essai de sémantique-michel bréal

22
Essai de Sémantique Michel Bréal Publication: 1897 Source : Livres & Ebooks

Upload: andre-campos-mesquita

Post on 16-Nov-2015

18 views

Category:

Documents


6 download

DESCRIPTION

Essai de Sémantique-Michel Bréal

TRANSCRIPT

  • Essai de Smantique

    Michel Bral

    Publication: 1897Source : Livres & Ebooks

    http://www.livres-et-ebooks.fr

  • MICHEL BRAL

    ESSAI

    DE

    SMANTIQUE

    (SCIENCE DES SIGNIFICATIONS)

    PARIS

    LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

    79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

    1897

    JE DDIE CE LIVRE

    AU SOUVENIR DE MA FEMME BIEN-AIME

    HENRIETTE BRAL

    DONT LA PENSE A T PRSENTE

    1

  • TOUTES LES HEURES DE MON TRAVAIL

    ESSAI

    DE

    SMANTIQUE

    IDE DE CE TRAVAIL

    Les livres de grammaire compare se succdent, lusage des tudiants, lusage du grand public, etcependant il ne me semble pas que ce quon offresoit bien ce quil fallait donner. Pour qui sait lin-terroger, le langage est plein de leons, puisque de-puis tant de sicles lhumanit y dpose les acqui-sitions de sa vie matrielle et morale : mais encorefaut-il le prendre par le ct o il parle lintelli-gence. Si lon se borne aux changements des voyelleset des consonnes, on rduit cette tude aux pro-portions dune branche secondaire de lacoustiqueet de la physiologie ; si lon se contente dnumrerles pertes subies par le mcanisme grammatical, ondonne lillusion dun difice qui tombe en ruines ; silon se retranche dans de vagues thories sur loriginedu langage, on ajoute, sans grand profit, un chapitre

    2

  • lhistoire des systmes. Il y a, ce me semble, autrechose faire. Extraire de la linguistique ce qui en res-sort comme aliment pour la rflexion, et je ne crainspas de lajouter comme rgle pour notre propre lan-gage, puisque chacun de nous collabore pour sa part lvolution de la parole humaine, voil ce qui mritedtre mis en lumire, voil ce que jai essay de faireen ce volume.

    Il ny a pas encore bien longtemps, la Linguistiqueaurait cru droger en avouant quelle pouvait servir quelque objet pratique. Elle existait, prtendait-elle,pour elle-mme, et elle ne se souciait pas plus du pro-fit que le commun des hommes en pourrait tirer, quelastronome, en calculant lorbite des corps clestes,ne pense la prvision des mares. Dussent mesconfrres trouver que cest abaisser notre science, jene crois pas que ces hautes vises soient justifies.Elles ne conviennent pas ltude dune uvre hu-maine telle que le langage, dune uvre commen-ce et poursuivie en vue dun but pratique, et do,par consquent, lide de lutilit ne saurait aucunmoment tre absente. Bien plus : je crois que ce se-rait enlever ces recherches ce qui en fait la valeur.La Linguistique parle lhomme de lui-mme : ellelui montre comment il a construit, comment il a per-

    3

  • fectionn, travers des obstacles de toute nature, etmalgr dinvitables lenteurs, malgr mme des re-culs momentans, le plus ncessaire instrument decivilisation. Il lui appartient de dire aussi par quelsmoyens cet outil qui nous est confi et dont noussommes responsables, se conserve ou saltre... Ondoit tonner trangement le lecteur qui pense, quandon lui dit que lhomme nest pour rien dans le dve-loppement du langage et que les mots forme et sens mnent une existence qui leur est propre.

    Labus des abstractions, labus des mtaphores, tela t, tel est encore le pril de nos tudes. Nous avonsvu les langues traites dtres vivants : on nous a ditque les mots naissaient, se livraient des combats, sepropageaient et mouraient. Il ny aurait aucun incon-vnient ces faons de parler sil ne se trouvait desgens pour les prendre au sens littral. Mais puisquilsen trouve, il ne faut pas cesser de protester contreune terminologie qui, entre autres inconvnients, ale tort de nous dispenser de chercher les causes vri-tables(1).

    Les langues indo-europennes sont condamnesau langage figur. Elles ne peuvent pas plus y chap-per que lhomme, selon le proverbe arabe, ne saurait

    4

  • sauter hors de son ombre. La structure de la phraseles y oblige : elle est une tentation perptuelle ani-mer ce qui na pas de vie, changer en actes ce quiest un simple tat. Mme la sche grammaire ne peutsen dfendre : quest-ce autre chose quun commen-cement de mythe, quand nous disons que neg prteses temps , ou que clou prend un s au pluriel ?Mais les linguistes, plus que dautres, devraient treen garde contre ce pige...

