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N. IORGA Professeur l'Université de Bucarest, Agree A la Sorbonne, Correspondent de linstitut, Directeur de l'Ecole Roumaine en France. ESSAI DE SYNTHÉSE L'HISTOIRE DE L'HUIYIANITÉ DE 111 EPOQUE MODERNE LIBRAIRIE UNÍVERS1TAIRE J. GAMBER, Editeur 7, RUE DANTON, 7 PARIS 1928

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N. IORGAProfesseur l'Université de Bucarest,

Agree A la Sorbonne, Correspondent de linstitut,Directeur de l'Ecole Roumaine en France.

ESSAI DE SYNTHÉSE

L'HISTOIRE DE L'HUIYIANITÉ

DE

111

EPOQUE MODERNE

LIBRAIRIE UNÍVERS1TAIRE J. GAMBER, Editeur7, RUE DANTON, 7

PARIS

1928

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ESSAI DE SYNTHÈSE

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L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

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ESSAI DE SYNTHÈSE

JOE

L'HISi)1lll DI L'HUIIIINIU

PAR

N. IOR.GAProfesseur à l'Université de Bucarest

Agrée" t7t la SorbonneCorrespondant de l'Institut

Directeur de l'Ecole Roumaine en France

III

ÉRoquE iviommFtiNe

PARIS

LIBRAIRIE UNIVERSITAIRE

J. GA MISER, tol-rEuFt

1928

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D. N. IORGA

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ÉPOQUE MODERNE

CHAPITRE PREMIER

La Triple France du roi Charles VII.

Rien n'annonçait en Occident, au moment où s'établis-sait une France royale, inattaquable, incontestee, en faced'une Angleterre de plus en plus pénétrée d'un espritanglais et désormais bornée au contour de ces Iles, lecommencement d'une nouvelle ere régie, pour les paysles plus avancés dans leur evolution politique, par l'iddedominatrice de la royauté.

Partant de la France, où on a cru reconnaltre un peutrop RA l'existence de ce qu'on appelle la « monarchieabsolue », un terme dont les contemporains de CharlesVII, bien que teintés d'un esprit de Renaissance, auraientété en peine de saisir le sens 1, le vainqueur sansvictoire des Anglais exténués et lentement rejetés d'unpays où leur « droit dynastique » n'avait pas réussi itimplanter des racines, n'en impose guère. Elle est encoreassez mediocre la figure que fait ce petit roi maigre auxjambes fréles, aux yeux fuyants, vétu médiocrementd'une façon qui rappelle les tristes années de son début 2.

Rien ne subsiste des pompes et des brillantes fêtes quiavaient distingué et compromis le règne de son pere. 11n'y a pas de Cour, et pendant longtemps il n'y en aurapas. Les traditions importées par l'accorte dame de

I Voy. Foster Eirk, Histoire de Charles le Téméraire, III, Paris,1866, p. 7 : . En l'année 1470, l'Espagne n'était qu'une collectionde petites souyerainetés indépendantes ; la France aussi n'est qu'unnom, mais le nom d'une idée dont on n'attendra pas longtemps laréalisation ».

2 Basin, Histoire des règnes de Charles VII et Louis XL Paris1855-1858, I, p. 312.

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2 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

Milan ont disparu avec la prospérité de la famille d'Or-Mans, dont un rejeton, héritier des qualités des Visconti,se gagne dans sa « prison » anglaise, oil il chante le prin-temps et les femmes, une réputation de poéte, immortelle.Il n'y a pas même, à vrai dire, une capitale. Charles serappelle pendant toute sa vie de cette longue et doulou-reuse époque d'épreuves pendant laquelle « ung simplecompte d'Angleterre menoit plus grant estat que les royet royne de France i », et « la possibilité estoit bienpetite 2 » pour ses parents écartés par le roi de fait,régnant, l'Anglais, « les fleurs de lis estant bien bas etvenues en déclin 3 ». Une fois, it la mort de son mal-heureux père, le « dauphin », persécuté jusqu'alorspar les hommes et la fortune, porta la pourpre, alors queles hérauts criaient « Vive le roi 4 ». Depuis, on vitrarement cette Cour, poursuivie par le souvenir desanciens soucis, faire bombance comme jadis ; quelquespauvres danses « moresques » au mariage de l'héritierroyal, Louis, méritèrent d'être notées par des chroni-queurs assoiffés de pompes 5. Le roi, que ses sujets nepensaient pas trop à chercher et ne s'empressaient pastrop de défendre, était « solitaire » de gait et je diraismême de politique 6 ; on le vit une fois entrer « en lice 0,au mariage de l'Angevine Marguerite avec Henri VI d'An-gleterre, mais on sentait bien qu'il n'y était guère enclin 7,La dauphine, une princesse d'Ecosse, au cceur sensible etmélancolique, occupait son temps « à faire rondeaux tel-lement qu'elle en faisoit douze pour un jour 8 » ; espion-

Chronique de Charles VII, roi de France, par Jean Chartier, éd.Vallet de Viriville, I, Paris 1858, p. 209.

Ibid., p. 210. Le méme dit, en parlant de la reine Isabeau :n'y avoit de conduiseurs que quatre personnes seullement, comme-se c'eust esté la plus petite bourgeoise de Paris » ; ibid., p. 211.

3 Ibid., p. 212.4 Dufresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, II, p. 56.

Ibid., III, p. 38.6 Ibid., IV, p. 84.7 Ibid., p. 93.

Ibid, pp. 106 et suiv.

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CHAPITRE PREMIER 3

née et calomniée, abreuvée d'amertumes et soufiletée desoupyons, elle devait s'éteindre dans un milieu dont pou-vait se trouver bien la seule accoutumance résignée dusouverain maladif 1 Il fallut les relations tardives avec labelle Agnès Sorel pour que le trésor royal s'ouvrit large-ment, fournissant à la luxueuse favorite les moyens dejeter un reflet de plaisirs sur cette terne monarchie,pareille à celle d'un Charles V « le sage » de grisemémoire 2. Revenu à ses appréhensions, il mourra à cin-quante-huit ans, non pas de sa maladie des pieds, quil'inquiétait, mais d'inanition, par crainte d'être empoi-sonné.

Louis XI, son fils et successeur, ne parait donc pascomme un original chagrin, une espèce de sale moinegrincheux dont la vie aurait tranché avec des coutumesroyales d'une plus grande ampleur, d'une certainerosité. Il n'y a qu'un masque, impressionnant de mai-greur et de malice, sous le chapeau de feutre, de modeen Orient aussi du reste, car les derniers Paléologuesimpériaux s'en coiffent, aux images de plomb protec-trices qui lui appartiennent ; l'ermite auquel il deman-dera qu'on lui épargne les affres de la mort était coutu-mier dans l'entourage des rois de France, et sa mèreavait eu recours à un sauveur de cette façon 3. Au con-traire de ce qu'on croit, il y a au commencement de sonrègne un peu de jeunesse, de fraicheur. La princesse deSavoie qu'il avait épousée en secondes noces, Charlotte,apporte de la patrie du Comte Vert et du Comte Rougeun peu plus de vie à ce qui n'est pas encore une Cour,que la pauvre princesse résignéè qu'avait été Marie d'An-jou, femme de Charles VII. Il paraissait vouloir se refaireà tout prix de sa vie « pauvre » dans l'exil volontaire, àla suite de ses agissements contre un père qui s'obstinait

On a souvent cité ses derniéres paroles : » Fi de la vie de cemonde 1 Ne m'en parlez pas D.

2 Ibid., pp. 170 et suiv. à la prise en possession de Rotten on jouedes » mystères » ; ibid., V, D. 23.

3 Ibid., pp. 415-417.

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4 I SS'.! DI; Sl VIIIESE DE L'IDWIODAL DL L'HUMANLTÉ

à vivre, et on ne le souffrait guère A une époque où leconite de Gueldre felt arrété dans la nuit et enfermé pen-dant longtemps par son ills, qui lni reprochait ouverte-ment avoir &passé presqu'un demi-siècle de gouverne-ment. Les splendeurs, qui seront bientôt présentées, de laCour de Bourgogne, où, La Geneppe, dans un modestemilieu de campagne, Louis avait cherché, avec sa femme,un refuge, le poursuivaient, l'invitaient à une rivalité dedehors qui dura assez longtemps 1 S'il ne fut pas pré-sent aux joutes qui célébrérent en 1461 son avènement 2,

le nouveau roi fit bonne mine devant ses « &Mies » bour-geois de Paris, empressés à se divertir sous le motif duchangement de règne 3. Et, à côté, c'était un doux chré-tien, dépensant volontiers quelques écus pour « un pou-vre homme dont il avoit fait prendre un chien », ou bien« pour une pauvre femme dont ses lévriers », car ilchassait avant de devenir le reclus qu'on sait,« avoient étranglé une brebis 4 ».

Mais, en somme, la France, loin de se gagner un maitreobéi et respecté, n'a plus de roi dans le .sens, agité et fas-tueux en méme temps, du moyen-Age 5. Elle n'a pas, nonplus, une noblesse. Les grandes fanailles se sont éteintes,au cours d'une si longue guerre, pleine d'incidents infi-nis, mais aussi par un simple hasard ; disons : par épui-sement. Il n'y a plus de vie dans les châteaux de plus enplus abandonnés ; leur rôle politique a, en tout cas, depuislongtemps cessé. A la place des seigneurs influents etdominateurs d'il y a un siècle, on trouve seulement les

i Voy. Foster Kirk, ouvr. cité. Don Carlos de Navarre chereheraabri contre le roi son père auprès de Charles VII lui-méme ; Du-fresne de Beaucourt, ouvr. cité, VI, p. 129.

2 ¡bid., pp. 91 et suiv.3 Legeay, Hisloire de Louis XI, I, Paris 1874, p. 262. II se tient aux

Tournelles.4 Dufresne de Beaucourt, loc. cit., p. 363 (ce passage des comptes

avait été du reste relevé par Michele°.5 Les ordres créés it cette époque, celui de saint Michel, du Crois-

sant, de la Toison d'Or, ne doivent pas faire d'illusion.

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CHAPITRE PREMIER 5

représentants de plus modestes branches collatérales,comme d'Alençon, ou Lien des bâtards comme ce Dunois,presque reconnu par la duchesse d'Orléans. Mais surtoutles nouveaux, dont la situation, due A. leur rôle pen-dant la guerre qui traina d'une tréve à l'autre, vientde finir, non pas autant par l'expulsion violente desAnglais de France que par leur lente retraite &courage.Ainsi, cet Arthur de Richemont, un vrai regent avec sondiscret titre de connétable, héritier, à travers des digni-taires moins illustres, du grand du Guesclin, ou la Tré-moille, dont radministration a pu être nominee «regne I».

On peut à. peine parler d'une organisation royale rem-plaçant un ordre de choses qui tend à disparaltre. Il n'y apas d'administration. Les sénéchaussées, les prévôtés sub-sistent comme auparavant sans que l'autorité des repre-sentants de la royauté en efit été le moins du mondeaccrue. Les villes se conservent telles qu'elles ont Re,avec la diversité de formes venant de leur développe-ment different. Il y a un juge-mage à Toulouse, des con-suls à Nimes, Charles VII ayant osé A. peine une foisdétruire un consulat 2. Les mesures prises par le secondde ces rois « modernes » se bornent à quelques privi-leges, à l'établissement des « chevaux courants » de laposte, avec ses « maitres coureurs », à quelques ordressecrets contre les bourgeois agités 3. Aucun plan d'en-semble, aucune action suivie. Les Etats généraux ou prb-vinciaux se sont bornes, sous Charles VII, à discuter lesimpôts, à recommander la paix avec les Bourguignons, lajustice ; rien des anciens projets de réforme, au carac-tere révolutionnaire 4. L'armée, dont on a tant de fois

Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, II, pp. 228 et suiv., 259 etsuiv., et Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII.

2 Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, I, pp. 200, 201.3 Legeay, ouvr. cité, I, pp. 273 et suiv. Des droits de hanse

Troyes ; Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, II, p. 643.4 Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, I, pp. 362-363 ; VI, pp. 361 et

suiv. Cf. Georges Picot, Histoire des Etats généraux, 4 vol., Paris,1872.

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6 ESSAI DE Si %THESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMA.NITE

souligné In nouveauté et la valeur, avec ses francs-archers,avec ses compagníes d'ordonnance, de la « grande » et de

la petite avec ses capitaines et ses commissaires, avecses confréries bourgeoises, joue un reile beaucoup moin-dre que celuí, bien exagéré, qu'on s'obstine A lui attribuer.En cam de danger, le rol disposera, sous Charles, aussibien que sous Louis, surtout de la garde écossaise, que lesecond, rebelle contre son père, avait jadis dénoncéecom me étant maitresse de la Francel, des archers dela grande garde, à casaques en trois couleurs, et des sei-gneurs qu'il a le droit d'appeler sous la bannière, maisqui se sont habitués à discuter, d'aprés leurs intérétschangeants, cet ordre. On pourra recueillir à peine unequinzaine de mille de soldats, d'un caractére bien dis-parat. Et la couronne n'aura qu'un seul puissant atoutmilitaire : celui d'une artillerie qu'elle ne partage qu'avecson grand rival de Bourgogne. Aussi, en 1441, lors dumouvement de la « Praguerie », imitation niaise deschoses de Bohéme, d'une autre légitimation, tendance etenvergure, lorsque le due de Bretagne et de Bourbon,Alençon, Trémoille, Montpensier, Vendôme sont ensemblepour une échauffourée complètement manquée, lors ducoup préparé par le méme d'Alençon avec les Anglais,la force réelle du roi ne dépasse pas celle de ses ennemisempétrés dans les mailles de leurs propres intrigues 2.

Mais ce qu'il y a en échange c'est le double avantagedu territoire nouvellement unifié sur la base de souvenirsmillénaires qui n'ont jamais été oubliés et, ensuite, l'essorvers les plus hautes situations et les plus hardies entre-prises d'uu « impérialisme » qui vient de saisir toute unenation réunie par la solidarité des souffrances et parl'unité de la victoire. Une France anglaise avait disparuavec le dernier « godan 3 », quittant cette terre d'en deçàde la mer 2. Pendant leur séjour, qui avait duré, pour

Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, IV, p. 192 ; VI, p. 434, note 7.s Jeanne d'Arc avait pensé it une croisade contre les hussites.s Dn juron anglais : god damn.

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CHAPITRE PREMIER 7

certaines provinces, deux siècles et mame plus 1, ilss'étaient gagné quelque popularité par une tolérancequ'on manque trop de constater, de souligner au moins.Ils avaient respecté, précisément i cause de leur caractèreétranger, toutes les institutions et les accoutumances dupassé. En Guyenne, on se sentait assez bien sous l'autreroi de France. Car il ne faut pas oublier que jamais ladomination de la maison des Plantagenet, française d'ori-gine, n'avait revêtu le caractère d'une conquéte, capablede s'en prendre aux formes traditionnelles de la vie poll-tique et administrative. Dans leur manifestation théori-que, Henri V et surtout Henri VI, couronné et légitimé parl'Université de Paris, ce que certains de ses conseillersinsulaires regardaient avec envie, &talent bien des roisdu royaume de France 2 dont ils parlaient courammentla langue, et le mari de la fille du bon roi René d'Anjou,Marguerite, qui le dominait, méme avant ses accès defolie, venait de resserrer ses liens avec la nationalité fran-çaise. Il y avait pour une ville comme Bordeaux desavantages économiques A l'union avec la Grande-Bre-tagne. Dans le territoire disputé méme, les vicissitudesde cette longue guerre avaient créé des villes autonomes,libres d'accepter ou non, comme Soissons, Troyes etReims aussi, le Reims du couronnement, les troupes del'un ou l'autre des deux « rois de France ». Avec la dis-parition du régime anglais un héritage communal reve-nait h Charles VII, héritage qu'on n'a pas assez remar-qué S.

i Sur le nombre si souvent indflment magnifié de ces étrangersde langue et de coutumes, voy. Anatole France, Histoire de Jeanned'Arc, I, p. XLIX: a Il fey avait en France qu'une poignée d'An-glais ».

2 Voy. Anatole France, loc. cit., p. 4, sur a le caractère de la sou-veraineté que revendiquaient leurs princes (des Anglais), la nature

, des droits qu'ils faisaient valoir et qui reposaient sur les institu-tions communes aux deux pays a. Cf. J. Stevenson, Letters andpapers illustratives of the wars of the English in France during thereign of Henry VI, Londres, 1861-1864.

3 Cf. Anatole France, ouvr. cité, II, pp. 459, 515.

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8 ElISM DE SYNTHkE DE L'HISTOIRE DE L'HUSIANITÉ

En 14 10, Charles avait redemandé k celui qu'il n'inti-tulait plus, cotnme auparavant, son « adversaire », maisqui Mail devenu son « trés cher oncle de France », paysdont il continuait cependant it porter le titre royal, laSaintonge. Un peu plus tard, Henri VI, échappé h latutelle de l'évéque de Manchester et de l'impérieux Suf-folk et sountis de plus en plus it l'influence de sa vaillantefemme, avait promis personnellement d'abandonner leMaine. Le Mans fut occupé, de fait, en 1446 1. En Nor-!handle, le dauphin de Bourges entre comme « souverainnaturel et droiturier seigneur ». Partout c'était une res-tauration contre les usurpateurs qui se valaient de titresde droit empruntés att male arsenal dynastique. En1450, ce fut le tour de cette Guyenne, fiére de sa bour-geoisie, dont les membres combattaient en champ closCOMM des chevaliers 2, de ses nombreuses communesdix-sept au tour de la llorissante I3ordeaux, qui devaitrapidement &choir, dépouillée de sa « jurade » de con-seillers, de sa Cour supr6me, au niveau du Parlementde Paris 3 Il fallut vaincre une antipathie locale, renfor-eh par des imp6ts lourds A l'égard d'un passé de tolé-ranee, et des seigneurs gascons allèrent demander cesecours anglais qui ne devint inutile qu'après la mort dubouillant Talbot et de son fils, après la capitulation desBordelais, bien décidés it ne pas devenir Français d'uneautre façon moins savantageuse 4.

La Provence seule restait encore sous un reste de domi-nation apanagiste. Ce brave homme qui était René d'An-jou, roi de Naples par hérédité, mais pas aussi par unepossession assurée, avait commencé par combattre pour

1 Dufresne de Beancourt. ouvr. cité, IV, pp. 144, 159 et suiv 166-167, 184-185, 284 et suiv 309 et suiv. ; V, p. 11.

2 Champollion-Figenc, Lettres de rois, reines et mitres personnesdes Cours de France et d'Angleterre depuis Louis VII jusgu'It HenriIV, firers des Archives de Londres, par Breguigny, II, Paris, 1839,p. 444 et suiv.

3 Voy. ibid.2 Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, V, pp, 261 et suiv.

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CHAPITRE PREMIER

l'héritage lorrain ; cette première ambition lui valut uneprison prolongée, pendant laquelle, avec sa barbe, crutson talent de poke, bien réel, quoique d'une médiocreoriginalité. Libre des consequences de cette aventure en1437 seulement, il se jeta dans l'autre, pour ce Midi enso-leillé de l'Italie où l'attendait la succession légitime,plutôt une des successions, toutes les deux légitimes, dela fameu,se reine Jeanne. Il y put fonder une Université,mais pas aussi établir un trône. En 1442, il était à Flo-rence, et un siège de quatre ans lui procura l'avantage devivre au milieu des monuments splendides du moyen-Age italien (dans sa bibliothèque, pleine de livres latins etgrecs, il y avait le Dante et Boccace). La Lombardie putadmirer ses ébats de bon chevalier, pas trop imposantd'aspect, mais de grande Arne et de doux comportement,en 1453. Quand l'âge le retint chez lui, où il s'occupaitplutòt des fantômes de son imagination, DouIce Mercy,Désir, Espérance, Vaine Jalousie, Cceur d'Amour épris,que du gouvernement d'un pays de très paisible ordre tra-ditionnel, appuyé sur des coutumes séculaires, son fils,Jean, portant, comme héritier du trône napolitain, le titrede duc de Calabre, se chargea des chevauchées dans lepays séduisant et dangerèux des vieux aventuriers nor-mands. De 1458 à 1460, on parle souvent en Italie de sesexploits et de ses échecs, de ses fières équipées, vaines. Onput croire cependant à tel moment que Naples lui resteraplutôt qu'à l'Aragonais Alphonse, qui ne devint qu'ici,grice aux richesses qu'il y put découvrir, un Magnifique.Evincé par ce rival, plus heureux, non seulement b. laCour de la vieille reine, mais dans les hasards des camps,il s'attaqua au royaume d'Aragon, dorit il fut, en 1466,un roi de parti, pour finir d'une façon imprévue et plutòtobscure 1

Quand Louis XI héritera de fait de cet héritier d'espé-rances, par la cession de Charles d'Anjou, remplaçantlui-même René de Vaudemont, unique neveu du vieux

1 Lecoy de la Marche, Le Roi René, 2 vol., Paris, 1875.

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10 MAI DE SYRTIIESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

poate et peintre toujours amoureux, mais, en fin deeompte, de sa propre femme, Jeanne de Laval, il trou-vera, en 1481, certains essais d'organisation, comme leConseil de Provence, la Chambre des comptes, la législa-tion du comté d'Anjou, recueillie et unifiéepar ordre du souverain Ici encore, on ne pouvait guaresonger à des innovations théoriques telles que toutrégime contemporain se croit obligé d'octroyer aux terri-toires dont il devient le maitre. C'était encore un paysassocié plutôt qu'annexé, qui continue à vivre de sa vieplutdt que des instructions venues d'une capitale qui nel'était que sous le rapport d'un trés ancien prestige etqui, du reste, appartenait au roi beaucoup moins sincare-ment que telle autre de ces bonnes villes récemmentacquises.

Mais l'idée de la Gaule unitaire vivait dans l'Eglise,qui, elle, n'avait jamais été décbirée et restaurée par leshasards des conquétes et des retours. Charles VII visaitmame, après Caen et Rouen, Calais, restée entre lesmains de Henri VI 2 Quant à la région mitoyenne duRhin, de BAle aux embouchures du Rhin : Alsace, villesépiscopales libres, c'était un point de programme pourla seule conquate future" de l'Est celto-germanique. Et,avant tout autre empachement ou motifs de retard, il yavait le problème bourguignon, celui de cette troisiameFrance, qui paraissait irréductible.

Charles VII, prudemment, temporisa, non sans risquer,aussitôt que l'occasion était favorable, des coups d'essai,dont son prestige au moins devait profiter, ses droits endevenant d'autant plus forts et mieux connus.

Ce prestige ne dépendait pas mame des frontières, deplus en plus larges, de cette France du roi qui tendait

Lecoy de la Marche, ouvr. cité, I, pp. 286-287, 369 ; cf. ibid.,pp. 394, 395.

2 Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, V, p. 195.

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CHAPITRE PREMIER 11

devenir celle de la nation entière. Charles se sentait,méme dans les démélés, concernant la Pragmatique Sanc-tion, avec le Pape, qui, en 1425, avait cherché à amenerpar son intervention la paix dans le royaume ir étrel'héritier de Saint-Louis 2 Ort disait de lui que ce monar-que, toujours ami de l'Eglise, n'a cessé jamais d'étre « lechien au grand collier » 3.

Ses droits à l'hégémonie dans la chrétienté catholiquevenaient de très loin, et on voit ce prince de peu de savoirdemander A deux « chroniqueurs » qu'ils rattachentl'histoire de la France à « la destruction de la très-noblecité de Troye, jadis fond& en Frige, en la partie del'Asie qui est la principale du monde 4 », L'Empire luiserait dfi, h. ce descendant de Charlemagne ; on disaitaussi à son fils Louis que, « si Dieu par sa grice donnoitque le Roi, vous et Monseigneur de Bourgogne fussiez enbonne intelligence..., la trés-chrétienne Maison de Franceen bref auroit en main et l'Empire et les royaumes deHongrie et de Bohéme et l'honneur de secourir la Foi,laquelle, si par le roi et vous n'est secourue, assez auraaffaire..., plusieurs grands seigneurs et presque tout lecommun peuple d'Allemagne s'attendant que ainsiadvienne, et le désirent 5 ».

En 1452, l'empereur allemand, le Habsbourg Frédéric,fils de Viridis Visconti 0, celui qu'on se représentait enFrance comme « un homme endormi, lâche, morne,pesant, pensif, mélancolieux, avaricieux, chiche, craintif,qui se laisse plumer la barbe à chacun sans revanger,variable, hypocrite, dissimulant et h. qui tout mauvaisadjectif appartient, et vraiment indigne de l'honneura7, tint h. affirmer, le lendemain de son mariage avec

1 Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, II, pp. 365-366.2 Ibid, V, p. 215.3 'bid, II, p. 350.4 Ibid., VI, p. 405.5 Ibid. p. 201.5 Ibid., II, pp. 427-429.laid.

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12 ESSAI DE SYNTHESE DE L'H1STOIRE DE L'HUMANITE

Eléonore de Portugal, son autorité suprême, souventinvoquée vainement par les prêcheurs de croisade, en Ita-lie même. Le 19 mars, il était à Rome, où il se fit couron-ner, pour paraitre aussi, en mai-juin, à Venise, provo-quant par sa diplomatie d'intrigues et de convoitises denouveaux conflits au lieu d'apaiser ceux qui, devant ledanger turc, déchiraient la péninsule. A ce même mo-ment, le roi de France descendait avec une suite mili-taire peu accoutumée jusqu'à Lyon, ayant l'air de vou-loir faire lui aussi son voyage d'Italie 1. On parlait ouver-tement, dès l'année précédente, de la ipossibilité qu'il yaurait à faire de ce prince, qui avait tant de relations sui-vies avec la Savoie, dont le duc lui était apparenté, avecMilan, convoitée par le jeune due d'Orléans, qui épouseraJeanne de France, fine de Louis, avec Florence etVenise 2, un César romain 3. Le due de Milan, qui, malgréle traité conclu avec Charles en 1446 pour conquérir,avec des forces françaises, Gênes déchue 4, ne le voulaitguère, craignant d'être dépouillé de ses Etats, héritage dela Maison de France, s'était gagné l'appui de Florenceet de Génes, dont l'argentier du roi, le riche Jacques.Cceur, propriétaire de vaisseaux de long cours, voulaitet de fait, la cité se donna à la France 5, - faire sa basepour le commerce du Levant ; il dénonçait formellementau Pape Nicolas V que « le roi de France prétendl'Empire 6 »

En 1444, lorsqu'il s'était agi d'éloigner ou de détruireles bandes anarcbiques des « grandes compagnies », le

I Ibid., pp. 165 et Sililr.2 Traité avec Florence et Venise le 21 février 1452 ; ibid., V,

p. 161.3 Ibid., pp. 163-164.4 Ibid., IV, pp. 232 et suiv.. 240, 252 et suiv. Cf. ibid., V, pp.

144-145.Ibid., VI, p. 233 et suiv. (année 1453). Pour Jacques Cceur et ses

projets, sa chute et son proces ; ibid., V, pp. 85 et suiv. Les mar-chands de Montpellier en Afrique, ibid., p. 389. Cf. Clement, JacquesCceur et Charles VII, trois éditions (1853, 186f, 1886).

6 Recordando ad Soa Santith chel re di Franza pretende al Impe-rio ; Rivisto storica italiana, II, p. 521.

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CHAPITRE PREMIER 13

dauphin Louis avait brisé l'assaut inconsidéré et furieuxdes Suisses, dans le pays desquels il était entré sans droitet sans raison, et il leur avait fait piller l'Alsace. Des cettedate, son pere avait pensé à Strasbourg 1. Bientôt il taterales dispositions des bourgeois de Verdun, de Toul, deMetz, proposant sa protection, dont l'idée ne séduisaitguère les Messins. L'archeveque de Trèves fut gagné, eton vit des ambassadeurs français à la diete de Francfort.On reste fidèle au fond à (C la grande aigle » d'Allema-gne, mais une convention avec la France royale fut jugéeutile par certains de ces bourgeois jaloux de leur autono-mie. 11 fallut la sommation du Habsbourg imperial pourque l'Alsace fat evacuee 2

D'un autre côté, le roi de France, qui, parent par samere de la Maison de Bavière, entretenait aussi des 'rela-tions en Saxe 3, négociait avec Ladislas, roi de Hongrie,qui, par son pere, Albert d'Autriche, roi et empereur,avait herité de possessions dans les Pays-Bas, pourgagner le Brabant, la Hollande et la Mande, puis leLuxembourg 4. C'est dans ce but plutôt que dans celuid'une collaboration de croisade après la prise de ons-tantinople que fut prepare ce mariage de Ladislas avecMadeleine, la fille du roi, mariage qui devait étre Mareà Prague avec une pompe extraordinaire, devant l'empe-reur, l'impératrice et les principaux princes de l'Empire,lorsqu'une mort suspectée mit fin à la vie du jeuneprince 5.

Avec cette Maison d'Autriche meme, qui n'entendaitpas quitter ses droits, devenus héréditaires, à l'Empire,des liens de famille existaient déjà aussi par la Maison

I Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, IV, p. 38.2 ¡bid., IV, pp. 52, 55-58. 59, 60-65. Epinal au moins fut prise,

ibid., p. 61. Des alliances en Allemagne, pour d'avenir ; ibid., p.57-69.

3 Ibid., VI, pp. e..06 et suiv., année 1459.4 ¡bid., IV, pp. 127, 344 ; VI, pp. 159 et suiv. Jean. frère de

Charles VII, avait épousé Jacqueline de Hainaut. Arthur de Bre-tagne épousa Catherine de Luxembourg ; ibid, IV, p. 101.

5 Ibid., VI, p. 162.

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14 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

de Bourgogne 1, et on en essayait de nouveaux : il futquestion du mariage de Jacques de France avec la sceurde Ladislas, qui pensait it en faire son héritier dans l'Em-pire 2, et dame Arradegonde, fille du roi Charles, pauvreenfant maladive, Raft destinée à Sigismond d'Autriche,de la branche ocoidentale 3, sans compter le mariage deCharles d'Anjou avec la fille du due Ernest 4. Marguerited'Anjou fut proposée à Frédéric III lui-méme 5. Ce quin'emp6cha pas l'empereur, qui désirait aussi se gagner lapossession du Brabant et de la Hollande, de proposer unmariage entre Ladislas et sa sceur Elisabeth 6

La cause de la croisade elle-méme parut gagner Char-les VII, dont le rôle dans le monde a été si injustementdiminué, peut-atre parce qu'il n'eut pas comme son suc-cesseur un biographe de la valeur de Philippe de Commi-nes. Celui qui reçut les plaintes du despote serbe EtienneBrancovitch, dès 1425 7, vit en 1461 h sa Cour les am-bassadeurs, accompagnés par un Franciscain, de Trébi-zonde, de la Perse, de la Géorgie, de l'Arménie, du « prétreJean », qui demandaient h. ce « roi des rois » un drapeaude croisade 8 Dans les projets d'expédition en Orient

La mère d'Albert d'Autriche Rah. Jeanne de Bavière ; Dufresne.de Beaucourt, ouvr. cité, III, p. 298.

2 Fortasse erit michi filius et heres ; Chmed, Materialien ZUF6sterreichischen Geschichte, I, Vienne 1837 ; II, 1838.

3 Dufresne de Beaucourt, 011VT. cité, III, pp. 295, 297, 304-305 ;puis on voulut lui faire épouser une Ecossaise ; ibid., pp. 369 etsuiv.

4 Ibid.5 Ibid., IV, pp. 304-305 ; PImpératrice voulait marier Madeleine

avec le roi du Portugal (ibid., VI, pp. 201 et suiv.).Ibid., IV, p. 356. Les relations de Charles s'étendaient jusqu'au

Danemark, utile contre l'Angleterre ; ibid., VI, p. 153.7 Ibid., II, p. 350.

Du Clercq, Mémoires, éd. Reitfenberg, Bruxelles, 1823, t. III,livre IV, ch. XXVII, pp. 130-131 ; Rinaldi, Annales ecclesiastici,annie 1461, §§ 35-36; Pastor, Gesch. der Piipste, II, et Heyd, Histoiredu commerce du Levant, p. 363 et suiv. Il eut aussi des rapportsavec les Hospitaliers de Rhodes, Dufresne de Beaucourt, V, pp. 39bet suiv. Sur ses rapports avec la Bosuie, Fez, Oran, la Caramanie,Vallet de Viriville, Hist. de Charles VII, III, pp. 440-441.

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CHAPITRE PREMIER 15

rédigés en Italie, c'est lui qu'on désignait comme le roinaturel 1.

Sift tons ces points, sauf celui de l'Italie, la royautéfrançaise devait concentrer la rivalité, l'opposition tenace,sinon le défi ouvert de la France bourguignonne, moinsvaste, mais beaucoup plus riche et d'un admirable essorconquérant, qui ne cessera méme pas avec la Maison dePhilippe le Bon.

Cette n.ouvelle Austrasie des successeurs de Philippe-ie-Hardi, qui se levait si énergiquement en Etat jeune etentreprenant en face de la vieille Neustrie françaisedes rois légitimes, avait pour base la réunion fortuiteentre la donation de la Bourgogne par Jean-le-Bon à sonfils avec l'héritage des comtes de Flandre apporté en dot,dès 1384, A. ce même prince par la comtesse Marguerite.Peu à peu, par la fatalité géographique, par les intérétséconomiques bien naturels et aussi par la persistance dessouvenirs historiques se reformait, ambitionnant bientatune couronne royale, la « part de Lothaire ». La mortd'Antoine de Brabant, seigneur de Limbourg aussi, en1406, y avait contribué 2.Il fallut acheter Namur unevingtaine d'années plus tard. Jacqueline de Bavièrelaissa, bien contre son gré, A. ces parents ennemis le Hai-naut, la Hollande, la Zélande, en 1436. La querelle entrele père et le fils en Gueldre et Frise devait amener leurréunion contre cette dynastie entière. Le traité d'Arrasavait cédé au due Philippe, en &change pour « un em-prunt » purement de forme, montant A 400.000 cou-ronnes d'or, les villes de la Somme. Ainsi se trouvèrentensemble des territoires dans lesquels la splendeur desriches villes, formant presqu'une continuité, se complé-tait par l'abondance des campagnes, vraies « terres de

Voy, aussi notre Geschichte des Osmanischen Reiches, II, p. 41.2 Le Limbourg ne fut annexé qu'après la mort d'Elisabeth de

G6rlitz en 1461 : Foster Kirk, ouvr. cité, I, p. 62. Anvers, héritière deBruges, et Malines marchaient avec le Brabant.

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16 ESSAI DE SYNTHESE DE L'IlISTOIRE DE L'HUSIANITE

promission 1 n. A côté de la France oil plus d'une foiss'était élevé le cri de famine « hélas, je meurs defroid, l'autre de faim » ce monde regorgeant de pros-périté paraissait une provocation et une insulte 2,

Le maitre de cette riche collection de territoires moinsdisparates qu'on n'en juge A première vue conservait,sous le long régne de Philippe-le-Bon, au moins avantle douloureux conflit avec le fils, ce comte de Charolais,Charles, Portugais par sa mère, qui contraignit le vieuxdue A se chercher un refuge dans les forèts, les splen-deurs byzantines que les Césars de Manche avaient trans-mises comme une tradition A leurs descendants. Auxrepas solennels, aux réceptions pompeuses, on ne voyaitque l'or rutilant et les éclftts de lumière des pierres pré-cieuses accumulées, dont on faisait bon marché, lesoffrant A. tout hôte de distinction, ce qui remplissaitd'ahurissement les bons pèlerins germaniques de pas-sage 3. On voyait, avec des chefs-d'oeuvre de mécaniqueeornme ceux dont s'enorgueillissait jadis l'Orient grec,dans tes salles à plusieurs rangées de galeries, avec destables recouvertes de toute une architecture en sucre,dont sortaient des oiseaux, des anirnaux, et milme unenfant, au son des orgues et des trompettes venant de cesmémes édifices éphémères, des allégories comme celle del'Eglise montée sur un éléphant et des monstres vivants,tel le « fort beau lion » dont parle une chronique A l'oeca-sion du festin oit filt proclamé, devant le faisan au collierd'or, le wen de croisade 4. En fait d'ornements d'un autre

I Commines.1 Cf. Foster Kirk, ouvr. cite, I, P. 37. Surtout en 1419-1420, le

spectacle de la misére populaire fut affreux.Cf. Foster Kirk, I, passim et le vieux livre si plein de couleur de

de Barante, Histoire des ducts de Bourgogne, Paris, 1824-1826voy, aussi les inventaires publiés par de la Borde.

4 Olivier de la Marche, Mémoires; Mathieu d'Escouchy, éd. Soc.de l'Histoire de France et Collection de documents inédits, Mélan-ges, IV, pp. 457 et suir. ; Chronigue de J. de Lalain, éd. Buchms,Paris, 1825.

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CHAPITRE PREMIER 17

gait, il suffit de rappeler que l'imagier, le sculpteur decette Cour de Dijon et de Bruxelles &tali le grand Fla-mand Claus Sinter et que parmi les valets de chambrefigurait Jean van Eyck, « excellent maltre en art et pein-ture ».

Enfin, alors qu'il n'y avait presque plus de che-Nalerie en France, l'exemple de Jacques de Lalain 1, pen-dant son écu à la « fontaine des larmes », pour inviterau combat singulier barons et princes de tous pays, de cemodéle de vertu, « beau comme PAris, pieux comme Enée,sage comme Ulysse, ardent au combat et irritable commeHector », prouve qu'en Bourgogne les générations de laguerre de Cent Ans se survivaient au milieu d'une sociétéavide de contempler de pareils exploits 2. Son émuleplus ardent, qui avait jouté même avec son inoubliablemodèle, était l'héritier de la Bourgogne et des Flandres,amateur de a joyeux comptes et faits de Lancelot et deGauvain », d'Alexandre-le-Grand aussi, et auteur de chan-sons, ce jeune homme « chaud, actif et despit », aux« yeux vairs et rians et angéliquement clairs », à la

noire chevelure espesse et houssue », qui devait aspi-rer A des choses encore plus hautes que son pére, et donton disait (MP. que « son semblant seulement le jugeoifempereur 3 D.

Avant la mort de Philippe, la Bourgogne se posait enchampion de la croisade et, aprés le vceu du Faisan, lesa3mbassadeurs du duc, venant A la dike de Ratisbonne,oil on discutait sur les moyens d'empêcher les progrès dela conquate ottomane, étaient reçus aux cris de « ViveBourgogne ». A Francfort, il y eut une nouvelle offre du

Un Simon de Lalain à Jérusalem et au voyage de Turquiedais Foster Kirk, ouvr. cité, I, pp. 258 et suiv. (d'aprés Haynin,Mémoires, I, Mons, 1842, p. 46).

Mame Chronique du bon chevalier messire Jacques de Lalain,id. I3uchon.

La Marche, II, p. 62 ; Foster Kirk, ouvr. cité, I, pp. 105, 102 etsuiv.

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18 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANIT*

duc, qui paraissait décidé 4 partir. En France aussi, oncroyait l'entreprise immanquable 1, et un envoyé byzan-tin, Manuel Agalo, espérait pouvoir mettre en branle enméme temps le roi et le duc, le dauphin avec son pére etavec Jean de Calabre, le duc de Milan avec les deux répu-bliques de Venise et de Florence 2. Or, Louis, qui avaitdep. 1.6\76 d'attaquer ces c, traitres chiens de Bourgui-gnons 3 a, cherchait en 1454 un refuge chez eux 4, et, mal-gré la paix de Lodi, qui devait dresser toute l'Italie, deNaples, gouvernée par le roi Alphonse, au royal Milan duduc usurpateur François Sforza, la péninsule resta cequ'elle était depuis longtemps, ce qu'elle était destinée4 Atre encore pendant des siècles : un champ de bataille,pour indigènes et étrangers.

Mais, ce qui Rail pour la Bourgogne une distractionchevaleresque de plus, et pour la France du roi un devoirtraditionnel, ajoutons : pour l'Empire de Frederic III unecharge dont le rappel était au plus haut degré désa-gréabie, représentait de fait pour la chrétienté entière leplus grave des dangers et le plus grand des problèmespolitiques.

I On fait un paiement it o François le Franc, du pays de Grèce,neveu de Thomas le Franc, médecin du roy.... pour aller It la guerrecontre le Grand Turoq » ; Dufresne de Beaucourt, ouvr. cité, V,p. 414, note 3.

3 Ibid., p. 413 et suiv. cf. ibid., VI p. 141 (prétexte de l'inimitiéanglaise pour excuser l'abandon de ces projets). Cf. aussi l'An-nuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire de France, année 1882,pp. 283 et suiv., 292 et suiv.

3 Dufresne de Beaueourt, loc. citée, VI, p. 121.I Ibid., pp. 64 et suiv., 122-123.

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CHAPITRE II

Refection de l'Empire d'Orient par les Turcs Otto-mans et projets de revanche inspirés par laRenaissance italienne.

Le lendemain de l'établissement dans sa « Stamboulimpériale, vite nettoyée des traces sanglantes de la catas-trophe et repeuplée de toute façon, le prince turc qui,lui aussi, avait été élevé dans le culte du grand Macédo-nien, revant de l'empire du monde entier, mais qui, en.plus, avait le sens de ce que doit étre un Etat à la romaine,une monarchle traditionnelle, procéda avec un calme par-fait, avec une patience inébranlable, it l'opération diffi-cile de donner à la fondation musulmane, qui venait dese gagner la plus brillante des capitales, les frontières deConstantin-le-Grand et de Justinien.

Mohammed II, maintenant un « grand mail: (roi) detoute la Romanie et l'Anatolie », un basileus I, ce par-fait chevalier, cet irréprochable « tchélébi », qui étaitcependant de l'étoffe, devenue si rare, des anciens empe-reurs, se mit donc h parfaire chez lui et dans son entou-rage ce que pas un souverain chrétien de l'Occident n'au-rait osé espérer : la reduction par degrés de tout,l'héri-tage local et national du moyen-age qui expirait.

Pour entreprendre une pareille ceuvre, il avait bien lesmoyens qui manquaient à un prince pauvre comme le roide France, disposant d'une dizaine de mille de soldatsplus ou moins utilisables, au roi de Castille, qui, pour-

Notre Gesch. des Osmanischen Reiches, II, p. 48.

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90 ESSAI DE SYSTHÈSE DE L'HISTOIIIE DE L'HUSIANITA

suivant sa vieille croisade A lui, devait quémander dessecours A. cette France, elle-même besogneuse 1, au presi-dent, las de naissance, de l'anarchie germanique, friandede diètes vaines, A cette Bourgogne ducale, qui, avec lesSuisses et les Italiens d'un Campobasso, pourra mettretout au plus en campagne 30.000 hommes avec trois centscanons de petit calibre 2. Un trésor rempli des dépouillesbyzantines, auxquels les derniers Paléologues n'avaientpas ose toucher par horreur des profanations, une infan-terie de fer comme celle des janissaires de toute race,recueillis parmi les enfants lame des chrétiens, maisvoyant dans le Sultan leur vrai « père », les essaims desspahis A. cheval, hardis dans l'offensive, plus l'intriguequi divisait les derniers princes chrétiens de la pénin-sule balcanique et des rivages asiatiques de l'Euxin, toutcela pouvait bien servir les projets hardis d'un jeunehomme fait, plus que tout autre, pour la guerre.

Mais on ne se pressait pas dans la Constantinople tur-que, qui avait encore des ennemis en Morée, gouvernéepar les « despotes », freres du malheureux empereurConstantin, en Albanie, oil les intéréts balcaniques de cesuccesseur des rois normands qui est Alphonse V souf-flèrent énergiquement dans le feu de la révolte initiée parce vaillant double renégat, de la croix et du croissant, quifut le Castriote Skender-bey, Scanderbeg, puis dans laHongrie de Jean Hunyadi, inlassable A. la defense, et dansles pays roumains, Valachie et Moldavie, Etats belIi-queux dont l'action était dirigée, sous les primes rapide-ment changeants, par rAme ardente de ce capitaine decroisade A vie. L'ayance Rail immanquable ; mais ellefut méthodique et lente. Les Turcs n'étaient guère pres-ses : ils paraissaient avoir des siècles devant eux.

On crut alors en Occident A leur faiblesse, A. la possi-bilité de les déloger de Constantinople, de les renvoyer enAsie, de les détruire. Et, arrétant les querelles en train

I Dufresne de Beaucourt, auvr. cité.9 Foster Kirk, ouvr. cité, IV.

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ClIAPITRE II 21

de se vider, on se mit braVement de tout côté, grace sur-tout A cet admirable instrument qu'étaient les diètesmaniques, à forger, les Papes en téte, Nicolas V, puisPie II, les projets de récupération triomphale.

Des fuyards du désastre byzantin, comme le savantcardinal Bessarion, des évéques latins, celui de Nagy-VArad (Oradea-Mare), celui de la lointaine Calla, mena-cée par l'avance ottomane dans les eaux de la Mer Noire,des clercs comme Timothée de Vérone et Bernard deKrayburg, avaient préparé le terrain, dénonçant partout,aux princes et aux républiques, l'intention -de la « mau-vaise béte », de la « fera pessima », d'étendre sa domi-nation sur l'Italie, sur le centre et l'Occident de l'Europe,de devenir lui, le paien, César de l'ancienne Rome. Lesauteurs de lamentations, de « plaintes », accompagnaientde leurs vers, de leurs récits fabuleux, leurs exhortations,renforcées par les prédicateurs populaires, dont 'In-fluence était, à cette époque, grande. On parlait auxchefs de la chrétienté d'un devoir irreductible, allantjusqu'A les menacer du mécontentement populaire.

« Nous espérons en Dieu et dans la justice », déclarale bon Pape Nicolas, qui, par la douceur, avait rétablil'unité de l'Eglise sans pouvoir lui refaire un pres-tige perdu par les discordes, ni lui donner l'élan néces-saire pour conduire l'ceuvre de défense. L'empereurpréférait ne pas étre trouble dans l'exercice mesquind'une présidence de surface sur les Etats de son it de-magne. Cependant, des 1454, il fallut bien réunir unediète à Ratisbonne, et si, parmi les participants, il n'yeut pas le roi de France, cependant invite, on y voyait,côté de Louis de Bavière el du remnant Hohenzollern duBrandebourg, Albert, l'Ordre Teutonique étant seule-ment représenté, ainsi que des délégués des villes, lebrillant duc de Bourgogne lui-rnéme, accueilli comrne il aété dit. Malgré les talents d'orateur de ce clerc érudit quiparaissait incorporer la Renaissance des études entréedans le sein méme de l'Eglise, Enéas Sylvius de Picco-lomini, descendant d'une famille de Florence, centre de

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ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

ces etudes, on voyait bien que la Rome pontificale n'avaitplus qualité de decider.

On élabora, non sans l'intelligence des nécessitésurgentes et celle des moyens h. employer, le projet d'unegrande armée de 200.000 hommes, chaque groupe detrente membres de la chrétienté germanique devant don-ner un chevalier ou deux fantassins, recrutée pour troisans par des a proviseurs », comme les proreditori deVenise, commandée par un capitaine et devant rejeter lesTurcs en Asie. Les relies étaient nettement distribués : laflotte de Venise, de Genes, du roi de Naples et d'Aragonira h. Gallipoli et h rile de Mytiléne, le roi de Hongrie col-laborera par terre et par mer ; on fera appel à tous lesehretiens balcaniques, Raguse y comprise, et on se van-tait du coneours de ces Orientaux d'Asie qui venaient des'adresser au « roi des rois » français : Ibérie, Trebizon-de, plus le Grand Carman, adversaire naturel de ce par-venu ottoman qu'il méprisait I ; Frederic III restait lechef de l'entreprise, bien que les clés de Saint-Pierre dus-sent se réunir sur les drapeaux, qu'on espérait facilementvictorieux, avec sa « grande aigle ».

Pour la diete suivante, à Francfort, on avait penséaussi à Nuremberg, avaient été convoqués aussi le duede Savoie, le roi de Pologne, avec ce dauphin Louis, ence moment un exile et « le plus pauvre homme de toutle royaume de France ». Il n'y eut, méme de la part de laBourgogne, en septembre-octobre de la méme année, quedes délégués; le idgat, évéque de Pavie, avait h ses côtésle meilleur orateur de la chrétienté latine, cet Enéas Syl-vius ; Alphonse V reconnaissait dans Frederic le chefnaturel de la « république des chretiens », qui devaitmobiliser contre cc la vipere », cc l'homme diabolique »qui profanait de sa presence la cite de Constantin. Maisl'idée de l'expédition n'avança guere par des nouvelles

t D'après nos Notes et extraits pour servir à Phistoire des croi-sades au XV' siècle, IV, pp. 74, 82 et suiv. dans nos State fi Dinar-tit, Bucarest, pp. 21 et suiv.

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CHAPITRE II 23

discussions sur le devoir inéluctable. On décida de deman-der, par le moyen du Saint-Siège, la participation fran-çaise, le capitaine et ses quatre conseillers devant étrecependant nommés par l'empereur, qui remplaçait tota-lement le Pape dans cette prérogative de croisade etécartait les prétentions des deux grands princes pour lesdeux Frances 1. Comme les querelles italiennes furentpacifiées enfin, dès le mois de novembre, les chefs debandes, les condottieri, devenant libres, on espérait bri-ser la force militaire de Mohammed II par l'expérience duplus grand parmi eux, Jacques Piceinino.

Pendant ce temps, les Tures, qui avaient toléré lesGénois dans leur colonie de Péra et venaient d'accorder

Venise le renouvellement de ses privilèges dfiment payés(avril 1454), s'annexaient d'abord comme tributaires lesiles voisines de Constantinople, Lemnos, Imbros et Tha-ros, ainsi que le port d'Enos, puis Lesbos, appartenantaussi aux Gattilusii génois, qu'ils prenaient ensuite, saufcette dernière Ile, sous leur administration directe 2 Ilspénétraient en « Achale », ils aidaient en Morée le des-pote Démétrios, frère du dernier empereur, contre .lesAlbanais infiltrés dans la péninsule et leur « empereurun Cantacuzène 3, et, dans une autre campagne, Novo-brdo, la ville des mines d'argent, fut prise 4; les avant-coureurs ottomans traversaient les vallées de l'Albanie.Les premiers coups &talent portés dès 1454, par le Sultan-en personne, h. la Serbie des Brancoviteh, où Semendriefut ruinée (1454) ; ils se mélaient plus tard, en 1458, aunom de Franco Acciaiuoli, chassé par son cousin Nerio,dans les troubles du duché athénien 5, occupant Athènes.La Moldavie de Pierre Aaron payait un tribut, la Vala-

I Notes et extraifs, IV, pp. 101-103.3 Gesch. des Osmanischen Reiches, II, pp. 48 et suiv., 68 et suiv.3 Ibid., pp. 87 et suiv.4 Ibid., pp. 55 et suiv., 66 et suiv. La ville bosniaque des mines,

Treptsché, eut le méme sort (ibid., p. 67). La Nouvelle Phocée, enAsie Mineure, fut occupée k cause de ses mines d'alun (ibid., p. 69).

Ibid, pp. 89 et suiv.

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24 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

chie écoutait les ordres de celui qui était de plus en plusconsidéré dans cet Orient chrétien comme le Tzar, l'Em-pereur.

Frederic avait réuni, chez lui, à Neustadt, pres deVienne, dès février 1455, une diete dont le but restreintétait seulement celui d'une consultation, non seulementavec les envoyés du Pape, Enéas Sylvius ne pouvant pasmanquer, et avec ceux de Philippe de Bourgogne, d'Al-phonse V, qui avait demandé jadis à Byzance la pos-session de Lemnos, s'évertuant à gagner un pied en Alba-niel et s'exerçant à la croisade contre les Maures de rilede Gerbe et des Barbaresques, avec les éleeteurs ecele-siastiques du Rhin et avec Albert de Brandbourg, parupour la seconde fois en person.ne, mais aussi avec les re-présentants de Ladislas, roi de Hongrie et de Bohème.Par contraste avec les declamations dont on se caressaltles oreilles 2 et qui furent qualifiées avec une dure sincéri-té, il y eut l'explosion de douleur de ces pauvres gens quise trouvaient en première ligne de la defense sur le Danu-be. Ils déclarerent que, si elle n'est pas secourue, la Hon-grie se détachera de la solidarité, purement théorique,. deschretiens et signera une trave avec le Sultan. L'empereur,porteur du glaive, alors que le Pape ne dispose que desfoudres de l'excommunication, devra recornmencer uneaction positive de défense. 11 aurait fallu à Hunyadi, quis'dtait revé, avant la conquéte turque, seigneur de Méseiti-brie 3, au lieu de la nornbreuse armée promise, 40.000soldats, 20.000 méme, mais bien vivants, pour accomplirl'oeuvre nécessaire.

Les Turcs infesterent la Bosnie ; Genes craignit pourla possession de sa grande colonie orientdle de Chio,

I Ibid., II, p. 46. Sur ses rapports avec le prétendant ottomanDaoud, les Serbes et les Caramans, p. 47 et note 2.

t Vel scolasticis pueris cottidiana prope declamacione ; ibid.,pp. 160 et suiv.

Phranties, pp. 326-327. Sur une action contre les Tures enSerbia, notre Ouch. des Osmanischen Reiches, II, pp. 61 et suiv. Ledespot° sorbe, Georges Brancoviteh, avait fait dès alors .sa paixavec le Sultan.

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CHAPITRE II 25

encoré florissante. Mohammed II. se préparait à prendresur le Danube serbe, à Belgrade, « les clefs de la Hon-grie ».

Alors, comme l'empereur ne bougeait pas, il falluts'adresser à l'autre chef, jusqu'alors négligé, de la chré-tienté catholique.

Nicolas V venait de mourir, en 1455 encore. Son suc-cesseur, un vieillard presqu'octogénaire, fut l'EspagnolBorgia, qui prit le nom de Calixte III. Il commença parjurer que la croisade sera réalisée sous lui et par lui.

Pendant que les princes allemands discutaient de nou-veau à Francfort et demandaient énergiquement que Fré-déric paraisse à la nouvelle diète de Nuremberg, et ildéclara ne pouvoir, en aucun cas, prendre la conduitela guerre sainte, un légat fut envoyé en Orient comrnecapitaine de croisade, Louis d'Aquilée, qui devait com-mander la flotte de l'Italie réunie sous le drapeau ponti-fical, qu'elle jugeait un peu italien ; un parent du Pape,le cardinal de Saint-Ange, Jean Carvajal, se renditBude pour organiser la défense à Belgrade. On espérait leconcours de Scanderbeg, et on voyait deja la flotte decroisade devant le Stamboul des Infldèles

Toutes ces grandes illusions s'évanouirent. II n'y eutpas de flotte chrétienne dans la Méditerranée orientale.La Hongrie elle-méme était partagée entre les clients deHunyadi et ceux de la famille rivale de Cilly. Le légat nereprésentait à Bude que le prestige du Saint-Siège. Lamission de résister échut donc aux représentants de l'ini-tiative populaire, de ce courant, toujours actif et créa-teur, des masses, qui ne s'était pas arrété aux limites dumoyen-Age.

Le fils de paysan roumain de Transylvanie, réduit ace moment, par les intrigues de l'envieuse aristocratiemagyare a la seule situation de Voévode transylvain,trouva surtout l'appui d'un moine de Catabre, jadis,

1 State si dinastii, pp. 26-27.

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26 IRSS kt DR SYNTHRSR DR 12111STO/RE DE L'HUMANITÉ

eependant gouverneur de Pérouse, puis élève du bonsaint Bernardin de Sienne, d'un franciseain dont l'in-finance &all grande dans son Midi italien, où il recom-mandait l'abandon des riehesses, l'abdication aux gran-deurs, la eréation, par les dons généreux, d'un trésor pourl'Eglise militante du peuple, Jean de Capistrano. Aprèsavoir rempli sa mission de provoquer un élan ehrétien endehors de l'Eglise constituée, qui l'avait en grippe, aprèsavoir traversé dans ce but les pays latins de l'Occident etméme certaines régions de l'Allemagne, il vint offrirHunyadi le concours de ses « pauvres », appartenanttoutes les nations auxquelles il avait parlé avec une autreéloquence que celle d'Enéas Sylvius le lettré. Il avait de-mandé, au milieu des diètes, à l'empereur de venirRome, d'y porter la couronne, de se mettre à la tête desmultitudes armées; or, comme il avait bien vu que c'étaitimpossible, il se faisait fort de sauver, à Belgrade, lachrétienté avec cette foule désordunnée, de simples réu-nis autour du drapeau de saint Bernardin. Le légat deBude avait bien da donner au nouveau Pierre l'Ermite,avec la croix bénie par le Pape, le commandement de ceshumbles croisés, mème des femmes, les seuls qu'on pou-vait avoir.

Les volontaires », au nombre d'environ 10.000 sol-dats, de Hunyadi eurent le courage d'affronter A. Belgradel'armée ottomane, un peu plus nombreuse, mais d'uneautre cohésion et d'une autre expérience, que soutenaitune importante flotte entrée dans le Danube et une forteartillerie. La citadelle de Belgrade résista aux attaquesdu Sultan, qui avait fait détruire la ville. Dans la grandemêlée autour de ses murs, on entendait la voix du saint :a 11 y a quarante ans que j'ai attendu ce passage et cemoreeau... Allons, allons... Jésus, Jésus, victoire 1 ».Mohammed II dut se retirer devant ces (c poverelli » quivenaient de remporter par leur naif enthousiasme et leur

I Melt de Jean dc Tagliacozzo, un des disciples de Capistrano,41ans noire mud] e1t6, pp. 141, 161.

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CHAPITRE if 27

belle conflance une magnifique victoire, dont étaient inca-pables les chefs les plus puissants du monde chrétien.Saisi par la contagion de cette ferveur, Hunyadi croyaitdevoir affirmer qu'on pouvait prendre le lendemain dece succès « tout rEmpire turc 1 ».

Mais la peste se déclara dans les rangs des chrétiensaussi, après avoir contribué probablement à la retraitede leurs ennemis. Hunyadi succomba A. la maladie (sep-tembre), puis Capistrano lui-méme, qui « s'endormit »doucement dans la mort. En vain Michel Szilágyi, frèrede la veuve de Hunyadi, et le fils ainé du héros roumainde la Hongrie royale, auquel avait été donné le nom sacréde saint Ladislas, essayèrent-ils de poursuivre aussi, avecla cavalerie légére du despote serbe, sauvé par la victoirede Belgrade A. laquelle il n'avalt pas participé, cette entre-prise heureuse. Le roi lui-même, qui avait, en princeautrichien, des intéréts ailleurs, de Vienne même,était l'adversaire de l'empereur, aux Pays-Bas, dont ilétait l'héritier légitime, ne pouvait pas &re gagné pourune offdnsive. Comme les parents de Hunyadi avaientfait tuer leur grand ennemi, le comte Ulric de Cilly,parent de l'impératrice Barbare, femme de Sigismond,n'hésita pas à faire condamner et exécuter publiquementson homonyme, désirant détruire cette race de parvenusambitieux qu'étaient les Hunyadi (mars 1457). En 1458,le seul représentant sincère de l'idée de la croisade enItalie, le protecteur de Scanderbeg 2, le magnifiqueAlphonse, finira ses jours, et la réunion sous le mêmesceptre des royaumes de Naples et d'Aragon cessera ; lefaible prince Ferdinand, son héritier italien, aux prisesavec Jean de Calabre, ne pouvait pas avoir des visées sihautes. Dans la Moldavie lointaine seuiement, disposantd'une énergie morale qu'on peut mettre à côté de l'élande ces croisés de Belgrade, et qui ne recevait d'ordres que

Deo concedente, totum regnum Turciae obtinere possem valdeleviter ; ibid., ipp. 136, 141.

2 Voy. C. Marinesco, dans les Mélanges de l'Ecole Roumaine onFrance n, I, Paris 1923.

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28 ESSAI DE SYSTHESE DE L'IlISTOIRE DE L'HUMANITÉ

de la part de ses souverains, devait surgir, dans la per-sonnalité d'un jeune prince, Etienne, réfugié après lamort de son père, assassiné en Valachie, auprès d'un ter-rible ami, « l'empaleur » à la mode turque, Vlad, un nou-veau champion de la défense chrétienne sur le bas-Danu-be, pris lui aussi clans cette race neuve des Roumains.

Mais, comme le successeur, en 1458, du vieux Calixte,mort sans avoir plus fait pour accomplir son voeu de-croisade qu'envoyer le Patriarche latin Louis dans leseaux de la Aléditerranée orientale, of.1 il se rendit pourun moment maltre des iles annexées par les Turcs 1, futle disert orateur de toutes les diètes, devenu Pie II, Romeentendait poursuivre son oeuvre de cléfense chrétienne,peut-étre même de récupération.

Ce qui l'enflammait à mettre en branle tout le monde-chrétien, considérant l'empereur lui-méme comme unsimple exécuteur de ses instructions souveraines, procla-mées non plus dans de vaines diètes lointaines, parmi les« barbares », mais dans des conciles rassemblés sur lesol de cette Italie à lui, dont il se sentait bien le fils,.c'était, non seulement une incontestable piété, mais aussiles sentiments de l'homme de la Renaissance contre cette-« barbarie » des Infidèles, des Agarènes, des Teucres.gens de Troje paIenne, envahissant l'Europe.

L'Italie du my' et du xve siècle n'a pas sans doutedécouvert l'antiquité. Tout le moyen-Age s'était nourri,

côté de la Bible et de l'Evangile, aussi des idées gréco-romaines. De l'Erigène Jean Scot, h l'époque des Caro-lingiens, aux Arabes d'Espagne, qui croyaient, avec Ayer-roes (Ibn-Rochd), développer les conceptions d'Aristoterh Albert le Grand (.4- 1280) et au grand codificateur de lapensée médiévale, Thomas d'Aquin (-1- 1274), on n'avaitfait que suivre les traces des penseurs du monde ancien.Platon avait remplacé dans les derniers temps Aristote.

Notre Geschichte des osmanischen Reiches, II, pp. 85-86, 91-92..

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CHAPITRE ii 29

sans que quelque chose de vraiment nouveau Olt donnél'impulsion aux discussions 'scolastiques des Universités.L'hérésie seule se fonde sur un manichéisme gut n'a rim

faire avec la philosophie classique 1 Au contraire, il ya, avec l'inévitable tendance aux divagations métaphy-siques et l'analyse des notions, avec la méthode courante4.1u syllogisme, une partie dominante de moyen-Age dansceux qu'on appelle les précurseurs de la Renaissance A. lafin du mil° siècle et au commencement du my°. Sans comp-ter ses devanciers, un Guinicelli, un Cavalcanti, Dantes'inspire de la mode courante des « Songes » allégoriques,et la sentimentalité franciscaine anime les &tails de saComédie surhumaine. Boccace rend en italien, lorsqueJa légende de Thésée ne l'attire pour une ceuvre latine,les récits de marchands orientaux, et, lorsqu'il ne pe-sepas A. imiter Cicéron ou A. glorifier Scipion, Pétrarque esttout près des troubadours de la Provence qui est sonséjour. La France de Charles V rendra en vulgaire, par letravail d'un Pierre Berchoire, d'un Raoul de Presles, d'unNicole Oresme, Tite-Live, Valère Maxime, Végèce et Aris-tote, alors que, par les Italiens Thomas et Christine dePisan, elle donnera à cette langue d'usage courant lestours alambiqués du latin d'école. Sans penser à décal-quer le style des écrivains de Rome admirée, elle s'assi-mile assez de l'esprit de leurs ceuvres pour qu'on nepuisse pas la considérer comme un humble disciple, arrivéit4s tard, de cette Italie qui aurait fait la grande décou--verte latine et de ces réfugiés grecs, secrétaires, grammai-riens et vagabonds, de Barlaam et Léonce Pilate, deChrysoloras, employé A. Florence, A Argyropoulos ét Mos-chopoulos, à Théodore Gaza, à Georges de Trébizonde,Constantin et à Janus Lascaris, le dernier établi à Venise.qui avaient de fait ajouté la révélation hellénique 2.

De la situation modeste d'élèves de ces maitres, se bor-

1 Voy., A. ckté des Mares Abides de Burckand l'excellent petit3ivre de Karl-Paul Hasse, Die italienisehe Renaissance, Leipzig3915.

2 Voy. aussi Leclerc et Renan, Tableau du XIV'

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30 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

nant à former des bibliotheques classiques, A adapter leurlatin d'emprunt aux meilleures formules anciennes, durále d'auteurs de dissertations sur des sujets d'un carac-tère general, plus ou moins oiseux, et de livres d'histoireconcernant, non seulement l'antiquité, mais aussi dechoses nouvelles comme ce fut le cas pour les « His-toires fiorentines », de Leonard Bruni d'Arezzo, et pourles a Vies des Papes » de Platina, ou, dans la lointainePologne, pour l'histoire nationale de Jean Dlugosz, ditLonginus, les nouveaux chefs spirituels de l'époque,ferrés au métier d'écrivains et de rhéteurs, en bon latin,parfois farci de grec, arrivèrent A étre les directeurs poli-tiques de leur temps. Comme courtisans, comme seer&taires, surtout comme ambassadeurs, comme précepteurset professeurs, comme conseilleurs et amis intimes desprinces, ils dominèrent l'époque. Coluccio Salutati (morten 1406) et Leonard Bruni (mort en 1444), Poggio lui-meme, furent charges de la correspondance florentineGuarino de Vérone, qui vécut jusqu'en 1460, passa laplupart de sa vie aupres de ces seigneurs d'Este qui, desle debut, se posèrent, dans leur belle cite de Ferrare, aufort chAteau; en magnanimes protecteurs de ce mouve-ment. Alors que les Gonzague de Mantoue créaient uneUniversité libre pour Victorin de Feltre et que le roiAlphonse retenait par des liens d'or Laurent Valla le« Panormite », ou Antoine Boccadelli, son historien et sonsuccesseur 4 l'Académie napolitaine, et Pontanus, la Ro-me des Papes employa tour A tour Poggio Bracciolini,Flavio Biondo, Pierre Candide, Decembrio, Jean Auris-pa, puis Platina, biente,t un révolté, sans oublier Pon).ponius Laetus, et les ducs de Milan s'honorèrent d'avoilpu retenir jusqu'à sa mort Gasparin Barzizius et d'avoirarrache 4 la royauté napolitaine son fils Guiniforte. AMe de Biondo, dans sa jeunesse, de Frantois Filelfo(mort en 1481), ce gendre de Chrysoloras qui fut envoyéen mission A Constantinople dont il chercha plus tard Apréparer la delivrance du joug turc, Venise Malt fièred'avoir ce patricien richement done qui fut Frau-

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CHAPITHE II 31

çois Barbaro, puis son parent Ermolao. Le roi dePologne visita le « Philelphe » à ses noces, et labrillante assistance, l'em,pereur et le roi de Danemarcentre autres, écoutèrent respectueusement sa rhétorique.

Avec une meilleure connaissance des hauts faits de laGrèce et de Rome, tels que les avaient transmis les histo-riens « patriotiques » et moralistes, les souverains ita-liens couraient après la gloire, à laquelle Alphonse deNaples fit de si importants sacrifices. Or, cette gloireétait distribuée, dans leurs écrits supposés immortels,par les maitres du beau, du pur langage. Les lettrés enprofitèrent pour s'installer en mentors de ce mondequ'ils prenaient un peu pour l'exploiter au profit de leursbesoins et de leurs vices. Dirigés par des haines féroces,ils se considéraient comme les « surhommes » de leurstalents et de leur érudition, et leurs contemporains, quiles touvraient de pensions et d'honneurs, voyaient en euxcomme des divinités descendues sur la terre pour l'éclai-rer de leurs rayons. On les courtisait comme ennemis, onles épargnait comme captifs. Quarante évèques firent par-tie du cortège funèbre de Pomponius Laetus. Tel d'entreeux comme Filelfo distribua, d'une Cour à l'autre, lesbienfaits de son intelligence et de sa faconde : le roi deFrance reçut de lui une missive le rappelant A son devoirde croisé, et ceci après que cet « humaniste » d'une vieplus mouvementée que celle de ses collègues de savoirefit rempli des fonctions auprès de Mohammed II, quifut célébré dans son pc:sale d'Amyris (« l'Emir »), alorsqu'un Cristoboule d'Imbros, Grec de pure race, en faisaitle descendant des Users byzantins et le vrai héritier del'Orient.

Le représentant le plus complet de ces tendances rapi-dement victorieuses, Giambattista Alberti (1403-1472),réunit avec toutes les aptitudes : de poète, d'historien,.d'auteur de pastiches d'après les comiques romains, dethéoricien à l'époque du platonisme gouvernant tout AFlorence, de codificateur d'une nouvelle architecture auxlignes simples selon la formule de Vitruve, des don s mys-

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_32 vssAs fI YT9IESP, DE L'HIST0111E DE L'HUMANITE

terteux qui le faisaient considérer comme un sorcier degénie. L'auteur de la res aedifIcatoria o et du Traitésur la peinture montrait it ses intimes des triomphes deJa technique dont il se gardait bien d'ajouter l'explication.

Des hommes n, disait-il, « peut partir tout ce qu'ilsveulent paraissait qu'Empédocle eilt ressuscitéyour fouler presque la mame terre. On avait en Italie lesentiment que des dieux nouveaux s'étaient levés parlantla langue des glorieux ancatres 2.

Expulser les Turcs, considérés comme profanateurs dela terre helldnique sacrée, était sans doute un devoir potrces gens qui entendaient renouveler l'antiquité dens lescoutumes, dans le 'engage, dans les idées, mame dans lareligion, qui knit pour un Marsile Ficin, élève de Gémis-thos Pléthon, un des compagnons au coneile de Florencedu Paldologue Jean, un mélange de christianisme pnrifiéet de ndo-platonicisme mystique. Le descendant de Hec-tor, le vengeur de Troje, devait étre extermina 3. Le nou-veau Pape le sentait tout aussi bien que le plus malheu-reux des partisans de cette revanche.

Dès le mois d'octobre, Pie II, reniant tout son passéd'ancien secrétaire impérial, de biographe, dans troissolennels ouvrages, d'un impeccable style latin, de Frédé-tic III lui-mame, se posait, par une proclamation élo-quente, à la tate du mouvement de récupération dont ilavait jusque-lit confié, lui aussi, la conduite à l'Empire.Rappelant la domination musulmane à Jérusalem etdéployant ainsi l'ancien drapeau de la grande croisadeintégrale, rendant hommage it la victoire remportée parles quelques croisés sans armes et nus », sous les mursde Belgrade 4,ii appelait toute une époque de troubles et

Hasse, ouvr. cité, pp. 159, 166.a Cf. Voigt, Die Wiederbelebung des klassichen Altertums, 6d. de

1393; Karl Brant% Die Renaissance in Florenz und Rom, 40 édit.,Leipzig, 1913; Vittorio Rossi, Il quattrocento, Milan, 1898; PhilippeLemonnier, Le quallrocento, Paris, 1901.

a Notre Gesch. des Osmanischen Reiches, II, p. 42.4 Pend cruce signati, inermes pc nndi... Confusa omnia seque

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CHAPITRE 33

de confusion, l'empereur y compris, au concile qui, enjuin, à Udine ou à Mantoue, chez les Vénitiens ou chezles Gonzague, devait poser les bases de l'action solidairecontre les Turcs.

Le conoile se réunit à Mantoue, et Mane eut commeun réveil de conscience nationale devant l'honneur que luifaisait un de ses meilleurs fils, celui qui aimait tant cepays natal, dont, dans ses Commentaires mémes, il décri-vait en fin poète les charmes toscans. Les petits princesde Forli, de Carpi, de Correggio, de Mirandola, qui avaitdonne le genie universel de Picor capable de discuter toutethèse contre tout adversaire, créateurs de Cours brillanteset fauteurs de civilisation A. l'antique, accoururent auprèsde celui qui, en dehors de son caractère sacré, personni-flag la virtiz, la grande qualité de findividualisme mili-tant, mieux que pas un parmi eux. On vit aussi ce fran-ciscain italien, de Bologne, qui, à Mantoue commeParis, présentait les offres de l'empire de Trébizonde ago-.nisant, de la Géorgie et de la Mingrelie, des derniers sei-oneurs arméniens de la Perse turcomane, dont le Chah,celui du « Mouton Blanc », Hassan le Long (Ouzoun),était le mari d'une princesse trapezuntine, promettantaux Vénitiens toute l'Anatolie 1

Mais, si Frederic III, demandant au Pape lui-mêmed'imposer une dime générale, se faisait fort de trouver32.000 fantassins et une dizaine de mille de cavaliers, il&ail A ce moment, apres /a mort subite du désoriente La-dislas le Posthume, l'adversaire du nouveau roi de Hon-grie, un garçon de quinze ans, le cadet de Hunyadi, Ma-thias, levé sur le bouclier par un seul des partis qui déchi-raient le royaume, et, en conflit avec la noblesse hon-groise, il réclamait 'pour lui, contre ce « comte de Bis-tritz », la couronne de S. Etienne. Et, à Prague, les hus-

tunbata; Rinaldi, Annalee ecclesiastici, année 1458; Notes et ex-traits, IV, pp. 164 et suiv.

Ibid., pp. 172-173 ; Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 95-96. Sur les mouvernents des chrétiens du Caucase ; ibid., p. 97..Aussi plus haut, chapitre I.

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34 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

sites avaient installé un roi d'hérésie, tiré du milieu de la-noblesse nationale, slave, Georges de Podiébrad. Le roi depologne, Casimir, croupissait déjà dans cette impuissance-de l'action A temps qui distingue son long règne. Le Mol-dave Etienne s'était h peine install& et un rival évincétrouvera appui tour A tour dans les deux royaumes ca-tholiques voisins. La haine fraternelle divisait les despo-tes grecs de îa Morée, et la divergence religieuse les em-péchait de tendre la main aux derniers représentants dela domination franque dans ces parages. Après la mortdu clespote serbe Georges Brancovitch, son fils Lazareavait trainé jusqu'A sa fin, en 1458, un règne veule ; sa-veuve, la Paléologue Hélène, qui devait prendre le voileA Rome, résista dans Semendrie pendant une année ; les-frères aveugles, Grégoire et Etienne, vivaient à la lisièrede la Hongrie, et, en 1458, les Turcs purent traversertout ce territoire sans défense. Le roi « serbe » de Bos-nie, 'Etienne Thomas, dont le fils épousa la fille de Lazare,-en 1459, s'était présenté en concurrent soutenu par leroi Mathias : le résultat fut l'établissement, (Ms cettedate, d'un nouveau sandschak pour la Serbie, alors quele duc de Saint-Sabbas, le hertzeg serbe du littoral, selevait contre lui-méme. En Albanie enfin, Scanderbeg,pressé par les Turcs, attendait le coup de grAce qu'on nepouvaft pas manquer de déclancher ; battu par le Sultanen 1459, il s'embarquera pour Naples après quelquesmois I.

Bessarion fut nommé, dès le commencement de l'année-1460, légat de croisade, comme un hommage pour l'espritde la Renaissance dont était animé ce grand lettré, maisaussi pour éveiller les espérances dans l'Orient ortho-doxe d'où venait ce fils de Tréblzonde menacée qu'étaitle « cardinal grec ». Il prit le chemin de l'Allemagne, quise réunit de nouveau, en mars, A. Nuremberg, pour dis-cuter sa participation A la croisade, et n'y trouva qu'uneparfaite indifférence. Au mois de mai, à Vienne, la ques-

Gesch. des Osmanischen Reiches, II, pp. 105-107.

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CHAPITRE II 35

tion fut posée carrement par les délégues des princes etdes villes : autant que la Hongrie est, dans son état actuel,un empêchement, autant que l'Italie n'a pas encore formesa flotte, autant que la Pologne, en Orient, la France etla Bourgogne, en Occident, ne paraissent plus s'intéresser

l'ceuvre sacrée, « une seule langue, un seul royaumeou un seul pays » ne peut pas prendre la responsabilited'une pareille entreprise 1

Or, en ce moment méme, le Sultan en personne, decidepacifier la Morée en la soumettant au bey qui déjà s'y

était installé en administrateur d'un tiers de la pénin-sule, apparaissait devant sa forteresse de Corinthe ; bien-tôt, le despote Demetre, conseillé par son intime Assanes,se présenta en ami sous la tente de son suzerain, qui lereçut comme un « frère » imperial, comme son futurbeau-père et lui donna les Iles conquises en 1455. Dansla capitale moreote de Misithra, pleine de belles églisesqu'avait ornées de peintures un art nouveau, d'initiativeet d'indépendance, correspondant à celui d'un Giotto, lesjanissaires prirent la garde des murs bâtis en terre deLacédémone, Mais, contre les rebelles, qui, sous lesordres du despote Thomas, favorable aux Occiden-taux, s'aviserent de resister, le châtiment fut inexorable.Le dernier defenseur de l'indépendance grecque dans lapéninsule n'osa pas une resistance ouverte ;à Gravosa,pres de Raguse, il s'embarqua pour l'Italie, où sa famillepassa au catholicisme, alors que Demetrios, traité plutôten prisonnier, se livra aux remords et finit commemoine David à Andrinople. Après l'execution de FrancoAcciaiuoli, des soldats du Sultan firent leur entrée aussidans l'enceinte du château latin qui dominait les ruinesdu Parthenon 2.

Sous l'impression de ces nouvelles, se rassembla unegrande diète impériale en septembre, 6. Vienne méme,

i State i dinastii, pp. 33-34.2 Notre Gesch. des Osmanischen Retches, II, pp. 92-95.

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36 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

avec la participation cht vieil empereur. On avait assistéA la faillite de la croisade pontificale ; la croisade impé-riale ressortait de nouveau A. la surface. On proclamaitl'espoir d'arriver, Dieu aidant, jusqu'A Jérusalem. Par-tant des décisions de Mantoue, qi comprenaient aussi leconcours, formellement promis, du duc Philippe, et celuidu roi Mathias, que son concurrent paraissait avoir sin-cèrement reconnu, magnifiant le sacrifice du Saint-Siège,qui avait déjà &pens& 150.000 ducats, mentionnant lesoffres faites par la Pologne, par la Bosnie, par l'Albanieet même par les Tatars de Crimée, reste de la Horded'Or, qu'on croyait naivement n'étre pas musulmans,Frédéric promettait une grande action de prestige germa-nique. Or, comme les archevéques de Trèves et deMayence, favorables à l'expédition, étaient morts, l'en-thousiasme attendu par Bessarion manqua complète-ment. De méme que l'Italie avait considéré l'assemblée deMantoue comme un succès à elle, l'Allemagne, inspiréedu n-i'ème séparatisme, caractéristique pour l'époque, dé-clara que la « nation allemande » n'y a pas assez parti-cipé pour s'associer à l'action UP. initiée. C'était la pre-mière fois que, formellement, elle se dérobait.

Le tour des rois, des princes auxquels on s'étaitadressé auparavant était-il venu ? Des regards se diri-gèrent vers Podiébrad : un aventurier de Grenoble, An-toine Marini 1, proposa à ce roi, qui s'était presque ré-concilié avec le Saint-Siège sur la base des « compac-tats », une ligue chrétienne qui aurait créé quelque chosede plus : le nouvel ordre européen, d'une association libred'Etats, avec des a Parlements » communs, se défendantMute guerre, qui aurait remplacé la forme vieillie, inca-pable d'action, du Saint-Empire, et méme celle du Saint-Siège. On négociera plus tard, sur cette base, avec laFrance de Louis XI, arrivant méme à la conclusion d'un

Voy. notre article dans 1.es a Mélanges Monod », sur ce per-sonnage ; Denis, De Antonio Marini, Angouléme, 1878.

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CHAPITRE II 37

traité resté sans conséquences. Le duc de Bourgog,ne estbien vieux, et Charles VII végéte sous la terreur des intri-gues de son terrible flls. Dans la péninsule ibérique, il ya une Casti/le occupée uniquement aux querelles entrele méprisable roi Henri IV et ses sujets, une Navarre oùles enfants de Jean II se tournent contre lui, et un Ara-gon, séparé de l'Italie méridionale et s'employant, sousJean II, à retenir au moins, dans le partage, la possessionde la Sardaigne. En Angleterre, le parti de la « RoseRowse » a suscité le duc d'York contre le fils d'un roi fouet d'une étrangère ; l'Ecosse vient au secours de la reineMarguerite défendant les droits de l'héritier légitime, et,au moment méme où Sparte devenait ottomane, le pré-tendant et son fils succombaient dans la sanglante ba-taille de Wakefield. Restait le Saint-Siège.

Pie II ne voulut pas cependant renoneer à des desseinsqui étaient devenus le but unique de sa vie. Il fut dur àl'égard de l'empereur, auquel il parla du déshonneur ques'attirait l'Allemagne, de la honte de ne rien faire et dene pas accepter au moins qu'un rival, l'Electeur Frédéricdu Palatinat, prenne sa place. On lui répondit à Mayence,en 1461, l'accusant d'employer pour ses propres besoins

alors qu'il avait renoncé au grand projet formé parNicolas V de refaire Rome l'argent recueilli par lacroisade.

C'était aépiorable, Mohammed II le savait bien lorsque,en 1461, ne craignant pas Ouzoun-Hassan qui, menacé ducôté de l'Asie centrale par les héritiers du grand Timour,ne pouvait pas donner de suite A. ses provocations àl'adresse de son « vassal » et « tributaire », le petitémir de Roum, il se décida à mettre fin aux Etats, sansdistinction religieuse, qu'il avait jusqu'ici tolérés enAnatolie.

La Maison disfendiar, ancienne, détenait l'importantcentre de commerce qu'était Sinope. Les Ottomans s'enrendirent facilement maltres, ainsi que de Kastémouni,avec ses mines d'airain. La mère du Khan de la Perse

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38 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HIMIANITi

parut en amie, en suppliante presque, dans le camp duconquérant. Trébizonde, qui gardait comme une brillanteréminiseence le titre impérial de la Nouvelle Rome, n'étaitde fait qu'une misérable seigneurie protégée par les mon-tagnards chrétiens du Caucase et par le parent musul-man de Perse ; déjà l'empereur David, d'une famille demeurtriers, avait été évincé pour revenir en humble fonc-tionnaire du César turc. Comme le despote de Morée,mendia du Sttltan, venu en maitre, l'honneur d'uneparenté de hareth. Mais Mohammed voulut une conquétepar la bréche, et il l'eut sans difficult& Le « Grand Com-n6ne » et sa famille, considérés comme ayant des ententessecrètes avec Ouzoun, furent, peu après, massacrés I.

Aucun mouvement de ¡Menge ne se prononça cepen-dant en Occident. Le Pape se contentait de l'hommage dela Serbe Mae et faisait prendre formellement en pos-session par un légat le royaume agonisant ; il couvraitd'honneurs le Paléologue en exil, qu'il attira à la foiromaine. Le roi de Hongrie &Rant tout conflit avec lesTures, ce fut à la Valachie seule, abandonnée mame parle jeune NIoldave Etienne, qui voulait proflter pour s'an-nexer, avec Chilia-Licostomo, les bouches du Danube, querevint l'honneur de retenir pendant quelques moisl'avance de cet Einpire byzantin de religion musulmanequl, lentement, se complétait.

Mohammed amena avec ltti, au printemps de l'année1402, avec une importante armée, le remplaçant mémede cet « Empaleur » qui non seulement avait refusé letrIbut et le contingent d'enfants pour le corps des janis-salres, non seulement avait attiré dans une embuscade etmassaerd le beg de Nicopolis et de Vidine, mais étaitdevenu le vral maltre de ces régions de la rive droite duDanube, oil les siens exerpient le plus cruel des pillages,apportant à lour maitre des milliers de tétes, s'enor-gueillissait de suppuler it la façon de ces Turcs Tames

t Notre Goat& des Osmonischen Reiches, II, pp. 102-104. Cf.W, Miller, 7' rebi mud, Londres, 1926.

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CHAPITRE II 39

-auprès desquels il avait passé sa jeunesse. AIM au roiMathias, dont il venait d'épouser une parente, le Valaqueslevenait un danger permanent pour cette frontière duNord, que le Sultan croyait avoir déjà définitivementacquise et consolidée. Le jeune Radu, frère de ce pécheurendttrei qui était Vlad, un bellatre de harem, devait gou-verner en vassal bien soumis cette principauté, A laquellesans doute ou aurait imposé ensuite un régime de domi-nation directe comme dans d'autres provinces.

Pour la première fois après Bajazet, aidés par uneflottille danubienne, les Tures passèrent le Danube, et leSultan méme conduisait leur offensive. Ils rencontrèrentun système de défense auquel ils n'étaient pas habituésune immense solitude boisée avec des villages cachés aumilieu des arbres séculaires les attendait ; les quelquesbourgades n'avaient pas de Fours : au lieu de les défendre,on les abandonnait, sans aucun butin à recueillir, sansaucune gloire à gagner, à l'envahisseur. La capitale vala-que, TArgoviste, n'avait pas de portes à ouvrir. Mais danscetie conquéte, déjà terminée sans avoir livré bataille,y avait un prince, une classe nobiliaire, une armée auTaguets. On le vit bien lorsque, dans la nuit, le camp imp&rial fut attaqué, la personne mélne du Sultan mise endanger. Puis Vlad alla défendre, contre son ancien pro-tégé moldave, Chilia. Au mois de juin, il y eut les grandeschaleurs, la faim, la soif. Le nouveau Darius, battu parles défenses naturelles de cette plaine scythe, dut rebrous-ser chemin. Et, si Vlad n'avait pas écrit une lettre des-tinée à tromper le Sultan sur ses intentions de se sou-mettre, si le roi ne l'avait pas saisie, le prince vaincuserait revenu dans son pays en vrai vainqueur qu'il était.Son frère ayant été emprisonné par Mathias commetre au royaume et à la chrétienté, Radu-le-Beau put dones'installer.

Pendant cette année qui vit entamer la marche danu-bienne de la Hongrie, menaçant les défilés transylvains,l'Occident était occupé à d'autres problèmes.

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40 "MAI na SYNTH' SE DE L'HISTOME DE L'HUMANITE

La mort de Charles VII fit voir cambien avait grandiaux Opens de la France royale la Bourgogne du due. Phi-lippe-le Bou pant comme le tuteur bienveillant de celuigull avail si longtemps Alit& dans ses Etats, nourride sa pension, soulenu de son autorité. It conduisit sonpuplile h Reims, il 1'6c:rasa, Potrusqua de la splendetu: desa persottne et de son cortège ; lorsque le nouveau suze-rain Nina dans la cathédrale, sur l'estrade au-dessus desseigneurs agenouillés, settle la figure du protecteur saillitdebout. Philippe cambia de dons un prince encore trèspauvre. Alors qu'après la réception joyeuse h Paris, où ledue n'avait pas pant depuis vingt-six ans, Louis se retiraduns son modeste logis, l'hettel d'Artois accueillit leBourguignon, qtti, à c6t6 de la duchesse d'Orléans, tra-versttit les rues Jul rappelant de tragiques souvenirs, engrand attirail, admiré par la foule, « et voilà unInman prince 1 ! » Dans les églises son nom était men-Bona! à OW du maitre de ce Paris si longtemps rebelle

son devoir envers le roi 2 L'ami intime de ce prince quiétait le comic de Charolais fut fait lieutenant général enNormandie, place cédée cependant bientAt au duc deBretagne 3. Bien que Louis s'employAl de taus ses effort..h acquitter sa dette envers le duc pour libérer les vil/es dPla Somme, les relations avec le puissant seigneur, bien-tAt accablé par l'Age et la maladie, n'en furent pas gAtées.De son cfité, Philippe résista à toutes les offres que luifirent les barons mécontents, le propre frere du roi,Charles, duc de Berri, et le duc de Bourbon h leur téte. Lecontlit de plus en plus violent avec son fils, qui voulaitau moins la Iteutenance générale du duché et qu'il dutpoursuivre les armes h la main, retenait toute son atten-tion Iei comme pour le reste de la ehrétienté occiden-tales dans l'incertitude générale, tout le monde ne fai-salt que s'observer, attendant une décision que personne

Chnstellain. Cf. Foster Kirk, OUN r. cité, I, p. 180 ; ibid., p. 175..t Ibid., p. 177.4 Ibid., p. 200.4 Ibid., pp. 222 et soh..

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CHAPITIIE II 41

n'osait provoquer. L'ère nouvelle tardait done à paraitre.Ji avait suffi des voyages de Louis dans ses Etats, d'uneville à l'autre, de quelques mesures que nous pourrionsappelei : d'ordre public, pour que les &fiances selevassent contre lui.

Il en était tout autrement dans cet Orient ottoman sifortement consolidé. La campagne valaque de Moham-med II avait été sans doute un échec, mais le prestige duSultan n'en fut guère ébranlé. En automne déjà le Gatti-lusio de Lesbos fut détremé, Mohammed II lui-méme semettant à la tete de ses soldats débarqués dans rile 1Chaque année devant demander une campagne, il y euten 1463 l'attaque decisive contre la race serbe.

La reunion de la plupart des territoires devant lui re-venir entre les mains du royal Bosniaque ne pouvait pasétre tolérée. Il suffit d'une incitation de la part du filsrévolté du duc Stipan de l'Herzegovine, pour que ce prin-ce reçut Fordre de ceder les chAteaux pouvant ouvrir lavole de la Bosnie. Le royaume était incapable de se &fen-dre ; la majorité hérétioue de la population ne se sentaitpas solidaire avec un roi qui s'appuyait sur les promessesvaines du Saint-Siège. Les forteresses se rendirent l'uneaprès l'autre, et Etienne Tornachévistch dut se rendre A.ses poursuivants. Mené devant le Sultan, qui avait aecou-ru pour jouir de la victoire, il fut immédiatement déca-pité devant les murs memes de sa capitale de Jaice. Safamille chercha, comme celle des Paléologue, un refugeA Rome, sauf ceux qui préférèrent passer A l'Islam. L'Her-tzégovine seule, sauvée momentanément par les ruses duduc Stipan (-1- 1466), put prolonger son agonie 2,

Cette fois, la chrétienté sentit bien que l'heure d'uneaction commune était arrivée. Au moins ces deux Puis-sances, conseillées et soutenues par le Pape, dont les ter-ritoires étaient dejà touches par l'avance de la conquéte

Gesch. des Osmanischen Reiches, II, pp. 117-119.2 Ibid., pp. 119-122, 125-126.

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42 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

musulmane : la Hongrie, qui ne pouvait pas renoncer aufief turc de Bosnie, et Venise, dont le domaine était déjàenvahi par les begs, à Argos, conquise en 1463, A Lépanteet à Modon méme. Sous l'inspiration de Pie II, sous lapression de Bessarion, le roi Mathias et le doge s'allièrentpar le pacte du 12 septembre de cette môme année. Ledue de Bourgogne avait de nouveau fait des promesses.Le « hertzek » fut attiré du côté de cette coalition.

Avec le secours de Stipan, Jaice, faiblement garnison-née, fut reprise, en décembre, par les Hongrois, qui devaienty établir un « roi » en la personne du noble magyarNicolas Ujlaky. Le Sultan réussit tout aussi peu à repren-dre cette forteresse, en 1464, que Mathias lui-méme hk.tendre les frontières de cette Bosnie royale 1.

De son côté, dès l'été de l'année 1463, Bertoldo d'Este,commandant les troupes engagées. pour Venise, s'étaitrendu maltre d'Argos. Corinthe fut occupée, et Vandenmur de l'Heximilion rétabli sur l'isthme. Mais on s'ar-réla là. En 1464, on se borna à Wormer dans la pénin-sile, oil Argos fut perdue, et à faire des tentatives par merfill côté des Iles.

Maintenant cependant la grande expédition du Pape semettait en branle.

Dès le commencement de l'année 1464 tout était pt.&paré pour le &part ; le doge Cristoforo Moro obtint lapermission de commander la puissante flotte de la Répu-blique qui devait établir h Constantinople un Piccolominih la place des Paléologue 2. Mais il ne s'embarqua pasavant le dernier jour de mai. Le Pape lui-môme retardasensiblement son arrivée à Ancône, qui rappelait l'expé-dition de Trajan contre les Daces du roi Décébale. 11arriva malade, totalement épuisé. Jamais pent-étre delongs efforts n'avaient été récompensés par une si tristetragédie intérieure. Les vaisseaux de Venise, les galèresarmées par l'Eglise elle-méme arboraient dans le port les

I Ibid., pp. 126-127.-2 Ibid, p. 130. Cf. Pastor, ouvr. cite, II, pp. 217 et suiv.

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CHAPITRE II 43

drapeaux de S. Marc et de S. Pierre, lorsque le vieux pon-life ferma les yeux sur ce spectacle qu'il avait plus quetout autre au monde désiré (14-15 aoilt).

Le doge retourna aussitôt. On n'avait plus A VeniseFame de la quatrième croisade, et Moro n'était pas del'étoffe du vieux Dandolo. La guerre de Morée, malgrédes succès éventuels, comme celui de Patras, trainait enlongueur, négligée par les Turcs eux-mêmes, dont l'atten-tion était plutôt dirigée vers Scanderbeg, de retourcomme protégé vénitien, contre lequel Mohammed II lui-même marcha, sans pouvoir prendre sa roche de Croia,deux fois, _en 1466 et en 1468, la mort seule, en janvier1468, du héros albanais, pouvant délivrer l'Empireottoman de ce- danger. Les négociations se poursuivaientplus ou moins en cachette, de la part du roi Mathiasaussi, avec la Porte. Venise, qui avait espéré regagner laMorée entière, car, dans cette guerre, destructrice pourles étrangers par la faim et les maladies, il n'y avait nivainqueur ni vaincu, réduisit de beaucoup ses préten-lions sans pouvoir arriver cependant à un résultat.

En Occident aussi, l'intérét pour la grande idée s'étaitdissipé. En France, l'ancien conflit entre roi et duc avaitéclaté d'abord, et, depuis lors, la question de la croisaderestera étrangère aux préoccupations de ceux qu'on avaitconsidérés comme les chefs naturels de toute guerre pourla fol.

Louis XI voit se dresser contre lui la coalition de tousles mécontents. Au nom du « bien public », dont l'idéevient de l'Italie, « tous hommes vertueux », on volt lavirtù sont invités à courir aux armes pour mettre finA des abus en grande partie imaginaires et que les coa-lisés 1 étaient certainement plus incapables d'écarter que

I Voy. dans Legeay, ouvr. cité, I, p. 381,1' a alliance,confédérationet paction avec le comte de Charolais. On se plaignait des c, sou-daines et torsonnières entreprises que le roi pourroit faire contrenous, par exhortation des susdits nos 'malveillants o, ibid. On nemanquait las d'attaquer le retrait de la Pragmatique ; ibid., p. 407.

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44 ESSAI DE SYNTHSE DE 1211ISTOHIE DE L'HUMANITÉ

la réelle bonne volonté de leur roi. Les noms de Jeand'Armagnac, un débauché jusqu'au crime, de Dammartin,du nouveau due de Nemours, toute une nouvelle féodalitéimprovisée, mais sans Etats et réduite à s'entretenir deconcessions royales 1, se distinguent dans cette mêlée con-fuse à côté de celui de Dunois, des ducs de Bretagne et deBourbon, de Jean de Calabre et de ce frère royal, instru-ment de toutes les ambitions. Le comte de Charolais,depuis longtemps à l'affilt, et qui croit avoir des offenses àvenger, se met 6. la Me de ce groupement amorphe,n'ayant rien du caractère d'une vraie armée : il prétendreprésenter uniquement les droits envahis du due deBerri, auquel il vent qu'on donne la Normandie, lui res-tituant à lui-même les villes de la Somme. Ses soldats, lesseuls dignes de ce nom, ses Allemands aussi, les Suisses,les Italiens s'ennuient et veulent tourner bride. Commeil n'y a rien qui ressemble à l'approvisionnement, on faitla cour aux villes qui, coquettement, se maintiennentindécises. Lorsqu'on arrive à une rencontre, près de Paris,devant Montlhéry, Charles garde la possession du camp,mais Louis a pris l'artillerie de son rival et il est en étatde recommencer le combat, à ce point que son ancien amifut sur le point de tomber prisonnier. Le roi réussit à en.7trer dans Paris, oil il a la prudence d'ajouter à son con-seil six bourgeois, six membres du Parlement et six repré-sentants de l'Université. Quittant la ville où il laisse donedes soutiens, et en son absence on discute à l'FIôtel deVille sur les Etats généraux a convoquer, il s'en vachercher un autre appui en Normandie, et le gagne. Desmilliers de gens de guerre l'accompagnent ; les mêmesvilles passèrent cependant après quelques semaines ducôté de ce due de Berri qui prend le titre de « ills et frèrede roi de France 2 » et se donne des airs de régent, s'adres-sant au clergé, aux municipalités, a l'Université, au Parle-ment. Le duc ne cherche cependant que la dominationsur cette terre normande, et Louis, qui avait cédé aux

i Du c6té du roi, on trouve le comte du Maine, celui d'Eu, celuide Vendôme, ceux de Nevers et de Penthièvre ; ibid., p. 403.

Ibid., p. 399.

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OHAPITI1E II 45

Bourguignons, pour la vie du comte de Charolais 1, lesvilles de la Somme avec le comté de Boulogne, consentcette dernière concession pour satisfaire pleinement le« bien public ». Le duc de Bourbon gouvernera laGuyenne, le duc de Nemours, Paris elle-méme. Le duc deBretagne sera exempté de l'hommage 2, le comte de Saint-Pol sera connétable, les autres « hommes vertueux »devant se contenter de plus menus avantages. Trente-sixnotables, « pris parmi les prélats, les chevaliers et dansle conseil », présidé par Dunois 3, qui ne se réunirentque pour se quereller, eurent mission solennelle de pen-ser aux « réformes et améliorations qui pourroient étreutiles », dont on ne parlera plus.guère.

En Angleterre, on faisait moins assaut de théories, lesidéologies de la Renaissance n'y étant pas de mise. Sansaucun motif et sans aucun profit, on se massacrait pourYork ou pour Lancastre. Le fils resté vivant du due tuéh. Wakefield a vaincu, (Ms 1461, à Towton, et, contre lalignée de Henri, cet Edouard IV parait dire dans son nomméme que les traditions d'Edouard III, visant la cou-ronne de France, ne seront pas oubliées. Or, pendant quele roi Louis se butte aux plus grandes difficultés et qu'ondiscute sur ce qu'on fera de la Normandie, jadis berceaude la royauté anglaise, rien ne se prononce comme inten-tions de récupération de l'autre côté du détroit

Par ces discordes, l'empereur, faible comme il l'est,parait grandi et rehaussé. Malgré la ferme intention dePaul II, le nouveau Pape, de poursuivre la croisade, c'estlui qui désormais prendra en main le grand projet.

Dès le commencement de l'année 1465, un légat fut

I Mais, sauf Roye, Mondidicr et Boulogne; contre le paiement de200.000 couronnes ; Foster Kirk, ouvr. cite, I, p. 301. Le récit dePauteur anglais, tres circonstancié, s'appuie sur les chroniques etsur les details rassembles par Lenglet, Relation de la baMille.Comme la femme du comte, Isabelle de Bourbon, vient de mou-rir, Louis lui offre sa fille Anne et la Champagne en dot.

2 Legeay, ouvr. cité, I, p. 449.3 Ibid., pp. 487 et suiv.

Trève avec Louis XI ; ibid., p. 407.

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46 ESSAI DE SYNTIIESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

envoyé en Allemagne pour préparer une expédition vrai-ment digne de ce nom, sous la conduite de Frédéric. 11knit question de gagner le roi de Pologne, réconcilié avecl'Ordre Teutonique, dont les villes étaient soutenues dansleur révolte par ce prince. Dès 1456, lorsque Casimirparut A Thorn, les chefs traditionnels de la chrétientéavaient essayé d'amener cette réconciliation si utile pourla croisade ; on avait eu en échange la nouvelle cam-pagne royale en Prusse et la prise de Marienburg. Toutrécemment, le roi s'était annexé Ulm, Elbing, Thorn,Dantzig, exigeant l'hommage du Grand-Maitre de l'Ordre.C'était le moment culminant de ce règne ; les catholi--ques de Bohéme offraient la couronne de S. Venceslas au,Jagellonide, qui, deux ans plus tard, allait l'accepter pourson fils 1.

On avait cru d'abord qu'on pourrait se dispenser du.concours hongrois, qui avait trop manqué aux Vénitiensaussi, mais Frédéric parvint h gagner Mathias pour l'idéede confier la direction de l'armée à Ulric de Grafeneck,qui commandait A Belgrade et .jusqu'à Orsova et à Seve-rin, la ville hongroise qui défendait le Danube valaque.

La dike qui devait prendre les grandes décisions seréunit à Nuremberg, en novembre 1466. Il y avait dansl'assistance Albert et Frédéric le Brandebourg, Otto deBavière, deux des princes de Wurtemberg, tout disposésà se croiser. Les meilleures nouvelles lui furent aussitôtcommuniquées 2. Le Pape a ordonné une paix de cinqans dans l'Empire ; Venise ne tend pas la main au Sul-tan ; une nouvelle assemblée italienne tiendra bientôt sesséances ; la Hongrie, qui préparait une flotte, est prète Afournir son contingent pour un terme plus long ; unappel sera adressé A la France, A la Bourgogne, A l'Angle-terre, sans oublier le Danemarc 2. Mais France et Bouraotrne avaient un seul souci : éluder ou maintenir les

1 HaurEau, Storia delle Polonia, pp. 99 et suiv. Cf. Rapell et Caro,Gesch. Patens, dans les Staatengeschichten B, Gotha, 1863-1886.

2 N s State fi dinastii, pp. 38-39 ; Gesch. des Osmanischen Rei-ches, 11, pp. 143-144.

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CHAPITRE II 41

clauses du traité qui liait les mains d'une royauté envahis-sante. Louis XI, qui avait travaillé patiemment, s'unis-sant plus étroitement avec la Savoie, dont l'héritier, sonparent par la reine, parut un moment A. Paris, réussitregagner la Normandie. L'Angleterre n'existait pas pourla politique générale, les dissentiments intérieurs persis-tant sous le jeune roi, cependant d'une si noble disposi-tion au bien. Dans la péninsule ibérique, dont on ne par-lait méme plus, la Catalogue, continuellement opposée,avec ses intéréts maritimes, aux durs barons batailleursde l'Aragon, s'était cherché un roi dans le fils de celui duPortugal pour se donner ensuite A Jean de Calabre, qui,ici comme A. Naples et à Florence, éut son heure de suc-cès, pour succomber ensuite à une maladie foudroyante.En Italie, où AlphcMse V n'avait pas été remplacé, Fran-çois Sforza, le hardi condottiere qui avait su devenicmagnifique monarque, laissaft à sa mort, au cours decette même année 1466, un héritier indigne dans la per-sonne de son fils Galéas-Marie. Les petits princes auxCours brillantes ne signifiaient pas plus pour la croisadeque cette splendide Florence, oil, des 1464, s'était éteintl'Auguste de cette « république », le vieux Cöme de Médi-cis. On aurait dû compter, cependant, sur la Pologne, oùCasimir avait gagné, par le traité de Thorn, conclu A. laveille méme de cette diète de la guerre sainte, la Prusseoccidentale, avec Marienburg, contraignant le Grand-Mai-tre, vassal du royaume, A se chercher une nouvelle capi-tale A Königsberg, l'ancienne création des rois de Bohime.

Une nouvelle diète siégea en juin 1467. Les espérancesbrillantes se maintenaient. Alors que Bartolomeo Colleo-ni était considéré comme le futur chef du contingent ita-lien et que Venise annonçait la création d'une nouvelleflotte, l'Allemagne pensait A se « moderniser » avec unepaix obligatoire, un Parlement des Etats, une monnaied'or et d'argent commune avec la Hongrie. Comme on sesépara cependant sans fixer le terme pour la réunion descroisés, la Hongrie protesta, menaçante, contre le renvoi,d'une diète A l'autre, d'une question de vie pour ses inté-

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48 k.SS 41 DE SYNTHESE DE L'ilisroinn DE L'HUNIANITE

réts. Mathias entendait qu'on sache sa ferme decision dene pas étre le premier prince cliretien qui périra 1

Mais le roi de Hongrie fut bient6t aux prises avec Casi-mir, et les dietes se continuerent, d'après la recette de-noncée par ces Hongrois, jusqu'en 1469, sans aucunrésultat.

Par la prise d'Enos, cruellement saccagée, et celle de laNouvelle Phocée, les Vénitiens, les seuls à combattrecontre le Sultan, crurent pouvoir constater que la fortunea passé enfin de leur còté. Mohammed II était attire versle seul grand Etat musulman resté en Asie Mineure,celui de Caramanie, où, après que le vieil émir efit ététraité par ses fils à la façon des princes de l'Occident,une rivalité furieuse avait éclaté entre deux de ses suc-cesseurs, Pir-Achmed, soutenu par les Ottomans, et leclient d'Ouzoun-Hassan, enfin vainqueur contre lesTimourides, Isak 2.

Mais bientiit un terrible coup dissipa toutes ces bril-lantes illusions et réveilla l'Europe chrétienne de sa lon-gue indolence.

NIohammed II était arrive à se former une flotte capa-ble d'affronter la formidable force maritime de Venise.De fait, ce qui apparaissait maintenant sous les drapeauxau croissant dans les eaux de la Méditerranée ce n'étailque la marine de Byzance ressuscitée au profit d'un autremaitre, et à la thalassocratie byzantine devait succédercelle de cet Empire musulman de la nouvelle Rome. Enjuin 1470, le Sultan ne disposait pas moins de cent dixgalères et plus de deux cents autres voiles.

Il lui fut possible done de faire facilement disparaitrel'établissement des cbrétiens de la revanche à. Imbros etA Lemnos. Puis la flotte se présenta devant Nègrepont.Le commandant véhitien commit la fatale erreur de dis-,perser capricieusement ses vaisseaux. Ceux des Turcs

I Si percundum sit, saltem Sua Majestas prima non fiat ; Notes etextraits, IV, p. 869.

2 Ibid., pp. 146-147, 159-1G9.

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CHAPITRE II 49

passèrent par-dessus l'ile, dans le détroit ; sous les yeuxdu Ache amiral de Venise, des assauts répétés furentlivrés A la citadelle. Le 12 juillet, la riche ville, un desentrepôts les plus importants de tout le monde colonial,la vraie capitale des possessions ducales dans cet Orient(free, subit toutes les injures d'un conquérant impi-toyable : l'héroique commandant, Paul Erizzo, sera sciépar le milieu. Les Iles voisines furent de ce coup occu-pées. Un raid victorieux traversa la Morée sans rencon-trer aucune résistancel.

On put croire un moment que le miracle de l'ententechrétienne allait se réaliser. Mais il ne fallait pas mêmepenser aux Puissances continentales du centre et del'Occident de l'Europe. L'Empire ne députera ses repré-sentants A une diète avant l'année 1471, quand, à Ratis-bonne, on discuta seulement sur l'organisation par« cercles » des pays allemands livrés à l'anarchie. Sansparler de la péninsule ibérique, où ce qui domine cb sontles querelles dynastiques, la Bourgogne avait abdiquéson rôle de croisade aussitôt après la mort du bon ducPhilippe. Dès le mois de juin 1467, Charles, son succes-seur, abservait avec &pit l'activité du roi Louis, qui cher-chait A. effacer les conséquences d'une détresse momenta-née. Une seconde humiliation fut infligée au roiPéronne, où il s'était rendu pour une entrevue avec lenouveau due, au moment même de cette révolte des Lié-geois, jusqu'hier libres, contre les appétits bourguignons,révolte dont on le retint complice. Il ploya, promit, signaet échappa. On le vit assister, indifférent en apparence, auchAtiment terrible de ces secrets alliés de sa couronne(1468). Son frère de Berri finit par accepter comme apa-nage la lointaine Guyenne au lieu de la riche Cham-pagne-Brie qu'il avait obtenue par la convention' dePéronne ; son avidité de domination territoriale fut habi-lement leurrée, et ses relations avec l'Angleterre surveil-

Ibid., pp. 147-160.

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50 ESSAI bE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

lées de près pour l'éloigner ; son frère royal essaya de luifaire épouser cette Isabelle de Castille qui allait bien-tôt devenir la femme de Ferdinand d'Aragon : elle futdemandée formellement en.mariage par le cardinal d'Al-by, qui fut envoyé en mission, mais elle évita ce mariage,se retirant en hate sous la garde de Varchevéque de Tolè-de, qui entendait garder l'héritière pour l'avenir de sarace espagnole 1

Dans quelques mois, son frère Alphonse étant mort,elle se fit reconnaitre héritière du royaume. Plus tard, unautre mariage castillan fut proposé au prince : celui avecla fille de Henri IV, cette Jeanne que ses adversairesdéclaraient une bâtarde, fruit des relations de la reineavec le connétable Bertrand 2. Le Pape lui-méme confirmala protestation par serment de ses parents, et les fian-çailles eurent lieu. En Aragon, la France royale soutenaitJean de Calabre, au fils duquel, Nicolas, Louis promettaitde marier sa fille ainée, .Anne 2. La mort seule, à qua-rante-cinq ans, de ce prince d'une belle trempe empéchade ce côté aussi la réalisation de ces projets d'expansion.Le roi d'Aragon s'en vengera en prenant la province dis-putée, de langue en partie espagnole, qui est le Roussil-Ion.

En Angleterre, le plus puissant des nobles, celui qu'ona appelé « le faiseur de rois » et « le dernier des baronsWarwick, disposant de tout un monde de clients quivivent à ses dépens, dans sa « retenue » portant sadevise, est le vrai maitre du royaume. Le Parlement,appelé à légitimer les dominations, le due d'York y ayanteu recours, de même que, en 1450, le délégué des com-munes de Kant », le rebelle John, Cade, était à sa dispo-sition. Comme Edouard avait conclu un mariage quidéplaisait au remuant tuteur de son règne fragile, War-wick se leva contre lui et fut chassé. Louis, qui abritait lareine Marguerite et son fils, alors que Henri VI moisis-

Legeay, ouvr. cité, II, pp. 13-17, 19, 20 ; ibid., p. 40.1 Ibid., p. 42.

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CHAXITRE II 51

sait en prison, et qui avait fait baptiser par le prince deGalles son fils Charles 1, offre Angers pour le mariage del'héritier légitime de la Couronne anglaise avec la filledu puissant baron 2. Celui-ci passa bientôt dans l'ile poury imposer le roi Henri 3, et il fallut l'appui de Charles deBourgogne, marl de Marguerite d'York, pour qu'Edouard,A. la téte d'une petite armée, regagnAt son royaume (1471).Bientôt Warwick fut tué A. Barnet, et son protégé royal,ainsi que le prince de Galles, périrent assassinés.

La Hongrie elle-méme poursuivait d'autres buts. En1467, le roi Mathias se dirigea vers l'Orient seulementcause de la révolte des Transylvains, qui venaient de pro-clamer un roi germanique. Comme il croyait que le princede Moldavie, maintenant solidement établi, contre lesValaques, sur le Danube inférieur, à Chilia, est complicedes rebelles, il risqua une invasion dans cette prin.ci-pauté, dont il croyait pouvoir &carter celui qu'il considé-rait comme un vassal insoumis. Avançant par une cam-pagne d'hiver jusqu'à l'ancienne capitale de Baia, il futsurpris au milieu du festin de Nal par les paysans enarmes de cet Etat on la noblesse était associée à uneforte race des campagnes, blessé et mis en fuite. Dèslors, Mathias se consacra surtout aux problèmes poli-tiques de l'Occident. Georges Podiébrad, le roi hussite,étant mort, il convoita son héritage, à côté du princepolonais Vladislav, fils de Casimir. La Moravie, la Silé-sie sell/es échurent A ce prince aux attitudes de César,entouré de lettrés comme le Napolitain Bonfini, d'ar-tistes comme Filippino Lippi ; il pouvait invoquer aussisa qualité de mari de.la princesse Catherine, fille du roidéfunt, qui l'avait cependant précédé dans le tombèau.Et bientôt, en 1471 aussi, dans la Hongrie Supérieure,parut le jeune prince Casimir, fils de Vladislav, qui nepouvait pas oublier le règne hongrois de son parent, leroi martyr tué h Varna.

Ibid, p. 31.2 Ibid.

Ibid, p. 33.

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52 ESSAI DE SYSTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUbiANITE

Aussi la ligue de cette année 1471 contre les Turcs,provoquée par Venise aux abois, qui avait vu les cava-liers ottomans sur la côte dalmatine de l'Adriatique etjusqu'en Istrie, alors que d'autres « altindschis » se pré-sentaient à Lubliana-Laybach, ne comprenait-elle que lesHaliens, qui admettaient le Pape, le Pape seul, commechef d'une entreprise nécessaire. Dans le nouveau roi deNaples paraissait s'étre réveillé l'esprit belliqueux de souantécesseur, le grand Alphonse ; il parlait du vaisseausolitaire qu'est cette Italie menacée par une avancemusulmane qui d'un jour à l'autre pouvait atteindreBrindisi. Il offrait vingt-cinq vaisseaux napolitains quise réuniraient A une flotte vénitienne deux fois plus forte.On espérait avoir le concours réel des derniers dynastesrestés en pied au delà de la Mer Orientale : les seigneurshertzégoviniens encore insoumis, les Tocco de Céphalo-nie et d'Epire, le duc vénitien de l'Archipel, Raguse et,plus loin, au large de la Méditerranée, les Hospitaliers deRbodes, attaqués plus d'une fois par la flotte turque, etce Jean de Lusignan, roi de Chypre, qui pouvait se rap-peler les exploits de son prédécesseur, le grand croiséd'Alexandrie 1

Mais la ligue italienne ne put rien présenter commemoyens reels de combattre le Sultan avant 1479. Jusqu'àcette date, Venise se chercha vainement des alliés à tra-vers l'Europe. Le roi de Pologne parlait vaguement d'unerésistance sous ses ordres, qui aurait compris les Com-nènes de Mangoup, en Crimée, les Génois restant encore

Caffa. Le Pape cherchait à gagner la Moscovie du TzarIvan, auquel il mariait, lui, le protecteur des derniers-Paléologues, la princesse byzantine Zoé. Il envoyait unémissaire aux Tatars de cette méme Crimée. On pensaitavec confiance à Ouzoun-Hassan, allié du roi de Géorgie,

State fi Dinasiii, pp. 40-41 ; Gesch. des Osmanischen Reiches,Il. Voy. aussi notre Rude Les aventures sarrazines » des Fran-çais de Bourgogne au xv° siècle, dans les Mélanges d'histoiregénérale de TUniversité de Cluj, I, Cluj, 1926 (aussi tiragepart).

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CHAPITRE II 53

qui avait en 1471 ses ambassadeurs à Venise : le Khan dePerse avait fait envahir l'Anatolie par ses Turcomans,qui amenaient avec eux les princes dépossédés par Mo-hammed. Les deux rivaux, dont l'un voulait être un nou-veau Timour, mais l'autre &all d'une tailIe de, beaucoupsupérieure à celle du malheureux Bajazet, se combat-tirent en 1472, par leurs lieutenants, sans se rencontrer.En 1473, une grande guerre decisive commença dans desconditions qui rappelaient celle des plus importantesparmi les conflits, entre Romains ou Byzantins, d'un côté,et Perses, de l'autre. Après avoir fait sur l'Euphrate unvrai massacre de l'avant-garde ottomane, Ouzoun crutpouvoir disperser d'un hardi élan les legions de Moham-med : en août, sa (Waite en Asie Mineure fut com-plete. Il ne devait plus recommencer 1.

D'autant moins pouvait-on atiendre le concours del'Occident français, malgré les protestations faites parLouis XI dans sa première jeunesse et malgré les offresformelles du nouveau duc de Bourgogne dèS son ave..nement.

En effet, entre les deux Frances venait d'éclater ce con-Hit dont le résultat devait avoir pour l'histoire de l'hu-manité des effets bien plus grands que la conquéte deNegrepont par les Turcs ou la retraite du Khan de laPerse turcomane.

Des 1470, le roi de France avait consulté les notables,parmi lesquels des bourgeois, sur l'attitude que les villes,qui pouvaient encore decider de la victoire, auraient encas d'une guerre contre le due 2.Il reçut des assurances,mais ne voulut pas se risquer, se bornant à chercher detous côtés ces allies qui manquerent trop à la « témérité»de son rival. Il y eut aussi des ententes avec la Savoie, etbientôt des relatio-ns étroites seront nouées avec lesSuisses, craignant un retour offensif de ce représentant

1 Gesch. des Osmanischen Reiches, II, pp. 162-169.9 Legeay, ouvr. cite, II, p. 39.

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51 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

de la Maison d'Autriche qu'était le duc Sigismond, maltrede l'Alsace, et avec des points d'appui sur le territoiredes confédérés. Bientôt, on se battit en Picardie pour lapossession des villes de la Somme. Des 1471, le frère duroi, resté de fait irréconciliable, pensait à un mariageavec la fille unique du duc Charles, Marie.' : une « fièvrequarte » l'emporta en 1472.

Cependant, malgré la disparition de cet atout si impor-tant pour la politique bourguignonne, les haines qui, avecun prince du tempérament de ce « Téméraire », étaientdevenues personnelles, continuaient à couver. Les effortsfaits, cette même année, par le cardinal Bessarion pourles apaiser restèrent inutiles 2. Un autre candidat A. lamain de l'enfant qui était héritière de rceuvre accom-plie par trois générations de dues de Bourgogne, Nicolas,le fils de Jean. de Calabre, qui pouvait réunir à ce com-plexe de provinces la Lorraine, mourut dès 1473 3.

La fortune, pour ne parler que d'elle, servait la royautéaux aguets qui, lentement et sûrement, sans éclats, cer-nait son adversaire. Charles fit Gaisir par un de ses amisl'héritière de la Lorraine, Yolande, fille du roi René, quiétait veuve du comte de Vaudemont, ainsi que le fils decette princesse, auquel elle avait cédé ses droits, René.Il dut les lAcher bientôt, mais une autre action, plushabile, lui gagna la Gueldre, dont le jeune duc avaitépousé une princesse de Bourbon, sceur de la défunte du-chesse de Bourgogne. C'était la cinquième couronneducale 4.

Alors, bien que ses conseillers eussent recommandé auhardi lutteur de se réunir, par-dessus tous les mauvaissouvenirs, à la France, qui, tout en voulant faire excom-munier Charles, avait conclu une trêve avec lui, pourrceuvre de croisade, le duc se détacha complètement deses vceux personnels et de ceux de son père dans cette

t Ibid., pp. 60-61. Cf. ibid., pp. 67, 69, 74.2 Ibid., pp. 90-91.3 Ibid., p. 99.I Ibid., pp. 99-101. Cf. Foster Kirk, ouvr. cité, II, pp. 26 et suiv.

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CHAPITRE II 55

direction pour travailler A. se former un Etat de la grandeLorraine historique, des sources du Rhin A. ses embou-chures, avec une couronne de roi.

Le séducteur parut dès 1469 h Bruges : c'était ce Sigis-mond, prince autrichien, pauvre et désorienté, prét auxventes et aux liquidations, mais lié d'une &mite solida-rité A. son grand-parent, l'empereur. Mari d'Eléonored'Ecosse, ancien commensal de Charles VII h Troyes 1,ii avait changé de direction. On parla de la possibilitéd'un couronnement, Charles désirant étre roi des Ro-mains, héritier de l'Empire, avant le mariage, qu'on luiproposait , de sa fille avec le jeune et chevaleresque fils deFrédéric, Maximilien, qui pouvait 'are sympathique auduc de Bourgogne aussi par ses gals pour la poésie, pourles aventures, étant de l'espèce d'un Charles d'Orléans etdu Téméraire lui-méme. Il fut question méme d'uneabdication de la part de l'empereur, ou du moins d'uneassociation, que le vieux monarque refusa nettement,parlant de collaboration contre les Turcs et méme contreles rebelles suisses. On passa au projet d'un vicariatd'Empire pour le père d'une fille h. si riche dot.

Une entrevue avec Frédéric fut arrangée A Metz. Oncroyait que, suivant l'exemple de son grand antéresseurSigismond, qui était sur le point de faire du duc Witold,,cousin du roi de Pologne, un roi de Lithuanie 2, le chefde la Maison d'Autriche aurait pu créer un royaume deBourgogne, ce qui aurait mis pour toujours un obstacleaux progrès naturels de la Maison de France. DéjàCharles paraissait sur les rives, convoitées, du Rhin enroi guerrier, avec ses 14.000 soldats trainant 400 canons.Aix-la-Chapelle, la ville de Charlemagne, dont l'izeuvreétait commémorée par le roi Louis, qui l'avait fait ins-crire parmi les saints et se glorifiait d'en suivre lestraces comme père de ses sujets, fut traitée en bicoqueinsoumise. Il n'y avait pas dans cette forte Ame beaucottp

I Foster Kirk, ouvr. cité, III, pp. 130 et suiv.2 Prochaska, Codex Witoldi.

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56 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

de respect pour le passé du moyen-ige dont venaientcependant toutes les racines de son étre. Metz, effrayée,refusa l'entrée h. ce visiteur qui paraissait un conque-rant. Il entra avec une brillante suite seulement, portantsur lui des pierres précieuses qui valaient 200.000 cou-ronnes d'or. Au milieu des princes de l'Empire, arche-véques de Mayence et de Treves, prince-évéque de Liege,dues de Bavière et de Caves, marquis de Bade, Frederic,comte de Nassau, le vieux monarque paraissait bien mes-quin dans ses habits pauvres et vulgaires, avec sa figuretzigane, et Maximilien, qui avait à ses côtés un « frère »de Mohammed II, les cheveux en chignon, semblait étrelk pour relever un peu ce prestige déchu.

On discuta aussi sur la croisade, Charles declarant denouveau y 'are pret. Mais ce qui intéressait était cettecouronne royale dont l'éclat séduisait les regards bat-lants du splendide duc. Après huit semaines de discus-sions, on croyait tout arrange, la date méme, du 25novembre, ayant été fixée. Mais les électeurs se mon-trerent peu disposes A. accepter, au milieu de leur situa-tion bien plus modeste, cet héritier royal de Lothaire.Tout A. coup, apres des atermoiements, l'empereur par-tit h. bride abattue, peut-étre méme sans avertir son visi-teur 1.

Apres cette tentative manquée, l'ancien aspect d'acca-pareur reparut dans l'héritier des deux Philippe. Pen-dant que la brillante assistance germanique se dispersaitde tous côtés, Charles vint A. Nancy, dont le nouveauprince, René, avait déjà signé un pacte avec Louis XI 2.Par le traité conclu avec Sigismond d'Autriche, il estdéjà le possesseur de l'Alsace et du comté de Ferrette,jusqu'au paiement, qu'on savait dès le début éntre aléa-toire, d'une somme de 50.000 florins. Des projets se sont

D'après les Mémoires de Philippe de Vigneulles, l'étude de deBussière sur a la ligue formée contre Charles le Téméraire (Paris,1846), les Mémoires de la Marche, les actes publiés par Chmel etdans le Reichstags-Theatrum de Willer, dans Foster Kirk, III.

2 Ibid., p. 469.

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CHAPITRE II 57

formes contre le due de Milan, allié h la France ; enSavoie, la régente Yolande est retenue en captivité parles héritiers du due Amédée, ancien ami de la royautéfrançaise. Maitre de la Catalogne, le roi Jean II s'em-presse de redemander la Cerdagne et le Roussillon, enga-gés h Louis XI, qui conserve seulement le droit de nom-mer les chatelains des places fortes et le gouverneur gene-ral. En Castille, toute intrigue, sous le faible Henri IV,cessera par l'avènement, au commencement de l'année1471, d'Isabelle, proclamée à Ségovie avec son mari,l'Aragonais Ferdinand, des ennemis qui ne se cachentpas du meme roi Louis.

En janvier, Charles est h Dijon, oil, faisant son entréevraiment royale, il parle de I' « ancien royaume de Bour-gogne » qu'il espere done tout de même réaliser. Il trans-porte en grande solennité à la Chartreuse les ossementsde ses parents. Délivré, des Péronne, de toute immixtionfrançaise dans la juridiction de ses Etats, il fonde uneseule tour pour tous ses sujets, à Malines 1. Commesoupçonne que les « Zwytsois » ont des 1470 une conven-tion-avec Louis, qui les oblige h. ne pas fournir de recruesh la Bourgogne, comme il se rend compte que, de Mul-house h Bale et b. Berne, sa royauté in spe effraie, dansla première de ces villes il y avait eu des processions etdes prières, il s'informe aupres des confédérés si cesbruits correspondent h une réalité qu'il n'entend pas per-mettre. En méme temps, il se fait voter par ses villesflamandes un subside de 500.000 couronnes pour six ans,il engage des « bandes d'ordonnance » et 5 h 6.000 archersanglais. Avant de jeter ses nouvelles forces contre laFrance, la treve étant prolongée jusqu'en mai 1475, il selaisse cependant attirer par une misérable querelle hCologne, dont l'archevéque, en querelle avec son cha-pare; l'a reconnu comme protecteur. Il s'immobiliserapendant des mois devant la petite ville de Neuss, biendéfendue par des Bavarois, faisant batir toute une cité

1 II l'intitule non plus Parlement, mais a Conseil de justice

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58 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

devant ces murs de défi, pour montrer que rien ne ledétachera de son intention. Un simple batailleur avaitremplacé le souverain capable de poursuivre méthodique-ment des buts politiques.

Son prestige en souffrit. Son administrateur alsacienHagenbach avait été juge trop dur par une populationhabitnée 4 ètre épargnée. On se ligua contre lui, on leprit, on le jugea et on l'exécuta en place publique (1473).

Charles dut done venger cette sanglante et jusque-làinouie injure ; il fit piller par le frère du supplicié ceterritoire d'Alsace avec lequel toute relation de com-merce est interdite. Mêlé au monde germanique, lui quiparle des « Allemands » avec antipathie, aidé au siège deNeuss par l'Electeur Palatin, par le due de Juliers etl'héritiers de Clèves, par le comte de Nassau, il a contrelui la Maison de Wurtemberg et celle de Hesse. Un autremonde est devenu maitre de cette politique visiblementdévoyée. Les liens avec la France, avec toute France,sont irrémédiablement brisés et, en fait de croisade, ondistingue dans cette armée multiforme des Maures, oumême des Turcs 1

Pendant que ces grands événements se passaient aumilieu de la chrétienté occidentale, le Sultan avait essayéde faire prendre par son général d'Europe, le « begler-beg de Roum », Scutari, qui résista plus de trois mois,soutenue par les vaisseaux vénitiens qui étaient entresdans le lac de Boiana 2. Le même commandant voulutréparer son échee par la première campagne contre cetteMoldavie roumaine qui avait oublié sous Etienne-le-Grand le tribut payé par 'Pierre Aaron et qu'une invasiondes Tatars de Crimée n'avait pas amenée A résipiscenceau contraire, Etienne s'en était pris au vassal ottoman deValachie, détruisant au profit de ses riches ports de Mon-castro et de Chilia celui de ce voisin, BrAila (1740), et,

I Foster Kirk, loc. cit., pp. 285 et suiv., 327 et suiv. Relationsentre Louis et certains princes germaniques ; Legeay, ouvr. cité,II, pp. 144-145.

2 Gesch. des Osmanischen Reiches, II, p. 153.

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CHAPI'rRE II 59

repoussant avec succès toutes les tentatives de revanchede ce client des Musulmans. 11 y avait même, depuis lafin de rannée 1473, un protégé du Moldave dans la forte-resse de Bucarest au-dessus du mince filet d'eau de laDambovita, et Mohammed pouvait craindre, avec rin-fluence croissante que le puissant prince roumain segagnait en Transylvanie, où les Szekler obéissaient à sesordres et les Saxons, abandonnés par le rol, voyaient enlui leur défenseur contre les pillages turcs, l'apparitionsur ce Danube turc d'un nouveau Jean Hunyadi. Raduput 8tre remplacé par les begs danubiens, mais un autreBasarab, « le jeune », vint aussitôt, victorieusement, à larescousse, et, pour eh:Mier le rebelle de Moldavie, rarméed'Europe elle-même paraissait nécessaire. Elle pénétra,aidée par la cavalerie valaque, A. la fin de rannée 1474,jusque dans les marécages de Vasluiu, sur la granderoute qui reliait le Danube avec la Galicie du roi Casimir,et, en janvier 1475, une embuscade heureuse amena lacomplète déroute de Soliman l'Eunuque et la destructionde son armée, poursuivie en pays ennemi par les routesimpraticables de l'hiver.

Etienne, qui, très humblement, en prince élevé auxpréceptes de la Bible, fit honneur à Dieu seul de ce grandsuccès, s'empressa d'en avertir tous les princes et toutesles républiques des « Francs ». Ses ambassadeurs se pré-sentèrent à Venise, qui ne faisait que tater la Porte otto-mane pour se gagner une paix taut soit peu favorable.Personne ne remua : ridée de la croisade était morte.

Si la prise de Nègrepont avait mis en émoi les Occi-dentaux, ils furent, étant maintenant habitués A ces dé-sastres, beaucoup moins frappés par le nouvel exploitdes Ottomans contre les républiques italiennes, quiavaient encore conservé leur place dominante danslecommerce du Levant. Caffa, qui dépassait sous tous lesrapports la grande colonie vénitienne de l'Archipel, Tana,n'était guère préparée à subir un siège ; une flotte génoisene se présenta pas pour affronter celle de ramirar turc,très bien fournie. Une prospérité qui avait duré presque

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60 ESSAI DE SYNTDESE DE 121-11ST0111E DE L'HUNIANITÉ

deux siècles finit en été 1475, lorsque les janissairesvinrent remplacer les orguxii payés par la république deGanes sur ces puissants murs de Caffa. Le château, cons-truit sous l'invocation de saint Theodore Stratélate et desaint Theodore Tiro, à Mangoup, dans cette lame pénin-stile de Crimée, par des Comnènes de Trébizonde, eut lememe sort que le grand centre de commerce italien. LeKhan des Tatars criméens, cependant un « empereurfut délivré de la prison turque pour gouverner, en simplevassal d'un beg, sultan et emir de rang inférieur, eel« Empire » héritier de la Horde d'or.

Sauf une attaque heureuse du roi Mathias, qui se ren-dait enfin compte d'un danger gull avait trop négligé.sur la forteresse turque de Schabatz sur la Save, saufun raid en Bosnie, auquel prit part un Brancovitsch et

« Empaleur » valaque, delivré de sa prison, rien ne futtenté de la part des chrétiens pour repondre à cette pro-vocation.

Car, en Occident, tout ce qu'avait excite les coups deboutoir du sanglier bourguignon était en pleine effer-vescence.

En juin 1475, le lendemain de la prise de Cat-fa, quiavait été soutenue, en 1445, par les vaisseaux du duc Phi-lippe, Charles le Téméraire abandonnait enfin, décou-rage, ce siège inutile de Neuss. Tournant ses appetits devengeance du côté de la France, il invita son beau-frèreanglais à demander la restitution des provinces perduespar sa victime Henri VI. Edouard débarqua A Calais, maisCharles, auquel Frederic, revenu A. Metz, fit envahir leGueldre, comme si la liquidation bourguignonne avaitdéjà commence, ne put amener dans le camp anglais quesa seule suite. Louis proposa au « roi de France » de pardelh la Mer, avec une somme de rachat assez alléchanterle mariage du dauphin avec une des filles d'Edouard. Onse rencontra à Pecquigny en bons amis, une trève de septans ayant été conclue 1

I Legeay, ouvr. cité, II, pp. 149 et suiv.

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CHAPITRE II 61

A cette date déjà la situation avait change au plusgrand profit de la monarchie franyaise. Assure du côtéde la Bourgogne, et du côté de la Bretagne aussi, par destrèves, Louis venait d'obtenir de la part de Marguerited'Anjou la cession de tous /es droits de cette énergiqueet cependant si malheureuse princesse en France ; rem-pereur lui demandait son concours pour régler les.affaires du Rhin ; des perspectives s'ouvraient aussi bien

côté de la Savoie que de la Provence i ; Alphonse V,vain défenseur des droits de Jeanne, héritière de la Cas-tille, sa fiancée, préparait une visite 2 c'était cependantun proche parent de Charles.

Des liens étroits avaient été, enfin, solidement nouésdu côté de la Suisse, peke à marcher contre le reveur quiparaissait vouloir attenter à la liberté, durement acquise,des cantons confédérés.

Charles alla aveuglément se butter contre leur passiond'indépendance. II fut brisé à Granson : une petite arméeparfaitement unitaire et d'un admirable elan avait faci-lement eu raison des efforts d'une masse militaire dispa-rate. Le duc en fut malade ; il fit venir de nouveaux con-tingents étrangers, qui ne donnerent pas aux siens l'élé-ment moral, absent des l'origine. Le vaincu s'aperçutbientôt qu'il ne dispose d'aucun allié ; le voisin de Milan,dont. la fin, par le crime de conspirateurs, approchait 3,se tourna de nouveau vers la France, dont le roi &all tapiA Lyon, attendant ce que les événements pourraient luidonner ; la régente de Savoie dut etre libérée. La Waitede Morat avait suivi celle de Granson 4.

La fureur du « Téméraire » se dirigea contre la Lor-raine. II était affamé d'une victoire, lui dont le sens de lavie était le combat perpétuel, sans répit, qu'il aurait pucependant mieux diriger du côté de cet Orient menace,où l'attendaient au moins de glorieuses aventures. Orses villes de Flandre n'étaient plus disposées à lui accor-

Ibid., pp. 153, 163 et slily., pp. 179-180, 195-196.2 Ibid., pp. 225-226, 236.3 Sa femme, 13onne (le Savoie, avait du sang français.4 Ibid., pp. 186 et suiv.

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62 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

des des subsides 1, et son autorité ne reposait que sur destitres divers, d'un caractère absolument formel, qu'il nepouvait pas &passer par ses prétentions : c'était Jagrande infériorité A l'égard du roi, son rival, dont le pou-voir ne reposait pas sur un groupe de chartes.

Les Suisses, qui négociaient un traité avec Louis, pri-rent sur eux de défendre la première victime désignée parla colère de leur ennemi, René II, qui venait de s'établirA Nancy. Devant cette ville, en janvier 1476, fut livréesur la neige une dure bataille décisive. Charles la perditaprès quelques heures, on trouva son corps soufflé etraidi par le gel. Il fut enterré bien humblement, avantde le transporter dans le tombeau de Bruges.

Louis essaya, A cette heure si impatiemment attendue,de brusquer les choses. I1 nomma un. gouverneur des deux.Bourgognes, Pierre de Craon ; il reprit possession de laPicardie et de l'Artois. Un procès posthume sera intentéau fier adversaire que le sort avait foudroyé 2. Mais lesEtats de Flandre se levèrent en fureur contre ce régimefrançais, troublant et dépensier : les conseillers de labelle jeune duchesse, dont Fame paraissait étre de larame trempe irréductible que celle de son père, furenttués sous les yeux de leur maitresse ; on voulait mettrefin A un régime de tyrannie, opposé A ces bonnes cou-tumes anciennes dont ces contrées ne perdront jamais lesouvenir.

Si on avait pu arriver au mariage de l'héritière, quicomptait déjà tant de prétendants A. sa main, avec le dau-phin, frae enfant encore en bas-Age, la question bour-guignonne, qui continuera A agiter l'Occident, aurait dis-paru : avec ou sans les Flandres, qui auraient pu sedévelopper dans un autre sens, Louis aurait eu une situa-tion comme celle de Jean-le-Bon, avec la victoire sur lesAnglais en plus. Mais la duchesse knit bien décidée h nepas abdiquer par cette liaison qui se serait nouée par-

i Ibid., pp. 220-221.2 Ibid., pp. 306 et suiv.

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CHAPITRE II 63

dessus le tombeau d'un père mort irréconciliable h l'égardde la monarchie de Saint-Louis dont lui-méme descen-dait. La beauté, le prestige chevaleresque, les perspec-tives impériales de Maximilien d'Autriche lui disaientplus que cette grise cour de sentences capitales contre lanoblesse (le connétable de Saint-Pol, d'Armagnac) et decages de fer pour les conseillers en disgrâce 1, de cerepaire où le vieux renard vivait au milieu des gens de sadomesticité. Le mariage fut célébré un peu à la hâte ;sera gros de suites pour l'Europe entière.

Pouvait-on penser, lorsque la Maison d'Autriche étaitprise par ses plus grands intéréts de ce côté-lh, lorsque lesplus larges horizons s'ouvraient h. une ambition guère-inférieure à celle des autres dynasties, au probléme turcr

Ainsi Mohammed put-il consacrer toute cette année1476 h la guerre contre le Moldave, dont l'indépendanceprovocante lui coupait le chemin vers la Hongrie aussibien que vérs la Pologne, pays encore intacts, marches dela chrétienté dans le Sud-Est de l'Europe. Trainant aveclui les Valaques, flasques sous sa forte main, il envahitau delà du Séreth, du côté des montagnes, et en pleinété, pour éviter les tristes contingences de l'année pas-sée, cette terre roumaine, où il ne rencontra que ledésert. Cependant, après une patiente retraite calculée,Etienne crut devoir couper dans les forks de Neamt,sous la citadelle de ses ancétres, le chemin qui menaitsa capitale fortifiée, car la Moldavie était un pays decads murées, Suceava. Bien que les paysans de l'armée-moldave eussent été rappelés à leurs foyers par une inva-sion des Tatars, les bolars résisterent hérolquement ;fallut l'arti/lerie ottomane, supérieure à toute autre, et

1 On lit dans les comptes de Louis XI cette candide mentionJean Daulin, marchand ferran, demeurant A Tours, pour l'achat

de trois milis quatre cent soixante-sept livres de fer que le roi afait prendre pour une cage de fer i. mettre prisonniers, en laquelle-est mis et &term a'évéque de Verdun » (ibid., pp. 11-12). Il y resta.seize ans, A la Bastille.

