domingue Sainte-Croix, ce que je détermine pour la Grenade au pre-mier Janvier ; & dans ce cas, de continuer jusqu'à la fin de Juillet les opérations dont je fixe le terme a la fin de Juin, ainsi du reste ; mes principes subsistent, l'orde des travaux n'est point changé , on recule seu-lement l'époque de l'exécution.

Deux mots me paroissent nécessaires pour

DE CULTIVER LA CANNE. 127 donner a ma dernière conséquence toute la clarté , & à mon systême toute l'utilité dont il est susceptible.

Si la culture des Cannes s'établit de l'au-tre côté de la ligne jusqu'au tropique du Capricorne, alors Juillet & Août commen-ceront probablement la récolte au lieu de Janvier Se de Février ; Décembre & Janvier la termineront, au lieu de Juin & de Juil-let -, il n'y aura donc encore de différence entre le nord & le sud de l'équateur, sinon que le temps de la récolte de l'une fera celui de la préparation de l'autre, qui récol-tera a son tour quand le premier fera occupé à préparer. Donc :

On peut adopter mon systême dans tous les pays où la sortie annuelle de la flèche dans le même mois annoncera évidemment le développement de toutes ses parties dans le cours d'une seule année ; en obser-vant seulement de fixer pour le temps des planta-tions , celui de la révolution qui annonce la succes-sion de pluie la plus longue , la plus constante & la plus proportionnée aux différens périodes de l'ac-croissement des Cannes , comme étant incontestable-ment la plus propre à opérer la plus grande quantité de ses développemens utiles dans le moins de temps possible.

Examinons plus particulièrement des prin-cipes dont l'application semble n'avoir d'au-tres bornes que celles que la nature a fixées à la culture des Cannes.

ESSAI SUR L'ART

CHAPITRE SECOND,

EXAMEN DES PRINCIPES.

Examen du premier & du sixième Principes.

LE premier principe est de couper annuelle-ment toutes ses Cannes ; les conséquences qui en résultent ne peuvent être appréciées qu'en le rapprochant du sixième, qui prescrit de commencer toujours la récolte par la pièce de reje-tons qu'on a dessein de replanter ; il fuit de ces principes réunis , que le vide occasionné par cette première pièce coupée , oblige de couper toujours en Janvier, la pièce qui l'an-née précédente n'avoit été coupée qu'en Fé-vrier ; & conséquemment cette pièce ainsi que les autres rejetons font coupés à onze mois au lieu de l'être à 12 ; ce qui fait visi-blement une perte d'un douzième.

Autre perte encore plus considérable, dit-on , sur les Cannes plantées, que je coupe a douze mois au lieu de les couper à quinze.

Autre perte supposée considérable aussi , par le défaut de maturité complette ; com-ment des rejetons peuvent-ils être mûrs avant un an , & comment des Cannes plan-tées pourroient - elles l'être avant quinze mois ?

J'ai donc a examiner quelle est la perte réelle fur les Cannes plantées, fur les reje-tons, & fur la maturité.

Quand

DE CULTIVER LA CANNE. 129 Quant au premier point, j'ai réduit à 13

mois , les 15 prétendus mois qu'on donne aux Cannes plantées dans le temps prescrit par l'autre méthode, & il est évident par l'histoire de la Canne que j'ai eu raison de le faire. Voyez l'histoire de la Canne dans les deux systêmes,p. 46. Année commune , les Cannes plantées en Novembre & Décembre mon-trent a peine un nœud hors de terre en Avril, Je sec les a surprises & arrêtées au point où elles étoient deux mois auparavant; c'est un fait qui fera facilement accordé par ceux qu'un terrein plus humide détermine toujours à planter le plus tard qu'ils peuvent ; afin , disent-ils , que leurs plantes ne soient qu'en her-bes lorsque le sec survient ; parce que s'il est long & violent les premiers nœuds fards & découverts s'étranglent^ se durcissent , & il faut ensuite le double de pluie pour que la sève du renouveau puisse forcer l'obstruction ; d'un autre côté , fi le sec est peu consi-dérable , la Canne reçoit un accroissement trop prompt , & toutes les premières Cannes ( premières productions ) se trouvent pourries au temps de la coupe. Terrible aveu dans la bouche de mes contradicteurs (I).

(I) Ce mot semble infirmer que j'ai souvent rompu des lances pour défendre mon systême : le vrai est que l'espèce d'incertitude qui précède toujours 1' expérience , dans l'esprit de quiconque rend j ri sti ce a la raison , même lorsqu'elle est la plus satisfaite fur un point que cette expérience feule peut décider, m'a toujours engagé à parler tres-sobrement de mes idées; c'est donc plus dans ma tête que dans celle des autres que j'ai puisé les objections que je combats dans cet ouvrage ; ma fortune étoit trop intéressée dans le parti

* I

130 ESSAI SUR L'ART J'accorde aussi , relativement au fécond

point , que je perds un mois fur mes reje-tons , puisque par le moyen le plus usité, le meilleur incontestablemcnt pour se procu-rer du plant, la grande culture n'est obligée de couper qu'une partie de ses rejetons à onze mois ( Voyez premier inconvénient, p. 54.). Mais pour apprécier ma perte plus exacte-ment que je n'ai fait jusqu' ici , il faut en-trer dans des détails que l'examen de la ma-turité des Cannes doit précéder, car il ne suffiroit pas de dire sommairement, mes Cannes sont toujours mûres quand je les coupe, c'est ce troisième point fur lequel il est essentiel de ne laisser aucun doute.

que j'avois à prendre , pour ne pas chercher à approfondit également, les motifs opposés qui pouvoient déterminer pour & contre ; mon parti pris, il fut essentiel de me garder d'un économe qui pensant différemment que moi , fût en quelque façon interessé à exécuter mal ce que j'ordonnerois ; je cher-chai un homme qui n'eût aucune idée de culture , & je ne lui demandai que la persuasion intime de deux choses, la pre-mière , qu' il ne pouvoit rien savoir de ce qu'il n'avoir ja-

mais appris ; la fécondé , que je connoissois mieux mon Ha-bitation, moi qui la régissois depuis vingt ans, que des gens plus habiles qui ne la connoissoient que par les bords des che-mins qui la coupent. Tous les grades ultérieurs, nécessaires pour que je lui confiasse pendant mon absence la fortune de mes enfans & la mienne, furent attachés à sa présence, que j'exi-geai lorsque je donnerois mes ordres à mon Commandeur, avec prières de me faire des questions fur tout ce dont il ne comprendroit pas la raifort , & sur-tout sur les différences qu'il observeroir entre ma façon de travailler & les métho-des usitées. Je ne me fuis pas repenti de ce que j'ai fait , & c'est proprement mes réponses à ses difficultés, qu'on a déjà vues ou qu'on verra dans la fuite de cet ouvrage. Le stile de l'orateur se ressent souvent de la dignité de fa tribune.

DE CULTIVER LA CANNE. 131

Idée de la maturité fixée.

Ce qu'on entend par l'âge & la maturité des Cannes n'est point du tout déterminé ; les réflexions que je vais taire prouveront du moins la nécessité d'attacher enfin une idée précise à une expression qui jusqu'à présent n'a eu qu'un sens très-vague , que j'avoue même avoir toujours été nul pour moi, quoique j'aie fait usage de l'expression aussi souvent qu'un autre que j'aie été tout aussi persuadé , que j'avois une idée précise de la choie qu'elle paroissoit dési-gner.

Rappelions ce que j'ai dit dans l'histoire de la Canne : lavoir, que son premier nœud paroît à 3, 4 ou y mois & relie toujours à la même place auprès de la terre; de celui-là fort le fécond , du fécond le troisième, &c. ils se montrent successivement, àpeu-près de semaine en semaine ; le dernier formé tou-jours au femme t , encore blanc dans son rouleau de feuilles blanches aussi, est l'ou-vrage de la semaine actuelle ; dans trois se-maines ses feuilles feront vertes, elles feront sèches dans cinq ou six , suivant le temps.

Lorsqu'on dit, telle pièce de Canne a déjà 12, 14, 18 mois,cela n'est point équivoque & signifie qu'il y a 12 , 14, 18 mois que les Cannes de cette pièce ont été plantées ou coupées, mais lorsqu'on dit il faut donner de l'âge aux Cannes, ici elles font bonnes a douze mois, la il leur en faut quatorze, dans cet autre endroit avant dix-huit elles

I 2

132 ESSAI SUR L'ART ne donnent rien , je crois que dans la bou-che des 19 vingtièmes, ces mots n'ont point de sens ou qu'elles en ont un manifestement faux.

Si par ces mots , il faut donner de l'âge aux Cannes , l'on entendoit qu'il y auroit de la perte à couper à la hauteur feulement de quatre pieds , des Cannes qui pourraient croître jusqu'à y, cela auroit un sens, & dans ce sens ; fi le plus grand accroissement possible de la Canne , étoit la seule chose à considérer tant dans la fabrique du Sucre que dans le ménagement des récoltes qui doivent se succéder & qu'on ne fut pas d'ailleurs commandé par les saisons & les révolutions qu'elles occasionnent dans la plante, ceux-là seuls auraient raison qui feraient du Sucre indistinctement toute l'année , afin de ne pas couper une Canne avant qu'elle fût parvenue à toute la longueur dont elle ferait susceptible ; & dans ce cas, il suffi-roit ( mais cela ferait difficile), de trouver

un moyen pour ne couper à chaque touffe, que la Canne qui seroit à fou plus haut période, & attendre comme aux asperges , celles qui peuvent encore acquérir quelque augmentation de valeur ; l'expédient même ferait impraticable; d'ailleurs, ce n'est point là l'idée qu'on attache à ces mots, qu'il faut donner de l'âge aux Cannes ; quel est l'habitant au contraire qui (s'il y attache une idée pré-cise ) n'entend pas qu'il faut donner aux Cannes ou 12., ou 14, ou 18 mois pour qu'el-les acquièrent une parfaite maturité ? ce qui est faux , comme je crois pouvoir le prouver.

DE CULTIVER LA CANNE. 133 Qu'on préfente a un habitant, une Canne

de six pieds coupée dans des rejetons de 14 mois, avec une autre de trois pieds, coupée dans des rejetons de huit mois, qu'on lui dise la différence de leur âge (stile ordinaire), & qu'on lui demande ce qu'il pense de ces deux Cannes ; il dira , la première est mû-re, la fécondé ne l'est pas: quoi de plus cer-tain cependant, que fi l'on a coupé dans le même moment , a la même distance des feuilles vertes & de la terre, & la Canne de trois pieds & celle de six, & qu'on ait ensuite coupé trois pieds de la partie supérieure de la Canne de six pieds; quoi de plus certain, dis-je , que ces longueurs de Cannes font exactement du même âge , quoique l'une soit sortie d'une Canne prétendue de 14 mois, & que l'autre soit une Canne en-tière prétendue de 8 ? Car fi , comme nous avons dit plus haut , chaque semaine a pro-duit , je suppose fou nœud , il y a donc dans chacune de ces deux longueurs de Cannes, quatre nœuds de y & 6 semaines, quatre de 8 Se 9 , &c. où pour parler plus strictement, il est donc clair qu'on ne passe pas au moulin , une Canne où il n'y ait un nœud qui n'a qu'envion cinq semaines ( les nœuds posté-rieurs forment la tête), un autre nœud de six semaines, un autre de sept & ces nœuds

faut aussi mûrs les uns que les autres ; mais ceux de y, 6 & 7 semaines, contiendront de plus que leurs prédécesseurs, l'eau que le soleil des semaines précédentes ( s'il n'y a point eu de pluies ) aura absorbé dans ceux qui avoient poulie avant ce temps-là.

I 3

134 ESSAI SUR L'ART Les nœuds aussi mûrs , dira-t-on ! à quoi le

connoître ? Les Nègres font déterminés par-la feule observation qui puisse servir de règle à cet égard ; d'une main ils prennent la tête de la Canne , de l'autre ils serpent les feuil-les sèches qui n' etoient pas encore tombées,

coupent la Canne au nœud qui fuit la der-nière feueille desséchée; ce nœud,comme nous venons de le dire, n'a certainement pas plus de y à 6 semaines ; les feuilles vertes atta-chées aux nœuds qui font sortis depuis ce temps-là , avertissent que leur fonction à l'égard de ces nœuds n'est pas encore rem-plie, que le suc n'y est pas encore parfaite-ment élaboré , ou en d'autres termes, qu'ils n'ont pas encore atteint leur maturité.

La huitième partie de chacune de ces Cannes qu'on appelle coupées à 12 mois, n'a donc, que de 5 à 9 semaines, & cette huitième partie fait le huitième de notre-sucre , tout le monde le fait ; il ne restoit plus qu'à tirer la conséquence -, la voici.

C'est le dessèchement & sur-tout la chiite de la feuille qui constate la maturité pro-pre & absolue de la Canne ; je dis, sur-tout la chûte de la feuille , car il n'y a que cette chute qui puisse démontrer que la feuille est desséchée au point de ne plus transmet-tre à la plante , les secours qu'elles lui procu-roit soit de l'air, soit de la. pluie ou de la rosée (I).

(I ) Les feuilles, dit M. Duhamel, ( Phis. des arbres, T. I, p. 133,) des organes sécrétoires par lesquels les arbres

DE CULTIVER LA CANNE. 135 Quant à la maturité relative de la Canne,

j'entends celle que cherche le Raffincur, parce que elle le dispense , pour ainsi dire, de foins & d'habileté, elle n'est pas la fuite de l'âge de la Canne , & de fa longueur, mais elle est l'ouvrage de la chaleur de Mars & d'A-vril : dans ces deux mois toutes les Cannes grandes ou petites, jeunes ou vieilles , ( j'en-tends la quantité de leurs nœuds dont les feuilles font desséchées), ont acquis autant de cette espèce de maturité qu'elles en sont susceptibles ; car il est des terreins pierreux, d'autres où le tuff est près de la superfide , dans lesquels un sec de deux ou trois semaines suffit pour unir fi intimement l'acide, le sel & l'huile contenus dans le jus de la Canne, & les y amalgamer au point que très-peu de Raffineurs parviennent a les séparer ; il est au contraire des terreins aqueux qui fournissent à la Canne un suc fi abondant,

se déchargent d'un suc trop abondant ou inutile. Or , ce ne peut être qu'avant la maturité que les nœuds font chargés d'un lue trop abondant ou inutile , il est donc très-proba-ble que la nature ne débarraisse chaque nœud de sa feuille , qu'après qu'elle est devenue inutile à l'élaboration du sucre qu'elle contient , ou en d'autres termes , que la feuille ne tombe qu'après que le nœud est mûr. Tout nœud dépouillé naturellement de fa feuille est mûr par conséquent ; mais observons que jusqu'à ce qu' il le soit, il a besoin de fa feuille , c'est à-dire , d'un organe sécrétoire , par lequel il puisse se débarrasser d'un suc trop abondant ou inutile ; cette observation , quoique étrangère au sujet actuel , présente une rai (on trop forte contre la méthode d'épailler, pour ne la pas saisir. On appelle épailler, arracher toutes les feuilles qui paroissent sèches & dont beaucoup ne le font pas.

I 4

136 ESSAI SUR L'ART fi indigeste , fi disproportionné dans les par-tics qui le composent, que l'ardeur cons-tante du soleil de Mars & d'Avril au lieu de lui donner cette maturité relative , fi com-mode , qu'il donne aux Cannes ordinaires, ne lui donne au contraire qu'un commencement de fermentation vineuse qui augmente la dif-ficulté d'en extraire même la partie de sels qui n'est pas encore altérée ; heureusement la rum-merie est toujours une ressource a durée contre les fautes du fol, du temps & de l'ignorance.

J'ai dit que cette maturité relative est l'effet de la chaleur de Mars & d'Avril ; j'ai entendu celle de l'atmosphère, car je ne pen-se pas que l'action directe du soleil fur la tige de la Canne puisse lui être avantageuse comme le prétendent les parti fans du systê-me de la grande culture ; je crois au con-traire , que cette action directe n'et propre qu'à ce qu'on appelle l'échauder (y produire, suivant a qualité des Cannes, ce commen-cement de fermentation ou cette espèce de calcination dont je viens de parler). Dans les pays méridionaux de l'Europe, on dit que la nature a donné les feuilles aux fruits pour les garantir du soleil , ce n'est que dans les pays septentrionnaux , qu'on écarte ou arra-che les feuilles pour que le soleil mûrisse le fruit (I),

(I) Nos Expériences , Hit encore M. Tille , Phi s. ries ar-bres, T. I, p. 13, prouvent que l' épiderme forme un obstacle à la transpiration, puisqu'il empêche que les parties qui en sont recouvertes ne se dessèchent & s' exfolient, néanmoins il ne

DE CULTIVER LA CANNE. 137 Tous ces détails prouvent, ce me semble,

que ma perte est nulle relativement a la ma-turité ; ils nous serviront aussi pour appré-cier au juste, celle que je fois par l'anticipa-tion de la coupe des Cannes tant plantées que rejetons ; cette perte paraîtra déjà con-sidérablement diminuée par l'observation fui van te :

Lorsque j'ai coupé à douze mois mes Cannes plantées, leurs rejetons m'ont toujours paru à trois mois beaucoup plus vigoureux, plus four-nis , plus nombreux que les rejetons de quatre mois,qui provenoient de Cannes plantées aussi, mais coupées suivant l'autre méthode à quinze mois ; pourquoi ; C'est parce que le bois des nœuds qui les ont produits, moins vieux, moins desséché, plus tendre enfin , cède plus facilement le passage aux sucs destinés a pro-duire & nourrir une plus grande quantité de rejetons, qui ne fortent dans l'autre systême, & ne reçoivent ensuite de nourriture consi-dérable qu'après que l'obstacle opposé à la végétation par la dureté des nœuds produc-

remplit pas toujours cette fonction autant qu'on le pourroit désirer, puisque dans les terres légères & DANS les expo-sitions du sud, le Soleil desseche tellement l' écorce des arbres que l'on est oblige d'envelopper de paille le tronc de ceux de haute tige qui sont plantés, en espalier sur des coteaux exposés au midi.

Reste-t-il quelque doute sur la méthode d'égailler les Can-nes en Amérique ?

Est-ce entre les deux tropiques, qu'il faut enlever aux plan-tes une défense naturelle , quand on a grand soin de les

munir dune artificielle dans la sud delà France ?

138 ESSAI SUR L'ART teurs , a été levé par des pluies longues & abondantes ; or s'il est vrai que les reje-tons de 12 mois, font aussi avancés que les Cannes plantées depuis treize -, la louche doit donc ressen tir le même avantage du douzième mois qu'on lui épargne , fi on coupe les rejetons à onze , & conséquem-ment elle est bien plus en état de nourrir les rejetons suivans.

Ce que dit la Maison Rustique au sujet des foins , peut s'appliquer aux Cannes : Quand, l'Herbe des prés est en graine qu'elle jau-nit & ne profite plus , il est temps de la faucher; ces deux lignes font en faveur du plus grand accroissement donné à la Canne , mais les deux lignes suivantes font en faveur de ma méthode ; il vaut mieux la faucher quand elle est encore un peu tendre & verdelette , parce que le regain , autrement dit la fécondé herbe en vient plutôt & plus abondamment. Cette féconde herbe re-pond a nos rejetons : cela est conforme a deux autres observations que j'ai faites, la première, que les rejetons ont toujours été d'autant plus touffus, d'autant plus vigoureux, que j'avois coupé les Cannes plus jeunes ; je n'ai vu personne qui ne m'ait dit avoir frit la même remarque : la féconde observation cil, que les rejetons dont j'ai pendant quel-ques années avancé la coupe d'un mois, font ceux qui se font toujours le mieux fou-, tenus.

J'accorde cependant & contre mon systê-me & contre l'expérience générale, que les rejetons des Cannes coupées a onze mois, ne font pas plus vigoureux que ceux des

DE CULTIVER LA CANNE. 139 Cannes coupées à douze, & je vais suppu-ter allez exactement la perte & le profit que je dois faire en suivant ma nouvelle mé-thode.

