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éditions des archives contemporaines Éclairages d’Afrique ou d’ailleurs Sous la direction de Michelle Auzanneau , Margaret Bento et Malory Leclère Espaces , mobilités et éducation plurilingues

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  • Sous la direction de Michelle Auzanneau, Margaret Bento et Malory Leclère

    Écla i rages d ’Afr ique ou d ’a i l l eurs

    Espaces, mobil i tés et éducat ion pluri l ingues

    é d i t i o n s d e s a r c h i v e s contemporaines

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    Les mutations sociales contemporaines constituent de nouveaux défis pour la sociolinguistique et suscitent le renouvellement d’outils méthodologiques et conceptuels permettant de repenser les rapports entre langage et société. Cet ouvrage réunit des textes qui contribuent à relever ce défi en apportant des éléments de compréhension relatifs aux situations sociolinguistiques contem-poraines et à leurs dynamiques plurilingues en lien avec la ville, la migration et l’école. Tous contribuent à revisiter les pratiques, les mobilités et l’éducation plu-rilingues, rendant ainsi un hommage aux travaux du professeur Caroline Juillard.

    Michelle Auzanneau est professeure en sciences du langage à l’université Paris-Descartes et au Ceped, UMR 196. Ses recherches portent sur la variabilité de pratiques langagières situées et en interaction. Margaret Bento est professeure en didactique des langues et en sciences du langage à l’université Paris-Descartes, EA 4071 (« Éducation, discours, apprentissages »). Ses recherches portent sur la didactique des langues étrangères et plus particulièrement sur la transposition didactique. Malory Leclère est maître de conférences à l’université Sorbonne-Nouvelle – Paris 3. Ses re-cherches, menées au sein de l’équipe DILTEC-EA2288, portent sur les pratiques enseignantes et les dimensions interactionnelles des situations d’apprentissage.

    Prix public : 40 eurosISBN : 9782813002198

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    É c l a i r a g e s d ’ A f r i q u e o u d ’ a i l l e u r s

    Sous la d i rect ion de Michel le Auzanneau , Margaret Bento et Malor y Lec lère

    Espaces, mobilités

    et éducation

    plurilingues

  • Espaces, mobilitéset éducation plurilingues

  • .

  • Espaces, mobilitéset éducation plurilingues

    Éclairages d’Afrique ou d’ailleurs

    Sous la direction de

    Michelle Auzanneau, Margaret Bento et Malory Leclère

    éditions des archives contemporaines

  • Copyright © 2016 Éditions des archives contemporaines

    Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute reproduction oureprésentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit (électronique, mécanique, photocopie,enregistrement, quelque système de stockage et de récupération d’information) des pages publiées dans leprésent ouvrage faite sans autorisation écrite de l’éditeur, est interdite.

    Éditions des archives contemporaines41, rue Barrault75013 Paris (France)www.archivescontemporaines.com

    ISBN 9782813002198

    9 782813 002198

    Avertissement : Les textes publiés dans ce volume n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Pourfaciliter la lecture, la mise en pages a été harmonisée, mais la spécificité de chacun, dans le système destitres, le choix de transcriptions et des abréviations, l’emploi de majuscules, la présentation des référencesbibliographiques, etc. a été le plus souvent conservée.

  • Carrefour des langues,carrefour des paradigmes

    Alexander Cobbinah, Abbie Hantgan,Friederike Lüpke et Rachel Watson

    Crossroads Project, SOAS, University of London

    Résumé : Cet article présente les aspects sociolinguistiques et linguistiques d’une situation plurilingue dansun contexte rural en Casamance (Sénégal). En nous basant sur des recherches interdisciplinaires en cours,nous introduisons les langues patrimoniales associées aux villages que nous étudions. Nous élaborons ensuitele dualisme entre langue patrimoniale en tant que construit identitaire et usage fluide dans le discours etidentifions les motivations de cette stratégie duale et comment elle s’insère dans les idéologies linguistiqueslocales, régionales et nationales. Nous finissons par exposer les conséquences de ce type de plurilinguismede longue durée sur les système linguistiques et le défi qu’il pose pour une tradition descriptive basée sur lanotion d’une langue et non pas sur celle d’un répertoire dynamique. Nous proposons un modèle inspiré parla théorie des prototypes servant comme repère pour ancrer la description de la variation et de l’hybriditéqui caractérisent le discours.

    Mots-clés : plurilinguisme rural, Casamance, Sénégal, prototypes, description linguistique et sociolinguis-tique.

    1 Le projet Crossroads sur le plurilinguismeen basse Casamance

    « [Le] plurilinguisme à dimension variable permet de manifester des iden-tités enchâssées, plurielles, ou latentes qu’on peut réactiver en fonction dessituations et des interlocuteurs, par différents procédés de marquage lin-guistique : identités villageoises, identités de quartier, identité citadine,identité casamançaise, identité sénégalaise, qui se reconnaissent toutesau plurilinguisme du répertoire quelle qu’en soit la taille (au moins troislangues) et la nature, et qui s’expriment au sein de réseaux relationnelsplus ou moins endocentrés, plus ou moins localisés. » (Juillard, 2007 : 244.)

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    Figure 1: La région au carrefour

    Les travaux de Caroline Juillard (cf. 1991 ; 1995 ; 2007 ; Dreyfus & Juillard, 2004) ontpour la première fois attiré l’attention des linguistes sur le plurilinguisme en BasseCasamance. Cette région du Sénégal est remarquable non seulement pour le grandnombre de langues qu’elle réunit sur son territoire, mais aussi pour le plurilinguismeprononcé de ses habitants. Un nombre estimé à une trentaine de langues nommées estattesté sur ce territoire fragmenté par des rivières et des marigots innombrables. Seshabitants mâıtrisent souvent entre six à dix de ces langues, bien que chaque localité ait« sa langue » attitrée. En se basant sur des recherches linguistiques sur trois languesindividuelles – le jóola banjal (aussi nommé gubanjalay ou eegimaa) (Bassène, 2007 ;Sagna 2008), le bäınounk gubëeher (Cobbinah, 2013) et le jóola kujireray (Watson,2015), chacune étant parlée dans un environnement plurilingue spécifique, le projetCrossroads, en cours, mène une enquête détaillée sur les aspects linguistiques, socio-linguistiques et culturels du plurilinguisme dans le triangle formé par les villages aveclesquels ces langues sont associées – dans ce qui suit nous référons à cet espace en ledésignant « carrefour ». Nous travaillons dans les villages voisins de Brin et Djibonkeret sur le territoire du royaume du Mof Àvvi, dont les habitants sont connectés par denombreuses activités et par des liens familiaux et sociaux. Alors que des recherchessociolinguistiques préalables sur le plurilinguisme au Sénégal et ailleurs en Afrique sesont concentrées sur des situations urbaines, nous examinons une situation complexedans un environnement rural, en tenant compte de la mobilité des habitants et deleurs réseaux sociaux en dehors du cadre local.