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6E ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

un assaut commandé par le Sultan méme, pour amener,en juillet, la victoire. Dans quelques semaines, la grandearmée d'invasion élait en proie au deniiment et à la pes-tilence ; Mohammed dut partir sans avoir pris les deuxports d'Etienne, sans l'avoir remplacé par un simpleclient, sans avoir porté un coup sensible à ce plus opi-niatre de ses adversaires chretiens en Orient. La Vala-chie elle-même revint pour quelques semaines « Em-paleur », bientôt tué Clans un raid turc, et c'est ce quiconserva au Sultan ce passage vers la Transylvanie, qui,des 1479, sera attaquée par un puissant corps turc pareil

celui qui, à l'époque du vieux Hunyadi, y avait trouvéla défaite et la destruction.

S'ixte IV, le nouveau Pape, avait sans doute la fibre d'uncroisé. Les soucis italiens, sa tendance à créer, au profitde ses neveux, un Etat de l'Eglise, ne le faisaient pasperdre de vue son principal devoir, celui de réunir pourla defense la chrétiente catholique et ses voisins.n'avait pas manqué de faire l'éloge de l' « athlete duChrist », d'envoyer en Orient des subsides, qui allaientcependant plutôt vers le Cesar couronné de lauriers. Dessecours avaient été demandés au duc de Bourgogne, donton n'avait pas appris, à Rome, en février la mort 1 Lesefforts des princes allemands du côté de la Carinthie,cruellement dévastée, du côté du Tyrol, oft on attendaitles avant-coureurs de Mohammed, furent encourages 2

Mais l'Occident avait concentré toute ses forces et touteson attention autour d'une autre question qui paraissaitplus pressante : celle de l'héritage bourguignon.

Deux ans apres le drame de Nancy, Louis XI était àDijon, où il prenait l'hommage des Etats de la province.Mais, pour consolider la situation qu'il croyait avoir déjàgagnée, il lui fallait une victoire, et, si la mer.lui appar-tenait, la Maison d'Autriche n'ayant que quelques vais-

Notes et extraits, V, p. 4, n°2 Ibid., pp. 14 et suiv.

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CHAPITRE II '65

seaux d'emprunt à sa disposition, cette victoire nécessaireil ne l'eut pas aussi par terre. Au cours de cette maleannée 1479 qui vit les Turcs battus en Transylvanie, aua champ du Pain », les chevaliers et l'infanterie merce-naire de Maximilien se rencontrèrent à Guinegate avecles Suisses et les gendarmes, avec les contingents de petitenoblesse du roi. Bless& le prince-consort des Etats bour-guignons n'en resta pas moins maitre du. champ.

Mais il y avait des ecimpensations à cet insucces'notoire.Non seulement l'Anjou fut réuni h. la couronne, mais lamort du roi René, puis celle de son héritier Charles, don-nerent b. la France royale la splendide possession de laProvence. Le Nord et le Midi de la France étaient réunissous la Tame administration, du reste d'un caractere tresvague, ne touchant nulle part aux anciennes coutumes,se bornant h. fonder des Universités comme it Valence et itBourges, à accorder des privileges de foires, à juger lesconflits_ entre les bourgecris, à surveiller l'action judi-ciaire des Parlements 1, à faire codifier les usages de droiten vue de l'unification intérieure 2. Philibert de Savoie,pays tombé presque dans la dépendance de la grandemonarchie voisine, mourut A Lyon. Et bientôt on appren-dra la mort, d'une chute de cheval, le 17 mars 1482, dela princesse dans laquelle vivaient les ambitions, la soifde combats et d'actions violentes de son pere, le Téme-

Les gens de Gand, qui s'étaient attribués la tutelle dela petite Marguerite, fille de Marie et de Maximilien,&talent tout disposes A la donner au dauphin, dont (c ladauphine » anglaise fut facilement renvoyée, alors queMaximilien cherchait à réunir aupres de sa personne,considérée, dans ce milieu traditionnel, comme celle d'un.&ranger plutôt génant, un certain nombre de ces bour-geois habitués à toutes les resistances ; il essaya malede la hache des exécuteurs contre les rebelles, q-ui étaient

Legeay, ouvr. cité. II, pp. 207-210, 347.1 Ibid., pp. 809, 427.

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66 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

cependant nombreux. On l'abandonna, et il dut, bon grémal gré, se plier aux conditions de ce traité d'Arras, con-fiant l'héritière au plus ruse des futurs beau-péres, luicréant, comme dot, l'Artois, bien entendu, la Franche-Comté, avec MAcon, Auxerre, Salins, Bar-sur-Seine,Noyers ; le mariage ne devait 6tre célébré qu'en 1493 :fut conclu de forme à Amboise. La couronne de Franceconservait ses droits de suzeraineté sur le comté de Flan-dre, dont le chef, le jeune Philippe, lui prétera serment Ala majorité. C'était de fait une convention entre le roi deFrance et les communes de Flandre, solidaires.

Louis XI, révolté contre la fatalité de la mort et recou-rant à tous les moyens de la religion et de la superstitionpour en élargir le terme, pouvait se dire que, grAce auxcirconstances qu'il avait su épier au passage, un Etat queson grand-p6re 'avait perdu dans la forme lAche dumoyen-Age venait de se refaire sous lui dans une formemoderne, plus moderne que celle de n'importe quel despays voisins. Le territoire français appartenait pour plusde trois quarts à la nation française.

En Espagne, Jean II, roi d'Aragon et de Navarre enméme temps, venait de mourir, et son fils Ferdinand héri-tait du royaume et de la Catalogne, alors que, par unefemme, la Navarre passait A. la Maison de Foix 1. Jusqu'àla mort de Louis XI on ne pouvait pas dire encore quequelque chose d'intime et de durable eat réuni les deuxprincipaux Etats de la péninsule ibérique, vivant chacun

sa façon. Rien n'était change dans cette Navarre A demifrançaise et qui avait appartenu à un roi de France.Latentative de réunir la Castille avec le royaume ibérique-de l'Occident, le Portugal du roi Alphonse, avait échoué,et ce prince avait retiré toutes ses prétentions.

En Italie, Sixte IV, par son désir de caser ses neveux,le roi de Naples, par l'espoir de Teprendre le ròle de son

Boissonade, Histoire de la réunion de la Navarre a la CastiIle,Paris, 1893.

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CHAPITRE II 67

prédécesseur, avaient mis en feu, dès 1478, la péninsule,juste au moment oil le Sultan se préparait à l'attaquer.J6remie Riario, un des nipoti, devenu seigneur d'Imola,se méla des affaires intérieures de Florence, où, après lefaible Pierre, l'hégémonie sur les offices de la République,l'influence sur les magistrats et l'autorité auprès dupeuple avaient passé entre les mains du fils de ce simplebourgeois aux attributions de prince, Laurent, un éruditet un poète, un Mécène au milieu des membres de l'Aca-démie platonicienne et des autres dilettanti d'antiquité,et Julien. La riche famille des Pazzi écoutales suggestionsdu parti pontifical, auquel appartenait anssi l'arche-véque, François Salviati. Harmodius et Aristogiton han-taient les cerveaux de ceux qui croyaient voir au milieud'eux, dignes d'étre punis de mort pour leur tyrannie,,Hipparque et Hippias. L'ancien drame athénien fut renou-velé, avec un résultat étonnamment pareil. Julien suc-comba, mais Laurent, échappé .aux meurtriers, n'en futque plus le maitre dans cette ville si étroitement liée à safamille et que l'acte sanglant avait remplie d'horreur.Comme il frappa résolument, sans s'arrèter à aucuneconsidération, que les têtes des conjurés roulèrent enplace publique, les inspirateurs du crime se dévoilérenten attaquant la vine qui entendait maintenir le « tyran ».

Laurent, soutenu par les Vénitiens et par les seigneursde Ferrare et de Rimini, mit bientôt fin h. des hostilitésdenuées de sens. Il fit semblant de se livrer au roi deNaples, qu'il tourna facilement de son côté. On arriva àune alliance formelle, en mars 1480. Elle ne sauva pasl'Italie de l'attaque -Willie dont on parlait depuis long-temps et qui se déclancha enfin en aofit de cette annéeméme.

Venise avait déjà vu les pillards turcs dans le Friouiet jusqu'au Tagliamento, Vérone craignant de les voirdans ses murs 1.

Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 184-185.

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£8 F.SSAI DE SYNTRESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANIT$

Mais les efforts des Ottomans se dirigèrent, dans cetteguerre contre Venise, qui paraissait devoir étre sansterme, surtout du côté de l'Albanie, oia la Grob. de Scan-derbeg fut prise, alors que Scutari put resister au plusopiniatre des sieges 1. Le résultat heureux de cette belleresistance engagea la Republique à saisir ce retour defortune pour conclure, dès 1478, la paix. Elle abandonnafacilement Lemnos, mais le sacrifice de Scutari lui futparticulièrement douloureux ; le reste de l'Albanie et lepetit Montenegro des TchrnoIévitch, reste miserable del'ancienne Zenta, eurent un meilleur sort. Venise parutracheter le droit de faire commerce dans la Mer Noirepar un cadeau annuel qui était de fait un tribut.

Aussitôt les Tocco napolitains furent expulsés des ilesIoniennes, de Céphalonie, de Zante. Comme l'ancien sei-gneur essaya de revenir, son suzerain, le roi Ferdinand,se trouva pris dans une guerre sans allies avec le Byzan-tin de foi musulmane, comme jadis un Robert, un Roger,un Charles; avec les empereurs chrétiens de la NouvelleRome. Et, comme les chevaliers de Rhodes s'étaient ren-dus coupables d'une transgression pareille de la paix, uncoup leur fut porté en mai 1480, auquel ils n'échappèrentqu'avec difficulté, après un siège de quatre-vingt-neufjours. En mème temps, des vaisseaux turcs se saisissaientd'emblée d'Otrante, oil le massacre d'une populationdésarmée fut épouvantable ; une bande débarqua enSicile 2 Les temps des Arabes paraissaient revenir.

Cette fois, un sentiment de solidarité saisit l'Italie : siVenise refusa résolument de fournir un concours qui luiaurait coûté bien cher, Florence et le duc de Milan, c'est-h-dire son futeur, le « Maure » Louis, promirent au Papeun concours réel. La paix fut proclamée, imposée dansla péninsule : les Florentins tendir.ent la main aux Sié-nois. Une armée, dont on ne connait pas assez le carac-Ore, reprit après quelques mois cette ville d'Otrante,

'bid, pp. 187-190.2 Aid, pp. 190192.

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CHAPITRE H 69

a

dont la conquéte, il faut bien le dire, n'entrait pas dansles plans du vieux Mohammed, qui pensait plutôt à réglerde vieux comptes avec le Sultan d'Egypte parce que cetautre prince musulman ne paraissait pas apprécier lagrandeur du parvenu de Constantinople 1

Deux ans avant Louis XI, le créateur de l'Empire turcStamboul finissait ses jours remplis de grands efforts

presque toujours couronnés de victoires. Il avait fait sousles drapeaux au croissant, sous les tougs asiatiques, A. laqueue de cheval des émirs turcomans, ce que, sous lessacrées bannières frappées de l'aigle aux deux téles,avaient accompli au moyen-age ces empereurs grecs deConstantinople dont, sans le vouloir certainement, pres-que sans le savoir, il continuait rceuvre.

¡bid., pp. 193-195.

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CHAPITRE III

Le régime des monarchies territoriales.

A cette date de 1483, où Louis XI finit son règne, oil, AConstantinople, il y a un nouveau Sultan, où Ferdinandet Isabelle président aux destins des royaumes ibériques,oil Mathias le Corvin se pare des lauriers de Rome, affir-mant par son mariage avec Béatrice de Naples, fille dtiroi Ferdinand, encore plus son caractère de souverain àla manière de l'Occident, où enfin Etienne-le-Grand règneen Charlemagne row-1min sur le Danube inférieur, etne l'oublions pas non plus l'évangile du nouveaurégime monarchique est préché par un ami de Platina,Philippus Callimachus Experiens, en Pologne, au roi Ca-simir, et surtout à ses fils, on peut dire que l'esprit de laRenaissance a créé sur des pays unifiés par les armes oupar cette diplomatie, elle-méme fille de Fantiquité, unnouveau type universel de la monarchie. Louis et Mo-hammed, aux deux bouts de l'Europe, l'ont déjà repré-senté ; une seconde génération lui donnera plus de poli,aussi dans l'Allemagne du roi Maximilien ; et doréna-vant ce sera de cette seule fa9on qu'il sera permis derégner.

On vent étre Cesar, ressembler à Auguste, restaurerla « république » dominée réellement par un « dominus »aux pouvoirs sans limites, même si la réalité ne fournitguère les moyens de le faire. L'illusion seule suffira, et oncommandera des flatteurs dans ce monde littéraire, artis-tique aussi, qui pullule.

Le type part, évidemment, de l'Italie. La « nouvelledirection » y a trouvé la coutume, développée pendant

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1 Cecilia Ady, A history of Milan under thé Sforza, Londres(1920).

CHAPITRE III 71

les siecles du moyen-Age, de la « tyrannie ». Le « tyran »c'est le chef d'Etat improvise, parfois imprévu, celui quin'a pas d'ancétres, qui n'a été désigné par aucune héré-dité ; il ne rougit nullement de son humble origine, il enest, au contraire, fier. Avant que la virtus, la virtiz, sansbornes pour son ambition, sans scrupules pour sa con-science, soit devenue le ressort principal de toutes lesactions d'un souverain qui est bien de son temps, chacunsubit la regle que les princes de la série ont spontané-ment créée.

Au xr siècle, sous l'influence des courants domina-teurs d'une civilisation nouvelle, ce type devient plus« humain ». Jadis, d'une volonté ferme et froide, le « ty-ran » A l'ancienne manière préparait les empoisonne-ments, décrétait les supplices et les tortures dont il nemanquait pas d'indiquer les moindres details, chaquej our devant avoir sa part h la destruction douloureuse dumiserable corps humain. Il buvait et faisait ripaille, et ils'enivrait de sang, tout en donnant une impulsion, incon-testable, A la civilisation artistique de son temps, qui luien donnait, dans ses ceuvres, un temoignage reconnais-sant. Maintenant, après les Visconti, dont l'un, JeanGaleas, createur du dôme, inachevé, de Milan et decette Chartreuse de Pavie où il trouva, à. côté de sa femme,le dernier repos, Sforza ne se signale plus par ces actes depassion cruelle qui déshonorent, mais pas dans l'opiniondu temps, continuellement admiratrice, tant de ses pré-décesseurs. On lui doit des creations artistiques, desprotections littéraires qui en anoblissent la figure ; ilméritait cette statue équestre due à un des grands me-tres d'un art nouveau, inspire de l'antiquité. On pourraitdire meme que, le mensonge étant, néanmoins, de tradi-tion pour ces usurpateurs toujours menaces, il y avaitdes gens qui se fiaient A sa parole 1

A Naples, avec une « Académie » dont on a sans doute

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72 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUHANITA

exagéré l'importance 1, Alphonse V a été digne de sonsurnoni : le Magnifique. A travers la déchéance qui seprononce aussitôt après sa mort et en dépit de la négli-gence des conquérants espagnols qui viendront bienteddans l'héritage de ce prince aragonais, on reconnait sestraces dans ce que cette résidence napolitaine a de plusanciennement pittoresque. De grands projets hantaientl'imagination de ce prince tolérant qui n'a pas laissé deslistes de victimes pour ternir sa gloire. Avec l'héritagequ'il laissa, il fut facile à un prince comme Ferdinand debriser, en 1486, sans aucune considération pour personne,la résistance de ses barons.

Côme de Médicis est la contrefaçon la plus réussie d'un.Auguste ayant tout le pouvoir sans aucun des titres dontil a coutume de s'orner. Il recueille tous les souvenirs,toutes les avirations de sa Florence pour que sa petitepatrie, la seule, du reste, qu'il aime en Italie, puisse sereconnaitre en sa personne. C'est chez lui que descendentles princes comme la reine de Chypre en 1461 1 Commele Milanais a toute une Cour de lettrés, considérée commeun des meilleurs refuges pour ceux qui outrepassent,dans l'ambition de leur a intellectualité », les devoirsd'un bon sujet envers son prince, comme on est silr d'êtrebien reçu au Château de PCEuf A Naples, auprès du « Ma-gnanime », tous ceux que Florence inscrit dans le long_registre des grands par l'esprit se réunissent d'eux-mêmes autour du vieux banquier, pére de la patriecomme ses modèles romains. Et il y aura, après cethomme de la vieille Rome, un reflet d'or athénien dansl'auréole dont reste entourée pour la postérité la bellefigure de son petit-fils Laurent 1 E aura lui aussi les

Vengagement, en 1457, par Alphonse de Theodore, a- poète grec(Gaza), u qui comprend la league latine et romaine et ne connaitpas seulement, mais a meme fondé (condidisse) la langue grecque,parente du latin 0, dans nos Notes et Extraits, IV, p. 163, n°LXXXVIII. Pour des Constantinopolitains abrités chez Ini, ibid,p. 337, n° CCLIV ; p. 338, n° CCLX. Cf. C. Marinescu, dans les-« Mélanges d'histoire générale », I, Cluj, 1927, p. 133 et suiv.

2 Ibid., p. 193, n°8 Voy. sa biographie par Roscoe.

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CHAPITRE III 73

prôneurs de son caractère, de ses dons de nature, deson ceuvre qui touche h. la raeilleure poésie sans oublierles conseils les plus cauteleux de la sagesse politique.

Les petites Cours de l'Italie centrale continuent, avecle méme culte de la a virtir », avec le méme élan detoutes les facultes, degagées de l'humilité, obligatoire au« très chrétien » moyen-Age, avee la méme nécessité d'unentourage littéraire et artistique, pour le moment sur-tout littéraire, les traditions des Este et des Gon-zague. Les dangers qui menacent les plus grands leursont épargnés, et ces « signori » pourront se livrer plusfacilement A la volupté de la mode.

La Rome pontificale elle-même en ressort transformée.Le Saint-Siege vient h. peine de rétablir l'unité catholique;il a repris possession de son ancienne residence, biendelabree et demandant une refeetion totale et urgentepour étre au pair de ce que les cites nouvelles ou lesanciennes rivales, comme Naples, Milan et Florence,viennent de réaliser. NicOlas V déjà faisait paPt des inno-vateurs, et le lettré arrive sur le siege pontifical ne amen-tit jamais ses origines ; tout un essaim d'érudits se formesous ses ailes pour raviver dans la cite de la plus glo-rieuse des republiques militantes des souvenirs menanttout droit â la conspiration et h. la révolte. Son secondIsuccesseur cherchera bien h se détacher de ses antece-dents, trop « littéraires », mais l'auteur des Commen-taires et des e Lettres » ne pourra jamais se creer uneautre vie, bien distincte de celle qui, dans une condi-tion plus modeste, l'avait rendu illustre. Apres un brefregne peu significatif, Sixte IV, des Riarii, sera un conti-nuateur des Pierleone et des Crescenzii, dont l'origine-elle-méme plonge dans le passé des premiers maitres dechâteau dans la campagne qu'ils dominent. Son a 'Apo-tisme » n'est pas un &Nut personnel, c'est une néces-site des temps. Apres lui, l'Espagnol Borja, Borgia pourles Italiens, qui, étant donne le passage recent sur le siegede S. Pierre d'un autre membre de sa famille, le PapeCalixte, est presqu'un monarque héréditaire, cet Alexan-

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74 Essm DE SYNTHESE DE L'HISTOIRJE DE ILAIIIMANITE

dre VI affichera dans le costume, dans les armes qu'ilporte, dans les coursiers qu'il chevauche, dans sespompes et dans ses crimes, dont personne ne pense à luidemander compte pour la triple tiare qu'il porte, cette« nouveauté » très « laïque ». Jamais les neveux de Sixten'avaient eu la hardiesse et la jactance, les talents etl'indifférence morale de Cesar Borgia, fils du pontife,qu'on a accusé carrément de fratricide et méme, bien h.tort, d'inceste avec sa sceur, la blonde Lucrèce, et qui ventseulement, per fas et nefas, 'are ce que le secrétaire deFlorence, Macchiavelli, patient observateur des mceurscourantes et créateur de catégories politiques prises toutsimplement sur le vif, appelle « le prince » « il prin-cipe » 1

Si on cherche bien à Génes, déchue, à Venise, qui, mal-gré ses malheurs, se maintient, on trouve, sous les dehors,intangibles, d'une grande hérédité républicaine, lesmémes impulsions qui couvent toujours, qui éclatentparfois pour que tous les efforts de la tradition s'em-ploient à les étouffer aussitôt. Sans les spasmes de la« virtù », les Génois des Adorno et des Fregosi, en atten-dant les splendides Doria, riches de sacrifices faits auxarts, n'auraient pas, sans cesse, passé de 'Influence fran-eaise à celle du duc de Milan, du marquis de Montferrat,d'Alphonse de Magnanime et de Jean de Calabre, sansoublier Charles VII et Jacques Cceur. Et sans cette pous-sée vers le succès A. tout prix et vers la victoire payée den'importe quelle façon il n'aurait pas fallu condamner leIlls du grand doge militaire François Foscari 2 et assom-brir d'une déposition tragique les derniers jours de sonpère.

Et, à côté de ceux qui sont arrivés, il y a les autres quin'ont pas osé, ou dont la carrière a été arrétée par unerésistance venue à temps et par le glaive inexorable de'.'exécuteur. Tels, dans la première catégorie, un Albéric

Voy. les Diarii d'Infessura et de Burcard.3 Son éloge par Philelphe, Notes et Extraits, IV, p. 237.

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CHAPITRE III 75

de Bracciano, un Bertoldo d'Este, un Sigismond Mala-testa de Rimini, qui vieillirent et moururent dans la con-dition plus humble des condottières payés, en attendantun Julien des Médicis, avec ses « bandes noires ». Tels,dans l'autre, un Colleoni et un Gattamellata, dont lesstatues équestres ne montrent guère'de quelle façon finitune vie remplie de gloire et entourée d'admiration etd'envie. Pas un d'entre eux qui, avec un peu plus de for-tune favorable, n'eût été capable d'être ce qu'a été Fran-çois Sforza lorsque le hasard l'établit sur un trône ducalpour lequel, dés le premier moment, il parut être né.

Avec moins de sens pour les belles paroles, les bellesphrases et les b.elles choses, le tyPe, une fois formé etbrillamment représenté en Italie, au pays qui a le plus derelations de tous côtés et dont le nouveau prestige intel-lectuel éblouit tous les yeux, plus même que les charmesd'une nature incomparable, ce type voyage, s'étend ail-leurs. Ils sont bien sombres et mesquins dans leur isole-ment égoiste ces deux précurseurs de la vraie monarchieabsolue, devant venir plus tard, qui sont Louis XI et Pr&déric III d'Allemagne. L'un a passé à la postérité sous leseul aspect d'ami intime de ses barbiers et de ses mépri-sables adeptes, on ne peut pas détacher de son souve-nir celui d'un Olivier le Daim, l'autre, sous celui desa négligence physique, de son indifférence, de son ava-rice et de sa paresse, aussi par l'absence d'un de ces bio-graphes bien nourris, entourés de tous les soins les plusméticuleux, auxquels, sinon François ,Sforza, au moinsAlphonse de Naples, et surtout les deux grands Médicis,doivent une grande partie de leur réputation. Et j'ajouteque Charles de Bourgogne ferait une autre figure devantla postérité si dans ses riches villes flamandes, à la vieplantureuse, avaient surgi des valeurs littéraires commecelles qui illustrèrent Mane à cette époque. Mais Louisa eu la chance de rencontrer, sinon un « encomiaste » dela façon de Pontanus, un observateur d'une rare intelli-gence, comme ce transfuge du camp bourguignon, où 41 a

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76 ESSAI DE SYNTHESE DE L'H1STOIRE DE L'HUMANITE

trouvé trop peu de « sagesse », qui est Philippe de Com-mines. Et celui-ci, qui a cependant beaucoup pratiquel'Italie en diplomate, résidant pendant les dernièresannées de sa vie à Venise, precede les theories de froidesynthese de Macchiavelli, en examinant toute action, toutgeste, toute parole à un seul point de vue, celui de l'uti-lité pratique immediate. Il ne connait que des gens sageset d'autres qui le sont beaucoup moins. Et, tout en recom--mandant des coutumes parlementaires comme celle desAnglais, en élevant les droits des « peuples » bien au-des-sus de ceux des monarques, en tenant ceux-ci, très irres-pectueusement, sous les yeux aigus d'une critique impi-toyable, il n'a de consideration que pour ces prudents,quelle que fat la splendeur, la beauté masculine, Véner-(Tie debordante des autres.

Sa theorie fera école. Louis XI a-t-il été aussi sage quele dit ce temoin oculaire, dispose à l'arranger d'une cer-taine façon ? Y a-t-il eu tant de réflexion et de conse-quence dans sa conduite ? Dans les replis de cette Ameobscure se cachait-il un plan bien établi dont rien n'au-rait pu le détacher ? En tout cas, s'il n'a pas été absolu-ment comme ce portrait et c'est bien probable, dot-6-navant, sous ce vent d'Italie, il faudra etre ainsi. N'était-ce pas, du reste, les enseignements mémes de Louis dansson « Rosier des guerres », comprenant les instructions Ason flls : « Si ung roy tient en aussi grant amour lesdesloyaux et les maulvais comme les bons, on ne devraitpas tenir pour roy : il ne devrait pas longtrement regner.Ung roy dot' plus avoir d'attente de maintenir son peupleen paix et justice que de soy habandonner en chevale-rie... It ne faut point bataille pour avoir guerre, maispour avoir paix ? I »

L'Aragon et la Castille ont des chroniqueurs qui sontpresque des historiens, mais aucun d'entre eux n'a saisidans tous les recoins de leur intimité les physionomies

Ed. Paris 1616. Cf. Cherrier, Histoire de Charles VIII, I, Paris.1868, p. 39.

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CHAPITI1E Ili 7'7

des 0 rois catholiques », qui restent, malgré tant dedetails, biep connus, pour les événement militaires etpolitiques, un peu vagues. Cependant, en reconnaissAntce que la reine Isabelle a eu de « masculinement » sym-pathique 1, 'Image de Ferdinand, capable de toutes lesruses et de toutes les felonies, inlassable calculateur despossibilités changeantes, acteur de naissance pour la tra-gi-comédie italienne, où il sera male dans un rôle domi-nant, est bien celle du principe. Il n'aura pas pour lescomparses lettrés de la piece les mames attentions queses collagues de ce brillant thatre d'intrigues et de tra-hisons, et sa reputation posthume s'en ressentira.Alphonse V aurait été gene par certains côtés de cet héri-tier qui avait su remplacer d'autres venant de la mamesouche et écarter les continuateurs couronnés des aven-tures d'un Jean de Calabre, mais au fond, l'un dans lasplendeur du portrait commandé, l'autre dans la gri-saille des esquisses fugitives, se ressemblent. An Portu-gal, il y aura dans Jean II un roi qui n'hésitera pas A.rnener A l'échafaud, á tuer de sa propre main ses parents,le duc de Bragance, celui de Viseu. Aux aventures orien-tales du « croisé » dorn Pedro, A l'effort de déeouverteschrétiennes fait par son frère le « navigateur 1+, se malele méme cynisme égoisme des dynasties, dans les mamestragedies.

Si l'Angleterre d'un Edouard IV parait plonger encoredans le moyen-láge des vaines exhibitions cbevaleresques,A côté du beau roi, mort presque jeune au bout d'une séried'honorables exploits, une figure surgit qui est bien decette époque : celle du, frare royal, &yore de la passiondu pouvoir suprame, ce Richard d'York qui, le lende-main de la mort d'Edouard, jettera en prison son fils, lefera disparaltre et posera sur sa méchante figure de con-trefait la couronne glissée dans le sang de la défaite A.Bosworth. Et après ce « prince » A fin tragique le bon

1 A cité du livre classique de PAméricain Prescott, le faiblaexposé de Jane Dieulafoy, Isabelle la Grande, Paris (1920).

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78 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

sens provincial du vainqueur, lointain parent, par unedérivation galloise, de la dynastie déchirée par tant dequerelles, de ce fade Henri VII représentera le triomphedu méme esprit moderne, mais, dans cette société arrié-rée, manquera tout ce que peut donner l'intellectualitéune « vertu » qui affiche son triomphe et expose sa domi-nation 1

Plus loin, sur les marches de l'Orient, où Casimir dePologne rassemble contre l'Ordre Teutonique l'héritagedes vieux rois, écoutant les conseils de Callimachus, quimenèrent à la défaite en Aloldavie son premier héritierJean-Albert, Mathias Hunyadi, qui se fait appeler Corvin,en souvenir de Rome, dont il ne vient que par l'humilitéroumaine, apparalt couronné de lauriers incontestables,car il n'a pas gagné une seule grande bataille. Mais on a vuquels sont ses commensaux -italiens et dans quel milieude la Renaissance il est allé chercher sa seconde femme,celle qui lui survivra, après la mort h. Vienne, sur lestraces des empereurs, du brillant roi de Hongrie. Desmanuscrits latins s'accumulent à Bude dans une biblio-thèque célèbre, qui rivalise avec celles dont s'enorgueillitdepuis assez longtemps déjà l'Itarlie 2 Mathias laissera delui-méme, de ses actions, de sa pensée, le souvenir qu'ila voulu, transformant en succès les plus dures desdéfaites et élevant au rang des grands monarques del'époque un parvenu heureux;

Malgré sa piété, très réelle, qu'attestent quarante-quatre èglises votives de ses combats, le grand Etiermedes Roumains de Moldavie, qui, dans l'orthodoxie slavede la civilisation danUbienne, 'ne peut pas trouver. deshérauts de sa gloire, porte une couronne dont certainsreflets rappellent ce courant italien. Avec une sanglante

g Voy. son portrait dans les Lectures de Stubbs. Cf. buseh,England under the Tudors, Londres, 1898 ; H.-A. Fisher, The His-tory of England from the accession of Henry VII to the death ofHenry VIII, Londres, 1910.

g La biographie, en allernand, de V. Fraknbi ; Berzeviczy,Blatriced'Aragon, Paris, 1912 ; Hevesy, La bibliothègue du roi MathiasCorvin, Paris, 1923.

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CHAPITRE III 79

ironie de sage « paysan du Danube », il réunit un sensde la majesté qui ne vient pas de ces villages moldaves,.et, lorsqu'il inflige des chatiments cruels à ses enne-mis, turcs et autres, finissant par un massacre des boiarsqui ne veulent pas reconnaitre pour héritier le fils qu'il a&sign& on se rappelle « Empaleur » valaque, qui a étéun rude organisateutr d'Etat et un inexorable gardien dela paix.

Dans la Moscovie lointaine, où test appelé un AristoteFioravanti 1, Jean III, que n'enivre pas le fumet capiteuxdes éloges byzantines, après son mariage avec la Paléo-loque Zoé 2, remplit d'admiration Etienne, qui a marié safille, d'une princesse de Kiev, Héléne, avec le fils du Mos-covite, par les habilités tatares de son gouvernement,.décalqué sur celui des Khans vaincus, lesquels, sauf ceuxde Crimée, s'en iront devant la poussée de cette recon-quista chrétienne. Son second successeur, du méme nom,sera un prince « terrible », de l'espèce orientate, dontVlad le Valaque avait été le plus terrifiant exemplaire.

Mohammed II et Ouzoun-Hassan, les deux rivaux mu-sulmans, correspondent trait pour trait h. ses contempo-rains. Ils ajoutent, en plus, l'Ottoman de Byzance rempla-vant les basileis, le Turcoman de Perse enveloppé de lavieille pourpre des Sassanides chevaleresques, un pres-tige que n'a aucun de ces monarques chrétiens : celui desplus anciennes royautés orientales.

Notes et Extraits, IV, p. 324, o° CCXXXII.2 Malagola, dans les Atti e memorie della r. deputazione di storks

patria per la provincia di Romagna, année 1877.

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CHAPITRE IV

Essais de transformationspar le nouvel élan chevaleresque

et la résistance des ligues.

Ce serait une erreur que de croire A. l'existence, des cemoment, A un ordre de choses définitivement établi, sou-mettant à ces rois de caractere « romain » tous les moyensdes territoires réunis sous leur main. Il y avait deuxaut'res facteurs bien vivants dans la vie des nations, A. lafin du xv° siècle : d'un côté, les tendances A la liberté, Al'autonomie des classes populaires, et, de l'autre, unenouvelle envolée de l'esprit chevaleresque que ces quel-ques dizaines d'années de « sage » prose n'avaient pas pudétruire.

Lorsque Louis XI disparut, laissant A un enfant dequatorze ans, laid et plutôt faible d'esprit, adonné auxchasses et A tes autres « déduits » qui feront rager Phi-lippe de Commines, avec de lourdes charges, un trésorquatre fois mieux nourri que celui de son père, les ambi-tions personnelles que les cages de fer avaient assoupiespendant quelque temps saillirent de nouveau. La veuvedu roi, Charlotte de Savoie, qui avait A peine dépassé laquarantaine, voulait la régence que son mari avait laisséeA sa fille alnée, Anne, mariée it un membre de la Mai-son de-Bourgogne, le sire de Beaujeu ; le jeune due d'Or-leans, gendre royal par un mariage avec la bonne bossueJeanne 1, dont on n'avait guère parlé jusqu'ici, n'enten-

1 Histoire latine de Louis XI, dans Godefroy, ouvr. cité : e formasatis incongrua et gibbosa a.

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CRAPITRE IV 81

dait reconnaitre personne comme supérieur. Anne, quiavait plus de « vertu » que les autres, réussit à le anal-triser, non sans une nouvelle distribution de grkoes,cornme après la bataille de Montlhéry. Sa mére étantrnorte bient6t, elle accorda au due Louis la lieutenanoegénérale dans quelques provinces et la présidence iluConseil dans l'absence du roi ; au duc de Bourbon, sonheau-frère à elle, le baton de connétable ; au jeune Du-nois, parent de la Maison de Savoie, la lieutenanceiluDauphin61.

Tout cela ne l'empécha pas cependant de prieser parle coral-61e des Etats généraux, qu'il lui fut impossliled'éViter. Réunis a Tours avant le couronnement de l'en-fant royal, en 1483, ils comprenaient, à la suite d'untriple procès electoral, des membres de toutes les classes,méme plus qu'un délégue de chaque catégorie par bail-lage ; il y eut aussi, à c6te des bourge,ois, de vrais pay-sans.

Une assemblee nationale dans le sens le plus révolu-tionnaire du root, au moins en formules. Le grand séné-ehal de Bourgope, Pot, et un certain Masselin, de Rouen,dépassèrent tout ce qui avait 616 dit jusque-lit sur leoompte des limites du pouvoir royal et des droits dupeuple, coneu comme le souverain veritable. Ce peupIe -estle créateur -même de la royauté ; il est l'origine du pon-voir, qui iui revient de droit. « La royauté est une dignitéet non la propriéte du prince. » Sous un roi mineur, cepeople, c'est-it-dire les hommes de chaque condition,a tout le monde », sans exception, « reprend, it titre demaltre, l'administration du royaume ainsi que la tutelle ».(«Qui ne gait et qui ne répirte que l'Etat est la chose dupeuple ? S'il en est ainsi, comment le peuple pourrait+il.en abandonner le soin ? On critiqua vertement l'état oftLouis avait réduit l'Eglise, l'aliénation du domaine royal

Voy. Pélicier,.Essai,sur)le goovernement de la dame de Beau-jeu, Paris, 1882 ; James S. C. liridge, A history of France from thedeath of Louis XI, 1, Reign of Charles VIII, Regency of Arme ofBeaujeu, 1483-1493, Oxford, 1921.

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82 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

par le souverain defunt, les dépenses de la Cour, lescharges de l'armée, le luxe des seigneurs, qui ne sertenrichir l'Italie. Pour obvier à ces erreurs, les Etatsdevraient étre consultés sur chaqué question et leur reu-nion chaque deux ans était conçue comme une nécessité.En vain les princes leur objectaient-ils qu' « un roi étoitfait pour gouverner et pouvoit prendre, selon les besoinsdu royaume, tous les biens de ses sujets » ; on paraissaitdecide à resister jusqu'au bout, protestant que le « man-dat du peuple » les y contraignait.

Pour s'en défaire, la royauté, représentée par cette forteArne qu'était la régente, essaya de la douceur la pluspolie. Le roi prit conge en toute forme de ces bons con-seillers qui s'étaient épuises en discours, inspires par ceque Rome avait laissé de plus beau en fait de traditionrépublicaine. Les deputes s'obstinerent à délibérer. Onchercha à les réduire en leur coupant leurs subsides.Lorsqu'ils s'en remirent en fait de réformes à l'ancienConseil, ils exigérent cependant que douze deputes leursoient adjoints 1

A Paris méme ces theories auraient pu provoquer unmouvement dangereux, mais, peu après, lorsque le dued'Orléans essaiera d'agiter la ville, il ne trouveral'appui du Parlement, ni celui des milliers d'étudiants 2,d'autant moins celui des masses, apaisées maintenant etbeaucoup moins influentes qu'au début du règne deLouis.

Sur cette petite revolution en paroles, qui montrecependant combien les nouvelles idées étaient infiltréesdans toutes les classes de beaucoup de pays, on put donepasser à l'ordre du jour. Anne de Beaujeu continua uneadministration qui Raft un vrai règne, faisant sacrer en1484 son frère, cette fois sans présence des pairs, sans

t Les comptes rendus dans la Collection des documents Ind-dits n. Cf. Cherrier, ouvr. cité, I, pp. 65 et suiv., et Picot, Histoiredes Etats généraux, I, pp. 378 et suiv.

2 Cherrier, loc. cit., pp. 130-131.

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C HAPITRB IV 83

intervention orgueilleusement brillante de la Bourgogne,où MaxiMilien essayait d'arracher aux bourgeois carlà-bas c'était eux qui régnaient la tutelle de son fils,le « beau » Philippe ; elle faisait reconnaltre le roi commehéritier du vieux duc de Bretagne, François, tombé enpouvoir de favori, et qui n'avait que deux filles, avec ceseul engagement qu'un des fils de Charles VII portera letitre ducal de cette vieille seigneurie isolée ; elle con-cluait avec le petit-fils d'Owen. Tudor et de Catherine deFrance, la veuve de Henri V, avec ce Henri Tudor devenuroi d'Angleterre, par le secours de 3.000 Bretons ou Nor-mands 1, une trève de trois ans. Les résultats du régne deLouis XI avaient été consolidés et augmentés par sa fille.

Mais, en février 1486, Maximilien est élu roi des Ro-mains. Un grand succès pour cette Maison d'Autriche, quirevient h ses anciens projets, à ses espérances de jadis,parmi lesquelles, au premier rang, celles du c6té de laBourgogne 2

L'héritier du « Téméraire » gagne la confiance du duede Bretagne, qui tend h se dégager des conseillers qu'onlui a imposés. Les mécontents de France regardent versce prince comme vers cplui qui seul pourrait les sauverd'une tyrannie tombée en quenouille. Rompant le traitéd'Arras, Maximilien, qui est arrivé à réunir, par de grandssacrifices d'argent, quelques milliers de Suisses, mal-gré le traité des confédérés avec la France, et d'Alle-mands, envahit l'Artois. Mais il ne fait que se saisir enplaideuì du gage d'un procès qui est ainsi. rouvert ;s'adresse au roi, au Parlement, il tente les espritsremuants des bourgeois de ,Paris. C'est une réédition desemprises bourguignonnes, employant la France contrela France. Or, la Cour de justice de Paris refuse del'écouter : a le Parlement », lui est-i! signifié, « n'est

Ibid, p. 117. La mère de Henri VII était de la Maison de Lan-castre.

Voy. Seton Watson, Maximilian I, holg Roman Emperor,Londres, 1902.

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84 ESSAI DE SYNTHESE DE LIFITSVOT/IE DE L'HUMANITA

sujet que du roi tres ehretien et, -si, de nouvettn, on luiadresse de pareilles lettres, ou elles ite seront pas revuesott aucune réponse n'y -sera fete 1 ».

Comme la Bretagne 's'est mise de la partie, l'arméeroyale, refaite par la régente, avec ses « mortes payes »,prend Vannes et se dirige sur Nantes, pendant que, Al'autre frontière, Saint-Quentin et Thérouanne sont occu-pees au nom de Charles VIII. Si la noblesse des Flandresest pour Maximilien, les villes continuent à rester fidelesà la France ; l'Autrichien sera retenu un moment ttBruges, et ses officiers auront le sort des conseillers deMarie, sa défunte femme.

Il fallut l'intervention de l'empereur, en diète, celle duPape, pour sauvér la sérénissime personne du roi desRotnains, captif de ces marchands de drap. Ceux-ei, lecontraignant h la paix, lui retirent l'administration desprovinces appartenant k son fils. Appuyé aussi sur Mali-nes, Anvers et Namur, contre Bruges, Gand et Ypres,Maximilien reprend les hostilités, avec ses Allemandsqu'il n'a pas licenciés ainsi qu'il l'avait promis. Les Bre-tons veUlent l'aider, méme après que le duc d'Orléans efitété condamné pour lèse-majesté et que le concours an-glais leur efit manqué : ils sont battus h Saint-Aubin-du-Cormier (1488). Par le traité impose h François II, Char-les gagne le droit de mettre des garnisons à Saint-Malo, itFougeres, h. Dinan ; il se reserve de donner son assenti-ment formel au mariage des héritières du duc, qui dansqUelques semaines aura fini sa vie et son -règne.

La duchesse Anne succède, soutenue par l'Angleterre,qui risquera mettle une expedition en sa faveur, par lesroyaux d'Espagne, qui attaquent le Morbihan, par Fre-deric III, qui convoqna -une diète pour cette question ;elle est demandee en mariage par Maximilien, qui ton-tinue de jouer le rfile de prince français, malgre sa Courétrangère, 8011 armée germaniqne, malgré ses vers Ole-mends et ses rapports d'artiste avee le grand peintre et

I Cherrier, ouvr. ciii, I, pp. 148 et suit%

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Voy. Dutpuy, Ristoixeeelcg révAiort de la Bretagne 4 la, trance,Paris, 1881.

C HARITRg. IV 85

graveur Albert Direr. It sera accepté 4. cause de sabeauté, de sa reputation de bou chevalier, A. cause de son,grand, titre et de ses perspectives A. l'Empire ; marié4 parprocuration A celui qui avait 0é. répoux de la belle Mariede Bourgogne, cette petite prineesse noiraude, à, la di-marche de boiteuse, est toute fière de pouvoir s'intituler

duchesse de Bretagne et reine des Romains ».Mais, de nouveau, la décision dans le conftit awe la

France vient du côté des trois viles. flamandes. Ellesimposent une tréve qui, comprenant dans ses conditionsla reconnaissance de Maximilien auquel est confiée lagarde de son fils, laisse en, suspens la situation du duchéde Bourgogne, du comté de Charolais, de Saint-Omer.

Or, Charles, fiancé cependant A. la fille de Maximilien,douce princesse à resprit ironique, vent la Bretagne, LesFrancais entrent des 1491. A. Nantes. Après la délivrancedu due d'Orléans, par un acte person_nel du jeune roi,Rennes est attaquée par La Trémoille, et le roi y fait soflentrée, chevauchant de la meilleure façon dont il le pu..vait. Un mariage secret fut conclu, malgré l'autre que lePape devait casser seulement plus tard. Le traité, coneluen décembre, permet à la duchesse de passer, en cas deveuvage, en secondes noces, avec le successeur de la coo-ronne ou l'héritier. La reine de seize ans fut recue solen-nellement à Paris et, sur sa petite téte d'opinikreté tutposke une couronne qui la dépassait 1

Conquérant d'Arras, Maximilien dut se bonier, pext-dant quelque temps inconciliable, A de vaines protesta-tions, auxquelles se Talliéreat, bien, entendu, son Oil ettes membres de la dike d'Empixe.

La paix définitive, avec rAutrichieu de Bourgogne aveel'Angleterre, avec rEspagne aussi, ne tardera cependantpas, et elle sera ma,uvaise. Car, maintena.n,t, la sage prin..geese Anne était morte et la grande voix dc la chevaletieressuscitée appelait ailleurs, au lointain, le jeune rol

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86 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

romantique en quête d'aventures, La couronne impérialede Constantinople, la couronne sacrée de Jerusalem bril-lerent au fond des horizons, et tout sacrifice Paraissaitléger pour les obtenir. L'internationalisme du moyen-figereapparaissait ainsi, entoure d'une aureole toute fraiche.

Apres une lutte acharnée contre son frere Dchem, filsd'une princesse serbe, aimé par les provinces d'Asie qu'iIavait gouvernées, un Sultan pacifique, vieilli avant l'âgeavait succédé au « Conquérant Bajazet II 1. Il présidaitpaternellement à la vie, définitivement fixée, d'un Empireit la conduite duquel chacun de ses habitants poilvait par-ticiper d'après sa valeur personnelle, son énergie et soninitiative (le grand-vizir de Mohammed avait été le GrecMahmoud et mi Paléologue avait combattu en Asie contreles « Persans »). Il ne fallait que l'acte d'une conversion,plus ou moins sincere, à l'Islam, pour qu'un HeIlene, unAlbanais, un Slave se trouvAt à la tete d'une armée, d'uneflotte ou des bureaux de la nouvelle chancellerie otto-mane ; des princes méme, appartenant atix dynastiesévincées, venaient s'inscrire parmi ces collaborateurs queréunissait la même fidélité envers « empereur », laméme ambition h faire progresser cette nouvelle forme dela Rome orientale : des descendants du « hertzeg » slavede l'Adriatique furent ainsi parmi les serviteurs du nou-veau Bajazet; des Occidentaux même, pour le moment desItaliens seuls, parmi lesquels des captifs d'Otrante, satis-faits de leur sort, accoururent là où il y avait plus a'hon-neurs à distribuer et h partager un plus riche butin 2 Onfravaillait activement, côte à côte, à refaire, à agrandirConstantinople, un peu déchue sous les derniers Paléo-logues, toujours h court d'argent ; les coupoles de lamosquée de Mohammed, de celle qui recouvrait les restesdu sultan Eyoub, les toits du Serail imperial, ofi était

I Voy pour toute cette partie notre Gesch. des osmanischen Rei-ches, II, pp. 196 et suiv.

2 Les maltres de l'artillerie du Sultan furent, it tour de r6le, unHongrois et un Allemantl, un Saxon de Misnie (ibid., p. 227).

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Pendant ce temps, l'esprit de croisade animait la non-

CHAPITRE IV 87

observée, avec la plus stricte discipline, l'étiquette laplus ponctuelle, s'élevaient au-dessus des vieilles églisesprofanées, des palais en ruines, des milliers de modestesmaisons de bois, dans l'enceinte des murs diligernmentrelevés.

Mais, à toutes les frontières, des offensives ennemiespouvaient se produire sans étre, comme sous Mohammed,aussitôt punies, et d'une façon exemplaire. Les Hospita-liers de Rhodes oserent accueillir Dchem, pour lequel sonfrere imperial se résigna à payer une pension annuelle.Le Moldave Etienne eut toute liberté de chasser le clientturc qu'était A. Bucarest ce « jeune Basarab », qui nesurvécut pas A sa défaite, Rant remplace cependant,contre la volonté du vainqueur, par l'ancien moine Vlad.Les gens du Soudan oserent infester l'Arménie Mineureet, A. la première rencontre, la victoire leur resta ; Bajazetfut enchanté de pouvoir garder A la paix de 1490 Adanaet les anciens nids du Taurus. La frontière serhe fut pas-sée par des bandes hongroises que conduisait l'entrepre-nant Paul « le cneze », vainqueur au « Champ du Pain a,et les parents des Brancovitch retires en Hongrie ; unessai de revanche finit d'une façon piteuse. La seule con-gate des ports moldaves en 1484 fut imposée au Sultanpar la révolte bruyante de ses soldats, auxquels depuistrop longtemps manquait le butin, et Bajazet, force dequitter le calme de sa residence, fut aide par les Vala-ques de Vlad et par les hordes tatares de Crimée. Aussi-tôt, des raids, jusqu'à Suceava, furent risqués par lesTurcs. Ayant accompli enfin l'acte d'hommage envers leroi de Pologne, Etienne entreprit une série d'actions ven-geresses. En Albanie, le fils de Scanderbeg, Jean, et lestratiote grec Chrysoskolos Kladas purent riveiller l'es-prit d'autonomie des clans, et Jean TchprnoIvitch essayade refaire la Zenta, où Venise retenait Dulcigno, Anti-vari et Budua, jusqu'aux frontières de Cattaro, occupéeaussi par la Republique.

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811 ESSAI DE SYNTHESE DE L'H/STOIRE DE L'HUMANITE

velle génération des chrétiens d'Occident. On voulaitquelque chose de plus grand et de plus noble queces mesquines discordes, cependant si fécondes pourfavenir. Or, il ne pouvait pas y avoir de but plus élevé,d'idéal plus légitime que celui de fa rescousse chrétiennecontre l'Islam. Il était bien naturel que l'Espagne com-mençAt. Les liens qui reliaient l'Aragon au Midi italienet it la Sicile avaient fait que dans cette autre péninsulepassAt quelque. chose de cette impulsion vers l'Orient,jadis byzantin, qui avait mis en mouvement les guer-riers de la royaulé normande et angevine et plus réeem-ment inspiré les grands projets orienfaux d'Alphonsele Magnanime. Pour la Castille, il y avait la tradition,plu.sieurs fois séculaire, assoupie seulement à cause desquerelles dynastiques pendant les deux derniers siècles,de la « reconquéte » contre. les Maures de Grenade. Toutdernièrement, des conflits avaient éclaté dans ce mondemusulman d'Espagne qui lentement s'affaissait sous soninsignifiance politique. Isabelle et son royal mari crurentque l'heure était arrivée pour faire un grand appelleurs barons, à leurs villes privilégiées, la plupart éta-blies sur une base de croisade, aux Ordres militaires, deSaint Jacques, d'Alcantara, pour former une armée d'of-fensive. Ferdinand commenva, avec des troupes arago-naises ; il avait aussi une belle flotte. Ce que la royautéfrançaise avait accompli si difficilement contre le blocd'Etats forme par un rejeton méme de la dynastie, laroyauté ibérique pouvait l'entreprendre plus facilementcontre une puissance étrangère et non chrétienne.

Dès 1487, on se battait sur le territoire de l'ancien cali-ratt devenu un faible royaume. Velez, puis Malaga, quivenait de donner un roi dans. la personne du « Brave )),Al-Gazal, furent plus facilern.ent prises. Mais le neveudh ce a roi », l'héritier légitime, Boabdil, résista énergi,qtrcunent dans la belle et forte métropole qu!était, -- pourAlméria, Baeça, Cadix, Ossuna, Gibraltar, cette Mala-ga méme, une capitale 1

t Notes et Extraits, V, pp. 148 et suiv., n° CL.

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CHAPITRH IV 89

C'était une action isolée, au commencement locale etde peu de prestige. Le vieux Frederic III était en guerreouverte avec le roi de Hongrie, et chacun des combattantsaccusait rautre d'entente avec les Turcs, de provocation_tame d'attaques de la part de ces derniers Veniseavait combattu contre le Saint-Siege pour cette region deRovigo qu'elle voulait s'annexer ; elle imputait au Paped'avoir amene le due de-Calabre avec des bandes compre-nant cinq cents Turcs 2 La Republique ne craignait rienplus que de réveiller la guerre avec le Sultan, refusant lagarde de Dchem, réclamé aussi par le roi Mathias 3.Devenue maitresse de la riche Ile de Chypre, avec le portencore florissant de Famagouste, cédée par sa « fille »,Catherine Cornaro, veuve du dernier Lusignan, Jacques,elle avait une raison de plus pour se tenir dans la pluscalme des expectatives. Du reste, aussitôt qu'elle putrecommencer ses « voyages » traditionnels, elle s'em-pressa d'envoyer des, vaisseaux dans les eaux turques

Calla, aussi bien qu'à Tana et A. Trébizonde 4, et enArménie.

La guerre d'Espagne avait cependant aussi le carac-tère d'une grande exhibition chevaleresque. Elle ne sepressait pas. Sous les tentes qui, comme dans le cas dusiege de Neuss par Charles de Bourgogne, formaient unevraie vine, il n'y avait pas seulement des barons et desprélats, mais aussi la Cour de la reine, très riche, ayantemprunté les costumes de luxe de 'Mahe.

Le spectacle continua pendant des mois, avec des fêteschez les chrétiens, A. bout d'argent cependant, atteintspar la peste, et, chez les Manres, avec les predicationsenthousiastes des santons fanatiques, avec le désespoirde la population affamée, avec les excès sanglants contrela population chretienne sans defense. Des groupes de

1 Ibid. ; Gesell. des osmanischen Reiches, Ir.2 Notes et Extraits, IV, p. 135, n° CXXXIII et note 1.3 Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 239. Le Sultan avait

-cléputé au Corvin le Patriarche de Jérusalem ; ibid., 4. 248'. Et ILlui donna les reliques de S. Team-Baptiste ; ibid., p. 262.

4 Notes et Extraits, V, pp. 146-148, n° CXLVIII ; pp. 160-161.

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90 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

châteaux tombent au pouvoir des envahisseurs, quidressent de longues listes de conquétes. Partout on élèvedes églises ; comme en Moldavie, échappée aux Turcs,des fondations de charité témoignent de la reconnaissanceenvers le Dieu des victoires. Et des écrivains habilesemployer le langage de l'antiquité romaine parlaientavec effusion d'un nouveau règne d'Auguste, grand aussipar les oeuvres de la paix, qui s'était ouvert dans lesroyaumes ibériques heureusement unis 1.

Cet élan pour la guerre sainte ne pouvait pas restersans inaitateurs. On le vit bien dès l'année 1488, quandles pirates d'AvIona, paraissant sur la côte ti

Pesaro, pillèrent autour du sanctuaire de la Madone, etd'autres corsaires à Malte : le nouveau Pape, InnocentVIII, releva le drapeau de croisade, faisant un appel cha-leureux aux princes dont les mains étaient encore librespour rceuvre salutaire. Il crut gagner un important atouten achetant au jeune roi de France le pauvre fugitifqu'était Dchem, occupé A. des beuveries ou à touteschoses de rien. Le Pape l'annonpit, demandant leur con-cours à Frédéric, à Maximilien, aux princes allemands,interpellés séparément 2. On croyait dans ce monde naifde l'Allemagne que, pour la possession de cet héritier deBajazet II, le Sultan offrirait Constantinople, et le Sou-dan, de son côté, Jérusalem 3. Il est bien certain que cedernier, qui entendait poursuivre l'Ottoman de son ini-mitié, avait le réel désir d'obtenir dans ce but le princedont la mère était depuis longtemps réfugiée dans sesEtats 4. Le légat de croisade lui-même assurait queDchem, le nouveau « Siroé, flls de Chosroés », offreceux qui pourront le rétablir « Constantinople, Trébi-zonde, Nicopolis, le Hellespont, la Mysie asiatique, l'Ana-tolie » et quelque chose méme en plus 5.

i Ibid., pp. 154-166, n° CLV.2 Ibid., p. 163, n° OLXIII.3 Ibid., pp. 164-165, n° GLXVI.4 Ibid., p. 166.

Ibid., Op. 173-174, n° CLXXXV ; p. 175 ; pp. 186-182, n° CXC.

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CHAPITRE IV 9)

On travaillait A. la paix entre Frédéric et Mathias eton s'évertuait A. rassembler une dike d'Empire. En atten-dant la reprise de la croisade espagnole, on magnifiait laconquéte de la Bétique ; les établissements portugais enAfrique étaient considérés aussi comme des succès contreles Infidèles 1

Le plus grand triomphe d'Innocent, qui s'était attribué-la direction du mouvement, fut la réunion d'un concile A.Rome, répétant celui de Mantoue, convoqué par Pie II. Ily avait, avec beaucoup d'Allemands et encore plus d'Ita-liens, deut évéques d'Espagne, le Grand-Maitre de Cala-trava, des délégués de la Bohéme et de la Pologne etl'évéque de Nantes. Un projet fut élaboré, fixant troisarmées : celle de l'Italie, celle de l'Allemagne et de toutesles royautés voisines, sous l'empereur, qui passera parla Hongrie et la Valachie, celle de la péninsule ibérique,de la France, de l'Ecosse, probablement aussi de l'Angle-terre ; une attaque contre les Africains mémes était pré-vue (1490) 2.

Il n'en fut rien. Une diète A. Coblentz n'amena pas derésultat. L'attention s'était reportée dés 1491 vers l'Es-pagne, où les rois catholiques avaient mis le siège h. Gre-nade. Pressée de près, cette ville aux « cinquante minemaisons » dut capituler au commencement de l'annéesuivante : le roi maure, abdiquant tout pouvoir, devint levassal de Ferdinand ; un immense et riche arsenal futinventorié ; avec la sixiéme partie de leurs biens et pasplus que la charge d'une béte de somme, ce qui signifiaitpour le public chrélien a l'expulsion des infidèles » 3, onpermit aux vaincus le passage en Afrique ; l'Alhambrafut livrée au nouveau souverain « au milieu des pleursde ceux qui partaient en exil » 4, et la croix élevée sur lacime des tours. « Et le sérénissime seigneur roi, h. cheval,descendit de selle au moment de l'élévation de la croix et

/ lbid., p. 175.2 Ibid., pp. 174-179, n° CLXXXVII.3 Ibid., p. 203.4 Plorantes tamen et exulantes tradiderunt ; ibid., p. 199.

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92 ESSAI DE SYNTHASIL DE li'llISTOIRE DE L'HUMANITt

resta les genoux en terre ; puis la troisième fois fut élevéle drapeau de Saint-Jacques et le drapeau du roi ensuite.Alors, un héraut du roi d'arraes, monté su.r la méme tourprincipale se mit 6. crier d'une voix très haute et claire,en vulgaire espagnol, ces mots 'names : Santiagoy San-tiago, Castilla, Castilla, Granata, Granata, Granata ; pourles très-puissants seigneurs don Ferdinand et doña Isa-belle, roi et reine d'Espagne », le terme y est, « quiont gagné cette cité de Grenade et tout son règne par puis-san.ce d'armes sur les Maures infidèles, à l'aide de Dieu etde la glorieuse Vierge, sa mére, et da bienheureux Apôtresaint Jacques, et avec le concou.rs de notre très SaintPère Innocent VIII et le service des grands prélats, che-valiers, hidalgos, conirnunautés de leurs règnes ; gloireDieu pour toujours. Amen. » Sept cents misérables cap-tifs chrétiens sortirent en procession. Et les trompettessonnèrent, les musiques célébrèrent la beauté unique dece jour. La grande mosquée aux trois cents lampes futconsacrée en église le 7 du mois par l'évéque d'Avila 1.

A Rome, il y eut des fêtes brillantes pour cet évén.ement,qui paraissait une revanche pour la perte de Constanti-nople. Cent taureaux fluent égorgés, mine lampes bra-lérent dans les rues ; les feux d'artifice furent offertsla foule. On put voir méme, à cette époque hantée par lessouvenirs de Rome, au Cirque de Flaminius, la repré-sentation méme de la prise de Grenade, puis la proces-sion des rois vainqueurs, suivie d'une multitude immen-se. « Les Espagnols », dit un contemporain, « aspirentdéjà à l'Empire 2. »

Innocent VIII put mourir content, au mois de juillet decette m.énie année, qui vit la mort du roi Mathias et unan avant la an de rempereur dont CM osa dire gull s'étaitconsacré, sa vie durant à roau.vre de eroisade 3. Le non-

i Ibid., p. 201 : on parlait d'invitations vaines au roi de la partde certaines vines d'Afrique ; ibid., p. 201.

2 « Ecce, quis honorkhabeatuz Rome Hispanerum regi atque usqueadeo ub suspirent jam Hispani Imperium Romanum.

3 Ibid., pp. 205-206, CCX1. Cf. Chmel, owe, aide.

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CHAPITRE 1V 93

vean Pape fut cet Alexandre Borgia, auquel manquaittout enthousiasme pour cette ceuvre. Maximilien, ,commeempereur, annonça une arm& contre les Turcs qui ne serassernbla jamais 1 ; il n'était question que de troupesdefensives, du côté de la Croatie, de Segna, souvent enha-hies 2. Le roi polonais de la Hongrie, Vladislas, ne pen-salt méme pas it s'exposer contre mi pareil ennemi.

Et, quant aux royaux d'Espagne, ils venaient de diri-ger ailleurs, beaucoup plus loin, leurs efforts pour re-pandre la croyance chrétienne, arrachant les tunes éga-rées aux supplices de l'Enfer. Devant Isabelle s'étaitprésenté, sous les murs de Grenade méme, au momentdu plus grand enthousiasme pour la croix, un Génois,Christophe Colomb, qui s'appelait ici Cristobal Colon,parlant de ses vains efforts au Portugal, le royaume con-saoré depuis longtemps aux dácouvertes, pnis en Angle-terre, et, inspire par les etudes du Florentin Toscanello,préparant un voyage d'Occident, plus loin que les Cana-ries, récemment occupées, et que les Açores, où des racesinconnues attendaient certainement la révélation de lavraie foi. La reine donna son acquiescement, et, à cetteheure, un nouveau chemin s'ouvrait pour l'entreprise desnations européennes qui ignoraient jusqu'alors une bonnemoitié de la terre habitée.

Or, cette méme année 1493 oil une grande partie deschefs de la chrétienté descendaient au tombeau, CharlesVIII, cédant a ses propres instincts et aux recomman-dations d'une partie de ses conseillers, liquidait à ses&pens toute une grande ceuvre territoriale déjà accom-plie, pour pouvoir se consacrer uniquement a des butsdepnis longtemps abandonnés, qu'il jugeait supérieurs.

L'Italie en discorde demandait et ce n'était pas lapremière This un pacificateur que ehaeune des puis-

Notes et Extraits, V, pp. 208-210.* Voy. ibid., pp. 212 et suit% Ix Pape mame s'émut de ces stomas

tuns.

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94 ESSAI DE SYNTIlkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

sanees rivales, des partis en lutte jugeait devoir lui etrefavorable. Aucune autorité dans la péninsule elle-memene paraissait assez puissante pour empécher l'appel it

l'étranger.Louis le More avait espéré hériter du trône ducal de

Milan après la mort, qu'il escomptait et entendait pre-parer lame, de son pupille 1 Or, le jeune prince épousala petite-fille du roi napolitain Ferdinand. Il gagnait ainsiun puissant appui, et tous les projets de son oncle enfurent deranges. Le détenteur du pouvoir h Milan se rap-pela ou non les intérets de la Maison de France dans leduché, mais il recourut au roi ultramontain pour luidemander une intervention personnelle contre cetteroyauté du Midi italien qui paraissait de nouveau tendreA l'hégémonie sur la péninsule entière, h. un moment oilun Espagnol venait d'occuper le trône pontifical. A Flo-rence avait surgi un moin,e dont la predication se tour-nait, non pas contre une personne ou contre un parti,mais contre cette atmosphere meme dans laquelle, depuisdes dizaines d'années, vivait Florence. Etranger auxdisputes des amateurs de la philosophie antique, mépri-sant tout aussi bien le latin &calque sur Ciaron que levulgaire pétrarquisant dans lequel Laurent de Médi-cis présentait ses passions fugitives et ses considerationsépicuriennes sur la vie « dont le lendemain n'est passûr », haissant avec le luxe criard de ces parvenus lacoquetterie avec les dieux et les légendes d'une religiondéchue qu'il ne pouvait pas concilier avec son christia-nisme de « charbonnier », Jerôme Savonarola sortit deson cloitre, comme jadis Jean de Capistrano, dont cer-tainement, avec plus de hauteur de pensée, il derive, pourcondamner en place publique les errements de sa cité.Les prophètes d'Israël étaient ses modéles ; comme elmil n.'épargnait rien, s'en prenant aux puis puissants, quile craignaient, et, comme ceux-Iit avaient parlé it Israel

I Voy. Malaguzzi-Valeri, La Corte di Zodouico il Moro, Milan1913.

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CHAPITRE IV 95

idolAtre du Babylonien, de l'Assyrien, du Perse, destinéspunir les rebelles au pacte avec le Dieu unique, il appela

le « barbare » d'outre-monts pour punir les péchés de cemonde dépravé. Les piagnoni, les larmes de la, contritionet de l'enthousiasme aux yeux, lui formaient corame unearmée populaire, car une « question sociale » se posaitdans cette Florence où 11 y avait trop de riches et pasassez de richesse, et le successeur de Laurent de Médi.-cis n'était pas de taille k endiguer ce courant, prat kdétruire la liberté pour mettre fin au dévergondage etl'indifférence religieuse.

Sans cesse, le Napolitain Ferdinand faisait des mécon-tents chez lui, où il entendait la « tyrannie » d'une façondure pour les siens. Le Pape était aussi en conflit avecce mauvais « vassal » envahissant, avec lequel une paixsincère ne fut conclue qu'en 1492. Le fantôme de Jeande Calabre paraissait saillir devant le trône de l'Arago-nais. Contre l'Espagnol on pensait à la résurrection desaspirations françaises.

Une ligue avait été méme conclue, contre cet étranger,entre le Pape, mécontent de son rival qu'il croyait vou-loir, de concert avec Pierre de Médicis, faire occuperRome par le due de Calabre Venise, qui aspirait à ladomination dans toutes les eaux chrétiennes, et le More,qui haissait le parent de sa victime désignée : conserverla puissance A ce dernier &all le but déclaré de Ferdi-nand.

L'appAt de ces invitations pressantes, à une époque oilil n'y avait plus d'empereur assez riche, assez puissant etassez Or de lui-méme pour descendre en Italie, était tropfort pour que la faible raison de Charles VIII résistAt.D'autant plus que cet empereur n'était maintenant autreque son rival permanent, Maximilien. Mais, d'abord,fallait avoir les coudées franches. Aucun prix n'était trop

1 Guleciardinl, p. 34, oh aussi une note sur les rapports duMore » avec les Tures. Voyez la thèse récente (Paris 1926) de M.

Andre Otetea sur Le Guiehardin

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96 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

haut pour les dégager. Trois traités devaient clôre l'eredes proces de territoire. Par celui d'Etaples, on assuraune pension A Henri, « roi d'Angleterre et de France »,retenu chez lui par la révolte du « prétendant » quis'appelait de son vrai nom Perkin Warbeck. En janvier1493, le traité de Barcelone mettait fin à l'inimitié, delongue date, entre l'Aragon et la France qui avait crupouvoir gagner sur cette couronne : les pays de languedemi-espagnole la Cerdagne et le Roussillon, passerentsous le sceptre du roi Ferdinand, qui, sans avoir la Na-varre, passait done la frontière naturelle des Pyrenees.Par le traité de Senlis, Maximilien regagnait les paysformant la dot de sa fillette répudiée, qui perdit doré-navant, comme elle s'en plaint, « joustes, dames et tour-nois » comté de Bourgogne et de Charolais, Artois, Hes-din, Bethune, Aire, devant étre restituées it la majorité dudue Philippe et Arras lui restant jusqu'à son hommage.Méme à Mâcon, A Auxerre, A. Bar-sur-Seine, la possessionfranpise n'était que provisoire, et la question de la Flan-dre wallone restait en suspens 1.

Tout ceci ne signifiait pas encore le signal du depart.En effet, certains des allies qui s'étaient si chaleureuse-ment offerts manquèrent au moment décisif. Le More,auquel avait été affectée, des dépouilles de Naples royale,la principauté de Tarente, maria sa fille Blanche avecMaximilien, auquel étaient ouvertes done les portes deMane. Ferdinand venant de mourir en janvier 1494, sonrude successeur, portant le grand nom d'Alphonse, réus-sit à resserrer les liens avec son conational sur le Siegepontifical.

Aussi, lorsque, de Lyon, oh il festoya dix mois, Charlesde France, qui y rassemblait ses compagnies d'ordon--nance, ses archers, sa noblesse et 6.000 Suisses, ainsi

1 Une bonne analyse dans Cherrier, ouvr. cite, I, pp. 247, 248.Passant par Cambrai, comme on eriait Noël n, la petite Margue-rite répondit o Criez plut8t : Vive Bourgogne n (ibid., p. 252,mote 2).

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CHAPITRE IV 97

qu'une belle artillerie, demanda h. Alexandre VI, suze-rain du royaume napolitain, l'investiture promise, il ren-contra des tergiversations inquiétantes. Le duc d'Orléans,de son côté, préoccupe de ses propres revendications enItalie, proposait Milan comme but d'entreprise imman-quable. L'infant don Ferdinand essaya de fermer, en sesaisissant de Genes, un autre passage dans la pénin-sule. Il n'y avait, décidément, que la Savoie sur laquelleon pouvait compter, pays tout français, étroitement réunipar des liens dynastiques A la France, et le marquisat deSaluces.

L'entrée de ce côté-là fut vraiment encourageante. Laduchesse de Savoie, si proche parente de Charles, luioffrit en gage ses joyaux, qui ne furent pas rendus ; « lesenfants », dit Charles « viennent au-devant de nous, por-tant les armes de France et criant : Vive le roi l ». Onpassa triomphalement par Turin et Asti. Mais A. Genesles Français seront tués dans les rues. Malgré une entre-vue avec le More, il avait fallu livrer bataille k Rapallopour passer plus loin, et entrer ,dans les murs de Genes,enfin soumise.

Tout cela avançait plutôt difficilement. Le but deCharles dépassait méme Naples. Un Paléologue Andrelui avait vendu, en septembre, ses droits h l'Empire, enéchange pour une pension, un commandement militaire,un pays « de 5.000 ducats de revenus » et l'éventuel eta-blissement dans son despotát, pour lequel il paiera unejument blanche par an 2.

Avec la Serbe qui gouvernait comme veuve le marqui-

i Ibid., p. 436.2 Mémoires de l'Acadérnie des Inscriptions, XVIII, pp. 559-562. En

1491, les comptes royaux notent en faveur d'André les a gransfrais et despens qu'il.a faits it venir du pays de Constantinople,envers le dit size pour aueuns ses grans affaires touchant le biende son royaume ». Fulin, La spedizione di Carlo VIII in Italia,Venise, 1883 ; Herbst, Der Zug Karts VIII. nach Italien, dans lesa Abhandlungen zur mittleren und neuen Geschiehte a de Below,Berlin-Leipzig, 1911.

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98 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

sat de Montferrat des rapports avaient été noués ; elletint à la disposition de son hôte, A Casale, les pierresprécieuses de son écrin. Le jeune roi se trouvait A courtd'argent : il en demanda à titre d'emprunt it Venise,qui s'excusa, au clergé de France ensuite ; son arméeétait mediocre, et il venait de passer par la petite vérole.

Lorsqu'enfin on vit les Franeais A Pavie, le jeune dueétait mort, de maladie certainement, mais les par-tisans du « More » criaient déjà dans les rues sa succes-sion au trône. Avec les gens d'armes du due de Montpen-sier, avec des Suisses, le roi se dirigea vers Florence, lessiens traitant en ennemi les districts de la Toscane. Pierrede Médicis s'offrit A conclure un trait& mais le pouvoirétait à Savonarola, qui le contraignit bientôt it s'enfuir.La Republique, sauvée de ce « tyran » par la seuleapproche du roi, attendait de lui cette liberté qu'elle avaittant désirée, mais aussi la souveraineté sur Pise rebelle,sur Livourne, sur tout ce beau pays toscan, oii ellereprésentait la seule vraie énergie politique. AussiCharles, qui s'était montré d'abord favorable aux Pisans,dut-il se plier à toutes les demandes de ces Florentins.dont la banque allait financer le reste de l'expédition.Accueilli avec les plus grands honneurs au son des clo-ches, les drapeaux qui flottaient sur les tours portant ladevise « rex, pax et restauratio libertatis », il se présentaimposant de nouvelles armoiries à cette vieille cite, en« père de la patrie, tuteur, protecteur et libérateur, con-servateur des libertés ».

De nouveau fourni de deniers, le pèlerin royal se fitrecevoir en maitre A. Sienne, oii pendant six heures lessiens passèrent sous des arcs de triomphe. Mais Rome,elle qui devait donner un nouveau titre de légitimité à lapossession de Naples et décréter la grande croisade fran-çaise, la Rome cauteleuse d'Alexandre VI restait enigma-tique devant la poussée du roi « tres-chrétien », qui invo-quait pour la prise de possession du royaume de Naples0 vingt-deux investitures accordées a ses ancetres par les.

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CHAPITRE IV f9

pontifes romains et deux autres par les sacrés concilesgénéraux 1 ». Devant cette résistance, Charles pensa Itréunir un concile général A. Rome 2

Le duc de Calabre s'offrit A. défendre la ville des Papes,avec ses bandes napolitaines, si l'envahisseur ultramon-tain sera excommunié. On ne l'accepta pas : ç'aurait 616un acte trop hardi pour cette haine qui couvait irrécon-ciliable. On vit donc les Français dans les rues de Rome-Une convention fut conclue qui réservait la Cite Léonineet le Trastévère. Alors, le premier jour de l'année 1495,Charles put faire mine de Cesar, comme les vieux Teu-tons du moyen-Age. Les cardinaux l'entouraient, mais lePape ne s'était pas montré encore.

Il y eut des discussions sur la possession du château deSaint-Ange, du port Civita Vecchia, sur l'administrationdes provinces du Saint-Siège. Les soldats, secouant lefrein, se mirent A piller. Alexandre VI finit par se sou-mettre A. une fatalité qu'il ne croyait pas devoir durer. IIprit place A côté du vainqueur, reçut son obédience, lereconnut comme vassal de l'Eglise. Aussitôt, ayant abdi-qué, le roi Alphonse se retira en Sicile, laissant A son fils,le duc Ferdinand de Calabre, et A son frère, Frédéric, lesoin de défendre ses Etats.

La défeuse parut cependant bientôt impossible. Cetteroyauté napolitaine n'avait pas d'armée, et ses sujets nel'aimaient pas. A Aquila on frappa la monnaie de Charlescomme souverain du royaume, c'est-A-dire comme « parla grAce de Dieu, roi de France, de Sicile, de Jérusa-lem 3 ».

Il se soumit Salerne, dispersa les bandes qu'on lui

I Notes et Extraits, V, pp. 222-22., n° CCXLII. Ferdinand dtaitqualifié de . quidam Ferdinandus ex Aragona », avant gagné letrdne par un passe-droit de Pie II.

2 Guicciardini, p. 64.3 Nasco, Intorno alle monete di Carlo VIII, Naples, 1846. Les mon-

naies portent aussi : . Christus vincit, Christus regnat, Christuzixnperat ».

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100 ESSM DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

opposa et fit son entrée à S. Germano, au Mont Cassin,à Gatel. Ces succès faciles l'enivraient ; ses lettresparlent du « plus bel esbat du monde », du « grantexemple pour le peuple des autres 2 » Sur ce sol ennemiles soldats du « roi légitime » n'épargnaient aucun actede cruauté à l'égard d'une population traitée de « pillardset nialfaiteurs ». L'expédition se compromettait par cesépouvantables excès, reconnus par ceux mémes qui lesperpétraient 3. Après Capone, Naples méme, où on enva-hissait les écuries royales, les maisons des Espagnols, oùon traquait les Juifs, la ville étant plutôt entre les mainsde la populace, se rendit ; les femmes étaient aux fenêtresh l'entrée du nouveau maitre, jugé préférable aux duesaragonais. Le roi Ferdinand ne trouva de refuge que dansl'ile d'Ischia, puis A. Messine, alors que certaines placescomme Brindisi et Gallipolis lui restaient encore fidèles.Toute onre de paix de la part des vaincus fut rejetée, demôme que la proposition d'une médiation, faite par Fer-dinand le Catholique 4. Mais rien n'était préparé pour lagrande entreprise, h. laquelle l'Albanie remuante conviait,elle aussi, le grand roi occidental 4. Charles, qui voulaitse faire couronner A. Rome comme roi de Naples 5, n'avaitaucun moyen de poursuivrt ces plans orientaux dontavaient parlé jusqu'alors tous ses manifestes. Il s'aban-donnait aux plaisirs de toute sorte dans cette splendideville de Naples qui lui révélait des beautés d'art jus-que-là inconnues et lui offrait de faciles et doucesamours. Aucun effort d'organisation, aucune prévoyanceA. se garantir, aucun élan vers cet avenir de légende quiavait caressé l'imagination de toute une société jeune etromantique. En vain les Turcs prenaient leurs mesures

I Cherrier, ouvr. cité, p. 119. On fit publicr une a Prinse deNaples no

2 Ibid., pp. 120-121. Cf. Passertion de Commines : a 11 ne semblaitpoint aux autres que les Italiens fussent hommes e ; VII, ch. am.

3 Cherrier, ouvr. cité, p. 115.4 Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 284-285.5 Ibid., p. 148.

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CHAPITRE IV 101

de résistance et les populations balcaniques, effrayées,s'enfuyaient dans l'intérieur 1. Le pauvre Dchem, que lePape avait da céder a son hate indésirable, venait demourir de maladie, juste au moment oil il révait d'unerestauration.

Alors l'Italie se ressaisit. Le danger turc l'avait habi-tuée b. conclure des ligues. Sous cette forme même de ladéfense contre les Ottomans, dans la dike réunie enAllemagne par Maximilien 2, on ajoutait : et contre lesFrançais, une confédération de cette façon se prépa-rait dès l'hiver. Commines, envoyé A Venise, fut avertipar le doge qu'il s'unira avec l'empereur et le Pape, avecFerdinand d'Aragon et Milan contre le Sultan et toutautre danger venant de l'extérieur. Le 12 avril, on célé-brait a Rome le grand événement, qu'on mettait a côté de« l'expulsion des Agarkies. de la Bétique 3 ».

La forme publique de cet acte ne comprenait qu'unecollaboration pour vingt-cinq ans, pouvant kre prolongée,avec une armée commune de 18.000 gens de pied et34.000 cavaliers, plus une flotte réunie, avec la garantieque Maximilien pouira venir a Rome pour un couron-nement, sous la protection du More et de Venise 4. Ensecret, il kait question de chasser le duc de Milan, mena-çant a Asti, de fulminer l'excommunication contre le roide France et de lui faire quitter la péninsule. Depuis long-temps d6jà les Napolitains et le Saint-Siège nikrne khan-geaient des lettres avec le Sultan, et un parent du roinapolitain évincé était allé rencontrer sur le rivage desTurcs qui ne vinrent pas 5.

Aussitat le Pape refusa l'investiture et réclama l'exécu-lion du vceu de croisade, le duc de Milan demanda le

I Notes et Extraits, V, p. 227, n° CCXLIV.2 Voy. Seton Watson, ouvr. déjà cité.3 Notes et Extraits, V, p. 228, n° CCXLVI.4 Liinig, Codex diplomaticus, I, 1, 1, 24.3 Cherrier, ouvr. cité, pp. 141-142. Cf. Burcard et les Diarii de

Sanudo.

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102 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÈ

départ du duc d'Orléans et la restitution des sommesempruntées, les Français furent attaqués dans les ruesde Rome. Après cinquante jours perdus à Naples, le roide France, qui relevait d'une nouvelle maladie, fut solen-netlement reconduit par l'éloquence servile d'un Ponta-nus.

11 fallait se presser. Si la dike de Worms refusa les9.000 hommes demandés par Maximilien pour alter sefaire couronner, Venise armait ; à Rome, le Pape refusade se rencontrer avec celui qu'il avait jadis si bienaccueilli. La Toscane seule resta fidèle, la réception hSienne, h Florence, Rant particulièrement chaleureuseh Pise on implorait ce sauveur qui s'en allait. Milan &tallgardée par des stratiotes au service de Venise. On l'évita,mais h Fornuovo les troupes de la Ligue, quelques Alle-mands h côté de la masse de ces Albanais et Grecs, sou-,doyés par la République, opposèrent une digue au pas-sage d'un prince dont on soupçonnait des intentions surMilan et sur Génes. Les Français rappelaient dans leurcri de guerre la victoire de Guinegate, alors que dans lecamp ennemi résonnait le cri nouveau, inspiré par lessouvenirs de l'antiquité romaine : Marco, Marco, Italia 1.Les stratiotes remportèrent une victoire qu'ils em-p/oyérent A. piller, et les 3.000 Suisses de Charles s'ou-vrirent le chemin de façon à ce que le roi pfit dire ensuiteque, repoussant ceux « qui s'attendoient h nous faire dés-honneur et dommage », il a « descousu toute l'Italie 2 ».

Les Français purent rester à Asti jusqu'à la fin dejuillet, alors que Ferdinand de Naples, victorieux A Semi-nara sur les faibles garnisons françaises, reprenait sonroyaume, acclamé h Naples par ceux qui avaient accueilli

9 Sur l'Imperio deqli Italiani oppose it l'Imperio di gente oltra-'nonfarm, voy. Guicciardini, p. 71. Et l'observation qu'on finit parreconnaltre que ces Aragonais sont naturalises Italiens : « i figlialiet i nepoti, tutti nati et nutriti a Napoli, erano meritamente ripu-tati Italiani « (p. 71).

5Lettres de Charles VIII, bd. Pélicier, 5 vol. (Soc. de l'histoire deIrstanoe).

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CHAPITRE IV 103

son ennemi et embrassé au passage par les dames qui luijetaient des fleurs. Florence étreignait de nouveau Pise,sacriflée. Le Pape sommait Charles de se presenter devantson tribunal 1 Les Suisses demandaient à étre payés, me-naçant de se s'aisir de la personne du roi ; ils prirent desotages.

En automne, Charles était de retour dans ses Etats avecle seul souvenir d'encore une de ces b,rillantes équipéesque l'Italie avait connues à travers le moyen-Age. La Liguepour vingt-cinq ans n'était, avec ses clauses si précises,qu'une ironie. Les Vénitiens seuls avaient combattu, leprovéditeur h la the des stratiotes balcaniques. Aussitôtaprès avoir vu que Charles a échappé à ses poursuivants,le More négocia avec lui le tralté de Vercelles (octobre),par lequel il gagnait Gênes et Savone, le passage à lamer, mais avec le droit pour la France d'armer desvaisseaux dans les chantiers génois, et avec Asti pour leclue d'Orléans. Abandonnant les rois Alphonse et Fer-dinand, qui devaient disparaitre bientôt, laissant le paysdans un état d'anarchie presque complète, il admettaitmeme le passage h travers ses Etats de renforts pour ledue de Montpensier, qui maintenait encore la bannièrefrançaise. Deux vaisseaux armés par le duc collaborarentcontre les ennemis napolitains et, si le roi répéte sonexpédition, le More ira h ses côtés. Si Venise n'adhère pas

cette convention, Milan est préte à l'attaquer. Bientataprès, le duc offrira cependant aux Florentins Pise s'ilsveulent se réunir contre le roi 2.J ne vent pas moins quePise, Livourne, la Lunigiana 3.

De son côté, Venise s'acharnait sur le cadavre de laroyauté napolitaine, qui, en disparaissant, ne laissaitaucune trace de l'ancienne autonomie locale 4. La Répu-hlique s'était réservée certaines places clans le Midi ita-

a Notes et Extraits, V, p. 221, n° CCXL (la date est 1495).2 Cherrier, ouvr. cité, p. 345.2 Ibid., p. 352.4 Cf. Notes et Extraits, V, p. 230, n° CCXLVIII.

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104 FSSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

lien qu'elle entendait retenir : des stratiotes y furentenvoyés. Maximilien, appelé par le méme due de Milan etpar Venise contre Florence, proclamait, en empereur yayant le drolt, l'indépendance pisane. Il signait en juillet1496 un traité dans ce seul but avec le Pape, le due deMilan, avec Venise et Ferdinand d'Aragon, sans oublierl'Angleterre. Il pensait A s'embarquer A Génes pour Pise,considérée comme base de sa politique italienne, pourLivourne, qu'il poursuivait lui aussi de sa convoitise 1.Après avoir proposé une attaque combinée contre laFrance, se réservant l'invasion en Provence, en Bour-gogne 2, il réalisa cette intention d'expédition italienne,faisant détruire A Pise la statue de Charles « le libéra-teur ». Livourne lui résista cependant, et il partit vers leTyrol, après avoir demandé un emprunt pour les dépensesde sa table 3.

II finira par s'offrir A Charles contre Venise 4. Le Papelui-méme, qui avail créé un duché de Bénévent pour sonfils Jean, bient6t fraternellement assassin& était disposéh. rendre des services si on assure A son autre fils Césardes revenus en France. Et, ce qui dépassait tout, le puis-sant roi espagnol, dont la dynastie avait tant eu A souf-frir de la part des Français en Italie, lui qui avait craintpour ses Iles de Corse et de Sardaigne, proposait de parti-ciper it une expédition en Calabre, pourvu que sa pos-session du Roussillon lui ftlt définitivement garantie 5.

Comme l'observera Guicciardini, (C les alliés n'étaientpas unis par une amitié sincère et fidèle, car, pleins réci-proquement d'ambition et de jalousie, ils ne cessaient pasd'observer assidument chacun les gestes de l'autre, emp6-chant de l'un A l'autre les desseins par lesquels A chacund'eux aurait pu étre accrue la domination ou l'autorité 6 ».

t Cherrier, ouvr. cite, pp. 353, 368-369.2 Ibid., p'. 371.3 Con dire che non ha pure un quattrino per la sua mensa ; ibid.,

p. 374, note 2.4 Coimnines, VIII, n° XXV.5 Cherrier, ouvr. cité, p. 421.6 Non congiugneva gilt i collegati in amicitia sincera et fedele,

conciocosache, pieni tat se medesimi di émulatione et di gelosia.

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CHAPITRE IV 105

Charles VIII avait promis de revenir, et il avait fait despréparatifs sérieux, en méme temps qu'il créait pourl'adininistration du royaume, qui n'avait pas souffert deson absence prolongée, un vrai Conseil des ministres,sous la présidence du chancelier, établi à la façon deChypre ou de Venise. Mais un accident amena des 1498sa mort, à vingt-sept ans ; s'étant cogné dans un couloirétroit la tete contre une poutre, sans que personne inter-Vint pour le relever, il s'éteignit dans quelques heures dessuites de cette commotion dans ce château d'Amboisequ'il voulait transformer à l'italienne.

A ce moment, Venise, la grande puissance italienne del'époque, était occupée par la nouvelle guerre contre lesTurcs.

En 1490, le Sultan avait attaqué Tchrnolévitch ets'était aperçu. que l'appui vénitien ne manque pas à ceseigneur. En 1494, ii arracha par une simple conventionrile de Céphalonie à la Republique, qui prenait possessiondu duché de l'Archipel 1. En Morée, en Albanie, en Dal-matie, il y avait presque chaque jour des froissements,des injures reciproques, aucun des deux Etats ne dis-posant d'une vraie autorité sur ses sujets, abandonnésaux anciennes pratiques de leurs autonomies plusieursfois séculaires. Sur mer, les vaisseaux vénitiens et turcss'affrontaient parfois en pleine paix et, à côté, des pirates,de toute espece, travaillaient. Or, en 1499. malgré le suc-ces d'une ambassade envoyée par la Republique pour fai-re la paix, il était evident que le Sultan desire mettreordre h. ce chaos, surtout en Morée, où ses pauvres pos-sessions se trouvaient en face d'un ample domaine deVenise comprenant, avec les ports de Coron, de Modon,de Lépante et du Zonchio (le Junch des Catalans). Nau-plie et Monembasie ou Malvoisie.

non eessavano d'osservare assiduamente gli andamenti l'uno dell'altro, interrompendosi scambievolmente tutti i disegni per i quaila ,qualunque di essi accrescersi ,potesse o imperio o riputatione.

t Notes et Extraits, V, p. 231, n° caul' ; p. 233, n° CCtLVIIIGesch. des osmanischert Reiches, II, pp. 287 et suiv.

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106 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

La guerre fut acceptée par la République, non sansappréhensions ; des processions implorèrent à Venise lazniséricorde divine 1 La belle flotte vénitienne ne réussitpas néanmoin.s à battre dans les eaux de Navarin Itramassis de vaisseaux du Sultan. Aussitôt Lépante futoccupée. Devant le danger d'une nouvelle conquéte tur-que, les Occidentaux réunirent une flotte internationale,qui comptait des voiles de Rhodes, quelques embarca-tions françaises de Provence ; la tentative qu'ils flrentcontre Céphalonie ne réussit cependant pas. Une nouvellerencontre sur mer ne fut pas plus décisive. En août. 1500Modon, un des « yeux » de la République sur cette côtede la Morée, fut prise d'assaut, un événement qui eutpresque autant de retentissement que la perte de Nègre-pont, trente ans auparavant. Effrayés par le massacre desModonais, Coron capitula aussitôt, de méme que Navarin.

Cette fois, les Aragonais aussi se mirent de la partie.On vit leurs vaisseaux avec un chef comme Gonzalve deCordoue dans les eaux des Iles Ioniennes. Il réussit,comme « un vrai citoyen de Venise 2 », à se saisir deCéphalonie. Mais, restés seuls, les Vénitiens n'eurent pasde succès à Sainte-Maure, devant se contenter d'avoirregagné pour quelques mois Navarin. Des contingentsfrançais, portugais méme, s'ajoutèrent A la grande flottede l'amiral di Pesaro, qui vainquit les Turcs dans leseaux de Lesbos. Mais regagner la Morée était d'une impos-sibilité absolue. La paix de 1503 reconnut en échange laseule possession de Céphalonie.

Le duc d'Orléans succéda, comme Louis XII, A CharlesVIII 3.Ii avait à peine trente-cinq ans. Rompant son ma-riage avec la pauvre fille de Louis XI, Jeanne, il épousala reine-veuve Anne de Bretagne. Puis, comme on devait

1 Notes et Extraits, V, p. 249.2 Une lettre de condoléances de Maximilien, ibid., p. 309, n°

CCCLI I.3 Sur sia jeunesse De Maulde-la-Clavière, Histoire de Louis XII,

Paris, 1889 et suiv., 3 vol.

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CHAPITRE IV 107

l'attendre, le camarade du roi défunt dans l'expédition de1494-1495 se prépara, pour son propre comté d'Asti, pour-son duche héréditaire de Milan, A. envahir l'Italie, où, denouveau, presque tout le monde attendait quelque chosedu Français qu'on pouvait employer aujourd'hui et chas-ser demain. Des le début, du reste, il avait pris le titrecomplet de « roi de Sicile et de Jerusalem, due deMilan ».

Etablie en Pouille, Venise convoitait maintenant Ca-mone et la Ghiara d'Adda. Mais, plus que cette extensionterritoriale en Italie, qui devait la dédommager de sespertes en Orient, elle désirait, apres l'annulation de lapuissance napolitaine, briser l'autre bloc monarchiquequi s'était forme dans la péninsule : l'héritage -de JeanGaléas Visconti et de François Sforza. Comme le roid'Aragon ne s'interessait qu'aux choses de Naples et queMaximilien était aux prises avec les Suisses (jusqu'à lapaix de BAle, 1499), la Seigneurie trouva pour la pre-mière fois le chemin qui menait A la Cour de France. Letraité de Blois, signé en février de cette année 1499, fixaitla façon dont sera partagé le duché. Cette fois, Pinter-vention franeaise avait été dûment arrangée sous le rap-port des alliances. Ni A Florence, ville de sympathiesfraneaises, ni A Ferrare, le More ne trouva un appuiTrivulzio, l'Italien gagné A la cause de France, d'Aubigny,de la lignée des Stuarts, pénétraient dans l'Italie sep-tentrionale, se réunissant aux stratiotes soldés par Ve-nise sur l'Adda. Le due de Milan prit ses trésors et s'en-fuit en Allemagne, chez sa fille, la reine des Romains ; sacapitale se rendit ; un fils du duc evince et tué par l'usur-pateur se retina A la suite royale. Louis fit une entréesolennelle dans la cite dont était venue son aleule, Valen-tine, annonçant paternellement la reduction des impôts.Florence, Ferrare, Mantoue, Bologne,vinrent lui présenterleurs hommages. Ayant laissé Trivulzio A la garde de sa.capitale italienne, le roi, vainqueur A si peu de frais et,en apparence, définitivement vainqueur, s'en retournadans ses Etats.

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108 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Alors, le More essaya de revenir, avec quelques Suisseset des bandes bourguignonnes. En février 1500, il revoyaitson palais, mais la Confédération helvétique avaitdéfendu la guerre fraternelle. Les soudoyers suisses nedonnèrent done pas contre ceux que lui opposait la Tré-moille. Après les derniers succés contre Novare, Ludo-vic voulut s'enfuir de nouveau, mais, pris, il alla, parLyon, au château de Loches, oil l'attendait pendant dixans une captivité jusqu'à la mort, sort qu'il partagea avecson frère Ascagne.

Les affaires de Milan étaient réglées. Le centre del'Italie, sauf ce que Venise avait occupé, A. Rimini, aRavenne, fut concédé A. César Borgia, qui prit Fa6nza.Les petits seigneurs d'Urbino, de Montefeltro, d'Imola,de Camerino devaient disparaitre devant cette Romagneérigée en principauté laique. Son chef avait, bien entendu,la mission de collaborer contre la domination bran-lante des Aragonais de la branche cadette A Naples.

Dès le 11 novembre 1500, un traité avec Ferdinand leCatholique reconnaissait a la France, avec Naples, laTerre de Labour et les Abruzzes, alors que seul l'ancienduché de Pouille avec la Calabre devait appartenir, avecce titre ducal, a l'autre roi.

Aussitôt, les Suisses, les Gascons de d'Aubigny, unis aGonzalve de Cordoue, finirent de chasser le roi Fr&déric, héritier de son neveu. On en fit, dans sa prisonfrançaise, un due d'Anj ou titulaire jusqu'à sa rnort en1504. Ce sera en Espagne que bien plus tard, après undemi-siècle environ, s'éteindra le duc de Calabre, Ferdi-nand. A la prise de Capone, les troupes françaises furentcruelles pour les vaincus.

Mais Louis ne vint pas dans son nouveau royaume re-nouveler le faste vain de son prédécesseur. D'Aubigny,son lieutenant, se trouva bientôt en conflit avec les Espa-gnols pour la possession des anciennes provinces byzan-tines, si souvent disputées au cours de l'histoire : le Basi-licate, le- Capitanate, le territoire de Bari. On se battit.Par deux fois la victoire resta aux gens du roi Ferdi-

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Brosch, Papst Julius II. und die Gril ndung des Kirchenstaates,Gotha, 1878.

CHAPITRE IV 109

nand : aux batailles de Seminara et de Cerignola, où futtué le duc de Nemours. Sauf Gaëte, Venouse, S. Severino,tout le royaume appartenait à la branche ainée de la Mai-son d'Aragon ; en mai 1502, Gonzalve fit son entréesolennelle A. Naples.

Cependant, les alliés italiens ne s'en émurent pas.Venise se renferma dans sa neutralité. Florence restaimmobile. Comme Alexandre VI vint à mourir (avril1503), et que César Borgia tomba malade, comme la can-didature au trône pontifical du cardinal d'Amboise neréussit pas, le Pape élu contre la volonté des Français, undescendant des seigneurs de la Romagne, della Rovere,Jules II, commença son rëgne avec la mission expressede « chasser les barbares », tous les « barbares D 1.

Une aventure de César finit par son emprisonnement,Après la perte de Gaëte les restes de l'armée françaises'ouvrirent difficilement le chemin du retour. Seuls lesGonzague de Mantoue étaient restés &Mies jusqu'aubout. Il n'y avait plus de Français qu'à Milan.

Mais l'Espagne victorieuse avait elle-môme des ques-tions intérieures à régler.

Du mariage des rois catholiques était né un fils, Jean,qui fut fiancé à Marguerite, répudiée par Charles VIII.Ce prince mourut +Rs 1497, laissant une fille qui devaitétre reine du Portugal. Jeanne, sceur de ce Jean, épousale beau Philippe d'Autriche, fils de Maximilien et héritierde la Bourgogne et des Flandres, qui, resté dans son héri-tage, fut élevé à la française. Ms le mois de septembre1504, le fils de Jeanne et de Philippe, qui portait le nombourgutgnon de Charles, s'entendit avec Maximilienpour que celui-ci reconnfa tt Louis et à sa fille, du secondmariage, Claude, le duché de Milan, mais cette princessedevait apporter à Charles de Bourgogne, de Castille etd'Aragon, en dot, avec le duché, Génes et Asti, la Bour-

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110 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

gogne et l'héritage breton de sa mere 1 Car, comme LouisXII n'avait pas d'autres enfants, c'était la France elle-méme, le groupe de pays réunis par la couronne fran-çaise, qui servait d'objet futur dans les combinaisonsmatrimoniales.

Mais jusqu'A ce brillant heritage, Ferdinand, bien queOP. AO, pensait à lui-même. Isabelle le devança dansle tombeau, et Jeanne devint reine de Castille, avec Phi-lippe cornme simple prince-consort. Il essaya de se sub-stituer à sa femme. Contre Ferdinand aussi se dressal'ambition de ce jeune prince qui réunissait à l'ardeur duTéméraire l'avidité des Autrichiens. Le vieux roi,épousa, pour avoir la Navarre, Germaine de Foix, s'étaitréconcilié, par le second traité de Blois, avec Louis XII.Or, Philippe mourut en 1506, et sa femme devint folle decette perte. Ferdinand prit le gouvernement au nom del'enfant Charles ; il pouvait etre Or de le garder jusqu'àsa mort.

Pendant ce temps, Jules II travaille en Italien. C'est luiqui est maintenant le « principe », et sur une échellebeaucoup plus large que le miserable Cesar des Borgia.Il reprend pour l'Eglise Bologne, Pérouse, envahiesdepuis longtemps par des troupes de la dernière espece.Malgré ses bons rapports avec la France, il pousse Genes

la rebellion contre les représentants du roi et applauditA l'avènement d'un doge tire des bas-fonds de la popula-tion (1506). Louis XII vint, l'année suivante, en personnependre cet outrecuidant. A Savone, il s'entendit avecFerdinand qui revenait de Naples. Il s'agissait de détruirela situation prédorninante des Vénitiens. Comme ceux-ciavaient refuse de rendre A. l'Eglise Ravenne, Rimini,Faeenza, le Pape était secrètement de la partie. Et,comme Maximilien, qui se préparait de nouveau au cou-

Voy. Leglay, Negociations diplomatigues entre la France etl'Autriche durant les premières années du xvi.° siècle, Paris, 1845,2 vol. ; Correspondance de Maximilien et de Marguerite d'Autriche,Paris, 1839, 2 vol.

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CHAPITRE IV 111

ronnement romain, ne fut pas admis à passer sur lesterres de la République, un nouvel allié, brillant mais peuefficace, s'associa à cette ligue en formation. Elle fut pré-parée par la princesse Marguerite, qui en était arrivéegouverner les Pays-Bas, sa patrie, et, en décembre 1508,

Cambrai, était signé l'acte secret qui dressait contre lafière République tous ses ennemis : il était question delui reprendre la Dalmatie pour le roi de Hongrie,' mémeFile de Chypre pour le duc de Savoie 1 Ferrare, Mantoues'y ajoutèrent. Florence, qui assiégeait Pise, était libre deregagner cette ancienne sujette de son pouvoir.

En 1509, Louis vainquit à Agnadel le condottière d'Al-viano, commandant les forces de la République. Maisne poussa pas plus loin. Maximilien, qui était descendusur Padoue et Vicence, perdit ces conquéles du premierélan. 11 était évident que Venise ne pouvait pas être rui-née. Mais, comme elle avait rendu au Pape les villes duPatrimoine, le représentant pontifical du sentiment ita-lien n'hésita pas à lui tendre la main pour l'expulsioatotale des « barbares » qui avaient fait, maintenant, toutleur devoir.

Or, Louis XII ne se laissa pas faire facilement. N'ayantpas de soucis napolitains, fermement établi à Milan,As ti, A Génes, il &ail lui-même un prince italien très res-pectable. Jules II avait promis A Ferdinand l'investiturepour le royaume de Naples, et il put done s'appuyer surget autre grand souverain de l'Italie. Mais Maximiliens'unit A. Louis, et ces deux rois, dont l'un avait l'héritagede l'Empire etl'autre la protection héréditaire du Saint-Siège, allèrent jusqu'à accomplir l'ancien projet de Char-les VIII, de rassembler contre un Pape politiqueur, par-tial, intrigant, le concile général.

Déjà Louis avait convoqué A Tours ses évéques. Pourles grandes resolutions on choisit Pise. Jules n'en fut pasdéconcerté, présidant, de son côté, un autre concile au

I En apparence, il n'était question que de pacifier la vieille que-relle de la Gueldre et d'assurer au roi de France la possession deMilan.

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112 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Latran. Cependant, l'Eglise ne se leva pas contre sonchef : rouvrir l'ére des discussions intérieures paraissaittrop dangereux. Muni à l'Angleterre méme dont le nou-veau roi, Henri VIII, avait épousé Catherine, fille deFerdinand, le Pape, qui prit Mirandole personnellementet chercha à défendre Bologne, ne se borna pas A. dénierau roi de Franc,e tout droit A. la couronne de Naples ;proclama la guerre sainte (1509-1510).

Un second duc de Nemours, Gaston de Foix, parent dela reine d'Aragon, fut mis à la téte de l'armée françaisetravaillant en Italie. Il combattit à Bologne, à BreScia,contre les gens du Pape et ceux de Saint-Marc à Ra-venne il remportait la victoire, lorsqu'il périt au milieude son plus beau triomphe (avril 1512). Aussitôt aprés,les Suisses, mécontents de leurs payes, trahirent, et Maxi-milieu, « offensé dix-sept fois par la France », passala Ligue.

En vain les prélats réunis à Pise passèrent-ils A Milanpour procIamer la déchéance du Pape. Le Saint-Sièges'était gaga Parme, Plaisance, Reggio ; il offrait à VeniseCrémone et Brescia, bien qu'un Sforza,paru pour demander l'héritage du duché de Milan. JulesII finira en offrant la France elle-méme à quiconquepourrait s'en saisir.'Le roi trés-chYétien » c'était désor-mais l'Anglais. Le pontife batailleur, A la fibre dure, mou-rut, vomissant des malédictions contre celui qui avaitété jadis le fils chéri et le sauveur, le bienfaiteur del'Eglise (mars 1513).

Venise n'avait qu'un seul but : la possession de lamarche occidentale de ses possessions. Or, ce Sforza quiportait le nom de baptême de l'empereur l'incommodait.C'était le fantôme méme du « More » qui surgissait. Ellen'avait pas fait, certainement, la guerre pour cela. Denouveau, elle tourna casaque, s'unissant au roi de France.

Le Milanais fut repris, mais aussitôt, à la bataille deNovare, les Suisses gagnérent une grande victoire sur lesFrançais et pénétrèrent jusqu'à Dijon. Aussitôt la Picar-

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cHAPITRE 117 113

die sera attaquée par Maximilien, qui vaincra à Guinegateet entrera à Tournai. Les Anglais parurent h Calais etTérouanne. Le concile de Pise se dispersa.

Le Saint-Siège avait gagné la partie.

Le poème chevaleresque dont l'Italie avait été le théâtrefinit ainsi. Milan, Génes, furent abandonnées pour le mo-ment. Maximilien n'était pas un adversaire trop redou-table. La Navarre conquise tout récemment suffisailFerdinand. Et Henri d'Angleterre s'apparenta h Louisvieillissant, par le mariage de sa sceur Marie, promiseCharles, avec le roi de France I.

L'Occident paraissait avoir regagné son équilibre.

Voy. le recueil, (HA cité, de Champollion-Figeac, Lettres de rot's,reines et autres personnages des Cours de France et l'Angleterre,depuis Louis VII jusgu'gt Henri IV, tirges des Archives de Londrespar Bréquigng, Paris, 1839, dans la a C,ollection de documents ink,--dits a, 11, pp. 549, 557-558.

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CHAPITRE V

La nouvelle société européenneau commencement du XVIe siècle

Ces guerres fréquentes, d'Etat h. Etat, sans aucun mé-lange de ces conflits intérieurs qui dorénavant, commece fut parfois le cas en France, menaient à l'échafaudles violateurs de la paix, les pays d'Allemagne euxseuls cherchaient en vain, malgré l'établissement, deforme, des « cercles », le moyen de garantir la tranquil-lité n'entamaient pas essentiellement legrand procès qui faisait sortir toute une société, sansdifference de pays, des pratiques et des gaits du moyen-'Age, pour lui faire endosser, sous 'Influence de ce qu'oncroyait être vraie antiquité, intégrale, un autre vete-ment.

Ceux qui combattaient n'étaient qu'en faible partie lesmembres mémes des grandes communautés sociales occi-dentales. On a pu le voir déjà par l'histoire de ces guerresde Bourgogne et d'Italie. Venise ne fait pas sortir devantl'ennemi ses propres citoyens : ce sont les stratiotes del'espèce d'un Klada, Grec, d'un Andre Paléologue, de lameme nation, d'un Boua, d'une lignée albanaise bien con-nue, qu'on emploie. On fait la guerre par ces mercenairesdont les poemes dans leur langue meme célébrent lesexploits 1, mais parfois, en soldats libres ou en guerrierscolonises, comme en Morée, ce sont eux qui provoquent,pour avoir leur gain, les hostilités que la Republique,qu'ils servent, ne désirait guére, et, sous ce rapport, ils

1 Sathas, My-1111sta DA-rivixfig icrrop[ag.

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CHAPITRE V 115

ressemblent A. ces janissaires, à ces spahis qui se lèventtumultueusement, menaçants, en 1484, pour faire d'unbon Sultan aimant la paix le conquérant des ports mol-daves de Chilia et de Moncastro. Le duc de Milan ne faitpas non plus marcher les bourgeois de ses cités ; le grandHunyadi lui-méme avait été un des soudoyers étrangersdes Visconti qui ont précédé les Sforza, et l'argent gagné-â Milan pour étre prété à son maltre, le roi de Hongrie,est au commencement de son éblouissante fortune, pres-qu'en même temps qu'allant vendre à l'étranger sa vail-lance et ses connaissances militaires un Bis de Flo-rence, bientôt marié h. une Hongroise et maltre deschâteaux qu'il fait décorer par des artistes de chez lui, unfrère devenant évaque de Nagy-Vfirad (Oradea-Mare) 1,Pippo Scolari, devient le comte de Temesvir, l'auxiliairele plus précieux du roi et empereur Sigismond dans sa-guerre défensive contre les Turcs, Pip po Spano. Le ducde Savoie, qui ne compte que sur ses chevaliers, les mar-quis de Saluces, de Montferrat, dans leurs nids subalpinsoù jadis Thomas III de Saluce avait écrit son roman fran-çais, Le chevalier errant, ne° prennent aucune part h. cesguerres d'égoïsme conquérant. N'ayant pas de quoi sepayer des auxiliaires comme ceux qui donnent la victoireet réduit au concours de ses « barons », qui ne l'aimentpas, le roi de Naples, auprès duquel vivent cependant deg,rands condottières balcaniques, Jean Castriote, le filsde Scanderbeg, Etienne de Maramonte, de race serbe, suc-combe dans cet essai général des forces. Pour ce mAmemotif, le Pape doit courber la téte devant quiconque faitmarcher des troupes contre ces Etats dont Alexandre VIet Jules II ont eu l'ambition de faire une principautéce n'est que par des combattants d'emprunt, qui se dis-perseront après sa mort, que le second pourra jouer songrand rble héroïque, à cheval, la barbe une innovation,qui vient de là au vent des batailles.

En pays d'Allemagne, on a, comme on- le volt par

'Hevessy, ouvr. cité.

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116 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

les mesures prises dans des diètes locales pour obvier auxattaques turques en Carinthie, au Tyrol, et jusqu'auxportes de la Baviére, toutes les diflicultés du mondepour mettre ensemble le moindre manipule de guerriers.Maximilien, qui mendie les contributions des dietes, les-quelles lorsqu'il leur demande 0.000 hommes pour soncouronnement, s'arrangent de façon à lui faire avoirpeine un tiers, et il ne se hasarde pas- A partir, a pourcheque occasion une autre composition de ses troupes, etce n'est que chez les Suisses de l'éveque de Sion, Mathieu,qu'il trouve un vrai concours ; mais ils entendent etreponctuellement payés de ses chers pochi danari ». Sespompes militaires, si brillantes, beaux .cavaliers huppesde plumes, emmitouflés dans leurs pourpoints goalies,montés sur des chevaux caparaçonnés, existent plut6tdans les gravures faites par Albert Diirer pour sonTheuerdank et son Weisskiinig : des conquérants dansles contrées de rimagination.

Le caractère même des guerres françaises a totalementchange. La gendarmerie noble ne quitters pas le roi,entre autres parce partage son opinion que toutcela est intéreSsant et beau. Ils gont dans la note de celuiqui, énivré du bruit des armes, décrit « le plus bel esbatdu monde et ce que jamais n'avoye veu et aussi bien ethardiement assaillir et combattre qu'il est possible i ».La Gascogne donne des arbalétriers formes à la coutumeanglaise 2

Mais, à côté, et surtout, il y a les Suisses, dont il estimpossible de se passer. Pour les payer, le roi descendraaux emprunts de bonne gráce ou de force, comprenantaussi les bijoux de ses hôtes qu'il mettra en gage et nerendra jamais.

Il est vrai que les Anglais combattEnt par leurs propresforces. La tradition de la guerre de Cent ans s'est encoreconservée .chez eux, pure de melange. A Guinegate, ce

a Lettres de Charles VIII.2 Cherrier, ouvr. cité, II, p. 31.

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CHAPITRE y 117

sont eux qui ont vaincu, dans la « journée des éperons »,SOUS le nom du roi des Romains. Mais le pays est pauvre,et on se risque difficilement sur le continent, tout enrévant de Guyenne et d'autres conquêtes, qui paraissentde plus en plus impossibles. A l'autre bout de l'Europe,la Hongrie conserve son ancien système d'appel auxnobles, inauguré par Sigismond, et elle se tire d'affairecomme elle le peut, répondant aux raids turcs par d'au-tres raids, sans pouvoir rien oser, méme lorsque le roile vent. En Pologne, enfin, il faut s'adresser h la diète, etc'est elle qui décide entre la convocation de la noblesse,ce qui demande du temps, et l'engagement des merce-naires, ce qui exige de l'argent.

Seules, les légions de l'Espagne font exception it larègle nouvelle. Lh-bas, c'est- l'indigène qui combat. A laprise de Grenade, il y a eu comme une concentrationnationale qui a résisté pendant deux ans h. toutes lesZpreuves. Et h la bruyante cavalerie française d'un Mont-pensier, d'un d'Aubigny Gonzalve de Cordoue oppose lesdurs montagnards de l'Aragon, réunis d'une façon per-manente autour de sa personne. Seulement, ce sont detoutes petites armées, représentant un faible appel auxforces de la nation, qui West mobilisée que pour l'ceuvrede croisade.

Elles sont aussi très peu cruelles, ces guerres dans les-quelles, d'un groupe de mercenaires h. l'autre, on se mé-nage. Si on coupe les têtes, ce sont les Albanais 1 On segarde bien de détruire. Lorsque les Suisses pillèrent etmassacrèrent jusque dans les églises, sous les drapeauxde Charles VIII, on en frénait. o Le carnage », dit un destémoins, de cette armée elle-méme, « fut un des plus hor-ribles qu'on vit jamais 2. » On s'indignera h. Rome devanta les pilleries et rançonneries qu'ion fait, dont punition.

i Cherrier, ouvr. cité, II, p. 30.2/bid., II, p. 120.

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118 ESSAI DE &ENV:1E5E DE L'HISVIIRE DE L'HUMANITE

ou réparation n'est point faite i ». A Naples, les Suisses-ne participèrent pas à l'entrée 2. C'est pourquoi la con-duite des Turcs suscite une indignation générale lors-qu'on apprend les représailles exercées à Otrante ouModon sur la population, avec les évèques sciés en deux,les commandants décapités, les holocaustes des habi-tants qui n'ont pas combattu 3.

Daus les villes qui, ordinairement, aussitôt attaquéescèdent, sans rien de l'énergie féroce dans la résistancequi caractérise le moyen-Age, parce que maintenant rienne subsiste de cette autonomie réelle, intangible qui enfaisait des organismes vivants, on travaille, on traflque,on goûte le plaisir. On le voit bien surtout en Italie, oil lesréceptions sont splendides. La « politique » n'intéresseplus ; on n'appartient plus à un seul parti ; les hainesentre Guelphes et Guibelins sont renfermées maintenantdans les seules pages des vieilles chroniques et dans lesvers vibrant de passion d'un Dante. On sort en foule à larencontre de Charles VIII, chevauchant la couronne surson chapeau blanc, et on le juge « très laid sauf lavigueur et la dignité des yeux 4 ». On acelame le lys deFrance, d'or sur l'azur, avec l'exergue : « libertas »; toutcela excite et amuse. On a longtemps applaudi aux pl.&ches de Savonarole, si intéressant, si captivant sous lavaste capuce brune, avec ses grands yeux dans le visageémacié et cette lèvre inférieure saillante comme de de-goat pour la corruption du siècle ; lorsqu'on le convain-cra d'hérésie et les flammes du bficher mordront A. soncorps de martyre, on accourra de méme, sans cedepitié profonde qui accompagne A Rouen le supplice dela Pucelle, parce que le spectacle est beau 5.

1 Ibid., p. 83.2 Ibid., p. 129.3 Geschichte des osmanischen Reiches,4 Se tu gai lievi 11 vigore e la dignitit de gPocchi, brutissimo (Quic-

ciardini, p. 64).5 Voy. Pasquale Villar, Storia di Girolamo Savonarola e de' snot

tempi, Florence, 1888, 2 vol. ; Niccold Macchiavelli e i suoi tempi,40 dd., Milan, 1927, I, pp. 260 et suiv.

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CHAPITRE V 119

Ce n'est pas cependant le domaine ofr auront lieu lesgrands changements. On ne lAtit plus de cathédrales, lavie qu'elles représentaient dans leur splendide élan, dansleur affirmation solennelle, s'étant lentement épuisée.Comme on végète maintenant sous le lieutenant royal etses agents, comme ceux-ci, prévôt et échevins, juge ma-gne et autres, servent plutôt au décor,, la France, la gran-de créatrice d'églises gothiques, jusqu'aux édifices fiarn-boyanfs du xve siècle même, ne donnera plus rien. Maisce ne sera pas non plus dans l'enceinte de ces murs, quiservent désormais si peu sans une garnison du roi,qu'éclora un nouvel art.

On pourrait croire qu'il en est autrement des Républi-ques italiennes. Gènes est déchue, rnais pour le mo-ment, car les Doria, autre chose que les rnarchands dedrap bombardés doges vers 1500, lui donneron t un ma-gnifique regain de prospérité matér;arle et d'art; en rlip-port avec la domination espagnole, 6ternisant leur nomsur la façade en marbre des églises restaurees, et uneville de palais tout nouveaux en sortira alerb. A Flo-rence, ce ne seront pas les simples baurgeois qui lAti-ront, et les édifices d'un nouveau style ne représenterontpas le caractère général de la cite, qui, cependant, dansun autre domaine, s'honore cravoir ouvert la voie >ar lacoupole du dòme, ceuvre d'un simple joaillier et scdp-teur, Philippe Brunelleschi (1- 1444), par les belles oeuvresde la Sacristie de S. Laurent, par les petites églisei deSainte-Marie-des-Anges et du Saint-Esprit, Par 11-16pitaldes Innocents, ainsi que par les portes d'un Ghiberti, parle geste librement élégant du David de Donatello dansson bargello. Venise fait peindre sur de larges toiles, duplus haut intérêt historique, une vie dont le caractèresera bientôt change : façade de Saint-Marc, avec lesvieilles mosaïques byzantines aux couleurs fanées surle fond d'or pale, ponts de bqis, fourmillement des foulessur la grande place, passage des processions riches debrocart et de velours, de soie et d'or sous les bannières.Cependant sur ses campi, devant les églises h. la modeancienne, un Gattamelata sera modelé par ce grand sculp-

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110 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIHE DE L'HUMANITE

teur de saints florentins, Donatello (-I. 1466), un AndreaVerrocchio (I- 1488) fera surgir Colleoni fierement campésur un cheval qui parait pris aux bas-reliefs romains.Mais, sauf cette basilique byzantine de l'apôtre et la pro-fusion des marbres rares, des ornements polychrômes,l'aspect de la ville magnifique reste « gothique », moyen-Ageux. En Allemagne, dont les cites sont admirées parEnéas Sylvius, qui en (Waffle emphatiquement les beau-tés, on file la vie a l'ancienne, et rien ne se mêle encorean caractère severe, heurté des bâtisses de Castille etd'Aragon, où on sent encore l'état permanent de siègeel de guerre offensive devant l'ennemi.

II faut chercher ailleurs l'innovation dans le cadre etdans les coutumes, dans les pierres et les ornementsaussi bien que dans les rapports sociaux et dans lesAmes.

D'abord, il est bien certain que ni les flagellants, nisaint Antonin, ni Catherine de Sienne, ni Brigitte deSuede, ni Vincent Ferrer et les Célestins de Paris, niCapistrano et Savonarole n'ont été des isolés de la paroleet de l'action, alors que, dans la façon matérielle derendre l'esprit du temps, rien n'avait Re change. Il y a,et non pas seulement dans cet Occident italien d'Orca-gna, de Duccio, de Giotto, mais A travers le monde entier,nu grand courant de foi nouvelle avec une pointe de mys-ticisme, un regain de jeunesse et de fraicheur francis-caine, de confiance dans la verité et la beauté deschoses.

Le quatorzieme siècle a Re doucement fleuri de cettekelosion spontanée. Le quinzième ne s'est separe quedans les classes supérieures, d'une erudition recherchée,de ce grand courant vivificateur. Il faut penser aux pro-cessions vénitiennes lorsque la guerre turque, redoutée,se déclencha de nouveau, a l'ardeur des prédicaleurs decroisade, des fauteurs de projets, des illumines qui fixentla date precise oil l'Empire des Sultans cessera d'existeret pour la chrétiente entière s'ouvrira une ere de paix etde prospérité. Ces dessins naïfs de la pensée politique

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CIIAPITRE V 121

correspondent aux Madones, d'une délicieuse piété, destrois Bellini, surtout de Jean, si severement douces etd'une si sereine majesté, Vierges de Byzance, qui cepen-dant regardent, sentent et comprennent, à celle de Cri-velli dont ls roses accumulées, la richesse des fruitstriomphants chantent la gloire, aux envolées d'angesautour de la mélancolique Madone de ce « savant » dansson art qui fut le beau-frere des Bellini, Andrea Mante-gna (-1- 1506). Dans l'adoraiion des Mages d'un Gentile deFabriano, qui présente un ensemble de toute la vie con-temporaine, avec ces rois d'Orient, vetus en empereursbyzantins, se rendant au concile de Florence, la Viergereste de la plus pure inspiration sincere, l'enfant a ungeste d'adorable curiosité, se penchant vers les dons accu-mules des pays fabuleusement riches, et il y a une notede sainteté dans le sourire de la femme qui accompagnela Madone. Le tragique de la Bible, remotion des Evan-giles animent ces autres fresques, de Masaccio, précur-seur mort si jeune, en 1428 dep. L'or se male au bleuOle, au rose le plus idéal dans les toiles de celui qui nousa transmis seulement son nom séraphique et Vindicationde sa profession franciscaine, Frà Angelico de Fiesole(4- 1455). Dans les petites villes aux sanctuaires recher-chés, b. Prato, b. Spolete, où travaille Filippo Lippi,Arezzo, à Orvieto, patrie de Luca SignoreIli, cet élantres pur, sans rien de « métier », continue. Il passemême dans les centres importants, par les travaux deSignorelli lui-méme (1523) et de Ghirlandajo (-I- 1494)b. la Trinità. et à Sainte-Marie-Nouvelle de Florence, A. labibliothèque du d6me de Sienne, aux SS. Ap6tres mêmede Rome. Quelques effluves qui en viennent font lecharme dans les ouvrages de decoration en majoliqued'un Desiderio da Settignano, d'un Benedetto da Majano,d'un Mino de Fiesole, et surtout des trois membres dela famille des della Robbia.

Mais ceux qui feront surgir un nouvel art, qui le récla-meront pour leurs palais, pour leurs rares et maigresfondations religieuses, pour recouvrir les murs de leurs

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192 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

résidences de fresques, pour les enrichir de toiles, pourles remplir de travaux d'orfèvrerie, ce seront les princes.L'époque, sous ce rapport aussi, leur appartient.

Ce n'est pas par une nécessité qu'aurait provoquée ladéchéance de l'art français du moyen-Age l'Italie,est vrai, l'avait adopté avec une certaine gaucherie et in-certitude, qu'une nouvelle architecture, décalquée surcelle des anciens, surgit. Un théoricien se chargea, pourun de ces petits princes de l'Italie moyenne qui nepouvait pas se rnanifester sur d'autres terrains, d'éle-ver un édifice de proportions médiocres, mais selon lesens d'harmonie des Grecs. Léon Battista Alberti, l'écri-vain latin, donna A Rimini, oil subsistait l'arc de triom-phe d'Auguste, pour la « divine Isotta », ramante du Ma-latesta qui y régnait, la chiesetta de Saint-François.travailla aussi à deux églises de Mantoue, pour les Gon-7acrue sans oublier de donner à Florence une chapelleet un palais. Se fondant sur des calculs de lettré, Palladiocréa l'admirable maisonnette de plaisance à Vicence et laBasilique, qui, plus que toute autre oeuvre, ont éterniséson nom.

Chez les Gonzague et chez des princes guére plus im-portants et plus riches que ceux-1A dont un parent devintcondottière au service de Venise, d'autres possibilités detravail se présentent. Le Pape Pie II voulut que sa viefût retracée de la main benie de Pinturicchio, et à Man-toue méme Mantegna déploya toute la richesse de sontalent dans les fresques de la Sala degli Sposi. A Urbino,un Dalmatin, Lucien de Lovrana, créera une gracieuseéglise de type mixte. Les d'Este à Ferrare, Borso et Nico-las, voulurent avoir leurs statues, et ils penserent A. uneécole de peinture. Ce n'est que plus tard, pendant ce xvesiècle, que Parme emploiera le talent harmonieux duCorrège et que le palais Fantuzzi, d'une plus riche orne-mentation, s'élèvera à Bologne.

Puis, voici les riches de Florence qui veulent avoir leurshabitations somptueuses sans rien du vieux décor gothi-que ; les lignes « pures » de rantiquité réapparaissent

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cnAprrnE V 123

dans les façades à registres carrés, coupées d'une séried'ouvertures parfaitement égales et strictement paral-lèles. Avec la maison Rucellai on aura le palais Pitti,dont le premier plan avait été formé par Brunelleschi etque finit Manetti. Benedetto da Majano, aussi architecte,car on est avant tout technicien, capable de tout, élèveaux Strozzi une splendide demeure du méme caractère,malgré quelques fenétres gothiques oubliées ; il ira batir

Rome la masse importante du Palazzo Venezia, aprèsque le Palais de la Chancellerie avait déjà rangé ses 'orne-ments gréco-romains. La maison des Médicis est due aMichelozzo, un sculpteur de tombeaux à la manière gothi-que. Baccio Agnolo (t 1543) ne viendra que plus tardpour élever la belle masse proportionnée du Palais Ser-ristori.

Comme Florence, méme sous le règne pontifical duMédicis Léon X, qui restaura les siens dans sa cité natale,ne reviendra pas de sitôt à sa première floraison, cesartistes, qui sont des « artisans », de grands et humblesartisans en quéte de commandes, sans attache à tel outel endroit de l'Italie, à l'Italie méme, qu'ils sont prétséchanger pour une patrie plus rémunératrice, s'en irontailleurs, la téte pleine de projets, la main riche de mer-veilles.

Déjà, lorsque le Pape Nicolas V voulut refaire Romeabandonnée et négligée, un Italien au nom grécisé, Fila-reto, auteur d'un « de re aedificatoria », avait orné laporte de Saint-Pierre. C'était presque l'époque où, pourle grand « tyran méridional », Alphonse V, Pietro diMartino élevait un arc de triomphe de tout point admi-rable I. Alexandre VI recourut au même Pinturicchiopour les fresques de ses appartements des Borgia. Avecla Chapelle Sixtine, de Sixte IV, Ghirlandajo lui-méme,Pinturicchio, le doux, le maniéré Botticelli furent appelés

leur tour pour fournir leur part à ce chef-d'oeuvre de

D'après le Skizzenbuch de Nohl, dans mon opuscule Istoria arteimedievale i moderne, Bucarest, 1923, p. 159, Pisanello avait tra-vaillé pour Jean VIII, Esale de Pise pour le tombeau d'Eugène IV.

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124 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

l'art nouveau. Pinturicchio fut payé par les della Rovere,dont vint Jules II, pour des peintures A S. Maria del Po-polo. Pollanello fut chargé du tombeau de Sixte. Bienteot,pour la réfection du Vatican, fut appelé Bramante(I- 1514), d'Urbino, qui montra ses talents dans la vastebAtisse de S. Laurent in Damaso, de la méme cité ponti-ficale. On travaille, pendant toute cette époque de réfee-tion, a S. Lorenzo, à S. Maria degli Angeli, A S. Maria delPopolo (dès 1487), A S. Giacomo dei Fiorentini, où futemployé le tout jeune Sansovino, et, A côté, des villass'élèveront, pour les Farnèse, pour « Madame », Renéede France, pour les Médicis.

Toute une génération de grands artistes s'était forméeau milieu des luttes qui déchiraient leur patrie. Celuiqui les dépasse tous par le superbe élan de son géniecréateur, capable de toutes les hardiesses et toujours Ala recherche d'un nouveau secret de la nature et de l'artest sans doute le robuste artiste et savant, mathémati-cien, ingénieur, architecte, sculpteur, peintre, bien supé-rieur, comme ensemble, h tout ce qu'il a fourni d'élé-ments dans toutes les directions, Lionardo da Vinci. Ilavait commencé A Milan, où il poursuivit, par-dessus tousles changements et toutes les tragédies, A. côté du More etaprès lui, jusqu'en 1499, laissant le grand souvenir de laMadpne dans la caserne et le monument de sa foi mira-culeuse dans la « Cène », essayant de rivaliser avec sonmaltre Verocchio, et, ce qui était beaucoup plus facile,pour la statue de François Sforza ; c'est là aussi qu'ildécouvrit le mystère d'Ame compris dans son portraitde Monna Lisa, la « Joconde ».

Mais il ne fut pas attiré par le Saint-Siège, ni mémepar Florence dont il avait voulu glorifier les gestes dansla grande Salle du Conseil. Le sculpteur de Jules II &allun Florentin, tout aussi grand créateur que ce Lombarddont il n'avait pas le sens pour les ehoses intimes ni l'émo-lion profonde, sans compter la large compréhension ou-verte A tous les problèmes et avide de toutes les possibili-

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CHAPITRE V 125

tés, mais d'une rude énergie de cyclope géant, torture parla faim de creer grand et fort. Ce maitre, attire, caressé,rebuté, chassé, persecute, rappelé fut Michel-Agnolo desBuonarotti, qui paraissait avoir hérité des visions dureset cruelles du Franciscain brfile sur le bficher. Elève dudoux Donatello, il lui opposa un autre David, qui dépasseaussi celui, plus vivant, de Verocchio. Dans tout ce qu'ilfait, il y a un immense frémissement tragique : sa Ma-done sera représentée au moment oil le cadavre livide duFils est sur ses bras endoloris (la Pietà) ; les Prophétes,les Sibylles, les Apôtres, le Dieu d'Israel prendront desproportions de colosses aux prises avec l'impossible d'unecreation chaotique ou d'une étreinte meurtrissante.Devant préparer le tombeau du Pape condottière, 11dressa des esclaves forts comme des caryatides et unMoise capable d'écraser le monde du poids de ses mus-cles crispes, comme ceux de Laocoon aux prises avec lesserpents. II « sculptera en couleurs » les sublimités et leshorreurs de la Chapqlle de Sixte IV, représentant la Crea-tion et les premiers chapitres d'une terrible HistoireSainte magnifiée par une imagination. exaltée ; il enrevint comme d'un, voyage it l'autre monde, sans un Vir-gile pour le conduire à travers les tragedies terrifiantesdu surnaturel.

Il avait fini, maudissant les hommes dans ses lettres etburinant des vers dans l'airain de ses sonnets, en 1512il ne reviendra que plus tard, apres avoir taille A Flo-rence les grandes figures du tombeau des Médicis, avecles allegories, énormes et tristes, du Matin et du Soir, duJour et de la Nuit, avec le portrait impressionnant deJulien l'assassiné, et cette fois le délire de sa reverie dra-matique fera descendre l'image meme de l'humanitéfoudroyée dans la grappe de corps que précipitent dansl'enfer les foudres du Jugement Dernier. Sa façade deSaint-Pierre, jugée trop simple, n'a pas été executée.

Trois ans avant son premier depart, Rafael Sanzio,d'Urbino, éleve de ce maitre de Pérouse aux doucesfigures de Madone dans une coloration claire de joyeuse

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126 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

fresque qu'on appelle le Pérugin, avait reçu le mandatde peindre les stanze du Vatican. Résumant tout ce queses antécesseurs avaient arraché A la technique, il pré-sentera l'histoire méme de l'Eglise, dans ses différentesphases, par des scenes colossales où, à travers la théorieinfiniment variée des personnages, ou de leur artisliqueenlacement, on cherche seulement en vain ce point cul-minant dans lequel devrait se résumer l'acte du drame.

On peut dire que c'était la dernière grande ceuvre decet art d'un si rapide et si brillant développement. Déjà,avec Rafaël lui-rame, avec Andrea del Sarto, avec Ber-nardino Luini, la peinture à l'huile, sur des toiles desti-nées aux autels, gagne tout le terrain, attendant le mo-ment où Venise, qui avait passé à la Renaissance parl'Ecole de Saint-Marc (1485), par les travaux de Sansovi-no au Palais gothique des Doges, à la Zecca, it la Libre-ria, par l'église de S. Zacharie et celle du Redentore, plustard par S. Giorgio Maggiore, voudra elle "aussi se mettreau courant de l'époque, avec la glorieuse trinité du pro-fond Titien, du splendide Véronèse et de l'abondant Tin-toretto.

Dans ces centres ornés des merveilles de l'art nouveau,la vie sociale n'a pas partout le méme caractère. Rome avu les gambades des courtisanes nues sous la famille,tout de male infAme, des Borgia, mais bientôt les mceurschangeront, et le luxe de Léon X a un caractère d'éMganceet de discrétion qui porte bien la marque de Florence.Sous le More et sous Maximilien Sforza il n'y a pas de viede Cour A Milan, alors que la Savoie paisible se livre auxplaisirs de l'esprit. Venise est encore trop prise par lesguerres, Naples trop éprouvée par les malbeurs pourparticiper à cet élan vers d'autres façons de vivre. Lesseuls princes de cette région plus heureuse qu'est l'Italiecentrale se consacreront à cette mission d'entretenir etde répandre une civilisation de souriant prestige.

En France, les Italiens, meme les Orientaux de la Re-naissance, étaient depuis longtemps des h6tes choyés,

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CHAPITRE V 127

Sans faire plus que rappeler encore une fois Thomas etChristine de Pisan, il faut tenir compte du voyage enFrance de Galeotto Marzio (Martius), engagé pendantquelque temps par le Corvin de Hongrie, de l'enseigne-ment du grec par Georges Hermonyme de Sparte, parLilio Gregorio Tiphernas, du latin par Tranquillus Andro-nicus de Dalmatie, qu'on retrouve dans cette méme Hon-grie 1 Charles VIII fut émerveillé du spectacle de la vieitalienne triomphante au milieu des menaces et dessecousses périodiques,et il le dit d'une facon enthousiaste:« les planchers de Beauce, de Lyon et d'autres lieux deFrance ne sont en rien approchans de beauté et derichesse ceulx d'icy ; c'est pourquoy je m'en fournirayet les meneray aveques moy pour en faire à Amboise ».Il était occupé à refaire ce vieux nid gothique, lorsque lamort le prit dans les couloirs solitaires de ce châteauméme.

Louis XII, de descendance italienne par sa mère, duede Milan de naissance, bien qu'il ne passât que quelquesmois en Italie, voulut en transpOrter les progrès litté-raires et artistiques dans son royaume à lui. En 1508,Jérôme Aleandro Rail à Paris, pour professer le latin,le grec, l'hébreu, les mathématiques, la physique et lamédecine ; il publia un fameux Lexique, fut recteur del'école fondée par le roi pour revenir ensuite chez lessiens, auprès de Léon. X 2. C'est sous la protection de ceprince que Balthazar Castiglione écrivit ce « livre d'or »qui est il Cortigiano 3. Dès 1507, Lionardo da Vinci étaitdécidé à &hanger l'Italie avec cette autre patrie.

Il s'agit ici uniquement de rebâtir, de transformer. Lanouvelle architecture se moquera du « gothique démodédont elle cachera les Apres contours imposants sous sesharmonies, mais aussi sous ses faciles habiletés et sousses trues vulgaires. L'école de peinture, celle de sculp-ture étaient trop anciennes et trop florissantes pour pou-

Gaillard, Histoire de François ler, éclition, V, pp. 52, 61-62.2 Ibid., pp. 62-63.

Mid, pp. 68-69.

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128 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

voir être remplacées dans le rôle qu'elles s'étaient gagné.Dans les proportions mémes de la miniature Jean Fou-quet est sans doute un grand peintre, et, après les glo-rieux Bourguignons, comme Claus Sluter, Ligier Riquierreprésente avec honneur la tradition locale. Du côté fla-mand de la « Bourgogne » des ducs, on a, après Rogier dela Pasture ou van der Weyden, Hans Memling (± 1494)et Dick Bouts.

L'Allemagne, elle, reste résolument dans les anciennestraditions. Les travaux exécutés A Torgau pour la Mai-son de Saxe, A Berlin pour les Hohenzollern sont de pro-portions médiocres et de faible valeur ; la bourgeoisie nes'élève pas A de plus hautes aspirations et à des gads plusdifficiles. A Ulm, les peintres travaillent, de méme qu'àNuremberg, seulement pour les retables de bois desautels. Dans cette dernière ville s'est formée une école desculpteurs en métal, qui s'enorgueillit des noms d'unAdam Krafft, d'un Peter Vischer, d'un Veit Stoss (tonstrois morts au commencement du xvi° siècle). Mais, mal-gré leurs voyages A. l'étranger, méme en Italie, A Venise,h. Padoue, ces artisans germaniques ne font que repro-duire, comme dans cette châsse de S. Sébald A. Nurem-berg, des ornements gothiques pareils A ceux qu'on voitdans les tombeaux des Papes du XIV' siècle. Des portrai-tistes comme Burgkmair, qui lui aussi connalt l'Italie,comme Lukas Kranach, comme Hans Holbein (-I- 1515),iront chercher du travail ailleurs. Diirer seul (-I- 11528),

qui s'est formé en partie chez les Italiens, mais dontl'imagination dépasse de beaucoup celle des peintresd'outre-monts et qui a toujours un sens supérieur dutragique, une puissante poésie intérieure, restera fidèleau pauvre roi des Romains Maximilien, qui se fit forgerun lourd tombeau, plein de figures généalogiques, dansla cathédrale d'Innsbruck. Avec les Flamands Luc deLeyde et Quentin Matsys il conserve A l'art du moyen-Age le respect et la piété qui lui étaient Os et ose s'inspi-rer des réalités qui sont sous la main.

Mais, dans ce pays oil la richesse appartient h. quelques

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families privilégiées comme les Fugger d'Augsbourg,y a un mouvement de l'art, confondu souvent avec lasimple technique, vers les masses populaires, qu'on cher-cherait vainement ailleurs. L'imprimerie, résultée peut-étre des pratiques de la reliure, qui fut essay& A Avi-gnon par l'Allemand Waldfoghel 1, puis définitivementdécouverte et industrialisée sur le territoire illustré parles FrA Angelico » de la peinture allemande de la findu moyen-Age par un Fust et un Schoiffer, et enfin popu-larisée par un Jean Gutenberg, l'impression par carac-tères mobiles, d'abord travail d'orfèvre, de fabricant depoinçons, fut, au commencement, non seulement unsecret gardé avec soin, mais aussi un avantage pour leshumbles lecteurs du « manuscrit » A bon marché, enlu-miné ensuite à la main 2 Des Allemands l'apportèrentParis 3, d'autres, avec les relations fréquentes de ce cèté,

Venise. En male temps, aux foires, plus importantesici que dans d'autres pays, on vit paraitre les premiersproduits d'une gravure aux sujets religieux et morali-sants, satyriques aussi, qui fut un bienfait pour lesAmes poRulaires, élevées ainsi dans la beauté unie à lareligion : on peut dire que ces bois préparèrent le che-min à la grande :vulgarisation de la foi chrétienne parla Réforme qui ne devait pas tarder. Les initiations popu-loires qui avaient fait jadis la gloire des pays romans,sevrés désormais, par la monarchie, de toute originalitéd'eu bas, paraissaient s'étre réfugiés sur cette pauvreterre de Germanie, où les guerres étaient rares et dont ladouce anarchie ne pesait pas autant aux humbles.

Ces phénomènes populaires apparaissent, du reste, unpeu partout, avec urie curieuse contemporanéité.

Il y eut d'abord, dès 1514, un mouvement en Hongrie.

Les premiers essais, infructueux, de Gutenberg sont cependantde 1439.

/ Gaillard, ouvr. cité, V, p. 59.3 Cf. aussi le compte rendu du Congrès du livre, k Parls, pp. 372

et suiv. (communication de M. P. Gusman).

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130 ESShl DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

Au milieu des Serbes transplantés surgit un empereurpopulaire, le Tzar Ivan. Comme à l'époque du mouve-ment paysan, sous l'empereur et roi Sigismond, il ren-contra aussitôt de nombreux partisans fanatiques. Descomtés entiers tremblérent devant cgs bandes de j acque-rie internationale, Slaves et Roumains collaborant a lasanglante ceuvre de revanche. Il y eut ensuite la rébelliondu Szetiler, done un paysan libre, Georges Dozsa, qui,entouré de combattants de la méme classe, réva peut-are de la courenne qui fut posée rougie au feu surle front de ce martyr des premières secousses socialesdans l'Est chrétien de l'Europe.

