(enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

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OCTOBRE 1991 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION « Strc ˇ prst skrz krk ! » (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 26 octobre 1991 paraît six fois par an cinquième année JAB 1000 Lausanne 9 Si vous pouvez lire ce texte, c'est que vous n'êtes pas abonné(e). Qu'attendez-vous pour le faire ? Frs 15.– au CCP 10–220 94–5 SOCIALE — POLITIQUE LITTERAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimestrielle de l'Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 204 1000 Lausanne 9 Abonnement : Frs 20.– au CCP 10–220 94–5 Prix : Suisse : 3.65 francs France : 14.60 francs Belgique : 87 francs Canada : 2.80 dollars Vénézuela : 24 bolivars Collaborèrent à ce numéro: Jean-Christophe Bourquin Nathalie Choquard Alain Clavien Jean-Jacques Marmier Henry Meyer Jacques-Edouard Miéville Célestin Schnouf Schüp Cédric Suillot Josette Suillot Jean-Pierre Tabin Monique Théraulaz L'index des articles et recettes parus dans La Distinction est disponible sur disquette. Mais à quoi pourrait-il servir ? La rédaction est responsable des manuscrits, tapuscrits et compuscrits (disquettes Macintosh de préférence) qui lui sont envoyés. 26 B A S T A ! LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél. 25 52 34 LIBRAIRIE BASTA ! - DORIGNY, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél. 691 39 37 Basta ! est une coopérative autogérée, alternative, Basta ! est une librairie indépendante, Basta ! est spécialisée en sciences sociales, Basta ! est ouverte sur d’autres domaines, Basta ! offre un service efficace et rapide. Basta ! offre un rabais de 10% aux étudiants, et de 5% à ses coopérateurs (Publicité) La librairie Basta !- Dorigny a ouvert ses portes (BFSH 2, en face de la caféteria, du lundi au vendredi) Journée portes ouvertes des galeries marchandes de Dorigny le 7 novembre D’un lecteur député, mais très attentif : «Notre conception est que malgré tout la mort est la fin de la vie.» Jean-François Leuba, Cons. nat., sur Radio-Acidule, 14 sept. 1991 Du même : «Je veux garder du temps pour l’éducation de mes enfants et de ma famille.» Philippe Biéler, Conférence de presse du 19.9.91 D’un vélocipédiste acharné : «Le cyclisme est un sport de durée qui demande un effort régulier, exi- geant un effort cardiaque moyen, et ne fait pas trop transpirer, ce qui convient bien aux femmes.» Renée Hermenjat, in 24 Heures, 24 septembre 1991 personnage), de sa mère Justine ou de la vieille chienne qui partage sa solitude –autant de complicités féminines dont le réseau tisse com- me un filet sur l’abîme de la passion “à corps et âme perdus”.» Jean-Louis Kuffer, in 24 Heures, 28 septembre 1991 «[La banque Bordier & Cie] va en effet engager Pierre Poncet, qui, comme son nom l’indique, n’est pas un Bordier.» Claude Ayer, fin analyste financier in Le Nouveau Quotidien, 25 septembre 1991, n°2 (déjà…) D’un ami de Scarlett : «Dans les jours qui ont suivi son décès en 1949, [Margaret Mitchell] fut tuée par un taxi dans une rue d’Atlanta.» Frédéric Filloux, à Atlanta, in Le Nouveau Quotidien, 26 septembre 1991, n°3 (déjà…) Toujours dans le domaine de la crise d’identité : «Eugène Rambert, notre cher poète montreusien, ne cachait pas son attachement prioritaire à la Suisse. D’aucuns y verront les effets de l’amour : n’avait-il pas rencontré à Zofingue celle qui allait devenir sa femme et et rester néanmoins la sœur de Gottfried Keller !» Jean-Jacques Cevey, in Nouvelle Revue Hebdo, 4 octobre 1991, n°1 (déjà…) «Le mot interface caractérise la fa- çon dont deux «faces» entrent en interaction.» J.-D. Pellet & P. Papastéphanou, in Macinfos, août 1991 «…il n’est pas difficile de ne rien dire, lorsqu’on ne sait rien, à qui ne veut rien savoir.» Jérôme Deshusses, in Construire, 4 septembre 1991 «Et pourquoi aussi, en ces temps médiocres où se multiplient les mé- tastases de l’autoflagellation, ne pas se lancer à l’eau en rappelant le bilan positif de la présence vau- doise dans la Confédération.» Introduction anonyme, in Nouvelle Revue Hebdo, 4 octobre 1991, n°1 (déjà…) «Dans un climat d’orages canicu- laires, en crescendo dramatique ponctué de “signes” et qu’accentue l’évocation du suicide en forêt d’un mystérieux cavalier, “L”étalon de ténèbre” joue enfin sur l’opposition de cette passion funeste et de la tendresse moins “romanesque” sans doute mais plus authentique qu’Elsa trouve auprès de sa gouailleuse amie Jeanne (un beau NOMINATIONS POUR LE GRAND PRIX DU MAIRE DE CHAMPIGNAC 1991 C'est un nouveau journal ? Ah bon, vous en êtes encore là ? La Suisse est fille de l'Europe. La réalité et les enjeux du monde échappent aujourd'hui aux analyses simplistes et aux regards partisans. Miser aujourd'hui sur l'écrit deman- de de l'audace. Elargir les angles de vision. Afin que chacun, librement, forme sa propre opinion. LA NOUVELLE DISTINCTION Sortie vers le 1 er décembre Non è finita la commedia ! ES Français aiment l’his- toire. La leur, celle de leur famille, de leur vil- lage, de leur(s) république(s) ou de leurs classes dangereu- ses. Ce trait culturel ne date pas d’hier. Napoléon III a vendu, anonymement, des di- zaines de milliers d’exemplai- res d’une histoire romaine écrite avec la collaboration de quel- ques lettrés d’alors. Monsieur Thiers (1) a amassé une for- tune rondelette (que l’Institut de France s’est occupé tout ré- cemment à dilapider, grâce à des intermédiaires douteux) grâce à son Histoire de la Révo- lution et de l’Empire. Rien de très étonnant, donc, à ce que les historiens français de l’après-guerre aient eu, à leur heure, le douteux privilège d’ac- céder à la position de best-sel- ler. On pourra objecter qu’aujour- d’hui, ce sont d’authentiques professionnels, porteurs des in- signes les plus élevés de la no- blesse d’État, anciens élèves de l’École Normale Supérieure (2), agrégés d’histoire, docteurs ès lettres, qui se retrouvent aujourd’hui sur les tables des libraires aux côté des hommes (et des femmes) de lettres. Il serait pourtant faux de croire que le potentiel marchand de la scientificité ou de l’érudition est récent. Proust, déjà, lisait Mas- pero (3) et son goût distingué rejoint celui que nous avons tous eu pour 20 000 lieues sous les mers et ses impossibles descrip- tions ichtyologiques. Georges Duby est l’une des grandes figures de l’école histo- rique française de ces quarante dernières années. Extrême- ment discret sur les détails de sa carrière jusqu’à ces jours, il publie pourtant, chez l’éditrice- confesseur (4) des sommités scientifiques françaises, Odile Jacob, le récit de sa vie d’histo- rien. Ce ne sont pas des mémoires classiques, parce que l’anecdote n’y fourmille pas, et lorsqu’elle surgit, c’est toujours pour dé- voiler l’un de ces fonctionne- ments tacites qui font la répu- blique des historiens (ou la so- ciété tout entière). Lorsque Duby se penche sur son propre passé, il le fait avec la finesse analytique, la curiosité intel- lectuelle et l’élégance méthodo- logique, qui sont au cœur de ses ouvrages sur le Moyen-âge. On le lira donc pour ce qu’il dit de sa manière de faire de l’his- toire, pour sa description de l’évolution (des progrès ?) de cette discipline, pour sa criti- que du délabrement de la con- dition universitaire en France, après Mai 68 et, de toute ma- nière, pour son style, précis, subtil et toujours adéquat. J.-C. B. Georges Duby L’histoire continue Odile Jacob, 1991, 220 p., Frs 38.– (1) Mais oui ! Le méchant ver- saillais ! (2) De la rue d’Ulm. (3) Gaston, l’égyptologue, pas Henri, le sinologue, ni, évidemment, François, le maspérisateur. (4) Peut-on écrire confesseuse ? Ça a l’air obscène… De notre correspondant à Paris L (Publicité)