Si je disois, je coupe mes Cannes a onze mois , vous les coupez à douze , ce n'est qu'un douzième que je perds, on pourroit disputer mon exactitude , & il faudrait pour la prouver à l'égard du point décisif, aller plus loin que je n'ai dessein de faire dans ce moment-ci ; mais je dis , vous avez vu plus haut que le premier nœud paroissoit a -quatre mois ou environ , le dernier a douze, cela fait huit mois de nœuds dans des Can-nes de douze mois, donc coupant ces Can-nes a onze mois, je perds le hutième des nœuds & conséquemment du sucre que j'au-rois eu fi je les avois coupées a douze ; je dis conséquemment du sucre , parce que tous les nœuds qui ont acquis cette maturité abso-lue dont j'ai parlé , ont acquis toute la quan-tité de sucre qu'ils doivent avoir ; cette mê-me quantité de sucre est divisée dans plus ou moins d' eau, suivant le plus ou moins de pluie & suivant que les nœuds font plus ou moins anciens : ainsi les premiers four ni fient plus de sucre en raison du jus -, les autres plus de jus en raison du sucre ; on le verra ci-après. Or, pour lavoir de com-bien l'on est dédommagé de la perte de ce huitième par ma récolte fur toute la terre, au lieu d'une récolte fur les quatre cinquiè-mes ; comptons d'abord les mois de végéta-, tion dans les deux systêmes, ensuite nous compterons ceux de nœuds.

140 ESSAI SUR L'ART

TABLEAU

Des mois de végétation dans les deux systêmes.

GRANDE CULTURE.

Vous avez , je suppose , cinq quarrés de terre destinée aux Cannes ( autant valent pour notre discussion cinq quarrés que cin-quante ) , & voici l'emploi de vos cinq quarrés.

Un quarré en jeunes plantes, dont le produit pour cette année - ci est nul. . 0

Un quarré en Cannes plantées il y a 15 mois , qui font 15 mois de végéta-tion , ci . 15

Trois quarrés de rejetons, chacun a 12 mois de végétation, ci ...... 36

51

Cinquante - un mois de végétation : fur quoi il faut observer que des mois sup-posés à vos Cannes plantées, vous êtes obligé de retirer deux mois, des trois de sec ; pen-dant lesquels il est de fait qu'elles croissent fi peu , & que fi elles croissoient, ce seroit fi fort à leur désavantage, que les meilleurs Agriculteurs de ce systême, plantent le plus tard qu'ils peuvent, afin, comme nous l'avons déjà dit d'après eux-mêmes, que leurs plan-tes ne soient qu'en herbe , lorsque le sec commence. Otez donc au moins deux

DE CULTIVER LA CANNE. 141 mois imaginaires de vos Cannes plantées , & dires :

Un quarré en jeunes plantes, comme ci-dessus 0

Trois quarrés de rejetons, à 12 mois de végétation , comme ci - dessus. . . 36

Un quarré de Cannes plantées il va 15 mois , dont deux font imaginaires, dont 13 de réels, ci 13

49

PETITE CULTURE.

Je supposerai maintenant, pour rendre le calcul plus simple , que je replante aussi le cinquième de ma terre , parce que ce n'est pas dans la quantité des plantations annuelles, mais dans le temps des plantations que con-fiste la grande différence,la différence essen-tielle des deux systêmes. Je couperai donc annuellement

4 quarrés de rejetons , a onze mois de végétation, ci 44

Un quarré de Cannes plantées, a' 12 mois , ci 12

56

Cinquante -six mois de végétation dans mon systême , contre quarante-neuf dans celui de la grande culture. La différence, à mon avantage , est donc de sept mois de végétation par année , laquelle différence donne une année fur sept ; car en 7 ans, j'ai sept fois 56 , qui font 392. ; la grande culture

142 ESSAI SUR L'ART n'aura que 7 fois 49 , qui font 343 , & la différence est 49.

TABLEAU

Des mois de nœuds dans les deux J'y systêmes.

Cherchons maintenant le résultat d'un calcul plus juste celui des mois de nœuds; parce que ce font les nœuds seuls qui pro-duisent le Sucre , & ils paroi lient rarement avant quatre mois.

GRANDE CULTURE.

On n'a point oublié que dans ce systêmec , le quarré en jeunes plantes est zéro : ainsi donc ,

3 quarrés de rejetons, à 12 mois de végé-tation , égaux feulement a 8 mois de nœuds, font 14, que nous donnerons pour 23 ; quoi-qu'il tut juste de diminuer beaucoup plus du 24e pour la partie de rejetons qu'on cil obligé de couper, comme moi, à 11 mois, en adoptant la façon la moins coûteuse de le procurer du plan. Voyez premier inconvénient , page 54.

Donc 23 mois de nœuds feulement, ci 23

Un quarré de Cannes plantées, à 15 mois de végétation, égaux à 13 , à cause de trois mois de sec , & réduits à 9 mois de nœuds, ci 9

Trente-deux mois de nœuds. . . . 32

DE CULTIVER LA CANNE. 143

PETITE CULTURE.

Quatre quarré s de rejetons , à 11 mois de végétation, réduits à 7 mois de noeuds, ci . . . . 28

Un quarré de Cannes plantées, à 12 mois de végétation , réduits à 8 mois de nœuds, ci 8

36 En huit ans, j'aurai donc huit fois 36

noeuds, qui font 288 5 la grande culture en aura 8 fois p., qui font 256 ; la différence fera 32 ; une année fur huit. Je ne me bornerai pas toujours à ce bénéfice. Mais j'ai prouvé que mon premier & mon sixième principe réunis, n'occasionnent aucune perte relati-vement a la maturité des Cannes, & que malgré les différens sacrifices qu'ils exigent, il me reste au moins un bénéfice réel d'une année fur huit,.relativement à la totalité de la récolte.

Passons au fécond principe ; il exigera des sacrifices aussi ; nous verrons comment il doit en dédommager.

EXAMEN DU SECOND PRINCIPE.

Il faut replanter annuellement une partie de sa terre.

J'ai vu chez moi une pièce de Cannes , plantée depuis 18 ans, donner encore dans des espaces allez considérables, des souches aussi

144 ESSAI SUR L'ART touffues, & des Cannes aussi belles qu'à la première coupe. J'ai replanté fort peu de pièces qui n'eussent quelques-uns de ces espa-ces privilégiés, qu'on ne replante point fans regret ; je doute qu'il y ait un habitant qui n'ait fait la même remarque chez lui, & qui n'ait eu le même regret. C'est dans les gorges que j'ai vu constamment les productions éga-lement belles. Dans les terres ingrates, on peut méconnoître les développemens annuels de la Canne, & les propriétés indestructibles ; il faudrait une attention trop minutieuse , trop suivie, pour les saisir dans leurs dégra-dations ; il est plus court de les nier : mais on ne peut s'y méprendre dans les gorges, ils y sont viables; & c'est-là qu'il faut les étudier : peut - être qu'ensuite on trouvera que ce principe 11 évident, de replanter annuel-lement une partie, de sa terre , est Un de ceux qui méritent le plus d'être médités ; celui dont l'application demande le plus d'expérience ; & le seul dont une application parfaite , amè-neroit peut - être en grande partie son inutilité: je m'explique.

Quelles sont les raisons qui déterminent a replanter une telle quantité de terre ? Quel-ques-uns diront, c'est parce que ma terre ne peut soutenir que tant de coupes ; le plus grand nombre dira , c'est parce que je n'ai que tant de Nègres, & je voudrais pouvoir en replanter davantage ; car il n'y a que la première coupe d'admirable. Les uns & les autres semblent avoir raison ; cependant voici quelques faits : je viens d' en citer deux, j'avois déjà parlé des autres , cela ne m'empêchera

pas

DE CULTIVER LA CANNE. 145 pas de les répéter: ce n'est que dans les Ou-vrages d'agrément qu'il est pardonnable de sacrifier des répétitions qui peuvent être Utiles.

Plusieurs Faits qui présentent un problème intéressant.

PREMIER FAIT.

On n'a jamais replanté une pièce qui n'eût quelque partie, grande, moyenne ou petite, qui ne parût promettre de bons rejetons; cette remarque n'a pas plus échappé à ceux qui replantent annuellement le tiers de leur terre, qu'a ceux qui n'en replantent que la cinquième partie.

SECOND FAIT.

On trouve toujours ces apparences de bons rejetons, dans les gorges des mauvaises terres, comme dans celles des meilleures ; presque toutes les gorges se ressemblent pour la bonté.

TROISIÈME FAIT.

J'ai vu une pièce abandonnée depuis dix ans a cause de fa mauvaise qualité ; les pre-miers rejetons y avoient été bientôt étouffés par les halliers , qui n'en avoient pas laissé vestige dans toutes les parties hautes ; les petites gorges donnoient toujours des Cannes superbes qui se succédoient annuellement, Se pourrissoient fur le lieu.

*K

146 ESSAI SUR L'ART

QUATRIÈME FAIT.

C'est dans une de ces parties que j'ai vu cette Canne , qui après avoir fléché , a voit donné une autre petite Canne à chacun des nœuds de fa partie supérieure dont les bou-tons s'étoient développés après la chute de la flèche ; j'ai appelle alors cette partie, bonne terre , parce qu'elle l'étoit incontestablement, quoique éloignée de vingt pieds feulement de la terre proscrite, & que la petitesse de ion espace l'eut f aite comprendre dans la pros-cription.

CINQUIÈME FAIT.

On trouve toujours ces beaux rejetons après la sixième, comme après la fécondé coupe, dans toutes les parties de terre ou l'on avoit fait des monceaux de fumier avant de le distribuer dans toute la pièce.

SIXIÈME FAIT.

J'ai vu ces Cannes ces rejetons superbes dans du tuff, qui, à le juger par les Cannes voisines, n'avoir pas d'autre faculté produc-trice que celle qu'il avoit reçue par la division de ses parties. Ce qui prouve que toutes les gorges ne doivent la fertilité dont elles jouis-sent généralement, qu'aux parties nouvelles de terre qu'elles reçoivent continuellement par les averses, & qui par conséquent font toujours peu affaissées, peu adhérentes les unes aux autres.

DE CULTIVER LA CANNE. 147 Avant donc de se décider légèrement a re-

planter annuellement telle partie de fa terre, il me semble qu'on devroit se proposer un problème qui demanderoit peut-être autant de solutions différentes qu'il y a de pièces de Cannes fur chaque habitation ; mais la solution générale une fois trouvée , les par-ticulières , qui ne peuvent en être que les nuances, feront faciles à saisir ; & c'est pour la solution générale que je vais préparer quel-ques matériaux , après avoir exposé le pro-blême qui en fera l'objet ; c'est fans doute le plus essentiel dont on puisse s'occuper dans l'agriculture :

Il faudrait,

Trouver l'espèce & le temps du travail qui doit donner l'espèce & la quantité de fumier qui doit conserver , à une pièce de terre inf érieure ou mau-vaise , le degré de fertilité reconnu dans la terre excellente.

Matériaux destinés à préparer la solution

du problème.

Nous supposerons que chaque habitant a prélevé habilement fur fou domaine la quan-tité de terre né ce fiai re pour nourir abondamment un quart de plus de Nègres qu'il n'en a réelle-ment ; car le seul moyen d'avoir toujours assezç de vi-vres, c'est d'en avoir souvent trop. Nous supposerons aussi qu'il cultive cette terre comme un avare., qui lait que la perte d'un Nègre , qu'il ne

K 2

148 ESSAI SUR L'ART pourroit vendre que 2000 livres , ne seroit peut - être pas remplacée par trois Nègres dont chacun lui couteroit 1800 livres. Une autre partie de la terre , que nous suppose-rons un cinquième , fera destinée à la nour-riture des bestiaux nécessaires à l'exploitation, & nous dirons qu'il lui relie en Cannes, trois cinquièmes de fa terre, dont la qualité ne peut fou tenir que deux coupes, au lieu des quatre dont nous avons déjà parlé. Il l'a par cette raison divisée en trois parties égales , dont l'une cil replantée régulièrement cha-que année au mois de Novembre ; l'autre est en grandes Cannes ; & la troisième en pre-miers rejetons , les seuls réputés dignes de l'entretien ; ils donnent la moitié des Cannes plantées. Les seconds rejetons donneroient a peine la moitié des premiers. Or, le pro-duit des Cannes plantées étant, je suppose , 64 , celui des premiers rejetons est donc 32., formant ensemble 96 , produit total des trois cinquièmes. Or, les féconds rejetons lie pro-duisant que la moitié des premiers, on doit supposer la terre rendue alors à ses facultés naturelles ; ainsi le produit propre de la terre fins fumier, doit pour ce moment-ci, être estimé 16 pour chaque tiers. On verra bien-tôt qu'il étoit essentiel de s'assurer du produit de la terre feule, fans l'assistance du fumier.

Quelle pourroit être le non plus ultrà de l'ambition extravagante, de la cupidité effré-née de l'avare dont j'ai parlé? Ce seroit de continuer à tirer annuellement 64 de ses Cannes plantées, 64 aussi de ses premiers rejetons, & 64 encore de ce tiers qui ne

DE CULTIVER LA CANNE. 149 donne que beaucoup de peine pour l'entre-tenir pendant l'année qu'il est en jeunes plan-tes ; ce qui seroit un revenu de 192 , au lieu de 96. Cette ambition extravagante ne s'avoue jamais ; mais cela n'empêche pas de supputer quelquefois entre lés dents ( moi souvent fur le papier ), quel seroit le produit de toute la terre qu'on a en Cannes, s'il étoit tou-jours égal, & toujours le plus fort possible.

La plus haute sagesse est tout près du point où commence la folie. Il faut donc rétro-grader , mais d'un pas feulement, & mon avare fera justement au point où je veux l'arrêter. Cet avare-là, ce fera, j'espère, tous mes compatriotes ; je veux les rendre tels, parce ce que je ne fais rien de fi beau, de fi grand , de fi noble , de fi digne d'eux que l'avarice bien entendue. Je veux donc que fins espérer de tirer le même revenu des derniers rejetons que des Cannes plantées , ils s'occupent très - sérieusement d'en ap-procher le plus près possible ; & que cha-cun d'eux , après avoir apprécié la terre , dise, ( avec les modifications requises par la qualité qu'il lui aura reconnue), l'équivalent de ce que va dire celui qui a déjà décidé la sienne très-mauvaise ; c'est positivement fur une terre de cette espèce que j'établis l'Ex-périence.

En plantant annuellement le tiers de la terre que j'ai en Cannes, j'y répands, 10 de fumier, produit total de mes bestiaux ; donc en ne plantant que le sixième, fur lequel je répandrai cependant mes 10 de fumier, cette feule partie de ma terre acquerra le double

K 3

150 ESSAI SUR L'ART des facultés qu'elle aurait eues avec 5 de fu-mier , fa portion ordinaire. Voyons quel risque je cours dans cet Essai (I .

En plantant cette année le sixième de ma terre , aux premières pluies , quel effet ce changement de systême opérera»t-il fur ma récolte prochaine, l'objet le plus immédiat de mon attention ? Un effet, ce me semble très - avantageux ; car je couperai, à l'ordi-naire , un tiers de ma terre en grandes Cannes (ce font les jeunes plantes de Novembre dernier ) ; je couperai aussi un tiers en premiers rejetons ( ce font les grandes Cannes que je vais cou-per) , un mois cependant plutôt qu'à l'ordi-naire, pour avoir le temps de faire ma plan-tation d' Essai ; car je vois que je ferai am-plement dédommagé de la petite perte que je ferai cette année , par le sixième que je re-planterai en Mai ou Juin, & que je prendrai dans le tiers que je n'aurois replanté qu'en Novembre prochain ; j'aurai même le peu que l'autre sixième , en féconds rejetons , pourra me donner , c'est-à-dire la moitié de ce qu'il me donnera cette année-ci.

Ainsi, ma récolte prochaine au lieu d'être à l'ordinaire, 64 , fera nécessairement à-peu-près comme fuit ; savoir ,

(I) Je n'ai point assez de talent pour ne donner aux dé-tails dans lesquels je vais entrer , que l'étendue précité qui satisferoit quelques-uns de mes Lecteurs & suffiroit à tous ; je paraîtrai aux uns trop diffus , d' autres me trouveront trop peu circonstancié ; je souscris d' avance à leurs diffé-rentes raisons, & je ne sais y repondre que par les premières lignes de cette note.

DE CULTIVER LA CANNE. 151

PREMIER ESSAI.

PREMIERE ANNÉE DE L'ESSAI.

Un tiers en grandes Cannes a l'ordinaire, produisant suivant l'usage 64

Un tiers, premiers rejetons, aussi suivant l'usage 32

Un sixième en grandes Cannes , que je plante cette année-ci ( pour Essai ) en Juin, avec une double quantité de fu-mier, que je n'évaluerai cependant qu'a son produit ordinaire, eu égard au dou-zième que je fuis convenu qu'il y avoit de différence entre des grandes Cannes coupées a 1 2 mois, & des grandes Cannes coupées à 15. Donc 32

Un sixième enfin en féconds rejetons , que nous fora me s convenus de regarder com-me le produit propre de la terre fans fu-mier : 16 pour chaque tiers, donc pour un sixième 8

136

Au lieu de 96, voila donc infailliblement 136 ou livres , ou quintaux , ou milliers de Sucre , suivant la quantité de terre , objet de l'Essai, faisons quelques réflexions fur l'année suivante , que nous pouvons proprement ap-peller la première année du Systême , puis-qu'elle n'y reçoit de secours que de ses pro-

K 4

152 ESSAI SUR L'ART près forces ; elle ne doit pas être aussi bril-lante que celle dont nous venons de parler; car au lieu d'un tiers & un sixième en grandes Cannes , je me trouve réduit a un sixième. Examinons ce qu'elle fera.

SECONDE ANNÉE.

Je fuis a (Tu ré par le produit ordinaire de mes féconds rejetons, que le produit propre de la terre, j'entends celui que je puis attendre de ses facultés feules fans fumier, est de 16 par chaque tiers , donc la portion de ma récolte , qui appartient en propre, & bien indubitablement a mes 10 de fumier, est bien réellement de 64, fur les 96 de mon revenu ordinaire ; & je trouvois ces 64 ; sa-voir 48 fur mes grandes Cannes, & 16 fur mes premiers rejetons. N. B. que je suppose l'action du fumier épuisée après les premiers rejetons; fans cette supposition, la portion du fumier seroit bien plus considérable , ainsi que mes espérances : je la suppose toujours

e 64 feulement. Je n'ai tiré la première année que 24 de

mon sixième, objet de l'essai du double fu-mier ; car dans les 32 qu'il a donné , 8 appar-tiennent à la terre ; je dois donc en attendre encore quarante ; car en coupant mes Cannes à 12 mois , en Mai & Juin, il est impossible qu'il y en ait de pourries ; & conséquemment point de dépense superflue de nourriture à craindre ; tout est à mon profit : ce qu'une année ne me donnera pas, l'autre doit me

DE CULTIVER LA CANNE. 153 le donner. Supposons donc que je ne tire des premiers rejetons que 28, dont 8 appartien-dront à la terre ; les rejetons suivans m'en devront donner encore 20.

Calculons a présent le revenu de cette fécondé année , pour laquelle je ne plante encore qu'un sixième, où je répands toujours mes 10 de fumier.

Un ancien tiers à ses premiers rejetons, suivant l'usage 32

Un autre ancien tiers à les féconds rejetons , rendu aux seuls efforts de la terre, & dont je veux toujours profiter . 16

Premier sixième à ses premiers reje-tons . 28

Second sixième en grandes Cannes . 32

108

Je trouve un bénéfice de 12, puisque j'ai 108 , au lieu de 96 : on ne s'attendoit pas, fans doute , qu'il fût encore de 40 , comme à la première année ; la raison étoit trop visible.

Troisième ANNÉE.

On n'a point oublié que mon premier sixième me doit encore 20 ; & que la terre m'en donne 8, donc fi j'en retire 24, mon premier sixième ne m'en devra plus que 4. Calculons.

Premier sixième, à ses féconds reje-tons .... 24

Second sixième , a ses premiers reje-tons 28

154 ESSAI SUR L'ART Troisième sixième , grandes Cannes ,

toujours double fumier 32

Un tiers & demi ou 3 sixièmes réduits aux seuls efforts de la terre ..... 24

108

Cent huit, au lieu de 96 , voila donc encore 12. de bénéfice fur l'ancien systême.

QUATRIÈME ANNÉE.

