espr!t de babel 2

25
espr ! t de babel numéro été 2010 Culture des cultures à Marseille & ailleurs Vous n’avez vraiment pas l’art de faire des enfants 2

Upload: esprit-de-babel-culture-des-cultures-a-marseille-ailleurs

Post on 15-Mar-2016

215 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Vous n'avez vraiment pas l'art de faire des enfants

TRANSCRIPT

Page 1: espr!t de babel 2

espr!t de babelnuméro été 2010

Culture des cultures à Marseille & ailleurs

Vous n’avez vraiment pas l’art de faire des enfants

2

Page 2: espr!t de babel 2

Dessin autour d’une photographie de Lee Frielander (New-York, 1968) réalisé par Marguerite, 7 ans, dans le cadre du « Panier des enfants » proposé par les Ateliers de l’Image, Marseille.

E2B

Page 3: espr!t de babel 2

espr!t de babelnuméro été 2010

Culture des cultures à Marseille & ailleurs

Vous n’avez vraiment pas l’art de faire des enfants

2

« mOI, J’AImE

m’ENDORmIRAVEC DE LA

mUSIQUE PARCE QUE çA

ADOUCIt LES NERfS. »

ALEXIA, 7 ANS

Page 4: espr!t de babel 2

mmaire« Les enfants ont droit au beau » 5-6

Ambition Culture à Arenc Bachas 7L’art à tout prix ? 8

L’éducation artistique et culturelle : des discours à la réalité 9-10Blog et activité manuelle 11

Paroles 12Regard du milieu 13-14

Kiyetvoo ? 15Pour une politique culturelle de la petite enfance 16

Citations 17-18Haïkus photographiques 19-20

Voir, observer et imaginer 21-22Le musée des enfants s’expose 23

Soutien et abonnement 24

Fatigué par les livres ? Nul à la danse ?

Mauvais à la trompette ? Complexé au judo ?

Inscrivez-le plutôt à

AspiCosmos...et joignez pédagogie et amusement.

Ne le privez pas d’une telle chance de voir enfin ses aspirations se concrétiser. Offrez à votre protégé deux heures hebdomadaires de conquête spatiale de la propreté en compagnie de notre équipe d’astronomes passionnés et de techniciens de surface sur-diplômés.

C’est vous qui choisissez, pas lui !

Coup

on d

’inscrip

tion

à As

piCo

smos

Votre

nom

----

------

------

------

------

------

---- Votre p

réno

m ---

------

------

------

- Ad

resse

comp

lète

------

------

------

------

------

------

------

------

------

------

------

-----

Prén

om d

u ou

des e

nfan

t(s) -

------

------

------

------

------

------

------

------

------

---A-

t-il o

u ell

e dé

jà un

e ex

périe

nce

dans

une

activité

sim

ilaire

?

(AutoC

ambo

uis,

Plou

f&Plon

ge...)

o

ui

non

Quel

est v

otre ty

pe d

’habitatio

n ?

carav

ane/

T1

T2/

T3

T4

ou

+

T4

ou

+ lu

mine

ux

m

aison

individu

elle

avec

terrain

pige

onnier/m

oulin

dive

rsà

retour

ner da

ns u

n en

velop

pe p

ropre

à : L

ézar

ds d

u M

énag

e BP

130

03

« ...une véritable guerre des étoiles de la poussière, ou une guerre des moutons, devrait-on dire. Engagez-le ! » La Manche à Air Dimanche

« Enfin une activité qui réconcilie les enfants et les Arts ménagers. » La Yaourtière du Centre

publ

i-com

mun

iqué

facé

tieux

com

mis

par

Beno

ît Pa

quet

eau

espr!t de babel 2 Quasitrimestriel gratuit diffusé à Marseille et aux alentours (soutien/abonnement en dernière page)édité par l’association Les Bancs Publics* lieu d’expérimentations culturelles 3, rue bonhomme - 13003 Marseille http://lesbancspublics.com - +33(0)4 91 64 60 00

Rédacteur en chef Guillaume QuiquerezMaquette & administration du blog Benoît PaqueteauComité de rédaction de ce numéro Pascal Bély consultant Cabinet Trigone et blogueur / Emmanuelle Bonthoux professeur de français au lycée Diderot / Valérie Costa directrice artistique de la compagnie de danse 2b2b Rémy Duthérage directeur de la Maison Pour Tous Panier-Joliette / Nicolas Ferrier chargé de cours médiation culturelle à l’Université de Provence / Christine Guichou art-thérapeute / Olivier Herbaut coordinateur de l’association de médiation Adélies / Nathalie Jaunet assistante sociale / Bernard Organini formateur à l’Institut Régional du Travail Social / Benoît Paqueteau chargé de projets aux Bancs Publics / Géraldine Pourrat chargée de mission culturelle 2éme & 3éme arrdts - Ligue de l’enseignement fAIL13 / Estelle Renavant administratrice des Bancs Publics /Anne-Laure Sarazin chargée de communication aux Bancs Publics Ce comité est ouvert à toute personne intéressée par le projet éditorial d’E2B. Contactez la rédaction !

Ont contribué de près ou de loin à ce numéro et en sont vivement remerciésPatrick Ben Soussan, Jean-Gabriel Carasso, Michelle Flizot, Erick Gudimard, Nathalie Guimard, Anne Massau, Didier Nadeau, Laurence Rossellini, Audrey Ruzafa, les élèves des collèges Belle de Mai, Prévert, Mallarmé et Giono, les participants au « Panier des enfants », les parents et les enfants croisés lors du micro-couloir. Crédits photographiquescouverture : dessin de Marguerite - pages 6, 19 & 20 : les Ateliers de l’Image page 7 : Rémy Duthérage - pages 9, 10, 11 & 24 : Benoît Paqueteau pages 12 & 13 : les enfants du « Panier des enfants » - page 15 : Fotokino pages 21 & 22 : les élèves des collèges Belle de Mai, Prévert, Mallarmé et Giono avec Didier Nadeau.

Pour contacter la rédaction du journal- écrivez-nous à [email protected] passez nous voir au 3 rue bonhomme 13003 Marseille (Belle de Mai)- téléphonez-nous au +33(0)4 91 64 60 00

espr!t de babel reçoit le soutien du Contrat Urbain de Cohésion Sociale de Marseille (Saint Lazare/Saint-Mauront/Belle de Mai).

Dépôt légal : juin 2010 / ISSN 2106-492Ximprimé à 10 000 ex par Rotimpres S.A. (Esp) sur papier 60gr/m2

assure une partie de la distribution d’E2B sur Marseille.

Page 5: espr!t de babel 2

03/04

Surtout, ne proposer aucune pratique arti tique aux enfants

(5 bonne raisons) éd

itori

alG

uilla

ume

Qui

quer

ez

1) çA S’EST FAIT TOUT SEUL *Votre enfant est un artiste-né. Vous le savez, et vous en avez

d’ailleurs la preuve : il chante, il dessine, et il joue la comédie à merveille, il vous ferait avaler n’importe quoi, sans parler de tout ce qu’il sait faire avec les couleurs sur l’ordinateur ; en somme, il est vraiment impressionnant. Un jour, il passera certainement à la télé. Apprendre, mais quoi, pourquoi ? Il a l’art inné.

2) IL EST ENCORE TROP TÔT POUR çA **Votre enfant est beaucoup trop jeune, vous le pensez fermement. Sans aller

jusqu’à dire qu’il en est encore, à sept ans, au stade du tube digestif amélioré, vous estimez que ce n’est pas le moment de l’embêter avec un cours d’éveil musical au conservatoire. Dans deux ans, peut-être (tout est dans le peut-être). En plus, votre enfant ne s’ennuie jamais, pas besoin de le distraire.

3) IL NE SERA JAMAIS TROP TARD POUR çA ***Vous avez appris, récemment, qu’un enfant sur deux a une espérance de

vie de cent ans. Cela vous a fait profondément réfléchir, et finalement vous en avez tiré la conclusion suivante : « mes enfants ont la vie devant eux. » Dès lors, vous avez subitement pensé au tutu de votre fille. Et vous êtes devenu capable de formuler LA question : pourquoi faudrait-il que je l’accompagne à la danse chaque mercredi à un horaire impossible, alors quelle pourra décider d’y aller toute seule quand elle sera grande (à l’âge de 18 ans, il lui restera plus de 80 ans à danser).

4) çA N’EST PAS VRAIMENT POSSIBLE ****

Variante 1 : votre enfant n’a vraiment pas le temps – la pratique artistique, c’est ce qui reste (c’est-à-dire rien) quand il a fait tout le reste.Variante 2 : c’est vraiment trop loin de votre domicile, ça ne vaut pas le coup. Variante 3 : c’est vraiment trop cher, vous n’en avez pas les moyens.

Sous-variante 3a : bon, en fait, vous avez tout à fait les moyens de vous acquitter des som-mes demandées pour le cours de théâtre, mais vous vous dites que vous préfèreriez nette-ment dépenser votre argent autrement.Sous-variante 3b : vous n’avez vraiment pas les moyens, c’est tout à fait exact.

Sous-sous variante 3b1 : vous n’avez pas les moyens, il existe des propositions gratuites pour votre enfant, mais pour une raison ou une autre, ça ne vous plaît pas du tout. Tenez bon. Quand ça plaît pas aux parents, ça plaît pas aux enfants, c’est connu.Sous-sous variante 3b2 : vous n’avez pas les moyens, et tout est vraiment trop cher.