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    2 Comprendre le « carrefour » dans une perspective joignantsociolinguistique, linguistique de contact et perspectivessur les idéologies linguistiques

    Grâce à la formation d’une équipe interdisciplinaire, notre démarche rapproche desperspectives qui ne sont pas souvent réunies dans les recherches en milieu plurilingue.D’un côté, nous approchons les réalités de l’usage linguistique à travers leurs dimen-sions sociolinguistiques en révélant les répertoires individuels et leurs significationssociales dans la dynamique de l’interaction. Dans ce but, nous menons actuellementune étude des réseaux sociaux et nous nous engageons dans une recherche ethno-graphique détaillée visant la compréhension profonde des pratiques situées dans leurcontexte socioculturel. De l’autre côté, en partant des travaux de description linguis-tique de base, nous nous intéressons aux convergences structurelles et lexicales dansl’usage linguistique « au carrefour ».

    La jonction de ces perspectives requiert une reconceptualisation considérable surtouten ce qui concerne le « contact linguistique » et plusieurs théories sur les alternancescodiques. Tandis que les approches sociolinguistiques récentes (Auer, 1999 ; Black-ledge & Creese, 2010 ; Canut, 1996 ; García & Wei, 2014 ; Jørgensen et al., 2011, parmibeaucoup d’autres) admettent qu’il est impossible d’identifier et discerner des languesdans le discours, d’autant plus dans le discours plurilingue et qu’il est préférable deparler de « languaging », « translanguaging » ou « polylingualism », la linguistiquede contact (Matras, 2009 ; Trudgill 2011) et les théories sur les alternances codiquesse basent toujours sur la séparabilité des codes et sur la reconnaissance des élémentsappartenant sans ambigüıté à l’un d’entre eux. Les recherches ont montré comment lesactivités descriptives créent, en effet, leurs propres objets de description linguistiqueen fixant un code lexico-grammatical qui, en réalité, correspond à une abstractionsélective par rapport au discours fluide (cf. Blommaert, 2008 ; Canut, 1996 ; Lüpke &Storch, 2013, pour des contextes africains). Étant donné que la réification des codeslinguistiques ou langues est profondément ancrée dans la linguistique descriptive, ilest nécessaire de réconcilier les perspectives afin de développer une méthodologie etune terminologie permettant de rapprocher les deux champs. La perspective descrip-tive est ancrée dans les idéologies langagières occidentales (Irvine, 2008), mais leschercheurs représentant ces idéologies ne sont pas les seuls à avoir intérêt à nommer,classifier et autrement réifier les langues. Des idéologies langagières locales se mani-festent à travers les noms des langues et les étiquettes d’ordre identitaire associéesaux locuteurs. Elles doivent être prises en compte dans une nouvelle approche épisté-mologique. Celle-ci permettrait un regard holistique sur le dualisme présent dans lacoexistence des réifications supposant des frontières linguistiques et la non-existenceou la transcendance de celles-ci dans le discours.

    2.1 Au niveau local : des langues patrimoniales,du « languaging » dans le discours

    La Basse Casamance est une « frontier society » (Kopytoff, 1987) par excellence. De-puis des siècles, des groupes claniques s’y sont continuellement formés et regroupés etdes alliances flexibles y ont été créées à travers de nombreuses pratiques d’échanges

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    culturels et religieux mais aussi d’échanges d’épouses, de captifs et d’enfants et del’incorporation de ceux-ci dans les sociétés d’accueil (Brooks, 1993 ; Baum, 1999 ;Bühnen, 1994 ; Hawthorne, 2003). Ces processus ont pour conséquence un plurilin-guisme enraciné dans ces sociétés (voir Lüpke, 2016a, pour une description appro-fondie d’Agnack, un autre village en Casamance près du carrefour, et Lüpke, 2016bet sous presse, pour une perspective plus vaste) qui permet d’utiliser différentes par-ties de répertoires complexes pour indexer des facettes identitaires selon le contexte.Néanmoins, chaque endroit possède « sa » langue, et les autres langues qu’on y parlesont éradiquées des représentations idéologiques – dans les représentations des locu-teurs, seule une langue est reconnue comme la seule vraie langue du territoire. Ceprocessus de création d’une langue attitrée suit une logique patrimoniale décrite endétail dans son contexte historique dans Lüpke (sous presse). Dans les sociétés patri-linéaires de la région, comprenant les localités étudiées, les noms des langues ont unerelation intrinsèque avec un lieu et réfèrent à la langue de ceux qui sont perçus commeles autochtones de ce lieu. Par exemple, le village de Djibonker s’appelle Jibëeher enbäınounk gubëeher. Le toponyme et le glossonyme partagent une même racine, bëeher,à partir de laquelle le toponyme peut être dérivé par préfixation avec le préfixe declasse nominale ji -, et le glossonyme avec le préfixe gu-. Il en est de même pour levillage voisin de Brin (nom autochtone Jire), dont la langue s’appelle ku-jireray, ouencore pour le village Bandial (Banjal), avec gu-banjalay et pour beaucoup d’autreslocalités en Basse Casamance. Les glossonymes établis de cette manière ne se réfèrentpas à un parler précis mais ont une signification déictique qui a été nommée « deixispatrimoniale » dans Lüpke (2016a) : cette appellation renvoie à la langue imaginée desancêtres des autochtones, et si le discours sur les autochtones change, le code associéau glossonyme, le groupe associé à ce code ou les deux à la fois changent de référenceaussi. Un autre processus déictique transforme ces langues en langues ethniques : enpréposant un ethnonyme (voir Lüpke, 2016a et sous presse, pour le processus d’eth-nogenèse en période coloniale), une ou plusieurs langues peuvent être associées à ungroupe ethnique et devenir des langues « bäınounk » ou « jóola ». Par exemple,trois langues bäınounk – le gubëeher, le gujaher et le guñaamolo – sont officiellementreconnues en tant que langues bäınounk. Dans les idéologies langagières, les attribu-tions ethniques ne sont pourtant pas fixes – le kujireray peut être classé comme unelangue bäınounk ou une langue jóola, voir même une langue jóola-bäınounk. Généa-logiquement, le kujireray et le gubanjalay sont très proches, les deux faisant partiedu groupe jóola de la branche nord 1 de la famille atlantique du niger-congo. Leslangues bäınounk, en incluant le gubëeher, se trouvent dans le groupe nyun-buy, dansla branche nord 2 de cette famille (Segerer & Pozdniakov, 2010).

    Les langues patrimoniales ont une signification dans toutes les situations où la pos-session des terres est importante, et où la communication avec les ancêtres est invo-quée, par exemple, dans les contextes religieux locaux où sont faits des sacrifices auxancêtres. Elles sont aussi impliquées dans les alliances politiques ou matrimoniales carelles sont un atout important pour signaler l’unité dans la différence qui caractériseles interactions en Casamance. En revanche, l’usage linguistique est caractérisé parune hétérogénéité extrêmement créative et adaptative. Il est possible de trouver desménages, des villages ou des situations où l’usage est proche de la représentation que

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    les locuteurs se font de la langue patrimoniale. Mais ceci dépend des locuteurs, de leursrépertoires et de leurs besoins interactifs. Là où une situation réunit des locuteurs deprofils linguistiques différents, c’est le « languaging » qui est pratiqué.