Premier sixième , a ses troisièmes reje-tons, qui ne me doit que 4, qui joints aux 8 de la terre , font 12

Second sixième , a ses féconds reje-tons 24

Troisième sixième, a ses premiers reje-tons 28

Quatrième sixième , grandes Cannes, toujours double fumier 32.

Deux sixièmes , réduits aux efforts de la terre 16

112.

Cent douze, au lieu de 96, 16 de bénéfice.

CINQUIÈME ANNÉE.

Premier sixième, rendu aux efforts de la terre g

Second sixième , à ses troisièmes reje-tons . 12

Troisième sixième, à ses féconds . . 24 Quatrième , à ses premiers .... 28

DE CULTIVER LA CANNE. 155 Cinquième, en grandes Cannes . . 32 Un sixième, encore réduit aux efforts

de la terre 8

112

Cent douze, au lieu de 96, 16 encore de bénéfice. Il seroit inutile d'aller plus loin; on trouverait toujours la même différence de 16 -, ce qui fait un peu plus d'une année sur 6. C'est-là que se borne tout le bénéfice du premier Essai. C'est quelque chose, mais nous sommes bien-loin des 192 , que don-neraient mes trois tiers, fi chacun d'eux don-noit les 64 des Cannes plantées que nous som-mes convenus de prendre pour but, fans nous flatter d'y atteindre. Faisons un autre essai.

SECOND ESSAI.

Dix de fumier, aidés de mon systême, me donnent une année fur six : essayons 15 de fumier, en variant quelques opérations.

Dix de fumier , font le produit de 40 de bestiaux ; 20 , de bestiaux ajoutez, aug-menteront mon fumier des 5 que je deman-de. Le sixième de la terre que j'ai en Can-nes, est exactement la moitié de celle que j'ai consacrée a la nourriture de mes bes-tiaux actuels ; il faut donc sacrifier h la nour-riture des bestiaux que je vais avoir, un de ces deux sixièmes de Cannes qui réduits aux seuls efforts de la terre ne me donnent annuellement que huit chacun. Or, dans le principe , dix de fumier augmentoient

156 ESSAI SUR L'ART de 64, le revenu propre de la terre ; s de fumier ajoutes, doivent l'augmenter encore de 32,, ce qui fera 96.

N. B. En plantant en Mai & Juin , on peut augmenter la quantité de fumier pendant qu'on ne voit aucune Canne renversée au temps de la coupe ; c'est un des plus grands avantages & des plus évi-dents de cesystême qu'il seroit fort difficile d'en-graisser la terre au point, que depuis Juin jusqu'en Février que commence le sec , les Cannes pussent avoir acquis une espèce d'accroissement , qui ne tournât pas au profit de l'Agriculteur.

Quoique j'aie augmenté mon fumier, je me fuis cependant bien gardé d'augmenter mon travail en plantant une plus grande quantité de terre , que celle à laquelle je m'é-tois réduit ; j'ai feulement ajouté la moitié de ce nouveau fumier , au dix , que j'y mettois déjà -, & j'ai distribué le reste, fur la portion des Cannes plantées l'année pré-cédente ; ma terre fera donc bonifiée de la partie des 32 de nouveau bénéfice , que les cinq du supplément de fumier ne me don-neront pas la première année ; & mon re-venu augmentant progressivement, il faudra bien que je trouve dans un temps postérieur, ce que le premier m'aura refusé : la somme totale fera donc finalement comme fuit.

PREMIÈRE ANNÉE.

Ma terre est toujours plantée par sixième dont l'un a été de plus consacré a la nour-riture du supplément de bestiaux ; il ne me reste donc que cinq sixièmes en Cannes,

DE CULTIVER LA CANNE. 157 dont chacun, fans le secours du fumier, donne 8.

Le premier sixième , replanté, donnoit en grandes Cannes 52 -, j'y trouverai fans doute la différence de mon addition de 16, pro-duit de la moitié des cinq, de mon nou-veau fumier ; sauf ce qui restera dans la terre pour l'année suivante ; je trouverai la même différence dans mon fécond sixième, amendé avec l'autre moitié de mon nouveau fumier.

Ainsi donc : Premier sixième , Cannes plantées ,

•avec une partie de l'addition de fumier, au lieu de 32 suivant la fécondé, troisiè-me , quatrième & cinquième année du premier Essai, donnera 40

Second sixième, amélioré par l'autre partie de l'addition , à Ces premiers reje-tons , au lieu de 28 34

Troisième sixième,à ses féconds reje-tons , qui n'ont point profité de l'ad-dition , comme ci- devant 24

Quatrième sixième , a ces troisièmes rejetons , fans addition , comme ci-devant . . 12

Cinquième sixième, réduit encore aux efforts de la terre 8

118

SECONDE ANNÉE.

Toujours la moitié du fumier d'augmenta-tion fur mes Cannes plantées ; l'autre moitié pour l'amendement des premiers rejetons.

158 ESSAI SUR L'ART L'addition de fumier m'avoit donné la pre-mière année , 14 , tant sur mes premiers reje-tons , que fur mes féconds ; elle leur en doit encore plus de la moitié , qu'elle leur don-nera l'année courante ou l'année d'après ; & la courante a de plus, le produit de l'ad-dition qui lui est propre.

Premier ixième , a ses premiers reje-tons , amélioré 34

Second sixième , a ses féconds reje-tons, amélioré 32

Troisième sixième , fans autre béné-fice que l'ancien 12

Quatrième sixième , rendu aux efforts de la terre 8

Cinquième sixième, grandes Cannes , planté avec l'addition du fumier . . 40

126 TROISIÈME ANNÉE.

Même quantité & même partage de fumier, ancien & nouveau.

Premier sixième, a ses féconds rejetons, encore amélioré (I) 32,

Second sixième, a ses troisièmes reje-tons , encore amélioré . . . • • • 22

Troisième sixième , a ses quatrièmes rejetons , rendu aux efforts de la terre . 8

Quatrième sixième, grandes Cannes, planté avec l'addition .••••• 40

Cinquième sixième , à ses premiers rejetons, amélioré 34

136

(I) C'est-à-dire, Ce ressentant encore de l'amélioration.

DE CULTIVER LA CANNE. 159

QUATRIÈME ANNÉE.

Premier sixième, a Tes troisièmes reje-tons , encore amélioré22

Second sixième, à fies quatrièmes reje-tons, encore amélioré 12

Troisième sixième , grandes Cannes, planté avec l'addition 40

Quatrième sixième, a ses premiers re-jetons , amélioré 34

Cinquième sixième , à ses féconds re-tons, toujours amélioré 32

140

Ici se borne à-peu-près tout le bénéfice du fécond essai ; il est vrai cependant qu'à 112 , produit du premier, j'ai ajouté 32., pro-duit de l'addition de fumier ; mais si je n'ai obtenu que 140 , ma terre est améliorée ; car les quatrièmes rejetons au lieu de me don-ner 8 , propres de la terre , m'ont donné 15 ; & conséquemment, dans une autre rota-tion j'aurois un bénéfice de 4 d'améliora-tion à espérer ; mais une perspective de 4 fur 140, n'est pas séduisante pour un Créo-le. Faisons un nouveau sacrifice, car je fuis encore loin de 192.

TROISIÈME ESSAI.

Au point où nous sommes parvenus , la première démarche qui se préfente à faire , ne demande pas un grand effort d'imagi-

l60 ESSAI SUR L'ART nation ; un nouveau sixième de ma terre , consacré a nourrir une fécondé addition de bestiaux, donneroit une fécondé addition de fumier, qui augmenteroit probablementSe soutiendroit la vigueur de la terre , parlons enfin plus clairement, &. disons sa porosité: mais le fumier n'est bon que jusqu'a un certain point ; quelquefois il nuit - & c' est le produit de mes Cannes qui me donnera assez juste le point où je dois m'arrêter.

A juger par le produit de la meilleure terre que je connoisse , endroit privilégié fur le-quel on n'a jamais essayé le fumier fans que les Cannes aient versé à 6 mois, Se donné ensuite un peu plus de Sucre peut-être , mais certainement du Sucre plus mauvais , je vois que le produit de chacun de mes sixièmes , peut être porté , doit être porté par consé-quent a 64, somme totale du seul tiers qui le trouvoit planté & fumé annuellement sui-vant l'ancienne méthode de mes pères je fuis encore loin de 64 5 il faudroit fumer d'une étrange manière pour y parvenir ; je puis donc, fans risque, consacrer un autre sixième & un douzième de ma terre à la nourriture d'une seconde addition de bes-tiaux ; il ne me restera a la vérité que trois sixièmes & un douzième en Cannes ; mais ce n'est pas l'étendue des plantations , c'est leur produit que je cherche. Je commencerai donc mon troisième Essai avec 64, produit de l'ancien fumier, 32 de première addition, 48 de fécondé addition, en tout 144, produit du fumier, & nia terre bonifiée de 4 par sixième , qui valent aujourd'hui , comme

nous

DE CULTIVER LA CANNE. 161 nous avons vu , chacun 12 au lieu de 8 qu'ils valoient dans le principe.

Je distribue mon fumier comme ci-devant, environ un tiers fur mes rejetons, pour en soutenir la bonté , & deux tiers fur mes Can-nes plantées, en observant à leur égard que la

E lus grande partie du fumier n'y soit distri-uée qu'au troisième & quatrième sarclage ;

plutôt , il brûleroit les plantes , elles font trop tendres, & les pluies ne font pas allez décidées. Ainsi donc.

PRÉMIÈRE ANNÉE.

Premier sixième,grandes Cannes,avec les trois sommes de fumier 50

Puisque le fécond sixième est en pâtu-rages , partons au troisième.

Troisième sixième, h. ses premiers reje-tons , amandé avec les deux additions . 47

Quatrième sixième, à ses féconds reje-tons , amélioré par le fécond Essai . . 32

Un douzième, a ses troisièmesrejetons * amélioré par le fécond Essai . . ' 11

L'autre douzième est en pâturage

140

Egalité de produit ; & cependant j'ai eu de moins à couper & a entretenir ( ce qu'il faut bien remarquer), mon fécond sixième, & la moitié du dernier. Je ne gagne cette année que la diminution d'un travail inutile, & 'je porte le temps sauvé, fur des objets dont les années suivantes se ressentiront néces-sairement. On le verra par la fuite.

L

162 ESSAI SUR L'ART

SECONDE ANNÉE.

Premier sixième , a ses premiers reje-tons, amélioré par les additions ... 47

Troisième sixième , à ses féconds re-jetons, jouissant du bénéfice des deux additions 44

Quatrième sixième , à ses troisièmes rejetons , suivant l'usage du fécond es-sai . . • . . . . . .. . . . 22

Douzième, planté pour essai, presque avec la même quantité de fumier que j'aurois mis fur le sixième . .... 30

143

TROISIÈME ANNÉE.

En ne plantant qu'un douzième au lieu d'un sixième , je ne pouvois pas attendre un bénéfice général , qui fût proportionné a mes additions de fumier ; mais le produit considérable de ce douzième , me détermine à ne lui donner qu'une modique quantité d'amendemens, & je répands le reste , tant fur mes Cannes plantées, que fur tous les rejetons où j'apperçois des taches un peu considérables ; & je trouve :

Premier sixième , a ses féconds reje-tons , amélioré par trois additions . . 49

Troisième sixième , a ses troisièmes rejetons, amélioré aussi par trois addi-tions • ... 47

Quatrième fixièse, grandes Cannes,

DE CULTIVER LA CANNE. 163 planté avec une quantité plus considéra-ble de fumier 60

Douzième , a ses premiers rejetons, perfectionné 28

184

Je fuis fi près du but démon avare, que je puis m'arrêter. Il est visible qu'un léger sacrifice de plus en terre , pour une nou-velle addition de bestiaux , eût doublé mon revenu ; mais enfin il étoit de 96 , il est de 184, dont nous avons vu que 144 appar-tiennent au fumier ; lavoir, 64 de l'ancien usage , 32 de la première addition , & 48 de la féconde; or, 144 ôtés de 184, il relie 40. Cependant nous avons trouvé que le pro-duit propre de la terre n'étoit que 16; d'où proviennent les 28 autres?

A bien chercher nous trouverions une dif-férence plus considérable ; car il est pro-bable que la terre bonifiée comme clic est, donneroit encore long temps , & beaucoup, fans le secours du fumier. Je l'accorde , je compte même en tirer avantage par la fuite : je me borne pour le présent à rendre rai Ion du mécompte apparent.

8 proviennent de ce douzième en Can-nes , que nous aurions dû sacrifier de plus en pâturage, pour doubler exactement l'an-cien produit des trois sixièmes, restés seuls cultivés ; car ce douzième doit avoir aussi fou produit propre, indépendant du fumier: les 16 autres, font le bénéfice annuel dont il cil question à la fin du premier EU ai ; c'est

L 2.

164 ESSAI SUR L'ART le bénéfice attaché à la méthode feule des plantations de Mai & de Juin ; méthode qui donne l'avantage de récolter fur toute la terre, au lieu de récolter fur une de ses parties ; & cet avantage restitue aux facultés pro-pres de la terre, une portion de récolte qui paroissoit due aux fumiers. Nous fournies donc obligés de reconnoître maintenant que le produit propre de cette espèce de ter-re , étoit réellement de 32 au lieu de 16 , que nous l'avions supposé.

Si l'on m'objecte que son produit étoit de 16 a la troisième année; ce qui paroît annon-cer la qualité intrinséque de la terre ; je ré-ponds que cette différence de la troisième année à la fécondé , est duc à la mort de quelques souches , & à d'autres accidens dont j'ai déja parlé, accidens beaucoup plus sensibles & plus communs fur la mauvaise terre que fur la bonne , & qu'il est plus que probable, que bien plantée annuellement & fans fumier , & entretenue avec loin , elle donnerait 32; mais qui peut planter toute fa terre tous les ans, pour en retirer 32, quand les excellentes fans fumier donnent six fois autant ? Je ne crains donc point de rappeller ici, & de proposer pour baie de toutes les opérations d'agriculture, un prin-cipe qui résulte, tant de nos refléxions sur l'épuisement prétendu des terres & des six faits mentionnés, p. 145 & suivante , que des essais dont je viens de parler, & dont le suc-cès est d'autant moins douteux , qu'ils ne font autre chose, que la doctrine même des six faits, présentée fous un autre point de vue.

DE CULTIVER LA CANNE. 165

PRINCIPE ( j'ose dire )

UNIVERSEL D'AGRICULTURE.

IL n'y a de différence entre une terre & une autre , eu égard à la végétationque dans le degré de porosité qui se trouve naturellement entre leurs parties , & dans la facilité d'acquérir & de conserver le degré de porosité reconnu nécessaire. Voyez la note I, pag. 129, ; elle prévient, comme je l'ai dit, la feule objection qu'on puisse faire contre ce principe.

Or, comme il est aisé , 1°. D'évaluer le degré de porosité de la

plus excellente terre, en prenant pour dé-monstrateur celui de son produit ; disant, par exemple, 192 de produit , donc 192 de po-rosité.

2°. D'évaluer le degré de porosité d'une terre quelconque , plantée & cultivée fans fumier, en comparant son produit avec ce-lui de la plus excellente terre; comme, lepro-duit de l'excellente est 192. ; celui de l'autre est 32. donc 32 est le degré de porosité de celle ci.

3°. D'évaluer l'effet d'une telle quantité de tel fumier, ou de tel autre amendement fur une terre quelconque ; en comparant son produit après l'addition du fumier, avec son produit avant l'addition ; comme , avant d'avoir donné 10 de fumier, je retirois 32 ; après l'addition du

fumier , j'ai retiré 96 ; donc l' effet du fumier est 64. 4°. De calculer après l'effet de l'addition

de 10 de fumier, la différence qui se trouve entre le produit de la terre fumée, & celui de la terre excellente ; comme,, de 96 que nous venons de retirer , à 192, la différence est 96.

L 3

166 ESSAI SUR L'ART 5°. De calculer combien de fois on trouve

dans cette différence, l'effet reconnu de 10 de fumier ; comme, dans y6 il y a une fois & demi 64.

Il est donc aisé de voir que la terre fur laquelle on a fait l'essai, & dans laquelle on a reconnu 32 degrés de porosité natu-relle, demande en fumier, pour être portée à 192 , une fois & demi de plus qu'on ne lui en avoit donné; c'est-à-dire en tout 25 de ces mesures dont on ne lui avoit donné que 10.

Or , comme il est aisé de se procurer une fois & demi de plus en fumier, puisqu'il ne s'agit que de se procurer une fois & demi de plus en bestiaux , & de consacrer à leur nourriture une fois & demi de plus en terre, qui ne donne que 32 au lieu de 192 qu'elle doit donner ; pouquoi hésiteroit-on à faire un sacrifice apparent qui double notre revenu ? Lorsqu'il a été établi ci-devant, fans besoin de preuve , que l'objet implicite de tout agriculteur étoit de tirer annuellement de toute fa terre, tout ce qu'il est possible d'obtenir de ses fa-cultés naturelles, & de celles qu'il peut lui procurer.

Ce raisonnement nous conduit à une nou-velle division des terres, qui jettera un plus grand jour fur cette matière.

DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE TERRES.

Les divisions ordinaires ne présentent rien de fixe à l'esprit.

Les terres se divisent suivant les points de

DE CULTIVER LA CANNE. 167 vue fous lesquels on les considère. Le point de vue du Chymiste cil différent de celui du Médecin; ni l'un ni l'autre n'intéresse l'Agri-culteur ; la division des terres, en grades, fortes, légères , sablonneuses, &c. le touche de plus près; chacune de ces dénominations préfente du moins à fou esprit, l'idée con-fuse d'un rapport entre la qualité d'une terre, & le besoin des plantes qu'il cultive ; mais s'il n'est pas accoutumé a se payer de mots, il trouvera cette division bien incomplette : l'expérience feule lui apprendra ce qui lui cil le plus essentiel de connoître , le rapport précis des facultés ( de la porosité) de la terre qui lui appartient avec les besoins de la plante dont il attend sa subsistance & celle de sa famille.

La plante dont le produit réalisé, doit être le plus considérable , seroit fans doute aussi celle que nous voudrions cultiver; mais nous pouvons être commandés par des cir-constances majeures ; & je n'ai ajouté ce mot que pour arrêter un instant les yeux du Cul-tivateur fur l'immensité de l'horison qui l'en-vironne ; le mien est plus borné ; j'ai dit ce-pendant que je voulois inspirer la cupidité la plus effrénée a mes compatriotes Agriculteurs ; je voudrais l'inspirer à tous les hommes. Je ne vois que les efforts produits par le desir & l'espérance d'atteindre à tout ce qu'il y a de plus parfait dans les objets qui font à notre portée , qui puissent nous tenir lieu de fa jouissance. Si j'étois possesseur d'une terre condamnée par la nature à ne produire que du bled sarrasin ( arrêt que j'examinerois avant de m'y soumettre), je voudrais con-

L 4

168 ESSAI SUR L'ART noître le produit de celle qui en donnèrent le plus dans tout le pays ; & je ne croirois avoir payé ma dette envers la nature , mes enfants, ma province , ma patrie , l'Univers entier , qu'après que j'aurois élevé ma terre au plus haut point de production reconnu (I) ; ce point de vue fixe une fois décidé, demande une division des terres, précise comme son objet ; chaque plante demandera la sienne, je luis borné à celle qui regarde les Cannes.

Divisions des terres destinées aux Cannes en quatre Classes différentes, première, seconde , troisième & quatrième.

J'appellerai excellente ou première qua-lité , celle dont la moindre quantité de fu-mier , augmenteroit la porosité naturelle, & seroit capable d'altérer , par une surabon-dance de nourriture, la valeur intrinsèque de la Canne, en paroissant ajouter a fa beauté extérieure. Cette espèce de terre donnera constamment des rejetons égaux aux grandes Cannes , ou Cannes plantées , sauf la différence des accidens , comme nous avons vu , qui diminuent annuellement le nombre des tous-fes , & le petit affaissement progressif qu'on ne peut éviter. J'appelle son degré de poro-sité 192, égal à son produit.

(I) Il faut un microscope pour appercevoir l'influence que

peut avoir dans le systême du bien universel, un pays réduit

a n'élever que des poules; à la vue, le chaînon est imper-

ceptible , il existe néanmoins.