Sous-sous-sous variante 3b2’ : vous n’avez pas les moyens aujourd’hui, et tout est vraiment trop cher aujourd’hui, mais vous êtes confiants pour la suite des événements, vous pensez que la crise mondiale est passagère, et que la France maintiendra à l’aise son AAA des agences de notation et empruntera sur les marchés à faible taux, ce qui lui permettra de subventionner mieux les activités culturelles, et tout particulièrement celles destinées à vos enfants qui deviendront à votre portée financière, d’autant que pour vous-même les prestations sociales et votre salaire vont être augmentés, à moins que vous ne travailliez pas auquel cas vous allez prochainement trouver un emploi bien rémunéré.Sous-sous-sous variante 3b2’’ : vous n’avez pas les moyens, tout est vraiment trop cher, et vous êtes assez pessimiste pour la suite des événements : vous pensez que la coupe dans les dépenses pu-bliques aura un effet systémique, qu’elle va d’abord affecter la consommation intérieure dans les pays de la zone €uro, qui n’est déjà pas au plus haut. Ce qui va affaiblir mécaniquement la monnaie unique, en soi ce n’est pas trop mal mais les perspectives de croissance ne dépendront alors plus que des marchés extérieurs, notamment ceux des états-Unis et de l’Asie, qui comp-taient en retour très fermement sur une reprise européenne pour consolider leur croissance.Votre scénario est donc celui d’une spirale déflationniste et récessionniste, par défaut de coor-dination des politiques nationales, dans un double cadre européen et mondial : en fait, vous ne voyez pas comment en sortir à court terme. En résumé, vous ne pensez donc pas envisageable de pouvoir proposer une éducation artistique à votre enfant en dehors de ce qui se passe à l’école (tiens, c’est vrai ça, l’éducation artistique à l’école… ?).

5) çA NE SERT À RIEN *****

* INTéRESSANTE** ASSEz CONVAINCANTE*** FORT JUSTE

**** TOTALEMENT EXACTE***** IMPARABLE

Page 6: espr!t de babel 2

En quoi cela peut-il être utile, voir fon-damental, dans le processus d’éducation d’un enfant, dans sa découverte du monde, de le confronter au spectacle vivant et à l’art en général ?

Je ne sais pas si il y a quelque chose de fonda-mental. Je crois que c’est très consubstantiel à la réalité même de la vie, ce n’est pas quelque chose qu’il faudrait proposer en plus ou autre-ment. Le petit enfant, dans le cadre de son développement, est agi à l’intérieur de lui par quelque chose qui fait spectacle constamment. La rencontre de l’humain avec le monde qui l’entoure est en soi un spectacle. (…)Le monde autour de l’enfant est à la fois très producteur de sens mais aussi d’énigmes et d’impacts sensoriels majeurs, il arrive là sur le modèle de l’explorateur nu : il découvre des choses qui pour lui sont l’originalité même.

D’où la question, peut-être crédule : pour-quoi alors emmener un tout petit devant une représentation de spectacle vivant ?

La question serait plutôt pourquoi ne le fait-on pas ? Pourquoi ne le fait-on pas plus assurément, pourquoi cela ne fait-il pas partie du réel et du quotidien de l’histoire de l’enfant ? Si l’on pense le spectacle comme faisant partie intégrante de la vie et inhérent même au développement du sujet, on ne peut plus se demander si il faut ou si il ne faut pas… C’est de l’ordre de la nécessité vitale. On ne peut pas ne pas y accéder parce que cela fait partie de la rencontre avec le monde. (…)

Chez le tout petit, il y a une vraie nécessité pour lui d’être constamment en éveil. C’est ce qu’on voit dans le développement des bébés, qui passent très vite d’une phase d’éveil actif où ils sont très communicants et recherchent la relation, à une phase où ils se mettent en retrait et s’endorment, par exemple.

La rencontre avec le monde, c’est ça aussi. On pourrait dire de la même façon que le spectacle vivant remplit cette fonction de maintenir en éveil les capacités propres de l’enfant et de tout humain. Il y a un type de spectacle contre lequel je m’élève habituellement, qui relève d’un effort de « crétinisation » de l’autre, où le premier

projet c’est d’endormir l’autre. C’est le même modèle des histoires qu’on lit le soir aux enfants, le rituel d’endormissement. On raconte une histoire pour qu’on puisse se séparer, alors que je dis à longueur de temps qu’il faut raconter des histoires aux enfants à d’autres moments que le soir, parce que les histoires ne sont pas faites pour endormir les enfants. ça ne peut pas avoir cette fonction-là. Et le spectacle vivant a, dans sa matière même, sa matière vivante, une vraie fonction d’éveil de l’autre. Et ça, c’est primordial dans le sommeil contemporain…

Le spectacle vivant c’est aussi la rencontre avec l’altérité, avec tout ce qui peut être autre. Il y a pour l’enfant un vrai besoin de familiarité, de tout le temps répéter le même type d’expérience, le fond sonore disons, et là-dessus, il lui faut des choses qui soient complètement différentes, en rupture radicale, mais qui ne peuvent être perçues et se faire entendre que parce qu’elles s’inscrivent dans ce fond habituel et sécurisant.

Je (Pascal Bély) me souviens vous avoir entendu parler, lors d’un colloque sur la petite enfance, d’une notion qui avait provoqué beaucoup de bruit dans la salle : la frontière qui existe dans le spec-tacle vivant et qui ne doit pas, selon vous, être dépassée. Or cette frontière semble devenir de plus en plus floue ces derniè-res années, notamment dans le spectacle jeune public. Est-ce que vous pourriez nous éclairer sur cette idée ?

Je crois qu’un des modèles explicatifs serait Françoise Dolto, avec la Maison Verte1. Dolto, au bout d’un certain temps d’expérience, a pensé qu’il y avait une nécessité de créer des lieux, qu’elle disait être des lieux de socialisa-tion. Pas des lieux thérapeutiques en soi, mais des espaces où parents et enfants pouvaient se rencontrer et partager ensemble des moments de dialogue, de jeux… La question qui était projetée derrière ce dispositif était celle de la

séparation et de l’entrée dans le monde social. C’est cette idée que l’enfant n’est pas prêt a priori à rentrer dans le monde social, c’est quel-que chose qu’il doit apprendre et le parent ou le professionnel a une vraie responsabilité dans ce champ-là.

Dolto évoquait la nécessité de poser un certain nombre de cadres dans ce dispositif d’accueil : elle avait recours à un mode de détermination qui consistait simplement à tracer à la craie, au sol, une limite entre l’espace réservé aux tout petits et l’espace réservé aux plus grands. (…)

Dans le spectacle vivant, il y a cette rencontre avec quelque chose qui vient symboliser diffé-rents espaces. Il y a des individus qui sont dans un espace, qui témoignent, qui transmettent à d’autres individus qui sont dans un autre espace. Il ne peut pas y avoir de confusion de genre et d’espace, parce que cela attaque cette symbolique-là.

Ferenczi, un psychanalyste hongrois qui a écrit un texte très intéressant qui s’appelle Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, dit que la langue qu’emploie l’adulte n’est pas du tout la même que la langue qu’emploie l’enfant. Du côté de l’enfant, il parle de la langue de la tendresse, et du côté de l’adulte, de la langue de la passion. C’est à dire que la charge que nous mettons, nous, dans le langage est très sexuée, qu’on le veuille ou non. Tandis que l’enfant, lui, n’a pas encore cette compréhension.

Dans la rencontre d’un enfant avec le théâtre vivant, il y a d’un côté quelque chose qui, immanquablement, est de l’ordre de la passion, ne serait-ce que la passion des acteurs pour leur métier, et de l’autre, il y a l’enfant, qui vit dans un autre monde. Freud disait qu’il y a deux dif-férences capitales dans le développement, c’est la différence des sexes et la différence des âges. Un homme n’est pas une femme et un adulte n’est pas un enfant. La rencontre des deux, ça s’appelle l’inceste. ça ne peut pas se confondre.

Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre, responsable du département de psychologie clinique à l’institut Paoli-Calmettes à Marseille. Outre ses nombreuses activités en tant que chercheur, intervenant et formateur, il dirige la revue Spirale / La Grande Aventure de Monsieur Bébé et la collection Mille et Un Bébés ; il a publié plu-sieurs ouvrages dont Les bébés vont au théâtre (Toulouse, érès, Coll. Mille et Un Bébés, 2007). Vice-président de l’Agence Nationale des Pratiques Culturelles autour de la Littérature Jeunesse (Quand les livres relient), il a également présidé le théâtre Massalia, à Marseille, de 2004 à 2008.

« Les enfants ont droit au beau

Il faut raconter des histoires aux enfants à d’autres moments que le soir, parce que les histoires

ne sont pas faites pour les endormir.

P édopsychiatre et fin connaisseur du théâtre jeune public, Patrick Ben Soussan ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de défendre cette expérience inhérente au

développement de l’enfant : sa rencontre avec l’art. Extraits de notre entretien.

Page 7: espr!t de babel 2

« Les enfants ont droit au beau

Je rappelle toujours la formulation de l’Abbé Pierre lorsqu’on lui demandait ce qui était primordial pour aider les personnes du quart-monde, qui vivent dans une misère extrême, il disait « amenez-les au musée ».