    2.2 Au niveau régional : l’unité dans la différence

    Si certaines raisons stratégiques demandent une distinction maximale entre popu-lations voisines – par exemple pour invoquer un statut d’autochtone, avantageuxdans des négociations sur le droit de l’exploitation des terres – d’autres circonstancesexigent plutôt un effacement quasi-total de ces distinctions fondées sur le local, c’est-à-dire sur la terre, le village, le quartier, ou encore sur des structures claniques. EnCasamance, chaque groupe établi sur l’échelle locale existe aussi dans une sphèreculturelle qui va au-delà du local. L’un des facteurs ayant créé un véritable besoinde former des alliances à la fois durables et flexibles dans le passé était la nécessitéperpétuelle de défense contre des incursions hostiles de la part d’esclavagistes, de ji-hadistes et plus récemment des colonisateurs français. Sur le terrain du « carrefour »cette dialectique de la différence et de l’assimilation est toujours en jeu. Les rivalitéslocales entre Djibonkerois, Brinois et les habitants du royaume, qui jusqu’à assez ré-cemment se matérialisaient dans des luttes et même des guerres entre des quartiersou des villages, sont réelles et se manifestent par des moqueries sur la langue oudes stéréotypes sur les autres. D’un autre côté, les pratiques culturelles ainsi que laculture matérielle toute entière de ces trois localités ne se distinguent que dans desdétails minimes et les liens qui unissent leurs habitants sont beaucoup plus forts queleurs différences. Un emblème très fort de cet amalgame culturel est la royauté de lapluie, basée à Enampor, au cœur du royaume Mof Ávvi. Même si, actuellement, laposition royale est vacante, l’institution donne une hégémonie culturelle aux villagesdu royaume. Djibonker et Brin ont intérêt à s’allier au royaume pour bénéficier dela protection spirituelle du roi de la pluie. Ainsi existe-t-il à Djibonker un autel dela pluie. Il fonctionnait comme une sorte d’ambassade du royaume : en cas de ca-lamité, le roi d’Enampor s’y dirigeait pour se prononcer sur des affaires d’actualité.Il nous a été rapporté aussi que, jusqu’à très récemment à Djibonker, les chansonsétaient composées et chantées uniquement en jóola banjal et les musiciens du royaumeétaient reconnus comme les meilleurs de la région, exerçant un monopole culturel dansleur environnement. La convergence de la culture matérielle de Djibonker, Brin et duroyaume peut être illustrée par le fait que les objets recueillis pour le nouveau muséede la culture Jóola ont été acquis et catalogués par un habitant de Djibonker, JeanBaptiste Sagna qui s’identifie comme Bäınounk. En réalité, et en contredisant sonnom, ce musée représente aussi bien la culture matérielle des habitants de Djibonkerque celle des Brinois et des habitants du royaume, indistinctes l’une de l’autre, etnon pas la culture d’un groupe ethnolinguistique distinct. L’entrelacement culturelentre les trois localités du « carrefour » ne se manifeste pas seulement au niveau despratiques quotidiennes (culture matérielle) et politico-religieuses (royauté de la pluie)mais aussi au niveau socio-spirituel par la pratique des initiations (ou circoncisions)des hommes (voir aussi Baum, 1999 ; Girard, 1969), bukut / buxut dans les languesjóola et rëïkúb en gubëeher. Le statut d’initié est pertinent pour la participation deshommes à la politique et implique la totalité de la population dans les préparations etl’exécution des étapes du rite. Les trois localités du carrefour sont profondément inté-

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    grées dans le système des initiations qui les lient avec des groupes plus lointains, del’autre rive du fleuve Casamance au nord, jusqu’au bord de la mer à l’ouest et au sud,jusqu’en Guinée-Bissau. Pendant les initiations, tous les hommes qui se présententpassent une période d’isolement dans une des forêts sacrées, qui selon la coutume duvillage peut durer entre un et trois mois, avec la possibilité d’un séjour raccourci encas d’empêchement sérieux. L’entrée et la sortie dans la forêt sont marquées par desrituels élaborés, accompagnés par des danses et des sacrifices d’animaux. La répar-tition des initiés dans les forêts sacrées se produit par quartier et par famille. Lesconnaissances transmises dans la forêt sacrée ainsi que l’accès aux initiés pendantla période d’isolement sont strictement tabous pour chaque non-initié, surtout pourles femmes. Par contre, les hommes de n’importe quel endroit, initiés du bukut, ontle droit d’entrer dans la forêt sacrée d’un autre village pendant les événements etde partager tous les détails et les chansons secrètes avec n’importe quel autre initié.Les initiations sont donc fêtées localement, tout en étant considérées comme l’ins-tance d’un seul événement dont les formalités et le déroulement général sont partagésdans toute la région. Entre les trois groupes du « carrefour », l’intégration culturellependant les initiations va bien au-delà de la compatibilité des rites et du partage deconnaissances secrètes. Les festivités se produisent selon un ordre chronologique fixe,le royaume commençant le cycle et passant le bâton à Djibonker et à Brin, les deuxvillages organisant leurs initiations le même jour.

    Pendant les circoncisions de l’année 2014 à Djibonker et Brin, auxquels AlexanderCobbinah prenait part, le caractère inclusif de cette institution sociale devenait trèsapparent. Le fait que les festivités soient perçues comme un emblème culturel partagépar presque toutes les populations et groupes habitant en Basse Casamance, indépen-damment de leur identité locale ou de leur langue d’identification, se manifestait parle très grand nombre de visiteurs, soit participant aux événements publiques autourde l’isolement, soit participant à l’instruction des initiés dans la forêt. Nous avonsremarqué à plusieurs occasions que l’identité locale était minimisée par les acteurs,au profit d’un plus fort engagement dans une identité régionale, jusqu’à insister surle fait que « nous sommes tous les mêmes ». Cette mise en relief du régional allait depair avec la mise en arrière-plan des différences locales.

    L’organisation conjointe des évènements à Djibonker et Brin a inclus les deux au seind’un même cycle d’initiation. Elle les a simultanément mis en rapport avec les villagesdu Mof Àvvi qui ont fêté les circoncisions en 2008, et avec les villages Bayot, au sudde Djibonker et Brin, qui seront les prochains dans le même cycle avec leur initiationprévue pour 2016. La génération entière forgée dans ce cycle d’initiations déclenchéen 2008 et incluant la circoncision de 2014 et celle de 2016, ainsi que d’autres dans larégion qui n’ont pas encore été annoncées, portera le nom de Bakamiñ, jóola pour ‘lesinsubordonnés’. Cette étroite relation de petits groupes, qui ont chacun leur identitélocale et leur langue patrimoniale locale, a comme conséquence une forte disposition àapprendre les langues des groupes alliés. Pour un habitant de Djibonker qui s’identifiecomme ubëeher, il est également important de pouvoir s’exprimer en gubëeher pourmaintenir son identité locale. Il est incontournable de mâıtriser le kujireray et le gu-banjalay – et idéalement d’autres langues parlées dans les environs – pour fonctionnercomme acteur social sur un plan régional. Pour le moment l’étendue de cette aire

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    culturelle, définie entre autres par des institutions comme l’initiation, n’a pas encoreété déterminée. Néanmoins, on peut déjà affirmer que les fédérations régionales ontune réalité profonde pour les populations du carrefour. L’identification créée entre leshabitants de Djibonker, de Brin et du Royaume, à travers des institutions et pratiquesculturelles partagées, leur permet de produire des identités fluides qui transcendentle local et révèlent une propension très élevée au plurilinguisme. L’importance demâıtriser plusieurs langues est profondément inscrite dans cet espace régional, basésur une alliance réunissant (et dans les pratiques linguistiques, transcendant) les iden-tités patrimoniales). Une bonne compréhension des alliances et des rapports entre lesentités locales est donc indispensable pour analyser l’usage des langues dans cettezone et les effets du plurilinguisme dans une perspective synchronique ainsi que dia-chronique.