En Orient musulman, le soulèvement populaire, contretout pouvoir monarchique, et méme contre toute auto-1.116, eut un caractère aussi véhément, mais les résultatsatteints furent sensiblement plus importants. Ils pro-duisirent une création politique durable.

Chah-Couli, le ineneur de ces « pauvres » de l'Islam,parut dès la fin du xv° siècle en Asie Mineure, exereantune influence mystérieuse sur les campagnes, qui luidonnèrent bientôt une armée. Il descend jusqu'au rivagede la Mer à Satalie ; la Caramanie est envahie par cesfanatiques qui avancent, d'un autre côté, jusqu'à Ku-tayeh. Et de la semence de cette révolution manquée senourrit bientôt la nouvelle royauté persane de Chah-Ismail, qui lève l'ancien drapeau de guerre contre lesOccidentaux, au nom d'Ali, l'héritier persécuté et assmas-siné du Prophète. Une vraie concentration chiite, invin-cible, se forme autour de cet apètre armé du schisme, etle sounnitisme ottoman, l'islamisme intégral des Sultanssera arrété pendant plus d'un siècle sur cette frontière,débattue entre taut de formations politiques et de races,de l'Euphrate.

Mais, dés 1517, le monde germanique se lèvera luiaussi contre la lointaine Monarchie romaine des Papes,qui lui vend des indulgences pour contribuer it la raft-tion de la capitale du catholicisme. II y a comme une

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CHAPITRE V 131

irritation générale contre les dominicains, cependantAllemands eux-mémes, qui font avec cynisme ce trafic.On n'entend plus aider A. des guerres comme celle deJules II, soutenir de « saintes » entreprises qui necherchent qu'à rendre à l'Eglise ses villes perdues,comme, tout récemment, Modene, arrachée aux d'Este etdétenue momentanément par l'empereur. Le réve de lacroisade s'étant définitivement évanoui, les auteurs deprojets ayant arrété leur plume, on ne comprend plusle sens de cet impôt inflige à toute la chrétienté pour desbuts qui ne la regardent pas. Il suffira d'une discussionuniversitaire sur la légitimité de ces aumônes imposées,du temperament fougueux d'un docteur, fils de paysan,habitué à mener rudement l'assaut des « theses » et des« antitheses », comme Martin Luther, pour que le feuprenne à tout ce materiel inflammable, un feu inex-tinguible.

Et, trouvant les grandes puissances mondiales occupéesA une nouvelle et grande Iutte qui réclame toute leurénergie et épuise tous leurs moyens, quelque chose detrès grand en sortira, et non seulement pour l'Allemagne.

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CHAPITRE VI

Lutte pour l'Europe modern° entre François leryCharlesQuint et le Sultan Soliman.

Il n'était plus question, depuis longtemps, -de la croi-sade contre les Turcs. Leurs provocations avaient cessésous le regne du doux Bajazet vieillissant. Au lieu decontinuer une offensive qui n'aurait plus eu de but natu-rel, car, d'après les modèles de Constantin et de Justi-nier, de Maurice et de Tzimiskés, enfin des Comnène,l'Empire byzantin était rétabli, le Sultan avait diidéfendre son trône méme contre un nouveau prétendantde son propre sang, contre un successeur qui voulaitdevancer son heure.

On a déjà remarqué l'hupatience maladive qui poussaità cette époque de sauvage passion du pouvoir les filscontre leurs pères : Louis XI contre Charles VII, Charlesle Téméraire contre Philippe le Bon, le jeune due deGueldre contre le vieux, méme Philippe le Beau contreFerdinand le Catholique. Un phénoméne pareil se passedans l'Empire des Sultans.

Des nombreux fils de Bajazet, le plus hardi, Mira, nevoulut pas rester trop longtemps sandchac k Trébi-zonde, A côté de ses frères, remplissant, comme lesanciens satrapes perses, des fonctions semblables. IIpassa chez le Khan des Tatars dont il avait épousé lafine et se saisit des ports moldaves. Il s'étalt taillé ainsiun royaume européen à lui. Avec ses deux beaux-frères,il se dirigea, en 1511, contre la capitale ottomane. II futvaincu A Tchorlou par son Ore, qui avait déployé

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CHAPITRE VI 133

l'étendard du Prophète pour mieux tenir A ses côtés destroupes UP habituées aux révoltes.

Le vaincu sut cependant se gagner, du pere réconci-lie, toute une vaste province s'étendant h l'Ouest jus-qu'à la Semendrie serbe. Bien décidé it ne pas laissertoucher à son droit, il apaisa un de ses freres par despromesses, et, lorsque l'autre se présenta pour lui dis-puter l'héritage, il entra de force à Constantinople et fitdemander par la meute furieuse des janissaires l'abdi-cation de son père. Le vieillard se soumit à cette hontesupreme, mais il en mourut (1512). Quelques mois plustard, au bout de deux campagnes en Asie Mineure, Ach-med, un nouveau Dchem, plus beau et plus brave quecelui-lk fut battu, pris et tué. Le &ere ami n'eut pas unmeilleur sort que le concurrent. On égorgea presque toutel'engeance. De nouveau, il n'y avait comme descendantsd'Osman que, si on ne compte pas les trois fils d'Achmed,condamnés à mourir en exil chez le Soudan, celui quirégnait et son jeune fils, Soliman, élevé en empereur.

Un terrible maltre commandait à Stamboul, inexorableà regard de ses parents et de ses meilleurs serviteurs.Mais les voisins européens n'avaient pas à craindre cesombre chevalier dont le couisier s'appelait « Noir Des-sein ». La Hongrie eut enfin sa trève ; contre les Polo-riais il y avait la bonne garde, l'offensive méme des begsde frontière et des Tatars ; le successeur du MoldaveEtienne, un ennemi des Polonais et une victime de cesTatars, n'était pas à craindre : son tribut arrivait aussirégulièrement à la Porte que celui des Valaques, prispar des conflits intérieurs ou occupés d'oeuvres de reli-gion et d'art pour toute la chrétienté grecque de l'Orient.Venise, qui n'avait pas hésité h. demander le concoursdes Turcs pour garantir ses possessions de Pouille, payaannuellement son repos de ce côté, qui lui permettait deprendre une part si active aux intrigues de la pénin-sule.

Le Chah, l'appui de la majorité chiite en Anatolie, puis

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131 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

le Soudan, rancien ennemi, devaient être detruits avantde risquer une tentative d'impérialisme en Europe.C'etait la ferme decision de Sélim, et il ne tarda pas à lamettre en pratique. Deux campagnes suffiront pourmettre à terre l'édifice branlant du vieux royaume desMainetonics, reste sans aucun allié ; mais on pouvaitattendre une plus énergique resistance de la part deI' a empereur » des Persans. Les janissaires, un frontd'acier, et la puissante artillerie turque réussirent à bri-ser l'élan de cette cavalerie à Tchaldiran, en aoilt 1513.&Ern entra à Tebriz, la eapitale d'Ouzoun le Long, entriomphateur, et les bravades d'Ismail, qui envoyait desambassadeurs solennels pour inviter son adversaire b. uncombat singulier, ne purent rien changer h. la situa-tion.

L'attaque contre le « gardien des cites satrées », Kan-sou-al-Gaouri, eut "lieu en 1513 même. Il s'agissaitd' ôter repine mauvaise du corps de l'Islam ». Présd'Alep, en août 1514, le Soudan, qui était accouru enAsie pour réunir ses officiers, fut brisé et tile. Alep, Da-mas virent un maltre musulman d'une rude majesté, àla place des lieutenants d'une puissance dégenérée. Lecourban-bairam, la vieille fête des brebis dans la steppe,fut célébrée à Jerusalem, où le successeur des vieuxemirs turcomans parut en chef unique de l'Islam.

On essaya vainement, au nom du nouveau SoudanTouman, une resistance en terre de croisade, à Ramleh,

Gaza. L'émir d'Alexandrie était tombé ; l'Egypte res-tali sans defense comme à l'époque d'un Cambyse etd'un Alexandre. Au Caire, les canons égyptiens furentpris sans avoir tire, et la tempête des cavaliers mame-louks, déshabitués à se battre, se dispersa devant uneopiniatre avance des guerriers endurcis de Sélim (1517).

fallut cependant combattre dans les rues mêmes dela capitale pour s'en rendre maitres ; Touman, pris, futpromené sur un fine devant ses sujets humiliés, puiségorgé.

Alexandrie sera conquise facilement par la flotte otto-

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CHAPITRE VI 135

mane. Seim, qui passa jusqu'à sept mois dans sa con-qu'éte, qu'il organisá pour l'exploiter, confia au chérif deLa Mecque le voile sacré qui jusqu'ici était donné par leSoudan. Il revint en 1518 pour se reposer trois ans avantde mourir encore jeune comme « maitre de tous lesmusulmans i ».

Venise recevait fréquemment des nouvelles de ce chan-gement tragique, qui atteignait si intimement ses inté-réts. La Cour pontificale dut savoir par les Franciscainsce qui se passait aux Lieux Saints. Les Hospitaliers sui-vaient avec anxiété chaque pas du terrible voisin. Mais,alors que cet Empire islamique s'établissait du Danubeau Nil et sles Carpathes à l'Ethiopie, dans les proportionsdu Byzance à sa plus glorieuse époque, une autre luttepour l'Empire s'ouvrait en Occident, pour que, plus tard,sur le Danube moyen, les deux formations imiériales serencontrassent pour le plus grand des duels de l'histoiremoderne.

Le successeur de Louis XII avait été, d'après le désirformel des Etats de 1506, qui, pour la première foismanifestaient un sentiment national plus prononcé quecelui de la royauté, le mari, depuis quelques mois, deClaude, fille du roi défunt et d'Anne de Bretagne, quil'avait précédé au tombeau : François, duc d'Angoulème,de la Maison de Valois. Son père, pour la veuve duquel futcréé le duché par le roi qui voulait rétablir l'institutiondes pairs, Rail mort (Ms 1496, mais sa mère, Louise deSavoie, rivale opinikre de la reine Anne, était là pourdéfendre et de quelle façon énergique ! les droitsde son jeune fils.

Son éducation avait été très soignée. La bibliothèque dela princesse italienne qu'était Louise comprenait Ovide,traduit en français, Dante, Pétrarque et Boccace, maisaussi ces « livres de la Table Ronde » dans lesquelsFrançois devait trouver le modèle du roi Artus. On ne

4 Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 300-341.

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136 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

s'ennuyait pas à la Cour de Louise, oh il y avait des balsavec des « habitz dissimulez et incongrus DA des U my-gnons et privés », des fêtes et de grandes chasses 1

Elevé dans ces traditions, A l'époque oh, en Occident,comme en Orient, le fantôme d'Alexandre-le-Grand han-tait les esprits, on pouvait s'attendre à ce que ce jeune roitentAt dès le début une grande entreprise. II ne décidapas cependant sans avoir pris, en élève d'une sage Ita-lienne, sa mère, ses mesures, et sans des provocationsqui ne pouvaient pas rester sans réponse. -

Les provocations ne vinrent pas de la part de l'Espagne.Là se mourait Ferdinand, auquel la victoire avait donnél'Italie méridionale, et le hasard ces terres nouvelles desAntilles que venait de découvrir, dès 1492, la persistancede Colomb, disgrAcié au bout de ses voyages répétés parlesquels il avait consolidé la possession des rois catho-liques sur ces Iles habitées par une race inconnue. Levieux monarque était en conflit presqu'ouvert avec le

duc de Luxembourg », avec son petit-fils Charles, quis'était empressé de faire hommage à François pour laFlandre, l'Artois et le Charolais, et avait conclu mêmeun traité qui, lui garantissant l'héritage des deuxroyaumes, en aurait fait un duc de Berri, marié à Renie,sceur de Claude 2. Maximilien, sur la fin de sos jours, luiaussi, poursuivait sous les murs de Vérone sa vieille que-relle avec Venise, qui avait demandé la confirmation deson alliance avec le roi de France. Si on négocia uneligue italienne, de caractère purement défensif, avec ousans le Pape, qui ne voulait qu'un Etat comme celui tentépar les Borgia au centre de la pé- ninsule, avec Parme,Plaisance, Modène et Reggio, Etat dominé par son frèreJean, qui épousa la sceur de la reine Louise, cette asso-ciation. politique, A. peine essayée, n'avait rien de mena-çant.

I Voy. Paulin Paris, Etudes sur François ler,roi de France, sur savie privée et son régne, I, Paris, 1885, pp. 38-40, 51 et SUiV.

2 Voy. Le Glay, Négociations diplornatiques entre la France etl'Autriche, dans la a Collection de documents inédits e, II.

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1 II y avait A r6té de ces 15.000 cavaliers, 40.000 gens de pied, decomposition naélangae (Gaillard, ouvr. cité, I, p. 133, note 1).

CHAPITRE VI 137

Il en était autrement des Suisses. Sous l'impulsion ducardinal de Sion, qui rêvait d'être duc de Savoie, distri-buant les marquisats subalpins, les confédérés, quiavaient vu que d'eux dépend le sort des guerres, étaienttravaillés d'une continuelle inquiétude guerrière. Ils pen-saient certainement faire de l'Italie non seulement leurchamp de bataille et le thatre de leurs exploits, maisencore leur territoire d'exploitation. Comme le traité quiles avait arrêtés peu de temps auparavant n'était pas con-firmé par la France, ils menaçaient d'envahir de nouveaula Bourgogne, et, lorsque François réussit à faire dudoge de Gênes son propre gouverneur à vie, pensionné,ils en prirent prétexte pour tomber, comme soldats duSaint-Siège, sur la Savoie.

François avait déjà pris ses mesures. On pouvait, avecles lansquenets, les Landsknechten allemands, avec lesGascons, déjà si souvent éprouvés, et surtout avec unejeune noblesse avide de se distinguer, faire la guerre sansles Suisses et contre les Suisses 1, auxquels le Pape s'étaitdécidé à accorder son concours actif. Les Alpes furentfranchies par des chemins peu connus, le passage du PÒgagné par surprise, le contingent des Génois mis en mou-vement, le chef des pontificaux pris à l'improviste etmené en captivité. Le roi descendit de Lyon pour forcerune paix avec ses principaux ennemis, les Suisses ;croyait y être arrivé par les amis qu'il avait parmi eux,lorsque le cardinal de Sion mena les choses vers une déci-sion par les 'armes. Avec les lansquenets et les « bandesnoires » italiennes, avec son artillerie, qui ne fut pas sur-prise, le roi, qui combattit personnellement, remportaMarignan (MeJegnano), près de Lodi, line victoire extrê-mement difficile, mais complète (septembre 1515). Aprèsun court siège, Maximilien Sforza, dont le frère, Fran-çois, avait été transporté par les Suisses outre-monts,dut capituler à Milan, abandonnant ses droits au duché,

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138 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DB L'HUMANITB

en échange pour une pension et peut-être un chapeau decardinal.

Le Pape garda Bologne, mais perdit Parme el Plai-sance. 11 vit devant lui, dans la première de ces villes, levainqueur lui faire racte d'obédience, debout el tete nue,

côté de son chancelier à genoux i ; un jour suivant,pendant la messe, le roi versa l'eau sur les mains du pon-tife ; on le verra, en l'absence du Pape, guérir lesécrouelles comme en France. II parait méme que de faiton discuta la question de cet Empire latin de Constanti-nople dont Charles VIII avait révé et que François nejugea pas, au moins pour le moment, capable de retenirson attention 2. Les Suisses, de leur côté, abandonnèrentla décision, prise à Zurich, de poursuivre la guerre jus-qu'au bout, mais ils eurent les sommes pour lesquellesils s'étaient mis en branle, et, en restituant Lugano, Chia-venna et la Valteline, ils restèrent, aux dépens du nou-veau due de Milan, h. Bellinzona et it Arona, sur le LacMaj eur.

Alors intervint la mort, en janvier 1516, de Ferdinandle Catholique, belligérant, sans que ses troupes eussentcombattu 3. L'Aragon revenait à Charles, alors que, depuisla mort d'Isabelle, en Castille, la reine était Jeanne, deve-nue folle aussitôt après son veuvage. Les seigneurs ara-gonais n'en voulurent pas plus que beaucoup de Castil-tans et, sans rénergie du vieux cardinal Ximenès, l'héri-tier, qui ne voulut pas quitter cette terre française où ilavait été élevé sous un précepteur de France, auraitperdu la partie ; il y avait, pour le remplacer, son frèreFerdinand, celui-là un fils fidèle de l'Espagne, qu'iln'avait jamais quittée.

Le roi des Romains, pas encore sex,agénaire, eut desvisées sur ces trônes disputés. Mais, pour le moment,ayant à sa disposition l'argent espagnol et anglais,

Le Glay, ouvr. cité, II, pp. 85 et suiv.2 Gaillard, ouvr. cité, I, p. 181.3 Sa veuve, la Française Germaine, épousa Casimir de Hohen-

zollern.

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CHAPITRE VI 139

trouva des milliers de Suisses et de lansquenets pourrevenir en Italie contre Venise et le roi de France. Unlégat l'accueillit en fils de l'Eglise. Il put pénétrer jusqu'AMilan avec tous les airs d'un conquérant. Jamais 11n'avait mieux payé d'aspect que pendant ces jours devictoire qui n'était cependant que celle de ses auxiliaires.Les Suisses engagés par la France faiblirent A la vue desdrapeaux de leurs conationaux. Le souvenir de Barbe-rousse fut invoqué par le romantique vainqueur, quirappela la destruction, trois siècles auparavant, de Milanrebelle 1 Tout cela finit par une lamentable comédiesommé par les guisses de payer sur rheure son triomphe,il s'enfuit. D'Allemagne, où il était arrivé assez vite, 11vendit aux Vénitiens Vérone en danger de capituler. Deuxtraités de résignation le rendirent de nouveau bon ami duroi et de la Republique. Et, comme le traité de Fribourgavec les Suisses, devenus pensionnaires perpétuels de laCouronne de France, assurait désormais, sinon leur con-cOurs, leur neutralité bienveillante, la « question d'Ita-lie » paraissait réglée 2.

Cependant Charles venait d'être reconnu en « Castille,Léon et Grenade », comme il récrivait. Pour se gagnerramitié de François, il lui avait reconnu le droit, d'aprèsla lettre des traités, A. une moitié du royaume de Napleset s'était engagé A devenir le gendre de son voisin par lemariage avec une princesse qui avait atteint l'Age d'unan.

Un autre mariage aurait fait du dauphin, un enfant, lemari de la fillette qu'Henri VIII 'avail que de Catherined'Aragon, et Tournay, occupée par les Anglais, fut ren-due pour un prix de rachat, Calais elle-même, parais-sant au roi pouvoir être objet de négociations. Pendantqu'Henri refusait les offres de Maximilien qui faisaitInine de vouloir lui céder l'illusion de l'Empire 3, Fran-

¡ Voy. Le Glay, ouvr. cité,2 Gaillard, ouvr. cité, I, p. 189.-3 Le Glay, ouvr. cité, ch. CXXX.

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140 ESSAI DE SYNTEESE DE L'HISTORIE DE L'HUMANITE

çois avait fini par abandonner ses deux proteges dansl'Italie centrale, les ducs d'Urbino et de Ferrare, et lePape avait regagné la possession des conquètes de JulesII; son neveu avait épousé Madeleine de France.

On pensa donc, tout en fournissant des secours l'an-cien allié danois Christian II contre la Suède en révolted'un Stenon Sture, de nouveau A. la croisade, au momentm'eme où Sélim devenait protecteur des villes saintes del'Islam, étant maitre d'Alep et de Damas, d'Alexandrie etdu Caire. Un légat vint réveiller dans l'Ame de FrançoisI" les ambitions de croisade et lui fit promettre le « pas-sage » personnel, à la tete d'une arinée d'une cinquan-taine de mille de guerriers, recrutés dans ses propresEtats 1. Le roi d'Ecosse, ancien ami de la France, auraitcollaboré à la guerre sainte, sans compter les promesses,vaines, des le debut, de Maximilien, isolé dans la majestéde ses titres 2.

On ne vit qu'A sa mort, en 1519, la grande utilité gené-rale de son impuissance.

La succession, d' « empereur élu », mais pas aussi cou-ronné, bien qu'il efit manifesté le désir de l'étre chez lui,en Allemagne, n'avait pas encore été décidée lorsqu'ilexpira sur ses terres héréditaires, à Wels, en janvier decette année. On savait cependant qu'il s'était decidepour Charles, qui portait déjà le titre de roi de Castille etd'Aragon. Mais, beaucoup plus qu'Henri VIII, qui entraaussitôt, bien qu'avec précaution, dans la lice, FrançoisI" crut que la., couronne de l'Enwire pourrait lui appar-tenir plutôt à lui, et il trouva un appui chez ces princesrhénans, laïques et ecelésiastiques, qui n'en étaient pasaux premiers rapports politiques avec les héritiers occi-dentaux de Charlemagne : le Palatin, l'archeveque deTreves, alors que le Hohenzollern qui tenait la crosseMayence préférait, à défaut de son frere de Berlin, l'ar-

Gaillard, ouvr. cité, I, pp. 217-218.I Voy. la bibliographie de ces projets dans la Gesch. des osma-

nischen Reiches, II. En plus, Notes et extraits, VI, pp. 96-97.

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CHAPITRE VI 141

chiduc autrichien 1 Mais peu à peu le groupe restreint deses partisans se dissipa. On offrit la couronne à l'Elec-teur de Saxe ; il refusa, en recommandant Charles. Lesautres suivirent. Le 28 juin, le fils de Philippe d'Autricheétait roi des Romains et empereur élu. Passant par l'An-gleterre, dont la reine était sa tante, et visitant ses pro-vinces des Flandres gouvernées par une autre tante, Mar-guerite, qui, devant étre reine de France, avait trouvé untrop court bonheur ailleurs, il se fit couronner très solen-nellement A. Aix-la-Chapelle dès le 22 octobre,..

Mais le commencement de ce double règne, l'un de réa-lité, l'autre de simple prestige, fut, malgré les succès de.l'entreprise américaine, au. cours de faquelle FernandCortez se créait un nouveau et grand royaume, avec sesaventuriers sans entrailles, dans le pays d'or du Mexique,

el, A côté, la conquête du Pérou par deux autres « con-quérants » , et malgré l'abondanc,e de monnaie en Es-pagne, particulièrement difficile. Les royaumes ibériquesoffraient un probléme, l'Empire, avec ses pays germani-ques, en pleine révolution populaire eux aussi, un autre.

Charles n'était pas, ne pouvait pas étre un Espagnol,malgré la nationalité de sa mére, renfermée dans un châ-teau d'isolement alors qu'on gouvernait en son nom. Ilavait fait h peine une courte apparition dans cet héritaged'Isabelle et de Ferdinand, dont il ne connaissait ni lesressorts matériels, ni l'esprit. L'élève du seigneur deChièvres et du Flamand Adrien Florent, dont il réussira,reconnaissant, à faire un Pape, parlait k peine la languede ses sujets de la péninsule, et il ne comprenait rienleurs mceurs. De la lignée de ce Téméraire que ses vinesn'avalent guère aimé, et qui ne les aima pas plus, il euttoujours, avec sa morgue bourguignonne, un air de mt.-pris à l'égard de ces gens des cités, bons tout au plus itfournir des emprunts opportuns. Il confia ces royaumes

I Dans Le Glay, ouvr. cité, I, pp. CRLIII et suiv, les offres de Fran-cois aux lecteurs.

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142 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

d'ancienne gloire et d'un sentiment de dignité un peuexagéré, A ce prélat flamand qui n'entendait rien A leurconception toute particulière des privilèges et de laliberté.

Une ligue, une junta, fut formée done entre les villesd'Espagne, moins la Catalogne, et, comme on accusait legouvernement de favoriser les Maures vaincus, ce fut unejunta sainte. On combattra au noin de Jeanne, qu'on pl.&tendait avoir délivrée, cette bonne et vraie princesse espa-gnole, de la prison oft l'avaient jetée les étrangers ; il futquestion méme de marier la pauvre vieille A l'espritdérangé au prince de Naples, Ferdinand, fils de l'exil6don Frédéric 1 La Navarre révoltée, qui se groupaitautour du mari de Catherine de Foix, Jean d'Albret, etde leur fils, Henri, échappait aussi A la domination deCharles, dont le frère Ferdinand assistait impassible A ladébAcle. « Les prairies, les montagnes, les arbres n,disaient les Navarrais, o sont prêts A se lever pour soute-nir le légitime héritier 2. » Et François P' avait permis ausire de Lesparre, d'une vieille famille de seigneurs entre-prenants dont l'un avait pris part A la croisade de Chypreau xiv° siècle, d'intervenir comme proche parent des deFoix et, ayant vengé la Navarre contre ceux qui en avaientfait, dans une terrible ceuvre de répression, un désert, ilavançait du côté de la Castille, où fut assiégée une placeforte.

On eut cependant raison de tous les rebelles. A Villalarfurent détruites les milices communales conduites parJuan de Padilla et son énergique femme. Prés de, Pam-pelune, les envahisseurs français perdaient la batailledécisive, Lesparre restant prisonnier.

En Allemagne, la guerre des Universités contre lesmarchands d'indulgences avait rapidement avancé grAceau manque d'initiative de Maximilien, A. son indifférence

1 Gaillard, ouvr. cité, I, pp. 277-278.2 lb id., pp. 279-280.

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Ibid.

CHAPITnE VI 143

pour ces affaires germaniques qu'il se déclarait, dans une-lettre de railleries à sa ffile Marguerite, pret à abandon-ner pour devenir cardinal, peut-etre male Pape 1 L'Au-trichien était au fond tout aussi peu Allemand que son

était Espagnol. Les theses. de Luther attiraientl'attention d'autres milieux aussi que celui des théolo-giens toujours en lice pour défendre leurs « vérités ».On ne peut pas parler d'une _resistance nationale auxempiétements du Saint-Siege qui, pendant le conflit entreJules II et Louis XII, avait rencontre, il ne faut pas l'ou-blier, l'opposition de tout un concile, ce qui obligeal'Eglise à traiter, au concile défensif de Latran, de mainteschoses capables d'irriter d'anciens ressentiments. LaPragmatique française avait été aussi mise en discussion.Il y avait done un peu partout les conditions requisespour un plus vaste proces, à suites incalculables.

Faire paraitre un dissident religieux devant une Dieten'était pas un procédé usuel. Depuis le candle de Cons-tance on ne l'avait pas fait, et, alors, le bficher avait con-sume les corps des hérésiarques Jean Hus et Jer6me dePrague. Cependant, comme le moine saxon avait passé dela querelle avec les dominicains vendeurs d'indulgencesA. un autre domaine, on crut fallait employer des ledébut de grands moyens pour endiguer un grand danger.En effet, Luther ne se bornait pas meme à reprendre lesidées françaises du xrv° siècle sur la réforme de l'Eglise,sans oublier, aussi, le moyen du Concile general dont unelongue pratique avait détruit le prestige ; en érudit dansl'esprit, respectueux des textes, de la Renaissance, itentendait n'admettre comme base que la parole révélée,écartant tout ce qui, au cours de siècles, avait été ajoutépar les interpretes, par les Conciles et par les decisions duSaint-Siege, dont le r6le de créer la religion était formel-lement dénié. a Des pages de la Bible », disait-il, « unesprit m'est monté de la part de Dieu, et il me tient enson pouvoir ; je parle ainsi que je le dots. » Et il était

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144 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITt

convaincu, comme Jeanne d'Are dans un autre domaine,qu'il a une mission à. laquelle il ne peut pas se soustraire.« Cette affaire, si elle vient de Dieu, n'aura pas de fin,méme si, comme le Christ a été abandonné par ses dis-ciples et ses amis, tous mes amis allaient m'abandonner. »« Tout ce que je fais, Seigneur, est ce que tu me parles. »Depuis longtemps il sentait que « l'heure viendra », bienqu'il craignit n'étre pas de taille A suffire.

Devant l'assemblée solennelle de l'Empire, A. Worms,le calme prophète d'un christianisme originaire et pur,s'appuyant sur des témoignages verifies, déclara n'avoirrien A. rétracter. « Je ne peux rien rétracter ; que Dieume soit en aide, amen. »

11 y eut des princes qui aidèrent le condamné A dispa-raitre pour le moment. Mais ce n'était pas de ce còté quele mouvement allait se développer surtout, bien que lesEtats allemands eussent tout intérét A. hériter desimmenses possessions de l'Eglise ; la « protestation » deLutlier allait devenir une Réforme « évangélique » par leconcours des masses populaires et dans le sens qui luirut fixé par elles.

Ce qui permit surtout l'extension de la Réforme enAllemagne 1 ce fut la guerre qui éclata, pour des motifsde rien, entre Charles et François, qui croyait s'atre assuréla neutralité d'Henri VIII, A. la rencontre pompeuse du« drap d'or », dès 1521. Après des conflits locaux dansla region de Bouillon, les hostilités commencèrent surtoutes les frontières. C'était de fait le conflit entre laFrance royale et la Bourgogne, s'étant gagné maintenantdes couronnes en Espagne, qui recommençait, cet autreCharles ayant obtenu en Allemagne la situation qu'avaitdéjà briguée, dans le plus hardi de ses réves, le Témé-rake.

Ce sera une longue et dure guerre, retenant toutes lesforces de la chrétienté, de façon h. permettre au nouveau

i Voy. Halkoff, Luther und die Entscheidungsjahre der Reforma-tion, Munich, 1917.

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CHAPITRE VI 145

Sultan, le jeune Soliman, le plus « byzantin » de la dynas-tie d'Osman, de commencer une autre série de conquetesqui devait dépasser ce qui avait réussi au plus grand desComnène.

L'attaque contre la France ne fut pas tentée seulementdu côté des Pays-Bas, où Tournai fut perdue et Hesdinpillée en guise de vengeance, mais aussi en Champagne,où Fhomme qui était l'image méme de la chevalerie laplus authentique, Bayard, « lieutenant de gendarmerie w,défendit Mézières. Ce fut l'occasion d'exploits chevale-resques, d'hérolques défis, de scènes dramatiques danslesquels les souvenirs du moyen-Age se mélaient indisso-lublement à. ce qu'offraient de plus beau les récits derantiquité ressuscitée. Les intrigues de Cour, menées parVinfluence prédominante des femmes, ne manquèrentpas dans le camp des Français. Les deux rivaux couron-lies furent sur le point de se rencontrer sur le champ debataille, mais Charles se déroba. Pendant ce temps, ontravai/lait en Navarre au nom du jeune Henri d'Albret.

Henri VIII s'était empressé de se réunir h. l'empereur,lui promettant la main de sa sceur et l'assurant dusecours nécessaire, non seulement contre la France, maisaussi contre lo Gueldre et la Frise. Préoccupé de se créerune grande royauté italienne, Leon X, qui avait demande.à François, s'il arrivait à reprendre sa moitié des Etatsitaliens, mais pour son fids Henri, pas pour lui-méme,

la possession de Gaéte, entra dans cette alliance aussi-tòt que le gouverneur de Milan toucha h Reggio, quel'Eglise continuait à occuper. On essaya de surprendreGenes et on s'évertua à rétablir it Milan le dernier desSforza, François, tout dispose A abondonner Parme etPlaisance. Florence appartenait aux Médicis, et le mar-quis de Mantoue avait rompu son alliance avec le roi pro-tecteur. Le siege de Panne ne réussit pas 5. cette arm&qui obéissait k trop de chefs, mais, sous l'incitation d'unpaysan visionnaire, tel moine augustin préchait unevraie croisade pour les Sforza, Milan fut surprise, santle 'château, et dévastée, Crémone ouvrit ses portes, Creme

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146 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

fut abandonnée. La prise de Parme et de Plaisance deve-nait facile ; Léon X en eut la nouvelle avant de fermerles yeux.

Bien que le nouveau Pape filt, contre le cardinal deMédicis, neveu du pontife mort, et contre Wolsey, l'ambi-tieux ministre d'Henri VIII, le propre précepteur etministre de l'empereur, Adrien, on essaya du c6t6 desFrançais, contre lesquels avait cess6 en France mêmel'attaque combinée, une revanche en Italie. Les Suissesavaient fourni des troupes et Venise était restée fid6le. Onput s'emparer, presque par hasard, de Novare. Mais, dansla grande bataille livrée a. François Sforza, bien entouré,entre Lodi, Milan et Monza, Lautrec perdit de nouveaula partie (avril 1522). Les Suisses avaient press6 la batailleespérant la victoire ; jamais ils n'avaient 6t6 brisés decette façon. Ils refus6rent de reprendre, le lendemain,l'épreuve.

Abandonnant de nouveau la ville de Crémone, les Fran-çais perdirent aussi l'amiti6 des Vénitiens. Quant auxGénois, ils ne pouvaient que se soumettre au vainqueur,absent, comme toujours, de la place où on défendait sacause. Un Adorno fut doge a la place du gouverneur fran-pis de la dynastie ducale des Fregosi.

En ce moment, et malgré les grands préparatifs faitspar François A Lyon, Charles-Quint, qui n'avait pasencore daigné visiter l'Italie pour s'y faire couronnerempereur, était le maitre de l'Italie entière. Devant sonambition satisfaite, sans qu'il eat fait lui-méme de trésgrands efforts pour arriver a ce magnifique résultat, selevait cependant en Orient un prestige impérial bien plusgrand que le sien et infiniment plus dangereux pour sesadversaires.

Alors que Charles ne représentait qu'un titre impérialplus ou moins vain, lui imposant d'intervenir là oil il nepouvait pas décider et que, de fait, c'était sous son nomque l'Italie, d'elle-même, en grande partie, avec ses pro-pres moyens argent, soldats et surtout diplomatie

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CHAPITRII VI 147

réglait ses querelles, Soliman était un Justinien musul-man dont l'action en Méditerranée, contre les Hospita-liers, qui étaient pour lui de simples pirates chrétienssur le Danube, contre les Hongrois, qu'il considérait pres-que comme ses grand's prédécesseurs byzantins avaientconsidéré les .établissements germaniques de la rivegauche, est celle d'un grand facteur personnel dans l'his-toire de son époque.

Dès le commencement de son règne, on sentit l'empe-reur dans celui qui, nourri d'histoire et caressé delégendes, s'intitulait fièrement Chah 2, a empereur tou-jours victorieux, roi couronné du monde entier, ombre deDieu sur les deux continents, seigneur de la Mer Blancheet de la Mer Noire, de Roum et d'Anadol, de Grèce, deCaramanie, de Sulkadr, de Diarbekr, de Damas et d'Alep,du Caire, de Jérusalem, de La Mecque, de Médine, duYémen et de Dscheddah 3 », et qui l'était. Tout trem-blait devant lui, qui paraissait cependant un maitrehumain, presque doux, n'ayant pas la passion de §,oupère pour la chasse et pour la guerre, vivant en bonépoux « monogame » de sa Russe « gracieuse et me-nuette », la « Roxelane » des Occidentaux, et laissant engrande' partie la conduite de l'immense Empire entre lesmains de « son haleine et son Ame », son camarade d'en-fance Ibrahim, le fils d'un Albanais de Parga, rejetonde la lignée des Illyres dont Rail venu Alexandre-le-Grand, d'immortel souvenir 4. Chef de la race slave, dontil parlait la langue et dant les représentants l'entouraientavoir recueilli aussi l'héritage des Tzars serbes dumoyen-Age. Une formidable armée, d'une discipline plusque romaine, pr8te h. marcher sur un signe de la mainimpériale, une belle flotte à l'ancre, un trésor remp/i

Voy, rexpression des Vénitiens dans nos Notes ef extraits, VI,p. 117 : ic Questo Arzipelago parme sie pegio adesso che non era altempo di Rhodi

2 Voy. sa lettre Venise ; ibid.3 Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 344 et suiv.4 Ibid., pp. 348-349.

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148 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

étaient aussi une incitation perpétuelle à l'ceuvre san-glante des conquétes.

Soliman eut, comme Charles, ses révoltes au début durègne. Il fit étouffer dans le sang celle d'Al-Gbazali et duVizir Achmed, qui prit le titre royal dans les anciennesprovinces des Soudans. Ibrahim fut chargé du gouverne-ment de l'Egypte, encore assez consolidée, et on le vitfaire une magnifique entrée portant des bijoux de 170.000-ducats de Venise et trainant après lui 4.000 cavaliers,« ni plus, ni moins que les Soudans de jadis i ». C'étaitcomme une Italie, pleine de souvenirs impériaux, dési-reuse d'une vie h. elle, de cet autre Empire ; mais il yavait une force capable de la maitriser toujours et, aubesoin, de la punir. Comme en Occident, il y eut un mé-contentement populaire, mais il fut brisé quand il prit laforme de la révolte du « moine chevalier », du Kalender-Tschélébi en Asie Mineure ; ces derviches, ces brigandset ces fanatiques chiites se soumirent comme les autres,le lendemain- méme des plus splendides victoires 2

Sans attendre les ordres impériaux, la guerre avaitéclaté en Europe contre la Hongrie ; les Turcs de Bos-nie prirent la cité des mines, Srebrnica, et Knin,s'essayant aussi b. ce coin de chrétienté qu'était restéJaice. Mais Soliman lui-méme n'aurait pas frappé uncoup si le jeune roi Louis n'eût prêté foi au bruit de lamort du Sultan et refusé le tribut. Schabatz fut prise parle Vizir Achmed, Semlin reçut une garnison ottomane dubeg de Semendrie ; Belgrade, devenue comme un fief deses commandants, ne résista que faiblement ; les Serbeseux-mames avaient préféré la domination du Sultan.Bali-beg, maitre de Belgrade, put se saisir ensuite duchâteau de Severin, tête de pont sur la rive gauche.Comme, après la mort du grand. bâtisseur et artiste Basa-rab Neagoe, auquel on dolt l'église épiscopale d'Arges, le

Nè più, nè ameno, come solevano 11 Soldani n ; Notes et extraitsVI, p. 119. Cf. Gesch. des osmanischen Reiches, II, pp. 359-360.

2 Ibid., p. 361.

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CHAPITRE VI 149

trône de la Valachie fut longtemps disputé, un parentturc de la dynastie, Méhémed-beg, eut la haute-mainsur ce qui se passait de ce côté-là aussi, bien qu'il ren-contrAt l'opposition armée du gendre de Basarab, Radu,capable de se maintenir, méme sans le secours com-mandé par le Voévode transylvain, Jean Mpolya. LesTatars maintenaient sous la terreur Moldaves et Polo-nais : le Danube inférieur était ottoman.

Le devoir d'un empereur byzantin était de mainte-nir sa « thalassocratie », d'empêcher toute action de cor-saires. Soliman, qui tenait les rénes de l'Europe et del'Asie et pour lequel les Barbaresques sous a Barbe-rouge » Khaireddin occupaient la place de l'ancienne Car-thage, en sentit le besoin. Les chevaliers de Rhodesétaient de nobles guerriers, mais parfois aussi de hardiscorsaires. Le Sultan n'entendait pas se laisser braver parleurs légères galiotes. Dès 1522, il décida de détruiretout prix ce nid de corsaires.

La défense de la ville fut belle et digne d'un long passé.Mais, malgré les promesses de secours venues d'Occident,malgré l'ingénieur prété par Charles-Quint, les Turcseux-mémes avaient à leur solde un bombardier français

elle ne pouvait pas se prolonger. Soliman lui-mémeavait paru sous les murs ; l'artillerie turque se montraégale à sa réputation ; pour la première fois les Mame-louks combattirent, et de façon h. se faire honneur, sousles ordres du nouveau maitre. Le grand maitre Villiers del'Isle Adam capitula dans d'assez bonnes conditions, etSoliman ne put entrer que par une bréche artificielle. Cefut un spectacle imposant. « J'ai appris », dit le grandbistorien de l'Italie, Paul Giovio (Jove), « de la boucheméme du Grand Maitre que, h. l'entrée de Soliman dansla ville, avec 30.000 des siens, on n'entendait pas uneparole ; c'était comme si, à la place de guerriers, il yavait eu des Franciscains de la stricte observance 2. » En

1 Notes et extraits, VI, p. 113.Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 373.

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150 ESSAI DE SYNTRÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

voyant le chef de l'Ordre se préparer pour un exil sans-retour, le Sultan murmura, humainement, à sa manière« J'ai pale de ce pauvre vieillard que nous chassons desa maison 1 ».

Le Soudan avait demandé chaleureusement l'appui deces Occidentaux avec lesquels il était en relations de com-merce si etroites. Le Patriarche d'Antioche, les arche-véques d'Alep, d'Emese, de Damas, l'hégoumene du MontLiban, avaient sollicité Charles-Quint 2. Des projets decroisade avaient réapparu : avant la prise de Rhodes, onavait recommandé au Pape de créer toute une armée rienqu'avec le contingent et le concours financier des Ordresreligieux, les Hospitaliers seuls ayant une trentaine demille de maisons 3. Le rebelle Achmed-Pacha s'étaitadresse au Pape, qui n'avait pas dédaigné d'écrire A cenouveau Soudan 4. Mais, pendant l'attaque contre Rhodes,la flotte vénitienne resta, timide, aux aguets, et les vais-seaux napolitains furent vainement attendus. Charles-Quint se borna A. installer les exiles dans rile de Malteet deux écueils voisins. pour garder ses propres eaux deSicile, plutôt que pour préparer une recuperation mani-festement impossible.

En ce moment, François préparait dejà sa revancheitalienne, et le mécontentement du connétable de Bour-bon, auquel, à la mort de la femme, la reine-mere deman-dait une large partie de ses possessions, préparait unallié à l'empereur, qui, exploitant son systeme de ma-riages, lui offrit la main de sa sceur Eléonore, veuve duroi du Portugal. En se liant à l'ennemi de son roi, ce sei-gneur, cousin du due de Mantoue, ne croyait pas faire un

1 Ibid.Ibid., p. 356.Gaillard, ouvr. cite, I.

4 Voy. P. Balan, Monumenta saeculi XVI historiam illustrantia,I, Innsbiuck, 1885, pp. 17-18 : a te regnum /Egypti et ejus regnicircumstantias ac Sulthani nomen ad tuam potestatem et impe-rium transtulisse

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plus grand crime que les membres de la Ligue du BienPublic lies à Charles le Téméraire pour réduire le rtilede Louis XI et abaisser son prestige. Il eut des complices,mais pas assez pour préparer une révolte ; la plupartéchapperent.

Néanmoins, l'amiral de Bonnivet descendit en Halle,vers Milan, où il y avait des Visconti portant les noms deGaléas et de Bernabò, qui en voulaient à l'héritier homo-,nyme de François Sforza. Milan fut bloquée, mais sutresister jusqu'aux approches de l'hiver. Au printemps,l'amiral dui livrer bataille aux Impériaux, soutenus detoutes ses forces par le nouveau Pape, Clement VII, quin'était que le cardinal Jules de Médicis ; les siens, affa-Ines, affaiblis par les maladies, trahis par leurs Suisses,furent battus à Biagrasso (mars 1524).

Le roi lui-méme était reste pour défendre ses Etatsattaqués par Charles du côté de Bayonne. Une tentativefut faité par la Franche-Comte, où avait gouverné laprincesse Marguerite. Mais les Anglais du due de Suffolk,mari de la veuve de Louis XII, on avait promisHenri VIII d'en faire un vrai roi de France, avec lestroupes dont pouvait disposer le lieutenant imperial dansles Pays-Bas, traversèrent presque sans obstacle la Picar-

- die, se dirigeant sur Paris, alors que François se tenaitLyon, observant la Bourgogne et les defiles des Alpes ;mais ils se bornerent à une simple demonstration. Sur cefront aussi on s'amusait plutôt : combien tout cela res-semblait peu aux grandes choses terribles qui se pas-saient aussitôt que Soliman paraissait à la téte de sesjanissaires et de ses spahis !

II y eut, en 1524, une invasion d'Espagnols en Provence;c'était le conseil du connétable de Bourbon qu'on sui-vait dans cette nouvelle entreprise ; il se voyait déjà roide ce Midi où sa Maison était connue et aimée. Charlesimposa le siege de Marseille, qui ne pouvait pas réussir,malgré le mépris de l'empereur pour ces « bourgeoisincapables de combattre. La flotte espagnole fut battue envue de cette ville.

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La France était libre sur toutes ses frontières. MaisFrançois voulait ravoir son duché italien, et, avant la finde rannée, en dépit de la mort d'une reine presqu'oubliée,il passa les Alpes, fonçant droit sur Milan. Accompagnédu fidèle allié qui était le marquis de Saluces, il se ren-dit facilement maitre de la ville. Puis, comme il y avaitdes Impériaux à Lodi et à Pavie, on se prépara au siegede cette dernière place. La defense de la place, où com-mandait de Leyva, fut cependant si bien organisée quel'armée française y fut retenue pendant des mois. Lesinterventions du Pape, qui proposait un partage, se réser-vant à lui la garde de Milan elle-méme, ne purent querester infructueuses ; il n'y eut qu'une paix entre Clementet le roi, qui étendit sa protection sur la ville de Flo-rence. François crut méme pouvoir envoyer, à travers lesEtats de rEglise, un corps expéditionnaire dans leroyaume de Naples. Or, le duc de Savoie, frére de lareine Louise, mais mari d'une princesse du Portugal,s'était daaché de la France, en dépit d'une si longue etsi fidèle alliance, et avait fermé ainsi ces defiles desAlpes dont il était le maitre.

En observant cette guerre italienne qui se prolonge, sesdetails techniques et les intermèdes diplomatiques quicherchent à l'interrompre, en examinant la compositiondes armées et la nationalité de leurs chefs, on se rendcompte facilement que, avec ou sans l'important contin-gent espagnol, qui fait la garde jusque dans les Dikesallemandes et veut envoyer Luther au bacher, le rôledes soldats anglais à regard de Jeanne d'Arc, c'estencore la tragédie de l'Italie, avec les acteurs de sa race,qui se déroule. François I" représente plutôt les appétitsde domination sur la péninsule des Visconti et des Sforza,alors que Charles combat, sans paraitre personnellement,car il ne tient pas à figurer dans la piece comme unBayard couronné, comme un chevalier « sans peur et sansreproche », en sa polite de roi de Naples, poursui-vant, comme jadis son parent Alphonse, mais avec plus

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de chances, car il a la Castille aussi, cette méme hégé-monie, disons plus : cette mérne domination réelle surla péninsule entière. L'enjeu, au point de vue de la civi-lisation actuelle et de son avenir, est sans doute plusimportant que le pays de Sulkadr ou d'Aberdéidschan, enAsie, que Srebrnica ou Belgrade, en Europe, mais lesforces sont de beaucoup inférieures, et la conduite de laguerre ne peut pas être méme comparée h. celle dont estcapable un Soliman.

Lorsque le moment de la grande decision arriva, auprintemps de l'année 1525, François ayant perdu toutun hiver dans son duché de Milan, ce qui s'opposait auxbandes espagnoles de Pescara et de Leyva, aux arquebu-siers basques et aux lansquenets sauvages d'un GeorgesFrundsberg, aux Albanais du dernier descendant deScanderbeg, portant le nom du roi Ferdinand, Rail miramassis de gendarmerie, de cavaliers engages, de sou-doyers à pied, de Suisses, de troupes de hasard commeles « bandes noires » de la Gueldre et les Anglais de la« rose blanche », de contingents italiens, comme celui d'unGonzague, qui portait le nom ancien de Pyrrhus 1, d'unPallavicini, d'un Jean de Médicis, à. peine regagné à forcedlargent. François sacrifia en vain la fleur de sa noblessepour gagner la victoire que lui disputait avec acharne-ment la fureur des lansquenets avides au gain ; encoreune fois les Suisses fléchirent. Bonnivet, sentant sur luile poids de l'immanquable défaite, se fit tuer ; avec sonroi de Navarre, le roi lui-méme, pressé de tous côtés, dutremettre l'épée à un des traitres qui avaient accompa-gné le connétable, present lui-même, et de grand cceur, Ala bataille. Il fut accueilli chez les vainqueurs, commeJean-le-Bon chez les Anglais, d'apres toutes les reglesde la chevalerie mourante 2. On s'embrassa comme dans

t Cf. Registri di lettere di Ferrante Gonzaga, Parme, 1889.0 J'estois soubz mon cheval en terre », écrit le roi lui-xneme.

a J'ai plustost esleu honneste prison que honteuse fuite. b Le

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les « chansons de geste », alors que des milliers de mortsgisaient sur le champ tragique devant Pavie.

Charles dut ètre plus étonné que satisfait par la nou-velle de ce succès si grand, et plus géné qu'étonné partoutes les questions personnelles et territoriales, d'unintérk beaucoup plus large que ce duel italien danslequel il ne jouait pas méme le rôle brillant d'un Frédé-ric Barberousse, que devait ouvrir la captivité de sonrival. Il était retenu par d'autres questions, d'une urgenceencore plus grande que le sort de ce grand et noble pri-sonnier, bien que de ce cété-là aussi il se dérobât à toutrisque personnel. A savoir : la complète anarchie alle-mande déclenchée par la prédication de Luther et de sesnombreux disciples, les prophètes de différente espèce,et la catastrophe inopinée du royaume de Hongrie, dont,d'après le pacte conclu entre Habsbourgs et Jagellons,sous Maximilien, sa famille avait le droit formel d'hé-riter.

Jusqu'à Luther, la pensée des classes cultivées n'avaiteu aucune influence sur les masses. La plupart crou-pissaient dans la complète ignorance d'un dur servage.Ils ne pensaient qu'au poids des dimes et des jours detravail, comme ces paysans de Hongrie qui, deux foisdéjà, avaient donné l'exemple de la révolte. La petitebourgeoisie elle-même, marchands de pacotille et surtoutces gens de métier du milieu desquels surgit le seul patede l'époque, un savetier, Hans Sachs, n'avaient pas unenotion plus claire des situations politiques et sociales.On lisait des factums en vers comme les critiques de cechantre des ateliers, qui y mélait la bonne humeur tra-

texte authentique de sa fameuse lettre it la reine Louise est celui-ci : « De toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie,qui est saulve. » Elle lui répondit, remerciant Dieu de vous avoirgardé l'onneur, la 'ye et la santé ». Ch. Journal du regne de Fran-çois 1" ; « Epistre du Roy traictant de son, partement de France-en Italic et de sa perte devant Pavie ; Aimé Champollion-Figeac,Cuptivité dtz roi François 1", Paris, 1847, dans la « Collection des.documents inédits ».

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ditionnelle de sa race souabe, et, comme dans la « Nar-renschif », « le vaisseau des sots », on se divertissait surle compte des riches et des puissants, ainsi qu'on l'avaitfait, avec un peu plus de malice, mais avec tout aussi peude résultat, en France, A. travers tout le moyen-Age. Maisle colportage, la diffusion par les foires, où, depuis long-temps déjà, on vendait le livre imprimé, la Bible deshumbles et certains pamphlets de caractére divers, répan-dirent facilement la prédication enflammée, d'une impi-toyable critique dans un dur, mais parfois touchant lan-gage rustique, plein de moyen-Age, de ce moine défroqué,marié h. une nonne, au ban de l'Empire, sous l'excommu-nication solennelle du Saint-Siège, qui jouissait cependantde l'appui sans réserve de son seigneur et mattre, Frédé-ric, le « Sage » duc de Saxe. Il niait l'autorité du Pape,il parlait d'une Eglise du peuple, il projetait en avant lespectacle, recueilli dans le passé le plus lointain, de labonne Eglise apostolique. Il faut admettre que d'ancienssouvenirs hussites en furent réveillés. De plus, dans lepays qu'avaient troublé les querelles du Téméraire et oùun gouverneur général arrêté par le « peuple » avait étépubliquement supplicié, il y avait Aes réminiscences aux-quelles il suffisait de toucher pour que le feu d'hier, àpeine éteint, reprit. Sans compter qu'au Sud, un prêtresuisse qui avait vu Vienne, sinon Rome, comme Luther,en revenait lui aussi aux vieilles coinmunautés popu-laires et, comme il n'y avait pas de frontières bien défl-nies du côté de la Souabe, Ulrich Zwingli prêchait, bienque dans un langage moins immodéré que celui du pro-fesseur saxon, pour les « Allemands » du voisinage aussi,plus capables d'être jetés dans le désordre que les pay-sans, absolument libres et souverains, de ces cantonssuisses dont. il était devenu le chef h. la façon d'Israélsous les « juges ».

L'Alsace fut done bientôt en flammes. Les bandes pay-sánnes se formaient h la manière des Suisses et des lans-quenets. Parfois ils avaient des armes ; presque partoutles chefs manquaient. Dans un milieu un peu plus élevé,

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comme A Waldhut, un Hubmaier parut en révélateur,nouveau Jean-Baptiste sans Messie, appelant au baptemepurificateur. On répandait ce « Testament de l'empereurSigismond » qui correspond aux « lois du bon roi Ma-thias » pour la Hongrie, falsification populaire dans la-quelle se réflétaient les &sirs de cette multitude affolée.Plus tard, quelqu'un rédigea les « douze points » dereforme, d'une désesperante naiveté, qui commençaientpar demander l'élection populaire des cures.

La reaction de l'ordre se fit attendre. Elle ne fut quelocale et occasionnelle. On ne voyait pas l'empereur, cetétranger opiniAtre dans son indifference. Il n'y avaitplus de grandes Dikes, les princes, les évéques se réunis-sant seulement dans des assemblées régionales, sansprestige et sans resultat. Le « Reichsregiment », qu'onavait réussi A introduire plutôt de forme, cessera de fonc-tionner en 1528. Méme avant ce terme, l'Espagnol qu'etaitle frère de l'empereur, Ferdinand, sans appui, sansconseillers, n'arrivait pas A se dépétrer dans toutes cestragiques difficultés. Cependant, lorsqu'il y avait quel-que jeune prince confiant et hardi, comme Ulric de Wur-temberg, on improvisait une petite armée, .on découvraitde l'artillerie et on foudroyait les paysans ; les prison-niers étaient empalés, écartelés. Il fallut que le comte deGuise défendit, avec une vraie armée, la Bourgogne et laChampagne 1, se gardant ainsi le titre de duc. Hubmaier,considéré comme hérétique, brfila sur le bficher, alorsque Luther, qui avait commence par dedier des brochuresA Charles Quint et A Leon X, faisait, par ses appels unpeu comiques 5. l'ordre, la besogne des princes 2.

On n'oubliait pas d'invoquer le « danger turc », qui

I Gaillard, ouvr. cité, II, pp. 257-258.2 Baumann, Akten zur Geschichte des deutschen Bauernkrieges

aus Oberschzvaben, Freiburg, 1881 ; Jörg, Deutschland in der Revo-lutionsperiode von 1522 bis 1526, Freiburg, 1851; Friedensburg, DerReichstag zu Speier, 1526, Berlin, 1887; Ney, Gesch. des Reichstagszu Speier, Hambourg, 1880 ; Balan, Monumenta reformationis,Ratisbonne, 1884 et Monumenta steculi XVI historiam illustrantia,Innsbruck, 1885.

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préoccupa Luther aussi, en méme temps que la « capti-vité babylonienne de l'Eglise ». Il était bien réel. Et onput, dès 1525, en mesurer toute la terrifiante grandeur.

La revanche ottomane pour l'offense faite au Sultanpar l'imprudence du jeune roi tarda d'une année. LorsqueFrançois I" perdit la bataille de Pavie et, pendant desmois, sa liberté, on craignait en Hongrie une attaque quine se produisit pas. La grande expédition de 1526, con-duite, comme de règle, par Soliman lui-méme, fut large-ment annoncée par de grandioses préparatifs. Thomory,qui avait remporté en 1524 un léger succès contre lesTurcs, fut consulté par le malheureux prince, qui sen-tait dejà s'accumuler la tempête au-dessus de sonroyaume. Une Dike, en mai, ne servit qu'à montrer quele pays n'entoure pas de son dévouement ce flls d'un&ranger qui paraissait porter au front le signe fatal deson parent Ladislas, tué A. Vara. Ceux qui assistèrent Aces scènes décourageantes eurent l'impression nette quela Hongrie, abandonnée A. ses propres forces, ne pourrapas résister.

Les moyens démodés du moyen-Age ne purent pas ras-sembler une autre armée que celle des nobles mécon-tents de la personne royale, de ses conseillers allemands,qui entouraient la reine Marie, sceur de Charles-Quint etde Ferdinand, de la façon dont on gaspillait l'argent d'untrésor peu fourni. Ce fut done, de la part des Tures,jusqu'A. la Save, jusqu'au Danube, une vraie marchetriomphale. L'archevéque n'avait guère de quoi défendreles gués. La population désarmée fuyait devant l'avancerapide des cavaliers tures. Il y eut de la résistance settle-ment h Peterwardein, où cinq cents tétes furent appor-tees au camp imperial. Quelques secours occidentaux, dela part du Pape, de la Bohéme, quelques eroisés polonaisse réunirent au dernier moment A. ce qu'on avait pu ras-sembler dans les provinces mémes du royaume ; le Voé-vode de Transylvanie, Jean ZApolya, manqua It l'appel.Enfin, en aotit, on put marcher contre les Tures, (item

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trouva dans les marécages de Mohhcs, entre la Drave etle Danube. Le 29, on put combattre : avec le mème étatd'esprit de la part du roi et de la noblesge que celui deFrançois I"` et des siens, on eut une seconde bataille dePavie. Mais on trouva dans la boue le cadavre du rot, etles Ottomans ne traitèrent pas en bons camarades lesdéfenseurs de la Hongrie : la tête du « derviche » Tho-mory fut hissée au bout d'une pique. Cinq évéques setrouvaient parmi les morts. Le 11 septembre, l'empereurpalen de l'Orient faisait, h. côté d'Ibrahim, son entrée àBude, qui brfilait, pour quitter ensuite, malgré les effortsdu Palatin et malgré des embfiches locales, en maitre ce.royaume dont il s'attribua le titre.

De son côté, François Pr, qui ne dédaignait guère lalittérature, rivalisant avec son valet de chambre, le douxClément Marot, déclare dans ses vers qu'il « s'estimoitbien heureulx pour la lyberté de son pays toute sa viedemeurer en prison 1 ». Ii fut conduit de la forteresse dePizzighetone, non pas h Milan, h Génes, h Naples, commeon l'avait d'abord proposé, mais, d'après les suggestionsdu vice-roi, h. Barcelone sur un vaisseau français, pouréviter une mauvaise rencontre avec la flotte de Doria,qui tenait la mer 2 Le captif royal désirait se rencontreravec son vainqueur, absent h la bataille comme aprèsce prince cauteleux et timide s'esquiva d'abord. Au mo-ment de la rencontre cependant il qualifia celui qui seprésentait en « esclave et prisonnier » de a libre et bonbon frére et vrai ami 3. Il demandait la Bourgogne, maisimposait h. son captif d'épouser la ducbesse Marguerite,qui, de nouveau, serait devenue princesse française, oubien une princesse portugaise, puis Eléonore, sceur deCharles, le dauphin devant devenir le mari de l'infante

I Champollion-Figeac, ouvr. cité, p. XXIV.2 Voy. Jurien de la Gravière, Doria et Barberousse, Paris, 1886.3 Relacion... por el capitan Gonzalo Fernandez de Oviedo y Val-

dez, dans Gachard, La captioité de François Pr et le Irani deMadrid, Bruxelles, 1860, p. 87.

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du Portugal ; en outre, le comté de Charolais, l'Artois, laFlandre auraient été détachées du royaume. Bourbon,qui était accouru en Espagne, revait d'être le successeurdu roi René en Provence et pensait même à s'annexer leDauphine. De son côté, François, qui était déjà gagné aumariage avec Eléonore de Portugal, consentait à ceder laBourgogne, mais en fief, même la Flandre et l'Artois,mais A. titre viager seulement. Marguerite, sceur du roi,essaya de rencontrer l'empereur, puis elle partit bientôt,dépitée de n'avoir trouve que « les serviteurs du mais-tre ». François lui-même avait fait, avant son entrevue,une maladie, et on put croire à Paris gull en était mort 1.Resserré dans le château de Madrid, il dut enfin signerun traité par lequel il renonçait à toutes ses possessionset prétentions en Italie, à la suzeraineté sur la Flandre etl'Artois, à Hesdin seulement et A. Tournai. Quant à laBourgogne, son sort serait réglé définitivement par Unarbitrage, ou bien elle serait.considérée comme dot de lanouvelle reine. C'est seulement à ce prix qu'en mai 1526la liberté fut rendue à François, en échange pour l'envoicomme otage du dauphin et du due d'Orléans.

Il semble bien qu'à ce moment, Charles, qui avaitrefuse apres Pavie les honneurs du triomphe, disantl'attend pour l'oeuvre de croisade 2, et qui peu auparavantse prétendait dispose à faire la paix 2 (c pour le repos dela chrétienté et effacer toutes nos discordes », pensaitsérieusement à cette bonne paix générale « pour le grandbien de la chrétienté », au « bien de la paix généralle »qui lui paraissait rentrer dans son devoir d'empereur.Dans le traité de Madrid, il avait pris, non seulemen.t

I Cf. dans les actes du Parlement de Paris cette entrée : a ipsein.ciderit in appoplexim, qui est une maladie incurable » (Cham-pollion-Figeac, ouvr. cité, pp. 338-339). On intitulait apt le dau-phin, le roi Henri (ibid., pp. 416 et suiv., novembre 1525).

2 Will. Bradford, Correspondence of the emperor Charles V amihis ambassadors at the courts of England and France, from the ori-ginal letters in the imperial family archives at Vienna, Londres,1850, p. 111.

8 Ibid., pp. 193-194, note.

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l'engagement d'aider, de toutes ses forces, son beau-frère en Italie, mais aussi d'étre son associé dans uneimmanquable croisade : « que, pareilhement, voulantlediet empereur faire l'entreprise contre les Infidelles,ledict roy contribuera avecques la moitié de la despenseet y ira en personne avecques Sa Majesté et, en cas queledict roy de France y ira et laissera en protection sonroyaulme, sa femme et ses enfans h. l'empereur, et si lesdeux fussent en ladicte emprise, le roy aura la charged'une part de l'exercite dudict empereur i ». Il faut abso-lument rejeter l'idée d'une entente conclue alors mémepar le roi captif avec Soliman, auquel la reine-mère seuleavait député un envoyé, dont la mission était sans grandeconséquence 2. Dès avant Pavie, le roi avait promis auPape d'adhérer A. une ligue défensive contre Soliman 3.De son Até, Charles se déclarait trés vexé par les affairesreligieuses de l'Allemagne et bien décidé A. « employertout son pouvoir pour exterminer cette secte des luthé-riens 4 », ce qui correspondait de tout point aux senti-ments de Louise de Savoie envers « les erreurs et sectepernicieuse introduicte ou renouvellée par Martin Luther,laquelle secte soubs couleur de licence trop grande etliberté de vivre selon la sensualité, de jour en jour a tiréet tire à soy les ames des chrétiens h voye de perdi-tion 5 » ; il es t vrai cependant que Ferdinand, bient6t éluroi de Hongrie par un de ses partis qui déchiraient lesrestes du malheureux royaume, écrivait h. sa mu"' Mariequ'on ne peut pas arréter la plume de Luther et qu'il

1 Champollion-Figeac, ouvr. cité, p. 170.2 Voy. nos Observations sur le commerce d'Orient dt l'époque mo-

derne. Sur la personnalité de Bernardin des Frangepani, seigneurde Klis, ennemi des Turcs, voy. Balan, ouvr. cité, pp. 115 et SlliV.

3 Che fark lega defensiva contra Turchi come park h Sua SantithBalan, ouvr. cité, I, p. 321 (janvier 1525).

4 Bradford, ouvr. cité, p. 133 (lettre au roi Ferdinand, 25 juin1525). Sur les lettres du Pape k l'empereur avant la catastrophe dela Hongrie, voy. ibid., p. 241. Dans Champollion-Figeae, ouvr. cité,p. 199 : intervention de Louise de Savoie en faveur de la Polognemenacke.

s Balan, ouvr. cité, I, pp. 344-345 (29 avril 1525).

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faut seulement que cette princess& se garde bien d'accep-ter quelque dédicace de l'incorrigible agitateur 1. Enfin,le Pape s'était empressé d'envoyer, aussitôt après la trèveconclue en Occidenst, un légat en Hongrie, qu'il availespéré sauver A si peu de frais 2. Un Génois de la familleCenturione était 016 même h Moscou dans le même but,sous prétexte de commerce, et un émissaire du duc russe,qui se faisait appeler Délnètre Erasme, avait paru ARome 3.

Mais, malgré les fêtes qui terminèrent la captivité, lemariage projeté entre François et la reine veuve du Por-tugal n'eut lieu que quatre ans plus tard. Le Parlementde Paris avait montré plus d'une fois qu'il n'entend pasenregistrer des décisions royales touchant les provincesde l'Etat qui auraient été prises par la violence exercée-sur la personne du souverain. Le roi d'Angleterre lui-même protestait contre un partage du royaume qui étaitaussi « le sien ». Des incitations venaient sans cesse del'Italie, de l'Angleterre même, réconciliée, pour empêcherl'intronisation de l'impérialisme représenté par Charles.

C'était done encore une fois Mane qui rompait lapaix universelle » et rendait impossible la croisade.

Tout ce monde de princes et de républicains et le Papelui-même craignaient la vengeance du vice-roi de Naples,qui avait commencé par les rançonner et qu'ils soupçon-naient de vouloir bientôt les anéantir. Il y avait parmi les.officiers de Charles-Quint tel Italien comme Pescara qui.aspirait i une couronne, celle de Naples, qu'il n'osa pasbriguer ouvertement. Le due de Milan se sentait prison-nier dans sa capitale ; son principal conseiller, Morena,

t Bradford, ouvr. cité, p. 244 (19 avril 1526).2 Balan, ouvr. cité, I, p. 167 (salt 1625). Lettres sur la catas-

trophe de Hongrie, adressées aux rois d'Angleterre et du Portugal,ibid., pp. 240 et suiv.

3 Balan, ouvr. cité, I, p. 186. Sur les rapports de Janus Lascarisaye° ses projets, ibid., pp. 209-210. Cf. H. Vast, De vita et operibusRini Lascaris, 1878.

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fut arrété comme traitre par de Leyva et par le même-Pescara, dont la mort prématurée arrêta seule les intri-gues. Dès le mois de mai un traité conclu à Cognac, oùFrançois passait ses premières semaines de liberté, réu-nissait la cause du roi à celle des Italiens qui ne voulaientpas devenir simples sujets de l'empereur. A la fin del'année, après s'étre entendu dire par les Etats de Bour-gogne que le pays vent rester français, le roi demanda auParlement solennellement assemblé s'il doit exécuter letraité de Madrid ; on lui répondit gull a le devoir de nepas le faire, ce qui, bien entendu, reste discutable. Maisquoi qu'il en soit, on constate encore une rols que, par-dessus les décisions et les concessions des princes, lanation se sentait comme la grande entité permanente, qui'ne peut abandonner aucun de ses droits pour le seulmotif qu'une entreprise royale a manqué lamentablementson but.

Gréné aussi du côté de l'Italie, François crut avoir trouvéun biais honorable en déclarant qu'il ne consent à rete-nir que Génes et de comté d'Asti, que son Seul désir estde maintenir le due de Milan sur le trône, en lui faisantépouser une princesse de la Maison de France. Le Papeseul était en droit de (Wider sur le royaume de Naples,et, si Charles entre dans cette « ligue sainte », le Saint-Siège peut bien le reconnaitre.

Toute une armée composée des éléments italiens lesplus variés, Florentins, Pontificaux, Vénitiens, gens des.princes, se dirigea vers Milan pour la délivrer de la gar-nison impériale qui l'épuisait. Charles ne parut pas cettefois non plus sur un champ de bataille que François lui-même ne devait pas toucher. On ne pourrait pas mémefixer sa vraie part de responsabilité dans les actions quifurent entreprises soi-disant pour soutenir aussi sesintéréts. Il envoya l'exécuteur de ses vengeances, le con-nétable, qui se rendit aussitôt maitre du château oit.depuis longtemps était assiégé le due. Mais les alliés ita-liens, resserrant Génes et accueillant un eontingent fran-çais que commandait le marquis de Saluces, reprirent

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Crémone. En méme temps le cardinal Colonna mettaitRome en mouvement et pensait se faire Pape comme lesinstruments des Césars germaniques au moyen-Age, parla conspiration et Ia révolte. Clement ayant cherché unrefuge dans le chateau de Saint-Ange, les révoltés pil-Ièrerit l'église de Saint-Pierre. Il fallut que le Pape reti-rAt ses troupes du Milanais. Et, malgre cet acte de sou-mission, les lansquenets de Georges Frundsberg, animésdu sentiment de haine contre l'Eglise de Rome, parurent,en vrais Vandales modernes, pour faire subir à la cite del'idolAtrie les derniers des outrages.

C'était encore une consequence de l'état d'esprit oilune propagande d'une violence inoule contre tout ce quitenait h. Rome maudite avait mis les masses en Allemagne.Ces violences et ces pillages trouvaient une legitimationdans la nouvelle doctrine, comprise dans ce qu'elle avaitde haineux et de brutal : on s'enorgueillissait de punirla bete de l'Apocalypse. Le due d'Urbin, un des confé-dérés, qui assiegeait Genes, le marquis de Saluces cher-chèrent en vain à couper le passage aux bandes de laStraf expedition. Le due de Ferrare les aida à satis-faire des rancunes. Jean de Médicis, le Mare condot-Here, mourut à vingt-neuf ans en les affrontant. Le con-nétable de Bourbon se déshonorait en soutenant cetteaction infAme dont il Rail le supreme commandant, et, dureste, dans le camp oppose, les mémes pratiques sauvagesavaient été adoptées par les soudoyers en déficit de payes.L'intervention de Launay, un Flamand, le vice-roi deNaples, qui vint A Rome et eut une entrevue avec celuiqui jouait absolument le r6le royal d'un Alaric, restacompletement inutile. On était A la merci d'ufie arméed'anarchie qui ne respectait et n'épargnait rien. Mepri-sant toutes les regles de la tactique, pourvu surpriftceux qu'il voulait dépouiller, Bourbon laissa méme der-rière lui son artil/erie. Un coup d'arquebuse, que le grandorfèvre Benvenuto Cellini devait se vanter d'avoir tire,mit fin à cette vie arrivée aux dernières limites de ladéchéance, mais pour Rdme .c'était encore pire que,-

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164 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

d'avoir à faire avec la seule haine vengeresse de Frunds-berg et de ses Allemands.

Prise d'assaut par ces vauriens, la cite des empereurset des Papes fut pendant deux mois entiers le théâtre des.excès les plus révoltants. Jamais une population haute-ment cultivée, conservant des trésors d'art inestimables,ne fut livrée à de pareilles extorsions, ne dut subir desactes de cruauté et de lubricité si dégradants. Les cardi-naux furent trainés par les rues montés sur des ânes etroués de coups. Il y eut bientdt la peste. Le vice-roi deNaples ne parut un moment que pour s'enfuir devant lesmercenaires qui ne reconnaissaient d'autres maitres queceux qui leur permettaient tout, entre autres encore unprince français, Philippe d'Orange. Non secouru, le Papeétait assiégé dans son château de Saint-Ange : il capitula,restant otage pour le paiement d'une somme considerableet cédant par un traité forma, conclu, bien entendu, aunom de l'empereur, qui faisait prier pour la délivrancede Rome 1, les villes, disputées, de Parnae, Plaisance etModène, alors que les Vénitiens, cependant ses allies, nese faisaient pas scrupule de reprendre Ravenne et queles descendants des anciens seigneurs chassaient les gou-verneurs pontificaux de Rimini et d'Imola, que Florences'insurgeait contre la famille, impopulaire, du pontife. Ilfut question d'une retraite h Avignon, où on aurait ras-semblé un concile sous la protection des rois, étroitementunis, de France et d'Angleterre 2

ll est bien certain que dans tout cela la responsabilitédu chef laic de la chrétienté était nulle. On voulut cepen-dant l'en charger, et ces deux rois, ligués contre ce qu'ilsappelaient son ambition, lui déclarèrent la guerre. Charlesrappela l'engagement formel qu'avait pris François deréintégrer, en cas de non-execution du- traité de Madrid,sa prison espagnole ; on lui répondit que, pour etre pri-

i Gaillard. ouvr. cité, II, p. 337.I Ibid., p. 340. On avait proposé It Francois d'épouser la fille de

son ami.

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CHAPITRE VI 165

sonnier de quelqu'un, il faut avoir été pris de sa main.On alla jusqu'aux invitatrôns réciproques à un combatsingulier, François écrivant lui--meme la sienne, chosedigne de pareils chevaliers. Alors que le monde se déta-chait de l'héritage du passé, marchant difficilement àtravers une épouvantable anarchie vers un avenir incer-tain, ses chefs couronnés vivaient dans tous les préjugésd'Une époque qui expirait. Echanger des défis par deshérauts d'armes, alors que Rome s'était à peine délivréede la plus barbare des tyrannies et que le Pape étaitcaptif, peut-on imaginer une plus cruelle ironie ?

Malgré les défis solennels, melés d'accusations désho-norantes et de homériques injures, François n'alla pasretrouver Charles, « l'élu en empereur », sur les rives dela Bidassoa. Mais Lautrec avait passé les Alpes des lemois de juillet 1527, avec une vraie armée, qui contenaitaussi des Suisses et des lansquenets, des Gascons deNavarre. Mais il n'accourut pas délivrer le Pape, se met-tant, d'une façon plus égoiste, à la conquete du Mila-nais. Genes fut occupée par les Fregosi et les Doria, lesFrançais continuant A avoir la supériorité sur mer. Paviefut prise d'assaut. Les dues de Mantoue et de Ferrare serangèrent du côté du vainqueur, qui avait pris déjà lechemin de Rome.

Déjà Charles avait considéré le Pape comme son pri-sonnier et négociait avec lui sur les conditions de sadélivrance. Clement n'attendit pas l'armée de Lautrecil consentit A. se racheter par le paiement d'une rançonimportante et céda Civita-Vecchia, Ostie et Forli (dicem-bre 1527). Travesti, il s'échappa de cette ville profanéeque l'empereur élu considérait comme d'aussi bonne pri-se, son seigneur ensemble, que n'importe quetle bicoque.

Les Français ne furent pas arrétés par cette conven-tion. Ils chassèrent les petits princes usurpateurs duPatrimoine et poursuivirent sur la route de Naples. Lenouveau vice-roi, de Moncada, un Espagnol, et le princed'Orange n'osèrent pas livrer bataille à Troia. Bientôtseules Naples, Gaete et Manfredonia resterent avec leurs

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garnisons impériales ; Lautrec avait donné aux Véni-liens, qui n'avaient pas oublié leur séjour en Pouille,Monopoli et Trani, Brindisi et Otranto. On essayait ducôté de Sicile, on combattait en Sardaigne. Moncada péritA Salerne ; Lautrec lui-même cependant succomba à lapeste, après avoir vu le changement d'attitude de Doriaqui, établi A Crènes, proclama la liberté de sa patrie et enenvoya les galères devant Naples, imprenable. Le lende-main de sa mort, le marquis de Saluces signa une trévedéshonorante, et la retraite d'une armée affaiblie par lamaladie et mal conduite commença.

Pendant ce temps, les Vénitiens, loin de réduire deLeyva, depuis si longtemps assiégé à Milan, perdaientPavie, et de nouveaux contingents de lansquenets, sousle due de Brunswick, descendaient par le Tyrol. Lestroutles fraiches du comte de Saint-Pol ne purent sauverni le château de G8nes, ni Savone. Enfin il se laissabattre par l'assiégé de Milan. Et, liant de cette façon sesintéréts à ceux du Pape, Charles, qui promettait A Clé-ment Reggio, Modène, Ferrare, Ravenne, installait A. Flo-rence Alexandre de Médicis, auquel il faisait épouser safille bâtarde Marguerite, et recevait l'investiture duroyaume de Naples.

Il était question, bien entendu, aussi de cette guerrecontre les Turcs qui était devenue d'autant plus néces-saire que Soliman avait pris, en « roi de Hongrie » etsuzerain du prince transylvain, auquel une autre Diked'élection avait donné la couronne de Saint-Etienne,avec la possession de Bude, l'offensive contre le roi Fer-dinand. La Paix de Cambrai (« paix des dames »), parlaquelle, avec l'Italie entière, qui d'elle-méme avait pré-Ur& se livrer an Habsbourg, François cédait ses droitsen Flandre et en Artois, ainsi que la possession d'Arraset de Tournai, la Bourgogne devant appartenir au filsqui naltrait du mariage, enfin conclu, avec Eléonore,laissait A Charles les mains libres pour la croisade qu'onexigeait de lui et dont sa conscience reconnaissait ledevoir.

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CHAPITRE VI 167

Pendant ces luttes sans résultat appréciable, chacun-restant dans ses positions antérieures et la question del'Italie n'étant pas encore solutionnée, le Sultan Solimans'était préparé à une nouvelle lutte du côté de la Hon-grie, cette fois contre l'élu de Presbourg, qui prenait letitre royal en concurrence avec Zápolya, au deux moisauparavant à Tokaj, qui avait fait ensevelir le corps dumalheureux Louis II à Albe Royale et s'était gagné l'appuides Croates, sinon aussi des Esclavons conduits par lesFrangepani. Il avait vu avec colère le couronnement en1528 du Habsbourg, et les offres faites à Constantinople,au nom de Ferdinand, avaient été repoussées. Le frère deCharles-Quint avait vaincu et tué Christophe Frangepani,qui s'arrogeait la qualité de « tuteur et administrateur »aussi pour la Croatie et la Dalmatie ; les soldats alle-mands avaient défendu Jaice, bientôt conquise, contre lesjanissaires. Il est done bien explicable que le Sultan eiltreconnu, après l'ambassade du Polonais Jérôme Lasky,Zápolya comme roi de Hongrie, se disposant à le soutenirde toutes ses forces. Les princes roumains, Radu le Vala-que, qui devait étre We par ses boiars au commencementde l'année suivante, et le Moldave Pierre à la barbe rare(Rares), bâtard d'Etienne-le-Grand, et un vrai hommepolitique de la Renaissance dans ses Carpathes, atten-daient une décision par les armes pour mieux pouvoirs'orienter. Au début ils étaient influencés par la puis-sance supérieure en apparence, de l'Autrichien, mais dèsle printemps de l'année 1529, lorsque celui-ci voulut.prendre possession de la Transylvanie sur laquelle Pierrelui-méme avait des projets, les siens rencontrèrent uneforte armée moldave ; malgré le concours des Saxons,qui formaient la partie la plus importante de ces troupes,les Impériaux furent compiètement battus, perdant touteleur artillerie, sous la colline de Marienburg-Feldioara,la Földvár des Hongrois.

Soliman parut enfin en été, à travers les tragiques-champs de Mohács, pour affirmer son pouvoir. C'est surcette place fatale au royaume de Saint-Etienne gull selit préter solennellement l'hommage par le Voévode

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168 ESSAI DE SYNTIASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

Jean », auquel on avait laissé de grace une couronne de-vassal. Zapolya fut reçu en roi, l'empereur musulmamde l'Orient se levant et faisant quelques pas it sa ren-contre ; il fut invité à s'asseoir sur un siège plus bas,comme Manuel Conmène l'avait fait déjà pour Louis VIIde France. Ibrahim lui-méme resta chargé d'installerdans la citadelle de Bude ce représentant de l'Empirele Sultan le suivait. La garnison placée par Ferdinandrésista à peine quelques jours. Tout pillage fut défendu,et seuls quelques Allemands furent la viotime des soldatsottomans, furieux de cette défense. Le roi Jean fut doneassis par un officier turc sur son siège de vassalité, et onfinit par lui trouver aussi la couronne, cachée à Visegrad,de Saint-Etienne.

Aussita les spahis serbes et les troupes d'un membre.de l'ancienne famille des Mihaloglis, qui prétendait des-cendre par les femmes de la Maison de Savoie et de cellede France, furent jetés sur les provinces autrichiennes. Ala fin de septembre déjà, les avant-coureurs se trou-vaient, faisant une récolte de tétes sanglantes pour leMaitre, devant Vienne. La tente rouge du Sultan fut plan-tée dans quelques jours sur les hauteurs voisines de lacapitale autrichienne, défendue par le vieux chef delansquenets Katzianer, qui avait connu les Turcs -enBosnie, et par le comte de Salm, flanqués d'un seul princeallemand, le jeune Palatin Philippe. Si la saison n'avaitpas été aussi avancée et le climat dussi dur, si les Turcsn'avaient pas eu la coutume de retourner à la Sailit-Démètre, peut-étre l'Europe chrétienne, déChirée par ses-discordes mesquines, aurait-elle vu les janissaires et lesspahis faire leur entrée solennelle dans cette capitale des-Habsbourgs, dans l'enceinte de laquelle le Corvin Mathiasavait fini, quarante ans auparavant, sa vie de « César »de la chrétienté orientalei.

i Pour la &Anse de Vienne, Joachim de Brandebourg envoya sonIlls avec 20.000 cavaliers et de nombreux fantassins ; il y eut 2.000,des premiers, 3.000 des autres pour la Saxe : Louis de Bavière futchoisi pour conduire les 15.000 gens pied des pays d'Empire ;

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CHAPITRE VI 169

Le retour fut cependant celui d'un triomphateur. ZApo-lya parut bien humblement devant son maltre, qui !Ili fitdon à cette occasion de la couronne sacrée du roi apos-tolique. En décembre, le Sultan se reposait des fatiguesde cette longue campagne de prestige au cours delaquelle, malgré la grandiloquence des courtisans deCharles et de Ferdinand, aucune armée n'avait paru pourlui offrir bataille, lorsque, après que l'attaque des « Fer-dinandistes » en Valachie, en faveur d'un prince chassépar les siens, Moise, efit été complètement repoussée parVlad, adversaire de ce dernier (1530), les ambassadeursdu « roi de Vienne » se présentèrent à Constantinople.Soliman leur fit signifier que leur maitre, qui s'essayabientôt contre Bude, s'engage à évacuer les provincesqu'il occupe, son frère lui-même devant s'en aller enEspagne.

Or, dès le commencement de l'année 1530, Charles, quiavait pu tenir, en 1529, une Dike solennelle à Spire, oùfut interdite seulement la prédication de certaines doc-trines luthériennes, alla se faire couronner dans cetteItalie que son autorité recouvrait plutôt de forme, mknedans le royaume de Naples, ott le vice-roi agissait enprince.

Le couronnement eut lieu A Bologne, où, quinze ansauparavant, François avait baisé les pieds, la main et laboucle de Léon X, se déclarant prk à « exécuter sesordres 2 ».

L'empereur élu était venu avec toute une armée de4 à 5.000 gens de pied et 2.000 cavaliers ; il y avait 2.00Dpages de la plus haute noblesse autour de sa personne, et

Albéri, Relazioni, I, p. 111. En 1530, on refusa tout it Ferdinand,s'offrant à l'empereur seul, pour une guerre générale ; ibid., pp. 129-130. Cf. aussi ibid, pp. 138-139.

Gesch, des osmanischen Reiches, II, pp. 405-414.2 Gaillard, ouvr. cite, IV, pp. 25-26. Leon avait été comme cardi-

nal prisonnier des Français à Ravenne. On parlait d'une inféoda-tion avec l'empire d'Orient ; ibid, p. 30.

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170 ESSAI DE SYNTHESE DE L'IlISTOIDE DE L'HUMANITÉ

les princes allemands étaient présents : l'oncle de Charles,Georges d'Autriche, 'le marquis de Brandebourg, h cbtédes lialiens, le marquis de NIontferrat, Alexandre de AI&dicis, qu'il feindra à tout priir vouloir imposer, intliger àFlorence, résolue à ne pas l'accepter, et le puissant, le vic-torieux André Doria. On parlait avec admiration des 700Espagnols commandés par de Leyva, des 1.000 soldats envieux costume bourguignon ; une cinquantaine de canonsdonnaient le salut. Le cheval, l'armure dorée recouvertede brocart, le petit chapeau de velours noir sur la tète,l'empereur avait un aspect imposant 1.

Les anciennes cérémonies furent strictement observées,et on vit le jeune César jeter des monnaies h la foule. Auson des trompettes, ce prince se dirigea vers la maison oàl'attendait ce Pape qu'il avait vu, quelques mois aupa-ravant, accourir en pénitent chez lui, à Barcelone. Il baisale pied et la main, puis la joue du pontife, se mit h genoux,téte nue, devant lui, pour recevoir les investitures. Accom-pagné par son ancien prisonnier, il se présenta devant lamultitude, charmée de ce spectacle extraordinaire, quieriait : cc Carlo, Carlo, Imperio, Imperio ». Un sermentsolennel fut prêté par le roi des Lombards à l'église avantde recevoir l'épée (février 1530) 2.

Les deux autorités suprémes du moyen-Age parais-saient se réunir pour imposer h. la chrétienté la paixnécessaire, pour y introduire l'ordre nouveau. Comme,pour le moment, il n'y a pas d'influence de la monarchiefrançaise en Europe, on peut penser h. tous les problèmesjusque-là retardés par le duel italien. Une Diète est con--voquée à Augsbourg en juin suivant, et la question desluthériens sera posée ouvertement, ce qui était d'autantplus nécessaire que déjà il y avait tout un parti gagnépar les idées de Réforme, dans lequel le nouvel Electeurde Saxe, Jean, et le landgrave Philippe de Hesse, l'ElecteurJoachim de Brandebourg méme, les princes d'Anhalt, de

1 Brantenne. Il avait avec lui aussi des lansquenets.2 Voy, les rapports dans les Diarii de Sanudo, LI et LIT.

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CHAPITRE VI 171

Brunswick se rencontraient avec les riches et puissantesvilles de Nuremberg et de Francfort, où tant de Dikess'étaient réunies, de Hambourg, la vieille cite hanséati-que. Les protestants le nom leur venait de la protesta-tion contre les decisions inhibitives de Spire s'enten-daient avec leurs adversaires catholiques sur un seulpoint, celui de la nécessité d'un Concile general, tel quel'avait déjà demandé, du temps d'Adrien, la Dike deNuremberg.

Cette fois, tout en rejetant la confession due à Melanch-thon, le savant ami de Luther, on paralt y penser trèsserieusement : il ne s'agit pas seulement d'une nouvelleDike allemande, mais bien d'une reunion générale de lachrétienté, par laquelle aurait été rehaussé le rôle del'empereur, paraissant dans la gloire de Sigismond à Cons-tance. Il fut decide que la reunion aura lieu dans sixmois. Et le Pape fut chargé de lancer les invitations h tousles princes et à toutes les Republiques de la chrétienté,ce qui fut, de fait, execute.

Il fallait en méme temps avoir, à côté de l'empereur,un roi des Romains. Charles réussit à écarter la candida-ture de son parent de Bavière 1 et à faire élire son frèreFerdinand. Ce pauvre jeune homme, maladif et thnide,d'un esprit mediocre, de manières gauches, ignorantl'allemand, se présenta donc en janvier 1531 à Aix-la-Chapelle, et une brillante assemblée, dans laquelle il yavait, sous les railleries des protestants, un légat duSaint-Siege, ui donna le titre qu'il ambitionnait. La suc-cession de la Maison d'Autriche h l'Empire Rail ainsiassurée.

C'était une provocation. Les princes amis de Lutherétaient informés que Charles prepare un coup contreeux 2.

D'aprés l'exemple de l'Italie, de la Suisse, ils se « ligué-

Relazioni, I, p. 118.2 Voy. Sanudo, Diarii, LII, p. 72.

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rent » à Schmalkalden, en territoire hessois, le 27 février1531, mais encore sans aucune intention d'attaquer. Lesdeux ducs de Bavière s'étaient réunis A. la Saxe poursigner une protestation publique contre les conditions-dans lesquelles le frère de l'empereur avait été élu. Laprotection du roi de France sera bientôt invoquée pourdéfendre les constitutions de l'Empire, violées par unprince qui n'avait été fait empereur qu'en lui faisantjurer de les observer.

Le danger turc, réapparu en 1532, devait donner cepen-dant une autre tournure aux affaires, retarder les ententeset empécher les conflits qui, surtout après la conventionconclue entre François et la ligue protestante à Esslin-gen, pouvaient paraitre préts à éclater.

Dès 1531, après avoir refusé le tribut offert par lesambassadeurs du roi Ferdinand, le Sultan se préparaitA une nouvelle expédition. Cette fois, Ibrahim indiquaitlui-méme, très clairement, son but, qui n'était pas celuide regagner pour la Hongrie de Zápolya, réconcilié, dureste, par une trève, avec son rival, les provinces occupéespar le Habsbourg. « L'empereur », écrivait-il, « n'est pa&venu dans ces pays pour porter préjudice à ces pauvresgens, mais seulement pour chercher le roi Charles d'Es-pagne, car ne fait que troubler le monde entier,chasser des rois et des dues et leur rendre leurs posses-sions contre argent ; il s'est posé la couronne sur le frontet prétend être l'empereur universe' 1 »

Mais, comme le roi Jean n'était pas resté sous lesordres du Sultan, le caractère de la campagne changeabientôt. Malgré la présence d'un émissaire français, carc'est A ce moment seul que les relations amicales com-mencèrent, sans avoir rien de public, entre François etSoliman, on s'attaqua h des châteaux de la Hongrie-« ferdinandiste ». Ils ne résistérent pas, jusqu'à Giins,Köszeg pour les Hongrois, sur le chemin de Vienne, cita-

Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 415.

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CHAPITRE VI 173

delle qui avait une garnison allemande, assez importante.li fallut une semaine pour la réduire. Sans risquer unenouvelle marche, impossible, sur Vienne, bien gardéecette fois, méme par les contingents espagnols, la grandearmée ottomane se dirigea des le commencement de sep-tembre 1532, par la Styrie, pays autrichien, où fut accor-dée toute faculté de piller. A côté, Gran etait cernée parle favori italien du Sultan, un Ward de doge, AloisioGritti, avec des bandes tatares. C'était la seule façon dontpouvait se manifester l'aversion du Sultan contreennemi qui n'osait pas sortir en campagne contre lui.Bientôt les des de Gran furent portées solennellementConstantinople par une nouvelle ambassade du roi Ferdi-nand.

C'était un acheminement vers la paix, et de fait ellefut bientôt obtenue par le Dalmate et le Hollandais aux-quels avait été confiée cette mission si difficile. Du reste,l'Empire ottoman n'avait plus rien à réclamer de ce a roide Vienne » dont le rival ne montrait pas une fidélité atoute épreuve. Les affaires hongroises en litige furentsoumises à l'arbitrage de Gritti, dont l'ambition visaitplutôt des trésors qu'une couronne 1.

Mais tout cela ne regardait que le nouveau « fils » duCesar musulman ; quand à « l'Espagnol », on n'enten-dait guère lui serrer la main. Lorsque plus tard, en 1534,on parlera A. Stamboul en son nom, la réponse fut netteCharles doit épargner le Pape, chef de la chrétienté, uni-que chef de ce bloc d'Etats que la pensée turque, influen-cée par le Caran, confondait, et se réconcilier avec l' « em-pereur de France 2 ».

Car, des 1532, l'empereur avait entrepris lui-méme, parmer, le Sultan n'ayant à sa disposition qu'une marine tresmediocre et le concours, presque dangereux, du mo-

Ibid., pp. 419-420.Ibid, pp. 415-419.

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narque des pirates mediterranéens, le renégat ChaireddinBarbarossa, la guerre sainte qu'il avait promise, qu'ilcroyait devoir à la couronne dont il venait à peine deceiridre un front.

Une flotte armée par les deux Puissances centrales ducatholicisme fut mise sous les ordres d'un chef connneDoria, Venise se bornant à armer des galères d'observa-tion, qui garderont, bien qu'il s'agit, de la part de Charles,d'une tentative sur les anciennes possessions de la Répu-blique, une neutralité absolue. Les Turcs se retirèrentdevant les grands vaisseaux italiens et, sans combattre laflotte du Sultan, le chef de la « croisade » si modeste !

put occuper Coron et Patras, dont, nécessairement, lagarnison dut céder aussitôt après son départ. Deux ansplus tard, Barbarossa, ce « roi d'Alger », se reconnaissantsimple vassal de l'empereur constantinopolitain, chassaitde Tunis Muley-Hassan, le dernier de la vénérable dynas-tie des Hafsides, et s'y établissait en prince, menaçant laSicile et l'Italie méridionale, qui vit bientôt les siensReggio et à Fondi. Mais la Perse du grand et doux ChahThamasp, cette « France » des Impériaux ottomans,s'était de nouveau levee, pour arréter l'établissement dela « thalassocratie » turque.

Pendant ce temps et pendant les années qui suivirent,jusqu'en 153G, Charles régna en vrai empereur sur l'Occi-dent.

Il avait perdu, il est vrai, l'amitié du roi d'Angleterreamoureux d'une compagne de la reine, Anne Boleyn, fIlledu duc de Norfolk, qui avait fait partie de la Cour frivolede Marie, reine de France, puis duchesse de §affolk, etavait passé quelque temps A Paris, ce gros homme sen-suel, complètement dénué de scrupules et d'une parfaiteindifférence à tout jugement de l'opinion, cet inexorablevengeur, contre ses plus proches, des injures, réelles ousupposées 1, voulut se séparer de sa femme, depuis long-

I 11 déclarait aux Véniticns ce qui suit : a le roi de France est

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CHAPITBE VI 175.

temps délaissée, la tante de Charles. Invoquant le mariage-antérieur de Catherine avec le fils ainé de Henri VII,Arthur, il demanda à Rome le divorce, et, comme ons'attardait sur la décision, il la prit lui-méme, par unmariage secret avec Anne, puis par une sentence de sapropre Eglise dont lui, adversaire acharné de Luther, parla plume aussi, n'hésita pas à se declarer, contre toutprécédent, le chef indépendant

Mais d'autres royautés étaient dépendantes de la cou-ronne impériale. D'abord Jean III, le successeur du grand« découvreur » de terres d'Occident qui avait été dom.Manuel.

Cet Etat, d'une si faible étendue en Europe, s'étaitgagné une importance toute nouvelle, reposant sur uneflotte de commerce nombreuse et sur des revenus con-sidérables, par le monopole des Indes, par l'exploitationexclusive des chemins maritimes qui y menaient. Déjà, en1317, un Génois, concitoyen du premier explorateur -enOccident, Lancelotto Malocello, Pezagno, était allé cher-cher dans ce but le roi Denis 2. On était à Madère en1417. A une date où les royautés espagnoles ne pensaientpas même, leur situation géographique étant tout autreet des préoccupations politiques de premier ordre les.retenant dans une autre mission, à chercher dans l'incon-nu de la Mer (l'Occident, le prince Henri, dit le Naviga-teur, demi-fils d'une princesse de Lancaster, Philippa,s'établit sur la côte océanique pour mieux diriger et sur-veiller les chercheurs portugais d'aventures. Le cap Boja-

mon allié, et, bien possréde la France, dont je porte le titre, irme paye un tribut annuel » ; Rawdon Brown, Four years at thecourt of Henry VIII, selection of dispatches written by the venetianambassador Sebastian Giustiniani..., January 12th 1515 to -July26th 1519, I, Londres, 1854, p. 237.

I Cf. J. A. Froude, The Divorce of Catherine of Aragon, the storyas told by the imperial ambassadors residant at the court of HenryVIII, in usum laicorum, Londres, 1871.

2 Suit la découverte iles Iles Canaries par un Génois et un Flo-rentin. L'infant espagnol de la Cerda en Raft le maltre vers 1350.

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176 ESSAI DE SYNTIIPSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITH

dor, les Açores sont touchées en 1432. Le roi Edouardmourut en croisé contre les Marocains, mais ses succes-seurs poursuivirent l'oeuvre sainte. En 1446 on était auSenegal, au Cap Vert en 1447. Le Pape Martin créa parbulle un domaine portugais exclusif dans ce « mondenouveau ». Après la fondation d'une compagnie, on est,avec Diego Cam, en 1482, au Congo. Des 1436, les Portu-gais se trouvaient sur cette « ate d'Or » de la Guinée oùdes Français rivaux de Jean de Béthencourt, voyageuraux Canaries, se risquèrent aussi, sans compter l'appari-tion, des 1343, du Catalan Jacques Ferrer sur cette mêmecôte. Tanger fut conquise comma nouveau point d'appuisur cette côte de l'Afrique occidentale en 1471. SierraLeone était exploitée des 1462. Et, pour couronner l'aeu-vre d'un siècle entier de risques, en 1486 BarthelemyDiaz, arrivant jusqu'au point Sud extreme de ces rivages,réussit A. tourner devant le Cap des Tempétes, devenucelui « de Bonne Espérance », l'Afrique.

Colomb, qui, malgré ses rapports avec les rois catho-liques, ne représentait pas l'essor naturel, le développe-ment normal d'une action d'Etat, venait d'arriver auxAntilles, sans savoir au juste ce qu'il avait trouvé, lorsquel'Empire portugais, qui avait abandonné le terrain decroisade et poursuivait de simples buts de commerce,réussit enfin, en 1494, A. atteindre cette péninsuleindienne, dont venaient les épices, article essentiel ducommerce oriental A cette époque. Vasco de Gama trouvad'abord sur le rivage de la Mer des Indes des Etats ara-bes, d'une ancienne organisation, qui continuaient la fon-dation des Axoumites connus par Byzance des le V sie-cle. Puis, le 29 mai 1498, son equipage éprouvé par lesplus dures difficultés et privations, pouvait enfin se trou-ver au milieu des Indiens, des vrais Indiens, de la racearyenne, A Calieut. L'entreprise devait arriver bientôt Ase soumettre toute la region côtière de Malacca et les Ilesde la Sonde A Goa, A Socotora et A Ormouz, sur le golfe dePerse. Un voyageur qui avait dévié, Alvarez Cabral, tou-cha des 1500 A. la côte du « bois rouge », du Brésil, qu'il

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CHAPITRE VI 177

nomma « La Sainte Croix », l'Espagne ayant une « VraieCroix » au Mexique, alors que Colomb connaissaitpeine, dans la région qui porte son nom, le rivage septen-trional de cette Amérique du Sud.

Alors que les Gabotto pénétrèrent dans la rivière amé-ricaine de Saint-Laurent, étant suivis, pour la France, parJacques Cartier,Ribaut, Landomière, de Gourgues, lesCortereal, les Covicham, les Paiva, les Ponce de Leon, quidécouvrit en 1512 la Floride, les Verazzano les Aylion,les Narvaéz et les Sotto, les d'Acunha, qui abordentMadagascar, un Perez, qui apparait à Canton, un Seguei-ra, qui pénètre en Abyssinie, un Correa, qui descend auBengale, un Henriquez, qui est devant Célébes, un An-toine de Muta, qui connait lè Japon, servaient leur roi duPortugal. Ici il y avait, malgré la faiblesse d'une base dis-putée par les princes arabes et menacée (Ms 1523 par lesOttomans 1, malgré les appréhensions du Soudan, un vraidomaine, sous un vice-roi comme Albuquerque ; et endépit des conflits pour les colonies, on. le Portugaln'admettait pas de rival 2, presqu'un empire. Il ne fut pasentamé, en 1538, par la révolte des indigènes contre levice-roi et contre son grand patron musulman, le « Grand-Mogol » Houmaioun ; les Portugais défendirent avec suc-cès Diu contre les Turcs d'Egypte, qui avaient occupéAden 3. En regard de ce que cette petite nation au grandccuur avait accompli, la situation des Espagnols dans lenouveau Monde, avec leur mélange de souvenirs des croi-

t Al ?pal (au Sultan) par che etiam habbino dato cura di deve-dar a Portoganesi ii tuor delle specie in India, et fanno gran pen-sier de retinerle al luogo suo primo per la utilitit et commodo cheIle 6 per recever quest° Signor et suo paese ; Notes et extraits, VI,p. 103, n° 149.

2 Non vuol ché alcun altri huomo, sia chi si voglia, vada a (Veinluoghi ; rapport vénitien dans Albéri, Relazioni, I, pp. 182, 300-301;II, pp. 48-50. Charles avait cédé contre 400.000 ducats au Portugalla navigation aux Moluques ; ibid., I ; cf. ibid., p. 85. L'aocas auBrésil et h. la Guinée fut aussi défendu it des Normands, des Bre-tons, des Picards ; ibid., pp. 182, 219. En 1546, le roi du Portugalest o nelle braccia dell'imperatore n.

8 Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 365.

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178 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

sades et de brutalité conquérante sous le drapeau desaventuriers, les conquistadores, représentait bien peu,quelle que lilt 'Importance, certainement exagérée, destransports d'or envoyés par les officiers d'Etat qui rem-placerent un Cortez au Mexique et, au Pérou, autre centred'une belle civilisation millénaire, impitoyablementdétruite, un Pizarro et un Almagro.

Mais le roi du Portugal, pere d'un fils non viable, &all,par sa sceur et par sa femme, le beau-frere de Charles-Quint ; le fils de Jean III épousa Jeanne, fille de l'empe-reur, et le petit-fils de celui-ci la fille de Jean ; la sceur del'empereur, mariée à François Pr, était veuve du roidéfunt, et sa fille née du mariage avec dom EmmanuelRail restée en Portugal 1 Malgré la frontière entre laCastille et le royaume du roi Jean, il y avait bien l'unitéd'action dans la péninsule ibérique dont Charles avaitbesoin pour cette « monarchie » que l'historien du règne,Jean Sleidanus, mettait en rapport de derivation légiti-me avec les trois autres qui l'avaient précédée 2.

Jusqu'au lointain Nord scandinave, où la France seconnaissait depuis longtemps un allié, malgré les rap-ports étroits entre l'empereur Sigismond et le roi danoiscontemporain, l'influence de l'Empire restauré se faisaitsentir.

Le successeur meme de la grande reine Margueriteavait été un Poméranien, Eric, qui porta devant un tribu-nal de princes allemands son proces pour le duché deHolstein et eut des rapports étroits avec Sigismond, qu'ilsuivit h Bude pour aller ensuite en pelerinage aux Lieux-Saints. Le roi Christophe, neveu, par sa mere, d'Eric,venait de la Baviere rhériane, son pere ayant été le Pala-tin ; c'est celui dont les instincts féodaux ont reveillela rebellion du paysan suedois Engelbrechtson, puis laproclamation à Stockholm d'un roi séparatiste, Charles

1 klbèri, Relazioni, I, p. 182.1 De quatuor monarchiis.

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CHANTRE VI 179

Knudson (1448-1457). Le roi Christian, né d'un comted'Oldenbourg et d'une princesse du Holstein, est l'épouxde la fille du marquis de Brandebourg. Son fils, qui finitson régne en 1513, s'appelle Hans, et c'est sous la tutellede sa mère allemande qu'il commence h. régner ; Louis XIvoulut lui donner une de ses filles, et Ia sceur de Hans semaria en Ecosse. En querelle avec ses sujets, le misérableroi voulut les faire attaquer par les Ecossais et même parles Moscovites. Il envahit la Suède en 1497, avec uneforte armée, mais la soumission apparente du pays nedura que jusqu'à la grande révolte de 1501, la reine elle-méme étant mise en prison ; le pays des Ditmarses libresrésista en 1500 h tous les efforts de cette royauté de carac-tère et d'intéréts étrangers.

Aussitôt installé sur le triple trône du Danemark, dela Norvège et de la Suède, où Sténon Sture, dans sa situa-tion « d'administrateur », s'était montré indélogeable, lefils de. Hans, Christiern, épouse la sceur de Charles-Quint,Isabelle. II fait la guerre aux Suédois avec une armée delansquenets et d'aventuriers allemands, tout en gardantles bons rapports avec les anciens amis de la dynastie, enEcosse et en France. En 1520, il se faisait couronnerStockholm, après la mort de Sténon II Sture et la défaitede sa veuve, et une centaine de membres du Sénat mon-tèrent à l'échafaud dans la capitale seule. L'année sui-vante, on le vit dans la suite de son beau-frère impérial,qui lui reconnait des droits sur le Holstein, gouverné parson oncle, Frédéric. Avec celui-ci, qui fit détrôner sonadversaire, le courant germanique, l'attachement à l'Em-pire devaient persister ; la marine de Liibeck l'aide h sesaisir de la capitale danoise, abandonnant la SuèdeGustave Wasa, qui s'est fait proclamer roi. Bien queluthérien, comme .ce roi de Suède lui-méme, il jouit plusloin encore du concours de Charles, qui lui donne dessoldats pour combattre contre la Norvège rebelle. Ce nefut pas sans l'intervention de la volonté impériale que lefils de Frédéric, Christian, conquit, après deux ans de*combats, son héritage royal.

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180 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

Du reste, une princesse de Danemark sera mariée audue de Milan. Dans cette Italie, le due de Savoie, récom-pensé par la cession du comté d'Asti, restait attaché Al'empereur qui, A la mort du marquis-évdque Jean-Georges de Montferrat, avait séquestré le pays. Florence&all retenue par son seigneur en vertu de la volonté deCharles.

En 1532 encore l'empereur était l'avoué de l'Eglisedans la lutte contre les Turcs. Il y eut dans l'armée raS-semblée pour s'opposer A Soliman des pontificaux, avecun légat, le cardinal Hippolyte de Médicis, que Charlesfinit par accuser de trahison, en vue de remplacer soncousin Alexandre A Florence. De leur art& un' traité entreles rois de France et d'Angleterre les obligeait, en 1532, A« obvier aux dampnées conspirations et machinations etrésister aux dampnés efforts et violences du Turc, ancienennemi et adversaire de notre sainte foi l ». En 1533,Charles, qui résidait en Italie, comme empereur enten-dant régner, parlait de son dessein d'avoir une arméeitalienne préte contre les Infidèles 2, qu'il avait fait atta-quer par Doria, mais au nom de cette république de GAnesque le roi de France considérait comme en rébellioncontre ses droits de souverain 3.

Mais cette conduite de la chrétienté par l'union de sesdeux chefs rencontra bientôt deg empéchements. Bienque François, conquis par l'esprit de l'époque, se filtplaint des abus du fisc apostolique, il faisait l'impossiblepour attirer A lui le Pape contre cette ligue italienne réa-lisée par l'empereur, mais sans le Sainf-Siôge et sans

1 Gaillard, ouvr. cité, III, p. 35. En 1529, Henri avait manifestéson désir de participer it la croisade ; Bradford, ouvr. cité, p. 259,note. Cf. Rawdon Brown, Four years, p. 177. Voy. pour les déclara-tions de son influent ministre, le cardinal Wolsey, ibid., pp. 229 etsuiv., 293 et suiv., 299, 301, 313 ; II, p. 39. a Je voudrais », disait-il,a moi aussi me distinguer contre les Infldèles, mais pas en paroleset vanteries, recueillant de l'argent pour la croisade et ne faisantrim n ; ibid., p. 160. Cf. ibid., pp. 168-169, 175.

2 Gaillard, ouvr. cité, III, pp. 42-44.3 Ibid., p. 45.

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CEIAPITRE V1 181

Venise. Offrant h faire de la parente de Clement, Cathe-rine, la femme de son héritier, il attira le pontife chez luià Marseille. Il fut question de la Réforme, du projet deConcile, auquel tenait Charles, de la guerre contre lesTurcs (octobre, novembre 1532). Or, Clement mourut auretour.

Uri Farnese prit sa place, moins adonné aux preoccu-pations de la politique que son adversaire, et aussi moinschaleureux pour la guerre sainte. Il laissa h Charles lesoin de commencer, plutôt comme roi de Naples, dont lespossessions étaient contimiellement menacées par lesBarbaresques, entrés sous le gouvernement « royal » deBarberousse, la grande expedition de croisade.

L'empereur pouvait être Or que Soliman n'entrepren-dra rien pour defendre ce puissant vassal, plutôt nomi-nal, de sa puissance. Les querelles des Courdes avec lesofficiers ottomans de la frontière, les incitations du begOulama, sujet du Chah, qui avait passé au Sultan, duquelil tenait l'importante province d'Aderbeidschan, puisKara-Hamid, Diarbekr, avaient amend l'envoi d'Ibrahimen Asie. Il put entrer a Tebriz, où les princes du Cau-case vinrent lui faire hommage (1534). Suivant les tracesde son Vizir, Soliman lui-meme, h la tale d'une bellearmée, poussa jusqu'à Sultanieh sans trouver d'ennemidevant lui. Son bulletin de victoire fut rédige dans cestermes résonnants : « Par peur de ma lance le Kasilbach(la tête rouge), s'est enfui et n'a pas paru devant ma per-sonnel ». En décembre, le successeur de Sélim, concillé-rant de l'Egypte, put chevaucher h travers les rues de lasacrée Bagdad, jadis residence des califes, chefs religieuxde l'Islam. Les Turcs. devaient y rester, tandis que Tebriz,reprise une fois par Thamasp, puis de nouveau perdue,demeura au Chah apres le retour du Sultan h Constan-linople, au commencement de l'année 1536 2.

Sous la forme d'une simple expedition contre les Bar-

i Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 3'63.2 Ibid., pp. 364-365.

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182 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTCHRE DE L'HUMANITE

baresques, Charles prépara un coup contre la dominationottomane au Nord de l'Afrique.

Encore une fois, il chercha à paraitre en chef de lachrétienté occidentale. Il y avait dans sa flotte de soixante-quatorze galeres et trois cents autres voiles des vaisseauxpontificaux, portugais et une partie de la nouvelle marinedes Chevaliers Hospitaliers, ses hôtes. Un artiste specialdevait fixer les details de l'emprise. De Barcelone, on serendit droit A La Goulette, en face de Tunis ; bientôt Bar-berousse, traité par les Maures comme les officiers deJustinien par leurs ancélres, dut 'se réfugier A Alger, envaincu ; Mouley-Hassan, qui accepta une garnison et desstationnaires, reprit possession de son trône avec la mis-sion de s'annexer la vieille « Auffrique » des croisés duXIV' siècle, Bizerte et Bône (juin-aofit 1535).

Mais la flotte turque était intacte ; revenue à Cons-tantinople, elle put, dans quelques mois, reprendreBizerte, piller les Baleares, paraitre sur les côtes duroyaume de Naples, le Sultan lui-même arrive k Avlo-na, avec ses fils, se donnant l'air de vouloir se jeter sur ce.royaume italien de son adversaire. Il n'y eut cependantpas de bataille avec Doria, qui avait paru en regard de lacôte albanaise, devant Parga.

II y eut, en ¡change, une courte guerre provoquée parles pirates, contre Venise. Le Sultan descendit dans l'ilede Corfou, croyant pouvoir conquérir le chateau, mais lesVénitiens résisterent avec succès.

Tout effort serieux de ce côte-lh était cependant devenuimpossible par la reprise de la guerre en Occident.

Au bout d'une série d'offenses dûment constatées etsoulignées, François s'était decide A. en demander rai-son A ses ennemis permanents, au duc de Milan en pre-miere ligne. Comme son oncle de Savoie lui coupait leschemins, il occupa ses forteresses. Sforza mourut avantla nouvelle descente des Français en Italie (1535). Charlesvoulut prendre la succession de son protégé, François lademandant pour son fils, le due d'Orléans, mari de Cathe-

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CHAPITRE VI 183

rine de Médicis ; une candidature portugaise se présentahussi.

Malgré de longues négociations sinceres, il y eut en1536 une invasion du Piémont par les Français, qui, endehors des mercenaires engages un peu partout, dispo-saient maintenant de « legions » indigenes, organiséesla façon romaine et surtout espagnole. Par le pas deSuze on alla droit à Turin, qui ne fut pas défendue parle due. De Leyva, qui s'opposa au passage de renvahis-seur, prétendait cependant ne commander que les trou-pes d'une ligue italienne créée par Charles apres son cou-ronnement, mais qui jusque-là n'avait pas eu d'histoire.Et ce fut tout ; la diplomatie, atermoyante, reprit sesdroits.

Il y eut, néanmoins, bient6t cette guerre que l'empereuravait paru eviler. De Naples, Charles se rendit impéria-lement A Rome, en avril. Dans le palais même des Papes,il fit, devant les envoyés de François, le procès de lapolitique française en Italie, offrant le Milanais à unautre fils du roi, le duc d'Angouléme. L'empereur revintmême aux pratiques de l'ancienne chevalerie, offrant dedecider dans un combat singulier le sort de Milan et duduché de Bourgogne.

Le conflit commença par un assaut de pamphlets, com-me on n'en avait pas vu jusque-là. L'Allemagne y étaithabituée par la propagande luthérienne : les deux adver-saires couronnes sacrifierent l'un, apres l'autre à cettecoutume populaire. Le roi de France manifesta memel'intention de presenter sa cause devant une Diete. Accu-se de s'étre entendu avec les Turcs, il se faisait fort dedémentir ce qu'il considérait encore comme une calom-nie. On s'arrachait en méme temps les lansquenets, qui,ceux-là, n'avaient d'autre opinion que leurs payes.

Lorsque les hostilités reprirent au Piémont (bataillede Fossano, siege de Turin), oil le marquis de Salucestrahit le roi, on put voir que quelque chose de plus im-portant se préparait. L'armée impériale, sortp.nt du duchéde Savoie par Nice, entra en Provence, avec de Leyva, le

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181 ESSAI DE SYNTHÈSE DE VilisToinE DE L'HUMANITIi

vice-roi de Naples, le marquis du Guast, le duc d'Albe.Devant l'empereur, le pays fut saccagé par les Françaiseux-mémes, qui, forts d'un important contingent suisse,avaient établi, sous Montmorency, leur camp A Avi-anon Des villes comme Aix eurent le méme sort. Mais,oinalgré l'invasion de la Picardie par le comte de Nassau,malgré la douloureuse nouvelle de la mort du Dauphin,le roi, qui surveillait de Valence les événements, lesplus douloureux de son règne, resta inébranlable. Traquéepar les paysans désespérés de la ruine de leur avoir,l'armée ennemie continuait sa route sans rencontrerd'ennemi. Une tentative sur Marseille finit lamentable-ment. Aix ne fut pas assiégée, et la bataille d'Avignon,annoncée par Charles, n'eut pas lieu. La retraite fut cala-miteuse ; la flotte de Doria put seule sauver l'artilferieet le bagage1. L'insuccès de cette campagne vérifiait l'as-sertion du cardinal de Lorraine tlevant l'empereur que« le François a toute autre façon de faire A déffendre unpals de conqueste qu'à deffendre son propre pals, ses vil-les, ses champs, ses 'possessions, ses foyers, églises etautels 2 ».

Mais l'empereur put se faire gloire d'avoir insulté dansson propre pays un ennemi qui ne s'était pas montré.François, irrité de la sauvage dévastation de la Provence,fit assigner Charles devant un vrai tribunal, comprenantles pairs de France, les princes, les évéques, le Parle-ment, « et plusieurs autres gros personnages de tonsestats », en sa qualité de comte de Flandre, d'Artois etde Charolais, possessions qui devaient étre confisquéescomme l'avait fait Philippe-Auguste pour celles de Jean-sans-Terre, et l'armée eut mission exécutoire 3.

L'année suivante, il n'y eut que'la guerre de forteressesen Picardie et en Artois. Charles avait cru chasser sonennemi de l'Italie ; il avait fait dévaster une admirable

i Gaillard, ouvr. cité, III, p. 215.2 Mémoires de Martin et Guillaume du Bellay, éd. Bourilly et

Vindry, III, 1912, p. 25.3 Mémoires eités, III, pp. 347-348.

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CHAPITRE VI 185

province, mais il n'était pas arrive A la gloire des batail-les. On continua à se battre au Piémont, mais une trèvemit fin, en juillet, aux hostilités en France meme. Lors-que, de nouveau, les Français débouchèrent en Italie parle pas de Suse, il fallut traiter. Le 12 juin 1538, une trèvefut done concipe à Nice. Le nouveau Pape, Paul IR, lareine Eléonore, la reine veuve de Hongrie, sceur de Pem-pereur, employèrent les efforts les plus sincères pouramener une entière et durable reconciliation.

II n'y eut qu'une treve, mais pour dix ans, laissant laSavoie h la France, mais n'installant pas le duc d'Orléansdans le Milanais. Ce qui n'empécha pas une cordialeentrevue des deux princes qui s'étaient fait tant de mal,et à la chrétienté encore plus 1, Aigues-Mortes. « Nousnous sommes &puns d'ensemble », écrivait François,« avec tant d'aise et de contentement que je puis dire etasseurer qu'onques princes ne furent plus contents 1 untJe l'autre... Les affaires dudict empereur et les miennesne seront plus qu'une mesme chose 2. »

Dès le commencement de cette année de la reconcilia-tion, qui ne devait pas durer dix ans, Charles, qui avaitdécidément, dès lors 3, un côté romantique dans sonesprit, avait forme, avec le Pape et aussi avec Venise;ungrand projet de guerre contre les Turcs, à laquelle seseraient rallies le roi du Portugal, celui des Romains, les

En 1536, Charles avail fait répandre 4, que le roy indubitable-ment ne faisoit la guerre tant pour son propre ou particulière que-relle que pour intelligence qu'il avoit au Turc et en intention dedivertir les forces et de l'Empereur el de l'Empire, eependant queledit Turc ennemy de nostre foy par autre costé les.invaderoit(MéinoireS cites, III, p. 45 et suiv. Cf. ibid., pp. 97, 105, 233 etsuiv., 240-241).

2 Kaulek, Correspondance politique de Michel de Castillon et deMarillac, ambassadeurs de France en Angleterre (1537-1542), Paris,1885, p. 70. Jamais deux princes ne furent plus grands amis quese sont départis l'empereur et le roy croyait le connétable (ibid.,J3. 77).

3 II aurait eu des accés d'épilepsie dans sa jeunesse.

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186 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

chrétiens d'Orient, Polonais et Moscovites, le roi deFrance après la tréve 1 Au br mars, il devait y avoirOtrante ou à Brindisi une formidable armée. Doria et leduc d'Urbino allaient avoir le commandement. Charles seréservait, bien entendu, Constantinople ; le Grand Maitredes Hospitaliers serait rentré A Rhodes ; le lot de Veniseétait Coron, Avlona, Novi ; le Pape aurait eu toute uneprovince orientale 2.

La flotte fut vraiment imposante, surtout par l'impor-tant contingent de Venise ; un légat, le Patriarche d'Aqui-lée, la commandait ; le vice-roi de Naples, Fernand Gon-zaga, se trouvait à la téte des troupes. Doria était accouruprendre sa part, ce « traitre » auquel François à Aigues-Mortes avait tendu la main. Mais on n'osa rien, et unerencontre avec les galères de Barberousse fut malheu.reuse. Quelques places prises en Dalmatie et bientôt per-dues ne furent pas une compensation. Ce n'est qu'en1540 que le Sultan pardonna aux Vénitiens ; leur laissantParga, en Albanie, et l'ile de Tine, il leur prit les der-nières places qu'ils avaient conservées en Morée.

Pendant cette faillite de la grande entreprise, Soliman,que les Polonais, vainqueurs contre Pierre Rarq, à Ober-tyn, en Pocutie, mais de nouveau attaqués par lui, avaientappelé au secours, se dirigeait contre ce remnant vassal.Pierre &tali aussi coupable de s'étre réuni A EtienneMajlittb, le Voévode, Roumain d'origine, de la Transyl-vanie, pour faire disparaitre Gritti, venu dans cette pro-vince en pacificateur, et mêMe les fils du malheureuxaventurier vénitien et intime du Sultan (1534). Devantl'attaque du Sultan, le Moldave, abandonné bientôt parses bolars, n'osa pas résister comme l'avaient fait sesantécesseurs ; aucun secours extérieur n'était venu

i On l'accusa plus tard d'avoir recommandé it Charles une traved'un an ; Ribier, Lettres et Mémoires d'Estat, L Paris, 1666, P. 89.Cf. ibid., p. 97 et suiv.

2 Gesch. des osmanischen Reiches, II, p. 382, d'après les Comme-moriali de Venise, VI, pp. 231-233.

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CHAPITEE VI 187

défendre ce poste avancé de la chrétienté. Pierre se sauvaen Transylvanie, où il avait des châteaux, et Soliman, éta-blissant un vassal, petit-fils du grand Etienne à Suceavane repartit pas, en septembre 1538, sans avoir transforméle passage du Dniester A Tighinea dans sa forteresse deBender, avancant la frontière de ses citadelles de Chiliaet Akkerman (Cetatea-Albä) jusqu'à la moitié de la fu-ture Bessarabie des Russes.

Au moment de l'entrevue d'Aigues-Mortes, un envoyésecret du roi de France, qui attendait A. Constantinople leretour du Sultan, négociait « pour le traufic et corrversa-lion » avec les Turcs, sans aucun but politique 1 DéjASaint-Blancard avait paru en ami du Sultan, avec lesvaisseaux du roi, jusque dans les eaux de Constanti-nople 2 Mais ce n'était nullement une alliance, commele disaient les agents de l'empereur et d'autres encore,d'autant moins un système. Cet empire pa/en pouvait étreutile dans certaines circonstances ; il devait rester encoreétranger à Pordre politique européen en train de seformer.

Mais François était bien décidé à ne pas s'en tenirdans les limites étroites que venaient de lui fixer le récent.traité, qui n'était qu'une mauvaise tréve. De tout côté onle poussait A de nouvelles entreprises. Tel était d'avis quel'Angleterré, « source et racine de tous /es maux qui sontdes temps passés advenus en France », pourrait étre par-tagée entre le roi d'Ecosse, qui avait épousé Madeleine,fille de François, entre l'empereur mérne et la France, A.laquelle reviendrait tout naturellement 44 une lisière

Ribier, ouvr. cité, I, pp. 237-238. Cf. ibid., p. 337 : practiquerle voisinage pour le trafic de marchandise ». Les Vizirs Loutfl etAlas promettaient un bon résultat. Mais les Impériaux lançaient lebruit a que le Toy se couronneroit empereur de Constantinople pourunanimement venir k la conqueste du demeurant de l'Europe(ibid., .pp. 371-372, 7 février 1539 : lettre de Rincon. Cf. aussi ibid.,pp. 419-421).

Voy. Charrière, Négociations de la France dans le Levant (dansla Collection des documents inédits). Cf. nos Points de vue sur lecommerce d'Orient au moyen-dge.

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188 ESSAI DE SYNTII.SE 'DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

còtoyant la Picardie, Normandie et Bretagne jusquedevant Brest », avec ses « Bretons bretonnants » 1. Le dueUlric de Wurtemberg, récemment rétabli dans ses Etatspar une trève avec le roi Ferdinand, écrivait à son voi-sin français comme à « son tres souverain seigneur etmaistre 2 » Le Pape, préoccupé des interets de sa famille,les Farnèse, commençait A dire « que le roy cheminoitbien plus droit aux affaires de la chestienté que leditempereur 3 », qui vise à la monarchie universelle. Laligue italienne cessait d'exister, et Venise témoignaitFrançois sa reconnaissance pour avoir offert sa media-tion avec les Turcs. S'adressant à « l'empereur des do-maines et royaumes de France et de toutes antiquités(sic) royales, son &ere », Soliman se déclarait disposeaccorder la paix à Charles sous la seule condition « qu'ilvous restitue et delivre en vos mains toutes les provinces,pals, lieux et facultez que par cy-devant il vous a enlevéet jusques à present vous detient et occupe 4 ».

L'empereur dut traverser en armes, avec une troupe desoldats, la France, pour aller chAtier ses sujets rebellesde Gand. François Parlait du « grand contentement queson ami a de le voir », et ajoutait : « Je le conduiray enma ville de Paris pour y faire son entrée en la propreforme et manière que je pouroys faire la myenne et n'ysera oblige une seulle chose pour 'lily faire tant honnora-ble recueil que faire se pourra 5 ». La reception à Paris futde fait magnifique : depuis bien longtemps un empereurn'avait paru dans les rues de la capitale française. Sigis-mond avait été le dernier de ses brillants visiteurs venus

Ribier, ouvr. cité, I, P. 343.2 Ibid., pp. 422-423.3 Ibid., pp. 444, 449-452.4 Ibid., p. 458 : Sur les négociations de cette paix, ibid., pp. 469 et

suiv., 476-477. Invitation du roi it la circoncision des flls de Soli-man, ibid., pp. 473-474. Voy. aussi Kaulek, ouvr. cité, pp. 109-110(juillet 1539) : le rot a demandé ix son agent chez le Sultan, Rincon,d'intervenir pour que Soliman voulilt « condescendre it faire unetresve et suspension d'armes avec la chrestienté ». Cf. ibid., p. 111.

5 Kaulek, ouvr. cité, p. 147.

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CHAPITRE VI 189

d'Allemagne. On lui xendit de tels honneurs comme s'ilavait été le souverain méme d'un pays qu'il avait sou-vent offensé et cruellement dévasté. Il exerça cer-tains droits traditionnels comme celui de mettre enliberté des prisonniers 1 Le connétable même, qui l'avaicombattu en Provence, porta l'épée devant lui, puisl'accueillit à Chantilly, le conduisant, avec les deux filsdu roi, jusqu'aux frontières du royaume. François ne pritcongé de son hete qu'à Saint-Quentin. « Oncques princene s'en alla plus content et satisfaict du bou traitementet honorable recueil qui luy a esté faict par tout monroyaulme depuis qu'il y est entré que faict ledict sei-gneur empereur 2. »

Mais dès le lendemain les incitations et les intriguesreprirent. Elles devaient mener à la guerre. Pour la com-mencer, François, qui avait toujours espéré l'investituredu Milanais pour son fils, devait regarder du côté de cetOrient ottoman où, s'il n'avait pas osé gagner un vraiallié, et il le fit dire énergiquement en 1540 A la Dikede Nuremberg, il était stIr de rencontrer un ami, mémeun collaborateur.

Or, depuis la mort, arrivée en juillet 1540, de JeanZápolya, l'inimitié ouverte entre Soliman et les Habs-bourg s'était rouverte.

Une Diète hongroise reconnut comme successeur du« roi » mort son fils, né de la fille du roi de Pologne,Sigismond, Isabelle, Italienne par sa mère, Bona Sforza.Ce Jean-Sigismond n'avait cependant que l'Age de quel-ques mois. Des « capitaines » du pays, dont l'un fut Maj-láth, devaient prendre soin de la défense du pays contredes attaques immanquables. Soliman, de son côté, déclara

Ibid., p. 153.2 II n'y a qu'une trève ou surséance de guerre, de laquelle n'estoit

exclus aucun chrestien qui y vouloit estre admis, laquelle rniennepactiou avec le Ture donne de grandes commoditez à l'Empereur etmy en Ott donné de plus grandes, s'il eût sçu ou voulu userd'icelles ; Ribier, ouvr. cité, I, p. 567. Cf. ibid., pp. 568-570.

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190 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITk

considérer Hongrie et Transylvanie comme « conquisesl'épée à la main » et « ayant la mème qualité que Sesautres provinces » ; il nomma « roi » le petit Jean Sigis-mond.

Mais les Impériaux avaient aussitôt occupé la vieillecité royale de Visegrád, puis Albe Royale, pénétrant jus-qu'à Pesth. Comme, d'un autre côté, le vassal turc en Mol-.davie venait d'étre tué par /es bolars et son successeur, unAlexandre, envahissait la province turque de Bessarabie,le prestige du Sultan et ses intérks les plus essentielsen paraissaient atteints.

Pierre Rare§ fut renvoyé done en 1541 déj A. dans laprincipauté avait perdue trois ans auparavant. Aus-sitôt après avoir chätié ses traitres, il entra en Transyl-vanie, se saisit de Majlftth et l'envoya mourir dans lesprisons de Constantinople.

Mais les deux Habsbourg étaient en veine de croisade.Charles, qui avait demandé en 1540 une trève avec le Sul-tan 1, fit de nouveau ce qu'en France on appelait le « sem-blant de dresser une armée contre les ennemis de la reli-gion chrestienne2 ». Après l'attaque du vice-roi de NaplesA « Auffrique » (Méhédieh), qui fut conquise, l'empereurprépara une flotte qui comptait dix-sept galères pourcouropner cette ancienne guerre contre Chaireddin Bar-barossa par la prise d'Alger elle-même. Mais une tem-pête dispersa cette flotte le lendemain du débarquement,et l'artillerie espagnole fut noyée, ainsi que les provi-sions, et l'armée exposée aux souffrances de la faim. Cefut un désastre, un bonteux désastre 3.

Ferdinand, qui avait demandé Ic concours des Etatsallemands sans distinction de confession h. la Dike deRatisbonne, crut pouvoir étre plus heureux en envoyantles lansquenets de Roggendorf eontre Bude que l'enfantde Transylvanie, tutellé par « le moine » Martinuzzi et

Ribier, ouvr. cité, I, it cette année. Voy. ibid., pp. 535-536.2 Ibid., pp. 568-570.a Gesch. des osmanischen Reiches, III, pp. 90-91.

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CHAPITRE 191

le parent de Zápolya, le Serbe Petrovics, n'auraient paspu facilement défendre. II rencontra cependant une forterésistance. Bienfiit l'avant-garde du Sultan parut. Il fal-lut ordonner une retraite, qui fut fatale : le chef lui-mêmemourut d'une blessure en chemin. Lentement le Sultan,que ses deux fils accompagnaient, avançait vers la villede Bude. Arrivé devant les murs de la citadelle, il con-vrit de présents la reine, qui Rail accourue, puis, ayantfait venir « son fils Etienne », le roi, sur les bras de sanourrice, il ordonna que Bude soit occupée par ses janis-saires.

Sans aucune résistance eut lieu la prise de possession.On se logea dans les maisons et méme dans les églises.Le château fut livré par Isabelle. Le 2 septembre, aprèsavoir « cédé » au petit roi vassal la Transylvanie, leBanat, le Marmoros, l'empereur ottoman fit ses dévo-tions dans la mosquée qu'il inaugurait de sa présence. AFerdinand, qui avait envoyé une ambassade et descadeaux, comme si la guerre n'était pas menée contre lui,il redemanda ses conquétes récentes, avec Gran et Tata.Ce qui n'empécha pas un traité entre le roi germaniquede la Hongrie et la reine polonaise du méme royaume,consacrant le partage des provinces de la couronneapostolique.

Dès le mois de janvier 1542, l'Allemagne, effrayée, semit en mouvement. On oublia les divergences religieusespour lesquelles, sauf les scènes de terreur provoquéesMiinster par la folie des anabaptistes organisés eú ripu-blique selon la Bible, n'avait été versée jusque-là uneseule goutte de sang. Un luthérien de date récente, Joa-chim de Brandebourg, eut en main le commandementd'une armée de revanche qui éveilla de grands espoirs, leprince de Moldavie, Bares, promettant de fournir lesprovisions, de livrer inâme le Sultan. On attendait leconcours du Pape, des Suisses.

1 Gesch. des osnianischen Reiches, II, pp. 10-14.

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192 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

De fait, arrivèrent à Venise les bandes d'un Sforza, d'unVitelli, d'un Tornielli, les vaisseaux d'un Giangiacomo deiMedici. On méprisait l'expérience guerriere et les conseilsdes Hongrois. Lorsque les mercenaires commencerent hs'impatienter, on se dirigea contre Pesth, qui paraissaitplus facile à prendre. Ce siege d'automne, sous la pluiefroide, finit par une démoralisation fatale de ces croiséssans foi et sans discipline. Les Moldaves, qui voulaient defait pour eux la Transylvanie, furent repoussés. On finit,dans le camp chretien, par des accusations réciproquesd'incapacité et de trahison. Soliman devait reparaitre en1543 pour montrer combien était grande sa puissance enface de cette folle provocation.

Tout aussi vaine, vide de résultats, avait été la grandeentreprise de François I0 contre les possessions espa-gnoles auxquelles on n'avait pas touché jusqu'alors : leLuxembourg, ouvrant Pentrée en Allemagne, le Rous-sillon, partie de la Navarre. Ce fut une simple guerre deplaces-fortes, qui donna occasion aux fils du roi de mon-trer leur élan et parfois leur imprévoyance. Le siege dePerpignan, non réussi, fut considéré comme une affaireimportante. En Piémont, dont la possession avait étédemandée par Charles en échange pour le Milanais, surlequel on continuait éventuellement A négocier, il n'y eutque des actions secondaires ; les Impériaux risquerentdes tentatives sur Turin.

En 1543, le roi lui-méme conduisit l'expédition qui Juldonna la ville de Lux-embourg, dont il se fit proclamerduc 1, esperant un échange avec le Milanais.Les soudoyers-de Charles réussirent cependant à amener la soumissioncomplete du duc de Cleves, fiancé A Jeanne d'Albret, qui,à genoux devan.t l'empereur, renonça à. la Gueldre etretourna h la foi catholique. Une marche sur Paris futdécidée, mais il fallut s'arréter devant la bicoque de Lan-drecies. Bientôt, ce fut une affaire tres importante que

1 Gaillard, ouvr. cité, II, p. 367.

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ClIAPITRE VI 193

le siège de cette place-forte. Le vice-roi de Naples, Ferdi-nand de Gonzague, le frère du duc de Ferrare, le ducd'Albe se réunirent sous ses murs, et Henri VIII, en guerreavec le roi d'Ecosse, Jacques, marié d'abord à la fille deFrançois, Madeleine, puis A Marie de Lorraine, longue-ment courtisée par Henri lui-même 1, qui, comme veuve,défendait, avec des Français, les droits de sa filletteMarie, envoya un contingent nombreux. Landreciesrésista, mais la grande armée française, conduite par leroi lui-méme, fut la première_ A. se retirer, et, lorsqueCharles lui-nième partit, il jeta une garnison dans la villelibre et neutre de Cambrai. Au Piémont, les siens entraientA Carignan.

Mais l'honneur militaire de cette année appartientSoliman.

Il attaqua lés châteaux de Hongrie qui appartenaientencore au roi Ferdinand, incapable d'opposer d'autresforces que quelques milliers de mercenaires, auxquelss'ajoutèrent vers la fin seulement les 4.000 pontificaux.Le's paysans se réunissaient en masse aux Turcs pour sevenger de leur dur servage. Le Sultan considéra commeun succès notable la prise de Pécs (Fiinfkirchen), puis,surtout, celle de Gran, défendue par les Espagnols deSalamanca et par des Italiens, dont quelques-uns embras-sèrent l'Islam, de Tata, d'Albe-Royale, vine « rebelle »,qui fut impitoyablement traitée, ainsi que devait l'étre,après le départ du Sultan, VisegrAd. Il n'y eut que Raabet Komorn qui échappèrent A. ce sort, et les bandes tataresravagèrent tout le pays. Bientôt, on passa la TheissSzegedin, le Danube aussi du côté de l'Ouest, les begsayant toute liberté d'agrandir, à leurs risques et périls, laprovince hongroise de leur maitre 2.

En méme temps, comme s'il agissait de sa propreimpu/sion, le roi d'Alger », qui avait fait visiter le roi

I Kaulek, ouvr. cité, p. 11 : il est amoureuN de Madame de Lon-guevil1e, qu'il ne se peut tenir d'y retourner ».

2 Un ambassadeur vénitien cite c, l'oratore di Barbarossa venu

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194 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITg

par ses émissaires, réunissait ses vaisseaux à ceuxd'Enghien, qui mirent le siège devant Nice, seule posses-sion du duc de Savoie que François n'efit encore occupée..On devait prétendre que la flotte française avait pant.seulement pour ravir au grand pirate une conquête assu-rée 1. La ville résista avec succès, s'enorgueillissantd'avoir brisé l'effort des « Turcs et des Gaulois ». Hiver-nant à Toulon, Barberousse pilla sur les côtes de la Tos-cane, sur celles du royaume de Naples, à Pozzuoli, auxIles Lipari, avant de retourner à son repaire.

En 1545, François, qui avait essayé de jeter aussi lenouveau roi de Suède contre l'Allemagne catholique 2, oilles luthériens venaient de gagner, à la Diète de Spire, ledroit d'être représentés à la Chambre impériale, espéradécider la guerre par un dernier et grand effort de sesmoyens militaires. Le comte d'Enghien, malheureux àNice, réussit mieux au Piémont, où était accourue toutecette jeune noblesse, avide d'exploits, à laquelle il appar-tenait. « Le roi n'avait plus de courtisans », dit l'histoiremoderne de ce règne 3. Pi-6s de Carignano, à Cerisole, futgagnée une victoire difficile, mais brillante. Les vain-queurs furent rappelés cependant pour défendre la fron-tière de l'Est contre les Impériaux et leurs bons amis lesAnglais, qui ne pensaient à rien moins qu'à partager laFrance avec l'empereur, se réservant, avec la couronne-pour leur roi, les possessions continentales perdues pen-dant la guerre de cent ans.

Le « roi de France » parut en personne 4. Dans l'armée

au Puy et a un altro oratore del Turco n, à Chastellerault, maisajoute ivi si conchiuse l'intelligenza col Turco e con Barba-rossa (Albèri, Relazioni, 1, p. 157). 11 donne les dates mémesjuillet 1553 et décembre 1534 : a con il quale fù conclusa

fra loro, cioé : Francia, Turco et Barbarossa, nella quale i-Francesi patteggiavano tregua per tre anni ». Sur la Tnission de InForest, ibid., p. 167.

Cf. Gaillard, ouvr. cité, III, p. 418 ; Gesch. des osmanischen-Reiches, III, pp. 91-92.

2 Voy. Ribier, ouvr. cité, pp. 570-571.3 Gaillard, ouvr. cité, III, p. 397.4 Francois pensait à marier la reine d'Ecosse au fils du roi du4

Danemark ; Ribier, ouvr. cité, pp. 606-607.

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CHAPITRE VI 195

de l'empereur il y avait, à côté du prince de Ferrare, leprince d'Orange, des lansquenets et des retires, comman-dés par un personnage entreprenant, dont l'heure tra-gigue approchait, ce cadet de la Maison de Saxe qui étaitle due Maurice. .