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Page 1: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

OCTOBRE 1991 LA DISTINCTION — 1

LA DISTINCTION

« Strc prst skrz krk ! »

(Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

26 octobre 1991

paraît six fois par an

cinquième année

JAB 1000 Lausanne 9

Si vous pouvez lire ce texte, c'est que vous n'êtes pas

abonné(e). Qu'attendez-vous pour le faire ?

Frs 15.– au CCP 10–220 94–5

SOCIALE — POLITIQUE — LITTERAIRE

ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

LA DISTINCTION

Publication

bimestrielle de

l'Institut pour la

Promotion de la

Distinction

case postale 204

1000 Lausanne 9

Abonnement :

Frs 20.–

au CCP 10–220 94–5

Prix :

Suisse : 3.65 francs

France : 14.60 francs

Belgique : 87 francs

Canada : 2.80 dollars

Vénézuela : 24 bolivars

Collaborèrent à ce numéro:

Jean-Christophe Bourquin

Nathalie Choquard

Alain Clavien

Jean-Jacques Marmier

Henry Meyer

Jacques-Edouard Miéville

Célestin Schnouf

Schüp

Cédric Suillot

Josette Suillot

Jean-Pierre Tabin

Monique Théraulaz

L'index des articles et recettes

parus dans La Distinction est

disponible sur disquette. Mais à

quoi pourrait-il servir ?

La rédaction est responsable

des manuscrits, tapuscrits et

compuscrits (disquettes

Macintosh de préférence) qui

lui sont envoyés.

26

B A S T A !

LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél. 25 52 34

LIBRAIRIE BASTA ! - DORIGNY, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél. 691 39 37

Basta ! est une coopérative autogérée, alternative,

Basta ! est une librairie indépendante,

Basta ! est spécialisée en sciences sociales,

Basta ! est ouverte sur d’autres domaines,

Basta ! offre un service efficace et rapide.

Basta ! offre un rabais de 10% aux étudiants,

et de 5% à ses coopérateurs

(Publicité)

La librairie

Basta !- Dorigny

a ouvert ses portes(BFSH 2, en face de la caféteria, du lundi au vendredi)

Journée portes ouvertes des galeries marchandes

de Dorigny le 7 novembre

D’un lecteur député, mais très

attentif :

«Notre conception est que malgré

tout la mort est la fin de la vie.»

Jean-François Leuba, Cons. nat.,

sur Radio-Acidule, 14 sept. 1991

Du même :

«Je veux garder du temps pour

l’éducation de mes enfants et de

ma famille.» Philippe Biéler,

Conférence de presse du 19.9.91

D’un vélocipédiste acharné :

«Le cyclisme est un sport de durée

qui demande un effort régulier, exi-

geant un effort cardiaque moyen, et

ne fait pas trop transpirer, ce qui

convient bien aux femmes.»