    2.3 Au niveau national : essentialisme stratégiquebasé sur les ethnicités

    En Casamance, les ethnicités et identités patrimoniales ne sont pas vraiment reflétéespar les pratiques linguistiques et culturelles. La relation entre représentations et usagemanifeste un dualisme entre identités patrimoniales distinctes et pratiques linguis-tiques et culturelles convergentes à cause de l’échange social intensif de longue durée.Les ethnicités, d’origine récente, ont une importance sur le marché polyglossique de l’é-tat du Sénégal (Smith, 2006) où l’existence d’une langue codifiée donne une existenceofficielle aux groupes ethniques. Lüpke (2011 ; 2013, 2016a et sous presse) décrit en dé-tail la codification qui crée des langues imaginaires par un processus bureaucratique.Par cette standardisation, des groupes linguistiques homogènes, fictifs, « Bäınounk »,« Jóola » et autres, sont construits, mais cette construction n’est pas fondée sur descritères linguistiques. Cet écart entre représentation et usage n’est guère perçu commeune contradiction par les acteurs sur place. Tandis que les répertoires linguistiquesrépondent aux besoins d’indexer des aspects identitaires situés, les représentations eth-nolinguistiques ont une valeur exclusivement symbolique. Ces représentations créentles entités nécessaires pour la fédération ethnique qu’est l’état moderne du Sénégalet les rendent donc visibles (et surtout lisibles, ce qui est incontournable pour accé-der au statut de « langue » dans un environnement idéologique inspiré des idéologieslinguistiques occidentales).

    Sur le plan national, les identités locales, si importantes pour les alliances et leséchanges régionaux, disparaissent alors totalement en faveur d’un « essentialismestratégique » (Spivak, 1988) souvent observé pour des groupes qui deviennent mi-noritaires dans un contexte polyglossique (Jaffe, 2000).

    3 Comprendre le carrefour dans une perspective structurelle

    En voulant décrire les traits structurels – lexicaux et grammaticaux – du discoursplurilingue, nous nous heurtons aux prémices de la linguistique de contact et desthéories sur les alternances codiques fondés sur l’hypothèse qu’il existe un code mo-nolingue pouvant servir de référence pour la description du discours plurilingue. Bienque, dans tous les contextes linguistiques, ce code monolithique soit une abstraction

  • 86 Carrefour des langues, carrefour des paradigmes

    et une idéalisation de l’usage, sa valeur est renforcée par les grammaires et les diction-naires prescriptifs des grandes langues standardisées. Les locuteurs dits « natifs » deces langues sont exposés à la pression normative qu’elles exercent à travers des usagesmédiatiques, littéraires, etc.

    Dans les situations sociolinguistiques hétérogènes de la Basse Casamance, une nouvelleapproche épistémologique est nécessaire. Certes, il est possible de réunir des donnéesqui semblent révéler un code complet et monolingue dans lequel on peut identifier desinfluences du contact et du plurilinguisme en les labellisant en tant qu’emprunts oualternances codiques. Mais ce code construit est d’une nature très arbitraire dans descontextes où des locuteurs mobiles sont incités à utiliser dès leur plus jeune âge des ré-pertoires complexes et quand chaque déplacement et chaque visiteur les exposent à unnouvel environnement linguistique. Si l’on se place du point des locuteurs et de leursexpériences vécues, les langues disparaissent. Dans une perspective basée sur l’admis-sion des codes séparables, il devient problématique de retrouver un ensemble de formes(et si oui dans quels contextes) qui ressemblerait à ce que nous sommes habitués àappeler langue : un code lexico-grammatical cohérent et largement conventionalisépartagé au sein d’une communauté linguistique. Linguistes et locuteurs partagentl’idée de ce code, mais alors que pour les linguistes issus d’une culture de languestandard, ce code doit se manifester dans l’usage, pour les locuteurs, il est de naturebeaucoup plus symbolique. Au niveau local, ce code correspond dans l’imaginaire desusagers à la langue des ancêtres qui ne cöıncide que partiellement avec les répertoiresformés par les convergences. Au niveau national, il correspond au fantôme de la langueethnique. Les travaux linguistiques de base, comme nos travaux descriptifs fondamen-taux avant le début du projet Crossroads, présupposent un code qu’il s’agit ensuite detrouver. Ce qui est offert par contre est le figement momentané d’un discours fluidequi va en dehors de la « lexicalisation congruente » (Appel & Muysken, 1987) oude la combinaison des « features » associés à des langues spécifiques (Jørgensen etal., 2011). Comme nous le décrivons en détail ci-dessous, les locuteurs, en fonctionde leur répertoire individuel et de leurs connaissances métapragmatiques (Silverstein,1976) sur la signification sociale et pragmatique d’un accent, d’une forme embléma-tique, d’un idiome fortement rattaché à une langue, et influencés par les demandescognitives que posent des contextes plurilingues différents, n’alternent pas seulementles codes, ils les créent en partie in situ. L’interaction entre innovation spontanée etconventionalisation dépend du profil et de la trajectoire de l’individu. Ce profil estun indicateur de son exposition à un usage plus ou moins homogénéisé et contraintpar la durée durant laquelle il a été socialisé dans une configuration linguistique par-ticulière. Un habitant d’un village isolé sur la péninsule de Bandial qui n’a jamaisvécu ailleurs aura un profil plus proche du prototype ‘monolingue’ qu’un habitant deDjibonker qui, depuis sa jeunesse a fréquenté des endroits très divers au quotidien,comme par exemple l’église de Brin où se réunissent Brinois kujirerayphones, Djibon-kerois gubëeherophones, quelques habitants gubanjalayphones du royaume pendantla messe où servent des prêtres venus de l’ensemble du Sénégal, et cela plusieurs foispar semaine.

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    3.1 Un nouveau cadre conceptuel

    Vouloir parler de langues et d’alternances codiques dans les situations complexes tellesque celles que nous observons en Casamance ne permet donc pas de saisir l’essentiel deces interactions caractérisées par le bricolage (au sens positif) et de créativité. Néan-moins, parler seulement de « translanguaging » sans référence à ce qui est supposétranscendé nous prive de tout moyen de saisir et décrire les caractéristiques linguis-tiques du discours résultant. Or, une question centrale nous préoccupe : commentmettre en relation des langues symboliquement distinctes avec le discours fluide, sanstoutefois créer l’illusion que les langues que nous retrouvons dans les représentationsdiscursives des locuteurs sont des entités réelles ? Et donc comment trouver un pointde référence pour ancrer nos descriptions de l’usage linguistique ? Pour les idéolo-gies patrimoniales locales, il existe une langue jóola distincte pour chaque village oùgroupe de villages tandis que pour les idéologies essentialistes nationales, il existe unelangue jóola pour l’ensemble du pays. Dans l’usage, qui réunit souvent des locuteursde différentes zones jóola, il n’y a pas de variantes discrètes mais plutôt des gestes versquelques points de références emblématiques, comme cela a été décrit ailleurs pourdes contextes en dehors du standard linguistique (cf. Auer, 1999 ; Blom & Gumperz ;1972 ; Sebba, 2007).

