enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
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Master 2 Communication d’entreprise pour professionnels
MARTIN Laurie
Mémoire de recherche 2011/2012
Enjeux identitaires et communicationnels d’une logique de marques territoriales
Le territoire peut-il se vendre en rayon ?
Institut de la Communication et des Médias 11 avenue du 8 mai 1945 - BP 337 - 38434 Échirolles – Tél. 04 56 52 87 17
2
Remerciements ____________________________________________
Tout d’abord je tiens à remercier ma tutrice Fabienne MARTIN-JUCHAT qui a su distiller
au bon moment ses remarques et encouragements. Je remercie également tout le personnel
administratif, le secrétariat du service formation continue ainsi que celui du département
Information et Communication, et plus particulièrement Marie SIBEUD en sa qualité de
directrice des études et Yves NICOLAS responsable de ce master. Merci à toutes les
personnes qui ont donné de leur temps pour me recevoir et, qui ont partagé avec moi leur
expériences et avis sur ce sujet des marques de territoire.
Entre sorties, révisions et discussions passionnées, un grand merci à mes « collègues de
classe » avec qui j’ai vécu cette étape un peu particulière, et sans qui cette année n’aurait
pas été si agréablement colorée.
Enfin un grand merci à mon amie, ma famille, les amis et l’équipe de l’Office de Tourisme
de Montgenèvre qui m’ont supporté dans ma décision de reprise d’études, ils ont toujours
été un immense soutien.
3
DECLARATION
1. Ce travail est le fruit d’un travail personnel et constitue un document original.
2. Je sais que prétendre être l’auteur d’un travail écrit par une autre personne est une
pratique sévèrement sanctionnée par la loi.
3. Personne d’autre que moi n’a le droit de faire valoir ce travail, en totalité ou en partie,
comme le sien.
4. Les propos repris mot à mot à d’autres auteurs figurent entre guillemets (citations).
5. Les écrits sur lesquels je m’appuie dans ce mémoire sont systématiquement référencés
selon un système de renvoi bibliographique clair et précis.
NOM : MARTIN PRENOM : Laurie
DATE : Grenoble, le 11 juin 2012 SIGNATURE :
Déclaration anti-plagiat
________________________________________________
4
Table des matières ____________________________________________
Remerciements p. 2 Déclaration anti-plagiat p. 3 Introduction p. 6 1ÈRE PARTIE : LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU p. 8 MARKETING TERRITORIAL 1. Contextes d’émergence du marketing territorial p. 9
1.1. Mondialisation versus territorialisation p. 9
1.2. Industrialisation des outils de communication p. 10
1.3. De l’importance de l’image p. 12
1.4. Entre publicité et propagande, la manipulation des foules p. 13
1.5. Les stratégies « push » des agences de communication p. 14
2. Les villes en première ligne p. 15 2.1. Les projets d’aménagements urbains p. 16
2.2. L’architecture : un média permanent p. 18
2.3. Le marketing événementiel et le géographisme des villes p. 18
2.4. Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation p. 21
en date du marketing urbain : un nouveau critère de différenciation
3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies p. 23
de communication territoriale
3.1 Un contexte politico-administratif favorable p. 23
3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90) p. 24
3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites p. 26
de marketing territorial (année 2000)
5
2ÈME PARTIE : LA COMMUNICATION ET LE MARKETING p. 28 EN TENSION, LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ? ANALYSE DES ENJEUX
1. Problématiques et enjeux identitaires p. 30
1.1 L’identité une notion délicate p. 31 1.1.1 Concurrence identitaire p. 31 1.1.2 Identité individuelle et collective p. 32 1.1.3 Identité vécue versus identité perçue p. 33 1.1.4 L’individu à identités multiples p. 34
1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie p. 35
2. Communication publique et marketing en tension p. 37
2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ? p. 37 Perversités d’une transposition marketing publique/privée
2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir p. 39 2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et p. 41 images banalisés
2.3.1 Des messages réducteurs p. 42 Exemple de la nouvelle marque Hautes-Alpes 2.3.2 La pauvreté des images p. 45
2.4 Les marques de territoire, l’expression d’un retard ? p. 46 3. Une logique marketing qui montre ses limites p. 46
3.1 D’un marketing classique à un marketing 2.0, p. 47 relationnel et affectif Exemple Le coup de cœur des Ardennes
3.2 L’effet « poupées russes » des marques, un défaut p. 50 de lisibilité
3.3 L’autorité et la rigidité des « codes de marques » p. 52 Conclusion p. 54 Bibliographie p. 57
Table des figures p. 60 Liste des sigles p. 61 Annexes p. 62 Annexe 1 Exemples de campagnes publicitaires de villes p. 63 Annexes 2 Contenu d’une formation en marketing territorial p. 70
6
Introduction Tout au long de mon parcours professionnel j’ai été confrontée à diverses problématiques
concernant l’attractivité des territoires. J’ai été aussi très tôt animée par un désir plus
personnel d’accompagner les collectivités locales dans leurs actions et plus
particulièrement dans leurs actions de communication. Souvent regardée comme un
gaspillage d’argent public, la communication territoriale a souffert et souffre aujourd’hui
encore de certains a priori, or c’est à travers elle que se construisent les projets de
territoires, et sans cette fonction pédagogique d’information/communication, les
collectivités ainsi que leurs élus se trouveraient bien dépourvus face aux nouveaux enjeux
sociétaux et économiques : développement durable, réformes de décentralisation, nouvelles
technologies, concurrence territoriale, délocalisations…
Fiers de jouer un rôle dans la construction d’un sentiment d’appartenance à une terre, les
communicants publics se trouvent aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis
communicationnels. Avec une mondialisation de plus en plus envahissante et les nouvelles
réformes des collectivités locales (mal comprises des citoyens), la concurrence entre les
territoires et les collectivités a non seulement donné lieu à une surenchère publicitaire,
mais a aussi ouvert la porte à des stratégies commerciales de plus en plus agressives. Le
marketing s’est alors invité dans la sphère publique en proposant des marques de territoire.
Ce terme « marque de territoire » est, pour moi, d’une part trop éloigné de la notion de
service public et d’autre part trop réducteur quand il s’agit de porter à la connaissance des
publics toutes les richesses culturelles, patrimoniales, humaines, agricoles, sociales que
renferme un espace géographique, mais aussi administratif puisqu’un territoire1 est un
espace administré. Est-il possible de faire de ce territoire un bien marchand ?
La communication publique et territoriale sert l’intérêt général2 et a pour mission « de faire
rencontrer l'État et les citoyens dans un but de partage et d'échange»3 ; tandis que le
marketing 4 considère l’homme davantage comme un consommateur que comme un
citoyen, en ce sens il se donne pour objectifs de cerner aux mieux les attentes des
1 Du verbe terreo en latin (terrifier), mais peut aussi venir de terra la terre, les juristes du 6ème siècle ont 2 Du latin communicare, préfixe cum « faire avec », notions d’échange et de partage. Et publicius « qui concerne l’Etat » 3 http://communicationcitoyenne.over-blog.com/article-27938583.html (consulté le 05 juin 2012) 4 De la racine latine mercator « marchand »
7
consommateurs dans le but d’accroître par la vente les profits de l’organisation pour
laquelle il travaille. L’infiltration de techniques et d’outils en provenance d’une culture
marchande dans les services et les stratégies de développement des collectivités locales,
n’est donc pas forcément un élément constructif pour la communication publique. C’est ce
constat qui m’a encouragé à traiter ce sujet du marketing territorial avec un éclairage un
peu critique mettant en tension deux domaines (communication et marketing) qui peuvent
correspondre à des sphères publique/privée très éloignées les unes des autres en termes
d’organisation, d’administration financière, d’objectifs, d’intérêts… et qui jusqu’alors
étaient cloisonnés par des cursus de formation très différents.
Ce mémoire se présente en deux temps, dans la première moitié nous nous attacherons à
comprendre pourquoi et comment le marketing a pu infiltrer la sphère publique française.
Dans un premier point nous dessinerons le contexte, et les conditions d’émergence de cette
culture marketing, dans un second point nous nous attarderons sur les premières
manifestations du marketing territoriale dans les villes, puis nous poursuivrons dans un
troisième point l’historique de ce nouveau paradigme, avec l’appropriation par les régions
du concept de marque de territoire.
Dans la seconde moitié de ce travail, j’ai souhaité traiter une question simple et « choc »
qui interpelle : « le territoire peut-il se vendre en rayon ? » à travers cette question, il
s’agira de montrer en quoi une logique de création de marque de territoire peut se révéler
finalement contre-productive en matière de communication publique. Dans un premier
point, nous aborderons la notion délicate de l’identité (fondement de tout territoire), le
second point sera consacré à la mise en lumière des tensions existantes et émergeantes
entre marketing et communication, donnant naissance à une véritable lutte de pouvoir, et
enfin, le troisième point s’attèlera à démontrer les limites auxquelles se heurte le marketing
traditionnel quand ses outils et techniques rencontrent des administrations et territoires
publics. Par ailleurs, ces deux grandes parties, chacune découpée en trois points, seront
ponctuées d’exemples concrets qui serviront d’illustrations à mes propos théoriques.
8
1ÈRE PARTIE LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU
MARKETING TERRITORIAL
1. Contextes d’émergence du marketing territorial
9
Dans les années 70, face aux nouvelles revendications sociales citoyennes, notamment
participatives, les instances politiques prennent conscience de l’importance de la
communication politique et surtout de la nécessité de faire preuve de transparence à l’égard
des citoyens ; de là dépend la crédibilité des gouvernances politiques locales. Très liée au
marketing politique des années 80, la notion de marketing territorial est née de plusieurs
facteurs simultanés : l’industrialisation du domaine de la communication, la mondialisation
et l’intérêt croissant que portent les agences de communication aux collectivités
territoriales. Dans le même temps l’apparition des nouvelles sciences de l’information et
de la communication, et de la sémiologie, incite les collectivités publiques à placer l’image
au centre de leurs stratégies de communication et de développement. Ce premier constat
dessine alors dans notre société le contexte d’émergence du marketing dans la sphère
publique.
1.1 Mondialisation versus territorialisation
Nouveau défi pour les institutions politiques, la mondialisation, extension du système
capitaliste à l'ensemble de l'espace géographique mondial, prime aujourd’hui sur les
intérêts du développement économique local et sa culture. Les collectivités cherchent
désormais à inscrire leurs actions au niveau européen voir international. En ce sens
l’expansion des marchés industriels et des échanges entre les nations et les hommes, influe
sur l’information et la communication des parties prenantes. La mondialisation de
l’information et des outils de communication, qui touchait au départ les entreprises privées,
les systèmes informatiques et les logiciels bancaires, s’est étendue petit à petit au grand
public avec l’émergence d’internet. Ces mutations technologiques accentuent la tendance à
la globalisation des marchés, qui devient un modèle prégnant dès le début des années 1980.
Mohammed Taleb, historien et philosophe, déclare à ce propos « Les lois du marché
pénètrent les sphères non marchandes de la réalité, y compris l’organisation du vivant. »5,
puis il poursuit en expliquant « Culture et territoires sont dotés de frontières multiples et
poreuses. Ces derniers subissent de plein fouet une mondialisation qui disloque les espaces
temps locaux, au bénéfice d’un espace temps monde. » Les territoires vont donc à leur tour
devoir évoluer pour accompagner les changements sociétaux, et ce dans un contexte de
mondialisation de plus en plus puissant.
5 in Territoires, n°452, novembre 2004, p.13. Mohammed Taleb s’intéresse aux enjeux culturels de la globalisation et à son impact sur les peuples.
10
On assiste paradoxalement et dans le même temps, non pas à une mondialisation qui
homogénéise l’espace mondial mais, au contraire, à une différenciation des territoires, le
néologisme « Glocalisation » 6 de Bernard Miège illustre parfaitement cette hypothèse : en
dépit d’une harmonisation des techniques, les institutions territoriales s’appliquent à se
différencier laissant derrière elles le reste du monde. Selon Dominique Wolton, la
mondialisation, n’est pas sans effet négatif sur la communication territoriale :
La problématique du territoire devient cruciale […] Plus on vante les vertus de la communication, plus, en contrepoint, émerge le besoin d’être quelque part. Ce profond mouvement de balancier anthropologique concerne également la politique, le grand changement ici est la mondialisation des enjeux. Tout devient mondial mais si l’on ne donne pas aux citoyens les moyens d’agir et de réaliser au plan local, le déséquilibre sera catastrophique. Le local est le symétrique indispensable à l’élargissement constant des frontières. 7
La volonté de se démarquer au niveau international devient pourtant la norme. Les
territoires, avec les villes en première ligne, vont de ce fait faire usage de nouvelles
techniques commerciales et communicationnelles dans l’objectif d’être connus et reconnus
au niveau mondial, mais à partir de leurs spécificités et de leur ancrage dans un lieu
particulier.