05/06

Il faut être attentif à ces aspects de confusion qui peuvent être générés autour de ces espa-ces-là, où tout à coup, il n’y a plus cette garantie de ce qui fait fonction dans le cadre même du spectacle vivant, c’est-à-dire d’apprendre à vivre ensemble.

Et d’après vous, que cette frontière soit franchie si fréquemment dans le specta-cle vivant aujourd’hui, qu’est-ce que cela dit des artistes et des professionnels ?

Je pense que le spectacle vivant et notamment celui destiné aux plus petits, est d’une difficulté et d’une exigence extrême et que l’on ne devient pas sorcier dans ce domaine-là en trois coups de cuillère à pot. Il y a énormément de gens aujourd’hui qui deviennent des théâtreux de la petite enfance et qui tout à coup s’autorisent cette parole-là. Et je crois que c’est redoutable. On rentre là dans le monde de l’argent, de la consommation, pour le dire vite.

Mais il ne s’agit pas que de ça, c’est aussi l’image de la publicité du Comptoir des cotonniers, celle de la mère et la fille qui portent les mêmes vêtements, partagent les mêmes goûts. C’est comme le bébé Cadum d’il y a cinquante ans : entre maman et bébé, lequel a la peau la plus douce ?... C’est une idée très actuelle du « on

est tous copains, on est tous pareils et il n’y a pas de conflit…» Ce n’est pas possible ! On ne peut pas jouer le Mahâbhârata2 pour des enfants de deux ans ! ça n’a pas de sens ! Qu’on le fasse à Avignon pendant six heures, avec une soupe au milieu, pour des adultes qui pensent et qui ne sont pas n’importe lesquels, d’accord, mais ce n’est pas pensable pour un tout petit.

On peut faire des trucs incroyables avec un tout petit, c’est très facile de charmer un petit enfant, de faire en sorte qu’il vous regarde ébahi avec

de grands yeux. Le modèle de l’hypnotiseur de l’enfance, tout le monde y arrive, c’est Nicolas et Pimprenelle…

Là aussi il faut se méfier de cette construction qui consiste à dire que les enfants savent très bien quelle est la qualité des spectacles. Il n’y a que des adultes très intellectualisés pour dire des choses pareilles ! Les enfants prennent tout ce qui vient ! Ils s’intéressent à la merde la plus parfaite ! Il faut arrêter de dire qu’ils sont sensibles à la qualité littéraire, à la qualité du jeu des acteurs… Tu parles ! Ceux qui ont été éduqués à cette réalité-là, d’accord. Ceux qui ont pu comprendre que d’un côté il y avait ceci et de l’autre cela. Et que peut-être cette chose-ci est plus intéressante que celle-là. C’est comme lorsque vous avez goûté à un vin raffiné, le jour où vous rebuvez de la piquette, vous ne sentez plus le même goût.

De la même façon, il y a ce modèle qui consiste à dire qu’il faut laisser l’enfant monter sur scène après le spectacle, voir les rouages, on lui dit « tu peux toucher », parce que l’on sait que la matérialité c’est important pour l’enfant. Or, non ! Tu ne touches pas ! L’interdit de tou-cher est une fonction première dans le dévelop-pement du lien et dans le lien symbolique avec l’autre. Quand sur la scène des choses se jouent,

ces choses-là sont transfigurées, elles ne sont plus des objets. Rompre cette dimension sacrée, en révélant ce qui se passe derrière, c’est comme si le prestidigitateur montrait ses tours…

C’est la même chose lorsque l’on veut expliquer aux enfants, à la sortie d’un spectacle ou d’un musée, le sens de chaque geste, de chaque répli-que ou de chaque coup de pinceau. L’oeuvre d’art parle d’elle-même ! Ce qui est intéressant d’apprendre aux enfants, c’est une lecture subtile de l’oeuvre d’art.

L’enfant apprend par l’expérience, c’est-à-dire qu’il faut que cela passe par le corps pour pouvoir être signifié et prendre du sens. Chez les enfants, le champ de la pensée ne peut pas être extériorisé du champ corporel et du champ des émotions.

D’où des cris, des pleurs parfois… et quand un professionnel veut faire taire le public pendant une représentation…

Cela n’a pas de sens ! Un enfant qui ne témoi-gne pas de son ressenti au niveau corporel, ça n’a pas de sens. Lorsqu’un enfant reste scotché devant un spectacle sans bouger, il faut s’in-terroger sur la qualité du spectacle. Dans ce modèle de l’adhésivité, on colle totalement à la réalité de ce qui se fait, il n’y a pas d’espace entre les choses, donc il n’y a plus de place pour la pensée. C’est de l’ordre du charme des sorcières : vous êtes fasciné, hypnotisé, mais vos capacités de penser sont endormies.

Les enfants ont droit au beau. De quel droit on leur interdirait cette rencontre avec le beau, qui est une rencontre phénoménale, qui crée du lien, de l’émotion, de la pensée. Je rappelle toujours la formulation de l’Abbé Pierre lorsqu’on lui demandait ce qui était primordial pour aider les personnes du quart-monde, qui vivent dans une misère extrême, il disait « amenez-les au musée ». Parce que le musée recèle de cette notion du beau à laquelle ils ne seront jamais confrontés.

Entretien mené par Anne-Laure Sarazin et Pascal Bély pour E2B.

1 Françoise Dolto, pédiatre française (1908-1988), a créé, en 1979 à Paris, La Maison Verte qu’elle définissait « non comme une crèche mais comme un lieu de rencontre et de loisirs pour les tout-petits avec leurs parents. »2 Le Mahâbhârata est une épopée sanskrite de la mytho-logie hindoue, souvent considéré comme le plus grand poème jamais composé (plus de cent vingt mille strophes).

://à lire sur esprit2babel.net :« Ce que Pinocchio nous dit de l’enfance en général et du théâtre jeune public en particulier » par Patrick Ben Soussan

»

Page 8: espr!t de babel 2

Le collège Arenc Bachas a mis en place un pôle d’excellence Art et culture dans le cadre du dispositif de l’éducation natio-nale, Réseau Ambition Réussite. En quoi consiste cette spécificité pour l’établisse-ment et dans votre travail d’enseignante référente ?

Un Réseau Ambition Réussite implique un collège et les écoles maternelles et primaires qui lui sont rattachées. Partant du constat des grandes difficultés éducatives rencontrées dans ces établissements, des objectifs communs ont été définis : maîtrise de la langue, lutte contre la violence et aide au passage vers le lycée. Des moyens supplémentaires sont affectés dont quatre professeurs référents et neuf assistants pédagogiques. Ce dispositif permet un travail interdisciplinaire à l’intérieur des établissements et développe des projets ouverts sur la ville. Nous faisons, en effet, de nombreuses sorties dans Marseille, ce qui offre une grande richesse de sujets exploitables en cours.

Quels sont les projets que vous menez avec vos élèves ?

J’ai une prédilection pour l’architecture, son histoire et ses réalisations actuelles. Les projets se déclinent de multiples façons. Nous partons du « rêve d’architecture » : à partir de l’étude de l’évolution de l’habitat, les élèves sont amenés à dessiner les plans puis à réaliser la maquette d’une maison imaginaire, selon un thème particulier.

Cette année, il s’agit de tenir compte des qualités des quatre points cardinaux pour choisir les matériaux adéquats, une façon d’aborder les problématiques environnementales. Les maquet-tes font ensuite l’objet d’un concours interne au collège.

Un deuxième projet consiste à visiter et photo-graphier les chantiers d’architecture de la ville. Le but est de « fabriquer des questions » autour des clichés réalisés, allant du choix de la prise de vue à la perception et à la compréhension des projets de construction. Les élèves du col-lège Arenc Bachas s’orientent pour la plupart vers des filières techniques en rapport avec le bâtiment. C’est une occasion de découvrir la diversité des métiers associés à ce domaine et de susciter une plus grande ambition. Les fonctions techniques sont généralement du côté des répon-ses ; nous permettons à ces jeunes de prendre le temps de chercher les questions sur les enjeux de ce monde, sans obligation de résultats. Les photographies sont développées en posters de grand format et accompagnées de ces questions, comme Que représente pour vous la grandeur ? être en sécurité ? ou dominé ? Peut-on faire des architectures autres que contemporaines aujourd’hui ?

Nous participons aussi au projet de théâtre de l’établissement en imaginant et fabriquant les costumes et les décors. Ce n’est pas la réalisation d’un spectacle qui m’intéresse ici mais plutôt la notion de « théâtre en chantier ». Nous travaillons, à partir de textes choisis en cours de français, sur la création de maquettes originales et pour cette année, les vers du Cid de Corneille seront habillés d’une bâche bleue de chantier, depuis le sol jusqu’aux vêtements des récitants...Il me semble pertinent de proposer aux élèves du collège Arenc Bachas une approche des arts plastiques qui soit reliée aux arts appliqués. Nous avons d’ailleurs reçu la commande, de la part de la direction du collège, de la création d’un logo pour la représentation du bassin d’éducation Marseille Nord et utilisons pour cela les techniques informatiques dont nous dispo-sons. Un élève a intégré l’an dernier la classe d’Arts appliqués du lycée Diderot.