    Tableau 1: Transcription d’un segment de discours en contexte monolingue (énoncés 64-72).Source : DJI131014JS

    Notre hypothèse est qu’il est possible de cerner un point de référence pour les codessymboliques. En adoptant la typologie de Green et Abutalebi (2013) sur les modeslinguistiques dans une perspective psycholinguistique, et en nous servant de donnéesde discours spontanés observés et enregistrés depuis 2010, nous pouvons classer cesdiscours heuristiquement en trois grands types : le discours en mode monolingue, lediscours en mode bilingue et le discours en mode mixte. Pour Green et Abutalebi,

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    le contexte monolingue (« single language context ») reste à l’intérieur d’un codereconnu. Au carrefour, un tel contexte peut correspondre à un échange entre locuteursissus d’un même ménage au sein duquel ils ont été longuement socialisé et partagentidentité linguistique et code. L’extrait d’une conversation autour d’un jeu de cartesdans le tableau 1 illustre ce cas.

    Dans ce contexte monolingue, les énoncés contiennent quelques formes associées àd’autres langues, comme boy pour ‘ami’, ligne 64, et caye pour ‘thé’, ligne 70-72,ou encore des mots non-associés à une langue, comme le marqueur emphatique kay,ligne 72. Ces formes ont une fréquence limitée et sont morphologiquement intégrées àtravers des marqueurs de classe nominale ou d’accord.

    Un mode bi- ou plurilingue (« dual-language context ») consiste en un contexte oùplusieurs locuteurs n’ont pas de répertoire en commun et où l’on utilise des formesassociées à un code avec un interlocuteur et des formes associées à un autre code avecun autre interlocuteur. Dans l’extrait ci-dessous (tableau 2 : la suite de la conversationreproduite dans le tableau 1), Claude s’adresse en wolof à Juliette, une fille de lafamille de Claude récemment arrivée de Ziguinchor où elle résidait et ne mâıtrisantpas encore le gubëeher.

    Tableau 2: Transcription d’un segment de discours en contexte bilingue. Source :DJI131014JS

  • Alexander Cobbinah, Abbie Hantgan, Friederike Lüpke et Rachel Watson 89

    Il s’agit ici de la même conversation, entre les joueurs de cartes, néanmoins, quandJuliette arrive, Claude doit passer au wolof pour des raisons pratiques.

    Le mode mixte (« intense code-switching context ») est possible quand tous les parti-cipants d’une conversation ont un profil similaire et sont capables de s’exprimer sansdésactiver une partie de leur répertoire dans l’usage. Au carrefour, il est très répandude trouver des locuteurs vivant à Djibonker ou Brin qui partagent un répertoire asso-cié aux codes gubëeher, kujireray, français et wolof, et qui l’exploitent dans un modemixte comme dans le tableau 3.

    Tableau 3: Transcription d’un segment de discours en contexte mixte. Source : DJI070316JS

    Le segment de discours dans le tableau 3 en contexte mixte provient d’une conversationplus longue, une enquête entamée par Dodo et Jean-Tomi, deux des participants, enkujireray. Bien qu’ils étaient à Djibonker, ils parlaient kujireray car Jean-Tomi habitaità Brin jusqu’à il y a quatre ans et préfère parler cette langue. Quand les voisins deJean-Tomi, Camille et Damace, sont entrés dans la conversation ils sont passés augubëeher. Ensuite, la conversation est passée au français, puis au wolof.

    Dans ce contexte, on peut constater la présence de formes fusionnées. En ligne 24, bienque la langue de l’énoncé puisse être associée au prototype du kujireray, la forme fujin‘taureau’ diffère de la forme prototypique, fijjín. En kujireray, une voyelle antérieurefermée dans la racine déclenche un processus d’harmonie avec le préfixe. En jóolaeegimaa, ce processus n’existe pas, et donc le mot ‘taureau’ en jóola eegimaa estfugiin. Dodo utilise le préfixe d’eegimaa et une racine proche du prototype kujireray.Il est intéressant d’observer que Dodo utilise le kujireray dans cette conversation,

  • 90 Carrefour des langues, carrefour des paradigmes

    alors qu’il a grandi à Essyl où l’on par le jóola eegimaa, et vit depuis quinze ans àDjibonker.

    Dans le premier discours en contexte monolingue, nous avons constaté la prévalenced’éléments qu’on peut univoquement associer à un code ou des formes ambiguës. Dansle contexte mixte, on peut trouver des formes fusionnées qu’on ne peut pas associerà une des langues autrement identifiables dans l’énoncé. Dans le but d’établir despoints de références heuristiques, nous nous concentrons donc sur des séquences dediscours monolingues, tandis que les contextes mixtes éclairent la manière dont lescodes se fondent les unes dans les autres. À travers les projets qui précédaient leprojet Crossroads, et qui avaient comme objet la documentation et la description deslangues individuelles parlées au carrefour, nous disposons d’un corpus de données oùce mode domine. Du fait de la focalisation de ces recherches sur une langue concrète,les locuteurs nous offraient des genres, registres (et beaucoup moins d’interactions) quis’inscrivaient dans la logique patrimoniale : des monologues historiques, des contes,des proverbes, un vocabulaire centré sur la culture matérielle, l’agriculture et toutce qui peut être interprété comme appartenant à la « tradition ». Ce phénomène estrépandu en documentation et description linguistique et a été nommé « ancestral codemode » – mode du code ancestral – par Woodbury (2005). Ce mode, qui résulte d’unusage linguistique très censuré, mais parfaitement possible, offre des données situées àl’extrême monolingue du spectre de l’usage. Nous disposons donc d’un corpus basé surce mode monolingue pour chacune des langues nommées que nous étudions. À traversles contextes les plus monolingues observés dans notre étude de l’usage linguistique ausein de réseaux sociaux, nous pouvons confirmer que les éléments lexico-grammaticauxcontenus dans le corpus correspondent réellement à des conventionalisations, c’est-à-dire qu’elles sont partagées par un groupe de locuteurs. Pour nous, les caractéristiqueslexicales, phonologiques et morphosyntaxiques les plus conventionalisées permettentd’établir un point de référence, un prototype ou canon, qui nous sert de matricedescriptive pour saisir la composition du discours plurilingue sans pour autant vouloirdire qu’il contient des éléments issus des codes définis. À travers cette méthode, nousespérons pouvoir surmonter le défi épistémologique du linguiste descriptif de devoirfixer en le décrivant le phénomène éphémère du discours. Dans les paragraphes quisuivent, nous illustrons cette méthodologie et la nature du discours mixte dans lesdomaines des paradigmes nominaux et des convergences et divergences phonologiquespar rapport aux prototypes.

    3.2 Prototypes au carrefour

    Il est clair qu’il existe dans cette région une interaction entre le savoir métalinguis-tique, les attitudes et idéologies langagières et la parole au quotidien. La région aucarrefour constitue certainement un environnement très plurilingue où un code ‘mix-te’ est très répandu. Néanmoins, nous ne pouvons pas nier que les langues plus oumoins discrètes ‘existent’, mais elles se trouvent à un niveau de représentation cogni-tive différent de celui du discours. Les langues peuvent être, et sont distinguées parles locuteurs, qui régulièrement et facilement identifient un mot ou une façon de par-ler comme ‘un Bäınounk’ ou ‘un Eegimaa’, par exemple (et souvent s’en moquent !).En effet, ces langues idéalisées sont emblématiques des distinctions maintenues entre

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    les villages à travers leurs associations avec des langues patrimoniales, tandis que laconception plus fluide de l’identité se manifeste dans la parole plurilingue qui estpratiquée tous les jours.