Mais, au lieu d'arriver à Paris pour s'y rencontrer avecl'armée anglaise, les récupérateurs du Luxembourg sevirent bientôt retenus au siège de Saint-Dizier, en Cham-pagne. Ayant emporté le château, ils purent descendrejusqu'àlà Marne et entrèrent à Château-Thierry. On crai-gnit pour Paris, et François en était désespéré. Charleslogea à Soissons, alors que Henri n'était qu'à Boulogne,sans se hâter, ainsi qu'avait été l'arrangement de l'inva-sion combinée. Le roi de France avait eu le loisir de ras-sembler une armée de 32.000 fantassins et 5.000 cava-liers 1 Bref, le grand coup avait manqué, et il n'y eutrien des avantages proclamés avec une morgue risible.

Le roi dAngleterre était sur le point de prendre uneville mal défendue, lorsque Charles, cloué par la goutte,concluait déjà, le 18 septembre, à Crespy, son traité avecla France. Il y fut question surtout de créer un immensefief au second fils de François, qui devait se marier tlansla Maison d'Autriche, obtenant de son nouveau parent leMilanais ou méme les Pays-Bas, qui ne pourront, nil'un ni l'autre, étre jamais réunis à la couronne française.Lorsque ce point sera mis A exécution, le due de Savoierentrera dans ses Etats. En tout cas, les prétentions deFrançois sur le royaume de Naples en resteront éteintes.Les anciennes frontières ne sont pas modifiées. Le dau-phin fera son devoir en protestant contre cet acte qn;était le résultat inadmissible d'une vilaine intrigue, mat"qui fut détruit dans toutes ses conséquences par la moo«du bénéficiaire.

Il ne restait que l'Angleterre, dont le roi s'étaitpressé de partir, alors qu'une armée de terre se logeait enEcosse 2. Une flotte française, passant par le détroit de

Alberi, Relazioni, I, p. 261.2 Ibid., p. 275. Sur la flotte il y avalt 9.000 hommes, 2.000 in

Ecosse, ibid.

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196 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

Gibraltar, ira, l'année suivante, ravager les côtes de ceroyaume. Elle se présenta devant les vaisseaux anglaisen face de l'ile de Wight, sans pouvoir les foicer au com-bat recherché avidement par l'ancien négociateur 'avec leSultan, le « capitaine Paulin », devenu baron de la Garde.Après les operations insignifiantes sur le continent, h. lapaix de 1545, Henri se fit payer encore une fois sonrenoncement.

Une autre paix paraissait garantir la tranquillité dumonde européen: Cédant à des instances faites par Blaisede Monluc, évéque de Cambrai, envoyé par FrançoisConstantinople, Soliman accorda, en novembre de cetteméme année 1545, à Charles i et A. son frere, une de cestrèves qui, sans cesse renouvelées, équivalaient à une paixduable. Un internonce imperial résida dans la capitaleottomane lès 1546. Ferdinand, conservant ce qui lui res-tait encore de la Hongrie, au Nord, à l'Ouest, au Sud,payait tribut tout comme les princes roumains et celuide Transylvanie, auquel on avait réclamé la possessionde Temesvar et de deux autres places-fortes dans leBanat.

En 1546, la méme année que Barberousse, le remnantprince de Moldavie était mort, et une cause de conflitsdisparaissait sur ces marches ottomanes où les deuxregents transylvains, « le moine » et Petrovics, ne se pre-paraient pas encore à la guerre. En Occident, Henri VIIIdisparut le premier ; François le suivit, en mars 1547.

Charles V, survivant de ses rivaux, pouvait penserl'aeuvre qui depuis longtemps était, dan's sa conscience, lebut principal de vie, la mission essentielle de son règnela paix religieuse, que le désistement de François, persé-cuteur des réformés français, les Vaudois, et, en .Alle-magne, la mort, en 1545, de Luther, paraissáient rendreplus facile.

L'empereur intitulait le Sultan serenissimus et potentissimusdominus Solimanus, Imperator Turcorum ii ; Ribier, ouvr. cité,pp; 583-588.

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GHAPITRE VII

Vie intérieure des sociétés européennesdans la première moitié du XVIe siècle.

Pendant la premiere moitié du xvi° siècle, la royautéqui resume l'effort des nations et en sert, malgré sonégoisme, tres souvent les intérèts essentiels, et qui, enconcentrant la puissance et la richesse, rend possible legrand essor des lettres et des arts, a bien change decaractère.

Presque partout elle a subi l'influence dominatrice, lecharme penetrant des petites Cours italiennes, initia-trices d'une façon de vivre plus sociale et plus raffinée.En méme temps, elle subit l'influence de cet esprit « ro-main » qui ressort de tout récit historique, de toute con-sideration sur la vie et de développement des peuples.

On le voit surtout en France, pays qui a infiri plusvite que les autres.

La France ducale, celle de Bourgogne, avait dépassé auxv" siècle la France royale sous le rapport du luxe et duprestige extérieur. Le duc entretenait un grand cham-bellan, avec vingt chambellans et quatre « sergents dechambre », un Grand-Maitre de la Maison, tin Grand-Ecuyer, ayant vingt écuyers *pour les boissons, soixante-dix pour « dresser la table », le méme nombre pour« couper la viande », encore soixante-dix pour les che-vaux, en dehors de vingt-cinq jeunes nobles pour la suiteet vingt « garçons », et enfin un Grand Sommelier ; lachapelle dueale comprenait vingt-quatre chanteurs, cha-

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198 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

pelains et organistes. Le secrétariat entretenait sept fonc-tionnaires. Il y avait en permanence six hérauts d'armes,deux « massiers », douze « trompettes de bataille », huit« trombons ou 11(itiers » (pifferi); deux luthiers, quatreviolonistesl.

L'entretien de la Cour coùtait annuellement 140.000ducats d'or, sans les dépenses extraordinaires 2. Lorsquel'hérédité réunit les Etats du Téméraire à ceux de lareine Jeanne et de son père Ferdinand, ces habitudespassèrent, plus ou moins, dans la péninsule, oit on coin-lump à. vivre « à la bourguignonne » 3. Charles-Quinttripla les dépenses du modeste et sévère, de l'avare Fer-dinand le Catholique 4, mais il les employa à autre chosequ'à accroitre la splendeur de sa Cour, devenue impé-riale, bien qu'on efit admiré ses repas et ses chasses 5.

En Italie, un ambassadeur vénitien se rendant enFrance trouva à Turin, dans le palais de la duchesse-veuve de Savoie « onze damoiselles » au service de cetteprincesse, « et tout le reste était plein de personnescomme une église lorsqu'il y a quelque grande indul-gence 6 ». A Foccasion des fêtes de Bologne, pour le cou-ronnement, la duchesse de Savoie apparait « grassouil-lette et blanche » au milieu de ses cortigiane, personnestrès gentilles, gentilissime persone, parlant polimentavec les « gentilhommes » 7. Dans les salles où l'on enten-dait le son des luths et oil de jeunes garçons chantaient

Albèri, Relazioni, I, pp. 8-9. Ferdinand, frére de Charles-Quint,plus généreux que celui-ei, conserva les noèmes charges dans sesEtats ; ibid., pp. 95-96.

2 Ibid., p. 10.a Farla alla borgognona ; ibid., p. 27.4 Ibid., p. 41.5 ibid., pp. 74-75. Pour les comptes du voyage de Boulogne, pp.

75-76.6 E tutto il resto era pieno di persone cormne una chiesa quando

v'è qualche grande indulgenza ; ibid., IV, pp. 7-8.7 Dovevano torse da loro et dar loco ad altri gentilhomeni che

potesseno parlar con loro donne ; Sanudo, Diarii, LII, pp. 42 etsuiv.

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CHAPITRE VII 199

avec la plus grande grAce des chansons italiennes, fran-çaises et espagnoles, on voyait les courtisans et les damesse prendre par la main in rigoletto, et danser sur unrythme lent, pian, piano », de sorte qu'il leur fallait uneheure pour arriver à l'autre bout de la chambre. « Unseul homme prenait une dame » levava la donna« et jouait une danse, apres quoi il s'inclinait », facevareverentia, devant la dame jusqu'à terre, et ils s'enallaient s'asseoir. Et ainsi chaque fois ils se donnent duplaisir honnétement et avec grande galanterie i ». C'est-dans ce milieu que Louise de Savoie passa sa jeunesse,et c'est d'après ce modèle qu'elle organisa la Cour deson royal fils. Le méme envoyé de Venise remarque, dureste, que le palais orné de tapisseries qui lui avait étépréparé par le duc d'Orléans, le futur Louis XII, dépas-sait en splendeur le logement qui lui avait été offert aupa-ravant à Mantoue et A. Ferrare, cependant assez luxueu-sement meublés 2. Déjà la reine Anne avait sa suite dedames et recevait e.n grand appareil 3 ; on était si friandde souvenirs romantiques dans ce monde français vers1500 que le dauphin, destiné à disparaitre bient6t, futbaptise Roland en méme temps que Charles. On dépen-sait pour les deux Cours, du roi et de la reine, sousCharles VIII, 500.000 francs annuellement 4, mais pourtoutes les charges ensemble, pour les mille personnesentourant les souverains, 6.000.000.

Louise de Savoie vécut toujours dans un milieu quipouvait lui rappeler ses origines. Le luxe accompagnejusqu'au tombeau l'ancienne régente, habituée à domi-ner et A briller. Il y eut A ses funérailles splendides un

t E cog ogni giorno si danno piacer con honestade et gran galan-teria.

2 Albéri, loc. cit., pp. 11-12.Ibid., p. 13. Mais l'ambassadeur ne sait pas si la harangue du

vice-chancelier de Bretagne &ail en latin ou en francais vulgaireon en ltalien ; ibid., p. 13.

4 Ibid., p. 18. Le budget entier des dépenses s'éléve it 6.000.000 defrancs (déficit de 3.000 000).

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200 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

monde immense. Les dames d'Angouléme, d'Anjou, deBourbon et d'Auvergne menaient le deuil. On compta7.000 cierges et le trésor paya 30.000 écus 1.

La dépense annuelle de François I", au beau milieu deson règne, &tall, d'après un calcul d'ambassadeur véni-tien, un million et demi d'écus 2. E paralt qu'il fautcompter séparément les frais de réparations et de bâtissespour les châteaux qui sont la gloire de son règne, jus-qu'à cette belle maison, dans le style le plus orné de laRenaissance, qui s'appelle encore « le château de Ma-drid », pour une dizaine de constructions nouvelles, avecdes façades ornées de médailles et de linteaux grecs, avecde longues salles de réception aux lambris dorés des pla-fonds, aux minces boiseries encadrant les tapisseries deprix, aux cheminées de marbre portant des statues. LeRosso, le Primatice, tout un groupe d'Italiens furentimportés pour créer les nouvelles résidences passagères,en rapport avec ces plaisirs de la chasse, dont le roi nese détacha pas même lorsque la fièvre le minait et ilapercevait devant lui les fantômes des heures dernières.Autant que la France vivra et notre civilisation conser-vera ses trésors, la mémoire du grand constructeur seraencerclée du nimbe des princes artistes. Pour le luxe desa table et pour autres menus travaux délicats, celui quiavait accueilli en technicien génial le grand exilé Léo-nard de Vinci, fit travailler diligemment l'orfèvre auxgrandes ambitions et aux mille ressources que fut Ben-venuto Cellini.

Malheureusement, il n'y eut pas, pour célébrer ce règne,d'écrivains de premier ordre. La chronique est continuée

l'aventure par des nobles d'une spontanéité charmante,mais sans rien de la couleur, du mouvement (l'un Frois-sart, de même que dans les Mémoires des du Bellay onne sent plus la saveur, le subtil areme des considérations« philosophiques » du « sage » Commines. Pour avoir

Sanudo, loc. cit.2 AllAri, loc. cit., pp. 240, 254.

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CHAPITRE VII 201

l'appréciation politjque de cette France devenue l'Etat le-plus coherent et, de ce fait, le plus influent de l'Europe,il faut chercher dans les rapports des ambassadeurs deVenise, toujours si magnifiquement accueillis, ou biendans l'admirable « Relazione » de la France, qui est dueau secrétaire florentin, imitateur des penseurs politiquesde l'antiquité et raisonneur, sur « les decades de TiteLive », aussi bien que sur les actions du « Prince » quifut Cesar Borgia et de la royauté française contempo-raine : Niccolò Machiavelli.

Elle est maigre encore la poésie mame de ce regne.Clement Marot, valet de chambre du roi, est bien loin,comme fraicheur de l'inspiration, comme noblesse dugeste, d'un Charles d'Orléans, et son esprit de mediocrecourtisan n'a rien de la gracieuse espieglerie, ni de laverve amère d'un Basselin ou d'un Villon. Pour toutes cesgloires, il n'y a pas un grand reflet, et pas une larmesincere pour tous ces malheurs.

Mais la Cour est tres brillante. On admire les étoffesprécieuses dont se revet la majesté, facile à distinguermeme par le regard, par l'allure, par la conversation, enméme temps digne et enjouée, la premiere conversa-tion vraiment royale en France, du monarque 1 11 faut700.000 écus par an pour la seule garde-robe de lafamille ioyale 2

Il n'y a pas encore beaucoup de personnes qui brillentpar leurs connaissances et par leur esprit. La reineClaude, grassouillette et noiraude, merle une pauvre vieobscure, et elle disparut jeune la fille de Jeanne-la-Folle,qui lui succéda, manquait d'agrements et de grâce :une Flamande. Apres la mort de Louise, la femme ita-lienne du dauphin, la Florentine à la « grosse tate » et

1 Cf. un jugement vénitien sur Charles VIII : piccolo e malcomposto della persona, brutto di volto, che hit gli occhi grossi ehianchi..., il naso aquilino similmente grande et grosso molto pitdel dovere, i labbri etiam grossi, i quali contuamente tiene-aperti, et hit alcuni spasmosi movimenti di mano.., et est tardus irrlocutione r ; Albèri, ouvr. citl, II, p. 16.

2 Ibid., I, p. 190. Cf. aussi ibid., p. 237.

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-202 Essm DE SYNTIASE DE 12111STOIRE DE L'HUMANITA

.aux grands yeux, fille elle-méme d'une princesse fran-çaise, Catherine de Médicis, cherchait seulement A. sefaire tolérer, attendant patiemment l'heure ott elle pourradominer ; pendant de longues années, on ne pourra dired'elle que « sa grande docilité » I et les sympathies qu'ellese gagne par ce doux effacement, par sa tolerance appa-rente. Celle qui se faisait le plus voir et admirer c'était lasceur de François, Marguerite, sa consolatrice à Madrid,lorsqu'elle n'était que duchesse d'Alençon, son appuiaprès qu'elle fut devenue reine de Navarre, « femme degrande valeur et de grand esprit, et qui intervient danstous les conseils 2 ». Elle osa toucher aux discussionsreligieuses par un écrit, Le Illiroir de l'a'me pecheresse,qui eut les honneurs de la censure ecclésiastique, de sortequ'il fallut que le roi intervint pour l'en venger. Sa Cour,

Nérac, fut bientôt le refuge de tous ceux dont la penséene se soumettait pas aux indications d'un monde offi-ciel de plus en plus timoré.

Les femmes qui font et (Wont les alliances, qui forgentles projets et déclenchent les guerres, celles dont dependle sort de la France et de l'Europe sont sans doute gra-cieuses et intelligentes, mais, avec leur beauté et leurspontanéité d'esprit, elles viennent encore d'un milieu

demi-façonné seulement. Il n'y a pas d' « intellectua-lité dans une duchesse de ChAteaubriand, dans unecomtesse d'Etampes, les favorites au su de tous, hardi-ment, presque naivement affichées, d'un roi franchementbigame. Il y a cependant de la sagesse réfléchie,découvre un savoir-vivre d'une plus haute et fine essencedans cette Diane de Poitiers, are de son nom de déesse,qui, devenue sénéchale de Normandie, duchesse de

Valentinois,retint, malgré les années qui l'avaient flétrie, toutl'attachement, l'obedience méme entière du futur HenriH. Elle conserva exclusivement et les Vénitiens lui

E molto obbediente ; ibid., p. 191.2 È donna di molto valore e spirito grande e che interviene in

tutti i ctnigH ; ibid., p. 203.

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CHAPITRE VII 203

en font des éloges « la charge d'instituer, de corri-ser, d'avertir et d'exhorter Monseigneur le Dauphin à despensées et des actes dignes d'un tel prince i ».

Avec sa vie toujours alerte, d'une guerre h. une partiede chasse ou de plaisance, François n'a pas ce qu'onappelle une residence royale, un seul grand et splendidepalais. La gloire artistique se dépense largement de toutcôté ; elle ne se rencontre nulle part. Mais le royaume aune capitale.

Tel visiteur italien qui demeura quelque temps danscette ville de plus de 500.000 habitants, avec une ving-taine de mille « d'écoliers », la trouve plus petite quePadoue, moins riche et moins distinguée comme popu-lation que sa Venise à lui 2. Alais à la fin du règne unautre Vénitien doit écrire ceci : « cette ville est non seu-lement supérieure à toutes les autres de ce royaume,mais encore du reste de l'Europe, par la multitude dupeuple qui y habite et pour étre la capitale du premierroyaume des chrétiens 3 ».

Il y a un seul chef en France : tout depend en dernièreinstance, s'il le veut et s'il entend aller jusqu'au bout, delui. L'administration, la justice sont siennes. La volontédu roi « decide » absolument. Il nomme les douze lieu-lenants, qui régissent les provinces 4. II vend les chargesdu Parlement de Paris et de ceux des différentes pro-vinces. Il dicte méme les sentences et fait enregistrer cequi est son « bon plaisir ».

Carico d'instituire, correggere, avvertire ed eccitare esso Nfonsi-gnor delfino a pensieri e operazioni degne di tal principe ; ibid.,II, pp. 425, 437, 439-440. Cf. ibid., p. 243.

2 Parigi, la quale per la estimazion mia è minor di Padova ; ibid.,IV, p. 17. Non arriva di ricchezza ad una gran giunta quanto Vene-zia... II nostro 6 pia honorevol popolo ; ibid., I, p. 148, année 1535.

3 Questa città non solo 6 superiore a tutte le altre di quel regno,ana anche del rimanente d'Europa, per la moltitudine di genteche vi abita e per essere capo del primo regno de' cristiani... Comela bottega di Francia ; ibid., I, pp. 225, 226, 228.

4 Tutta la 90111Tha è ridotta assolutamente nel voler del rè, ancheaella amministrazione della giustizia ; ibid, p. 230.

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204 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Ce Parlement central, qui compte cent vingt membreset, avec celui de la Chambre des Comptes, emploie toutun monde qu'on a pu supputer jusqu'h 4.000 per-sonnes 1, comprend cependant, A côté des vulgaires ache-teurs de leurs places, des juristes éminents, rompus h lascolastique du moyen-Age qui n'est guere morte, puis-qu'elle vient de donner la « Réforme » de Luther, descaractères à toute épreuve, des volontés qu'on ne peut pasfacilement briser. Mais ce que réussit à faire sans grandsefforts le roi est visible pour le cas du concordat, consi-déré par la nation entière comme attentatoire h ses droitstraditionnels, consacrés dans la « Pragmatique », main-tenant annulée.

Apres toute une assemblée tumultueuse, réunie h Notre-Dame, théologiens et profanes ensemble, qui demandentun vrai Concile de l'Eglise gallicane, l'oncle du roi, leWard de Savoie, se présente au Parlement pour deman-der l'enregistrement. Ceinc que François -appellera des« fous turbulents et téméraires » se refusent h admettrele messager. « Il y sera », fut la réponse breve et impé-rieuse. Des menaces d'exil à Toulouse, h Bordeaux sontproférées. -Mais l'Université se rallie- h. cette resistance,avec le programme de ce Concile national. Des « remon-trances » sont presentees au souverain, qui s'en moque.Il y a bien d'autres Parlements que celui-là qui protestecontre la nomination royale aux places de l'Eglise àl'encontre de la coutume des électeurs. « Vous 'Res centtetes dans le Parle,ment... 11 n'y a qu'un roi en France. »Les illusions de Sénat vénitien doivent disparaitre. « Jeveux étre obéi 2. » La Trémoille parait avec un mandatdont il indique vaguement la menaçante teneur. Et l'acteest inscrit, mais avec la mention formelle que cela a étéfait Par « tres exprès commandement du roi, plusieursfois répété en presence d'un tel par lui spécialement

'¡bici., p. 207.2 Ibid., pp. 149, 227.

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ClIAPITIIE VII 205

(léputé à cet effet i ». Mais, après Pavie, il y eut demandeformelle d'annuler le concordat, et, en cas de conflit, leParlement, en guerre avec le chancelier, soutint les évd-ques élus 2

II fallut faire passer ces questions au grand Conseil,Cet outil de gouvernement comprend cinquante docteurs.Mais ce n'est pas à lui que reviennent les affaires secrètes,mais bien au Conseil privé, dans lequel siègent à telledate seulement le chancelier, l'amiral, les cardinaux favo-ris, de Tournon et du Bellay, l'hôte italien qui est leprince de Ferrare, l'évéque (le Soissons, puis un courti-san très influent, Langey. Mais il y a aussi un Conseild'affaires, le plus intime et le seul décisif, où, à efité duDauphin et de la princesse Marguerite, du roi de Navarreet du cardinal de Lorraine, appartenant à la nouvelleMaison de Guise, siègent deux intimes du roi, dont l'unest l'amiral 3.

Le roi est aussi le créateur d'une armée nouvelle. Elleconserve les « francs archers » de paroisse, 16.000hommes des bandes gasconnes, quelques Ecossais de lagarde, le contingent de cavalerie, de « gens d'armes »des 10.000 gentilshommes, auxquels on veut aj outer 1.000hommes- d'infanterie nobles. Mais la base est maintenant,lorsque Suisses, lansquenets, Italiens sont évités, legroupe massif des six « légions » à la romaine, de 6.000hommes, une infanterie distribuée sur les frontièresperpétuellement menacées. L'artillerie est accrue et on aune flotte de trente galères 4.

Tout cela demande de l'argent, beaucoup d'argent. Onse le procure h. la façon ancienne sans rien innover. Maisce qu'on recueille normalement, les 15.750 mille &us de1538 5, ne slant pas. On rassemble les Etats de province

1 Gaillard, ouvr. cité, IV, p. 35 et suiv. Le Parlement invite l'Uni--versité, son alliée, à a s'accommoder au temps a.

2 Ibid., pp. 55-57.aAlbèri, ouvr. cité, II, pp. 444, 445 ; IV, pp. 33-34.4 Ibid., I, pp. 185-186 ; IV, pp. 36-38.8 Ibid., I, p. 207. Cf. ibid., p. 188 ; deux millions et demi de francs.

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206 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'IIISTOIRE DE L'HUMANITE

dans le but de demander des subsides pour telle ou telleguerre 1 Mais il arrive qu'on doive recourir à la grilled'argent du tombeau de saint Martin h Tours 2.

Le clergé supérieur ne paye rien au roi ; et il y a descardinaux franyais qui disposent de dix évéches 3. Les.nobles non plus. Les paysans, sur lesquels retombait unegrande partie du poids, s'enfuient en groupes : il y en a10.000 qui s'expatrièrent dès Louis XI .; l'exode continuesous François 4.

Les villes ne résistent pas ouvertement, sauf les casoù Paris murmure, où les prédicateurs de l'Université,adversaires du Concordat, parlent dans la rue, mais sansgrand succès 5. Il y a cependant, pour ces cites, jadisautonomes, solidairement groupées autour de leur glo-rieuse capitale, entre leurs murs de defense, qui mainte-nant ne sont plus qu'un groupe de sujets et de contri-buables, sans autre action sur la politique de leur patrieque leur presence, h des moments particulièrement gra-ves, aux E/ats Généraux, il y a, dis-je, un autre moyende montrer leur mécontentement.

Comme, dans le monde byzaritin, les tendanceslocalesnationales,sociales s'exprimaient par des divergences

envers le dogme officiel, les souffrances de toute especedu xve siècle cherchèrent pour se manifester la voie desdiscussions, des rebellions et des combats de religion. Lelutheranisme allemand n'aurait jamais passé au dela dela polémique de chaire, sans un monde bourgeois dési-reux de montrer son importance quitte à ne pas trouverles formes eorrespondantes, sans les- masses populaires,rurales, qui, comme les paysans de Hongrie et les parois-

Ibid., p. 250.2 Ibid., IV, p. 246.3 Gaillard, ouvr. cite, IV, P. 299.4 Albéri, ouvr. cité, pp. 20, 39.5 Un poco di resistenza... (panda se gli dimandano danari ; ibid.,

I, p. 229.ouvr. cité, IV, pp. 51-52.

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CHAPITRE VII 207

ses libres des Ditmarses du Danemark, entendaient affir-mer leur valeur nationale.

En lui-méme, le mouvement dissident des Allemands,avec ses polémiques rageuses et grossières, avec ses incer-titudes et ses retours, avec la trivialité absolue des pam-phlets dans lesquels il était question, A côté de force ca-lembours et plaisanteries de cabaret, d' « Ines », de-« cochons », de « pourceaux », de « courtisanes », n'avaitrien qui efit pu gagner, retehir, enthousiasmer même lesgens, moidelés par un long développement historique, deces cités françaises, d'une si pure tradition d'ordre et de-décence. Mais étre « luthérien » c'était pour les indivi-dualités un moyen de se faire valoir comme penseurs, etpour les groupements urbains celui seul par lequel ilspouvaient témoigner gulls n'entendent pas abdiquerleur étre moral, a leur personnalité constitutionnelle. Dès-le commencement, il y eut de nombreux dissidents, parnai-les clercs, les universitaires. Leur prédication suscite deshumeurs, provoque des actes de violence. Une statue de.la Vierge fut profanée à Paris, et le roi alla en grandecérémonie la remplacer par une ceuvre d'art en argent,qui devait disparaitre. On se moquait, le tempérament.national y aidant un peu, des saints et des mystères. La,Bible française parut, et Clément Marot mit en vers pieux.les Psaumes.

François I", allié des princes luthériens de l'Allemagne.seulemeni en tant que défenseur des libertés constitu-tionnelles dans l'Empire, ne toléra pas longtemps cedésordre. Celui qui devait permettre sur la fin de sesjours les atroces scènes de chasse à l'homme dans lesmontagnes des Vaudois, de tradition séculaire, à Mérin-dol et Cabriéres, fit éleVer des bfichers A l'instar des roiscatholiques d'Espagne. Un Morel, puis le recteur Nicolas-Cop purent s'échapper ; d'autres, plus obscurs ethardis, Chfitelain, Berquin, expièrent.

Mais on ne pouvait rien faire contre la foi discrète quirégnait dans les oceurs seuls, et qui avait, plus que lecayactère dogmatique, avec un sentiment d'ancienne

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208 ESSAI DE SYNTHiESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

révolte contre Rome avide d'argent gaulois, celuf d'uneopposition à cette puissance d'absolutisme dans tous lesdomaines qui supprimait lentement, mais sfirement, lesressorts meme de nine française. Il y eut des luthériens,de vrais luthériens à Metz, a cause du voisinage. Sans cemotif, il y en eut, et nombreux, à La Rochelle, qui allajusqu'à une rebellion sous d'autres prétextes, à Caen,Poitiers, en Provence. « Des villes entières », rapporte unambassadeur vénitien », vivent non pas publiquement,mais par un consentement tacite, de la façon privée, h. lamanière des protestants 1 »

Bientôt, un apôtre français surgit. Il est bien differentdu rustique athlète de la « protestation » germanique etdu cure bataillard Zwingli, de cette espèce de « cardinalde Sion » par l'ardeur à combattre qui le fit mourir,après de longues controverses avec les lutheriens, concer-nant la « presence reelle » et la « grace », sur un,champde bataille. L'ame de la bourgeoisie française, encline auxraisonnements, strictement logique .et impitoyablementradicale dans ses conclusions, voyant tout par categorieset cherchant a enclore tout dans des formules définitives,s'incorpore dans ce Jean Chauvin, de Noyon, qui se fitappeler Calvinus, Calvin. Il n'entend pas prouver seu-lement ses thèses et il dédaigne le pamphlet ; sa languefrançaise lui servira bien pour précher, mais c'est enlatin, langue de-discipline et de mesure, qu'il entend lan-cer son message.

Et ce message n'est pas un jaillissement de passionrévolutionnaire incohérente ; c'est tout un décalogued'une admirable construction romaine, qui se propose,non pas de critiquer ce qui est, mais de régler ce qui seraparce quo cela doit être. L'« Institution chretienne » letitre même montre le ciment qui en relie les parties et lagrandeur du plan envisage est une « constitution impé-riale » : non pas la charte médievale, mais le droit, à la

Citth intiere vivono non gii in palese, ma, con tacit° consenso,privatamente, tutti, a costume de' protestanti, come Caen, Rocella,Poitiers, e simili assai in Provenza ; Alibèri, ouvr. cité, I, p. 227.

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CHAPITHE VII 209

romaine, d'une nouvelle société. Car lui, il nc vent pastroubler et diviser, mais réunir et retenir ; il veut régner,et gare à celui dont la téte se trouvera sur la ligne nettedu couperet de son syllogisme !

Marié à Strasbourg, Calvin devait traversei l'Alle-magne, assistant aux Dikes, rompant des lances avec lesdocteurs d'une autre conception de la Réforme, cherchantà établir quelque part le siège de sa « cité de Dieu », dontii avait prévu tous les ressorts et dont il avail créé leprincipe de discipline par sa théorie de la grâce divine,initiate et immuable. thentiit, lui, l'exilé, auquel les que-relles de Genève avec son évéque, ses appréhensions hl'égard de la Savoie, héritière des comtes du Genevois,devaient donner, non pas un simple asile, mais un siègede juge absolu à la manière de ceux d'Israël, eut la satis-faction de voir sa doctrine, et, plus que celle des Lu-ther, des Mélanchthon et des CEcolampade, c'en était une,

adoptée dans maintes villes de sa patrie française : àBourges, h Arras, a Autun, à Agen, A Troyes, it Issoudun,

Meaux, à Langres, it Rouen et h. Lyon.

Imitateur et rival de François, Henri VIII ne négligeaitpas non plus, h travers les tragédies de son ménage, lesornements de la vie de Cour. On le voyait se promenerle soir sur la Tamise, « aux harpes, chantres et toutesautres sortes de musique et passe-temps ». « Semblable-ment » ajoute l'ambassadeur français, « se délecte main-tenant en painctures et brode-'es, ayant envoyé gens enFrance, Flandre, Italye et autres pays pour recouvrermaitres excellens en cest art et aussi musiciens et autresministres de passe-temps I ». Comme la France avait legrand maitre sdes portraits, il fit venir d'Allemagne Hol-bein, qui nous a transmis la large figure réjouie du« monstre » 2, Mais, lorsqu'il lui fallut accueillir Anne deClèves, il eut recours h des nobles expressément appelés

Kaulek, ouvr. cité, p. 103.'Mid., p. 78. Un peintre anglais rapporte le portrait d'Anne de

Clèves.

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210 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMA.NITA

et aux marchands étrangers 1, et rambassadeur de Franceajoute « tout cecy, pour grand qu'on l'estime, ne soit àcomparer au moindre des vingt entrées qu'on aura faictet au dernier passaige de l'empereur en France 2. »

Bien différente était sous beaucoup de rapports lasituation de Charles-Quint et son attitude A régard desproblimes du temps.

Il conserve dans les Flandres tout l'ancien prestigebourguignon ; il ne se départit pas de la majesté desroyautés ibériques, condescendant cependant à partici-per aux courses de taureaux 3, et en Allemagne il se faitservir, comme son homonyme du xiv° siècle, l'auteur dela « Bulle d'Or », par les Electeurs, traités en simples of-ficiers de sa Cour; il tontraint mime tel luthérien, commele due de Saxe, à l'accompagner, pour remplir le cérémo-nial, h réglise, à écouter l'office et mime la prédicationd'un moine eatholique 4. Vers la fin de son rigne, il aautour de sa personne sacrée trente à quarante pages,trente-six gentilhommes de la chambre, quarante chape-lains et le mime nombre de chantres 5. Mais, dans aucunde ces pays, il n'a pas, avec la timidité et la morgue desa femme portugaise, avec la maladie mentale de sa mire,clouée dans son château de Tordesillas oil la poursuit unemélancolie incurable, une vraie Cour, malgré les maltresde musique, de danse qu'il entretient dans son héritageespagnol, pour son fils Philippe, pour son fier petit-fils,appelé de son nom. A Bruxelles, un palais l'attend :n'en a pas en Italie, pas mime en Espagne ; il ne sauraitpas où le chercher dans l'Empire, où il ne fait, du reste,que des breves apparitions au milieu des anarchies localeset religieuses. Il se fait remplacer dans ses possessionshéréditaires par des vice-rois, qui vivent chacun selonson goilt et ses moyens. Dans les Pays-Bas, il a sa sceur

Ibid., p. 151.2 Ibid., p. 152.3 Athèri, ouvr. cité, II, p. 212.4 Ibid., III, pp. 201-202.5 Ibid., pp. 205-206.

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CHAPITRE VII 211

Marie, reine de Hongrie, qui a succédé à sa tante, Mar-guerite -de Savoie. Les deux, surtout Marie, sont desétres masculins, chastes et dominateurs 1, dont la mainest lourde, et on s'en plaint. Il y a un vice-roi, qui est derégle italien, A. Naples, un autre dans les Baléares, untroisième en Sardaigne ; le Milanais est administré par-un gouverneur au nom du futur roi Philippe, qui auratout le vaste et riche domaine italien, en pleine Renais-sance.

On ne voit, dans ces Etats divers et disparates, ni Cour,ni capitale. Partout la tradition se maintient en dehors del'empereur, qui n'osera, nulle part, y toucher, car elle setournerait contre lui et lui couperait aussitôt les sub-sides. L'organe central est un seal, le Conseil du prince,dans lequel se rencontrent, avec des secrétaires pour l'in-formation et la rédaction, car le souverain se réservela décision 2, un parvenu comme Granvelle avec le GrandMaitre de l'Ordre de Calatrave et avec un autre Espagnol,l'archevéque de Bari. En Aragon, à côté du vice-roi, il ya le justicia, et chacun peut se réfugier sous ses ailesun régent, un grand chancelier, un Conseil, ont charge desaffaires de l'Italie réunies à cet Aragon et à la Catalogne 3.En Castille, tout se continue comme du temps d'Isabelle.La noblesse reste, comme devant, mesquine de vie et arro-gante, peu maniable 4. Les vines se remettent de l'effortbrisé vers une liberté impossible. On ne peut tirer d'elles,par engagement au son du tambour, plus que quel-ques milliers de soldats pour la garde de la Castille et untrès petit contingent pour la guerre 5. Il est plus facile,mais pas aussi moins coilteux de réunir une flotte 6.

Les Pays-Bas, rarement visités, malgré l'obligation du

Hh dell'huomo assai..., castissima donna ; ibid., p. 299.2 Ibid., I, p. 60 et suiv.3 Ibid., II, pp. 28-29.4 Vivono in casa tristamente, per essere gran poverth frit essi e

usano ogni estrema miseria per sparagnare, et tutto quello chesparagnano in un'anno lo buttan poi via in un giorno, per parerepiù grandi che non sono, ibid., I, p. 23.

3 Ibid., 1, p. 27. Cf. ibid., III, pp. 259-260.6 Ibid., p. 135.

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212 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

voyage quadriennal, sont cependant la region où Charlesest le plus sincerement aimé it cause de son origine, desa ressemblance avec le Téméraire 1, de sa jeunesse pas-see au milieu des Flamands 2. La régente conserve le droitde confirmer par ses commissaires les bourgmestres etd'installer un a scultete » A côté des magistrats munici-paux pour juger des crimes 3. On y vit dans la richesse,le commerce des Portugais eux-mémes apportant lesépices A Anvers, visite par les Français aussi 4, qui vien-nent d'Alexandrie en Egypte. La Franche-Comte, avecDôle et Besançon, était A la merci du roi de France etdes Suisses.

Le royaume de Naples, où Charles a hérité de la monar-chie absolue d'un Alphonse et d'un Ferdinand, ne jouitd'aucune liberté. En Sicile, les trois « bras » de la repre-sentation du pays, clergé, barons et « domaniaux », sui-vent le roi sans l'aimer 5, et lui fournissent une arméeconditionnelle de 12.000 soldats pour quatre mois. AMilan, oil il y a aussi un capitaine general et un sénat, onhait, de méme, les Espagnols, qui ont tout envahi : lessympathies populaires vont vers les Français O.

Tous les sujets lui fournissent 600.000 ducats par an 7.Or, si les Indes lointaines, abandonnées A l'arbitraire desgouverneurs, en train, malgré les objurgations d'un eve-que comme Las Cases, d'extirper toute une race, n'en-voient que des sommes aléatoires, variant de 150.000 A.30.000 ducats par an, en 1532 8, le revenu total de rem-pereur monte, cette méme année, à 433 mille ducats 9. It

I Mostra in ogni sua azione essere assai animoso e crudele ; somi-glia al veccbio duca C,arlo di Borgogna ; ibid., I, p. 6.

8 E cost ben guardato dalli populi che piuttosto si lascierannotutti tagliar a pezzi che lasciarlo partire dal paese ; ibid., p. 7.

3 Ibid., pp. 14-15, 17.4 Ibid., II, p. 22 ; IV, p. 119. C'est le port le plus fréquenté da

monde (ibid., III, p. 290).8 Ibid., p. 270.8 Ibid., p. 283. a I signori e li cittadini sono di animo fran-

cese 9. Il y a un Conseil secret et un Conseil de guerre ; ibid.7 Ibid., II, p. 32.8 Ibid., I, p. 40.° Ibid.

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CHAPITRE VII 213

lui faudra donc faire des dettes, et elles deviendronticrasantes 1

De toute l'Allemagne l'empereur touche 12.000 florinsannuellement 2 Si la présidence d'une Dike Maximi-lien avait convoqué jadis 475 membres de l'Empire; il envint seulement le nombre de 90 avec les pleins pouvoirsdes autres donna It Charles l'occasion de tr6ner enCesar ; si à Worms, en 1531, il est arrivé à faire voter parles quatre groupes constitutionnels un Conseil d'Etatvingt-deux membres, dont il ne nomma que quatre, lesautres étant élus par des Electeurs, le clergé, les villes, etun Conseil de justice à dix-neuf membres 3, le pays n'enreste pas moins aux princes d'abord. Ils font employer laRéforme, adopt& par sept dixièmes de la population 4,pour prendre les biens de l'Eglise. En Prusse, le GrandMaitre de l'Ordre Teutonique, Albert de Hohenzollern,est devenu prince héréditaire d'un pays sécularisé dontfait hommage à son oncle, le roi de Pologne, Sigismond.

Ce sont de méchantes gens que ces demi-souverains,pleins d'orgueil et de vices. Philippe de Hesse, dégoittéde sa femme « qui boit et sent mauvais », demande, avecl'assentiment de cette princesse de Saxe, la faveur deprendre une seconde épouse, et .les docteurs de la « Ré-forme » l'y autorisent formellement. Dans la tamille deWurtemberg, dans celle de Saxe on se déchire entreparents, et Charles trouvera un allié contre les princessaxons dans le comte Maurice, de leur lignée. L'arche-véque de Cologne, qui s'avise aussi de séculariser, est,dans l'opinion de l'empereur, un ignorant 5. Celui deMayence, cardinal, accepte une forme moyenne entre lafoi romaine et la Réforme 6. Le Bavarois Louis et Georgesde Brandebourg ne se consolent pas d'avoir perdu laBohéme 7, et le premier pleure encore sur sa défaite

1 Ibid., pp. 56-57.2 Ibid., VI, pp. 35-36.3 IbidJ, II, p. 20.4 Ibid., pp. 17-18. Cf. ibid., I, p. 65 et suiv.Ibid., p. 103.lbid., VI, p. 75.

7 Ibid., I, p. 103.

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214 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

l'élection impériale. Leur train de vie reste mesquin 1. ORrit en Angleterre de celui qui accompagnait Anne deCleves : des jeunes filles « vestues d'une façon d'habit silourd ei mal seyant qu'à peine ne les trouveroit-on quelaydes, quand ores bien elles seroient belles 2 ».

Les villes affirment, plus que celles de France, leurautonomie en chassant le clergé possessionné et en fai-sant de la religion un département de la municipalité.Francfort et Nuremberg, cités de Dike, habituées auxdébats, Mayence et Cologne, en haine de leurs maitresecclésiastiques, donnèrent l'exemple. Au moment où lenouvel art fleurit ailleurs, on détruit ici les monuments,de l'ancien. Les patriciens sont des adhérents de Luther,parfois comme les Fugger, acheteurs, jadis, des joyaux,de Maximilien 3, les amis de « Charles de Gand » 4,l'empereur. Les masses se livrent à tous les excès de»saturnalesreligieuses, et on verra le roi Thomas Miinzerrégner avec ses bandes anabaptistes à Miinster, oft il con-pera les têtes, frappera des monnaies et affichera en.même temps sa nudité et sa polygamie.

Malgré la (Waite des bandes de la révolte paysanne,de la « jacquerie » allemande, les campagnes conservaienten grande partie le levain des vieilles haines, sous laforme religieuse qui les mettait souvent sous la protectionde leurs princes. « 11 n'y a pas de femme », écrit un di-plomate italien, « qui ne veuille disputer sur l'Evangileet les 4pitres de saint Paul et la foi 5. »

Le roi des Romains ne régnait pas plus que son augustefrère absent. La Bohéme, préle b. se révolter contre l'ad-versaire de son hussitisme tenace, la Hongrie, sans cessemenacée par les Turcs, le retenaient totalement. Pour

1 Non 6 principe in Alemagna che non sia povero, e il simile debaroni ; ibid., p. 409.

Kaulek, ouvr. cité, p. 151.a Aìbèri, ouvr. cité, VI, pp. 29-30.4 Ibid., I, P. 411.

Ogni femrnina vuol disputare delP Evangelio, e delle epistole di_S. Paolo e della fede ; ibid., p. 128.

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CHAPITRE VII 215

défendre le reste de ses possessions, il avait besoin de lapension, fixée par le testament du « Catholique », de lapart de Charles 1, des Espagnols envoyés par le même, desItaliens payés par le Saint-Siège. Les chefs de ces bandesallemandes, un Roggendorf, un Salm, de vieux guerriers,disparaitront bientót. Entouré de son chancelier, del'évéque de Trente et d'autres trois conseillers, Ferdi-nand cherchait, dans sa résidence de Vienne 2, A utiliserles circonstances ne pouvait pas influencer essen-tiellement. Il n'aurait méme pas pensé à résoudre laquestion religieuse si la volonté de Charles ne s'y étaitmise.

Car lui seul, l'empereur, s'attribuait cette mission. Lesautres rois se bornaient à se créer une Eglise protestante

eux, sur la ruine des possessions ecclésiastiques, con-flsquées. Ainsi en agit, malgré ses rapports d'étroiteparenté avec Charles, le roi de Danemark ; ainsi, et avecencore plus d'élan, le roi national de la Suède.

Le calvinisme pénétrait ainsi en Transylvanie, sous laforme socinienne, unitaire, représentée par un exilé ita-lien, le médecin Biandrate, du Piémont plein de Vau-dois. Le « roi » Jean Sigismond avait oublié les tradi-tions catholiques de son Ore et de sa mére polonaise. EnPologne, sous le Ore de cette reine Isabelle, sous sonfrère, d'aspect et d'esprit italien, se faisant batir une ad-mirable chapelle sépulcrale et un palais aux arcades demarbre au vieux Wavel de Cracovie, la doctrine des deuxSocins, dont l'un allait mourir dans le royaume méme,au milieu d'une considération presque générale, péné-trait, attirant toute la jeune noblesse qui fraternisait avecle duc luthérien de Prusse.

Contre cet envahissement rapide et furieux, l'Eglise,dominde dans un étroit intérét de famille par les Farnèse,

I 60.000 ducats par an ; ibid., p. 37.2 Ibid., pp. 95-96.

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216 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

ne pouvait rien entreprendre. La reaction de la jeunessecatholique sous la forme de la Societe ou de l' a Insti-tut » des « clercs réguliers de la Compagnie de Jesus » aParis, dans le monde des Colleges, des 1534, sous la con-duite d'un noble espagnol, Ifiigo de Loyola, ne signifiaitencore rien comme action. Les statuts de cette « legion »romaine pour la defense du dogme et de l'hiérarchiedatent seulement de 1542 ; le Pape Paul III s'empressade les confirmer, mais, jusqu'à la mort, en 1556, du fon-dateur et premier général de cette « milice », aucuneentreprise importante n'avait encore été tentée.

L'intervention du seul facteur capable d'agir devait seproduire. Charles-Quint doit à sa situation et h son pres-tige au moins le risque d'une tentative.

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CHAPITRE VIII

La crise religieuse en Occident.

Charles et son &ere, le roi des Romains, dont la filleavait épousé le roi de Pologne, Sigismond-Auguste, étaienten paix Avec les Turcs. Le grand ennemi des Habsbourgsvenait de mourir. C'était déjà une base pour l'action des-tinée à réduire l'Eglise à l'unité trop longtemps déchirée.

Mais un autre événement favorable A. cette ceuvre quel'empereur goutteux et grisonnant considérait comme leplus important de ses buts ce fut la perspective d'unretour du royaume d'Angleterre à la foi catholique.

Henri VII/ n'avait eu de ses nombreuses femmes, dontdeux Anne Boleyn et Catherine Howard, furent décapitéesavec sentence en règle comme adulteres, une troisième,Jeanne Seymour, mourut en couches, une quatrieme,Anne de Cleves, belle-sceur du duc de Saxe 1, se laissadivorcer, conservant sa maison royale, et la cinquieme,Catherine Parr, eut le bonheur, vraiment inespéré, de luisurvivre, qu'un fils en bas-Age, Edouard, et deux filles.L'ainée, Marie, fine de la tante de Charles-Quint, fut long-temps tenue dans l'isolement, ce qui ne l'emPécha pas dese gagner des connaissances remarquabies dans les Ian-gues et la musique 2. Sa sceur Elisabeth, fille d'Anne,dont le mariage avait été dissout avant l'exécution, fut

1 II avait été question de le marier à la duchesse veuve de Milan.2 Albéri, ouvr. cite, II, p. 323. Henri lui-mame, théologien, parlait

le français, l'espagnol ; ibid., III, p. 11.

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218 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

déclarée batarde par vote du Parlement, et son existenceaurait été plus triste encore si elle n'avait pas trouvé deconsolation dans des etudes assez sérieuses pour lui per-mettre de lire le latin et méme le grecl. Marie devaifétre la femme du duc d'Orléans, avec le Milanais commedot de la part de son oncle, et il lui plaisait d'en prendrele titre. Or, Charles avait tout intérét A empécher cettealliance, lui qui voulait, des 1538, faire d'Elisabeth elle-méme la femme de son neveu Maximilien, fils du roi desRomains 2. Il fut question de donner Marie A l'infant dePortugal Louis, avec le méme duche italien 3, puis au ducde Cleves, au jeune due de Bavière, qui vint de fait etjouit du plaisir de lui faire un compliment en allemandet en latin et de l'embrasser 4 ; A l'empereur lui-méme 5.Elle finit par épouser le fils de Charles, Philippe.

Ce mariage catholique ouvrait des perspectives : des1539, on pouvait écrire que le peuple anglais est « beau-coup plus enclin A. l'ancienne religion qu'aux nouvellesopinions, qui sont soubstenues seullement par aucunsévesques 6 ». Henri, tout en continuant son conflit avec lePape, « abomination, filz de perdition, ydole et Ent&christ 7 », persécutait les luthériens et les « séditieux ana-baptistes », envoyant à l'échafaud le chancelier Cromwell.considéré comme étant leur coznplice 8.

La question s'était depuis longtemps posée si la suc-cession de Marie n'était pas preferable a celle d'Edouard,

i Ibid., pp. 329-330.2 Kaulek. ouvr. cité, pp. 24, 34. Cf., pour le projet franyais, ibid.,

pp. 33, 38, 327-329, 344 et suiv. On await voulu dormer A Henri,veuf, la sceur de Marie de Lorraine, qui aurait été adoptée parFrançois (ibid., pp. 53, 57, 64). On proposait de lui envoyer « mes-demoiselles de Vend8me, de Lorraine et de Guise avee la sceur duroi a (ibid., p. 68). Comme on trouva en France qu'il serait pendigne de le faire, le gros Henri protesta (ibid., p. 73).

8 ibid., pp. 43, 73-74.4 Ibid., pp. 148-149.5 Ibid., pp. 148-149, 168, 170.8 Ibid., pp. 103, 236, 239, 272, 275-276.7 Ibid., p. 198.8 Ibid., pp. 175, 189 et suiv.

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CLIAPITRE VIII 219

enfant en bas-Age et de complexion maladive 1 Maiscelui-ci fut proclamé en 1547, et on verra bientOt que sononcle, le due de Somerset, et farchevéque Cramner, le diri-geaient du cété du luthérianisme.

Des le printemps de cette année 1547, qui vit, en jan-vier, la mort du roi d'Angleterre, en mars celle de Fran-çois, la guerre religieuse s'est décidée en Allemagne.Apres la Diete dont s'abstinrent les réformés, Charlespréparait en 1546, avec son frere, la grande surprise pourles protestants, à Ratisbonne, où il se trouvait presquesans soldats, lorsque la ligue protestante de Schmalkal-den, le « duc » luthérien Philippe de Hesse A sa téte,commença l'offensive. Les bandes pénétrerent jusque dansle Tyrol autrichien pour couper le, chemin aux secours..Mais le prestige imperial empécha un coup ñu côté où onavait pu faire la capture la plus importante. Bientét, lestroupes espagnoles et italiennes, auxquelles on avait fixéle rendez-vous pour un peu plus tard que la révolte,parurent. Les Flamands s'ajoutèrent : .dès ce moment, lasupériorité des Impériaux ne pouvait pas &re liaise endoute. Maurice de Saxe, pour parvenir, se mit A la dispo-sition de Charles. II prit la Saxe, soumit le Palatinat etréduisit le centre luthérien d'Ulm.

En hiver cependant l'Electeur Jean-Frédéric revintdans ses Etats, penetrant ensuite en Bohéme et en Lu-sace ; le royaume de saint Wenceslas, depuis longtempsmal dispose contre les Habsbourg, se leva en armes, sousprétexte de se défendre contre toute contingence. Lesbarons voulurent empécher la reunion à Eger de Ferdi-nand avec l'empereur. Descendant l'Elbe avec sa puis-sante armée, qui contenait aussi des Hongrois, Charlespoursuivit les Saxons et Hessois, qui se retournaient versla ville « sacrée » de Wittemberg, et les força à livrerbataille dans la campagne de Miihlberg (avril 1547). Le

i Cf. ibid., pp. 350-351. Voy. ibid., p. 50 : . les uns sont pour leprince nouveau-nk et les autres pour Madame Marie » (année 1538).

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220 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

due de Saxe fut parmi les prisonniers. Le landgrave,gendre de Jean-Frédéric, alla trouver l'empereur à Hallet demanda pardon 1.

La méme année vit rinsuccès de la tentative, à Génes,des Fieschi contre les Doria, l'assassinat de l'allié de cesconspirateurs amis de la France, le due de Parme ; et unerévolte à Naples fut supprimée.

L'empereur put procéder done librement h établir lapaix religieuse, objet de ses efforts. A Augsbourg, en mai1548, devant les protestants, réduits à y paraltre, lesmille cinq cent quarante et un articles des théologiensfurent présentés, et Charles y proclama une trève, Pint&rim, réservant la décision définitive au Concile qui devaitse réunir à Trente.

A peine le traité avec François avait-il été conclu quece Concile d'union ouvrait ses séances dans la ville épis-copale sise entre les Etats des Habsbourgs et h proximitéde cette Italie qui pouvait défendre par ses forces mili-taires la tranquillité des séances. Dès 1542, on avait choisi

,cette place, mais en 1544 les protestants avaient refusé de-s'y rendre sans garanties. Le 15 décembre 1545, onavait cependant commencé le travail, mais dans des con-ditions qui en faisaient seulement une réunion de l'Eglisecatholique, attentive (Ms le début à fixer un point de vueimmuable gardé par l'anathème. La formule destinée àrétablir l'unité de l'Eglise en Occident fut rédigée dès lemois d'avril suivant, mais h la Diète de Ratisbonne il n'ytut que les catholiques pour l'accepter. Or, ceci paraissait

Charles un acte de rébellion formelle, qu'il devait punir.11 proclama le traité qui le réunissait déjà au Pape pourtuer l'hérésie.

Aussitôt l'Electeur de Saxe et le landgrave de Hesse, leduc de Wurtemberg, le prince d'Anhalt, les délégués desvines zwingliennes : Augsbourg, Ulm, Strasbourg, se ras-

Albéri, loc. cit., pp. 411-414 ; Nunziaturberichte aus Deutsch-land.

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CHAPITRE VIII vrsemblent h Ulm pour mettre A exécution les prévisions de-la ligue A laquelle ils appartenaient.

Mais le Concile ne devait rouvrir ses séances qu'en1551, sous un nouveau Pape, moins énergique que sonprédécesseur, sous Jules III. Et, jusque 1à les circons-tances avaient rendu impossible la réalisation du grandréve de l'Empire réel établi sur l'Eglise uniflée.

L'attaque turque sur la frontière des possessions duroi de Hongrie se prononça dès l'année 1550.

Entre les deux régents au nom du petit prince Jean-Si-gismond avait éclatá le conflit qui couvait depu'is long-.temps. Le Serbe envahit la Transylvanie, et le moinecroate réussit h. l'écarter. Une intervention turque, coin-mandée par le Pacha même de Bude en faveur d'Isabellene réussit pas A le déloger. Martinuzzi négociait des deuxcôtés, et il avait voulu donner h. son pupille une des flllesdu roi Ferdinand. Un traité formel fut signé en 1551, etles Impériaux, commandés par un. général qui avatt faitses armes en Italie, Castaldo, parurent sur le sol transyl-vain ; la veuve de Jean Zápolya, que Petrovics ne pouvaitpas défendre, dut abdiquer en échange pour deux duchésde Silésie. Le moine restait le maitre de fait de cette pro-vince. Et le Banat fut à son tour occupé par le comman-dant supréme, au nom de Ferdinand, en Hongrie.

Aussitôt une expédition ottomane fut organisée pourrestituer Vanden état de choses, chassant les usurpateurs.Une forte armée prit possession des châteaux du BanLton vit les Persans d'Oulama au milieu des greniers euro-péens du Roum. Temesvár fut défendue aussi par lesEspagnols. Le beglerbeg de Roum, le Serbe MohammedSokoli, brisa la résistance de ces vieux soldats.

Après le retour des envahisseurs, le moine, dont Ferdi-nand avait fait un cardinal, se réunit A Castaldo pourmarcher contre les garnisons turques, tout en gardantles dehors d'un spectateur et d'un médiateur. Commecette politique de bascule ne pouvait pas rester inobser-vée, les gens du roi le surprirent dans son château et

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222 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

l'assassinèrent, tout simplement. Les Impériaux s'éta-blirent aussi à Nagy-Varad (Oradea-Mare), dont l'évéqueavait été leur victime.

Au cours de Vannée suivante, les Turcs ne réussirentpas seulement h reprendre Temesvár, mais ils se saisirentde Szolnok. Malgré les humbles offres de Ferdinand, quivoulait garder la Transylvanie, terriblement saccagée parses bandes, la trève gull obtint du Sultan en 1553 necontenait guère la cession de cette principauté. Le Sul-tan abandonnait de fait le pays aux Impériaux, qui s'ymaintinrent pendant quelques années encore, en dépit.des efforts de Petrovics et des protestations d'Isabelle, etarrivèrent méme à arracher une reconnaissance de la partdu suzerain, retenu en Asie par la guerre contre les Per-sans.

Elle avait été entreprise comme une puissante offen-sive, déterminée par les troubles du Caucase, dès 1548.Chirvan, Tebriz furent occupées, puis la forteresse armé-nienne de Van, mais sans autre résultat, l'armée otto-mane elle-méme étant contre cette guerre lointaine, diffi-cile et sans butin. Encore deux fois, en 1550 et en 1551,Soliman parut en Asie : il ne faisait que s'y livrer auxplaisirs de la chasse et arréter par son prestige la revan-ehe persane 2.

Mais dès 1550 il y avait derechef les Français en'It alie.

Le noilveau roi Henri avait de mauvais souvenirs ducôté de l'Espagne, où il avait été otage, du côté de cetteItalie, oil il avait conduit les armées. Conseillé, dominépar sa maitresse et par son connétable de Montmorency,gendre du bâtard de Savoie, it avait eu pendant quatreans le souci des joutes et des chasses ; il s'était interdittoute convoitise au delh des Alpes. Mais de nouveau il y

1 Geschichfe des osmanischen Reiches, III, pp. 33-48.1 Ibid., pp. 121-122.

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CHAPITRE vuz 223

avait des Italiens à Milan qui préféraient le regime fran-çais, un prince italien à Parme, Octave, dont le nouveauPape voulait annexer, avec le consentement de Charles,beau-père d'Octave, le duché aux Etats ecclésiastiques.Des exiles de Naples et de Florence vivaient encore enFrance. A Ferrare, le duc était fils de Renee, sceur de lareine Claude, et leur fille avait épouse le due de Guise 1Catherine, la nouvelle reine, fille de Laurent de Médicis,prétendait it la possession de ce duché de Toscane quel'empereur .avait créé pour un autre Médicis, Côme 2 ;Sienne était prete h. la révolte. D'un autre côté, Charles-Quint, auquel avait été offerte pour son fils la princesse1VIarguerite de France, réclamait la Savoie, considérée parHenri comme heritage de son aleule, Louise, et le Pie-mont. On envoya done une armée dans ce dernier pays, et,comme les Impériaux attaquèrent Parme que le Papefulminait de ses censures, le maréchal de Brissacreçut l'ordre de descendre dans la province protegeeouvertement par le roi, où le siège de Parme fut aussitôtlevé.

Henri avair repris Boulogne et conclu une paix favo-rable avec l'Angleterre, acceptant de donner au petit roiEdouard sa fille ainée, Isabelle ; il avait fait cependantapporter en France comme fiancée du Dauphin la reine-enfant d'Ecosse, Marie, et en faisait garder le royaumepar les siens ; 11 venait de renouveler sa ligue avec lesSuisses. En Italie, il y eut bientôt une paix pour les af-faires de Parme (avril 1553). Mais Henri avait en Allema-gne des liens .étroits avec Albert de Brandebourg, avec leduc de Wurtemberg ; et Maurice de Saxe, maitre cepen-dant de la Misnie, d'une partie de la Thuringie, de Wit-temberg, de Leipzig, et repute (c le plus riche prince del'Empire 3 », dont rambition n'avait pas &Le complétementsatisfaite, se cherchait un appui extérieur contre son ami

AllAri, 010, VI, pp. 70, 82-85.2 Ibid., pp. 70-71.3 Ibid., p. 72.

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224 Essm DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

impérial. Le duc de Bavière, gendre de Ferdinand, devaitnéanmoins refuser le concours à l'empereur.

Dès janvier, donc, le roi de France se présente commedéfenseur des libertés germaniques et occupa, en vertudu principe de l'appartenance linguistique, les évéchés deMetz, Toul et Verdun. Son action fut considérée plutedavec sympathie par tous ceux qui plaignaient le land-grave de Hesse, depuis longtemps emprisonné, et crai-gnaient que Charles, l'étranger, ne veuille leur imposer-comme futur empereur un Flamand d'allures, un Espa-gnol de cceur, un catholique animé de fanatisme commeson jeune fils Philippe 1

Surpris à son tour, Charles dut s'enfuir devant Mau-rice par les défilés du Tyrol. Revenu avec de nombreusestroupes, il voulut reprendre à tout prix Metz, mais le ducde Guise lui en fit quitter le siège en janvier 1553. Dansla Picardie envahie, Thérouanne fut détruite par les Espa-gnols, mais cela ne leur valut rien. Le succès de Renty (enArtois), en 1554, ne valut pas plus aux Français. Desmois entiers furent perdus au siège de Sienne, défenduepar le Florentin Pierre Strozzi au service du roi de Franceet aux luttes en Corse entre les Génois et les troupesroyales. Le dernier écho de la longue inimitié entre lesdeux plus grandes dynasties de l'Europe allait en s'affai-blissant de plus en plus.

La paix, visiblement, s'approchait. Charles ne voulutpas la signer lui-méme. Malade et découragé, saisi par la

assion de sa mère pour la solitude, sentant en lui la res-ponsabilité des troubles religieux, n'avait pas puapaiser, il se préparait depuis longtemps déjà A. la retraite.Dans la Diète de Passau, en 1552, il avait renoncé auxclauses de l' « intérim » ; dans celle d'Augsbourg (aatt-septembre 1555), il proclama pour les princes le droitd'imposer à leur pays leur religion (cujas regio ejus reli-gio), à condition que ce ne soli pas une des formes dégé-

Ibia, pp. 77-73.

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CHAPITRE VIII 225

nérées du luthéranisme. Puis, à Bruxelles, le 16 janvier1556, Charles abdiqua à toutes ses _possessions hérédi-taires, qui revenaient au roi Philippe. Aussitôt celui-clsigna, le 5 février, la trève de Vaucelles.

Pour avoir la paix, il fallut, cependant un nouvel essaide forces. En 1556 encore, le Pape remplaça dansl'alliance française Octave Farnese, gagné par le don dePlaisance. Mais ce n'était pas sur l'Italie que comptait leplus le nouveau roi d'Espagne, conduit par son favariportugais Gomez et par sa soeur, la reine-veuve de Portu-gal, Jeanne.

Par un coup de maitre, son pere lui avait fait épouserMarie Tudor, qui, venant après le luthéranisme imposéA son &ere par ses tuteurs et après une lutte contre lapetite-fille de la reine Marie de France, duchesse de Suf-folk, Jeanne Grey, soutenue par son beau-père, le du' c deNorthumberland, avait rétabli par l'échafaud la foi catho-lique.

Philippe avait espéré ôtre roi de fait de cette Angle-terre, dont il flatta sans grand succès l'opinion. Se voyantsans enfants, il voulut se &fake d'Elisabeth par une volenon sanglante, l'envoyant régner en Savoie. Marie refusad'admettre ce mariage mais elle entra volontiers dansla ligue contre cette France dont jadis elle avait espérépouvoir devenir la reine.

Comme au temps de Henri V/II, la Picardie fut enva-hie, et, pendant que le due de Guise s'excitait dans uneentreprise nulle et folle A Naples, le due de Savoie lui-méme, Emmanuel-Philbert, venait commander l'arméed'invasion. Il remporta en aofit 1557 la grande victoirede Sa-int-Quentin, en présencé du roi d'Espagne, princeflegmatique, peu capable à la guerre et nullement ama-teur des camps.

Rappelé d'Italie, le due de Guise répondit par la con-qugte de Calais, en janvier 1558, par celle de Thion-ville sur le Rhin, en juin, suivie cependant par une vic-toire flamande à Gravelines. Marie Tudor mourut ennovembre de cette même année, et sa soeur Elisabeth,

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226 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

catholique au debut, fut contrainte par le Parlement àrentrer dans la tradition anglicane.

Il fallait faire la paix. « Je veux la paix de toute fa-çon», dit Philippe à un ambassadeur vénitien, « et, si leroi de France ne l'avait pas demandée, je la demanderaismoi. » Les négociations de Cateau-Cambrésis l'amenerentdés le 25 avril 1559. Calais et les Trois Evéchés restaientà la France, qui, restituant la Savoie au duc viotorieux àSaint-Quentin, devenu époux de Marguerite de France, laCorse aux Génois et installant le due de Mantoue dans leMontferrat, ainsi que celui de Toscane à Sienne, conser-vait non seulement le comté d'Asti, mais aussi Chieri etPignerol (Pinerolo), Chivasso et la possession de Turinelle-meme. Isabelle, fille de Henri II, devait monter surle trône des Espagnes.

Cette reconciliation universelle n'avait plus le but de laresistance contre le Sultan, qui faisait dire à Charles-Quint que tout le monde parait devenir turc, mais que fursera le dernier à resister. Charles avait abandonné enseptembre la couronne de l'Empire en faveur de- Ferdi-nand, de son fils Maximilien et de leur lignée. Mais lePape, Paul IV, ne voulut pas reconnaitre un Cesar quin'avait pas accompli A son égard l'acte de soumission queCharles lui-même avait accepté. L'Eglise, qui venait defermer de nouveau les séances de Trente, considérait avecméfiance un prince très doux à regard du luthéranisme.La lutte contre l'hérésie revenait donc à d'autres que luiA. ce roi d'Espagne, vrai héritier de la mission que sonOre n'avait pas menée à bonne fin, et, avec lui aussi, auroi de France, son beau-pere.

Le roi Philippe, dont le Ore, retire en Espagne, voulaif

1 Ambasciatore, lo voglio pace in ogni modo, e, se il 1.6 di Francianon l'avesse dimandata, la dimandarei lo ; Albéri, ouvr. cité, II/,p. 383. Il aurait fait dire par le due d'Albe qu'en échange de l'al,liance avec Venise, il aurait dorm& le Milanais au duc de Savoie.(ibid., To. 386).

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7 Ibid., VI, p. 77.2 Ibid., III, p. 356.a Ibid., p. 363.4 Ibid., p. 234.2 Ibid., p. 351, note 1; p. 352. Les indigenes y sont o faliti e dis-

perati » ; ibid., p. 348.4 Ibid., p. 357.7 Ibid., p. 40.

CHAP1TRE VIII 227

faire, malgré sa renonciation au profit de Ferdinand, unempereur 1, fut le premier à commencer l'oeuvre de puri-fication. Ayant dans son propre royaume des dizaines demille de faux chretiens, d'origine maure, chargé desdettes de Charles-Quint, qui avait dépensé vingt-quatremillions d'or en quelques années 2, ayant, avec un revenude chic' millions, un déficit annuel d'un million 2, réduitA. s'adresser à des faussaires, contraint A. diminuer leprestige de sa Cour 4 et, enfin, menace dans sa belle pos-session de Naples oil ses adherents étaient taxes de« janissaires » 3, il se choisit comme but, lui, le Flamand,dont les Flandres étaient les vraies Indes 6, la reductionreligieuse de la vraie patrie de son père.

Charles lui-méme avait pris des mesures pour com-battre l'hérésie dans les Pays-Bas, mais continuant Aemployer dans la guerre de France les chefs de cettenoblesse dont il observait scrupuleusement les anciensprivileges : un Egmont, un Aerschot, un d'Orange. Aucontraire, Philippe voulut placer dans ces provinces desgarnisons espagnoles, qui lui furent refusées par lesEtats 7. Ne réussissant pas par ce système, il remplaçales garnisons par des éveques, le Saint-Siege lui ayantaccordé douze nouveaux dioceses. Les tribunaux destinesspécialement A poursuivre les dissidents inaugurèrent des1559 leur funeste activité, alors que dans l'Italie septen-trionale on s'attaquait d'une façon tout aussi impitoyableaux pauvres Vaudois.

En France, malgré le mennant edit d'Ecouen, Henri IIse montra beaucoup plus tolerant. On put afficher dansles rues des placards contre la messe, faire des « predi-cations », tenir des « assemblées » présidées par les

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228 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

,, ministres », correspondre avec Geneve, discuter mémeau Parlement, devant le roi, ces questions délicates. Quel-qu es arrestations dans la noblesse de robe n'endiguerentpas le mouvement. Du reste, les dissidents avaient laméme attitude que les catholiques A regard de la royauté,et on pouvait dire que, « si le roi d'Espagne a beaucoupde royaumes, mais tous desunis, le roi de France en aun seul, mais tout uni et obéissant 1 ».

On ne faisait pas attention A. l'esprit de liberté maldefinie, d'un esprit antique exagéré, tout mélé de rhéto-rique creuse et de divagations hérolques, qui inspirait lajeunesse A une époque oft Bodin discutait sur la répu-blique, Jean Ramus appelait les princes devant son tri-bunal, et les figures de rantiquité surgissaient par lespages de Plutarque, dans la traduction, si populaire, deréveque Amyot. On ne se rendait pas compte non plusdu fait que la noblesse, habituée h. la guerre presque con-tinuelle au delà des frontières du royaume, cette noblesseavide de gloire qui comptait dans les rangs de la nouvellegeneration les Guise, un Brissac et un Saint-Andre, unMontmorency, les princes de Bourbon, « fils et neveux »du connétable traltre A. la couronne, n'était guere dis-posée A retourner dans ses châteaux pour presider lesmanants aux travaux des champs ou pour venir se ruirterâ la Cour trois mois l'an au service du roi 2 On passaitpar-dessus le pli special que donnait au clergé d'originenoble les etudes A l'Université, qui était devenue une con-time et un point d'honneur 3. Rasgemblant les Etats Oa-raux apres le désastre de Saint-Quentin, le roi, qui puty apercevoir les grandes ambitions de la noblesse de robe,se considérant un ordre A. part, ne prévoyait pas que cetteinstitution tombée en desuetude était entrée désormaisdans le programme des novateurs, qu'ils la considérerontde la même façon que les Allemands leurs Dietes, qu'il

i IL ri di Spagna hi molti regni, mi tutti disuniti ; il ri di Franzahit un solo regno, mil tutto unito ed obbediente ; ibid., II, p. 252.

2 Ibid., IV, pp. 114-116.3 Ibid., p. 114.

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CHAPITRE VIII 229

sera question bientôt, comme en Allemagne aussi, d'unConcite national pour discuter les dissensions reli-gieuses.

Il y avait enfin les masses populaires, lass-es de cesguerres dont, deartées, par crainte et mépris, desarmées, elles n'avaient pas même un profit moral et quiréduisaient de nouveau des groupes de paysans it se cher-cher ailleurs un asile.

Un accident dans une joute deslinde k célébrer la paixrécemment conclue, une inauvaise blessure A. l'ceil, gau-ehement traitée, amena la mort prématurée de Henri II,en juillet 1559, et la France eut, avec une reine Neuveétrangére, peu respectée et incompétente, un roi dequinze ans, d'esprit lourd et de tendances violentes.

II fallait au pays un régent, de fait, sinon de nom.Le cardinal de Lorraine, un des Guise, prit la conduitedes affaires, et aussitôt le roi de Navarre, de la nouvelleMaison régnante de Bourbon, par le mariage avec l'héri-tière, la fidre Jeanne d'Albret, et son frère, Gondé, furentA la téte d'une forte opposition. La persécution se &cien-cha : on vit au gibet et sur le bfither un des cinq con-seillers du Parlement arrétés par Henri. Les mécontentsse rallièrent au calvinisme, qu'ils avalent si peu, du reste,dans leur intelligence et dans leur cceur. En méme temps,des mouvements se produisaient dans les villes : àOrldans, à Lydn, à Poitiers, dans l'extréme Nord et dansl'extrême Midi. Le cardinal pensa, après le conventiculede Fontainebleau avec les princes, aux Etats commemoyen de pacification.

Les hardis chefs des protestataires, chez lesquels il yavait « plus de mécontentements que d'huguenotterie 1 »,crurent pouvoir renverser les Guise, que la reine-méreaussi détestait, au point de faire douter de son dévoue-ment à la foi romaine 2, par un coup de main. On essaya

1 De Thou, ch. XXV ; cité d'abord par Albéri, ouvr. cité, IV, p.131, note I.

2 Albèri, loc. cit., p. 144.

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230 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HHMANITÉ

de se saisir du roi à Amboise ; la tentative manqua. Fran-pis II assistait encore, impuissant, h ce qui se passaitcontre sa religion en Ecosse, où il était non seulementprince-consort par son mariage avec la jeune reine Marie,

et il y avait des troupes françaises en lutte avec lesAnglais, plus forts, autour de la régente Marie de Lor-raine, mais aussi roi, en vertu du pacte secret qui luicédait cette couronne, la réunissant h celle de France. Or,depuis des années, le royaume était devenu une vasteGeneve. La « cite de Dieu » selon « 'Institution Chré-tienne » s'y construisait par les efforts du grand prédi-cateur, fanatique et républicain, qu'était Jean Knox. Ce« juge d'Israél » terrorisa la régente et, après la mort decette étrangere et de cette catholique, il toléra la reineabsente h. condition que le royaume, devenu légalementpresbytérien, sera conduit par un Conseil de douze, dontcinq seront élus par les Etats.

Une armée fut formée en France contre l'hérésie hau-tement provocante. Le roi ne pouvait pas se fier hl' « arrière-ban » de noblesse, ou aux vieilles legions deLouis XII et de François P. On engagea des lansquenetset des Suisses, payés 'par un rourd emprunt, impose à laville de Paris. Il y eut des décapités en effigie, alors quede Termes se rendait en Guyenne. Conde devait étrearrété à Orleans et peremptoirement condamné à mort.De son côté, le roi de Navarre assista à la messe et envoyades protestations h Rome. Peu apres cependant, Françoismourait des suites d'un abces (décembre 1560).

Après le roi de dix-sept ans, il y eut, dans le débileCharles IX, dont on prévoyait et escomptait déjà la mort,un roi de dix ans. Une reaction se produisit aussitôtcontre les Guise, favorisée par Catherine de Médicis, quivisait pour elle-méme le pouvoir. On voulut donner aujeune prince pour précepteur l'amiral de Coligny, calvi-niste declare, alors qu'on entendait les psaumes et lespréches dans les chambres mémes du roil. Bientôt toutle pouvoir fut entre les mains de quelqu'un qui obéissait

I 'bid, IV, p. 160.

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CHAPITRE VIII 231

A sa femme et qui poursuivait la situation de roi des Ro-mains, le roi de Navarre 1, proclamé lieutenant-général.du royaume.

Il y eut donc un congres des protestants, qui jouis-saient du libre exercice du culte dans les villes leurappartenant. Theodore de Beze put venir de Geneve pourdiscuter à Poissy avec le cardinal de Lorraine sur lesdeux professions de foi. Enfin, au conunencement . del'année 1562, une reunion de magistrats, de deux prési-{tents pour chaque Parlement, décréta qu'on pourra pro-fesser le calvinisrne aussi en dehors des villes qui luiétaient reconnues.

Alors Guise, appelé par la reine-mère h. Paris, risqua lecoup de Vassy, massacrant les « hérétiques », qui chan-taient leurs chansons françaises dans une grange. Aussi-tôt, Conde quitta Paris et occupa Orleans. De ce centrede resistance, les « huguenots » demandaient le con-zours des Anglais et des princes allemands, cédant auxpremiers Le Havre et prenant, des seconds, des bandes deterribles reitres, les « ferraiuoli », des Italiens 2, quilogeaient leurs chevaux dans les églises et ne s'arrêtaientdevant aucun crime et devant aucune profanation. Leyarn des Guise créa cent soixante compagnies à Paris 3.

Catherine de Médicis visita, avec le roi, Conde dans saresidence de rebelle ; elle dut bien prendre à son servicedes Suisses et autres mercenaires 4. On combattit pour,Rouen. Si, à cette occasion, le roi de Navarre tombadans la mêlée, les siens le vengèrent en faisant assassiner,-au mois de février 1563, le duc de Guise.

La reine-mère restait maitresse de la situation. Poli-tiquement irrésolue dans le conflit, elle conclut en marsmême la paix d'Amboise et fit proclamer en aoíit la-majorité de son fils, auquel elle fera visiter les provinces

Les Guise descendaient d'une sceur du roi de Navarre (ibid/3. 441).

2 Ibid., p. 117.3 Ibid., p. 174.4 Ibid., p. 175.

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232 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

et qu'elle manera en 1565 it Bayonne pour se rencontreravec le duc d'Albe. Par l'assemblée de notables réunie en1566 it Moulins elle crut avoir posé les bases définitivesde la pacification et d'une autorité royale qui n'était pluscelle du « roi des fines » dont parlait jadis Maximi-lien I" 1

Cette paralysie politique de la France déchirée parles factions paraissait préparer toute une révolutionpopulaire 2. Philippe II devait en devenir de fait, commeon commensait h. le considérer, « arbitre du monde » 3.Mais, en dehors du mécontentement, dont il ne montraitpas trop s'inquiéter, de ses « maranes », de ses « Moris-ques » persécutés, il allait atre empaché d'intervenir, enFrance aussi bien qu'en Allemagne, où les dernièresmesures de Charles-Quint semblaient avoir satisfait lesprinces dissidents, autant que l'ambition, de forte volontéet de prestige inattaquable, de Soliman, était encore lhpour menacer la domination méditerranéenne, sa « tha-lassocratie » chrétienne. Dés 1550 avait commencé latravail de restitution ottomane dans les eaux de l'Afrique,oil un autre pirate hardi et heureux avait succédéChaireddin, Torghond. Afrikieh fut reprise et, de soncôté, l'allié momentané du Sultan, le « chérif » du Magh-reb marocain, reprit aux Espagnols Tlemcen.

Us devaient garder bientôt dans ces régions seulementSoliman y nomma cependant un sandchak. En 1551, lesBarbaresques et servit de point de départ pour des entre-prises de pillage sur les cates du royaume des Deus-Siciles. Une revanche chrétienne sous le vieux Doria:arriva à reprendre « Auffrique » des anciens croisésSoliman y nomma cependant un sandschak. En 1551, lestrois principaux chefs de la marine musulmane se diri-gèrent vers Tripolis, qui appartenait aux Hospitaliers

a Ibid., p. 113.II moto è tutto di plebe, che, per essere invidiosa e povera,

aspira alla facoltit e grandezza de' riechi ; ibid., p. 138.P Ibid., p. 140.

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CHAPITRE VIII 233

la ville résista faiblement, et Dcherbe redevint ce qu'elle-avail été jusque-là, Ie principal nid des pirates. On viten 1553 les Barbaresques, réunis avec les Français, l'am-bassadeur du roi Henri, d'Aramont, participant à ce défi,.devant Naples elle-méme. Les Ottomans se réunirentl'attaque française en Corse et ils assiégèrent Bonifacio.En 1555, on les vit à Piombino et dans les eaux d'Elbe.

Après la trève de VanceIles, la guerre entre les Bar-baresques et l'Espagne, qui s'était gagnée le chérif, con-tinua. En mai 1558, Rome tremblait à la nouvelle queles Inn&les sont devant Ostie. Il était question d'une-nouvelle attaque, de concert avec les Français, qui avaientrepris la guerre, contre la Corse et contre Nice.

Philippe II essaya de se défendre par une grande offen-sive. En 1559, on fit une tentative contre Tripolis et uneautre, plus heureuse, contre l'lle de Dcherbe. L'amiraIturc rui-méme combattit dans ces eaux en 1560, et cettefois les chrétiens furent complaement battus, leurs ken-dards de croisade étant portés en. triomphe par les ruesde Constantinople. Le « roi d'Alger » n'avait plus devantlui une force espagnole capable de lui résister, bien queLa Goulette efit été conservée des conquêtes de Charles--Quint, que Tunis eta continué à appartenir au bey localet que les Maltais eussent été capables de répondre auxactes de piraterie par d'autres actes de piraterie 1

En 1565, une puissante flotte ottomane devait chasserles chevaliers de ce dernier repaire. Le beglerbeg deRoum, gendre du fils de Soliman, fut nommé amiral, et onlui confia cent cinquante galeres. Torghoud mourut sous.les murs du château de Saint-Elme et un autre corsaire,Ouloudch-Ali, prit sa place. Soutenu par un contingentespagnol, le Grand-Maitre, de la Valette, avait su défen-dre glorieusement sa capitale. Des croisés français,Brissac, un Strozzi, un Talart, un de Guiche, Brantôme

I Un récit has& sur les sources espagnoles dans Martin A. S...

Hume, Philipp II of Spain (série des a Foreign Statesmen », Lon-dres, 1897, pp. 84-87). L'opuscule a une bihliographie.

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:234 ESSAI DE SYNTHLSE DE L'HISTO1RE DE L'HUMANITÉ

aussi, l'historien anecdotique de son époque, accoururentpour mener une autre guerre que celle des déchirementsintérieurs dans leur propre patrie. Comme les Génois deChio étaient suspectés de complicité avec les chevaliers,leur île fut confisquée par les Turcs en avril 1566 1.

Dans toutes ces entreprises, le Sultan lui-méme n'avaitpas donné. Il laissa quelque temps se développer sansson intervention ces affaires de Transylvanie, poursui-vant son autonmnie entre les deux rois ; il n'y eut qu'uneinvasion de Petrovics et des Moldaves d'Alexandre LApus-neanu, des Valaques de Pierre-le-Bon, disposant d'arméesassez importantes -encore, pour rendre à Isabelle et Ason fils, en 1555, la domination de la province. Ce quiretenait toute l'attention douloureuse du vieil « empe-reur » c'était le conflit armé entre son Ills Bajazet etSélim, dont le premier fut réduit à chercher un refugeen Perse, chez Thamasp, réconcilié depuis longtemps àson voisin. Le Sultan fit t xécuter son fits rebelle 2.

Mais, dès cette date de 1555, les Turcs. avaient attaquél'importante place nouvelle de Szigeth, en Hongrie. Ellefut bien défendue, et le jeune roi Maximilien parut pourla première fois pour commander une revanche. On avaitpu garder, ailleurs, Cassovie et Nagy-Várad. La mortd'Isabelle, en 1560, diminuait le prestige du faible JeanSigismond, qui crut pouvoir cependant donner une autredirection au conflit avec les Impériaux. Ceux-ci osèrentdemander au Sultan, entre autres, Erlau et Gran. Ilsobtinrent par trahison Szathmar (Sátmar) et Nagybanya(Baia-Mare), et aidèrent l'aventurier grec Jacques Basili-kos, ancien étudiant à Montpellier, copiste de manuscritset autéur de traités de tactique, puis commensal et fla-gorneur des généraux de Charles-Quint, à occuper laMoldavie, où il voulut étre roi et restaurateur, sur labase des souvenirs de Rome, de l'unité roumaine, et il

I Gesch. des osmanichen Reiches, III? pp. 92-109.Ibid., pp. 130-132.

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CHAPITRE vin 235

put s'y maintenir jusqu'à la révolte des oiars, qui letuèrent en 1564.

Ferdinand, mourut cette méme année 1564, sans avoirvu la revanche de son adversaire ottoman. Une trève queson fils renouvela lui avait assure une paisible fin de re-gne ; le Transylvain seul combattait pour se gagner lafrontière de la Theiss. Mais, des 1565, la guerre éclatasur toutes les frontières, en Bosnie, dans le Banat, sur lafrontière transylvaine. Maximilien crut pouvoir rede-mander la Transylvanie avec les « comtés exterieurs »il se préparait contre Gran.

De nouveau, le Sultan parut, un demi-siecle h peu prèsde sa grande victoire de Mohács, dans les plaines hon-groises sur la rive gauche du Danube. Jean Sigismondfut reçu en roi dans le camp ottoman. L'expéditionparaissait devoir se diriger vers cette Erlau, mais ce futSzigeth qui eut les honneurs de l'attaque impériale.

Toute une armée allemande se rassembla alors sous lesdrapeaux du nouveau roi des Romains, pacificateur del'Empire, par-dessus les differences religieuses : desprinces du Palatinat, de Brandebourg, de Baviere, deBade ; le duc de Toscane avait envoyé un contingent ; ily avait un due de Ferrare, un ,Colonna, h. cbté d'aven-turiers polonais, leur roi étant un paisible ami des Turcs;des Français catholiques, Brissac et un des Guise,Charles, étaient aussi accourus comme A. la croisade. Maison se bornu à Wormer sur la frontière sans oser affron-ter le Sultan.

Celui-ci avait cependant déjà quitté le monde desguerres et des conqu'étes. Le vieil/ard s'éteignit, dans lanuit du 5 au 6 septembre devant la forteresse de Szigeth,opinâtrement défendue par Zrinyi. On la prit d'assautpour ses funérailles. Sur un « chariot bulgare », entrequelques centaines de spahis, l'empereur musulman del'Orient revenait vers sa capitale. Son successeur, legrand nriangeur et buveur, le « fils de Juif » Sélim n'était*guère dispose à reprendre le conflit, et, des 1568, une

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236 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

nouvelle trève assurait le calme A ces contrées éprou-vées 1.

Le danger oriental paraissait avoir disparu. L'Occi-dent pouvait se livrer A ses discordes.

En France, la reine-mère, qui se voyait dans la situa-tion de Blanche de Castille, dont elle avait lu l'histoiresur des pages manuscrites 2, espérait trouver A la ques-tion religieuse la méme solution par l'usure et l'accou-tumanee que les deux rois Ferdinand et Maximilienavaient trouvée, plutôt par indolence, en Allemagne. Ellene put pas cependant empêcher la guerre intérieure de se-rouvrir.

Les troubles des Pays-Bas y poussèrent. Des partiss'étaient formés, préts A en venir aux mains. Pour empé-cher la guerre civile, Philippe y envoya le due d'Albe,habitué aux pratiques de cette inquisition espagnole que,du reste, le roi n'avait pas admise, contre l'invitationpressante du Pape, dans ses possessions italiennes. Untribunal spécial fut établi pour découvrir les dissidents,-A la tête desquels s'était placé ouvertement le seul princed'Orange, dont le fils fut saisi A. Louvain et envoyé enEspagne comme otage.

On a affirmé plusieurs fois que les o huguenots », dontle nom était emprunté aux Eidgenossen de la Suisse, seconsidéraient comme une association religieuse interna-tionale. On ne pourrait pas leur dénier Kinstinct national,un sentiment d'honneur rattaché A. la patrie. Mais, defait, il y avait des rapports étroits entre les représen-tants de la Réforme sous tous les aspects et dans tousles pays.

Après la mort du roi de Navarre, le chef des calvinistesfrançais était Condé, auquel était associé l'amiral de Coli-

i ¡bid., pp. 47-63. Sur la province turque de Hongrie, ibid., pp. 64et suiv. Pour le beglerbeg de Bude l'empereur était o -le roi desprovinces des Allemands et des Bohémiens qui appartiennent itParchiprétre de Rome » ; ibid, p. 68. ,Mais voy. ibid., p. 82.

s Albéri, auvr. cité, IV, pp. 180 et sui:v.

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CHAPITRE VIII 237

gny. Se rappelant le coup d'Amboise, ils préparèrentl'égard de Charles IX ce qui ne leur avait pas réussi dutemes de François II. La Cour allait étre de nouveau sur-prige, à Meaux. Ce furent les quelques milliers de Suissesqui la sauvèrent. La reine-mère et son fils purent trou-ver un refuge à Paris, restée strictement catholique. Maisles rebelles prirent Orléans et attaquèrent la capitale, quirésista ; le connétable de Montmorency mourut en ladéfendant

Catherine de Médicis fit nommer son troisième fils,Henri d'Anjou, lieutenant-général du royaume, et luiprocura une armée. Elle vainquit à Jarnac le 13 mars1569, et apr.és la bataille on fit périr Condé. En octobreColigny était aussi battu à Montcontour. Les Guiseétaient réinstallés, et la conduite du royaume fut confiéeau cardinal de Lorraine.

De nombreux éléments étrangers avaient combattu endehors des Suisses de la Cour, dont l'ambassadeur véni-lien fait l'éloge, dans cette guerre, qui aurait employé,d'après le mane, jusqu'à 120.000 hommes, ce qui estsans doute assez exagéré. Des reltres étaient accourusaussit6t sous le commandement d'un prince de Neubourg,et on avait vu paraitre le prince d'Orange, à ce momentun exilé.

Car le grand coup contre la noblesse, de résistance opi-niAtre, des Pays-Bas, avait été porté dès 1568 par le dued'Albe, devant le « nouveau système » duquel s'étaitretirée la duchesse Marguerite et son ministre, un Bour-guignon, Perrenot, cardinal Granvella. Egmont et Horn,dont le premier avait gagné une des grandes victoires durègne, fluent condamnés à mort et exécutés à Bruxelles,en place publique. Dès le lendemain cependant, d'aprèsl'exemple français, il y eut un soulévement, et le termede mépris employé A l'égard des rebelles, des « gueux »,devint leur nom de guerre, bientrit glorieux. Entre eux et

Ibid.

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238 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

entre les huguenots français, il n'y avait pas seulementune alliance naturelle ; c'était la méme armée, combat-tant sur deux places différentes. C'était aussi la mémeconscience tapageuse et hardie d'une noblesse qui, le len-demain des guerres où elle avait fourni un contingentprécieux et tous les chefs, n'entendait pas capituler devantune royauté pacifique, born& à une vie de Cour, où elle,la noblesse, n'avait qu'un ròle de comparse.

Il sembla done tout naturel aux « gueux » de se prendreun chef dans cette famine méme des Valois dont l'enthou-siasme religieux, tout apparent, ne servait que de simplesbuts de politique égoiste. Le due d'Anjou, dont on voulutfaire un prince-consort en Angleterre, devait mourircomme due de Brabant et comte de Flandre in spe. Maisle grand défenseur de la foi eatholique, l'incorporationdu principe de la monarchie agissante, intransigeante,celui devant le sossegaos final duquel s'arrétait toutedivergence, Philippe II, ne se mélait que par des conseilsà ces troubles. Ils le touchaient cependant d'assez présvoisin de la France, c'est de là que venaient dans sortpropre royaume des Bibles en espagnol, des bandes dehuguenots du côté de la Catalogne, qui sut les repousseret par son mariage avec la fille de Henri II, qui fit placebientôt à l'Autrichienne Anne, fille de Maximilien etpetite-fille de Charles-Quint, il avait des attaches à cettepauvre dynastie irrésolue, en danger de se perdre. Sansoublier que le nouveau chef des huguenots de France, lefils de Jeanne d'Albret, était aussi roi de Navarre et queson pére avait eu des ambitions, gull ne cachait pas, derestituer l'unité de son royaume sur l'autre versant desPyrénées.

Ce qui retint Philippe, ce ne fut pas autant la situa-tion aux Pays-Bas, où la révolte n'avait pas encore prisun caractère menaçant. Pent-61re un peu plus la résis-

i Ibid., VI, p. 400. En 1559, on avait &convert une conspiratiomdes dissidents religieux it Valladolid (ibid., p. 411). Leur chef étaltJe prédicateur imperial Cazala.

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CHAPITRE VIII 239

tance, capable cependant d'être brisée par un grand acted'autorité, des cortés, que génait la Cour flamande, demille cinq cents personnes, avec sa garde, avec songroupe de vingt-six dames d'honneur, avec son budgetannuel de 200.000. florins, et encore plus la vente des.offices, A la façon de France, l'accroissement des taxes,le désordre des lois, le luxe envahissant, mais qui étaientaussi froissées par l'interdiction des courses de tau-reaux 1 De plus, l'armée espagnole, si admirée, et it justetitre, se composait seulement de vingt compagnies per-manentes, de 5.000 ginetes, de la milice, moins valeu-reuse, de 30.000 hommes 2,

Mais ce qui devait retenir toute l'attention du grandennerni de toutes les dissidences c'était la révolte quiavait éclaté dans son propre royaume d'Espagne, avec unfanatisme, religieux aussi, qui dépassait de beaucoupen violence et en esprit de sacrifice tout ce que pouvaitdonner la turbulence d'une noblesse mécontente et demasses populaires prêtes à détruire et à piller, commeaux Pays-Bas. Les derniers représentants de la cons-cience musulmane en Occident, les Morisques, étaient dès1568 en pleine effervescence. L'Inquisition et méme leclergé local étaient les seuls fautifs. Its les avaient pour-suivi de leurs suspicions jusqu'A interdire leurs chan-sons, leurs danses, tout ce qui pouvait rappeler un passéen dehors de la foi chrétienne et même les bains, en rela,tion avec les anciens rites sacrés. Leur révolte fut spon-tanée et terrible, allant jusqu'aux massacres des chré-tiens, jusqu'à faire bouillir dans l'huile les moines per-sécuteurs. Tout ce passé défendu surgis.sait de nouveau,avide de vengeance, et on vit, vêtu de pourpre, entrequatre drapeaux, entouré d'arquebusiers, adoré par ses

sujets », qui baisaient la trace des pieds de ce chef poli-tique et religieux, un roi « d'Andalousie et de Grenade »,.

Prescott, History of Philipp II, II, pp. 221, 227-230.Ibid., p. 233.

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240 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

dans la personne de ce don Fernando de Valor, qui étaitdevenu Mouley Mohammed Aben-Houmayal.

Comme les protestants ne formaient qu'un seul corps,A ce point que plus tard on vit des villes allemandes,Strasbourg, Ulm, Nuremberg, Francfort, envoyer au roide France des observations pour sa conduite envers leurs« frères » du royaume 2, les musulmans révoltés nouèrentaussitôt des relations avec leurs coreligionnaires d'Afri-que, qui envoyèrent des renforts, sans doute aussi avecles Barbaresques, si puissants, et un ambassadeur futdéputé à Constantinople mème, pour demander l'appuidu Sultan Sélim.

De fait, on découvrit plus d'une fois des Turcs, de vraisTures ottomans, dans les rangs des Morisques du roi 3.Pour les combattre, le roi pouvait se trouver des soldats,bien qu'il se gardAt bien de s'adresser aux nobles et queles paysans méprisassent une solde inférieure à leur gain,mais l'armement, les munitions manquèrent à tel pointqu'il fallut les faire venir d'Italie 4. Après une assez longuetorpeur, due au tempérament mol et veule du nouveauSultan ivrogne et lAche, l'Empire ottoman, dont le vrai-chef était cependant un hardi général et un grand hommed'Etat, le Bosniaquè Mohammed Sokoli, formé à l'écolede Soliman, s'était déjà mis en mouvement à ce pointcritique de la formation d'une Espagne unifiée et admi-nistrée à la façon française.

En 1568, le frère de Philippe, un bAtard de Charles-Quint, né d'une Allemande, don Jean d'Autriche, se pré-parait contre les Barbaresques 5. Deux ans plus tard, en

Ibid., II, pp. 13-17, 65, d'après Circourt, Histoire des Mores Mu-dejares et des Morisques ou des Arabes d'Espagne, 3 vol., Paris,1846 ; Manuel, Rebelion de Granada ; Mendoza, Guerra de Granada,Valencia, 1795. Cf. Albéri, ouvr. cité,, VI, pp. 405 et suiv. Surtoutsir William Stirling-Maxwell, Don John of Austria, Londres, 1883,2 vol.

Guizot, Histoire de France, III, p. 394.3 Prescott, ouvr. cité, II, pp. 65, 96, 125 ; Stirling-Maxwell, ouvr.

cité, I, p. 270 ; Albèri, ouvr. cité, V1, p. 409.4 Ibid., III, pp. 399-400. Cf. ibid., pp. 376, 397, 401-403.

Ibid., Prescott et Stirling-Maxwell, loc. cit.

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CHAPITHE VIII 241

1570, les intrigues du due juif de l'Archipel, le réfugiéportugais don José Miquez, établi A Constantinople avecsa femme, une Espagnole de la même religion, amenèrentrexpédition contre l'ile de Cfiypre, dont ce riche etinfluent parvenu osait réver la vice-royauté. C'étaitreste une entreprise depuis /ongtemps préparée, d'uncôté, redoutée, de l'autre. Selim demanda la possession del'ile comme héritier des Soudans qui jadis l'avaient occu-pée ; une sentence du moufti l'avait attribuée au Sultan.Une conquéte ottomane était désirée, contre la turbu-lence des nobles, des Français dégénérés, et l'avidité desfonctionnaires vénitiens, par les paysans serfs ou à demilibres seulement et par le clergé grec, A. une époque ofi larace des vaincus de 1453 regagnaft par le commerce, lecapital et l'intrigue, sous les év'èques, le Patriarche entéte, et sous les « archontes » de sang byzantin, sonancien r6le économique et politique. Dès 1570, l'anciennecapitale de Nicosie, la Levkosia des indigènes, etCérines succombèrent. Famagouste fut le but d'uneseconde expédition l'année suivante ; elle fut prise enaofit et ses défenseurs traités avec une dureté inaccou-tumée 1.

Cette catastrophe d'un royaume étroitement lié pen-dant trois siècles à l'idée de la croisade ne pouvait pasmanquer d'émouvoir profondément le monde occidental,divisé par des haines si profondes. L'idée de la guerresainte surgit aussit6t, inévitable. D'autant plus que laPapauté avait un intérét essentiel à la susciter pour enaccroltre son prestige si fortement entamé par le déta-chement de plus d'une moitié du monde sujet jusque4A

l'autorité du Saint-Siège.Le Concile de Trente avait fini en 1564, et ses décrets

avaient été solennellement confirmés par la Papauté. Lamilice pontificale du Saint-Siège travaillait pour la foi,comme saint François-Xavier, en Chine, mais des émis-saires commençaient A tenter le monde « grec » d'Orient.

I Gesch. des osmanichen Reiches, III, pp. 140-145.

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242 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Un Possevino se rendra done en Transylvanie, en Mos-covie, alors que la Pologne servait de quartier-généralpour l'oeuvre de récupération chez les Russes occiden-taux, chez les Roumains de Moldavie, qui comptaient descatholiques d'Italie et du Levant parmi les bolars et lesautres conseillers des princes. Des Ciétois s'établissaientà Jassy et à Lemberg (Lw6w), et leur influence commemarchands et créanciers du fisc s'étendait aussi dans cedomaine.

Mais c'est surtout par la croisade que la réaction del'Eglise, désormais étrangère aux vices de la Renaissanceet aux calculs du népotisme et réformée quant auxmceurs, pouvait gagner la situation qu'elle ambition-nait.

Dès 1570, une organisation de guerre sainte avait étépréparée à Rome, un Colonna devant conduire la flottepontificale, iqui allait partir d'Anceme. Gian-Andrea Doriadevait réunir les vaisseaux de Génes. Une force mari-time appartenant au Saint-Siège et au roi d'Espagneparut sans résultat dans les eaux de la Méditerranéeorientale. En mai 1571, une ligue fut formée avec Venisepour conduire la guerre sur les c6tes africaines et dansl'Adriatique. On parlait de 200 galères et d'environ 60.000soldats, et une partie des contingents put étre rassembléesans retard.

Don Juan avait forcé dans leurs derniers refuges lesMorisques tiaqués, qui avaient tué leur premier roi etcréé un second, Aben-Abou. Celui-ci mourut en luttantpour la liberté de sa race, et son cadavre, promené parles rues, fut décapité, les enfants se saisissant de la têtepour la bailer. Des milliers de rebelles durent quitter,malgré leur soumission, cette patrie de plusieurs géné-rations 1.

Hita, Guerras civiles de Granada, Madrid, 1913 ; Prescott, ouvr.cite, II, pp. 98-99, 143, 145, 149, 151 ; ouvr. cite,I, p. 283. On défendit aux vaincus l'usage de leur langue et l'appro-che de Grenade ; Alibèri, ouvr. cite, II, p. 407.

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CHAPITRE VIII 243

Le vainqueur contre l'Islam prit donc le comman-.dement de cette flotte. Après avoir reçu à Naples ledrapeau de croisade, il alla trouver, près de Messine, lesgalères de Doria et celles de la République. II se dirigeaensuite vers Corfou, alors qu'Ouloudch-Ali dévastait lacôte de la Dalmatie. La nouvelle de la prise de Fama-,gouste et des circonstances de barbarie qui l'avait accom-pagnée y arriva et remplit d'indignation les croisés,appartenant à. une génération occidentale particulière-ment remuante et qui voulait combattre à tout prix. Ils-contraignirent l'amiral à livrer bataille, le 7 octobre, dansJe golfe de Lépante, en face des iles Curzolares. Danstrois heures la puissance maritime des Ottomans avait-été totalement détruite. L'amiral turc était parmi lesmorts.

Mais on se querella pour le butin, allant jusqu'auxmenaces d'un conflit entre chrétiens. Une tentative surrile de Sainte-Maure échoua ; il était impossible onle vit bien de trouver un but commun pour l'offensiveprojetée. Et, par des ordres envoyés dans toutes les pro-vinces, une nouvelle flotte fut, sans retard, improviséepar un vaincu qui ne se laissait pas si facilement inti-raider 1. En 1573, la faillite de l'action de la ligne de croi-sade fut encore plus évidente 2, En mars, Venise avaitsigné déjà la paix qui cédait l'ile de Chypre à ses conqué-rants. 11 n'y eut, de la part de l'Espagne, préte aussi à uneréconciliation, que l'installation h. Tunis, par Don Juanlui-méme, d'un vassal espagnol, Mouhammed, en octobre1573 3. Mais dès l'été de l'année 1574 la domination otto-mane y fut rétablie 4, La Goulette étant prise el détruite,recouverte de sable pour toujours, et le bey des Espa-gnols pris. Les chrétiens restèrent seulement à Oran,Melilla 5.

Voy. Nioç 'EX).-r,volviOwv, mars 1924 ; noire Revista istoricciméme année, pp. 106-107.

2 Gesch. des osmanischen Reiches, III, pp. 147-155.3 Ibid., p. 158 ; Aibèri, loc. cit., pp. 467 et suiv.4 Gesch. des °smart. Reiches, loc. cit., pp. 158-159.

Albéri, ouvr. cité, VI, pp. 357-358.

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244 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Une autre croisade finit d'une façon plus tragique.Nourri du souvenir des exploits accomplis par sa dynas-tie en Afrique, le jeune roi du Portugal, dom Sabastien,s'y rendit avec la fieur de sa noblesse pour combattre lesMarocains, protégés par le Sultan. Il périt en aofit 1578avec la plupart de son armée dans le combat livré au ché-rif usurpateur, près de Tanger.

Comme, dès le 12 décembre 1574, Sélim était mort,comme le gouvernement de Sokoli cessa bientôt par sonassassinat, l'Occident pouvait revenir h ses discordes, etle roi d'Espagne, ayant pacifié son pays et ne se trouvantplus engagé par le vceu de croisade, était libre de prendrele rôle qui lui revenait.

« Je suis occupé à nettoyer mon royaume », telle avaitété la réponse donnée par Charles IX. h Philippe II, quilui proposa d'entrer dans cette ligne, d'un si grand et sipassager éclat. En 1572, il avait marié sa sceur, Margue-rite, au très jeune roi de Navarre, qui faisait profession defoi calviniste. Pendant la brillante cérémonie du mariage,le fiancé s'était retiré au moment oil commençait la mes-se 1. Le roi paraissait plutôt enclin h la tolérance reli-gieuse lorsque l'esprit répandu par les manifestations dela ligue de croisade lui fit donner son assentiment à uncrime odieux contre ses sujets. Un attentat avait été com-mis contre l'amiral ; les siens voulaient aller en masse,au Louvre ou ailleurs, le venger contre le duc de Guise,considéré comme auteur moral 2. Le 2.3 aofit 1572, dansla nuit, au son des cloches, on massacrait les dissidents,sans s'arréter méme devant le prestige d'un Coligny, dontle cadavre mutilé fut pendu.

On continua trois jours de suite, en dépit des ordrescontraires, les instincts sanguinaires de la plèbe s'étantréveillés. Se sauvèrent seulement ceux qui, comme lebeau-frère royal et le jeune Condé, déclarèrent quitter

1 Ibid., III, p. 287.2 Ibid., p. 286 et suiv.

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CHAPITRE VIII 245

l'hérésie. Dans les provinces, il y eut, sous les mêmesincitations, la méme chasse à l'homme. Mais il fallutfaire la guerre aux villes réformées, Montauban, San-cerre, La Rochelle. Charles IX, pauvre prince phtisique,pale, aux pieds cagneux, malade de corps et d'esprits'éteindra misérablement en mai 1574, après avoir essayéde ramener, par la lettre vaine d'un Mil, cette paix queles assassins de la Saint-Barthélemy avaient pour long-temps détruite par leur acte infame.

Dans les Pays-Bas voisins, Mons et Valenciennesétaient prises, en mai 1572, par le comte de Nassau, fréredu prince d'Orange, qui rentrait en armes dans le pays .2Le duc d'Albe était rappelé, le due de Medina Coeli n'osapas même tenter une nouvelle administration, et le gou-verneur de Milan, Zuniga y Requesens, parut en pacifica-teur. Mais le pouvoir appartenait aux réformés. Une am-bassade formelle des révoltés avait offert les Pays-Basla couronne de France. De fait, Coligny avait envoyé, etpas à l'insu du roi, des troupes pour occuper Mons, ceque les Espagnols surent prévenir, détruisant les enva-hisseurs. Charles IX frémissait en entendant que le dued'Albe, instruisant l'affaire des prisonniers, lui fait leprocès », à lui ; on alla jusqu'aux préparatifs de guerrecontre l'Espagne, et Venise intervint pour l'empécher, aunom de la guerre sainte 3. Et on se disait publiquementalliés de l'Angleterre, où Elisabeth, en butte aux tenta-tives des catholiques, soutenus par le duc d'Albe, rete-nait en prison Marie Stuart, chassée de son royaumela suite d'une série de scandales, parce que ses adhérentsl'avaient proclamée reine d'Angleterre.

Malgré l'existence d'un nouveau parti, celui des a poll-tiques », les guerres civiles de France ne pouvaient pascesser. Avec la mort de Charles IX, la prédiction de Coli-

Cependant les ambassadeurs Contarini et Cavalli font Péloge desa beauté et de sa force, en 1572-74 ; ibid., IV, pp. 258-259. Pour unautre, eltait un mauvais gareon n ; ibid., p. 302.

2 Ibid., VI, p. 432.3 Voy. aussi ibid., pp. 324 et suiv.

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246 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

gny que, n'ayant pas la guerre contre l'Espagne, on enaura une autre pire 1, se vérifiera bientôt.

Une nouvelle génération se mettait à la rescousse. Dans.le camp catholique, aussi bien que dans celui des réfor-més, ce qui donnait l'élan, sans cesse renouvelé, c'étaitcette vitalité d'une noblesse hardie, remuante, ambi-tieuse, qui ne trouvait plus occupation dans les guerresextérieures 2 et qui était nourrie d'un idéal prétendu.antique, pris dans les pages de Plutarque et dans les dis-cours des orateurs romains. On voyait des huguenotscôté du roi et des catholiques dans le camp des rebelles,d'après un témoignage vénitien. « De méme qu'il est arri-vé », écrit le méme ambassadeur de Venise, « il y a centans, que la noblesse, qui conserve sans doute ces privile-ges, s'est soulevée contre le roi au nom du bien public, ànotre époque il semblait à ceux-ci, qui sont des Maisonsles plus nobles et suivis par la prinoipale noblesse duroyaume, que les rois s'assumassent trop d'autorité...,voulant eux-mémes que la France soit une républiquebien ordonnée, dont le chef soit le roi, mais' un roi dontl'autorité soit réglée, tempérée et modérée par les lois duroyaume et par les parlements 3. » Henri III, accouru dePologne, oii, pendant deux ans, il avait été le successeurde la famille éteinte des Jagellons, allait en faire pendantune dizaine d'années la triste expérience.

Il paraissait que la France allât vers un régime de can-tons comme la Suisse 4; on prétendait avoir &convert

I 'bid, p. 285.Voy. l'observation .de l'ambassadeur vénitien, en 1572, qu'exu

cas de guerre toute la noblesse se rallierait au roi ; ibid., p. 304.3 Siccome occorse anco gilt cento anni che la nobiltà, la quale in

Francia conserva inviolabilmente i suoi privilegi, si sollevd controil it sotto nome del ben publico, cosi a questi tempi pareva a.questi che son di case nobilissime e seguitati dalla principalnobiltit del regno, che i ré si assumassero troppo autorith...,volendo quella nobilth che il regno di Francia sia una ben ordinatarepubblica, della quale sia capo il ré, ma l'autorith del quale siaregolata, temperata e moderata dalle leggi del regno e dai parla-menti ; ibid, pp. 244 et suiv.

lb id., p. 249 : o camminando alla via di ridursi in tanti cautonicome sono gil Svizzeri v.

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CIIAPITRE VIII 247

pendant les jours tragiques d'aofit 1574 un projet com-plet de république, basé sur les vingt-quatre Eglises ducalidnisme 1. De fait, des délégués des provinces avaientdemandé à Charles IX le retour au régime financier deLouis XI, et la convocation des Etats-Généraux pour unegrande réforme 2 Du reste, le connétable de Montmo-rency avait donné l'impulsion aux nouveaux troubles quiéclatèrent dès l'année 1576. Le frère du roi, le duc d'Alen-çon, qui voulait être lieutenant-général du royaume, selaissa gagner. De nouveau il y cut, à Saint-Germain, unetentative de prendre la famille royale, qui put h. peine seréfugier entre les murs de Paris. Les places de stIretérefusèrent de renoncer à leur autonomie. II y eut desrévoltes dans le Nord et dans l'Ouest, et Angouléme futoccupée par les rebelles accourus de leurs abris étran-aers 3. II fut question méme de tuer le roi mourant et lareine-mère, qui firent surveiller les coupables et méme lejeune roi de Navarre. C'est dans ces circonstances diffi-ciles que Henri III commensa son règne.

Marié à une princesse de Lorraine, ce prince, revenud'un pays de catholicisme en plein essor, se mit aussitét

la téte du parti des Guise. Devant lui, il n'eut plusdes huguenots, mais bien tout un monde de « mécon-tents » 4. S'étant enfui de Paris, où on le retenait pres-qu'en prison, on craignait une guerre de « bien public » 6.On criait contre les impôts, contre les favoris italiens(un chancelier de Birague, un Gondi, un Nevers, un Gon-zague, un Strozzi), les « messéres », les « bougres d'Ita-liens », contre les Guise « allemands » 6. Et, malgré lesuccés des huguenots dans les Pays-Bas, malgré l'évasionet le retour au calvinisme du roi de Navarre 7, malgré la

Ibid., PP. 329-330'2 Ibid., pp. 330 et suiv.3 Ibid., pp. 330 et suiv.4 Ibid., p. 357.5 Mémoires-Journaus de l'Esioile, I, pp. 88-89.

Ibid., pp. 567-558.7 Condé était revenu d'Allemagne avec des troupes et avec les gens

du Palatin Casimir.

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248 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

petite guerre qui n'avait pas cessé un seul moment entreceux qui « tenaient le champ » 1, une certaine autoritédu prince adonné aux plaisirs et incapable d'énergie ac-tive se maintint pendant des années. Ses « Mils de paci-fication » entretenaient une illusion de droit au-dessusdes anarchies locales.

Don Juan d'Airtriche fut envoyé en 1576 pour prendr(l'héritage du doux gouverneur Requesens. Le destructeurdes Morisques et le vainqueur des Turcs Rail alors laseule gloire militaire de l'Espagne. De grands espoirsétaient fondés non seulement sur ses talents militaires,rnais aussi sur son origine germanique, sur son prestigepersonnel, sur la sympathie qu'il inspirait ; le Pape levoyait déjà maitre de l'Angleterre ramenée A la foi ro-maine, et époux de Marie Stuart 2. Le nouveau gouver-neur pouvait employer le système de la main forte ; siAnvers, prise, fut trait& comme une ville africaine quel-conque, ce ne fut pas de sa faute, gouverneur non recon-nu par les Etats : la soldatesque avait agi de sa propreinitiative.

Le résultat ne se fit pas attendre. Pendant que donJuan s'enfermait à Namur, le prince d'Orange, entrant itBruxelles, se gagna /es provinces occidentales des Pays-Bas. En chef de la Hollande et de la Zélande, il s'enten-dit à Gand avec les Etats généraux de Flandre, battusGembloux par les troupes royales, et avec don Juan lui-méme, assisté du nonce et des commissaires de l'Empire,la paix Rant reconnue ensuite par Philippe II. Le princeespagnol fut de nouveau admis à Bruxelles, mais tout celane devait durer guère 3. Si les provinces du Sud, ott la

12Estoile, ouvr. cite, I, p. 6.2 Martin A. S. HuTne, ouvr. cite, p. 170.3 Albéri, ouvr. cité, IV, pp. 397-398. Of. avec Strada, Histoire de la

guerre de Flandre (texte latin) ; Mignet, Antonio Perez et Phi-lippe II, Paris, 1881. L'archidue NIathias sera tenté de prendre lepays.

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CHAPITRE yin 249

foi catholique était encore intacte, ne voulaient pas de,ce calviniste comme quasi-souverain, le regime espagnolleur était tout aussi odieux. Depuis longtemps, on solli-citait l'empereur A. remplir dans ces regions un rôle quilui serait revenu ; cetle fois, parmi les nombreux fils deMaximilien, on avait fait appel A. l'archiduc Mathias,homme d'un esprit pondéré, qui était par sa mere lepetit-fils de Charles-Quint 1 On l'avait vu faire lui aussison entrée dans ce territoire de victorieuse rebellion.

En 1578, les Pays-Bas étaient devenus ainsi le théAtreprincipal de la lutte entre les deux religions. Les sei-gneurs franpis, que leur « huguenoterie » poussait àcombattre, passaient la frontière de ce côté pour souteniravec chacun des groupes rivaux son drapeau. Le nouveauduc d'Anjou car d'Angonleme avait gagné ce titre,qui révait aussi de la couronne de roi des Romains, futproclamé « défenseur » de la Flandre, et 11 prit, un mo-ment, de fait, à la tete d'une forte armée de pillards, saresidence A Mons, dans le Hainaut 2

Des Anglais, envoyés par Elisabeth, qui avait concluun traité formel, accoururent. Don Juan lui-meme setrouvait à la tete d'une vraie armée internationale, laMaison de Parme y envoyant Alexandre Farnese, pres-qu'un Flamand, fils de Marguerite, l'ancienne gouver-nante de ces contrées et fine de Charles-Quint.

Mais le chef de la croisade contre les hérétiques mou-rut, désespéré de trouver une issue, en octobre 1578, ANamur.

Au commencement de l'année suivante la nouvelle repu-blique calviniste, d'apres les regles de l' « Institution »du maitre, une plus grande Geneve, était fondée par lareunion des comtés de Hollande et de Mande et du duchéde Gueldre avec les districts de Frise, de Groningue.,d'Over-Yssel et d'Utrecht. Guillaume d'Orange en deve-

1 Ailléri, ouvr. cité, IV, pp. 403-404.2 Cependant sa mere voulait lui faire épouser une tine du rol

d'Espagne (ibid., p. 386).

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250 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOME DE L'HUMANITE

nait, en méme temps que le défenseur par terre et parmer, le « lieutenant-général », le stathouder.

L'idée religieuse avait vaincu sur les tendances d'auto-nomie, et c'est pourquoi ce qui était catholique restaattaché A la couronne.

A côté, le duc d'Anjou, défendant Cambrai, continuaitA administrer le territoire qui lui avait été confié ; en1582, à la veille de sa visite en Angleterre, oil il étaitquestion de lui faire épouser une reine plus que quadra-génaire, il était reconnu due de Brabant et comte deFlandre, réunissant dans son titre le duché de Lautier,de Brabant, de Luxembourg, de Gueldre, les comtés deFlandre, de Hollande, de Zélande, de Zutphen, les sei-gneuries de Frise et de Malines A la qualité de « défenseurde la liberté belgique » 1 Il ne revint en France, pour ymourir, qu'après une vaine tentative contre Anvers, quine l'acceptait pas comme maitre, alors qu'Alexandre Far-nèse se préparait A attaquer Ypres et Bruges. Le princed'Orange fut assassiné, en juillet 1583, au moment oil iIallait devenir comte de Hollande 2, par un fanatique. Lelendemain, Gand aussi était entre les mains des Espa-gnols, et Bruxelles, Malines ne résistèrent pas plus, An-vers étant de nouveau occupée en 1585. Le comte de Lei-cester, favori d'Elisabeth, ne fut pas plus heureux que 'leprince français et l'archiduc autrichien.

Comme la mort du duc d'Anjou ouvrait la question dela succession au trône de France, déniée par les catho-liques, qui formaient (MP une ligue approuvée par leroi, il y eut un conflit ouvert entre /es membres de cetteassociation, le nouveau duc de Guise, dit le Balafré, Aleur téte, et Henri de Navarre, qui lançait dès 1585 un

I L'Estoile, ouvr. cité, II, p. 70.2 motley, Hist. des Provinces Unies des Pays-Bas depuis la mort

de Guillaume le Taciturne jusqu'a la trève de douze ans, I, Paris1870, p. 14.

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CHAPITRE VIII 251

manifeste pour la défense de ses droits 1 La royauté,tout en invitant les réformés à abjurer ou A. quitter laFrance dans quinze jours, restait cette fois dans unesituation de neutraliti impuissante, tout aussi dange-reuse qu'humiliante. On accusait Catherine de préparerJa succession à la descendance de sa fille, duchesse de.Lorraine 2. Au roi de France avait été offerte A la mort deson frére la domination des Pays-Bas ; elle fut refusée, etbrutalement. Entre ses seigneurs converts d'étoffes pré-cieuses, portant boucles d'oreilles et bijoux, Henri 111,dont le supréme « chic » était de porter au con un panierA caniches 3, n'aimait pas A se déranger, et pour courirde si grands risques. A la Cour, on aurait désiré, commecondition préalable, la réunion aux Etats de l'héritage duprince d'Orange, qui laissait une veuve, fille de Coligny,et deux fils, dont l'un, portant le nom de son aleul mater-neI, Maurice de Saxe, était prét h jouer, malgré son

,extréme jeunesse, le rôle qui lui revenait.Pendant ce temps, d'autres négociaient avec l'Angle-

terre, et l'amiral de Hollande et de Zélande bnvait à lasanté de sa future souveraine 4. Déjà le motif nationalapparaissait dans ces projets d'avenir, l'Ouest de languefrançaise préférant, malgré la mauvaise réputation, reli-gieuse et autre, du rai et de la reine-mère, la France.

Cependant, la Cour de France avait fini par obtenirl'adhésion des deux provinces de langue germanique 5.Les envoyés des rebelles furent reçus A Paris en février1585 comme les ambassadeurs d'un Etat dilmentreconnu : ils allèrent jusqu'A offrir, sans conditionsgarantissant la foi, la domination sur les Pays-Bas

I Déclaration du roy de Navarre sur les calomnies publiées contre-lid et protestation de ceux de la Ligue qui se sont eslevés en ceroyaume.

2 L'Estoile, ouvr. cité, II, p. 205.-a Motley, ouvr. cité, I, P. 128. Of. L'Estoile, ouvr. cité, I, pp. 180

181. On se moquait de leurs fraises : u k la fraise on congnoistle veau n, eriaient les eseoliers » ; ibid., p. 309.

4 Motley, loc. cit., p. 101, note 1.3 Ibid., p. 125.

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252 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

entiers, et on répondit en les éconduisant. On ne permitpas même a Henri de Navarre de tenter une aventure per-sonnelle 1.

L'Espagne avait vaincu. Le royaume de Philippe IIélait maintenant capable d'agir, de jouer son grand rôle,conduisant sur tous les points la lutte contre l'hérésie,d'entrer en guerre pour la religion catholique, pour lamonarchie absolue, mais aussi, et surtout, pour sa propre0oTandeur.

On avait commencé, dès la mod de dom Sébastien, parl'occupation du Portugal, réuni par tant de liens aux con-ronnes espagnoles. Un vieillard plus que septuagénaire,un cardinal; Henri, avait recueilli le premier l'héritagedu martyr de croisade. Il disparut en 1580 ; h sa placefut installé par le parti de l'indépendance nationale unhomme entreprenant et tenace dans son action, le prieurde Grato, dom Antonio. Le duc d'Albe le chassa après unezampagne de quelques semaines, et ¡Philippe II, fils d'uneprincesse portugaise, veuf d'une autre, eut encore unecouronne. Mais le roi légitime n'en fut pas découragé. Il sefit prétendant errant, chef de pirates, allié de cetteFrance où la reine Catherine, très sérieusement intéresséeà ce conflit, se rappelait que, comtesse de Boulogne parsa mère, elle descendit de la dynastie féodale qui avaitfondé ce royaume du Portugal. L'argent français soutintles efforts de dom Antonio, bientôt réfugié dans les IlesTerceires, où on prétendait que c'était les corsaires quilui fournissaient un budget. Une flotte payée par la reine-mère et commandée par son favori, Strozzi, alla trouverA la hauteur des Açores, en 1583, les galères de PhilippeII, qui remportèrent la victoire, se saisissant du com-mandant français agonisant, mais pas aussi du princeportugais 2. On le vit pendant des années bi Paris, bri-luant d'autres situations, visant méme la Flandre dans

I Ibid., pp. 145-147.-2 Voy. aussi 1L'Estaile, ouvr. cité, II, pp. 75 et suiv.

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CHAPITRE VIII 253

ses rèves, pendant que l'instinct de liberté de sa nationsuscitait de faux dom Sébastien, qui apparaissaient avec-le prestige de la bravoure, de la guerre sainte et des mal-heurs 1

En France, les rapports étaient continuels entre le chefespagnol de tout le monde catholique et l'ambition desGuise, dont le chef se rappelait qu'il descendait de Char-lemagne, un peu plus ancien et méme plus glorieux queHugues Capet. Dès la fin de l'année 1584, la famille avaitconclu un traité en règle avec Philippe, assurant le tremeau cardinal Charles de Bourbon, qui prenait déjà quelquechose comme les dehors de la royauté 2 ; on pensait â luifaire épouser la duchesse de Guise 3.

Henri III savait ce que la Ligue préparait contre sacouronne ; ce fut un des motifs qui le rendirent si pré-cautionné à l'égard des magnifiques offres qui venaientdes Pays-Bas 4. Il cherchait A. se faire bien voir par sonimpérieux voisin en lui offrant une collaboration contrecette Angleterre courtisait bassement et dont ilvenait d'accepter solennellement l'Ordre de la Jarretière,mais on lui répondit qu'il faut « étouffer d'abord l'héréSieen France » 5.

Une armée de 4.000 reitres et 6.000 Suisses fut enfinengagée, attendant des secours catholiques de la Bavière,de la Savoie, car le royal instigateur ne voulait pas sedémasquer 6. Le manifeste du cardinal de Bourbon., de-mandant la paix et la prospérité du royaume par l'unifi-cation religieuse, parut dès le mois de mars 1585 ; mais

En 1585, on faisait semblant à Paris de prendre au sérieux lesdroits » de Catherine sur le Portugal ; Motley, ouvr. cité, I, pp.

134 et suiv.2 Voy. Eug. Saulnier, Le pile politique du Cardinal de Bourbon,

Charles X, 1523-1590, dens la a Bibliothèque de l'Ecole des HautesEtudes », Paris, 1912, p. 115.

3 Motley, ouvr. cité, pp. 41-42.4 Ibid., p. 147.

Que acaben primo los heres de Francia y despues demos tras deInglaterra ; ibid., p. 142, note 1.

Saulnier, ouvr. cite, p. 119.

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254 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L.HISTOME DE L'HUMANITg

-ce qui prenait le plus c'était la critique severe et juste duregime des malversations, des dépenses folles, un mil-lion d'or était mis de côté annuellement par le roi pourses favoris 1, des intimes détestables, comme Joyeuse etd'Epernon, insolents et ridicules.

Ce n'était encore qu'une demonstration, faite respec-tueusement devant le roi lui-méme. Alors le méprisableet splendide fantoche royal, entouré par ses « beauxmignons portant leurs cheveux longuets, frisés et refriséspar artifices 2 », hypocritement, s'humilia. « Que l'onn'entende plus parmi nous les noms de catholique ou dehuguenot ; ces distinctions ont été ensevelies dans destraités de paix. Qu'on nous parle seulement de Françaiset d'Espagnols », telle fut la réponse du roi de Na-varre 3. Des ce moment, il devenait, par-dessus les partis,au programme factice, le représentant de ce qu'il y avait-de plus vivant en France : l'instinct de conservationnationale.

De son côté, Henri III retirait par l'édit de Nemoursle libre exercice à la religion réformée ; les peines les plussévères furent décrétées contre les transgresseurs. Et lenouveau Pape, un rude paysan, Sixte V, fulminait l'ex-communication contre Henri de Navarre et Henri de-Conde.

Alors Paris soutint les ligueurs dont le Comité desSeize paraissait vouloir rappeler les tristes jours des ca-boehiens. Le reste du royaume paraissait s'orienter versla seule politique de l'intéret local.

La guerre commença done autour du roi, qui n'osaitprendre la part d'aucun des combattants, tout aussi zélés

l'annuler, peut-etre méme à l'écarter. Ce n'était cepen-dant qu'un des actes d'une plus vaste entreprise. On-négociait avec Philippe sur la possibilité d'envoyer de

ouvr. cité, IV.2 L'Estoile, ouvr. cité, I, p. 143.-8 Motley, ouvr. cité, I, pp. 162-163.

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CHAPITFtE VITI 255

Guise en Angleterre pour y installer la reine catholique,délivrée de sa longue et douloureuse prison 1. On le sa-Vait à la Cour d'Elisabeth, et la réponse fut rapide et ter-rible : en hiver encore Leicester était à La Haye, commenouveau chef de la resistance protestante, contre le 011ied'Alexandre Farnèse, qui jouait aussi le râle d'un sageet doux pacificateur, et, en automne, aprés un procèsmene à la hate, la Me de la reine catholique d'Angle-terre, jadis aussi de cette France qui l'avait pendant delongues années oubliée, tombait dans la prison de Lon-dres.

En 1587, le roi de Navarre attaqua l'armée royale com-mandée par le chef des mignons, beau-frère du roi, et ilvainquit à Coutras, dans une journée particulièrementsanglante, laissant son adversaire sur le champ de ba-taille. De son côté, de Guise remportait une victoire surles auxiliaires étrangers des huguenots. Bientôt, le chefdes ligueurs se tourna ouvertement contre le roi, par lemanifeste de février 1588, et surtout par son entréetriompha/e A Paris oil, au milieu des acclamations, lesfemmes arrêtaient le hardi cavalier pour l'embrasserdans la rue 2. La ville se couvrit de barricades ; la Bas-tille se rendit ; les Suisses furent blessés dans la mêlée,bien qu'ils criassent « Bonne France », « Miséricorde »,« Vive Guise)) 3. La royauté paraissait bénéficier humb/e-ment de la grace que le roi de Paris lui avait accordée.Certains des « baryicadeux » avaient voulu chercher auLouvre « frère Henri », le pénitent, « le hiéronymite » 4 ;on réussit à sauver sa personne, suivie bientôt par lestroupes qu'on n'avait pas osé faire marcher.

Le rot qui avait da exclure Henri de Navarre de la suc-cession, devait se venger à la florentine. Paraissant aban-

I Ibid., et Martin A. S. Hume, ouvr. cité, p. 187 et suiv.2 La reine-mère ravait visité aussit6t aprés son arrivée. Il avait

aussi des Albanais it son service (L'Estoile, ouvr. cité, III, pp.137-138).

a Ibid., pp. 140-141.4 Ibid., p. 145.

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256 ESSAI DE SYNTHESE DE 1:111STOIIIE DE L'HUNI.ANITE

donner tout ressentiment envers celui qui avait 06 pen-dant des semaines le souverain de sa capitale, le u beauroi de Paris », et lui accordant, avec la dignité de lieute-nant-général, l'édit qu'il demandait, il consentit mare itréunir les Etats généraux. Il leur fixa comme résidenceBlois, oil il n'y avait pas les mêmes masses populairk spour soutenir les ligueurs qu'à Paris. Le due de Guise yvint, convaincu que personne n'osera toucher ir lui, chefd'un parti victorieux. Introduit dans la chambrel'attendait son souverain, il fut poignardé, et Henri IIIcontempla le corps de celui qui avait espéré pouvoir don-ner une autre dynastie à la France (décembre 1588). Lecardinal de Guise eut ensuite le méme sort. Les corps,coupés en morceaux, des deux frères furent brillés et lescendres jetées aux vents. La reine mére en mourut. « Onn'en fist plus de eompte que d'une chèvre morte 1. »

Dès ce moment, Paris devint une ville autonome, unerépublique d'anarchie turbulente, n'obeissant qu'à seschefs, les princes de Lorraine et les Seize. Ils changèrentles dignitaires du royaume et bouleversèrent le Parle-ment, prét désormais à exécuter les ordres des nou-veaux maitres. La Sorbonne demanda que le roi, réduitau « royaume de Tours, Blois et Beaugency », et consi-déré à Paris comme « le plus vil crocbeteur et faquin 2 ».soit excommunié, libérant la nation du serment qu'elle luiavait prété ; on écrivit dans ce sens au Pape, presque dis-posé à le faire. Son nom n'était plus mentionné à la messe,alors que Paris baptisait solennellement le fils posthumedu due de Guise. Des pamphlets latins et français circu-laient dans lesquels il était question de l' « abdication »d'un souverain traitre à sa religion

Un roy qui aux siens bien ne faitNe peult avoir de Dieu ni du Peuple la vice'.

Le due de Mayenne prit le titre de « pair et lieutenant-

Ibid., p. 233.Ibid., pp. 238, 242.

3 Ibid., p. 221. Cf. La collection des Mémoires de la Ligue publiésau xvin,, siècle.

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CHAPITRE VIII 257

général de l'estat royal et couronne de France », et h. côtéde lui il établit un « Conseil général de la sainte uniondes catholiques I », composé des représentants des troisEtats et du Parlement, « attendant l'assemblée des Etatsdu royaume ».

Il ne restait qu'une seule vole pour Henri III : de seréunir h son héritier légitime, le roi de Navarre, pourcombattre ensemble contre la révolution et l'usurpation,Le pacte fut conclu en avril A Plessis-16s-Tours, hantéepar l'ombre de Louis XI, le roi de Navarre versant deslarmes « grosses comme la poix 2 » Paris fut serrée deprès par une vraie armée. Mais un fanatique tua, h Saint-Cloud, en juillet 1589, Henri III, et le nouveau roi HenriIV n'eut plus le concours des catholiques pour prendre sacapitale. Il vainquit néanmoins le due de Mayenne, com-me il avait vaincu le duc de Joyeuse, h Argues, puis, ran-née suivante, h Ivry.

L'autre roi était en ce moment le pauvre Charles X des4( ligueurs », le vieux cardinal de Lorraine, qui cependantne résidait pas h Paris, possédée par les Seize et leurspartisans, aidés ouvertement par l'Espagne, mais h Fon-fenay-le-Comte. On frappa monnaie en son nom.

La mort le délivra bientôt de ces soucis. Alors Philippeosa proposer comme épouse du jeune Guise et reine deFrance l'infante Isabelle, fille d'une princesse de France.Une invasion, de Farnèse au Nord, du duc de Savoie auSud devait l'imposer. Paris agonisait dans la plus affreusedes famines, mangeant les rats et du pain des os de mortFarnèse la sauva en descendant avec son armée.

Henri n'en fut pas découragé : « Le 1?kéarnais est_pauvre », disait-il, « mais il est de bonne maison 3. » IIvit bientôt le duc sortir du royaume, et les offres recom-mencèrent pour Paris opiniâtrement rebelle, qui dut s'enconsoler par l'entrée des troupes espagnoles et napoli-

t Ibid., p. 277.2 Ibid., III, p. 277.2 Ibid., V, p. 51.

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258 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

taines, et par les predications féroces des moines, puis parle supplice des magistrats contraires à ces fureurs, en.commençant par le premier president Brisson.

La guerre continua en 1591, en 1592, autour de Rouen,des Allemands, du Palatinat, du Brandebourg, venant ausecours de Henri IV. Le due de Feria, envoyé par Phi-lippe II pour determiner l'élection d'un roi « catholi-que », assista à des discussions sur la possibilité d'uneconference avec les « royalistes ». Elle eut lieu en avrilSuresne. Encore une fois, à travers Paris, les Espagnolsse retirèrent et le duc, qui Rail entré en vainqueurRouen, mourut à Arras.

Pendant ce temps, on travaillait à rassembler les Etatsgénéraux, qui finirent par un fiasco complet. Aussit6t, enavril 1593, Henri se déclara prét à rentrer dans la tradi-tion du royaume, en abjurant. Les « politiquesl'avaient gagne, son instinct de Français y aidant.

Mais ce n'était plus lh que se livrait surtout la batailleentre les deux religions. Des 1586, Drake, l'amiral de lareine Elisabeth, pillait les colonies espagnoles d'Amé-riquel. Raleigh cherchait à établir dans la Virginie unegrande colonie au nom de sa souveraine. En 1587,les vaisseaux espagnols étaient billies, par le méme,en rade de Cadix. Le meurtre de Marie Stuart, vivementressenti aussi à la Cour de France, qui en prit le deuil,demandait une sanction de la part de celui qui avait été« roi d'Angleterre » 2. En 1588, la flotte de Philippe IIse dirigeait done vers les c6tes de la Grande-Bretagne,escomptant, avec les troupes de Farnese, une conquétefacile. L'artiTlerie anglaise, sur des vaisseaux plus rapides,

Ibid., II, p. 351, pour 'Who que ses exploits produisaient en.France.

2 On écrivait It Paris des complaintes comme celle oft se trouveces deux jolis vers

Ornez ses os martyrs, dos sous sa sépulture,D'un éternel printemps de bouquets et de fleurs

ibid., II, p. 20.

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CHAPITRE vm 259

fit des ravages (aart). Une tempéle violente dispersal' « armada » ; les débris seuls revinrent dans les portsde l'Espagne 1 On verra bientôt les Anglais devant Lis-bonne, qui put se défendre.

1 Fernandez Duro, La Armada invencible, Madrid, 1885.

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CHAPITRE IX

L'Empire oriental devant la nouvelle oroisade.

Pendant les longues années occupées par l'Occident itrégler une question religieuse insoluble au point de vuede l'unité, l'Empire turc, servi par les représentants lesplus énergiques des races soumises et domptées, auraitpu facilement briguer cette hégémonie qui avait été dansle grand programme imperial de Soliman le Magni-fique.

11 conservait, en effet, tout ce qui lui avait donne lagloire militaire et la parfaite cohesion intérieure. Avecses janissaires obéissant h. un signe du maitre, qui lesavait, non pas seulement formes, mais nourris, éleves,avec la cavalerie, toujours préte, de ses brillants spahis,dans lesquels s'était fondue, comme en Bosnie et en Her-zegovine, l'ancienne classe dominante, avec les troupesrésidant toujours dans la capitale, adchemoglans, spa-hi-oglans, moutéfariakas, parfois d'origine turque, avecla hardie marine de ses réiz et capoudans, renouvelantsous le drapeau au Croissant les j ours de Carthage, ildisposait aussi de tout ce que pouvait lui donner de plusutile et de plus maniable le monde grec et le monde slave.Si les Grecs, dont les lignées impériales, Cantacuzenes etPaléologues, dont les familles aristocratiques, les Rhallis,les Assanes, les Chrysoloras, les Laskaris et attires, nes'étaient pas éteintes, et qui s'enorgueillissaient de voirexhiber par les descendants des anciens chefs de l'Empirechrétien l'aigle bicéphale, figurant aussi dans les armes duPatriarcat de Constantinople, se valaient seulement deleur intelligence et de- leur richesse pour prendre, avec

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CHAPITRE IX 261

les fermes les plus rentables, celle du sel, du poisson, ducommerce avec la Russie moscovite, fourrures etautres marchandises de luxe, les sieges épiscopaux et,depuis quelque temps aussi ceux des principautés rou-maines entourées d'un prestige d'Empire 1, les Serbes et,avec eux, leurs voisins, les Albanais, étaient les gene-raux de la defense et de la conquête. Sans oublier leurorigine, sans perdre l'usage de leur langue maternelle,sans abandonner même complètement le chemin del'Eglise, le gendre de Sélim, Mohammed Sokoli, filsd'un marguillier, mais avec la prétention de- descendredes Brancovitsch 2, Rant le protecteur du siege patriarcalde Pee, rétabli pour deux de ses parents, ils avaientun seul but politique, qu'ils servaient de tous leursmoyens : celui de ce maltre, de la Maison d'Osman.qui,du reste, pouvait disposer, à son caprice, de leur fortune,de leurs biens, de leur vie.

Les Sultans qui succéderent au Charlemagne ottomanqu'avait été le « Magnifique » ne furent pas de taille àemployer l'immense capital, les ressources infinies, quileur avaient été légués 3.

Seim, fils de Soliman, était un méprisable ivrogne,occupé à s'empiffrer et à s'enivrer et, renfermé dans sonserail, sauf les jours de chasse, il prenait plaisir à accu-muler ses lingots d'or, dont l'éclat remplaçait pour luil'éclair des epées victorieuses.

Mourad, qui, sujet encore plus à cette passion, prit laplace de ce miserable père, surnommé, à cause de sacouardise, « le Juif », ne quitta pas non plus l'intérieurde son palais, oil il y avait seulement la volonte capri-cieuse et vénale de sa mere, la Valideh, une Catherinede Médicis turque, italienne comme elle, de sa femme, laHasséki, de ses favoris et de ses quelques favorites. Desaccès d'épilepsie avaient rendu d'une timidité maladive

Gesch. des Osmanischen Reiphes, III, pp. 197-199, 208 et suiv.2 Ibid., p. 167.3 Sur les forces militaires et ftnanciéres dc l'tmpire, ibid., p. 217

et suiv.