DE CULTIVER LA CANNE. 169 J'appellerai féconde qualité, celle qui pour

être constamment soutenue au même degré de porosité ou produit que la première , n'a besoin que de la quantité de fumier que donnent annuellement les bestiaux nécessaires à Ion exploitation.

J'appellerai troisième qualité celle que la quantité de fumier que donnent les bestiaux nécessaires à ion exploitation , n'élève que ju(qu'aux trois quarts de la porosité ou du produit de la première qualité, ou en d'autres mots, celle qui n'acquiert par le fumier des bestiaux nécessaires à son exploitation que 144 de porofité ou produit., au lieu de 192, re-connus dans la première qualité.

J'appellerai enfin quatrième qualité, celle au-dessous de laquelle il faudrait abandonner la culture de la Canne, & lui substituer celle d'une plante qui demanderoit un moindre degré de porosité ; celle enfin dont nous avons vu que le produit ou la porosité tant natu-relle qu'acquise par le fumier des bestiaux nécessaires a l'exploitation, étoit de 96.

Passons au régime qui convient à chacune de ces qualités; après ce que nous avons dit, il ne fera ni difficile ni long à prescrire.

RÉGIME PROPRE AUX DIFFÉRENTES CLASSES.

Première qualité.

I1 est visible que la première qualité de terre ne demande d'autre régime que d'être annuellement bien cultivée, bien fardée,

170 ESSAI SUR L'ART bien gardée des bestiaux ; & que ce fera beau-coup, fi la diminution progressive de ion pro-duit annuel, occasionnée par le degré d'af-faissement progressif dont la qualité ( l'onc-tuosité de les parties) la rend susceptible , est allez considérable pour vous obliger de la replanter tous les six ans, c'est-à-dire , un sixième par année. Soixante quarrés d'une pareille terre en Cannes , vous donneront toujours annuellement 60 fois 192, a la petite différence près dont nous venons de parler; différence devenue peu sensible par la pré-caution d'en replanter tous les ans une si-xième partie : je crois inutile d'ajouter que 192 , ne représente que le plus haut point du produit possible ; qu'à la vérité une saison plus ou moins pluvieuse, occasionnera fans doute une diminution d'un dixième , d'un huitième , davantage fi l'on veut ; mais ce qui restera dans l'excellente terre, quel qu'il soit, sera toujours divisé en 192 parties éga-les, pour servir d'objet de comparaison.

Seconde qualité.

Même régime pour la fécondé qualité , en observant pour le temps des travaux & de la distribution des fumiers, les précautions nécessaires pour que tout ait son effet, & tourne à profit ; les détails viendront ci-après.

Troisième & quatrième qualité.

Nous avons vu à l'égard de la quatrième qualité ( celle que nous avons prise pour

DE CULTIVER LA CANNE. 171 l'objet de nos Essais & que nous avons dé-signée comme la dernière qui fût digne de la culture des Cannes ), que fa différence à la première, étoit de 96 à 192, c'est-à-dire, que fa porosité tant naturelle qu'acquise par le fumier des bestiaux nécessaires à son exploita-tion , étoit de 96 ; nous avons vu aussi que l'acte le plus douloureux auquel nous astrei-gnoit le régime qu'il lui falloit indispensa-blement pour la porter de 96 à 192, étoit le sacrifice de fa moitié, qu'on devoit con-sacrer en pâturage, comme il y avoit une moitié de différence entre son produit & celui de la première qualité.

Il fuit donc nécessairement que la diffé-rence de la troisième qualité a la première étant celle de 144 à 191 ; lavoir 48, c'est-à-dire, un quart ; il faudra fie ri fier aussi en pâturage , un quart de la partie qui est en Cannes, pour élever les trois autres quarts au produit, à la porosité de 192. Si l'on m'ob-jecte que cette troisième qualité étant supé-rieure à la quatrième, une moindre quan-tité doit suffire a la nourriture de la même quantité de bestiaux ; je répondrai 1°. que le produit des pâturages naturels , augmente rarement en raison de la qualité de la terre ; 2°. qu'autant qu'il est possible , c'est la plus mauvaise terre qu'on prend pour la mettre en pâturage , & que la plus mauvaise terre d'une habitation, approche beaucoup de la plus mauvaise terre d'une autre ; qu'ainsi donc on risque peu à faire d'emblée le sacrifice du quart, sauf à retrancher ce qui fera prou-vé superflu.

172. ESSAI SUR L'ART Il seroit inutile de faire un plus grand

nombre de classes ; toute différence trouvée, donne l'étendue & les limites du sacrifice qu'elle exige ; & l'on sent qu'en donnant toujours par le fumier le degré de porosité qui manque à une terre quelconque pour avoir celui de la terre excellente , il suffit d'être convenu que la plus excellente n'a-voit besoin d'être replantée que tous les six ans, pour établir la même règle a l'égard de toutes celles qui auront reçu soit de l'art, soit de la nature , ce degré de porosité né-cessaire à la plus grande perfection de la Canne. On voit aussi que nous avons sup-posé jusqu'à présent, que ce degré de poro-sité ne pouvoir être donné d'une façon du-rable , que par le fumier renouvelle a des époques convenables ; je ne le pense pas, je donnerai même quelques idées à ce sujet a l'article des fumiers, mais ce qu'il y a de cer-tain, c'est que la porosité acquise par les labours seuls, ne peut se soutenir long-temps dans certaines terres ; elles font presqu'aussitôt affaissées qu'ameublies ; mais pour l'encou-ragement de ceux que l'étendue & la né-cessité des sacrifices a faire, relativement au fumier , pourrait effrayer , je les prie de réfumer nos opérations, & d'observer la dif-férence que doit produire fur le revenu , la nouvelle méthode suivie dans tous ses points. Ils verront à la vérité qu'elle ne peut être que d'un sixième de plus fur les terres on ne peut pas plus rares, de la première & fécondé qualité, puisque la moindre quantité de fu-mier de plus, y donnerait aux; plantes un

DE CULTIVER LA CANNE. 173 luxe visiblement ruineux , & que ce sixième de bénéfice est entièrement dû a la méthode de planter en Juin & de récolter fur toute la terre, au lieu de planter en Octobre & de ne récolter que sur les quatre cinquiè-mes ( Voyez le résultat de la cinquième année du premierEssai). Mais fur les qualités inférieures, la différence fera d'autant plus à l'avantage de mon systême, que la terre fera plus mauvaise ; elle fera d'un tiers fur le produit des terres que j'ai appellées troisième qualité , & d'une moitié fur celui de la quatrième ; voyez le ré-sultat du troisième Essai. Je conviens que ce tiers & cette moitié ne font proprement dus à mon systême, que parce que c'est le seul qui donne près de trois mois de tout l'At-telier, pour vaquer à la préparation des fu-miers & amendemens qui peuvent seuls donner à une terre inférieure ou mauvaisele de-gré de fertilité reconnu dans la terre excellente ; voyez le Problême proposé, p. 147.

il seroit bien aussi intéressant, mais il ne seroit pas aussi facile, de répondre à la ques-tion suivante:

La valeur des terres suivra-t-elle la proportion des nouveaux produits ?

Car il faudrait examiner : 1°. A quoi monterait le bénéfice qu'on

seroit annuellement fur le produit des bes-tiaux d'augmentation.

2°. Le produit de l'encouragement que chaque Colonie ne manquera pas de donner, à ceux

174 ESSAI SUR L'ART qui par cette méthode, voudront bien créer une branche de commerce inconnue jus-qu'ici dans notre Amérique Torride ; & dont on a toujours senti l'utilité , sans rien faire pour y parvenir, tant il paroissoit plus avantageux de cultiver toute fa terre que de n'en cultiver qu'une partie.

3°. À quoi pourroit parvenir l'industrie excitée par un premier succès, à chercher ou dans le pays, ou en Europe, aux Indes même, quelques herbes dont la culture don-neroit par quarré le double , le triple, le qua-druple peut-être de ce que l'herbe naturelle des champs donne en Amérique.

4°. La différence que produiroit & dans la qualité & dans la quantité des fumiers , la méthode qu'on essayera peut-être , de te-nir continuellement les bestiaux dans des parcs , à la réserve d'une heure de prome-nade le matin, autant le loir, fur un petit nombre de quartés consacrés a cet effet ; & conséquemment la quantité de terre qu'on pourroit, dans les deux derniers cas, rendre a. la culture des Cannes.

5°Quelles ressources la proximité de la mer, présenteroit à ceux dont les terres gref-fes ne demandent que d'être divisées par les sa-bles : quels avantages donneroit la terre glaise, facile à trouver par-tout, pour rafraîchir les terres des mornes ( coteaux), qu'on appelle trop chaudes, ou plutôt pour donner plus de con-sistance à ces mêmes terres, qui ne sont que trop légères: quels secours on tirerait des la-gunes , dont on pourroit s'approprier les vases: quels succès on auroit à chercher les marnes, &

DE CULTIVER LA CANNE. 175 à les employer ; car toutes ces choses tenant lieu de fumier, quand elles font chacune à leur place , diminueroient la quantité recom-mandée de bestiaux de surérogation , & ren-draient autant de terre à la culture de la Canne.

Toutes ces considérations font importantes, mais elles ne nous garantiraient pas de la tentation d'examiner ensuite quelle différence l'augmentation du produit occasionneroit dans son prix. Car l'homme le plus généreux, tient beaucoup a cet article ; parce que l'homme le plus généreux est , par instinct, le plus cu-pide , quoique souvent il ne s'en doute pas (I).

Or, pour raffiner les esprits, contre la crainte d'une baille proportionnée à l'abon-dance , il ne suffiroit pas de remettre fous les yeux, que lorsqu'on faisoit à peine quatre mil-lions pesant de lucre dans toute l'Amérique, le quintal du brut ne valoit que neuf francs ; qu'on en fait aujourd'hui plus de 400 mil-lions pesant, & que le quintal vaut plus de trente-six livres ; il faudrait prouver que les raisons qui ont quadruplé le prix du lucre, en centuplant fa quantité , acquièrent de jour en jour de nouvelles forces ; que le

(I) Quelqu'un me disoit , profitez seul de votre décou-verte ; n'augmentez que chez vous la quantité d'une denrée dont la rareté générale qui nous menace, augmentera certai-nement le prix. Chacun a sa manière de voir ; j'en vais dire assez pour justifier la mienne , que j'aurois le courage de sou-tenir contre tous les Gouvernemens intéressés dans cette cul-

tare, s'il étoit possible qu'ils vissent autrement que moi.

176 ESSAI SUR L'ART cours naturel des choses , est aujourd'hui moins contrarié que jamais ; qu'il le fera toujours de moins en moins ; qu'à tout ré-duire , pour doubler la consommation d'un article, il n'y a qu'à augmenter d'un centième, la consommation de cent autres articles équivalens, parce qu'un homme qui seroit supposé propriétaire de toutes les terres, se-roit d'abord malgré lui obligé d'abandonner la moitié de leur produit a ceux qui vou-droient bien les cultiver, & d'enfouir en-fuite le reste, ou de prendre a fa solde les Manufacturiers, les Marchands, les Danseu-ses, les Musiciens & tant d'autres joueurs de gobelets, qui n'ont que leur industrie ou leurs talens pour escamoter a l'avarice , des biens qu'elle aimeroit mieux enfouir que donner.

Qu'ainsi donc, pourvu que les propriétai-res des terres à sucre, consomment & fas-sent consommer a leurs Nègres ( ce qui est bien juste ), en nouvelles futilités, la propor-tion du fond nouveau qu'ils mettront dans le commerce , les valeurs qu'ils donneront à des zéros de toute espèce, feront d'abord valoir, & bientôt hausser, les nouveaux zé-ros de sucre dont ils auront enrichi la So-ciété.

Que tout l'artifice de cette société ne consiste qu'a opérer à l'insçu & pour le plus grand avantage des intéressés , le partage le plus égal , le plus exact & le plus juste possible , entre les propriétaires des terres qui ont tout, & les Joueurs de gobelets qui n'ont rien.

Que ce partage s opère de lui-même en restreignant

DE CULTIVER LA CABINE. 177

restreignant le moins possible les paillons naturelles des uns & les paillons factices des autres, c'est-à-dire, en obstruant le moins possible les communications dans tous les genres.

Que ce partage est inséparable de la plus grande quantité possible de créations & de consommations , qui ne peut elle-même être opérée, que par le plus grand nombre de créateurs, & de consommateurs de toute espèce , qui feront toujours attirés & créés dans les Etats où les loix feront le moins prohibitives possible.

Qu'une loi prohibitive dans un pays, peut être , doit être , fera fans doute immédiate-ment suivie de dix autres, dans dix pays dif-férens, qui forceront bientôt le rétablisse-ment de l'équilibre dicté par la nature, le seul qui mérite d'être étudié , & le seul qui prévaudra a la tin.

Qu'à la guerre préfente ( guerre de révolu-tion s'il en fut jamais ), succédera probable-ment la feule guerre utile & nécessaire qui puisse exister entre des peuples éclairés par la plus longue & la plus triste expérience ; guerre essentielle au bonheur de l'humanité, puisqu'il s'agira de décider lequel fera le plus 'habile a imaginer, ou le plus leste à adopter , ces loix qui doivent produire la plus grande consommation possible , à la-quelle est attaché le plus haut période des revenus publics.

Discu liions importantes dans tous les temps ; dangereuses pour tout le monde , il y a fort peu d'années ; déplacées dans un

*M

178 ESSAI SUR L'ART particulier , au moment où les vrais politi-ques de l'Europe , vont être forcés d'en faire l'objet de leurs plus sérieuses médita-tions ; discussions enfin qui seroient autant d'écarts monstrueux dans un Agriculteur qui ne pourroit que follement y être en-traîné par l'examen de Ion brin d'herbe, & d'un principe évident que personne ne con-testoit.

EXAMEN Du TROISIÈME PRINCIPE.

Il faut planter à deux pieds & demi dans les terres sèches , à trois pieds dans le meilleur terrein ; j' ajouterai maintenant & jamais à plus de six pouces de profondeur.

On voit qu'il s'agit de prouver non-seu-lement l'inutilité des grandes distances entre les Cannes, mais encore celle de la grande profondeur des folles.

De l' inutiltié des grandes distances entre les Cannes.

Je ne prétends pas examiner quelle est la distance entre les souches, qui peut procu-rer à chaque Canne , les plus prodigieuses dimensions soit en longueur soit en gros-seur ; mais quelle distance doit produire les dimensions dont ont peut attendre par quar-ré de terre , la plus grande quantité possible du jus le plus riche , c'est-à-dire, le plus su-cre. Ainsi j je m'occupe non-seulement de la quantité du jus, mais encore de fa qua-

DE CULTIVER LA CANNE. 179 lité ; & je ne veux travailler à obtenir l'une, que ju (qu'au point exclusivement qui pour-roit nuire à l'autre.

M. Tull, dans ses principes fur la végéta-tion , rapporte une expérience très - ingé-nieuse, qui prouve de la façon la plus déci-sive , combien loin les racines des plantes Vont chercher leur subsistance : c'est celle d'un champ de turneps , qu'il avoit fait planter en triangle & labourer quarrément.

Le turnep du sommet A, étoit mons-trueux ; ceux de la base B , étoient de la grosseur ordinaire; ceux des côtésC , avoient augmenté de grosseur , en raison de l'espace vide , & labouré fréquemment , dont ils avoient pu tirer leur nourriture.

Supposons pour un moment, ce qui par

M 2

180 ESSAI SUR L'ART la fuite aura besoin d'être expliqué pour que je l'accorde; lavoir, qu'une seule souche de Cannes , a besoin pour donner toute la per-fection requise a chacune des plantes qui la composent, de toute la nourriture contenue dans un espace de cinq pieds quartés, & qu'il faut par conséquent travailler à la lui assurer ; je vais prouver qu'on s'éloigne entièrement du but , en lui taillant les cinq.pieds supposés nécessaires.

Qu'est-ce que la nourriture de la Canne ? C'est une partie de terre fur six cens, & souvent plus de six cens parties d'eau ; car 300 livres de Cannes qu'on vient de couper, donneroient tout au plus soixante livres après être dessechées ; & de ces soixante livres, on pourrait a peine tirer une livre de cendres.

Outre les 599 centièmes parties d'eau que la Canne contient, combien ne lui en faut-il pas pour fournir a la transpiration journalière d'une quinzaine de feuilles vertes, qui ont l'une dans l'autre au moins trois pieds de long, & un pouce demi de large ? Voyez les Expériences de M. Haies sur la transpiration des feuilles.

Considérez aussi que les Cannes n'ont point de racines pivotantes qui aillent chercher a de grandes profondeurs, cotte quantité d'eau dont elles font une aussi prodigieuse con-sommation, que les racines qu'elles ont à la superficie de la terre font plus fortes & en plus grand nombre que celles qu'elles ont a une plus grande profondeur ; qu'il est donc très-probable qu'elles tirent leur principale nourriture de la partie supérieure de la terre

DE CULTIVER LA CANNE. 181 a laquelle ces plus fortes racines font atta-chées^); qu'après quatre jours d'un soleil vif, fans pluie, la terre nue est fi sèche a deux pouces de profondeur, que la même quantité de Nègres qui fossoyoit trois acres, n'en fos-soye plus que deux ; & fi l'on ne perd pas de vue ces différens objets qui ne font ignorés de personne , je ne crois pas qu'on puisse s'empêcher de convenir que planter aux plus grandes distances, c'est - à - dire de manière que la terre soit le plus long-temps possible exposée aux rayons du soleil, c'est en même-temps supposer de très-grands besoins -, & se priver des moyens d'y Satisfaire.

Dans la culture d'une plante telle que je viens de la décrire, dans un climat tel que le nôtre, la première attention du cultivateur doit être de conserver l'humidité dans la partie de la terre qui doit en fournir la plus grande quantité , qui est la superficie , & consé-quemment de planter de façon qu'elle soit couverte le plutôt possible.

A l'expérience du champ de turneps de M. T ull, j' opposerai trois faits aussi frappans, qui, fins contredire le principe, prouvent la nécessité d'en mitiger l'application suivant les circonstances des lieux & des saisons.

1°. Toutes les Cannes tant plantées que rejetons, qui ne couvrent pas la terre au commencement de Janvier, font visiblement

(I) On verra bientôt le sentiment de M. Duhamel, sur ce plan supérieur de racines fortes.

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182 ESSAI SUR L'ART arrêtés pendant le sec ( je ne parle point des terreins humides mais des terres ordinaires) ; & si le sec est violent, le mois de juin cil arrive, que les Cannes plantées en Novembre & Décembre, aussi bien que celles qui ont été coupées en Janvier, n'ont pas encore un nœud: mais les unes & les autres sont-elles une fois parvenues au point de couvrir la terre ? elles croissent dans un mois plus qu'elles n'ont fait dans les trois précédens. On ne peut attribuer cette végétation extraor-dinaire & subite, à la pluie qui tombe alors, parce qu'il en tombe presque toujours assez en Janvier, au commencement de Février, & à la fin de Mai ; mais la plus grande partie de ces pluies de Janvier, de Février & de Mai, tombant fur une terre découverte, font presqu'aussi-tôt & presque en entier repom-pées par le soleil ; au lieu que celles de Juin tombant fur une terre alors ombragée de feuilles, y relient, & tournent au profit de la Canne.

2°. Les rejetons profitent toujours pendant le scc, beaucoup plus que les Cannes plantées, parce que la paille qu'on laisse fur la terre y entretient un peu plus long-temps 1' humidité ; & si par la négligence des Commandeurs, lorsqu'on prend les pailles pour les four-neaux , on met a nud quelques parties de la terre, les rejetons de la partie découverte , ont l'air aussi souffrant que les Cannes plan-tées.

3°. Toutes les Cannes, tant plantées que rejetons , qui couvrent la terre en Novembre,

DE CULTIVER LA CANNE. 183 continuent a croître pendant le sec ; & c'est toujours cette partie, qui, toutes choies égales d'ailleurs, produit le plus par acre.

Donc il faut planter assez serré pour que la terre ne tarde pas trop à se couvrir ; mais on verra bientôt comment j'explique le mot serré.