    Les langues dans ce contexte doivent être conceptualisées comme des « prototypes» dans le sens de Rosch (1973 ; 1975 ; 1978). Selon la « prototype theory », les êtreshumains forment des catégories, non en forme de liste rigide de « necessary andsufficient conditions » mais autour d’une « schematic representation of the conceptualcore of a category » (Taylor, 1995 : 59). Si nous traitons donc une langue commeune catégorie, nous trouvons qu’il y a des traits, des mots, ou des constructionspour lesquels il existe un accord presque universel parmi les locuteurs concernantleur appartenance. Là où un trait diffère de ceux des autres langues, il devient trèsemblématique voir stéréotypique et fait partie du « conceptual core » de la langue enquestion. Il y a aussi d’autres traits, plus marginaux, dont l’appartenance peut êtrediscutée, voir restée ambiguë. Ces derniers incluent les mots qui sont rarement utiliséset qui sont aux marges de la conceptualisation du construit qu’est la langue. Parexemple, en kujireray il existe des noms pour des parties du corps qui sont acceptéspar tous les locuteurs. Ceux-ci incluent les noms pour les parties du corps qui seprésentent régulièrement dans le discours, comme fuhow ‘tête’, kañen ‘main’ et kaat‘jambe’. Par contre pour les noms des parties plus particulières, comme par exemple‘sourcil’ ou ‘la partie supérieure du bras’, il n’y a pas d’accord entre les locuteurs.

    Un prototype, dans la mesure où il correspond non pas à un concept abstrait mais à unusage linguistique observable, constitue donc plutôt la région centrale d’un diagrammeVenn, qui correspond au prototype partagé par un groupe de locuteurs (figure 2).Chaque locuteur aura son propre prototype dynamique, déterminé par sa biographie.Pour cette raison, les travaux descriptifs doivent être entrepris auprès de plusieurslocuteurs, pour obtenir une bonne image des prototypes individuels et collectifs deces langues. Les prototypes comme la variation peuvent être interprétés en fonctiondes réseaux sociaux des locuteurs.

    Figure 2: Prototype d’une langue

    Bien qu’il existe de la variation entre locuteurs, la région centrale du diagramme,représentant le prototype, est significative. Pour ce qui suit, ainsi que pour notrerecherche en cours, on peut considérer que le prototype de chaque langue se présenteau carrefour comme objet distinct (bien qu’il s’agisse des objets avec des « fuzzy

  • 92 Carrefour des langues, carrefour des paradigmes

    edges »). Comme nous l’avons décrit plus haut, le prototype lui-même est activé parle besoin social de posséder une identité linguistique distincte – sur le plan idéologique,les trois langues sont donc tout à fait séparées (figure 3).

    Figure 3: Prototypes des langues au carrefour

    Et en fait, nous observons qu’il existe entre les langues des différences réelles quenous pouvons décrire. Surtout, chacune des langues – du moins dans son prototype– maintient des caractéristiques particulières qui auraient pu se fondre. Parmi lescontrastes les plus visibles et les plus emblématiques se trouvent les systèmes declassification nominale, ainsi que certains aspects phonologiques et une partie dulexique. Dans ce qui suit, nous montrons certains domaines où les contrastes entre leslangues sont maintenus – au moins au niveau du prototype. Ces prototypes distinctsnous permettent donc aussi d’identifier des domaines où il y a des possibilités dedivergence ou convergence dans le discours plurilingue.

    Nous commençons avec les systèmes de classification nominale. Les trois langues aucarrefour sont caractérisées par des classes nominales, chacune des langues ayant uninventaire de vingt à trente préfixes classificateurs. L’inventaire se divise en para-digmes sémantiques à l’intérieur desquelles les marqueurs de classes expriment lesvaleurs de nombre (Cobbinah, 2013 ; Watson, 2015 ; Cobbinah & Lüpke, 2014 ; Sa-gna, 2008). Les domaines sémantiques, selon lesquels les paradigmes sont organisés,sont très similaires dans les trois langues qui possèdent toutes des paradigmes créantdes noms désignant des humains, des arbres, des fruits et des objets ronds, etc. (voirCobbinah, sous presse).

    Le système des classes nominales du bäınounk gubëeher maintient des différencessignificatives par rapport à celui des langues voisines jóola. Ceci est remarquable,vu qu’un lien généalogique, un contact linguistique intense et une proximité géogra-phique pourraient conduire à des convergences entre les systèmes. Par exemple, descorrespondances régulières qui auraient pu contribuer à la création de convergencesmassives dans le système restent marginales, comme les correspondances sémantiquesentre marqueurs phonologiquement liés (cf. jóola fu ∼ gubëeher bu-, ‘sg. du para-digme ‘rond’) ou encore une similarité phonologique d’autres marqueurs (cf. gubëehersi- ‘sg. du paradigme ‘arbre’ ∼ si- joola ‘pl. du paradigme ‘animal’).

    Compte tenu des contraintes phonologiques impliquant que la forme des préfixes àclasses soit (C)V, plusieurs préfixes ont la même forme phonologique : si-, bu-, u-, ja-,ji-, a-, fa- et ba- dans ces trois langues, il est d’autant plus frappant que, à l’exceptionde ba-, qui désigne le collectif dans les trois langues, et de jóola fu- ∼ gubëeher bu-(mais seulement au singulier de ce paradigme et avec des différences importantes dans

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    l’extension sémantique à travers les langues), aucun préfixe classificateur en gubëeherne corresponde de façon sémantique à son équivalent formel dans les langues jóola.

    L’intégrité des systèmes est donc très forte dans les trois langues. Même si des racineslexicales sont identiques dans plusieurs des langues, les paradigmes nominaux sontdistincts. Par exemple, la racine qui signifie ‘arbre’ est formellement similaire dansles trois langues. Cependant, cette racine dans les paradigmes respectifs est différenteentre langues bäınounk et jóola (tableau 4).

    Tableau 4: Correspondances entre racines lexicales et paradigmes nominaux pour ‘arbre’dans les langues au carrefour

    jóola eegimaa jóola kujireray bäınounk gubëeher gloses

    bu-nunuh / u-nunuh bu-nunuhen /u-nunuhen

    si-nunuhen /mu-nunuhen

    ‘arbre(s)’

    ma-fos ma-fos ja-fos ‘herbe’

    ji-cil / gu-cil ji-cil / ku-cil si-jil / i-jil ‘œil / yeux’

    Les systèmes de classification nominale peuvent donc être considérés comme une diffé-rence emblématique, surtout entre le gubëeher d’un côté et les deux langues jóola del’autre côté. Cela dit, tandis qu’un tel processus de mélange n’est pas attesté dansles prototypes des langues, l’un des buts du projet est de chercher et décrire lesdivergences des prototypes qui se présentent dans les différents modes de discoursplurilingue.

    Après avoir vu qu’une distinction entre le gubëeher et les langues jóola est mainte-nue dans les systèmes de classification nominale, nous indiquons brièvement commentles prototypes des locuteurs du kujireray et du gubanjalay se distinguent. Il est déjàévident que leurs systèmes de classification nominale sont très proches, voire iden-tiques, en raison de leur ascendance commune. Néanmoins, les locuteurs ont une idéetrès claire des traits qui appartiennent de façon univoque au kujireray et au gubanja-lay. Ces traits se trouvent surtout au niveau phonologique. Peut-être que la différencela plus emblématique entre ces deux langues est l’opposition des occlusives vélaires[k] ou [g] à l’initiale d’un mot. Cette différence est illustrée dans les salutations dutableau 5.