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262 ESSAI DE SYNTHÉSE DE L'HISTOME DE L'HUMANITE

ce blond jeune homme au type vénitien de sa mère ; danssa retraite, il se livra sans mesure aux plaisirs de latable. Mais, avec ses souverains cachés aux yeux desarmées, sauf les jours de visite A sa mosquée et les gran-des cérémonies des circoncisions d'infants impériaux,auxquelles on conviait solennellement jusqu'au roi deFrance 1, il y avait l'esprit toujours en éveil, la volontétoujours prompte, l'inextinguible ardeur des Grands-Vizirs qui, majordomes de ces autres « fainéants »,étaient les vrais pilotes de la Byzance ottomane. Dans unSinan, un Ferhad, Albanais, Sokoli, tué par le couteaud'un fanatique, comme les grands de l'Occident chrétienà son époque, avait trouvé des successeurs. D'eux, de leursoif d'offensive, de leur inébranlable persistance devaitdonc venir l'élan d'un Etat dont le chef sacré pouvaitrester invisible, inabordable dans son incapacité ou dansses vices, parce qu'il y avait toujours quelqu'un pour leremplacer et, malgré la place qu'il faut reconnaitre auxintrigues d'une Cour d'occultisme asiatique, c'était tou-jours le plus fort, le mieux doué qui s'imposait. Si Mou-rad avait inauguré un regime d'indignes favoris et defemmes, il devait faire place, à la première occasion deguerre, à la quasi-monarchie du premier des vizirs. Avecces moyens, et aussi avec celui d'un trésor qui se rem-plissait des revenus don-ianiaux, du kharadch des sujetschrétiens, du tribut des vaincus laissés libres dans leursformes politiques traditionnelles, on avait, malgré lesmauvaises finances de la seconde moitié du xvi° siècle 2,de quoi attaquer et subjuguer le centre de l'Europe,abandonné h l'anarchie et A l'impuissance germanique,ainsi que de quoi inquiéter cette Italie qui de temps entemps frissonnait au bruit d'une attaque turque sur sescôtes 3.

Mais, si l'Empire reposait sur des fondements sainsdans les Balcans, ailleurs, en Asie, en Afrique du Nord,

a L'Estoile, ouvr. cité, II, p. 35.2 Gesch. des osmanischen Reiches, III, pp. 231-232.3 L'Estoile, V, p. 218. Sur un bruit d'attaqme contre Malte, en

1575, voy. ibid., I, p. 59.

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CHAPITRE IX 263

dans les iles il y avait une perpétuelle incertitude, unevague menace, plus des possibilités de conflits au delk duDanube et sur la celte septentricmale de l'Euxin.

Car, si le vieux Chah Thamasp était insensible a lagloire militaire, laissant succomber les révoltés de l'Yé-men arabe 1, si ses fils, Haider, Ismail, disparurent rapi-dement d'une façon tragique, les affaires de Géorgieseules devant amener une guerre en 1578-1579 2, si le

roi de Vienne » était lui aussi un tributaire, tout dis-posé à écarter le danger par ses compliments et ses pré-sents, enfin si la Transylvanie des deux Zápolya, aux-quels bientôt succédèrent les Bathory, Etienne, Chris-tophe, Sigismond, n'était qu'un paisible pays de fidèlevassalité, sans perspectives et sans espoirs, il n'en étaitpas de méme des Roumains et des Polonais, malgré lasituation subordonnée des uns et le manque d'espritoffensif des autres, au moins du côté de l'Orient musul-man.

Presqu'en méme temps, les trônes de Transylvanie etde Pologne deviennent vacants par la mort (mars 1571)du second Zápolya, créateur de la Réforme dans sonpays, sous la forme socinienne, importée par le médecinitalien Biandrate, et par celle du fils de Bona Sforza,l'ami des lettrés et des artistes de la Renaissance, qui futle luxueux Sigismond-Auguste, rénovateur du Wavel deCracovie (1572).

Le Transylvain venait à peine de conclure un traitéavec le roi Maximilien, par lequel lui étaient reconnus les

comités extérieurs » jusqu'à la Theiss, et, pour coin-penser la renonciation au titre royal de Hongrie, un abrien Silésie. Sa mort devait fatalement remettre en dis-.eussion la vieille question hongroise et, de fait, si le

parti national » de Transylvanie s'empressa d'élire leVoévode Etienne Bathory, son concurrent, le Roumaintl'origine Gaspar Bekes, fut soutenu par les Impériaux,

Gesch. des osmanischen Reiches, III, pp. 233 et Still%Ibid., pp. 236 et suiv.

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264 ESSAI DE SyNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUmANITÉ

pendant toute sa lutte opiniAtre pour la domination dupays.

Depuis longtemps déjà, la Maison d'Autriche, qui avaitréussi h. presider tranquillement, la pens& dirigée cons-tamment vers l'accroissement dans les provinces here-ditaires, l'Empire partagé entre trois religions d'apresles propensions confessionnelles des princes, nourrissaitces projets sur la Pologne, de royauté elective, qui avaientété provoqués par le manque d'un héritier de la racedes Jagellons. Car Sigismond-Auguste n'avait pas laissed'autres parents que deux sceurs, mariées, l'une en Suede,l'autre dans la Maison de Brunswick, en dehors d'unetroisième, Agee et apparemment incapable de postérité,

« infante » Anne. Deux des femmes du roi défuntavaient éte des Autrichiennes. La candidature d'Ernest,fils de Maximilien, n'était done que naturelle. La Porteottomane apposa une interdiction absolue mix ambitions.autrichiennes des deux côiés. La Pologne elle-méme futpresentee insolemment comme un pays conquis, dontles rois sont de l'essence des begs de nomination imp&riale.

Des avant la mort du dernier Jagellon on avait penséfaire de Henri de Valois un héritier de la couronne

polonaise en le laissant adopter par le roi. Albert Laski,brillant aventurier venu de sa Pologne a Paris, soute-nait cette idée, qui était aussi celle de l'ambassadeurde Venise 1. C'était l'époque oil on voulait établir uneprincesse française en Transylvanie, où l'ambassadeur duroi A Constantinople pensait à un mariage valaque. LaRussie moscovite aussi était pénétrée par l'essor fran-

- avant les guerres civiles, des gens de Paris etd'Orldans, de Normandie et de Bretagne, des centres pro-testants l'ayant découverte 2 On pensait à coloniser la

Albéri, onvr. cité, VI, p. 255.2 Edition de la Chronique de Nestor par Louis Paris. Cf. notre

scarlet istorie a Slavilor reisdriteni Rusi Poloni, Bucarest, 191gDes draps de France et des Flandres venaient par Danzig en Polo-gne. (Albèri, ouvr. cité, VI, p. 276 ; cf. ibid., pp. 279-280).

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CHAPITRE IX 265

« Livonie », un consul Rant Rahn A Reval. La candida-ture française ne rencontra pas seulement celle du princeautrichien, mais aussi les efforts du Tzar Ivan.

Au fond, cette Moscovie orthodoxe, en fonction decroisade permanente contre les Tatars, ne représentaitqu'une autre forme de la vie politique des Slaves del'Est, en même temps qu'e/le retenait le vieux souvenir deByzance et la mémoire tenace de la domination tatare,dont les traditions continuaient. Depuis le commence-ment du siècle les Moscovites, après s'étre annex& sousle vieux Tzar Ivan III (1- 1506), « gospodar de tous lesRusses et grand-cnèze », Novgorod par les armes etTver par soumission, après avoir ajouté, sous Basile,Pscov et Riazan 1, disputaient A la Pologne la Lithua-nie, habitée par des Russes de foi orientale et conser-vant encore leur langue différente, leurs tendances diver-gentes. En 1514, le Tzar Basile, au nom byzantin, pre-nait Smolensk, pour s'arrêter ensuite, dans cette ceuvrede concurrence, au moment où se prononça la pousséecontre les Khans dégénérés de la Horde d'Or. Kazan futprise en 1552 par le successeur de Basile, le « terrible »Ivan, « Jean Basilide » dans ses lettres, et descendantd'un « frère d'Auguste » ; deux ans plus tard succom-bait aussi Astrakhan. Le successeur chrétien des grandsempereurs tatars, desquels il prit le titre de Tzar méme,_remplaçait ainsi, tout simplement, ses collègues restésencore musulmans de la race de Dchinguiz ; du resteon rencontra biented, parmi les représentants de cesdynasties, un Pierre et un Siméon. Le projet turc de réu-nir le Don A Ia Volga par un canal, d'ouvrir de ce côtéune voie de commerce vers l'Orient tomba ; on fut heu-reux, A. Constantinople, de pouvoir maintenir l'inclépen-dance de cet « empereur » tatar de Crimée que le Sultannommait comme n'importe quel de ses plus humblesvassaux. Puis, cette ceuvre accomplie, le procès avec laPologne se rouvrit. En 1563, les Russes entrent A Polotzk.

D'autres cans persistaient dans de petites localités.

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266 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Mais cette .Moscovie renfermée à l'intérieur de sesterres, réduite à accueillir les marchands &rangers, sur-tout les Anglais, comme Willoughby et Chancellor 1,par la côte inhospitalière de la Mer du Nord, poursuivaitaussi d'autres buts dans son expansion, conduite par ceterrible cnèze, le premier des Tzars, qui a laissé un sihorrible souvenir de ses massacres parmi ses propresbolars et sujets.

La Prusse s'était séparée, sous le duc Albert et sessuccesseurs, de la couronne de Pologne. La Livoniel'avait précédée dès 1521 ; quarante ans plus tard, aprèsune guerre des Moscovites contre la Suède, pour Dorpat(1555) et une autre contre les Polonais, pour le mémerivage envahi par les bandes russes (1557-1558), GustaveKetteler, chef de la Livonie, de la Courlande, de la Sini-gallie, prenait le titre de due et concluait un pacte défen-sif avec le roi Sigismond-Auguste (1561). En 1566, celui-ci s'annexait une partie du pays, mais en 1571 les gens deMoscou y revenaient contre les Suédois. De leur elk& lesPolonais jetaient les Tatars de Crimée sur la capitale desgrands-ducs russes, devenus des Tzars.

La Diète de 1568 avait réuni, sous le rapport constitu-tionnel aussi, Pologne et Lithuanie. Les Jésuites, quidevaient paraitre aussi, avec le Père Possevino, dans lacapitale d'Ivan, travaillaient à amalgamer sous le rap-port religieux les deux nations. A Vilno comme A. Graco-vie, on écrivait en latin et en polonais. Les préchesardents du grand orateur ecclésiastique Skarga parlaientA tous des mémes dangers, des mémes erreurs, au nomclu méme patriotisme.

Dans cet état d'esprit on ne pouvait guère acclamer leTzar conime roi. C'était par trop, non seulement unennemi héréditaire, un rival, mais un homme d'Orient,un Asiatique, malgré son « palais de granit » élevé par le

1 Of. Hakluyt, Navigations et l'artiele de Mme Irma Lubimenko,dans la Revue historique, année 1924.

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CHAPITRE IX 267

Florentin Aristide Fioravanti, malgré les Allemandsemployés dans son armée, son oncle Kourbski avaitservi sous Albert de Saxe, malgré ses rapports avec lesFugger et les marchands d'Arras, avec ceux de la Hansemourante et malgré ses projets de mariage en Angleterre.On avait vu comment le Tzar, après un simulacre d'abdi-cation, avait traité ses propres sujets, les grignotant avecdélices et s'en vantant publiquement. Le Habsbourg avaitpensé méme A un partage du royaume, proposant auTzar un régime de possession commune, quelle que ffitcelle des deux Maisons qui eilt eu possession du trône 1.

Henri de Valois fut done élu : il consentit A occuperun trône dont il ignorait toutes les traditions, et il necomptait guère s'y initier trop intimement, comme il nesongeait pas A en épouser la plus que quadragénairehéritière 2.

Parmi ses promesses solennelles et vaines, il y avaitaussi celle de réunir A. la couronne cette Moldavie vain-cue en 1531 dans la querelle pour la province pocutienne,le roi Sigismond devant appeler, en 1538, le grand Soli-man, et A la déchéance de laquelle, sous les Turcs, avaientassisté impassibles ce souverain et son fils, malgré lesobjurgations des plus clairvoyants parmi leurs conseil-lers 3. 1C'était provoquer les Turcs, qui s'étaient déjàoffusqués du concours donné, en son propre nom cepeL-dant, par Laski A l'aventurier Jacques Basilikos, usurpa-teur de la Moldavie, au nom d'Hercule et des Branco-vitch serbes. Henri finira son règne sans avoir renouveléla trève avec le Sultan.

Son successeur, après un long interrègne, car on setlisputait sur la question s'il y a ou non un roi, le princefrançais ayant solennellement réservé,, au départ, ses

1 Voy. nos Relations entre Polonais et Roumains, Bucarest, 1921.Cf. Albéri, loc. cit., p. 308.

2 n avait été aussi question de lui faire épouser une princesse deSaxe ; ibid., p. 263. Cf. ibid., p. 310.

8 Voy. nos Studii pi documente, XXII, correspondance de KOnigs-.berg.

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2Q8 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUAIANITÉ

droits, fut le rude Transylvain Etienne Bdthory, vain-queur sur les competitions autrichiennes, réapparnes.Avec cet homme de guerre, trapu, A la téte carree, d'es-prit brusque, la « république » couronnée avait gagné unmaitre, comme la pauvre infante, si respectée par lessiens, un mari I.

Malgré le puissant appui accordé par la Porte A lacandidature de son vassal, on aurait pu se considerer enguerre avec les Turcs, étant donne que le jeune princeexpulse de Moldavie, Bogdan, allié A la noblesse polo-naise, avait été aide par ses amis A. reprendre posse-ssiondu pouvoir, sans y réussir cependant, contre un rem-plaçant, un énergique et cruel guerrier A la façon duTzar des Moscovites, Jean, dit, lui aussi, le Terrible.D'autant plus que ce dernier, ayant refuse de se retirerdevant son concurrent qui avait acheté ce trône de vas-salité, le propre frère du prince de Valachie, avait trouvéson principal appui dans ces Cosaques, ces outlaws descataractes du Dnieper, de nations diverses, organises enadversaires des Tatars pillards des le commencement dusiècle, et que les Turcs consideraient, à tort ou A raison,comme dependant de la couronne polonaise. Jean avaitété pris pour étre massacre au milieu de ces fldèles auxi-liaires de sa croisade defensive (1574), et il avait falluenvoyer contre lui un des grands de la Porte, l'ItalienTchigala-Zadeh 2.

Or, le roi Etienne, qui se forma aussitôt une armée, lapremiere armée permanente que la Pologne eilt eu, pen-sait qu'avant de risquer la lutte contre l'Empire ottomanpour la possession des deux pays roumains jusqu'auDanube, et, en cas de succès, il aurait repris A sonfrère le gouvernement de sa Transylvanie natale, undevoir s'impose : celui de regagner sur les Moscovitesles provinces perdues par ses prédécesseurs. Pendant son

i 11 y avait eu aussi la can.didature du Ferrarais, fils de Renée deFrance (Albèri, ouvr. cite, VI, p. 305), celle du duc d'Alenvon et duprince ruthène, patron des érudits grecs, Constantin d'Ostrog.

2 Cf. ma Gesch, des osmanischen Reiches, 111, pp. 254 et suiv.

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CHAPITRE IX 269

regne de douze ans (1575-1587), le roi Etienne toléradonc les incursions en Moldavie, contre le déhonnaireprince Pierre, de ces Cosaques nizoviens, amis de tous lesprétendants, tout en désavouant leur action dévastatrice ;mais, de méme que Sigismond-Auguste avait fait exe-cuter en place publique le prince moldave réfugié EtienneTomsa, il mit à mort, en presence du tchaouch impe-rial, un de ces aventuriers, le chevaleresque Jean, puisun autre prince, le fils de Pierre Rares, Iancu ditle Saxon, les deux se réclamant de l'hospitalité duroyaume chrétien. Il toléra aussi les cruelles invasionsdes Tatars et les insultes faites aux ambassadeurs qu'ilavait envoyes à Constantinople.

Mais ji eut ainsi la latitude de porter ses armes contreDantzig rebelle, de reprendre au Tzar Polotzk et d'inter-venir, de concert avec le roi de Suede, Eric, dans lesaffaires de la Livonie, de nouveau envahie par res Mos-covites. Les Tatars de Crimée furent aussi gagnés contreIvan. Pscov eut le méme sort que Polotzk et, A la paixnégociée par le Jésuite Possevino, la Pologne put garderla Courlande.

La mort, en 1583, du terrible « empereur » russe conso-lidait ces conquétes. Et, lorsque le nouveau Tzar Fedorprésenta sa candidature au trône de Pologne, vacant parla disparition de Báthory, ce fut le Suédois, fils d'Eric etde la princesse polonaise Catherine, Sigismond, portantle nom de deux grands rois polonais, qui l'emporta.L'élève d'Etienne, le chancelier et hetman Jean Zamoyski,forme à Padoue, avait determine cette election et, commeun autre parti, plus nombreux, avait proclamé roi l'archi-duc Maximilien, fils de l'empereur de ce nom, ce chefd'une aristocratie orgueilleuse et remuante marcha contrelui avec les vieilles bandes du roi (Want et contraignitle Habsbourg à l'humiliante abdication de Bedzin (Beu-then) (1588-1589).

Cette fois, la Porte avait traité le royaume polonaiscomme une Transylvanie quelconque, cherchant à luiimposer la royauté de son vassal dans cette province,

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270 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Sigismond, ou de son parent, le cardinal Andre Báthory,méme celle du pauvre Voévode moldave Pierre le Boi-teux. Comm les Cosaques dépassaient tout ce qu'llsavaient accompli jusque-là dans le domaine du brigan-dage, attaquant et pillant les places fortes du Dniester,une sanction de la part des Turcs en devenait indispen-sable.

On aurait commence depuis longtemps déjà la guerrecontre la Pologne, du temps du roi Etienne encore, quele Vizir Sultan traitait de « mauvais chien », si la guerrede Perse n'avait pas retenu pendant longtemps les effortsde l'Empire.

Des 1578, le vizir Moustapha avait commandé unegrande expedition asiatique, destinée à régler les affairesde Géorgie, où les princes chrétiens Minotchehr, Gre-goire, Alexandre, David se partageaient ou s'arrachaientle pouvoir. Une garnison turque fut établie A Tiflis, laGéorgie devint un Gourdchistan turc à côté du Chirvan,du Souchoum, 'annexes aussi, mais la désobéissance semit dans les rangs des janissaires de profession, lafamine s'y ajouta, et la retraite fut très difficile. Le gou-verneur des nouvelles provinces, Osman, se trouva bien-tôt devant l'offensive des Georgiens de nuance persaneet d'Ali-Kouli-Khan, leur appui. Une nouvelle campagnede Moustapha, en 1579, amena la prise de ce dernier. En1580, ce fut Sinan-Pacha qui parut dans ces regionsencore dangereuses, mais son armée n'était guère dispo-sée A le seconder ; il quitta sans aucun ordre de Constan-tinople sa mission. Puis son rival Ferhad se dirigea surCars et Erivan, les forteresses d'Arménie, sur Nakchivan,en 1582. Il fut remplace par le méme Osman, qui rem-porta enfin un succès notable dans ces pays d'anarchiedont les chefs étaient en méme temps amis des Ottomanset amis du Chah, chrétiens et musulmans (David-Daoud,Minotchehr-Moustapha). Les Turcs furent battus en1583 sur le champ de l'ancienne bataille de Tchaldiran..Kouli-Khan revint à la charge, mais Tébriz, la conquete-

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CHAPITRE IX 271

de Soliman, put étre de nouveau occupée. Osman mourutcependant en vaincu, et ce fut par la collaboration deFerhad et de Tchigala-Zadeh que les Persans, attaquésaussi par leurs voisins, les Turcs ouzbegs de Kouli-Khan,furent amenés à résipiscence, au moment m'ème où leChah Abbas montait sur un trône si souvent ensanglanté.La paix, qui reconnaissait au Sultan la possession duGourdchistaii, du Chirvan et de Tébriz, ne fut cependantconclue qu'au printemps de l'année 1590 1.

Dès le mois de juillet 1589, le beglerbeg de Roumélies'était done tourné vers le Danube et l'avant-garde otto-mane arriva jusqu'en Galicie. Les efforts du prince moL-dave et du second ambassadeur de la reine ElisabethConstantinople amenèrent cependant la paix 2.

Nlais, d'un autre côté aussi, les querelles de frontièren'avaient pas cessé un seul moment en Hongrie. Et Sinan,arrivé à la dignité de Grand-Vizir, était décidé à rouvrirl'offensive dont s'était servi pendant des siècles l'Empire.En 1593 il y eut la guerre avec les Habsbourg.

Or, la guerre défensive devait se transformer en croi-sade.

I Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 238-247.Vol% nos Observations sur le commerce de l'Orient et l'époqua

moder-ne et Geschichte des Osmanischen Reiches, III, p. 263 et suiv.

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CHAPITRE X

Etat d'esprit de l'Europe occidentalela fin du XVI,. siècle.

Si les guerres de religion avaient amend l'affaiblisse-_ment de toute autorité, la ruine financiere des Etats et lamisere économique de leurs habitants, si elles avaientremué tout ce qu'il y avait d'envie et de haine dans lesmasses populaires, plongées encore dans un abrutisse-ment politique presque complet, elles avaient amené, plusque la predication pédante, destinée A. un cercle restreint,des humanistes et des représentants de la Renaissance,une renovation dans les esprits. D'un côté, la faculté decreation, depuis longtemps assoupie, s'était réveillée dansdes classes qui n'avaient pas participé A la resurrectiondu bon style latin et des nobles idées de la Grece, et, del'autre, tout un monde d'idées, plus ou moins comprises,avait envahi l'intelligence d'une nouvelle generation.

L'Italie donna, dans le premier domaine, l'impulsion.Sans vie politique et nationale, avec les Espagnols auNord et au Sud et, au milieu, leurs protégés et leurs sup-pôts, la race, si merveilleusement douée, s'était cherchéailleurs la possibilité de se manifester..La France Ranpleine d'Italiens qu'on n'aimait guère, bien qu'on pleuritla mort, dans l'aventure africaine, du brave Sforza 1. Ondisait cependant dans les chansons qu'il faut aller enItalie pour « poltronizer » 2. La ferme du sel appartenait

L'Estoile, ouvr. cité, II, p. 79.2 Je veux aller en Italie

Pour apprendre à poltronnizer ; ibid., p. 267.

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CHAPITIIE X 273

au Florentin RuCcellai 1 Tel de ses concitoyens, enrich's,s'achète un comté pour conclure un brillant mariage 2On les traitait d' « inventeurs de subsides » pour laroyauté, qu'ils compromettaient 3.

A côté de vulgaires « pippeurs », on faisait venir d'Ita-lie des Vénitiens habiles dans la comédie légère, forte-ment inconvenants, les « gelosi », dont le jeu fut d'abordinterdit, puis de nouveau toléré 4. On parlait et on écrivaitl'italien à la Cour, on écrivait en « lettres italiennes »tel prince roumain errant, Pierre, qui, portant les bouclesd'oreille, en recueillit, chez les siens, lorsque la Cour deFrance le rétablit, en 1583, sur le trône de son père, lesurnom, un bel homme imposant, chanta, au milieu desseigneurs de Henri II, son Inn° a Dio 5.

L'Allemagne protestante abhorrait ces a papistes »,mais ils avaient donne, par Socin et Biandrate, la réformeA la Pologne et à la Transylvanie ; un Bruti, parent dutruchement de Venise à Constantinople, régissait le Mol-dave Pierre ef le dirigeait dans le sens d'une conversion

la foi catholique. Si les Jésuites de Pologne étaient desindigenes, ceux qui catéchisèrent les pays danubiens etla Moscovie furent des Italiens, un Possevino, un Arsengo,un Querini-, la princesse de Valachie, vers 1570, uneLevantine de Péra, avait une sceur portant, d'apres sonmari, le nom ducal génois des Adorni, dans un conventde Murano, près de Venise. La Rhodienne, femme dePierre le Boiteux, la Paléologue mariée à son rival Iancuparlaient sans doute aussi l'italien du Levant. Des grou-pes d'Italiens ou de Grecs italianises, portant parfois desnoms historiques, en étaient arrives à dominer le com-merce galicien.

Dans l'empire ottoman, Tchigala etait un Italien duSud, Dchafer un Calabrais, de méme qu'Ouloudch-Ali,

Ibid., p. 21.2 Ibid., 1, p. 273.3 Ibid., p. 266. Sur la famine de Gondi-Retz, ¡bid,, pp. 9 et suiv.4 Ibid., I, pp. 179, 189, 192-193, 201, 308.5 Stefano Guazzo, Dialoghi piacevoli.

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274 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

le « roi d'Alger » ; Hassan, un Vénitien ; des Querini, desColumbino, des Benetto, des Giustiniani jouaient sous desnoms tures un rôle à Constantinople, avec des Ancôni-tains, des Dalmates formés par Venise 1 On vit it Parisles exercices à la façon des athIètes de l'Orient d'unBolognais turquisé 2

Dès la fin du xv° siècle, h. la suite des romans versifiéstraitant de la « matière de France » pour des lecteurshabitués plutôt à entendre qu'à lire ces poémes d'aven-tures merveilleuses, un chanoine, Luigi Pulci (-1- 1487),prit plaisir à trivialiser dans son « Morgante Maggiore »les figures de l'épopée carolingienne, allant jusqu'h plai-santer la divinité chrétienne, et de la façon la plus gros-sière. Tout l'esprit railleur des caricatures sculptées surles murs des cathédrales parait revivre dans cette contre-façon brutale, mais dans laquelle, à côté de la libre ins-piration du moyen-Age, on doit reconnaitre l'essor hardide la langue populaire. Le bon Pulci déversait le surplusde son esprit goguenard h Florence ; pour les Gonzaguede Mantoue un autre rabaissera dan,s le « Mambriano »le méme héritage hérolque français, et pour le « public »plus fin de la Cour des Este, b. Ferrare, Boiardo thantera,avec plus de retenue, les gestes ridicules d'Orlando inna-morato. Et un sentiment noble des dangers de la patrieitalienne transparait lorsque le poéte se dresse contre les

Gaulois » qui se préparent A. ruiner la péninsule. Puis,avec l'intention de glorifier le passé légendaire de la mémefamille d'Este, un petit fonctionnaire de ces marquis,Lodovico Ariosto, reprit, pour l'orner de tous ses souve-nirs littéraires, jusqu'à la « Divine Comédie » et au« Roman de la Rose », la fable de Roland, pour en faireun « furieux » chercheur .d'aventures (Orlando furioso),dans un poème de belle construction, de stances harmo-nieuses, au contenu pittoresque, qui reflète la fainean-tise romantique de ces petites Cours italiennes, avec les

Gesch. des osmanisehen Reiches, III, pp. 184-185, 226-227. Cf.ibid., pp. 191 et suiv.

L'Estoile, ouvr. cité, II, pp. 81-82.

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CHAPITRE X 275

,chevaliers joutant au son des orchestres et les damesqui du balcon jettent des fleurs « rouges et jaunes ». Enfait de politique contemporaine, l'Arioste n'oublia dansses compliments ni François I', ni Charles-Quint, niTrivulce, le general italien du premier, tour A tour maitrede « l'Italie ivre, indifférente à la personne de celui qui ladomine, en attendant l'heure de la liberté pour elle DI

celle de la croisade bénie pour la chrétienté entière, récu-pératrice de Constantinople 1.

L'Italie ne donnera plus, pendant quelque temps, jus-qu'à l'enthousiasme de croisade qui distingue la fin duxve siècle, que des concetti, des sonnets, des bouts-rimés,les poètes de Cour témoignant plus d'érudition que d'ins-piration vraie. Mais, alors qu'en pays allemands, de viespirituelle encore très arriérée, on se distrait en lisantles vers du maitre cordonnier « Jean le Saxon », HansSachs ou le « Vaisseau des sots », d'une si moyen-Ageuseinspiration, d'un Sébastien Brandt, la France de Françoiset de Henri II, celle des enfants de Catherine de Mai-cis prend sur elle, avec la protection de cette légère fabri-cation italienne, le développement naturel du nouvelesprit.

On s'y inspire de Pétrarque, passé en français dès1555, on traduit l'Arioste et la « Sophonisbe » du Trissin,

l'Arétin même, « fléau des princes » 2.S'il s'agit d'appeler au secours la raillerie des siécles

passés, de franche bombance et de sanglante ironie, le'Tourangeau François Rabelais, curé de Meudon, feradans ses romans « Gargantua » et « Pantagruel », unmélange savoureux souvent, parfois lourd et dégoritant,de bourdes « d'escholiers » et de critiques saines despropositions de réforme. II connalt le latin, le grec, l'hé-breu, l'arabe, appris chez l'évéque de Kara-Hamid ARome, il édite, en sa qualité de médecin, Gallien et Hippo-

Voy. notre Istoria literaturilor romanice, II, pp. 572 et suiv.'Voy. EmilelPieot, Les Francais italianisants au an° siacie, Paris,

1906, 2 yd.

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276 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMA.NITÉ

crate, et fait semblant de se moquer de tout cela. Cueil-lant A travers sa vie désordonnée une large experiencehumaine, plaisante et amère, il prendra dans le passemedieval aussi bien que dans l'atmosphère de son tempsce qu'il faut pour medire du clergé, de l'érudition sco-lastique, des cloitres et, ce qui est plus grave, de toutrang et de toute autorité, comme il le fait se son sujetlame.

Rabelais ne ménage pas le « langaige diabolique » deceux qui « pindarisent, rappetissant de vieilles ferrailleslatines » et « vendant de vieux mots latins tous moisis etincertains ». C'est une allusion rageuse à cette école de lanouvelle poésie qui avait pris aux contemporains deCharles VIII, de Louis XII, de François Jr et h leurs suc-cesseurs les connaissances de latin et de grec d'un Rude(n. 1467) et des Estienne, d'un Scaliger et d'un EtienneDolet, les effluves d'Italie apportées par un Alamanni etun Simeoni, les leçons savantes du College de France,réunissant des professeurs français, italiens, espagnols,pour en faire l'instrument complexe, d'apparence par-f ois légèrement artificielle, d'une ceuvre toute imprégnéede terre natale et vieille tradition nationale. Car les éru-dits eux-mémes, ses maitres, écrivent en français les« Commentaires sur la langue latine », les traités surle « nouveau français », leur argumentation sur la « pre-excellence du langage français », la « defense et illus-tration de la langue française », alors que l'Italie se gardebien de faire h. son doux « vulgaire » le même honneur.

La banalité du doux vers facile qu'emploient ClementMarot et Mellin de ,Saint-Gellais est bientôt dépasséeavec fierté. La royauté littéraire de Pierre Ronsard, d'ori-gine danubienne, dont la mort est gravement commétno-rée par le chroniqueur L'Estoile, s'ouvre.

Les vers, d'une allure vivace, malgré tout le savoirancien qu'il renferme, de celui qui

... ne fut hanté d'envieD'acquerir les honneurs,Des grands seigneurs,

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Ouvr. cit6, II, p. 23. Cf. pour la mort de Ronsard, ibid., pp. 221-222.

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a une saveur religieuse quand il touche aux beautés dela campagne, oil le poke passa une grande partie de savie, retenu par des amours champétres. Il est suivi danscet attachement à la terre de beauté et de richesse, dedivin isolement, par toute une série de chantres de lacampagne et des grâces, appartenant à la male petitenoblesse, de province surtout, aussi active au rythme et

la rime qu'à l'épée et A. l'arquebuse : de Bellay, du Bart,Pontus de Thiard, Jodelle, Amédée Jamyn, Desportes,du Bartas, un vrai combattant des guerres de religioncelui-ci.

Cette poésie, si fraiche de couleur, et cependant sicapiteuse, ne passe pas indifférente à côté des guerresciviles. Ronsard met en vers le « Discours sur les misèresdu temps » et sa « Remonstrance au peuple de France »,dès 1562-1563, et il y est question de « l'extrame malheurdont notre France est pleine », surtout à cause de cesméchants huguenots qui ne font que « brusler maisons,piller et brigander », ce que ne faisait pas Jésus, « con-fessé de bouche et non de cceur ». Il donne l'aspect deceux qui sont présentés sur chaque page du Journal dusiège de Paris par L'Estoile,

...barbe longue et le frontDe rides labouré, farouche et profond,Les cheveux mal peignés, le sourcy qui s'avale,Le maintien renfrogné, le visage tout pasle.

Ce chroniqueur des riens journaliers dont se formaitla misère de sa patrie mentionne les pikes de vers écrites,contre paiement, par Ronsard et du Baif à l'occasion desnoces, d'un luxe fou, du mignon de Joyeuse avec la soeurde la reine 1. Son Journal est plein de pièces de vers,d'une grande perfection parfois, d'un assez bel élan,exprimant, avec verve et esprit, les passions et les inté-leis de l'époque.

A côté, une série de mémoires &Is aux capitaines desdeux parties respirent la méme vie sincère, intense, vio-

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lente. Dans les vers des uns, dans la prose de « commen-taires » ou de simples notes des autres, il y a, non seule-ment l'essence méme de leur temps, mais aussi ce quiforme la vraie littérature de cette époque.

Mais tout cela, sauf la chanson, stridente ou sournoise,n'allait pas jusqu'A la bourgeoisie moins cultivée, à ce-qu'on appelle dans les villes le peuple. Beaucoup de gen-tilshommes mèmes ne se nourrissaient pas de cetfe lec-ture trop alambiquée pour leur savoir, trop difficile pour-leur gat. En fait de thatre, telle comédie traduite del'italien n'était pas destinée à la représentation, et on-fut enchanté d'avoir, dans une ville comme Paris, lesjeux d'équilibre du renégat boulonnais et les exhibitionsplaisantes des « Jaloux » de Venise. Le vrai thatre desParisiens c'étaient les processions du siège, et le vrai dia-logue dramatique, les invectives et les exhortations desmoines prédicateurs de haine et de bataille.

Il en fut autrement dans deux seuls pays : l'Espagne etl'Angleterre.

Les Espagnols subissent l'influence dominante de l'Ita-lie qu'ils ont conquise. Les Napolitains, les Milanais leurdonnent le goût de l'antiquité, comme au Catalan JuanBuscan, un lyrique, et A. l'historien de la qvolte des Mo-risques, Diego Hurtado de Mendoza, A Garcilaso de laVega, soldat de l' « Empereur » en Navarre et A Tunis,voyageur en Allemagne et dans cette Italie inspiratrice(f 1536), et à Luis Ponce de Leon, d'un élan religieuxplus puissant, aux deux Argensola et à Herrera, autrehistorien. C'est de la lecture de l'Arioste que part Ercillapour écrire son.poème sur les anciennes civilisations con-damnées du Nouveau-Monde, l'Araucana.

Dans l'ceuvre célèbre de Cervantes, encore un des com-battants de l'épopée de Charles-Quint, Don Quichotte dela Manche, il y a la même façon plaisante de traiterl'aventure que dans les poèmes italiens sur Roland deRoncevaux et dans les interminables récits de Rabelaissur les funambulesques et mirifiques exploits de ses-

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géants. On amuse une époque incrédule avec l'expositioncaricaturale de ce qui avait été pour tant d'autres géné-rations un idéal et une gloire. Si on se rappelle la con-damnation prononcée par le clerc français sur les con-quérants affamés de gloire, fussent-ils méme des tétescouronnées, on peut se demander si le fantôme méme del'empereur désabusé n'a pas passé un moment devantles yeux narquois de son ancien soldat.

Des nobles, des moines emploient, dans cette Espagnepeu propice aux révolutions littéraires et aux modes destyle, aux rénovations par l'antique, l'ancienne façon,simple, de chanter. Mais ceci ne suffit pas pour la dis-traction des multitudes qui se sentent le premier peuplede l'Europe. Il leur faut, à côt4 des courses de taureaux,affectionnées par le roi-empereur comme par le dernierde ses sujets, le théatre, car l'Espagne n'a pas d'épopéecomparable h. celle de Camans, incorporant l'orgueil deslointaines découvertes « indiennes ».

Dans Tolède, la vraie capitale, que Philippe II aban-donna pour se réfugier, en marge de Madrid, dans sonvaste et solitaire Escurial, rappelant par sa forme bizarrele gril du martyre chrétien, les spectacles populairesfont fureur à cette époque. Madrid a aussi comme comé-diens les frères dé la Passion et de la Vierge, de la Soli-tude, dans les thatres de la Croix et du Prince.

Aprés les copies, par un Argensola aussi, d'aprés l'ita-lien d'un Macchiavelli, d'un Bibbiena, aprés la contre-façon des « moralités » comme celles du Portugais con-temporain, Gil Vicente, on a la vie contemporaine soustous ses aspects : licenciés et bacheliers, soldats vantards,sacristains, marchands, mendiants, serviteurs fourbes,bohémiennes et esclaves, dairies cloitrées et solennellesdueñas. Un Lope de la Rueda, un Cervantes aussi ouvrentla série de ces « comédies espagnoles », qui, écrites à lahâte, accumulées par dizaines, les unes sur les autres,feront la grande gloire de l'inépuisable Lope de Vega.(1562-1636), du poète dramatique de la légende du Cid,Guillen de Castro (-1- 1631).

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280 ESSAI DE SYNTIIESE DE L'HISTOIIIE DE CHUMANITE

En Angleterre, tout le monde, ébranlé par les dramesréels du siècle qui vit tant de révolutions et de catas-trophes, tant de grandeurs monter à l'échafaud et tantde fortunes presque subites s'effondrer dans le néant,participe a cette volupté des spectacles. II leur faut, à cesgentilhommes et à ces bourgeois, le charme des légendesdu Nord, des « nouvelles » de l'Italie, des drames anciensracontés par Plutarque, à la mode dans ce pays aussi, dessuperstitions celtiques survivant dans le milieu chre-tien ; il leur faut l'apparition des protagonistes de l'his-toire nationale méme, telle que la présentent les chro-niqueurs : et, à côté, les dehors de la vie présente, avecses ivrognes, ses vantards et ses « commères ». Toutcela avec beaucoup d'énergie, allant jusqu'à la violencela plus criarde, avec cet esprit trivial auquel les princesmémes, comme Henri IV, se sentaient obligés, et, en naé-me temps, pour quelques-uns, sinon pour l'auleur seul,ces considérations philosophiques que l'antiquité avait,partout, mises à la mode. La sentimentalité obligatoire, lelangage Henri, les circonlocutions à l'italienne, A l'espa-annole réclamaient aussi leur droit. Réunissant ces 616-Inuits pris dans l'ame male d'une société en cours dedouloureuse élévation, on a sur les huit scènes de Lon-dres le thatre de Marlowe et de Ben Jonson, celui, immor-tel, de William Shakespeare, acteur de Londres (1564-1616) : Hamlet, Le roi Lear, Macbeth, Othello, Romeoet Juliette, Antoine et Cléopcitre, Lei réve d'une nuit d'été,Richard III, Les joyeuses comméres de Whzdsor.

Les idées de l'époque se reflètent plus ou moins dansces ceuvres d'une époque agitée et féconde. Et ce sontdes idées nettement révolutionnaires.

On a vu que dès Comines, l'historien de la « sagesse »sans scrupules, le pouvoir royal, qui cependant s'appuiesur de nonvelles nécessités, plus tard aussi sur de nou-veaux établissements, est appelé h la barre du jugementcritique forme par la lecture des historiens et des phi-losophes de l'antiquité. Macchiavelli, le secrétaire de Flo-

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rence, a le nième critérium que le noble français. Nourride Tite-Live, ce rationaliste impitoyable, d'une cruelleclairvoyance et d'une extreme franchise à dire ce qu'ilcroit être la vérité, la seule vérité, recommande à unpays dont il deplore la decadence sans seulement déses-perer de l'avenir, l'exercice d'une vertu (virtit), qui nesignifie que l'exercice libre de toutes les facultés du corpset de Fame. Le plus fort s'imposera, et c'est, selon lui, deWitte justice. Sans égalité des conditions il ne peut pas yavoir cette forme supérieure de gouvernement qui est larépuLlique ; autrement il faut recourir au tyran, et lelaisser travailler. Un Cesar Borgia, un Jules II, un Loren-zino de Médicis, le propre père de Catherine, reine deFrance, sont présentés comme des modeles qu'il est per-mis de ne pas aimer, mais qu'il faut suivre pour arriver,pour se maintenir, pour régner. « Lions », sans doute,mais aussi renards, car « ceux qui s'en tiennent au lionseul n'y entendent rien ». S'il est possible d'être bon ethonnéte, tant mieux ; en soi-même c'est quelque chosed'évidemment preferable, mais il est indispensable desuivre des yeux le mouvement mame des choses et de sediriger d'après lui.

A l'autre bout de l'Empire, sans penser à un systèmede philosophie politique, quelqu'un de très sage et detres fin, de supérieurement doué, l'esquisse sans le vou-loir dans des oeuvres latines qui, par la pureté de leur-style, par l'acuité de rironie élégante rimposèrent commele premier parmi tes écrivains de la Renaissance. Filseatard d'un petit noble flamand, Olefin à travers lemonde, en Suisse, en Angleterre, Desiderius Erasmusprêche de fait rindifférence à l'égard de toute forme poli-tique. Se réfugier en soi-même, y trouver des trésorsaccumulés par les etudes et l'expérience et tout ce qu'ilfaut dans l'esprit d'ordre et de critique pour les faireraloir, voilh l'attitude de l'homme qui, déclaigneuxregard de la grande majorité humaine, tient au respect desoi-même.

Avec des consciences pareilles, on peut gouverner : elles

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282 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'numArnnt

ne dédaignent pas méme les subsides, qu'un autre Italienque Macchiavelli, l'Arétin, croit être, méme pour lesprinces, le premier des devoirs.

Des dizaines d'années plus tard, le fils d'un gentil-homme du Midi français et d'une femme ayant le sangdes Juifs d'Espagne, Michel de Montaigne, rempli luiaussi de toute science, ancienne et contemporaine, affir-mera dans des études, qu'il se plait, dans son scepticismemodeste, A. intituler simplement des Essais, le principe dela sagesse individuelle basée sur une franchise absolue. Al'époque des croyances ardentes défendues les armes àla main, au risque de détruire une patrie et une civilisa-tion, il ose s'attaquer non seulement aux « nouvelletés deLuther », aux « atheismes de Theodorus », c'est-à-direde Béze, le principal élève de Calvin, mais aussi, en géné-ral, A « la grossière imposture des religions ». Lorsqu'ondiscutait passionnément la forme du gouvernement, ildéclare que « la société publique n'a que faire de nospensées », elle, ajoutons-nous, qui vient de la tradi-tion et se maintient par l'instinct qu'il faut respecter dansses mystères. « D'entreprendre A refondre une si grandemachine et en changer les fondements c'est A faire Aceux qui veulent amender des deffauts particuliers parune confusion universelle. La conservation des Etats estchose qui vraysemblablement surpasse notre intelligence.Le monde est inepte à guarir. » Du reste, « la raison estun pot à. deux anses, qu'on pent- saisir a gauche et Adextre ». Quels que soient les avantages de la « domina-tion populaire », obéir aux rois, « également A tous lesrois », avec ou sans l'estime, qui dépend de leurs qua-lita personnelles, est chose saine. Et, au fond, la nation,la patrie lui sont seulement des degrés pour arriver Al'humanité et au monde.

Mais, si Montaigne fut assez lu, méme en Angleterre,où on a relevé des emprunts A. sa pensée dans Shakes-peare, on suivait les autres, ceux qui croyaient A la rai-son, qui démontraient A force de syllogismes une foi etqui excitaient les foules A combattre sous leur drapeau

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sanglant. Tels la légion de pamphlétaires, Pithou, FlorentChrestien, Jean Passerat, Gilles Durant, les auteurs dela « Satyre ménippée » contre la Sainte Ligue et son.« catholicon » ou doublons d'Espagne, d'Un côté, etAgrippa d'Aubigné, le poke des « Tragiques », de l'autre._Mais surtout les trois théoriciens d'une direction nou-velle : Pierre Ramus (-j- 1572), victime de la « Saint-Barthélemy », Jean Bodin, auteur des « Six livres de laRépublique », parus en 1577 et 1584, et La Béotie, quilança le cri de guerre contre les « tyrans », dans sonouvrage, « De la servitude volontaire », dit aussi « Le-Conteun ».

Ils avaient devant eux, en France, dans cette secondemoitié, pleine de troubles, du xvi° siècle, une royaut&dégénérée. On se rappelait avec reconnaissance du « pèredu peuple » qu'avait été Louis XIII, dont on estimaitla fille, Renée de France, duchesse de Ferrare, protectricedu calvinisme, comme on aimera aussi cette femmel'esprit libre et hardi qui fut la sceur de François I", Mar-guerite, auteur d'un « Heptaméron ». II y eut des per-sonnes qui pleurèrekt au départ d'Elisabeth, la filled'empereur allemand qui avait été la chaste et douceépouse de Charles IX, leur semblant « emporter avecelle le bonheur de la France 2 » Marie Stuart, la mar-tyre, et l'altière Elisabeth, si respectée chez elle, eurentdes prôneurs sincères en France, malgré ces visions derépublique, contenue déjà dans « Institution » calvi-niste, qui hantaient les esprits des huguenots surtout. Onse Moquait cependant du titre de « Majesté », emprunté

l'Espagne 3, quand on voyait dans Henri III, frisé, mus-qué, dénudé, couvert de boucles d'oreille, de médaillonset de bracelets 4, une caricature de la royauté ancienne..L'indignation fublique était soulevée par l'ignoble spec-tacle des a mignons », « piqués, diaprés et pulvérizés de-

L'Estoile, ouvr. cité, I, p. 64.2 Ibid., p. 95.a Ibid., p. 81.4 Ibid., p. 244; cf. AllAri, ouvr. cité, IV, p. 261.

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pouldres violettes et senteurs odoriférantes, qui aromati-zoient les rues, places et maisons où ils fréquentaient 1 ».On le voyait courir en danseur les maisons privées 2, seI aire servir aux banquets par « les dames les plus belleset honnestes de la Cour..., à moitié nues et aiant leurscheveux espars comme espousées 3 ». On n'aveuglait per-sonne par les pompes et processions, par les « feux arti-ficiels qui scopètent et brillent 4 ».

A côté de cet homme au fond bon et qui devait avoirune fin pieuse sur son lit ensanglanté par l'assassin, levieillard de Madrid, strictement ordonné, impitoyableenvers son fils qui mourut sous ses yeux et pour lui-méme, triste fonctionnaire entété du catholicisme, faisaitmeilleure figure ; d'autant plus ce Maximilien d'Autriche,pacificateur des Germanies, méme son fils Rodolphe, élevéà l'espagnole, rnalgré ses réveries d'astrologue 5.

Dans aucun pays de l'Occident, il n'y avait plus labourgeoisie politique. Celle de France, consultée pour lesseuls secours d'argent, remplissait son devoir d'inviter laroyauté à ce que cette royauté même désirait, comme latutelle voulue par Catherine de Médicis ; elle ne s'émou-vait que pour les questions d'argent 6. Et, quant auxintellectuels, on put se rendre compte de leur état d'amepar ce qui se passa dans Paris assiégée dès 1587. La Sor-bonne avait solennellement déclaré qu'on peut tuer un« tyran ». Et, si les masses des campagnes ne s'émotion-naient glean passage des reitres impitoyables, ou a l'ap-

1 L'Estoile, ouvr. cité, I, pp. 219-220.2 Ibid., p. 238.3 Ibid., p. 189.4 ibid., p. 34. Cf. ibid., pp. 32-33.6 Mignet, Antonio Perez et Philippe II, Paris, 1881 ; Gaspar Muro,

La princesse d'Eboli (trad. française) ; Gachard, Correspondance dePhilippe, Paris, 1848-1879, et Correspondance de Philippe II avecses titles, Paris, 1884 ; Don Carlos et Philippe II, Bruxelles, 1863Forneron, Histoire de Philippe II, Paris, 1880.

6 L'Estoile, ouvr. cité, II, pp. 52, 96. Des ernprunts du roi chezles bourgeois, ibid., II, p. 59. Des arquebusiers payés par eux, ibid.,p. 89.

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parition de la peste, quand elles organisèrent despitoyables processions I, on voyait déjà dans le Dau-phin& dans l'Auvergne, où se forma la « Ligue del'Equité » 2, 'Influence que les doctrines nouvelles com-mençaient à avoir sur la seule partie restée saine etsolide de la société française, mame de la société euro-péenne.

Ibid., II, pp. 134-136.I Ibid., I, p. 313.

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CHAPITRE XI

Le dernier effort de croisade

En 1591, les Turcs de Bosnie, hardis pillards, avaientpénétré jusque sous Zagreb, sans que cette insolence filtconsidérée par les Impériaux comme le commencementd'une vraie guerre. Peu après, Sissek fut attaquée. Bien-tôt, encouragé par la tolérance de ses voisins, le Pacha deBosnie prit l'attitude d'un conquérant. Mais, lorsqu'ilparut pour la troisième fois devant Sissek, une arméechrétienne lui infligea une sanglante défaite ; on décou-vrit le cadavre du commandant ottoman dans les marais.Gomme il était un parent du Sultan, et deux autres deschefs tombés dans la bataille aussi, on cria vengeance liConstantinople, et l'ambassadeur impérial, l' « inter-nonce », fut aussitôt arrété. Dès l'automne, Sinan, Grand-Vizir, et Je fils de Sokoli entreprenaient reeuvre de châ-timent, prenant tour h tour cette place fatale de Sissek,Veszprén, Palota. Les Allemands de l'empereur Rodolphe,réunis aux Hongrois, répondaient par la victoire d'Albe-Royale et par la conquéte de deux châteaux turcs sur lafrontière 1

Les hostilités ouvertes devaient provoquer une nou-velle croisade. En Orient, les chrétiens étaient prêts h larévolte. Les Albanais chrétiens n'attendaient qu'un signalpour se soulever ; contre les Moréotes des mesures avaientété déjà prises par les Turcs pour les tenir cois ; les Bul-gares et les Serbes s'étaient déjà adressés h. Albert Laski,demandant qu'on leur envoie une force militaire capable

t Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 291-293.

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CHAPITRE XI 287

de déclencher la révolte. La Valachie, la Moldavie, tota-lement épuisées par le tribut, les cadeaux, les requisi-tions, leurs chevaux avaient été pris pour la guerrede Perse 1, par le paiement anticipé de leurs charges,par les dettes accumulées qui passaient d'un princel'autre, désiraient, sous Aaron. et Michel, se dégager d'unevassalité si pesante. Le Patriarche de Constantinople,Jérémie, visitant ses pays pour recueillir des aumônes,alla jusqu'en Russie, où il créa le Patriarcat de Moscou,et on commençait déjà h voir dans le Tzar un appui éven-tuel de la grande révolution chrétienne 2. Le jeune princetransylvain, Sigismond, sommé de réunir ses troupes itcelles du Pacha de Temesvár-Timisoara, était trop sin-cèrement l'adepte des Jésuites, ses précepteurs, pourhésiter. Si la Pologne préférait s'en tenir à la con-vention récemment conclue avec le Sultan, elle ne pou-vait pas maitriser les Cosaques, préts h toute action pou-vant leur rapporter du butin.

La Papauté voyait avec satisfaction cette nouvelle croilsade qui se préparait sous de meilleurs auspices que cellede Lépante. Clément VIII avait de l'ambition, elle mondecatholique, enfin consolidé, pouvait lui offrir de la bienservir. Il envoya un nonce au camp impérial et un Jésuiteespagnol dans les Principautés, où bientôt Aaron le Mol-dave se mit secrètement sous la protection de l'empereurchrétien. La décision de Michel tarda de quelques mois,mais les Serbes du Banat se soulevèrent. Seul SigismondBáthory hésitait à frapper un coup contre la noblessetransylvaine fidèle aux Turcs 3.

Une forte offensive de Sinan arriva à prendre, avecla forte place de Raab, celle de Papa. Les grands espoirsdes Impériaux paraissaient s'évanouir. On voyait bienqu'ils ne sont pas en état de mener seuis une guerre qui,étant considérée comme au profit unique de la Hongrie,

Ibid., p. 247, note 1.Ibid., pp. 270 et suiv.

3 Ibid., pp. 295 et suiv.

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n'émouvait guère les Etats germaniques. La Bohémeseule fournissait son contingent. Le moment était donevenu où les facteurs de croisade, proches ou lointains,devaient entrer en action.

Déjà les Italiens de Virgilio Orsini, envoyés par le ducde Florence, dont les chevaliers de Saint-Etienne colla-boraient comme pirates contre les Infidèles dans les eau),de la Mer Noire, avaient participé A. la défense de ce« Giavarino » hongrois. Sigismond Báthory entra enlice au cours de l'année encore, sacrifiant même un deses parents A sa décision de devenir un héros de la guerresainte ; la Diète transylvaine ratifia cet acte sanglant etaussitôt, méme avant de s'étre entendu avec l'empereur,le prince magyar envoya un corps d'expédition dans leBanat. De leurs côtés, les deux princes roumains firentfusilier et canonner leurs créanciers turcs et juifs quisurveillaient avidement les entrées du fisc. Toutes leseitadelles qui gardaient la rive gauche du Danube pour leSultan furent attaquées. La retraite du Grand-VizirSinan, qui n'avait pas réussi dans son « offensive brus-quée », et la mort du Sultan Mourad- paraissaient devoirdonner un autre tour A la guerre.

Mais la croisade se borna aux exploits des Roumains.capables de battre les détachements tures et méme leKlian de Crimée revenant de Hongrie ; BrAila, le princi-pal port de la Valachie, fut prise et détruite par Michel, et,Aaron ayant paru vouloir faire une autre politique quecelle de la ligue chrétienne, Sigismond le fit remplacerpar un rude guerrier, Etienne Rfizvan. Par deux traitésformels, il créait sur le Bas-Danube une nouvelle Dacie,gardée sur ses marches par des princes qu'il considéraitcomme ses vassaux, ses capitaines, n'ayant pas méme ledroit de vie et de mort sur leurs sujets.

Le nouveau Sultan Mohammed III, le « jeune faucon »,« Alexandre-le-Grand », commença par des mesures qui

annonçaient une répression énergique. Les spahis, lesartisans de Constantinople reçurent l'ordre de se préparerpour une grende campagne qui devait punir les Impé-

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riaux et mettre fin aux gestes de rebellion des Moldaveset des Valaques, transformant en simples provinces leursprincipautés d'une si large autonomie ; le sort de la Tran-sylvaiiie devait étre autrement réglé 1.

Pour s'opposer à cette furieuse attaque, il aurait falluaux chretiens un autre chef que le Pape et l'empereurplongé dans ses reveries de contingence des étoiles, queses freres, Ferdinand, enclos dans son Tyrol, l'apathiqueErnest, Maximilien, difficile à mettre en mouvement, etMatthias, qui avait jusqu'ici conduit les hostilités. Cechef ne pouvait 'are que le roi d'Espagne. I/ avait desrapports avec l'Albanie et la Morée, des Patriarches vaga-bonds s'adressaient à sa richesse, et de Jerusalem mémeun appel 1ui avait été depuis longtemps déjà adressé 2.Mais, autant que la France de Henri IV itait en armescontre lui, l'Occident retenait Philippe II.

11 avait essayé, en mai 1593, Henri étant encore endehors de Paris, de proposer formellement sa fille, des-cendante de François I", comme reine ; cette Elisabeth,qui montra plus tard dans /es Pays-Bas de grands talentsde gouvernement, se serait dressée comme reine catho-lique en face de l'hérétique du méme nom qui régnaitsur l'Angleterre. Elle devait épouser l'archiduc Ernest,allié par sa mere A la Maison de France 3. Le Parlementdéclara que la prcrposition est illégale 4. En vain la « loisalique » sur laquelle se basait le refus fut-elle combattuedans la séance des Etats par un docteur espagnol 5. On enarriva à ne plus saluer ni le duc, sifflé, poursuivi mérnede pierres, ni le légat, qui se donnait des airs de gouver-ner le royaume 6. On s'apercevait enfin que Philippe

voulait faire d'un manteau de religion une cape it l'espa-

Ibid.2 Ibid.3 Ibid., 13. 292.4 Ibid., pp. 15, 290 et suiv.

Ibid., p. 16. 11 fut encore question du duc de Guise (ibid., PP.24, 50, 51-52), ou celui de Nemours (ibid., p. 36).

6 Ibid., pp. 30, 41.

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290 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

o',mole 1 » Wine la déclaration formelle que Guise seraroi et on l'appelait « sire » ne put raccommoderune situation perdue 2.

En juillet, on savait que l' 0 hérétique » est rentré,moitié badinant, moitid ému, dans le sein de l'Eglisecatholique. Le 24 juillet 1593, il fit le saut périlleux » 3 ;le 25 il allait à la messe. L'anarchie parisienne devaitcontinuer cependant, malgré la trève, dans le vacarmedes 0 peaches » contre l' « excommunié » et au bruit destrompettes et tambours de la troupe napolitaine. Puis, leParlement s'étant déclaré contre « l'Espagnol », dont ildemanda le départ, et le roi, maitre de Meaux, d'Orléans,de Lyon et de Bourges, s'étant fait sacrer à Chartres(février 1594), par l'évéque, au milieu de « pairs » impro-visés, sa capitale lui fut rendue (mars) ou, d'aprés lespropres paroles de Henri, « vendue » 4. La garnisonétrangère put se retirer, pompeusement, comme A larevue, le roi leur disant, de la fenêtre : « Messieurs,recommandez-moi à votre maitre, mais ne revenezplus)) 5 ; il n'y eut pas une condamnation, ni un acte devengeance : la générosité de Henri gagnait tous les cceurSet son esprit, toujours pétillant, charmait. En mémetemps, Espagnols et gens de Savoie étaient battus dans leDauphiné.

Pendant cette époque de transition, les bruits des évé-nements de Hongrie arrivaient, grossis par la terreur. Oncrut, A Paris, en novembre 1593, que Vienne a été prisepar les Turcs O. On dut apprendre avec émotion les succésdes Impériaux en 1594 par Ferhad et les grands prépara-tifs faits en 1595, qui paraissaient vouloir se diriger du

I Ibid., p. 85.1 La lettre de Henri IV sur e ceste royauté nouvelle e ; ibid., p. U.

Voy. ibid, pp. 55, 58 et suiv.3 Ibid., pp. 63-64.4 mid., Pp. 189, 270.5 Ibid., p. 334.6 Ibid., p. 102.

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CHAPITRE 291

côté de Belgrade;'or, en juin, le Vizir était à Roustschoukpour déclencher la revanche contre Michel-le-Brave,prince de Valachie. Ayant été déposé au moment oùdevait passer le Danube, Sinan le remplaça. Pendant queles « croisés » de Mannsfeld, de Francesco Aldobrandini,du frère du duc de Toscane assiégeaient Gran et que lessoldats de Sigismond Báthory combattaient contre lePacha de Temesvár, le vieil Albanais envahissait la plai-ne valaque, réservoir inépuisable de provisions pour lescampagnes de l'Empire ottoman. Michel l'arréta au pas-sage du Neajlov, à CAlugAreni, et son élan de « nouvelAlexandre » infligea aux Turcs une sanglante défaite.Mais, avec ses quelques Cosaques et Transylvains réunisau contingent des boIars, il n!était pas de taille à retenirce flot mêlé de toutes les nations qui forrnaient la grandearmée turque. Se retirant dans la montagne, il s'y réunitavec Sigismond, son « suzerain » nominal, et avec leMoldave Etienne.

Celui-ci n'était qu'un exilé. Sous prétexte d'empécherla prise de possession de la Moldavie par les Tatars et parson futur Pacha, le beg de Bender, le chancelier Zamoyskiavait passé le Dniester h la tête de troupes qui, dans saquerelle avec le roi et le parti des Radziwill 1, dépendaientpersonnellement de lui. Dans l'absence d'Etienne, consi-déré comme un fuyard, bien que parti pour la croisade,il établit sur le trône moldave un boYar allié d'une cer-taine façon à l'ancienne dynastie, un grand ami des Polo-nais et un fauteur de la paix avec les Turcs, JérémieMovilá. Il sut le défendre en automne dans les champs deTutora, lorsque les Turcs et les Tatars parurent sur lePruth pour y compléter l'ceuvre de Sinan.

De son côté, Sinan avait installé son beglerbeg, chef dedix begs, h Bucarest, il avait fortiflé la vieille capitalevalaque TArgoviste. Mais la saison était avancée, et on nepouvait pas même penser h tenter la Transylvanie, centrede la rébellion. Le Grand-Vizir se retira h la nouvelle de

ouvr. cité, VI, Pologne.

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292 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

l'offensive des trois princes, accompagnés par un légatpontifical, le Pape considérant cette action comnae sonoeuvre ; les siens livrerent Thrgoviste et n'osèrent pasmême défendre Bucarest ; à Giurgiu, sur le Danube,l'arrière-garde des Turcs fut massacrée sous les yeux deleur chef. Des officiers toscans avaient conduit l'assaut 1.Déjà, après de grands efforts contre les pachas turcsréunis, l'armée de Mannsfeld s'était iendue maitresse deGran. Visegrad fut aussi occupée par l'armée chrétienne 2

L'année finissait bien pour la croisade. On pouvaitrèver à Rome de la clélivrance des chrétiens d'Orient, dela prise meme de Constantinople, qui serait devenue, pourfaire honneur au Pape, une « Clementina ». Mais lesaffaires de France empéchaient de donner une plus gran-de ampleur à l'oeuvre de récupération.

Lorsque Henri IV sacrifia ses scrupules de consciencepour devenir un loyal adherent de la foi catholique, seréservant seulement de « nettoyer » dans tous les camps 3,il fut réduit à « acheter » chacune des villes de sonroyaume, par des conventions dfiment enregistrées auParlement, nrayant que de tres faibles moyens de lesréduire 4. Mais, comme les « ligueurs », qui avaient cher-ché à l'assassiner à Paris, tenaient encore la campagne,sous le due de Mayenne, Guise s'étant déjà réconcilié, etque des contingents espagnols, italiens, wallons leurvenaient, en méme temps que des secours d'argent del'Espagne, il fallut declarer, dès janvier 1595, la guerreà Philippe II. Du moment que le Pape, qui avait accueilli

Leur journal dans Hurmuzaki, XII. Cf. aussi les pièces publiéespar M. André Veress dans les Annales de l'Académie Roumaine,annee 1925, et le mémoire de Michel lui-mame dans l'Archiviostorico italiano, année 1924.

2 Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 307-315.3 « J'entre dans la maison 0, dit-il, a non pas pour y demeurer,

mais pour la nettoyer ; Estoile, ouvr. cité, VI, p. 20.4..11 auroit fallu assiéger et prendre toutes ces villes, et il n avoit

ny argent, ny munitions suffIsantes pour le faire et la plupart dutemps ne sçavoit oil en prendre ; ibid., pp. 282-283.

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CHAPITRE XI 293

A Rome comme un prince de Mantoue l'ambassadeurroyal venu pour demander que Henri soit relevé de l'ex-communication, refusait absolument de pardonner au« Navarre », ennemi des vrais catholiques 1, il n'y avaitplus rien à ménager. Les hostilités furent menées active-ment et avec succès (bataille de Fontaine-Française enjuin), en Bourgogne.

Les preoccupations de croisade firent enfin fléchir, enseptembre, Clement VIII. Celui qui se croyait appelé hrenouveler par ses capitaines les exploits de la « Jéru-salem délivrée » qqe venait de chanter dans des strophesharmonieuses, mais un peu mièvres, le grand poète épiquede l'Italie, Torquato Tasso, mort h Rome, à ce momentméme, réussit à vaincre sa profonde antipathie contre leroi huguenot. Mais après Vacte d'absolution méme, l'ar-chiduc Ernest, gouverneur des Pays-Bas, puis le vieuxgeneral Fuentes reprirent la tradition guerrière inter-rompue à Cateau-Cambrésis : Cambrai fut occupée parles Espagnols alors que Sinan Ralf rejeté par les chré-Hens de la Dacie au delh du Danube. C'est ainsi que leporte-drapeau du catholicisme entendait servir sa reli-gion.

En 1596, l'avance espagnole se poursuivit de ce côtépar la prise de Calais et d'Ardres (avril-mai), bien quetour à tour les derniers commandants de l'oppositioncatholique, Mayenne en Bourgogne, Joyeuse en Eangue-doc et d'Epernon en Province, eussent abandonné la par-tie. Et, pendant que Philippe II, qui se préparait A. la prised'Amiens, pour l'année prochaine, engageait ses forces dece 6516, le jeune Sultan réunissait une puissante arméecontre les représentants de la guerre sainte en Orient.Méprisant le vassal révolté du Danube, qui put envoyerses avants-coureurs jusqu'à Plevna et aux environs d'An-drinople et se réunir avec le clergé grec des Balcans, quirevait de liberté et d'Empire chrétien, se bornant h exci-ter contre lui les Tatars et permettant au Transylvain de

I Ibid., pp. 312, 316 et suiv., 323 et suiv.

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294 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

se risquer à Temesviir, il se dirigea vers la Hongrie, avecl'intention, ouverlement proclamée, de ne s'arréter quedevant Vienne. Il prit Hatvan et la vénérable cité d'Erlau,l'Agria de l'Eglise latine, sous les yeux de l'archiducMaximilien, qui avait remplacé son frère. Et, lorsque leHabsbourg se rencontra avec Sigismond Bâthory, sonparent par mariage, dans la plaine de Kereztes et livrabataille, depuis longtemps la première grande bataillecontre la discipline ottomane, les succès éclatants despremiers jours furent annulés par rattaque inconsidéréecontre le camp du Sultan ; les brillantes illusions finirentpar un afrreux massacre.

Mais ce fut aussi la dernière apparition du nouveauMohammed sur un champ de bataille. Les chrétienspurent prendre en 159T Papa, mais sans réussir à rega-gner, jusqu'en 1598, Raab. Les Turcs, redevenus pluspacifiques, cherchèrent à se réconcilier avec le prince deTransylvanie, qui n'avait pas réussi à délivrer Temesvárbientôt, completement découragé, cet illusionniste mala-dif céda son pays à l'empereur, et une nouvelle questionsurgissait dans le Sud-Est de l'Europe par cette abdica-tion. Revenu dans le pays oil n'avait pas apparu en sou-verain l'archiduc Maximilien, Sigismond. retrouva lavieille fidélité des siens, mais encore une fois ses effortsbelliqueux restèrent impuissants ; il craignit meme devoir les Turcs s'implanter à ses côtés à Nagy-Varkl. Entretemps, le Valaque Michel avait repris en 1598 ses exploitssur le Danube ; un serment le reliait à l'empereur, et leRoumain ne voyait dans la Transylvanie voisine qu'unbut de conquéte qui, de plus en plus, lui paraissaitimmanquable. Lorsque Sigismond, repris par sa manieambulatoire, appela son cousin de Pologne, le jeune cardi-nal Andre Báthory, pour liii confier son heritage, lorsqueles Turcs s'entendirent intimement avec ce client de lacouronne de Pologne dont il suivait aveuglément la poli-tique austrophobe, Michel se concerta avec le général desImpériaux à Cassovie, l'Albanais Basta, revenu des Pays-Bas, pour un coup cotare ce vassal du Sultan, et, comme

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CHAPITRE XI 295

le général de Rodolphe II tardait, il prit par une seule etdécisive victoire, en octobre 1599, possession du pays,auquel il réunira en 1600 la Moldavie, considérée comaeun autre fief polonais, allfé aux Turcs.

Après des tentatives chrétiennes contre l'AncienneBude, puis contre Albe-Royale, on avait paru récipro-quement vouloir s'entendre aux négociations entamées itGran, mais sans aucun résultat. Et la guerre reprit doncen Hongrie, des Français y accourant sous le due de Mer-cceur, avec une armée turque A laquelle, apt-6s la mortdes grands commandants, manquait l'élan et la conflance.Le Grand-Vizir Ibrahim ferma les yeux avant la prise parle général français de cette Albe Royale qui, depuis long-temps, était devenue par son prestige médiéval un butde croisade.

De la lointaine Perse arrivait un ambassadeur pourvisiter Rome, Florence, l'Espagne 1, et le révolté d'Edesse,a Pécrivain noir », avec son OM qui se faisait appelerSultan Husséin-Padichah, avait pris Konieh 2 Ce fut seu-lement après que Michel, vaincu par la révolte des noblesmagyars de la Transylvanie et par la trahison de Basta,efit perdu cette province (septembre 1600), puis la Vala-chie, et la Moldavie encore plus vite, pour revenir en 1601,réconcilié avec l'Albanais, et gagner une victoire décisivesur le revenant qu'était Sigismond, après gull eta finisous les coups des Wallons et des Hongrois de l'empe-reur, que les Tures, sous de nouveaux chefs, purentreprendre (en 1602) l'offensive, mais avec l'instinetmagyar qui s'était réveillé au cours de ce débat pour laterre de l'ancien royaume, la question des frontièresentre les deux Empires &all devenue la question natio-nale de la Hongrie.

Pendant ces vicissitudes passionnantes d'une guerrequi jusqu'au bout retint l'attention du monde chrétien, la

1 Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 420422.2 aid., pp. 424-425.

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grande Puissance catholique qu'était l'Espagne manqua ksa mission. La paix avec l' « hérétique » de Paris avaitel étre conclue en mai 1598 A Vervins. Dès le mois de maide ce/te année, le fils de Charles-Quint avait répété pourles Pays-Bas et les fiefs français le geste d'abdication del' « empereur », les confiant A. celle dont il avait voulufaire une reine de France et à son mari, l'archiduc Albert.Ils devaient mener la guerre contre le fils du princed'Orange, Maurice, depuis longtemps maitre de Gronin-gue et vrai souverain des Provinces Unies, et on vit en1600 de grands combats sur mer devant Nieuport, &fen-due par les Espagnols ; en 1602 commencera enfin cesiège d'Ostende par Albert, qui fut le grand spectaclemilitaire de l'époque. Le « démon du Midi » mourait troismois plus tard (septembre).

La France de Henri IV venait de régler aussi, engagnant la Bresse et Bugey en échange pour le marquisatde Salaces, perdu depuis une quinzaine d'années, sa que-relle avec le due de Savoie, l'autre ennemi de sa puissance.Elle pouvait se consacrer au travail fécond dont sortira.une nouvelle et durable conception de la royauté.

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CHAPITRE XII

Essai de créer une royauté populaire ; victoiredu principe royal espagnol.

Au milieu des troubles proiongés qui déchirèrent laFrance, et qui sont ordinairement considérés unique-ment au point de vue des partis et des manifestationsindividuelles, quelque chose de nouveau s'était formé, ouplutôt un esprit qui n'avait pas cessé de vivre revenaitaux formes anciennes, pouvant mieux le rendre.

Il y a, en effet, dans ce désordre apparent, dans cetteanarchie débordante, quelque chose d'ordonné, de natu-rel, cayable d'être retenu et développé.

A côté des seigneurs qui cherchent d'abord beaucoupde distraction qu'on ne trouve pas ailleurs, un peu degloire k l'ancienne et plus tard aussi des avantages per-sonnels d'ordre pécuniaire, comme le maréchal de Bris-sac qui livra Paris contre argent et ceux qui, dans lesprovinces, suivirent son exemple, il y a la vie même, deve-nue autonome, d'après de très vieilles coutumes, de cesprovinces et de ces villes dont malheureusement on n'apas écrit la vie à cette époque particulièrement intéres-sante. On proposa au due de Mayenne une couronne quise serait appuyée sur un Etat dont les provinces eussentété libres 1..

Une vie de tout point pareille, mais infiniment plusintense et variée peut Ore cependant étudiée, sur labase des mémoires et autres documents, à Paris même.C'est maintenant une cité vitant absolument comme au

I Michel Le Vassor, Ilistoire du régne de Louis XIII, I, pp. 194-195.

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moyen-Age le plus caractérisé, non pas autant contre laroyauté, qu'en dehors d'elle, et sans en sentir pendant desannées un trop pressant besoin. Pour penser à un sou-verain légitime, il faut que l'Espagne, interessée, s'enméle. Le « peuple parisien » se suffit à lui-même et, s'ilparalt ()heir à ces « princes catholiques », dues deMayenne, de Nemours, de Guise, au légat pontifical, c'estque, peut-étre à l'exception de ce dernier, qui est étranger,et on ne l'en aime pas plus, regrettant de l'avoir faitvenir, ces gens de haute noblesse et de grandes préten-tions ne font que suivre un courant qu'ils ont tout auplus provoque. Le Parlement est le prisonnier de cesmasses, et il a tallu l'armée de Philippe II, tenant garni-son regulière, pour empécher la creation d'une milicepopulaire conduite comme du temps des « saintes barri-cades », commémorées dévotement par les chefs de guar-tier. Il y a eu, au commencement, des Seize dans lenombre requis ; on devient bientôt « seize » rien quepour suivre leur direction politique, pour etre un bon« ligueux », oppose aux « royaux » et aux politiques »accuses d'hypocrisie et mélne de trahison. On se divertiténormément aux processions, aux commemorations detoutes sortes, aux quelques executions, et on trompechaque jour la misère et la famine du siege en &outwitles prédicateurs qui, dans un langage vulgaire, émaillé determes trivials, exhortent la population A. se moquer duBéarnais, A le poursuivre de sa haine la plus franche etla plus forte, car c'est un mécréant, un diabolique et un« fils de putain ».

Lorsque le courant changea et qu'on désira la recon-ciliation avec le « prétendu roi », la vague populaire sub-mergea toute autorité. On siffla, on cribla de moqueriesceux qu'on avait acclamés des mois auparavant avec unenthousiasme si bruyant. Les cris de « Vive la paix » etmame « Vive la liberté française » alternaient avec ceux,de plus en plus nombreux et enthousiastes, de a Vive lefoi ). Les Etats Généraux qui continuaient, avec delarges interstices, leurs séances vides et vaines, étaient

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CHAPITRE XII 29e-

les prisonniers du milieu, qui suivait avec le plus grandinter& le va-et-vient des deputés envoyés h la conférenceavec les gens de Saint-Denis. Lorsqu'il fut permis auxfemmes qui jouaient un grand rôle, d'aller dans la villequi &tali le quartier-général de Henri, elles se pressaientpour voir celui qu'on voulait leur donner pour souverainet elles le prisaient pour le grand nez qui dépassait celuide n'importe quel des princes. Au moment où la trève futlue aux carrefours, les garnisaires &rangers essayèrentde couvrir la voix du héraut par le bruit des trompettes-et tambours du defile, mais une clameur menaçantes'éleva aussitôt, qui les fit taire.

Henri IV courtisa cette foule souveraine. Avec sesgrandes qualités et ses quelques Mauls, qu'il ne pensaitguère A cacher, ce qui le faisait excuser d'un sourire, cartout le monde en avait plus ou moins, il possédait toutte qu'il fallait pour Atre chéri par ces autonomes déshabi-tués de tout frein reel. D'un trait d'esprit il desarmaittout aussi bien les « religionnaires », ses vieux hugue-nots venus se plaindre de son changement de croyance,les instructeurs catholiques accourus pour lui faire avalerle purgatoire, ce qu'il pensait &re de trop, les adversairesd'hier dont il faisait par sa grâc'e et ses faveurs moins-que par cette bonhommie narquoise, par le charme invin-cible de ses répliques, des amis, disant que « les ligueuxestoient aussi bien ses subjets que les autres » ; sans par-ler des femmes dont il distinguait la beauté entre mille,et pas toujours pour la respecter. II n'écartait de lui queles gens maussades et ennuyeux, les fanatiques renfro-gnés, inginsibles i ses bons mots et ce monde des corde-liers, des jacobins et des Jésuites surtout, dont il redop-tait le couteau. C'était un chef d'élection qui devait sacouronne plus h sa personnalité qu'à ses droits.

Il distribua largement les « libertés ». L'édit de Nantes,dont il gratifia les protestants, n'est qu'un des actes parlesquels il ouvrait la porte h la spontanéité locale, étouffeependant les, derniers régnes, au grand dommage de lavitalité du pays. Les villes catholiques aussi purent jouir

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de l'exercice de leurs coutumes, encore si chères. De laFrance parisienne, dominée par une Cour encombrante etimpérieuse, on en revenait A la vieille France multiple,la vie locale, active et luxuriante. On vivait bien pour leroi, auquel on continua à payer les impôts accoutumés,pour remplir un trésor complètement vidé et donner lapossibilité de la défense nationale, mais on ne vivait pluspar le roi, et c'était le grand avantage qui compensaittout. Ce chef d'une administration impopulaire parta-geait à l'égard des gouverneurs et des trésoriers les sen-timents de ses sujets, qu'il traitait en camarades. Plusd'une fois il se moqua, et cruellement, de ceux qui en 'sonnom dépouillent « le peuple ». Ils le prouvaient bien envivant vie de « princes » et en tenant des « serrails decourtizannes comme le Grand-Seigneur I » Une Cham-bre Royale fut établie pour les poursuites 2. LorsqueHenri prit les coupables sur le fait, le chAtiment futinexorable : on pendit à Paris un receveur qui s'étaitenfui A Turin 3. Des « procureurs » furent foueltés pours'étre réservé toute l'aubaine d'une « hôtellerie » 4. Lors-que, autre résurrection des mouvements du rnoyen-Age,les croquants parurent, avec leur « ligue » de « jacque-rie », il dit en riant que, « s'il n'eut point esté ce qu'ilestoit et gull eust un peu plus de loisir, il se fust faitvolontiers crocan 5. »

Bien qu'en les suivant pour avoir la possibilité de vivreen liberté selon ses propres gaits, le « peuple » n'aimaitpas trop cette noblesse remuante, cruelle aux pauvres,méprisante pour le vulgaire, considérés comme des « ma-nans et des gueux 6 » Henri partageait, ou semblait par-tager, ce sentiment aussi. On le voyait visiter les maisons.

Ibid., p. 99. Une farce contre eux, à laquelle assistèrent le roi,reine et la Cour, ibid., pp. 271-273.

2 Voy. aussi ibid., pp. 300-301, 315, 326-327.Ibid., VIII, p. 43.

4 Ibid., pp. 57-58.3 Ibid., VI, p. 215.6 Ibid., VIII, p. 37.

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CHAPITRE XII 301

bourgeoises, s'asseoir à la campagne, avec les siens, con-reurs d'aventures, auprès d'une table de bois, l'hôtessepaysanne leur servant abondamment le lait de sesvaches. C'est alors que son esprit pétillait le plus en sail-lies et en ripostes drôles et corrosives. Après un roi frisé,parfumé, efféminé, c'était un réconfort.

Quand il s'agit de frapper un coup énergique contreceux qui se rappelaient assez le passé pour entretenir desnégociations secrètes avec l'Espagne et la Savoie, espérantun grand rôle et Ile brillants avantages, il n'hésita pas unmoment. Un maréchal de France, ills d'un général mortà l'ennemi, et lui-méme convert de glorieuses blessures,fut arrété, amené à Paris, jugé de la façon la plus expé-ditive et impitoyablement exécuté par ordre du plus clé-ment des rois. En vain Biron attendit-il la « miséri-corde » royale, en vain releva-t-il la téte pour « encorevoir le ciel » ; cette fière téte tombal. Il n'y eut que lanoblesse qui en fut indignée, sans le montrer autrementque par d'inoffensifs pasquilles. Pour un soupçon, leprince de Joinville, des Guise, fut mis à la Bastille 2. Ledue de Bouillon se vit attaqué dans son Sedan par le roilui-méme à la téte d'une armée. Les gentilshommes assas-sins et « insignes voleurs » saignèrent sous la hache : ily en eut un qui était A la troisième génération du bri-gandage 3. Les duels qui, dès le règne de Henri III, ensan-glantaient Paris, furent défendus sous peine de mort ;on vit cependant un jour les corps de quatre bretteurs quis'étaient entretuds, exposés ensemble au Chfitelet 4, et lenombre des victimes de cette passion se serait élevé It4.000; une fois, il y eut le combat bizarre entre quinzegentilshommes d'un còté et quinze de l'autre 5.

1 Ibid., pp. 37, 43.2 Ibid., pp. 58-59.3 Ibid., pp. 76-77. Cf. ibid., pp. 208, 215, 223, 264. Le rol défendit

un duel entre Condé et Nevers ; ibid., p. 274. Cf. ibid., pp. 276,280, 281.

4 Ibid., pp. 158-219. On w4euta un nobA accuse de vouloir livretMarseille aux Espagnols (ibid., p. 193).

2 Ibid., p. 335.

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302 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE.L'HUMANITE

La « majeste » royale était jalousement gardée. Auxgrands jours, le roi et lame son amie pendant desannées oil il vivait séparé de Marguerite de Valois, deve-nue une vieille coquette ridicule, paraissaient reconvertsde diamants. Les visiteurs étrangersi les députés desSuisses étaient en admiration devant la splendeur descérémonies ordonnées en leur honneur 1 Celles qui sedéveloppèrent A l'occasion du second mariage du roi avecla Florentine Marie de Médicis, accostée d'abord en che-min par le prince chenu, en gaillard amoureux, sansaucune suite, furent particulièrement splendides. Onvoulait montrer que cette Cour de France était néan-moins la première du monde.

Mais, malgré les ballets, les « folies et les masques »affectionnés par la reine, cette Cour, avec son peintre etson lecteur helléniste, avec les dames de suite 2, avec lesquelques- gentilshommes de la chambre et chevaliersd'honneue, avec ses trente-huit médecins, trente-quatrechirurgiens, treize chapelains, avec son prévôt, ses mat-tres d'hôtel, ses maitres de la garde-robe, ses panetiers etéchansons, avec ses maltres des reqates, avec un mondede 4.000 personnes 3, colltait proportionnellement assezpeu. Au fond, le roi préférait étre chez lui, avec sa femme,traitée en bonne bourgeoise, et ses enfants. On aurait ditun de ces bourgeois flamands, auxquels le peintre dessplendeurs monarchiques de la France, des allégoriestriomphantes dédiées A la royale et blonde Marie, fai-sait parfois lui aussi l'honneur de son riche talent. Labourgeoisie française avait adopté un roi, et il tenait lui-méme qu'on le sache.

Une politique extérieure nouvelle devait correspondreau regime intérieur inauguré par la royauté populaire. Etelle devait être, malgré les bons sentiments du Pape Clé-

1 Ibid., VIII, p. 47.2 Ballet des it Sept fols et sept sages », avec dames et damoiselles

galantes, ibid., p. 4. Cf. ibid., pp. 14, 16, 17, 18, 54, 65. 121-122.3 Bondois, Histoire des Institutions, Paris, s. d.

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CHAPITRE XII 303

ment VIII, de la qualité de parrain, accepte par le Pon-tife au mariage du dauphin, de l'influence françaiseRome, capable de faire élire pour vingt-sept j ours, commePie XI, le cardinal Alexandre de Médicis, nettement pro-testante.

En 1602, la guerre de Hongrie avait repris avec uneénergie peu ordinaire et, des deux côtés, des résultatsimportants purent étre atteints. Les Turcs recouvrèrentAlbe-Royale, envahirent le Banat et installèrent en Tran-sylvanie, oil Basta avait introduit l'âpre système desPays-Bas, un vassal, l'ancien général du Roumain Mi-chel, le Szekler Moise ; en échange, les Impériaux réus-sirent à prendre Pesth, s'attardant méme devant lesmurs, bien défendus, de Bude. On combattit devant lacapitale turque de la Hongrie aussi l'année suivante, pen-dant laquelle le nouveau prince de Valachie, soutenujadis par Basta, mit fin par la victoire de Brasov aurègne et h. la vie du suppôt ottoman au-delh des Car-pathes 1. Mais le sentiment des Magyars, appuyé parl'enthousiasme calviniste, devait trouver hientôt unreprésentant d'une plus haute envergure, cet EtienneBocskai, conquérant de Nagy-VArad, de Tokai, de Cas-sovie, qui se considérait comme héritier des vieux rois.La campagne turque de 1605, qui finit par la prise deGran et aussi de Visegrad et de Palota, n'était qu'unaccompagnement de sa lutte pour le trône du Corvin Mat-thias : on parvint à le faire solennellement couronnersur le champ, traditionnel pour les élections royales, duRftkos.

En ce moment, la reine Elisabeth ne vivait plus ; enavril 1602, celle qui avait ordonné l'exécution de sonfavori, le comte d'Essex, avait fini dans un état de mys-térieuse tristesse 2. L'année suivante, Spinola prit partipour l'archiduc Albert d'Ostende, mais, quatre ans plustard, les vaisseaux de Hollande allaient chercher et

I Gesch, des osmanischen Reiches, III, pp. 335-336.2 a Une tristesse qu'elle a tousjours tenue fort secrette » ; L'Es-

toile, ouvr, cité, VIII, p. 73.

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.3O4 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

vaincre dans le détroit de Gibraltar la formidable flottedu nouveau roi d'Espagne, Philippe III. Le grand roid'Occident devenait par ces circonstances le pacifiqueHenri IV, auquel s'adressaient les chrétiens d'Orientmême pour en faire un chef de croisade 1

Henri contribuait à défendre Genève contre le due deSavoie, qui tenta sans succès son ce escalale » ; il accueil-lait pompeusernent les envoyés des Suisses, gens b.

« bonne trongne et les faces cramoisies », enclins auxbuveries, pour recevoir des mains de ces anciens amis,dont un quasi-centenaire, « habillé en Pantalon »,' quise rappelait Louis XII et avait combattu à Pavie, le non-vel acte d'alliance 2J avait sa correspondance secrèteavec l'Angleterre, méme après que le théologien A l'espritlent qu'était le fils de Marie Stuart eilt pris possessiond'un pouvoir auquel il n'entendait donner aucun carac-*re offensif ; le méme danger « jésuite » les menaçant,

on découvrit 6. Londres une « conspiration des pou-dres », les deux rois en devenaient plus solidaires. Etsurtout il représentait, sinon l'appui actuel, au moins- legrand espoir d'avenir des Pays-Bas, où l'archiduc sedébattait, mal fourni par son beau-frère, contre les pré-tentions de ses mercenaires. La bourgeoisie flamande étaitcontre lui, et aussi la noblesse. « Il se fait servir », dit unde ses sujets, « par les plus grands et mesmes par lesconfr6res et compagnons d'ordre jusques aux chosesindignes d'estre nommées. L'on void chaque jour grandnombre de noblesse qui pouroit bien s'emploier à la tested'une compagnie de cavallerie ou d'un régiment ne s'exer-cer qu'à porter des plats sur une table et d'autres chosesmoins nécessaires 3. » On s'offrait h. la France, espérantpoUvoir lui gagner les Espagnols aussi. « Nous ne don-nerions pas ces pays ici à la France », disait-on, maisla France A ces pays, qui en ont esté autrefois distraits

Gesch. des osmanischen Reiches, III, p. 242.L'Estoile, ouvr. cité, VIII, pp. 46, 48, 51-52.

s Ibid., p. 151. Cf. Potvin, Albert et Isabelle, Bruxelles, 1861.

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CHA.PITRE xn 305

et sont aisés à y rejoindre. Nos cceurs, nos loix et cous-turnes sont semblables ou très peu s'en fault, et sommes laplus part de mesme langue, plusieurs d'entre nous y sontapparentés et avons pris origine des uns et des autres 1 »II y eut, d'un autre côté, l'offre de Philippe III lui-mémede créer un Etat des Pays-Bas pour son fils don Carlos,qui serait marié à Christine, fille de Henri 2.

En Allemagne, on commençait à apprendre qu'il y aune différence entre l'Empire de Rodolphe II et « l'an-cien Empire latin 3 ». Henri y avait des intelligenc,esdepuis l'époque où il sollicitait, en 1583-1586, l'appui deses coreligionnaires pour sauver la cause commune. Aveele landgrave de Hesse, l'administrateur de Strasbourgétait à sa Cour, et Bongars, un des lettrés émissaires de lanouvelle royauté, pouvait écrire A son collègue Sancyque « Messieurs de Strasbourg ont bien mérité et du roiet de la France et de vous 4 ». Le Brandebourgeois quiavait l'évéché &tali méme disposé à en faire cadeau aucardinal de Lorraine ; on pensait à y établir u \Ten-denne 4. Il était question mérne de crée.: par les posses-sions du roi un lien entre le « champ de Mars » de l'Es-pagne 5 et du catholicisme militant qu'étaient les Pro-vinces Unies et les princes réformés de l'Empire : onavait parlé du mariage du roi avec la sceur du marquis deBrandebourg ou la fille du duc de Wurtemberg 5.L' « Union évangélique » conclue en 1608 pouvait étreconsidérée comme un instrument de la politic-pie fran-çaise au delA du Rhin.

I L'Estoile, ouvr. cité, VIII, p. 155. Cf. ibid., p. 148.%Bertrand Auerbach, La France et le S. Empire Romain germani-

que (dans la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes-Etudes), Paris.1912, p. XI.

3 H. Anquez, Henri IV et l'Allemagne, d'apri,s les raOmoires el lacorrespondance de Jacques Bongars, Paris, 1887. Cf. L'Estoile, ouvr_cité, VIII, p. 50.

4 Anquez, ouvr. cite, pp. 91, 93, 95.5 L'Estoile, ouvr. cite, VIII, p. 142.e Anquez, ouvr. cité, pp. 77, 83, 84, 85 : 41 ne veut pas devoir

avoir tousjours un lot de vin couché auprès de lui ».

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306 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

La guerre d'Orient, au cours de laquelle Henri reçutdes preuves d'amitié de la part du Sultan 1, était consi-dérée par lui surtout au point de ses intéréts en Europecentrale. Les projets turcs sur Malte et la Sicile ne luidéplaisaient pas ; lá prise de l'Albe Royale, de Gran parles Ottomans lui servait à émoustiller l'Electeur de Bran-debourg 2 Toute autre chose done que la croisade donton voulait le faire chef 3. Il laissait à la noblesse aven-turière Mercceur mourut en Allemagne des 1602, maisLaval et d'autres lui succéderent la mission honorablede représenter une si belle tradition française sur ceschamps de croisade.

L'idée irnpériale surgissait déjà eri sa faveur. Des écri-vains français la soulevaient 4. Le Pape, qu'il avait récon-cilié avec Venise, dans leur querelle de benefices, n'étaitplus un Urbain II ressuscité. Paul V, un Borghèse, avaitdes ambitions plus modestes. Rodolphe II, qui « s'émou-vait par boutades 5 », pour retomber dans sa torpeur,signait la paix qui laissait un *peu plus que la Transyl-vanie à Bocskai, et la paix de Zsitvatorok le réconciliaitdes 1606 avec les Turcs,.auxquels il abandonnait Erlauet Kanizsa 6. On pouvait done penser à quelque chose deplus haut 7.

Mais la conception qu'avait de l'Empire ce roi d'unautre caractere que les Habsbourg était toute nouvelle.s'agissait d'une nouvelle distribution de l'Europe, la pre-mière qui efit été proposée à un autre point de vue quecelui de l' « équilibre » ; les frontieres géographiques, lesdifferences nationales devaient étre prises en considera-

L'Estoile, ouvr. cité, VIII, p. 209, 297, 366. Tapis de Turquie a,ibid., p. 48. Des rapports avec le chérif du Maroc, ibid., pp. 291,331. Cf. Anquez, ouvr. cité, p. 42.

2 Ibid, pp. 83, 92.3 Ibid., p. 140.4 Ibid.,.p. 80 (année 1603).5 Anquez, ouvr. cité, pp. 137-138.6 Gesch. des osmanischen Retches, III, pp. 338 et suiv.7 Anquez, ouvr. cité, pp. 138-141.

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CHAPITEUI XII 307

lion. Le projet, rédigé par Sully, principal ministre duroi, celui auquel on a attribué aussi, à une époque ot onconstruisait routes et canaux et oh on posait les basesd'ufie autre agriculture, les « Oeconomies royaleslu avec attention par le roi ; on ne devait jamais procéderA sa réalisation.

Cependant, des mesures avaient été prises pour uneintervention dans l'Empire. La médiation de la Franceamena la conclusion d'une trève de. douze ans entre Phi-/ippe III et la République des Pays-Bas en 1609. Bocskaiétait mort au milieu de son triomphe, et sa successionavait été discutée entre Sigismond Rákéczy et ValentinHomonnay ; dès l'année précédente, elle était échue it unBáthory, le violent prince Gabriel, qui révait aussi biende la Dacie de 1595 que du trône de Pologne, où Sigis-mond Vasa était revenu battu de Suède, l'héritage qu'ilréclamait de son père, le roi Jean, ayant été pris par /etroisième fils de Vasa, le duc de Sudermanie, Charles IX.De fait, le nouveau prince eut pendant quelque temps lesmeilleures relations avec les Roumains du Danubed'une famine catholique, il ne fut pas pour les calvi-nistes un persécuteur. C'était cependant un rival sérieuxpour l'archiduc Mathias qui, admettant un Palatin natio-.nal á ses côtés, s'était fait élire roi par les Magyars.

L'Espagne languissait sous le nouveau roi. Les pro-messes de croisade du côté de l'Albanie et de la Morée,pour laquelle était demandé le secours des Vénitiens,a mauvais chrétiens » irréductibles, ne furent pas accom-plies 1. On faisait semblant de vouloir la paix, raccom-modant les Vénitiens, de fait hals, avec le Pape, félicitantJacques VI d'avoir échappé au complot, protestant de nedésirer que le bien du royaume de France. Mais, avec ousans la volonté des ministres du nouveau régime, c'est dece côté-là que se tournaient tous les adversaires du nou-

Barozzi et Berchet, Le relazioni della Corte di Roma lelle nelSenato dagli ambascjafori seneti nel secolo decimosettimo, I, p.74. Le Grand-Due de Toscane pedal! d'aller à Constantinople (ibid.,p. 75). Il avalt jadis attaqué Prévésa (ibid., p. 76).

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308 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

vel état de choses qui tendait a se consolider et se déve-lopper. « Les conseils de Rome », et pour cette partieon était dans le tort, écrivait un auteur de mémoires,« et d'Hespagne tendent plus a la ruine de la Francequ'à celle du Turq, le tout par charité catholique 1. »

Si le doux Pontife qu'était Paul V ne pensait pas auxmoyens dont jadis s'était servi le Siège romain contrele « Navarrais », l'Ordre des Jésuites, la milice de l'Egliseet tout un clan de fanatiques y poussaient sans doute. Ilsn'entendaient pas quitter le programme catholique inte-gral. Si les Pères furent chassés d'Angleterre et de Venise,la genérosité de Henri IV leur rouvrit les portes duroyaume de 'France. Leurs collègues furent bientbt lapépinière d'où devait sortir dans leur sens une nouvellegénération. Des Ordres anciens paraissaient ressusciter,d'autres nouveaux se fondaient, comme les nonnes con-ronnées d'épines, celles de Sainte-Elisabeth, de la Visita-tion, des Ursulines, etc.

Le roi lui-même s'inspirait de la religion en créant, kcôté des Ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel, celuides chevaliers du Mont Carmel 2. Si on ne prèchait pas,tout un flot de pamphlets excitait les esprits contre Henri.Un théoritien espagnol comme Mariana glorifiait l'acte ducapucin qui avait tué Henri III 3. Cependant le confesseurroyal était un Jésuite.

En 1610, la succession des duchés de Clèves et de Ju-liers s'étant ouverte, les anciennes haines religieuses enfurent fouettées en Allemagne. Deux héritiers protes-tants, amis de la France, l'Electeur de Brandebourg et leduc de Neubourg, s'étaient déja entendus, lorsque rem-pereur donna l'administration des duchés à Léopoldd'Autriche, évèque de Strasbourg. La répercussion seproduisit en France, oÙ on attendait pour certain un pas-

L'Estoile, ouvr. cité, VIII, p. 81.2 Ibid., pp. 13, 69, 81, 249, 360 et suiv.

Des Jésuites parents de Tchigala-Zadeh it Constantinople,.Barozzi et Berchet, loc. cit., p. 36.

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CHAPITRE XII 309

-sage de l'armée en Italie, contre les Espagnols 1. Charles-Emmanuel de Savoie, gendre de Philippe II et un ancienennemi de la royauté française, était séduit par l'offre duMilanais et d'un double mariage de ses enfants dans laMaison de France. Marie de Médicis venait d'être sacrée,et la question de la régence dAment réglée. Henri IV futprévenu par ses ennemis : le « coup du jacobin 2 » qu'ilavait toujours redouté et qui avait plusieurs fois ététenté contre lui réussit le 14 mai de cette année : unadepte des doctrines tyrannicides l'éventra A Paris.

Beaucoup de choses au monde devaient en être chan-ges.

On ne l'observa en France que par une plus grandefaveur que Marie, régente au nom de son fils, Louis XIII,garçon frêle et borné, accorda à ses Italiens, faisant d'unConcini, mari de son amie intime, un maréchal deFrance, comme l'avait été, du reste, son concitoyenStrozzi. Un peu plus de chaleur pour la foi romaine régnadans les conseils, bien que les catholiques eussent désirdplus, s'informant si l'Espagne soutiendra une révolte 3.Une large distribution de pensions et revenus aux plusremnants parmi les grands seigneurs, et ce fut tout; Onréussit à empêcher des prétentions de la part du princede Condé, revenu des terres espagnoles, contre lequel futarmé Paris. Mais il ne fut plus question d'une interven-tion française, ni cette année, ni dans la suite, malgréles perspectives ouvertes, en 1612,'par la mort de Rodol-phe II. Le prince d'Orange régla seul la question deJuliers. On n'employa pas plus les démélés avec les Turcs

1 Le prince de Condé s'était retiré â Bruxelles, puis it Milan, aveclot femme, amie de Henri, provoquant 'Indignation, du rol ; ibid,p. 104 ; Le Vassor, Histoire de Louis XIII, P, pp. 18 et suiv.

2 L'Estoile, auvr. cité, VIII, p. 77.3 Barozzi et Berchet, loc. cit., p. 105 : a Non mancano per& dei

mal' ufficj, come che la Regina permetti troppo agli eretici e lorconceda le predicazioni e o esencizii a.

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310 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

qui, ayant chasse Gabriel Báthory, envahisseur de la Va-lachie, puis vaincu par Radu §erban le Valaque dans uneseconde bataille de Brwv (1611), et ayant installe à saplace le calviniste Gabriel Bethlen, ne signerent la paixdefinitive qu'en 1615, A Vienne même, où, concessiontoute nouvelle et de la plus haute importance, s'étaientrendus les envoyés du Sultan. Il fallut que du côté desanciens allies de Henri IV peen une provocation capablede mettre en branle la France tombée en quenouille etsurtout que l'esprit du roi defunt animkt un ministredigne de continuer sa politique.

Des 1608, par la marche armée de l'archiduc Mathiascontre son frere l'empereur, lui demandant non seule-ment la Hongrie, mais les pays autrichiens, la questionautrichienne s'était ouverte. Mathias, esprit entrepre-nant et Arne dure, pensait non seulement à s'avantager,s'assurant la succession de Rodolphe, mais aussi à fairedes pays héréditaires une vraie monarchie à l'instar dela France, avec un regime intérieur pareil à celui del'Espagne. Il eut le premier en tete l'idée de rEtat autri-chien, -et, voyant dans la religion romaine un moyend'unification, dans les Jesuites de précieux auxiliaires,se mit A l'ceuvre des la conclusion du traité avec l'em-pereur, declarant qu'il n'admet chez lui qu'une seulecroyance : la sienne. En 1609, l'usage de la religion réfor-mée fut permise seulement aux nobles et a titre privé,sauf trois « places de silreté » comme en France. Enméme temps, contre les conseillers de Rodolphe, lanoblesse protestante de ,Bohéme entra en armes à laCour de Prague,' chantant les vieux hymnes hussites, quiattirèrent une imposante troupe de bourgeois ; les mi-nistres impérieux durent ceder, permettant l'exercice duculte hérétique » et l'emploi du vulgaire dans l'Eglise.

Puis, dans la Maison d'Autriche elle-meme surgirent lesempéchements au projet d'organisation monarchique. Lecousin de Mathias, l'archeveque de Strasbourg, Leopold,ills de- l'archiduc Charles-, envoya une armée en Bohéme,désirant s'en emparer (1611) ; il devint par force lieute-.

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CHAPITHE XII 311

nant-général de l'empereur pour étre aussitôt forcé A s'enalter, laissant 5. Mathias la liberté de se faire solenelle-ment couronner à. Prague. La France méme lui promit unappui pour se faire élire roi des Romains, et elle offrait,de son côté, son concours auprès du roi Jacques et deMaurice d'Orange pour une nouvelle et grande croisade, àlaquelle le Pape tenait de toute la confiance optimiste desa vieillesse I.

Patiemment, Mathias poursuivait son ceuvre de con-centration. L'Empire devait avoir une capitale au-dessusdes capitales. Rodolphe résidait h Prague ; lui, il s'établitA Vienne. C'est de là-bas que, depuis quelque temps, par-taient des decisions en Conseil imperial, absolument ill&gales, tendant h régler les différends germaniques, et too-jours au sens du catholicisme, comme on le fit pour Aix-la-Chapelle et plus tard pour Donamvörth.

La resistance cependant s'organisait. A Aix-la-Cha-pelle, les protestants persecutes se mirent en république,sous des capitaines et un Conseil de bourgeois, et ilsemployèrent la mediation de la France pour gagner lelibre exercice de leur religion. Les princes protestants serassemblaient dans des conciliabules auxquels les Habs-bourg envoyaient leurs représentants, à elite de ceux desSuisses, de Geneve et méme de Venise, tous ennemis desAutrichiens. La Diète electorate de Nuremberg, au coursde cette méme année 1611, posa des conditions pourl'élection du roi des Romains.

Elle fut accomplie sans aucune difficulté k la mort deRodolphe II, et la vieille ville de Francfort revit la pompedes couronnements du moyen-Age (juin 1612). Le règnedu nouvel empereur signifiait aussi la régence de sonprincipal ministre, un cardinal, Khlesl.

Contre ces intentions, la resistance protestante s'orga-nisait, d'un pays h l'autre. La Suéde venait de finir sesavatars religieux, commencég par l'irrésolution du roi

t Le Vassor, ouvr. cité, pp. 129-130 ; Barozzi et Berchet, onvr-cité, I.

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312 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Jean, admirateur des declarations faites par l'Eglisegrecque aux protestants, protecteur de Possevino, venupour l'endoctriner, et createur d'une nouvelle liturgiepour revenir au protestantisme voulu invariablement parles Etats, tout cela au gré de ses relations de famille, dupassage d'une premier mariage polonais au second avecune Suedoise luthérienne. Charles de Sudermanie avaitemploye sa constance inébranlable dans la Réforme,avait epouse une princesse de Holstein, de la même reli-gion, pour devenir, contre son neveu Sigismond, élevépar sa mere dans la religion catholique, administrateurdu royaume, puis roi. Sigismond ne réussit pendant sesdeux apparitions dans sa patrie qu'à hâter cette liquida-tion de la contre-Réforme. Lorsque le nouveau et trèsjeune roi, Gustave-Adolphe (le dernier nom lui venait dela Maison de Holstein), prit le pouvoir, montrant bien-tôt une remarquable précocité comme general et regent,il trouva devant lui Christiern IV du Danemark, quiparaissait espérer le rétablissement de l'Union scan-dinave. Ses troupes danoises prirent Calmar et rile d'Oe-land, menaçant Stockholm.

C'était au point de vue de l'union protestante un grandempechement 1 Aussitôt cependant les protestants desvilles hanséatiques et les calvinistes de Hollande s'y entre-mirent pour amener la paix.

On recourut à celui qui, par la mort de Henri IV étaitdevenu le chef couronné des réformés, le roi d'Angleterre.Alors qu'en France on annulait l'assemblée générale desEglises à Saumur et on mettait des bornes aux attribu-tions des asemblées locales, Jacques poursuivait unepolitique constante en faveur de toute organisation pro-testante luttant pour sa conservation. Lorsque, en Hol-lande, commença la grande querelle des professeurs de

Le roi de Danemark était intervenu sous Henri III pour lesréformés de France (L'Estoile, ouvr. cité, H, p. 334 ; cf. ibid., pp.335-336, 350-351, 355, pour d'autres remontrances »).

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CHAPITRE XII 313

Leyde, Arminius et Gomar, sur le catéchisme, les espritss'échauffant au cours des discussions A La Haye, surtoutapres la mort du premier des deux docteurs, ce fut l'An-glais qui parut en médiateur, bien qu'assez peu suivi.Marie de Médicis crut devoir lui demander de clésavouerles propositions de Saumur. Jacques &tali membre de laLigue évangélique. Le lendemain de la mort de son filsaine Henri, il mariait sa fille Elisabeth aVec l'ElecteurPalatin Frederic, et les époux furent accueillis en Hol-lande, qui devait bient6t regagner par la munificence duroi les places engagées, avec une pompe extraordinaire.Une nouvelle sentence arbitrate. fut prononcée, de Lon-dres, entre le due de Brunswick et sa capitale. Le roithéologien pensait à l'union de toutes les formes duprotestantisme et envoyait à droite et h. gauche sonproj et.

En France, le mécontentement de certains parmi lesnobles, le prince de Conde à leur téte (1611), arriva jus-qu'au seuil d'une nouvelle guerre civile, la régente ayant_fait venir 6.000 Suisses à son secours sans qu'on pût fairemarcher les protestants, et, quand, au cours de la mémeannée, on eut A Paris les Etats Généraux, il fut ques-tion de beaucoup de chosesi disparition de la « pau-lette » ou transmission héréditaire des charges, diminu-tion de la taille, suppression des pensions, publication,voulue par le clergé, du Concile de Trente, relations desJésuites avec l'Université, poursuite contre les gens desfinances. On ne parla pas des affaires religieuses, sauf1orsque Miron, au nom du Tiers-Etat, souleva unetempéte parmi les membres du clergé en condamnant larebellion sous prétexte religieux contre le roi dont lepouvoir vient de Dieu seu11. Mais les rebelles s'étaientdeclares ouvertement contre le double traité qui devaitfaire de Philippe III le gendre de Henri IV et de LouisXIII, l'époux de la princesse espagnole Anne, apparte-

Le Parlement admit ce point de vue, mais le roi fit surseoirTexécution de rarrét. On finit par lui imposer de faire Bter du.cahier général radicle.

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314 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

nant par sa mere méme à la lignée des Habsbourg, aussicontre l'acceptation du Concile de Trente, et les remon-trances que la Cour dut entendre en 1615 de la part duParlement comprenaient, avec la defense de l'Université,la condamnation de « ceux qui corrompoient les écoliersou leur inspirent des sentiments contraires à ce que lesbons François doivent au roi, à. la patrie et h leursparens ». Lorsque Conde se déclara, il demanda ouverte-ment le concours de l'assemblée des réformés, réunie àGrenoble, et elle réclanaa l'approbation de la decision duTiers l et des recherches sur l'assassinat de Henri IV.

De fait, des 1613, la guerre entre les deux groupesavait éclat& Spinola marcha contre Aix-la-Chapelle, miseau ban de l'Empire, il envahit les cinches de Cleves et deJuHers, oil le duc de Neubourg, s'étant marié à une prin-cesse de Bavière, avait embrasse la foi catholique. De soncôté, Maurice de Nassau occupait certaines places du ter-ritoire dispute. Lorsque le prince. de Conde, beau-frered'un des Orange, lança an 1615 son manifeste contre lesabus, il prétendait attendre 6.000 Anglais et 4.000 gensde Hollande, sans compter les Allemands 2. IIS ne devaientjarnais venir et, en face de l'armée des mécontents, Mariede Médicis mena son fils à Bordeaux pour le double ma-riage espagnol qui, on resperait en Espagne, au boutd'une courte guerre, on venait d'humilier de nouveau parun pardon le duc de Savoie, devait engager d'une-façon durable la politique de France.

Mais sous les dehors de la lutte religieuse se cachait,partout, bien autre chose. Il y avait, d'un côté, cette ten-dance vers la monarchie « romaine »,, d'apres les reglesinfiltrées dans les colleges des Jésuites, avec la reservede la parfaite obedience au Saint-Siège et, de l'autre, l'ins-

t Voici les nobles paroles prononcées it cette occasion : (I La reli-gion que nous professons enseigne qu'il n'y a pas de puissance dansle monde qui ait droit de nous dispenser de la fidélité que nousavons jurée It Votre Majesté .) (Le Vassor, ouvr. cité, II, p. 325).

2 Ibid., II, p. 307.

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CHAPITRE XII 315

tinct des libertés, par provinces" et par categories, que lemoyen-Age avait transmis à l'époque moderne. Encoreune fois, les deux grands principes génerateurs de l'his-toire, empruntant le vétement à la mode, se trouvaient enconilit ouvert.

Ce ne furent pas les efforts des Habsbourg d'avoir « unroyaume », une capitale, une « administration » et unearmée, qui manifesterent les premiers ce caractère prin-cipal de la lutte. La France en avait déjà donnel'exemple.

Le Tiers-Etat frainais avait joué un grand réle auxEtats généraux, essayant de défendre une royauté tuteléepar le nonce du Pape contre sa propre timidité, deman-dant la reconnaissance comme principe immuable du fait« que le roi &At reconnu souverain en France et netenoit son autorité que de Dieu seul L'assembléeentière, divisée cependant sur presque tons les points,avait demande que Louis réponde a ses propositionsdivergentes avant de lui presenter les cahiers et, commela Cour mettait en perspective une discussion dans leConseil, elle voulait lui adjoindre quatre membres duclergé, quatre de la noblesse, quatre des gens de robe.Lorsque la régente échappa à ses réclamations, faisantinterdire toute séance générale et méme rentrée au cou-vent des Augustins, ce que le Tiers ne voulut pas res-pecter, le Parlement, soumis ou non à des influencesvenant de la noblesse mécontente, prit une attitude quile présentait comme une autre forme de manifestationnationale. Il invita pour des &bats communs sur lesquestions laissées en suspens les pairs du royaume, lesducs, les membres de la Cour ; des remontrances furentrédigées, avec la participation, cependant interdite parla régente, de quelques-uns de ces personnages. On vou-lait, au fond, éloigner les parasites étrangers et les Jé-suites, interdire l'acceptation des pensions de l'étranger,etc.

Cette action fut accueillie avec la plus grande indigna-

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316 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

tion par la reine. Si le Parlement, rudement traité kplusieurs reprises, se croyait « ne avec l'Etat », on luiobjectait, sur un ton péremptoire, que s'arrogea méme leroi enfant, que ce corps est sous main de « mattre- »;qu'il n'a pas le droit de s'occuper de politique, ni faire desconvocations à l'insu du souverain. Lorsque les magis-trats menacèrent de nommer les auteurs de la ruine duroyaume, la réponse fut breve et catégorique : « Je nesuis pas content », ou bien : « Je le veux, et la reineaussi ». « II faut attendre », leur dit-on, « que Sa Ma-j esté vous interroge 1 » « Il est vrai », ajoutait-on, « queSa Majesté gouverne selon les lois et les ordonnances eta,blies, mais elle n'est obligee de rendre compte de sesactions qu'à Dieu seul 2. » De son côté, « la reine n'estresponsable qu'à Dieu de ce qu'elle fait 3 ». Les amis duregime, les dues de Guise, de Montmorency, de Vendôme,mirent la main sur l'épée 4. Ii fallut s'humilier, et la deci-sion du mois de mars 1615 fut biffée sur les registres 5.

Mais Conde se présenta au nom de « plusieurs autresdues, pairs, officiers de Cour, gouverneurs des provinces,chevaliers, gentilshommes, provinces, villes et commu-nautes faisant la meilleure et la plus saine partie duroyaume de France », il magnifia dans ses manifestes ce« grand Sénat », cet « auguste tribunal » qu'était le Par-lenient 5. Comme l'assemblée des réformés tenait encoreses séances à Nimes, on la gagna par un acte de solidarité,sur la base de la decision du Tiers, contre les cons&quences de l'alliance de famille et pour « l'établissementd'un bon Conseil auprès de Sa Majeste ». On refusaitd'aller sieger à Montpellier. Le fier Ward de Henri IV,le duc de Vendôme, se réunissait aux révoltés. On deman-

7 Ibid., II, p. 271.2 Ibid.3 Ibid., p. 272.4 Ibid., p. 273.5 Ibid., pp. 316-317. Le président fut arrété et contraint d'accom-

pagner la Cour en Guyenne.Ibid.

7 Ibid., p. 410.

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pHAPITRE XII 317

dait un envoyé du roi d'Angleterre comme « témoin » dela réconciliation qu'on prétendait dénier 1 ; et de faitJacques se fit représenter h la Conférence de Loudun. Sitout cela finit par des avantages personnels faits auxchefs, si Paris assista indifférent, peu après, A l'arresta-tion de Condé, que Marie de Médicis appelait en dérision« le roi de France 2 », et si la nouvelle révolte du duc deNevers se dirigea uniquement contre Concini, maréchald'Ancre, qui sera tué en 1617, il n'est est pas moins vraique c'est ici, en France, que fut délveloppé pour la pre-mière fois un programme qui dépassait de beaucoup lesdoléances des « religionnaires », que la bourgeoisie avaittenu un langage révolutionnaire, dans le meilleur sensdu mot, et qu'elle ne s'était pas .départie de ses vceux 3.

L'intérk et le danger de ces phénomènes échappait auxchefs de la Maison d'Autriche. Comme la France, oil,conseillé par son favori, le duc de Luynes, Louis XIII, Apeine Agé de seize ans, mais déjA majeur, avait fait assas-siner le tyrannique ministre de sa mère, Concini, et relé-guer Marie de Médicis elle-mème, entrait dans une nou-velle époque d'intrigues, devant l'immobiliser, le roi d'Es-pagne, c'est-A-dire son conseiller principal, le due deLerme, crut pouvoir transformer Mane aussi en simplemonarchie espagnole. Le Grand-Duc de Toscane, appa-renté par son mariage avec une des archiduchesses deGratz (l'autre était la femme de Sigismond de Pologne,une troisième était l'épouse répudiée de l'autre Sigismond,de Transylvanie), remplissait discrètement un r6le devicaire. Le !Pape avait des engagements avec Philippe III.Les petits princes, comme celui de Modène, ne représen-taient plus rien ; le due de Mantoue, auquel on avaitdonné le Montferrat, se mourait. Il n'y avait plus devant

t Ibid., p. 424.2 Ibid., II, p. 527. On ne fit que puler le logis de Coneini (ibid.,.

pp. 532-533).3 Une assemblée de notables en 1617 ne donna pas de résultats

(Mémoires du duc de Rohan, I).

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318 ESSAI DE SYNTHRSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

les deux vice-rois, du Sud et du Nord, que la Maison deSavoie et la Republique de Venise.

Les Vénitiens, A. peine échappes au désagréable conflitavec le Pape, allaient étre attires de force h. une querelleavec les Aulrichiens, b. cause des continuelles incursionsdes Uscoques, vivant sous la protection impériale, commegardiens contre les Turcs. Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, était le mari d'une fille de Philippe II, maiscette alliance ne l'empéchait pas de poursuivre de grandsprojets italiens. Comme le duc de Mantoue mourut, /ais-sant comme héritière sa fillette et comme régente saveuve, sceur de Charles-Emmanuel, il réclama le Montfer-rat, contre le cardinal de Mantoue, frere du princedéfunt. Après des escarmouches diplomatiques et mili-taires, apaisées maintes fois par la mediation de laFrance, il dut envoyer en solliciteurs de pardon h genouxses deux fils,* qui furent retenus en otages. Un nouveaugouverneur de Milan crut pouvoir renverser par le repré-sentant du roi à Venise le regime républiéain, pendantque la flotte napolitaine prenait, pour ainsi dire, posses-sion de l'Adriatique, où vinrent la trouver trente-septvaisseaux des Pays-Bas, qui débarquèrent des soldatsqu'on vit manceuvrer sur la place de Saint-Marc 1. Legouvernement vénitien devait denoncer bientôt au mondela conspiration trainee par l'ambassadeur Bedmar, aunom du vice-roi de Naples. L'empereur était intervenuaussi, demandant que l'affaire de Mantoue lui soit réser-vée à lui.

Tout it coup, la faiblesse de Mathias, qui faisait pen-ser à l'élection d'un roi des Roumains, donna h ces con-jonctures une gravité toute particulière. It fut question depasser par-dessus les Habsbourg et d'élire le duc deSavoie. D'autres proposaient le Palatin, auquel son beau-frère anglais donna des conseils prudents 2. Il n'y eut que

i Les Espagnols auraient, de leur caté, demandé le concours duCapoudan-Pacha (Sin, Memorie, IV).

2 Mémoires de Déageant ; Sin, ouvr. cite, IV, pp. 230 et suiv.

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CHAPITRE XII 319

la cession, en 1617, de la couronne de Bohème, mais celuiqui en prit possession, comme adopté par Mathias, étaitle fils d'une princesse de Bavière, un élève des Jésuites,un adepte de la théorie du régime de l'absolutisme, Fer-dinand de Gratz, l'adversaire de Venise. Un pacte defamille, qui aurait assuré aux Espagnols l'Alsace, futaussitSt conclu en secret ; on s'assurait entre les deuxbranches de la Maison d'Autriche la succession récipro-que au trône.

Un incident survenu en Bohame exerça une grandeinfluence sur le développement de la politique autri-chienne. Les « lettres de majesté » accordées par Rodol-phe II à ses sujets de la Couronne de Saint-Venceslasfurent violées par le clergé catholique. Les « défens'eurs »,établis par la coutume au profit des « évangéliques », s'enémurent et demandèrent une réunion des Etats, qui futrefusée. Mais on ne put pas empêcher les protestantsd'accourir à Prague. Ils avaient trouvé un chef dans lecomte de Thurn. A la suite d'une violente discussion, on« défenestra », on jeta par la fenêtre deux membres duConseil de Bohéme et un secrétaire, qui n'en furent pasméme meurtris.

Comme Mathias n'en tira pas vengeance, le roi deBohéme, que les Hongrois avaient aussi accepté pour sou-verain et qui avait le droit de tendre à l'Empire, fit al:ra-ter le ministre qu'il croyait opposé à ses projets, le cardi-nal Khlesl. Il se croyait assuré du concours de l'Electeurde Saxe, celui de Bavière, Maximilien, escomptant poutlui, la succession impériale -de Mathias. Des troupes luiarrivaient des Pays-Bas, où commandait l'archiducAlbert. La grande décision devait" tomber avant que l'em-pereur moribond eiat fermé les yenx.

Les Etats de Bohéme y étaient préparés. Ils sou-doyèrent deux de ces seigneurs allemands qui s'offraient

tous les drapeaux : Ernest de Mansfeld et C.hristiand'Anhalt. Bethlen Gabor était la pour soutenir ces réfor-més en danger et pour consolider par leur victoire saPropre situation.. Quant aux Provinces Unies, elles res-

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320 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

taient occupées par la querelle entre Gomaristes et Armi-_

nistes, ou entre Remontrants et Contre-Remontants, dontla dernière forme était la rivalité, devenue féroce, autourde ridée du synode national, entre Maurice de Nassau,capitaine général, et le «.pensionnaire » ou « avocat gé-néral » de Hollande, Olde-Barneveld, appuyé par' laFrance, rivalité qui devait finir par remprisonnement etl'exécution, comme ami des Espagnols et partisan du fé-déralisme de ce dernier, par la condamnation et rexil dugrand jurisconsulte et historien Hugo Grotius. A la tétede seS troupes, Maurice traversait le pays, détruisantville par ville la puissance de ses adversaires.

Mathias étant mort, Ferdinand fut h sa place empereurh Francfort. Il n'avait pas eu d'adversaire, mais celui quidevait l'étre, l'Electeur Palatin, sera élu aussitôt par lesEtats de Bohéme roi de ce pays détaché solennellementdes Habsbourg, qui avaient violé les conditions formellesde la derniére election en leur faveur 1. La Moravie avaithésité d'abord ; la Silésie, Ja Lusace s'étaient décidéesaussitôt ; l'Autriche elle-méme avait abandonné sa dynas-tie, au moment off Bethlen, a la veille de l'élection impé-riale, entrait a. Presbourg. Bucquoi et Dampierre, accou-rus a temps, avaient sauvé la capitale. Vienne méme avaiptété en danger.- Au nom des droits séculaires on avaitvoulu écarter cet unificateur et égalisateur, sous un lourdsceptre de monarque absolu, qu'était Ferdinand.

Mais ce qui commençait en ce moment- représentaitplus que les ambitions d'une dynastie, que les instinctsnationaux éveillés en Bohéme et en Hongrie, plus mémeque cette dernière tentative de rendre aux pays tyranni-sés leurs anciennes institutions : il s'agissait d'unimmense conflit devant décider de la distribution poli-tique de l'Europe.

1 Le Vassor, ouvr. cité, III, p. 258.2 Parmi les eandidats, il y avait eu le roi de Danemark, le duc

de Saxe et celui de Savoie ; ibid., p. 444.

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CHAPITRE XIII

La crise européenne et l'hégémonie de la plusforte des monarchies absolues.

La plus grande bataille.qui ent été livrée en terre d'Em-pire, entre des armées combattant sous les drapeaux descleux religions ennemies fut celle de la Montagne Blanche,prés de Prague. Mais, d'un côté et de l'autre, sauf quel-ques bandes de paysans hussites, portant les haches etles fléaux traditionnels, et les haidoues de Bethlen, il n'yavait que des mereenaires et des chefs de mereenairesle prince d'Anhalt pour les Bohémiens, le Bavarois Tillypour l'empereur. Le Palatin assistait en spectateur.quitta le champ en fuyard pour ne jamais plus revoir laBohéme 1

Maintenant, l'Empire catholique se mit au travail, lebourreau y aidant, pour créer la monarchie. Alors quela Silésie Rail abandonnée aux Saxons pour étre pact-fiée », on confisquait en Bohéme, ou bien on a achetait »tout ce qui appartenait aux hérétiques et aux rebelles. Et

leur place on installa des bons catholiques, venus detous pays pour aider, à leur grand avantage, à l'ceuvrepieuse. Le tribunal du due de Lichtenstein suivait, d'aprèsles incitations de l'ambassadeur d'Espagne, les traditionssanglantes de celui du duc d'Albe aux Pays-Bas. L'espritdes Jésuites domina l'enseignement et créa une littéra-ture spéciale en latin et en allemand, alors que le livretehèque brillait par milliers et que le plus grand esprit dela nation, Comenius, errait à l'étranger, avec ses ayes

Voy. les Histoires de Bohérne de Palacky et de Denis.

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322 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

d'une nouvelle humanité, formée par l'école libre. Là-bas,comme autour de Vienne, il y avait maintenant l'Au-triche moderne, et, les Espagnols aidant, on était décidé àl'étendre sur tout l'Empire, oil le Brandebourg seul, toutrécemment agrandi par l'annexion de la Prusse teuto-nique, en vertu d'un pacte de famille, représentait encorela Réforme capable de combattre. On comptait sur l'im-mobilité de la France, oil la grande question était la fuitede la reine-mere, « prisonnière » A Blois, ses rapportsavec les mécontents, sa « reconciliation », larmoyante etvide, avec son fils, maladif et froidement autoritaire.

Les Pays-Bas, dont Maurice de Nassau, sous prétexted'unifier le dogme et d'écarter la tendance de chaque EtatA interpreter à sa façon le catéchisme, un synodenational avait siege à Dordrecht, cherchait à faire samonarchie à lui, comme le due de Savoie poursuivait lasienne en Italie, et les Espagnols la leur 1, ne soutinrentpas Frederic, roi exile de Bohéme, dont la mere étaitcependant Julienne de Nassau. Son oncle .français, le duecalviniste de Bouillon, qui avait pousse à l'aventure, neparut pas s'en émouvoir, à un moment oil le nonce pon-tifical, se valant des prétentions de l'assemblée réformée-de Loudun, voulait pousser de Luynes A. une offensivecatholique. Les luthériens d'Allemagne, dont Frédéricavait demandé le concours A Nuremberg, s'offusquèrentdu calvinisme de leur ami, et ils acceptèrent volontiersla proposition française de conclure avec les catholiquesun traité par lequel ils se désintéressaient de l'affaire deBohême. Le roi d'Angleterre avait formellement désa-vouéPentreprise. En Hongrie seule, et malgré ses derniersinsuccès contre les Impériaux, Bethlen guettait son heure,espérant faire revivre au profit de son « royaume », dontla couronne venait de lui étre offerte par les Etats, lesjours oil le Corvin Mathias tenait Cour à Vienne.

I Le due d'Ossuna, vice-roi de Naples, chercha it la méme époque,flattant les classes populaires et intriguant en France pour un con-cours, it refaire la monarchic des Deux-Siciles pour sa propre per-sonne.

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CHAPITRE XIII 323

Le roi exilé ne put pas méme regagner ses Etats rhé-nans, occupés par Spinola sous les yeux du fils de Guil-laume d'Orange et de Louise de Coligny, qui commandaitune vraie armée hollandaise, ainsi que devant toute uneautre armée des princes protestants de l'Allemagne.trouva quelques dispositions de la part des rois scandi-naves, celui du Danemark ayant assisté à une réunionluthérienne dans le Holstein. L'ambassade solennelle duroi de France, conduite par le fils bâtard de Charles IX,ne réussit qu'à embrouiller les affaires de Frédéric, lebeau-père anglais y apportant du sien, alors qu'il bri-guait pour son fils Charles, à défaut de Christine deFrance, la fille du roi d'Espagne et qu'il faisait exécuterWalter Raleigh comme pirate aux dépens de ce royaurne.Il faut tenir compte aussi du fait que Jacques lui-méme,l'auteur de l' « image royale », de l'Eik.on basilike, étaitun théoricien de l'absolutisme, qu'il venait d'expédier unpremier Parlement dont il traitera les membres de « jene sais quelles lakes » et qu'il prorogera le second, parceque les communes voulaient examiner le projet de ma-riage espagnol jusqu'à un troisième auquel il dira« entend mieux ses intérêts », arrachant de la main desdélégués les « remontrances » qu'on lui présentait. LaHaye fut un refuge pour Frédéric, dépouillé et aban-donné, et, de plus, nourri d'illusions : on le vit siégerroyalement aux Etats.

La trève entre les Provinces Unies et l'Espagne expi-rait en 1621, et le nouveau roi, Philippe IV, partisand'une politique d'énergie, tendant au tame but que lesefforts de la plupart des souverains européens, de serefuser à toute concession contraire au principe d'auto-rité, fit sommer ses « sujets » de rentrer sous son obé-dience, à 6246 des pr.ovinces restées fidèles. La réponsefut ce qu'elle devait étre, et la guerre allait reprendre dece côté-là aussi, mais sur un fondement qui n'était pluscelui de l'antagonisme religieux. En ce méme moment, leroi de France, qui cependant venait à peine de finir par

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324 ESSAI DE SYNTIASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

une nouvelle embrassade une vraie guerre contre sa mère,dont les rancunes étaient exploitées par le particula-risme des grands seigneurs, gouverneurs de provinces,considérait les réformés réunis à La Rochelle comme des

factieux et des rebelles » et nommait de Luynes con-nétable pour les ramener à la raison.

Du côté des réformés de France, dont la devise était« pour le Christ et pour le roi », il y avait bien la ten-dance de créer dans le royaume l'Etat chrétien », nourripar les souvenirs de la vie locale. Ils se partagèrent laFrance dans leurs huit cercles, engagèrent les seigneursmécontents, comme de Rohan, Soubise, etc., et adminis-trèrent les revenus Trésor. Le roi dut faire le siège deses bonnes villes, comme il l'avait fait, du reste, contreles mémes seigneurs, se valant d'un autre prétexte, quel-ques mois auparavant, en Normandie et au Poitou. Lenouveau Pape Grégoire XIII l'y incitait. Louis assiégeaitMontauban à l'heure juste où Spinola étreignait Berg, etdes deux dités les calvinistes, représentants des libertéslocales, résistèrent. En 1623, Louis, retenu par le siègede Montpellier, dut renoncer par une paix de tolérancetous ses projets.

Mais déjà Mansfeld, échappé de Bohéme, errait dansle Palatinat, en condottière, et Christian de Brunswick,« ami de Dieu et ennemi des prêtres », faisait fondre,Miinster et Paderborn, conquises, les statues des saints.

Bient6t, les troupes de ces deux seigneurs et du mar-quis de Bade-Durlach ne furent cependant que des ban-des appartenant à leurs seuls chefs et menant une guerrevagabonde. Le mieux doué de ces condottières allemands,Mansfeld, négociait de toils côtés, expliquant auA catho-liques qu'il avait quitté leur religion h cause de l'injus-tice qu'on lui avait faite en tut refusant son héritagedans le Luxembourg. On vit les Allemands, vrais suc-cesseurs des rettres, s'arréter sur le seuil de la Lorraineet de la Champagne, se laissant éconduire par des intri-gues ; quelqiies-uns aidèrent le roi de France contre les

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CHAPITRE 325

calvinistes. Mansfeld offrait de servir la France commemarquis ou comte et maréchal. Après avoir croisé le feravec les Espagnols aux Pays-Bas, cet homme qui devaitmourir en Bosnie, fit son apparition en Westphalie, tra-vaillant pour son propre compte.

La cause de la monarchie absolue paraissait ainsi avan-cer. L'ambassadeur d'Espagne en Angleterre avait mé-nagé un mariage entre Charles, prince de Galles et l'In-fante. On vit le prince anglais, accompagné du favoriBuckingham, faire sa Cour A. Madrid et &hanger desbillet doux avec le Pape, qui escomptait une conversion.Sans le souci du Palatinat, l'alliance aurait été conclue(1623). Dès 1621, Bethlen Gabor, auquel on avait prisPresbourg, offrait de conclure la paix, vendant son titreroyal en échange pour les duchés silésiens déjà donnésSigismond Báthory. La paix de Nikolsbourg (janvier1622) était sans doute un triomphe pour la cause catho-lique et autrichienne. Les autres événements du Sud-Estde l'Europe, l'état de choses dans l'Empire ottoman eten Pologne en représentaient un autre.

Echappant à l'union dynastique avec la Suède, la Po-logne, strictement catholique, s'était attribué dans sesrégions, et malgré l'insignifiance personnelle de Sigis-mond Ill, contre lequel la noblesse finira par se soulever« légalement », le rôle que l'Espagne, maitresse de faitA la Cour de Rodolphe, de Mathias et de Ferdinand II,jouait en Occident.

Dès la fin du xvi° siècle, le royaume était le gnarlier-général de la contre-Réforme, qui escomptait aussi ajou-ter l'orthodoxie en grande partie soumise à l'empereurmusulman et pour le reste plongée encore dans /a quasi-barbarie moscovite. La mission de Galicie travaillait éner-giquement A convertir la Moldavie, où elle eut des succès,les anciens évéchés catholiques, pour les Roumains, ayantété pour le moment galvanisés et les princes des deuxpays courtisant le Pape et ses mandataires. Un synodepour la réunion des Ruthènes sous la forme « uniale »

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326 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

tint ses séances h Brzesk. Il fallut que le Patriarcat deConstantinople envoyht ses émissaires pour empécher lepassage de ses fidèles au latinisme envahissant. Un Pa-triarche de Jérusalem fit, vers 1620, le voyage de Moscouen confirmateur et réformateur. Et, sans la grandeinfluence dont jouissait A. la Cour de Pologne le RoumainPierre Movilh (Mohila), ancien prétendant au trône mal-dave, Kiev, avec ses reliques accumulées dans les cavernessacrées de la « lavra », ne serait pas redevenue un centrede la foi orientale et, par son moyen, de la consciencenationale des Petits-Russiens.

Jérémie Movilh, le prince imposé et soutenu par Za-moyski, put se maintenir les armes h la main. Il avait unfrère, Siméon, qui devait lui succéder : on voulut en fairele successeur du Valaque Michel, vaincu dans sa prin-cipauté méme par le chancelier et ,hetman de Pologne.Les filles de Jérémie s'étant mariées dans le royaume, hun Potocki, A. un Korecki, les nobles polonais associés Aces grandes familles se mélèrent h chaque moment, pen-dant la paralysie du pouvoir royal, aux querelles vio-lentes pour le trône de la Moldavie, affrontant et réussis-sant A. chasser les appuis turcs de leurs adversaires,envoyés par Constantinople. Jusqu'en 1615, quand RaduMihnea, fils d'un prince renégat et lui-méme élevé h. Ve-nise, sans que sa croyance orthodoxe en patit, et auMont Athos, prit pour lui et pour son fils, auxquels s'op-posèrent des rivaux grécisés, les trônes des deux princi-pautés, ce fut de Pologne que partit l'impulsion dans lavie des pays roumains 1 La Moldavie payait tribut auroyaume ; elle employa la monnaie polonaise marquée hses armes ; on l'invita aux Diètes.

Cette génération confiante et batailleuse qui se formaA l'instar de Zamoyski avait espéré exercer une influencesemblable sur la Transylvanie. Si les Bhthory, jusqu'àl'imprudent prince Gabriel, se rappelèrent parfois qu'un,des leurs avait été roi h Varsovie, la Pologne les retint

1 Voy. nos Polonais et Roumains, Bucarest, 1922.

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CHAPITRE XIII 327

-touj ours sous son charme. Ce ne fut que par l'établisse-ment de Bocskai d'abord, puis, surtout, de Bethlen, que-ces rapports si étroits furent rompus.

Mais l'ambition des Polonais au commencement du xviefermentée par leurs éducateurs jésuites, était

encore plus grande. Un moment vint où on put espérerque l'unité des Slaves de l'Est sera établie, sur les ruinesde l'ancien organisme byzantino-tatar de Moscou, sousla forme catholique et latine occidentale.

Le successeur du terrible Ivan fut son fils incapable,Fédor. Il mourut jeune sans désigner son héritier, et lefrère de sa femme, Boris Goudounov, put se saisir dupouvoir sans autre droit que celui, très douteux, que luitransmettait sa sceur, dont on avait voulu faire une Tza-rifle. C'était un homme décidé et hardi, qui réva de croi-sade, entretint une correspondance avec le Roumain Mi-chel et ouvrit son Empire aux propagandistes luthérienset catholiques en méme temps, le 'Pape envoyant pardeux fois des légats à Moscou. Il s'adressa à l'empereur etau roi du Danemark.

Contre ce parvenu, qui avait donné A. la Moscovie lacôte de la Baltique dans l'Ingrie et la Carélie, ce qui per-mettait le contact direct avec l'Occident, se leva, appuyépar les Cosaques, le prétendu second fils d'Ivan, Démé-trius, reconnu par la veuve du grand Tzar défunt. L'an-cien moine prit le titre de « très illustre et invincibleDémétrius Jean, par la grâce de Dieu Empereur et Grand-Duc de toute la Russie et de tous les Etats de la Tatarieet prince et roi de plusieurs dominations soumises à Mos-cou ». Le caractère européen de la Moscovie s'affirme-encore plus sous son court règne. Soutenu par Mniszek,Palatin de Sandomir, il en épousa la fille, se créa uneCour à la polonaise et réunit toutes les nations occiden-tales, jusqu'aux Français, aux Anglais, aux Ecossais,dans sa garde. II nomma Patriarche un Chypriote ralliéIi Rome et fit profession lul-méme d'obédience k Rome.

Ce qui ne l'empécha pas de périr misérablement sous

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328 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

les coups de la populace excitée par le vieux bolar Chouis-Id, qu'il avait voulu envoyer à l'échafaud. Contre ce nou-veau Tzar d'usurpation, qui avait recouru aux Suédois dePontus La Gardie, de fait en partie des Français servant

l'étranger, qu'il paya de l'abandon de la côte baltique,les Cosaques, les Polonais suscitent aussitôt un nouveaufaux Démétrius (1608). Mais ce n'était pas le vrai candi-dat de la Pologne. On le vit bien lorsque les hetmanssuccesseurs de Zamoyski, Zolkiewski et Chodkiewicz,conduisirent à Moscou le prince héritier de leur royaume,Vladislav, qui fut proclamé Tzar h. Moscou, un autreVasa, de Suède, l'étant h. Novgorod, un catholiquefanatique et un fanatique luthérien se disputant ainsi lacouronne byzantine du Monomaque.

La Moscovie revint à elle-méme par un simple tumultedans les rues de Moscou. Avec un chef des bourgeois,boucher de son métier, avec un représentant des bolars,Pojarski, il avait à sa téte le détenteur de la dignitépatriarcale, nouvellement créée, Hermogène. Les Polo-nais furent facilement chassés. Il y avait un parent desGoudounov qui était en méme temps fils du premier Pa-triarche de Moscou, Philarète ; entré au couvent, retenucomme otage par les Polonais, il devait ceindre une cou-ronne sans héritier, Michel Romanov, adolescent de dix-sept ans, soutenu et tutelé par sa mère, commença ainsi,en Wrier 1613, une nouvelle dynastie, nationale, quidevait durer trois cents ans accomplis. Les efforts faitspar Vladislav en 1617-1618 pour conserver ce gull consi-&raft son trône à lui restèrent infructueux.

On avait perdu la Moscovie, mais des perspectivess'ciuvraient de nouveau, plus brillantes que jamais ducôté du Danube.

L'Enipire ottoman, auquel plus d'une fois on avaitréclamé la Moldavie, comme étant d'après le droit his-torique un Palatinat du royaume, était en pleine dé-cadence, sans Sultans et sans Vizirs capables d'en con-duire les destinées. Le successeur de Mahomet III avaitété l'enfant Achmed, sous le règne duquel le nouveau

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CHAPITIIE XIII 329

Chah, Abbas, déjà maitre de Tebriz et de Nakchivan(1603), y ajouta Erivan, Cars, Akhiska, brisant l'uneaprés l'autre les armées ottomanes. L'Anatolie trouva deschefs pour sa rébellion, la Mésopotamie, Alep, Damas, lesDruses se levèrent contre « empereuf » de Constan-tinople ; il fallut l'énergie du vieux Vizir Mourad poursauver le trône d'Achmed, supprimant ces révoltes, infi-niment plus sanglantes que les démonstrations des chefsde province français contre leur roi. Mourad étant mort,les Turcs perdirent, à la paix de 1612, avec Tebriz, Chir-van, Erivan, Dchilan, quatorze grandes provinces.Achmed mourut au cours d'une guerre malheureuse quivoulait corriger ce triste résultat 1 Un idiot le remplaça,en 1617, son fils Moustapha. Le vrai défenseur de l'Em-pire était le puissant « marquis » auquel était confiée lafrontiére de Silistrie, de la Dobroudcha et du Boudchak,colonisés cie Tatars, et du Dniéper, à Otchakov, Skender-Pacha, l'adversaire, pendant de longues années, des pré-tentions polonaises.