Depuis la mise en place du dispositif Réseau Ambition Réussite en 2007, le principal du collège, Jean-Marie Manzon, note chez les collégiens « la découverte du plaisir d’apprendre », une évolution qualitative de la vie au collège et des pro-grès en terme de résultats, 15 % de plus

de réussite au brevet, une diminution du taux d’absentéisme et du nombre d’inci-dents dans le collège. Comment, à votre avis, l’éducation artis-tique participe-t-elle de cette évolution ?

Les progrès ne se font pas forcément là où on les attend. Le « bricolage » réalisé dans la classe d’arts plastiques peut favoriser un déclic dans le cours de français, et ainsi de suite… La production artistique requiert le calme et la concentration, sur lesquels un travail est tout à fait nécessaire, pour parvenir à l’expression des élèves. Leur valorisation reste la finalité.Par ailleurs, le souci du projet professionnel des élèves nous pousse à leur donner le plus d’opportunités possibles pour s’ouvrir au monde environnant. L’exposition régulière de leurs réa-lisations est déjà un pas important ; l’expression artistique devient leur projet, un moyen d’aller, à travers le public, à la rencontre de l’autre.

Entretien réalisé par Géraldine Pourrat et Rémy Duthérage pour E2B.

Ambition Culture Arenc BachasRencontre avec Anne Massau, enseignante en arts plastiques au collège Arenc Bachas Marseille 13ème

Le Réseau Ambition Réussite du bassin Marseille-Littoral-Nord comprend 17 collèges dont Arenc-Bachas. 253 collèges en France font partie du Réseau Ambition Réussite.

Page 9: espr!t de babel 2

âge duréehebdo

tarif trimestriel

adhésionannuelle

Atelier Création Couleur enfants/ados 2h 118€ 25€

Art Médiajusqu’à 14

ans1h30 145€ 30€

Centre social Julien- de 6 ans6 à 12 ans13 à 16 ans

1h301h301h30

70€77€96€

17€

Centre social Bonneveine6 à 9 ans

10 à 12 ans13 à 17 ans

1h151h151h30

90€90€90€

19,50€

L’atelier d’Anna 5 à 12 ans 1h 60€ -

L’atelier d’Annabelle 3 à 15 ans 1h 105€ 40€

MPT Corderie 6 à 12 ans 1h 77€ 17€

MPT Les 3 Lucs5 à 7 ans7 à 11 ans

1h151h15

86€86€

17€

L’atelier couleur4 à 6 ans7 à 11 ans

2h302h30

200€200€

-

La Maman du Poisson2 à 5 ans5 à 14 ans

1h1h

90€90€

40€ /famille

Atelier Bardy 7 à 12 ans 2/3h 210€ 40€

Les Bricolos3 à 5 ans6 à 10 ans

1h1h30

84€96€

23€

La pratique des arts plastiques

L’ à tout prix ?Panorama non exhaustif du coût de trois pratiques artistiques

enfantines à Marseille

âge duréehebdo

tarif trimestriel

adhésionannuelle

Maison de quartier de Luminy 8 à 12 ans 1h30 70€ 9€

Carré Rond enfants/ados 1h30 90€ 10€

Les Argonautes6 à 9 ans

10 à 15 ans1h301h30

90€90€

20€

Le Petit Merlan7 à 11 ans12 à 15 ans

2h2h

114€135€

-

Carpe Diem7 à 11 ans

ados1h151h30

20€20€

-

Le Creuset des Arts à partir de 7 ans 1h 185€ 30€

Théâtre Marie-Jeanne7 à 11 ans12 à 16 ans

1h302h

75€99€

23€

La Ferronnerie4 à 6 ans7 à 11 ans12 à 16 ans

1h1h301h30

90€90€90€

10€

Badaboum Théâtre

4 à 6 ans7 à 9 ans

10 à 12 ans

13 à 18 ans

1h1h1h

ou 1h301h30

84€84€84€96€120€

25€

Atelier Imago

4 à 6 ans7 à 9 ans

10 à 12 ans13 à 16 ans

1h1h1h1h

66€66€66€66€

30€

L’Antidote6 à 9 ans

14 à 18 ans1h2h

126€126€

11€

MPT Bonneveine6 à 8 ans9 à 12 ans

1h151h15

78€78€

19€

Divadlo Théâtre

4 à 6 ans7 à 9 ans

10 à 12 ans13 à 16 ans

1h1h151h151h30

90€90€90€102€

18€

La pratique du théâtre

tarif normal par enfant

tarif scolaire ou groupe par enfant

Théâtre Massalia 6€ 4€

Badaboum Théâtre 8€ 5€

La Baleine qui dit «vagues» 7€ 5€

Théâtre de la Girafe 7€ 5€

Carpe Diem 6€ 4€

Théâtre de Lenche 6€ 4€

Divadlo Théâtre 6€ ou 7€ nc

Théâtre du Têtard 6€ 4€

Théâtre Marie-Jeanne 7€ 5€

Théâtre de la Ferronnerie 5€ 4€

Théâtre de l’Astronef 3,5€ 3,5€

La pratique de spectateur

07/08

Page 10: espr!t de babel 2

Le thème de l’éducation artistique occupe désormais une place importante dans les débats sur la culture. Quelle est la raison de cet

engouement verbal ? Effet d’annonce ou réalité ? J.-G. Carasso nous livre une lecture de l’histoire, de l’actualité et l’avenir possible de ce qui fut d’abord une utopie.

Lorsque l’on parle d’éducation artistique et culturelle, tout le monde comprend mais chacun ne met pas la même chose derrière les mots. D’où un certain nom-bre de malentendus. S’agit-il d’enseignement ou d’éducation ?

L’enseignement relève, pour l’essentiel, du savoir à transmettre, du programme, de l’ap-prentissage et du contrôle final pour mesurer si les savoirs ont été effectivement acquis par l’élève. L’enseignant, en général, connaît la réponse à la question qu’il pose. La démarche d’éducation est bien plus large et souvent plus incertaine. Il ne s’agit plus de connaître la bonne réponse à la question posée, mais d’acquérir la capacité à se poser soi-même les bonnes questions et à rechercher la diversité des réponses possibles. Alors que l’enseignement est principalement centré sur la transmission du savoir, l’éducation s’attache à la construction de la personnalité.

Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, de la gauche à la droite, voire à l’extrême droite, tous les programmes des candidats en matière de politique culturelle reprenaient peu ou prou la problématique de l’éducation artistique et culturelle. Quelles sont les raisons d’une telle unanimité ?

La première nous sera la plus favorable : grâce à la mobilisation ardente et durable, depuis quarante ans, de plusieurs générations d’enseignants, d’artistes, de médiateurs, de responsables éducatifs et culturels, d’élus, de militants associatifs, ces idées ont fini par s’imposer dans les esprits.

La deuxième raison, je crois, est la prise de conscience des limites des politiques publiques de l’art et de la culture dans notre pays. En gros depuis Malraux1, il y a eu l’idée, née pendant la résistance, de développer des activités artistiques et culturelles pour ne plus avoir affaire à la barbarie nazie. On a donc installé partout des théâtres, des musées, des centres photographiques, des bibliothèques, en pensant que cela permettrait à l’ensemble de la population d’élever son niveau culturel et son niveau de conscience civique, pour ne pas dire politique. Et puis, à partir des années 80, des enquêtes très précises ont été menées par le département des études et de la prospective du ministère de la Culture, qui ont démontré ce que Pierre Bourdieu2 avait expliqué bien avant, à savoir que « le désir de culture est un désir cultivé », c’est-à-dire que tous ces dispositifs ne concernaient en gros que 20% de la popula-tion. On prend alors conscience qu’il faut aller former les enfants, dès le plus jeune âge, à

s’approprier ces outils que l’on a mis quarante ans à mettre en place.

La troisième raison est éducative. Au sein de l’éducation Nationale, certaines personnes ont commencé à repenser la place de l’art et du sensible par rapport au raisonnement cartésien bien français, en considérant que leur accorder une plus grande place dans le processus éduca-tif, permettrait une nouvelle pédagogie, une nouvelle relation au monde et que cela lutterait contre l’échec scolaire. Ce petit courant a essayé de valoriser ces outils en arguant qu’ils permettraient de résoudre, non seulement les questions de politiques culturelles, mais aussi une partie des questions liées à l’échec du système scolaire.

Une quatrième raison peut être ajoutée, de nature plus sociale. Les émeutes de décembre 2005 dans les banlieues de nos villes ont montré combien les questions du lien social et de l’intégration se trouvaient, chez nous, particulièrement vives. Face à cette situation explosive, la tentation est grande de recher-cher tous les moyens d’un retour au calme, à la concorde, au dialogue, à la civilité. Les

sports et les arts sont alors convoqués pour la paix sociale. L’éducation artistique et cultu-relle, à l’école mais également dans les quar-tiers, les associations, les centres de vacances, est aussi un outil majeur d’expression de la jeunesse et d’intégration sociale. Du moins l’espère-t-on.

Mais plus profondément, je crois qu’il y a une autre raison qui place l’éducation à l’art et à la culture au cœur des débats actuels. Elle touche à la mutation anthropologique pro-fonde que traversent nos sociétés. Nombre de points de repère ont disparu : la famille se décompose avant de se recomposer, le travail n’existe plus pour tout le monde, la religion est désinvestie ou sur-investie dans tous les inté-grismes, le territoire ne connaît plus ses limites, les frontières se dissolvent, la nation elle-même se perd dans les multiples métissages… J’en passe ! Tout est remis en cause en ce début de siècle.