1.2 Industrialisation des outils de communication
Dans une ère post fordiste8 , on assiste à la création d’autoroutes de l’information
débouchant sur une industrialisation des produits culturels et des outils de la
communication. Cette tendance à l’hyper industrialisation, dénoncée notamment par
Theodor W. Adorno et Max Horkheimer9, est accentuée par l’essor des technologies de la
télécommunication et leurs utilisations croissantes dans le développement des territoires.
Jean Lecanuet, homme politique dans les années 70, s’exprimait sur le rôle des
communications dans l’aménagement géographique de l’espace : « les communications de
tout ordre sont l'une des conditions indispensables de l'aménagement du territoire (…) »10.
6 Nous reviendrons plus en détail sur ce paradigme de tension communicationnelle globale/locale dans la seconde moitié de ce travail. 7 in Bruno Cohen-Bacrie, Territoires en promotion, Weka, Paris 2003 8 G. BENKO, Marketing et territoire, in J.-M. Fontan, J.-L. Klein, D.-G Tremblay (éds), Entre la métropolisation et le village global, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université́ du Québec, 1999, p. 81-83 9 in La dialectique de la raison, 1947. Ouvrage qui développe les fondements de la théorie critique de l’Ecole de Francfort 10 in Daniel Sperling, Le Marketing territorial, la communication des régions, Milan-Media, Toulouse : 1991
11
Car si la communication est considérée comme un moyen d’organiser le territoire,
participant à la formation de mégalopoles, elle prend également part à l’industrialisation
des pratiques culturelles, informationnelles et sociales.
Les entreprises du secteur privé sont les premières à recourir massivement aux nouveaux
outils issus de la révolution industrielle (machines automatisée, travail à la chaîne…) dans
l’objectif d’accroître leur productivité, s’en suivront l’adoption d’autres techniques de
promotion commerciale comme le marketing avec pour but de se forger une notoriété,
créer le besoin et répondre à la demande qui en découle. Ces entreprises vont imposer ce
modèle au secteur public, qui lui s’en servira, non pas pour augmenter sa productivité,
mais pour rationnaliser méthodiquement le fonctionnement de ses organismes publics. Car
comme le souligne Bernard Miège :
Les politiques publiques ne sont guère séparables des enjeux globaux de la communication, et les acteurs publics qui, certes disposent de moyens d’actions particuliers, ne sauraient être mis à part ; leurs stratégies se confrontent à celles des acteurs privés, quand elles ne se confondent pas avec elles.11
Dans un mouvement général mondialisé, le secteur public n’a pas d’autre choix que de se
conformer aux mouvances et tendances de l’époque, sans quoi il accumulerait un retard
considérable par rapport au secteur privé et aux autres pays, une conclusion que partage
Bruno Cohen-Bacrie : « […] Les collectivités territoriales, auraient tort de ne pas jouer leur
partition, en se positionnant habilement sur ce terrain de l’image.12 »
En conséquence, nous assistons à une montée en puissance des stratégies d’images, un
levier qui va revêtir toute son importance aux yeux du public.
1.3 De l’importance de l’image
Convaincues, de l’importance de communiquer, les collectivités
territoriales, guidées par les agences de communication et l’émergence
d’un marketing globalisé, vont mettre en place des stratégies basées
principalement sur des campagnes d’images. Dans le même temps, entre
11 in Bernard Miège, La société conquise par la communication, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1989 12 op. cit.
12
1966 et 1970, « L’équipe de Publicis, en relation étroite avec Barthes et
sa revue Communications définit alors progressivement ce qui devait
constituer le premier paradigme de concepts de la sémiologie appliquée.
L’objet central de cette sémiologie était l’image fixe – annonce ou
affiche. »13
Désormais soucieuses des signes que peuvent envoyer
leurs visuels et, des représentations mentales qu’elles
véhiculent auprès du grand public, les villes sont les
premières à vouloir convaincre et attirer par des actions
de communication basées uniquement sur la création de
systèmes graphiques : images, slogans, logo... Autant
d’éléments qu’elles jugent utiles afin que le public les
identifie.
Les communes, souvent aveuglées par l’effet marketing
de « la culture pub » et poussées par les lois sur la
décentralisation qui accentuent la concurrence entre les
territoires et les collectivités14, une multitude de « campagnes » voient le jour en France
comme en Europe : Nantes avec les affiches Effets Côte-Ouest, OnlyLyon, Montpellier la
Surdouée (fig. 1), Strasbourg Europtimist, Je veux Metz, Je vis ailleurs je vis au Havre, I
AMsterdam, Be Berlin…15 Il s’agit alors pour les villes, d’une part de mettre en valeur
leurs atouts touristiques afin d’attirer des investisseurs et des vacanciers, et d’établir un
consensus social autour d’une même image ou slogan d’autre part. En quête de notoriété,
les villes cherchent alors à justifier leurs actions marketing : « Ramené à un produit, le
territoire a donc une légitimité à faire connaître la qualité de son offre. »16 Au delà des
création des marques-villes, le marketing touristique participe fortement à la mise en place
de véritables stratégies d’images, Atout France tient d’ailleurs à le souligner : « Le
13 in B. Fraenkel & C. Legris-Delportes (éd.), Entreprise et sémiologie, Paris, Dunod, 11- 19 « Petite histoire de la sémiotique commerciale en France » 14 cf. paragraphe 3.1 à propos du contexte législatif 15 cf. annexe 1 les exemples de publicités des villes 16 op. cit.
fig. 1
13
tourisme constitue un enjeu fort pour la plupart des capitales européennes qui déploient de
véritables stratégies pour séduire les clientèles de proximité. » 17
La notion de séduction pose alors la question de la manipulation et de l’influence des
images.
1.4 Entre publicité et propagande, la manipulation des foules
Considéré comme le père de la propagande politique, Edward Bernays, dans son ouvrage
Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie de 1928, souligne la mince
frontière entre la publicité et la propagande. La dernière jouant « un rôle important dans la
société démocratique »18 . Séduire et influencer le grand public par des campagnes
publicitaires d’affichage en masse tendrait à se confondre avec les techniques de
propagande politique employées habituellement pour influer le vote politique des citoyens.
Comme si les individus devaient aujourd’hui « voter » pour leur ville, leur département ou
leur région préférée (action qui est d’ailleurs effective sur les réseaux sociaux). Les
photographies et les reproductions utilisées sur les affiches de promotion touristique des
territoires seraient alors choisies pour ce qu’elles représentent comme symbole dans
l’esprit des gens, des consommateurs, et non pour la réalité du territoire qu’elles illustrent.
Ici Lyon, par cette représentation photographique souhaite véhiculer l’image mentale d’une ville romantique suscitant du désir. Mais la photographie, mise en scène, retouchée et transformée, ne correspond pas à la réalité vécue par les touristes ou les Lyonnais.
17 Christian Mantei, Piloter l’attractivité touristique des destinations urbaines, Atout France, Paris, Mars 2012 18 E. Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, Paris 2007
fig. 2
14
Dans Propaganda Edward Bernays soulevait l’importance des mécanismes
psychologiques : «Autrement dit, il nous arrive de désirer telle chose, non parce qu’elle est
intrinsèquement précieuse ou utile, mais parce que, inconsciemment, nous y voyons un
symbole d’autre chose dont nous n’osons pas nous avouer que nous le désirons. »19 Les
psychologues de l’Ecole de Freud ont étudié ces mécanismes de désirs, qui sont utilisés par
les propagandistes afin d’influencer la foule et, les techniques de marketing territorial n’y
sont pas totalement imperméables.
Ces techniques d’influences par l’image nécessitent des compétences particulières, qui
bien souvent faute d’être présentes en interne, sont sous-traitées à des agences de
communication.
1.5 Les stratégies « push » des agences de communication
Entre 1980 et 1990, les collectivités vont user et abuser de nouvelles techniques de
communication, comme la publicité par l’image, provoquant déjà à l’époque une certaine
méfiance chez les citoyens vis à vis du marketing territorial. Bruno Cohen-Bacrie, y fait
d’ailleurs référence dans son ouvrage Territoires en promotion20 : « Les gourous, le strass
et les paillettes deviennent des éléments caricaturaux d’une gigantesque mise en scène des
territoires et des élus dont tous ne sortent pas indemnes. »
Ces années fastes de la publicité, où l’on relève une multitude de slogans tel que Biarritz,
l’art de communiquer, Montpellier la surdouée, ont alors contribué à placer les agences de
communication sur un piédestal. Les élus au sein des collectivités, et les services
communication leur accordant une confiance aveugle (aussi parce qu’aucune formation en
communication n’est proposé par le service public, ce qui est d’ailleurs toujours le cas
aujourd’hui) vont alors se reposer sur l’avis de ces professionnels employés par les
agences. Nous constatons également que les communicants recrutés dans le secteur privé
(les contractuels) et les élus deviennent au cours de ces mêmes années de plus en plus
sensibles aux discours circulants sur le marketing, se laissant facilement convaincre par les
publicitaires et les agences de conseils du rôle indispensable de ces techniques. Pourtant,
en 1991, Daniel Sperling tentait déjà de nous mettre en garde sur les dérives possibles et
19 ibid. 20 op. cit.
15
contre-productives des techniques de séduction auxquelles ont recours les agences de
communication :
Dans le même esprit, par souci de rentabilité et, parfois, par complaisance, certaines agences sont amenées à proposer des campagnes de communication plus destinées à séduire les décideurs qu’à atteindre réellement les objectifs de communication précis. Elles utilisent alors des outils de communication qui permettent d’impressionner et de valoriser les décideurs, mais qui ne contribuent nullement à implanter dans les esprits la conscience d’appartenir à un territoire.21
Isabelle Pailliart, directrice du Gresec à l’université de Grenoble 3, déclarait également lors
d’un entretien que « le recours à des agence publicitaires a conduit à utiliser des recettes
issues de la sphère marchande, des politiques d’image peu adaptées. »
Le lobby des agences pèsent encore aujourd’hui sur le service public, car pour elles les
enjeux demeurent importants : décrocher de nouveaux marchés à l’heure où la crise frappe
de plein fouet les entreprises privées et leurs budgets communication.
2. Les villes en première ligne
Bien que la notion de marketing territorial existe depuis de nombreuses années, le terme de
marketing urbain ou city branding l’a précédé. La première ville à faire l’expérience d’un
marketing de ville fut New-York avec le lancement de sa célèbre city brand . En
France c’est Lyon qui a été pionnière avec la création de son agence de développement
économique du Grand Lyon et de sa marque OnlyLyon.
Dans un contexte de marché de plus en plus concurrentiel : celui de l’implantation
économique, les élus et leurs villes ont montré la voie en posant le problème de
l’attractivité et des images de marque des territoires. Dans cette perspective les villes se
veulent créatrices de richesses humaines, culturelles, économiques… et entrent de ce fait
automatiquement en concurrence, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou
internationale.
21 op. cit.
16
Par ailleurs, selon une enquête sur l’image de marque des villes et le marketing territorial,
réalisée en 1988, Philippe Jarreau distingue quatre éléments qui vont marquer l’essor de la
communication des villes :
1) La crise du modèle Fordo-keynésien : fin de la production de masse et diversification de la
commercialisation des services, produits… 2) L’importance nouvelle des problèmes de gestion dans les agglomérations, un contexte
gestionnaire qui institue une logique entrepreneuriale de la ville, s’ouvrant ainsi au marché de la communication et du marketing.
3) L’opacité croissante de la société civile. La crise de l’urbain oblige à repenser les problématiques et le regard porté sur la ville et montre l’insuffisance de la culture technique (aménagement et urbanisme) qui était, convoquée jusqu’alors pour l’action. La communication et le marketing offrent de ce fait la simplicité, l’efficacité, la séduction et une lecture rapide des différents aspects du sociétal.
4) La découverte/redécouverte du « Qualitatif ». « Si la société des années 60-70 avait pour tâche essentielle de cerner le « où » et le « quand » des usages et manifestations sociales, l’objectif aujourd’hui est d’identifier, d’évaluer, à partir d’une connaissance fine et qualitative du « comment » et du « pourquoi » des liens sociaux et dispositifs consensuels afin de proposer des actions de développement. »22
Dans ce second point, nous tenterons de comprendre comment les villes, par la mise en
place de leurs différents projets urbains, ont participé au développement des techniques de
communication.
2.1 Les projets d’aménagements urbains
À partir des années 80 les villes ont souhaité délivrer au public une nouvelle image de la
modernité, une image qui allait les valoriser et qui leur permettraient d’attirer des
investisseurs et cadres supérieurs. L’apparition d’une nouvelle échelle de territoire
européenne participe également, à l’époque à l’accentuation de la concurrence entre les
villes. Ces dernières se disputent les nombreux dossiers, comme l’arrivée du TGV, pour
tenter de se positionner comme ville capable d’accueillir et de réaliser de grands projets
européens.
22 P. Jarreau, Survey sur l’image de marque des villes et le marketing territorial, Note de synthèse et de réflexion stratégique, Cristal CSPC, Montrouge : Mai 1988.