Renée Hermenjat,

in 24 Heures, 24 septembre 1991

personnage), de sa mère Justine

ou de la vieille chienne qui partage

sa solitude –autant de complicités

féminines dont le réseau tisse com-

me un filet sur l’abîme de la passion

“à corps et âme perdus”.»

Jean-Louis Kuffer,

in 24 Heures, 28 septembre 1991

«[La banque Bordier & Cie] va en

effet engager Pierre Poncet, qui,

comme son nom l’indique, n’est pas

un Bordier.»

Claude Ayer, fin analyste

financier

in Le Nouveau Quotidien,

25 septembre 1991, n°2 (déjà…)

D’un ami de Scarlett :

«Dans les jours qui ont suivi son

décès en 1949, [Margaret Mitchell]

fut tuée par un taxi dans une rue

d’Atlanta.»

Frédéric Filloux, à Atlanta,

in Le Nouveau Quotidien,

26 septembre 1991, n°3 (déjà…)

Toujours dans le domaine de la

crise d’identité :

«Eugène Rambert, notre cher poète

montreusien, ne cachait pas son

attachement prioritaire à la Suisse.

D’aucuns y verront les effets de

l’amour : n’avait-il pas rencontré à

Zofingue celle qui allait devenir sa

femme et et rester néanmoins la

sœur de Gottfried Keller !»

Jean-Jacques Cevey,

in Nouvelle Revue Hebdo,

4 octobre 1991, n°1 (déjà…)

«Le mot interface caractérise la fa-

çon dont deux «faces» entrent en

interaction.»

J.-D. Pellet & P. Papastéphanou,

in Macinfos, août 1991

«…il n’est pas difficile de ne rien

dire, lorsqu’on ne sait rien, à qui ne

veut rien savoir.»

Jérôme Deshusses,

in Construire, 4 septembre 1991

«Et pourquoi aussi, en ces temps

médiocres où se multiplient les mé-

tastases de l’autoflagellation, ne pas

se lancer à l’eau en rappelant le

bilan positif de la présence vau-

doise dans la Confédération.»

Introduction anonyme,

in Nouvelle Revue Hebdo,

4 octobre 1991, n°1 (déjà…)

«Dans un climat d’orages canicu-

laires, en crescendo dramatique

ponctué de “signes” et qu’accentue

l’évocation du suicide en forêt d’un

mystérieux cavalier, “L”étalon de

ténèbre” joue enfin sur l’opposition

de cette passion funeste et de la

tendresse moins “romanesque”

sans doute mais plus authentique

qu’Elsa trouve auprès de sa

gouailleuse amie Jeanne (un beau

NOMINATIONS POUR LE

GRAND PRIX DU MAIRE

DE CHAMPIGNAC

1991

� C'est un nouveaujournal ?

� Ah bon, vous en êtesencore là ?

La Suisse est fille de l'Europe. La réalité et les enjeux dumonde échappent aujourd'hui aux analyses simplistes etaux regards partisans. Miser aujourd'hui sur l'écrit deman-de de l'audace. Elargir les angles de vision. Afin quechacun, librement, forme sa propre opinion.

LA NOUVELLE DISTINCTIONSortie vers le 1er décembre

Non è finita la commedia !

ES Français aiment l’his-toire. La leur, celle deleur famille, de leur vil-

lage, de leur(s) république(s)ou de leurs classes dangereu-ses. Ce trait culturel ne datepas d’hier. Napoléon III avendu, anonymement, des di-zaines de milliers d’exemplai-res d’une histoire romaine écriteavec la collaboration de quel-ques lettrés d’alors. MonsieurThiers (1) a amassé une for-tune rondelette (que l’Institutde France s’est occupé tout ré-cemment à dilapider, grâce àdes intermédiaires douteux)grâce à son Histoire de la Révo-lution et de l’Empire.

Rien de très étonnant, donc, àce que les historiens français del’après-guerre aient eu, à leurheure, le douteux privilège d’ac-céder à la position de best-sel-ler.

On pourra objecter qu’aujour-d’hui, ce sont d’authentiquesprofessionnels, porteurs des in-signes les plus élevés de la no-

blesse d’État, anciens élèves del’École Normale Supérieure (2),agrégés d’histoire, docteurs èslettres, qui se retrouventaujourd’hui sur les tables deslibraires aux côté des hommes(et des femmes) de lettres. Ilserait pourtant faux de croireque le potentiel marchand de lascientificité ou de l’érudition estrécent. Proust, déjà, lisait Mas-pero (3) et son goût distinguérejoint celui que nous avons touseu pour 20 000 lieues sous lesmers et ses impossibles descrip-tions ichtyologiques.

Georges Duby est l’une desgrandes figures de l’école histo-rique française de ces quarantedernières années. Extrême-ment discret sur les détails desa carrière jusqu’à ces jours, ilpublie pourtant, chez l’éditrice-confesseur (4) des sommitésscientifiques françaises, OdileJacob, le récit de sa vie d’histo-rien.

Ce ne sont pas des mémoiresclassiques, parce que l’anecdoten’y fourmille pas, et lorsqu’ellesurgit, c’est toujours pour dé-voiler l’un de ces fonctionne-ments tacites qui font la répu-

blique des historiens (ou la so-ciété tout entière). LorsqueDuby se penche sur son proprepassé, il le fait avec la finesseanalytique, la curiosité intel-lectuelle et l’élégance méthodo-logique, qui sont au cœur de sesouvrages sur le Moyen-âge.