Examinons maintenant les raisons fur les-quelles M. Duhamel se fonde pour recom-mander en France, les grandes distances tant entre les grains de bled, qu'entre les rangées : nous verrons en même-temps si elles con-viennent à la Canne en Amérique ; & ce parallèle de plantes & de climats, fans fixer des bornes au principe d'une distance allez considérable, toujours avantageuse a la végé-tation , prouvera que cette distance a des règles que le climat doit fixer encore plus que la qualité de la terre.

LA PREMIÈRE RAISON DE M. DUHAMEL ,

est une épargne des quatre cinquièmes de la semence. Grande confédération par rapport au bled ,

& presque nulle par rapport aux Cannes, plantées suivant mon systême ; parce que dans la saison que je prescris pour cette opé-ration , Ton a quatre fois plus de plan qu'il n'en faut.

LA SECONDE RAISON, c'est afin de pouvoir labourer entre les rangées.

L'espace de deux pieds & demi, trois pieds que je prescris entre les touffes, suffit pour labourer parfaitement la terre avec la houe, le seul infiniment dont on se serve dans notre

M 4

184 ESSAI SUR L'ART Colonie, & le seul dont on puisse se servir dans les cinq sixièmes des habitations, pres-que toutes très-hachées; le labour a la char-rue mérite cependant d'être examiné par la fuite.

LA TROISIÈME RAISON , c'est pour que les racines s'étendent , & trouvent une plus grande quan-tité de nourriture dans une plus grande quantité de terre dénuée de plantes.

On vient de voir que l'humidité étant pres-que la feule nourriture de la Canne , cette nourriture se trouvoit plus long-temps & plus abondamment dans une terre plutôt couverte ; & elle est d'autant plutôt couverte, que les plantes font moins éloignées les unes des autres.

LA QUATRIÈME RAISON , c'est parce que Ici paille est plus grosse , plus longue , plus forte, & se soutient mieux contre le vent.

Les Cannes plantées suivant le systême do la grande culture , font aussi plus grosses, mais beaucoup moins substantielles ; les ba-gaces qu'elles donnent n'ont point de corps, & font d'abord pourries, fi le temps pluvieux oblige de les mettre a couvert dans les cafés en sortant du moulin ; les Cannes font aussi plus longues, les feuilles plus larges, & tout au contraite des bleds a grosse paille, se ren-versent au moindre vent contre lequel mes Cannes moyennes & substantielles se sou-tiennent toujours. Remarquez bien cepen-dant qu'en recommandant de cultiver , je néglige de prévenir contre l'excès de la

DE CULTIVER LA CANNE. 185 culture, parce qu'il est difficile qu'en plantant en Mai & Juin , les Cannes puissent recevoir dans l'espace de douze mois, terme auquel je les coupe , aucune espèce d'accroissement qui ne tourne en entier au profit du culti-vateur. Puisque les Cannes font plus grosses, dira-t-on,

elles ont donc reçu plus de nourriture; la nour-riture est donc mieux conservée dans les gran-des distances dénuées de plantes: cet argument est spécieux ; mais il faut observer qu'en don-nant cinq pieds quarrés a vos fosses, ce fera beaucoup si vous avez quinze Cannes a cha-que louche l'une dans l'autre ; ( qu'on examine une trentaine de Couches limitrophes dans le centre d'une pièce, avant de se récrier sur le petit nombre que je suppose ) : fi , au con-traire , dans le même espace de cinq pieds quarrés , j'ai quatre folles de deux pieds & demi , dans chacune desquelles j'aurai mis trois plans comme vous dans les folles de cinq pieds; j'aurai au moins dans chacune de mes. quatre folles , 12 Cannes, savoir, y de premières productions , & y des fuyantes ; j' aurai donc 48 Cannes, dans le même espace qui dans l'autre systême n'en donnera que 15 ; or, supposons maintenant dans ces 5 pieds quarrés , 60 d'humidité , que le soleil en absorbe 30 pendant le temps que la terre fera plus découverte dans le systême des grandes folles; il n'y restera donc que 30 d'humidité, qui partagés entre 1 y Cannes, feront deux pour chacune : ces mêmes 60 d'humidité , conservés entièrement dans mon systême, & partagés dans mes 4 fosses entre 48 Cannes,

186 ESSAI SUR L'ART chacune d'elles, a la vérité , n'aura qu'un Se un quart d'humidité , au lieu de deux que chacune des quinze aura dans la grande folle ; chacune de ces quinze fera donc beaucoup plus grande & beaucoup plus grosse ; mais cependant le total des 15 ne vous donnera que le produit de 30 d'humidité, & le total de mes 48 doit nécessairement me donner le produit de 60.

LA CINQUIÈME RAISON , c'estparce que l'épi est plus long , & que les grains sont plus gros , mieux nourris , & donnent plus de farine.

Le jus des Cannes, plantées a des distances moyennes, est beaucoup plus chargé de Sucre ; ce Sucre est beaucoup plus ai Té à faire ; il est beaucoup plus beau & les syrops qui en proviennent, donnent beaucoup plus de rum.

Quelles (ont enfin les concluions de M. Duhamel lui-même, du sage M. Duhamel , répétées, pour ainsi dire, après chaque expé-rience qu'il allègue en faveur du systême qu'il propose ? Elles le réduisent à celle-ci.

Il faut se régler sur le fol, le climat , la nature & le besoin des plantes , pour fixer la distance néces-

saire entr'elles. Je crois placer l'objet a son vrai point de

vue relativement à la Canne, lorsque j'ajoute, ne laissez entre vos Cannes, que l'espace dont vous ave% besoin pour labourer la terre , l'aider quand & autant que vous le jugerez1 à propos ; la farder far-tout, c'est - à - dire empêcher que des plantes parai!tes ne viennent s'approprier une partie des alimens destinés à celle que vous cultives ; alimens qui dans le fait ne font

DE CULTIVER LA CANNE. 187 autre chose que cette humidité précieuse , fans laquelle vous n'avez jamais vu les Can-nes prospérer. J'ajouterai cependant encore, pour me conformer a la discrétion de M. Duhamel ; voyez fi deux pieds & demi, ou trois tout au plus, ne suffisent pas , mais je crois qu'ils suffisent ; & je me repens déjà d'avoir paru douter.

Mais , insistera-t-on, la circulation de l'air , si avantageufe , si nécessaire, est bien plus facile dans des intervalles considérables ?

Je vais réduire à fa vraie valeur cette cir-culation fi vantée.

En plantant, suivant ma méthode, j'ai plus de Cannes dans le même espace, ou j'en ai moins -, fi j'ai plus de Cannes, il y avoit donc entre mes plantes, une surabondance de cir-culation d'air dont il étoit avantageux de profiter -, fi j'ai moins de Cannes, il y avoit encore bien plus d'espace pour cette circu-lation ; donc il y en a allez dans les deux différentes façons de planter; donc il faudra chercher une autre cause, fi les Cannes font ce que j'appelle moins belles , c'est - à - dire fi elles rendent moins par quarré ; ce qui est la feule pierre de touche.

Voici encore une observation qui me paroît décisive , quoique banale ; fi vous avez eu une bonne saison (on fait que je n'entends autre chose par cette expression , qu'une suc-cession confiante de pluies ), soit que vous ayez planté à cinq pieds, soit que vous ayez planté a deux pieds & demi, lorsque vos Cannes ont six mois, un chien peut à peine y entrer ; & il n'y a que les rats qui puissent

188 ESSAI SUR L'ART y avoir accès lorsqu'elles ont 8 mois ; alors, certainement la circulation de l'air paroît aussi aisée, ou fi l'on veut, aussi difficile entre les unes qu'entre les autres. Cherchons donc quelque chose de plus satisfaisant.

Un plan ne réussit point quand il est mis, je ne dis pas, au pied d'un arbre ; mais auprès de Cannes qui ont déjà deux pieds de haut: alors ce n'est pas la proximité, c'est la diffé-rence de hauteur qui nuit ; mais de quinze Cannes qui font a une même touffe , qui souvent n'a pas plus de huit pouces de dia-mètre près de la terre , celle qui est au milieu n'est pas moins belle ; c'est la même louche, direz-vous ; & la sève circule de la feuille a la tige , de celle - ci a la racine , & consé-quemment d'une Canne à l'autre : soit ; mais dans une souche formée par trois on quatre plans, mis dans une même fosse , fans doute

Suc vous ne prétendez pas que la sève circule e l'un à l'autre plan ; les Cannes qui en pro-

viennent, & qui font tout aussi près que fi kl souche provenoit d'un plan unique, font cependant aussi belles qu'on les voit aux sou-ches formées par un seul plan ; pourquoi ? c'est qu'elles ont crû également, & que leurs sommets font égaux. A quoi fervent donc vos grands intervalles ? Je l'ai déjà dit, ils fervent a dessécher votre terre, qu'ils laissent plus long-temps exposée a l'ardeur du soleil, & à vous forcer de farder deux à trois fois de plus.

Un arbre isolé au milieu d'une plaine, de-vient , dans le même espace de temps, plus gros Se moins long que les arbres de la même

DE CULTIVER LA CANNE. 189 espèce, plantés en pépinière ; ici le sol, suivant la somme de nourriture qu'il peut fournir, donne a chacun d'eux, dans une dimension , ce que les arbres voisins l'empêchent de lui donner dans une autre. Il en est ainsi de la Canne ; mais ne perdons pas de vue que le fol la nourrit beaucoup moins en raison de fa bonté & de fa culture , qu'en proportion de l'hu-midité qu'il contient, ajoutons, humidité qu'il faut donc conserver : ou plutôt l'humidité de la terre étant allez visiblement l'unique (I), ou du moins la principale espèce de nourriture des Cannes, & la terre après quelques jours de soleil étant d'autant moins humide qu'elle est plus découverte , donc fi vous plantez à de telles distances que la terre soit plus long-temps découverte , vous privez incontesta-blement vos Cannes de cette partie d'hu-midité dont vous facilitez l'évaparation ; si au contraire vous plantez ferré,la terre plutôt & mieux couverte fera plus & plus long-temps humide ; & les Cannes que vous lui donnez de plus, profiteront au moins de l'humidité qu'elles auront conservée. Enfin , la terre ne produira jamais au-delà de ses forces : or, il est de votre intérêt qu'elle produise suivant toute l'étendue de ces mêmes forces ; ne

(I) Il n'est pas plus étonnant que l'humidité soit l'unique nourriture des plantes, qu'il ne l'est , qu' avec une quantité suffisante de végétaux ( n'importe les quels ) , le méchanisme animal produise os, chair, rate, poumon , chaque modèle est probablement pourvu des organes nécessaires pour s'ap-proprier & s'assimiler généralement' tous les sucs qui n'ont pas la propriété de le détruire.

190 ESSAI SUR L'ART Luttez donc entre vos plantes que l'espace nécessaire pour les cultiver.

Je pense que M. Duhamel ne donnerait pas un autre précepte , quoiqu'il dise, p. 282 & lui vante , même tome , toutes ces observations prouvent très-bien qu'on pourroit faire d'abondantes récoltes en répandant très -peu de *rain ; & consé-quemment en plantant à de très - grandes distances, mais M. Duhamel a foin d'ajouter,

cela seroit exactement vrai fi le fond étoit d'excel-lente qualité , si. tous les grains réussissoient fi aucun n'étoit mange par les insectes ,fi'l'on avait soin de leur donner de fréquens labours pour augmenter la vigueur des plantes .... Mais dans les grandes ex-ploitations , il n' est pas possible de satisfaire à toutes ces confédérations , il y a des grains qui ne germent point d'autres sont mangés par les oiseaux ou les infectes ; il faut donc sacrifier de la semence à ces accidens , & M. de Châteauvieux a dit souvent que ses récoltés avaient diminué pendant les premières années , pour avoir répandu trop peu de semence.. .. Si l'on pouvoit être assuré ( ajoute M. Dumahel )

que a saison du printemps sera favorable pour FAIRE

TALLER, LES GRAINS (I) , ou pourrait retrancher beaucoup de semence , mais comme rien ne peut nous

fixer sur ce point , il faut se borner à répandre la semence proportionnellement à la fertilité de la terre ; un grain placé en bon fond talle prodigieusement ; celui qui est dans un terrein maigre , ne peut produire qu' un , deux ou trois épis ; fi dans ce cas on mettoit les grains à 8 pouces les uns des autres , les épis

(I) C'est à l'égard des Cannes ce que j'appelle donner de

secondes productions.

DE CULTIVER LA CANNE. 191 [croient bien rares dans ce champ ; les mauvaises herbes qui s'accommodent de ces mauvais terreins , prendraient bientôt le dessus du bon grain & l'etouf-seroient.

Je ne distinguerai pas , a la vérité, aussi essentiellement que M. Duhamel , la terre maigre de la terre fertile, parce que la terre est toujours maigre pour les Cannes , quand elle est privée d'humidité ; c'est pourquoi je dirai feulement, puisqu'il n'est que trop vrai que la chenille Se les vers font souvent un grand ravage, puisqu'il est aussi vrai qu'il faut le temps le plus favorable pour qu'il forte d'un même plant au - dessus de deux jets, premières productions , Se que dans les années sèches, vous n'avez que très-peu de fécondés productions a espérer , il fuit nécessairement que la prudence doit vous engager a mul-tiplier les premières: ne craignez donc jamais de mettre au moins trois plans dans chaque folle, fi elles font a trois pieds de distance (d'un milieu à l'autre ) : vous le pouvez dans la saison que je prescris pour planter, parce qu'alors vous avez, comme je l'ai déjà dit, trois & quatre fois autant de plant qu'il vous en faut.

De l'inutilité de la grande profondeur des fosses.

Puisque j'ose communiquer mes idées au public , Se que je propose un systême nou-veau , je continuerai a m'étayer, autant qu'il sera possible, d'autorités reconnues pour telles;

& à me concilier avec ces autorités lorsque je paroîtrai d'une opinion différente.

192 ESSAI SUR L'ART M. Duhamel dit , page 212., tome I de

l'Ouvrage cité ; dans la plus grande partie des terreins , la terre qu'on rencontre en fouillant est une terre ingrate & absolument stérile.... Et plus haut page 141 , même volume, il y a d'excellent:s terres à froment, mais qui ne forment qu'un lit d'en-viron 4 pouces d'épaisseur , sous lequel on trouve une terre rouge stérile. Comme ces sortes de terres ( ce fout des excellentes dont parle M. Duhamel ) s'imbibent de l'eau des pluies aussi-tôt qu'elles sont tombées on les laboure à plat -, & l'on a soin que la charrue NE PIQUE POINT JUSQU'À LA TERRE

ROUGE , qui diminuerait la récolte suivante , à moins qu'A FORCE de fumier on ne rendît à la terre fa. fertilité , il nie paroît probable qu'à la suite du temps , ET A FORCE de cultiver la terre rouge , qu'on mê-teroit avec celle du dessus celle du dessous devien-drait bonne.

M. Tull recommande aussi très - positi-vement de ne pas labourer au-dessous de la terre franche.

Je ferai quelques réflexions fur ces deux passages.

La profondeur qu'on donne ordinairement aux filions, dans la terre qu'on prépare pour le froment, n'est donc avantageuse que lors-qu'on ne risque pas de détériorer la terre du dessus en la mêlant avec celle du dessous : j'aurai donc raison de recommander de ne pas fosser même au-delà de4pouces, par-tout où le tuff fera près de la superficie , parce que le tuff , mêlé avec la bonne terre , la rendroit mauvaise ou moins bonne.

Je soupçonne que les Isles qui se plaignent que leurs terres sont épuisées, ont indiscrè-

tement

'DE CULTIVER LA CANNE. 193 tement pique jusqu'à la terre rouge ou grasse , ou stérile enfin ; j'en juge par ce que j'ai vu pratiquer trop souvent : beaucoup de gens piquent indistinctement toute forte de terre, & continuent machinalement de fossoyer jus-qu'à ce que les fosses soient de la profondeur déclarée convenable : ensuite ils ne doivent pas être étonnés fi ce ne peut être qu''à force de fumier , à force de culture qu'ils peuvent rendre à cette terre , la fertilité qu'elle avoit d'abord , & qu'il valoit bien mieux ne lui pas ôter.

D'ailleurs, qu'est - ce que cette fertilité? N'est-il pas visible que ce n'est autre chose que la facilité dont parle M. Duhamel, avec laquelle ces sortes de terres s'imbibent de l'eau des pluies (j'ajouterai toujours, fans craindre de me répéter ) , en conservent la quantité néces-saire , & laissent échapper le superflu. Avec ces deux dernières conditions , c'est mon principe universel d'Agriculture , adopté par M. Duhamel, Voyons maintenant fi la méthode & les pré-cautions nécessaires pour les bleds, ne le font pas également pour les Cannes.

J'ai déjà dit que la Canne n'avoit aucune racine qu' on put appeller pivotante ; que l'expansion des principales, étoit uniquement horisontale , ou pour mieux dire , parallèle au terrein ; & que celles qui étoient à la superficie étoient les plus fortes, & se sub-divisoient en un plus grand nombre de ra-meaux que les inférieures : avant de tirer aucune conséquence de ce que je viens de dire , écoutons encore M. Duhamel ; ce qu'il dira des arbres fera bien plus fort, transporté

* N

194 ESSAI SUR L'ART aux plantes de la nature de celle dont nous parlons.

Je vais rapporter , dit M. Duhamel, Phis. des arbres, tome I, page 86 , une observation que j'ai faite SUR DE ORT GROSORMES qui avoient été renversés par le vent : ces ormes , suivant l'usage de notre Province avoient été greffés ; mais ils avoient été plantés TROP AVANT , de sorte que les greffes étant enterrées, ces arbres avoient pris racine du collet c' est-à-dire qu' 'ils avoient poussé des racines au bourrelet que forme la greffe. Ces racines, qui étoient plus près que les autres de la superficie, avoient beau-coup grossi , & formoient un épatement considérable , au lieu que les racines du dessous de la greffe étoient restées dans la même grosseur a-peu-près ou elles étoient quand ces ormes avoient été plantés , j'ai fait la même observation sur les citronniers , & p. 87, ainsi l'on doit regarder comme un fait constant que toutes les fois qu'un arbre a deux plans de racines , c'est toujours le plan supérieur qui est le plus vi-goureux.

Veillons donc à ne pas planter trop avant , comme s'exprime M. Duhamel, fi nous ne voulons pas multiplier mal - à - propros le nombre des plans de racine que l'Histoire de la Canne réduit à leur juste valeur. Voy. p. 30. Ce n'est pas l'unique conséquence que je tirerai du passage que je viens de citer ; mais il n'est question ici que de la profondeur des folles ; & pour terminer ce que j'ai à dire fur cet article , mettons fous les yeux une généalogie de rejetons, fi l'on peut s'expliquer ainsi.

DE CULTIVER LA CANNE. 195 Soit la Canne plantée I , coupée en R, voy.fig.

sortie du plan X très profondément enterré , cette Canne I , coupée en II , comme je l'ai dit, près de la terre que nous supposons en Y & Z , va produire de son nœud A, la Canne 2 laquelle coupée l'année suivante en S , pro-

duira de son nœud B, la Canne 3, qui coupée aussi l'année d'après en T, produira de ion nœud C , la Canne 4, ainsi des années sui-vantes. Les nœuds À B C ne font le plus souvent qu'au niveau de la terre , ou pour mieux dite, c'est le cas de la plupart des reje-tons, & visiblement celui des premiers sortis ; le fécond ordre de leurs racines s'enfonce dans la terre par une courbure, telle qu'on la voit entre A B, BC, & C D; & s'il se trouve en E quelque obs tacle, une pierre, par exem-ple , qui empêche le nœud D de suivre la

N 2

196 ESSAI SUR L'ART même marche que les autres, & de sortir en E , je l'ai vu prendre la direction F F F par-dessous les autres rejetons qui s'opposoient à fa sortie directe, & paroître en G.

Il est donc bien évident que les nœuds qui produisent les rejetons, font très-près de la superficie de la terre. Inspectons maintenant la Canne plantée, puisque c'est elle que re-garde plus directement la profondeur des folles, & consultons plus particulièrement la destination très - probable des différens ordres de racines dont j'ai parlé RI fi. nat. de la Canne.

On y a vu que la Canne avoit trois ordres de racines.

Le premier ordre & le fécond piquent un peu dans la terre , mais rarement plus bas qu'un pouce & demi, deux tout au plus : il n'y a que ces deux ordres qui piquent ; tous' les deux semblent destinés à soutenir & fixer la plante dans la terre.