17
Très rapidement les élus prennent alors conscience des enjeux économiques et politiques
qui pèsent sur les programmes de développement urbain de leurs villes. Avant même de
commencer des travaux, des plans de communication sont mis en place pour faire
connaître aux citoyens la volonté de la municipalité de se moderniser, d’innover, de
changer la ville...le tout dans l’objectif de séduire des investisseurs privés. On notera par
ailleurs « la contradiction croissante entre deux types de marketing : le premier à
destination des décideurs économiques, qui a pour objectif d’inciter à des implantations ou
à développement d’activités ; et le second à destination des habitants, visant à convaincre
ceux-ci de la qualité des services urbains locaux. »23, sujet sur lequel nous reviendrons
dans la seconde moitié de ce travail.
La communication des villes entre 1980 et 1995 était alors avant tout basée sur des
équipements urbains, nous citerons notamment ici l’exemple de Grenoble, Bordeaux ou
encore Nantes avec leur réseau de tramways, ou encore de Nîmes avec la médiathèque de
Norman Foster, le Nemosus de Jean Nouvel et les abribus relookés par Philippe Starck,
célèbre architecte designer. Il s’agissait de travailler sur l’image mentale de la ville pour
transformer, dans l’esprit des individus, des représentations parfois négatives. D’abord
23 Citation relevée d’une table ronde, retranscrite in Coll., La ville Marketing, revue Urbanisme N°344, sept-oct 2005
fig. 3
18
utilisée comme un moyen de mobiliser les habitants et agents des collectivités en interne,
la création d’une image particulièrement attractive devient de plus en plus une exigence
aux yeux des décideurs soucieux du développement économique de leur territoire.
2.2 L’architecture : un média permanent
Dans une course effrénée aux investisseurs, les municipalités veulent désormais envoyer
des signaux forts pour démontrer leur capacité à se moderniser. Ainsi, le projet Euralille
dessiné par Rem Koolhaas, designer urbain de renommée, fait figure d’exemple en la
matière : l’architecture devient un moyen de communication, et le changement d’image de
marque d’une ville passe désormais par des constructions investies de signes, tels des
monuments24 des temps modernes qui veulent marquer leur époque, et prendre marque
pour l’avenir. Le monument devient alors un signe distinctif pour la ville, à Grenoble la
tour Perret évoque dès les années 20-30 l’âge d’or de la houille blanche, plus tard il
s’agira avec le projet de construction d’une maison de la culture Le Cargo de faire de
Grenoble une ville dynamique et ouverte sur le monde. À Nîmes c’est la médiathèque de
Norman Foster qui fait rayonner la ville au-delà de ses traditionnelles férias ; à Lille le
projet Euralille, lancé en 1990, participe à la prospérité de la ville, qui évite en 1994 une
sérieuse crise économique.
Les noms donnés à ces divers projets architecturaux donnent lieux à de nombreux marchés
publics en communication et marketing, car ils deviennent de réels noms de marques, sur
lesquels les villes vont s’appuyer pour se vendre.
2.3 Le marketing événementiel et le géographisme 25 des villes
Outre les projets d’architecture, les élus vont actionner d’autres leviers pour placer leur
ville sur le devant de la scène dans l’objectif, toujours, de recruter et fidéliser les
entreprises sur le territoire. La communication (n’étant que le moyen et non la finalité) va
accompagner ces nouveaux leviers que sont : l’organisation d’événements à caractère
international et le géographisme.
24 En latin moneo : avertir, faire savoir, faire songer à, faire se souvenir. 25 Entendons ici la capacité à communiquer sur les voies d’accès et les avantages de son positionnement géographique.
19
En plus de communiquer vers l’extérieur via des affiches ou des encarts publicitaires, les
villes vont aussi constituer d’épais dossiers de candidature dans le but d’être choisies
comme ville organisatrice des Jeux Olympiques ou comme capitale Européenne de la
culture. Ces manifestations engendrant une notoriété sans égale comparée à des campagnes
de publicité classiques sont aussi l’occasion pour le territoire urbain d’améliorer ses
infrastructures, et donc de proposer un cadre de vie plus qualitatif pour les citoyens. Ces
grands événements transforment généralement l’image de la ville de manière durable :
« L’événementiel beaucoup plus nettement que l’événement est destiné à produire une
image de marque décisive pour la ville. » 26
Ainsi pour Grenoble les Jeux Olympiques de 1968 ont été un véritable tremplin pour la
ville, pas seulement en matière de sport, mais aussi en matière d’innovation technologique.
L’événement sportif a servi de coup de projecteur sur une ville à la pointe de la recherche
et de la technologie : premier téléphérique urbain, première retransmission en couleurs,
création du centre d’étude nucléaire, SOI 27 … Au-delà du rayonnement et de la
médiatisation de l’événement lui-même, la ville va renforcer sa compétitivité économique
en accueillant de nombreuses industries nouvelles. Dans les années 70 la marque-ville
Grenoble devient un gage d’innovation pour les entreprises implantées dans son territoire.
À l’époque, cette récente notoriété accompagnée et encadrée par des actions de
communication (création d’un logo…) va permettre à Grenoble de concurrencer d’autres
grandes villes françaises.
Nombreux sont les exemples de villes qui se sont dynamisées par, ou grâce à des
événements, on citera Athènes avec l’organisation des Jeux-Olympiques en 2004, Cannes
avec son festival cinématographique, Avignon avec son célèbre festival de théâtre, ou
encore Angoulême avec son festival de la bande dessinée.
26 M. Rosembeg, Le Marketing urbain en question, production d’espaces et de discours dans quatre projets de villes, Anthropos-Economia, Paris : 2000. 27 SOI : silicium sur isolant, Grenoble est souvent appelée « vallée du Silicium » de par cette découverte
20
Souvent mis en avant lors des événements, l’accès aux sites, l’accès à la ville est un critère
de choix qui pèse lourd dans les dossiers de candidature. C’est même la condition sine qua
non pour accueillir un événement de portée internationale. La géographie et les
infrastructures de transport deviennent par conséquent des éléments marketing importants.
La proximité d’autres grandes agglomérations, de gares, d’aéroports, d’autoroutes,
influence de façon importante le choix des PDG sur leurs implantations économiques.
Relayer ces informations, utiliser tous les moyens de communication possibles pour faire
connaître ces atouts, est devenu indispensable. D’ailleurs aujourd’hui, les territoires se
vendent grâce à leurs arguments sur l’accessibilité :
Montgenèvre à 4h30 de Paris en TGV, à 1h de Turin (…) 28. À l’extrême Ouest de l'Europe, la Bretagne est desservie par deux grands axes : en provenance du Nord et du Sud, l'autoroute des Estuaires (A 84 et A 83) et en provenance de l'Est, l'autoroute Océane (A 11). Dès votre entrée dans la région, vous accédez au réseau routier breton 2x2 voies entièrement gratuits. 29
28 Éléments relevés dans les différentes brochures promotionnelles de la station 29 Sur le site de Bretagne Tourisme : http://www.tourismebretagne.com/informations-pratiques/venir-en-bretagne
Fig. 4 fig. 4
21
2.4 Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation en date du marketing urbain : un nouveau critère de différenciation
« Les acteurs du marketing font désormais apparaître l'argument écologique au niveau de
l'éco-conception, de la vente et de la communication de produits répondant aux standards
du développement durable. » Ce type de discours, extrait d’un dossier sur le marketing et
le développement durable30 n’échappe pas aux préoccupations des producteurs de villes.
En réponse à la demande croissante des citoyens-habitants, les récents projets de villes
basés sur le concept de l’éco-construction31 vont devenir intrinsèquement de véritables
supports médiatiques destinés, eux-aussi, à renforcer la notoriété et l’image de marque de
la ville.
L’émergence de ce marketing durable et responsable va permettre par ailleurs aux villes de
mener une politique de crédibilité en offrant à ses habitants une qualité de vie supérieure.
Des nouveaux quartiers bioclimatiques, comme la caserne de Bonne à Grenoble, aux
bâtiments publics HQE32, aujourd’hui on communique sur les capacités d’une ville à se
renouveler, à se saisir des technologies alternatives et innovantes (fig. 5). Selon Gilles
Rabin, actuel directeur général adjoint, Pôle développement métropole Nice Côte d’Azur,
« Sur le marché concurrentiel de la ville, l’innovation est aussi une donnée vitale. » 33
30 http://www.e-marketing.fr/Dossiers-Thematiques-Marketing/Marketing-et-developpement-durable-2/Sommaire.htm 31 « Eco-construire » équivaut aujourd’hui à atteindre une haute performance sur plusieurs cibles touchant à l’environnement, au confort et la santé des occupants d’un bâtiment, en particulier la préservation des ressources énergétiques, la lutte contre le changement climatique, la réduction des déchets et de la pollution, la qualité de l’air intérieur, le confort des occupants, la qualité environnementale et sanitaire des produits de construction. » Définition tirée du site : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Eco-construction-et-eco-renovation-.html 32 Haute Qualité Environnementale 33 in Urbanisme, N°14, sept-oct. 2005
22
Avec de nouveaux critères comme la qualité du cadre de vie, le taux de réussite des
établissements scolaires, le nombre d’espaces verts, la quantité de bâtiments labellisés
HQE… Les classements effectués chaque année par la presse magazine (fig. 6) attisent la
concurrence entre les métropoles, qui de plus en plus, mettent en œuvre des campagnes de
promotion basées sur ces initiatives durables et écologiques pour attirer de nouvelles
populations de cadres.
Aujourd’hui, on constate, que cet attachement aux publicités affichées dans les lieux à
forte fréquentation, comme le métro parisien, vont crescendo, mais que rares sont les villes
françaises qui vont être mises en avant via ces supports, les régions ont pris le relais. Si
dans les années 80 les villes étaient en première ligne et furent les premières à mettre en
fig. 5
fig. 6
23
place des actions de communication pour la promotion de leur territoire, actuellement elles
ne sont plus les seules à communiquer.
3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies de communication territoriale
Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les villes qui communiquent mais des espaces plus
grands : les territoires, correspondant aux régions ou aux départements. Expérimentée
d’abord par les villes, cette logique communicationnelle s’est étendue majoritairement aux
régions car ces dernières, souvent méconnues, avaient besoin d’exister auprès du public. Je
retiendrais quatre principales raisons à ce glissement de la communication urbaine vers
d’autres institutions territoriales :
1) Les effets de la décentralisation et l’émergence d’une structure administrative et financière
plus à même de communiquer et d’en financer les budgets. 2) La question de la pertinence de l’échelle territoriale, « quel est le périmètre géographique
pertinent pour communiquer ? » 3) La mutualisation des budgets, les villes n’avaient pas les moyens de mettre ne place des
campagnes de communication dans les grands médias nationaux et sur la durée : « L’union fait la force ».
3.1 Un contexte politico-administratif favorable
Avant 1972 les régions n’étaient qu’un découpage administratif de la France. Le Général
De Gaulle en 1969 propose de hisser les régions au rang de collectivités territoriales par
référendum mais celui-ci sera rejeté. C’est en 1972 que la loi n°72-619 du 5 juillet
concrétise la volonté des pouvoirs politiques de déléguer certaines compétences à un autre
niveau de collectivités territoriales : les régions deviennent alors des établissements publics
régionaux aux compétences très limitées (assemblée consultative uniquement, faible
budget, exécution des décisions par le préfet de région...). La loi du 2 mars 1982 sur la
décentralisation, dite « Deferre » va donner aux régions une autre légitimé avec trois
avancées majeures34 :
34 Cours de Bruno Cohen-Bacrie du 20 janvier 2012, Communication des collectivités territoriales
24
1) La suppression de la tutelle administrative de l’Etat 2) Le transfert du pouvoir exécutif : le préfet demeure le représentant de
l’Etat sur le territoire mais laisse son rôle d’exécutif au président d’une assemblée élue, et n’exerce plus qu’un contrôle a posteriori sur la légalité des actes.
3) La région devient une collectivité territoriale à part entière au même titre qu’une commune ou qu’un département.
Si les régions existent en droit, elles ne sont pas légitimes pour autant aux yeux du public.
L’entrée en jeu de ce nouvel acteur va évidemment accentuer la concurrence entre les
collectivités territoriales. En parallèle la région apparaît au milieu des années 80 comme un
échelon pertinent pour le développement économique en Europe. Elles deviennent alors
des acteurs politiques européens grâce à des moyens institutionnels et associatifs leur
permettant de défendre leurs intérêts à Bruxelles. Elles peuvent, grâce au Comité des
régions créé en 1994 suite au traité de Maastricht de 1992, intervenir dans l’élaboration de
normes communautaires. Ainsi « La construction européenne a malgré́ tout permis la
montée en puissance des régions dans l’Europe. Elles s’imposent donc progressivement
comme des acteurs économiques et politiques au niveau national, européen et international.
Par conséquent, elles deviennent des protagonistes importants dans la concurrence entre les
territoires »35.