On le lira donc pour ce qu’il ditde sa manière de faire de l’his-toire, pour sa description del’évolution (des progrès ?) decette discipline, pour sa criti-que du délabrement de la con-dition universitaire en France,après Mai 68 et, de toute ma-nière, pour son style, précis,subtil et toujours adéquat.

J.-C. B.Georges Duby

L’histoire continue

Odile Jacob, 1991, 220 p., Frs 38.–

(1) Mais oui ! Le méchant ver-saillais !

(2) De la rue d’Ulm.

(3) Gaston, l’égyptologue, pas Henri,le sinologue, ni, évidemment,François, le maspérisateur.

(4) Peut-on écrire confesseuse ? Ça al’air obscène…

De notre correspondant

à Paris

L

(Publicité)

Page 2: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

2 — LA DISTINCTION OCTOBRE 1991

Notre feuilleton :

Les apocryphes

Dans ce numéro, nous insérons la criti-

que entière ou la simple mention d'un

livre, voire d'un auteur, qui n'existe pas,

pas du tout ou pas encore.

Celui ou celle qui découvre l'imposture gagne un splendide

abonnement gratuit à La Distinction et le droit imprescriptible

d'écrire la critique suivante. Dans notre dernier numéro, et nous

le dénonçions déjà vertement, l'ouvrage consacré aux derniè-

res années d'Albert Camus par un pseudo-Florian Mauclair était

très nettement une scandaleuse imposture.

� Sera-t-elleindépendante ?

� Ah bon, vous enêtes encore là ?

La culture ne s'arrête pas aux aux portesd'un théâtre ou d'une salle de concert.S'exprimer en toute liberté. Le mondechange diablement vite. Cette réalité,nous voulons en être l'observateur atten-tif. On ne lance pas un nouveau titrecomme n'importe quel produit de con-sommation. Poser les bonnes ques-tions. Pour suivre sereinement sa proprevoie.

LA NOUVELLE DISTINCTION

Sortie vers le 1er décembre

(Publicité)

que du 8.7.91, de ne pas avoirlu la deuxième partie et accusele conseiller d’Etat d’avoirprêté au conseiller fédéral OttoStich «une phrase absurde,même fabriquée de toutes piè-ces» pour le ridiculiser.� Perfidement, dans un

post-scriptum à sa chroniquesuivante, Claude Ruey feint den’avoir pas voulu faire croire,en début d'article, que les pa-roles incriminées avaient étéprononcées par Otto Stich. Ilréaffirme qu’elles sont d’unhumoriste et ajoute «qu'ils'agit, sauf erreur, de PierreDac».� Perfidement, dans un post-

scriptum à sa chronique sui-vante, Denis Barrelet ne tientpas compte des explications deClaude Ruey et persiste dansson accusation de falsification.� Perfidement, dans un

post-scriptum à sa chroniquesuivante, Claude Ruey ignoreles accusations concernant lapremière partie et recopie con-sciencieusement la deuxièmepour prouver sa bonne foi.� Perfidement, on charge un

malheureux Distingué de re-lire tout Pierre Dac. A l’heureactuelle, il prétend perfide-ment n’avoir toujours rientrouvé.� Perfidement, un autre Dis-

tingué affirme avoir trouvéune phrase analogue dans Lasolution, texte qu'un autre hu-moriste bien connu, BertoltBrecht, écrivit en 1954 à pro-pos de la révolte des ouvriersde Berlin-Est du 17.6.53:

«Est-ce qu’alors il ne seraitPas plus simple que le gou-

[vernementDissolve le peuple etEn élise un autre?»Perfidement, il ajoute que ce

texte date de l’année même oùBrecht reçut le prix Staline dela Paix et déposa la somme surun compte en banque enSuisse.� Perfidement, nous ajoute-

rons que notre informateur estun (soi-disant) ancien (soi-di-sant) sympathisant (mais sa fi-che du Ministère public de laConfédération laisse penserqu'il était bien davantage) dela Ligue Marxiste Révolution-naire.

Et vous savez comment sontces gens-là: passés maîtresdans l'art de manipuler les ci-tations…

ERFIDEMENT, le con-seiller (1) d’Etat ClaudeRuey commence sa

chronique de 24-Heures du22.6.91 intitulée «Supprimer lepeuple?» en attribuant à OttoStich une déclaration perfide:

– «Le gouvernement a perdula confiance du peuple. Il fautsupprimer le peuple!»

Tout à sa colère de voir lepaquet financier rejeté par lepeuple et les cantons le 2 juindernier, M. le conseiller fédéralOtto Stich n’y est pas allé avecle dos de la cuillère dans sescommentaires à chaud (puis àfroid aussi semble-t-il).

Perfidement, il ne met leschoses au point que 20 lignesplus bas:

– A moins que notre grandargentier fédéral ait vouluprendre à son compte, et ausérieux, ce mot de l’humoristeque je cite en exergue: «Le gou-vernement a perdu la confiancedu peuple. Il faut supprimer lepeuple!»�!Perfidement, le correspon-

dant parlementaire de 24-Heures feint, dans sa chroni-

LES ÉLUS LUS (I)De la perfidie chronique

P

M. R.-G.

(1) La rédaction ne saurait êtretenue pour responsable des cou-pures perfides opérées en finde ligne par l'ordinateur.