    Tableau 5: Les salutations en kujireray et eegimaa

    kujireray eegimaa glose

    ka-suum-ay gë-ssúm-ay bonjour (‘paix’)

    Ce contraste se manifeste dans les marqueurs de classes nominales aussi et constituealors un trait pénétrant, tout comme la correspondance entre consonnes et voyelles

  • 94 Carrefour des langues, carrefour des paradigmes

    longues (cf. dans les racines suum vs. ssúm dans le tableau 5). Nous examinerons,dans le discours, ainsi qu’en utilisant des stimuli, (voir par exemple Beyer, 2013) dansquelle mesure les locuteurs divergent des prototypes ou bien convergent vers eux, etcomment leurs pratiques linguistiques sont conditionnées par leurs réseaux sociaux.

    Les exemples dans les tableaux 4 et 5 illustrent le fait que même dans leurs prototypesrespectifs, on trouve beaucoup de convergences dues soit à la relation génétique deslangues (très étroit pour le kujireray et l’eegimaa, plus lointain pour le gubëeher), soitau contact prolongé entre ces langues. On peut provisoirement visualiser ce recoupe-ment par les parties superposées des cercles dans le diagramme Venn dans la figure4. Là où il n’y a pas de recoupement entre prototypes, les locuteurs ont la possibilitéd’indexer la proximité ou la distance avec un prototype particulier en utilisant destraits linguistiques comme par exemple les occlusives vélaires en tant que « second or-der index » (Silverstein, 2003) – autrement dit, en attribuant une signification socialeà un trait linguistique.

    Figure 4: Recoupements entre prototypes des langues au carrefour

    Conclusion

    Les situations sociale et linguistique que nous observons au carrefour sont un exemplepar excellence du plurilinguisme à petite échelle (Lüpke, 2016b) d’un type qui n’estpas encore bien décrit ou compris. La coexistence de variétés linguistiques localiséesavec des langues véhiculaires nationales et régionales, dans un environnement où les lo-cuteurs sont très mobiles et exhibent des répertoires extensifs et personnalisés semblecontradictoire à première vue. Nos recherches en cours dans cette région nous ont per-mis de déterminer que ces pratiques sont en fait le résultat d’une interaction complexeentre la cohésion sociale et le maintien des identités distinctes. Les alliances flexiblesrequises dans une situation de « frontier » ne sont pas possibles sans maintenir lesdifférences – une alliance entre deux ou plusieurs groupes présuppose une distinctionentre ces groupes en premier lieu, et la possession d’une ‘langue’, comprise commeprototype, est un instrument central exprimant celle-ci.

    La compréhension de ce dualisme nous a conduits à développer un modèle de pluri-linguisme où les prototypes sont présents dans les idéologies langagières et dans unepartie des pratiques linguistiques au quotidien. Les pratiques réelles dans les diffé-

  • Alexander Cobbinah, Abbie Hantgan, Friederike Lüpke et Rachel Watson 95

    rents contextes établis par Green et Abutalebi (2013) peuvent alors être mesurées enfonction de leur degré de convergence ou divergence par rapport à ces prototypes, enanalogie avec la distance ou proximité par rapport au « canon » dans la canonicaltypology (Corbett, 2000). Nous identifions des traits, comme les systèmes de classifi-cation nominale, les oppositions phonologiques entre occlusives vélaires et consonneset voyelles courtes et longues, qui sont particulièrement emblématiques et donc im-portants dans la formation des prototypes de ces langues. En examinant systémati-quement comment ces traits se présentent dans le discours plurilingue, nous serons enmesure de comprendre la manière dont les locuteurs se distinguent ou se rapprochentde leurs interlocuteurs en parlant dans des situations sociales différentes.

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  • Table des matières

    Introduction. Étude des pratiques plurilingues et défis contemporains.Hommage à Caroline Juillard, ProfesseureMichelle Auzanneau, Maragret Bento et Malory Leclère i

    I Des espaces urbains plurilingues pourappréhender l’hétérogénéité linguistique 1

    1 Espace sociolinguistique et plurilinguisme urbainLouis-Jean Calvet 3

    2 Pratiques plurilingues à Abidjan : français, dioula et baoulé en in-teractionsBéatrice Akissi Boutin 13

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    1 Quelques rappels sur l’airecommunicative urbaine d’Abidjan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    2 Méthodologie d’un corpus écologiquede français en alternance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

    3 Les alternances comme communication spontanée . . . . . . . . . . . . 19

    4 Fonctionnalisations des codes et du choix des codes . . . . . . . . . . . 23

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

    3 Lutte sénégalaise, communication et mobilité : production et trans-mission de modèles langagiers en milieu urbainMoustapha Mbengue et Ndiémé Sow 29

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

    1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

    2 Démarche méthodologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

  • 270

    3 Les lutteurs et leur mobilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

    4 Aspects du technolecte des lutteurset leur diffusion dans le parler urbain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

    II Les écrits dans la ville et la configurationsociolinguistique de l’espace urbain 43

    4 Plurilinguisme et urbanité : étude sociolinguistique des pratiqueslinguistiques informelles à Maputo-MozambiqueCésar Cumbe 45

    1 Présentation du terrain et de la problématique . . . . . . . . . . . . . 46

    2 Écrits et langues exposés à Maputo :une approche sociopragmatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

    3 La combinaison des langues dans les nomsdes transports et commerces informels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

    4 Hétérogénéité du plurilinguismeet caractère éphémère dans les écrits exposés . . . . . . . . . . . . . . 52

    5 Maputo : mobilités, transports et communication en ville . . . . . . . 54

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

    5 Le plurilettrisme urbain, difficulté de la transcriptionFrédéric Carral 61

    1 L’écrit : un médium différent de l’oral . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

    2 Plurilinguisme et plurilettrisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

    3 La traduction et la translittération :deux activités distinctes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

    4 L’écriture comme image graphique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

    5 L’écriture joue un rôle dans la transmissionet en didactique des langues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

    III Pratiques langagières casamançaises :un défi pour la description du plurilinguisme 77

    6 Carrefour des langues, carrefour des paradigmesAlexander Cobbinah, Abbie Hantgan, Friederike Lüpke et RachelWatson 79

  • 271

    1 Le projet Crossroads sur le plurilinguismeen basse Casamance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

    2 Comprendre le « carrefour » dans une perspective joignant sociolin-guistique, linguistique de contact et perspectives sur les idéologies lin-guistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

    3 Comprendre le carrefour dans une perspective structurelle . . . . . . . 85

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

    7 Ce que les pratiques langagières plurilingues au Sénégal disent à lalinguistique du contactJoseph Jean François Nunez et Isabelle Léglise 99