3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90)
Méconnues jusqu’alors les régions, en devenant des collectivités territoriales, vont se voir
attribuer un certain nombre de compétences (gestion des transports régionaux, des
lycées…) qu’elles doivent revendiquer publiquement. Afin de trouver leur place dans un
paysage médiatique déjà bien occupé par les départements et les communes, les régions
vont donc à leur tour « entrer en communication » comme « on entre en religion ». Plus
proches des citoyens, les communes et les départements sont des institutions déjà bien
connues du public, l’entrée en jeu d’un nouvel acteur communicant change la donne : les
régions, souffrant d’un manque de profondeur historique, sont désormais obligées de
communiquer pour exister. En conséquence, elles ont recours aux techniques modernes de
communication et de marketing dans le but de promouvoir leurs forces.
Un peu comme une « marque ombrelle » en marketing, les régions tentent d’imposer leur
image à coup de grandes campagnes publicitaires nationales, voir européennes (fig. 7). 35 in M. SCHUBERT , sous la direction de Romain Pasquier, La stratégie de marque pour la Bretagne -Attractivité et gouvernance régionale -, Sciences-Po, Rennes : 2009-2010
25
Outre cette suprématie médiatique nouvelle, les régions bénéficient d’une « préférence
d’échelle ». En effet l’échelle géographique ville ou département n’est plus forcément la
bonne pour offrir une identité territoriale s’adressant à toute l’Europe, mobilité et
effacement des frontières obligent. Cependant, cette hypothèse est nuancée, car certaines
villes bénéficient d’une notoriété supérieure à celle de certaines régions, avec une « image
fig. 7
26
de marque » beaucoup plus affirmée et connue, Muriel Rosemberg exprime clairement son
opinion sur le sujet en déclarant que « Montpellier peut se développer sans la région et que
le contraire n’est pas vrai. » L’identité des régions, et des villes qui la composent, seraient
donc très liées. L’une se servant de l’autre pour exister dans le paysage communicationnel.
C’est cette sorte de dépendance qui va aussi, paradoxalement accentuer la concurrence
entre deux acteurs de la communication territoriale : la commune et la région.
3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites de marketing territorial (année 2000)
Les régions « apparaissent comme un marché privilégié par rapport à celui de la ville pour
les agences de communication et de publicité. Elles évitent les embûches du parcours
administratif et politique de la décision municipale souvent dissuasif au regard du budget
proposé. »36 Cette concurrence acharnée, qui se joue surtout sur l’image, débouche alors
sur l’explosion des budgets des conseils régionaux alloués à la communication. Malgré des
contestations et incitations à la prudence (souvenirs de années pub dans les années 80), de
plus en plus conscientes de gérer des sentiments identitaires forts, les régions n’hésitent
pas à mettre en place des stratégies d’images conséquentes. Ainsi la région Bourgogne a
augmenté entre 2004 et 2008 ses crédits dédiés à la politique de la communication de
200%. En Ile-de-France entre 1998 et 2009, les dépenses de communications ont été
multipliées par quatre pour atteindre plus de 15 millions d’euros. En 2008, le conseil
régional du Limousin dépensait 840 000€ pour des espaces publicitaires et actions de
communication vantant ses actions. Philippe Jarreau note également que :
C’est à l’occasion de cet essor des messages sur les territoires régionaux, dont les images débordent souvent les seules circonscriptions administratives, que le terme de marketing territorial est venu désigner pour les aménageurs cet élargissement des compétences en communication. Cette expression, qui vise à l’emploi de ce nouveau terme, doit plus sa construction par effet d’évitement d’une redondance sur le mot même de communication ou de marque, qu’à la volonté d’épingler un processus bien distinct de la communication urbaine.
Cette expression de marketing territorial, selon Bruno Cohen-Bacrie, renvoie ainsi à une
démarche proche de la publicité, ce qui tend à en limiter les effets. C’est pourquoi les
collectivités tentent au début des années 2000 d’innover par la mise en place de nouveaux
outils de communication et de marketing, basés sur une approche qui vise à faire du
36 op. cit.
27
territoire un produit, et de la collectivité, une entreprise. André Harteau37 résume les quatre
champs de ce « marketing territorial » : - mieux comprendre le marché
- mieux s’y adapter
- mieux se positionner face à la concurrence
- définir une stratégie
A partir de là, nous constatons un engouement pour la création de marques de territoires.
Mais peut-t-on pour autant appliquer stricto sensu les stratégies des grandes marques
commerciales à un produit « public » et ancestral qu’est le territoire ? Ce marketing, qui va
alors de plus en plus pénétrer la sphère non-marchande, n’est probablement pas sans
conséquence sur la communication publique et territoriale.
Dans la seconde partie de ce mémoire nous poserons l’hypothèse suivante : les stratégies
de marketing territoriales son limitées dès lors qu’elles évoluent dans un prisme de non-
consommation (le citoyen, usager, touriste…ne consomme pas le territoire à proprement
parler38), et peuvent de fait devenir contre-productives en matière de communication.
37 Ancien cadre territorial, formateur au CNFPT, auteur d'ouvrages spécialisés sur la communication territoriale. Il a été directeur de cabinet et est lui-même élu. (http://www.cap-com.org) 38 Le citoyen, usager, touriste…consomme des services, des loisirs, des prestations d’activités…
28
2ème PARTIE LA COMMUNICATION ET LE MARKETING
EN TENSION LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ?
ANALYSE DES ENJEUX
29
Dans ce nouvel univers de marques de territoires nous sommes en droit de nous interroger
sur la place de la communication publique. Peut-on vendre un territoire avec les mêmes
techniques marketing mises en place pour la vente de produits de grande consommation ?
Avant de poursuivre le développement de cette seconde partie, je tiens à faire une
remarque importante : contrairement à ce que l’on constate dans le secteur
privé : cloisonnement des services marketing/communication et description de la
communication comme « support » au marketing, nous observons dans les collectivités
territoriales issues du secteur public des tendances inverses. Les campagnes et stratégies de
communication pré existeraient aux outils marketing, qui ne seraient finalement que des
instruments au service de la communication, souvent dans l’objectif de légitimer l’action.
Patrick Lamarque39 et Dominque Mégard40 nous rejoignent d’ailleurs sur cette hypothèse :
Quand à l’approche marketing, loin de disparaître, elle se met au service de la démarche de communication pour affronter les différentes compétitions dans lesquelles la ville est engagée (tourisme, implantation d’investisseurs).41 La boite à outil du marketing peut opérer : segmentation, ciblage et positionnement… Le marketing n’a pas d’autre vocation et ne peut en aucun cas se substituer aux autres fondamentaux de l’action publique – le projet politique notamment. Il est un outil à son service.42
La communication publique et territoriale se reposerait sur le marketing, et non pas
l’inverse, afin de moderniser et d’adapter ses pratiques à la société d’aujourd’hui. Mais
cette hypothèse est contestée par Benoît Meyronin43, qui préfère voir en la communication
des outils opérationnels, intervenant dans un second temps pour mettre en place la stratégie
décidée préalablement par des marketers au service d’une politique économique
d’attractivité du territoire.44
Les enjeux de ce nouveau paysage communicationnel et marketing sont donc nombreux et
complexes : construction et différenciation par la notion d’identité, lutte de pouvoir,
39 Patrick Lamarque enseigne à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires. 40 Ancienne journaliste professionnelle, puis directrice de la communication d’une ville de Rhône-Alpes, elle est aujourd’hui Présidente de Cap’Com (réseau de la communication publique et territorial créé en 1988). 41 op. cit. 42 D. Mégard, La communication publique et territoriale, Coll. Les Topos, Dunod, Paris : 2012. 43 Enseignant-chercheur, Professeur Senior au département Marketing de Grenoble Ecole de Management et auteur de l’ouvrage Marketing Territorial, enjeux et pratiques. 44 Propos recueilli lors d’un entretien le 23 mai 2012.
30
banalisation des messages, multiplication des marques, saturation de l’univers de marque
du consommateur, modernisation des outils… Dans les parties qui vont suivre, nous
poserons quelques problématiques qui mettent en exergue les limites des stratégies
marketing appliquées aux territoires publics.
Dans la première partie nous regarderons l’importance de la notion d’identité territoriale
(peut-on vendre son identité ?), dans la seconde partie il s’agira de regarder, à travers le
prisme de la concurrence, les tensions entre marketing et communication. Et enfin dans la
troisième partie nous pointerons les limites d’une logique marketing, tout en proposant des
pistes de réflexions alternatives pour l’avenir.
1. Problématiques et enjeux identitaires
Sujet très sensible dans notre société, l’identité a souvent été cantonnée au seul concept de
reconnaissance de l’individu : « L’identité est ce que l’on est. »45. Or le terme d’identité,
comme le précise André Harteau46 est beaucoup plus complexe : « La notion d’identité
pour un territoire est tout aussi complexe que pour un être humain : le nom, le rapport à
l’espace, à l’histoire, aux autres… y participent. » Outre le fait qu’un territoire puisse être
identifiable grâce à un nom de marque ou à des images, il est avant toute chose délimité
par des frontières administratives et symboliques. Ainsi les crozets sont le symbole de la
Savoie, pas de la Haute-Savoie, la noix de Grenoble est associée à la ville et non pas à
d’autres communes de l’agglomération… Toutes ces représentations traditionnelles qui
participent à forger l’identité de chaque territoire doivent être préalablement connues et
intégrées par les différents acteurs en charge de construire ou de reconstruire une identité
territoriale, sans cette condition les stratégies de marketing territorial sont bien souvent
vouées à l’échec. L’identité est alors le fondement du territoire, et par conséquent de ses
stratégies de communication.
Dans cette première partie nous tenterons de souligner l’importance que revêt cette notion
d’identité dans les constructions de marques de territoire, et d’expliquer différents aspects
45 in D. Mégard, B. Deljarrie, La communication des collectivités locales, L.G.D.J, Paris, 2003 46 Lors d’un entretien retranscrit in Territoire en promotion de Bruno Cohen-Bacrie. André Harteau est Directeur territorial, diplômé en sciences sociales et actuel directeur de cabinet du maire de Lanester.
31
de cette notion, qui à un moment ou un autre, participe à la mise en tension de la
communication publique avec les stratégies de marque des collectivités.
1.1 L’Identité : une notion délicate
1.1.1 Concurrence identitaire Il s’agit dans toute stratégie de marketing territorial, de valoriser, d’affirmer l’identité d’un
territoire, cette concurrence accentue les revendications identitaires. Plus on communique,
plus on revendique son appartenance, son identité. Ce sujet est délicat : dès lors que l’on
revendique son identité, sa marque, on exclut de fait les autres, tout ce qu’il y a autour :
« On pourrait parler d’excès et de développement de patriotisme, que l’on pourrait illustrer
par les indépendantistes bretons ou basques par exemple. »47
Dans un régime de concurrence territoriale où chacun ne pense qu’à se démarquer
individuellement, la communication publique ne souffrirait-t-elle pas d’un manque de
lisibilité du fait de la multiplicité des émetteurs ? Pour les citoyens, toute la difficulté
réside dans le fait de pouvoir identifier les différents émetteurs de la communication
publique, car il y a bien ici aussi une concurrence identitaire. Chaque collectivité travaille à
se forger une identité visuelle et mentale, puis la confronte à celles des autres collectivités
afin de légitimer son existence d’une part, et de promouvoir son territoire et ses actions de
l’autre.
Quant aux services communication des collectivités, toute la difficulté est de trouver cet
équilibre : revendiquer son identité nationale ou régionale sans pour autant dévaloriser
l’identité des autres nations ou régions françaises. Cette notion de concurrence identitaire
se complexifie encore un peu plus quand nous regardons de plus près l’identité propre à
chaque territoire. Si jusqu’à présent, nous avons plutôt évoqué le concept de l’identité dans
un contexte global de concurrence inter-territoires, il faut désormais décortiquer cette
notion et la regarder à travers le prisme intra-territoire.
47 http://clementgravereaux.files.wordpress.com/2011/04/marketing-territorial.pdf Dossier rédigé par Simon Duchemin et Clément Gravereaux : Marketing territorial.
32
1.1.2 Identité individuelle et collective Précédemment nous avons inscrit la notion d’identité du territoire dans un contexte de
concurrence globalisée, or il faut également pouvoir expliquer comment un territoire se
construit une identité, à partir de quoi et ce qu’elle renferme. Cet éclairage nous apportera
des éléments clés pour décrypter les nouvelles stratégies de marketing territorial.
Un territoire a une identité qui lui est initialement donnée par ses frontières
administratives, mais il faut surtout souligner ici qu’un territoire est ce qu’il est de par les
individus qui l’habitent. Les individus forment une communauté, une population,
participant ainsi à la construction de identité territoriale dite « identité collective ». Mais il
faut également prendre en compte chacun des individus séparément, c’est « l’identité
individuelle ». L’identité du territoire se construit alors à partir de ces deux notions -
d’identité collective et individuelle - à la fois ambivalentes et complémentaires (fig. 8).