Dans ce contexte, deux éléments majeurs sont aujourd’hui questionnés. D’une part, l’édu-cation : à savoir qu’est-ce que l’on transmet à nos enfants et avec quelle pédagogie ? D’autre part, la culture : à savoir qu’est-ce que l’on par-tage ? Entre nous, entre peuples, entre nations, entre générations ? L’éducation artistique et culturelle apparaît donc comme une réponse possible, au carre-four des enjeux de la période.

L’éducation n’est pas un savoir que l’on transmet, c’est une expérience que l’on partage.

://à écouter sur esprit2babel.net :L’intégralité de l’intervention de J-G Carasso lors de la journée sur l’éducation à l’image organisée par les Ateliers de l’Image.

L’ ducation artistique des discours

Page 11: espr!t de babel 2

et culturelle : à la réalit

Et quels sont les enjeux pour les années à venir ?

Le premier enjeu, c’est le paradoxe d’aujourd’hui, c’est-à-dire d’un côté les dis-cours formidablement ouverts, qui formulent que l’éducation culturelle et artistique est une priorité nationale, et de l’autre, la réalité, avec les crédits coupés, la réduction de l’école à 4 jours qui n’offre plus le temps pour les activités artistiques et culturelles, les formations en IUFM sabrées, etc. On prétend faire de la quantité au détriment de la qualité du travail. La tentation est grande aujourd’hui de généra-liser ces pratiques dans l’ensemble de la scola-rité. On veut les généraliser, mais on n’a pas les moyens ni financiers, ni humains, ni même intellectuels de le faire à court terme.

Je dis souvent que la politique, c’est comme la photographie : il y a deux moyens de la rater. On peut la rater en étant sous-exposé ou en étant sur-exposé. Pendant des années, ces activités étaient largement sous-exposées, expé-rimentales, et puis sont arrivés les politiques en disant « on va généraliser ces pratiques », et on est alors passé en sur-exposition. Il y a plein de bon vouloir mais sans aucun moyen, et pire, on coupe les formations. Or, plutôt que de généraliser, il faudrait développer. C’est à dire prendre progressivement ce qui existe, l’élargir, l’approfondir, et petit à petit, les choses se feront. Si on décide de passer d’un seul coup de l’expérimentation à la généralisation, on est sûr de se planter.

Deuxième enjeu : comment assurer en priorité la qualité du travail accompli, c’est-à-dire la qualification de tous les acteurs concer-nés (enseignants, chefs d’établissement, artistes intervenants, médiateurs…) ? Aucune politique de l’éducation artistique et culturelle ne saurait être cohérente et efficace sans une priorité absolue accordée, dans les années qui viennent, à la formation.

Un troisième enjeu tient aux récentes décisions qui imposent un « enseignement de

l’histoire des arts » de la maternelle à l’univer-sité et, dans le même temps, réservent les pratiques artistiques aux seuls élèves volontai-res. On observe alors un double mouvement : « scolariser » le savoir théorique et « déscolari-ser » les activités pratiques. Comme si l’on décidait d’abandonner le sport à l’école pour le remplacer, désormais… par l’histoire des sports ! À travers ces décisions, c’est le sens même de l’éducation artistique et culturelle qui est en cause.

Enfin, comment faire exister un vrai débat public sur ces questions ? Dans les médias, tout ce travail est quasiment invisible. Je pense qu’une première réponse est qu’il faut bien avoir conscience qu’il s’agit là d’une véritable bataille, idéologique, institutionnelle, parfois politique, et qu’on ne la gagnera que si on y arrive collectivement.

Quel serait l’idéal, lorsque l’on parle d’éducation artistique et culturelle ?

Pour moi, l’idéal serait de marcher sur les trois pieds.

D’abord il faut faire. Il n’y a pas d’art sans activité. Je n’imagine pas que l’on puisse prétendre faire de l’éducation artistique sans qu’il y ait une activité qui engage le corps, la vision, etc.

Il faut aussi éprouver, se mettre à l’épreuve des œuvres, autrement dit il faut voir, écouter, assister, se confronter au travail des artistes pour qu’à un moment donné, cela provoque une émotion qui vous poursuivra toute votre vie.

Et le troisième pied dans l’éducation artisti-que, c’est qu’il faut réfléchir. Il ne suffit pas de

vivre une expérience, il faut se l’approprier, et pour cela, il y a mille façons, mais il faut travailler. Peut être commencer par ne rien dire, car cela est émouvant, ou peut-être que l’on se retrouve une semaine après pour en discuter, faire une activité pratique, ou faire un cours, cela dépend de l’âge, de l’expérience. C’est l’appropriation qui construit la personne. Si l’on cherche et que l’on trouve les mots pour parler de ce que l’on a vécu pendant l’expé-rience esthétique, cela donne sens à l’activité

artistique. Edgar Morin3 disait : « l’important n’est pas de tout connaître, mais d’être capable de faire le lien ». Si l’on permet à des adoles-cents, des enfants, ou même des adultes, de faire le lien entre leur vie, leur expérience personnelle et l’expérience esthétique que l’on mène ensemble, alors on a fait un travail d’éducation formidable. Si simplement on compte le nombre d’entrées pour dire combien d’enfants ont été touchés, on n’a rien fait du tout.

À nouveau, toute la question est l’équilibre entre ces trois pôles : comment faire faire, comment faire voir ou éprouver et quelle place accorder à la réflexion ?

* lors de la journée publique sur l’éducation à l’image organisée par les Ateliers de l’Image à Marseille le 2 avril 2010.

1 André Malraux (1901-1976), écrivain, il occupe la fonc-tion de Ministre d’état chargé des Affaires culturelles lors de la création de ce ministère en 1959.2 Pierre Bourdieu (1930-2002), sociologue français, il s’est penché sur l’analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales.3 Edgar Morin, philosophe et sociologue né à Paris en 1921, s’intéresse très tôt aux pratiques culturelles.

D’un côté, les discours formidablement ouverts qui formulent que l’éducation culturelle et artistique

est une priorité nationale, et de l’autre, la réalité...

Homme de théâtre, formateur, auteur, réalisateur de télévision, ancien directeur de l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale en milieu scolaire et universitaire), Jean-Gabriel Carasso milite depuis les années 60 pour l’art, l’éducation et la culture. Il a publié récemment Nos enfants ont-ils droit à l’Art et à la Culture ?, aux éditions de l’attribut.

09/10

Intervention* de Jean-Gabriel Carasso

Page 12: espr!t de babel 2

Sur vos écrans :http://www.esprit2babel.netle blog participatif du journal

eSPRIT2BABeL.NeT prolonge le journal en apportant des compléments textuels, sonores et visuels.Il est animé par le comité de rédaction du journal qui y publie des billets organisés en catégories et affichés dans l’ordre chronologique inverse.

eSPRIT2BABeL.NeT est agité et alimenté par vous, lecteurs et internautes concernés de près ou de moins près par les questionnements qui sont soulevés dans les articles. Vous êtes donc vivement invités à réagir au contenu du journal et du blog à l’aide des commentaires présents en bas de page ou en nous écrivant à [email protected]

Aussi, vous pouvez y feuilleter en ligne ou télécharger tous les numéros d’e2B.

< Accédez directement au blog en prenant en photo ce code QR avec votre téléphone portable.

Le code QR (Quick Response) est un code-barres en 2 dimensions, libre d’utilisation et généré gratuitement, qui vous permet d’accèder directement à du contenu numérique depuis un téléphone portable disposant d’une connexion à internet par exemple.

:////

Activité manuelle et familialedes badges gratuits à découper :

Page 13: espr!t de babel 2

11/12://

à écouter sur esprit2babel.net :le micro-couloir réalisé par Audrey Ruzafa : paroles d’enfants et de parents au cœur de leurs pratiques artistiques à Marseille.

La danse, j’aimais pas ça, mais j’étais obligée d’y aller.

Je ne peux pas mettre chacun de mes enfants dans une activité différente : l’un veut faire ci, l’autre veut faire ça... Il faut les emmener et aller les chercher. Je ne peux pas me partager en quatre.

Il ne faudrait pas non plus tomber dans la sur-activité. J’ai l’impression qu’à l’école ils font déjà pas mal de choses. Et c’est énorme le temps qu’ils passent à l’école.

D’un point de vue logistique, c’est compliqué quand on travaille, il faut trouver des activités le week-end. Et il faut être disponible... parfois c’est difficile.

Je me dis que ça peut être intéressant qu’elle voit autre chose que T’choupi !

Je choisis en fonction des thématiques. Des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir. Les films d’animation japonais ou chinois, ça fait une ouverture, ça change des dessins animés à la Dora.

Pour le cinéma et les spectacles, on choisit en fonction de ce qu’il y a. Il y a vraiment très peu de choses pour les tout petits.

Pour les petits, y’a des activités, mais pour les ados, y’a rien. Ou alors c’est payant.

La télé ça les rend fous.

Moi, j’apprends à ma fille à faire la cuisine parce que j’aime ça. Peut être que plus tard, elle décongèlera des pizzas...

Page 14: espr!t de babel 2

Photo-montages réalisés dans le cadre du « Panier des Enfants » proposé par les Ateliers de l’Image, 2006.