OUR les Lausannois quile connaissent seule-ment de vue et ignorent

quels jardins il cultive en se-cret, Pierre-Laurent Ellenber-ger illustrerait plutôt «le mecqu’a pas la gueule de l’emploi.»De cet homme à la parole comp-tée, au visage de débardeurestafilé parfois d’un sourire iro-nique qui en craquèle le pour-tour, ils seraient d’abord sur-pris d’apprendre qu’il est hellé-niste et poète. Ils découvriraientensuite un original farouche,ennemi des modes, des vogues,des poses, éloigné de toute si-magrée culturelle, qui semblerevenu de tout mais a conservéintacte sa faculté d’effroi oud’émerveillement devant les in-finies et mouvantes possibili-tés de la vie.

Divine surprise : la rentréelittéraire permet enfin à un pu-blic moins confidentiel d’accé-der à l’univers romanesque dece poète singulier.

Ellenberger nous entraîne surune minuscule île volcaniquepeuplée de créatures inquiétan-tes, dans ce qu’on devine être laGrèce d’avant, pendant et aprèsl’époque des colonels (1967-1974). Le monde extérieur n’yretentit que d’un écho amuï etles événements mêmes qui ontscandé curieusement ou tragi-quement la vie de l’île n’attein-dront jamais à l’élucidationcomplète.

Dans ce microcosme se retrou-vent les constituants de touteépopée emblématique de l’aven-ture humaine : les travaux etles jours, le langage et l’usuredes corps, la haine, l’amour, lesang versé, et la tentation vainede solidifier ce qui advient parla mémoire organisée, c’est-à-dire par les mots, incarnée jus-qu’à l’absurde dans le person-nage de l’instituteur, qui n’ar-rivera jamais à tenir à jour sesfiches sur les habitants de l’île.

Le récit, qui ne suit pas l’or-dre chronologique de l’histoireet intègre sans transition lespassages en monologue drama-tique, est écrit pour l’essentielau présent. Ce parti pris ren-force l’impression d’intempora-lité quasi-mythique de l’ensem-ble, sans qu’on bascule jamaisdans l’allégorie.

L’auteur use d’une prose su-perbement cadencée, dont toutenotation superflue a été rabo-tée. Il affiche un sens quasi pic-tural du détail concret et manieavec aisance un vocabulaire ri-

che, précis, où la métaphore estreine. Son style est si densequ’il ne s’accommode que dephrases courtes, ramassées àl’extrême, qui rejoignent spon-tanément le rythme du chant.

Peu de choses, donc, qui rap-pellent la littérature autoch-tone. Ni délire christique, nilouche complaisance aux déli-ces bourrelants de l’autoflagel-lation introspective; pas davan-tage ce ressassement étique del’ineffable qui rend si fas-tidieusement interchangeablestant de plaquettes publiées ici.On songe plutôt aux heureusesrencontres que nous ont ména-gées déjà l’Afrique ou l’Améri-que latine –et le complimentn’est pas mince.

Si cette trop sommaire pré-sentation vous a alléchés, lisezEllenberger. Non pour enrichirl’écrivain qui n’en a cure (etd’ailleurs, pour fixer les idées,les droits d’auteur sur un livrereprésentent à peine plus quela part qui revient, par exem-ple, au pays producteur de ca-cao dans le prix final d’une pla-que de chocolat), mais afin qu’ilne soit pas dit qu’une œuvreaussi inhabituelle sous nos ro-mandes latitudes n’y aura ren-contré qu’un accueil pingre.

J.-J. M.

Pierre-Laurent Ellenberger

Passé le grand eucalyptus

Seuil, septembre 1991,

140 p., Frs 23.80

Lettres pas romandesLettres pas romandes

Un grand petit livre

PCitations au sujetdes Citations duPrésidentPhilippe Pidoux

A la lettre fort pertinentede M. Marcel Pointu d’Echal-lens qui se plaignait du petitcaractère employé pour lescitations du président Phi-lippe Pidoux, vous avez ré-pondu qu’elles faisaient l’ob-jet d’une édition de luxe, déjàcoupée, avec signet et cou-verture renforcée. Quelle fa-çon élégante de noyer le pois-son!… alors que le moindredes luxes aurait été de choi-sir un corps plus grand pourpermettre à tout un chacun,et sans l’aide d’une loupe,d’accéder à la pensée de M.Pidoux.

Antoine Cornuz,Vucherens

Les éditeurs des citationsdu président Philippe Pidouxsont à ce point familiarisésavec sa pensée qu’ils ont réus-si à prédire qu’il prononceraà nouveau son aphorisme deprédilection, «Je ne fais ja-mais de promesses car je lestiens», dans un discours de-vant le préfet et les munici-palités de la région de Vevey,le 18 décembre 1991. Pourleur début dans la politique-fiction ils n’ont pas pris tropde risques, mais je les encou-rage vivement à persévérerdans cette veine et me ré-jouis de lire dans La Distinc-tion la rubrique des citationsanticipées.

Gérald Porchet,député, Aubonne

Messieurs, la dernière ci-tation du recueil est de trop.En tronquant une interven-tion au Grand Conseil pourla rendre pornographique etmettre ainsi de votre côté lesrieurs de la pire espèce, vousavez trahi la noble tâche dontnous vous pensions investis,à savoir la dénonciation del’extrême indigence de la pen-sée et de l’expression de Phi-lippe Pidoux. La mauvaisefoi n’est d’aucune utilité dansle juste combat de salubritépublique que tous les citoyensresponsables se doivent demener contre l’imposteur àla tête de la Santé publique.Veuillez croire, Messieurs, àl’expression de notre amèredéception.

Alfred Mamin,président du comité pour

un conseil d’Etat degentlemen, Lausanne

Précisons pour ce lec-teur que le Centre deRecherches Périphé-riscopiques (CRP’1580 Oleyres) publiecette année, à l’occa-sion du 193e anniver-saire de l’entrée ducanton de Vaud dansla Confédération, lesmeilleurs textes uto-piques vaudois con-temporains sousforme de fiches. L’uned’elles reprend in-tégralement l’inter-vention pidolienneconcernant le port dupantalon rayé par lesconseillers d’Etat.[réd.]