Toute la problématique des collectivités locales est de faire cohabiter, dans leurs projets
d’aménagement comme dans leurs stratégies de communication, l’identité individuelle et
l’identité collective. Car si chaque individu s’identifie à un territoire (sa terre, son histoire,
son patrimoine), il doit également pouvoir ressentir un sentiment d’appartenance à une
communauté (traditions, associations, projets de vie...). Ces deux notions d’identités sont
liées et ne peuvent être traitées l’une sans l’autre. Il s’agira pour le communicant public de
trouver le bon compromis pour s’adresser à la fois au collectif et à l’individu, tout en
Identités individuelles
Identité collective
IDEN
TITE DU
TERR
ITOIR
E
Actions de communication : réunions publiques, consultations, logos, campagnes d’images, parutions périodiques… = cohérence
Stratégies
fig. 8
33
sachant également que la notion d’identité est évolutive, et que chaque individu a plusieurs
identités au cours de sa vie. 48
Cette tâche se complique davantage quand la collectivité lance des campagnes de
communication (d’image, d’Internet, sur les réseaux sociaux…) mettant en avant des
éléments trop éloignés des réalités.
1.1.3 Identité vécue versus identité perçue
Des territoires comme la Bretagne ou l’Alsace49 qui ont leur propre langue régionale, un
drapeau connu de tous, des traditions et un folklore très présents, bénéficient d’un ancrage
territorial fort, d’un sentiment d’appartenance à une terre et d’une fierté d’appartenance à
une communauté. Avec cette cohésion territoriale déjà bien développée, ces régions sont
les premières à mettre en place de nouvelles stratégies de marques de territoire. Un certain
crédit leur sera alors peut-être accordé, car ces marques étaient pré existantes dans l’esprit
des individus, mais pouvons nous accorder autant de crédit à une marque régionale qui ne
serait pas empreinte d’une identité forte véhiculant un sentiment d’appartenance au
territoire ? Comme la région Rhône-Alpes par exemple ? En résumé, la construction d’une
marque territoriale basée sur une identité se justifie t-elle pour tous les territoires ? Est-ce
un réflexe systématique à avoir ?
48 Nous reviendrons un peu plus loin sur cet aspect multi identités (1.1.4) 49 La région Alsace a lancé un appel d’offre pour la création de sa marque en 2011, juste après la Bretagne.
fig. 9
34
Qu’est ce que cela signifie quand Grenoble Métropole veut mettre en avant, dans sa
stratégie de communication la recherche scientifique (fig. 9) ? Cet atout lance une
dynamique de territoire, mais quand la Métro traite ces sujets, elle en exclue forcément
d’autres. Pendant qu’elle parle des projets du futur, elle tait d’autres sujets sur la qualité de
vie comme les violences urbaines ou encore le bruit (sujets pourtant très attendus par les
citoyens). Avec la couverture ci-après (fig. 9) on voit bien que le magazine de la Métro
tente de renforcer son identité de territoire innovant, mais cela donne une identité qu’à une
partie du territoire seulement, les autres ne se sentant alors pas concernées, d’où
l’importance de communiquer sur des identités vécues.
La « non prise » en compte d’éléments constitutifs de l’identité du territoire dans la
construction de marque, conduit à une impasse communicationnelle.50 Car les stratégies et
les campagnes médiatiques qui ne se basent pas sur la ou les identités vécues, risquent de
ne pas rencontrer leurs cibles. Ce que confirment Hervé Naillon et Elisabeth Pastore-
Reisse dans leur ouvrage sur le marketing éthique :
La marque est un univers global faits d’images et de réalités dont l’adéquation est indispensable : faites ce que vous dites. Si les créatifs d’agence peuvent vous donner une image superbe, ne leur demandez pas de vous inventer : soyez vous-même. C’est de cette sincérité que naît la marque.51
Lorsque l’on convoque les terme d’identités individuelles et de « cibles » il faut également
être prudent car un individu qui vit en collectivité revêt différentes identités selon qu’il est
usager des transports en commun, parent d’élève, employé… ce qui fait de lui une cible
difficile à cerner et donc à atteindre.
1.1.4 L’individu à identités multiples L’individu qui habite un territoire est avant tout un citoyen, qui dans sa définition première
est : une personne jouissant, dans l'État dont il relève, des droits civils et politiques52. Mais
tout au long de son existence cet individu va voir son identité évoluer, se multiplier. La
mise en marché des territoires transforme de fait le positionnement individualiste du
50 Les résultats de l’enquête menée par le Ceccopop en 2003 auprès des services communication des grandes villes, des départements et des régions, montrent que pour 100% des Directeurs de la communication l’intégration de l’identité vécue rendait leurs actions de communication plus efficaces. 51 in Bruno Cohen-Bacrie, La communication publique territoriale, procédures, cibles et objectifs, Dossier d’experts de la Lettre du Cadre, Nov. 2004. 52 Définition Larousse 2012
35
citoyen, en consommateur. D’abord consommateur de services publiques : l’école, le
transport, le ramassage des ordures… il peut tour à tour se retrouver agent de la
collectivité, Président d’une association citoyenne, membre de l’union de quartier,
ambassadeur de son territoire…changeant par conséquent d’identité en fonction de ses
activités. Cette multiplication des casquettes qui participe au cloisonnement de différentes
identités : professionnelle, militante, d’opposant (quand il est élu dans l’opposition), donne
du grain à moudre aux services communication des collectivités.
Dans les stratégies de marques de territoires, les communicants doivent donc intégrer ce
paramètre identitaire complexe. Faire appel à des outils marketing peut leur permettre de
« segmenter » ces différentes identités et de concevoir des messages adaptés à chacune, car
l'idée selon laquelle « les consommateurs consomment des marques qui expriment leur
identité et contribuent à l'expression de soi est largement répandue chez les praticiens du
marketing. »53
Mais contrairement aux marques commerciales, les marques territoriales n’obéissent pas
aux mêmes logiques puisque la collectivité, à la différence des entreprises, dépend d’une
gouvernance élue par le vote des citoyens, et que la communication publique est financée
en grande partie par les impôts des contribuables. Ces derniers sont donc forcément très
attentifs aux dépenses publiques, ils ont besoin d’être convaincus par la légitimité de la
marque de leur territoire, sans quoi ils risquent de ne pas adhérer à la démarche et de
dénoncer les dépenses « inutiles » du service public. Afin d’éviter de tomber dans ce
travers, les collectivités publiques mettent de plus en plus en œuvre des actions basées sur
le concept de démocratie participative. Ce changement sociétal, en partie initié par
l’émergence de nouveaux outils de communication multimédia, met en avant le besoin
d’interactivité, l’intérêt croissant des citoyens pour la vie publique locale, et leur désir d’ y
participer.
1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie
Comme nous l’avons vu en première partie de ce travail, la communication publique et
territoriale évolue aujourd’hui dans un contexte mondialisé, dans lequel elle doit également
faire ressortir les spécificités locales du territoire qu’elle promeut. Le terme de
53 http://culture-materielle.blogspot.fr/2011/05/consommation-identitaire-le-lifestyle.html (consulté le 30 mai 2012)
36
« Glocalisation » mentionné par Bernard Miège dans son ouvrage : La société conquise
par la communication, a permis de nommer cette contradiction fondamentale entre
globalisation et localisation. Les collectivités publiques sont face à de véritables enjeux
communicationnels : informer localement, rassembler et fédérer les citoyens, tout intégrant
les nouvelles pratiques dictées par les lois de la mondialisation des marchés. Le
communicant public d’aujourd’hui est hybride car il doit rendre visible les collectivités
afin qu’elles se différencient à l’échelle mondiale, tout en prenant en compte les
problématiques locales sur lesquelles leurs actions de communication sont très attendues
par les citoyens. Christelle Fourrier, maître de conférence à l’Université Pierre-Mendès
France de Grenoble, lors de son intervention à la table ronde sur La communication en
débats : des représentations aux pratiques 54 parle même de schizophrénie dans les
pratiques des communicants. Selon elle on assiste à la déconstruction de cette notion de
globalisation. D’une part, la logique de visibilité et de construction d’avantages
concurrentiels inscrits dans le paradigme dominant de la globalisation a un effet pervers
sur la communication publique - puisqu’elle participe à la création d’une concurrence
exacerbée entre les territoires, menant bien souvent à une course effrénée et déraisonnable
en matière de dépenses en communication - ; et d’autre part nous constatons une
relocalisation de la communication, un retour en force de la territorialité. La
« glocalisation » serait alors un élément central à prendre en compte dans la création des
marques de territoires.
Après avoir évoqué les différents aspects complexes qui résident dans le terme d’identité,
peut-t-on encore considérer que celle-ci puisse être instrumentalisée par la communication
et le marketing, dans l’objectif de mettre en place des stratégies puis des campagnes de
promotion ?
54 Intervention à la table ronde du 4 mai 2012 organisé par Grenoble IUT2, l’UPMF, l’Université Stendhal (UFR LLASIC), et le GRESEC.
37
2. Communication publique et marketing en tension L’identité est le fondement du territoire, mais les personnes qui l’habitent sont des parties
prenantes essentielles dans la construction et l’évolution de celle-ci. Ces citoyens, comme
nous l’avons vu précédemment, sont dans des stratégies de marques territoriales considérés
comme des consommateurs à part entière. Ils sont en permanence à la recherche d’un
équilibre entre leur identité de citoyen et leur identité de consommateur, tout comme ils
doivent faire cohabiter leur identité sociale individuelle et l’identité collective du lieu
qu’ils habitent. Cette quête d’identité se réalise aussi à travers leurs actes de
consommation : c’est parce que je consomme telle ou telle marque ou tel ou tel service que
je suis, c’est parce que nous consommons que nous sommes… Cette hypothèse pousse à
nous interroger sur les effets pervers que peuvent engendrer des campagnes marketing de
plus en plus agressives qui imprègnent aujourd’hui notre culture. Sphère publique ou
sphère privée, désormais les frontières s’effacent et la logique consumériste fait
aujourd’hui partie de notre quotidien, mais faut-il pour autant appliquer les techniques
marketing héritées de la société de consommation au service public ?
Même si le territoire doit mettre en place une politique et une stratégie globale
d’attractivité pour « se vendre » après des investisseurs et attirer des habitants, il n’est pas
pour autant un objet inanimé que l’on peut simplement saisir en rayon pour le mettre dans
son caddie.
L’objet de notre problématique, qui va être développé dans les parties qui vont suivre, pose
cette question : le territoire peut-il se vendre comme un produit de grande consommation ?
Le marketing peut-il se substituer ou cohabiter avec une communication publique et
territoriale déjà bien implantée ?
2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ? Perversités d’une transposition marketing publique/privée
Nous l’avons évoqué précédemment : plus nous sommes noyés dans la mondialisation,
plus nous avons besoin de revendiquer notre identité. Face à ce contexte particulier de
concurrence identitaire accrue, nous allons constater une tendance à l’effacement du
service public œuvrant pour l’intérêt général, au profit d’une logique beaucoup plus
38
commerciale et individualiste héritière de la société capitaliste. Les services
communication des collectivités locales mal préparés à ce changement et peu habitués aux
nouveaux modes de consommation vont dans un premier temps construire leurs actions
avec des techniques empruntées au marketing rencontrées habituellement dans les
entreprises privées. L’objectif étant de développer des marques de territoire, celles-ci
débouchant bien souvent de manière irréfléchie sur des créations de logos, de slogans, de
grandes campagnes médiatiques. Ces transpositions hasardeuses vont se révéler finalement
contre productives en matière de communication publique, car le territoire n’est pas un
produit comme un autre. Une terre évolue avec son histoire, son patrimoine, sa population,
ses traditions… Il semble donc difficile de positionner le territoire, et de le vendre comme
si il était réduit à une simple marchandise inanimée. D’ailleurs, les notions d’achat et de
vente changent de dimension lorsqu’on parle de territoire. L’achat, qui s’applique
généralement à un produit tangible, est l'opération commerciale qui aboutit à l'acquisition
d'un bien ou d'un droit.55 Or nous ne pouvons posséder un territoire public. La notion de
vente revêt elle aussi un autre aspect puisque le territoire ne vend rien à proprement parler,
il fait la promotion d’un site.
Ces deux termes qui évoluent usuellement dans la sphère marchande ne sont qu’un extrait
du vocabulaire technique du marketing, car quand nous parlons de marketing, nous
rencontrons des termes comme « courbe en S », « promesse consommateur », « bénéfice
produit », « retour sur investissement », « avantage concurrentiel », « rentabilité », « valeur
marchande », « profit »… La question que je souhaite poser est la suivante : peut-on faire
usage des ces termes lorsque l’on parle du territoire ? D’une marque territoriale ? Si dans
son ouvrage sur le Marketing Territorial, Benoît Meyronin, explique la démarche de
marketing stratégique appliquée aux territoires et mobilise des outils du marketing
traditionnel comme le SWOT56, il faut néanmoins questionner la finalité de ces démarches
commerciales. Le territoire est-il un produit rentable ? Dégage-t-il des bénéfices directs ?