Page 15: espr!t de babel 2
Page 16: espr!t de babel 2

Nathalie Guimard

Quel métier exercez-vous ?Programmatrice, administratrice, médiatrice « cultu-relle », intervenante artistique... On peut réunir tous ces métiers sous le titre de directrice artistique pour l’association Fotokino*, principalement.

Quelles sont les motivations professionnelles qui vous ont conduite à développer cette démarche notamment auprès du jeune public et des tout petits ? Après avoir exercé diverses professions (libraire jeu-nesse, productrice audiovisuelle, agent de photogra-phe, programmatrice cinéma, coordinatrice pour des festivals, animatrice en centre de loisirs...), j’ai souhaité proposer moi même un nouveau projet de diffusion artistique en direction des adultes et des enfants, à Marseille. Il me semblait que cette ville l’attendait. et effectivement, ce projet enthousiasme de plus en plus le public et les professionnels.

Pouvez-vous nous parler des motifs personnels qui vous ont également poussée à agir ainsi ?L’envie de faire partager des univers artistiques qui me passionnent et me font rêver. Tenter de changer un peu le monde aussi...

Dans ce cadre, quel est votre meilleur souvenir ?J’en ai beaucoup mais je crois que ce sont les pre-miers pas de Laterna Magica, avec Vincent et Valérie, la première affiche, les premières expositions, les premières rencontres, les premiers échanges, la naissance de belles amitiés. et une projection avec seulement deux spectateurs, un père et sa fille, dont c’était la toute première séance... Je traduisais le film de l’allemand en français et le père traduisait en italien je crois... C’était dans la très belle salle du Miroir.

Et votre pire souvenir ?Le film Le roi et l’oiseau monté dans le désordre. L’horreur...

exposition Isidro Ferrer, galerie Montgrand

Laterna Magica 2009. DR Fotokino

Kiyet ?

* Créé en 2000 à Marseille, Fotokino propose tout au long de l’année, pour tous les publics, expositions, projections, ateliers et rencontres dans le champ des arts de l’image. Temps fort du projet de l’association, Laterna Magica est une manifestation qui a lieu tous les ans en décembre. http://www.fotokino.org

« mOI, J’AImE LE PEtIt LIVRE PARCE QU’IL y A UN CADEAU DEDANS. »

SARAh LUNA, 5 ANS

Page 17: espr!t de babel 2

On reconnaît une société évoluée au sort réservé aux prisonniers, aux fous… et aux bébés ! Sur ce dernier point, la France peine à développer une politique qualitative autour de l’accueil du tout petit et de sa famille, l’enfermant dans des logiques quantitatives, amplifiées par un décret actuellement en discussion au Sénat.

Nous sommes l’un des rares pays en Europe où la petite enfance est quasiment exclue de tout débat politique sur l’éducation comme si celle-ci débutait à la maternelle ! Et pourtant. Le premier rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française » publié en 2008, préconisait comme première mesure (parmi 300 !), « d’améliorer la forma-tion des éducateurs et éducatrices de crèche, des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre » parce que « l’acquisition de la confiance se fait pour les deux tiers de tous nos enfants, quels que soient la culture et le niveau social, lors des dix premiers mois, bien avant le début de la parole. Pratiquement tous les enfants épanouis se trouvent dans des milieux affectifs et sociaux stables : lorsqu’arrive l’âge de l’école, ils sont les mieux préparés à en profiter ».

Une politique de la petite enfance est donc un enjeu sociétal majeur alors que nous entrons dans la civilisation de la connaissance. Mais pour cela, il faut l’ouvrir à d’autres services publics, car le cloisonnement dessert le politi-que, et ne permet plus d’identifier ce qui fait « politique ». Il est urgent de traverser les fron-tières si l’on veut que l’altérité se substitue à la défiance et mette fin aux logiques corporatistes qui émiettent toutes les politiques publiques.

D’un autre côté, les professionnels de la culture ressentent le besoin de décloisonner leur stra-tégie de conquête des publics. L’articulation entre la culture et la petite enfance est promet-teuse si l’on en juge par le nombre croissant de participants lors de colloques sur le sujet (festival Reims Scène d’Europe en décembre

2009, journée organisée par la CAF de l’Isère en mars 2010, …) et les retours d’expériences d’acteurs engagés. Sur ce dernier point, saluons la politique volontariste de la Scène Nationale de Cavaillon et de la ville qui, en collaboration avec la compagnie Skappa !, ont depuis quatre ans mis en œuvre un projet autour de l’art et de la création à destination du monde de la petite enfance.

Invités à développer leur créativité en situation d’in-certitudes, à accueillir l’en-fant et sa famille, à s’ouvrir vers des réseaux, auxiliaires de puériculture, puéricul-trices, éducatrices de jeunes enfants trouvent dans l’art bien des ouvertures. Car l’enjeu est de communiquer sur les pratiques qui facilitent l’éveil culturel de l’enfant, de les rendre visibles au moment où les théories comportementalistes investissent le champ de la petite enfance.

Or, c’est vers l’autre différent que nous com-muniquons le mieux, où les finalités sont précisément décrites, bien plus qu’entre pairs. Cette ouverture vers les artistes et les structures culturelles positionne les professionnels sur des

dynamiques de développement, au-delà des logiques de diagnostic où la difficulté finit par faire sens.

Toujours soucieux de décloisonner les publics, les professionnels de la culture ont la possibilité de

créer des liens durables entre artistes, enfants, familles, éducateurs. Car les logiques qui visent à rechercher des pourvoyeurs de spectateurs les éloignent durablement du sens de leur métier. En acceptant de co-construire des projets artistiques, de médiation (et non de présenter une plaquette pour recruter), théâtres, centres chorégraphiques, lieux d’art contemporain approchent le spectateur en devenir dans un contexte élargi puisqu’il intègre la famille et ses éducateurs. C’est l’articulation entre ces différents langages qui crée pour chaque acteur un nouveau lien à la culture. C’est en apprenant ensemble à se connaître que se développent des processus durables de médiation avec des familles et des professionnels qui vont peu ou plus dans des lieux de culture.

D’autant plus que les artistes trouveront dans les structures d’accueil de la petite enfance la moti-vation pour s’engager dans un projet artistique participatif, un désir d’être accompagnés pour ressentir les processus de créativité et s’éloigner du positionnement peu enviable de consomma-teurs de spectacles collés au calendrier (Noël, Pâques et fin d’années).

En articulant « culture » et petite enfance, on pense le spectateur en mouvement. Ici, le lien se construit par la culture (et non plus seulement à partir de logiques normatives) et encourage une responsabilité partagée autour du tout petit. Le projet pédagogique n’est plus déconnecté de ce qui fait lien, les pratiques de guidance se substituent aux stratégies de prise de pouvoir où accompagner n’est pas surveiller.

Nous avons tous besoin de développer nos pratiques de coordination. Or, plus habitués à piloter du haut vers le bas, les projets complexes se nourrissent de maillages, d’amplification du collectif, d’intelligence par le réseau. Quand professionnels de la petite enfance, de la culture, du social et artistes co-construisent, ils trans-mettent au tout petit un mode de gouvernance qui le préparera à affronter les défis posés par la mondialisation. Et je formule un rêve : que les lieux d’éducation accueillent des résidences d’artistes. La croissance durable est à ce prix.

Pascal Bélyhttp://www.trigone.pro

http://www.festivalier.net

Pour une politique culturelle de l petite enf nce

En articulant culture et petite enfance, on pense le spectateur en mouvement.

E n France, la petite enfance est notoirement oubliée des débats sur la culture. Pascal Bély, consultant, spécialiste de la petite enfance et auteur d’un blog bien

connu sur les arts vivants, nous invite pourtant à penser qu’au plus jeune âge se joue une part conséquente du « désir de culture » de l’adulte en devenir. Serait-il urgent d’émanciper les bébés ?

15/16

On reconnaît une société évoluée au sort réservé aux prisonniers, aux fous… et aux bébés !

Page 18: espr!t de babel 2

LE DéSIRDE CULtURE

ESt UNDéSIR

CULtIVéPIERRE

BOURDIEU

Page 19: espr!t de babel 2

mOI, J’AImE JOUERDU PIANOPARCE QU’ILDONNEDE LA fORCE à mES mAINSLILIE, 8 ANS

Page 20: espr!t de babel 2

Les Ateliers de l’Image se définissent comme un centre de création contem-poraine et d’éducation à l’image. Qu’entendez-vous par éducation à l’image ?

Tout d’abord, image est un mot qui regroupe différentes pratiques et différentes perceptions. Quand on parle, on crée des images, sur un tableau ou au cinéma, on voit des images en deux plans et dans nos rêves, on se crée des images en trois dimensions, etc. L’éducation à l’image, c’est à la fois permettre d’avoir un meilleur recul par rapport aux images que l’on nous transmet en permanence et c’est aussi porter un regard sur soi et sur le monde. C’est une composante fondamentale de l’éduca-tion. Il s’agit de participer à la construction de la personne. Je m’occupe plus spécifiquement de photogra-phie. C’est un merveilleux moyen pour voir – ce qui n’est pas si évident qu’il y paraît – et quand on peut voir, on peut alors observer, et de là, penser et réfléchir. Voir, observer, penser – concepts qui ont été développés par August Sander1 et repris par Serge Tisseron2 – sont les trois mécanismes qui permettent d’arriver à faire évoluer les personnes dans leur rapport au monde. Et c’est particulièrement vrai chez les enfants. Par exemple, les enfants timides qui n’arrivent pas à aller vers l’extérieur, avec un boîtier photo-graphique ils vont tout de suite vers les choses, ils se tournent vers les gens. ça crée un lien entre eux et leur environnement, ça les déculpabilise un peu d’eux-mêmes et quand ils voient les images, ils regardent vraiment les choses avec attention.