    Ce nest pas seulement lhomme primitif, lhommede la nature qui se prend pour mesure et pour modlede toute chose, qui remplit le ciel et lair dtres sem-blables lui. La science nest pas exempte de cetteerreur. Prenez le tableau gnalogique des langues,comme il est dcrit et mme dessin en maints ou-vrages : nest-ce pas le produit du plus pur anthro-pomorphisme ? Que na-t-on pas crit sur la diff-rence des langues-mres et des langues-filles ? Leslangues nont point de filles : elles ne donnent pasnon plus le jour des dialectes. Quand on parledu proto-hellnique ou du proto-aryen, ce sont deshabitudes de pense empruntes un autre ordredides, cest la linguistique qui conforme ses hypo-thses sur le modle de la zoologie. Il en est de mmepour cette langue indo-europenne proethnique que

    5

  • tant de linguistes ne se lassent pas de construire et re-construire : ainsi faisaient les Grecs quand ils imagi-naient, pour rendre compte des diffrentes races, lesanctres olus, Dorus, Ion et Achus, fils ou petit-filsdHellen(2).

    Il y a peu de livres qui, sous un mince volume,contiennent autant de paradoxes que le petit livreo Schleicher donne ses ides sur lorigine et le d-veloppement des langues. Cet esprit habituellementsi clair et si mthodique, ce botaniste, ce darwinien,y trahit des habitudes de pense quon aurait plu-tt attendues chez quelque disciple de lcole mys-tique. Ainsi lpoque de perfection des langues se-rait situe bien loin dans le pass, antrieurement toute histoire : aussitt quun peuple entre danslhistoire, commence avoir une littrature, la dca-dence, une dcadence irrparable se dclare. Le lan-gage se dveloppe en sens contraire des progrs delesprit. Exemple remarquable du pouvoir que les im-pressions premires, les ides reues dans lenfancepeuvent exercer(3) !

    Laissant de ct les changements de phontique,qui sont du ressort de la grammaire physiologique,jtudie les causes intellectuelles qui ont prsid la

    6

  • transformation de nos langues. Pour mettre de lordredans cette recherche, jai rang les faits sous un cer-tain nombre de lois : on verra plus loin ce que jen-tends par loi, expression quil ne faut pas prendre ausens impratif. Ce ne sont pas non plus de ces loissans exception, de ces lois aveugles, comme sont, silfaut en croire quelques-uns de nos confrres, les loisde la phontique. Jai pris soin au contraire de mar-quer pour chaque loi les limites o elle sarrte. Jaimontr que lhistoire du langage, ct de change-ments poursuivis avec une rare consquence, pr-sente aussi quantit de tentatives bauches , et res-tes mi-chemin.

    Ce serait la premire fois, dans les choses hu-maines, quon trouverait une marche en ligne droite,sans fluctuation ni dtour. Les uvres humaines, aucontraire, se montrent nous comme chose labo-rieuse, sans cesse traverse, soit par les survivancesdun pass quil est impossible dannuler, soit par desentreprises collatrales conues dans un autre sens,soit mme par les effets inattendus des propres ten-tatives prsentes.

    ... Ce livre, commenc et laiss bien des fois, etdont, titre dessai, jai fait paratre diverses reprises

    7

  • quelques extraits(4), je me dcide aujourdhui le li-vrer au public. Que de fois, rebut par les difficul-ts de mon sujet, me suis-je promis de ny plus re-venir !... Et cependant cette longue incubation ne luiaura pas t inutile. Il est certain que je vois plus clairaujourdhui dans le dveloppement du langage quily a trente ans. Le progrs a consist pour moi car-ter toutes les causes secondes et madresser direc-tement la seule cause vraie, qui est lintelligence etla volont humaine.

    Faire intervenir la volont dans lhistoire du lan-gage, cela ressemble presque une hrsie, tant ona pris soin depuis cinquante ans de len carter et delen bannir. Mais si lon a eu raison de renoncer auxpurilits de la science dautrefois, on sest content,en se rejetant lextrme oppos, dune psychologievritablement trop simple. Entre les actes dune vo-lont consciente, rflchie, et le pur phnomne ins-tinctif, il y a une distance qui laisse place bien destats intermdiaires, et nos linguistes auraient malprofit des leons de la philosophie contemporainesils continuaient nous imposer le choix entre lesdeux branches de ce dilemme. Il faut fermer les yeux lvidence pour ne pas voir quune volont obscure,mais persvrante, prside aux changements du lan-

    8

  • gage.