Il tenait encore en main les forces ottomanes dans cesrégions, lorsque, Moustapha, reconnu comme incapable,ayant été écarté, le pouvoir supréme fut confié au jeuneSultan Osman. La Moldavie avait été donnée à. un aventu-rier d'origine valaque, né en Croatie, catholique de reli-gion et Slave de langue, truchement pendant les négo-ciations avec les Impériaux et ensuite acheteur de ceduché de l'Archipel qu'avait eu le « grand Juif » deSelim, don José. Gaspard Gratiani révait d'une politiquechrétienne ; couvant la Transylvanie, il commença pars'offrir avec sa garde de Ragusains et d'Italiens, repré-sentant le flot occidental qui montait ici comme en Mos-covie, à la Pologne. Zolkievvski accepta sa proposition depasser le Dniester ; il y fut brillamment rep, maisassiégé par les Tatars et, contraint à une affreuseretraite, il y perdit la vie au milieu du désastre (1620).

Encouragé par ce succés, le Sultan essaya de renou-

Geselt. des osmaniselten Relates, III, pp. 431 et suiv.

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330 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

veler sur le Dniester les jours de son grand prédécesseurSoliman. Il se dirigea sur la forteresse moldave de Hotin,occupée par les Polonais, et y rencontra toute une vraiearmée de croisade que commandait le futur roi de Po-logne et ancien « empereur » de Moscou, Vladislav. MaisSkender n'était plus A. ses côtés, et de cette brillanteexpédition l'Empire ne remporta rien. Radu Mihnea,conseillé par un Crétois catholique, Vevelli, réussitamener la conclusion de la paix 1.

La guerre aurait été reprise sans la catastrophe quis'abattit sur le jeune Sultan, qui révait d'une réformemilitaire de l'Empire et comptait aller à La Mecque poury prendre sur le tombeau du Prophète un dernier encou-ragement. Les janissaires dégénérés, les lAches spahio-glans de Cour se soulevèrent, ils allèrent chercher le mal-heureux Moustapha et Finstallèrent de nouveau dans lepalais après avoir égorgé froidement aux Sept Tours,après un lamentable défilé à travers les rues de Stam-boul, celui des Sultans de la décadence dont on pou-vait attendre le plus. Après un an et demi d'anarchie, lesvengeurs d'Osman, appuyés sur les troupes asiatiques,n'en agirent pas de méme à l'égard du prince dégénéré,battu par sa mère, la Valideh, incapable de monter à che-val pour la solennité du vendredi et méme de dire sonnom. Ils se bornèrent à l'écarter dédaigneusement etproclamèrent A sa place le prince Mourad qui, sans avoirla noblesse et la douceur d'Osman, sa « chevalerie » denuance persane, allait étre pour l'Empire le rénovateurvictorieux qu'avait espéré étre son malheureux prédé-.cesseur 2.

Restée libre de ce còté, la Pologne de Sigismond III,qui avait épousé la sceur de Fempereur Ferdinand, pou-Tait, non seulement. appuyer le mouvement vers le catho-licisme en Orient, mais aussi soutenir l'oeuvre de restau-ration en Occident. Si seulement ses ressorts intérieurs,

Ibid., III, p. 358 et suiv., 407 et suiv.Ibid., pp. 444-448.

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CHA.PITRE XIII 331

plus affaiblis qu'on ne le croyait, avaient été capables desoutenir cette double mission.

Contre l'Espagne inspiratrice de la politique de tousles Habsbourg, une offensive franyaise se préparait déjàen_1624. Et elle était due au nouveau ministre qui étaitentré, pour dominer bientôt l'indécision des autres, dansle Conseil de Louis XIII.

Le cardinal de Richelieu, récemment promu, plutôt parles efforts de la reine-mère qu'il avait longtemps et fla-lement servie, fils d'un noble de province, et des pluspauvres, avait été évéque de Luçon pendant des années,et s'était distingué aux Etats généraux, où il soutint lacause du clergé, et ailleurs par sa remarquable éloquence.Pas plus intriguant que n'importe quel autre courtisan

cette époque, on ne lui connaissait ni le sens desaffaires, ni le courage des grandes decisions. Cependant,A peine fut-il entré dans ce Conseil où, après la mort deLuynes, le roi n'avait plus de favori intelligent et influent,que la politique timide de la France à l'égard de l'Espa-gne, dont on était tout pénétré dans tous les domaines,changea d'une façon qui étonna.

Les Espagnols assiégeaient Bréda, défendue par Mau-rice de Nassau, qui devait y perdre la santé et mourirbientôt. En lame temps, en Italie, ils arrachaient la Val-teline, petit territoire alpestre, d'une grande importancestratégique, aux Grisons, membres de la Confédérationsuisse, alliée de la France par un traité qu'on venait derenouveler. Après d'assez longues discussions, le com-mandant royal en Languedoc, de Lesdiguières, passa lesmontagnes et se rangea à côté du duc de Savoie, toujoursen conflit avec l'Espagne. Une ligue avait été conclueavec ce prince et avec Venise aussi. Mais, au lieu de suivrele conseil de la République et d'entrer dans le Milanais,on attaqua Génes, sans pouvoir la prendre.

Jacques d'Angleterre était mort avant d'avoir vu lemariage de son fils avec Henriette de France. Son suc-cesseur, Charles, avait des projets d'offensive protes-

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332 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITH

tante. Ses envoyés discutèrelit A La Haye avec ceux des.rois scandinaves et des princes allemands de la Basse-Saxe sans prendre une résolution. Mansfeld était engagépour une campagne au profit du Palatin dépouillé, dontJa voix électorale aussi avait été atribuée, abusivement,par l'empereur au duc de Bavière. Des vaisseaux anglais,sous le drapeau de Frédéric, débarquèrent des troupessous Cadix. Si le premier Parlement avait mieux appuyécette politique du roi, qui se crut obligé de le casser, il yaurait eu une nouvelle tournure dans la situation, encoreindécise, de l'Europe centrale.

Et surtout si la France avait réuni ses efforts dans cettedirection. Or, la guerre intérieure venait de reprendresous le couvert des revendications calvinistes, basées surl'inexécution du traité. La Rochelle fut assiégée et laflotte royale, renforcée par des vaisseaux empruntés aubeau-frère anglais, ne fut pas toujours heureuse. Il fallutcéder de nouveau, en février 1626, devant cette opiniAtrerésistance et pendant ce temps la campagne contre Gênesétait interrompue et les troupes du Pape, qui avait fonc-tionné comme médiateur, entraient dans la Valteline.Richelieu devra assister impuissant aux victoires rem-portées par Tilly et par le plus hardi des gentilshommesd'aventure de l'époque, Albert Waldstein, contre Mans-feld, chassé en Hongrie, en Turquie, et contre le roi duDanemark lui-méme, chef des troupes de la Basse-Saxe,dans le Brunswick (A Lutter). En 1627, le marquis deBade-Durlach, combattant sous drapeau danois, avait leméme sort. Le Mecklembourg, le Holstein, le Slesvigfurent envahis. Le roi dut quitter et situation et posses-sions en Allemagne. Il y eut jusqu'à Berlin des soldats del'Empire.

Il y avait done partie remise. Rassuré aussi du côté des.Turcs qui, après avoir réduit les rebelles d'Asie Mineure,luttaient contre ,les Persdns du côté de Bagdad 1, Ferdi-nand H, qui préparait la succession en Hongrie et en

_

I Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 451-457.

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CHAPITHE XIII 333

Boheme pour son fils homonyme, pouvait travailler it

l'unification, sous les Conseils de Vienne, du grouped'Etats dont il était l'héritier ou l'aoquéreur. Les garni-sons impériales se glissaient un peu partout.

Il pouvait le faire d'autant mieux que la jalousie deBuckingham, favori de Charles P' après avoir été celuide son pere, avait non seulement provoqué de nouveaula guerre de religion en France, les Rochellois restant ila tete des calvinistes, mais aussi un confiit entre l'Angle-terre, qui leur fournit des secours, et le royaume voisin.La ville rebelle payera ses péchés envers la royauté parsa complete destruction politique et religieuse h la fin del'année 1628. Rohan, qui s'était soulevé dans son gou-vernement, tardait encore A. se soumettre et, lié de traitéavec l'Espagne, pensait 4 la possibilité de « former unEtat particulier 1 ». Déjà, depuis des mois, un assassinavait écarté le fauteur d'intrigues anglais.

On avait vu devant le port de La Rochelle des vais-seaux espagnols venus pour collaborer 4 l'ceuvre catho-lique, et on avait fait 4 Paris une magnifique reception 4Spinola. Tout cela était cependant tout aussi peu natu-rel que la guerre entre Anglais et Français. On le vitbien lorsque Vincent, due de Mantoue et de Montferrat,mourant, laissa comme héritier Charles de Gonzague-Nevers, qui épousa aussit6t l'héritière de Montferrat. Leroi d'Espagne s'entendit avec le duc de Savoie pour par-tager les Etats devenus ouverts 4 toute convoitise, et, cedessein, on le mena h bout, au grand effroi des Will-tiens. Les quelques troupes françaises qui entrèrent auPiemont furent éconduites. Cette fois, c'était bien laguerre et, sous une forme ou sous l'autre, elle dépasserales limites de ce siècle, contribuant essentiellement Itchanger l'équilibre de l'Europe.

Une guerre toute timide, le due de Rohan n'étant pasencore récluit et les réformés resistant dans Montauban.

1 Le Vassor, ouvr. cité, VI, p. 65.

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334 ESSAI DE SYNTHASE RE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

Louis XIII en personne força, par un temps d'hiver rigou-reux, le pas de Suse, mais, après s'étre montré ainsi enterre italienne et avoir amené la levée du siège de Casale,il revint aussitôt finir ses débats avec ses propres sujets(avril 1629). Il ne se considérait pas en guerre avec l'Es-pagne pour avoir aidé à son droit son parent et sujet deNevers.

On se serait arrété la. Le duc de Savoie avaitconclu un traité, Richelieu, remplaçant du connétable,dont le rang avait été aboli, comme « généralissime »,devant conduire du côté de Mantoue des opérations quiamenèrent d'abord la prise de Pignerol, puis l'occupationde la Savoie 1, mais n'empéchèrent pas, en juin 1630, laprise et le pillage de Mantoue par les Impériaux, entrésItalie insolemment comme dans leur propre domaine.Ferdinand demandait que toutes autres troupes évacuentson Italie à lui. Spinola attaquait, de son côté, le Mont-ferrat, pour chasser les Vénitiens a coups de baton, maisle jeune roi de Suède avait déjà pris sur lui la conduite dela guerre contre l'Empereur.

La présence des Autrichiens sur la Baltique, en maitresdes villes hanséatiques, Stralsund seule résistait dansces parages, invoquant le roi de Suède comme défenseur

devait Oiler essentiellement les tendances naturellesde ce fort Etat national qui, vainqueur sur les Moscovites,s'était déjà établi sur des points importants de la côtebaltique opposée. D'autant plus que Ferdinand préten-dait, par un &lit récent, d'une incalculable portée, rame-ner l'état de la propriété ecclésiastique, par-dessus toutesles « usurpations », à l'état de choses qui était en 1555.Les princes catholiques pouvaient expulser leurs sujetshétérodoxes. Les calvinistes étaient mis hors de la paixreligieuse. Des commissaires impériaux allèrent mettre

I Richelieu fit tout son possible pour amener le roi, qui descenditjusqu'à Lyon, oil il tomba malade, à ne pas prendre le commande-ment des troupes.

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CHAPITRE XIII 335.

en exécution le terrible édit. Le refus de la Diete de Ratis-bonne d'élire le fils de l'empereur comme roi des Romains,la condamnation qui y fut prononcée contre les terriblesexcès de la soldatesque de Waldstein étaient un encou-ragement, aussi bien que les offres de subsides de Riche-lieu, qui ne promettait cependant qu'une intervention enLorraine, oil régnait le Français Charles IV. Malgré lesavantages faits par Ferdinand A la Maison de Brande-bourg dans le duché de Clèves et le comté de la Mark, lesSuédois furent acclamés en Poméranie, oil ils &bar-quèrent et placèrent des garnisons. Les Impériaux réus-sirent une autre fois, Sigismond de Pologne et son filsaccourant dans le camp impérial pour envelopper l'en-vahisseur A Marienbourg. It leur avait été impossible depousser Gustave-Adolphe A une rencontre décisive, et unetrève avait fait partir bienta les Polonais.

La France avait envoyé A la Dikte deux représentants,dont l'un était le père Joseph, inspirateur de Richelieu.On arriva A s'entendre avec l'empereur, qui retirait d'Ita-lie ses troupes, abandonnait son candidat it la successionde Mantoue, ne demandait A Nevers, pour qu'il soitreconnu, qu'une formalité de résipiscence ; admettantque les Français restent A Suse et A Pignerol, Casaleétant remis, sous conditions, au roi d'Espagne, fut con-fiée A un commiss-aire impérial au moment méme oùl'armée française de secours allait charger les ennemis,

il s'engageait A faire que les Espagnols évacuent le -Piémont. Le cardinal fit que le roi refuse son acquiesce-ment, et il fallut attendre jusqu'en 1631 la conclusion dutraité de Cherasco avec le duc de Savoie, q9i vendit seer&tement Pignerol. L'apparition du Suédois, auquel le roid'Angleterre lui-méme avait promis de recruter 6.000Ecossais, recélait trop de surprises pour s'en tenir A uneconvention avec les Habsbourg. D'autant plus qu'A laDike Ferdinand avait été amend A se défaire, au profitde Tilly, de Waldstein.

Gustave-Adolphe avançait en consolidant. II se fit rece-.

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336 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

voir à Stettin par le due Bogislas de Poméranie, dontl'héritage devait appartenir h la Maison de Brandebourg,qui se tenait sur l'expectative. 11 prit le Mecklembourg,que l'empereur avait donné à Waldstein, amiral de laBaltique, il soutint l'entreprise d'un Hohenzollern évincésur l'évéché de Brandebourg. La Cour de France avaitpassé par une crise, Richelieu étant sur le point de suc-comber devant les intrigues des deux reines. Ayant rem-port& la victoire, le cardinal poursuivit sa politique contreles Habsbourg. Le contrat car ce n'était pas unealliance conclu en janvier 1631, assurait une pensionpour l'armée de 36.000 hommes du roi, qui avait tenu àétre traité d'égal à égal, sans ombre de « protection »comme but politique, tout en ménageant les scrupules descatholiques de l'Empire et surtout du due de Bavière, onfixait le statu quo ancien en Allemagne et la liberté de laBaltique. Quant aux protestants de la Basse-Saxe et àl'Electeur saxon, leur assemblée, très fréquentée, A Leip-zig évita de prendre tout engagement, mais non sansdécider de rassembler pour toute opportunité une arméeet de faire des remontrances h l'empereur. La prise deMagdebourg, affreusement pillée, ne mit pas en mou-vement ces princes limorés, qui se bornérent d'abord hdes promesses vagues. C'est cependant en défendant laSaxe contre les Impériaux que Gultave-Adolphe, décla-rant avoir été appelé par l'Electeur, gagna la victoire deLeipzig (15 septembre 1631), dans laquelle Tilly allaitpresque rester prisonnier. Puis, au lieu de marcher surVienne, ce fut le tour du cercle de Franconie qui futerwahi, en poursuivant Tilly ; on vit les Suédois pi-6s deMayence, puis en Alsace et dans le Midi de l'Allemagne.Le due de Bavière, dont les troupes avaient été reconnuesA Leipzig, dut conclure, pour se sauver, un traité avec laFrance, traité comprenant une promesse réciproque desecours militaires. Si Tilly parvint A. se refaire une nom-breuse armée, le roi de France en avait une autre A Metz,surveillant le duc de Lorraine, qui avait hébergé le frèrede Louts, Gaston, et lui avait donné sa sceur en mariage ;

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CHAPITRE XIII 337

des places lorraines furent occupées, et l'Electeur de Saxeentrait avec ses troupes victorieuses en Bohéme, bientôtacclamé A Prague méme.

Waldstein fut rappelé au commandement pour sauverVienne que le Saxon ne voulait pas menacer. Le roi deSuède était entré en Bavière, et vainement Tilly voulut-illui couper le passage au Lech : il perdit la bataille et futblessé à mort. La religion' protestante fut solennellementrétablie à Augsbourg. Ayant à ses côtés le Palatin exilé,le vainqueur fit son entrée A Munich, alors que Maximi-lien de Bavière se cachait dans Ratisbonne ; il disputasur la religion avec les Jésuites. Les efforts des Espa-gnols de retenir la France par l'attitude du duc de Lor-raine, bientôt réduit à une seconde soumission; et parl'entrée en France de Gaston, duc d'Orléans, frère du roi,avec une armée d'étrangers, recrutée à Bruxelles, qui futbattue à Castelnaudary, n'eurent pas de succès. Louisrétablit l'E/ecteur de Trèves, qui s'était mis sous sa pro-tection. Il y eut un regain d'offensive en Hollande, Gus-tave-Adolphe ayant négocié avec les Etats, et le secondfils de Guillaume d'Orange, capitaine-général aprés sonfrère Maurice, pénétra en territoire royal, se saisissant deMaestricht.

Mais Gustave-Adolphe s'arréta à Nuremberg et s'yretrancha, pendant que Waldstein faisait ses préparatilsde revanche. « Nous ne sommes pas si faibles que nosennemis le publient », écrivait-il cependant au roi deFrance 1. La Bohéme fut cependant perdue par l'hésita-lion et la duplicité des Saxons. Après s'étre rencontréBavière avec le due, Waldstein se tourna contre l'Electeurde Saxe qui avait des visées sur la Silésie. Le roi de Subleaccourut de nouveau pour défendre un allié suspect. IIconservait ioute sa fierté, à demi-barbare, et presque toutesa confiance- dans son étoile. Il courut dans la directionde Leipzig pour surprendre son adversaire. La rencontreeut lieu A. Liitzen. Vainquepr une seconde fois dans ces

I Le Vassor, ouvr. cité, VII, p. 336.

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338 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

régions, Gustave-Adolphe y trouva la mort (16 novembre1632). On le trouva sous un tas de morts, écrasé par lessabots de la cavalerie impériale.

Le chancellor Oxenstiern a pris aussitôt la direction del'armée, tout en assurant l'élection de la fille du roi dé-funt, Marie-Christine. Lieutenant-général en Allemagne,par décision des Etats de Suède, il fut créé capitainegénéral par une assemblée des protestants à Heilbronn,et, si l'Electeur de Saxe se réservait, celui de Brandebourg,qui poursuivait la possession de la Poméranie et escomp-tait le mariage de son héritier avec la nouvelle reine, nequitta pas l'alliance. Le traité avec la France fut renou-velé. Avec de nouvelles poussées du côté du Rhin, laguerre n'eut plus cependant le méme caractère que lors-que l'enthousiasme du-roi animait ses troupes. L'épopéesuédoise avait fini de fait avec son héros et protagoniste.De son côté, Waldstein ne révait qu'à sa propre élévation.Les armées suscitées pour la guerre des princes vivaientd'elles-mêmes et combattaient de plus en plus pour leurspropres intérêts. II fallut la trahison de ses généraux etla froide décision de la Maison d'Autriche pour qu'uneexécution par vole d'assassinat délivat Ferdinand II deson principal sauveur, devenu, comme aspirant à la Cou-ronne de Bohéme, l'ennemi le plus dangereux.

La France et l'Espagne, les anciennes rivales, étaientles seules à avoir des armées d'Etat, obéissantes auxordres des souverains et aux instructions de leurs pre-miers conseillers. C'était un fait essentiel de l'histoire, etla détermination des circonstances en viendra.

Comme le due de Lorraine avait accepté de mettre desgarnisons dans des places de l'Alsace et qu'il était publi-quement Pallid de Gaston d'Orléans, sorti pour la qua-trième fois du royaume, Louis XIII vint, en 1633, à latôte d'une armée, occuper les Etats de ce mauvais voisin.Nancy fut prise « en dépôt », le duc, séduit à une entre-vue, ayant été retenu sous garde. La population ne putpas s'empêcher d'acclamer son souverain malheureux

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CHAPITItE XIII 339

qui, après avoir cédé ses Etats à son frère, le cardinal,devint bientát un simple général au service de l'empe-reur. Ayant épousé contre la volonté de Richelieu la-sceur de la duchess() Nicole, le nouveau due fut réduit its'enfuir.

En ce moment, Gaston d'Orléans avait conclu avec leroi d'Espagne un traité formel pour son établissement-sur le trône de France, et il commençait par combattre,dans les rangs de ses amis et alliés aux Pays-Bas. Sur leRhin, les Espagnols, qui avaient essayé de régler lesaffaires d'Allemagne par l'envoi du due de Feria et d'ams-ner par l'intervention des Etats de Brabant la paix avecla Hollande, allaient capturer l'archevéque de Trèves,-protégé de la France, dont Richelieu avait désiré être lecoadjuteur A Spire 1. Une alliance formelle fut conclueentre la France et les Provinces Unies ( février 1635). Leroi se réservait, au partage des possessions de son beau-frère d'Espagne, le Luxembourg, les comtés de Namur etde Hainaut, l'Artois et la Flandre jusqu'à une ligne con--ventionnelle. Un autre traité, signé avec les princes alle-mands réunis A Francfort, donna au roi de France Phi-lippsbourg. On gagna l'amitié du nouveau due de Savoie,Victor-Amédée, dont le frère, Thomas, était cependantentré au service de l'Espagne, et celle du duc de Parme.Nenise et le Grand-Duc de Florence s'abstinrent, et le ducde Mantoue se déclara pour les Espagnols. On fit desouvertures au roi d'Angleterre qui, après avoir congédiéun Parlement après l'autre, gouvernait en monarqueabsolu, poursuivant le but de l'unification religieuse avecl'Ecosse sous la forme d'un anglicanisme habillé A lacatholique. Un ambassadeur fut envoyé au Danemark, enSuéde et en Pologne, dont le roi, Vladislav, venait de-vainere les Moscovites qui assiégeaient Smolensk etd'écarter la menace d'une invasion turque ; une prin-eesse du sang français, Marie de Gonzague-Nevers devaititre proposée au roi.

Il n'y eut cependant que des entreprises locales contre

1 Ibid., pp. 53-55.

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les Espagnols : dans les Pays-Bas, où les Français vain-quirent A Avein (mai 1635), pillèrent Tillemont et mena-cèrent Louvain sans avoir le concours loyal du princed'Orange ; en Italie, dans la Valteline. Le roi de Hongrie,,fils de l'empereur, et l'infant Ferdinand, nommé gouver-neur des Pays-Bas espagnols, ayant A leurs côtés le ducde Lorraine, commandant des troupes de la Ligue Catho-lique, avaient pu réduire Ratisbonne, battre les Suédoisde Horn et du duc de Saxe-Weimar h Nordlingen, ce quidevait amener A résipiscence les Electeurs de Saxe et deBrandebourg, alors que le roi s'était fait céder par lesprotestants Colmar et autres places alsaciennes et qu'onparlait de son projet d'aller jusqu'A Mayence, qui auraiteu la même situation que Trèves. Parallèlement avec lesopérations des Pays-Bas, et bien que la guerre n'efit pasété déclarée A l'empereur, des troupes importantes mar-chèrent du côté du due de Saxe-Weimar, du côté du Pala-tinat, un troisième groupe attendant sa destination. Avecles troupes d'Italie, tout cela représentait un formidableeffort, dont on ne cueillit pas les résultafs espérés. Cequi n'empêcha pas que les troupes du due de Saxe-Wei-mar, qui se fit attribuer par le roi quatre millions et pro-mettre le landgraviat d'Alsace, et celles du cardinal- LaValette ne fussent reconduites jusque vers Metz par lesterribles Croates et la cavalerie hongroise du généralimpérial Gallas. Heidelberg, Worms, Mayence étaientprises par les Impériaux. Le roi lui-méme, ayant convo-qué ses gentilshommes, s'avança jusqu'à cette frontièremenacée.

Il y en eut bien d'autres au cours de l'année suivante.Les forces impériales et saxonnes, qui avaient pris Mag-debourg, furent en effet battues par les généraux suédoisBanner et Torstenson, A Wittstock. En Italie, où le Mila-nais fut envahi pendant la querelle du duc de Parmeavec celui de Modène, on s'entendait tout aussi bien avecle duc de Savoie qu'on l'avait fait en 1635 aux Pays-Basavec le prince d'Orange. Le grand historien hollandaisGrotius constatait que « tout s'y perd par la discorde des

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chefs ». Une attaque du prince de Condé, dans la Fran-che-Comté (siège de Dôle) échoua. Le rejeton de Charles-Quint qu'était l'infant Ferdinand attaqua la Picardie etput avancer très loin sur la route de Paris, qui en futformement émue. Il se présentait en ami des Français,courbés sous les impôts, en restaurateur du catholicisme,en partisan de la reine-mère. Il y eut des symptômes derébellion, des Amiénois déclarant qu'il ne leur importequel maltre ils servent puisqu'ils sont réduits it la der-nière misère i ». Parfois, la garnison s'unissait lt la popu-lation pour livrer une place 2 fallut donner l'ordred'arrêter et de tuer les gouverneurs qui feraient mine devouloir se rendre 3. Le roi écrivait : « Bien que j'aie faitmunir toutes mes places qui sont de ce côté-lk de bonnombre d'hommes et d'autres choses nécessaires it unevigoureuse Meuse, je trouve si peu de cceur dans ceuxqui en ont la garde que je ne crois pas me devoir fiereux 4 ». Coibie, tout près de la capitale, fut prise, et onparla longtemps de l' « année de Corbie ». Il y avait quel-que chose de plus grave que la « licheté des troiscoquins » qui avaient livré les places 5. Les villes, lescorps constitués essayèrent 'Impossible pour rassemblerune autre armée. On fit du « frère ennemi » de Louis XIIIle commandant d'une grande arm& de récupération.Presqu'en meme temps on vit les Impériaux avec le ducde Lorraine se diriger vers Dijon et les Espagnols atta-quaient la Guyenne, tit les paysans essayaient une jac-querie, celle des nouveaux « croquants ». La seule éner-gie du vieux duc d'Epernon sauva cette province, dontles habitants n'étaient pas des plus stirs.

Mais cette année de crise fut suivie, malgré les ravages.ties Suédois au centre de l'Allemagne et des Impériaux

I Ibid., VIII', p. 364.2 Ibid., p. 374.3 Ibid., p. 375.I Ibid, p. 378.

Ibid., IX, p. 2:

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en Alsace (1639), par une époque de répit, l'empereurétant mort dès 1637 et son fils, récemment élu roi des.Romains, ayant des soucis du côté de la Hongrie, où s'étaitlevee la quasi-royauté transylvaine du vrai successeur deBethlen qui fut le prince Georges Rákòczy, appuyé sur les.deux pays roumains, Valachie de Mathieu et Moldavie deBasile. Il est vrai que les Turcs étaient retenus par leurscampagnes d'Asie, Bagdad ayant été attaquée (Ms 1630,Constantinople troublée ensuite par la révolte des préto--riens (1632), et, lorsque le terrible Sultan Mourad, rendufurieux par les humiliations qu'il avait souffertes, prit defait possession du pouvoir pour l'exercer personnelle-ment, la Perse ennemie, la Mésopotamie perdue sollici-taient son élan juvénile ; après avoir commandé en 1633.une armée d'un tout autre caractère que les janissaireset les spahis dégénérés, Mourad se dirigea vers cette Asieinsoumise en avril 1635 : Erzéroum, Tébriz furentreprises, et le Sultan fit dans sa capitale une entrée detriomphateur romain, casque d'or en téte, en « lion quia saisi sa proie D. Le lendemain méme,. laissant à ses.Vizirs le soin de compléter la conquéte, il se livrait A cesfréquentes libations qui devaient en faire une béte féroceet un fou furieux. 11 se détacha cependant de cette vieméprisable pour aller prendre Bagdad, qui fut noyéedans le sang de ses habitants (1639). Quelques semaines.plus tard il succombait A un accès d'alcoolisme, laissant.le trône A son doux frère incapable, Ibrahim, mais aussi

cet énergique Grand-Vizir Cara-Moustapha, qui devaitrecommencer la série des impitoyables guerres contre les.chrétiens comme telsi.

Après les transes de Pannée 1636, la .politique de laFrance se resserre. La Valteline est évacuée sous la me-nace des Grisons, travaillés par l'Espagne ; le due de-Parme fait sa paix avec le roi Philippe, remplaçant danssa capitale et dans Plaisance ses garnisons par celles

Gesch. des Osmanischen Reiches, III, pp. 457-479.

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médiateur, le Grand-Due de Toscane. On fut content depouvoir chasser des iles d'HyOes les mémes Espagnolsqui s'y étaient niches depuis des mois et d'empêcherune invasion de la Guyenne, où 10.000 croquants, pay-sans, soldats et male gentilshommes, conSidérés avecsympathie par les villes, avaient tout récemment levé ledrapeau de la révolte. Le due de Saxe-Weimar, qui setrouvait dans la Franche-Comte, discutait brutalementses intéréts et ceux de ses troupes avec ceux aux gagesdesquels il se trouvait ; se considérant comme un princeregnant, il avait garde le chapeau dans son entrevue avecLouis XIII. Le landgrave de Hesse-Cassel mourut aucours de l'année. La mort du duc de Savoie dégagea lesEspagnols de leur principal ennemi en Italie ; Christinede France fut régente au nom de son fils, étant capabletout au plus de resister aux ambitions de ses beaux-fréres, qui appartenaient à l'autre direction politique, etils finissent par l'assiéger dans la citadelle de Turin, alorsque la France lui demandait de fait la possession de sesEtats. Aux Pays-Bas, il n'y eut qu'une avance du até deCateau-Cambrésis et de Landrecies, pendant que le princed'Orange assiégeait Breda, qui fut prise. Les anciennesquerelles entre Français et Hollandais réapparaissaient,et l'idée d'attaquer Dunkerque fut done abandonnéeCambrai ne put étre surprise. Le cardinal infant et leprince Thomas de Savoie surent défendre la frontière desPays-Bas.

En 1638 les, Aièges de Saint-Omer et de Fontarabie neréussirent pas, et le projet du roi de se saisir de Hesdin,qui devait étre repris en 1639, et mené A bout, tout aussipeu. La « descente » du prince d'Orange s'arréta devantAnvers, et la grande victoire fut celle que remporta Trorapsur la flotte d'Espagne, quelques inois plus tard. Il n'yavait dans cette guerre languissante et coupée de négo-ciations stériles qu'un seul point vivant autrement quepour la vaine gloire des souverains et l'ambition des 016-raux d'armée : celui où combattait Bernard de Saxe-Weimar. Mais dans sa figure se dessinaient de plus en

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plus les traits d'un Waldstein ; il mégociait pour son pro-pre compte avec Banner et espérait se créer à. force devictoires un Etat lui appartenant en propre et qu'il auraitété tout prét à défendre contre le roi de France lui-méme.Sa mort seule, en 1639, au milieu de ses plus grandssucces, unis à ceux des Suédois, mit fin à une brillanteaventure personnelle.

Le testament du duc de Saxe-Weimar précisait que sesconquétes restent à l'Empire germanique dont il n'avaitjamais entendu se séparer ; .les Français, aussi bien queles Stiédois, ne seront que rappui indispensable pourl'un ou pour l'autre de ses frères. En tout cas, il y aurades Allemarids dans les garnisons qui dépendaient du roide France et celui-ci ne pourra pas retenir le pays à lapaix. Mais les officiers de cette armée presqu'autonorneavaient aussi voix au chapitre ; ils se vendirent au roi,qui gagna le droit d'employer cette armée à la place quelui indiquerait son seul intérét.

Les troupes françaises combattirent en Italie pour cou-ronner l'influence du roi sur le Piémont (victoire deCasale, prise de Turin). et dans les Pays-Bas (prise d'An-vers), au cours de cette année 1640 qui vit la révolte dela Catalogne pour les privileges, celle du Portugal pour laroyauté nationale du duc de Bragance devenu Jean IV. etla surprise tentée par les Suédois de Banner et les Fran-

is de Guébriant contre la Diète de Ratisbonne. Maisn'y eut rien d'important du até du prince d'Orange, etl'armée nouvellement acquise avait perdu avec son cheftout son bel élan ; les « directeurs » allemands étaientplut6t disposes à se réunir à leurs coreligionnaires sue-dois. La mort de Banner, dont hérita son camarade Tors-tenson, mit terme pour quelque temps aux entreprisesde cette autre armée travaillant pour son propre compte.Le maréchal de Guébriant se détacha des allies de laFrance pour conduire des campagnes pour lesquellesportait seul sa responsabilité.

L'épuisement était venu, et pour tous, sauf ceux -qui,s'étant formes par la guerre, vivaient pour et par elle.

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Torsteuson se promenait presque librement h traversl'Allemagne, en dépit des troupes de Piccolomini et del'archidut Léopold : tantôt il prenait Olmiitz, fonçantsur Vienne, tantôt il assiégeait Leipzig, battait les Impé-riaux et entrait dans la ville (1642). Dès 1641, on. avaitcommencé à Minster les négociations entre les Impé-riaux et la France unie aux Etats de Hollande, à Osna-brfick entre les mêmes et la Suède avec ses alliés. Pour lesEspagnols seuls, harcelés de tous côtés, aux Pays-Bas, auRoussillon, en Catalogne, oft on combattit pour Tortose etTarragone, pour Barcelone, les Catalans se faisant rece-voir, sous l'égide de Charlemagne, par le roi de France,tt en Portugal, en Italie mérne, oft de temps en tempsparaissait au jour une nouvelle intrigue pour les en chas-ser, la guerre était un devoir, un point d'honneur, auquelA aucun prix on n'entendait renoncer. Sans oublier lescontinuelles attaques de la nouvelle flotte française con-fiée au cardinal de Bordeaux, Sourdis, qui débarquaun certain moment des troupes en Sardaigne et fit sonapparition dans le golfe de Naples, avant de perdre labataille navale de Tarragone, qui mit fin h sa carrière degénéral des galères.

Richelieu mourut le 4 décembre 1642, mais sa poli-tique fut fidèlement continuée par le roi, qui appela dansson Conseil le disciple du cardinal défunt, l'Italien Maza-rin, jadis chargé de fonctions médiatrices entre la Franceet ses adversaires, et qui s'était gagné par l'appui fran-çais la robe de cardinal. Dans la déclaration qu'il fit ins-èrire au Parlement, Louis, qui éloignait de toute fonctionet surtout d'une éventuelle régence son frère, tant de foistrafire et rebelle, il avait plus récemment conclu untraité avec l'Espagne, et cependant la mesure fut retirde,

se montrait « résolu de conserver et entretenir tous lestablissemens que nous avons ordonnez durant son minis-

tère et de suivre tous les projets que nous avons arrkezavec lui, pour les affaires du dehors et du dedans denotre royaume, de sorte qu'il n'y aura aucun change-

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ment ». « La Cour étoit aussi soumise aux volontez ducardinal de Richelieu apres sa mort qu'elle l'avoit étédurant sa vie », écrit le due de la Rochefoucauld 1.

A la mort de Louis (14 mai 1643), Anne d'Autrichedevait avoir, d'apres la « tres expresse et dernière vo-lonté » du roi defunt, la régence conjointement avec Gas-ton d'Orléans, auquel son frère avait enfin pardonné, etavec la participation d'un Conseil dans lequel Mazarintenait le second rang après le prince de Conde. Les exi-les, le duc de Beaufort et son père, le duc de Vendôme,bAtard de Henri IV, étaient revenus, et chacun escomp-tait son rôle dans la conduite des affaires. Or, Annefinit par s'entendre avec Mazarin, qui fit casser le testa-ment de Louis pour donner a sa seule veuve la régence.Le cardinal avail promis à la reine une attitude plus con-fiante à regard de l'Espagne.

Mais Philippe IV, qui venait de congédier son vieuxministre, Olivarez, et prétendait régner seul, n'entendaitpas finir à son désavantage ce long et sanglant &bat. LesEspagnols entrerent aussitôt en Champagne ; les princesdurent etre charges de la defense du royaume, et le filsde Conde, le duc d'Enghien, réussit l les battre en mai1643. Comme la mort du maréchal de Guébriant, com-mandant des troupes saxonnes à côté de Torstenson, maissans pouvoir collaborer avec les Suédois, par jalousieréciproque, laissait le corps employe en Allemagne sanscommandant capable et jouissant de prestige, on yenvoya le vainqueur de Rocroy et le vicomte de Turenne,de la Maison dépossédée de Bouillon, qui s'était déjà dis-tingué au den. du Rhin. Ils combattirent contre le suc-cesseur de sang français du Wallon qui avait ité Tilly, lecomte de Mercy, qui fut battu à Fribourg-en-Brisgau, cequi permit la conquete de Philippsbourg et meme deMayence. En 1645, les mêmes remporterent à Nordlingenune seconde victoire contre Mercy, qui y fut tué. Enfin

I Mémoires. a. Le Vassor, ouvr. cité, X, pp. 726 et suiv.

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CHAPITRE XIII 347

l'année suivante fut employée A réduire les Espagnols,qui perdirent Courtrai et méme Dunkerque, le duc d'Or-Mans réparant ses ancierfnes erreurs par ces grands suc-cés contre les alliés de sa mauvaise fortune ; moins.heureux, Condé n'arriva pas, en 1647, A réduire Leyde, etil s'en vengea en gagnant, en aofit 1648, la victoire deLens. L'Italie avait été aussi envahie, le royaume desDeux-Siciles étant presque conquis par le nouveau duc deGuise, qui devait cependant étre pris, aprés une longue etvaillante défense, dans Naples.

Se valant des troubles de France, les Espagnols, battuscependant A Réthel en 1650, continuèrent une guerresans perspectives. S'ils réussirent A reprendre la Cata-logne, les talents du nouveau don Juan d'Autriche, fils.de Philippe IV et d'une comédienne, biented vainqueursur les Français A Givone, y aidant; s'ils gagnèrent Gra-velines et Dunkerque en 1652, s'ils firent lever, en 1655, lesiège de Pavie, fait par les Français, pour: leur nouvelallié, le due de Mantoue, ils n'avancèrent pas contre-Turenne dans les Pays-Bas, et, A la suite de la bataille deMardyk (1657), la Flandre sera envahie par les Fran-çais : la bataille des Dunes avait été perdue par don Juanen 1658, et ceci donna Dunkerque aux alliés anglais. Lapaix ne viendra qu'après la prise de Gravelines, d'Oude-narde, de Menin et après l'apparition des Français et des.troupes de Savoie dans les environs de Milan en 1659'(7 novembre).

Elle confirmait les traités de Westphalie, conclus dès lemois d'octobre 1648 entre l'empereur Ferdinand III ettous ses adversaires.

L'Empire échappait A la main-mise des Autrichiens,.dont la monarchie ne pouvait donc exister que dans leslimites plus étroites des pays héréditaires. Une paritéabsolue était reconnue, non seulement au luthéranisme,mais au calvinisme aussi, avec la religion catholique,pour laquelle tant de sang avait été versé et tant deruines s'étaient accumulées. Le fils errant du malheureux

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348 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Palatin et roi de Bohéme regagnait sa voix électomale,avec une partie de son heritage territorial. Les villeslibres, qu'on avait espéré pouvoir confondre dans lasituation générale, les sujets participaient aux Diètes Aate des princes. Pour le reste, la Bulle d'or demeuraiten vigueur.

Alais, your regagner la paix, cet Empire resté dans sathrysalide médiévale, avec un chef électif et irréel, avaitda abandonner des lambeaux précieux de son territoire,alors que l'Electeur de Brandebourg, qui, de fait, n'avaitrien sacrwe pour le triomphe de la cause protestante,s'établissait à Kammin et à Minden, de mein& qu'à Hal-berstadt, en attendant Magdebourg aussi, la Suede con-servait les iles conquises par Gustave-Adolphe, Riigen etWollin, puis Wismar, les archevéchés de Brême et deWerden, qu'elle avait brigués des le commencement, ets'annexait, le due de .Poméranie étant mort, la plupartdes Etats de ce dernier, avec Stettin. Reconnaissant Stras-bourg comme virile libre, la France retenait l'Alsace, laLorraine ne devant revenir que plus tard, amputee duduché .de Bar et du comté de Clermont, au due Charles,l'homme A deux femmes, qui était venu depuis longtempsfaire penitence devant le roi. Les Habsbourg admettaientl'independance des ligues suisses et l'Empire renonçaità ses droits sur les Provinces Unies.

L'équilibre europeen avait gagné une autre base. Ondevait s'apercevoir bientôt qu'elle était bien fragile pourpouvoir resister aux monarchies absolues formées enOccident ou suscitées dans l'Europe centrale et orientalepar cette guerre de Trente ans.

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CHAPITRE XIV

La royauté par les ministreset la lutte vers une nouvelle liberté.

Pendant cette longue et douloureuse lutte qui ruinaaussi bien les pays germaniques, foulés aux pieds, quela fière Espagne, des phénomènes du plus haut intéréts'étaient produits dans la vie intérieure des Etats euro-péens.

D'un côté, les nouvelles royautés de droit divin etd'attributions sans bornes qui cherchent h imposer leurautorité dans tous les domaines, niant ouvertement toutprincipe qui pourrait les en empacher et prates h envoyerit l'échafaud toute individualité qui oserait s'opposer, setransforment pour pouvoir soutenir le lourd fardeau de-l'administration intérieure qu'elles réclament, et, a l'ex-térieur, il y a les crises provoquées par la grande m8léedes nations.

Comme il n.'y a pas h. Constantinople, avant et après lecruel Mourad, de grands Sultans, de méme, dans lemonde chrétien, les rois sont d'une taille très médiocre.Ils n'ont nr « la sagesse » d'un Louis XI et d'un Ferdi-nand le Catholique, ni la solennelle grandeur d'unCharles-Quint, ni rénergie d'un Frangois I", ni la bon-hommie souriante et amèrement narquoise d'un Henri IV,ni même la calme majesté froide d'un Philippe II. Sil'empereur Ferdinand II eut une confiance absolue dansla mission providentielle qu'il aurait regue d'extirperl'hérésie et de réaliser l'unité catholique, son fils, néd'une princesse bavaroise, était d'une trempe beaucoupplus faible, prêt h toutes les concessions qui lui auraient

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laissé le loisir de mener une vie tranquille dans sonpalais de Vienne.

Aucun des princes germaniques qui le soutiennent oule contrecarrent dans son ambition, le mol Electeur deSaxe, le Bavarois aux aspirations brisées, mame les Bran-debourgeois, Georges-Guillaume, qui se laisse terroriser,mais pas aussi utiliser, même exciter pour son propreintérêt, par l'essor suédois, et son fils, Frédéric-Guil-laume, dont on a cherché à faire une grande personnalité,n'est d'une essence supérieure. Combien humiliante estl'attitude du prince danois qui regarde avec indifférencela cause qu'il avait pris sur lui de défendre, allant ensuitejusqu'à un conflit territorial avec la Suède, dont le roiprenait le rôle abandonné par son voisin ! Seul dans leNord ce roi de Suède, Gustave-Adolphe, plein de foidans sa religion, dans sa race et dans ses propres talents,qu'il laisse magnifier dans ses manifestes, se présentantcomme un nouvel Alexandre, rend-il le type du monar-que-héros, commandant ses armées, réglant Ses affaires,poussant jusqu'au bout, jusqu'au sacrifice dans la mêlée

devait mourir, l'accomplissement intégral de sesdevoirs envers la couronne.

Dans le même camp que l'empereur, la royauté d'Es-pagne, apparentée, fait sous Philippe III une figure pres-que modeste, pour que, s'élevant à des prétentions exor-bitantes sousPhilippe IV, qui se fait intituler « leGrand », elle ne témoigne pas de plus hautes aptitudes.Les princes italiens sont des jouets entre les mains desvoisins plus puissants : seule la figure de l'opini'atreCharles-Emmanuel de Savoie, rêvant de la royauté ita-lienne à Milan, du sceptre impérial et de la tiare, offre-t-elle, malgré la mauvaise chance continuelle qui pour-suit ses efforts, du relief. Les Papes eux-mêmes ne rap-pellent ni la féroce volonté d'un Jules II, ni l'amour pourles arts d'un Léon X, ni même les aspirations larges, lesfiorissantes réveries d'un Clément VIII. Tour à tour,

Français » ou « Espagnols » de politique, ces Romainstomme Barberini, ces Florentins comme Urbain VIII,

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CHAPITRE lay 351

poursuivi par le souvenir de sa petite patrie, ne repré-sentent que de nom cette autorité suprême du mondecatholique dont l'intervention dominatrice avait si forte-ment contribué cependant à l'explosion du conflit. Onsourit lorsqu'Urbain proteste contre ces traités de West-phalie que sa politique avait contribué à préparer. Onavait défendu au cardinal de la Valette, commandantd'armée, de collaborer avec un prince hérétique.

Laissons de côté pour le moment la Pologne, dont leroi, Vladislav, resta jusqu'au bout un guerrier, reliant deByzance, après avoir perdu Moscou, alors que son frère,époux de la même rincesse de Nevers, Jean-Casimir,prisonnier des Impériaux, client du roi de FranceParis, courtisan de Ninon de Lenclos, moine avant d'arri-ver au trône, annonçait un regne de decadence et deliquidation. A l'autre bout de l'Europe, le fils de JacquesStuart, Charles, prince honnéte et doux, ayant la con-science de son devoir royal, mais contrarié par une fem-me impérieuse, Henriette, la fille de Henri IV, et mal con-seine, ne présentera que le lamentable spectacle d'unevolonté qui cherche à s'affirmer, qui brave et brise, maistombe ensuite au premier danger reel, dans l'indécision,dans les affres d'une Arne timorée, pour passer par toutesles concessions avant d'arriver à des actes de désespoir etau martyre sur l'échafaud.

Le fils de Henri IV, qui règne sur la France n'a ni lesqualités de franchise et de générosité de son père, ni lasoif d'action, la chaude passion de dominer qui, jusqu'àson exil final en Allemagne, jusqu'à sa triste mortCologne, distinguaient sa mere, restée une Florentine tor-turée par l'ambition et l'intrigue. Louis XIII se défie deson frere, capable d'être employe par toutes les intrigueset joué jusqu'au crime par toutes les folies ; il n'aime pasla reine, qu'il croit capable de se jeler dans les bras deGaston, de trahir pour sa premiere patrie les intérêts dela France, et qu'il juge, en plus, absolument incapable.de juger une situation politique et de prendre une reso-lution raisonnable.; il veut des favoris autour de sa

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pauvre vie de perpétuel valétudinaire, mais il est prat Ales sacrifier, comme il l'a fait avec son grand écuyer, lcnoble Cinq-Mars, de méme qu'en agit son beau-frare d'An-gleterre à l'égard de l'innocent Strafford, exécuté ; il estdans sa jeunesse un chasseur passionné et dans sa matu-rité il aime conduire les. armées, poursuivant unegloirede général, mais la défaillance de son misérable corpsl'arrate au milieu de ces élans ; il traite son Parlementavec la dernière rudesse, mais se montre inepte A sepasser du concours de ces corps constitués, qu'il ne res-pecte pas. Une Cour nombreuse l'entoure, et cependant,au cours de sa maladie, tel de ses officiers « a une peineextrame de voir un roi, au milieu d'un si grand nombred'officiers, beaucoup plus mal servi que le moindre bour-geois de Paris ». 11 leur faut à tous des « vizirs », lesministres tout-puissants.

Ils ont la charge et la responsabilité de l'Etat. Khleslinaugure cette politique de la Maison d'Autriche qu'onne lui permit pas de diriger, étant réduit après son arres-tation à mener une modeste vie A. Rome, dans son hôtelde cardinal. Son manteau rouge ne l'a pas garanti del'insulte des courtisans dans le pays le plus catholique del'Europe, alors que d'autres souverains que l'empereurchoisirent de préférence les princes de l'Eglise à cause decette dignité ecclésiastique qui leur donne un prestige deplus, arrétant l'insulte et intimidant même, A une époquede complots, la main des assassins. Si Waldstein avaitété plus discipliné dan's la poursuite de ses grands pro-jets, s'il avait eu la prudence de ménager ceux qu'il seplut à blesser de son orgueil et de provoquer par ses pré-tentions, il eat été le majordome » dont avait besoinson souverain. L'Electeur de Bavière fit sa guerre Out&par les talents de Tilly, de mame que l'empereur se repo-sait sur le b-rillant aventurier qu'il fit tuer ou bien surla technique savante d'un Mercy. Plus tard, Léopoldse livra entièrement A la direction du prince de Portia,après l'hégémonie du cardinal-duc de Lerme.

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CHAPITRE XIV 353

Pendant vingt-deux ans, le vrai roi à Madrid fut leo comte-duc » Olivarez. Son orgueil était arrivé à détruirela splendeur d'une Cour de si brillantes traditions. Onne voulait pas se mettre en danger sous le regard soup-conneux du tout-puissant ministre et on abandonnait leroi. Les faibles rivaux de Lerme et d'Alba furent impi-toyablement ruinés, le due de Medina Sidonia réduitpires rétractations. La reine Elisabeth se voyait inter-dire tout rôle, et les deux frères du roi étaient traités entolérés ; Olivarez occupait les meilleurs appartements aupalais, et il avait donné comme gouverneur à l'héritierdu trône, le prince Balthazar, son propre batard à lui,convert de toutes les hontes, auquel il avait réussi à faireépouser la fille du connétable de Castille.

Le Jésuite Monod conduisit la régente de Saloie, Chris-tine ; dans les autres petites Cours italiennes on pouvaitdécouvrir un pareil ressort de toute action.

Dans les pays du Nord, le chancelier suédois Oxens-tierna, gouverneur du royaume après la mort de son roi,eut des attitudes de monarque, et ce fut à sa volonté quela petite reine Christine, élevée de faeon it en faire unehommasse et un monstre d'érudition en méme tempsqu'une cynique esclave de ses passions, dut d'avoir héritédu trône de son père.

Les exemples les plus éclatants de ce surrogat deroyauté se virent en Angleterre et en France.

Buckingham avait été pendant de longues années celuiqui décidait tout mouvement du roi Jacques ; le roiCharles en hérita et, après l'assassinat de ce favori quiétait l'unique vrai ministre du royaume, d'autres jouirentde la méme confiance absolue. Tel fut le cas de Straffordet surtout de cet évéque anglican de Londres cardinal »de son pays, grand trésorier aussi, qui fut Laud, espritéclairé, volonté bien intentionnée, dont les mesures im-prévoyantes dans le domaine si &Beat des formes reli-gieuses déclenchérent une tempéte que le roi ne put pas&miner.

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354 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

En France, la reine-mère aurait volontiers gardé lepouvoir, qu'elle laissait exercer par l'Italien Concini dontses adversaires se débarrassèrent par un assassinat, pres-que sous les yeux du roi, pour que le pauvre corps, ense-veli furtiven-lent, filt déterré, pendu, écartelé, rôti etméme mangé par une foule inconsciemment furieuse ; safemme, maRresse jusque-là de l'esprit de la reine, serabrûlée comme sorcière. Le due de Luynes, qui avait orga-nisé cette tragédie, n'échappa que par sa mort prématu-rée à un sort pareil. Alors un ancien serviteur de larégente et qui persévéra longuement dans la situationd'un fidèle client, prét à payer de ses risques et périls sondévouement, l'évéque de Lue,on, Richelieu, entra peupeu, comme on l'a vu, dans l'intimité du souv,erain. Mem-bre du Conseil, il le domine bientôt absolument. Sans quele roi eut nullement renoncé à intervenir personnelle-ment par ses mandements et ses lettres et lui laissantl'illusion que la politique de la France résulte d'une col-laboration à titre de parité, ce prélat, bientôt magnifié etgaranti par la pompe cardinaliee, fut la source de toutefaveur, l'auteur de toute disgrâce et l'initiateur de touteaction.

Il fut le successeur des amiraux et des connétables,le chef supréme des nombreux maréchaux nommés,employés, converts d'éloges, arrétés et parfois décapi-tés, « intendant » de la navigation et ' du commerce,

due et pair », « cousin » du roi. On lui donnait le passur les princes, qui le reconduisaient jusqu'à son carosse.Une garde royale l'entourait, il avait ses livrées, et des_pages de chambre le servaient. La coutume s'était intro-duite, lorsqu'il recevait au lit, de « baiser le drap ». Letransportant, malade, sur les épaules des porteurs, &con-verts sous la pluie, on pratiquait des brèches dans les.murs des villes, dans les murailles des logis pour pouvoirintroduire sa magnifique litière. Il n'y avait pas

d'homme de qualité » venu pour lui présenter sescompliments » qui ne se sentit honoré lorsque, de&

lèvres fines du mattre, tombaient à son adresse les froides.

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CHAPITRE XIV 335

paroles usuelles : « le serviteur très humble ». Après samort mane, l'instinet d'obar A son souvenir resta. « Ri-chelieu », dit un contemporain, « fut assuré de régnerbien plus absolument après sa mort que le roi, son maitre,n'avait pu faire depuis trente-trois ans qu'il était parvenuA la couronne. »

L'action de ces ministres était servie par tout unmonde de négociateurs envoyés de tous côtés, ayant desqualités différentes, chez les meilleurs amis et mane chezles pires ennemis 1, qu'on espérait néanmoins gagner,car, malgre l'antagonisme des religions, la rivalité desEtats, la querelle des dynasties et les haines, les enviespersonnelles, il y avait toujours du flottant dans cettesociété si mêlée et si variable. Jadis, on avait employé desdiplomates pour rédiger les traités ; il y en avait dês lexv° siècle pour les préparer quelquefois, pour les romprele plus souvent, pour les interpréter dans un autre senspresque toujours. Maintenant, tout est au gré de cesagents, qui cherchent A se faire valoir par les suprêmesraffinements de l'intrigue. Des masses énormes d'instrue-tions, de projets, de rapports s'accumulent dans les chan-celleries, et seul le ministre qui tient les Ills est capablede s'orienter dans eette paperasserie encombrante, pourl'histoire aussi bien que pour les contemporains. Sansla diplomatie, la guerre de Trente ans aurait commencépeut-être ; sans son action, enveloppant dans sa trainetous les pays de l'Europe, jusqu'en Transylvanie, A Cons-tantinople, A Moseou, elle ne se serait pas sans 'doute pro-longée, et une meilleure paix serait résultée peut-êtred'une brève discussion entre les généraux qui étaientcependant eux aussi des négociateurs.

La langue elle-même, surtout l'italien et le français,plus fréquemment employés, s'affine pour rendre les

I On offrit it un certain moment it l'archiduc Ferdinand de luidonner une illle de Gaston et de l'aider it etre le souverain desPays-Bas. On disait que les u negociations sont des remédes inno-cents qui ne font jamais de mal e.

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356 ESSAI DE SYNTHkSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

nuances les plus subtiles de la pensée, la Cour, avec sesriens élégants, le duc de Beaufort le plus honnête hom-me de France était décrié pour ne pas s'y entendre, yaidant essentiellement et la dignité espagnole, le sens tou-jours irrité de l'honra, de l'honneur, s'y ajoutant. A uneépoque oil dans les ruelles dominées par l'esprit alam-biqué de Mlle de Scudéry, « voyageuse » en imaginationdans le « Pays du Tendre », on cherchait de nouvellesformules pour les initiés et, en méme temps, l'emphasecastillane se réunissait à la logique de barreau des Nor-mands pour donner le theatre de Corneille, tel exile surses terres recevait de la part du roi un billet de cgttefaçon : « Je suis faché que la mauvaise conduite de votrefils et quelques avis que j'ai reçu de Guienne me donnentlieu de vous dire par la présente lettre que je desire quevous quittiez le séjour de Plassac où vous étes et que'vous alliez à Loches 1. » Et la recompense s'annonce decette façon à un general victorieux, promu maréchal« Vous avez su vous servir si à propos de votre epée queje vous envoie un baton pour marquer du contenternentque j'en ai. »

La Cour espagnole Rail en pleine decadence ; les sei-gneurs revinrent auprès du roi seulement après sa deci-sion d'éloigner Olivarez, qui mourut en exil à Toro, et de« régner seul ». Il n'y avait pas de Cour proprement diteautour de l'empereur, qùi n'employait que des subor-donnés, répartis par « Conseils » et par bureaux. EnAngleterre, on regardait avec jalousie les quelques damesfrançaises amenées par la reine Henriette.

Dans tous ces pays, il y avait une noblesse, mais elle&all ou bien écartée des affaires ou bien totaiement appri-voisée.

Il en était autrement en France. Ici, malgré les brechesfaites par les guerres de religion, les grandes et les petites

Ou bien, dans une autre lettre : o Je vous prie que vous vousretiriez n.

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CHAPITRE XIV 357

familles paraissaient encore au complet. De splendidesexemplaires d'humanité que ces seigneurs ayant toujoursle mot pour plaisanter, pour (Wier, pour défendre leurdignité personnelle, un peu guindée, par l'influence quivenait par-dessus les Pyrénées. « Je ne veux pas chica-ner sur ma vie », disait Montmorency it la veille d'unesentence capitale. Tel, devant le tribunal, répondait a unmagistrat, ancien page dans sa famille, qui lui demandaitson nom : « Mon nom ? Vous devez le savoir. Vous avezmangé assez longtemps le pain de mon père », et, it cequ'il appelait devant l'échafaud « la grande journée ,,, ilcondamnait « cette chair qui voudroit se soulever ».« Voici le reste de *ma fortune qui s'achève de batir »,murmura Saint-Preuil devant le bourreau. La fin de Cinq-Mars, embrassant son ami et complice de Thou, fut admi-rable : « Qu'ai-je fait pour Dieu en ma \ ie » disait-il,« qui m'ait pu obtenir la grace gull mlaccorde aujonr-d'hui, de mourir avec ignominie pour passer plus tôt h lagloire ? » Pas un mot contre le « juste » roi qui leurrefusait sèchement la grace.

Mais cette noblesse, d'une si élégante attitude, d'unesi noble tournure de phrase, était brutale a l'égard dequiconque n'était pas de leur condition. Deux fois l'ar-chevéque de Bordeaux, qui fut aussi un hardi amiral, futmenacé de la canne-et bousculé par le duc d'Epernon,gouverneur de la Guyenne, qui s'attira l'excommunica-tion, et par son associé au commandement de la flotte. Lesparoles de loyauté envers le souverain étaient souventsur les lèvres. Le méme vieil officier répondait A des inci-tations a la révolte « qu'il aimoit mieux demeurer dansl'oppression que de s'en tirer en troublant le repos del'Etat et en ajoutant les malheurs d'une guerre civile Ala misère du pauvre peuple ». C'était cependant uneexception. Chaque allié de la dynastie, chaque gouverneurayant le droit de lever des troupes, chaque personnagequi se sentait a de la naissance » ne souffrait pa s un mo-ment ce qu'il considérait comme de l'ingratitude pourdes services qu'il n'oubliait jamais. Its se prétendaient en

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358 ESSAI DE SYNTHRSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

danger à une époque où les plus hautes Wes pouvaienttomber et se déclaraient en Rat de défense naturelle,s'exilant, passant à l'ennemi, engageant une armée, tail-lant les troupes royales ; pour « se remettre dans ledevoir » et recommencer à la première occasion, ilsdemandaient d'abord des « places de sfireté », puis deshonneurs et des revenus. Le comte de Soissons et le ducde Bouillon, qui n'en étaient pas à leur premier essai,gagnèrent la bataille de Marfée en pleine guerre étran-Ore (1641), le premier restant, heureusement pour leroi, sur le champ de bataille ; Louis voulait absolumentqu'on fasse le procès au corps de « Monsieur le comte ».Un de Guise fut décapité en effigie et revint néanmoinsdans le royaume.

Richelieu dut combattre pendant une vingtaine d'an-nées contre une formidable coalition, allant de la mèreet du frère du roi jUsqu'au dernier des membres de cetteCour, agitée sans cesse d'appétits et de revanches.passa par toutes les épreuves et avala toutes les humi-liations pour en arriver à étre tellement le maltrequ'après sa disparition même, personne ne bougea.

Et ce n'était pas la seule résistance à Iaquelle il sebutta. La forme légale de l'opposition à l'absolutismeroyal exercé par les ministres aurait été celle desanciennes compagnies de magistrats. On continua à leurinterdire toute immixtion dans la politique. A ceux quitranscrivaient tour à tour les plaintes de Marie de Médi-cis ou de Gasthn et les ripostes du roi on disait tout sim-plement : « il ne vous appartient pas de raisonner surce que Sa Majesté vous commande ». On entendait mémela voix du ro-i, au cours de la séance méme, lorsqu'il jetaitson chapeau empanaché sur la table, ou bien à la Cour« Vous me désobéissez toujours. Je suis fort mal contentde vous. Je hais ceux qui disent que je ne puis faire leprocès aux dues et pairs que dans le Parlement. Je veuxétre obéi et vous ferai bien connaltre que tous les privi-lèges sont fondés sur un mauvais usage. Qu'on ne m'en

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CHAPITRE XIV 359

parle plus désormais... Mélez-vous uniquement des chosesLie votre ressort ; je saurai bien gouverner monroyaume 1. » A défaut de ce moyen de manifestation, onen trouve bien souvent de plus mauvais.

Le comte de Soissons s'était adrbssé, dans sa révolte,aux maires, échevins et habitants des villes de sa pro-vince, leur demandant de « réfléchir sur le traitement

reçoit ». Le Parlement de Rouen refusa une foisd'enregistrer les edits, et le peuple ne voulut pas .four-nir un emprunt ; il fallut que le chancelier entre dansla ville, avec des gardes françaises, des Suisses, des sol-dats d'infanterie et de cavalerie (1637). Les paysans selevaient contre les agents du fisc et le mauvais gouverne-ment : « les croquants » en Perigord, Quercy, Agenois, aunombre de 10.000, un gentilhomme à leur téte et avecla complicité des villes (méme année), les « va-nu-pieds »en Norm.andie, où le chef de 20.000 rebelles était unpretre (1639). Il arrivait que des regiments passassentaux seigneurs en révolte ou refusassent de marcher con-ire l'ennemi (rebellion du comte de Soissons ; siege deFontarabie).

Apres la mort de Louis XIII, sous la régence d'uneetrangere defendant le tr6ne d'un garçon de cinq ans,Louis XIV, ce mécontentement devait prendre des formestonstitutionnelles plus expressives et plus hardies. Uneinfluence étrangère avait galvanise les corporationsengourdies sous la menace. Mais, avait d'arriver A cemoment critique de l'histoire de France, d'autres mani-festations de l'ancien esprit populaire attirent naturel-lement l'attention.

Il n'y avait pas une seule Espagne, mais plusieurs, et,si d'autres royaumes avaient oublié leurs privileges, cen'était pas la Catalogne. Foulée aux pieds par les réqui-

Le Vassor, ouvr. cite, VIII', p. 142 ; IX1 p. 145. Les conseillersdu Parlement et de la Cour des Aides s'empoignérent pour desplaces A un service religieux solennel dans la cathédrale de Paris.

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360 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

sitions pour l'armée qui combattait contre les Français,contrainte de donner des logements à ces Castillans etNapolitains, forcée de fournir des recrues pour l'Italiepour y « apprendre mieux leur devoir », regardant seséglises qui brillaient, elle se valut de l'excommunicationde ses évéques contre ces hates indésirables, puis serévolta. Le vice-roi fut tué à Barcelone, dans la mêlée. Laroyauté, qui avait convoqué deux fois les Etats de laprovince, en 1626 et en 1632, et en avait été toujoursmécontente, essaya de timides concessions. On passa par-dessus pour penser A une république et finir par la sou-mission à la France, lui offrant un -contingent bénévolede 5.500 soldats. Les royaux durent combattre à Tortoseet A Tarragone, a Barcelone même. Il y eut un momentoÙ on put croire que l'Andalousie suivra cet exemple:

Le Portugal, considéré encore comme un royaume, avecMarguerite de Mantoue comme vice-reine et Vasconcelloscomme principal ministre, et sur lui retombait tout le.mécontentement populaire, était traité en pays con-quis. Le commerce des Indes portugaisei. avait été engrande partie détruit, ou bien par les Hollandais, oubien par la concurrence des possessions espagnoles. Lesrevenus du royaume éaient le plus souvent dorm& it

des étrangers, l'évêché de Viseu étant possédé par l'en-fant, âgé de trois ans, de l'archiduc Léopold. On demandapour la garde de l'Espagne 6.000 recrues de ce pays. Les.descendants des anciens rois, très riches encore et entou-rés d'une nombreuse suite de clients et de serviteurs, leduc de Bragance, fils du duc Théodose, lui-même descen-.dant de la princesse Catherine, puis le marquis de Vil-lareal, le duc d'Aveiro, vivaient cians leurs chateaux etleurs hatels, sans participer à l'administration.

Lorsque les Français transportêrent la guerre en ter-ritoire espagnoi, il y eut un espoir de délivrance. Jeande Bragance, qui était cependant marié A une Espagnole,quitta sa résidence de Villaviciosa pour paraitre pom-peusement à Lisbonne, où le peuple l'acclama. On voulutse rendre maitre de sa personne, et il fut impérieusement

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CHAPITRE XIV 361

invité A Madrid pour une mission. On traina en longueurson départ, et les conspirateurs se donnèrent rendez-vous.au palais gardé par les Allemands et les Castilians, pen-dant que l'archevéque, rival de l'évéque de Braga, parti-san des étrangers, priait dans la cathédrale pour le suc-cès de rentreprise. Il y eut peu de victimes, entre les-quelles, bien entendu, le ministre hal.

Jean IV fut proclamé aussitôt, et on n'eut pas pas lemoyen de le déloger. L'année suivante, Villareal et sonfils, dénoncés comme conspirateurs, furent cependantex4cutés 1.

Les perspectiVes ouvertes par une guerre difficile pourla couronne espagnole firent réapparaitre aussi les ten-dances vers l'autonomie des possessions royales dans le-Midi italien.

Il y eut d'abord it Palerme, souffrant de la famine, unmouvement populaire. Le chef en fut tué par les pè-cheurs de la inéme ville. Sous le poids de mesures derépression, on se souleva de nouveau. La rébellion secommuniqua au royaume de Naples, et ce fut encore unpêcheur, Masaniello, qui y joua le premier rôle. Suivitle méme drame de l'assassinat du principal meneur, leschAtiments officiels, la vengeance populaire. Pour-échapper aux Espagnols de don Juan d'Autriche on fitcomme les Catalans, appelant les Français, ce qui pro-cura, jusqu'A la fin de l'année 1647, une brève « royauté »napolitaine an duc de Guise.

Le mouvement anglais ne partit pas des masses quiauraient réclamé l'observation des anciennes coutumes.11 est dfi A. un état d'esprit qu'avait déjà connu le xvi*siècle : la haine contre les étrangers et en premièreligne les catholiques, la suspicion des intrigues papalesdans le royaume, le mécontentement avec une royauté

I Erioeyra, Historia de Portugal restaurado, Lisbonne, 1670 ; GB. Birago, Historia della disunione del regno di Portogallo dalla-corona di Castiglia, Amsterdam, 1647.

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362 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

qui n'observait pas, et principiellement, la légalité, tellequ'elle s'était développée au cours de six siècles environ.Et l'initiative gauche du roi, la brusquerie timide deLaud firent le reste.

L'évéque de Londres avait déjà souleve des troublespar sa decision concernant le remplacement des tables qui-servaient d'autel. Peu de temps après, on voulut « uni-fier » l'Eglise d'Ecosse dont le presbytéranisme, organisepar Knox, n'était qu'une forme religieuse de l'anciennevie locale, des communautés conduites par les pretres etles anciens, sous les chefs de clans, devenus barons de laCouronne, toujours à leur disposition. D'après la tradi-tion, on forma, pour se défendre, une ligue, un cove-nant, en 1637, et on demanda une assemblée religieuse,puis un Parleinent. « Je mourrai plutôt que de le souf-frir », s'écria le roi, un peu pressé, en homme habitué àvoir une série de Parlements qui s'étaient disperses sansopposition, A. un geste de sa part. « Ceder ce serait vou-loir n'étre plus roi, en peu de temps. »

Mais le tluc d'Hamilton, envoyé à Edimbourg, ne futpas obéi. Il s'était vu entouré à son entrée par les mi-nistres et toute une armée populaire Il lui fut impossiblede faire célébrer le service divin d'après le systéme deLaud; car on avait cloué les orgues. Le roi finit donc paradmettre l'assemblée religieuse, mais A. condition qu'onne tentAt pas de politique. Or, parmi les élus, au nombrede 260, il y avait un nombre dominant de lay-elders, d'an-ciens, et on s'avisa d'annuler la grande commission éta-blie par le roi, de demander l'éloignement de tout fonc-tionnaire resté en dehors du covenant. Hamilton finitpar dissoudre rassemblée. « Nous n'abandonnerans, pavl'ceuvre de Dieu », fut la réponse. Et les séances de Glas-gow continuerent, élaborant,toute une legislation contreles éveques, désormais écartés de la representation popu-laire, contre les canons, la liturgie de Laud, l'arminia-nisme, tout aussi discrédité ici qu'en Hollande ; les sacre-ments admis par l'Eglise d'Ecosse furent refuses auxadversaires. On décida la reunion annuelle d'une pareilleassemblée.

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CHAPITRE XIV 363

« 11 s'agit de savoir si je suis ou ne suis pas roi », ditCharles I", et il se" prépara à la guerre. Les Ecossaisuvaient l'adhésion du duc d'Argyle ; ils engagèrent undes généraux qui avaient servi en Allemagne, Leslie. Ondéclarait ne pas combattre l'Angleterre et vouloir resterfidèles au roi, « autant que le soleil et la lune éclaire-ront la tent ». Mais il y avait des « mauvais chrétiens »,comme les adorateurs de Baal dans la Bible, et il fallaitles briser.

Avant de partir, le roi réunit un Parlement anglais.Conduit par les représentants d'une nouvelle bourgeoisie,qui s'était formée : Hampden, qui avait refusé de payerl'impôt extraordinaire pour la flotte, la ship-money, Pimet Olivier Cromwell, il prétendit s'occuper des affairesreligieuses, inaugurant, dans cet autre royaume aussi, lalutte contre « le papisme insidieux ». S'en emit plaintaux lords, Charles cassa ce Parlement aussi, se bornantA consulter le clergé seul, réuni en synode.

Son manifeste inaugura la lutte entre les deux concep-tions. Nous connaissons celle de Charles; quant aux par-lementaires de 1640 et A ceux qui se réunirent bientôt, en1641, « le long parlement », ils proclamaient que lasource du pouvoir est dans le peuple, que le roi n'en estque dépositaire, que tout ce qu'il détient n'est qu'en cettequalité, que les villes, le royaume et les personnes nesont pas au souverain, car alors il serait le maitre descorps et des biens, ce qui est inadmissible, que la surveil-lance du Parlement s'étend sur tous les domaines.itait facile de réfuter la théorie, beaucoup plus difflcilede détruire une croyance, devenue un dogme et appuyéesur les leçons de l'Ecriture.

On commença à attaquer les ministres, en méme tempsqu'on protestait contre l'illégalité des impôts et qu'ondemandait que les évéques ne soient plus admis auxséances du Parlement. La popUlation de Londres se met-tait en émoi contre le roi k chaque suspicion, à chaqueincitation de la part des meneurs. Elle demanda. avec-violence le supplice de Strafford, auquel la couronneMill par consentir : Laud fut emprisonné. A ce prix, le

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364 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

roi put partir pour l'Ecosse, où on le vit, ayant tout cédérassister à un service religieux à la façon des presbytériensqu'il était venu combattre. Les demonstrations avec les-quelles les bourgeois de Londres l'accueillirent au retourlui furent une consolation.

Charles avait une armée qu'il fit la faute de licencier,du reste, en vue de dompter aussi les rebelles d'Irlandequi, se tournant contre les protestants immigrés, com-promettaient le roi en se valant de son nom. Le Parlementlui interdisant le droit de nommer des officiers, en choi-sit lui-méme, « pour la sfireté du roi, pour la défense duParlenient et de ceux qui ont obéi à ses ordres, pour laconservation de la veritable foi, des lois, de la liberté et dela paix du royaume ». Le programme des réformistescomprenait aussi l'interdiction pour le souverain de nom-mer les membres du Conseil privé et les ambassadeurs,d'envoyer ses enfants sur le continent et de les y marier,de conserver les catholiques dans la Chambre des Lords.En vain Charles commence-t-il un procès de haute trail:-son: ii veut lui-méme chercher les coupables, occupantle siège du speaker, mais cette sortie n'intimida per-sonne. II finit par admettre l'exclusion des évéques. Seprésentant devant Hull, il se vit refttser par l'officier quiy commandait. Il lui fallut planter la bannière royaleNothingham sous la devise : « donnez à César ce qui est

César ». Mais, de l'autre côté aussi, il y avait unearmée, et elle &all meilleure ; le projet royal. d'engagerles troupes aux Pays-Bas n'avait pas réussi.

En 1642, le roi combattait contre les forces parlemen-taires, qui s'étaient gagnées un chef de la valeur du dued'Essex, tout à fait capable de tenir la campagne. En1643, la lutte continuant, il essaya d'opposer au Parle-ment des traitres celui qu'il rassembla à Oxford ; maisdans l'opinion publique de royaume sa cause était défi-nitivement perdue. Depuis longlemps, les relations avecle beau-frere français étaient mauvaises. Marie de Médi-cis avait a peine quitté son refuge anglais. On accepta,sans grand plaisir, la reine d'Angleterre. Qui pouvait

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CHAPITRE XIV 365

s'intéresser à ce malheureux souverain assez protestantet assez catholique pour étre suspecté et méprisé par lesdeux partis ? La guerre continua en Angleterre aussi bienqu'en Ecosse, Charles et son neveu Robert, fils du Pala-tin, ayant été vaincus en 1644 h. Marston-Moor.

York fut prise en janvier 1645. Laud avait le sort deStrafford. La défaite de Naseby amena la prise de Bris-tol par les « têtes rondes », par les « côtes de fer » deFairfax et de Cromwell.

Se retirant en: Ecosse, l'année suivante, le malheureuxroi fut livré contre monnaie à ses adversaires ; il réussit

s'enfuir dans l'ile de Wight, deux ans plus tard, maisPam& s'en saisit, sans oser cependant, toute une année,lui faire le procès. Une commission spéciale, jugeantd'après les Apres préceptes de la Bible contre les mé-créants, le condamna à mort, et l'Europe vit le spectacle;nouveau et terrible, d'un monarque perdant sa téte surl'échafaud.

A l'exemple des Pays-Bas, il y eut une république enAngleterre, Cromwell y jouant comme « protecteur » unrôle beaucoup plus grand que celui du prince d'Orange,auquel ses Etats rognaient soigneusement les subsides.L'Ecosse fut vaincae et l'Irlande noyée dans le sang.

Il sembla à certaines personnes de France que c'est unerévolution à transplanter. 11 y eut donc des mouvementsA Paris, et qu'on appelle « la Fronde ». De nouveau, leparti des princes, Condé, Conti, Longueville, sans comp-ter les femmes de leur famine, encore plus remuantes,s'agita. Anne d'Autriche avait cependant un meilleur con-seiller que son gendre. Peu à peu, la conduite du Conseilavait pass d'un triumvirat à Mazarin seul, qui avait faitet défait beaucoup de choses et était tout disposé à con--firmer. Richelieu n'avait pas été plus énergique que cetétranger lorsqu'il fit arréter au milieu de l'agitation pari-sienne de la « Fronde », entretenue par le coadjuteur deRetz, dès janvier 1650, les chefs de la conspiration. Condé.était accusé d'avoir voulu conserver pour lui-méme ses

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conquêtes dans les Pays-Bas et faire de la Franche-Comtáune principauté à titre personnel, en vrai duc de Bour-gogne. Mais on ne pensa pas même à un procés. Il s'agis-sait seulement de sauver sans verset le sang une femmehale comme étrangère, un ministre de basse extractionvenant d'un autre pays et un monarque de dix ans.

11 y eut des révoltes locales, des combats au nom du roicontre le ministre du méme roi, une declaration de Bor-deaux et de la Guyenne pour Conde, et méme une ententede Turenne avec les Espagnols. Toute une armée, hlaquelle les Bordelais, gouvernés par: des capitaines etpar un Parlement, fournirent largement leur part, se miten campagne contre « le Mazarin », pendant que Turenneet ses allies pénétraient du côté de Mouzon, tendant versParis, et que le duc de Lorraine tentait une entreprise enChampagne. Turenne fut cependant battu et l'invasionarrètée en décembre. Comme, ensdite, le due d'Orléansrecommençait ses agitations et que le Parlement parais-sait vouloir jouer un rôle, s'occupant de la liberation des-princes, qui était désirée par la reine aussi, Mazarin seréfugia h Cologne, attendant son heure qui ne devait pastarder : Anne d'Autriche fut retenue à Paris, pendantqu'un arrét du Parlement prononçait l'exil du ministre.

Les princes vainqueurs ne surent pas se valoir de sonsuccès. II y eut une assemblée de nobles A. Paris pourréclamer le rétablissement des privilèges, et on parlaitd'Etats généraux. La reine flt de vagues promesses, etladite assemblée fut dissoute par Conde. Puis les intri-gues, les rivalités recommencèrent, Gaston d'Orléans setrouvant, irrésolu, entre l'ambition de Conde et l'espritfactieux du coadjuteur, qui éblouissaient tous les deux.Paris par le defile de leurs partisans qu'ils mettaient auxprises, dans l'enceinte méme du Parlement. Insatiabled'honneur, Conde essaya de relever dans le Midi le dra-peau de la guerre civile, sans trouver cependant de sou-tien. Le jeune Louis se fit done reconnaitre majeur etcommanda une armée du côté de La Rochelle, contre les.mutins, accuses de lèse-majesté.

Rappelé par la reine, Mazarin était revenu it la tdte

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CHAPITRE XIV 367

ses troupes. Alors, au commencement de l'année 1652,le Parlement crut pouvoir jouer son r6le révolution-naire.. Il invita les communes du royaurne à se saisir dubanni, mort ou vif, dont les collections furent vendues.D'Orléans s'était réuni à Condé, qui ne réussit pas enGuyenne, mais rernporta une victoire au Nord sur lestroupes royales. Turenne défendait cependant la Cour etétait capable de le faire. L'entrée du duc de Lorraine futde nouveau repoussée.

Dans quelques semaines on se battait avec fureur dansles faubourgs de Paris, Condé d'un dot& Turenne del'autre. Le dernier eut l'avantage, et les principaux chefsdes rebelles furent blessés. La fille de Gaston, Mademoi-selle de Montpensier, qui voulait à tout prix épouser leroi, et s'y préparait en faisant l'amazone dans ce tristebrouillamini, allant bientrit jusqu'à faire tirer surles troupes royales le canon de la Bastille, ouvrit lesportes de la ville aux bandes du prince. Quelques joursplus tard il y eut du sang versé A Paris A l'aveuglette. LeParlement, déclarant que le roi, qu'il avait été questionde mener à Lyon, est prisonnier de Mazarin, demandaitque le duc d'Orléans soit reconnu lieutenant-général duroyaume et Condé chef des armées royales. On essayaméme d'une coalition générale des Parlements. Airrsi,l'ex'emple anglais prenait. La Cour répondit en réunis-sant à Pontoise les membres fidèles de l'assemblée.

Puis elle fit semblant de se défaire de Mazarin, et,Condé étant sorti de la capitale pour se retirer en Flandreet y prendre le réle de généralissime des armées espa-gnoles, Louis y fit son entrée en maitre (octobre 1652).Retz, gagné par la Cour, qui lui donna la barrette de car-dinal, avec l'espoir d'un ministère, s'était profondémenthumilié, et Gaston reçut l'ordre péremptoire de sortir. Leduc de Beaufort, ceux de Rohan et de la Rochefoucauldfluent compris dans la proscription. Retz ne tarda pasméme à are arrété, et on interdit au Parlement de Paris,puis à celui de Bordeaux aussi, d'aspirer à un autre r6leque celui d'une Cour de justice.

Une dernière tentative, à l'occasion d'un édit sur les

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monnaies, fut brisée par la présence personnelle du roi.Mazarin revint sous les drapeaux de l'armée, qui étaitallée défendre les frontières contre le prince traitre à sapatrie.

ga et lA cependant les villes avaient montré un espritd'autonomie. Agen n'avait pas voulu accepter Condé ; AOrléans on avait crié : « Vive le roi, pas de Mazarin »,mais on n'avait reçu que très froidement la Rile de Gas-ton ; Bordeaux, dont les principaux bourgeois avaientrévé d'un régime presque républicain, excitée par des pré-dications de prétres, alla jusqu'à demander le secours deCromwell pour pouvoir résister au roi. On finit parréduire ces derniers rebelles, envers lesquels on futlarge de pardon. Les villes d'41sace furent ramenéesla soumission avec celui même qui les avait séduites.

Le parti de ces nobles qui n'avaient pas manqué de serendre méprisables par des voies de fait et des duels,le duc de Nemours ayant été tué par c,elui de Beaufort,s'évanouissait ainsi, le ,chef étant un traitre condamnéet son frere, le prince de Conti, servant maintenant le roidans le Midi, contre les Espagnols, le duc de Lorraineétant arrêté par les mêmes. Le couronnement de LouisXIV, A Reims, en juin 1654, fut imposant.

Ainsi Rnit dans le ridicule et l'odieux l'agitation stériled'une arlstocratie dégénérée, A laquelle manquait jus-qu'à la conception saine de la patrie. La royauté absoluedevenait cependant une nécessité,

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CHAPITRE XV

La monarchie absolue et les guerres de « gloire h.

La paix avec l'Espagne fut conclue en 1659, dolman/ àla France la possession du Roussillon et de la Cerdagne etune meilleure frontière du côté des Pays-Bas, avec Arras,Hesdin, Bapaume, Bethune, Lilers, Lens, Saint-Pol, The-rouanne, Gravelines, l'Ecluse, Landrecies, Thionville,Montmédy, sans compter la restitution du duc de Neu-bourg A Juliers. Le nouveau ministre espagnol avaitaccepté une nécessité que n'avait jamais admise son pré-décesseur. Le mariage du jeune roi de France avec la filleainée de celui d'Espagne, Marie-Therese, née du premierlit, un héritier du trône venait de naitre du second,constituait, non sans un danger pour l'avenir à cause desperspectives de l'infante sur la Flandre, une forte garan-tie pour le moment.

Ailleurs aussi, la royauté française, dégagée de sesattaches, trouvait une situation extérieure lui permettantde travailler A régler ses affaires. L'empereur Ferdinandétait mort en 1658, et il fallut de longs efforts pour ame-ner, entre les candidatures que voulait susciter laFrance (celle du nouveau duc de Baviere, du Palatin deNeubourg ; il y en eut qui penserent A l'archiduc Leo-pold), l'élection du fils, Age de seize ans A peine, dumonarque défunt, Léopold-Ignace. On lui présenta une« capitulation » lui imposant, aelon le traité de Mfinster,la paix avec ses voisins, surtout avec la France, sous pei-ne de deposition, s'il n'aurait pas consulte la DiAte. Enmême temps, les trois électeurs ecclésiastiques, l'archeve-

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que de Miinster, le duc de Brunswick-Liinebourg, lelandgrave de Hesse, ainsi que la reine de Suede commeprince allemand, formaient la Ligue du Rhin pour &fen-dre l'accès de leurs provinces à une guerre éventuelle.

Enfin, « le protecteur » anglais, allié, sur la base dedeux traités, contre les Espagnols, mourut des le mois deseptembre 1658, laissant un.fils, Richard, qui n'était pasde taille à garder l'héritage d'une usurpation si risquée.Bientôt, par-dessus les démêlés du nouveau chef d'unerevolution déjà usée, avec son Parlement, dissous, etavec les restes de l'ancien Parlemênt de Charles Ier, lerump parlement, rassemblé" et soutenu par l'armée quiécarta Richard au profit des « conservateurs des libertésd'Angleterre », la monarchie française aura, par lecoup d'Etat du general Monk, de l'autre côté du canal,dans la personne d'un ancien pensionnaire, Charles II,fils du roi hie et d'Henriette de France, un imitateur etun client.

San,s compter que l'empereur s'était retire d'Italie etque, si l'Espagne y gagna l'alliance du due de Mantoue,la Maison de Savoie, malgré l'insuccès de la visite faiteh Lyon pour le mariage de la princesse, fille de Christinede France, avec Louis XIV, et le déplaisir qu'en eut lejeune duc, auquel cependant Turin, occupée par une gar-nison française, venait d'être rendue, continue h gra-viter dans l'orbite de la France. La papauté, affaiblie etdiscréditée sous Innocent X et Alexandre VII, se consolaith. peine de ne s'être pas gagné le mérite d'une mediationentre les deux plus importantes .Cour,s de l'Europe. Lesaffaires d'Orient étaient h ce moment beaucoup plus im-portantes que ce qui se passait dans cet Occident, lasséd'une si longue guerre, désastreuse même pour les vain-queurs.

Deux grands événements s'y étaient passes sous lamoitie du xvIr° siècle : le revel' de l'offensive ottomane etla crise polonaise.

Malgré tous les efforts des Vénitiens, tracasses par les

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CHAPITRE XV 371

_pirates musulmans, de maintenir la paix avec le Sultan,les projets, formes par le nouveau Grand-Vizir, de don-ner une nouvelle vie à l'Empire par la guerre offensivecontre les chrétiens, de n'importe quelle espèce, amen&rent, des 1644, la rupture avec la Republique, accusée desméfaits accomplis par les chevaliers de Malte. La grandeIle de Crete, « un royaume », la plus belle des posses-.sions de Venise, fut donc attaquée en 1645.

On fit des efforts de croisade pour la sauver. Les Fran-çais et les Espagnols en guerre se rencontrèrent en chré-liens sous les murs de la Canée, qui résista hérolque-ment. Les Vénitiens développèrent une activité extraor-

essayant un coup sur- Chio et essayant de terro-riser le pauvre Sultan idiot, dont les siens devaient bien-tôt se défaire, par l'apparition de leur flotte aux Darda-nelles. La Dalmatie, de son côté, mène avec succès unepetite guerre de défense contre ses voisins turcs. Par unesérie interminable d'actions navales, le grand conflitdans les mers d'Orient devait se prolonger jusqu'en1660, mélé de conspirations à Constantinople, de que-relles de femmes dans le serail, de révoltes de prétoriens,de soulèvements en Asie Mineure et en Syrie. La Répu-blique engageait des vaisseaux de Hollande, et les An.-glais, r8vant l'héritage du commerce de Venise, soute-naient secretement les Turcs 1

La guerre de Pologne se méla bientôt A ce conflit quidevait durer, par dessus la mort d'Ibrahim et de son ener-gigue Vizir, jusqu'A la disparition de la domination véni-tienne dans les eaux de la Méditerranée orientale.

Le roi Vladislav, qui avait pensé, de concert avec leriche et orgueilleux prince de Moldavie, Basile, encore unconcurrent secret à la possession de la Transylvanie,aider les Vénitiens pour une offensive, sur le Danube,capable de créer un Empire chrétien d'Orient, mais qui,

.au lieu d'envoyer des armées, députa des ambassadeurs

Gesch. des osmanischert Reiches, IV, pp. 32 et suiv.

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Constantinople, mourut l'année même oh se signaienten Westphalie les traités destines à rendre la paix aumonde occidental.

De nouveau, contre le droit d'héritier de Jean-Casimiret de son frère cadet, Charles-Ferdinand, surgit la can-didature moscovite : celle d'Alexis, fils de Michel Roma-nov. Elle était d'autant plus dangereuse que, depuis desannées déjA, la Republique était en guerre avec les Cosa-ques, qui n'étaient plus l'ancien ramassis d'aventuriersde toute nation, mais bien, sous leur Hetman BogdanChmielnicki, une vraie communauté de paysans libres,de religion opiniAtrement orthodoxe, haissant mortelle-ment leurs seigneurs polonais et catholiques et leurs fer-miers juifs. Bogdan, qui contraignit plus tard le MoldaveBasile, dont la Cour royale imitait les splendeurs byzan-tines rappelées dans son nom méme, à donner sa jolie fille,Roxane, à l'héritier de ces Zaporogues (= des cataractesdu Dnieper), Timothée, cherchait à s'assimiler par lesdehors de son costume A ces princes roumains dont, dansson village de ripaille et d'ivrognerie, il ne pouvait pasrendre aussi la civilisation.

Alexis, le jeune Moscovite, ne fut done pas élu. Il nes'en vengera pas. Il y avait aussi un rival tout aussi ran-cunier, Georges Itákiiczy II, prince de Transylvanie, quiavait depuis longtemps pris ses mesures pour etre roide Pologne.

D'une famille de magnats de la province qui, apresavoir servi Michel le Valaque, avait donne aux Hongroisun chef passager avant Bocskai, le Ore de cet imitateurdu ruse Bethlen, dont la « royauté » antiautrichienneavait été dorée d'un mariage avec Catherine de Brande-hourg, avait joué un certain rôle dans la guerre de TrenteAns sans égaler son modele. II entretint des relationsexcellentes avec le Byzantin Basile, législateur it la façonimpériale d'Orient, et avec le doux vieillard de Valachie,Mathieu, qui, ancien soldat du méme Michel, invoquantla descendance de la dynastie de Basarab, s'étaitsur le treme, contre la volonté des Turcs, par le dévoue-ment de ses bolars, levés en armes contre le despotisme

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CHAPITRE 373

et les extorsions des Grecs et des grécisés, venus de Cons-tantinople. La « Dacie » se reconstituait par cette fédéra-flog appuyée sur des actes formels d'amitié, le Transyl-vain, un «" roi », présidant ses voisins, les domni de ca-ractère princier.

Le tact, la modération, le sens des circonstances, quiavaient distingué ce prince, ne furent pas transmisesson héritier homonyme, grand guerrier, chevalier denoble attitude, mais prat à se méler de toutes les aven-tures. L'offensive de ce dernier contre la Pologne ne seprononça qu'après l'entrée en lice d'autres concurrentsau partage du royaume.

Dès 1654, la reine Christine, occupée de ses manuscritset aussi de ses aventures, terminées d'une façon aussitragique, que « l'exécution », A. Fontainebleau, d'un mal-heureux favori italien, avait abdiqué pour se rendreRome en fidèle de l'Eglise catholique. Son cousin, qui luisuccéda, Charles-Gustave, entendait continuer le procèsde Gustave-Adolphe avec la Pologne, qui avait donné A laSuède des possessions en Prusse. Des alliances furentconclues avec tous les ennemis, les Cosaques, les succes-seurs roumains de Basile, détriiné par un de ses boiars,et de Mathieu, mort au milieu des troubles suscités parses mercenaires. Une formidable ligue se forma contre ccroi de Pologne qui avait été un cardinal et qui ne serajamais un vrai chef d'armée.

En 1655, les MoscoVites reprirent Smolensk et ajon-tèrent la possession de Minsk, de Grodno, de Mogilev, deVitebsk, de Polotzk, de Vilno méme et de la vieille prin-cipauté des paiens de Lithuanie. Charles-Gustave s'enprend à la Posnanie, A. Kalisz, it Sieradz ; il entre it Var-sovie et à Cracovie et se fait proclamer par sa proprearmée roi de Pologne ; il envahit la Prusse royale, prendMarienbourg et s'arrête seulement devant Dantzig. LesMoscovites se jettent ensuite sur la Livonie, prenantDorpat, mais pas aussi Riga. Enfin, l'Electeur de Bran-debourg, qui vent secouer ses liens de vassalité pour laPrusse, se met de la partie.

Aprés avoir pris leur lot, le Tzar et l'Electeur de Ber-

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lin se retirerent cependant ; pendant quelque temps lepremier se tourna méme contre les Suédois en Livonie.En 1657, enfin, Georges Rikôczy II parui sur le champde proie de la Pologne, accompagné des troupes envoyéespar les Moldaves et les Valaques, qu'il traitait comme-des vassaux. Bientôt, cependant, entouré par les Tatars,il put à peine s'echapper, laissant entre leurs mains.toute une armée.

Car, à ce moment déjà, la fortune change. Le Dane--mark du nouveau roi Frederic, tutelé par ses sujets, sedeclare contre la Suède, et Charles-Gustave perdra enquelques mois les conquétes qu'il avait accumulées dans« son » royaume de Pologne. Il se tourna contre le Danoisqu'il contraint, devant Copenhague, au traité de Ros-kild, à abandonner Dronthjem et l'ile de Bornholm auxSuédois, et au duc d'Holstein-Gottorp, dont la fille Raitreine de Suede, le Slesvig (1658), sans que pour cela laguerre acharnée fin de fait interrompue. Les Hollandaisparticipaient de leur flotte à la resistance contre l'ambi-tion suédoise, sans compter la part, essentielle, qu'y pre-nait l'empereur, contre le protagoniste de l'hérésie

La mort de Charles-Gustave fut decisive pour Pceuvre-difficile qu'il avait entreprise par amour de la « gloire ».A Oliva, son héritier s'entendait avec la Pologne, resti-tuée dans ses frontières, à Copenhague même, avec Fre-deric, qui, regagnant ce qu'il avait cede, sauf le Slesvig,dut sacrifier l'Ile de Rfigen, la Scanie et deux autres pro-vinces ; dans le Holstein, il y eut corégence du roi deDanemark et du due de Holstein-Gottorp.

Les Tures ne pouvaient plus souffrir l'ambition de ces.vassaux qui avaient amené un Etat allié à deux doigts de-sa perte. Les princes roumains, Georges Etienne de Mol-davie, Constantin, parent de Mathieu, en Valachie, furentdestitués et envoyés en exil, le premier devant mourir,après avoir vainement sollicité un autre allié, le Tzar, à

fut question. d'attaquer Brérne sadase.

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CHAPITBE XV 375

Stettin, sous la protection du roi de Suède. ContreRáldiczy il fallut une expédition plus sérieuse, qui cepen-dant atteignit son but, le prince batailleur restant sur lechamp de bataille après la Waite de ses haidoucs. Unvassal soumis, le Roumain d'origine Acace Barcsai, futinstall&

Mais le parti militaire chrétien leva sur le bouclier lecommandant, enfin délivré, de l'armée prise en Pologne,Jean Kemény, et pour soutenir cet homme d'énergien'hésita pas à appeler les Impériaux.

Sous de Souches et Montecuccoli, ils s'emparèrent deschAleaux de la proVince. Kemény, qui avait sauvé Klau-senburg (Cluj), étant mort en combattant, ils travail-lèrent pour leur propre compte, cherchant à évincer leclient des Turcs, un pauvre gentillâtre campagnard dupays des Szekler, Michel Apaffy. Or, entrer dans le paysdu Sultan, c'était provoquer une guerre avec l'Empireottoman.

Cette guerre, on l'eut. Ce n'était pas le Sultan encoreenfant, Mahomet IV, cependant un noble rejeton de sarace, qui la decida, mais bien le nouveau régenttériel de la Turquie, le vieil Albanäis Mohammed Keu-pruli, champion de l'offensive nécessairement victo-rieuse. Maitre d'une armée refaite, avec des corpsspéciaux d'artilleurs et de grenadiers, avec des contin-gents asiatiques et le concours des princes roumains etdu Khan des Tatars, il chargea son fils Achmed, élevédans les meifieures traditions littéraires et politiques,d'envahir le pays du « roi de Vienne ». Mais les deuxexpéditions de 1663 et de 1664 s'arrétérent à Neuhäusel et

Lewenz, sur la rivière du Waag, presque sans mena-cer essentiellement l'Empire.

Ainsi, de nouveau, rid& de la croisade fut ressus-citée.

L'Espagne, où le vieux roi se mourait, ne pouvait pasfaire quelque chose pour Venise méme, dont les envoyéssollicitaient des secours de tout còté depuis des années.La papauté &all It bout de moyens. Sur les deux champs

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376 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

de bataille contre les Turcs c'était pour la France le mo-ment d'agir.

La résistance de certaines provinces avait été briséepar la présence personnelle du roi. Dijon se soumit bienhumblement ; la Normandie ne poursuivit plus la causedes princes qui l'avaient agitée. Louis XIV punit dure-ment Marseille, oil il entra par la brèche, rasant les murset l'obligeant à batir un château pour sa garnison ; laville d'Orange, où résidait Marie Stuart, fille du roiCharles et veuve du prince d'Orange, fut occupée pourcette princesse. Gaston d'Orléans était mort, tellementaLandonné que dans sa maison pillée on emprunta unlinceul. Condé, simplement grAcié et envoyé. au gou-vernement de la Bourgogne, avait été mené par la maindu cardinal devant le roi ; les « cinq cents » princes desang apprirent vite qu'il n'y a qu'une voie pour leurambition : « bien vivre et bien servir le roi ».

Pendant que ce prince se formait sous la tutelle deMazarin, le cardinal sentit qu'il faut donner une occupa-tion à toute cette noblesse habituée A se mouvoir etbriller. En 1660, un corps de 5.000 hommes fut doneenvoyé en Crète, sous un prince d'Este qui portait lenom de croisade d'Aimery. Le résultat fut, il est vrai,pitoyable ; les soldats, mal payés, s'enfuirent, et le chefmourut de maladie 1

De méme, avec une admirable bravoure, on vit les sei-gneurs de France participer A la bataille que, quatre ansplus lard, les Impériaux gagnèrent, A. Sankt-Gotthard,sur les Turcs de Keupruli, conquérants des chateaux hon-grois de la frontière. Il y eut 6.000 soldats de troupesrégulières françaises, et assez de volontaires, et les nomsde Coligny, de la Chateauneuf, de la Feuillade, de Saint-Aignan, de de Soult, de Beauvisé, restèrent attachés ausouvenir de cette victoire thrétienne 2.

Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 99-100.2 Ibid., IV, p. 115 et suiv. Nouveaux contingents français ; ibid.,

p. 120.

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CHAPITRE XV 377

Cette royauté cependant devait poursuivre d'autres butsque ceux d'aider l'empereur contre le Sultan ou d'affir-mer son autorité dans le voisinage. Plus tard, comme unebelle flotte française s'étajt formée pendant la guerre avecl'Espagne, on vit les galeres royales poursuivre lespirates musulmans qui infestaient la Méditerranée orien-tale. Une descente a Dchidchéli, près d'Alger, fut peuheureuse, mais, l'année suivante, le duc de Beaufort bat-tait deux fois les embarcations des corsaires. Le rale rem-pli jadis par Charles-Quint passait ainsi a Louis XIV.

Consulté sur le caractere du jeune Louis, retenu inten-tionnellement dans un milieu d'amourettes, comme celleavec Marie Mancini, niece de Mazarin, et de délasse-ments, de chasses et de cérémonies, le cardinal avaitrépondu que le prince a « l'étoffe pour en faire quatrerois et un honnéte homme », et que, « s'il se mettra enchemin un peu plus tard, il ira plus loin qu'un autre ».

La prophétie se vérifla en partie. Lorsque le premierministre mourut a cinquante-neuf ans, en 1661, Louis XIVse rappela la décision de son beau-pere de régner seul.Ii donna la méme réponse a ceux qui lui demandaientoù faut-il s'adresser, mais, tout en écartant nobles etprélats de son Conseil, il n'en retint pas moins les auxi-liaires de Mazarin, Fouquet, le Tellier et Lionne, par les-quels il régna, prenant part effective a toutes les délibé-rations. C'étaient des gens de médiocre noblesse ; plustard, il n'y aura autour du souverain que des bourgeois,comme ce Colbert dont la fortune commençait A poindre,et le maréchal Fabert était le -fils d'un libraire de Metz.

La noblesse devait se trouver un rale. Il n'y avait plusde connétables ; il n'y eut plus de surintendant desfinances, ni de colonel général. Louis l'empécha d'avoirla possibilité de gagner les provinces et de se former uneforce militaire lui appartenant A elle. Plus tard, elle per-dit l'exercice, souvent abusif, de la justice sur sesdependants, le roi ayant créé les « grands jours », sontribunal ambulant, qui prononça des sentences capitalescontre des seigneurs féroces et fit raser des chateaux qui

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étaient des tanières. On se servait des ordonnancesroyales réunies dans un corps et de la nouvelle procédurecriminelle. Les gouverneurs furent remplacés dans l'exer-cice réel du pouvoir par des « gouverneurs particuliers »et par les intendants. La Maison du roi, avec sa garde,ses mousquetaires, ses chevaux-légers, forma le noyaude l'armée ; ce fut de la Cour que partirent les congés,ce fut à elle que les commissaires et inspecteurs présen-tères leurs rapports ; ce fut le roi seul qui, nomma lesmaltres-de-camp devenus colonels. Ete soldat signifiaitmaintenant porter un seul vétement : l'uniforme du roiet avoir une seule espèce d'armes.

Pour la vieille et la jeune aristocratie, il n'y avaitqu'une place pour faire montre de ses qualités et de sesmoyens : la Cour. Louis XIV le dit nettement lorsque,en 1666, son frère, le due d'Anjou, devenu d'Orléans, luidemanda le gouvernement du Languedoc : « Les princesde sang ne sont jamais bien en France ailleurs qu'à laCour ».

Ceux qui faisaient partie de la Cour se voyaient défen-dus contre toute rivalité par le roi lui-méme : il imposaainsi au Parlement d'admettre que les ducs et pairspassent avant les présidents. Elle était assez brillantecette Cour, pour séduire les goftts les plus difficiles. AParis, à Fontainebleau, à Saint-Germain et autres rési-dences royales, il y avait du bruit et du plaisir chaquejour et à chaque heure. Les ambitions pouvaient y livrerbataille, les intrigues tendre leurs lacets et l'amour yfaire ses plus belles conquétes. La reine-mère, assez jeuneencore pour pouvoir y paraitre, savait suffisamment, parson éducation espagnole, la science des rangs, desformes, des gestes et des paroles pour isoler dans sagrandeur son fils sans lui rien ravir de ces satisfactionspe'rsonnelles appropriées au milieu. Car on le vit afficherdes sentiments pour la princesse d'Angleterre, femme deson propre frère, de façon, à s'attirer les semonces publi-ques du grand &Ague Boisuet.

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CHAPITRE xv 379

Bientôt, les arts enrichirent de leur prestige ce cadre dela royauté triomphante, et, avec la critique d'un Boileau,donnant une organisation tout aussi impérialiste aux let-tres, la tragédie de Racine fournira par ses .éclats de pas-sion une diversion aux instincts et la comédie, d'une pro-fondeur qu'on était libre d'ignorer, d'un Molière adoucirapar le franc rire les temperaments it peine arrachés auxdrames des luttes civiles et des échafauds. On joua « LesFAcheux » dans un cadre d'une fantastique richesseavant de mettre Fouquet, accuse de gaspiller l'argent del'Etat, dans le carrosse garde par cent mousquetaires. Desprinces étrangers venaient y faire un apprentissage ouchercher des distractions, et ce fut pendant son séjourParis que le frivole due de Lorraine fut sur le pointd'épouser cette demoiselle Pajot qui fut ravie à sonamour par ordre formel du roi, scandalise.

Plein du sens de son pouvoir, le souverain se gagna lessympathies générales de sa nation en affirmant l'hégé-monie française à chaque occasion. A Londres, l'ambas-sadeur d'Espagne avait dispute à coup d'épée le droit depré-éminence de son collègue de France ; Louis terrorisason beau-frère, en renvoyant son représentant, jusqu'à sefaire presenter à Paris, par un envoyé special, devantune trentaine de membres de la diplomatie étrangere, desexcuses, avec la revocation du coupable et la decision deceder le pas au Français ; une médaille fut frappée por-tant l'affirmation de ce fait 1. Pour un conflit entre laMaison de l'ambassadeur de France à Rome et la gardecorse du pape, il fallut changer le cardinal gouverneur,casser la garde coupable, éloigner pour toujours lesCorses du service pontifical, envoyer un légat en France,qui parla du « devoir de servitude », et méme élever unecolonne expiatrice. Dans un cas et dans l'autre, il y eutmenace de guerre.

De Paris partaient les decisions inébranlables ; si onrefusait de s'y soumettre, le roi était prét A marcher en

1 Jus praecedendi Gallo assertum, Hispanorum excusatio corarnXXX leg. Princ. 11.DCLXII.

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380 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

armes. Le duc de Lorraine dut exécuter la volonté deson suzerain ; plus tard, il fut contraint de cesser saquerelle avec le Palatin et même de céder son armée ; lesrévoltés contre l'électeur de Mayence furent sommés demettre bas les armes. L'évèque de Mfinster abandonnason conflit avec les Hollandais.

Philippe IV avait pardonné, par le traité des Pyrénées,aux Catalans ; mais il était bien décidé à réduire les Por-tugais. Louis leur envoya secrètement le prince de Schom-berg qui, cependant maréchal de France, n'était pas sonsuj et, avec quatre-vingts officiers et des troupes qui 'xiappartenaient en propre. Comme Charles II avait épousél'infante Catherine de Portugal, l'appui anglais s'ajouta.Après la mort du roi Jean (1656), son successeurAlphonse épousera, au défaut de Mademoiselle de Mont-pensier, la duchesse de Nemours. On sauva Evora, et lavictoire de Villaviciosa fut terrible pour les Espagnols,qui avaient refusé l'offre de la régente de rendre vassalle trône portugais, fournissant à la Castille un tribut, desvaisseaux de guerre et un contingent de soldats.

Les affaires d'Angleterre, où, à côté d'un roi cyniqueet affamé d'argent, il y avait une nation, présentaient desdifficultés. Charles II vendit pour cinq millions Dun-kerque, mais, continuant h l'égard de la Hollande la poli-tique de Cromwell, qui .avait interdit par « l'acte denavigation » l'entrée dans les ports anglais des naviresportant des marchandises qui ne seraient pas le produitde leur pays, il ouvrit les hostilités contre les marchandsdes Pays-Bas, pour des actes de piraterie en Amérique etdans la Méditerranée. Le duc d'York et Monk combat-tirent contre l'amiral hollandais Ruyter. La France, dontla flotte Rail retenue en Portugal, pour anlener la reine,se trouva prise dans cette querelle sans avoir livré surmer ou sur terre aucune bataille aux Anglais.

La pensée du roi qui disposait de la première armée,dans l'Europe entière se tournait ailleurs que vers lapossibilité de gagner des avantages contre un prince gull

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CHAP1TRE XV 381.

savait pouvoir retenir constamment dans sa dépendance.Dans cette guerre, il ne faisait que continuer les bons-offices traditionnels de la France à l'égard de la répu-blique des Provinces Unies, alors qu'il y avail b. deman-der à l'Espagne l'héritage français de la Maison de Bour-gogne, l'autre « France » de Charles le Téméraire.

Dans le traité de mariage, Marie-Therese, née d'uneprincesse française, à laquelle avait succédé aux ates dePhilippe IV l'Autrichienne Marie-Anne, mere des deuxprinces devant succéder au trâne d'Espagne, avait re-nonce à tous ses droits d'héritière en échange d'une im-portante dot en argent : un demi-million d'écus d'or.

Mais, en dehors du fait que le traité avait été violé surun nombre de points on en citait une cinquantaine,une coutume des Pays-Bas prévoyait que, à la mort d'undes époux, les enfants heritaient de la fortune commune,au detriment de ceux du second lit, et, ce « droit de devo-lution » on l'invoqua, Philippe étant encore vivant, pardes brochures imprimées pour affirmer le droit que lareine avait sur les Flandres. On invoquait aussi qu'aumoment du contrat le roi d'Espagne n'avait pas légale-ment ses provinees, et que, en plus, Louis XIV étaitmineur.

Aussi, après la mort de Philippe IV, Louis se décida-t-il à prendre possession de ce qu'il considérait commela propriété indfiment retenue de la reine. 35.000 hommesfurent envoyés en 1667, avec Turenne, à Amiens, alorsque d'autres troupes devaient entrer dans le Luxembourget qu'un troisième corps se préparait à attaquer par unautre côté le territoire dispute. Les Espagnols n'avaientplus d'armée darts ces provinces. Les bourgeois, fidèlesla couronne d'Espagne, étaient les principaux défenseursde leurs villes. II fut done facile de prendre Charleroi,Bergues, Fumes, Tournay, Douai, Courtrai, Oudenarde ;A Lille seulement la resistance fut assez fipre. Le roi lui-même caracolait, pint& imprudemment, sur un chevalblanc, les plumes blanches au chapeau, posant pour lespeintre; de sa gloire, devant les remparts mal défendus.

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382 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUDIANITÉ

Aussitôt cependant une ligue se forma pour l'arréter.Il y avait, dans cette union subite dc l'Angleterre avec sesennemis des provinces hollandaises, avec la vieille amiede la France, la Suede, qui venait de conclure un traitéavec Louis, autre chose aussi que la crainte de voir lesFrançais établis aux bouches du Rhin. 11 y avait autrechose que la consideration des avantages qui pouvaientvenir du maintien de la domination de ce roi d'Espagnequi avait propose à un certain moment la reunion desdix-sept provinces, Flandre et Hollande, dans une allianceavec sa couronne.

Louis avait fermé les églises protestantes élevées endehors des prescriptions de l'édit de Nantes. En plus, saconscience catholique étant la partie la plus sérieuse deson étre moral, il avait pris ouvertement parti contre lecourant des jansenistes.

Jansénius, évéque d'Ypres, avait lance, dans son livresur Augustin, des opinions sur la grâce et la predesti-nation que certainq éveques français adopte,rent, maisqui blesserent les Jesuites comme soutenant le calvi-nisme. Parmi les adherents de l'éveque flamand, il y avaitaussi les frondeurs de Paris, ce qui était plus inquiétantpour la royauté absolue. Consultée, la Faculté de Parisse déclara contre cinq points essentiels de la doctrinejanseniste. Comme son opinion rencontrait de l'opposi-tion, le roi s'adressa au Pape, qui condamna à son tour.Les jansénistes, traitant de molinistes, d'apres un ouvragedu Jésuite espagnol Molina, leurs adversaires, prétendirentque la condamnation peut etre admise en « droit », maisque le « fait » n'existe pas, Jansénius n'ayant jamais pré-sente ces propositions. Il y eut alors un normatif en faitde foi, rédige par des évéques de France, puis un autre,d'un caractere plus impératif, venu de Rome. Mais laquerelle continuait, et le roi était du côté de la strictetradition.

La reunion des trois Etats protestants s'explique doneaussi par cette attitude d'une royaute catholique qui

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paraissait vouloir hériter aussi sous le rapport catho-lique de Philippe II. Le chevalier Temple, envoyé deCharles II, arriva A gagner Jean de Witt, qui Rail A cetteépoque, avec son frère Cornélis, le plus important per-sonnage des Pays-Bas. La Ligue de Bréda s'offrit en mi-diatrice, et d'une façon qui pouvait impressionner. Desnégociations s'ouvrirent aussitôt A. Aix-la-Chapelle, de-vançant les propositions pressantes du Pape Clément IX.

Mais Louis voulait avoir un plus large enjeu A la paix.Condé reçut l'ordre de faire pendant l'hiver en Franche-Comté ce qui avait été fait dans les Flandres. Besan-çon, Salins, Dôle, assiégée par le roi, furent défenduespar les bourgeois, encore moins enclins que ceux de LilleA accepter, bien que Français de race et de langue, ladomination française. Puis, pour le printemps, annonçantune triple offensive : sur Bruxelles, sur Ostende et dansle Luxembourg, Louis donna A choisir aux Espagnols,c'est-h-dire à la régente autrichienne, entre la Flandre,d'un côté, et la Franche-Comté de Bourgogne et, en plus,Aire, Cambrai, Saint-Omer, de l'autre. Marie-Anne sedécida pour le premier lot, croyant pouvoir défendredésormais plus facilement une province plus rappro-chée,

Les Etats de Hollande devaient se ressentir de leurattitude contraire aux intéréts du maitre de la Flandre.Gouvernés par les villes qui, après la mort. de Henri IId'Orange, dont la veuve donna naissance à un fils pos-thume, Henri-Guillaume, avaient gagné une libertéentière, supprimant dès 1667 le stathoudérat et « éle-vant », par les de Witt, l'héritier de la Maison d'Orange,ils ne disposaient pas d'armée capable de combattre. Enfait d'alliés, il n'y avait que l'Espagne qui, espérant rega-gner ses provinces perdues, y enverra, au moment dudanger, un corps de 15.00 hommes, et l'Electeur Fr&déric-Guillaume de Brandebourg, mari d'une princesse

i Mémoire da chevalier Temple.

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384 ESSAI DE sysimAsz DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

d'Orange et lui-méme aspirant au stathoudérat. Peaavant sa mort prématurée, la duchesse d'Orléans avaitgagné, dans un voyage A. Douvres, son père, dominé parles cinq seigneurs de la « cabale », pour une attaquecontre la Hollande. Et la Suède, ne recevant pas les sub-sides de Madrid, se trouva dans le camp opposé au Bran-debourg, avec lequel elle se partageait la Poméranie.Ainsi, malgré les mesures prises par Louis contre les cal-vinistes, empéchant les préches en public, les assemblées,sauf le synode qui devait se tenir sous la surveillanced'un commissaire royal, et imposant toutes les formesdu respect pour les cérémonies catholiques, les Puis-sances protestantes étaient de nouveau A. ctité de laFrance.

Quant à l'Empire, la Ligue du Rhin se maintenait. Lafille du Palatin devinl, après la mort de la princesse d'An-gleterre, duchesse d'Orléans ; le duc de Bavière, morti-fié par les Habsbourg, espérait faire de sa fille l'épouse dudauphin ; la Lorraine avait été occupée par les arméesfrançaises, le duc s'étant retiré A. Vienne. L'empereur lui-male devait renoncer à toute politique active en Occi-dent, à cause de la nouvelle situation créée en Orient parle réveil de la puissance ottomane.

« Nous ne donnerions pas pour tout l'or de Venise, enCrète, la place d'une pierre ou d'un chien mort », avaientrépondu jadis les Turcs aux offres de paix vénitiennes.« Nous voulons avoir Candie », avait déclaré AchmedKeupruli, « si même il nous faudrait continuer pendantcent ans la guerrel. » L'intervention des Occidentauxdans ce duel n'impressionnait guère ce second de la dy-nastie des Keupruli. Après les humiliations souffertessous Louis XIV par deux ambassadeurs de France, Césy,l'ami des Jésuites, et Marcheville, qui fut expulsé, Vau-telet de La Haye et son fils furent cruellement offenséssous le règne du roi qui avait obtenu des satisfactions si

I Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, p. 108.

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eclatantes A Londres et A Rome, sans risquer des pre-tentions pareilles chez les « barbares » de Constanti-nople. Aussi Louis avait-il accordé des subsides aux Véni-liens lorsque le chef de la nouvelle flotte de secours, deVille, au service du duc de Savoie, s'était dirigé versla Crete, où il y avait des Lorrains comme d'Harcourt,des Allemands aussi, personnellement ou A la solde duduc de Brunswick. Parmi les défenseprs (1666), une tlottenapolitaine paraissaft dans les eaux de l'Archipel, avecle vice-roi, un Doria, mais sans oser risquer une ren-contre. En 1668, une armée française, A caractere nonofficiel, s'embarqua A Toulon pour ces champs de ba-faille célebres, avec la Feuillade, le due de Saint-Paul,neveu de Turenne, la Motte-Fénelon, Tavannes, avec leduc de Rohan et celui de ChAteau-Thierry. Cette foisencore, l'appétit de croisade fut calmé par un desastre 1Alors le roi décida, sans rompre avec les Turcs, d'envoyerun fort contingent qui n'arbora pas le drapeau françaisle duc de Navailles commandait en 1669 plus de 7.000hommes de bonnes troupes, auxquels s'étaient ajoutés2.000 aventuriers ; le duc de Beaufort commandait laflotte. Il fut tué, et les autres, A la suite d'une explosion,se retirerent 2.

De son côté, l'empereur avait rassemblé une Dike ARatisbonne dans le seul but de discuter le danger turc 3.On assista cependant impuissant A la capitulation desVénitiens dont la resistance avait été épuisée par vingt-cinq ans de lutte. Les Turcs ne trouverent dans la ville deCandie que « deux prétres grecs, trois Juifs et une pauvrefemme 4 ».

Presqu'au méme moment, la Hongrie se préparait A selever contre l'empereur. NAdasdy, Zrinyi, Vesselényi,

I Ibid., pp. 122 et suiv.3 Ibid., pp. 129-132.3 Voy. A. Huber, Österreichs diplomatische Beziehungen ZUr

Pforte, 1658-1664.4 Gesch. des Osmanischen Retches, p. 133.

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386 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITL

Frangepani, aprés avoir essayé d'une conspiration et avoiroffert à la Porte la Croatie et la Styrie 1, incitèrent à une-révolte ouverte l'héritier des Rakáczy, Francois, beau-frère de Zrinyi. On attendait l'appui des Turcs, quiavaient, depuis la paix de Vasvár, la possession/ de Gross-Wardein (Nagy-Varád), à l'entrée de la Transylvanie. Oncraignait une attáque de ce côtZ ; mais, comme, après la.mort de Bogdan et de son fils ainé, tué dans les troublesmoldaves, après la disparition du deuxième héritier, lenouveau chef des « Ruthènes t de p Cosaques » avaitprété, en 1668, hommage au Sultan, ce fut done contre la.Pologne que se dirigea l'offensive ottomane. Le nouveauroi, Michel Wiszniewiecki, de la noblesse pauvre, ef trèspeu écouté, ayant été élu pour son insignifiance, ne parais-sait pas pouvoir résister à une campagne conduite par leGrand-Vizir victorieux ou par le Sultan lui-méme.

Mahomet IV parut done en Moldavie pendant l'été deFannie 1672, et il réussit facilement h prendre la clef duDniester polonais, Kamieniee de Podolie ; les Tatars pil--Ièrent en Galicie et firent mine d'assiéger Lv6w-Lemberg.Par la paix de Buczacz, la Pologne cédait la Podolie etpromettait tribut. Comme cependant on ne trouvait pasd'argent et que les Polonais demandaient de tout côté unappui de croisade, l'empereur, sollicité lui aussi, devaitpenser à ses frontières et h l'agitation suscitée par lesrebelles de Hongrie 2.

Louis XIV pouvait donc satisfaire sa vengeance contreles anciens amis hollandais.

Il mena contre les Etats une armée dans laquelle il y -avait, outre les Anglais, des Catalans, des Piémontais etdes Suisses. Maestricht fut assiégée ; l'Electeur de Co-logne avait cédé ses Etats, et dans quelques semaines lesFrançais eurent les cinq places considérées comme « les.;chefs de la Hollande ». Le prince d'Orange, retiré der--

Reboulet, Hisloire de Louis XIV, IV.2 Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 139-147.

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rière l'Yssel, ne put pas défendre aux envahisseurs lepassage du Rhin. Trois provinces furent complètementoccupées, et A Utrecht la cathédrale rendue aux catholi-ques ; le « grand pensionnaire », dont le père, Cornélis,avait été incapable de gagner des succès avec sa flotte,offrit la paix.

Elle aurait été conclue sans la révolution provoquée parGuillaume d'Orange. Jean de Witt fut attaqué dans larue, son frère mis en jugement, les deux tués par unefoule furieuse. Guillaume en devint stathouder et amiral.La résolution de chasser les Français des Pays-Bas devaitdonner à l'Europe six ans d'une guerre atroce, destruc-trice de pays entiers.

L'empereur avait vu l'orage ottoman fondre sur la Po-logne. En 1673, ce fut encore ce royaume qui fut attaquépar les pachas, mais l'imitateur de Zamoyski, le HetmanJean Sobieski, auquel le roi mourant avait confié la dé-fense de ses frontières, remporta, le 11 novembre, alorsque son souverain avait déjà fermé les yeux, la victoire deHotin (Choczim), occupant ensuite la Moldavie pour unprince vassal.

La couronne polonaise Rail de nouveau vacante. Parmiles prétendants il y eut le due de Lorraine, le prince deConti, celui de Neubourg, favorisé par la France. Sobieskifut imposé par sa brillante victoire (mai 1674). Le Sul-tan ne reparut que pour reprendre Hotin et combattre lesCosaques rebelles, maigre gloire pour une eampagne im-périale, et aprés le départ de Mahomet IV la Podolie etles pays russes voisins revinrent A la Pologne. En 1675,le roi Jean III devait chasser devant LW:ow les envahis-seurs. La guerre traina de ce côté jusqu'à la paix deZurawna en 1676, par laquelle le nouveau roi dut cédercependant Podolie et Ukraine pour échapper à la néces-sité de se former chaqué année une armée défensive 1

I Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 148-155.

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388 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIHE DE L'HUMANITE

Les Habsbourg avaient les mains libres. Des 1672, Léo-pold avail convoqué une Dike, et l'un après l'autre lesprinces allemands vinrent à lui, le duc de Brunswick-Lu-nebourg, le landgrave de Hesse, les Electeurs de Trèveset de Mayence, celui de Mfinsler et l'inévitable due deLorraine, redemandant ses EtaLs.

Si l'Electeur de Brandebourg se retira de la ligue anti-française pour se faire restituer Wesel, il reprendra bien-tôt les armes, enverra des contingents sur le Rhin et atta-quera la Suède, menacée aussi par la Hollande et envahiepar le roi du Danemark. Une victoire à Ferbellin sur lestroupes de Charles XI l'entoura d'une auréole de gloireStettin seule put résister A son élan d'offensive.

En Hollande, les succès des armées françaises furentdésormais incomplets et passagers. En 1673, pour serendre A Maestricht, qu'il prit, Louis passa à. travers lesPays-Bas espagnols, bloquant Bruxelles. Bientôt Charles,roi d'Espagne, déclara la guerre A. son beau-frère, maisson représentant dans cette province n'arriva jamais A.s'entendre avec les généraux impériaux et avec le princed'Orange, qui voulait ramener la France au traité desPyrénées.

Sur le Rhin, où Bonn fut prise par les forces germa-niques et hollandaises coalisées, Turenne, qui occupaTrèves, fit la garde pendant irois ans contre les meilleursgénéraux de l'Empire, Montecuccoli A leur Ike, rempor-tant par sa tactique supérieure une série de victoires(Seintzheim, 1674 ; Tiirkheim, 1675) jusqu'à sa mort surle champ de bataille de Salzbach, pendant que le roi, reti-rant ses troupes des villes.hollandaises, sauf Maestricht,commençait une offensive dans le Brabant espagnol, oùCondé vainquit A Senef, sans pouvoir sauver Dinant, laguerre se poursuivant par des actions isolées, renouve-lées d'une année à l'autre.

L'Empire, dont l'action avait déterminé, comme repré-sallies pour les actes de cruauté accomplis par la popu-lation contre les Français en retraite, la terrible dévas-tation du Palatinat, Heidelberg brfilée, cinq villes, cm-

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quante villages détruits, paraissait ne pas se fatiguerdans ce conflit, pour lequel Vienne employait les géné-raux à sa solde, des Italiens, comme Montecuccoli etCaprara, des Français de race, comme de Souches etBournonville. Il n'en était pas de méme de l'Espagne,contre laquelle s'était soulevé Messine : lorsqu'on voulutchasser les Français qui s'y étaient nichés, faisant pro-clamer Louis XIV comme roi, Duquesne battit trois foisla flotte espagnole réunie A celle de la Hollande ; dansla troisième l'amiral Ruyter fut tué (1676). En Francemême il y eut des mouvements en Normandie, un cheva-lier de Rohan ayant organisé la révolte ; la Guyenne, laBretagne paraissaient vouloir renouveler les révoltes durègne précédent ; dans une ville assiégée le duc de Gré-qui fut réduit A se constituer prisonnier par la garnisonrévoltée.

En 1676 encore, Louis essaya de forcer la paix par uneoffensive aux Pays-Bas, où il prit Condé, Bouchain, Airesson principal ennemi, le prince d'Orange, lui réponditpar le siège de Maestricht. En 1677, les Français, dansle sell' but de contraindre leurs adversaires à abandon-ner leur dernière résistance au traité, se saisirent deValenciennes ; Saint-Omer, Cambrai furent assiegées. Leduc de Lorraine chercha vainement, contre le duc de Cré-qui, commandant des armées royales, le chemin vers sesEtats ; appelé en Flandre, le prince d'Orange, battu auMont Cassel, dut renoncer à une entreprise sur Charleroi,et ses troupes capitulèrent dans une He du Rhin. Le duede Navailles détruisait au Roussillon les bandes des mi-quelets montagnards et menaçait la Catalogne.

Les Etats de Hollande désiraient la paix. Leur trésors'épuisait à. payer les Espagnols incapables de défendreleurs possessions de Flandre, dont on avait voulu faire,même contre les conditions d'Aix-la-Chapelle, un fortbouclier contre l'ambition du roi de France, et ces Imp&riaux dont la participation à la guerre se limitait à exci-ter la rébellion de villes d'Alsace et A pousser en avantl'esprit assoiffé de revanche du due de Lorraine.

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390 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Dans le conflit entre le roi de Danemark et l'Electeurde Brandebourg, d'un côté, le roi de Suède, de l'autre, qui,après la bataille de Landskrona, perdit aussi Stettin, ilsn'avaient qu'un intérêt : conserver, contre les uns aussibien que contre les autres, la liberté de la Baltique. LouisXIV leur offrait, avec la restitution de Maestricht, pourle donner, s'ils le veulent, au roi d'Espagne, un avan-tageux traité de commerce. Et ils devaient penser aussi àleurs vastes colonies d'Amérique, déjà fortement enta-mées, à leur activité dans la Méditerranée, off les Anglais,qui avaient ouvert la guerre en attaquant la riche flottede Smyrne, les remplaçaient peu à peu.

A côté de cette. politique « nationale » il y avait cepen-dant celle, toute personnelle, de Guillaume d'Orange. Filsd'une princesse anglaise, il ne pouvait pas perdre de vuece qui se passait, lui ouvrant des perspectives d'avenir,en Angleterre. Le Parlement en était revenu à ses protes-tations, à ses insinuations, à ses commandements. Livréaux femmes et ne pensant qu'aux subsides et autresrnoyens qui devaient nourrir une Cour désireuse de riva-liser avec celle de France, Charles II se rappelait assezle terrible sort de son père pour ne pas s'engager dans lavoie dangereuse des concessions. L'intrigue d'un Shaftes-bury fut écartée. Plus le prince hollandais, tourmenté parle même désir de « gloire » qu'avait mis en mouve-ment Louis XIV, pressait sur le Parlement pour amenerune rupture avec la France, plus Charles, fier d'être,Nimégue, off des négociations se poursuivaient, avec laparticipation, même obscure, du nonce pontifical, le mé-diateur du grand conflit, s'obstinait à ne pas abandonnerla paisible majesté de ce rôle.

Alors, le prince se décida à faire le voyage d'Angleterre,off il briguait la main de Marie Stuart, fifie de Jacquesd'York, dont la succession au trône était empéchée parle bill de test, qui lui avait demandé de faire une décla-ration contraire à sa fervente conscience de catholique.finit par obtenir la main de cette héritière in spe, maisCharles ne se laissa pas mener plus loin qu'à une ligue

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:avec les Etats de Hollande pour le rétablissement de la,paix.

De son côté, le roi de France poursuivait son système,d'offrir d'une, main une paix convenable pour tous lesintéréts, sauf ceux de l'Espagne, et, de l'autre, montrerses armées, d'une parfaite organisation, due au labeur deson ministre Louvois, le chemin vers de nouvelles con-quêtes en Flandre. En 1678, tout en menaçant aussi Char-lemont, Luxembourg, Namur, il prit Gand et Ypres, oùla résistance fut des plus faibles. Abandonnant Messine.et les deux autres places prises en Sicile, Agosta et Taor-mina, il entendait retenir seulement Valenciennes, Bou-chain, Condé, Cambrai, Aires, Saint-Omer, Ypres, Cassel,demandant en échange Charlemont et Dinant ; la Fran-che-Comté n'était plus en discussion ; au due de Lor-raine on offrait son héritage sauf le duché de Bar,Longwy et Marsal : Nancy aurait été payée par la cessionde Toul.

Un nouvel effort du prince d'Orange amena l'Angle-terre sur le seuil d'une participation à la guerre ; la ligueavec la Hollande prenait un caractère offensif. Mais le_grand pensionnaire Fagel concluait la paix avec la France.Le stathouder, qui avait déjà 10.000 Anglais, essaya dela briser, feignant de ne pas la connaitre encore ; il nerencontra qu'une nouvelle défaite.

La Hollande se retirait done du conflit. L'Espagne ne.pouvait plus continuer. Elle accéda aux conditions poséespar le roi qui, après quelque hésitation, avait déjà resti-lué les villes qu'il avait promis de rendre. Il fallut unenouvelle victoire de Créqui sur l'opiniâtreté du due deLorraine, puis la prise de Kehl, les ravages exercés surles « villes forestières » de l'Alsace, pour que l'empereurcédfit, revenant par-dessus ses sacrifices à la situation de1648. Les Français luttèrent dans le duché de Clèves et,passèrent le Weser pour contraindre l'Electeur de Bran-debourg ; implorant qu'on lui laisse la Poméranie, celui-ci écrivait : « Certes Votre Majesté, en me détruisant, s'enTepentirdit la première, puisqu'elle auroit de la peine it

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trouver dans tout le monde un prince qui fut plus véri-tablement que moi et avec plus de respect et de zèle. »

Le traité fut conclu A Saint-Germain-en-Laye. Le Danoisavait aussi renoncé au gain contre la Suède. On frappaiten Hollande, le lendemain de cette paix cje Nimègue (Nym-wegen), une médaille proclamant « Louis le Grand paci-ficateur du monde », orbis pacificator, et une immenseacclamation s'élevait, en France méme, vers celui auquel,« héros » consacré par l'Europe en admiration, on étaitdisposé à sacrifier les derniers restes des ambitions per-sonnelles et des vieilles libertés locales, la France entières'attelant, fière, au char de triomphe de son César. A lanaissance du due de Bourgogne, fils du Dauphin, en 1683,la noblesse se jeta au cou du roi et les gens du peuple,brûlant dans les feux de joie jusqu'aux lambris et par-quets du palais, firent ripaille trois jours en l'honneur dupetit-fils de Jupiter.

Le nouveau « Charlemagne » n'hésita pas à se valoirjusqu'à l'abus de cette situation. Par ses Chambres deréunion, à Brisac et à Metz, il se fit attribuer les dépen-dances, depuis longtemps usurpées, des trois évéchés rhé-nans et de l'Alsace. II se fit vendre Casal par le due deSavoie et, pour la différence concernant le comté d'Alost,il bloqua dix mois le Luxembourg. Le roi de Suède n'ayantpas voulu se reconnaitre vassal pour Deux-Ponts, unprince allemand y fut établi. Le roi d'Espagne, cité pourla principauté de Chimay, dut l'abandonner pour ne pasreconnaitre un suzerain. On le força A. quitter le titre decomte de Bourgogne.

Strasbourg, ville libre, avait, malgré ses déclarationsd'amitté pour le roil, aussi pour le gain de son commer-

A la mort de Louis XIII, les bourgeois écrivaient dans ces ter-mes : Nous sommes trop serviteurs de la France et avons recutrop de gratifications et bierif.aits de ce tras-grand, trés-juste et tras-victorieux monarque Louis XIII pour demeurer muets et insensi-bles aux tristes nouvelles de sa mort ; A. Lagrelle, Louis XIV etStrasbourg, Gand, 1878, p. 38.

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ce, soutenu incessamment les Impériaux, auxquels plus-d'une fois elle livra le passage contre la France. Le duede Créqui avait you'll s'en saisir, mais le roi le lui défen-dit : il en était légalement le protecteur et on tirait lecanon à l'entrée de ses dignitaires ; c'est avec l'acquies-cement de Louis qu'elle était entrée dans la Ligue duRhin. 11 la considérait comme sa capitale alsacienne,demandant qu'elle « lui doive la male obéissance quetoutes les autres villes et lieux qui composent cette pro-vince », et voulant qu'on lui préte serment 1. Les intel-lectuels y traduisaient le Cid de Corneille et y jouaientPolyeucte ; les catholiques désiraient la domination durestaurateur de la foi, qui continuait à poursuivre laruine des « prétendus réformés » dans ses Etats hérédi-taires 2. Les basses classes seules étaient contre l'idéed'une annexion. Mais, comme le courant opposé aux Fran-çais espérait pouvoir faire entrer des troupes impériales,le roi fit sans plus occuper la ville, qui se troubla, maisne résista pas. Il fit lui-méme une entrée solennelle avecsa Cour, dont une princesse de Baviére, femme du dau-phin. La « Gaule », disait la légende d'une médaille« est close aux Allemands » (clausa Germanis Gallia). LesElecteurs et les princes rhénans en félicitaient leur pa-tron. On craignait pour Cologne, Worms, Ulm, pourGenève méme. Un roi français des Romains se dessinaità l'horizon 3.

Et, en mame temps, à la suite de la querelle sur lesrégates et sur certaines nominations, une assemblée géné-rale du clergé de France, saisi lui aussi par cet enthou-siasme national qui faisait &lore une admirable littéra-ture, s'opposait aux monitions canoniques dans le stylede Boniface VIII que se permettait l'orgueil d'InnocentXI et présentait à son indignation les quatre points de

1 Ibid., pp. 167-168.2 Ibid., pp. 84, 175.3 ¡bid., pp. 204-205, 220-232. Voy. surtout H. Vast, Des Tentatives,

de Louis XIV pour arriuer a l'Empire, dans la o Revue historique,..XXII (1897).

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l'Eglise des Gaules qui interdisaient à la papauté l'iminix-tion dans la vie intérieure du royaume, condamnaient lesincitations catholiques à. la rébellion des sujets et rappe-laient qu'au-dessus des volontés du chef de la catholi-cité il y a les anciennes coutumes locales et surtout lavolonté de l'Eglise elle-méme, manifestée dans les Con-ciles universels.

Louis XIV n'oubliait pas en même temps de reprendreces traditions impériales dans la Méditerranée qui res-taient attachées au nom de Charles-Quint. En 1681, levainqueur de Ruyter, Duquesne, moitié officier du roi,moitié corsaire, naviguant à l'aventure, reprit la guerrecontre les Barbaresques et les poursuivit jusque dans leseaux de Chio ; on se tira des coups de canon de la flottefrançaise à la forteresse ottomane. L'ambassadeur deFrance, Guilleragues, fut, un moment, arrété, mais lesgens de Tripoli durent faire amende honorable. En 1682,il y eut une tentative contre Alger, dont les défenseursproclamèrent souverain, contre le beg gouvernant aunom du Sultan, un de leurs meneurs dit Mezzomorto ; leconsul de France et des membres de la colonie chrétiennefurent employés comme charge de canon sans que ven-geance pfit en étre tirée au cours de l'année, et bien queDuquesne efit paru au printemps devant Constantinople 1Un traité avait été conclu avec le Maroc 2. Et le bloc duLuxembourg avait été levé avec l'intention expresse defavoriser cette résistance clirétienne contre l'armée ntto-mane des Keuprilis, dont avait parlé le nonce papal auxnigociations de Nimègue. Plus tard, de Nointel, envoyéh. Constantinople, proposa la conquéte, non seulement deChio, mais de Smyrne aussi.

Pendant quelque temps, les Turcs, qui venaient deperdre une personnalité qu'on ne pouvait pas remplacer,le vrai chef de leur Empire, résidant à Constantinople

Cf. la Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, p. 164, avec lesmémoires de Forbin.

Cf. Plantel, Correspondance des begs de Tunis et des consuls deFrance avec la Cour, Paris, 1893-94.

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comme vicaire impérial, alors que le Sultan s'adonnaitla chasse dans les environs d'Adrianop:e, Achmed Keu-prili, s'étaient occupés uniquement des affaires del'Ukraine, oil un puissant parti des Cosaques, appuyé surle Tzar Alexis, espoir des orthodoxes d'Orient, résistaltence re à l'expansion turque au delà du Dniester. Lesecond fils de Bogdan Chmielnicki avait remplacé, aunom dé l'empereur ottoman, Dorochenko, le Hetman de-venu infidèle, et, dès 1677, on combattait sous les murs dela forteresse de Tchechrine. Aussittit le Tzar, qui entre-tenait des rapports avec les princes roumains (traité avecle Moldave Georges Etienne) et avec le clergé grec, ce quiavait amen& (Ms 1657, l'exécution du patriarche de Cons-tantinople, demanda formellement que le pays des Co-saques et méme leur conqnète passagère d'Azov lui soientlivrées. Le drapeau sacré fut done levé contre ce puissantInfidèle, pressé d'accomplir une grande mission histo-rique, mais le gofit des plaisirs retint le Sultan h. Silistrie,sur le Danube ; le nouveau Grand-Vizir, Cara-Moustapha,alla prendre seul possession de la « capitale » des Co-saques. Ce ne fut qu'en 1681 que le Tzar signa le traitéde Radzin, qui reconnaissait aux Moscovites la propriétéde Kiev et des châteaux voisins, alors que l'Ukraine pro-prement dite était affermée par les Turcs au riche princemoldave Georges Duca, qui la rendit fertile et la colo-nisa. En même temps, on tolérait que 1' « empereur » deMoscou exerce sa protection sur l'Eglise de Jérusa-lem 1.

Mais déjà les armes turques, sollicitées, après Pea&cution, en 1671, des anciens chefs du mouvement cal-viniste vers l'indépendance, par la révolte d'EmericUM:Ay, qui avait épousé la veuve de François flak6czy,s'étaient tournées contre la Maison d'Autriche.

Le prétendant magyar était soutenu par les tribu-taires de la Porte et par les commandants turcs du voi-

Gesch. des osmanischen Reiches, IV, pp. 176 et suiv.

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39ti ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

sinage. Ses succès étaient accueillis avec plaisir à Cons-tantinople. Ils s'étendirent bientöt sur Cassovie, Eperjeset Leutschau.

Or, la trève de vingt ans avec l'Empire venait d'expi-ren Aussitöt les Turcs attaquèrent Fölek, où Emeric futreconnu comme roi de Hongrie vassal du Sultan ; leprince de Transylvanie était présent, sans jalousie, àcette cérémonie d'inféodation solennelle (1682). L'annéesuivante, devait se produire une intervention militaire.du Sultan lui-méme, mais le Grand-Vizir seul prit,comme si on avait été encore a l'époque du grand Soli-man, et, de fait, Parmée avait toute l'apparence decohésion et solidité du xvi" siècle, sous le drapeau ddProphète, la route de Vienne.