Quelle est la promesse qu’il peut apporter aux différentes cibles ? Si la promesse est
différente pour chaque segment de citoyen-consommateur, comment l’identité collective
peut-elle se construire ?
55 Définition du Dictionnaire juridique français 56 Strenght, Weakness, Opportunities, Threats. Une méthode d’analyse-diagnostic célèbre en marketing.
39
On voit bien ici que la transposition d’un discours marketing à la sphère publique
territoriale peut avoir quelques effets pervers, et que ce vocabulaire technico-commercial
trouve ici des limites.
Fabrice Hatem, conseiller économique à la CNUCED57, dans un article rédigé par sur les
agences de développement, s’est d’ailleurs attaché à relever les différences fondamentales
qui existent entre une entreprise privée et un territoire :
Contrairement à une entreprise, un territoire ne produit et ne vend rien par lui-même : c’est seulement un cadre géographique où se déroulent des activités humaines très diverses. Il ne possède ni bilan comptable, ni unité de décision, ni identité juridique, - autre que celle des institutions politiques qui exercent sur lui leur autorité. 58
Le concept de marketing « public » est alors à aborder avec grande prudence, et comme le
souligne Benoît Meyronin dans la seconde édition de son ouvrage sur le Marketing
Territorial, il s’agira de prendre toutes les précautions qui s’imposent quand on souhaite
diffuser une culture marketing dans la sphère publique à savoir : étudier les questions
d’échelles pertinentes pour le territoire, collecter les données le plus largement possible
tout en sachant qu’il y aura toujours des paramètres qui échapperont à la gouvernance de la
collectivité (météo, investissements privés…).
Dans la perspective d’une approche marketing globale des collectivités, quelle est la place
de la communication publique ? Si Benoît Meyronin, lors de notre entretien ne voit la
communication publique que comme une boite à outil, résumant ainsi ses missions à des
actions opérationnelles ; pour Dominique Mégard la communication publique « tend à
devenir une discipline à part entière, malgré les doutes et les questionnements dont elle fait
l’objet. »59
Ces deux visions qui s’affrontent, illustrent alors parfaitement les tensions vécues entre
professionnels du marketing et professionnels de la communication.
57 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, organisme de l’ONU créé en 1964. 58 Article paru dans la revue Inter Régions n°296 – Mai, Juin 2011 59 op. cit.
40
2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir
Aujourd’hui ce n’est pas seulement une sphère marchande/non-marchande,
privée/publique qui se mélangent et s’affrontent dans les stratégies de marketing territorial,
mais aussi des profils de compétences et des professionnels qui vont lutter pour
s’approprier ce sujet séduisant qu’est le marketing territorial. Les communicants publics
d’un côté doivent satisfaire les demandes des élus tout en légitimant l’existence de leurs
fonctions et le sens de leurs actions ; d’un autre côté des marketers qui, poussés par des
logiques économiques mondiales, doivent prouver l’efficacité de leur démarche et
développer des partenariats financiers public/privé. C’est cette cohabitation d’acteurs,
d’enjeux et d’objectifs qui va attiser cette lutte de pouvoir.
Quand il s’agit de mettre en place une politique d’attractivité pour le territoire, une
multitude d’acteurs entrent en scène : élus, collectivités, offices de tourisme, consultants,
agences de développement économiques, et à un niveau plus international : la DATAR,
l’AFII… (L’objet n’étant pas ici de lister en détail dans toutes les parties prenantes, mais
de mettre en exergue l’enjeu de pouvoir que génère le sujet du marketing territorial, et les
tensions qui en découlent.) Toutes ces entités, qui entrent en relation à un moment ou à un
autre participent à faire émerger une concurrence entre les professionnels.
Dans les agences de développement économiques nous allons voir apparaître des profils de
compétences en marketing, management et commerce (personnes issues de formation
HEC, d’Ecoles de Commerce, d’Instituts de Management…), qui vont s’approprier la
dimension stratégique du projet politique sur l’attractivité du territoire, et ce au détriment
de la communication publique. Benoit Meyronin au cours de notre entretien va confirmer
sa prise de position en faveur d’une démarche marketing, selon lui la communication
publique a trop tendance à s’inviter partout, notamment dans les tours de table. Jugée
envahissante il précise que pour lui la réflexion stratégique ne doit pas s’inviter dans la
communication publique et vice versa. La stratégie serait-elle alors réservée au domaine du
marketing ? Des propos qui démontrent l’ampleur des tensions entre deux domaines
jusqu’alors cloisonnés. D’ailleurs lors de la table ronde du 4 mai60 Dominique Mégard
nous confiait sa déception et sa frustration quand elle s’est aperçue que son ouvrage
récemment paru chez Dunod : La communication publique et territoriale avait été 60 « La communication en débats : des représentations aux pratiques », organisé par Grenoble IUT2, l’UPMF, l’Université Stendhal (UFR LLASIC), et le GRESEC.
41
catégorisé dans la collection Les Topos Éco/Gestion. En ce sens elle va nous apporter un
éclairage différent qui tente d’expliquer pourquoi la communication publique exprime une
certaine méfiance vis à vis du marketing :
La notion de marketing a été longtemps rejetée par les communicants publics qui ne souhaitaient pas que leur mission de service public et d’intérêt général et collectif soit associée à une notion et à des techniques ressenties comme agressives et « politiquement incorrectes » du secteur marchand. Ils sont et restent attachés à donner du sens à leur fonction. Qu’elle soit bien celle du « rendre commun » qui est le premier sens du mot communication et permettre d’accéder à des choses qu’on ignore ou ne comprend pas. Qu’elle soit aussi celle qui aide à « entrer en contact avec » ou « faire entrer en contact entre eux » en évitant les chemins de la propagande ou de la vente.61
Cette tension entre deux domaines de professionnalisation transparait également dans les
différents cursus de formation proposés en France. La communication et le marketing étant
des compétences non reconnues dans les épreuves des concours de la fonction publique,
les Universités et Ecoles vont rivaliser pour former aux nouveaux métiers du marketing
territorial. À Grenoble, l’Université Stendhal Grenoble 3 propose dans son département
Sciences de l’Information et de la Communication, un Master Communication d’
Entreprise, un module de Communication publique et territoriale ; tandis que pour l’année
2012-2013 Sciences-Po Aix associé à l’établissement public d’aménagement
Euroméditérannée propose un certificat Bac+5 : Développement et attractivité des
territoires62, une formation où la communication est totalement exclue du programme.
Mais si la communication publique souffre d’une telle crise de confiance qu’elle en arrive
à être oubliée de certains formateurs, c’est aussi parce que, selon Benoît Meyronin,
nombreux sont les professionnels qui se sont rués sur les effets de mode, participant de ce
fait à la surenchère irrationnelle des marques territoriales et à leur contre-productivité en
matière communicationnelle.
2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et des images banalisés
Un hôpital, une ville, un établissement culturel communiquent aujourd’hui comme un produit de grande consommation. En conséquence, non seulement les logos et les identités visuelles des produits de consommation se ressemblent tous, mais les villes, les entreprises
61 op. cit. 62 cf. annexe 2 le contenu de la formation proposé par Sciences-Po Aix, formation qui en 2012-2013 deviendra un Master à la place d’un certificat.
42
publiques locales, les hôpitaux, les établissements scolaires et éducatifs communiquent avec les mêmes codes pour exprimer les mêmes valeurs.63
L’identité comme vecteur spontané de l’image d’un territoire, doit trouver « le plus petit
dénominateur commun » afin de fédérer l’ensemble de ses publics. Et ce processus
débouche bien souvent sur des stratégies marketing assez pauvres, qui au lieu de
différencier vont harmoniser toutes les communications.
2.3.1 Des messages réducteurs
Souvent sous la pression des élus, les communicants publics vont s’emparer de la
démarche de marketing territorial sans véritablement en avoir étudié les outils, l’objet et la
finalité. Quand on veut doter le territoire d’une identité collective, quand à travers une
marque de territoire on veut générer un sentiment d’appartenance fort, il faut rassembler
sous un même slogan. Il s’agit alors de trouver le plus petit « dénominateur commun », une
phrase, une image qui correspondrait au plus grand nombre, mais qui reviendrait dans le
même temps à nier les identités, les classes… bref la diversité qui constituent le territoire.
La diversité du territoire est donc effacée, gommée. Se jetant à corps perdu dans de
grandes actions médiatiques sans faire participer les différentes parties prenantes des
projets territoriaux, on va constater que les campagnes de communication mises en place
par les services communication des collectivités occultent les réalités du territoire et lissent
les différences ; ainsi au lieu d’être le juste reflet de leur territoire, toutes les campagnes de
promotion vont se ressembler bien qu’elles « vendent » des territoires complétement
différents. A force de vouloir se différencier par la communication, toutes les collectivités
territoriales vont adopter les mêmes techniques et utiliser les mêmes arguments, donnant
naissance à des messages très similaires et réducteurs.
Philippe Jarreau dans sa note de synthèse et de réflexion stratégique de 1988 l’avait déjà
souligné :
En effet, la répétition du même message désignant cependant des lieux très différents le banalise et lui fait perdre son efficacité aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des frontières de l’Hexagone. Toutes les grande villes communicantes sont « un carrefour », un « noeud », un « pôle, un « centre » de l’Europe (…).64
63 in F. Martin-Juchat, Communication et culture marchande : l’illusion structurelle des logiques modernes d'enchantement affectif », In, Citton, Y., dir. (2012), Les nouvelles formes de l’illusion, PUG, à paraître. 64 op. cit.
43
A cause de la banalisation des discours et des messages, tout le monde pense qu’il peut à
son tour, du jour au lendemain, créer une marque de territoire.
Sous la pression des élus et des cadres dirigeants, les équipes opérationnelles en
communication sont incitées à se lancer dans la compétition des marques de territoires sans
avoir mené de véritable réflexion stratégique en amont, ou sans en avoir eu connaissance.
Ce qui va conduire certaines collectivités locales à se lancer de nouveau les yeux fermés
dans la création d’une marque, qui se limite bien souvent à la création d’un logo
accompagné d’une baseline, dans la lignée des excès communicationnels dénoncés dans
les années 80.
Exemples En 2011, le Comité Départemental du Tourisme des Hautes-Alpes lançait une marque de territoire « Hautes-Alpes, naturellement au cœur des Alpes », recrutement de personnalités/ambassadrices, nouveau logo, cérémonie officielle de lancement, réalisation d’un film en 3D… Se vantant de pouvoir rivaliser et accéder à la notoriété de la célèbre marque « Savoie-Mont Blanc ».
fig. 10
44
…Un peu plus de six mois après, la nouvelle identité et marque Hautes-Alpes demeurent inconnues aux yeux du grand public, les acteurs touristiques locaux ignorent eux-aussi leurs existences, le nouveau logo n’apparaît nulle part… Ces résultats peuvent être prévisibles lorsque l’on crée une marque pour une marque, simplement comme outil de communication visuelle, sans mener de véritable audit ou de consultation. Les techniciens du territoire, responsables de la communication et/ou du marketing n’ont pas été consultés, les acteurs du tourisme, socioprofessionnels non plus… L’identité vécue sur le territoire n’ayant pas été ici prise en compte dans la création de la marque, celle-ci n’est pas comprise et donc pas ou très peu utilisée. Il aurait peut-être également fallu allouer à la marque les outils et les budgets nécessaires pour fédérer tous les acteurs (et non pas uniquement ceux du tourisme), remplacer tous les visuels existants avec le nouveau logo, réaliser des campagnes de communication interne, mettre en route des campagnes de visibilité nationale… Ce que nous constatons également dans le cas des Hautes-Alpes, c’est que ce département est l’un des moins connus en France (préjudice dû en partie à sa petite taille), que son nom ne véhicule pas d’image, pas de sentiment d’appartenance fort au territoire, pas de symbolique, et que pour être visible sur le plan national comme international, le département, en matière de tourisme, aurait intérêt non pas à communiquer sur son nom telle une « marque ombrelle » mais à communiquer sur ses « marques produits » déjà bien implantées dans l’esprit des consommateurs comme « Serre-Chevalier », « Vars, la forêt blanche » ou encore « Montgenèvre ». 65 Dans cette course à la notoriété, nous avons également vu émerger d’autres marques de territoire à l’instar de la région Bretagne, qui au début des années 2010, expérimente une nouvelle approche de marque territoriale avec la mise en place d’un code marque « Bretagne » et d’un système d’identification visuelle déjà connu de l’ensemble des acteurs du territoire (public, privé, citoyens, touristes…) puisqu’il emprunte couleurs et formes au drapeau de la Bretagne :
Une marque de territoire pour la Bretagne Première Région française à s'engager dans cette démarche nouvelle, la Bretagne a lancé sa marque de territoire le 27 janvier ! Une marque à partager avec tous les acteurs des entreprises, des arts, de la recherche, de l'enseignement ou encore du sport qui souhaite se référer au territoire breton et à ses valeurs sur la scène nationale et internationale.66
65 Noms de marque déposés à l’INPI, toutes utilisées avec leurs logos sur de nombreux produits dérivés. 66 http://www.bretagne.fr
fig. 11
45
Plus qu’une marque permettant de se « vendre » à l’extérieur, la marque Bretagne a su aussi s’imposer dans le paysage local, évitant ainsi certains écueils du marketing traditionnel dont a fait les frais la marque Hautes-Alpes.