    Comment faut-il se reprsenter cette volont ?

    Je crois quil faut se la reprsenter sous la formede milliers, de millions, de milliards dessais entreprisen ttonnant, le plus souvent malheureux, quelque-fois suivis dun quart de succs, dun demi-succs,et, qui, ainsi guids, ainsi corrigs, ainsi perfection-ns, vinrent se prciser dans une certaine direction.Le but, en matire de langage, cest dtre compris.Lenfant, pendant des mois, exerce sa langue pro-frer des voyelles, articuler des consonnes : com-bien davortements, avant de parvenir prononcerclairement une syllabe ! Les innovations grammati-cales sont de la mme sorte, avec cette diffrenceque tout un peuple y collabore. Que de constructionsmaladroites, incorrectes, obscures, avant de trouvercelle qui sera lexpression, non pas adquate (il nenest point), mais du moins suffisante de la pense ! Ence long travail, il ny a rien qui ne vienne de la vo-lont(5).

    Telle est ltude laquelle je convie tous les lec-teurs. Il ne faut pas sattendre y trouver des faits denature bien complique. Comme partout o lesprit

    9

  • populaire est en jeu, on est, au contraire, surpris de lasimplicit des moyens, simplicit qui contraste avecltendue et limportance des effets obtenus.

    Jai pris dessein mes exemples dans les languesles plus gnralement connues : il sera facile denaugmenter le nombre ; il sera facile aussi den appor-ter de rgions moins explores. Les lois que jai essaydindiquer tant plutt dordre psychologique, je nedoute pas quelles ne se vrifient hors de la familleindo-europenne. Ce que jai voulu faire, cest de tra-cer quelques grandes lignes, de marquer quelques di-visions et comme un plan provisoire sur un domainenon encore exploit, et qui rclame le travail combinde plusieurs gnrations de linguistes. Je prie donc lelecteur de regarder ce livre comme une simple Intro-duction la science que jai propos dappeler la S-mantique(6).

    TABLE DES MATIRES

    Ide de ce travail : 1

    Premire partie

    Les lois intellectuelles du langage

    10

  • La loi de spcialit

    Dfinition du mot loi. - Ide fausse qui rgne au su-jet des langues dites synthtiques et analytiques. - Laspcialit de la fonction est lune des choses qui ca-ractrisent les langues analytiques. 9

    La loi de rpartition

    Preuves de lexistence dune rpartition. - Limitesdu principe de rpartition. 26

    Lirradiation

    Ce quil faut entendre par ce mot. - Lirradiationpeut crer des dsinences grammaticales 39

    11

  • La survivance des flexions

    Ce que cest. Exemples tirs de la grammaire fran-aise. De larchasme..50

    Fausses perceptions

    Fausses dsinences du pluriel. Fausses dsinencesdes cas. - Lapophonie. 56

    De lAnalogie

    Ide fausse sur lanalogie. - Cas o le langage selaisse guider par lanalogie. - A. Pour viter quelquedifficult. - B. Pour obtenir plus de clart. - C. Poursouligner soit une opposition, soit une ressemblance.- D. Pour se conformer une rgle ancienne ou nou-velle. - Conclusions sur lanalogie. 60

    12

  • Acquisitions nouvelles

    Ncessit dindiquer les acquisitions ct despertes. - Linfinitif. - Le passif. - Les suffixes adver-biaux. - Conclusions historiques tires de la lenteurdes acquisitions grammaticales sur lge de la gram-maire indo-europenne. 79

    Extinction des formes inutiles

    Difficult de cette tude. - Formes surabondantesproduites par le mcanisme grammatical. - Avan-tages de lextinction. Y a-t-il des formes fatalementcondamnes disparatre.. 91

    DEUXIME PARTIE

    Comment sest fix le sens des mots

    Les prtendues tendances des mots

    13

  • Do vient la " tendance pjorative ". - La " ten-dance laffaiblissement ". - Autres tendances nonmoins imaginaires. 99

    La restriction du sens

    Pourquoi les mots sont disproportionns auxchoses. - Comment lesprit redresse cette dispropor-tion 107

    Elargissement du sens

    Causes de llargissement du sens. - Les faits dlar-gissement sont autant de enseignements pour lhis-toire. - ils sont une consquence du progrs de lapense 117

    La mtaphore

    14

  • Importance de la mtaphore pour la formationdu langage. - Les mtaphores populaires. - Prove-nances diverses des expressions mtaphoriques. -Elles passent dune langue lautre 124