Le premier ordre nourrit de plus l'embryon jusqu'à la chute des 4 feuilles séminales, dont le dessèchement est occasionné par la pro-duction du fécond ordre de racines.

Le second ordre nourrit aussi la plante jus-qu'a la production des racines du troisième ordre.

Après que le troisième ordre a paru, l'ac-croissement plus considérable & plus rapide de la plante, annonce la force & l'abondance des secours qu'elle en retire, & l'importance de l'ordre qui les produit

Ce troisième ordre étend ses branches hori-sontalement, a moins qu'elles ne soient obli-

DE CULTIVER LA CANNE. 197

gées par l'inclinaison du terrein à suivre un cours différent ; & les racines du dernier plant de ce troisième ordre font toujours à la su-perficie de la terre ; j'en ai suivi jusqu'au fond d'une escarpe, à 20 pieds de la louche située au sommet.

Plus les Cannes font grêles & mesquines, plus elles ont de nœuds dans la terre, c'est-à-dire, plus elles ont de plans de racines du troisième ordre ; ce qui démontre, comme je l'ai dit, l'inutilité de les multiplier. Lors-que cette multiplicité de plans de racines est l'effet d'une mauvaise saison, ce n'est pas notre faute ; mais lorsque nous avons donné beau-coup de profondeur à nos fosses , & qu'ainsi nous avons augmenté l'espace que la plante devoit parcourir avant de percer la terre, tous ces plans de racine que chaque semaine pro-duit dans la terre , font autant de nœuds facrifiés fans utilité;car il faut bien admettre que l'accroissement des Cannes a des bornes fixes, & dans ce cas, il est évident que 10 plans, je suppose de ces racines du troisième ordre , qui ne font formés que par autant de nœuds, font autant de soustrait a la quantité qu'on auroit à couper.

Disons maintenant ce que l'expérience m'a appris a l'égard , tant de la profondeur, que de la largeur des folles.

J'en ai fait de deux pieds & demi quarrés, j'en ai frit de trois pieds, j'en ai fait de quatre, j'en ai fait de cinq pieds, j'en ai fait de 8 fur 4, j'en ai fait d'une profondeur absurde, j'ai fait ces différais essais dans la même pièce de ter-re, & je dois dire, parce que cela est vrai ,

N 3

198 ESSAI SUR L'ART que la façon la plus aisée , celle qui a le moins coûté à mes Nègres, Se qui m'a don-né le moins de sarclages , m'a produit ( tou-tes choses égales d'ailleurs) au moins autant de sucre que la plus pénible & la plus longue; les diverses rai Tons que j'ai données ci-dessus, ont d'avance détruit tout le merveilleux du fait.Le principe que je donne de trois pieds de large tout au plus, fur quatre pouces ou six tout au plus de profondeur, me paroît donc le plus sûr , par-tout où il sera impossible de se servir de charrue ; mais j'avoue que cette char-rue me tient au cœur ; elle est fi expédi-tive , je la soupçonne susceptible de tant d'autres avantages , que je ne pourrai me refuser dans la partie des détails, quelques idées à ce sujet , bien différentes a la vérité de la méthode ordinaire ; mais que chacun appréciera comme il le jugera à propos, jus-qu'à ce que l'expérience ait prononcé.

EXAMEN

DU QUATRIÈME PRINCIPE.

Il faut planter en Mai & Juin.

Ce principe ouvrirait un vaste champ à la critique , fi je n'avois prévenu les feules vraies objections qu'on peut y faire lorsque j'ai examiné , p. 120, dans quels pays on pouvoir admettre mon systême.

En fixant Mai Se Juin pour le temps des plantations, je n'ai strictement en vue que le onzième degré de latitude nord, puisque

DE CULTIVER LA CANNE. 199 j' ai dit que le renouveau commençant pro-bablement quelques semaines plus tard à Saint-Christophe , a Saint-Domingue, qu'à la Grenade , le temps des plantations doit y être retardé d'autant ; & que de l'autre coté de la ligne où les fasaisonsfons doivent être opposées aux nôtres, on devoit faire la récolte dans les six derniers mois de l'an-née , que je désigne au contraire pour le vrai temps de la préparer à la Grenade.

Il ferait inutile aussi de répéter ce que j'ai dit en faisant l'histoire de la Canne dans les différentes espèces d'années, de terreins, & de systême ; je me contenterai de le ré-duire fous le point de vue le plus Ample.

Qu'une pièce de Cannes soit coupée à 13 mois, a 15 , à 18 , a deux ans fi l'on veut, on ne trouve jamais dans les meilleures ter-res , de Canne pourrie ou fur pied qui ait au-delà de 46 nœuds utiles. Quelque avan-tageuse qu'ait été la saison , lorsque la mau-vaise terre, n'a point été rendue par le fumier égale ou presque égale à la bonne, elle ne préfente jamais de Canne qui ait au-delà de 34 nœuds utiles; ce font deux faits géné-raux qui prouvent que tout l'accroissement de la Canne cil renfermé dans un espace de 12 à 13 mois, & que le systême de culture qui lui" conviendra le mieux fera celui qui dans ses opérations, se rapprochera le plus du terme & des conditions de l'accroisse-ment de cette plante.

Or, le mois qui précède & celui qui fuit le moment où le soleil passe au zénith d'un pays, font ordinairement deux mois

N 4

Martinique

200 ESSAI SUR L'ART d'un sec allez considérable pour qu'ils ne soient pas même regardes comme équiva-lais à un seul , eu égard a la végétation, qui cil confiante au contraire, & a-peu-près uniforme pendant tout le relie de l'année ; quelle seroit donc l'objection qu'on pour-roit faire contre le choix du moment où commence la plus longue, la plus confiante , & la plus uniforme succession de mois recon-nus pluvieux , pour mettre en terre une plante dont chaque noeud dépose, comme je l'ai déjà dit, par fa longueur & fa grosseur au temps de la coupe, la quantité de pluie dont il a été favorisé ou privé, dans la semaine où il a paru , & dont tous les développe-* mens utiles s'accomplissent dans le cours d'une année.

Les pluies font quelquefois tardives, dira-t-on ; cela cil vrai, & ne prouve autre chose sinon , que les années ne se ressemblent pas; qu'il faut être toujours prêt à planter aux premières pluies décidées; qu'avec cette pré-caution , dans les années favorables on plan-tera dès le dix, le 15 ou le 20 de Mai ; que clans une année très-sèche , on ne commen-cera qu'au 15 de Juin ; que si Juin est sans pluie , on prolongera la dernière partie de fa récolte , afin d'avoir le plant nécessaire pour planter en Juillet ; que dans le cas ( à citer), ou le sec régneroit encore en Juil-let, on citeroit effectivement cette année comme très-extraordinaire , ce qui console-roit un peu ; l'on acheveroit cependant fa récolte; on renverroit la plantation en No-, vembre, & l'on seroit cette année, comme

DE CULTIVER LA CANNE. 201 on l'est toujours dans le systême de la grande culture, très embarrassé pour avoir de bon plant, & obligé d'y sacrifier peut-être trois ou quatre quarrés de Cannes ; le pis aller de la petite culture seroit donc cette année-là de faire comme la grande.

Je rétorquerai l'objection des sectateurs de la grande culture ;

Il est possible qu'il ne pleuve pas en No-vembre , & j'ai vu , plus d'une fois, le mois très pluvieux de Décembre, se palier fans une goutte de pluie, que faire alors? ren-voyer la plantation jusqu'en Novembre sui-vant ? L'on s'en gardera bien ; on calcule trop strictement les sacrifices auxquels on n'est pas habitué ; on trouverait trop cruel d'avoir coupé une pièce de Canne, je sup-pose en Février 1780 , & de ne pouvoir la replanter qu'en Novembre 1781 , pour ne la couper qu'en Février ou Mars 1783 ; on croira , au contraire , très-fermement cette année-là , que les Cannes plantées en Mai & Juin, font excellentes à couper l'année d'a-près; on citera des années où elles ont donné autant que les Cannes plantées en Novembre; on plantera donc aux premières pluies : tou-tes les fois que cela est arrivé par nécessité, il n'y a pas un habitant qui pour prouver qu'on peut planter une fois en Mai & Juin, ait oublié une syllabe des meilleures raisons que j'ai données pour prouver que ces deux mois font toujours la saison la plus propre à planter; car ce que j'ai dit de meilleur & de plus concluant dans tout le cours de cet-ouvrage, est certainement ce que personne

202 ESSAI SUR L'ART n'ignore , & dont il n'y avoit plus qu'a tirer la conséquence.

Qu'on me permette de le répéter ; les fai-sons n'ont point été assez étudiées : leurs effets fur la Canne ont été plutôt jugés qu'approfondis ; & cependant il est bien dif-férent d'avoir décidé fans trop d'examen qu'une saison n'est pas propre à telle opé-ration ; ou d'avoir examiné fi elle y étoit propre , ou ne l'étoit pas. Je demande seu-lement qu'on l'examine.

Les premiers besoins du plant font modi-ques, les averses fi fréquentes dans le mois ou le soleil tend a son plus grand éloignement ( Décembre ) , font a la vérité très-rares en Mai & Juin ; mais alors , il y a beaucoup de grains modérés ; ils suffisent en tout temps pour les premiers efforts de la végé-tation , & ils font bien plus efficaces après un grand sec , à la fuite duquel la nature semble se dédommager de l'espèce d'inac-tion dans laquelle elle a été retenue.

Mais il ne suffit pas de fixer le temps des plantations, il faut dire un mot fur la ma-nière de planter ; voici celle qui m'a paru la plus avantageuse , lorsqu'on est décidé à brûler les pailles fur la pièce , méthode très-vantée, très- critiquée , & que j'appelle feulement très-expéditive , & par conséquent préféra-ble , jusqu'a ce que l'avantage d'enterrer les pailles au lieu de les brûler, ait été un peu mieux prouvé.

DE CULTIVER LA CANNE. 203

OBSERVATIONS

Sur la manière de fossoyer, de planter les Cannes , & de traiter les Cannes plantées.

Dans le systême de la grande culture , il semble qu'on ne s'occupe que du produit des Cannes plantées ; les habitans des Isles voisines, de qui nous l' avons emprunté, paroissent fondés fur une rai Ion bien forte ; leurs rejetons communément font au-des-sous du médiocre. Ils seroient peut-être dé-dommagés , comme je l'ai à-peu-près dit, de la peine qu'ils prendroient à examiner, fi ce n'est pas parce que leurs Cannes plan-tées font trop belles , que leurs rejetons font fi misérables; on a vu les raisons que j'ai de le soupçonner ; & dans cette suppo-sition je leur ai proposé , au lieu de plan -ter leurs Cannes en Octobre, Novembre & Décembre pour les couper quinze mois après, parce qu' alors elles auroient acquis tout 1'accroissement dont elles font suscep-tibles; je leur ai proposé, dis-je, au contrai-re de chercher la solution du problême sui-vant :

Quel est le degré d'accroissement qu' il faut laisser prendre aux Cannes plantées , pour trouver dans les rejetons une vigueur qui dédommage avec usure, de la perte qu'on fait sur le produit d'une coupe anticipée. Tel fut en d'autres mots, a la vérité, l'objet de l'examen de notre premier principe. Cela ne s uffit pas ; cherchons encore, quelle est l'espèce

204 ESSAI SUR L'ART de culture qu'il faut donner, & qu'il suffit de donner à la Canne pour y réussir.

On trouvera dans le développement suc-cessif de mes idées, l'espèce de solution que je luis capable de donner à ces deux ques-tions, en attendant que quelqu'un plus heu-reux nous favorise d'une meilleure.

Lorsqu'on voudra fossoyer une pièce de Cannes, on laissera, fans y toucher, la partie destinée a former la trace quand le temps fera venu de brûler (I). Lorsque les Nègres revien-dront du travail matin & soir , ils prendront fur cette partie les pailles qu'ils doivent porter chaque jour aux fourneaux : on découvrira trois pieds de l'autre partie, dont on mettra les pailles fur celles de la trace dont je viens de parler , on fossoyera les trois pieds décou-verts , l'on mettra la paille des trois pieds fui vans fur les fosses qu'on vient de faire , observant de laisser exposée a l'air autant qu'on pourra de la terre qu'on aura retirée de ces folles. On observera aussi de mettre toujours par-dessus les pailles qu'on vient de placer fur les fosses , les souches qu'on arrachera dans l'espace des trois pieds qu'on découvrira de nouveau , & dont on fera tomber la terre-

(I) Avant de fossoyer une pièce de Cannes , on fait à l'en-tour, sur la pièce même , une trace de 40 à 50 pieds , d'où l'on enlève avec soin toutes les pailles , qu'on jette plus en avant dans la pièce : ensuite on met le feu aux pailles ; c'est une attention nécessaire pour empêcher le feu de gagner d'une pièce à l'autre ; on verra dès les premières lignes qui vont suivre, pourquoi je laisse, au contraire, les pailles sur cette partie de la pièce.

DE CULTIVER LA CANNE. 205 attachée aux racines ; on fossoyera de même Je nouvel espace découvert ; on le recouvrira comme le précédent, & ainsi du reste ; fos-soyant toujours après avoir découvert, & re-couvrant après avoir fossoyé. Je le répète, que les pailles soient rangées fur les folles de façon à laisser exposée à l'air la terre qu'on en a tirée ; & qu'on ne découvre la terre qu'à mesure qu'on la fossoye ; cette opération est longue , mais c'est pendant le sec qu'on est obligé de la faire dans mon systême; puisque l'Attelier de réserve commence à fossoyer aussi - tôt que la première pièce de Cannes est coupée; & l'on trouvera certainement la terre beaucoup plus ailée à fossoyer fi l'on n'ôte les pailles qu'à mesure qu'on fossoye, que fi l'on commençoit par brûler à l'ordi-naire toute la pièce, qui avant d'être fossoyée, resteroit plusieurs semaines exposée a l'ardeur du soleil ; outre que malgré la largeur qu'on donneroit aux traces, pour empêcher le feu de gagner d'une pièce à l'autre, il y auroit bien de l'imprudence à brûler pendant le sec dans un temps où la plus grande partie de la récolte est encore fur pied. L'intérieur de la pièce fossoyée, on fossoyera la trace qui pour lors fera dénuée de pailles , puisqu'on les aura , comme je l'ai déjà dit, enlevées jour-nellement en revenant du jardin.

La trace fossoyée, on y distribuera le fumier, fi la terre est aride ; mais on observera avec le plus grand foin de le couvrir avec le peu de terre meuble qu'on grattera aux cotés & dans le fond des folles, afin que le soleil ne le dessèche pas.

Vers la fin d'Avril, vous mettrez le feu à

206 ESSAI SUR L'ART la pièce fossoyée,le soir d'un jour qu'il aura fait une pluie modérée , & qu'il n'y aura pas de vent ; cette méthode de brûler la terre a des contradicteurs, elle la de/sèche, dit-on; la feule chose que j'aie observé à cet égard, c'est que telle ondée qui n'eût pas été sensible fur une terre qu'on n'auroit pas brûlée, la rend aussi meuble que le terreau, lorsqu'elle succède au feu. Or , observez dans quelles circonstances je fais brûler; c'est après que la plûpart des pailles ont été enlevées pour les fourneaux; tic c'est le soir d'un jour ou il aura plu ; l'aliment du feu est trop léger & en trop petite quantité ; le feu passe donc trop rapidement pour produire cette espèce de calcination qu'on paroît redouter; il ne peut avoir d'au-tre effet que de faciliter le travail de la plan-tation , d'échauffer la terre, de la dilater, & de la rendre plus perméable à la pluie & aux sels des cendres qu'il laisse après lui. Je crois donc pouvoir, sinon recommander, du moins justifier cette opération ; vous verrez ci-après que le fumier est déja rendu ou il est né-cessaire ; distribuez-en maintenant une partie dans chaque fosse des endroits maigres ou suspects ; un bon pannier partagé en six , fera tout autant qu'il en faut pour ce premier temps ; celui du fumage complet viendra ,

on ne sauroit l'anticiper fans s'exposer à perdre le bénéfice d'une partie des pluies que rien ne peut compenser ( je voudrais qu'on ne perdit jamais de vue ce point fonda-mental ).

D'ailleurs, je ne saurois comprendre la né-cessité d'une grande quantité de fumier dans

DE CULTIVER LA CANNE. 207 ces premiers momens ; une heure de bonne pluie , après un soleil long & vif fur une terre ainsi fossoyée & brûlée , en ameublit plus qu'il n'en faut, en la mêlant dans les endroits maigres avec le peu de fumier que je prescris, pour fournir à la subsistance des premières racines & des premiers jets, quel-que force, quelque accélération que ce mé-lange des cendres avec la terre & le fumier puisse produire dans la végétation : les pluies subséquentes ameubliront de nouvelle terre à mesure que la plante se fortifiera & de-mandera une nourriture plus abondante. A chacun des premiers sarclages qu'on fera très-près l'un de l'autre, le premier un mois au plus tard après que le plan aura été mis en terre, on en fera tomber de nouvelle dans la fosse ; mais veillez à ce qu'on n'en ramène pas assez pour que les jets déjà sortis se for-tifient trop aux dépens des nouveaux que j'attends, & qui ne sortiront promptement, qu'autant que le plan ne fera pas surchargé : au troisième sarclage, qui le fera lorsque la plan-te haute de deux pieds & demi, trois pieds, aura des racines plus sortes, plus longues, & qui chercheront à s' étendre encore davantage, ce fera le vrai temps d' égaler la terre, de fumer complettement (voyez le travail d'Août), & d'en'labourer les intervalles, afin d'y mieux incorporer le fumier qu'on aura répandu par-tout , mais plus abondamment auprès des louches que fur le relie de la superficie.

Les deux premiers sarclages faits dans le temps, & aussi rapprochés que je le demande, ne prendront pas plus de temps qu'un sar-

208 ESSAI SUR L'ART clage ordinaire fait plus tard ; le troisième se-ra plus long, par le fumage complets le labour qui l'accompagne , mais je réponds qu' il ne sera pas possible d' en donner un quatrième : cependant Ci vous pouvez donner le premier labour allez tôt pour en donner un fécond en travers dix à douze jours après le premier, vous trouverez peu de différence entre votre terre & celle d'un jardin ; c'est à quoi il ne faut jamais manquer après une mauvaise ré-colte : vous aurez alors du temps de reste pour tout ; si vous lavez l'employer, l'année suivante vous dédommagera infailliblement de celle qui l'aura précédée.

examen

DU CINQUIÈME PRINCIPE.

Il doit nous rester ,

au 15 de Mai , le quart de notre récolté à faire , & elle ne doit pas finir avant le dernier de Juin.

Il seroit difficile de se refuser aux raisons dont je me fuis servi pour établir ce principe dans l'exposition que j'en ai faite p. 104 & 105 mais il est aisé d'éluder le principe en parois-sant souscrire aux raisons fur lesquelles il cil fondé. Ce n'est point un phantome que je vais former pour avoir le plaisir de le com-battre , c'est une ressource prétendue réelle, fur laquelle j'ai vu trop de gens compter, & dont j'ai vu trop de gens dupes, pour ne pas tâcher d'en faire voir l'incertitude. Le

propriétaire

DE CULTIVER LA CANNE. 209

propriétaire d'une Sucrerie , fur - tout lors-qu'elle est peu considérable, est-il environné de grandes habitations, où l'on se croie obligé de prolonger les opérations ? Sa position lui suffit pour se regarder comme certain d'avoir du plant, tout aussi long-temps que ses voisins feront du Sucre ; en conséquence il poursuit imprudemment fi récolte, & croit trouver un avantage décidé, dans la facilité de se pro-curer chez autrui ce qui exigerait un léger sa-crifice pour le conserver chez lui-même ; cette maxime est au moins imprudente ; le moin-dre contretemps, & la moindre altération dans le plant de ses voisins , le jettent dans le plus grand embarras, & nécessitent des sacrifices réels , bien plus considérables que ceux auxquels il a voulu se soustraire. Ne compter fur personne , ou du moins agir comme fi l'on ne comptoir fur personne , est peut être la feule règle de conduite dont on ne se soit jamais repenti ; ce n'est point un sarcasme contre l'humanité , c'est une précaution contre les évènemens.