2.3.2 La pauvreté des images
En dehors de cette banalisation des messages promotionnels des
territoires, nous avons également constaté que le modernisme et
l’esthétisation croissant de la société pousse les collectivités à adapter
leur communication visuelle à ces nouvelles tendances artistiques. La
montée en puissance du design et l’engouement pour des lignes
épurées initie un changement d’identités visuelles auprès de
nombreuses structures : les régions, les départements, les communes,
le Pôle Emploi… Ces transformations d’images ajoutent, selon
Philippe Jarreau, une « confusion supplémentaire dans la capacité à saisir l’identité de
l’annonceur déjà bien compromise. »
Des épures parfois excessives dans les logos et les affiches publicitaires des territoires sont
très loin d’illustrer la beauté et les richesses qu’ils renferment, ce qui peut également brider
l’imaginaire des destinataires. Le code marque Bretagne se résume à du noir et blanc, qui
ressemble d’ailleurs à un code barre, il est très austère et cette identité visuelle ne favorise
pas l’image conviviale et chaleureuse que renvoient pourtant les réalités du terrain.
Au contraire d’autre région comme la Gironde avec ces affiches Trouvez le point G ou le
Jura avec ses spots publicitaires coquins67 sont dans l’illusion en s’attelant à créer des
mythes tellement éloignés de la réalité que leur publicité ne veut plus rien dire en terme de
promotion territoriale.
67 « Tu veux des rencontres, vivre une aventure, goûter mes spécialités gourmandes ? Alors viens chez moi… Je suis le Jura. Rejoins-moi sur jura-tourism.com Je t’attends. » Spot sonore à écouter sur : http://www.jura-tourism.com/viens-me-retrouver-je-suis-le-jura…,r28,d1214.html
fig. 12
46
Les agences de communication, très sollicitées dans la création de marques territoriales,
faute de pouvoir connaître en profondeur tous les territoires appliquent bien souvent les
mêmes techniques et les mêmes discours à plusieurs de leurs clients, ce qui se révèle être
également un élément contre-productif en matière de communication publique. Le
marketing territorial fonctionne donc au cas par cas et nul ne saurait appliquer une
méthode globale et unique.
2.4 Les marques de territoires, l’expression d’un retard
Historiquement les entreprises françaises sont « entrées » en communication dans les
années 50, plus de quarante ans après les entreprises américaines… Ce retard s’est ensuite
transposé aux secteurs privés/publics. Le premier ayant rapidement cerné les enjeux que
représentent la communication, tandis que le second traine des pieds et n’admet
l’importance de celle-ci que dans les années 70. C’est donc très tardivement que la
communication publique investit les collectivités. Nous constatons par ailleurs la même
chose en ce qui concerne les mutations technologiques : quand les entreprises rivalisaient
déjà d’ingéniosité et d’esthétisme pour leur site internet, les collectivités réfléchissaient
encore à la pertinence de leur présence sur Internet. La tension entre marketing et
communication publique s’exprime également à travers ce décalage. Aujourd’hui où la
logique d’un marketing classique est remise en cause dans le secteur privé, les collectivités
locales via des agences de développement économique se lancent à corps perdu dans des
créations de marques territoriales, faisant usage de ces mêmes techniques remises en cause
par le secteur privé en temps de crise financière mondiale. Cette soudaine obsession de
création de marque de territoire n’arrive-t-elle pas un peu trop tard à la vue des récentes
évolutions techniques et sociétales ?
3. Une logique marketing qui montre ses limites
Si la communication publique a subi une baisse de confiance liée en partie au manque de
confiance et de transparence du politique, les français interrogés en 2009, dans le
baromètre de la communication publique locale créé et publié régulièrement par l’institut
CSA et Épicéum en partenariat avec Cap’Com, estimaient à 62% qu’il est important d’être
informé sur l’action publique des quatre niveaux de la communication publique :
47
commune, intercommunalités, département et région.68 Bruno Cohen-Bacrie, directeur de
la communication de la ville d’Echirolles, confirme ces chiffres en disant que la
communication, loin d’être du gaspillage d’argent public, est désormais un service attendu
des citoyens au même titre que le ramassage des ordures, ou le transport scolaire.
Alors que les marques de territoires génèrent aujourd’hui une certaine méfiance, surtout
depuis que la crise économique est bien installée dans notre paysage quotidien, la
communication publique elle, est plébiscitée. Les logiques de marques territoriales
empruntant certaines techniques au marketing classique de plus en plus discrédité, sont-
elles encore pertinentes et légitimes pour « vendre » aux citoyens un projet de territoire ?
Nous avons déjà énuméré un certain nombre de tensions qui existent entre communication
et marketing, dans cette dernière partie nous allons nous attarder sur les limites que peut
rencontrer le marketing classique, tout en proposant des pistes alternatives de réflexion
pour l’avenir.
3.1 D’un marketing classique à un marketing 2.0, relationnel et affectif
Dans la première moitié de ce travail nous avions évoqué l’industrialisation de notre
société et des outils de communication, un contexte dans lequel le marketing a su investir
le champ de la communication notamment en offrant des outils de mesures d’audience, de
retombées. Les professionnels de la communication, en manque de reconnaissance,
soucieux de pouvoir évaluer et justifier leurs actions et les budgets engagés, se sont à
l’époque appropriés ces outils quantitatifs, participant ainsi à l’instrumentalisation de leur
profession. Cette prégnance du modèle marketing est aujourd’hui questionnée par des
professionnels du marketing eux-mêmes.69 Si hier les marketers privilégiaient des outils
quantitatifs, aujourd’hui c’est le paradigme de la qualité qui domine notre société (on est
souvent prêts à payer plus cher pour de la meilleure qualité ou pour de meilleures
garanties). Désorientés face aux imprévisibles progrès en matière de nouvelles
technologies et face au développement des outils qualitatifs, les professionnels du
marketing doivent s’adapter et inventer d’autres façons de vendre, nous parlons d’ailleurs
68 op. cit. 69 En référence aux interventions de Patrice de La Broise (MCF, Université de Lille 2 – GERIICP) et de Valérie Lépine (MCF, IUT2 – UPMF – GRESEC) lors de la table ronde « La communication en débats : des représentations aux pratiques », Grenoble, 4 mai 2012
48
de plus en plus de brand content 70. Le concept même du marketing tarde donc à se
redéfinir, tandis que les pratiques et attentes du « client roi » ont évolué. Aujourd’hui les
consommateurs souhaitent prendre part aux processus de création et/ou d’évolution des
marques, ce désir participatif croissant donne d’ailleurs naissance à un nouveau terme :
consomm’acteur, qui réconcilie l’identité « consommatrice » et « citoyenne » de l’individu
jusqu’alors souvent mises en opposition. Bien que les collectivités aient accumulé dans les
vingt dernières années un certain retard sur les pratiques marketing, elles font ici plutôt
figure de précurseurs en intégrant très rapidement dans leurs stratégies de développement
et de communication le concept de démocratie participative.
Les lignes bougent, le marketing traditionnel et son impérialisme laisse alors sa place à
marketing dit « 2.0 »71 : création d’une marque certes mais en intégrant comme valeur
ajoutée l’expérience vécue sur le territoire par les acteurs qui le composent. En ce sens les
apports du marketing territorial sont importants car ils plébiscitent la participation des
citoyens aux projets et discours sur le territoire. Benoit Meyronin a clairement conscience
des enjeux :
Appliqué au marketing territorial, ce concept renvoie aussi au processus d’adhésion de la population aux discours et projets du territoire : ces clients « internes » que sont les résidents doivent en effet pouvoir accepter ce qu’on leur propose et ce que l’on « dit d’eux » au travers d’un discours marketing destiné, principalement, à séduire des cibles exogènes.
70 Le Brand Content est une forme d’évolution du format publicitaire : demain, si les marques produiront moins de publicités classiques, elles produiront plus de contenus. Mais attention, les consommateurs ne sont plus dupes. Par contenu, il est entendu qu’il ne s’agit pas de publicité déguisée, mais bien de contenu original, de qualité, impliquant, et, d’une quelconque manière que ce soit, un contenu qui apporte un réel service à l’internaute. Qu’il soit pratique, informationnel ou encore ludique et divertissant, il est impensable de créer du contenu vide de sens, c-a-d inutile. (article web Le Brand contente et la guerre du contenu, mars 2009, http://badaboomblog.wordpress.com/2009/03/12/le-brand-content-et-la-guerre-du-contenu ) 71 En référence au web 2.0, le marketing 2.0 se veut participatif, relationnel et émotionnel.
49
Exemple Début mai 2012 le Conseil Général des Ardennes lance une campagne de communication « participative » sur sa marque de territoire72 : « Ayez le coup de cœur pour Les Ardennes ». Basée sur le concept de citoyens-ambassadeurs à travers un jeu-concours, la campagne inclut un site dédié qui invite les Familles à s’inscrire et à expliquer pourquoi ils ont un coup de cœur pour le département. La phrase teasing du jeu invite tous les publics à participer : Que vous soyez venus d’ailleurs et souhaitiez prendre l’air, Que vous soyez Ardennais et vouliez provoquer le coup de cœur pour votre département... Profitez de l'accueil des Ardennes en gagnant un des 20 séjours privilèges mis en jeu ! Participatif et ludique cette campagne online a un succès très mitigé en matière de marketing territorial, car l’usage des réseaux sociaux se révèle être aussi à double tranchant… En reprenant les codes graphiques du célèbre réseau social Facebook le site a su attirer et fédérer différents publics (internes et externes), les inscriptions au jeu sont nombreuses. Par contre le clip promotionnel décalé73 posté sur Youtube illustrant cette campagne a subi les foudres des internautes Ardennais, on peut lire sur le média social des commentaires de type : « C'est dans ces moments-là qu'on n'est pas fiers d'être Ardennais. » « Navrant, décevant, vide, creux, illisible, on a beau chercher, attendre, scruter, on ne trouve pas les Ardennes. C'est grotesque. » « Complètement à côté de la plaque... Par contre... De quoi engraisser encore le compte en banque des agences de pub parisiennes et de ces chers cabinets de
72 http://www.ardennes-coupdecoeur.com (consulté le 31 mai 2012) 73 Visible sur http://youtu.be/rt8Cai5AS7Q (consulté le 31 mai 2012)
fig. 13
50
marketing .... Longue vie à ceux et celle qui s'investissent dans les actions de terrain ... GROS coup de cœur donc à ceux et celles (associations, privés, acteurs culturels et touristiques, festivals en tout genre ...) qui agissent concrètement pour faire vivre nos Ardennes, gros coup de cœur à eux ... » Faute d’avoir été consultés, les citoyens Ardennais ne se retrouvent pas du tout dans ce clip vidéo. Ce cas illustre parfaitement les limites que rencontrent aujourd’hui encore les professionnels du marketing territorial quand ils agissent sans avoir, dès le départ, amorcé une démarche participative et une action collective concertée.
Aujourd’hui il n’est donc plus envisageable d’imposer des stratégies de marques
territoriales, et des campagnes publicitaires dans les médias sans préalablement avoir
consulté la population. Fabienne Martin-Juchat s’accorde également sur ce concept de
consomm’acteur en déclarant que « L’argumentation visuelle pour exprimer la promesse
ne convainc plus. La valeur ajoutée doit émerger d’une émotion ressentie dans une
expérience de consommation qui passe par différents moyens de communication (réseaux
sociaux, publicités, concept store, etc.). »74
Cet éclairage est d’autant plus intéressant qu’il met en exergue le fait que là où le
marketing classique peine à se réinventer, la communication75 est en mesure de prendre le
relais. Mais la difficulté pour la communication publique aujourd’hui est d’exister et
d’être reconnue dans un paysage déjà bien saturé par les marques. Pour être pris compte la
communication publique doit être lisible pour tous et par tous.
3.2 L’effet « poupées russes » des marques, un défaut de lisibilité
Telles de véritables poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres, les marques
territoriales des collectivités de même nature sont non seulement en concurrence entre elles
mais aussi avec d’autres collectivités publiques (commune, département…), ainsi la région
Bretagne est en concurrence avec la région Basse-Normandie, Alsace… mais l’est
également avec les marques Finistère, Côte d’Armor… Cet enchevêtrement de marques
brouille la communication publique. Comment alors faire émerger SA marque dans ce
74 in F. Martin-Juchat, Communication et culture marchande : l’illusion structurelle des logiques modernes d'enchantement affectif , In, Citton, Y., dir. (2012), Les nouvelles formes de l’illusion, PUG, à paraître. 75 Dans sa définition première communication : mettre en commun, faire entrer en contact.