Vraiment,pourquoitant de haine ?

Chère Distinction,j’apprécie beaucoup ton hu-

mour et tes impertinences,mais je trouve que tu as dé-passé les bornes en te livrantà une attaque personnelleaussi sauvage contre la pré-sentation de l’ouvrage deGonzague de Reynold. M. Ca-lame est tout de même pro-fesseur et président de laSociété suisse de philosophie;c’est un homme dont la com-pétence est reconnue. Il apeut-être fait preuve d’un peude précipitation dans son en-thousiasme pour Reynold,mais je déplore que tu luiprêtes des intentions vilesqu’il n’a pas. Le procédé esttrop facile. C’est un genredans lequel j’espère que tune te complairas pas, j’en se-rais très déçu.

Claude-Alain Pasche,Lausanne

D’autres sujetsRefuser de couratter après

l’actualité est un parti prislouable, mais pourquoi pas,de temps à autre, une chro-nique portant sur un pointde droit ou de médecine, voiresignalant aux distingués lec-teurs toute manifestationculturelle valable et un peuen marge (expo, concert, dis-que, film) ou, même, tel tro-quet sympa découvert fortui-tement ?

Un «coup de cœur» sur unsemblable sujet serait, je n’endoute pas, apprécié de beau-coup de vos fidèles.

Aline Neyroud,Lausanne

Cruciverbisteset verbicrucistes

Je confesse être un «accro»de la pire espèce, c’est-à-direun cruciverbiste invétéré. Jeme suis réjoui de voir quedans un de vos récents nu-méros vous aviez inclus desmots croisés. Hélas, à uneautre page, vous donniez lasolution et ça, ce n’est pasdes choses à faire.

Alors, puisque vous sem-blez pouvoir vous attacherles services d’un verbicrucis-te, je vous suggérerais d’in-sérer dans vos prochaines li-vraisons une grille de motscroisés.

En fait, il existe une procé-dure très simple à suivre.Reprendre telles quelles lesbanales et indigentes grillesdu sieur Malgras qui «com-met» et se commet dans lescolonnes de deux quotidienspopulaciers de la place, en enmodifiant les définitions afinde les doper d’un peu de cettefantaisie qui leur fait cruel-lement défaut.

Vous pourriez aussi, pen-dant que nous y sommes, pré-voir un (tout) petit coin «an-nonces» : objets rares, ap-partes bon marché (hhm…),bonnes combines, rubriquechéri/chérie. Êtes-vous sisûrs que tous vos lecteurssoient affectivement épa-nouis ?

Jean-Philippe Meystre,Renens

Courrier des lecteurs

A nos lecteursA nos lecteurs

Cent ans de police politique

en Suisse (1889 - 1989)

Colloque d’histoire

Université de Lausanne-Dorigny BFSH 2

Auditoire 2064

Samedi 2 novembre 1991,

de 10h00 à 17h30

Organisé par l’Association pour l’étude de l’histoire du

mouvement ouvrier (AEHMO) en collaboration avec la

section d’histoire contemporaine de la Faculté des Lettres de

l’Université de Lausanne

Entrée libre(Les participants seront-ils fichés ?)

(Annonce)

La Distinction a procédé à un échange de fichiers avec lejournal Le Semeur. Nos lecteurs ont donc reçu ou vont recevoirprochainement une proposition d'abonnement à ce bimensuelsatirique romand.Nous profitons de l'occasion pour remercier ceux de nos fidèleslecteurs qui se sont déjà réabonnés pour l'année prochaine.Quant aux autres, l'étiquette d'adressage leur indiquera l'éché-ance de leur abonnement…

CORRESPONDANTEPÉRIPHÉRISCOPIQUE

MARCELLEREY-GAMAY

Page 3: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

OCTOBRE 1991 LA DISTINCTION — 3

Sans concessions ni précautionsde style, BHL dénonce les écri-vains aujourd’hui décédés qui,au cours de leur carrière, ontpris des positions ambiguës ouextrémistes qui se révèlent au-jourd’hui, avec le recul dutemps, irresponsables voire cri-minelles.

Par un excès de modestie quin’étonnera que ses proches, l’au-teur a donné pour sous-titre àson ouvrage Une histoire sub-jective des intellectuels –alorsqu’avec une scrupuleuse ob-jectivité, il ne condamne que cequi l’a été auparavant par l’His-toire.

Contre les clercsautoproclamés

Reste qu’il n’a pas de motsassez sévères pour flétrir cesécrivains qui, au mépris del’éminente responsabilité queleur confère leur statut d’intel-lectuels-dans-la-Cité, ont aban-donné leur fonction de défri-cheurs de Vérité et de Beauté,qui pour servir son image, quipar simple légèreté.

Le philosophe parisien s’enprend tout particulièrement àces penseurs portés par l’air dutemps qui pratiquent la vire-volte, disant successivementtout et le contraire de tout –comme s’ils choisissaient leursidées en fonction de la pose lameilleure pour la statue qu’ilsentendent laisser à la posté-rité.

Il annonce que c’en est fini deces clercs autoproclamés quiprétendaient «dire le droit» duhaut de leur plume et faire laleçon au siècle du fond de leur

chambre.

L’auteur du Diable en têteépingle avec bonheur ces «ro-mans manichéens et bavardsoù la vérité a une place assignéed’emblée».