De nos jours, cela peut paraître évident de dire que l’éducation à l’image est nécessaire parce que l’on vit dans un monde bombardé d’images. Pourtant, il est encore compliqué de mettre en place des systèmes d’éducation à l’image par la photographie. Pourquoi ?

Dans ce monde basé sur la communication, qu’exploitent non seulement les entreprises mais également la politique, l’analyse d’images amène

à questionner la société, ce qui peut être déran-geant. L’image, c’est ce qui marque, ce que l’on retient. C’est une vieille idée : « une image vaut mille mots ».

Qui l’enseigne aujourd’hui ?

Depuis quelques années, l’éducation à l’image fait partie des programmes à partir des classes de cinquième, par le décryptage d’images et principalement via la publicité. C’est une méthode assez scolaire et académique qui a ses limites dans la mesure où ceux qui l’enseignent ne sont pas forcément les mieux qualifiés pour le faire.De plus, si la photographie est du langage, ce n’est pas un langage. Dans l’enseignement scolaire, il n’y a pratiquement pas de méthodologie de l’éducation à l’image via la photographie, contrairement à ce qui existe pour le cinéma. Il y a donc un véritable vide, malgré une forte demande depuis une petite dizaine d’années.

Ce vide est-il comblé par le travail des associations ?

Il est comblé par les associations mais de façon très éparpillée. Il manque une coordination ou

un programme national, tel qu’il en existe pour le cinéma. En photographie, on est toujours devant le même écueil, c’est-à-dire que l’on travaille toujours sur des images facilement explicables, comme la publicité, alors qu’il y a tout un monde d’images qui échappe à ça.

Soit on reste trop dans le domaine de l’image expliquée et pas assez dans la pratique, soit on reste sur la pratique seule. Ce qui compte c’est d’allier les deux...

Comment expliquez-vous l’intérêt crois-sant pour l’éducation à l’image ces der-nières années ?

Les Ateliers de l’Image existent depuis 1996, et à cette époque, quand on a voulu proposer aux écoles des ateliers d’éducation à l’image, on se faisait envoyer balader parce que ce n’était pas le rôle des artistes de faire de l’éducation. Sur ce point, il est clair que le 11 septembre a eu des effets collatéraux… Ces images ont produit un tel choc, lié à une sorte de fascination malsaine, que, il me semble, ça a vraiment fait naître dans

Voir, observer et imaginer

« Une image vaut mille mots »

L’ éducation aux images apparaît aujourd’hui comme nécessaire. Au-delà du décryptage des

messages publicitaires, indispensable mais insuffisant, cette « éducation » constitue surtout une véritable modalité d’appréhension des complexités du monde et de soi-même : tel est le message porté par Érick Gudimard, photographe et directeur des Ateliers de l’Image à Marseille.

Page 21: espr!t de babel 2

l’inconscient collectif un besoin très fort d’expli-cations à l’image, et en même temps, une prise de conscience d’un manque absolu de recul par rapport à ces images. On a eu clairement une demande qui venait à la fois des parents et des enseignants. Ils ressentaient le besoin de donner

des outils aux enfants, de leur faire prendre des distances par rapport aux images, de faire en sorte qu’ils passent du stade de spectateur à celui d’acteur.

Est-ce compliqué de proposer à des enfants de s’asseoir devant une image et de l’analyser ?

ça peut être compliqué de leur faire compren-dre l’intérêt de la démarche mais ça peut être très jubilatoire : c’est ce qui ouvre des vannes dans le cerveau. En prenant le temps de décrire puis en essayant de dire ce qu’ils voient, les enfants se rendent compte que les choses sont possibles. Et ils vont même parfois beaucoup plus loin que tout ce que je peux imaginer

devant une image. La seule difficulté c’est de développer ce sens de l’observation, d’abord pour comprendre, ensuite pour analyser et après pour imaginer. Développer l’imaginaire sans cadre ne permet pas d’intégrer des notions liées aux différents stades de l’évolution de l’en-

fant : la spatialisation chez les petits, le déve-loppement de l’oralité, etc. Selon l’âge, on peut même faire rentrer des notions qui sont dans les programmes de l’éducation nationale : calcul, géographie, géométrie, etc. Et les enseignants peuvent très vite voir des changements dans les résultats scolaires des enfants. Par exemple, leur vocabulaire se développe, leur langage s’articule...

Selon vous, le flot d’images venu notamment de la télévision et d’internet a-t-il un impact sur l’imaginaire des enfants ?

C’est sûr qu’il y a des schémas très ancrés chez certains enfants, sur l’image d’eux par exemple.

Ce qui est bien pour réussir dans la vie : il faut être une star, passer à la télé, être dans le jour-nal, sinon ça n’a pas de valeur. Il y a des enfants qui me disent « vous n’êtes pas photographe, vous ne parlez pas à la télé »… Ce sont des schémas globaux sur toute la société, et pour en sortir très vite, il faut proposer d’autres modèles, extrêmement larges, riches, qui permettent de travailler à différents niveaux. C’est ce panel qui permet de montrer aux enfants qu’ils peuvent développer des choses différentes, s’épanouir et donc, se sentir capables. Capables de produire des choses, d’aller vers les autres, etc.Lors d’un atelier, quel qu’il soit, il ne faut pas que la finalisation perturbe l’objet de l’ate-lier. Le plus important, c’est le processus. Et aujourd’hui, on est de plus en plus confronté à une demande où ce qui compte, c’est le résultat et non le chemin.Il y a dix ans, quand j’ai réalisé mon premier atelier avec de très jeunes enfants, j’ai été boule-versé de voir qu’ils étaient capables de produire des images tout à fait étonnantes, qui nous questionnaient en tant qu’adultes, alors qu’en même temps, cette pratique leur apprenait à se confronter à la réalité. Cela a vraiment construit et fait évoluer nos pratiques d’atelier.

Propos recueillis par Anne-Laure Sarazin et Benoît Paqueteau pour E2B

1 August Sander (1876 - 1964), photographe allemand dont la démarche englobait photographie documentaire et recherche artistique.2 Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, travaille notamment sur les relations que nous établissons avec les images.

Photo-montages réalisés dans le cadre d’un atelier de photographie argentique proposé par les Ateliers de l’Image.

19/20

Situés en dessous de la place de Lenche au Panier, les Ateliers de l’Image proposent depuis 1996 des actions artistiques et pédagogiques en photographie.Cette structure est née d’un désir de comprendre et d’expliquerl’image photographique, de la montrer, d’en faire et de partager les bonheurs qu’elle procure.

Association Les Ateliers de l’Image28-38 rue Henri Tasso13002 Marseille04 91 90 46 76http://www.ateliers-image.fr

Il est clair que le 11 septembre a eu des effets collatéraux...

Page 22: espr!t de babel 2

Haïkus photographi es

Page 23: espr!t de babel 2

Cette année, pendant les vacances de février, des stages artistiques ont été organisés et les collégiens se sont confrontés à des disciplines comme le théâtre, le cinéma, la photographie et l’écriture. L’atelier de photographie, que j’animais, a été croisé avec un atelier d’écriture autour du haïku*, proposé par la plasticienne Michelle Flizot. Hayria, Houda, Katia, Maheva, Sara, Shina, Toihia, Brice, Florian, Ilyas, Johan et Thomas, élèves des collèges Belle de Mai, Prévert, Mallarmé et Giono, ont partagé leur semaine entre écriture et photographie. Pour cet atelier, j’ai souhaité aborder la photo-graphie contemporaine sous l’angle de la pho-tographie narrative, afin de questionner l’acte d’invention plutôt que celui de la ressemblance.Avant de franchir ce cap, il a été nécessaire de (re)travailler notre capacité à voir, pour nous permettre de mieux observer, afin de développer notre sens critique face au flot incessant d’ima-ges qui nous bombardent quotidiennement.

Il a ensuite été question de convoquer l’imagi-naire, ou plutôt de canaliser l’imaginaire des élèves, en réalisant des séquences photogra-phiques pour renforcer l’impact narratif et se

détourner du registre réaliste auquel on associe traditionnellement l’image.

Pour E2B, nous montrons deux phases du pro-cessus de création de ces séquences narratives. Dans une phase d’exploration, à partir d’un sujet imposé – une pierre –, nous leur avons proposé, d’une part, de multiplier les histoires ou narrations autour de cette pierre, et d’autre part, de rechercher toutes les possibili-tés de la photographier. D’abord interloqués et sans inspiration, ils ont ensuite été agréablement surpris par la longueur de leurs textes et par les infinies possibilités de prises de vue autour d’une simple pierre. Dans une seconde phase de construction, par-tiellement aboutie, les collégiens ont confronté et croisé leurs séquences photographiques et leurs haïkus, travaillés dans l’atelier d’écriture.Les résultats ont été présentés en public à la fin de la semaine sous la forme d’une projection des séquences photographiques, sur lesquelles les élèves ont déclamé fièrement leurs haïkus.