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

    1 Contact de langues et pratiqueslangagières plurilingues au Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

    2 Un corpus de pratiques langagières hétérogènes . . . . . . . . . . . . . 102

    3 Méthode d’annotation des pratiqueslangagières hétérogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

    4 Conséquences pour la linguistique de contact et discussion . . . . . . . 110

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

    IV Étude et impacts sociolinguistiques de lamobilité des locuteurs 121

    8 Pratiques langagières et délimitation identitaire des Libanais du Sé-négalRaghda Haidar 123

    1 Immigration ou diaspora . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

    2 Contexte sociolinguistique et pratiques langagières . . . . . . . . . . . 124

    3 L’émigration libanaise en Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

    4 Pouvoir économique et langues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

    5 Méthodologie de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

    6 Les entretiens à Beyrouth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

    7 Les entretiens à Dakar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

  • 272

    9 Contacts de langues, contacts de normes : évolutions dans l’immi-gration sénégalaise en FranceFabienne Leconte 133

    1 D’une migration d’hommes seuls à une migration familiale . . . . . . . 134

    2 Appréhender les évolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136

    3 Représentation des parlers mixtes et valorisation de l’écrit . . . . . . . 141

    4 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

    10 Variation stylistique, mobilité sociale et positionnements épilinguis-tiques en contexte migratoire : le cas de migrants camerounais àParisSuzie Telep 145

    Introduction : migration et répertoire langagier . . . . . . . . . . . . . . . . 145

    1 Positionnements discursifs au cours de « l’activité épilinguistique » :aller « au delà de l’identité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

    2 Pratiquer le francanglais entre pairs camerounais ? . . . . . . . . . . . 148

    3 Se positionner par rapport à des personnes extérieuresau groupe des pairs : la pratique du whitisage . . . . . . . . . . . . . . 151

    4 Le retour au pays d’origine,ou l’expérience de l’altérité à rebours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

    11 Mobilités et socialisation plurilingue : retour sur un mode de repré-sentation « bio-graphique »Patricia Lambert et Jacqueline Billiez 159

    1 Ancrages théoriques, objets et outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

    2 Donner à voir des trajectoires sociolinguistiques singulières . . . . . . 162

    3 Des perspectives de prolongements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

    V Approches historiques et politiques dessituations plurilingues : pratiques,représentations et éducation 171

    12 Revisiter le(s) plurilinguisme(s) algérien(s)Dalila Morsly 173

    1 Réaménagement des politiques linguistiqueset des politiques éducatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

  • 273

    2 Scolarisation massive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

    3 Migrations internes / externes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

    4 Autour du pôle tamazight . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

    13 Quels sont les apports de la sociolinguistique africaine aux problé-matiques de l’enseignement et de la didactique des langues ?Martine Dreyfus 183

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

    1 Première génération de recherches in vitrosur les langues en Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184

    2 Contexte plurilingue : quels typesde données sociolinguistiques peuvent êtreutiles à l’élaboration de propositions didactiques ? . . . . . . . . . . . . 187

    3 Quels concepts et notions sociolinguistiques peuventfaire l’objet d’une transposition didactique ? . . . . . . . . . . . . . . . 190

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

    14 Pensée globale et contexte national en Afrique subsaharienne : leparadigme angolais comme révélateur de perspectives pour l’éduca-tion et les languesFanny Dureysseix 197

    1 Préambule historique d’un contexte postcolonial africain . . . . . . . . 199

    2 Tensions linguistiques et éducatives postcoloniales . . . . . . . . . . . 200

    3 Discussion et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

    15 Réflexions autour des concepts d’éducation, d’éducation formelle,d’éducation non formelle, d’éducation informelleMamadou N’Diaye 211

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

    1 Les systèmes alternatifs : contexte d’apparition,objectifs, atouts et limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

    2 La notion d’éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212

    3 Éducation formelle / éducation non formelle . . . . . . . . . . . . . . . 213

    4 Éducation formelle / éducation informelle . . . . . . . . . . . . . . . . 214

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

  • 274

    VI Éducation bi/multilingue en contexteafricain217

    16 Quelle place pour les langues africaines dans l’enseignement pri-maire ? Table rondeLouis-Jean Calvet 219

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

    17 Enseignements bi- ou plurilingues en AlgérieDalila Morsly 221

    18 Le programme bilingue de AREDAwa Ka Dia 225

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

    1 ARED et l’éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

    2 Le Projet d’appui à l’éducation de qualité en langues maternelles pourl’école élémentaire au Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226

    19 Quelle place pour les langues africaines dans l’enseignement pri-maire ? Note d’intervention du Secrétaire général de la CONFEMENJacques Boureima Ki 231

    1 Des éléments de constats et des récits de vie . . . . . . . . . . . . . . . 231

    2 Les principales raisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

    20 Langues africaines et multilinguisme scolaire : les projets LASCO-LAF et ELAN au service de l’amélioration de la qualitéAmidou Maïga 237

    1 Contexte et problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

    2 L’étude LASCOLAF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

    3 L’Initiative ELAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

    21 La prise en compte des langues nationales dans l’élaboration deslivrets IFADEM : cas du BurundiMelchior Ntahonkiriye 245

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

  • 275

    1 La politique linguistique éducative du Burundiet l’IFADEM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246

    2 L’IFADEM et la prise en compte de la langue maternelle . . . . . . . . 247

    3 La contextualisation des situationset des contenus de formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250

    Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

    22 Échanges maître-élèves, compétences langagières des maîtres dansles langues d’enseignement, et profils didactiquesColette Noyau 253

    1 Écoles bilingues, paramètres linguistiques de leur efficacité . . . . . . . 253

    2 Gestion des échanges maitre-élèves en classe . . . . . . . . . . . . . . . 254

    3 Variation des pratiques langagières enseignantesen fonction des champs disciplinaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

    4 Les apprentissages à travers ces pratiques enseignantes . . . . . . . . . 265

    5 De la caractérisation aux préconisationset à la formation des enseignants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266

  • Sous la direction de Michelle Auzanneau, Margaret Bento et Malory Leclère

    Écla i rages d ’Afr ique ou d ’a i l l eurs

    Espaces, mobil i tés et éducat ion pluri l ingues

    é d i t i o n s d e s a r c h i v e s contemporaines

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    Les mutations sociales contemporaines constituent de nouveaux défis pour la sociolinguistique et suscitent le renouvellement d’outils méthodologiques et conceptuels permettant de repenser les rapports entre langage et société. Cet ouvrage réunit des textes qui contribuent à relever ce défi en apportant des éléments de compréhension relatifs aux situations sociolinguistiques contem-poraines et à leurs dynamiques plurilingues en lien avec la ville, la migration et l’école. Tous contribuent à revisiter les pratiques, les mobilités et l’éducation plu-rilingues, rendant ainsi un hommage aux travaux du professeur Caroline Juillard.

    Michelle Auzanneau est professeure en sciences du langage à l’université Paris-Descartes et au Ceped, UMR 196. Ses recherches portent sur la variabilité de pratiques langagières situées et en interaction. Margaret Bento est professeure en didactique des langues et en sciences du langage à l’université Paris-Descartes, EA 4071 (« Éducation, discours, apprentissages »). Ses recherches portent sur la didactique des langues étrangères et plus particulièrement sur la transposition didactique. Malory Leclère est maître de conférences à l’université Sorbonne-Nouvelle – Paris 3. Ses re-cherches, menées au sein de l’équipe DILTEC-EA2288, portent sur les pratiques enseignantes et les dimensions interactionnelles des situations d’apprentissage.

    Prix public : 40 eurosISBN : 9782813002198

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    É c l a i r a g e s d ’ A f r i q u e o u d ’ a i l l e u r s

    Sous la d i rect ion de Michel le Auzanneau , Margaret Bento et Malor y Lec lère

    Espaces, mobilités

    et éducation

    plurilingues