L’ancien adolescent maoïsteconvoque au tribunal de l’His-toire les écrivains qui, au nomde la «pureté» révolutionnaire,que ce soit celle du culte de laforce ou de l’attente du grandsoir, ont souhaité et soutenu lepire.

La distance vis-à-vis deserreurs des autres

On reste confondu par tant delucidité et de perspicacité, ainsique par cette capacité de dis-tance rare vis-à-vis des erreursdes autres, quelles qu’ellessoient et quels qu’ils soient.

C’est un constant souci péda-gogique qui anime ce nouveauPygmalion, pressé d’apprendreenfin à nos sociétés, qui sortentà peine de la «barbarie à visagehumain», les rudiments de ladémocratie –cette politesse descivilisations.

Au total, un seul reproche peutêtre fait à ce livre –que l’on doitsans doute mettre encore sur lecompte d’une excessive humili-té : voulant montrer que lesVoies de la Liberté, qu’il nousindique aujourd’hui, passaientnécessairement par les outran-ces dans l’erreur, Bernard-Henri Lévy donne à voir en faitune intelligentsia qui changed’erreur au gré des modes idéo-logiques sans jamais se rappro-cher de la Vérité –une côte es-carpée à laquelle, à la fin dupériple, BHL accostera seul oupresque.

C’est pourquoi il s’avère quel’étape la plus décisive de l’his-toire des idées au XXe siècle estcelle qu’a vécue –et pour unegrande part animée– l’auteur :celle du maoïsme soixante-huitard. Comme il le dit lui-même, «c’est à partir de là quenous en avons terminé avec latrès longue histoire du désir deRévolution».

Les erreurs accoucheusesde Vérité de BHL

Oui, les autres intellectuelsse sont trompés –pour la plu-part– hormis Camus, PierreDac et peut-être Mauriac.Quant à l’auteur, il reconnaîthonnêtement son fourvoiementmarxiste-léniniste des années68. Son maître à penser, enverslequel il conserve aujourd’hui

encore une admiration irraison-née, n’était-il pas Louis Althus-ser, qui n’a pas eu besoin derenier son engagement commu-niste pour sombrer dans la foliemeurtrière ?

Mais ne fallait-il pas se trom-per en 68 pour pouvoir se ren-dre compte ensuite de son er-reur? Ne valait-il pas mieuxavoir «tort» avec Dany Cohn-Bendit que «raison» avec PaulRicœur?

C’est là que l’on découvre –sans que jamais ce soit formulé,évidemment– que les erreursde BHL n’étaient pas de mêmenature que celles de ses prédé-cesseurs; qu’elles furent non passtériles ni porteuses de mala-die ou de mort spirituelles, maisfécondes, accoucheuses de Vé-rité.

Le maoïsme de Lévy doit êtrejugé par rapport non pas à lui-même, mais à ses fruits: l’adieu–déchirant mais ferme– à laRévolution; la critique coura-geuse du Goulag, trente ansaprès Koestler, et le travail dedeuil qui l’a accompagnée; laredécouverte enfin de la Démo-cratie.

Pas de doute: cette ultimeaberration extrémiste était né-cessaire pour déboucher surl’idéologie de tolérance huma-nitaire et universaliste dont ilest aujourd’hui l’un des phareset qui marque la fin des idées –non pas certes au sens de mort,mais d’achèvement, d’acmé.C’est l’apogée des «Aventuresde la Liberté»: le dernier desaventuriers a retrouvé l’Archeperdue !

Il y aura désormais un avantet un après Bernard-HenriLévy. Les intellectuels n’aurontplus d’excuses pour trahir leurdouble mission: penser le com-plexe et parier sur l’universel.

Contre un nouveau sacrébaptisé « vérité», il faut

sacraliser la Vérité

D’abord, penser la complexitédu monde –contre tous les sys-tèmes simplificateurs, globali-sants, totalitaires.

Dans deux entretiens récentsà propos de son livre, BHL pré-cise cette dialectique du simpleet du complexe –qui ne peuts’appréhender qu’à la lumièredes concepts du Vrai et du Beau(fondateurs aussi de la démar-

che de la revue Jalons, notons-le au passage). En un premiertemps, l’auteur dénonce «les in-tellectuels du XXe siècle [qui] sevivent comme des prêtres, desservants d’une nouvelle trans-cendance, d’un nouveau sacréqu’ils baptisent le Juste, le Vraiou le Bien», (1). S’il refuse poursa part tout net de s’engagersur cette voie, qui mène à Aus-chwitz ou à la Kolyma, il n’encontinue pas moins d’affirmer:«Je crois que le Bien n’est pas leMal, que le Juste n’est pas l’In-juste et que toutes les valeurs nesont pas équivalentes» (2).

La contradiction n’est qu’ap-parente : un nouveau sacréqu’on baptise Vérité est germede totalitarisme; au contraire,une Vérité sacralisée est unedigue démocratique contre lesdérives transcendantes qui con-duisent à ce même totalita-risme.

Là est le courage authentiquede l’intellectuel du XXIe siècletel que le préfigure BHL : ac-cepter d’assumer ses apparen-tes «contradictions» jusqu’à l’ab-surdité –quitte à les résoudredans la banalité.

Deuxième mission de l’intel-lectuel dans la cité démocrati-que : faire le pari de l’universa-lisme contre les grandes pul-sions communautaires, qui bri-sent l’individu et ravalentl’homme au niveau de l’animal.

BHL, ou l’aboutissementd’un siècle d’erreurs et

d’égarements intellectuels

Formidable plaidoyer que ce-lui de l’auteur pour l’individulibre contre la communautéidentitaire, organique, primai-re, bestiale (celle de la famille,de la nation, de la culture, de lareligion), foyer de barbarie la-tente forcément pré-fasciste.