Au delà du Raab, le roi magyar réunit ses troupes à laformidable armée ; bien reçu, il dut cependant baiser le-pied de son protecteur. Les princes roumains, dont l'un,le Valaque Serban, portait le nom et les armes et avaithérité de l'ambition des Cantacuzènes impériaux, firentaussi l'acte d'hommage, et le Khan des Tatars parut sousAlbe Royale.

L'empereur opposa aux envahisseurs son meilleur gé-néral, dont il venait de faire son parent, Charles de Lor-raine. Il fut repoussé sur la Leitha. En chemin, les châ-teaux impériaux capitulaient. Raab resta bloquée et Granbrtila. Enfin Vienne parut : « ville forte, mais faiblesdéfenseurs », écrit Pinterprète de la Porte, un Grec desIles, formé en Italie, comme beaucoup de ses conationauxh cette époque, Alexandre Maurocordatol.

Léopold avait quitté, le 7 juillet, sa capitale, pressantles secours des princes germaniques et celui de Sobieski,avec lequel un traité avait été conclu dès le mois de maile 13 déjà, le siège de Vienne avait commencé, pendantque Tököly se présentait devant Presbourg.

La ville impériale résista par la force de ses murs etpar le concours désespéré de toute la population, aussi

1 Ses souvenirs lians Hurmuzaki, XIII

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par l'inebranlable decision du comte de Starhemberg, quicommandait 20.000 hommes A. peine. Ce ne fut quevers la moitié de septembre, après deux mois, que lessecours arriverent, Allemands de Saxe et de Baviere,Lorrains qui venaient de chasser Tököly, secrètemententendu avec les chrétiens 1, et surtout Polonais, conduitspar leur roi. La bataille du 12 septembre, gagnée avecde grands sacrifices par les chrétiens, fut un succes decroisade comme on n'en avait pas pu célébrer depuislongtemps. L'armée ottomane, stlre de la victoire, mépri-sante à regard de l'ennemi, fut totalement brisée. On nes'en rendit pas compte assez parce qu'autrement la cam-pagne dont on attendait une gloire dépassant celle deSoliman se serait terminée par un affreux désastre 2.Cara-Moustapha partit presqu'isolé, pleurant au répan-dant contre les siens sa fureur.

Mais les vainqueurs se montrerent bien inférieurs à leurfortune. S'installant dans les chateaux abandonnés, ilslaissèrent aux Turcs le temps de se refaire, et une attaquepolonaise contre les troupes en retraite fut facilementrepoussée. Le Vizir essaya A. Belgrade l'hypocrisie d'untriomphe, quand un émissaire du Sultan lui apportal'ordre de se préparer a la mort. Ce n'était pas la meil-leure façon d'empécher la debacle qui s'annonçait,rapide.

Au moment, presque, où on célebrait la liberation deVienne, les bombes françaises tombaient sur Alger, dontle « roi » dut demander en 1684 la paix. Elles devaientbriser cependant aussi les façades de marbre de Ganes,dont le doge viendra A Paris s'humilier, parce que cetteRepublique s'était mise à la remorque de l'Espagne etparce que ce royaume avait repris la guerre contre la

I Voy. Virgile Zaborovschi, Politica externa a celor trei princi-pate... dele asediul Vienei (1683) panci la moartea lui Serban Can-tacuzino, Bucarest, 1925, p. 31 et note 1. L'auteur donne une richebibliographie. Cf. Hudita, Relation's diplomatiques entre la Franceet la Transylvanie (1645-1683), Paris (1927).

I Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 194-195.

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France, ayant, cette fois encore, l'empereur à ses côtés.La guerre, provoquée par N refus des Espagnols d'exé-

cuter certains points du traité de Nimègue, donna h. LouisXIV Courtrai et Dixmude, qu'il abandonna ensuite, etLuxembourg, qu'il retint. Les efforts du prince d'Oranged'amener les Etats de Hollande et l'Angleterre à une ligueavec les Habsbourg restèrent inefficaces. Une trève troplongue pour la soif de revanche de la Maison d'Autrichefut conclue, et le roi de France la présenta comme unenouvelle concession gull faisait à la croisade qui com-mençait en Hongrie 1

Les grands événements appartiennent désormaisguerre d'Orient. Sobieski révait de la domination sur laMoldavie, la Valachie, peut-étre aussi la Transylvanieil aurait poursuivi méme l'idée d'installer un de ses fitsen Hongrie. Aussitôt après les bonnes nouvelles deVienne, les Cosaques du Hetman Kunicki avaient péné-tré en Bessarabie turque, se réunissant aux mécontentsmoldaves, dont le prince Etienne Petriceicu, revenu dansson pays, avait fait prendre et envoyer à LweEw son rem-plaçant, ce Duea auquel les Turcs avaient donné aussil'Ukraine. L'empereur avait à réclamer son « héritage »hongrois entier et cette Transylvanie qui, plus d'une fois,avait appartenu aux Habsbourg, mais il considérait les.deux principautés roumaines comme en dépendant. LeCantacuzène Serban, de Valachie, qui scellait de l'aiglebicéphale, tendait vers la Byzance de ses ancêtres.

Mais il y avait à l'égard de cet Orient turc en décon-fiture encore une autre politique : celle du Pape, del'énergique Innocent XI, espèce de Jules II guerrier, quiescomptait, comme ses prédécesseurs à la fin du xvi

1 Cf. Kurtler, Die orientalische Politik Ludtvigs XIV., ihr-Verluiltnis zu dem Tiirkenitrieg von 1683, Leipzig, 1907 ; Breuil,Sobieski et sa politique de 1674 à 1683, dans la Revue d'histoirediplomatique, VII-VIII (1893-1894) ; Vachon, La France et l'Antri-che au siege de Vienne en 1683, dans la Nouvelle Revue, XXIII, 5-(1883).

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Cf. Relationes cardinalis Buonvisi, dans les Mon. VaticanaHungariae, série II, vol. II, 1886, et les rapports de Marc d'Alviano.

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siècle, la resurrection du rôle universel de la papauté parla croisade contre les Turcs. Le nonce Buonvisi corres-pondait aux cardinaux de San-Severo et Malaspina sous.Rodolphe II, le père d'Alviano, les Jésuites Dunod et DelMonte étaient à la place des Carillo et des Comuleocette autre époque 1.

Le Saint-Siege, qui exhortait Sobieski à s'entendre avec-la Russie, sur la base de la paix d'Andrussow (1667), pourla ces.sion de Kiev et de Smolensk, et on y arriva seu-lement en mai 1686, lui promettant en éChange lafrontière du Danube, réussit, tout en pensant aussi auxCosaques, au Tzar, sans oublier méme la Perse, la Géor-gie, à gagner Venise pour une guerre offensive, une vraieguerre de recuperation, contre les Tures, auxquels laRepublique avait à réclamer la Grète, Nègrepont, la Mo-rée. La Ligue sacrée fut conclue solennellement h. Linz,et on fit grand fracas autour de cet acte qui ne devait pasavoir les résultats escomptés.

Mais, en 1684 encore, pendant que les Polonais s'occu-paient de la Moldavie seule, une flotte vénitienne se sai-sit de Prévésa, et en Albanie toute une sériA de chateauxfut prise au Sultan ; la plus importante conquéte futcependant celle de l'Ile de Sainte-Maure, défendue it peinedeux semaines. Du côté de la Hongrie, le due de Lôrraine.prenait Viségrad, Vácz, mais il fut remplacé comme chefde l'armée qui assiégea Bude par le marquis de Bade-Durlach, qui retira les troupes épuisées après cent neufjours d'efforts inutiles ; des corps d'armée impériaux tra-versaient la Hongrie Supérieure et la Croatie.

Une tentative d'offensive des Tures réussit en 1685Viségrad, mais &holm h. Gran, où la victoire fut gagnéepar le duc de Lorraine et l'Electeur de Bavière ; Neu-häusel fut facilement reprise. Les généraux qui avaientcombattu en Allemagne et sur le Rhin, Mercy, Caprara,Heissler, se rendirent maltres, presque sans rencontrer de

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résistance, de la Hongrie révoltée, Teat:,ly étant arrétépar les Turcs, dont le commandant fut décapité par ordrede son maitre.

Un traité avec Apaffy, renouvelé en juin 1686, réglaitle sort de la Transylvanie. Les Vénitiens de Morosini pre-naient Coron et se servaient des Mainotes révoltés pouroccuper Kalamata. Les Polonais seuls ne réussirent pasdevant Kaminiec, cédant aux Tatars et perdant un com-bat contre le nouveau prince moldave, fidèle aux Turcs,Constantin Cantemir, ancien camarade de Sobieski.

En 1686, Jean III voulut prendre sa revanche. Unegrande expédition moldave fut dirigée par le vainqueurde Hotin lui-méme. Cantemir se retira de Jassy devantle roi, mais celui-ci rencontra des adversaires plus ter-ribles que Moldaves et Turcs ensemble : la sécheresse duBoudchak tatar, qui consuma son armée ; il quitta cepays maudit en laissant des garnisons dans les placesfortes du Nord de la principauté.

Mais les succès des autres alliés dépassaient de beau-coup cette si maigre « gloire ». Les Vénitiens eurent enDalmatie Segna et Knin, en Albanie Dulcigno, en MoréeNavarin, Modon, Argos et Nauplie. Les brillants jours dumy° et du xve siècle, oft Saint-Marc &all maltre de l'héri-tage hellénique, paraissait revivre, et la cité aux splen-dides souvenirs s'enivrait de ce brillant regain de for-tune.

Non moins, brillants furent les résultats gagnés enHongrie. Aprés avoir réussi un moment à prendre laTransylvanie, que les Turcs surent conserver à leurclient inflate Apaffy, on commença, avec le nouveaucontingent brandebourgeois et avec les Bavarois, en juin,

siège de Bude, et toute une armée ottomane, comman-d& par le meilleur général de l'Empire, n'empécha pasle duc de Lorraine de faire son entrée, après cent qua-rante ans de domination musulmane, dans l'anciennecapitale de la Hongrie royale, dévastée par les flammesi(septembre).

Aussitôt après, il y eut comme une capitulation OA-

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rale des Turcs de Hongrie. Leur propension à la paix,leur disposition à s'en aller dépassaient ce qu'avaienttemoigné dans ce genre, à regard des Français de LouisXIV, les Espagnols des Pays-Bas. Louis de Bade, Charlesde Lorraine, l'Italien Veterani, d'Urbino 1, eurent presquesans effort Simontornya, Ffinfkirchen (Pecs), Siklos ; leGrand-Vizir, accouru avec toute une armée, assista im-puissant à la prise d'Essek par les chretiens. Il vouluttenter la fortune par une grande bataille decisive et s'yprépara pendant l'hiver entier. Il lui fut facile de traver-ser devant les troupes impériales tout le territoire entrela Save et la Drave et d'avancer jusqu'aux champs deMohács, où jadis avait péri sous son chef national ceroyaume qu'il s'agissait maintenant -de ressusciter pourles Habsbourg, c'est-à-dire pour le germanisme dirigé versl'Orient. Sur la colline de HarsAn, les Turcs, con,fiantsdans leur nombre et inspires par le souvenir de l'anciennevictoire glorieuse, prirent l'offensive, se jetant sur unadversaire exécré. Ils ignoraient cependant presque com-plètement cet art de la guerre qui s'était forme en Occi-dent par le duel entre Français et Espagnols, par la pen-see inventive des commandants italiens au service desdeux couronnes. L'artillerie ottomane ne savait pas ma-noeuvrer et tirer. La déroute fut complète, et les vaincusabandonnèrent en fuyant tout le territoire de la Hon-grie jusque-là esclave. La Transylvanie fut aussitòtenvahie jusqu'aux Carpathes moldaves, Apaffy contraintde reconnaitre sa dépendance de l'Empire (octobre).Erlau, que les Turcs avaient en vue dans leur invasion,se rendit, et le méme general italien Caraffa fit sonentrée dans la puissante forteresse du Marmoros, Mun-kAcs, au commencement de Vann& 1688 2,

L'histoire n'avait pa connu une restitution plus fou-

Memorie del marescialo conte Federigo Veterani dall' anno 1683sino &ill' anno 1694, Vienne-Leipzig, 1771 ; traduction allemande,Dresde, 1788. Cf. Röderer, Des Markgraf en Ludwig Wilhelms vonBaden Feldziige wider die Tiirken, Karlsruhe, 1839-42.

2 Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 211-220.

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droyante. C'était bien le royaume de Hongrie qui sereconstituait, et les Etats hongrois rassemblés à Pres-bourg proclamaient la dynastie des Habsbourg, le roiJoseph, fils de Leopold, recevant la couronne.

Le Sultan paya de son trône la mauvaise chance de sonVizir Soliman. Les troupes avaient déposé ce chasseuracharne, qui ne savait pas conduire des armées, mais,malgré l'avenement d'un nouveau souverain qui portaitle nom du grand Soliman, malgré la forte direction impri-mée par le nouveau regent de l'Empire, Moustafa Keu-prili, en 1688 Albe-Royale arborera le drapeau blanc, etFarmée de recuperation prendra en deux semaines Bel-grade (septembre). Les Impériaux entreront dans le Ba-nat et atteindront la frontière méridionale de la Hongrie

Peterwardein. Et l'épopée de la guerre sainte envoyaitde tous côtés ses avant-coureurs : Veterani passait parCaransebe par Orsova, par la Valachie, presque ralliée

la croisade, vers ses quartiers d'hiver en Transylvaniele marquis de Bade envahissait la Bosnie, penetrant jus-qu'à Brod : laissant sur le champ de bataille le cadavredu pacha vaincu, il occupa Zvornik et pensa sérieuse-ment à atteindre, par la Herzégovine, l'Adriatique. EnCrimée, les Russes, entres dans la Ligue, attaquerent,pour la possession d'Azov, les Tatars du Khan.

En méme temps, et bien que l'offensive polonaise eacessé, les Vénitiens complétaient, sans grandes batailles,une oeuvre pareille en Morée, prenant Patras, Lépante,aux souvenirs de croisade, Castel Tornese, Misithra lace-démonienne, aux belles églises byzantines, Malvoisie, Co-rinthe, Athènes, où les boulets du Hanovrien Königs-mark emportèrent les debris des colonnes brisées surl'Acropole. Morosini osera s'attaquer, en 1688, A. l'ile deNegrepont, dont la citadelle résista à ses efforts.

L'Empire ottoman paraissait devoir s'effondrer dansla (Waite et dans l'anarchie. Louis XIV ne pouvait pasadmettre une Autriche libre sur ses frontieres orien-tales et méme installée à Constantinople, ces Habsbourg

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CHAPITItE XV 403

..annulant sur le Danube la Pologne, dont le roi, mari.d'une dame d'Arquien, de la Cour de Louis XIII, pro-fessait des sentiments de constante amitié a l'égard del'arbitre des choses européennes. Il ne pouvait pas aban-donner les intéréts de commerce favorisés par la nou-velle capitulation obtenue en 1673. Il lui aurait été diffi-cile cependant de troubler, sous les yeux enthousiastesd'un Pape plein de conscience de ses droits, cette belleatmosphère de croisade, gagnant les plus indifférentsmême, de nouveau, en 1687 et 1688, les troupes fran-çaises s'étaient jetées sur Alger, et Tunis avait été atta-quée dès 1685, si l'inimitié du prince d'Orange ne luiavait pas donné le motif.

Le vaincu de Nimégue pciursuivait patiemment ses pro-jets, qui tendaient à une hégémonie protestante dansl'Occident européen. En février 1685, Charles II étaitmort et, malgré le bill de test, dont il avait réussi.étre excepté, Jacques II lui avait succédé en catholiquedéclaré, faisant de la messe une cérémonie de l'Etat. Larésistance de l'Ecosse presbytérienne conduite par le ducd'Argylle 1, fut brisée, et le fils batard de Charles II, le ducde Monmouth, jadis un hôte de la France, périt lui aussisur l'échafaud. C'était l'époque oit Louis se laissait trainerpar sa nouvelle confidente, Madame de Maintenon, néed'Aubigné et veuve du poke comique Scarron, à la révo-cation de l'édit de Nantes, accompagnée de « dragon-nades » dans les villages, de baptémes forcés, de destruc-tion des temples, d'enlèvement des enfants males pourétre élevés dans la religion romaine, et enfin d'expulsions.Il fallait se chercher donc d'autres alliés, et la persistanceinvincible du stathouder, qui considérait son petit payscomme une simple base pour de vastes projetslestrouva.

Dès 1'686, un traité fut conclu entre les Etats de Hol-lande, obéissant cette fois à leur capitaine général, etentre les Habsbourg des deux branches. La Suède eut

Son Ore avait été exécuté aprés la restauration.

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404 ,ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DB L'HUMANITE

l'ingratitude d'y adhérer, et la Baviere aussi, dont le duc,pere de la dauphine, était devenu le gendre de LeopoldP et un de ses généraux en Hongrie, en attendant unevice-royauté dans les Pays-Bas espagnols. Une grandepartie des autres princes allemands, surtout ceux descercles menaces par l'avance française, se déclarerentpour cette garantie. De son côté, la Saxe restait fidèle àses attaches avec Vienne. En Italie, Victor-Amédée deSavoie fut facilement gagné A. cause de l'affaire de Casal etde l'occupation, ancienne, de Pignerol. Innocent XI avaitsupprimé les « franchises » des ambassadeurs auprès duSaint-Siège, et surtout le droit d'asile : le roi de Francene voulut pas ceder, et, bien que le Pape eat declare nevouloir accepter qu'un ambassadeur commençant parcette renonciation, il en envoya un qui entra A. Rome àla téte d'une petite armée et se laissa tranquillementexcommunier ; la France, par arrét du Parlement, enappela au premier Concile cecuménique, défendit l'envoide subsides A. Rome et coupa toutes les communicationsavec le pontife chef de croisade.

Le Palatin venant à mourir, le duc de Neubourg enprit l'héritage. Mais la princesse palatine; mariée au ducd'Orléans, avait des prétentions, non seulement sur desobjets, mais aussi sur certains territoires qui n'auraientpas appartenu au Palatinat. Il y eut des discussions, et lePape chercha à les apaiser au profit de la guerre sainte,si bien acheminée.

Le résultat fut celui-ci : Louis XIV demanda que latreve conclue à Ratisbonne avec l'empereur soit transfor-'née en paix definitive. Leopold n'y acquiesça pas. Achaque pas, les intéréts opposes de cette royauté impé-rialiste et de la Maison impériale d'Autriche, galvaniséepar ses étonnants succes sur les Turcs, devaient se ren-contrer. A la question du Palatinat s'ajouta une autrecelle de la succession h. l'Electorat de Cologne, occupéjusque-là par un prince de Bavière. Leopold voulut yinstaller le prince Clement de Bavière, évéque et cardi-nal; Guillaume de Fiirstenberg était le candidat de Louis.

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CHAPITRE XV 405

La voie transactionnelle fut repoussée par le parti opposéla France, qui savait bien que le Pape Rail disposé aux

dernières mesures contre le roi de France, dont il avaitrefusé d'accueillir l'envoyé spécial et de lire la missiveconciliatoire par une lettre autographe. Clément réussit.

En méme temps, l prince d'Orange se préparait pourson établissement en Angleterre. Jacques II, qui voulaitproclamer la liberté de conscience, avantageant aussi lespresbytériens et autres dissidents, rencontra l'oppositionopinikre et irritée des Parlements dissous l'un aprésl'autre et celle de l'Eglise anglicane qui tenait it son pri-vilège d'Etat. Chaque j our, l'autorité de ce prince, quiavait été bien reçu k ses débuts, diminuait, et les regardsse tournaient vers le gendre hollandais auquel on prépa-rait ainsi le rôle de restituteur des bonnes coutumes, dedéfenseur, contre le « papisme » envahissant, de la reli-gion protestante. Les provocations de Jacques, prièrespour la naissance d'un héritier, de son second mariageavec une princesse de Modène (en 1674), projets de péle-rinage à Lorette, cérémonies catholiques en public,contribuaient aussi à lifter une catastrophe inévitable.Les mesures contre les pétitionnaires, ditg whigs, neréussiren't pas, et le procès contre l'évéque de Londres etses collègues encore moins. Lorsqu'un enfant royalhaquit, après quatre autres qui étaient morts et sept ansde stérilité, on calcula qu'il venait au monde plus d'unmois avant terme et on manifesta d'une façon injurieuseles doutes sur la ré'alité de cette naissance. Le peuple deLondres acclamait bruyamment les adversaires de la cou-ronne; l'armée que Jacques avait rassemblée et qu'il con-sidérait comme un appui stir montrait des signes d'indis-cipline. Un groupe de mécontents, Russell, Sidney, Johns-ton, Shrewsbury, se rendit en Hollande pour « inviter »le prince d'Orange, sans définir le relle qu'on entendaitlui donner.

Or, plus d'une fois, Louis XIV avait averti son voisin.de ce qui se préparait et lui avait offert un concours

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406 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HU?dANITA

militaire qui, par inconscience ou par excès d'optimismefut constamment refusé. Pour retenir l'intervention fran-çaise, qui paraissait probable, le prince avait besoin dela guerre européenne.

Louis y était poussé par la longue série de défaitesdiplomatiques et d'humiliations qui atteignaient le pres-tige de celui dont la statue couronnée par la Victoires'élevait de son vivant, par l'acte hommagial d'un sei-gneur qui voulait y brfiler des lampes jour et nuit surune des places de la capitale, essentiellement embellie.se décida, malgré son mauvais état de santé et ses pré-occupations religieuses, à frapper.

D'abord, il se tourna contre le Pape, dont i1 fit publi-quement le procès en tant que prince temporel, ennemiavéré et permanent des intérks de la France et de lapersonne royale. 11 alla jusqu'à séquestrer au souverainde Rome Avignon et le Comté Venaissin. Ensuite, celuiqui avait convert ses frontières de forteresses, qui avaitfait creUser le port de Rochefort, qui avait fondé l'écoledes « gardes marines » et avait sans cesse, malgré sapassion pour les batiments, à Versailles, à Marly, aceruson armée, sachant quelle était la valeur de l'instrumentmilitaire qu'il avait en main, fit marcher ses troupes enAllemagne. Et ceci au moment méme où, sous prétexted'annoncer A Vienne son avènement, le Sultan, se sen-tant inCapable de combattre, faisait des ouvertures depaix.

Kaiserslautern, Heilbronn, puis aussi Heidelberg,Mayence, Philippsbourg, à peine défendues, furent oceu-pées, Augsbourg méme menacée. Comme l'empereur, eni-vré de ses progrès en Hongrie, ne voulait pas céder sur laquestion de Cologne, ni accepter la conclusion d'une paixdéfinitive, Spire, Trèves, Worms reçurent aussi des gar-nisons françaises. Dès le mois de janvier 1689, Louis étaitdéclaré, dans la Dike de Ratisbonne, ennemi de l'Em-pire.

Si, à la place de ces conquétes passagères, on s'était

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CHAPITRE XV 407

dirigé, contre Maestricht, Guillaume d'Orange en auraitété retenu. Mais, sachant son principal adversaire pris enAllemagne, le prince, qui avait fait mine de se préparercontre la France, s'embarqua, à la fin d'octobre, pourl'Angleterre, sous des drapeaux portant la devise : « Potirla religion et pour la liberté », et portant avec lui desréfugiés français, et meme le maréchal de Schonberg.

Devant cette attaque, facile à prévoir, mais qui jus-qu'au dernier moment avait été réputée impossible, Jac-ques II recula, cédant au Parlement, aux évéques, auxvilles, allant jusqu'à admettre une enquéte sur la nais-sance du prince de Galles. Puis, ayant appris que songendre est arrété par les vents, il retira tout ce qu'ilavait accordé, parlant de créer cent cinquante nouveauxpairs, d'appeler 20.000 Français. Mais, aprés les premiersmoments d'incertitude, l'armée d'invasion se voyait sou-tenue par les masses excitées contre les catholiques ; lapopulace s'agitait A. Londres, et l'armée abandonnait lesdrapeaux. L'autre fille du roi, la princesse Anne, 'et sonmari, le prince de Danemark, regardaient avec indiffe-rence cette triste fin de regne. Jacques, qui paraissaitvouloir combattre, revint à Londres, qu'il abandonna enfuyard. La tempéte l'empécha de passer le détroit, et ildut revenir dans sa capitale oft il rencont,ra un chaleu-reux accueil. Entre le prince, auquel on demandait le« Parlement libre » et son beau-pere il y eut done desnégociations ; mais tout à coup, comme il constata nedisposer plus que de sa garde irlandaise, le roi « de-serta », s'embarquant pour la France.

Pendant longtemps, dans le camp des vainqueurs, onfut gene de prendre une decision. Soixante-dix pairsétaient pour Jacques, s'engageant par écrit. Le roi étant« absent », son gendre, son héritier, pour quiconquedéniait l'existence d'un prince de Galles authentique,en devint commissaire legal pour la convocation duParlement desire, et administrateur provisoire duroyaume. Dans une reunion tenue en janvier 1689 sousla forme d'une « convention », car il n'y avait pas de roi

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408 ESSAI DE SYNTIIESE DE L'IlISTOIIIE DE L'HUMANITÉ

pour convoquer un Parlement on décréta que le fuyardroyal « a taché de renverser la Constitution du royaumeen violant le contrat original entre le roi et le peuple ».

Cette théorie, toute nouvelle, du contrat paraissait donedéja. Mais Guillaume refusait une régence d'usurpationet la proclamation illégale de sa femme comme reine. Leslords mettaient en doute la théorie constitutionnelle, aussibien que la vacance du trône. Ils ne finirent par céder quesous la menace du Hollandais que, s'ils tardent, il partira,les abandonnant à la vengeance d'un roi offensé. Alors,la couronne fut offerte en toute forme à Marie et a Guil-laume sous les conditions expresses qu'il ne suspendrap is les lois sans le Parlement, qu'il ne dispensera per-sonne de leur exécution, comme l'avait fait Jacques quiprétendait que celui qui fait la loi a le droit d'en dispen-ser, qu'il ne créera ni nouveaux impôts ni nouvelie Courde justice, qu'il n'entretiendra pas d'armée pendant lapaix, tout en permettant aux protestants de rester armés,qu'il renoncera aux lourdes amendes et aux confisca-tions sans sentences, qu'il respectera l'activité du Parle-nient sorti d'élections libres. Cette « déclaration dedroits » précéda de trois mois le couronnement. L'Angle-terre avait une reine, et aussi un roi, mais surtout LouisXIV, un formidable ennemi 1.

Comme au Portugal done, une royauté constitutionnellelablissait en face de la monarchie absolue du roi de

France, et c'était dans l'histoire du monde un grand 6176-nement parce qu'il regardait un plus grand pays et unenation qui deviendra, grace à l'élan de cette révolutionm6me, grand.

Aussitôt l'Empire reconnut le nouveau roi, qui avaitencore à combattre les troupes du due de Gordon enEcosse, de Tyreonnel, en Irlande. Une triple alliance futconclue, les Etats de Hollande garantissant à Léopold la

Voy. aussi dans l'ancienne littérature, Macaulay et le livre lurni-neux d'Armand Carrel. Histoire de la contre-révolution en Angle-terre, Bruxelles, 1836.

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CHAPITItE XV 469

succession à la Couronne d'Espagne, dont le nouveau roi,Charles, un dégénéré, ne donnait pas esprit de postérité.De son dote, Louis espérait cet heritage pour le Dauphin,ou pour un. de ses deux fils. Comme, à Madrid, on sedéclara pour le roi Guillaume, la guerre éclata de nou-veau entre la France et l'Espagne.

Mais, si Jacques II put passer en Irlande, avec 8.000Français, s'il réussit à s'installer, pour des semaines,Dublin et soumettre A son autorité l'ile presque entière,si de nouveaux secours de France raffermirent une situa-tion qui paraissait lui promettre une prompte restaura-tion, si, enfin, le maréchal de Schomberg n'osa pas livrerbataille, a. la tête des troupes venues d'Angleterre, et per-dit une grande partie de ses forces dans un pays mal-sain, la guerre continuera de ce côté sans empêcher, sansinfluencer même essentiellement, celle qui s'ouvrait surle continent.

Mais cette dernière paraissait devoir mettre fin auxsuccès des Impériaux en Hongrie et, en tout cas, elledétruisait les espérances d'Empire byzantin, à la catho-lique et à l'allemande, de Leopold, le nouvel « hems »du siècle.

En effet, on avait déjà, sauf Kronstadt-Brasov et Faga-ras, la Transylvanie entière. Des 1687, le Cantacuzenevalaque était considere comme general imperial, et on luirecommandait de gagner A la cause chrétienne ses voi-sins orthodoxes, dont toutes les coutumes, toutes les ins-titutions traditionnelles auraient été respectées. Le pa-triarche de Constantinople fut invite A se réunir dans cebut à celui qui portait le nom des anciens empereurschretiens. Le prudent prince de Valachie discutait cepen-dant sur le chiffre du tribut, sur la nécessité d'êtregaranti par la prise de Temesvár, sur le besoin qu'il sen-tait d'avoir aupres de lui un contingent de Hongrois oud'Allemands, sur la possibilité ou l'impossibilité de lespayer et de travailler à un pont sur le Danube, sur le dan-ger que représentaient les Tatars, et enfin sur la diffi-

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410 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

culté de rassembler ses « Etats » pour leur faire accepterle traité qui venait d'être conclu à Vienne. Des offresfaites par les Polonais, par les Moscovites, chez lesquelsse rendait aussi l'évêque serbe de Skoplié, retenaient aus-si l'esprit prévoyant et plein de ressources du prince vala-que, auquel le roi de Hongrie parlait du « retour de lanation roumaine à sa splendeur de jadis ». Le passagede Veterani par la Valachie fut considéré comme un actebrusque et compromettant ; la Moldavie, en guerre avecles Polonais, attendit encore deux ans avant de conclureun traité, qui ne devait jamais être execute, avec le com-mandant imperial en Transylvanie. Et les prétentions deGeorges Brancovitch, ancien pèlerin à Moscou et frerede l'évéque roumain de cette Transylvanie, de devenir,avec le concours des Impériaux, « despote héréditaire detoute l'Illyrie et du despotat de l'Empire d'Orient, grand-due de la Mysie supérieure et inférieure, ainsi que duSaint-Empire Romain, prince de Saint Sabbas et du Mon-tenegro, seigneur perpétuel de l'Herzégovine, de Syrmieet de Jenii, comte en Hongrie et dans les pays qui luisont réunis », resterent, avant son arrestation, tout aussivaines que celles d'un certain comte Matimir, héritier del'Illyrie et de la Dalmatie et duc de Chlum 1

Devant le danger franpis, la Diète de Ratisbonne avaitexigé la conclusion d'une paix avec les Turcs, mais lesenvoyés du Sultan furent soumis, A. Vienne, auxceremonies les plus humiliantes, leur faisant, comme onl'exigeait depuis deux siècles, des envoyés chretiensConstantinople, baiser le pan du manteau imperial, et ilSfurent renvoyés sans résultat, bien qu'ils se montrassentdisposes à admettre une frontière occidentale qui n'au-rait pas dépassé TemesvAr et Nagy-VArad, les places-fortes qui résistaient encore, et, du côté de la Hongrie pro-prement dite, la ligne de la Save 2

On avait espéré étendre en 1689 les conquêtes des.

Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, p. 235 et suiv. Cf. Zaborovs-chi, °ult.. cité.

¡bid., pp. 232-244.

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CHAPITHE XV 4111

armes impériales. De fait Szigeth, prise par le grand Soli-man, fut perdue par son faible successeur qui, demoralisepar cette nouvelle, s'arréta en chemin. Mais, bientôt, on.devait s'apercevoir que le Grand-Vizir, qui, employantencore ridée nationale magyare dans la personne deTököly, feignait d'ignorer que le nouveau prince de Vala-chie, neveu de Serban, mort en 1688 encore, ConstantinBrâncoveanu, avait été aussi nommé par un diplômeimperial, disposait d'une assez importante armée, en &atde prendre l'offensive contre une force brisée en deuxpaf l'attaque française.

Les généraux de l'armée de croisade étaient parfoisau fond des princes ayant leurs propres interets, que la« gloire » gagnée contre les « Infidèles », le mirage deConstantinople reconquise par leur vaillance, ne pou-vaient pas leur faire longtemps oublier. Aussitôt apresla declaration de guerre contre le roi de France, l'Elec-teur de Brandebourg se dirigea contre Cleves, celui deBaviere sur le Palatinat et le due de Lorraine vers JeRhin, sur le chemin de sa patrie perdue. De leur côté,puisque les Franyais, qui avaient pris, en hiver, Bonn etavaient affreusement dévasté toute la rive gauche iluRhin, n'épargnant pas méme les vénérables villes deWorms et de Spire, étaient établis sur cette frontiere auxdépens des Electeurs ecclésiastiques, ceux de Mayenceet de Cologne retinrent pendant des mois les forces del'Empire pour leur faire reprendre Mayence elle-méme etBonn. Aux Pays-Bas, les efforts d'une grande armée, danslaquelle Espagnols, Hollandais, Anglais avaient leur con-tingent, ne réussirent qu'à empécher une offensive incon-sidérée des Français. Du côté des Pyrenees, enfin, l'Es-pagne était de nouveau harcelée sans pouvoir répondre.

Pendant ce/te campagne manquée en Occident, lesTurcs reprenaient Cladovo en Serbie, Orsova aux Portes-de-Fer du Danube, et attaquaient Caransebes, centre de lanoblesse militaire des Roumains du Banat, où le generalHerbeville put resister. Mais on se félicitait du côté desImpériaux d'a-voir pénétré jusque dans les environs de

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412 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

Nich, après une double et brillante victoire ; lorsque leGrand-Vizir se présenta, avec une armée de beaucoupsupérieure, le marquis de Bade eut le courage de tenterles risques d'une nouvelle bataille près de cette villeserbe : Piccolomini, qui devait mourir bientöt h. Pirote,Heissler, accouru de Transylvanie, collaborèrent à unsuccès définitif. L'armée ottomane n'existait plus, et lesAutrichiens purent donc renouveler les exploits du vieuxHunyadi, descendant jusqu'au tragique champ des Merlesit Cossovo, jusqu'à Skoplié et à Prizren, jusqu'aux valléesde l'Albanie. Ecartant les faibles garnisons turques, ter-rifiées, Heissler rejetait en arrière Brâncoveanu, dont la

_politique était, tlans l'intérét de son autonomie, plus quesuspecte, et, avec un colonel impérial qui Rail bolarvalaque et le propre gendre et continuateur de Serban, àses cötés, il occupait sans coup férir Bucarest, pour seretirer, il est vrai, h la première nouvelle que les Tatarss'avancent 1.

Le Sultan trouva assez d'énergie pour se défaire desauteurs de la défaite honteuse et pour se livrer h Mous-tafa Keuprili, qui proclama la guerre sainte. Apaffyvenant de mourir, en avril 1690, Tököly fut nommé h. saplace et, la rancune de Brâncoveanu contre Heissler, quien voulait à son tröne, y aidant essentiellement, la Tran-sylvanie fut envahie par une armée dans laquelle, à cötédes Turcs et des Tatars, il y avait des forces valaques,bien organisées. Heissler, qui avait réussi h conclure untraité avec le Moldave Cantemir, sir les bases d'une par-faite autonomie pour la principauté 2, fut complètement

:bath' à Zârnesti : son prince de Valachie fut trouvé parmiles morts, et le général impérial lui-même resta prison-nier. Toute la Transylvanie paraissait revenue aux Turcs,qui faisaient couronner le « roi de Hongrie », Eméric,dans une église de village saxon près d:Hermannstadt,mais,. le lendemain de cette cérémonie, les vainqueurs

1 Ibid., pp. 244-247.2 Ibid., p. 235. Cf. la revue bessarabienne Spicuiri in ogor strain,

-année 1925.

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CHAPITRE XV 413

revenaient en Valachie, ayant accompli un simple acte devengeance. Le marquis de Bade, qui avait pris Kanizsa,avait dû interrompre sa campagne pour accourir à cettefrontière orientale de l'expansion autrichienne.

Et, aussi facilement qu'on avait conquis les provincesserbes, les perdit-on. Un Starhemberg, le défenseur deVienne, ne sut pas défendre Nich sans murailles ; Vidine-et Orsova eurent le même sort. Les Bourguignons Aspre-mont et de Croy ne furent pas plus heureux A Belgrade(octobre), et les Serbes, compromis pour s'étre réunis auxbandes de la croisade, durent se chercher, leur patriarcheen téte, Arsène Tchrnolévitch, un asile définitif sur larive gauche du Danube. Le Banat, pour lequel la guerrecontinuera, redevenait turc, Veterani devant y finir sesjours, et Essek seule restait intacte, des conquaes dePannée précédente. En Morée, enfin, les Vénitiens gar-dèrent Malvoisie, mais Kanina et Valona, sur la c6te alba-naise de l'Adriatique, furent pefdues.

Tout aussi mauvaise fut rani:16e 1690 en Oczident,.pour les troupes de la Ligue d'Augsbourg. Le maréchaide Schomberg y fut tué. Le roi Jacques partit pour laFrance, mais Guillaume ne réussit pas A réduire Lime-rick, défendue par des Français.- Jacques se laissaitbattre en Irlande, à La Boyne, le lendemain d'unevictoire navale française, par le nouveau roi : cetteentreprise n'était dans l'intention de Louis qu'une diver-sion, quelle que ffit sa fidélité de parent et decatholique à régard du roi légitime. Mais, le due deSavoie s'étant déclaré pour l'empereur, dans l'espoir deregagner Casal et Pignerol et de s'étendre en Provence,le maréchal de Catinat l'écrasa à Staffarde pour alteroccuper le marquisat de Saluces, héritage de FrançoisPr, et Suse, déjà prise par la campagne personnelle deLouis XIII.

Aux Pays-Bas, le maréchal de Luxembourg, rappeléaprès une longue et douloureuse disgrAce, remportait lavictoife de Fleurus, immobilisant ses adversaires,

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414 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

n'avait pas réussi à briser: Mais le plus grand coup portéaux armées impériales sur le front occidental fut la mortde Charles de Lorraine. Appelé h Vienne par l'empereur,il lui écrivait d'Innsbruck, où il agonisait : « SacréeMalesté, je serais parti d'Innsbruck pour alter recevoirvos ordres, mais un plus grand maitre m'appelle ; jepars pour lui rendre compte d'une vie que je vous avaisconsacrée 1 » Le duc de Bavière ne réussit pas à entamerles lignes françaises, commandées par son beau-frère ledauphin, dont la femme venait de mourir.

On se montrait disposé dans le camp impérial à unepaix qui aurait permis d'améliorer la situation sur laSave et le Danube. Mais celui qui avait déclenché laguerre n'entendait pas lo quitter de si OA. On l'avait crumort après la bataille d'Irlande, où il fut effleuré par unboulet, et le peuple de Paris et d'autres villes en firentdes démonstrations bruyantes. Il ne tarda pas à montrerque sa haine, toute personnelle, était vivante.

L'année 1691 s'ouvrit cependant par de nouveaux suc-.cès des armées de Louis XIV. Le duc de Savoie parais-sait absolument hors d'état de se defendre : Nice « serendit d'abord qu'elle fat attaquée 2 » ; un hasard livraaussitlit le château. Le due quitta sa capitale, qu'il voyaiton danger ; il assista aux promenades militaires et auxcxploits faciles de ses ennemis ; c'est à cette occasionque, dans l'armée piémontaise, assez importante et gros-sie d'un contingent allemand, fit ses premières armes enOccident celui qui avait amené les Impériaux : un parentde Mazarin en même temps qu'un prince de Savoie et unprince de sang français, Eugène ou François- ugène, filsdu comte de Soissons, de cette dynastie savoyarde, etd'Olympe Mancini, qui, avant sa sceur Marie, avait 1.'6\76d'être reine de France. C'était un des croisés français deHongrie, contre la volonté du roi, qui n'avaient pas osé

Reboulet, ouvr. cité, pp. 97-98.2 Reboulet, loc. cit.

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CHAPITRE XV 415

revenir en France. Le duc de Bavière lui-méme vintsecourir ce médiocre allié, qui tenait cependant les clefsde l'Italie ; des calvinistes français, avec le fils du maré-chal de Schomberg, étaient accourus aussi. Lorsque cescontingents se dissipèrent, l'offensive française futreprise.

Mons avait cédé au roi selon la volonté desbourgeois, ¡Rs les premiers jours du printemps, après unepoussée .française jusque vers Bruges. Le roi d'Angleterreavait assisté en spectateur à cet exploit. Liège fut bom-bard& et on craignit pour Bruxelles. Après le depart deGuillaume vers La Haye, le commandant des troupes dela Ligue, le prince de Waldeck, fut battu par Luxem-bourg h. teuze (septembre). La flotte française dominaitla mer. Ce fut seulement en Irlande que les efforts &pen-sés pour la cause perdue de Jacques II restèrent vains,Limerick clevant se rendre. Guillaume n'en fut que plusdécidé à pousser la guerre.

La situation de l'empereur s'était améliorée par la dis-parition du Grand-Vizir qui avait réussi à communiquersa confiance et son élan aux troupes ottomanes.

Moustapha Keuprili avait fait passer sans troubles, Ala mort de Soliman, le pouvoir supréme sur Achmed,frère du Sultan défunt. II partit en juin contre les Imp&riaux, chassait devant lui. A Salankemen ils s'arr8-*rent ; l'attaque des Turcs fut si furieuse que de Souchesresta mort sur la place et Starhemberg fut blessé. Le mar-quis de Bade cherchait à endiguer la marée des spahis,lorsqu'un boulet tua le Grand-Vizir presqu'au milieu dela victoire. Il y eut alors un affreux massacre des Turcs,mais les survivants purent se retirer en ordre avec lecadavre de leur chef. On prit Lippa (Lipova), sur leMurás, et le siege de Nagy-Várad commença 1

Les Autrichiens renondrent cependant à reprendrel'offensive. Sobieski, soutenu par les conseils des Fran-

Gesch. des Osmanischen Reiches, IV, pp. 253-255.

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416 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

vais, qui voulaient lui procurer la Moldavie, convoitée parl'empereur aussi, se hAta de passer alors en premièreligne. Il pénétra dans la principauté, inais dut se retirerbientôt, n'ayant fait que jeter des garnisons dans cer-tains chateaux flu Nord. Le nouveau commandant desImpériaux, l'Electeur Frédéric-Auguste de Saxe, qui de-vait étre le succeseur de Jean III sur le trône polonais, seborna à employer ses généraux italiens ou français, Vete-rani, Caprara, Vaudemont, Rabutin, à défendre Peter-wardein et le front du Banat ; deux tentatives sur Temes-vAr échouèrent.

En 1695, un Ills de Mahomel IV avait hérité du douxSultan Achmed ; avec plus de mesure et de sens des réa-lités, il ressemblait à son père, le Nemrod des souverains.ottomans. ll se décida à régner seul, a commander seul,donner aux troupes l'encouragement de sa présence aumilieu des batailles. Non seulement Belgrade fut con-servée, mais le Banat revit les Turcs ; en 1695 méme,Veterani fut tué en défendant Lugoj, et en 1696 l'Elec-teur de Saxe lui-même milli un grave échec.

Autant que la guerre durait en Occident, oil elle étaitdevenue désespérée, féroce de la part des ennemis de cateroyauté française dont on proclamait l'ambition, les ten-dances à la domination universelle, mais qui ne faisaitque défendre les limites de la patrie et de la race, le con-flit oriental, devant décider du sort des Carpathes et duDanube, ne pouvait pas étre résolu.

En mai 1692, une troisième tentative de restaurer lacause de la légitimité en Angleterre échoua ; les Fran-çais eurent devant eux à la Hpgue les vaisseaux, deuxfois aussi nombreux, des Anglais et des Hollandgis, quiavaient à payer une dette au comte de Tourville ; undéfaut de manceuvre réduisit celui-ci à faire brûler nut;grande partie de ses vaisseaux poussés vers l'ennemi : laflotte française, jusqu'ici dominatrice, paraissait avoirvécu. Quelques groupes poursuivirent les vaisseaux mar-chands des adversaires, mais la flotte anglaise put acca-

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tHAPITRE XV 417

bier de bouletg, en 1693, Dieppe, Le HAvre, Dunkerque,Saint-Malo, Calnis, et essaya la prise de Brest. Biensecouru, le duc de Savoie, qu'on avait créé généralissime,méme des Anglais et des Hollandais, et vicaire d'Empireen Italie, s'il rie pduvait pfis regagner dans ses Etats lesIrois placeg fortes, pénétra dans le Dauphiné, où ¡I comp-taii sur les barbets .» Nauclois des montagnes et sur lesrestes des calvinistes, pour que, l'année suivante, Gati-ng s'en revancha liar la victoire de Wrsala. Il ne conti-nua pas cependant autrement que par la défense de Casal,qui, capitulant, fut livrée au duc de Mantoue, et par unedernière invasion accompagnée cependant de l'offre dePignerol. Le chic de Savoie finira par abandonner laLigue, lorsque sa fille, figie de onze ans, épousera, en1696, le duc de Bourgogne, fils du Dauphin. On le vitméme commander les troupes frainaises dans le Mila-nais, imposant ainsi aux deux Habsbourg la neutralité enItalie.

Mais le roi de France put prendre, à la téte d'une splen-dide armée, Namur, et, Iorsque le duc de Bavière, vice-roides Pays-Bas pour l'Espagne, se réunissant au roi Guil-lattme et au prince de Waideck, essaya d'une grandebataille, il la perdit contre Luxembourg A Steinkerque(1692). L'année suivante amena, aprés une nouvelle vic-toire du maréchal sur le roi d'Angleterre, la prise, qu'onattendait depuiS longtempg, de Charleroi. En 1694, ledauphin ne put pas obtenir des succés sur ce thatre dela guerre, mais, Luxembourg étant mort, ses successenrsse gagnerent encoie Dixmude en 1696. Catinat, enfinlibre, devait essayer de rétablir la situation aux Pays-Bas, où Guillaume n'avait réussi qu'à reprendre Namur(1695). Pendant tout ce temps, il n'y avait eu sur le Rhin,oÙ commandalt le marquis de Bade, que des manceuvreset des contre-manceuvres, avec des incursions dévasta-trices comme celle des Franeais dans le Palatinat et leWurtemberg. Il était évident que l'Empire de 1690 n°étaitplus celui qui avait rigqué, sous la eonduite de Charles deLorraine, des fictions si hardies vingt ans auparavant.

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418 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOiRE DE L'HUMANITA

Des négociations depuis longtemps entamées, à Ma6s-tricht, par la médiation des Suédois qui ne combattaientcontre la France que par le caractère de prince de l'Em-pire qu'avait leur roi, avaient bientôt échoué h cause del'opinialreté de la rancune du roi Guillaume, et ceci mal-gré la résistance aux demandes de subsides que montraitde plus en plus le Parlement anglais, malgré la fatiguede plus en plus visible des Etats de la Hollande. En 1693déjà, Louis XIV avait déclaré qu'il ne poursuit pas deconquétes, qu'il est disposé à s'en tenir aux clauses dutraité de Nimègue, abandonnant ce qu'il avait gagné auxPays-Bas, ainsi qiie Heidelberg et méme Philippsbourget Fribourg, Strasbourg seule devant lui rester pour sasimple setreté, qu'il consent à renouveler les priviléges decommerce des Hollandais, de plus en plus mink par lesL,xploits de pirates d'un Jean Bart et d'un Duguay-Trouin,ayant remplacé la parade belliqueuse de la flotte royale,onsuite gull consent à. reconnaitre le roi Guillaume duvivant de Jacques II abrité à Saint-Germain-en-Laye. Aplusieurs reprises ces propositions avaient été repous-sées ; les cares de médiation faites par le roi du Dane-mark, par le pape Innocent XII, après la réconciliationdes évéques français, en dépit de leur credo politique,difficilement rétracté, avec la papauté, en lui rendantson domaine français, ne purent pas fléchir la résolu-tion de cet homme inébranlable qu'était Guillaumed'Orange. Il prétendait que son adversaire ne cherchequ'à séparer les membres de la Ligue, engagés formelle-ment h ne conclure la paix que d'une façon absolumentsolidaire.

En 1697, on en était arrivé cependant, après la « trahi-son » du due de Savoie, h ne discuter que sur lesannexions prononcées par les « Chambres de réunion »,en dehors de tout pacte international, sur la situation desvilles d'Alsace et du duché de Lorraine. Au moment oil-des négociations publiques furent ouvertes, en février decette année. Louis offrait aussi Luxembourg, Dinant,

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CHAPITRE XV

Strasbourg méme 1. Il était disposé à accepter commeplace du Congrès une ville de Hollande, alors que l'empereur donnait à choisir entre Augsbourg, Cologne, Franc-fort, Aix-la-Chapelle et BAle 1 On finit par accepter unchâteau de la Maison d'Orange, dan i les environs de LaHaye, Ryswick 2

Et les Espagnols débutérent par demander qu'onrevint à la paix des Pyrénées, ce qui signifiait leur rendreFlandre et Franche-Comte. On leur répondit par l'avancedes troupes françaises en Flandre méme et en Catalognedu côté de Barcelone, défendue par un prince allemandqui fut prise. Et, comme le terme d'août fixé par le rajpour une réponse avait été &passé, il déelara vouloirretenir Strasbourg. Avant de laisser échapper un der-nier terme, les Hollandais, les Anglais et les EspagnoLssignèrent la paix 3.

L'empereur, auquel on avait proposé une trève jus-qu'au mois de novembre, paraissait avoir voulu attendrele résultat de la campagne de Hongrie. En edit, le Sul-tan Moustapha, parti pour la troisième fois à la téte deses armées, était A. Belgrade. Il voulait prendre Peter-wardein, mais, ayant rencontré les troupes imperialescommandées par Eugène de Savoie, il oblique vers Szege-din sur la Theiss. A Zenta on l'arréta, le forçant à livrerbataille. Un pont fut jeté sur la rivière, mais, au momentde la passer, la panique se mit parmi les troupes olio-manes, malgre la presence d'un maitre qui par deux foisleur avait donne la victoire. Le massacre fut terrible,30.000 Turcs Rant restés sur le champ de bataille (leseptembre). Le Sultan dut s'enfuir, sous un deguisement.

TemesvAr pour se cacher devant la fureur des rebellestpendant que la cavalerie impériale, se jetant en Bosnie,arrivait à Séralévo 4.

Reboulet, loc. cit. p. 299.2 Ibid., p. 303.8 VOY. Alémoires historiques concernant la paix de Rgswick.4 Cf. aussi Gerba, Die Kaiserlichen in Albanien.

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420 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Ce fut done le lendemain d'un grand triomphe que lesplénipotentiaires impériaux signèrent h Ryswick unepaix basée sur les prescriptions du traité de Miinster.Dès le lendemain, toute l'attention se tourna ensuite versles négociations avec les Turcs.

De ce côté-là aussi, la guerre était bien finie. Léopoldn'avait pas plus que le Sultan les moyens de la pour-suivre 1. Les alliés avaient atteint chacun leur but. LaPologne ne pouvait pas se saisir de la Moldavie. Lagrande entreprise personnelle du doge François Morosinifinit par un insuccès ; il mourut, en 1694, sur cette terrede Morée qu'il croyait avoir definitivement gagnée à sapatrie, et on l'enterra à Nauplie, on ses cendres serontdispersées à l'heure de la revanche ottomane. Chio put&re prise en 1694 aussi, pour étre perdue une annéeaprès. Ayant fait son entrée triomphale h. Azov, le nou-veau Tzar, Pierre, fils d'Alexis, échappé h la tutelle de sasceur, l'impérieuse Sophie, et à la corégence de son douxfrére Ivan, s'occupait seulement h. fortifier cette région,avec l'aide de ses Allemands, Genevois, Anglais et Ita-liens, en train de transformer la Moscovie, jusque-là pourles trois quarts enclose dans son asiatisme.

Pour garantir leur commerce, h. chaque pas molesté parla petite guerre que les Vénitiens faisaient aux Turcs etles Turcs de l'amiral Mezzomorto aux Vénitiens, lesdiplomates hollandais, Heemskerk, Colyer, Fagel, s'em-ployérent de toutes leurs forces h presser la paix entre/es deux Empires. Des négociateurs impériaux, comme lesavant comte Marsili, auteur du « Danubius pannonico-mysicus », échangeaient des vues avec Alexandre Mau-rocordato et ses collègues lures. On passa par-dessus lesespérances et les illusions polonaises, par-dessus lesvisées de Venise sur Nègrepont et la Créte. Le 26 janvier1699, h Car/owitz, était signé le traité de « trève pourlingt-cinq ans » qui, reconnaissant au Tzar Azov, h

Voy. J. Contarini, lstoria della guerra di Leopoldo I controil Turco, Venise, 1710, et le livre de Ruzzini sur la paix de Carlo-witz.

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CHAPITHE XV 421

Venise la Morée, Sainte-Maure, Egine et quelques placesd'Albanie, dont Risano, et de Dalmatie, dont Segna, etaux Polonais la seule Kamieniec, faisait des Habsbourgles maitres héréditaires de la Hongrie et de la Transyl-vanie 1.

Comme, par un traité secret conclu en octobre 1698.entre la France, l'Angleterre et la Hollande, sous la sug-gestion du roi Guillaume, la succession d'Espagne &nitassurée au prince de Bavière, fils de l'archiduchesse An-toinette, elle-méme descendant par sa mere, l'impéra-trice, de Philippe IV, à son père, gouverneur des Pays-Bas, Louis XIV aurait été dispose de créer un Etat dansces régions, on croyait avoir garanti la paix du monde,et pour longtemps. Le dauphin aurait eu pour sa part,avec un nombre de places-fortes sur les Pyrénées et enToscane, le royaume des Deux-Siciles, alors que le des-cendant de l'infante Marguerite-Thérése, femme de Léo-pold I", Charles, se serait installé dans le Milanais. Bienque l'empereur, l'Espagne, dont l'ambassadeur, quiavait présenté un violent mémoire, fut chassé à Londres,

le due de Savoie, le Parlement anglais lui-mémecussent protesté, c'était une base assez solide pour l'en-tente future.

I Voy. aussi la correspondance anglaise de Vienne, publiée parManners Sutton, The Lexington papers, Londres, 1851.

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CHAPITRE XVI

Le dernier combat contre l'hégémonie européenne.

Louis XIV représentait-il encore cet impérialisme d'in-Ruence qu'il avait poursuivi, sous 'Influence de son Mu-tation et de son milieu, le seul impérialisme possible àson époque ? D'après les dehors de son pouvoir, sansdoute. Il n'y avait pas un de ceux qui l'avaient combattudont le plus ardent désir n'efit été celui de lui ressemblerle plus, et à la française. Ces femmes de la noblesse bran-&bourgeoise qui, vers 1670, devaient accompagner l'ar-mée sur le Rhin disaient en ricanant d'envie qu'ellesveulent apprendre des dames de France le savoir-vivreet, recommandant à sa nation de résister au roi welche,Leibnitz, le grand penseur allemand, conseillait aussid'en trouver des maitres à Berlin, oil serait établie mémeune Académie dans le genre de celles que les deux der-niers rois de France avaient fondées.

Le respect envers la personne de Louis n'avait pasdiminué à l'extérieur, et à l'intérieur on continuait àaimer, dans les classes populaires méme et malgré desdémonstrations isolées, niaises, celui qui avait élevé sihaut le prestige de son pays ; les huguenots seuls, plusd'un million de gens offensés, traqués, ruinés, gardaientde la haine au « tyran ». On pouvait penser h guérir lesprofondes blessures d'une longue guerre lorsque la mort,en février 1699, du prince de Bavière, h peine AO de septans, donna au problème de la succession d'Espagne,actuelle par l'état maladif de Charles II, une acuité par-ticulière. Et la succession de Pologne, ouverte dès 1697,

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CHAPITRE XVI 423

par la mort de Jean Sobieski, dans l'abandon et l'ingra-titude, mettait en mouvement ce monde chrétien del'Orient, où l'ambition du jeune Pierre, pour le momentaffolé de voyages en Occident, et celle, non moindre, etd'un aspect plus provoquant, du roi de Suede, Charles XII,élevé en « héros » comme l'autre favait été en « civi-lisé », introduisaient des elements de troubles capables detout brouiller dans un ordre politique établi au prix detant de sang.

Alors que la reine-veuve, maltraitée par ses fils, dontl'un était l'époux d'une princesse de Neubourg, avaitpensé, aussi sous le rapport d'un futur mariage, au ducde Vendôme, Louis avait voulu faire élire le prince deConti, et il le fut, étant reconnu en cette qualité par leprimat ; mais cette fois la Maison d'Autriche, malgré lesanciennes Hyalites nationales, exaspérées par la querellepour les principautés roumaines, obtint, appuyée par lePape, qui favorisait un prince récemment gagné it la foiromaine, la victoire. L'ancien general contre les Turcs,qui méritait sous ce rapport aussi la protection du Saint-Siege, Frédéric-Auguste de Saxe, devint Auguste H (encomptant le Jagellon Sigismond-Auguste), roi de Po-logne, au prix de promesses abondantes, comme celle depayer les dettes de Sobieski, d'entretenir une armée deSaxons et de gagner l'Ukraine, la Podolie, la ligne duDanube. Bien que deux Dikes eussent consacre l'électiondu prince français, qui ne pouvait pas facilement s'instal-ler, mais des vaisseaux français l'avaient porté It Dan-zig, la violence de son adversaire, qui accourut A Craco-vie et se fit couronner, maitrisa la situation. S'il ne putpas accomplir la dernière des clauses, malgré ses effortsaupres de BrAncoveanu et ses intrigues en Moldavie, lenouveau roi crut devoir, le lendemain même de la paixdésastreuse de Carlovvitz, obtenir du prestige en atta-quant en Livonie les Suédois, contre lesquels s'étaienttournés aussi les Danois du jeune Frederic V et les Mos-covites du Tzar.,

Guillaume d'Orange continuait A avoir l'initiative des

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424, ESSAI DE SYNTHASE DE VIIISTOIRE DE L'HUMANITA

projets pour le nouvel ordonnement de l'Europe, et LPuisXIV l'admettait pour empécher la reunion dont avaiteu tant à souffrir, des intérêta de ice prince avec ceux del'empereur, dégagé rnaintenant de tout souci à sa fron-tière orientale. II accepta done le dessein forme par le roid'Angleterre,,qui restaitipar les « pensionnaires », Fagelet Heinsius, maitre de la Hollande, de reconnaltre oommefutur roi d'Espagne l'arehiduc Charles, auquel on inter,disait l'Empire, en échange pour la Lorraine, dont le duc,baptise Leopold, Dials vassal reeon.nu, ami de la Franceet marl de la niece du roi, aurait été installe dans le Mila-nais, et, bien, entendu, pour cet heritage des conquerants,normands et des rois,angevins qu'etaient les Deux-Sicilesi(mars 1700),

Mais Charles d'Espagne, prepare par l'ambassadeur deFrance et par tout un parti oppose à celui de la reineallemande, un Monterey, un cardinal, de Porto-Carrero,avait designé comme héritien de tous ses Etats1 sansexception, le duc d'Anjou, second fils du Dauphin ou,son défaut, et ceci signiflait aussi : au cas où il arriverait

étre héritier de la couronné française, son frere, le ducde Berri ; l'archiduc, qui ne poqvait pas régner aussi enAllemagne, ne venait qu'en troisième ligne, et, si cettecondition n'était pas observée, le due de Savoie devait leremplaper. Peu apres, en octobre, le precoce vieillardroya/ s'éteignait avant d'avoir 'accompli la. quarantaine.

La communication de ce reglement des affaires d'Espa-gne était pour l'empereur une declaration de guerre.,Ellevenait au moment où tout l'Est européen était bouleversépan la fureur vengeresse de ce terrible héros d'épopeesaandinave qu'était le jeune roi de Suede.

En mai, il avait fait quitior aux Polonais d'Augustedorit la force cl'âme ne correspondait pas aux moyensextraordinaires, sous, tous les rapports, de son corps, lesiège de Riga. Auguste lui opposa son armée saxonne, quiavait collabord h. la victoire contre les Turcs et qu'il con-sidéraiti done comme un insfrument de guerre de tout

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CHAPITRE XVI 425

premier ordre. Près de la capitale de la Livonie, elle futcomplèteMent battue, en juillet, par son adversaire.Conime. Charles avait encore son compte à régler avec leDanemarc, 11 se jeta sur Frédéric IV et lui imposa letraité de Trawendal, par lequel était sauvée l'indépen-dance du Holstein, dont le duc était le proche parent duroi de Suede. Revenu sur la côte orientate de la Baltique,oft le Tzar avait paru pour s'emparer de l'Ingrie, pen-sant déjà a y, établir sa nouvelle capitale, de caractéreeuropéen, Charles mit en déroute, à Narva, ces strèlitz,ces boiars, qui n'avaient pas encore assez profile des le-çons de technique occidentale que leur inculquaient lesconseillers étrangers de Pierre. Celui-ci prendra sa re-vanche en 1701, par la victoire de Dorpat, où il n'avaitpas devaat lui le royal animateur ; mais les Polonaissont de nouveau battus, à Mittau, et perdront la Cour-lande. Le royaume suédois sur les deux rives de la Balti-que prenait ses contours.

Malheureusement, Charles XII, au-dessus de ces ques-tions de territoire, poursuivait l'aventure toujours renou-velée, et il voulait s'assurer de la Pologne, en lui donnantce roi de sa creation qui fut Stanislas Leszczynski. Et,pendant ce temps, les Russes, vainqueurs a Pernau,occuperont l'Ingrie et s'y fortifieront.

On Admettait que l'autre guerre, la grande guerred'Occident dépendait de la décision de Louis XIV, quiavait devant lui la double possibilité d'un partagemeat plus utile à sa dynastie et méme a ses Etats, parl'acquisition de la Lorraine et du Guiposcoa pyrénéen, oud'une installation, « glorieuse », mais pleine de risques,'de son petit-fils à Madrid. Toute son education, Out lemilieu d'idées dans lequel il vivait, toutes les sugges-tions de ses parents, de sa Cour, le poussaient a. se décirder pour la seconde alternative. Et. comme la premièren'était pas non plus du gait de l'empereur, qui l'avaiInettement déclaré dès avant la mart de son parent, ni,bien entendu, des Espagnols et même du Parlement an-

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426 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

glais, dns un cas et dans l'autre ç'aurait été la guerre,mais avec cette différence qu'en reconnaissant Philippe Vcomme roi d'Espagne on aurait eu par delh la frontièredu Sud un allié h tout prix, au lieu d'un irréconciliableennemi. Sans compter que la perspective de successionouverte h la Maison de Savoie ou au moins l'honneur dese l'entendre annoncer assurait l'amitié de ce « portierdes Alpes » qui s'empressa de lier son sort aveocelui desBourbons d'Espagne en mariant sa fille avec le nouveauroi (l'autre fille Rail déjà la duchesse de Bourgogne).

En attendant l'immanquable ouverture des hostilités,on se -cherchait des alliés. A 61'4.6 de la Savoie, la Francepouvait compter sur la Bavière, dont le duc, établi depuislongtemps h Bruxelles, espérait de la grâce des Françaisla possession héréditaire des Pays-Bas espagnols. L'Elec-teur de Saxe était retenu comme roi de Pologne parCharles XII. Le nouvel Electeur guelphe de Hanovre, dela lignée des Brunswick-Lunebourg, rencontrait encoreune forte opposition de la part de ses collégues. Il n'yavait, en dehors de l'Electeur Palatin, beau-père de rem-pereur, que le Brandebourg h gagner par Léopold.

Le Grand Electeur était mort, ayant gofité h peine, parses succès sur les Suédois, h une époque où Charles XIn'était pas de taille h continuer les traditions de Gus-tave-Adolphe et de Charles-Gustave, de cette « gloire »qui était un devoir absolu pour tout prince h cette épo-que. Son fils, né d'une princesse d'Orange, Frédéric, nelui ressemblait ni de corps, ni d'âme. Le père avait étésimple et dur, tout occupé à se créer une réalité mili-taire, absolument à ses ordres, sans aucune immixtionde ces seigneurs sans passé qu'il tenait sous sa main defer ; il vivait dans son château démodé, sans trop sentirl'absence d'une Cour pour se distraire et d'un parasi-tisme littéraire et artistique pour célébrer sa grandeur.Le fils, petit, les jambes cagneuses, écrasé sous sa per-ruque h allonges, ne rêvait que titres et prestige. II étaitprêt ti. renier son calvinisme pour obtenir du Pape unecouronne, et ses érudits, cherchant une base, la trou-

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CHAPITHE XVI 427

vèrent dans cette Prusse, jadis régie par des rois paienset dont la couronne pouvait devenir rivale de celle de laPologne, car, après la catastrophe d'un voisin saxon qu'ilenviait, il parait avoir brigué sa succession polonaise 1.Ce qu'il avait proposé à Rome il robtint à Vienne. Lenouveau royaume &all une création formelle de l'empe-reur « tout-puissant », ainsi que le dit le diplôme. S'as-sociant Leibnitz comme prôneur, créant des chevaliersde l'Aigle Noir à la façon des chevaliers français deSaint-Louis, Frédéric allait se faire couronner avec unepompe extraordinaire dans cette Könisgsberg, rappelantle titre royal des souverains de la Bohème médi&ale, quidevait retomber ensuite dans le calme de ses souvenirs,le 18 janvier 1702 2.

Dès 1702, comme Philippe V avait fait partir les garni-sons hpllandaises de ses places aux Pays-Bas, les rempla-çant par des troupes françaises, le roi d'Angleterre de-manda le départ de ces dernières et le droit pour les An-glais de « garder » Ostende et Nieuport ; de leur côté,les Etats de Hollande exigeaient le méme droit pour Rure-monde, Namur, Charleroi, Mons, Luxembourg et autresplaces fortes. Mais ce qui déclencha les hostilités ce futrentrée des Français à Mantoue qu'on soupçonnait devoirétre occupée par les Impériaux.

Venise, qui s'était pourtant déclarée neutre, permit auxsoldats d'Eugène de Savoie de déboucher en Italie parles passages du Trentin. Sur l'Adige, à Carpi, la premièrerencontre avec Catinat lui fut favorable. Le généralissimequi était le due de Savoie paraissait incertain. Sur l'Oglio,

Chiari, Villeroi, qui avait remplacé Catinat, ne fut pasplus heureux contre le vainqueur des Turcs. Une sur-prise sur Crémone, tentée par Eugène, ne réussit cepen-dant pas.

I Le chroniqueur moldave Jean Neculce, vivant dans l'intimité deson prince, client des Tzar, Démétrius Cantenur, l'affirme pertinem-anent. Voy. notre Scurtc1 ¡atore a Raynor rdsciriteni, p. 94.

2 Voy. Waddington, Histoire de Prusse, II.

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428 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

Il n'y avait pas encore la guerre ouverte. Mais Guil-laume III, se rendant en Hollande, avait conclu, des lemois de septembre de cette année, une triple allianceentre les deux pays qu'il dirigeait et l'empereur auquel irs'agissait de procurer, aux Pays-Bas et en Italie, une« satisfaction convenable », tout en attaquant les c6tesdes Deux-Siciles pour la « liberte du commerce ».

Sans connaltre cet acte, Louis XIV donna aux Anglaisun prétexte de guerre en reconnaissant à la mort deJacques II le prince de Galles comme roi d'Angleterre, cequi rangea le Parlement de 1702 tout à fait du c6té d'unroi qui jusqu'alors, à cause des conseillers &rangers,comme lord Portland, n'avaient eu, de la part des Parle-ments precedents, que des déboires. Déjà, les troupes hol-landaises entraient dans le duché de Juliers, dans Pelee-torat de Cologne, dont le- prince-évéque avait appelé desFrançais, comme a troupes auxiliaires du cercle de Bour-gogne », pour se garantir contre l'empereur, qui ne recon-naissait pas sa neutralité. Tous les neutres du traitéd'Heilbronn furent traités en rebelles. En décembre, il yavait des Hollandais à Cologne meme, l'Electeur &antcite à Vienne comme accuse de trahison.

Guillaume III ne vecut pas pour voir le succes de lacoalition qui partait surtout de cette initiative dontavait su depuis 1670 ne se jamais départir. Il mourut àla suite d'un accident, laissant à la soeur de sa femme,depuis longtemps morte, cette succession royale pourlaquelle il avait voulu &ever le fils d'Anne et du princede Danemarc, ce. due de Glocester, disparu peu aupara-vant. La perte du créateur de la force permanente oppo-sée à l'hégémonie française n'empêcha pas les declara-tions de guerre de la Hollande et de l'Angleterre, en mai1702, celle de l'Autriche en juillet, celle de l'Empire enseptembre. Le prince Eugene et le grand homme de-guerre anglais que Guillaume avait recommandé à Anne,le duc de Malborough, entreprirent de briser l'hégémonie-française, et ils y arriveront par leur opiniatreté.

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CHAPITRE XVI 429

La première campagne ne paraissait pas promettre cesrésultats. Encore une fois seul, car le duc de Savoieabandonnait la partie et le roi du Portugal ouvrait sesports aux Anglais et, quant h l'Espagne, elle se Men-dait, sous la forme des « deux Couronnes », par les vais-seaux, les soldats, les généraux et l'argent de France,Louis put dominer la grande lutte. Philippe V fit uneentrée triomphale h Naples, qu'il combla de faveurs aulendemain d'une conspiration de quelques nobles et de lapopulace ; il parut h côté de Vendôme dans le Mantouan,fit bon accueil à son beau-père, qui demandait encoreplus, et ne quitta l'Italie qu'après de notables succesmilitaires, gagnés par sa participation personnelle. Laflotte anglaise fit, h. Cadix, qu'elle dut quitter, et h Vigo,où elle attaqua les galères d'Amérique sans pouvoirprendre leur or, ceuvre de pirates. Et, en Allemagne, Ulmet Trè es furent prises, le chemin vers Nancy fermé parl'occupation de cette ville, et le marquis de Bade, quiavait pris Landau, battu h. Friedlingen. Le duc de Bavière,vainqueur, qui avait vu périr sous ses yeux le markgraved'Anspach, chef de cette offensive, occupait Ratisbonne,siege de la diète. S'étant réuni aux regiments de Ven-dôme, il avança jusqu'à Innsbruck, pour couper les com-munications aux troupes impériales d'Italie, où Eugenede Savoie ne commandait plus. On vit les Français hArco, sur le lac de Garda, et devant Trente : la desertiondu duc de Savoie seule empecha uve catastrophe pourl'entreprise italienne de l'empereur. L'année suivante, laconduite de la guerre, qui ne se poursuivit que de cecôté, fut malheureuse pour les agresseurs, qui, battus hHochstadt, dans la poursuite de leurs projets contre laBaviere, perdirent Kehl et Landau. Augsbourg, villelibre, qui avait accepte les Impériaux, fut prise et punie,et le duc de Bavière poussa jusqu'à Passau et plus tardBreisach, et, h la suite d'une nouvelle victoire, h. Spire.

Mais, déjà en 1702, dans les Pays-Bas paraissait legrand ennemi, l'héritier de Guillaume d'Orange, Marl-

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430 ESSAI DE SYSTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

borough. La situation y avait semblé d'abord tout aussifavorable qu'ailleurs : le due de Bavière avait des troupeset le duc de Bourgogne, défendant le trene de son frère,repoussa les Anglo-Hollandais jusque sous les murs deNimégue. Le prince de Nassau avait pris cependant Ru-remonde; après l'arrivée du généralissime, Liége futoccupée, mais sans qu'une bataille efit été encore livrée.En 1703, Marlborough se saisit de Bonn. Les lignesd'Anvers furent forcées, mais pour que, dès le lendemain,les « alliés » perdissent leur artillerie dans un combatmeurtrier.

Dès le 11 septembre 1703, l'empereur et le roi desRomains cédaient leurs droits sur la couronne d'Espagne

l'archiduc Charles, qui en devint, pour ses partisans,le roi Charles III. Mais il lui fallut alter se présenterLondres, car la guerre était de plus en plus une affaireanglaise. Il employa ensuite la flotte anglo-hollandaisede l'amiral Rook pour aller, avec les soldats du jeuneSchonberg, au Portugal, dans le but de tenter fortune enEspagne. Mais son apparition ne fit que donner l'occa-sion à son rival de prendre des places aux Portugais ; lesEspagnols avaient ainsi l'occasion de satisfaire d'ancien-nes rancunes contre leurs voisins. Une entreprise surBarcelone ne réussit pas. Mais Rook iput donner à sanation Gibraltar.

Presqu'au inéme moment, on apprenait Pentrée deCharles XII h Varsovie (mai), et le prince FrangoisRáluiczy, pendant longtemps un pupille des ImpériauxVienne, puis prisonnier pour des prétendus actes de tra-hison, fuyard en Pologne et condamné à mort, réunissaitautour de lui un Bercsényi, un Eszterhhzy, un Khrolyi,un ForgAcs, et recommençait la lutte de Bocskai et deBethlen, du premier RAkelczy et de Tököly, au nom de laliberté religieuse et de l'indépendance nationale, dans lesyanks, habitées par les Roumains et les Russes, du Mar-moros. Depuis, pendant des années, de cette base monta-gneuse, et malgré les efforts des chefs militaires des

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CHAPITIIE XVI 431

Impériaux, Pálffy et Heister, on vit les lobonczes deRákáczy, imitateurs des « kourouczes » de Tököly, pil-ler jusqu'aux faubourgs, fortifies à cette occasion, deVienne.

Marlborough décida que tout autre souci, méme celuide secourir le duc de Savoie, presque totalement dé-pciuillé de ses Etats, sera abandonné pour infliger auxFrançais et à leur allié bavarois, dans l'Empire méme,une de ces défaites qui pouváient seules libérer la voiede Vienne du cöté de l'Orient. Tallard et Marsin avaientréuni leurs troupes à celles de l'Electeur. Le généralanglais collabora, sino,n avec le marquis de Bade, avecEugéne de Savoie, h cette journée de Hochstadt (aollt1704), qui donna aux allies vingt-huit bataillons et qua-tre réghnents de cavalerie, plus un maréehal de France,comme prisonniers, et, avec cent cdnons, trois cents dra-peaux de trophées et qui rejeta les Français sur le Rhin,livrant la Baviere aux représailles des Impériaux.

Le duc de Marlborough devint de ce fait prince d'Em--pire, cousin de l'empereur, et, h c6té de Charles XII, in-lassable à battre les Saxons en Prusse, devant Varsovie,puis, en 1706, dans leur propre pays, le plus grand« héros » de l'Europe. Reçu en prince régnant h la Courde Hanovre, h. la Haye, chez lui-même en Angleterre, levainqueur de Hochstadt, devant la fierté duquel palls-salt l'étoile du « petit capucin » Eugène de Savoie, secrut assez fort pour que, après avoir dégagé par laBavière Vienne, il cherchat, en 1705, par ces régionsrhénanes, où il avait pris Landau, Trèves, Sarre-Louis, h.travers la Champagne, le chemin de Paris.

Le due de Savoie fut presque abandonné : il resta, avecEugène de Savoie, h défendre Turin, pendant qu'on rasaitses autres places, et la défaite de son parent à Cassanorendit sa situation encore plus malheureuse. L'aventureespagnole de l'archiduc fut considérée comme finie, et cefut seulement par un heureux hasard, la révolte de laCatalogne, que, le maréchal de Tessé commandant enEspagne, Barcelone put 'are prise par une flotte anglo-

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hollandaise et par les troupes du prince de Darmstadt,fauteur de la rébellion, qui fut tué au cours du combat ;aussitól Valence suivit cet exemple, puis tout le royaumed'Aragon. La mort de Léopold (mai 1705) et l'avénementrdu roi de Hongrie Joseph n'intéressaient que d'une ma-nière subsidiaire : on croyair avoir assez fait pour l'Au-triche. Mais, lorsque le général anglais passa la Sarre,attendant les troupes du prince de Bade, il trouva devantlui un puissant front françaisicommandé par ViIlars,qu'il ne put réduire A. un combat comme celui qui luiavait procuré tant de gloire rannée précédente. L'entre-prise se termina par une brouillerie entre les deux chefs,provoquée par la hauteur de Marlborough, qui prétextaitles retards du marquis, dénoncé ensuite dans une lettreformelle au cdmmandant français. Prendre quelques pla-ces fortes dans les Flandres n'était qu'une faible compen-sation pour l'abandon du principal but de la campagne.

En 1706, comme Turin, assiégée, faisait mine de résis-ter, comme Barcelone ne put étre reprise par le roi Phi-lippe, une puissante flotte anglaise ayant contraint celledu comte de Tbulouse A. la retraite, Louis XIV ordonnaVillars, qui commandait aux Pays-Bas, de forcer la paixpar une victoire de prestige. Il fut complètement battu ARamillies, près de Namur, en mai et, comme la défaitede Hochstädt avait reporté les lignes françaises jusqu'auRhin, celle-ci les fit retirer jusqu'à Lille, tout un groupede places de la plus haute importance étant abandonnéessans la moindre tentative de résistance. Anvers, Ostende,Hénin eurent le même sort que Bruges et Gaud, Louvainet Malines, Oudenarde et Bruxelles 1 Des garnisons hol-landaises y entrérent. Ce fut seulement par l'interventionde Vendôme que le reste des possessions françaises 'enFlandre put étre sauvé. En septembre, une grande Mai-te, inflige par Eugène de Savoie au due d'Orléans et AMarsin, tué dans le combat, fit perdre aussi le Piémont, leMilanais, le territoire de Mantoue, le royaume de Naples,

Reboitlet, loc. cit., pp. 114-115.

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CHAPITHE XVI

mais en gardant par la trève les troupes en garnisons.De la fin de juin à la fin de septembre, des Portugais etdes Anglais, tommandés par lord Galloway, fils d'unFrançais réfugié, gardèrent A Madrid le trône de CharlesIII, proclamé au milieu des murmures d'une fière popu-lation douloureusement offensée par le spectacle del'occupation étrangère.

Le soin de restituer le roi Philippe à Madrid, de briserl'ennemi, A Almanza (avril 1707), de lui regagner Minor-que, sinon_ Gibraltar, et de lui ramener ses sujets révol-tés, fut laissé au lAtard de Charles I" d'Angleterre, ledue de Berwick, dont l'action en Espagne fut désormaispresque autonome ; une autre armée prendra Lerida.L'Italie et les conquétes de Flandre ayant été abandon-nées, la situation défensive de la Fran,ce, qui avait vaine-ment offert la paix, en devenait cependant plus facile.Pendant cette année entière, 1707, elle fut générale-ment efficace. Une entreprise contre Toulon ne réussitpas ; le duc de Savoie avait demandé l'hommage aux Pro-vençaux comme leur futur souverain. On vit méme Vil-lars passer le Rhin à Strasbourg, occuper les lignes desImpériaux et installer son armée sur le territoire enne-mi, sous les yeux du successeur de Louis de Bade, lemarquis d'Anhalt-Bayreuth. Les duchesses de Bade, de-Arurtemberg implorèrent la protection du vainqueur,que personne ne pouvait arréter, le marquis de Badelachant le terrain devant la poussée française. Des voixs'élevaient dans l'Empire, menaçant d'une paix séparée.Et, d'un autre côté, Charles XII était en Saxe, on il impo-sa à Auguste II les renonciations d'Alt-Randstatt, et, ladiète l'ayant déclaré ennemi de l'Empire, il était prêt A entirer toutes les conséquences. Il demanda la scurité reii-gieuse pour les luthériens de Silésie et quelques satis-factions personnelles, après quoi la Moscovie insondableet impénétrable devait rengloutir.

Mais dans les Pavs-Bas, malgré la présence de Ven-dôme, NIarlborough, auquel avait fini par se réunir

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prince Eugene, soutint sa reputation. Après la batailleindécise d'Oudenarde (juillet 1708), les Français, quiavaient pris Bruges, s'étant retires, perdirent, malgréles fortifications de Vauban, la grande conquête de lajeunesse de leur roi, Lille. Eugene de Savoie avait eu lecommandement, et le rol de Pologne, chassé de sonroyaume, le prince de Hesse-Cassel étaient accourus auspectacle. Le siege de Bruxelles fut levé par le due deBavière, et les Français évacuerent Bruges et Gand.

Aussitôt après, Louis crut devoir se soumettre à lanécessité de la paix pour ses pays épuisés. Il reconnaissaitatix Impériaux l'Italie et les iles, 4a Sardaigne ayant étéaussi conquise, à l'aide des moines prêchant, la croix enmain, dans les rues de Cagliari; il consentait au retour enFrance du « due d'Anjou », qu'il aurait même aide h. sedéfaire de ces sujets qui acclamaient son ills nouveau-né,le duc des Asturies ; il admettait qu'on forme la ligne deceinture en Flandre, confiée aux Hollandais ; il voulaitdémanteler, au gré des Anglais, Dunkerque ; il allaitjusqu'à renoncer h Strasbourg. Les maitres de la guerrequi étaient Marlborough et le prince Eugene ne se bor-nerent pas à opposer un refus à ces concessions extrê-Ines, ils ajoutèrent l'injure, traitant avec le derniermépris l'envoyé d'un roi devant lequel peu auparavanttout avait

La guerre devait être reprise, ou, plutôt, elle devaitfaire, par ses succès et ses défaites, varier l'assiette despréliminaires. En 1709, Tournay fut prise, et, dans l'es-poir de sauver Mons, la bataille fut livrée et perdue àMalplaquet, oh la cavalerie française se sacrifia hérol-quement dans la furieuse mêlée, et la retraite fut absolu-ment honorable. L'année suivante, le prince Eugeneprendra Douai sous les yeux de Villars. En 1711, Bou-chain fut occupée. Un revirement ne devait se produirequ'en 1712, contribuant à determiner la paix.

Cependant l'Espagne montra tenir h son roi, ne vou-loir s'en détacher à aucun prix, au profit des Portugais,

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des Allemands envahissants car la Maison des Habs-bourg, jadis bourguignonne, s'était totalement germa-nisée, identiflée male avec le germanisme et desAnglais, qui, dans la fureur de leur protestantisme into-Want, brisaient les statues et profanaient les autels. Phi-lippe put sentir qu'il y avait autour de lui la vieille con-science espagnole qui ne tolérait pas qu'on discute le par-tage des provinces du vieil « empereur ; le de nobissine nobis des gens réunis à Gertruydenburg les exaspé-rait. Pendant qu'on demandait la soumission par lesarmes françaises, en deux mois, de l'Espagne et desIndes; à Louis, qui, de son côté, promettait d'amener sonpetit-flls A. se contenter de la Sardaigne et de la Sicile, onse préparait pour une dernière lutte désespérée.

Le roi d'Espagne pourra 'are vaincu par les Anglais etles Allemands deux fois, en juillet et aofit 1710, il seraréduit à quitter encore une fois sa capitale, pendantqu'une flotte britannique paraissait dans le port de Cette,mais, bientôt appuyé par Vendôme, il ne se résignera pasA une honteuse abdication. Il n'y eut autour de lui dansle malheur aucune défection, bien qu'il efit permis itchacun de suivre ses seuls intéréts. A son départ, Phi-lippe fut suivi par un millier de carrosses 1. A Valladolid,refuge passager, fut rédigée la lettre qui manifestaitLouis XIV la ferme intention de tenir jusqu'au bout.Vendôme avait bien raison de dire que l'orgueil des alliés,traitant les plénipotentiaires de la France comme lesRomains ne l'avaient pas fait it l'égard du moindre roi-telet asiatique, ne faisait que « réveiller, tant en Francequ'en Espagne, des vertus naturelles aux deux nationsque le calme ou de trop longues prospérités avaientcomme ensevelies dans une espèce de léthargie 2 ».

Dès le mois de novembre, Charles III, froidement reçuA Madrid, qu'il cribla de réquisitions, devait prendre laroute de Barcelone, sa vraie capitale, et les siens vou-

Reboulet, loc. cit., p. 52.a Ibid., pp. 55-56.

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lurent incendier au départ le beau palais d'Alcazar. Phi-lippe revint bientôt en libérateur. Il le fut non seulementpour Madrid, mais pour tout son. royaume. L'ardentepoursuite ordonnée et conduite par Vendôme fit capitulerles troupes anglaises de Stanhope. Philippe lui-mame enécrivait le bulletin sur un tambour, se reposant, enve-loppé de son manteau, sur la neige 1. A Villaviciosa, Star-hemberg, complètement battu, fut dépouillé de la proierecueillie avidement dans les vines de Castille. Dansquelques mois, rien ne restait en Espagne au roi rival,parti pour s'assurer l'Empire, et Madrid f8ta avec unextraordinaire enthousiasme une victoire entière. C'était,avant tout, une grande bataille populaire, un triomphe derecrues.

Pour la première fois, une nation se relevait contre lescombinaisons des diplomates et les projets stratégiquesdes généraux.

De son côté, la France donna volontiers le dixième desrevenus de chacun pour équiper, malgré l'extrême pénu-rie d'hommes, une dernière armée 2. La mort du dau-phin, à peine AO de cinquante ans, fut ressentie doulou-reusement, et les sympathies publiques entourèrent lasouffrance du vieux monarque.

Il faut considérer aussi, par-dessus la querelle perma-nente entre les whighs radicaux et les tories conserva-teurs, comme une manifestation d'opinion publiquecontre le dur régime que Guillaume d'Orange avait trans-mis A son vrai successeur, au maitre du ministère, oùavait deux proches parents, et d'un Parlement servile,

Marlborough, qui &all traité en stathouder par les Etatsde Hollande, le résultat des élections ordonnées en 1711,après la disgrAce des ministres, par la reine Anne. Lenouveau Parlement tory osa faire l'éloge des économieset des bonnes intentions du règne de Jacques II, atta-quer ceux qui s'étaient enrichis par la guerre et recom-

i Ibid., pp. 62-63.ibid., pp. 68-69.

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CHAPITRE XVI 437

mander une autre politique à la Souveraine qui n'atten-dait que ce conseil pour mettre fin A. une longue tyran-nie. L'année ne finit pas sans que des préliminaires quigarantissaient les intérêts anglais par delA la Mer, endémolissant Dunkerque et en créant la « barrière hollan-landaise », fussent signés avec cette France qui n'étaitplus considérée, après la mort de rempereur Joseph etl'élection de « Charles III » à sa place le fant8me deCharles V surgissant, plus terrifiant que la réalité déchuede l'impérial « Louis-le-Grand » comme le principalennemi de l'autonomie des Etats. Le langage impérieuxdu représentant de Charles à Londres, accusant lesministres anglais d'être achetés, montrait bien à quoion pouvait s'attendre ; il y eut du tumulte sous les fen&tres du prince Eugène, venu pour exciter les lords etempêcher la paix.

Si la révolte nationale de la Hongrie fut domptée en1711, Rák6czy devant s'enfuir en Occident, l'Allemagneparaissait vouloir revenir A. ses traditions par-dessusl'absolutisme centraliste qui avait distingué le régne desderniers deux empereurs. Elle imposa à Charles VI unecapitulation, lui interdisant de &cider sur les intérasdes Etats sans les avoir consultés, de les mêler contreleur volonté A une guerre étrangère, d'empêcher que lessouverains allemands signent des traités entre eux etavec des princes étrangers, de mettre un prince au bansans le vote d'une diete. On réclamait la restitution desterritoires confisqués, on défendait l'élection du roi desRomains du vivant de -son prédécesseur. C'était surtoutune condampation énergique et compléte des gestesdeLéopold, dont le fils et héritier n'avait pas relevé du banles Electeurs de Baviére et de Cologne, empêchés ainsi departiciper A l'élection de Charles.

L'atmosphère européenne était favorable A la paixque Louis désirait d'autant plus qu'une maladie venaitde lui prendre le nouveau dauphin et son fils end, nelaissant pour un si grand et difficile héritage que lesecond, un enfant de deux ans. Mais, pour mettre fin au

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bavardage des diplomates et au fatras de leurs mémoi-res, il fallait A la France une Victoire, et elle l'eut.

L'Angleterre entretenait encore une armée aux Pays-Bas en 1712, et le due d'Ormond y avait été envoye ponrla commander. DéjA, les alliés avaient pénétré &its lesfaubourgs d'Arras et sous les yeux du nouveau chefanglais Quesnoy fut prise sans resistance par le princeEugene. C'est alors qu'intervint le désistement publicdes Anglais, que les réclamations des Etats de Hollandeavaient définitivement dégoûtés. Paraissant ne pas tropse soucier du depart de ces collaborateurs, le princeEugene assiegea Landrecies, que Villars accourut &fen-dre. La bataille fut livrée aux environs, à Denain (juil-let) pendant l'absence du commandant imperial, et cefut une victoire françalse. Aussitôt, non seulement lesiege fut leve par les allies, mais Villars eut Douai, Ques-noy et Bouchain.

Presqu'au même temps, Philippe, roi d'Espagne,déclarait solennellement à Madrid, devant les envoyésde la reine Anne, gull renonce au profit de son frère, ledue de Berri, et de son cousin, le due d'Orléans, à tousdroits sur la couronne de France. Louis XIV aurait pre-féré qu'il gardAt ces droits en se restreignant A. uneroyauté au Sud de l'Italie, mais par la bouche de sonpetit-fils- c'était la nation espagnole même qui .parlait.Les Catalans eux-mémes, criaient A Barcelone : « VivePhilippe V)> sous les fenètres de la femme du a CharlesIII » allemand, une princesse de Wolfenbilttel, jadisluthérienne, quitte à manifester ensuite contre l'autrerot, suppose ennemi de leurs privileges et A declarer laguerre aussi bien A l'Espagne qu'à la France, les habi-tants des Baleares se réunissant à cette remarquabletentative populaire de créer un nouvel Etat national. Lesprinces français firent, de leur côté, une declaration derenonciation.

L'accession des Hollandais, puis l'installation desAutrichiens, qui avaient leur « barriere » aux Pays-Bas,Tournay y comprise, suivit. Au due de Savoie, on avait

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promis une royauté en Sicile, ce qui paraissait un ache-minement vers une nouvelle forme d'Italie, qu'il avaitdésirée ; il se retira en toute forme d'une lutte depuislongtemps abandonnée de fait. L'empereur, resté seul,consentit à évacuer « son » Espagne, dans laquellen'avait plus que Barcelofie, Tarragone et deux des Baléa-res ; son lot avait été fixé au Milanais, à Naples et dansles Pays-Bas. On croyait pouvoir assurer au due deBavière une royauté en Sardaigne.

La paix fut done signée entre la France, d'un côté,l'Angleterre, la Hollande, le Portugal, le due de Savoie etle nouveau roi de Prusse, reconnu par Louis aussi com-me prince de NeufchAtel et Valengin, le 11 avril 1713. Lapaix avec l'empereur, qui rétablissait les Electeurs deBavière et de Cologne dans leurs possessions et leursdroits et acceptait avec la France la frontière du Rhin,ne pouvait pas tarder. Après la prise par les Français deLandau et Fribourg, elle fut signée secrètement A Ras-tadt, le 6 mars 1714, pour étre proclamée à Bade, le 7septembre suivant. La Sardaigne resta A l'empereur etles Hollandais ne furent pas admis à Bonn. Louis recon-naissait le nouvel Electorat, de création impériale, duHanovre, dont le possesseur gagnait, de l'aveu général, laperspective au trône d'Angleterre et d'Ecosse, en vertudes droits de l'Electrice Sophie. Par une entente séparéeavec l'Espagne, réduite à ses possessions ibériques etaux colonies, l'Angleterre s'installait A. Gibraltar et lt

Port-Mahon, dans File de Minorque, ayant ainsi entreses mains les clefs de la Méditerranée occidentale. Bar-celone ne fut prise par Berwick qu'après un siège d'unesoixantaine de jours et un affreux massacre. Des conven-tions entre les autres belligérants suivirent dans peu.

Les facteurs principaux de la paix disparurent bien-tôt. La reine Anne mourut dès 1714, Louis XIV le 1° sep-tembre 1715. Ils ne virent pas la tournure donnée A lapolitique européenne par l'apparition des forces nou-velles que la longue guerre qui venait de llnir avaitessentiellement contribué à susciter.

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CHAPITRE XVII

La monarchie de prestige et l'avimementdes royautés créées.

Pendant presque trois quarts de siècle s'était form&rette royauté dont la maturité de Louis XIV représentaitla force et sa profonde vieillesse méme, la =jest&

La noblesse, qui avait fomenté en France tant de com-plots et suscité de guerres civiles, qui avait trahi les inte-rels du royaume, passant tranquillement a l'ennemi, nonsans se reserver une reconciliation avec le roi qu'ellecroyait seul offense, n'était plus employee dans le gou-vernement du royaume, ce qui lui coupait tout contactavec les mécontents de l'intérieur, toujours nombreux.

Une partie des représentants de ces families privile-giées empéchées de faire le commerce, sauf privilege spe-cial pour les affaires en gros, était concentrée à la Cour.Les femmes y trouvaient maintes occasions de s'amuser,à la chasse, aux voyages royaux, d'une residence h. l'autre,avant l'érection du splendide « Escurial » français, Ver-sailles, A. la comédie, aux reunions journalières, devantle monarque et sa famille. Il y avait aussi ce vaste terraind'intrigues élégamment tournées et conduites avec esprit,racontées avec talent, comme dans les lettres de cettemaitresse diseuse de riens, qui est Madame de Sévigné.Pendant la jeunesse du roi, ses amours avec les Mancini,avec la ValHere, la Montespan, celles de la duchesse d'Or-leans servaient de 'Attire h la curiosité, toujours enEve% de ce monde en mal de ne rien faire. Au contact decette société, la littérature gagnait en distinction, en fini

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CHAPITRE XVII 441

et en poli, et on ne pouvait guère mieux analyser les pas-sions, pour les revétir d'alexandrins solennels commeune perruque a allonges, que dans le chef-d'ceuvre deRacine oil des fables grecques et romaines cachaient desconflits qui appartenaient bien, avec leur belle façon dedire, à. ce milieu. L'art d'un Poussin conservait encorede ses inspirations italiennes une simplicité idyllique,-une pureté romantique qui n'était pas en harmonie aveela vie contemporaine, mais la vaine pompe d'un Lebrun,les efforts de glorification des sculpteurs qui rivalisaienta rendre la splendeur du « grand roi » répondaient bienaux perspectives bien réglées des jardins dessinés parLenôtre et aux arbres taillés en pyramide et en bouleautour des bassins de marbre, peuplés de tritons et denymphes, où jouent les eaux retombant sur les gazons. Leparadis terrestre du doux esclavage travaillait chaquejour a détruire la vitalité, l'initiative d'une classe éton-namment remuante.

Les rangs s'y gagnaient par la cour faite aux damesqui regardaient par-dessus l'épaule du maitre pour corri-ger la liste des promotions au maréchalat, des nomina-tions dans les ordres royaux, par l'habileté à parler auseul distributeur visible de toutes les faveurs. Ces rángsréservés à la noblesse consistaient dans le privilage d'as7sister aux grands et aux petits levers de Sa Majesté, decontempler ses repas, de prendre part A ses délassements,-de courir a côté du royal Nemrod aux ébats cynégétiques.Il y avait de grandes satisfactions et de profondes dou-leurs, des triomphes éclatants et des catastrophes irré-missibles rien que pour cela. Des pensions discrètes, desrevenus de différentes sources s'ajoutaient au bonheurd'un sourire, au baume d'une parole gracieuse. Louistémoignait un profond respect, non seulement aux fem-mes, de tout Age et de toute condition, qu'il croisait dansles corridors de Versailles, mais aussi à tous ceux quipouvaient se valoir de cette qualité de gentilhomme. Sousun règne oa pas une téte ne tomba pour la politique,on épargna méme la honte (rune condamnation au cardi-

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442 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIIIE DE L'HUMANITE

nal de Bouillon, qui se fit recevoir A la frontière par toute.une petite armée ennemie, le roi sut se retenir mêmedevant l'insulte venant de cette classe qu'il gardait dans.une habile captivité. Il ne fit que toucher la cheminée oùétait sa canne, lorsque Louvois lui dit à brfile-pourpoint« On ne saurait vous servir ». « Je serais au désespoir si.j'avais frappe un gentilhomme », murmura le roi A uneautre occasion. On pent même s'y compromettre pouréchapper au désomvrement : des noms connus et glo-rieux furent mélés aux procès des empoisonneuses, desmagiciennes : la Brinvilliers, la Voisin. De l'affaire des« philtres » d'amour, la comtesse de Soissons, la duchessede Bouillon, le maréchal de Luxembourg sortirent flétris.

Mais ce gull y avait de vie dans cette classe, rest&cependant digne de l'admiration du monde entier, pou-vait se depenser dans tes guerres incessantes, consu-mant chaque année des gentilhommes par milliers. Où necombattirent-ils pas, bravement, courant tous les risques,.pourvu qu'il y ait de l'honneur, meme sans aucun profit,meme au prix de se ruiner, tel refusait la somme assi-gnee par le roi pour son voyage, ces descendants des.furieux huguenots, des catholiques portés aux châtimentset aux vengeances ! Ils combattent à Sankt-Gotthard et.en Crete, A. Alger, les Rohan, les Saint-Paul, les Navailles,les Beaufort ; ils s'enfuient du royaume et eneourent dessanctions severes pour aller continuer la croisade sousVienne, en. 1683. Un fils d'Olympe Mancini et du comte.de Soissons fut tué par une balle turque sous les yeux deson frère qui deviendra le grand Eugene de Savoie. Lesdescendants directs de Henri IV, le bon duc de Vendeane,qui devait mourir en Espagne defendant le treme de Phi-lippe V, et le Grand Prieur, sont à la tête des armées quicombattent en Italie. En Espagne, à côté d'un Berwick,bAtard royal d'Angleterre, il y a un de Baye, un Polignac,un Pointis, un Pons, un due d'Orléans méme, qui pensaque cette couronne pourrait lui revenir et en fut puni,un comte de Toulouse, fils du roi et de la Montespan..

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CHAPITRE XVII 443

C'est un thatre de la guerre oft on peut se distraire ets'élever ; Tessé sera grand d'Espagne.

Les ambassades, les missions secrètes sont aussi unmoyen d'occuper, en les désarmant, ces rivaux, hierencore, de la royauté. Dans ces charges ils apportent toutleur orgueil, leur sensibilité, leur point d'honneur, exas-péré par la mode espagnole. Ceux qui n'ont plus le droitde régler une question personnelle dans un duel, indivi-duel ou par groupe, se- prennent de querelle avec tel sei-gneur allemand aux manières brutales, comme Lichtens-tein, qui a fait quitter par Villars, pour n'avoir pas étéprésenté, le palais de l'archiduc A Vienne, au ont la satis-faction d'humilier un négociateur hollandais, fier de l'im-portance de sa nation, comme aux négociations de la paixd'Utrecht. Leurs entrées sont magnifiques, leurs fêtestriomphalement dispendieuses ; on admire à Madrid lefaste du duc d'Harcourt, à la tête de tout un défilé decalèches dorées ; on fait honneur à ses réceptions aucours desquelles des fontaines versaient du vin et du cho-colat ; Rome s'extasie plus d'ulie fois, envieuse, devantles provoquantes démonstrations des ambassadeurs decette royauté unique.

Après l'emprisonnement du surintendant Fouquet,accusé de malversations, Louis, maitre absolu des organesqu'il employait et qui lui devaient tout, prenait les alluresd'une divinité descendue sur la terre. Un faste inconnujusque-la l'entoure dans la plus simple de ses manifes-tations publiques. Aux grandes occasions, on assistaun défilé interminable de carrosses jusqu'au nombre dequatre cents, à des parades militaires superbes. En 1697,un simulacre de cennbat, conduit par le due de Bourgo-gne, AO à peine de quinze ans, présente einquante-quatrebataillons et cent trente-deux escadrons. La premièreapparition du roi en 1687, après une grave maladie, futun événement national, célébré religieusement. Ce prince,de haute taille, de traits réguliers et nobles, de magni-fique tenue, semblait la perruque à allonges contri-

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buant à mettre en relief la sévère figure rasée, le not dedentelles élargissant les proportions de son corps elegant,les hauts talons agrandissant sa taille, comme rin-corporation de ces dieux dont s'ornait la poésie de sonépoque. Avant les malheurs de famille qui le frapp6rent,la ,présence du premier dauphin et de ses trois fils, desdues d'Orleans et de Chartres, des princes de Conde et deConti, du duc de Bourbon, des Wards reconnus : le duede Maine, le cornte de Toulouse, rehaussait encore lasolennité des pompes officielles. Les ambassadeurs étran-gers en sortaient profondément impressionnés, et, lors-qu'un envoyé de quelque prince lointain venait presenterses hommages, comme celui du Sultan, du roi de Siam,puis du Chah de Perse, quelque chose de légendaireparaissait s'aj outer A. la cérémonie, parfaitement ordon-née, par laquelle se mettait en evidence devant ses pro-pres sujets cette monarchie devenue, dans l'opinion pu-blique, surhumalne.

Les quelques manifestations sporadiques de méconten-tement n'atteignaient pas le prestige de 'Image sacréetelle femme qui accueillait le roi avec les épith6tes de« roy machiniste (sic), tyran », tel des courtisans qui par-lait, aprés le mariage avec Madame de Maintenon, du« gentilhomme campagnard fainéant, auprès de sa vieillefemme », tel écrivain de vocation, resté un seigneur peucultivé, tel Tacite de ruelle, comme le duc de Saint-Simon, qui enregistrait les nouvelles, fausses ou véridi-ques, des vices et des péchés de ce monde si varié et sidifficile à pénétrer réellement, pour écrire les faciles cri-tiques, taches de venin, de ce regne vraiment grand.

Il le fut par une organisation militaire qui dépassaitcelle des Espagnols, fiers de leur infanterie, battue dep.sous Louis XIII. L'art de fortifier les villes ne fit nullepart de si grands progrés qu'en France à cette époque ;par une ceinture de places-fortes, Sarre-Louis, Huningue,Phalsbourg, Landau, Mont-Louis en Cerdagne, on croyait

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CHAPITRE XVII 445rn

pouvoir fermer les côtés ouverts des frontières de laFrance. L'armée, bien équipée jusqu'aux dernieres cam-pagnes, était commandée par des officiers de carrière ;y eut une école pour les six compagnies de cadets, commeil y en eut une autre pour les gardes marines. Les portsmilitaires du royaume furent une creation de ce regne.Des travaux techniques aussi importants que le canal duLanguedoc furent accomplis par les ingénieurs français.Si, dans le domaine du commerce oriental, il y eut degrosses erreurs, faisant des sacrifices pour que d'autresen profitassent, entretenant une navigation pour les mar-chandises étrangeres, qui se valaient du privilege gene-ral de r « empereur de France », et épuisant sous des for-mantes d'Etat : Conseil de commerce, vérificateurs desmanufactures, etc., toute spontanéité, il ne faut pas ou-blier que, sauf l'Angleterre et la HolIande, ces theoriesétaient partout admises.

Tout cela était fait, en plus grande partie, par l'intelli-gence et l'activité des représentants de la classe bour-geoise, Elle ne signifiait pas beaucoup comme ensemble,sans les formes qu'elle avait si bien remplies au moyenAge. Les villes avaient perdu tout instinct d'autonomie.Le depart des dizaines de mille de calvinistes y avaitessen tiellement contribué ; la principauté d'Orange enregorgeait, Geneve pouvait à peine les contenir, l'Electeurde Brandebourg les accueillit par groupes nombreux. Leslourds impôts de la guerre eurent aussi leur part danscette triste decadence. En 1659 déjA, les revenus étaientmangés pour trois ans. Pour payer les troupes, on recou-rut bientôt à des expedients : en dehors des empruntsimposes aux manieurs d'affaires, qui s'étaient montres&flues de tout scrupule et incapables de sacrifices, le pa-pier-monnaie parut sous la forme des « billets de mon-noye », des « billets de subsistances », des « billets d'us-tensiles », des « billets de l'épargne », bientôt égalementet totalement depréciés. En 1695, il y eut la capitation,par plusieurs categories, allant de 2.000 livres it 20 solspayes par les gens de service. Si, en 1698, le roi abolit les

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impòts extraordinaires et diminua le droit sur les mar-chandises, la capitation fut reprise en 1702, et on r ecou-rut en 1709 h la nouvelle monnaie, d'une valeur intrin-segue inférieure ; un edit fit porter à la monnaie lesobjets d'or et d'argent. Le Trésor sera vide à la mort d'unkince glorieux, sur le cercueil duquel la misere jetterades pierres.

Les villes baissèrent la tete, cherchant une compensa-tion dans la « gloire » A. jet continu. Il y eut cependantune resistance dans les campagnes. Les « camisards »,les rebelles portant la chemise par-dessus feurs véte-ments, se levèrent en masse, avec un Cavalier, un Rol-land, un Ravenet. Il y eut de nombreuses executions, dessupplices terribles. « Jamais » dit un auteur presquecontemporain « on ne vit tant d'exécutions, et lesbourreaux avaient peine A. y suffire 1. » Les « miquelets »aidèrent jusqu'au bout la révolte de la Catalogue.

Ce que la bourgeoisie, en tant que classe, ne pouvaitpas donner à la France, elle le donna, par des individusisolés, au roi. Le monarque, qui prétendait tout savoir etrégler tout, ne manquait pas de demander journellementl'avis de ces collaborateurs, dont certains furent les créa-teurs et les exécuteurs dans leurs bureaux. Tels Colbert,jusqu'A sa mort, Louvois aussi, jusqu'au dernier moment,Barbesieux, ChamiHart, si décrie pour les malheursd'une guerre dont il n'était pas responsable. Avec cescommis, dont quelques-uns surent resister au maltre, onfit la bonne et la mauvaise besogne de ce long regne,l'enseigne, parfois séduisante, mais trompeuse, du « so-leil » royal.

Dans ses (pant& et ses défauts, le systeme fut imité,copie, caricature, presque partout. La maladie de CharlesII, comme, avant lui, les vicissitudes de Philippe IV, lerendirent impossible A. la Cour de Madrid, mais celle de

Reboulet, ouvr. cit., IX, p. 309.

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Vienne voulut égaler, sous Léopold et sous Joseph, lessplendeurs de Versailles. Les mames bâtisses, le mêmeart décoratif qui remplit de somptuosités baroques, abon-dantes et lourdes, dramatiques et forcées, les _principalesvines des provinces héréditaires. Les mémes réeeptionssolennelles. Avec un Kaunitz, un Trautmannsdorf, unKinSki, un peu plus de Conseils méme, mais ici avecdes seigneurs dans toutes les hautes places. La mémemorgue, la méme impatience à se faire obéir et admirer,qui fit imposer par le premier de ces empereurs des con-tributions importantes aux Etats neutres de l'Italiegrand-duc de Toscane, duc de Parme, Génes, et proclamale principe que tous les titres de possession dans la pénin-sule, territoire de domination première impériale, doi-vent étre revus. Dans tout l'Empire, autant que les cir-constances le perrnettent, le culte du souverain, avec sestemples, à Nymphenburg, à Rastadt, à Dresde, h. Berlin,avec ses dehors et des dépenses, est adopté. Jusque surles bords du Danube, un Brâncoveanu emploiera son or

payer des architectes, des peintres, des stucateurs etnon moins des chroniqueurs officiels et des prôneurs.

Les nations sont épuisées par l'état presque permanentde guerre. a Je laisserai dans le pays des exemples ter-ribles », avait dit Villars en 1707. Dès 1693, il y eut à Hei-delberg, au château depuis longtemps brillé, un terriblemassacre ordonné par le commandant français. En Ba-vière conquise l'empereur fit prendre des recrues pour laIfongrie, pour l'Italie, et, les paysans s'étant révoltés, ilsfurent tués en masse. En 1704, Malborough n'y détruisitpas moins de cent cinquante localités. L'empereur perditune fois dans un de ses châteaux tout, statues, planta-tions, chevaux. Dans les Pays-Bas, la garnison de Huyfut taillée en pièces, alors que la province de Cologne étaitravagée entière, et les faubourgs de Liége brillèrent,5.000 bombes furent jetées sur Bruxelles en 1695. En1696, la Savoie &all menacée d'extermination ; en 1705,ses forteresses furent rasées. Ce que les Anglais com-

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mirent à Cadix, A Gibraltar, surtout à Valencia d'Alcan-tara, dépasse toute imagination, et, en échange, en 1706,dans le royaume de Valence, les Français

n'épargnèrentque les vieillards, les femmes, les enfants ; les églisesseules restèrent debout. On considéra comme une faveurtoute spéciale de laisser piller A Lerida, en 1707, deuxseuls soldats par chambrée. Partout, clepuis des dizainesd'années, les armées vivaient sur l'habitant, et lesrichesses accumulées se dépenserent en requisitions eten rançons.

Rien n'annonçait une autre ere, le réveil des vies collec-tives engourdies. Ce serait une erreur que de croire dansune aurore qui se serait levee du côté de l'Angleterre.Guillaume y vécut en étranger, en chef d'armée d'occu-pation, d'un dot& en chef de parti, de l'autre. Il retint sesHollandais, ses Français calvinistes autant qu'il put, cas-sant ses Parlements l'un après l'autre et confiant à unmérne représentant diplomatique auprès de l'empereurles affaires des deux pays qu'il réussissait A manceuvrerpar-dessus la liberté de leurs institutions. Il conclut destraités en dépit des Parlements qui prétendaient avoir,non seulement la connaissance, mais la direction desaffaires extérieures. Les whigs installèrent et tutellerentla pauvre reine Anne, qui n'avait pas un prince consort,un roi agrégé à ses c6tés. Ils firent de Marlborough, colo-nel de la garde, grand maltre de l'artillerie, généralissimedes armées, un vrai roi non couronné, dont la Cour étaitcomposée d'un beau-frere trésorier, d'un gendre seer&taire d'Etat ; la femme du maitre de la Cour et duroyaume était la gardienne en titre de la reine. Le « hé-ros » était done ce ministre, et, comme il sied à cette eat&gorie humaine, tout se faisait par lui. Sa disgrAce, en1710, eut le caractère d'une revolution, et les tories venantau pouvoir représentaient quelque chose de beaucoupplus important que l'avénement au treme du médiocreGeorges de Hanovre. Mais, whigs et tories, c'étaient tou-jours les seigneurs qui conduisaient le royaume, les des-

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cendants des Normands, leurs parents, leurs associés etleurs acolytes.

Ce n'est qu'en Hongrie, en Italie et en Espagne, chezles rebelles, qu'on sent une autre façon de comprendreles choses, et lit-bas seulement les classes populaires,bourgeois ou peuple des campagnes, se montrent capablesd'une organisation pour la resistance et d'une initiativede creation.

En Transylvanie, Ráliaczy eut avec lui les paysans quidésiraient échapper au servage, et des milliers de Rou-mains se grouperent aussi sous ses drapeaux. La bour-geoisie saxonne résista aux empietements de la milice etde l'administration autrichiennes. Les Jésuites de l'empe-reur ne réussirent pas à ramener cette province au catho-licisme ; seule l'Eglise, pauvre, méprisée et persécutée,des Roumains se laissa prendre à l'union avec Rome,parce qu'on lui promettait, en échange, l'égalité constitu-tionnelle, et, comme cette mesure tarda, il y eut desrévoltes, en merne temps que l'ancienne orthodoxie, sou-tenue par le prince de Valachie et son conseiller, le pa-triarche de Jerusalem, résistait avec opiniAtreté.

L'appui donne par la Sicile h. Louis XIV, qui y fut, unmornent, le roi acclame de rile, les discussions des Napo-litains avec Charles III méritent une attention speciale.On demanda aux Autrichiens la participation h titred'égalite des indigenes dans les châtellenies. Le gouver-neur de Naples sera un noble ; les autres seront élus parle « peuple », qui donnera aussi un « interprete deslois », responsable seulement clevant le corps de la bour-geoisie napolitaine. Tous les fonctionnaires prétèrentserment sur les privileges du royaume. Il y aura un portlibre h Salerne, la noblesse pourra armer aussi des vais-seaux de commerce qu'une flotte officielle défendra con-tre les Barbaresques.

L'exemple de la resistance de Barcelone aux armes decelui considéraitiseulement comme rai de Castilleest unique, et non seulement sous le point de vuemilitaire. Cétait une république, avec ses jurés, son Con-

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seil Public, sa Grande Justice, ses « matadors » allant_tuer, la nuit, les défaitistes. Les corporations se parta-geaient la defense des murs. Des femmes élevaient sur les.remparts le drapeau noir à tête de mort de la resistancejusqu'au bout. Les Etats, les « brazos », proclamaientdevant l'ennemi leur resolution de n'admettre aucuneconcession. An milieu du massacre, on ergotait encoresur les termes, reputes blessants, de la capitulation. EnSardaigne, les moines préchaient la haine de Philippe V ;.

Murcie, l'évéque levait une armée et combattait à sa_tete.

Mais l'avenir n'allait pas sourdre de la. 11 appartiendra,d'un côté, aux royautés créées, à l'imitation mécanique,d'un grossier matérialisme limite, du systeme français,sans le sentiment de l'honneur, sans le prestige des lettreset des arts, sans la splendeur d'une Cour, et, de l'autre,la richesse accumulée de l'Angleterre, indemne de devas-tations et de massacres, qui soudoiera les guerres provo-quées par les anciennes nécessités territoriales non satis-faites, mais surtout par le déclenehement des nouveauxappétits, féroces et cyniques.

La Prusse en était encore à meubler sa royauté. Se fai-sant peindre en grand costume d'apparat, couronne surla tete, hemline sur les épaules, Frederic ne fit quecréer des bureaux, des fonctions, des dignités, dépensantlargement les revenus d'un Tresor très peu nourri. A -uneépoque où il y avait des princes allemands révant de la.couronne d'Arménie, où les aventures s'esquissaient enOrient et où on ambitionnait avoir à tout prix des colo-nies en Amérique, il suivait le courant, participant àtoutes les négociations, à tous les projets pour le pres-tige. Sous ces brillantes apparences, sous les mRnièresélégantes de la reine, de la dernière des femmes du Ho-henzollern, une Hanovrienne, qui lisait des livres fran-çais et voulait avoir la « comédie » chez elle, mais sanspouvoir improviser une Cour, il y avait, à l'occasion desrencontres avec le voisin saxon, capable de briser entre-

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1 Lavisse, La jeunesse du grand Frédérie ; Waddington, Histoirede Prusse.

CHAPITRE XVII 451

ses doigts un fer i cheval et d'entretenir un innombrableharem de favorites, des plaisanteries lourdes et des buve-ries. Sous son fils, époux lui aussi d'une princesse deHanovre, bonne femme patiente, sous ce Frederic-Guil-laume (des 1713), qui grommelait un français approxi-matif et osait peindre des tableaux qu'il vendait, la prin-cipale preoccupation fut celle d'une armée. Le dur mo-narque, qui ne se sentait bien que dans sa « tabagie », aumilieu des officiers de sa troupe, élevait des soldatsd'élite, des geants, mariés h des géantes, en vue de progé-niture, des guerriers de parade qu'il n'entendait pas ris-quer pour rien. Vivant solitaire, tout h. ses devoirs, qu'ilremplissait exactement, sans un geste d'amabilité A

l'égard de personne, méprisant pour les caprices intellec-tuels de sa femme et pour les talents de son fils et de safille, il faisait partie de cette catégorie de souverains quin'avaient pris h Louis XIV que la perruque et le batonde commandement et il n'hésitait pas h en faire usagedans le cercle méme de sa famille 1 Mais il créait jour-nellement des finances prosperes; administrées avec uneeconomic voisine de l'avarice, et l'instrument militairequ'il menageait jalousement pouvait servir h une ambi-tion plus haute -que la sienne.

Frédéric-Guillaume, qui avait pensé au partage de laPologne déchue, rcpt.', h Berlin, ville seche et banaleautour de son chateau-forteresse, un voyageur peu ordi-naire, le Tzar de toutes les Russies, Pierre, encore un descopistes couronnes des formes mécaniques de la royauté,de « gloire » et de conquêtes, d'hégémonie et de pres-tige.

Le dernier des fils du Tzar. Alexis, héritier de ses,frères Fedor et Ivan et remplaçant de l'impérieuse smurau nom byzantin, Sophie, dont l'avait débarrassé, la jetantdans un cloltre, une conspiration et un tumulte populaire,

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s'élait forme à l'occidenfale par les conversations et Fen-seignement, officiel ou privé, des étrangers établis endehors de la ville russe, à « l'asile libre », à la slobodka,et au contact des aventuriers de toutes les regions dumonde. Il n'y eut dans cette education à l'aventure, inca-pable de creer une Arne de vraie civilisation, aucun Fran-(;ais. Aussi, la tournure d'esprit que gagna le jeuneprince fut-elle autre que celle d'un courtisan ayant gofitpour les belles manières, pour les lettres et les arts donts'orne un entourage monarchique. La science l'intéressaitdans les choses utiles qu'elle créait, dans ses applications

la guerre et aux choses d'Etat, dans ses creations pra-tiques et un peu aussi dans ses miracles. Un ouvrier seforma ainsi, actif, impitoyable pour lui-même et pour lesautres, ivrogne et débauché, ayant un seul but dans sa vieorageuse : fabriquer une armée pour un Etat et un Etatpour une armée. Dans ce but il peina à coups de hachesur l'échine de sa garde de strelitz révoltés, sur les an-ciennes coutumes qu'il détruisit, sur les caftans. et sur lesbarbes, sur les pratiques religieuses byzantines donts'était nourri son boiar, son marchand et son paysan,Simples ressorts dans le « chef-d'aeuvre », à raboter, etsur les souvenirs sacrés de la Moscou asiatiquel.

On le connaissait par le triomphe facile d'Azov. Lors-que la tempéte guerriere du « heros » suédois se dirigeacontre lui, on put le croire perdu. Mais Charles XII avaitaussi d'autres caprices que la destruction du Moscovite.L'émule du grand Alexandre cherchait l'Asie et ses mer-veilles : l'aventure s'était accrochée à cette 'Arne assoiffeed'exploits nouveaux, et ne l'abandonna pas. Pendantqu'il prenait plaisir à mettre en pieces l'orgueil royald'Auguste II, déchirant en lambeaux cette pourpre ac-guise au prix de la rénégation religieuse et mettant h nul'incapacité de ce robuste efféminé, Pierre travaillait,avec sa patience de manceuvre, h batir sur les bords gla-cés ou marécageux de la Neva sa nouvelle Russie, qui

t Cf. notre Scurta Istorie a Slauilor Räseiriteni, p. 82 et suiv.

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CI-LAMBE XVII 453

devait étre impériale pour l'Orient, mais aussi, pour l'Oc-cident, dominatrice. On ne s'apercevait paS de ce qu'ilfaisait dans ces forks et ces 'étangs, où sa Versailles h lui,construite au prix du sacrifice de milliers d'humbles arti-sans, devait étre une ville, une capitale, tout un mondedifférent de celui dont il avait hérité et qu'il s'occupaiténergiquement h biffer. En méme temps, l'armée s'élabo-rait, appuyée sur les institutions dont elle avait besoinet qui seules intéressaient le rude architecte ; h la placedes troupes à la tatare et h la polonaise que Charles XIIavait dispersées de son souffle furieux, il y aura des régi-ments de tout point ressemblants à ceux des Suédois, desDanois, aux soudoyers des villes baltiques, dont serontempruntées aussi les formes de l'Etat, les Collèges deministres peinant en esclaves, le Sénat écoutant dans sesdélibérations une seule voix, les gouverneurs et les vice-gouverneurs, auprès desquels furent maintenus les an-ciens voévodes slaves, le « magistrat » des villes, l'ordon-nement de la police, et jusqu'au « procureur général » duTzar, délégué, après l'abolition du Patriarcat, auprès du« synode » des évéques. Lorsque, mené dans les solitudesde l'Ukraine pour s'y refaire et s'y ravitailler, pour ychercher des alliés et pour attirer la soif de revanche desTurcs,_ dépouillés d'Azov, et séduit dans ces déserts parles invitations pressantes de Mazeppa, le Hetman cosa-que, qui révait de l'Etat libre d'un Bogdan Chmielnicki, legrand conquérant rencontra à Poultava cette nouvelle etinébranlable force militaire, conduite par un homme quisavait bien la valeur de sa création, il fut brisé (juillet1709). Et, pendant qu'on le transportait, blessé, à Ben-der, en terre moldave administrée par le Turc, à pro-ximité des hordes tatares, pour y jouer un rôle, inaccou-tumé, de maltre impérieux dans la maison d'autrui,dédaignant de revenir en vaincu et en fuyard, jusqu'en1716, quand déjà la mort l'attendait dans une obscureaffaire du ceité de la Norvège ennemie 1, Pierre, inlassable,continuait, avec la méme discipline que dans l'atelier descharpentiers de Saardam, en Hollande, faire » sonEmpire, menaçante caricature de ceux qui s'étaient déve-

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loppés d'une façon lentement organique pendant dessiècles en Occident.

Il en fut distrait c'est le mot par une nouvellecampagne moscovite contre les Turcs du Sultan AchmedIII, qui avait remplacé son frère Moustapha par la révolu-tion militaire de 1703, en 1711. Depuis longtemps, l'Orientclirétien se cherchait un sauveur. Il avait cru dans l'étoiledu Roumain Michel-le-Brave, il avait dirigé ses regardsvers Sigismond BAthory, il avait écouté le Pape et invo-qué l'empereur catholique des Allemands de Vienne, ilavait accueilli les émissaires du duc de Nevers, révantde Constantinople, et, b. la fin du XVII' siècle, il s'étaitcompromis de toute façon avec les croisés de LéopoldDélaissés à la paix, ces Serbes, ces Grecs, frottés eux-mémes d'occidentalisme italien, appelaient le vainqueurd'Azov. Un théoricien, le prince moldave Démétrius Can-temir, lui-méme un imitateur des Occidentaux par saperruque et sa cravate A. la française, par ses ouvrageslatins sur la philosophie, par ses préoccupations d'histo-Tien inaugurant la théorie de la « grandeur et de la &ca-dence » des Etats, donna une forme tangible A. ces aspira-tions et présenta à l'armée russe le premier relai versConstantinople, dans sa principauté, dans les richessesde son sol, dans rimpatience guerrière de sa jeune no-blesse.

Mais Pierre résista A. la séduction multiple et brillante,et ce furent les Turcs qui, après avoir confirmé la paixen 1709, lui déclarèrent, dèS la fin de l'année suivante,la guerre. Le Tzar, déjà infesté par les Tatars et les Co-saques de Charles XII, voulut prendre l'offensive, em-ployant l'esprit de rébellion des orthodoxes. Il descenditen Moldavie, mais fut prévenu par l'armée turque duGrand-Vizir Mohamed IBaltadchi, digne émule des Keu-prulis, qui le rencontra près de FAlciiu, sur le Pruth, aloiSque l'avant-garde russe, conduite par un général alle-

I Voy. notre article dans la Revue historique du Sud-Est euro-péen, année 1926.

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CHAP1TRE XVII 455

mand, Rönne, prenait, aidée par un Cantacuzene, Tho-mas, chef de la milice valaque, rebelle contre son prince,,Brdila, et qu'on escomptait, en depit de la neutralité pru-dente du Valaque Brancoveanu, le passage du Danubedans le couloir de la Dobrogea. Pierre fut en dangerd'être pris au milieu de son camp affamé et mourant desoif, autour duquel voletaient les Tatars.. Il sut se déro-ber au danger par des prières : les Turcs, gagnés aussipar son sacrifice d'argent, le reconduisirent jusqu'it lafrontière de cette Pologne où le Tzar était, contre l'intrusStanislas, l'associe du roi Auguste. De cette mésaven-lure, le Tzar ne conserva aucun souvenir humiliant ; ellene le découragea nullement : le triomphe contre l'Islamottoman n'était pas pour lui un point de programme%Sa mer à lui, ce n'était pas l'Euxin, oil il avait perduAzov et Taganrog, et son rôle il le fixait par rapport auxcommotions dans lesquelles l'Occident se cherchait unenouvelle assiette, avec un équilibre nouveau.

C'est pourquoi, après avoir étouffe, en 1712, une nou-velle declaration de guerre, tous les efforts de Cantemir,réfugié, dans une situation douloureusement genante, enRussie, toutes les supplications du parti oriental parmlses Russes ne réussiront pas a lui faire reprendre le duelavec les Turcs. Si la paix entre les Occidentaux n'étaitpas intervenue si tôt, peut-être dès lors efit-on vu l'in-fanterie en uniforme europeen de celui qui voulait etre« empereur », el non Tzar, dans les grandes mêlées surle Rhin, sur l'Escaut, en Italie ou en Espagne.

La menace qui pesait sur le Tzar devait se déchargersur d'autres membres de la ligne chrétienne de 1684. Unappetit de revanche agitait la Porte, sous un Sultan plusénergique que ses prédécesseurs, et surtout sous la con-

I Sur ces rapports avec des Serbes, des Monténégrins, des Greta,voy. Schuyler, Peter the great, H, Londres, 1884, pp. 227 et (mil?. LeTzar lui-nr6me, racontant sa défaite, dit espérer en étre renforcé

de l'autre c8té, qui est d'une valeur incomparablement sup&rieure pour nous » (ibid., pp. 248-249).

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456 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

duite de son gendre, ce Dchin-Ali, qui voyait dans la ter-reur envers les dignitaires et les sujets, dans la lutte con-tinuelle contre les ennemis de l'Empire le seul moyen dele régénérer, pent-61re de le refaire dans les ancienneslimites.

On avait demandé à la Russie la cession de Kiev, deTchernigov, de l'Ukraine. La Pologne devait accepter leroi Stanislas, et ce fut un pur hasard que l'expédition des-tinée à abattre le trône d'Auguste II s'arrêtât au châteaumoldave de Hotin, en face de Kamieniec, qui fut fortifiéet annexé aux possessions directes du Sultan. Comme cesdeux expéditions avaient été arrétées, Dchin-Ali, quiavait Ujà averti les Impériaux en faisant exécuterConstantinople, en place publique, sous les yeux de sonmaitre, pour des relations amicales avec le gouverneurautrichien de Transylvanie, le malheureux Brâncoveanu,précédé dans la mort par ses quatre fils, se jeta sur Ve-nise, pour lui reprendre la Morée.

La République, accusée d'avoir soutenu la révolte desMonténégrins, resta seule dans la lutte, au moment otttout le monde était occupé en Occident à finir la grandeguerre, qui les avait épuisés tous. Les sujets grecs, pour-suivis par le clergé catholique réinstallé dans la pénin-sule, incommodés par la colonisation italienne, tracasséspar une administration pointilleuse et empêchés dansleur commerce, furent, partout, les auxiliaires dévouésde l'envahisseur, dont ils étaient habitués à supporter lejoug. L'armée ottomane, totalement refaite, ne rencon-tra nulle part des troupes capables de s'opposer à sonavance. Les villes, mal fortifiées, n'avaient qu'une garni-son insuffisante. Des exemples terribles contre celles quis'avisèrent de résister, intimidèrent les autres. L'ancienmur du xv° siècle fut dépassé. Corinthe capitula, puisPatras, Nauplie, après une résistance plus sérieuse. OnAnil par la prise de Coron, de Modon, par l'occupation dela Maina, par celle de Malvasie. Partout, les « latins »furent traités avec une sauvage cruauté, sans épargnef nifemmes, ni enfants. Tout ce qu'il y avait de plus féroce-

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CHAPITRE XVII 457

dans le passé de la race turque fut dépassé à cetteoccasion. Le Grand-Vizir terroriste était redouté, du reste,pour le même motif, par les siens aussi, car, avant etaprès le depart pour la Morée, les tetes les plus fièresroulèrent dans la poussière. Les dernières places retenuespar Venise en Crete furent conquises par l'amiral otto-man, qui se rendit maitre aussi de Sainte-Maure et deCerigo.

Louis XIV, tant de fois empêche dans la poursuite deses intérêts italiens par la fausse neutralité de Venise,assista impassible à ce terrible spectacle, lui qui, dans sajeunesse, avait fourni des défenseurs à cette He de Creteattaquée par Achmed Keuprili. Il dut ressentir une satis-faction amère au spectacle de ce chatiment. Quelques-rnois après sa mort, la revanche turque atteignit l'Empire,qui cependant avait d'autres moyens de se' defendre queVenise dégénérée de ses traditions.

Les nouvelles Puissances avaient commence dépréclamer leur part dans la vie de l'Europe. On procédaitau partage des possessions germaniques de la Suede, pen-dant l'absence de Charles XII et méme après l'apparition,plus pressante que jamais, du roi, qui dut abandonnerla defense de Stralsund, pressée par les armées du Dane-marc, mais aussi par celles d'Auguste II et de Frederic-Guillaume de Prusse. Stettin devenait prussienne, Br6meet Werden danoises ; on \Terra bientôt Pierre I" entre-prendre un nouveau voyage en Occident, à Paris, à Ber-lin, lui permettant de prendre contact de tout côté en vuede son ambition future : deja le Mecklembourg l'attirait.Le Tzar finissait de s'installer sur les rives de la Baltique.Cette poussée devenait plus facile par le renouvellementde la guerre entre l'empereur, empéché de se méler desaffaires de l'Occident, et la Porte, animée du nouvelesprit conquérant.

Comme Dchin-Ali, le Vizir vainqueur, pensait à laprise de Corfou, à une irruption en Dalmatie, à une nou-velle campagne contre Vienne, comme, pour les men-1es

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458 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'IIISTOIIIE DE L'HUMANITg

relations avec les Autrichiens, le nouveau prince de Vala-chie, Etienne Cantacuzène, avait été transporté à Andri-nople pour expier, Charles VI s'empressa de conclure,dès le 13 avril 1716, un pacte d'alliance avec Venise ré-duite aux abois. On croyait pouvoir s'entendre aussi avecle Tzar, et cetle Triple Alliance aurait renouvelé la liguede 1684, mais sans le Pape, désormais indifférent, et laPologne, impuissante. Pendant que le projet du Vizir demettre en mouvement les réfugiés hongrois en Moldavie,soutenus par les Tatars, s'é, vanouissait, les Impériauxs'emparaient sans difficulté de la Valachie, dont le prin-ce, le Phanariote Nicolas, fits du grand interprète Alexan-dre Maurocordato, pris par surprise, grAce A. la trahisondes boiars, sera mené comme prisonnier à Hermannstadt-Sibiiu ; en Moldavie, le Vaévode, un Roumain, Michel

soutenu par les cavaliers du Khan, saura dé-blayer le terrain des bandes allemandes d'invasion et ris-quer méme, avec ces terribles ,allies, une entrée dévasta-trice en Transylvanie. En Hongrie, l'avance d'Eugène deSavoie rencontra, près de Peterwardein, la grande arméeturque ; sa puissante offensive réussit A. la mettre endésordre (aofit). Dchin-Ali, blessé, expira, quelquesjours apres, dans la place même ofi avait été conclu letraité de 1699. Après un mois et demi de siege. Temes-vAr, la citadelle, jusqu'ici imprenable, du Banat, dut serendre.

L'année suivante, la guerre prit un caractère de croi-sade internationale. Des Français, que le regent Philipped'Orléans n'avait pas cru devoir empécher : de Pons,revenu d'Espagne, Marcilly, Charlois, d'Estrade, d'Alain-court, de Bonneval, plus lard Pacha, un prince de sangméme, qui sera exposé comme les autres, le prince deDombes, fils du duc de Maine, se trouvaient sous les,ordres d'Eugène de Savoie, devenu pour les siens le« noble chevalier » de la chanson populaire, pour la chre-iienté entière un symbole de la guerre sainte 1 Belgrade

d Voy. la bibliographie dans le Journal de eampagne de Dombes,

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CHAPITRE XVII 459

fut assiégée, et le nouveau Grand-Vizir, appelé par le filsde Cara-Moustapha qui avait assiégé Vienne, vint, desle 1" août, les rencontrer dans l'espoir d'une brillanterevanche. Les nombreuses troupes parurent cerner lesImpériaux auxquels on réservait le sort des Russes duTzar Pierre. Les hostilités auraient tiré en longueur versl'automne, si Eugene n'avait pas risqué la grande batailledu 16 août, qui, perdue d'abord, se termina par un triom-phe, les Turcs s'étaient fait tuer « par detail » ; troisjours plus tard, Belgrade capitula. Les chrétiens écouté-rent A. genoux, dans la tente du Grand-Vizir méme, lp TeDeum d'actions de grace.

Aussit6t, Schabatz, Orsova, Mehadia se rendirent. EnBosnie, on n'avait pas réussi, mais le siège de Corfou,défendue par Schulenbourg, dut atre abandonné par lesTurcs. On pouvait penser A la paix.

Les deux camps européens qui avaient si longtempsmené la guerre de plumes jusqu'à la conclusion des trai-tés occidentaux se rencontrèrent de nouveau pendant lesnégociations de Pojarevac (Passarowitz), en 1718. L'An-gleterre et la Hollande, Montague et Colyer, puis Suttonet Hamel-Bruyninx, cherchaient à rapprocher les deuxpoints de vue ; Désalleurs, l'ambassadeur de France AConstantinople, à donner de vains espoirs aux Turcs, res-tés des amis. On abandonna presque complètement lesintérêts de Yenise 1, dépossédée pour toujours, dans lebut d'obtenir les cinq districts de la Petite Valachie, jus-qu'à la rivière de l'Olt, le Banat, la Serbie septentrionale,et, en plus, la libre navigation sur le Danube et la MerNoire, de larges concessions de commerce et le droit deprotection sur les catholiques de l'Empire ottoman, ycompris les Franciscains de Jérusalem. « Nous n'avonsplus d'ambitions », avait dit le nouveau Vizir, « mais

publié par M. N. A. Constantinescu dans notre Revue historiquedu Sud-Est Européen, II, p. 102 et suiv. On faisait récolte degraisse turque pour les entorses et foulures n, ibid., p. 116. Cf.notre Gesch. des osmanischen Reiches, IV, p. 337 et suiv.

Elle regagna seulement rile tie Cerigo et quelques places-fortes.

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460 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

Dieu est miséricordieux, et nous posons notre espoir enlui, connants en notre contrition et en nos prières 1 »

Pendant qu'en Europe orientale les rapports suivaientainsi leur cours naturel, l'Occident était en pleine revo-lution dipIomatique, car, déjà, la diplomatie, de servante,y était devenue maitresse des Etats.

L'Espagne avait le roi qu'elle avait voulu. Elle avaitforce la diplomatie, meme celle de la France, à mainte-nir ce roi. De ces longues luttes qu'elle avait supportéesavec une héroique resolution, une forte vitalité, mépri-sant les souffrances, lui était sans doute restée 2. Apresavoir accueilli des armées étrangères pour soutenir lacause de Philippe V, elle s'était dressée elle-même, par ladefense de ce trône, contre Charles III, soutenu avecenthousiasme par les séparatistes seuls, et pas pour lui,mais pour eux-mémes.

Ce roi voulu &tali encore jeune, et l'ambition de sarace devait nécessairement le posséder. Il voyait enFrance comme regent un prince, son cousin, qui availété accusé. d'avoir brigué ce trône d'Espagne, mémeau seul cas de le voir abandonné. L'enfant en bas-Age quiportait la couronne pouvait disparaitre, et ce ne devaitpas étre au profit du due d'Orléans. En plus, comme,contrairement au testament de Louis XIV, la garde du roiet toute influence avaient été ravies à Faille des fils dela Montesipan, le due de Maine, mis dans les dernierstemps sur la meme ligne que les princes de sang, l'intri-gue irritée de celui-ci devait se tourner vers le roi d'Es-pagne.

Gesch, des osmanischen Reiches, IV, p. 361.Au commencement du règne, Louville, qui accompagnait Phi-

lippe V, écrivait qu'il n'y a pas o un sol .) dans le trésor, uneporte à la cave, des serviettes sur la table (on était à la veille... dese servir des serviettes des marmitons), les valets et les écuyersdemandaient l'aumane (Louville, Mémoires secrets sur l'établisse-ment de la 'liaison de Bourbon en Espagne, Paris 1818, I, p. 162eités d'abord par Schlosser, Hist. des révolutions politiques et lit-iéraires de l'Europe au dis-huitikne siècle, trad. Suchau, I, Paris1825, p. 4).

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CHAPITRE XVII 461

Celui-ci n'avait pas été impopulaire en Italie, on onvenait d'installer d'autres maitres, un Savoyard, des gou-verneurs allemands. Or, de ce pays méme vint A Philippeun ministre qui se sent l'étoffe d'un Mazarin. A l'épo-que de la diplomatie, il se croyait de force, et leroyaume qu'il administrait aussi, de donner des solutionsaux questions qu'on avait &I laisser en suspens, et defaire qu'on revienne sur celles qui avaient été résolues Atravers, selon le gré des seules convenances du mo-ment.

Avec une Maison d'Autriche que tentait de nouveaul'Orient européen, avançant du còté de la Save, du Da-nube, espérant s'étendre au delà des Carpathes moldaves,avec une Angleterre on la querelle des partis avait denouveau éclaté avec fureur, les whigs, revenus aupouvoir poursuivant avec acharnement Ormond et Bo-lingbroke, et le prétendant écarté, le chevalier de Saint-Georges des luttes françaises en Flandre, Jacques IIIpour les siens, s'occupant A. détacher d'abord l'Ecossede son royaume usurpé, avec une France livrée A larivalité de ses princes et aux générations de femmes, ilespérait pouvoir refaire la monarchie de Charles V.