Quelques bornées que soient vos posses-sions, attendez pour avoir recours a vos voisins, que des accidens que vous n'avez pu prévoir ni prévenir, vous aient mis dans la nécessité de vous livrer a leur discrétion, & ne perdez jamais de vue:

1°. Que c'est une chose prouvée , décidée , qu'il faut planter aux premières pluies, afin que votre plant soit plutôt en terre, qu'il soit plutôt sorti, & qu'il ne perde aucune semaine de nœuds qu'il peut acquérir.

2°. Qu'il est très - possible que vous ayez *O

210 ESSAI SUR L'ART pris l'apparence du renouveau pour la réalité; & que l'intervalle entre les premières pluies & les fécondés soit assez considérable pour que votre premier plant meure , & vous oblige d'en chercher d'autre pour replanter.

3°. Qu'il seroit aussi peu étonnant que des accidens de plusieurs espèces vous privassent de la ressource du voisinage, ou l'éloignassent allez pour déranger des mesures dont une exécution ponctuelle peut feule vous assurer tous les fruits.

4°. Qu'il est probable que le plus honnête , le plus complaisant de vos voisins vous fera acheter le service dont vous avez besoin , par la peine de couper au moins en partie les Cannes dont il vous abandonnera le plant.

N'hésitez donc point a prolonger votre récolte , je ne dis pas jusqu'au moment où votre dernier quarré de terre fera planté, mais jusqu'a celui où les premiers feront recourus , & les autres assurés de l'être au besoin.

Nous verrons dans l'examen du dernier principe, le chimérique des prétendues pertes qui paroissent résulter de l'exécution des deux ; examinés conjointement.

examen

DU SEPTIÈME PRINCIPE.

Il faut commencer la récolte avec l'année.

APRÈS les explications que j'ai données au commencement de l'examen du quatrième principe , je ne risque rien à prendre pour

DE CULTIVER LA CANNE, 211 règle de mes opérations, un temps déterminé qui ne demande pour chaque pays que l'exa-men du moment où la nature prescrit d'entrer en action.

Il ré fui te de la réunion du principe que je viens d'examiner , & de celui - ci , une facilité, une certitude dans toutes les opéra-tions, qui devroit feule décider à les adopter, quand on n'y seroit pas déterminé par une autre considération fort importante , celle d'une dépense visiblement inévitable, d'un tiers de plus en Nègres, bestiaux , bâtimens & ustensiles nécessaires pour faire en quatre mois l'ouvrage que j'étends jusqu'a six.

L'objection la plus spécieuse qu'on puisse faire contre ces deux principes , est tirée de l'avantage qu'on prétend, trouver, à faire la récolte entière dans les quatre mois où les Cannes rendent, dit - on , le plus de Sucre , & où le Sucre se fait le plus beau & le plus aisément ; j'ai dit que je prouverais qu'en reculant les bornes de la récolte, je n'affectois ni la quantité, ni la qualité du Sucre ; je commencerai par examiner les effets de mon systême fur la quantité.

Tout le monde dit, les Cannes rendent plus de Sucre en Avril,elles en rendent moins en Janvier & Juin ; pour fixer le sens de cette expression , comme nous avons fixé l'idée de maturité, examinons les effets que le sec & la pluie peuvent produire fur les Cannes ; j'argumenterai, suivant mon usage , d'après un fait connu de tout le monde.

Dans le mois de Janvier, où deux cens ga-lons de vesou rendent quatre vingt-dix à cent

O2

212 ESSAI SUR L'ART livres de Sucre effectif, neuf a dix charges de mulets fournissent les Cannes nécessaires pour donner cette quantité de jus ; il faut quatorze à quinze charges de mulets pour fournir cette quantité de jus dans le mois d'Avril , où ces deux cens gallons rendent 150 livres de Sucre ; donc la seule différence sensible qu'ily ait entre le temps où les Cannes rendent le plus & celui où elles rendent le inoins, c'est que la même quantité de Sucre contenue dans la même quantité de Cannes, y est divisée pendant le sec dans une moindre quantité d'eau , c'est-à-dire, en d'autres mots que le Sucre est plus concentré dans la saison. du sec , que dans celle de la pluie. De Février en Avril, le soleil presquecontinuel,absorbe une partie de l'eau contenue dans les Cannes, des pluies modérées, & qui continueroient toujours dans le même degré, la leur ren-droient fuis doute insensiblement ; mais du premier Juillet à la fin d'Août, quelquefois un peu plus tôt, quelquefois un peu plus tard , la pluie augmente, ainsi que le degré de chaleur qui agit dans les intervalles des grains ( ou ondées ), & la sève , pompée avec force dans des canaux prodigieusement dilates , y en-traîne avec elle une grande quantité de terre ; bientôt elle se porte presque en entier vers la tête de la Canne, & non-seulement pendant* qu'elle y travaille à la production de la flèche , mais encore jusqu'au temps où la flèche est entièrement sortie , mure , & prête à tomber, l'on ne trouve plus dans le corps des Cannes, tant de celles qui flèchent, que de celles qui ne flèchent pas, de quelque

DE CULTIVER LA CANNE. 213 âge que les unes & les autres puissent être , que beaucoup de terre , fort peu de jus, & du jus très - peu chargé de Sucre ; la flèche tombée, la sève reprend ion cours ordinaire , là Canne se remplit également, & fournit, comme avant fa révolution , suivant le plus ou moins de pluie, plus ou moins de jus, dans lequel la même quantité de Sucre est plus ou moins concentrée , & plus ou moins accompagnée de parties terreuses. Ces détails minutieux, dont j'ai déjà parlé, & qui proba-blement n'étoient ignorés de personne, prou-vent du moins que la quantité réelle du Sucre ne peut être affrétée par ma méthode, & que les frais essentiels, dans le temps que je prescris, suivent toujours la proportion du produit réel ; car il faut plus de Nègres pour couper quinze charges de mulets, & plus de mulets pour les charroyer.

Où seroit donc l'avantage de tout forcer, je le répète, pour faire en quatre mois , ce qu'on peut faire en six avec tant d'aisance ? Seroit-ce dans la facilité de se procurer d'ex-cellent chauffage ( pour les fourneaux de la Sucrerie) ? Mais avec les précautions que je recommanderai en divers endroits ( & autant que je pourrai à leur place ), il ne faut d'autre chauffage que celui des bagaces & des pailles que les Nègres portent le matin & le loir en revenant du travail. Seroit-ce dans la qualité du Sucre ? c'est ce qui nous reste a examiner, & deux mots suffiront maintenant pour dé-cider la question.

Le Sucre n'est autre chose que le sel essen-tiel de la Canne , recelé dans son jus ; or , le

O 3

214 ESSAI SUR L'ART raisonnement & l'experience nous ont appris que le jus contenu dans chaque nœud de cette plante , est dans fa perfection , relati-vement aux parties qui le composent, aussi-tôt qu'il a acquis la maturité que j'ai appellée absolue , c'est - à - dire, aussi - tôt que la feuille est desséchée ; nous venons de voir, a la vérité, que la quantité de terre & de matières étran-gères , qui passent dans le corps de la Canne , est d'autant plus considérable que la végé-tation est plus active, c'est-à-dire , que les altérations de chaleur & de pluie se succèdent rapidement ; mais comparez au tableau, Pl. I. la quantité de pluie qui tombe en Janvier & Juin,avec celle qui tombe depuis Juillet jus-qu'en Janvier, voyez de combien celle de Jan-vier &: de Juin peuvent altérer, ou pour mieux dire, obscurcir le jus de la Canne ; & bornez-vous à dire qu'en faisant du Sucre en Janvier & en Juin , vous chargeriez le Rafineur d'une opé-ration un peu plus délicate, d'un redoublement de foins, dont vous le débarrassez en renfer-mant (es opérations dans les quatre mois les plus secs del'année; dans ce cas, la sublimité du motif qui vous décide au choix de la saison , suffira fans doute pour le justifier ; mais ne dis-tinguez pas rigoureusement deux saisons rela-tivement au Sucre, l'une fort longue Se très-mauvaise , l'autre fort courte & très - favo-rable; c'est perpétuer l'enfance de l'art, c'est calomnier la nature, puisque c'est lui imputer des fautes dont vous ne devez accu fer que l'ignorance & l'inattention de l'ouvrier.

Je conviens cependant, que fi l'on pouvoit être certain qu'il n'arriveroit aucun accident

DE CULTIVER LA CANNE. 215 soit au moulin, soit aux chaudières, & qu'on eût déjà une quantité de Nègres , de bestiaux & de bâtimens, supérieure aux travaux convenus, il y auroit quelque bénéfice a restreindre la ré-colte dans l'espace de cinq mois, & alors ce seroit Janvier qu'il conviendrait de retran-cher, comme le mois le plus propre à l'accrois-sement des Cannes ; Juin partie de Juillet étant d'ailleurs, l'un toujours , l'autre quel-quefois nécessaires pour la plantation ; mais dans l'impossibilité où l'on est de répondre des accidens,spécialement de ceux qui peuvent arriver aux moulins à eau, & encore plus aux moulins à vent , il me semble qu'on devrait regarder au moins comme une imprudence , de préférer les avantages modiques, j'ose mê-me dire douteux, d'une expédition précipitée, à la tranquillité que donne fur tons les évène-mens, un plan qui les suppose, & qui laisse toujours , comme en réserve, le temps né-cessaire pour y remédier. Le peu que j'ai dit suffit d'ailleurs , pour prouver que le mois de Janvier & celui de Juin , peuvent être consacrés a la récolte , sans affecter d'une manière sensible ni la quantité , ni la qualité du Sucre ; mais ce qui intéresse l'extraction de ce ici, demande un article particulier, & quoique mes lumières à cet égard soient très-bornées , j'ouvrirai peut - être la route qui doit conduire à des connoissances plus éten-dues, & plus faciles ce me semble à acquérir, que nos charlatans de Rafineurs ne voudraient nous le persuader.

Terminons ce chapitre par quelques expé-riences qui confirment mes principes.

O 4

216 ESSAI SUR L'ART

EXPÉRIENCES

Sur lesquelles on peut juger mes principes , les conséquences que j'en ai tirées 3 & les proposi-tions les plus importantes qui y sont relatives.

PREMIÈRE EXPÉRIENCE.

N. B. Si Ton vouloit réitérer l'expérience r

il faudrait choisir dans les deux pièces de Cannes sur lesquelles on voudrait la faire, à-peu-près la même qualité de terre & la même exposïtion , comme on choisiroit le même-temps ; il est évident que il l'on choi-sissoit d'un côté un terrein numide , & de l'autre une terre sèche , les résultats feraient nécessairement différens.

Le VESOU est le jus de la Canne. L'EMPLIE est le produit en Sucre, de deux chau-

dières de vesou de 200 gallons chacune. J'ai fait dans la même semaine du mois

de Février 1774 , dix emplies de la pièce de terre que j'appellerai A , les Cannes âgées de 10 mois, & 10 emplies de la pièce que j'appellerai B, les Cannes âgées de 15 mois.

Le vesou de la pièce A, étoit un peu ver, dâtre.

Le vesou de la pièce B, étoit fort brun, les autres caractères de l'un & de l'autre ve-sou , étoient ceux qui font ordinairement affectés à ces deux couleurs.

Les différentes emplies de l'une comme de l'autre pièce, m'ont donné la même quan-

DE CULTIVER LA CANNE. 217 tité de Sucre ; savoir , alternativement six & sept formes de Sucre de huit gallons cha-cune, & le Sucre étoit également beau.

Cela prouve que chaque nœud de Can-nes prétendues de dix mois , contient autant de Sucre que chaque nœud de Cannes pré-tendues de quinze, pourvu que les nœuds soient de la même longueur &: de la même grosseur.

Cela prouve aussi que relativement au total de la liqueur, le Sucre contenu dans les nœuds d'une âge prétendu différent, se trouve néanmoins a la même époque , divi-sé dans une égale quantité d'eau.

Cela prouve aussi que tous les nœuds dont les feuilles font desséchées , ont acquis cette espèce de maturité que j'ai appellée absolue.

Cela prouve aussi que ce n'est pas l'âge des Cannes, mais le sec , qui augmente de Janvier en Avril , qui fait qu'en Janvier, l'emplie rend ordinairement six & sept for-mes , en Février 7 8, en Mars 8 & 9, en Avril jusqu'à 10 ; après quoi le Sucre mous-se, brûle même , si le Rafineur n'a qu'une routine ; de ce dernier point j'ai conclu que la plus grande perfection où les Cannes (les miennes du moins) pussent atteindre, étoit lorsque leur jus contenoit quatre parties d'eau , & une tant de Sucre que de melasse.

Cela prouve aussi qu'en sacrifiant le hui-tième des nœuds que je conserverois , Il dans mon systeme , la coupe des rejetons n'étoit pas annuellement anticipée d'un mois, je ne puis perdre qu'un huitième du Sucre

218 ESSAI SUR L'ART sur cette partie. Le dédommagement a été déjà démontré.

Cela prouve aussi que la couleur du ve-sou n'intéresse ni la quantité ni la qualité du Sucre, mais elle sert d'indice pour le trai-ter d'une façon ou d'une autre ; nous le ver-rons à l'article de la Fabrique du Sucre.

SECONDE EXPÉRIENCE.

Une pièce de terre que j'appellerai C, plantée à la fin de Mai 1768, & coupée en Juin 1769, m'a donné 655 formes,ci. 655

Coupée en Mai 1770, elle m'en a don-ne ... 655

Coupée en Avril 1771 ? elle m'en a don-

né 530 Coupée en Avril 1772, elle m'en a don-

né 613 Coupée en Mars 1773, elle m'en a don-

né . . 580 Coupée en 1774, partie en Mars, par-

tic en Juin, elle m'en a donné . . . 490 Le produit annuel & confiant de la pièce

C, prouve que l'anticipation d'un mois à chaque coupe, laisse h la louche toute fa vigueur.

Le peu de différence qu'on observe entre le produit de la cinquième année , & celui de la première, prouve aussi qu'il devoit y avoir en 1773 , à-peu-près la même quantité de souches qu'on avoit plantées en 1768.

Et le total prouve enfin que la solution du problême indiqué, p. 203 , quel est le

DE CULTIVER LA CANNE. 219

degré d'accroissement qu'il faut laisser prendre aux Cannes plantées

3 &c. est très - digne de la re-

cherche des vrais Agriculteurs, quoique a l'exposé seul, on pourroit être tenté de le regarder comme un paradoxe allez étrange.

TROISIÈME EXPÉRIENCE.

Il faut observer que les Cannes coupées à l'âge de 10 mois dont j'ai parlé à la pre-mière expérience , étoient à leur seconde coupe.

Or, comme la terre où elles avoient été plantées, étoit très-aride, très-exposée au vent & a l'air dévorant de la mer, elles avoient été coupées comme je l'ai dit à l'âge de 10 mois Cil Février 1774, pour sauver la souche.

Or , elles avoient été coupées en Avril l'année 1773 , âgées aussi de 10 mois , pour sau-ver également la souche.

Or, elles avoient été plantées l'année d'au-paravant 1772, au mois de Juin, cultivées a la vérité suivant nia méthode, mais cepen-dant comme on peut l'imaginer d'un pre-mier essai, qui suppose un défaut d'expé-rience & de réflexions sans lesquelles on ne peut jamais atteindre le vrai point.

Or, cette terre aride me donna cependant par quarré à sa seconde coupe , presque autant que la seconde coupe de ma meil-leure terre , & le tiers plus que ma terre ordinaire.

Donc 20 quarrés d'une pareille terre cultivée comme ils devraient l'être

, donneraient autant que

220 ESSAI SUR L'ART 30 quarrés de la même terre , traitée suivant la culture ordinaire.

Donc le succès des Essais, dont j'ai peut-être ennuyé mes lecteurs dans l'examen de mon second principe, acquiert un degré de probabilité d'après lequel on peut sans im-prudence hasarder une tentative ; & si nous voulons même considérer comme un sim-ple encouragement, les conséquences bril-lantes , qui par rapport au revenu , décou-lent ce me semble nécessairement des expé-riences dont je viens de parler , elles suffi-ront encore pour nous arrêter sur les con-séquences solides qui seules peuvent réaliser les premières, & nous dirons sans craindre de nous répéter :

Donc l'objet de notre étude , comme Agri-culteur, doit être de trouver quel est le tra-vail, quelle est la quantité & l'espèce de fu-mier , ou d'amendement, que chaque pièce de terre exige, pour égaler la meilleure :

Donc notre perfection fera de nous bor-ner courageusement, à ne planter annuelle-ment , que la quantité de terre que nous pourrons assez bien travailler & fumer pour l'égaler à la meilleure ; & notre sagesse consistera a pren-dre bonnement ce qui se trouvera dans les autres pièces que nous entretiendrons de notre mieux, en attendant l'année où nous pourrons les rendre très - bonnes aussi ; a moins qu'une plus longue expérience à leur égard , ne nous ait appris que le travail & le fumier qu'elles exigeroient , ne fût plus avantageusement placé sur quelqu'autre par-tie de notre terre, moins disgraciée de la natu-

DE CULTIVER LA CANNE. 221 re ; auquel cas, nous femmes convenus que la nécessité de cultiver des plantes moins exi-geantes que la Canne, étoit une ressource qui ne manquoit jamais pour les mauvaises terres, quand on n'étoit pas assez fou pour la mé-priser.

Concluons encore , que sur les terres in-férieures , ce n'est pas le nombre des Nègres, qu'il faut augmenter ; mais, comme je l'ai dit, celui des bestiaux qui donnent le plus de fumier & le meilleur ; d'où il suit que tel qui croit avoir besoin de 25 Nègres de plus, en a peut-être 25 de trop , dont il fe-roit plus avantageux pour lui d'avoir la va-leur en bestiaux.

Et sur-tout disons aussi , que le fumier donnant une augmentation de revenu aussi considérable , il faut employer bien scrupu-leusement a s'en procurer tout le temps dont nous pouvons disposer ; mais remarquez-bien , je vous supplie, la conséquence que je vais en tirer ; donc le temps où nous ne faisons pas de Sucre

3 est tout aussi précieux que le temps de

la récolte ; car si l'on peut dire , quelle néces-sité de préparer une récolte, si vous ne la faites pas ? On peut dire également , com-ment la ferez-vous, fi vous ne l'avez pas pré-parée ?

Donc avant de détourner un seul Nègre ( car c'est à cet égard sur-tout qu'il faut être avare ), avant d'entreprendre aucun de ces petits ouvrages , qu'on appelle de commo-dité , & qui ne font le plus souvent que de fantaisie qui n'occupent, dit-on, que qua-tre ouvriers & le double de gens foibles pour

222 ESSAI SUR L'ART les servir, vous n'oublierez pas de vous dire :

Lorsque de mes 150 à 170 Nègres, je suppo-se, j' ai déduit les malades, les enfans, les gardeurs de vivres, de bestiaux, de magasins, de Cannes & les domestiques les plus indis-pensables ; il ne m'en reste tout au plus que 100 effectifs au jardin , en comptant l'enfant de dix ans & la vieille Négresse de 60 ; or, il y a tant de travaux où le Nègre le plus foible vaut autant que le plus l'O-buste ! donc chacun de ces Nègres foibles , mis & toujours tenu a la place , produit réellement le centième du revenu de l'habi-tation ; donc quatre ouvriers & huit gens foibles, étés de 100 qui travaillent habituel-lement au jardin, y feront pendant tout ce temps de leur absence , un vide d'un peu plus que le dixième du travail qui s'y feroit fait; or, si le petit ouvrage est 50 jours a le faire , comme il le fera certainement, s'il peut être fait en , parce que la crainte d'aller au jardin joindre le grand Attelier après que le petit ouvrage fera fini, ne per-mettra pas aux quatre ouvriers & aux huit gens foibles, d'y mettre moins du double de temps qu'il faudroit ; donc le petit ou-vrage coûtera très-réellement plus du dixiè-me du revenu qu'on eut préparé pendant 50 jours de travail, ce qui est beaucoup d'ar-gent pour un petit ouvrage.

Vous ne vous abuserez point lorsqu'il vous viendra dans l'idée , que ce petit ouvra-ge se prépare & se fait en partie à la veillée, prétexte pitoyable quoique universel ; car tout ce qui se prépare & le fait à la veillée ,

DE CULTIVER LA CANNE. 223 fatigue, & empêche de bien travailler le jour suivant ; mais vous direz, il ne faut pas faire de veillées pour préparer les petits ouvrages , & les petits ouvrages feront proscrits, &c. &c. &c.