51
paysage concurrentiel où des dizaines de stratégies de marques s’entrechoquent à
l’intérieur d’un même territoire ?
Vincent Gollain, directeur de l’attractivité durable des territoires à l’ARD Paris-Ile-de-
France, tente de l’expliquer :
En fonction de ses objectifs ou d’initiatives locales, un même territoire peut être en situation de créer ou gérer un portefeuille de marques. Dans ce cas, l’une d’entre elles s’affirme comme la « marque-ombrelle », vantant la destination dans son ensemble, les autres marques devenant des « marques-produits » destinées à valoriser une facette particulière d’un territoire, que ce soit une filière d’activité, un lieu ou encore un service.
La solution viendrait alors de la domination d’une marque sur les autres, appelée
« marque-ombrelle » celle-ci affirmerait sa supériorité sur les autres, tel un monopole
territorial. Ne serait-ce pas une façon pernicieuse pour les régions d’imposer leur marque
auprès d’un public qui a encore du mal à les identifier dans le panorama des collectivités
territoriales françaises ? L’univers des marques territoriales devient, sous cette logique
d’actions marketing, de plus en plus encombré, allant jusqu’à brouiller la lisibilité de la
communication publique. (voir fig.14)
D’autre part si nous considèrerons pour une marque de territoire qu’il faut choisir l’échelle
pertinente selon laquelle une stratégie marketing pourrait opérer, pourquoi ne communique
t-on pas tous sous la marque France, qui aurait alors une portée à l’internationale beaucoup
plus forte qu’une marque régionale ou qu’une marque ville ?
fig. 14
52
Les marques de territoires, de par leur multiplication, brident elles-mêmes leur propre
développement. Car chaque marque ne peut affirmer sa politique d’attractivité dans cet
univers d’abondance, à moins qu’elle ne définisse de manière très précise ses attributs et
ses règles d’utilisation.
3.3 L’autorité et la rigidité des « codes de marque »
Afin de trouver une visibilité dans l’univers infini de la société de consommation et une
place dans le « mille-feuille » des marques territoriales, ces dernières doivent rivaliser
d’ingéniosité pour que leur nom de marque soit utilisé et reconnu le plus possible. Pour ce
faire des régions comme la Bretagne et l’Alsace qui ont lancé de véritables campagnes
autour de leur marque, ont mis en place « un code de marque ». Ce document
téléchargeable (plus ou moins facilement) sur leur site Internet respectif comporte des
dizaines de pages (plus d’une centaine pour le code marque de la Bretagne et l’Alsace)
dans lesquelles on nous explique les phrases et les mots clés qu’il faut employer quand on
parle de la marque, les images que l’on doit y associer, les symboles qu’elle convoque, les
contextes dans lesquels il faut utiliser le logo, comment et quand faire référence à la
marque… Un document autoritaire qui relève plutôt du mode d’emploi et du diktat que
d’un support fédérateur…
fig. 15
53
Ce qui m’interpelle en faisant l’analyse de ces codes marques c’est la procédure pour
devenir partenaire de la marque, réel parcours du combattant : il faut vraiment avoir envie
et avoir le temps pour que l’on nous donne le droit d’utiliser la marque (alors que celle-ci
est plutôt censée rassembler tout le monde de manière simple et naturelle). Le tableau ci-
dessous extrait du code de la marque Alsace, montre que la procédure d’utilisation de la
marque n’est pas simple, elle peut alors freiner les particuliers comme les entreprises dans
leur démarche volontaire de participation.
Le code marque est rigide, peu malléable, avec des discours souvent techniques réservés
aux professionnels ; la marque Bretagne, elle, propose même une formation de deux jours
pour s’approprier la marque Bretagne, devrait-t-on désormais se former pour valoriser son
territoire et avoir l’autorisation d’en parler en bien ? Résultat : beaucoup de contraintes
pré-requises pour une réussite incertaine de la marque.
54
Conclusion
Soumises à une logique communicationnelle, les collectivités locales sont influencées de
manière considérable par le paradigme du marketing territorial. Cette démarche
commerciale qui s’inscrit dans des perspectives de développement des territoires publics
va générer plusieurs tensions entre le domaine de la communication publique (au service
de l’intérêt général) et le marketing (au service de la rentabilité), tensions que j’ai choisie
de résumer par le schéma ci-dessous :
Globalisation Politique locale
Identité individuelle Identité collective
Cibles exogènes Communication interne
Homme consommateur Homme citoyen
Sphère marchande (privé) Sphère non marchande (publique)
Si le marketing suscite la méfiance des nouveaux consomm’acteurs, la logique de création
de marques territoriales ne semble pas non plus aider la communication publique à trouver
sa place et à regagner la confiance de ses publics. D’abord victime des années pub’ dans
les années 80, la communication publique subit aujourd’hui la prégnance du modèle
marketing en se ridiculisant à travers certaines campagnes qualifiées de « nulles » par des
publics qui n’hésitent plus à les condamner que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les
médias. Lors de notre entretien, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et Vice-Président du
Comité Départemental du Tourisme des Hautes-Alpes, exprime lui aussi sa méfiance et
son scepticisme au regard du marketing territorial, un outil jugé insuffisant mais qui selon
lui est le seul, à ce jour, capable de pouvoir répondre simultanément aux différentes
problématiques d’attractivité du territoire. « Faute de mieux » il faut donc essayer de faire
bon usage de ces pratiques tout en limitant le plus possible les effets négatifs qu’une
logique de rentabilité commerciale saurait engendrerait sur le secteur public. En ce sens,
une communication publique responsable, dynamique et modernisée serait capable de
mener les politiques de développement dont les collectivités ont besoin. Par l’expression
d’un projet commun capable de mobiliser tous les citoyens et acteurs du territoire, elle
serait prompte à trouver sa place et à évoluer vers une nouvelle efficacité. Plus que de
55
parler d’integrated marketing il s’agirait plutôt de se diriger vers la création d’une nouvelle
gouvernance des services de communication publique, qui passerait notamment par la
création d’une véritable formation unifiée communication publique/marketing reconnue
par les concours de la fonction publique et territoriale. Car si les professionnels du
marketing maitrisent parfaitement les stratégies de développement économique ils ignorent
pour la plupart les spécificités politiques d’une communication publique locale rythmée
par les échéances électorales et les différentes lois qui l’encadrent.
Tout au long de ce travail nous nous sommes efforcés d’identifier et d’expliquer ces
tensions tout en regardant l’émergence de nouvelles notions fondamentales accouchées des
travaux de terrain sur les marques de territoires ; aux tensions relevées plus haut nous
pouvons donc désormais y adosser des réponses :
Globalisation Politique locale
Identité individuelle Identité collective
Cibles exogènes Communication interne
Homme consommateur Homme citoyen
Sphère marchande (privé) Sphère non marchande (publique)
Glocalisation
Identité fédératrice « + petit dénominateur commun »
Cohérence et passerelles communicationnelles
Consultations, consomm’acteurs
Nouvelle gouvernance
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Ces pistes de réflexion montrent que la communication publique a bien encore un rôle à
jouer dans les stratégies de positionnement et d’attractivité des territoires. Elle serait
capable d’accompagner dans le temps l’évolution d’un territoire et son image tout en
veillant à la cohérence des actions interne/externes. Par ailleurs, afin de gérer au mieux la
complexité des relations entre les différents acteurs intégrés dans un projet territorial, les
agences de communication pourraient alors revenir à leur fonction première de conseil en
se positionnant comme coordinatrices du réseau territorial.
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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages COHEN-BACRIE Bruno, Territoires en promotion : développement local, marketing territorial et stratégie d'image, Paris : Weka, 2003 COHEN-BACRIE Bruno, La communication publique territoriale : procédures, cibles et objectifs, Dossier d’Experts, Editions de La Lettre du cadre territorial, Voiron, Nov. 2004 MARION Gilles, Idéologie marketing, mal du siècle ?!, Eyrolles, Paris, 2004 MEYRONIN Benoît, Le marketing territorial : enjeux et pratiques, 2ème édition, Vuibert, Paris, 2012 MIEGE Bernard, La société conquise par la communication, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1989 MEGARD Dominique et DELJARRIE Bernard, La communication des collectivités locales, L.G.D.J, Paris, 2003 MEGARD Dominique, La communication publique et territoriale, Dunod, Coll. Les Topos, Paris, 2012 ROSEMBERG Muriel, Le marketing urbain en question : production d’espace et de discours dans quatre projets de villes, Paris, Économica (Coll. « Villes »), 2000 SPERLING Daniel, Le marketing territorial : la communication des régions, Ecomedia, 1991 Articles BENKO Georges, Stratégies de communication et marketing urbain, Pouvoirs Locaux, N°42, septembre 1999 COLLECTIF, Dossier : La marque et le territoire, Inter-régions, N°296, Mai-Juin, 2011 COLLECTIF, La ville marketing, Urbanisme, N°344, septembre-Octobre 2005 COLLECTIF, La ville créative : concept marketing ou utopie mobilisatrice ?, Périodique, L’Observatoire, N°36, hiver 2009-2010 MARTIN-JUCHAT Fabienne, Communication et culture marchande : l’illusion structurelle des logiques modernes d'enchantement affectif, In, Citton, Y., dir. (2012), Les nouvelles formes de l’illusion, PUG, à paraître.
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59
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Tables des figures
Figure 1 : affiche d’une des premières campagnes publicitaires des villes. Lancée par la ville de Montpellier : Montpellier la surdouée. Figure 2 : image graphique d’une campagne publicitaire de la marque Only Lyon. Figure 3 : manifestation d’un marketing territorial lié aux projets d’aménagements des territoires, ici l’Allier avec une affiche vantant l’arrivée du TGV dans son département Figure 4 : affiches qui illustrent la manifestation d’un marketing territorial lié à l’événementiel, exemple de Cannes avec son festival et Annecy avec sa candidature aux Jeux Olympiques. Figure 5 : dernière manifestation du marketing territorial : la promotion de l’innovation et des initiatives en faveur du développement durable. Ici éléments graphiques faisant la promotion de la modernité pour Euralille 2, et de la Caserne de Bonne, un quartier à haute qualité environnementale pour Grenoble. Figure 6 : couvertures de magazines qui annoncent la parution de classements des villes, départements ou régions où il « fait bon vivre ». Des classements très attendus qui participent à renforcer la concurrence entre les territoires et les collectivités. Figure 7 : affiches publicitaires qui illustrent la suprématie des marques régionales. Avec la région Franche-Comté et Nord-Pas-De-Calais, objectifs : inciter les gens à venir s’installer sur leur territoire. Figure 8 : schéma explicatif et illustratif de la complexité d’une identité territoriale. Figure 9 : couverture du magazine Métroscope édité par Grenoble Alpes Métropole (n°91). Figure 10 : la Une du Dauphiné Libéré du 12 octobre 2011, annonçant la création de la nouvelle marque Hautes-Alpes. Figure 11 : logo de la marque Bretagne, image graphique issue de leur code marque. Figure 12 : logos des marques territoriales régionales Franche-Comté et Basse-Normandie, images graphiques simples et sobres qui ne reflètent pas l’identité territoriale ressentie. Figure 13 : extrait de la page d’accueil du site http://www.ardennes-coupdecoeur.com Figure 14 : illustration de l’effet « poupées russes », empilement et multiplication des marques de territoire à différentes échelles (pays, régions, départements, villes). Figure 15 : tableau récapitulatif des différentes procédures pour pouvoir communiquer sur la marque Alsace et avoir le droit de l’utiliser.
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Liste des sigles utilisés
AFII : Agence Française pour les Investissements Internationaux ARD : Agence Régionale de Développement CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement CSA : Conseil Supérieur de l’Audiovisuel DATAR : Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale EFAP : École Française des Attachés de presse et des Professionnels de la communication ENA : Ecole Nationale d’Administration HEC : Hautes Etudes Commerciales HQE : Haute Qualité Environnementale JO : Jeux-Olympiques OT : Office de Tourisme PDG : Président-Directeur Général SOI : Silicium On Insulator SWOT : Strengh, Weakness, Opportunities, Threaths
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ANNEXE 1
Exemples de campagnes publicitaires des villes
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Campagnes publicitaires de la ville de Lyon (France).
64
Campagnes publicitaires de la ville du Havre (France).
65
Campagnes publicitaires de la ville de Metz (France).
66
Campagne publicitaire de la ville de Strasbourg (France).
Campagne publicitaire de la ville de Berlin (Allemagne).
67
Campagnes publicitaires de la ville de Belfast (Irlande du Nord).
68
Campagnes publicitaires des villes Amsterdam et Rotterdam (Pays-Bas).
69
Campagnes publicitaires de la ville de Thessalonique (Grèce).
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ANNEXE 2
Contenu du cursus de formation en marketing territorial proposé par Sciences-Po Aix-en-Provence
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