Des alliés étaient IA pour le soutenir. La fureur deCharles XII d'abord, qui se jetait sur la Norvège, avec cegénie de l'imprévu qui a caractérisé sa vie. La Maisonde Brandebourg ne croyait pas avoir tout fait en créantune royauté nouvelle et en prenant une part quelconquede l'héritage de Gustave-Adolphe, « hérolquement » gas-pillé A force de conquétes. Et, parmi les nouveaux venus,la Moscovie impériale du Tzar, qui avait envoyé sessoldats, sous Mentchicov, en Poméranie, qu'ils brill&rent1, ayant pris Stettin, et qui avait, dans le duc deHolstein-Gottorp, un gendre de Pierre, se flairait uneproie A travers cet Occident dont on avait décalqué lesinstitutions et le système militaire pour mieux pouvoir lemaitriser.

t Schlosser, ouvr. cité, 1, p. 48, note 1.

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462 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

La nouvelIe reine d'Espagne, qui avait remplacé lapauvre princesse de Savoie, abreuvée d'amertumes par-la politique de son père, était une princesse de ParmeAlberoni tirait son origine de cette ville, et il avait repré-senté à Madrid le duc de Parme, une raison de plus pourviser les possessions italiennes perdues. Les Italiens for-maient, du reste, le cardinal del Giudice en téte, en par-tie le nouveau ministére espagnol. 11 fallait trouver unhéritage pour le fils que l'Italienne avait donné à Phi-lippe V, qui avait déjà de son premier mariage denshéritiers.

On connaissait déjà ses projets, lorsque, le 4 janvier1717, fut conclue la ligue entre l'Angleterre et la France,qui s'étaient entendues pour conserver le statu quo.dynastique et politique, puis aussi avec la Hollandecette triple alliance à laquelle la guerre seule contre lesTurcs empéchait momentanément l'empereur d'accéderd'une façon publique.

De son côté, Alberoni pouvait compter sur le seul duede Savoie, auquel on venait de promettre une partie duMilanais. Entre le ministre espagnol et celui qui diri-geait, d'une favon qui devait le mener à l'échafaud, lapolitique de Charles XII, von Görtz, n'avait pas encoreété conclue cette union secrète, devant comprendre aussile Tzar, réconcilié, qui se cherchait un pied-à-terre enAllemagne. Bref, il y avait ensemble les Etats qui culti-vaient une revanche ou poursuivaient une aventure.Cependant, comme jamais l'empereur, qui n'oubliait pas

« archiduc », n'avait voulu reconnaltre Philippe com-me roi d'Espagne, on commença, ou plutôt on reprit, laguerre avec une armée et une flotte absolument remar-quables, dont le mérite revenait au nouveau règne, à lanouvelle dynastie et à. ses ministres. La Sardaigne futaussitôt conquise et, avec l'aide cachée du roi de Sicilequi était le due de Savoie, une expédition se prépara con-tre Naples, mécontente.

L'AngIeterre d'un roi qui était Electeur de Hanovreet qui commença à digérer ses acquisitions à Brême et

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CHAPITRE XVII 463

Werden, ne pouvait pas 2dmettre ce nouvel établisse-ment méditerranéen d'une Puissance considérée commedéchue et désarmée, à laquelle on avait pris Gibraltar etPort-Mahon. Prévenant la déclaration de guerre que leParlement n'accorda pas sans protester, la plus forte desflottes européennes parut done devant Messine et mit finà l'aventure napolitaine par la destruction de la Ilotte.espagnole.

C'est A ce moment que se reproduisit la réconciliationrusso-suédoise et que fut fixé le vaste programme qui.mettant par une conspiration la France sous la main duBourbon d'Espagne, aurait donne au prétendant anglaisson heritage par les forces des Puissances du Nord, pen-dant que la Maison d'Autriche serait écartée d'Italie etque les Pays-Bas eux-mémes obtiendraient un autremattre que l'empereur.

Le projet n'avait pas de grandes chances. Déja le ducde Savoie s'était entendu avec l'empereur, débarrassé dela guerre d'Orient, pour obtenir la Sardaigne à la place dela Sicile, laquelle reviendrait sous Charles à l'ancienneunion avec le royaume de Naples. En plus, il y eta lacatastrophe de Charles XII, tué en Norvège (1718). Görzfut exécuté, ef Pierre redevint l'ennemi de la Suède, qu'ilenvahit deux fois, la traitant sans pitié.

L'empereur ayant cru nécessaire de publier une décla-ration de guerre formelle contre l'Espagne, la France durégent n'hésita pas à en faire de méme, pour punir unesimple intrigue éventée (janvier 1719). Pendant qu'àl'intérieur une ceuvre de réformes échouait et qu'oncherchait, par une entreprise (le banque, absolument ris-quée, à restaurer les finances ruinées, le duc de Berwick,celui-là méme cull avait établi les Bourbons au-delà desPyrénées, fut chargé de combattre Philippe VI. L'Espa-gne répondit par une offensive hardie ; ses troupes semontrèrent, en Italie, supérieures à celles des Habsbourg,.

Villars avait refusé de le faire.

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464 ESSAI DE SYNTHLSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

et on put préparer toute une nouvelle « invincible arma-da », comme celle de Philippe II, et une armée de 6.000hommes, pour conduire Jacques III en Ecosse.

Une intrigue réussit alors contre celui qui avait cruvaincre par l'intrigue. En offrant A la reine d'Espagnel'expectative de Parme, de Plaisance et même de la Tos-cane, Etats italiens dont les dynasties étaient sur lepoint de s'éteindre, on la gagna pour provoquer la chutefoudroyante du grand ministre, qui n'avait pas plus quebeaucoup de ses contemporains l'esprit d'aventure. Il futdestitué et expulsé comme un valet infidèle. L'Espagnene se remettra jamais de cette erreur.

Mais la guerre contre le royaume cessa aussit6t ; l'em-pereur, tout en s'intitulant roi d'Espagne et en gardantla situation de grand-maitre de la Toison d'Or, admitl'installation de l'infant don Carlos en Italie. Philippe Vse rallia à la ligue de la paix. Sa fille devait étre reine deFrance, elle sera renvoyée, en 1723, par le successeurdu régent, comme premier ministre, le due de Bourbon,

alors que les filles du régent auraient épousé deuxprinces espagnols. Après l'abdication de Philippe, pour-suivi par des visions noires, au profit du fils, qu'il avaitnommé Louis, et après son retour au tr6ne par la mortde ce fils ainé (1724), il y aura, en 1729, par le traité deSéville, une nouvelle promesse solennelle de la part desAnglo-Français que le cadet des infants aura en Italieune double couronne ducale. On ne devait pas s'arréter1A, car l'étoile des Bourbons n'avait pas encore pAli au-dessus de la péninsule.

Pour le moment, le successeur d'Alberoni, le Hollan-dais Ripperda, ne lui était pas inférieur en talent d'in-trigues. Le traité secret conclu avec l'empereur A. Vienneen 1725 assurait A l'Espagne Gibraltar et, de nouveau, ilétait question du prétendant anglais ; les infants auraientépousé des archiduchesses. Il fallut opposer de nouveauaux projets espagnols une ligue de défense : l'Angleterre

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retenait la France dans son alliance, et Frédéric-Guil-laume de Prusse parut s'y rallier, étant remplacé ensuiteen 1726 par ,les Etats de Hollande. L'alliance fut con-clue aussi par la Suède, le Danemark, le landgrave deHesse-Cassel, le due de Brunswick-Wolfenbfittel, h Her-renhausen, au Hanovre, d'où le nom de « ligue hano-vrienne », le 3 septembre 1725 ; la Russie resta à c6léde rempereur.

Ceci n'empécha pas, en 1727, le siège de Gibraltar. 11ne réussit pas, et c'est alors qu'intervint le retour del'Espagne h la politique des Anglais par la médiation dtPape et le congrès de_ Soissons, remorquant la France,préte à répondre à toutes les suggestions. L'empereur,préoccupé de sa propre succession, car il n'avait que desfilles comme héritières, renonça à s'opposer par lesarmes h une main-mise provisoire sur l'héritage italiende don Carlos, déjà investi de la Toscane. Le traité de

mentionné déjà, fut donc signé en novembre 1729par la France, l'Espagne et l'Angleterre, la Hollande s'yralliant aussita. Aprés deux ans, en mars 1731, l'empe-reur, renonçant à ses velléités de commerce, pour lesPays-Bas, aux Indes orientales, acceptera les résolutionsde Séville au profit de l'Espagne. L'Angleterre y jouait legrand rôle, car, en assurant la succession de l'archidu-chesse, elle garantissait h l'empereur ses Etats en Occi-dent.

La paix du Nord avait mis fin aux démélés de fron-tiére. Après la mort de Charles XII le Danemarc avaitrendu h la Suède Stralsund, rile de Rugen, la Poméra-ale jusqu'à la riviére de la Peene, Wismar. Mais le duchéde Holstein, appartenant au neveu du roi de Suède, futréuni au royaume voisin. De son côté, le roi de Prusserendait les iles d'Usedom et de Wollin. En 1721, par lapaix de Nystadt, la Russie obtenait tout le littoral balti-que jadis suédois, à l'exception d'une partie de la Carélieet de la Finlande. Le Tzar, qui poursuivait des projetssur la Poméranie méme et sur le Meklembourg, mariant

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466 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUBIANITA

une de ses Mies avec le duc de Holstein-Gottorp, en avaitdonne une autre, Anne, au duc de Courlande, dont lefrère sera écarté de la succession au profit de la veuve dece Frédéric-Guillaume. Un nouvel ordre de choses s'éta-blissait ainsi dans ces regions, et il devait survivre àPierre, mort en 1725, h. la Livonienne qui avait ete sa con-cubine, sa femme, et qu'il laissa, ayant fait mourir sonfils unique d'un autre mariage, Alexis, son héritièreCatherine. Le jeune Pierre, fils d'Alexis, dominera, de sanouvelle capitale de Pétersbourg, tout aussi impériale-ment sur ces rives de la Baltique que son grand homo-nyme.

Restait la situation de la Pologne. Auguste II y régnaitavec un faste extraordinaire, entouré plutôt que défendupar une armée de parade, dont les chefs appartenaienttoutes les nations, et dépensant largement les revenusrecueillis avec soin par son ministre Fleming. Plus d'unefois, il y cut des demonstrations contre radversaire humi-lie de Charles XII. A sa mort, en 1732, on pensa de nou-veau à Stanislas, qui menait une vie de lettré et d'ama-teur des arts, .d'abord dans la principauté suédoise desDeux-Ponts, puis, après qu'Ulrique-Eléonore, princessede Hesse-Cassel, sceur de Charles XII, efit reconnu Au-guste, dans la ville alsacienne de Wissembourg, sous laprotection de la France. L'empereur s'était entendu avecla Prusse et la Russie, qui, garante du pacte entre AugusteII et ses sujets, se considérait déjà comme ayant desdroits de tutelle sur le royaume, pour y installer unprince portugais, évitant le fils homonyme du roi.

Mais Stanislas put pénétrer jusqu'à Varsovie, où eutlieu son election ; un autre parti donna ses suffrages aufils du roi défunt. Les voisins russes et autrichiensavaient déjà rassemblé des troupes dans le voisinage desfrontières polonaises. Lascy et Miinnich, commandant lescorps autrichien et russe, contraignirent liientôt l'ancienami de Charles XII à se retirer à Danzig, oil l'attendaitune flotte française et un groupe de nobles de la mêmenation, sous le commandement de l'ambassadeur deFrance h. Copenhague, le comte de Plélo, qui y périt pourl'honneur. Le cardinal de Fleury, principal ministre de

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CHAPITRE XVII 467

,Louis XV, repondit à cet acte d'inimitié de la part del'empereur, contre le candidat français h la couronne dePologne, par une declaration de guerre.

C'étaitl'occasion de reprendre, les armes h. la main, laouestion de l'Italie. L'Espagne, qui visait Naples, le duc deSavoie, qui guettait le Milanais, &talent des allies tout indlaqués. La Lorraine fut comprise dans les hogilités, son duevivant h. Vienne comme futur époux de rarchiduchesseMarie-Therese, pour la succession de laquelle, fixée dansune « sanction pragmatique », l'empereur vieilli cherchaitde toute part des allies. Passant le Rhin h Kehl, les Fran-çais se trouverent devant une opposition de l'Empire, ledue de Bavière, le Palatin, l'Electeur de Cologne préfé-rant cependant s'engager de nouveau avec leurs anciensamis. Les meilleurs généraux allemands, comme le ducAlexandre de Wurtemberg, qui avait combattu contreles Turcs, et le conseiller, l'intime de Frédéric-Guillaumede Prusse, Leopold de Dessau, ne résistèrent pas (en1733) devant le m.aréchal de Berwick, qui sera tué pen-dant les hostilités de rannée suivante ; le maréchal, con-quit Philipsbourg, devant Eugène de Savoie, impuis-sant à la défendre avec les fail:des moyens qu'on avaitmis h. sa disposition, et devant le fils, destine h une gran-de gloire militaire, du roi de Prusse. Pour la premièrefois on fit appel aux Russes, et les troupes, équipées etarmées comme les Occidentaux, de la Tzarine Anne, du-chesse de Courlande, protectrice de la Pologne, furentsur le Rhin, un spectacle nouveau.

La guerre ne sera pas poursuivie de ce côté. Elle inté-ressait l'Italie seule, à laquelle il s'agissait de donner unenouvelle forme politique. Le jeune duc de Savoie, Char-les-Emmanuel, prit facilement Pavie, puis Lodi, laGhiarra d'Adda, si longtemps désirée par les Vénitiens.11 entra h. Milan h la fin du mois de dZcembre 1733. Uneforte armée espagnole pénétra en Toscane en 1734en mai, don Carlos, duc de Parme et de Plaisance, sefaisait acclamer roi h Naples, on la noblesse accourut luirendre hommage ; les officiers italiens de l'empereur tra-

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468 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

hirent eux-memes. Capone seule résista. Aussit6t la Sicilesuivit cet exemple : Messine en Rota, Palerme en sep-tembre. A Parme et A. Guastalla, les Impériaux avaient étebattus, en elk et au commencement de l'automne, par deuxmaréchaux de France et par le roi du Nord italien, quiétait devenu voisin de Venise, perdue dans l'indifférencede sa senilité. Mercy fut parmi les morts. Avec la prise deSyracuse et de Trapani, en 1736, l'ceuvre qui partageaitla pininsule entre Savoyards subalpins et entre ces gensdes Deux-Siciles qui se valaient de la maison de Bour-bon, pour rester, contre l'Autriche germanique, italiens,Rail. terminée.

Abandonné par les Puissances maritimes, bien décidéesne donner que les secours de leur diplomatie, dame de

ses meilleurs généraux, car le prince Eugene, plus queseptuagénaire, allait mourir en 1736, Charles VI, préoc-cupé avant tout d'assurer à sa fille la succession de sesEtats, consentit donc à négocier sur une base qui ne pou-vait etre que l'abandon de l'Italie, la renonciation à laLorraine. Le 3 octobre furent signés les préliminaires deVienne, par lesquels le due de Lorraine était installéFlorence, ses Etats devant former une compensation via-Ore pour le roi Stanislas, qui, cédant sa couronne, con-servait le titre royal ; la Lorraine devait étre apres luiréunie définitivement à la France. Albe, Tortone, Novareet autres districts du Milanais étaient conservées par leroi de Sardaigne, qui rendait la ville méme de Milan Al'empereur ; Parme et Plaisance représentaient pour lemême un maigre element d'échange contre Naples etSicile, perdues au profit du nouveau roi du Midi italien.Un Allemand, le baron de Neuhoff, encourage par cesroyautés croissantes, se valut d'un concours privé anglaispour se créer, contre Genes déchue, une couronne deCorse. Il fallut attendre jusqu'en février, jusqu'en novem-bre meme de l'année 1738, pour avoir la paix formelleque l'Espagne tarda A. admettre jusqu'au printemps del'année suivante.

L'empereur avait mis du retard, espérant revenir victo-rieux d'une nouvelle guerre contre les Turcs.

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CHAPITRE XVII 469

La Turquie avait eu pendant longtemps à combattreen Asie contre la Perse du Chah Thamasp. Deux nou-velles Puissances avaient surgi sur le sol du conflit entrel'ancien Chah du méme nom et entre le grand Soliman.Dès 1723, les Afghans de Mir-Mahmoud et d'Echrefavaient attaqué Phan, et un de leurs chefs, l'actif Kouli-khan, maitre de Kélat et de Kandahar, e serviteur » etdominateur du Chah, réussit à être par ses victoires lebrillant chef de la Perse : Nadir-Chah. De l'autre até,Pierre de Russie, conseillé par l'érudit orientalistequ'était Démétrius Cantemir, avait entrepris zleux expe-ditions asiatiques, qui lui donnèrent Derbende et Bakou,ainsi que le Ghilan. 11 fallut partager avec ce nouveauconcurrent, qui s'établit sur la c8te miridionale et orien-tale de la Mer Caspienne, se mélant aux révolutions duCaucase, oil un roi de Géorgie aussi éclairé que Wakh-tang, introducteur de l'imprimerie empruntée aux Rou-mains, avait essayé d'inaugurer une nouvelle époque de.civilisation. Les Turcs combattirent pour Tebriz, pourErivan, pour Tiflis, pour Hamadan méme, et, lorsque leSultan Achmed paraissait vouloir tout céder it Nadir-Chah, une révolte constantindpolitaine lui ravit le tr8ne

11 sera question plus loin de cette révoIution de quel-ques mois qui montra que, dans l'Empire, il y a aussiautre chose que des guerriers, des courtisans, des effendislettrés discutant sur la théologie et la philosophie, desPhanariotes, « Turcs » de politique, représentant sur lesbords du Bosphore, par les Maurocordato et les Ghica, ceque représentaient en Occident un Sinzendorf, un Traut-mannsdorf, un Alberoni, et, en plus, les tributaires, etd'autres chrétiens, vaste masse plus ou moins méprisableet négligeable. Mais, bien que les meneurs, un momentcomplètement victorieux, sous le Sultan qu'ils venaient deproclamer, Mahmoud I", furent écartés par le régimed'un tout-puissant eunuque, il resta de ces troubles unétat d'esprit tout it fait différent de celui qui avait pro-voqué la révolte : une confiance populaire, non plus offt-

Gesch. des osmanischen Reiches, IV, pp. 400-408.

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470 ESSAI DE SYNTRÈSE DE L'HISTOIBE DE L'HUMANITE

cielle ou personnelle, comme à répoque du féroce Dchin-Ali, dans la force de vie, dans la puissance de restau-rer, de eonquérir de l'Empire ottoman, ou plutôt de larace turque elle-méme.

On s'en aperçut aussitôt dans l'Asie des guerres con-fuses entre Persans, Afghans, Géorgiens, Lesguiens, Otto-mans, avec les Russes surveillant et guettant à côté. LeChah fut battu, des 1731, h. Koridchan. Hamadan futprise, puis Tebriz et Ourmiah. Une paix avantageuseamena seulement l'abandon de la première de ces places.On n'en fut pas content dans Constantinople, redevenuebelliqueuse à tout prix, et Kouli-khan ou, maintenant,.Nadir-Chah, qui venait de faire des conquétes sur les.Afghans, encore moins. Le Chah, battu et dispose à lapaix, fut écarté en 1732 : la guerre reprit avec plus d'ar-deur encore. L'usurpateur jouissait de l'appui militairedes Russes, qui se préparaient, de leur côté, h. une guerrede revanche pour la perte d'Azov et de Taganrog. Il osase diriger contre Bagdad ; la vieille ville fut prise, maisla citadelle résista jusqu'h rarrivée de Topal-Osman,avec une grande et belle armée. Dans une bataille deneuf heures, les Persans furent complètement défaitSr.La mort du vainqueur permit cependant au plus grandguerrier de l'Asie de reprendre une offensive heureuse.Il n'y eut plus d'armée turque en Mésopotamie et lesarmes de Nadir-Chah purent se diriger ensuite sur laGéorgie, où des amis, parmi lesquels le patriarchepays, l'attendaient ; le prince de Chirvan devint persan.LorsquPune tentative de revanche turque envahitnie du Chah, les habitants aiderent les gens de Nadir-Chah h l'en chasser (1734-1735). En 1736, sans avoirpris Bagdad, le tout-puissant maitre des armées fut pro-clamé par les soldats souverain de la Perse, et le schiisme.séparatiste, qui Rail la grande tradition religieusel'Iran musulman, fut remplace par le sounnitisme deraventurier couronné. Il imposa aux Turcs la paixvoulut.

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CHAPITRE 471

Comme ceux-ci avaient vu que la victoire, en Asie, se&robe A leurs efforts, ils avaient commend l'offensivelaquelle on les avait provoqués en. Europe.

Les Tatars paraissaient avoir été gagnés par cettefureur guerriere de leurs protecteurs et maitres de Cons-tantinople. Uni aux Lesghiens, le Khan provoqua lesRusses en Cabardie caucasienne. Comme la Porte préten-dait que « l'empereur » de Crimée n'est son sujet que denom, et de fait depuis quelque temps on constate unecertaine initiative des Tatars, la Tzarine ouvrit leshostilités contre ces incommodes voisins. Puis, en 1736,le general Lascy, au service de la Russie, dépassa les fron-tières tatares en Crimée pour s'en prendre A Azov elle-méme, principal but des espoirs de revanche en Russie.

La Porte, excitée par Franqois RAketczy et son fils,revenu de Paris, par les émigrés hongrois vivant dans lesPrincipautés, n'hésita pas à declarer la guerre à ce mau-vais voisin. On parlait encore de négociations, et on s'étaitadressé à l'empereur et aux Puissances maritimes pourraccommoder la situation. Cependant Lascy et Miin-nich continuaient les hostilités, et le dernier, un durélève d'Eugène, dévoila ce qu'il entendait poursuivre, endemandant au souverain de la Horde de reconnaitre lasuzeraineté de l'impératrice. Toute la Crimee fut con-guise aprés que les lignes de Pérékop eussent été privset les soldats dtt general allemand au service des Mosco-vites purent admirer, au milieu d'un pillage effréné, lessplendeurs d'art oriental conserves dans la capitale deBaktchisérai du Khan, qui paraissait incapable de sedéfendre.

Or la retraite fut extrémement difficile. Azov avaitété prise, après une belle resistance, par Lascy, mais il yavait une flotte turque dans la Mer Noire. L'empereurcrut pouvoir amener une cession compléte des Turcs parson intervention, réclamée, du reste, sur la base du traitéd'alliance defensive conclu en 1726.

On parut cependant vouloir d'abord négocier. Les dis-.oussions furent ouvertes à Nimirov, en Ukraine. Elles

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472 ESSAI DE SYNTRÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

furent employées pour donner aux Impériaux, réunisla Tzarine par une nouvelle convention d'offensive. letemps de se préparer. Feignant d'étre menacé, Charles VIdéolara la guerre au Sultan en juin 1737, espérant Fan-nexion de Vidine, de Nich, d'une grande partie de la Ser-bie, des districts valaques avec Bucarest ou au moinsArges, la vieille capitale des montagnes.

Les Russes se saisirent d'Otchacov, la clef du Dnié-per, dont les habitants furent massacrés, en méme tempsque Lascy détruisait les villages de la Crimée. LesAutrichiens ne réussirent pas en Bosnie et A Vidine, maispénétrèrent en Serbie jusqu'au Champ des Merles, renou-velant les conquètes d'Eugène de Savoie. Il fut tout aussifacile d'occuper la partie montagneuse de la Valachie,alors que, cette fois encore, la Moldavie envahie se mon-tra imprenable. Partout on pillait sans scrupules.

Mais non seulement la Serbie fut perdue et la Vala-chie bientôt évacuée ; les cinq districts olténiens annexéspar la paix de Passarowitz virent revenir, appuyé par uneimportante armée turque, ce prince de Bucarest, Constan-tin Maurocordato, vers level allaient les vceux d'unepopulation humiliée, chicanée et appauvrie par l'inexo-rable système administratif et fiscal des « Allemands ».On pensait à établir le jeune RAldiczy en Transylvanie,en Hongrie. Bientôt, en 1738, les Turcs furent en maitresstir le Danube serbe, à Orsova aussi bien qu'à Belgrade,et des handes allaient jusqu'A Temesvfir.

Des offres de paix, très favorables à la Porte, furentsuggérées dès cette année. La Russie promettait de rendreOtehacov et Kinburn, d'abandonner la Crimée ; l'empe-reur se serait contenté des frontières de Passarowitz. Laruineuse invasion de Miinnich en Moldavie (1739) ne futqu'une démonstration conforme aux conditions deFinance et dont le seul fruit fut d'éloigner pour tou-jours les Moldaves dépouillés.

Les Russts s'arrètèrent, car en ce moment les Impé-riaux avaient été Ujà battus et contraints à la paix. Unegrande armée ottomane, ayant parmi ses chefs l'ancien

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CHAPITRE XVII 473

general autrichien de Bonneval, devenu le Pacha Achmed,et parmi ses conseillers rambassadeur de France, de Vil-leneuve, s'était retranchée dans le village de Grodzka,près de Belgrade. Le nouveau commandant en chef desAutrichiens, comte Wallis, son associé, Neipperg, puis lecsendre de l'empereur, François de Lorraine, qui se rap-t)

pelait trop les exploits de son père contre les Turcs d'uneautre époque, voulurent Fen déloger à tout prix. Aprèshuit heures de combat, ils n'avaient plus de troupes, nide flotte. On abandonna lâchement Belgrade et, sans tenircompte des progrès réalisés sur d'autres secteurs, sansconsidérer la presence d'une forte armée russe en Mol-davie, la paix fut acheminée par les préliminaires du 1"septembre, qui rendaient les dernières conquetes duprince Eugène. L'empereur protesta et signa. La Tza-rine eut l'emptacement seul d'Azov, rasée, et on lui défen-

d'entretenir une flotte dans la Mer Noire 1.

Les ,possessions de l'empereur s'émiettaient. On dé-pouillait de ses conquéles danubiennes et balcaniques leroi de Hongrie, après avoir amputé les acquisitions ita-liennes à l'ancien roi d'Espagne. Toute l'attention deCharles était, nous l'avons dit, dirigée vers son seul butfaire de Marie-Thérèse la propriétaire de l'héritage de saMaison et préparer son gendre, grand-duc de Toscane,pour la dignité d'empereur, qui sortait ainsi de la lignéedirecte de Rodolphe I". Il vit mourir son ami constant,mais inutile, qui avait llené pendant un quart de siècle,,d'une main dure et avide de paysan brandebourgeois, lesaffaires de cette monarchie de Prusse dont il avait crééYarmée, l'administration et les finances. On attendaitpeu de son fils, révolté contre l'apre autorité paternellejusqu'à toucher au sort du matheureux héritier de PierreI" de Russie ; c'était, grace à Vinfluence d'une mère culti-vée, désolée de ne pas avoir une Cour, un petit jeunebomme maigre, passionné de vers français, de lectures

I Gesch. des osmanischen Reiches, IV, pp. 409-448.

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474 ESSAI DE SYNTHASE DE L'IlISTOIRE DE L'HUMANITA

littéraires et de médiocres exercices sur la flate. La Tza-rifle Anne se mourait, et il n'y avait pour lui succéderque l'enfant, 46 de deux mais, de sa nièce, Anne deBrunswick, Ivan, ni de régent autre que le favori en titre,le comte de Biren, due de Courlande par la grace de samaitresse, qui était hal par toute une clique k la tête delaquelle était le principal homme de guerre de l'Empire,Mitnnich. Mais la mort prit le vieux monarque allemand,dès le mois de novembre 1740.

Sa succession fut aussitôt revendiquée par Charles-Albert de Bavière, descendant d'une princesse de lafamille des Habsbourg et gendre roi Joseph ; parrElecteur de Saxe, roide Pologne, apparenté aussi, par safemme. Les deux princes avaient cependant signé desactes de renonciation, en 1719 et 1722. L'Electeur de Saxeavait épouse une nièce de l'empereur, mais celui de Ba-vière invoquait un testament, discutable, de rempereurFerdinand. On se bornait cependant à des protestationsdiplomatiques, lorsque Frédéric II, roi de Prusse, pro-testant des draits de sa famille sur les duchés silésiens deLiegnitz, Jägerndorf, Wohlan et Brieg, suivit rexemple-de Louis XIV, et, sans méme consulter les jurisconsultescomme le grand roi français, occupa ce qu'il croyait luiappartenir.

Neipperg, le vaincu de Belgrade, fut envoyé pour l'enchasser, mais les camarades de Frédéric-Guillaume, Léo-pold de Dessau et le comte de Schwerin, lui infligèrentMolrwitz une douloureuse (Waite (avril 1741). Aussitôt,les Electeurs prétendants se déclarèrent, et, pour donnerde la « gloire » au jeune roi Louis XV, qui avait déjà, de.son mariage avec Marie, fille du roi Stanislas, un héritier'46 de quatorze ans, garantissant la succession au trône,les ministres français se inirent de la partie.

On espérait pouvoir faire du Bavarais un empereur augré de la France. On eut méme, non seulement, le con-cours, qu'on pouvait bien attendre, du roi d'Espagne,visant les villes de Parme et de Plaisance, probablement

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CHAPITRE XVII 475.

aussi le Milanais, mais aussi celui du second .roicelui de Sardaigne, dont les visées se dirigeaient du mêmecôté. L'Angleterre seule, qui avait attaqué les coloniesespagnoles d'Amérique, à l'isthme de Panama et it Cartha-gène, restait en dehors de cate ligue tendant à partagerl'héritage en liquidation, celui de la Maison d'Autriche.Mais, comme Electeur de Hanovre, le second des roisnominaux de l'Angleterre, Georges II, menacé par laFrance et par la Prusse en même temps, alla jusqu'à pro-mettre de voter pour l'empereur bavarois qui devait ins-crire dans l'histoire ses malheurs sous le nom deCharles VII.

La grande attaque contre Marie-Thérèse, archiduchessed'Autriche, couronnée reine de Hongrie, se déclencha en1741, l'Electeur de Saxe y participant, sous prétexte devouloir écarter le duc de Lorraine du rôle qu'il jouait enHongrie comme co-régent ; les Français, liés dès le 5 juinpar un traité avec Frédéric, n'avaient pas déclaré laguerre, mais ils accompagnérent l'Electeur de Bavièredans sa marche sur la Bohème, oil, sur les traces du Pala-tin, son parent, il se fit reconnaitre roi, le 19 décembre.Deux mois après, le 12 février 1742, il devenait empereur,.A Francfort.

Mais une armée allemande de la reine se formait déjà,et la Hongrie lui envoyait ses contingents de cavalerielégère. La Bavière fut envahie, sa milice étant menacéede se voir « couper le nez et les .oreilles », et à savoir d'unsoldat bavarois à l'autre 1. Les Français du comte deSégur signèrent à Linz une convention d'évacuation. Le27 janvier, les généraux de Marie-Thérése étaient 4Munich. Frédéric II, qui entra victorieux en Bohéma jus-que 'clans les environs de la capitale, se retira de la guerreaussitôt qu'on lui eíit reconnu la Silésie et le comté deGlatz, sauf Troppau et Jägerndorf (juillet). L'Electeur deSaxe, craignant ce que pouvait entreprendre un voisinqui savait si bien employer les circonstances, fit aussi,.

Schlosser, ouvr. cité, I, p. 270, note I.

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476 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

dans douze jours, la paix qui seule convenait à son tem-pérament. Les Français de Belle-Isle que ni Harcourt,qui reprit Munich, ni le maréchal de Maillebois, qui arri-va jusqu'aux montagnes de Bohéme, n'avaient pu déblo-quer, eurent toutes les peines du monde à conserver jus-qu'à la fin de Pannée Prague. La Baviére fut de nouveauperdue. Enfin, en Italie, l'attaque espagnole fut prévenuepar le passage du roi de Sardaigne, qu'inquiétaient sesprojets, à l'empereur, Reggio, Modène &ant envahies parses troupes. L'Autriche profitait ainsi de cette furieuserivalité entre les deux dynasties de langue irançaise quise disputaient la couronne d'une Italie unie.

Le ministère anglais avait amené la conclusion de lapaix avec le roi de Prusse. Le roi Georges ne pouvait plusse retenir dans une neutralité qui l'affligeait. Prince alle-mand avant tout, il ne voulait pas d'une Prusse tropgrande et d'un empereur fait par les Français. Il envoyadone des troupes, soudoyées par l'argent de son royaume,sur le Rhin. Bien qu'il tint h. jouer le Ode d'un Charles XIIluttant, &pink, h. la ate de ses troupes, il futcerné par les Français, en juin 1743, sur le Main, à Det-tingen, sans pouvoir étre capturé; le maréchal deNoailles, mal secondé, se retira, et les troupes de LouisXV durent méme repasser le Rhin. L'année suivante, laflotte anglaise imposera un armistice au roi des Deux

Au cours de cette année, la France déclara la guerrel'Angleterre, puis à Marie-Thérése (mars-avril). Pendantque, en Italie, les Français essayaient de créer un nou-veausfief des Bourbons pour le frère du roi des DeuxSidles, don Philippe, et que Frédérie II, menacé parl'alliance de la Saxe avec l'Autriche, déclarée en septem-bre, était de nouveau poussé en avant comme principal« héros » de cette guerre de diplomates 1, reprenant pourquelques mois, la Bohéme avec sa capitale (septembre),

Une ligue allemande réunissnit dès le mois de mai it la Prussela Suède, le Palatin, la Hesse-Gassel. La France n'y accéda qu'en-suite (mai).

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CHAPITRE XVII 477

la France recommençait la guerre abandonnée par Louis-XIV, fatigué, pour la possession des Pays-Bas.

Il ne fallut pas de bataille pour prendre, au profit daprestige royal, mais avec un général comme le Wardd'Auguste II, Maurice de Saxe, Courtrai, Melvin, Ypreset Fumes (juin-juillet) ; une diversion de Charles-Alhert,frère du mari de la reine, ne réassit qu'à piller en Alsaceet Lorraine, que Louis alla défendre A Metz, et, vers l'au-tomne, les Français occupant Fribourg, faisaient changerde maitre, pour la quatrieme fois, la Baviére. Mais, dèsle mois de janvier, l'empereur, qu'il s'agissait de défendrejusqu'au bout, mourut et, en avril, par le traité de Fues-sen, son fils se retirait d'une guerre que l'ambition dupére avait provoquée.

On ne pouvait pas compter sur les interventions fou-droyantes du roi de Prusse, manceuvrant avec habileté samachine militaire, d'un mécanisme parfait. Commeavait des visées territoriales sur la Saxe, il se valut dutraité conclu imprudemment par l'Electeur, soudoyé parl'Angleterre et 1a Hollande, avec la reine de Hongrie (mal1745), pour l'attirer en Silésie et le battre à plate-cou-ture pres de Schweidnitz (juin). Il ne poursuivit pas savictoire, assista sans riposter à l'élection, sous le couvertd'une forte armée, de l'époux de Marie-Thérése commeroi des Romains A Francfort (septembre), fut méme atta-qué et malmené par le frère du nouvel empereur, pour setourner en hiver contre son voisin saxon et le défaire,malgré le concours autrichien, près de Dresde ; Leipziget la capitale méme de l'Electorat furent occupées alorsau cours du même mois de décembre. Frédéric se fitgarantir par l'Angleterre et la Hollande la Silésie, aussi-t8t reconnue par l'Electeur, qui paya les frais de la cam-pagne, et par la reine, qui réussit A imposer la reconnais-sance de François I" comme chef de l'Empire.

Ce qui restait après cet abandon définitif de l'offensiveprussienne était le conflit pour altalie et celui pour lesPays-Bas.

Parme et Plaisance furent conqukes pour don Philippe

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478 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOME DE L'HUISIANITE

-en 1745, et, au moment où Frederic déclenchait son grandcoup contre la Saxe, et après avoir fait entrer des regi-ments français dans les villes, pleines des souvenirs deFrançois I" et des deux Louis, de Casale et d'Asti, lesallies latins défilaient par les rues de Milan. Une vic-toire autrichienne à Plaisance, en 1746, détruisit les espé-ranc.es sur Ile Milanais, dont la realisation aurait crééune Italie bourbonne, deldynastie française, et aurait sansdoute accéléré l'éclosion et le triomphe de l'idée natio-nale italienne. Génes mème fut occupée, mais une terriblerévolte des habitants, accoutumés à vivre dans une liberténourrie des plus glorieux souvenirs, amena le massacrede milliers d'Autrichiens. Il fut impossible de reprendreet de el:Caller une vible que les Français de Louis XIVavaient pu bien accabler de bombes, mais pas aussi re-duire. Le duc de Savoie, asservi à un allié étranger &atil n'avait rien à espérer, mais préférant voir à Milan,

convoitait, les Impériaux plutôt que les Espagnols,essaya de rendre l'offensive au roi de France, en se sai-sissant de places en Provence ; en 1747, il s'efforçait vai-nement de passer par-dessus le Mont Genèvre.

Si tout de même il put exercer sa vengeance contre lesFrançais, il le devait à l'abandon de la guerre par l'Es-pagne mame qui l'avait provoquée : Philippe V venantde succomber à sa longue mélancolie, son fils du premiermariage savoyard, Ferdinand, nommé d'après le « Catho-lique », marié h une Portugaise sans remembrances ita-liennes et parente de Marie-Thérèse 1, envoya un generaldans la péninsule voisine seulement pour rappeler sestroupes ; le sort de son frère d'un autre lit ne l'intéres-sait pas autant.

La guerre de Filandre fut menée cependant avec uneverve extraordinaire, pendant trois ans, par Maurice deSaxe. Le 11 mai 1745, il remportait, sur le prince de.Galles, la brillante victoire de Foutenoy, qui .donna à la

Une soeur de Charles VI était la reine Marie-Anne de Portugal.

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CLIAPITRE KIM 479

France, sans ces longs sieges dont s'enorgueillissait lapoliorcétique cdu siècle précédent, Tournai, Gand et Bru-ges, Oudenarde et Dendermonde, Ostende et Ath, Nieu-port. En 1746, si l'invasion du prétendant anglais Char-les-Edouard, fils de Jacques III et de Marie Sobieska,en Ecosse, d'abord chaleureusement accueillie et conti-nu& par une avance viotorieuse en Angleterre, au sondes cornemuses, finit par le ,désastre de Culloden et unefuite précipitée, Louis XV, maitre aussi de Louvain, deMalines, fit, bient6t après, en mai, son entrée de souve-rain A. Bruxelles et à Anvers (mai). Mons, Charleroi, Na-mur s'ajoutèrent au territoire pris sur les Autrichiens.Une tentative de revanche fut brisée à Raucoux, près deLiége, en octobre. Et, en 1747, .an s'en prit aux villes dela Hollande, la guerre étant déclarée A la république enavril ; on prit Maéstricht, Breda, Berg-op-Zoom, qui rap-pelait les gestes de Guillaume d'Orange ; la bataille deLaffelt, en juillet, s'était ajoutée à la gloire de celles deFontenoy et dellaucoux.

Les adversaires, qui cependant s'étaient liés de nou-veau par le pacte de La Haye et avaient appelé au secoursles Russes de la nouvelle impératrice (des 1741) Elisa-beth, fille de Pierre I", qu'on vit de nouveau sur le Rhin 1,durent &der. Ce fut Aix-la-Chapelle que la France, res-t& seule dans la lutte qu'elle avait gagnée, choisit, ensouvenir de la première paix heureuse de Louis XIV, pourle congres de paix. Les préliminaires furent signés enavril, peu avant la capitulation de MaEstricht, mais lapaix porte la date du 18 octobre.

Jaanais la France n'avait été si mal servie par unediplomatie légère jusqu'à l'irresponsabilité. Le vieuxcardinal Fleury, octogénaire, étant mort, et des simplescommis aux affaires, incapables, ayant la canduite desaffaires, elle ne manqua pas d'assurer à l'Espagne, quiavait déserté, à lênes, et au due de Mantoue ce qu'ils

I De 1741 A 174.3, la Suède avait retenu la Russie. L'Angleterrehi fit restituer à la paix d'Abo la Finlande perdue.

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480 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

avaient poursuivi, à Frederic II la Silésie et le comté deGlatz, à François I" sa couronne, à l'Angleterre l'abandondu second prétendant, arreté à l'Opéra et expulsé. Saufun échange de conquetes dans les colonies, la France secontentait de ce qu'on appelait alors « les lauriers ». Ilsceignaient le front de Maurice de Saxe, à sa mort, desl'année suivante : il repose dans l'église luthérienne deStrasbourg. Louis XV s'était fait honneur de dire, à uneépoque où tout le monde prenait .cyniquement, sans au-cun souci, ni du droit, ni .du sentiment des populations,qu'il a « fait la paix, non en marchand, mais en roi ».

Cependant, il avait devant lui des marchands, des mar-chands depuis longtemps victorieux sur mer et dans lescolonies, et iIs devaient le forcer, par une nouvelle etdure guerre, à recónnaitre leur hégémonie maritime etcoloniale.

Des l'époque d'Elisabeth, une nouvelle Angleterre avaitsurgi en Amérique septentrionale, avec 'ces colonies quiétaient de fait des creations autouomes, pareilles, surcette terre loinlaine, au-dessus d'une rare populationd'Indiens Peaux-Rouges, destinée à disparaltre, à cequ'avaient été en Europe, sur la terre de l'Empire romaindisparu, les « Romanies » locales. A até de la Virginie,il y eut le Nouveau P/ymouth, le Massachussets, le Rho-de-Island, le Nouveau Hampshire, le Connecticut, la « ter-re de la reine Marie » (Maryland), le pays de Penn, le ré-fugié politique (la Pennsylvanie), la « terre de Charles II »(les deux Carolines). La Jamaïque fut prise aux Hollan-dais. Les noms des localités et de personnes &talent par-fois UR souvenir de la patrie abandonnée, dont on pre-nait l'esprit de liberté oppose aux usurpations royales etcertaines lignes générales de ses institutions, mais unélan tout nouveau, envahissant, transformateur, animaitces exiles par désir d'aventures, par soif de richesses oupar resolution de ne pas ceder, comme ce fut pour unHampden, à l'illégalité : flans ce dernier eas c'était lepeuple d'Israël qui se cherchait un asile pour sa religion.politique intacte.

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CHAPITRE XVII 481

Les Français, aventuriers ou huguenots, ne réussirentpas, au Brésil ou ailleurs. Mais ils s'étaient fortementenracinés au Canada, en Terre-Neuve, en Acadie et sur lariviére de Saint-Laurent, s'enrichissant par les abon-dantes pécheries. Pour la première fois dans l'histoiremoderne une race qui, avant la monarchie absolue, avaitdonné au monde de si belles créations spontanées &aillibre de montrer qu'elle peut établir et maintenir quelquechose en clehors de l'incitartion et du contrôle de sesrois. Souis Louis XIV, il y eut un,e Louisiane américaine,aprés que le grand explorateur Cavalier de la Salle, cher-chant le chemin de la Chine, arriva, le long du Mississipi,jusqu'à .cette Mer des Antilles oit le royaume avait Saint-Christophe et les Barbades. On pensait aux Moluques,Madagascar, occupée par des pirates européens ; l'lle deBourbon fut annexée. La couronne achetait en 1660 lesAntilles, Guadeloupe, Martinique.

Entre les ,deux nations rivales, les Hollandais, quis'étaient d'abord infiltrés comme sujets du rai d'Espagne,avaient fait la tentative de donner un vice-royaumeMaurice de Nassau, et la New-York d'aujourd'hui, assezfortement colonisée, s'appelait, avant la main-mise desAnglais, en 1664, la Nouvelle-Amsterdam. Ils gardaientcependant, après cette perte, tout un vrai « royaume »m'alais à Surinam et dans les Iles de la Sonde, ott uneBatavia avait été fondée en 1619. Peu avant le conflit avecCromweql, ils s'étaient nichés (1632-1657) A. Ceylan, et lacôte indienne était attaquée sur deux points pendant ceXVII' siècle par leurs comptoirs. D'autres marchandsapparaissaient à Canton, dans l'ile de Formose, it Macao,des relations s'établissant avec la Chine, oÙ depuis unsiècle travaillaient pour le catholicisme les Jésuites. Leport japonais de Nagasaki s'ajoutait it ces belles con-quétes du commerce hollandais, qui, par l'activité dupremier ambassadeur des Etits en Turquie, CornélisHaga, avait gagné une situation durable it Constantinopleet à Smyrne. La Colonie du Cap était maintenant uneprovince hollandaise. Il y aura en Australie, oil les Por-tugais avaient ouvert le chemin (aux Philippines), et les

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482 ESSAI DE SYNTHLSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITg

Espagnols avaient continué (aux iles Salomon et aui llesMarquises, à Haiti et aux Nouvelles-Hébrides), un paysde Tasman, un détroit de van Diemen et surtout une-Nouvelle-Hollande.

Les Indes orientales, pour l'exploration desquelles uneCompagnie anglaise s'était formée dès 1599, n'étaientplus la terre promise de c,eux .qui avaient trouvé le che-min occidental, les Portugais de Goa. uy eut, dès le com-mencement de ce XVII' siècle, des Anglais à Surate,tôt après à Madras, à Callicotta ou Calcutta. Bombay fala clot de l'infante portugaise Mari& à Charles II. Enface, les Français s'établissalent au « village nouveau »,Podou-Chéri ou Pondichéry, prise par les Hollandais en1693, et au « village ñu monde », Tchandrangora ouChandernagor. Au cours de la guerre de Louis XIVcontre la Hollande et ses alliés, d'Estrées, vice-amiral du« Ponent », donna des coups à Cayenne, à Tabago, à Cu-raçao, étent considéré comme un « vice-roi » de l'Amé-rique. La Gorée fut prise à la mème époque.

Pendant la guerre de la coalition d'Augsbourg, les colo-nies anglaises, qui avaient montré qu'elles peuvent s'or-ganiser d'elles-mémes, prouvèrent qu'elles sont aussi enétat de former une flotte et de conquérir, sous le nom duroi, pour leur propre compte. Sous le régne de Guidlaumed'Orange, et en concordance avec sa politique, elles pren-nent possession de l'Acadie, qui devient une Nouvelle-Ecosse, et attaquent Québec, Montréal, les centres duCanada français, qui fut défendu par un lberville de sespropres moyens. Les Anglais furent battus dans les eauxde la Martinique en 1693, et Pontis prlt, en 1697, Carta-gène, en Amérique méridionale.

La guerre (pour la succession d'Espagne amena, en1711, Duguay-Trouin à Rio-de-Janeiro, qui se racheta par-une énorme contribution. Mais les Anglais paraissenttrans des Antilles et sur la côte africaine du Sénégal et de.la Guinée ; Hs y resteront 4 côté »des anciens proprié-taires, de ménae qu'ert Acadie, sur le golfe d'Hudson.Saint-Christophe, en Terre-Neuve.

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CHAPITRE RWI 483

La guerre pour la Guccession d'Autriche « devait Ud-der si le français ou l'anglais sera parlé sur les bords duMississipi et sur les rivages de la Californie ». Pendantque la question de l'Italie et des Pays-Bas se discutait enEurope les armes à la main, l'amiral Vernon, attaquantla Havane et la Floride, puis Cartagène, essaya de créerune seconde Amérique anglaise. Après la perte de Ma-dras, Boscawn parut devant Pondichéry. Une autreflotte se montra sur les côtes ddu Peron. A la paix, Madrasretourna taux Anglais, le Cap Breton à la France. Un pa-reil traité, qui ne donnait aucune solution au problemeposé depuis trois quarts de siècle, n'était qu'un armis-tice passager.

Dans l'Hindoustan, le vice-roi qu'était Dupleix, ayantses relations jusqu'au Tibet, au Siam, affrontait lordClive, chacun ayant comme paravent un des rajahs sortisde la disparition, sous les coups de Nadir-Chah, de l'Em-pire indien musulman d'Aureng-Zeb. Au Canada, potles versants des Alléghanies, pour les vallées de l'Ohio etdu Mississipi, les colons des deux nations étaient presquejournellement aux prises. Aussi, les sujets américains deGeorges II avaient-ils praposé de se réunir en confédéra-tion, et, malgré l'opposition du Ministère de Londres, onse préparait au Congrès de Philadelphie. Le meurtred'un Français fut prétexte de guerre.

La diplomatie avaitidéjà préparé ses alliances. Frédé-ric II était l'allié de l'Angleterre, done du Hanovre, et dessubsides lui étaient assures, dès le mois de janvier 1756.La Cour de France avait été gagnée par les longues ethabiles assiduités de l'ambassadeur de l'impératrice-reine A. Paris, von Kaunitz, pour une collaboration avecla Maison d'Autriche. La France et la Suéde s'entendaientpour garantir les prescriptions de la paix Westphaliedans l'Empire.

Les hostilités entre Français et Anglais avaient com-mencé par mer, dès l'année précédente, dans les eaux del'Amérique du Nord, pendant que les colonies des deux

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484 Emu DE SYNTHESE'DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

nations continuaient leur petite guerre. En 1756, ellesera poursuivie et s'étendra à l'Hindoustan, où, malgréle rappel de Dupleix, les Français se rendirent maitresde Calcutta, mais perdront, l'année ,suivante, Chanderna-gor. Le maréchal de Richelieu, favori de Louis XV, dontil condescendait à servir les vices, se montra cependantun chef capable, en allant prendre, avec la flotte fran-çaise, refaite; Port-Mahon, dans File de Minorque, aprésavoir contraint à la retraite l'amiral Byng, qui sera fusillé.

Frederic profita des nouveaux troubles européens pourmarcher contre la Saxe, qu'il croyait pouvoir ajouterses Etats, tout de rapport, au gré des occasions qui seprésentaient. Les deux principales villes de l'Electoratfurent de nouveau accupées par lui en qualité de « dépo-sitaire », puis d' « ennemi » 1, et l'armée du roi Augusteparaissait ne s'étre concentrée à Pirna que pour unebelle cdpitulation. Le roi de Prusse occupa le pays commepour une annexion définitive, et le traita impitoyable-ment ; puis, selon sa coutume, il attendit les autres.

L'alliance avec Georges II n'avait pas été conclue pourcette extension des frontières de l'Etat prussien. Elletendait seulement à la defense du Hanovre, ,qui ne futattaqué qu'en 1757. Une grande armée française y entraen avril, apres que l'Empire se fat 'declare, mais isanslever 'd'armée, contre les empietements de la Prusse.Comme celle-ci avait pris possession de la Saxe, les trou-pes du maréchal d'Estrées en agirent de meme apres lavictoire de Hastenbeck, gagnée sur le due de Cumberland(juillet), à Végard de VElectorat de Hanovre. De son ceté,Richelieu, appelé au commandement de l'armée du Rhin,amena dans quelquessemaines le prince anglais à la hon-teuse convention de Kloster-Seven, négociée par un mi-nistre danois (septembre), convention, qui imposait laretraite de toutes troupes allemandes au service de3l'An-gleterre, sauf 'reifies des Hanovrien,s imrnobiliss. Brême,Werden, Minden reçurent des garnisons françaises.

Duelos, ouvr. cité, IV, p. 131.

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CHAPITRE XVII 485

Moins heureux, Frédiric, qui avait pénétré en Bohémeet qui, perdant un de ses deux principaux auxiliaires,Schwerin, avait gagné une viotoire it Prague, en mai,avait été contraint, après la défaite de Kollin, en juillet,d'abandonner cette seconde conquéte par laquelle il cher-chait encore une fois à exercer une pression sur le minis-tére de Vienne. Le prince héritier de Prusse ne sut pastirer profit des troupes qui lui avaient été confiées. LaSilésie fut envahie. Les Russes d'Elisabeth, poursuivantl'ancien projet de Pierre r, créateur d'un nouvel Etat aearactére germanique, de s'étendre en Alllemagne, parais-saient A Memel, et ils battaient par leur mécanique plusdocile l'organisation prussienne a Gross-Jägerndorf, prèsde Kiinigsherg. Une intrigue les rappela. Ce fut le miraclede Rosbach 1, où les Français de Soubise, qui avaientavancé jusque vers Mersebourg, furent pris de paniqueet se dispersèrent en désordre, qui sauva la situation demini qui, prévoyant tout, avait été pris h l'improviste.Les Impériaux evacuèrent la Saxe, et la Silésie fut aussi-VA reprise.

Aussitôt l'Angleterre, oit dominait de nouveau la froideambition inexorable de William Pittp s'engagea plusétroitement avec son royal agent d'exécution en Alle-magne, et de nouveaux soldats furent fournis A prix deguinées au nouveau chef des opérations au Hanovre, lejeune duc de Brunswick, parent du roi.

Le résultat fut cependant maigre, malgré la (Waited'un autre favori de la Cour de France, le comte de Cler-mont, h Crefeld (juin 1758). Les conquêtes en deçà duWeser furent maintenues, et Bréme aussi. En plus, lesRusses étaient revenus, énorme troupeau d'une manceu-vre facile, occupant Königsberg au cceur de l'hiver ; ilsaffrontèrent les Prussiens, occupés encore aussi en Silésiecontre l'armée autrichienne de Daun, prés de Custrin, itZorndorf (août), sans réussir h les repousser. Mais les

1 Ce ne fut point une bataille, disent les Pastes de Louis XV, II,o Villefranche », 1752, p. 12, o ce fut une armée entière qui seprésenta au combat, et qui s'en alla »,

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486 ESSAI DE SYNTRÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

Impériaux, dégagés par cette diversion, vainquirentHochkirch, en octobre, et ils osèrent méme le siège deDresde, sans pouvoir cependant prendre pied en Saxe,evacuee avant l'hiver.

L'offensive conlre celui qui troublakt la paix du mondepar ses appétits insatiables fut reprise de tous côtés en1759. Les Français passent de nouveau le Weser, gagnentune bataille pres de Francfort, et l'insucces de Minden neles détache pas du Hanovre et de la Hesse (août). LesRusses revinrent de nouveau, avec une parfaite exac-titude, préts à remplir avec precision leur tache. Cettefois, s'étant réunis aux Impériaux de Marie-Therese, ilseurent un meilleur commandement, .celui de Laudon, lerival de Daun. A Kunersdorf, sur l'Oder (août), la défaitede Frederic fut cruelle. Il perdit Dresde, et son armée futen danger de capituler. Mais, cette fois encore, les Russesne poursuivirent pas leur victoire, ne consentant pasmème à prendre des quartiers. d'hiver en Allemagne. Ilsfonctionnèrent régulièrement, mais sans enthousiasme,en auxiliaires salaries.

Frederic put donc se ressaisir, mais en paralysant, parles secours qui lui furent accordés pour se refaire mora-lement, par la victoire de Liegnitz, en Silaic (août 1760),les troupes anglaises, qui furent donc facilement battues

Corbach, près de Cassel (juillet). Une revanche sur leRhin, en octobre, resta sterile, car les Russes entraient .lememe mois à Berlin, qui put se rendre compte qu'avecdes corps humains et de l'argent értranger la gloire del'armée prussienne peut étre égalée et surpassée. Bienque Daun eat subi un échec, la Saxe n'en fut pas moinsattaquée par les Autrichiens, et Dresde revit les Imp&riaux. L'année suivante amènera l'établissement desmémes à Schweidnitz en Silésie ; les Russes avaient faitde nouveau leur devoir de la victoire annuelle. Puis, Eli-sabeth étant morte, le prince allemand qui lui succéda,comme petit-fils, par sa mere, de Pierre I", Pierre III, duede Holstein-Gottorp, ancien admirateur du héros « prus-sien », se retira de l'alliance. La Suède cessa aussi de

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CHAPITRE XVII 487

participer b. la guerre, qu'elle faisait à contre-cceur, lapropre sceur de Frédéric étant reine à Stockholm. LesHolstein du Danemarc étaient dans les mémes vues. L'ho-rizon s'éclaircissait ainsi pour celui qui avait épuisédans ces quelques années d'efforts surhumains lesmoyens, encore assez restreints, de ses Etats, médiocres.Comme il put rentrer en Silésie, il se présentait d'unefaçon plus favorable devant les négociateurs de la paix,qui s'entendaient déjà en novembre de cette année 1762.

Cette guerre d'Europe, qui retenait si vivement l'atten-tion publique, n'était pour l'Angleterre, quells que fussentles intéréts hanovriens d'un roi dont la couronne recou-vrait solennellement la lutte incessante des partis entrePitt et Fox, qu'un paravent pour la .poursuite de sesintéréts coloniaux et maritimes. La défaite des Allemandsqu'elle salariait pour garnir ses drapeaux sur le conti-nent, l'abandon de pays qui ne lui tenaient guèrecceur ne lui portaient pas dommage t ne servaient pas

l'humilier. Car on apprenait en méme temps que leCap Breton .était pris, que Montcalm, l'hérolque com-mandant de la résistance française venant à mourir, Qué-bec était prise et que Vandreuil rendait aussitôt Montréal(1759). La flotte française, battue ù Lagos, ne pouvaitpas détacher des secours pour les Antilles, qui furententiérement perdues. On débarquait h. Belle-Isle, en Bre-tagne, action .d'éclat qui permettait de risquer des aven-tures en France. Aux Indes orientales, l'alliance desFrançais avec le rajah de Mysore, Haider-Ah, un princeentreprenant et fidéle, n'empécha pas la prise par lesAnglais de Pondichéry et de Mahé (1761).

Le ministre de Louis XV, Stainville-Choiseul, sansdoute le mieux doué de ses auxiliaires diplomatiques,crut avoir réalisé une oeuvre utile en s'alliant avec l'Es-pagne de Charles III, l'ancien roi de Naples, par un pactequi réunissait dans tous leurs intéréts, formant unseul bloc, solidaire dans la bonne ou la mauvaise for-tune, tous les Etats régis par les Bourbons. Le Portugal

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488 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

devait etre rendu aux Espagnols. Or, les Anglais emprirent avec succes la defense. Et aussitôt l'ile de Cuba,.l'archipel des Philippines, imisérablement défenduesrfurent une proie facile pour les Anglais.

Aux préliminaires de Fontainebleau, la France se résigna à ceder tout ce qu'on lui avait pris, sauf dans lesAntilles et dans l'ile africaine de Gorée, dans les Indes.L'Espagne perdait la Floride. « La guerre avait com-mence pour deux ou trois 'chétives habitations, et lesAnglais y avaient gagné deux milles de terrain 1 ». Cesconcessions furent confirmées par le traite de Paris, enfévrier 1763. Frederic II, abandonnant ses visées sur laSaxe, restait possesseur de la Silésie par le traité deHubertsbourg (méme mois).

La flotte anglaise dominait les "mers, l'argent anglaisrégissait le continent européen. Il n'y avait qu'une seuleforce pouvant leur resister : l'esprit des nations.

icc Fastes D cites, H, p. 73.

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CHAPITRE XVII

La monarchie des « petits appartements ».

Le type du monarque regnant en apparence i par lui-même était mort, accablé de chagrins, mais sans mauvaispressentiments, et debout. Le sentiment de sa suprémedignité, presque divine pour lui-méme, ne l'avait pasquitté jusqu'au dernier xnoment de sa vie pleine de vicis-situdes accueillies avec le sourire d'un Cesar supérieur

sa fortune. A regard de ses courtisans et des princesetrangers méme, dont il &all comme le president, plusimperial que l'empereur, il se présentait en gardien del'honneur. « Si je n'étais pas roi » disait-il devant unmanque de respect « je me mettrais en colère. » Audue de Savoie, au moment de sa defection, il avait écritdans ces termes : « Puisque la religion, l'honneur, Pint&1.61, les alliances et votre propre signature ne sont rienentre nous, j'envoye mon cousin, le duc de Vendeome, A. latéte de nos armées pour vous expliquer mes intentionsil ne vous donnera que vingt-quatre heures pour vousdeterminer ». Charles-Quint n'aurait jamais écrit de cettefaçon au dernier des vassaux de son empire. Mais c'étaitimposant et beaut. Quelque chose manqua au sentimentque l'Europe monarchique avait d'elle-méme lorsque levieillard partit.

On était cependant, en France, si avide de changements

Le Vassor, ouvr. cité, II, pp. 151-152 : o Louis XIV, qui a voulufaire accroire au monde en nos jours, qu'il gouvernait par lui-mime uniquement, sous prétexte qu'il se laissait conduire i deuxou trois ministres, sur différentes affaires, au lieu que le roi sonpire n'en avait qu'un pour toutes n.

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490 ESSAI DE SYNTIASE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

apres trois quarts de siècle d'une majestueuse monoto-nie que personne ne regretta celui qui s'en allait versSaint-Denis. « L'affluence », écrit un quasi-contempo-rain, « fut prodigieuse dans la plaine. On y vendaittoute sorte de mets et de rafralchissements. On voyait detoutes parts le peuple danser, chanter, boire, se livrer àune joie scandaleuse, et plusieurs eurent l'indignité devomir des injures en voyant passer le char qui renfermaitle corps 1 »

Les courtisans ne faisaient pas de ces démonstrations.Mais, le cynique régent en téte, ils pouvaient à peine mall-triser la volupté d'avoir échappé au plus minutieux dessurveillants couronnés. Toute une jeunesse, s'était for-mée, qui ne demandait autre chose que prendre la clefdes champs. Le regime de la quasi-reine Maintenon leurpesait ; tant de religion défendue par tous les moyens del'Etat leur répugnait. On leur demandait de la vertu, ilsétaient, comme ce duc d'Orléans, « fanfarons de vices »on leur imposait l'Eglise, une seule, régentée et curéecomme les arbres de Versailles ; ils donnaient quelque-fois dans la fronde du « jansénisme », qui ne signifiaitau fond qu'opposition, et le plus .souvent avec une im-pike de façade et un athéisme de parade. Des abbés del'espèce de Dubois, jadis, « mi-secrétaire, mi-valet » d'unprélat de Paris 2, menaient la sarabande de la licencecelui-ci se fera cardinal, successeur de Fénelon à Cam-brai, et, divorcé en secret, il évitera le moment désagréa-ble de la confession in extremis. On l'accablait de lazzis,mais on l'écoutait et surtout on le courtisait jusqu'auplus ignoble de ses péchés. On ac,cusait ouverteinent d'in-ceste et d'empoisonnement Philippe d'Orléans, qui n'encontinuait pas moins une vie capable, à travers une ré-gence désorientée et contradictoire, à travers un minis-tère dans lequel il succédait à ce suppôt couvert de

Duelos, Mémoires, II, p. 18.2 a Moitié scribe, moitié valet du cure de Saint-Eustache »

ibid., p. 3.

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4 Lacretelle, Histoire de la France au xvm siècle, 1, pp. 291-293.

CHAPITRE XVIII 491

mépris, de le mener avant einquante ans A une morthonteuse dans les bras de sa maitresse effrayée.

Louis XIV avait régné de fait avec cette bourgeoisie,d'abord très discrete, s'effaçant aux bureaux clans sonpatient travail de commis, pour en arriver avec LouvoisA terroriser une Cour vivant aux dépens du Trésor. On nevoulut plus de ces usurpateurs des droits que se reconnais-sait largement une noblesse n'ayant plus pour son ser-vage autour du monarque et le monarque était main-tenant un enfant devant lequel s'accomplissaient machi-nalement les formes traditionnelles la compensationde la « gloire » à la tete des armées, dissoutes ou ren-voyées en garnison. Le regent remplaça les chefs desdépartements par six Conseils, qui durèrent quelquesannées. Beaueoup des humbles instruments de la royautéétaient arrives, par le travail ou par l'intrigue, A. la ri-chesse ; une Chambre de justice fut nominee pour leurfaire rendre gorge.

Les princes, les chefs de cette aristocratie, avaient osé,avec l'aide d'un Parlement servile, porter la main au tes-tament du plus respecté Ides monarques, et d'Orléanss'était installé en tout-puissant par leur acquiescement.II fallait les recompenser. Mais, dans les caisses de l'Etat,il y avait le vide ; on était débiteur de plus de trois mil-liards, avec les revenus mangés d'avance pour desannées. On arriva, sous cette régence si décriée, à réduireles dettes reconnues A. un sixième, mais ce n'était pas parla continuation de l'impôt impopulaire du 0 dixiéme »et demi 1, par des expedients comme la charge unique ducinquantième du capital, adoptée plus tard, qu'on pou-vait trouver l'argent des recompenses, des pensions, de la'corruption, en commençant par les soupers intimes duregent. ll fUllait recourir A. l'aventure.

Elle s'offrit sous les traits de l'Ecossais Law, dont lepremier projet n'avait, du reste, rien d'inquiétant. S'ap-

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492 ESSAI DE SYSTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

puyant sur les versements en espèces qu'on auraitconsenti et sur l'exploitation des mines du Mississipi, duproduit général des colonies, il prétendait donner au Tré-sor autant de ses billets de crédit qu'il en aurait besoinpour se refaire. Les portes du Paradis des dépenses s'ou-vraient en môme temps pour les quémandeurs de hautrang. Des intérêts d'usure, inconnus jusque-là et bénispar l'Eglise, devaient attirer les grandes et surtout lespetites bourses.

L'affaire marcha brillamment au début: Il y eut commeune folie dans ce milieu qui ne pensait qu'aux satisfac-tions matérielles ou au moins à la possession du moyende se les procurer. La province envahit Paris, rétranger yaccourut. Les bijoux de la famille allèrent à la fonte.Des légions surgissaient, ne sachant pas com-ment monter en calèche et appeler les laquais. Les puis-sants, les seigneurs « mississipiens » profitaient à tousles jeux de bourse qu'on leur ménageait. Ce furent desjours dorés, inoubliables. L'insouciance Mali un vraitriomphe. Law, dont la femme faisait cercle.avec les prin-cesses et les duchesses, le Crésus de la banque ayant rem-placé le Jupiter de la monarchie, avait l'Amérique, pourlaquelle il embarquait des ouvriers, de la dernière espèce,le Sénégal, la Chine, la traite des nègres, tabac, lesdouanes. Il était contrôleur général, fonction abolie parle grand roi. Tout se courbait devant la majesté de rin-venteur de la prospérité publique : les incrédules étaient,du reste, forces à payer en billets, et on leur interdisait,sauf privilège spécial, sollicité avec ardeur, d'avoir plusde cinq cents francs en numéraire.

Un. moment vint où il y eut quatre-vingt fois plus d'ac-tions que tout l'or de la France ; les colonies ne donnaientencore rien. Il y eut de rappréhension au Ministère ; lavaleur des billets fut réduite de moitié par édit royal. Cefut alors l'affolement du désastre, après celui de la con-fiance. Ill y eut des morts parmi ceux qui s'écrasaientdans la rue où avait trôné le dieu de la banque ; on eutun moment ridée de porter ces « étouffés » au palais

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CHAPITIIE XVIII 493

régent. Law aurait été écharpé si on ne l'avait pas recon-duit dans une voiture du prince, sous bonne garde. Lors-que la fantasmagorie se fat évanouie, on constata centti ente et un millions de dettes en argent pour le Trésor,et, dans le public, des richesses qu'on ne pouvait pasdétruire et des misères qu'on ne pouvait pas soulager.

Un mauvais début pour le petit roi, appelé tantde fois aubalcon, après une maladie à laquelle il était sur le point desuccomber. Louis XV gait fatigué sans savoir pourquoi,dès le début de son règne. Son mariage awe la princessequi était, quelque temps auparavant, flattée d'épouserun d'Estrées 1, lui donna quelques mois, quelques annéesméme, d'un bonlieur de famille qu'il chercha à cacher leplus possible aux yeux des curieux. Le faste de Louis XIVavait été mortellement atteint par la blague amère, par ledévergondage affiché du régent ; il succomba à l'indiffé-rence totale d'un roi qui n'aimait pas à se montrer. Les« petits appartements », ménagés pour une vie bourgeoi-se, avaient remporté une victoire définitive sur les gran-des salles d'apparat; les figures de la mythologie martialeet amoureuse contemplèrent, des médaillons du plafond,des riches tapisseries et des socles froids, l'abandon jour-nalier de cette scéne unique de la royauté qui trône et sepavane.

Louis s'ennuya bientôt ; il fut galvanisé par des écartsamoureux qu'on lui procura, qu'on lui ménagea, luiimposa presque. Une duchesse de Châteauroux l'accom-pagnait en Flandre, où il fit bonne figure et se mérita,au cours de sa maladie de Metz, le cloux surnom, popu-laire, de « bien-aimé ». Les mots h retenir ne lui man-quaient pas h l'occasion, et, une fois qu'on lui deman-dait comment il faut traiter les prisonniers des vaincus,il répondit brièvement : « comme les nôtres ». Le dau-phin, qui devait succomber h la phtisie, dans la fleur del'fige, caracolait vaillamment auprès de son royal père.

Elle avait été vainement proposée au prince de Bade »,Duelos, ouvr. cité, IV, p. 21.

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494 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

On paraissait revoir, avec une fortune encore meilleure,les jours oil le quatorzième Louis était jeune, beau etaimable. Mais le roi finit par trouver que tout cela faittrop de bruit. II revint aux deices de son isolement.

« Ni premier ministre, ni favori », disait la dernièrerecommandation de Louis XIV. Son arriere-petit-filsl'écouta. Après Dubois et après le due d'Orléans, étran-glé par une dernière débauche, il y eut un-ministère dudue de Bourbon, qui ne signifiait pas une domination.Avec le cardinal Fleury (1726-1742), car la simarreétait redevenue de mode pour les royautés des Bourbons,

ce fut l'ancien précepteur souriant, celui dont l'enfantroyal avait p/euré jadis l'exil momentané, qui prit soindes affaires avec les mains veloutées d'une prétre octogé-aairel on envoya un abbe titulaire de Saint-Germain-en-Laye se faire battre par les Hanovriens 1. La diplomatietse faisait par billets personnels, d'un ton onctueux, le roise préparant déjà son « secret », sa correspondence A. lui,.inconnue aux ministres. On essayait d'économies patriar-cales, réduisant les rentes de quatre pour cent et, faisantdes dépenses énormes pour la guerre, on s'acheminaittout doucement à la faillite d'Etat que devait proclamersans scrupules un abbe Terray.

De fait, sans avoir ni « premier ministre », dans le sensd'un Richelieu, ni « favori », le roi s'était retire desaffaires. Un due de Bourbon finit son ministère au mo-ment oft un billet lu roi lui faisait savoir ce qui suit« Je vous ordonne, sous peine de désobéissance, de vousrendre à Chantilly et d'y demeurer jusqu'à nouvelordre 2. » Un due de Choiseul put trancher du potentat,.mais un jour il rept un billet de cette teneur : « Le

I Le prince Eiigène avait commencé, du reste, par dtre l'abbé deCarignan.

2 Voy, la lettre de démission de d'Argenson : o Votre service ne.West plus nécessaire. Je vous ordonne de an'envoyer votre démis-sion de secrétaire d'Etat de la guerre et de tout ce gut concerne-lcs emploits y joints et de vous retirer à votre terre des Ormes D.

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CHAPITHE XVIII 495

mécontentement que me causent vos services me forceb. vous exiler à Chanteloup, oft vous vous rendrez dansvingt-quatre heures. Prenez garde que votre conduite neme fasse prendre l'autre parti. » Le parent de l'acolytedu ministre disgrâcié, Praslin, apprenait seulement que,le roi « n'a plus besoin de ses services et l'exile à Praslin,où il se rendra en vingt-quatre heures ». C'étalt autrechose qu'un Richelieu ou un Mazarin ; Louvois lui-mémeserait parti avec plus d'égards.

Ce n'était plus le monarque lui-même qui, dès sa jeu-nesse, lorsqu'on lui parlait, pour fouetter sa paresse, dela possibilité que son successeur l'exile comme un Chil-péric avec une pension, s'informait seulement si « cettepension serait forte », ce n'était pas lui qui distribuaitgraces et disgraces. Le régime des femmes avait fonc-tionne sous le regent, dont la fille favorite se donnait desairs de reine ; il s'était consolidé sous le due de Bour-bon, qui était au gré de la marquise de Prie. Dès 1735,Louis avait affiché une maitresse ; trois de ses sceursjouirent de la faveur honteuse d'un prince devenu cyn i-que. Avec Madame Poisson, devenue marquise de Pom-padour, et son frère duc, il y avait eu la maitresse ins-tallée au palais et gouvernant en reine sans eouronne,Avec la du Barry, la « du Baril » des chansons, et elleprétendait, cette entretenue d'un frère et femme del'autre, pour pouvoir se valoir d'un nom A la Cour, deve-nant pour un duc de Noailles « la divinité qui fait les&Nees de la Cour », descendre des Stuarts, il y eut lahète à plaisir, s'exhibant sans honte, jusqu'à se faireembrasser publiquement par le roi et se faire chausseren déshabillé par le nonce. Tout en ménageant à sonamant les plaisirs sans cesse variés du « pare aux cerfs »,,elle voulut se faire épouser, et un ministre, le chancelierMaupeou, qu'elle avait eréé, lui écrivait ainsi : « Nousn'avons pas du tout trouvé la Chose impossible, Voussavez que nous avons eu l'exemple d'un mariage pareitentre Louis XIV et Madame de Maintenon ; les circons-

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496 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

tances nous sont assurément plus favorables qu'elles nel'étaient à cette dame 1. »

De tout côté la royauté se met h l'aise. Elle ne se gêneplus. Les préoccupations matérielles, d'ordre inférieur,l'accaparent, avec l'assentinaent des peuples, du reste, quine désirent qu'éviter les guerres, cependant immanqua-bles, ou bien s'en valoir pour faire fortune, aussi grandeque possible, chacun pour soi, à peu de frais.

Le « système » de Law, qui mourut pauvre à Venise,mais convaincu, et avec raison, que son ère n'est pasfinie, était prisé en Europe, même après son clésastre enFrance2. On le proposa en Savoie ; il y eut du papier-monnaie en Saxe; on en voulut au Danemarc. On retrouveen 1720 la flèvre de la spéculation h Londres. A une épo-que où tel prince allemand nous l'avons déjà ditvoulait être roi titulaire d'Arménie et le « rai » de Lor-raine s'attribuait la couronne imaginaire de Jérusalem,le grand-due de Toscane, le due de Holstein-Gottorp secontentant d'être Altesses Royales, l'empereur invitaitLaw h Trieste et il provoquait une guerre par sa Compa-gnie d'Ostende, rêvant d'iles océaniennes ; on en auraitvoulu en Prusse aussi. La Suède eut sa Compagnie deGotheborg pour les Indes Orientales. Le roi d'Espagneaurait pensé h fixer sa capitale dans celles de l'OccidentL'idée de ces richesses laintaines poursuivait tous lessouverains. Le Pape agrandit son port d'Ancône.

Imitant la France sous ce rapport aussi, les princess'employaient h. doter leurs pays de «manufactures » pouréviter « la sortie de l'or ». En même temps que la Prusseest fière de ses falences de Saxe, l'Espagne importe desHollandais pour des fabriques de drap, elle fonde des

I Fastes i cités, II, p. 369. Elle écrivait a le Dauphin, la Dau-phine, les dames de France se rendront bient6t sous mes drapeaux,respére ». Cf. le récent ouvrage de M. Claude Saint-André, LouisXV, Paris, 1921,.

9Il avait été conseillé all prince Eugéne par un Anglais.3 Rates, I, p. XXXI.

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CHAPITHE XVIII 497

teintureries pour ses laines, elle fabrique des cristauxles moines furent menes vers les ateliers de toile de lacouronne.

Philippe V, terrorise par son imagination, d'une con-fession A l'autre, se laissant nourrir au lit des moisentiers et menant une vie de folles extravagances 1,qui allaient jusqu'à paraitre dévétu, les ongles longs, hfrapper et A mordre, autour de luí, évitait la Cour dansses errements d'Aranjuez A. Sainte-,Ildefonse, de là auPrado. Un Grimaldo, un Ripperda, mort au Maroc enmusulman, même en créateur d'une nouvelle religion, unEnseriada, ancien fonctionnaire de banque, un Farinelli,tenor italien, sont libres de servir A leur façon la reineaux affaires de l'Etat. Il n'y eut pas plus de faste sous sessuccesseurs, de vie chaste et honnête, du reste, Ferdi-nand et ce Charles qui n'avait pas embelli Naples duspectacle de ses fêtes. Charles yI payait, A. Vienne. 40.000personnes, en dehors des fonctionnaires et des juges ; oninscrivait, sur ses registres des comptes : « le pain desperroquets », 40.000 ecus pour les faucons, 4.000 florinspour le persil 2 L'empereur Charles VII, dont l'enterre-ment devait être splendide, bien qu'il vectIt d'emprunts,fut le dernier représentant du ceremonial des Habsbourg.Au couronnement de son rival heureux, François r, aunom si dynastiquement français, il fallut dépaver lesrues de Francfort pour que les hauts carosses puissent ypasser. Mais Marie-Therese, empruntant de l'argent Ason mari, sans cesse préoccupé a'affaires, menait, entreses nombreux enfants, la vie d'une bourgeoise de Vienne,très pure de mceurs, même dans son long veuvage. Cen'était pas le cas du roi de Pologne, qui s'était fait dansle Zwinger son Versailles, A côté de la vieille Dresde, auxrues étroites ; fuyant en chaise de poste donnée par sonvainqueur, le « Mantelsack » des railleurs imitait encoreles splendeurs militaires inutiles de son pere et implorait

i Duelos, ouvr. cité, p. 92 et suiv. d'après des actes aiplomatiques.2 Schlosser, ouvr. cité, I, p. 118, note 1.

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498 ESSAI DE SYNTHiLSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

de Frederic II, le lendemain d'une capitulation, qu'on luilaisse ces beaux gardes que le roi de Prusse déclara n'en-tendre pas prendre une seconde fois. Le ministre deBriihl, successeur de Fleming, vivait lui-même royale-ment, et ses terrasses fleuries lui survivent. Ce train deCour plaisait aux Polonais. En face, les Russes conser-vaient la tradition id'économie du Tzar Pierre : fabriquesde drap, de toile, de glaces de Venise méme, de galons,de tapisseries.

De son côté, Frederic était tout aussi « matérialiste »que n'importe quel de ses contemporains. Un historienallemand, du commencement du siecle dernier, pourraécrire : « Frederic H fut le premier qui, par son espritsupérieur et son mepris pour des hommes, dégrada legenre humain, en traitant l'Etat comme une machine eten réduisant le bonheur de l'homme à un bien-êtrene trouvait qu'hors de lui-méme I ». Exilant la reine donton l'avait affligé, et du corps, de l'ame de laquelle il semoquait le lendemain des maces à sa sceur, tout aussicynique que lui, la margrave de Bayreuth, il vivait engarçon, entre quelques intimes, mangeant d'appetit, sansboire comme son père, et cherchant sa distraction, ail-leurs que dans ses ceuvres littéraires, à une époque decomédiens et de tenors, à l'opéra 2. Mais des princes beau-coup plus pauvres que lui réformaient à la française leurfaçon de vivre : Charles, landgrave de Hesse, se ruinait

construire et meubler son chateau de Weissenstein.Pendant ce temps, en Italie, Victor-Amédée, roi de Sar-

daigne, grand-père de Louis XV, abdiquait pour épouserla femme qu'il aimait, et son flls Charles-Ernmanuql, lesoupçonnant de vouloir revenir sur le trône, le faisaitarrèter comme un simple sujet rebelle, il en mourra dedouleur, et Ia reine Rail jetée dans la prison des fem-mes de mauvaise vie. C'était une autre façon de se dégra-

Schlosser, ouvr. cité, I, p. 209. Cf. Otto Klopp, Frédéric II etMarie-Thérèse

2 11 assista A une représentation h. Dresde le lendemain de saconquéte.

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CHAPITIlli XVIII 499

der, mais, par la grandeur du Inéfait, sans se rendreridicule.

La classe nobiliaire, usée par les guerres, n'avait plusrien ni de son ancien ressort moral, ni de ses attachesavec la nation. Elle se mourait dans les illusions de sessuccès et les défis de ses attitudes. Sous la Régence, ondécrivait de cette façon un jeune homme devant levels'ouvrait une carrière A. la Cour : e il fait bien tout cequ'il fait, il danse très bien, il joue honnétement, il estcheval à merveille, il est poli, il n'est point timide,n'est point hardi, mais il est respectueux ; il raille, il estde très bonne conversafion ; enfin rien ne lui manque 1 »

Un descendant de Henri IV recevait les évéques sur sachaise percée 2, et avoir supporté des réceptions pareillesavait fait la fortune d'Alberoni, qui, en plus, se laissabâtonner d'importance par le marquis de Villena. A laguerre, on pillait sans pudeur, le due de Richelieu,« le père la Maraude », ayant saccagé le Hanovre, se fitbAtir un pavillon qui s'appela de ce nom, et on reve-nait à Paris, après s'étre fait battre, sans y apporter deOne et sans y rencontrer des sanctions. Pour la du Barry,le due d'Orléans était le « gros père » ; on se rendait enfoule aux rèceptions de la favorite, qui annonçait que leroi y sera. Mais on était très pointilleux sur l'ordre desdanses et, alors que le nouveau dauphin seul interdisait

sa femme, archiduchesse d'Autriche, de fréquenter ladispensatrice de toutes les faveurs, on s'abstenait, parfAcherie, d'assister au mariage du comte de Provence,frère du dauphin, . avee une princesse de Savoie. Lesl< importantes bagatelles » étaient ce qui intéressaitencore cet orgueil en déconfiture. On êaissait faire d'unnègre de la favorite un noble et un chAtelain.

Aussi, sous un nouveau règne, la Cour n'est plus laFrance, et le roi ne conduit plus, depuis Louis XV déjà,

Lacretelle, ouvr. cité, I, p. 235, note 2.Duelos, ouvr. cité, II, pp. 42-43.

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500 ESSAI DE SYNTFIESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

la vie intellectuelle, l'opinion du pays. Paris, avec ses« salons », a depuis longtemps remplacé les exhibitionset les décrets de Versailles, qui se cherche, du reste, dessuccursales plus b. la mode, comme le Grand et le PetitTrianon, comme Rambouillet, oil on se sent plus jeuneet où on peut étre plus A. l'aise.

Mais ce qui reste de cette Cour, jadis si brillante, prateplutôt à sourire. Tous les rites du temple sont conservés,mais le dieu lui-même est bien déchu, et il est le premier

s'en rendre compte. Le bon roi philanthrope se plaintde la mauvaise éducation qu'il a reçu et en accuse vive-ment son précepteur ; lorsqu'il s'agit de nouer conversa-tion, il pousse, timide, son partenaire intimidé vers lamuraille, éclate de son « gros rire » et tourne les talonsbien qu'au fond assez intelligent, il n'a trouvé pour lemoment que cela. Il lui faut pour parler un ou plusieursreleveurs.

Dans sa vie, il tolare et il pardonne. On parle ouverte-ment des relations de la reine avec le comte de Fersen,intéressant Suédois, rornantique et inconsolable ; on lavoit A la table de jeu, avide de gain ; on s'indigne sur lepassage de la gaie compagnie dont elle fait partie et queconduit, fou de coutumes anglaises, le comte d'Artois.On dit qu'une de ses belles-sceurs, princesses de Savoie,la femme de Monsieur, Louis-Xavier, qui, lui, affiche uneamante italienne, boit et que l'autre, encore plus laide et,en plus, manquant d'esprit, fréquente le corps de garde.Une de ses tantes, Mme Louise, carmélite, est accusée detrop souvent découcher. Louis XVI n'en a pas cure lors-qu'il se .donne des efforts po-ur gouverner ou lorsqu'itflAne dans ses jardins, plaisanlant avec les enfants oubrisant de sa badine l'échine des chiens rencontrés surson chemin.

Tel qu'il est, la pompe d'une monarchie haute de plu-sieurs coudées se conserve autour du prince dont il estpermis de railler la grosse taille et le gros esprit devantla reine elle-mame, belle, vive et très courtisée. Pour lecoucher, les courtisans se rassemblent dans la chambre

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CHAPITRE xviii 501

pleine du souvenir du grand Louis. Le roi y apparaitles cheveux roulés » pour entrer dans la « balustrade

du lit », oh il reçoit de « l'aumônier du jour » son Byrede priéres et le « bougeoir à deux bougies » qu'on tientdevant lui pour la courte lecture pieuse, car, si sa femmeveut montrer un « esprit fort », lui-même n'est pas tropdévot. Lorsqu'il sort de ce petit réduit, le bougeoir passeentre les _mains d'une personne favorisée, « distinction »,dit Mme de Boigne, qui a vu tout cela dans son enfance,

très recherchée ». Dans un moment, on voit Sa Majesténue jusqu'A la ceinture, se grattant et se frottant com-

mie s'il avait été seul, en présence de toute la Cour, etsouvent de beaucoup d'étrangers de distinction » 1. B. ya des personnes qui ont un droit, inattaquable, de tenirla chemise dont s'est dépouillé le bonhomme royal qui,en riant de son rire coutumier, se fait parfois poursuivre

travers la chambre. Mais il y a encore plus : vetu d'unerobe de chambre », il traine d'un courtisan à l'autre la

culotte Waite qui embarrassè ses gros pieds. C'est lecercle, plus ou moins agrémenté de propos, car ce n'estpas à lui qu'il faut demander de commencer. Puis, lasd'avoir « causé », il « se traine à reculons », pour choirdans un fauteuil. Il tend les jambes aux valets,.et, lors-que le fort bruit de la chaussure qui tombe résonne dansl'appartement, c'est le signal de s'en aller, et du reste unhuissier le dit : « Passez, messieurs ».

Mémoires de la comtesse de Boigne, née d'Osmond, publids..d'aprés le manuserit original par M. Charles Nieoullaud, I, Paris,1909, p. 55 et suiv.

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CHAPITRE XIX

Les idées nouvelleset les symptòmes révolutiOnnaires.

Ce qui frappe pendant ces presque trois quarts du xviirsiècle qui précèdent les grandes convulsions politiques,c'est le manque presque total de résistance, d'autant plusd'initiative dans les classes populaires, jadis capables detransformer par les créations sorties de leurs instincts lavie du monde entier.

La France, qui subit plus que tout autre royaumemoins rongé par ila corruption et moins épuisé par lesguerres, ne se rappelle plus de ces mouvements des pro-vinces, de ces tumultes des villes qui forment un des 616-ments d'intérét au xvn° siècle. La classe encore domi-nante va jusqu'à accaparer le transport des produits ali-mentaires 1 ; il faut attendre le triomphe des idées repré-sentées par les « économistes » de Turgot, donc jus-qu'après 1750, pour que la circulation des grains d'unterritoire administratif à l'autre soit permise par undécret royal, considéré presque comme un acte révolu-tionnaire. Dans la Marche et le 'Limousin, il y aura 4.000morts de faim pour une seule année. On ne parle plusde « grands jours », et à peine la justke royale atteint-elk les grands pécheurs qui n'opèrent pas sous les yeuxmêmes des ministres. 11 n'y a pas d'autre instruction 616-mentaire que celle du clergé dont on verra les profondesdivisions, l'antagonisine avec les Parlements et avec la,

Duelos, loc. cit., pp. 25-26.2 Fastes n cites, II, p. 239.

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CHAPITRE xix 503

royauté elle-même. Les grands travaux de transformationde la France ont cessé.

Il n'y aura cependant que les troubles pour le pain en1726. Toulouse se soulèvera une fois pour le méme motif.En dehors de ces protestations de la souffrance élémen-taire il n'y a que l'accompagnement populaire de l'an ti-pathie qui poursuit un ministre venu et tombé par lesintrigues : en 1720, on attaquera le -convoi funèbre ded'Argenson, ancien garde des sceaux. Lorsque le Parle-ment refuse d'eniegistrer un nouvel impét, comme celuisur le cinquantième du capital, la rue gronde, en 1725.Quand on saisit les vagabonds et, parmi eux, des enfantsde parents aisés, pour les rançonner, le soupçon qu'ils'agit du bain de sang pour rajeunir tel grand seigneurinconnu, pent-61re le vieux roi lui-même, agite un mo-ment les masses. Des cris s'élévent parfois, d'une sinistremenace ; on demande des tétes de ministres, on parled'envoyer le roi à Saint-Lazare, sa bonne amie à l'hôpi-tal. Puis le calme d'une paralysie longtemps préparéereprend.

Une fois, les Anglais attaquent les c6tes ; ils se main-tiennent à tel endroit, faisant mine de vouloir avancer. LaNormandie se tient tranquille ; ce n'est qu'en Bretagneque les paysans s'arment, que les bourgeois de Rennesse dressent contre l'étranger, que les étudiants formentd'eux-mémes une compagnie pour les repousser 1. Ailleursla spontanéité d'action des villes se borne, comme h. Lyon,

Bordeaux, aux travaux d'édilité, que ne paye pas le Tr&sor de l'Etat : h6pitaux, théâtre où ne joue-t-on pas lacomédie h cette époque, jusqu'aux armées où on annonceque les représentations reprendront après la bataille 2 ?

halles aux grains, bourses pour les spéculations per-sistantes.

Le Parlement avait regagné, de par la résolution du

Ibid., II, p. 178.On a cité cette annonce verbale d'une actrice en Flandre

u Demain, relAche it cause de la bataille ; après-demain, nousaurons l'honneur de vous donnor Le cog du village ».

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504 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

regent, le droit de faire des remontrances. 11 voulut qu'onlui présente le budget du royaume. En 1717, il s'opposal'édit des monnaies. Comme le Conseil de régence eassaitses decisions, les magistrats inviterent le prévôt et lesmarchands de Paris, ainsi que quelques bourgeois, pourverifier la situation des rentes. Les coupables d'initiativefurent exilés A Blois, à Pontoise. On se consolait, dans lepublic, par la lecture des 111émoires de Retz sur la Fronde.Le Parlement de Rennes se réunit à celui de Paris, et il yeut des agitations aux Etats de Bretagne 1. On vit ensuitedes Etats généraux dont il fallut arreter le procureurrépudié. Le Parlement demandait des comptes au regentet se flattait de pouvoir juger et faire pendre Law, donton avait interdit la banque. C'était l'époque oft l'abbé deSaint-Pierre, aumônier de la mere du Regent, était per-secute pour avoir présenté un projet de « polysynodie »,

mais le peuple resta indifferent 2

Il faut aller dans des pays moins cultivés pour consta-ter la vitalité des classes essentielles, si negligées par laroyauté fainéante et voluptueuse, si exploitées par sesorganes. Depuis longtemps, en Corse, rebelle contre l'aris-tocratie génoise, on vit en république ; il .y a, avec unchef énergique, Paoli, des capitaines du peup4e, quiparlent hardiment aux diplomates à l'époquerégie par elle-méme, traite en son propre nom avec lesprinces. A Genes même, malgré la persistance des grandesfamilies, les Doria, les Adorno, c'est le bas peuple, bAtonet c,outeau à la main, qui chasse toute une garnison autri-chienne, un Botta à sa téte, et qui, pour punir les noblesd'avoir déserté au devoir patriotique, s'en va détruireleurs splendides palais. Si en Angleterre on se passionne,en tant qu'on ne se laisse pas gagner, matériellement,pour les deux Walpole, Robert et son fils Horace, pour lerival du dernier, Carteret, pour la gloire de Pitt qui

Duelos, ouvr. cité, 11, pp. 149 et suiv., 121-122.Ibid., pp. 145, 155 et suiv.

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CHAPITHE Xix 505

s'élève, et, les débats du Parlement restant encoresecrets, il n'y a pas de feuilles publiques à côté du « Spec-tateur », du « Guardian », pamphlets pour les gens cul-tivés, et la politique, qui ne se fait plus en chaire, ne des-cend pas dans la rue, méme aux plus beaux jours destories, l'Ecosse, nréprisée, après avoir été dépouillée,en 1709, de son Parlement d'Edinabourg, donne d'elle-méme une armée de ruraux au roi qu'elle a voulu créer.JI faudra des executions en masse pour détruire le senti-ment d'indépendance des classes ; ce sera d'ici que, pourla première fois, sortira une chanson populaire, celle deRobert Burns, capable d'enthousiasmer, malgré la ru-desse de son dialecte, les juges littéraires en manchettes.De méme, à l'apparition des Français dans le Tyrol, lespaysans des vallées alpines se levèrent en masse contrel'envahisseur.

Il ne faut pas méme penser à des actes populaires dansla lointaine Russie, pour les neuf dixièmes encore patriar-calement et religieusement sauvage, si on ne veut pasconsidérer comme telle la rébellion de 1708 des bour-geois d'Astrakhan, et de plusieurs autres villes, contre/es innovations, waies ou fausses : « idoles », perruques,mariages allemands, etc., au cours de laquelle furent ins-tallés des gouvernements populaires, puis celle des Cosa-ques tracassés. La vie politique reste, à côté de la nationgermanique, avec une faible teinte française, qui vas'accroissant, d'un côté, slavo-asiatique, avec de vaguesreflets byzantins, de l'autre. La politique n'est pas mémel'affaire d'une Cour qui n'existe que de forme, des bu-reaux qui n'agissent que par ordre direct. Ce sont,d'abord, les généraux, les favoris, qui amènent et fontpartir, qui élèvent et détruisent les Tzars et les Tzarines.Alors que, jadis, à Vélévation de Pierre, le peuple avaitété consulté par le patriarche sur le choix à faire entrelui et Ivan, son frère 1, Mentchicov fait impératrice Ca-

Schuyler, Peter the great, I, p. 44. La bibliographie it la page20, note 1.

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506 ESSAI DE SYNTIISE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITA

therine I", jadis son esclave et son amante ; Dolgoroukis'oppose à la toute-puissance du favori et l'envoie en Sibé-rie, sous le nouvel empereur Pierre Alexéiévitch ; Birenapprend aux Dolgorouki eux-mémes le chemin quimène à l'exil ; Miinnich se lève contre Biren, qui, àla mort de son amie, la Tzarine Anne, fille d'Ivan, frèrede Pierre I", a instalflé Ivan, fils d'Elisabeth, elle-mêmefille de Pierre, née de Catherine ; les deux parents alle-mands de l'empereur enfant, lui de Brunswick-Bevern,elle du Mecklembourg, sont écartés après quelques mois.Mais, cette fois, ce ne sont pas les chefs d'armée, lesministres : Osterman, le diplomate, Golovkine. le grandseigneur moscovite, envoyés en Sibérie, dans la compa-gnie de Miinnich, ce ne sont pas eux qui font fle change-ment de trône au profit de la belle Elisabeth, fille dePierre, dont certaines personnes entretiennent les pas-sions voluptueuses ; les régiments, suivant les terriblesexemples des strélitz, qui jadis avaient tué les Narichkinepour imposer le regne d'Ivan, frère de Pierre, et la régencede leur sceur, Sophie, comme le Préobrajenski, celui dela « Transfiguration », ce sont eux qui mènent en triom-phe cette grande et forte fille dont on aurait fait une reinede France si le due de Bourbon ne refit demandée pourlui-méme à Catherine 1 Lorsque Pierre de Holstein-Got-torp, autre prince germanique, descendant d'une fille dePierre I", sera installé, en 1761, cette fois normalement,les Orlov. amis de sa femme, une princesse d'Anhalt-Zerbst, dont le baptème orthodoxe, obligatoire, avait faitune nouvelle Catherine, se valent des sympathies de l'ar-mée pour envoyer son rude mari, copie de Frédéric II,moins l'esprit et le sens politique, dans cette maison decampagne ofi une « colique hémorroidale », venue à pro-

D'après les rapports diplomatiques, Duelos, ouvr. cité, IV, pp.18-19. On avait promis it Bourbon, It défaut, le tr8ne de Pologne.

2 II y avait eu auparavant deux projets de mariage avec desprinces du Danemarc ; pour une filld de Boris et pour une autrede Michel ; comme le Danois Waldemar ne voulut pas abjurer son1uthérianisme, il passa des années en prison. ; Schuyler, ouvr. cite,p. 29.

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CHAPITRE XIX 507

pos, fera, sous le prétexte d'une régence pour l'enfantPaul, une impératrice dénuée de tout autre droit que-celui qui vient des acclamations de ces soudards.

Mais la Turquie aura une révolution qui précède cellesauxquelles l'Occident se prépare. Depuis longtemps, ondésirait des Collèges comme en Russie, une espèce de-« Parlement », le mot y est dans les mémoires d'unhomme bien informé, le Dalmatin Dadich. Le janissairealbanais Patrona Khalil, uni à un tribun populaireSmyrne, à un marchand de fruits et A un autre de vieillesdéfroques, s'appuie sur les « bourgeois » .du bazar pourinstaurer un régime oil le ministre des Affaires Etran-Ores est un soldat, raga des janissaires un sellier et unboucher grec est proclamé prince de Moldavie, où les.puissants du jour vont les pieds nus et circulent en charsà bceufs, où les Sultanes s'en vont courtiser les commèresqui sont les femmes de ces révolutionnaires aux turbans-rouges de sang. Illaudra l'habileté et les talents,de l'eu-nuque Béchir pour détruire, au nom du Sultan nommépar les rehelles, Mahmoud, cette bande et donner bien-tôt le pouvoir à un ministre de grande envergure, le Vizir-Raguib.

Ce sera donc d'en haut que viendra l'impulsion auxgrands changements. D'abord une distraction plutôtqu'une action pleinement consciente, visant un but etayant un programme, plutôt une fronde qu'une propa-gande. Et le point de l'Europe dont elle partira sera néces-sairement la France.

Il y a eu, d'abord, le rationalisme de Descartes, quidérive tout de la raison raisonnante, l'existence mêmeétant prouvée par la pensée primordiale et souveraine,soumise à ses propres règles de fer, immuables. La que-relle entre les jansénistes et les jésuites, qui occupe plusd'un siècle, se terminant par la violence des refus de con-fession et des attentats contre les autels, des injurescontre l'Eucharistie, a aiguisé la sophistique des pam-phlets. Un grand physicien, continuateur de l'Italien Tor-

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508 ESSAI DE SYNTHASE DE L'HISTOME DE L'HUMANITE

ricelli, un grand penseur dans le domaine de la philoso-phie, aussi bien que de la religion, de laquelle il ne sedétachera jamais, Blaise Pascal, donnera, dans ses « Pro-vinciales » (1656), le inodèle de ces polémiques acérées.

Le groupe du Port-Royal, Arnauld et Nicole A. leur téte,commenceront une lutte acharnée, qui ne s'arrétera pasau moment où le confesseur de Louis XIV fera passer lacharrue sur les ruines de la Mare abbaye, eréatrice d'unnouveau système de pensée. Des monceaux de volumespleins de faits et de pensées s'accumuleront dans cettequerelle, qui passionne une société pieuse et désoeuvréeautrement que la querelle « des anciens et des mo-dernes ». Un Gassendi a fait en France les premiers pasdans la voie du matérialisme, qu'on trouve d'abord dé-gofitarit de grossièreté. INA FonteneIle a donné à l'irré-ligion en progrès la légère satire de ses « Dialogues desmorts » (1683), et la « base scientifique » de son célèbretraité de la « PluraIité des mondes ». Et il ne faut pasoublier qu'à cété de ces graves écrivains, la fable du phisfrançais des écrivains de l'époque, La Fontaine, s'accrocheaux défauts de la société contemporaine, que la coin&die de Molière ne s'est pas bornée à tourner en ridicule,au profit de la royauté, les Sotenville, les Escarbagnas,les de la Prudoterie, les « fAcheux », les « spirituelles »,les « marquis » et les « beaux esprits », ses « bons amisde la Cour » : elle vise parfois plus haut. Si Tartufe est leconfesseur jésuite insinuant, qui emploie le nom de Dieupour satisfaire ses basses passions, on voit préférer unIlls de crocheteur â celui -d'un roi menant mauvaise vie.Boileau lui-méme, historiographe de Louis XIV, se tournecontre la « vaine noblesse » des « fats » qui ne « res-pectent pas les lois » et « ne fuient pas l'injustice », et illancera un trait contre les conquérants, allant jusqu'à« l'écervelé qui mit l'Asie en cendres », Alexandre leGrand, modèle même de Louis « le grand », un « bour-geois d'Athènes », juste et modéré, lui étant préférable.Dès 1697, le « Dictionnaire historique et critique » de

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CHAPITRE XIX 509

Pierre Bayle (-1- 1703), enseignait, d'aprés les regles dela « morale naturelle », comment on peut penser selonla raison seule sur les matières politiques aussi:

Mais il faut quelque chose de plus. Or, l'Angleterredu commencement de ce xviii° siècle, donne en mémetemps qu'une recrudescence des écrits politiques dont seservent, avec fureur, les partis toujours en lutte, deuxprécurseurs de la revolution contre l'ordre religieux etl'ordre politique et social. Au xvi° siécle, apres Copernicle Polonais, l'Italien Gallee avait subi le martyre pouravoir pose les bases d'un systeme du monde qui 'n'étaitpas celui de l'Ecriture : la Terre n'était plus le monarquede l'univers, elle tournait humblement autour d'un pluspuissant, le soleil, qui, lui-meme faisait partie d'un sys-Mine d'une étourdissante majesté. Newton trouva les rap-ports entre ces corps celestes dont la constitution nevenait pas d'un ordre divin, étant seulement les résultats,calculables, des proportions et des vertus des corps eux-mernes. Hobbes avait déjà cherché, par les seuls moyensde l'intelligence humaine, à élucider le problème de sonature. Et, dégageant le monde des étreintes d'un sys---teme théologique, défendu par tous les moyens d'uneEglise presque deux fois millénaire, la théorie des sensa-tions de Locke (dans l' « Essay of understanding ») trans-formait le fier monarque Raison de Descartes, ou,aussi, le reflet d'une mystérieuse, immense vie, envahis--sant et dominant toute chose, de Spinoza, le Juif d'Ams-terdam, tout plein de reminiscences instinctives venantdes religions asiatiques et de la scolastique du Talmud,.

dans l'humble produit, réglé après coup, et d'une fa-çon branlante, des excitations qui viennent de ses préten-dus sujets, le milieu environnant. L'esprit religieux duxvir siècle, nourri de la lutte contre le catholicisme, es-prit qui a inspire le plus beau poeme biblique de la litte-rature universelle, le « Paradis perdu », du fanatiquepoliticien Milton, une illustration pour les tones d'un.

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510 ESSAI DE SYNTHESE DE L'IlISTOIRE DE L'HUMANITA

Poussin, n'est plus capable ni de créer, ni, au moins,d'enrayer. Il y avait de la revolution dans tout cela, et,pour la proclamer, il fallait un autre organe de trans-mission qu'une langue encore confinée dans les limitesde son 11e.

Le français, devenu sous la ferule des latinisants lalangue la plus claire du monde et, dans les ruelles, puis

la Cour, la plus élégante, prend possession du monde,en méme temps que les règles de cette Cour, l'art des jar-dins, les coutumes des salons. Frederic II fait des versdans cette langue, et il l'emploie pour ses ceuvres d'his-toire ; indifferent à ce que discutent, de Zurich à Leip-zig, Gottsched et Bodmer (Tadlerinuen, Kritische,Poesie;1730), méprisant pour. les productions des maigres pokesallemands, il rédige ses lettres exclusivement en français,moyen d'expression que, du reste, le plus grand penseurallemand, Leibnitz, employa, avec le Latin, dans sescuvrages. Son Académie de Berlin, jadis plutôt allemandesous le grand-père du roi lettré, présidée, maintenant, pardes savants français, d'Argens, Maupertuis, et composéede savants comme de Prades, la Beaumelle, la Mettrie,est un produit ifimportation, alors que des Allemandscomme Wolf dirigent l'Académie de Pétersbourg. Onn'est pas plus allemand b. Vienne, capitale d'un Etatmixte, où il y a cette énergie magyare qui a permisMarie-Thérèse, non seulement de défendre ses provinces,mais d'inonder de terribles pandours et talpaches le ter-ritoire terrorise de ses ennemis. Les jésuites, qui s'ins-tallent dans des conquetes de la Maison d'Autriche etgagnent en Transylvanie les Roumains, non-privilégiés,contre les maitres du pays, Magyars calvinistes et Saxonsluthériens, les Serbes seuls, garantis par leur charte,maintenant l'orthodoxie intacte, sont des gens de parlerlatin. Mais l'empereur consort reste jusqu'au bout unprince français et entend que ses enfants suivent un peula tradition de sa famille. L'italianisme, qui vient de Tos-cane et de Milan, et qui aInstallera h. Vienne, avec ses

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CHAPITRE XIX 511

poètes et ses musiciens, avec ses architectes, ne résistepas à cette concurrence. Chaque prince allemand reçoitl'empreinte de Paris, l'Italie seule recevant en partiela mode littéraire, mais sans la langue, alors que l'Es-pagne en reste à ses romans picaresques, d'aventures,avec ses bacheliers, ses moines, ses brigands, rescopette

la main, qu'elle transmet méme, par le « Gil-Blas » etle « Diable boiteux » de Le Sage, A. la France du agent.Mais Catherine II et ses dames sont des agents d'influencefrançaise en Russie, se distinguant de ces Brunswickoisbons et lourds, de ce dur homme de Holstein, qui avaitété son mari. A Stockholm, le parti des « chapeaux »,qui s'oppose à celui des « bonnets », est tout français dedirection. Les capitales roumaines, Jassy et Bucarest,sous les Phanariotes francisés par leurs fonctions dediplomates, car l'italien est déjà vaincu dans ces négo-ciations d'Orient, s'ouvrent au livre français, au voya-geur français, au précepteur et au secrétaire venus deFrance. A Constantinople male, le Magyar passé parrécole française qui est de Tott (de fait « T6th », « le Slo-vague ») se trouvera entre les siens quand il viendra créerune fon-derie de canons et introduire les règles de stra-tégie d'un Vauban.

Il y avait donc ridée et il y avait aussi l'organe dansles deux grandes nations qui se faisaient une guerre siacharnée par leurs Etats et s'entendaient si bien parleurs intellectuels.

Ajoutons que, au commencement du xvin° siècle, l'Es-pagne avait dépassé la France dans la critique des éta-blissements et des meeurs politiques. Alors que Greingora,dont on a fait A. tort le créateur d'un « gongorisme » ridi-cule, se bornait affiner l'instrumenr de la poésie,Quevedo regrette l'époque de la « pure république desgrands hommes », sans richesses et sans faste. Alors que,succédant A. de Castro et .A Lope de Vega, Calderon.(+ 1688), le troisième de la série des grands auteurs tra-gigues de l'Espagne, donnera encore à la passion un

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512 ESSAI DE SYNTHÈSE DE CHISTOIRE DE L'HUMANITÉ

accent màle, au culte de l'honneur des formules graves ethautes, un Diego de Saavedra, dont les écrits s'appellent« Id& d'un prince politique chrétien », « Couronne gothi-que », « Bétises de l'Europe », glorifiera le travail parlequel seul peut s'élever de nouveau une noblesse déchue,ear « le temple de la gloire n'est pas situé dans une plai-sante vallée, ni dans une prairie charmante, mais biensur la cime d'une montagne où on arrive par des che-mins Apres, à travers les broussailles et des épines ». Pen-dant que Fénelon rédige pour l'usage du duc de Bour-gogne ce « Télémaque », bient6t divulgué, qui est tout uncode de réformes pour la future Salente française, lepublic, reconnaissant Louis XIV clans un Idoménée plusd'une fois critiqué, Guevara recourait à Marc-Aurèle pouresquisser, dans son « Horloge des princes », d'un autreton que le vieux « courtisan » de Gracian, le modèle desprinces A venir.

En France, la grande tragédie s'était éteinte dans unmilieu défavorable ; Racine avait fini par s'enclore dansla Bible d' « Esther » et d' « Athalie ». La comédie deRegnard et de Dancourt, puis de Destouches (± 1574),diplomate de carrière, d'autant plus celle du superficielMarivaux (+ 1765), n'atteint que les types généraux. Dela vie contemporaine vient seulement la satire par LeSage, dans « Turcaret » (1709), de l'enrichi d'une époquede matérialisme naissant. L'Eglise ne répétera pas, àl'époque d'un Dubois, des affirmations comme celle, vrai-ment révolutionnaire, de Massillon qui apparait en pré-curseur lorsqu'il dit au roi que « c'est le choix de lanation qui mit d'abord le sceptre entre les mains de vosancétres », que « c'est elle qui les éleva sur le boucliermilitaire et les proclama souverains », qu'ils régnaientdu « consentement libre de leurs sujets ».

Les rapports intellectuels avec L'Angleterre et la Francen'existaient que par les emprunts de wit que la premièrefaisait « esprit » de la seconde, par des voyages occa-

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CHAPITRE XIX 513

sionnels, comme celui de Saint-Evremond (1- 1703), quipassa ensuite en Hollande, ou par la « Bibliothèque An-glaise » de Paris (1717), par la e Bibliothèque Britanni-que » de La Haye (1733), lorsque deux écrivains de lanouvelle génération parurent à Londres, vers 1720, à 114moment de répit dans la rivalité des deux nations.

L'un, fils d'un notaire, éléve des jésuites, jeune ho.mmeayant papillonné autour d'une Cour où, A cause de sanaissance, il n'avait pas pu pénétrer, Arouet, qui se fai-sait nommer de Voltaire, avait été deux fois à la Bastillepour des vers qu'il n'avait pas écrits et pour une injuredont il avait voulu demander compte à la fac,on de lanoblesse ; il avait eu quelque succès par une tragédied' » CEdipe », où il raillait incidentellement les «tres », par des pikes de vers et une comédie médiocre,par un Coge de la tolérance religieuse sous Henri IV, Al'instant où la persécution contre les calvinistes clevenaitplus féroce sous Louis XV : le poème de la Ligue, par cethommage à la dynastie (plus tard devenu l'Henriade)l'autre s'était découvert coupable d'un écrit intitulé« Lettres persanes » (1721), dans lesquelles il &tall queS-tion d'un Sultan, -de sa « vieille maitresse », de ses escla-ves, qui rassemblaient à s'y méprendre avec ce qu'onavait vu tt Versailles ; il s'appelait de Montesquieu, appar-tenait à la noblesse de robe et fonctionnait comme pré-sident A Bordeaux ; les sciences naturelles l'occupaient,et il pensait à une « Histoire physique de la terre an-cienne et moderne ».

Ils y trouvèrent des apparences de liberté à une viepublique corrompue, une guerre furieuse de pamphletssous la plume d'un Swift, d'un Steele, d'un Addison(«Tadler », « Spectator », « Guardian »; 1709-1714), l'in-différence à l'égard d'une royauté de surface, restée abso-lument étrangère, un jugement plus hardi sur le passé,comme dans les travaux de Hume, viendra bientôt (1737),

le détachement de l'anglicanisme officiel jusqu'à lanégation ouverte de Bolingbroke, et méme des sectes

non-conformistes », par le déisme d'un Shaftesbury et

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514 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

du plus grand poète actuel, Alexandre Pope, dans sa« Priere universelle ». Mais il y avait encore la preoccu-pation constitutionnelle comme principale regle de la viepublique, l'intervention continuelle de la nation qui éli-sait les Parlements, la libre discussion dans ces assem-blées, une tolerance relative dans la manifestation desopinions religieuses, pourvu que ce ne ffit pas le « pa-pisme », et d'autant plus des idées de la philosophie, etun essor admirable des sciences de la nature, le lende-main de la grande ceuvre révolutionnaire de Newton.

Voltaire y prit le courage nécessaire pour critiquer lesabus sous une royauté désirait réformée; Montes-quieu, la resolution de chercher dans l'histoire et dansla pensée abstraite la comprehension du jeu des institu-tions, par le pouvoir, qu'il s'exagerait beaucoup, des loisfondamentales.

Revenu en cachette, le premier continue à attirer l'at-tention sur lui par le seul genre litteraire qui retenait lepublic : le théâtre; auquel accourt maintenant la bour-geoisie et la noblesse ensemble, depuis qu'à Versailles onne joue que rarement la comédie. Ce théâtre, il le conçoitcomme un instrument de critique, et le « Brutus » de1730 n'est que l'apologie de la « liberté publique », touten maintenant le caractere « sacré » de la monarchie-C'était l'année oil le roi imposait en lit de justice l'enre-gistrement de cette bulle Unigenitus, contre laquelle sedressait tout ce qui restait du jansénisme gallican et libe-ral. Il y a de la « politique », qui §'appelait alors « philo-sophie », dans la « Zaire » de 1732. Des morceaux lyri-ques sont, ou seront, encore plus hardis, et dans le « Pouret le Contre », avant le voyage d'Angleterre, était déjàcondamnée la doctrine du Dieu tyran, le poke finissant leréquisitoire vehement par ce beau vers, adresse à la puis-sance supreme

Je ne suis pas ehrétien, mais c'est pour Palmer mieux.L'infAme charge contre Jeanne d'Arc, « La Pucelle »,continuait en meme temps h. amuser une société frivole,tajolée dans ses vices pour oublier ses offenses.

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CHA.PITRE XIX 515

C'est en ce moment que le Parlement de Paris reçut dela part du roi un nouveau coup, qui lui gagna les sympa-thies publiques. On discutait l'acceptation de cette bulleUnigenitus, et le Parlement n'y était guere disposé. 11refusa d'ouvrir une lettre par laquelle le roi lui signifiaitses volontés. On vit les « robes noires » se rendre engroupe à Marly, sous les yeux indignés du cardinal deFleury. Louis refusa de les recevoir, et ils nienacèrent defaire cesser la justice. Appelés à la Cour pour s'entendreordonner de cesser toute immixtion dans les affaires dereligion, le président ne put pas s'expliquer devant le« taisez-vous » impérieux du jeune prince. L'acte laisséaux pieds du monarque fut déchiré par le chancelierMaurepas. Les avocats aussi s'en ressentirent. Ce n'estque devant cette opposition tenace que le Ministère admitdes remontrances, et, comme on en faisait usage, qua-rante magistrats furent exilés quelque temps.

Dans ce milieu, parurent, au cours de la méme année1734, les « Lettres sur les Anglais », que Voltaire préten-dit lui avoir été dérobées, et, après « la Politique des Ro-mains dans la Religion » (1721), les « Considérations surles causes de la grandeur et de la décadence des Ro-mains », par Montesquieu.

Le premier ouvrage n'épargne rien des institutionsactuelles de la France. Sont attaqués avec véhémence,non seulement les marquis de province, les abbés des sou-pers, les jeunes prélats pervers, élevés par « des intriguesde femmes », le clergé formaliste, mais a,ussi la Papauté,alliée des « chefs de sauvages », devenus après les inva-sions des barbares les « monarques ». Combien est supé-rieur à toutes ces prétentions et ces usurpations « lepeuple, la plus nombreuse, la plus utile et méme la plusvertueuse partie des hommes, composée de ceux qui.étu-dient les lois et les sciences, des négociants, des artisans,des laboureurs enfin, qui exercent la première et la plusméprisée des professions ». La forme la plus acceptableest celle de VAngleterre, où « le prince politique est tout-

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516 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIHE DE L'HUMANITII:

puissant pour faire du bien, a les mains liées pour fairedu mal », « les seigneurs sont grands, mais sans inso-lence et sans vassaux », « le peuple partage le gouverne-ment sans confusion », et, ajoutons, les « génies » de lataille de Newton dépassent tout de leur prestige. Le livrefut brfilé par le bourreau et dévoré par tout le monde.

Voltaire poursuivra sa carrière de pamphlétaire detalent par son « Discours sur l'homme » (1734, 1737,1745), qui glorifie le seul travail, obscur et fécond, d'unPierrot, d'un Colin, d'une Pierrette, les gens des eam-pagnes et de la glèbe. Des tragédies dans lesquelles sebalisse la forte passion et le langage dur de Shakespearese suivent à côté. Dans « Brutus », il y avait la haine destyrans ; « Zaire » et « Alzire », « Mahumet ou le fana-tisme », qui annonce dans le titre méme sa tendance,présenteront l'intolérance religieuse vaincue par l'amour,en Syrie des croisades, en Amérique espagnole, en Arabiedu Prephète ; toute espéce de tyrans et d'oppressionsfigureront dans les pièces suivantes. Dans « Zadig », etsurtout dans « Candide », Voltaire se inoquera, sous laforme d'une nouvelle d'aventures, des pratiques et desidées de la société actuelle. Il s'attaquera h. Descartes, A.Pascal, et disparafira un moment pour éviter les ran-cu n es j ansénistes.

Le président de Bordeaux ne préche pas ; il ne veutdiscréditer ni la religion, nécessaire, ni la royauté, com-mode. Il condamne seulement la passion de conquétesd'un côté, et, de l'autre, le manque de dignité des rois de&cadence. Mais, comme il fixe dès lors que les institu-tions ont leur vie h elles, par-dessus les sociétés qui s'enservent, il annonce déjà ces autres « considérations » surl' « esprit des lois », dans lesquelles 11 discutera libre-ment les différentes façons de se gouverner des peuples.Presqu'en mame temps, Duclos, historiographe deFrance, cherchera A élucider les origines de la royautéfrançaise, dont la gloire ne l'éblouissait pas. Bient5t Rol-lin, Crevier, Lebeau fourniront des matériaux pour com-prendre l'évolution des établissements que jusque-là on

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CHAPITRE XIX 517

avait feint, d'après le « Discours » de Bossuet pour ledauphin, de réputer immuables.

C'est dans ces dispositions que la première grandeguerre européenne du xviir siècle trouva la France.L'enthousiasme étan pour les grands voyageurs, pour lesauteurs de découvertes, pour les révélateurs des secretsde l'univers, et ils paraissaient en legion. On n'étaitoppose de sentiment h. aucun des voisins du royaume.Voltaire avail chanté Londres rivale d'Athènes, le peupleheureux d'Angleterre ; il voyait dans Frederic 111e typedu héros libre penseur, mais l'opinion publique encen-sait la jeune reine de Hongrie, la « plus grande desreines », « la fille de ces héros que l'Empire eut pourmaitres 1 ». Fleury se piquait d' « avoir le cceur fran-çais » et d'aimer « la patrie » qu'il servait 2, mais lespamphlétaires se Moquaient de « la fmesse barbare » deRichelieu : un « traitre », de Mazarin : un « avare » ; ilstournaient en ridicule' Richelieu, Ségur et sa « ségu-rade », Segur « peloté » à Dettingue, C/ermont, les « ca-nards du Mein », et les autres. Le roi, « mineur à trenteans », était qualifié de « fainéant », le cardinal d' « inno-cent », les généraux qui, plus qu'aux Allemands, « fontla guerre aux pauvres Français », h l'avenant 3. Aumilieu de la guerre paraissaient en 1745 les huit volumesdu « Théâtre anglais ».

Voltaire s'était « range » ; on en fit un courtisan, unacadémicien, une historiographe officiel, méme un diplo-mate aupres de son pupille littéraire, le roi de Prusse.IMjà on avait vu Leibnitz, conseiller de justice de PierreI" et « Solon h distance » de la Moscovie 4. L'AnglaisPrior négociait A Utrecht. Mais il y eut contre l'ancienneidole du public français un revirement, et, comme le goâtperverti lui opposait un rival inépuisable, Voltaire crut

Fastes » cites, I, p. 159 note, p. 166.2 Ibid., p. 180.3 Ibid., pp. 150, 161, 165.4 Schuyler, ouvr. cité, II, p. 285.

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518 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

pouvoir s'établir aupres du roi de Prusse ; ill concevait lapatrie autrement que le vieux ministre.

Sans aucun rapport, ni avec la Cour, ni avec les cerclesqui distribuaient, entretenaient et détruisaient les repu-tations, Montesquieu travaillait à cet « Esprit des lois »qui parut en 1748.

Cherchant A. travers les « formes » du « gouvernementpopulaire », « aristocratique », cc monarchique » et « des-potique » c'était celui de sa France les principes devie, la « vertu » qui inspire, il ne prétendait pas donnerde nouvelles tables de la loi et il n'admettait pas l'excel-knee unique d'un seul systeme. Il ne jetait pas despierres dans le jardin de la royauté, ffit-elle meme « des-potique », tout en critiquant certains vices dont souf-frait surtout son pays dans les classes dominantes« l'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil,le desk de s'enrichir sans travail, l'aversion pour lavérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon detous ses engagements, le mepris des devoirs du citoyen,la crainte de la vertu du prince, l'espérance de ses fai-blesses et, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté surla vertu », la liste est longue. Il déplorait un état dechoses qui ne permettait A la souffrance 411.1 peuple uneautre voie que celle, humiliante, de la « plainte » et de la« prière ». Mais, dans cette large exposition, appuyée surune etude comparative de longue haleine et établissantquelques idées incontestables, l'opinion publique, por-tée vers 'ces réformes que, des les instructions des pre-cepteurs du dauphin et du duc de Bourgogne, sous LouisXIV, des les tentatives du regent, on avait recommandéeset essayées en haut lieu, voyait un encouragement. On aobserve que, des lors, on se prit encore plus à considérerles Parlements, organe juridique, comme une instancepolitique supreme. Les magistrats furent, bien entendu,les premiers h l'admettre 1

Voltaire, pique au vif par l'énorme succes de cet

t Lacretelld, ouvr. cite, III, p. 128 et suiv.

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CHAPITRE XIX 519

4auvrage, après s'étre vu rabaisser dans le domaine duthatre par un Crébillon, prépara de son cesté une histoireuniversene, c'est-h-dire celle des « mceurs », opposéesaux institutions, travail de compilation fatigante, qui,malgré les vues parfois neuves et justes, ne constitueguère un système, ni même une théorie réellement fixée.Il en était à exposer pour le roi Stanislas, le prince, phi-losophe de cette France dont le roi méprisait les idées ethaissait les supériorités, l'histoire de Charles XII (1731)il s'occupera de son rival Pierre-de-Grand, en rapport.avec une autre impulsion princière, et une princesse deSaxe lui fera écrire en Allemagne une médiocre histoiredu Saint Empire germanique. Une Histoire de Louis XIVopposait au règne actuel les grands souvenirs de LouisXIV 1. Car, après s'être rendu compte qu'à Berlin, d'oiicomplimentait le premier grand poke allemand, Klops-tock, pour sa « Messiade », trouvant un autre compli-ment pour le partisan de l'influence française, Gottsched,on ne vent de lui que comme amuseur dans la domesti-cité littéraire, à ceité et, eu égard à son manque de qualitéofficielle, un peu au-dessous de Maupertuis, il avait réus-si à obtenir de ron royal ami un congé qu'il transformaen fuite, et que Frédéric condamna comme une déser-lion. Il erra quelque temps it l'aventure pour finir par setrouver un asile de prince souverain sur les bords du lacde Genève, en marge d'une « liberté » dont il ne pouvaitpriser ni l'origine .religieuse, ni le caractère durementmoral.

En son absence, des ceuvres paraissaient, qui effa-9aient presque les siennes. Ce que Montesquieu jeuneavail tente fut réalisé par Buffon dans sa Theorie de laJerre. Ses ambitions scientifiques étaient dépassées par letravail de toute une génération de savants d'une autreméthode et d'une autre probité : les Lacaine, les La-lande, les Halley, les d'Anville. La verve caustique de Vol-

1 Cf. Duelos, ouvr. cité, IV, pp. 158-159 : Dans les disgraces deLouis XIV, nous ressentions nos malheurs, mais les vceux de tousles Francais étaient toujours pour la nation v.

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520 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

taire trouvait un terme de comparaison parfois supérieurdans le fils d'un coutelier de Langres, Diderot. Aigri parle caractere de son origine, par les souvenirs de son en-fance sous le tait d'un ouvrier, par son manque d'unesituation qu'il dédaignait de chercher, car il fut, endehors de la Cour, et contre elle, l'auteur des « Pensées »philosophiques, parues en 1746 encore, et des « Lettressur les aveugles » qui le firent enfermer, des « Prome-nades d'un sceptique » et de « L'Interprétation de la Na-hire », il représentait une apparition d'un caractèredifférent de la fronde pensionnée qui pouvait faire sou-rire le régent, amuser Madame de Pompadour et gagnerles ministres, comme d'Argenson. Un Ward de Madamede Tencin, au salon Tréquenté, sous le régent, par deslettrés qu'elle appelait ses « bêtes » envenimé par l'am-biguité de son r6le social, d'Alembert, qui était un grandmathématicien, s'associa au brillant homme d'esprit,pour mettre entre les mains des amis de ce mouvementnégateur et transformateur une Bible scientifique et doc-trinaire. S'inspirant du Dictionnaire jésuite « de Tr&voux », du succès de l'aeuvre de Bayle, ils commencèrent,en 1751, l' Encyclopédie » par l'admirable a discours surles sciences », de l'Alembert. Et, sous l'impulsion de Dide-rot, un jeune Genevois, fils d'un horloger, mais. d'un ci-toyen de cette ville libre, lisant « Tacite, Plutarque etGrotius » 2, Jean-Jacques Rousseau, dont la jeunesse-s'était abreuvée à toutes les humiliations, que ressentaitdouloureusement sa sensibilité à fleur de peau, tour ktour séminariste catholique, malgré le calvinisme de sonenfance, laquais, « jeune homme de compagnie », seer&taire de prélats grecs A. la recherche d'aum6nes, entradans les rangs de ces « philosophes » dont il n'était glaredisposé A accepter la discipline. Musicien de penchant,presque de profession, auteur d'un opéra : Le Devin duvillage (1752), qui fut applaudi, il répondit à des ques-

a Fastes » eités, I, pp. 188-189.2 Dufour, Correspondance de Roussean, II, p. 78

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CHAPITRE XIX 521

tions posées à l'Académie de Dijon en déclarant que leshommes sont nés égaux et bons, et que la civilisation.il pensait à celle des savants de salon et des femmes delettres n'a contribué qu'à obscurcir la clarté intellec-tuelles et morale de l'espèce. Ce n'était pas autantcrédo qu'un défi.

Quelle que Mt la différence de tempérament deces trois penseurs et elle était profonde ilscommençaient la bataille sur un front commun, beau-coup plus avancés que Monsieur de Voltaire, n'ayant pascomme lui des intéréts à ménager et des faveurs à con-quérir. Pour la société contemporaine, ce n'était plus lepersifleur à gagner, mais bien l'ennemi irréconciliable,en dépit de la gloire dont on couronnera ses cruvres 1.

Les pamphlétaires acerbes, les négateurs sans scru-pules paraissent. L'histoire naturelle de l'dme, signée parLa Mettrie, est de 1745, son Homme-machine, publié enHollande, de 1748. L'auteur alla jouir à Berlin., oùdonna l'Homme-plante, l'Origine des sens ou la Vénusmitaphysique, des faveurs de Frédéric II. D'Argens ima-gine des Lettres chinoises, juives et cabalistiques. L'abbéRaynal emploiera l'histoire de la colonisation euro-péenne dans les Indes, pour railler la royauté 2 Desétrangers, attirés h. Paris par la plus splendide des civi-lisations, deviendront bient6t les sentinelles perdues dece combat. La o Correspondance littéraire, philosophique-et critique » de Grimm, né à Ratisbonne, commence en1753, et l'adversaire de la modération de Montesquieu,Helvétius, fils du médecin de la reine de France, lanceen 1758 son « Système de la nature », franchement athée,puis la satire haineuse qu'est « de l'Esprit », affichant lerégne du seul intérét sur la conduite des hommes, duseul plaisir sur leurs délassements. Au fond, paralt le

I D'Alembert avait écrit l'Essai sur la société des gens de let-tres avec les grands n pour justifier les parasites des assemblées-et des antichambres.

I Histoire du commerce et des établissements des Européens duns,:les deux Irides.

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522 ESSAI DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE

nihilisme cynique du baron d'Holbach, né à Hildesheim,plus « météque » que les deux autres.

En Allemagne méme, Lessing commençait une acti-vité, qui devait se tourner inergiquement contre ledécalque du français, par des fableè et des poésies net-tement « philosophiques » (1753-1756), et depuis long-temps Wieland, qui s'inspirait cependant de la délicatelégende d'Obéron, était pour les lecteurs allemands lechantre de la volupté, mais aussi le critique frivole desdogmes et des traditions.

Les événements marchaient, du reste, au gré de cettepropagande dissolvante, qui elle-méme s'en inspirait dansson élan.

Le cardinal de Beaumont, archevéque de Paris, avaitcommend sa croisade contre les jansénistes, qui, plusqu'adhérents de quelques propositions théologiques,étaient devenus les opposants de l'Eglise, au nom de laliberté de jugement, au moins dans certaines limites.Autour de la bulle Unigenitus se poursuivait une Aprelutte, et, dans leur enthousiasme, les adversaires desjésuites en arrivaient A prendre confiance par les convul-sions constatées sur le tombeau d'un des leurs, un simpled'esprit, le diacre PAris. Le molinisme en fut ressuscité.Les encouragements de la Cour ne manquaient pas à uneépoque où le roi déclarait que, « malgré la loi dusilence, les évéques pourront dire tous ce qu'ils voudront,pourvu que ce soit avec charité » (1756). Le clergé enarriva à distribuer des « billets de confession », à refuserles sacrements, qu'on lui arrachait parfois par la vio-lence.

La guerre extérieure avait éclag. Le roi, qui avait com-mend une action contre l'accroissement des monastères(1752), essaya d'enrayer la querelle, défendant d'em-ployer les noms de « demi-pélagiens », de « novateurs »,même de jansénistes, exilant les évêques rebelles, que lePape n'entendait .pas soutenir, VarchevAque de Paris lui-même. L'Eglise résista.

Dès 1752, le Parlement était entré dans la lice, allant

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CHAPITRE XIX 523

jusqu'à discuter les « lettres de cachet ». Quatre de sesmembres furent arrêtés. L'ordre d'exil A Pontoise suivit.Une Chambre royale fut créée pour distribuer la justice,mais on ne pouvait pas lui donner, A l'encontre d'une tra-dition plusieurs fois séculaire, aussi le droit d'enregistrerles édits. Les Cours de justice prirent parti pour les chefsde leur ordre (1753). Dés 1754, il fallut rétablir l'instancelégale.

Mais les magistrats ne s'arrêtèrent pas U. Ils lancèrentl'idée d'une confédération avec les Parlements de pro-vince, celui de Paris devenant, dans « le corps indivi-sible », « la première classe ». Le Grand Conseil du roifut le but des attaques. On croyait marcher, et pouvoirpoursuivre, sur les traces des -Anglais.

En 1756, un nouvel impôt fut refusé par l'assemblée, etpassa en lit de justice. On fabriqua A la Cour la théorieque le Parlement a le devoir d'enregistrement aussitôtque le roi aura donné la réponse aux remontrances qu'onlui avait faites. Le refus de justice, les démissions sui-virent. L'année suivante, Louis XV donnait raison auxpersécutés et poursuivait les membres rebelles du clergé.Mais, en 1759, le Parlement protestait contre l'édit de« subvention ». Bientôt, il se tournera contre les jésuites,faisant briller leurs ouvrages; et on finit par décréterl'abolition de l'ordre.

En 1761, cependant, il y eut comme une bouffée depatriotisme réunissant autour du roi toutes les classespour organiser d'une façon nationale la guerre maritimecontre les Anglais ; les villes, les Etats de provinces seréunissent au clergé, A. la banque pour donner de nou-veaux vaisseaux A la Couronne. Phénomène unique etpassager, sans influence profonde sur l'esprit public. Mais,après la conclusion de la paix, il y eut un effort honnètepour assainir les finances ; on commençait A se valoir desnotables, auxquels on attribuait l'élection de certains ma-gistrats dont les charges itaient jusque là vénales. Lesmunicipalités s'organisaient avec les maires, les &he-vins, les conseillers (1765).

Cette année vit tomber la tête du défenseur des Indes

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524 ESSA1 DE SYNTHESE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITt.

françaises contre les Anglais, le comte de Lally-Tollendal..Son supplice semblait, non pas la sanction contre un fonc-tionnaire abusif, mais la vengeance contre un esprit révo-lutionnaire. « L'enfer m'a vomi dans ce pays d'iniquités...J'irais plutôt commander les Cafres que de rester danscette Sodome, qu'il n'est pas possible que le feu des An-glais ne détruise tôt ou tard, au défaut du ciel », avait-ilexclamé au bout de ses efforts désespérés. Jamais jus-qu'ici un dignitaire du royaume n'avait parlé de cettefaçon.

A ce moment éclata l'affaire de Bretagne. Le due d'Ai-guillon, qui en était gouverneur, s'était rendu coupablede graves abus, mais on le haissait surtout pour avoirforce l'enregistrement de l'édit du vingtième. Le Parle-ment de Rennes, les Etats de la province' voulurent pro-céder contre lui, et en furent empéchés. Un magistrat quiparlait trop haut fut arrété comme facteur d'une cons-piration, puis relâché, devant l'indignation publique. Onne devait pas s'arréter là, et le nouveau chancelier Mau-peou , essaiera d'écarter par la violence ce perpétuel emp6-chement aux volontés de la Cour. En 1770, le procèscontre d'Aiguillon surgit de nouveau ; le roi défendit dele poursuivre, la Cour de pairs seule en ayant, selon sonopinion, le droit. Associé au chancelier Maupeou, quiavait remplacé Choiseul aux Affaires étrangères, et aucontrôleur des finances, l'abbé Terray, le due dominaitbientôt la situation.

Depuis longtemps, Maupeou préparait l'établissementd'une nouvelle Cour de justice. Comme le Parlement avaitcessé, en guise de protestation, ses fonctions, les mous-quetaires furent employés h. réduire l'opposition des)magistrats, auxquels on posa la question par « oui ounon ». Le nouveau Conseil, qui n'était que le Grand Con-seil, fut établi h Paris pour distribuer gratuitement, selonle désir des philosophes, la justice, d'autres cinq Conseilssupérieurs, dans les provinces. La Cour des aides, s'oppo-sant, fut supprimée. On crut en avoir fini de cette façonavec un procès séculaire (1771). On flattait l'opinion

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CHAPITHE XIX 523

publique aussi en annonçant un nouveau code civil etcriminel.

« Je ne changerai jamais », avait dit le roi 1, mais l'opi-/lion publique, nourrie par les salons, par les nouveauxjournaux, dont un « Spectateur français », de Marivaux,se déclara pour le Parlement, non pas dans sa réalitétracassière et souvent capable des plus graves injustices,mais à travers les illusions réformatrices.

Il y avait du bruit dans la rue : les écoliers des « Qua-tre Nations » huaient Maupeou lui-méme. Les princes sedéclaraient contre lui. Il est vrai qu'on les exila, et lesmembres du Parlement finirent par faire amende hono-rable, les avocats ayant bientôt trahi. La Basoche s'adres-sait au roi .dans ces termes : « Vous 'Res né sujet eteitoyen ; le droit d'hérédité vous a appelé au trône, ete'est la nation qui l'a établi et consacré ; vous étes mo-narque et vous ne devez régner que par les lois 2 ». Despamphlets popularisaient l'idée de révolution en rappe-lant les rois qui étaient tombés. L'abbé Mably faisaitparaltre son Traité des droits du citoyen, encourageantle Parlement à ne pas admettre ce qu'on appelait les« édits bursaux » de Maupeou, faussaire des monnaies,et demandant, pour la refonte du système des impôts, lesEtats généraux. Un plaignant, injustement évincé par ce« Parlement Maupeou », devint le plus grand des pam-phlétaires, Beaumarchais. On s'agitait en province, desofficiers refusaient d'exécuter les ordres ; il y eut desdéparts pour l'Angleterre. Encore une fois, du moinspour le rachat des charges du Parlement aboli, les magis-trats eux-mémes ayant pris une attitude conciliante, on,dut céder. Les Parlements reprendront, sous un nouveauroi, mais ils se sentiront un corps politique vainqueur, et,

la première occasion, ils le prouveront.

Quelques mois plus tard, éclatait la première des révo-

o Fastes cités, II, p, 324.Lacretelle, ouvr. cité, IV, p. 276.

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526 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

lutions basées, au moins en partie, sur les idées nou-velles : celle de l'Amérique, qui devait créer le premier« Etat philosophique », la première Republique de« citoyens ». En 1774, au moment où se rassemblait lepremier congrès de fondation d'Etat selon la formule deRousseau, la France avait dans celui qu'on appelait(c Louis le Sévère », dans le jeune petit-fils de Louis XV,le premier roi révolutionnaire, qui devait succomberses bonnes intentions, au milieu de la revolution que,plus que tout autre, il avait provoquée. Un Pape « philo-sophe », comme Clement Ganganelli, supprimera de sang-froid sa milice de jesuites. Des réformes européennesseront inaugurées à Constantinople par un vizir commeRaguib, un Sultan comme Seim III. Catherine II don,-nera l'illusion de la revolution « philosophique », qui, vic-torieuse à Madrid, à Lisbonne et A Naples, arrivaitPetersbourg méme. Déjà le partage de la Pologne avaitintroduit clans la vie internationale des conceptions donts'était gardée l'idéologie politique du xviir siècle. Toutest nouveau dès cette époque, et on peut consid&er com-me fermée l'histoire des nations régies par les monar-chies sur la base de l'équilibre européen.

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TABLE DES MATIÈRES

DU TOME III

Pages-

CHAPITRE PREMIER. La Triple France du roi Charles VII.II. Réfection de l'Ernpire d'Orient par les

Tares Ottomans et projets de revancheinspirés par la Renaissance italienne. 19

III. Le régime des monarchies territoriales. 70IV. Essais de transformations par le nouvel

élan chevaleresque et la résistance desligues 80

V. La nouvelle société européenne au com-mencement du xvie siècle ... 114

Lutte pour l'Europe moderne entreFrançois Ier, Charles-Quint et le SultanSoliman 132

VII. Vie intérieure des sociétés européennesdans la première moitié du xvie siècle. 197

VIII. La crise religieuse en Occident 217IX. L'empire oriental devant la nouvelle

croisade 260X. Etat d'esprit de l'Europe Occidentale

la fin du xvro siècle. 272XI. Le dernier effort de croisade 286XII. Essai de créer une royauté populaire ;

victoire du principe royal espagnol 297XIII. La crise européenne et l'hégémonie de

la plus forte des monarchies absolues 321XIV. La royauté par les ministres et la lutte

vers une nouvelle 4iberté 349XV. La monarchie absolue et les guerres

de a gloire D 369

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528 ESSAI DE SYNTHÈSE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ

PagesCHAPITRE XVI. - Le dernier combat contre l'hégémonie

européenne 422XVII. La monarchie de prestige et l'avène-

ment des royautés créées 440XVIII. La monarchie des a petits' apparte-

ments n 489XIX Les idées nouvelles et les sympteomeg

révolutionnaires 502

Alengun. Imprimerie Corbiére et J again

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