Le principe de la séquence narrative a été difficile à mettre en place, car les élèves étaient

souvent troublés par la complexité de la relation texte/image, et se laissaient vite submerger par le flot de leur imagination débordante. Mais à force d’avoir entrechoqué les images et les textes, de les avoir malaxés dans tous les sens, ils ont pris plaisir à jouer avec les mots. Seront-ils à l’avenir plus critiques à l’égard de l’expression « sage comme une image » ?

J’espère que cette expérience leur aura offert d’appréhender différemment l’image, en la percevant comme une représentation du réel. Ce ne serait déjà pas si mal.

* D’origine japonaise, le haïku est un poème extrêmement bref visant à dire l’évanescence des choses.

Photographies et compositions réalisées par Hayria, Houda, Katia, Maheva, Sara, Shina, Toihia, Brice, Florian, Ilyas, Johan et Thomas.

21/22

à l’école Centrale Marseille, le programme Échanges Phocéens propose des actions culturelles à destination de collégiens et lycéens scolarisés en Zone

d’Éducation Prioritaire, encadrées par des élèves ingénieurs (cf. E2B n°1).

Témoignage de Didier Nadeau, photographe indépendant, à propos d’un atelier mené avec des collégiens

Seront-ils à l’avenir plus critiques à l’égard de l’expression « sage comme une image » ?

Page 24: espr!t de babel 2

Quels sont les objectifs de ce musée ?

En travaillant avec les enfants, on apprend une certaine modestie, et surtout beaucoup de pragmatisme. Notre premier but est de faire venir les enfants au musée, qu’ils y passent un très bon moment. Qu’ils se rendent compte que l’on peut tout à fait entrer dans un musée sans avoir des connaissances extraordinaires, que chacun a sa propre culture qui permet d’obser-ver les tableaux. Ensuite, il s’agit de donner des connaissances. Le musée est un endroit où l’on apprend beau-coup sur soi-même et sur les autres.C’est aussi un moment de beauté que l’on essaie de proposer aux enfants. Le lieu est très beau et les œuvres présentées sont belles, malgré les petits moyens. Et cette beauté reste marquée dans leur esprit.

D’où est venue l’idée d’associer la décou-verte esthétique et la pratique, au moyen de jeux et d’ateliers ?

Au départ, nous n’avions pas un projet écrit, cela s’est fait un peu sur le tas. Quand on a créé ce lieu, on avait un peu des réflexes de gens de musée. On a fait une exposition, et à l’intérieur, on a proposé des parcours. Et petit à petit, on s’est mis à concevoir le parcours de découverte des œuvres et les jeux comme une seule et même chose. Avec les enfants, il faut toujours passer par l’apprentissage pratique, ludique, le toucher etc.

Quelles ont été les réactions à l’ouverture du musée ?

Il y a 15 ans, lorsque l’on a décidé de consacrer aux enfants cette salle magnifique qui venait d’être restaurée, on a soulevé plein de holà, les gens étaient horrifiés. Aux enfants, on leur réserve toujours les sous-sols. Quant aux gens des musées, lorsque je leur demandais de nous prêter des œuvres pour des expositions pour les enfants, ils s’imaginaient tout de suite le feutre et les barbouillages. Or les enfants sont sensibles à l’harmonie de l’architecture ainsi qu’à la beauté des œuvres et au fait qu’elles soient uniques et anciennes. Ils ne le manifestent pas comme nous, c’est tout. C’est notre travail de les faire vibrer avec ça et on y parvient aussi bien qu’avec les adultes. D’ailleurs, on n’a encore jamais eu

de souci avec les enfants, par contre on a vu des adultes toucher aux tableaux…

Et aujourd’hui, quelle est la fréquentation du musée ?

Nous avons à peu près 13 000 visiteurs par an, en sachant que nous privilégions toujours la qualité, c’est à dire que nous ne recevons qu’un groupe à la fois, accueilli par deux médiateurs. Le lieu étant un peu expérimental, on a essayé de laisser les enfants libres avec les jeux, et au final, même s’ils s’amusent comme des fous, ils n’en gardent rien. C’est toujours important qu’ils aient un adulte en face, à qui ils peuvent poser leurs questions, et cela nous permet de voir ce qui les intéresse, ce qui les bouscule…

Les enfants accompagnés de leurs parents, vous savez d’où ils viennent majoritairement ?

Pour les familles, il n’y a pas de secret, c’est toujours le même milieu social qui se déplace.Cependant, les enfants du quartier du Panier où nous nous situons connaissent le lieu et y vien-nent. Mais les parents les attendent à la porte, ils ne rentrent pas dans le musée. On se bat aussi pour que ce genre d’habitudes ne se reproduise pas avec la génération d’après.

Pouvez-vous nous parler d’une expérience marquante depuis l’ouverture du Préau ?

J’ai un très beau souvenir lorsqu’était venu un grand conteur originaire de Côte d’Ivoire. Il était initialement prévu pour une heure et finalement il a conté pendant 5 heures, tant il y avait d’écoute. Les adultes et les enfants du quartier allaient et venaient, il y avait du monde partout et c’était vraiment un moment d’une chaleur extraordinaire. C’est bien aussi de donner l’image d’un musée ouvert, un lieu vivant, un lieu de rencontre. Quand on montre de l’art africain, ce ne sont pas des choses pous-siéreuses derrière des vitrines, ce sont des choses qui vivent encore aujourd’hui, qui sont porteuses de la mémoire des gens d’aujourd’hui.

Rencontrez-vous des obstacles lorsque vous concevez des expositions ?

Parfois, il y a des expositions qui nous donnent beaucoup de difficultés. Je cite toujours l’exposi-tion sur les Papous. Il y avait une grande mani-festation à la Vieille Charité avec des œuvres d’art papou qui venaient des musées du monde entier, et au Préau, on avait fait une petite exposition en préambule avec quelques œuvres. Comme on ne connaissait pas du tout le sujet, on s’y était engagé bille en tête, et on s’est rendu compte que l’art papou repose avant tout sur des objets liés soit à la sexualité, soit au culte des morts et au rite funéraire, soit à la chasse aux têtes. La totale quand on veut s’adresser à des enfants ! Comme ici on ne ment pas aux enfants, que l’on cherche à avoir un discours le plus juste possible du point de vue scientifique, cela a demandé beaucoup de travail avant d’arriver à trouver les chemins pour leur parler de ces choses-là sans les traumatiser.

Pour l’épanouissement de l’enfant, en quoi cela vous semble-t-il important de lui proposer cette rencontre avec l’art ?

Personnellement je pense que c’est très impor-tant et cela fait longtemps que c’est compris et accepté. Un enfant a besoin d’une ouverture par les sens, par l’observation. La rencontre avec

l’art est une rencontre avec l’autre et une rencontre avec soi-même. Normalement, il y a une part de cette éducation-là qui est prise en charge par l’éducation nationale.

Dans le primaire, les enseignants font leur possible mais ils ont également un programme très lourd et ont souvent peu de moyens pour donner cet enseignement artistique. Je pense que les musées, aussi bien que tous les établissements publics, ont leur rôle à jouer dans l’éducation des enfants, en apportant des plus. Cela me paraît complètement fou d’imaginer que l’on puisse élever un futur adulte en ne lui enseignant qu’à lire, à écrire et à compter. Il faut qu’il y ait une dimension plus large, surtout à notre époque où l’on a tendance à tout rationnaliser, à faire les choses dans un but très utilitaire.

Propos recueillis par Anne-Laure Sarazin et Benoît Paqueteau pour E2B

Le musée des enfants expose Rencontre avec Laurence Rossellini, responsable du Préau des Accoules à Marseille.

U nique en France, le Préau des Accoules est un espace muséal rattaché aux Musées de Marseille qui propose des expositions d’objets d’art et de patrimoine

spécialement conçues pour les enfants. Accessible aux écoles, centres aérés, centres spécialisés, mais aussi aux enfants avec leurs parents, le Préau offre des parcours pédagogiques innovants autour d’œuvres originales.

Aux enfants, on leur réserve toujours les sous-sols

Page 25: espr!t de babel 2

Soutenez espr!t de babel en vous abonnant !

Que vous habitiez Neuchâtel, Sarcelles, Bruxelles ou La Cabucelle, la rédaction d’e2B vous envoie une enveloppe kraft A4 contenant le prochain numéro d’espr!t de babel.

Nous vous proposons deux formules de soutien :

pour la France 15 euros 3 numéros

pour l’étranger 20 euros 3 numéros

Renseignez-vous au +33(0)4 91 64 60 00 ou [email protected]

Exposition Arlequin comédien et coquin, mai 2010.Le Préau des Accoules - espace des enfants29, montée des Accoules - 13002 MarseilleTél 04 91 91 52 06Accueil des groupes sur rendez-vous.Ouverture publique Mer & Sa de 13:30 à 17:30. 23/24

Formulaire de soutien à espr!t de babelFormule France : 3 numéros (15 euros TTC)

Formule étranger : 3 numéros (20 euros TTC)

nom

prénom

société/association

adresse

code postal ville

pays

email tél

Adressez-nous ce formulaire complété et accompagné de votre règlement par chèque à l’ordre de Les Bancs Publics, à :

esprit de babelLes Bancs Publics 3, rue bonhomme13003 Marseille - France

signature

Je souhaite recevoir une facture.

Conformément à la loi Informatique et libertés du 06/10/1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux données personnelles vous concernant.