Réduisons nos principes en pratique.

CHAPITRE TROISIÈME.

SYSTÈME DE LA PETITE CULTURE RÉDUIT

EN PRATIQUE.

Distribution des Travaux.

SECTION PREMIÈRE.

Emploi des six premiers mois de l'année.

EN supposant que mes principes soient jus-tes, & admis, il est sans doute plus d'une fa-çon de les réduire en pratique. Je ne prétends point avoir imaginé la meilleure , mais je crois devoir exposer celle qui m'a paru la plus simple & la plus sûre ; d'ailleurs quelque imparfaite qu'elle puisse être , une idée en produit une autre; je ne me fuis jamais re-penti d'avoir connu celle d'autrui, j'ai tou-jours fair parler mon Econome & mon Com-mandeur avant de donner mes ordres, & peut-être ne m'est-il jamais arrivé que leur opinion ne m'ait pas servi a rectifier ,ou du moins à perfectionner la mienne : les vérités les moins

224 ESSAI SUR L'ART compliquées font rarement le fruit de l'expé-rience & des réflexions d'un seul homme: quel cil celui qui ne l'a pas éprouvé ? on trouve-roit plus aisément ceux qui rougissent d'en convenir.

On a vu que les six premiers mois étoient consacrés à deux opérations simul tanées, aussi essentielles l'une que l'autre : faire la récolte* & fossoyer la terre qu'on destine a replan-ter aux premières pluies. Pour établir d'une façon plus positive, la distribution des tra-vaux que je vais proposer, je fixerai un nom-bre de Nègres, quoique j'aie déjà prouvé que le nombre n'intéressoit en aucune façon mon systême ; la seule différence qu'il y ait d'un nombre à un autre pour le travail, c'est qu'avec 50 Nègres seulement, consacrés à l'exploitation, il fera peut-être mieux , si le moulin le permet, de couper des Cannes & de faire du Sucre le lundi, mardi, mercredi

& jeudi , & de fossoyer ou planter , le ven-dredi & samedi ; au lieu qu'avec 100, 120, 130Nègres, il fera mieux de faire deux Atte-liers , dont l'un servira le moulin & la sucre-rie, l'autre fera destiné a fossoyer a faire les autres travaux : les produits dans les deux cas , feront toujours relatifs aux moyens ; il est sensible qu'avec le même degré d'ha-bileté d'attention , l'on ne doit prétendre à faire dans le même temps, avec 50 Nègres, qu'un peu plus du tiers de ce qu'on feroit avec 130 ; & je préfère dans ma distribution la supposition de 130, parce qu'une quan-tité plus considérable de moyens est toujours plus embarrassante : si l'on n'avoit pas la

ressource

DE CULTIVER LA CANNE. 225 ressource de permettre à son Econome d'em-ployer trois Nègres , où deux suffiroient, on feroit souvent dans la déplorable néces-sité de s'occuper soi-même de combinaisons laborieuses pour tirer une espèce de parti des Nègres qu'on a de trop. C'est donc prin-cipalement en faveur de ceux qui font me-nacés de ce désagrément, que je crois de-voir entrer dans des détails qui puissent les débarrasser de toute autre attention que de veiller au maintien du même nombre de Nègres, une fois reconnu nécessaire , & à l'exécution stricte de quelques règles très-ailées à suivre, & qui auront toujours infail-liblement leur effet, sauf la différence des fai-sons, car la pluie est nécessaire dans tous les systêmes possibles.

Mais comme il est facile ordinaire de rejeter fur la saison, les fautes dont on est coupable soi-même , je supposerai que pour la justification des gens exacts , & la confu-sion des ignorans , ou pour mieux dire , des paresseux, les notables de chaque pays a sucre solliciteront & obtiendront, suivant les for-mes établies dans leurs colonies respectives , les ordres nécessaires pour que chaque Com-mandant de quartier , ou Officier préposé pour y maintenir la police,y tienne un regis-tre exact de la quantité de pluie qui tombera tous les jours de l'année ; ce registre fera re-mis tous le mois à la Chambre coloniale, & les extraits qui en feront délivrés, serviront de preuve au registre particulier que chaque habitant, présent, & sur-tout absent, s'il est sage, chargera strictement son Econome de

*P

226 ESSAI SUR L'ART tenir chez lui , ou suffira pour y suppléer. voici l'utilité de cet établissement.

Lorsqu'il fera une fois reconnu par l'expé-rience , que tant de lignes de pluie, depuis le 15 de Mai, je suppose , jusqu'au premier de Juin, ou depuis le premier de Juin jusqu'au 15, puis jusqu'au premier de Juillet, & ainsi jusqu'au 30 , suffisent, malgré les con-tradicteurs, pour humecter la terre au point de la planter sans risque ; fussé-je fous le pôle quand je recevrai mes deux extraits de registre , je saurai si c'est le premier, le 15, le 30 de Juin , ou bien le 15 , ou 30 Juillet feulement, que j'ai dû avoir ou n'avoir pas , de planté cette annnée-là, le nombre de quarrés que j'aurai fixé pour replanter cha-que année.

Et si par les extraits suivans , je suis en-core informé qu'il est tombé chez moi, ou du moins dans mon quartier , tant de lignes de pluie, tel jour d'Août, tant en Septem-bre , tant en Octobre, &c. ( ce qui aura constaté de la façon la moins équivoque & la plus authentique , l'année favorable, commune, ou mauvaise), je saurai consé-quement , qu'ayant donné tel nombre de Nègres, qui en tel temps, a telle époque y doivent avoir fait tant, de tel espèce de tra-vail que j'aurai prescrit très-rigoureusement, je dois recevoir telle quantité de sucre où telle autre, parce que ma terre étant de telle qualité , préparée de telle manière, plantée en tel temps , labourée a telle époque, fu-mée de telle façon ( puisque j'ai prescrit tant de temps pour préparer & charroyer le fu-

DE CULTIVER LA CANNE. 227 mier), arrosée de tant de lignes de pluie, à tels intervalles de temps, & coupée enfin dans tel mois , doivent m'avoir donné des Cannes en tel état & en telle quantité : Voyez Hist. de la Canne dans les différentes espèces de terreins de systêmes & d'années. Il n'est point cependant, & ne peut être question ici d'une précision géométrique , mais d'un appro-chant qui ne peut jamais faire une différen-ce d'un dixième ; or, quel est l'habitant ab-sent , qui ne transigeroit pas pour être assu-ré des neuf dixièmes du total que lui pro-mettent annuellement les opérations annon-cées par ses Régisseurs ? & quel est l'hon-nête-homme de Régisseur, qui ne desireroit pas que le propriétaire absent dont il tient la fortune dans les mains, ne pût attendre de son exactitude, des fonds plus considérables que ceux qu'il lui remettra réellement.

Me fera t-il permis de hasarder quelques idées sur les fuites d'un établissement du mê-me genre, je ne dis pas seulement dans chaque Royaume, mais dans chaque Province de l'Europe : il est vrai que la généralité

de nos récoltes Américaines, n'a rien pour ainsi dire de vraiment à craindre que le sec ; au lieu que les récoltes d'Europe, sujettes a plus d'inconvéniens , demanderoient des ob-servations météorologiques plus étendues; mais cependant s'il résultoit du relevé des observations déposées chaque année dans les registres des différentes Académies de France, d'Angleterre, de Russie, &c. que telle ou telle quantité de pluie , à telles ou telles époques, quoique précédée ou suivie

P 2

228 ESSAI SUR L'ART de telles autres circonstances météorologi-ques, a constamment donné dans les diffé-rens pays où ces observations auroient été fai-tes, les années fertiles, communes ou mau-vaises , c'est-à-dire les doubles, les simples, les demi récoltes, il me semble qu'au moyen d'un établissement pareil dans chaque Pro-vince , & de la connoissance exacte qu'il donnerait au public de ses observations & de leurs résultats, les différens Gouverne-mens, & tout le peuple qu'il est souvent fi difficile de tranquilliser, & si dangereux de laisser dans l'inquiétude, feraient instruits au moment où ils le voudraient,de la quan-tité comme de l'espèce de secours a donner ou à trouver dans une Province on dans une autre, & même des ressources du nord ou du sud pour y suppléer. Quelle différence pour le commerce, chargé de procurer le dé-ficit , d'avoir à spéculer sur l'énoncé d'un pareil établissement, ou sur les idées vagues qu'il peut se faire, d'après des avis de cor-respondans quelquefois intéressés à diffimu-ler la vérité, qu'ils ne peuvent même dans la manière ordinaire connoître qu'imparfai-tement! quel rempart contre le monopole, dans l'exposition publique de ce tableau non suspect de tous les pays où régnerait l'abon-dance, & de ceux à qui il suffiroit d'etre mena-cés de la disette, pour n'en avoir rien à crain-dre! ajoutons maintenant (car il ne faut ja-mais s'oublier), quelle satisfaction pour no-tre Amérique d'avoir donné l'exemple d'un établissement dont l'étendue peut seule bor-ner l'utilité !

DE CULTIVER LA CANNE. 229 Donnons donc les deux règles suivantes

comme invariables , & comme les seules capables de motiver l'espérance du Martre & la justifïcation de l'Econome.

PREMIÈRE REGLE, invariable.

Assujettir l'Econome a tenir un Journal exact de la pluie & des travaux , & à l'en-voyer chaque mois si l'on est absent.

SECONDE REGLE, invariable aussi.

Maintenir constamment la quantité de Nègres, reconnue un peu supérieure à l'exé-cution du plan prescrit.

Les règles suivantes font moins précises ; quelques-unes font subordonnées a des cir-constances locales, d'autres à descirconstances de saisons, d'autres enfin a des circonstances d'évènemens, qui toutes peuvent obliger à des modifications: mais je ne saurois trop recom-mander d'établir en tout des règles aussi fixes qu'il est possible : l'ordre en touta son effet nécessaire, & l'ordre invariable seul, peut pro-duire l'effet que nous cherchons.

TROISIÈME REGLE.

Formez deux Atteliers de vos Nègres tra-vaillans que j'ai supposés être au nombre de 130 (I) : l'un destiné à couper les Cannes „

(I) On appelle Nègres travailleurs , les Nègres fur les-quels on peut compter journellement pour le travail; 130 Negres travaillans supposent un capital de 200 Nègres.

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230 ESSAI SUR L'ART servir le moulin , la sucrerie , la purgerie , la rummerie , &c. fera composé de 80 Nè-gres , & peut suffire a une récolte de 350 a 450 formes par semaine : l'autre de réserve destiné au fossoyage & aux travaux d'occur-rence, fera de cinquante Nègres ; l'Attelier de réserve , quoi qu'en grande partie composé des Nègres les plus foibles, fera sous la direc-tion du premier Commandeur, parce que les travaux qui lui font destinés, font d'une telle nature , & souvent fi minutieux , que les Commandeurs subalternes pourraient en imposer journellement, s'ils en etoient char-gés ; au lieu que s'ils se relàchoient dans la partie qui leur cil confiée , leur négligence feroit immédiatement sentie soit au moulin par le manque de Cannes , soit à la sucre-rie par le manque de vesou.

QUATRIÈME REGLE.

Vous trouverez celle-ci peu importante, & cependant si vous y tenez sévérement la main , elle préparera deux semaines au moins d'occupation , aux deux Atteliers réunis pour un temps où ils ne peuvent avoir que des travaux de cette espèce ; vous le verrez à l'article des fumiers & du travail de No-vembre & Décembre.

Pendant toute la récolte , que les Nègres ne reviennent jamais du travail sans porter leur charge de pailles pour les fourneaux de la sucrerie ; je n'excepte que les temps de pluie un peu forte, ce qui est rare dans la saison de la récolte. Observez qu'il est pres-

DE CULTIVER LA CANNE. 231 que impossible que la moitié des Nègres ne vous trompent sur leur charge , si vous ne les astreignez pas a se servir de petits bran-cards de roseaux, avec lesquels deux Nègres sans être surchargés, portent autant que qua-tre.

Cette règle ne regarde pas plus strictement l'Attelier des coupeurs de Cannes, que l'At-telier de réserve, à moins qu'il ne fallût que celui - ci se détournât beaucoup pour les venir chercher en revenant de son travail particulier.

Les femmes girofles feront seules excep-tées, & les Nègres foibles porteront de sim-ples paquets.

Prenez garde cependant qu'on ne décou-vre point entièrement la terre ; plus les en-droits font exposés au sec, plus ils deman-dent qu'on y conserve de pailles ; après un mois de sec , la terre couverte de paille est plus humide, qu'elle ne l'est après deux jours de soleil, lorsqu'on les a totalement enlevées.

CINQUIÈME REGLE.

Hors les cas ci-après spécifiés , l'Attelier de réserve fera constamment employé à porter des fumiers ou autres amendemens , près des pièces que vous devez replanter , jusqu'à ce qu'il y en ait un ou deux quarrés de coupés. Aussi-tôt après, il commencera à les fossoyer. Voyez aux Observations sur la ma-nière de planter , comment il faut procéder à cet ouvrage.

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232 ESSAI SUR L'ART N. B. 1°. Afin de pouvoir vous rendre un

compte exact de la quantité d'amendernens que chaque jour doit vous donner, & la proportionner aux besoins , faites - les placer dans des espaces réguliers que vous toiserez : un quart-d'heure de votre présence à chaque changement de distance de portage , & la hauteur qu'il vous donnera sur l'espace fixé , vous suffira pour lavoir ce que vous pourrez exiger & espérer lorsque vous ferez absent : il est évident que si dans un quart-d'heure vous avez vu élever de trois pouces, le tas de fumier dont vous aurez déterminé la base , six heures du même travail , continué pen-dant votre absence , doivent vous donner une hauteur de six pieds : mais contentez-Vous toujours de l'à-peu-près. C'est la faci-lité de tromper dans ces travaux minutieux , facilité contre laquelle d'autres affaires plus pressantes vous empêchent souvent de vous précautionner, qui m'engage à ne les confier qu'au premier Commandeur ; vous verrez ci-après par quels moyens on force en quelque façon l'exactitude de ce premier Comman-deur.

La qualité du terrein décidera de la distance qu'il faudra mettre entre les monceaux de fumier , & de la hauteur qu'il conviendra de leur donner. On conçoit qu'il y a tel quarré auquel il faut mille pieds cubes de fumier, & qu'il y en a tel autre dans lequel cette quantité ne donnerait, peut - être , pendant deux ans, que ces cannes si superbes & si peu sucrées dont j'ai parlé. Je dois cependant prévenir que je n'ai jamais vu l'excès du fin

DE CULTIVER LA CANNE. 233 mier produire des Cannes de cette espèce dans un terrein planté en Mai & Juin , & coupé douze mois après ; observation réité-rée, mais essentielle, & bien favorable à mon systême.

2°. J'ai supposé cinquante Nègres, & qua-rante doivent suffire pour fossoyer, comme je le demande , un quarré & demi par semaine ; je dirois que trente y suffiroient, s'il n'y avoit pas un petit ajouté d'embarras, dans la façon dont j'exige qu'on place les pailles avant & après avoir fossoyé ( Voy. Observations sur la manière de planter ).

3°. Les cas exceptés dont j'ai parlé au com-mencement de cette règle , font les travaux fortuits qui peuvent , suivant leur qualité, demander tout l'Attelier de réserve , ou sa partie la plus forte,ou sa partie la plus foible : telle est la petite réparation annuelle qu'exi-gent les cafés à bagaces ; il y a toujours quelqu'une de ces cales qui demande ou un côté de couverture ( elles sont ordinairement cou-vertes de paille ), ou un faîtage, ou un pilier, &c. Examinez bien chaque fois qu'une case fera vide , & faites la petite réparation né-cessaire , c'est le moyen de n'en avoir jamais de neuve a construire, & de les avoir tou-jours toutes en état, parce que chaque partie se renouvelle successivement ; j'en dis autant de tout autre bâtiment. Réparez toujours, & si vos bâtimens sont seulement médiocres n'en faites jamais de neufs , sous aucun des mille prétextes qui ne manquent jamais: j'in-sisterai particulièrement sur cet article, parce que la fureur de bâtir est encore plus ruineuse

234 ESSAI SUR L'ART en Amérique qu'en Europe. Outre l'erreur ordinaire du tiers au moins sur l'évaluation de la dépense projettée, le temps des Nègres employés a servir les ouvriers & préparer les matériaux, est autant de dérobé a l'entretien des plantations, qui s'en ressentent quelque-fois pendant plusieurs années ; d'ailleurs, rien n'est si commun que de voir finir en Mars seulement, le bâtiment dont on espéroit jouir en Janvier ; l'on perd ainsi le tiers de sa ré-colte, & le bâtiment évalué a 30,000 livres

> revient à 80,000.

SIXIÈME REGLE.

Parmi les pièces que vous devez fossoyer, il faut choisir celle où la terre est la plus forte & la plus grade, pour la couper la première, & la fossoyer aussi-tôt, afin qu'elle ait plus de temps pour s'ameublir.

N. B. Si pour suivre cette règle, vous êtes obligé d'anticiper la coupe de quelque pièce, vous sentez que cela ne peut le faire sans re-tarder celle d'une autre, sur laquelle vous ga-gnerez nécessairement ce que vous aurez perdu sur la première.

SEPTIÈME REGLE.

L'alignement des fosses est une opération qui donne le coup d'œil le plus agréable à une pièce de Cannes pendant qu'elles font petites : on est enchanté de voir l'égalité des intervalles qui séparent les touffes ; mais aussi-tot que les Cannes ferment, c'est-à-dire qu'elles

DE CULTIVER LA CANNE. 235

sont assez grandes pour que leurs feuilles se croisent, & couvrent la terre , l'agrément est perdu : quant a l'utilité de cet alignement ( que je reconnois cependant nécessaire lors-qu'on fait des fosses de quatre ou cinq pieds ), je la trouve nulle quand on ne veut faire que des fosses de deux pieds Se demi ou trois pieds; c'est à-peu-près la distance que mettent tout naturellement entr'eux , deux hommes qui veulent travailler à leur aise ; cependant si vous avez seulement quarante fossoyeurs, cet alignement occupera au moins six jeunes Nè-gres à porter, planter, arracher, transporter encore & replanter de nouveau les piquets qui servent à fixer les intervalles ; je ne suis

onc point d'avis d'aligner, a moins qu'on ne soit assez fort en Nègres pour en consacrer impunément le superflu à un ouvrage qui a fort peu d'autre avantage que l'agrément de la plantation pendant trois mois de douze.

HUITIÈME REGLE.

Lorsque vous fossoyerez quelque pièce de fond, divisez la terre par quartés de cent pas, & que les intervalles qui répareront ces quar-rés soient de trois pieds, que vous ne fos-soyerez point ; ces intervalles vous serviront pour faire porter le fumier par vos Nègres, lorsqu'il s'agira de le répartir soit pour fumer complettement, soit pour amander : après la réparation des fumiers, labourez ces inter-valles.

On vous proposera de faire ces intervalles

236 ESSAI SUR L'ART plus considérables pour y faire porter le fumier par mulets, mais vous verrez ci-après que ce feroit autant de terre laissée inutilement incul-te: dans ma méthode, les fumiers transportés par les mulets ne peuvent être déposés qu'a l'entour des pièces, puisqu'on ne commence à taire ces dépôts que deux ou trois mois avant de couper les Cannes qu'on doit re-planter.

NEUVIÈME REGLE.

Suivez la même règle que ci-dessus, a l'égard des pièces en costières ( collines allez rapides ), mais avec quelque différence ; 1°. faites les intervalles un peu moindres. 2°. Au lieu de laisser 100 pas de distance entre les intervalles horisontaux , n'en donnez qu'environ trente. 3°. Au lieu de laisser ces intervalles fans les fossoyer, faites- y de petites fosses d'un pied de profondeur en comptant la terre qu'on en retirera : ces fosses auront 8 pieds de long » elles feront séparées par des banquettes d'un pied. Observez que les banquettes supérieures ne soient pas vis-à-vis des inférieures ; ces fosses doivent aussi être de niveau, elles ser -viront au double usage & de recevoir la terre que les avalasses entraîneraient, & de donner un chemin pour porter le fumier à droite & a gauche de la division.