    Des mots abstraits et de lpaississement du sens

    Ce quil faut entendre par lpaississement du sens.- Exemples tirs de diverses langues 137

    La polysmie

    Ce que cest que la polysmie. - Pourquoi elle estun signe de civilisation. - Do vient quelle ne causepas de confusion. - Une nouvelle acception quivaut un mot nouveau. - de la polysmie indirecte. 143

    Dune cause particulire de polysmie

    15

  • Pourquoi une locution peut tre mutile, sansrien perdre de sa signification. - Le raccourcisse-ment, cause dirrgularits dans le dveloppementdes sens. - Les locutions dites " prgnantes ". 151

    Les noms composs

    Importance du sens. - De lordre des termes. -Pourquoi le latin forme moins de composs que legrec. - Limites de la composition en grec. - Des com-poss sanscrits. - Les composs nont jamais plus dedeux termes 160

    Les groupes articuls

    Exemple de groupes articuls. - Leur utilit. 172

    Comment les noms sont donns aux choses

    16

  • Les noms donns aux choses sont ncessairementincomplets et inexacts. - Opinion des philosophes dela Grce et de lInde. - Avantages de laltration pho-ntique. - Les noms propres. 177

    TROISIME PARTIE

    Comment sest forme la syntaxe

    Des catgories grammaticales

    Ce quil faut entendre par les catgories gramma-ticales. - Comment ces catgories existent dans les-prit. - Sont-elles toutes du mme temps ? 185

    La force transitive

    Do vient lide que nous avons dune force tran-sitive rsidant en certains mots ? - Verbes changeant

    17

  • de signification en devenant transitifs. - La force tran-sitive est ce qui donne la phrase lunit et la coh-sion. - Comment lancien appareil grammatical estdpouill de sa valeur originaire. 194

    La Contagion

    Exemples de contagion. - Les mots ngatifs enfranais. - Langlais but. -Le participe pass actif. - Laconjonction si.. 205

    De quelques outils grammaticaux

    Le pronom relatif. - Le verbe substantif. - Lesverbes auxiliaires. 210

    Lordre des mots

    18

  • Pourquoi la rigueur de la construction est en rai-son inverse de la richesse grammaticale. - Do vientlordre de la construction franaise. - Avantages dunordre fixe. - Comparaison avec les langues modernesde lInde. 217

    La logique du langage

    De quelle nature est la logique du langage. - Com-ment procde lesprit populaire.. 224

    Llment subjectif

    Ce quil faut entendre par llment subjectif. -Comment il est ml au discours. Llment subjec-tif est la partie la plus ancienne du langage. 234

    Le langage ducateur du genre humain

    19

  • Rle du langage dans les oprations de lintelli-gence. - O rside la supriorit des langues indo-europennes. 245

    Quappelle-t-on puret de la langue 259

    Lhistoire des mots.. 279

    La linguistique est-elle une science naturelle ? 309

    Les commencements du verbe.. 332

    Librairie Hachette (1924)

    1. En crivant ceci, je pense toute une srie delivres et darticles tant trangers que franais. Le lec-teur se souviendra surtout du petit livre dArsne Dar-mesteter, la Vie des mots. Il est certain que lauteura trop prolong, trop pouss fond la comparaison,de telle sorte que par moments il a lair de croire ses mtaphores, dfaut pardonnable si lon pense lentranement de la rdaction. Jai t lami, leur viedurant, des deux Darmesteter, ces Avins de la philo-logie franaise, jai rendu hommage leur mmoire,et je serais dsol de rien dire qui pt loffenser. (Voir la fin de ce volume mon article sur la Vie des mots.)

    20

  • 2. Je signale lattention de mes lecteurs le rcenttravail de M. Victor Henry, qui, dun point de vue dif-frent, combat la mme erreur : Antinomies linguis-tiques.

    3. Schleicher avait dabord t destin ltat ec-clsiastique. Il avait ensuite t hglien.

    4. Dans mes Mlanges de mythologie et de lin-guistique, dans lAnnuaire de lAssociation des tudesgrecques, dans les Mmoires de la Socit de linguis-tique, dans le Journal des savants, etc.

    5. " Un souffle, scrie quelque part Herder, devientla peinture du monde, le tableau de nos ides et denos sentiments ! " Cest prsenter les choses en philo-sophe pris du mystre. Il y avait plus de vrit dansle tableau trac par Lucrce. Il a fallu des sicles etcombien defforts pour que ce souffle apportt unepense clairement formule !

    6. , la science des significations, du verbe , " signi-fier ", par opposition la Phontique, la science dessons.

    21