D’une phrase lumineuse, BHLrésume ce débat central: «Ladémocratie commence avec cetteidée, difficilement tenabled’ailleurs, que les communau-tés sont toujours mauvaises».Loin de se cacher la difficulté, ill’affronte donc de plein fouet,dans l’attitude du résistant au-thentique, éternel, de l’«hommerévolté» même contre les réali-tés les plus tenaces et les plusincontournables.

Lévy l’a compris, bien sûr –même s’il préférerait se fairefermer le col plutôt que de

Les engagements aberrants des intellectuels français racontés par le plus représentatif d’entre euxLes engagements aberrants des intellectuels français racontés par le plus représentatif d’entre eux

N cycle séculaire de l’histoire desintellectuels français s’achève. Grâce àson exceptionnel talent de plume,

Bernard-Henri Lévy fait revivre pour nous cesAventures de la Liberté, maniant tour à tourune émotion bouleversante, une sympathiecommunicative et un humour si fin qu’il est àpeine perceptible. Mais sa rigueur le conduitaussi à dresser un bilan sans complaisance dece siècle dont tous les clercs ou presque se sonttrompés. Pourquoi ? Comment ? Sont-ils excu-sables? En quête de moralité, l’auteur est con-traint de remonter jusqu’à lui-même pour latrouver. Un livre lucide et pénétrant, vif com-me l’éclair, brillant comme l’étoile du berger,profond comme le gouffre de Padirac, qui nouslivre les clés d’un siècle de littérature engagée,le plus souvent dans des impasses.

U

Le prophète de la Liberté

Bernard-Henri Lévy sauvagement agressé à coups de tartes à la crème

lors d'une conférence philosophique en Belgique

l’avouer : il est l’aboutissementde tout un siècle de penséesqui, parties dans tous les sens,n’en trouvent finalement un quepar lui, avec lui et en lui.

Tout l’œuvre accumulé de celong cortège de prophètes quil’ont précédé, ne connaissentau mieux qu’un pan de Vérité,n’ayant levé qu’un coin du voile–tout cela ne prend sa significa-tion que dans la lumière de ce-lui qu’ils annonçaient et dontils préparaient les voies.

Auprès de ce Messie de la Li-berté, Camus lui-même fait fi-gure de Jean-Baptiste. Tel leNazaréen, BHL, au fur et àmesure qu’il développe son en-seignement, est de plus en pluscritiqué par les pharisiens hy-pocrites et les cyniques saddu-céens, les clercs obscurs et leséternels nains de l’esprit, chezqui le génie et la grandeur nepeuvent qu’aviver une jalousieinexpiable.

Mais arrêtons là un parallèlequi risquerait de heurter lamodestie de l’auteur –et sonagnosticisme. Contentons-nousde l’écouter lorsqu’il prophétise:«L’important est de bien voirque toujours l’erreur est possi-ble». Toujours, c’est-à-diremême après lui... Les hommesn’ont-ils pas continué de pé-cher après la venue sur terre duRédempteur?

Le clerc de notre ère«Nous sommes vaccinés

aujourd’hui contre les mille fo-lies déjà commises et réperto-riées. Mais les autres? Les virusjustement qui ne sont pas en-core identifiés ?» A 43 ans, l’an-cien «nouveau philosophe» en aisolé un contre lequel il nousmet tout spécialement en garde: le culte de la jeunesse. «Lejuvénisme, qui est au cœur de latentation totalitaire, est un deséléments les plus récurrents del’Histoire [...]: c’est donc par luique, demain, tout peut recom-mencer, et dans l’assentimentgénéral ! » Terrible avertisse-ment que nous lance ainsi leprophète de la Liberté, qui est

par là-même, en creux, la senti-nelle de l’antitotalitarisme.

A l’heure où, comme le ditBHL dans son style simple etdépouillé, «l’époque prend congéd’elle-même et bascule vers unavenir encore sans visage», ilétait bon que cette étude dudernier grand clerc de notre ère–qui sera aussi le premier duXXIe siècle– vienne mettre unpoint final à ce chapitre de no-tre histoire intellectuelle, en ju-geant ses principaux acteurs àl’aune de leurs petites faibles-ses et de leurs grandes trahi-sons.

Qui d’autre que l’auteur decette fresque passionnante etpassionnée des idées du siècle,de ce livre follement intelligent,traversé de mille fulgurancesqu’il faut bien qualifier de gé-niales –oui, qui peut mieux nousarmer pour affronter le futur etses pièges, en déjouant les ru-ses de la déraison ?

On peut donc maintenant lé-gitimement attendre de lui qu’iljette un pont vers l’avenir ennous donnant ce grand mani-feste, ce nouveau Contrat so-cial auquel, murmure-t-on, iltravaille déjà et qui pourraits’appeler «Jalons vers le Troi-sième Millénaire».

© Jalons, n°1, 1991

Bernard-Henri Lévy

Les aventures de la liberté

Une histoire subjective des

intellectuels

Grasset, février 1991,

489 p., Frs 40.80

(1) Le Nouvel Observateur, 14 mars1991

(2) Globe, mars 1991.

� Sera-t-elle pourl'Europe ?

� Ah bon, vous enêtes encore là ?

Alors place à l'innovation, aux débatsd'idées, aux remises en question. Lemonde change diablement vite. Laculture ne s'arrête pas aux aux portesd'un théâtre ou d'une salle de concert.Le conformisme des idées ne se porteplus très bien. Les thèmes abordés ?

LA NOUVELLE DISTINCTION

Sortie vers le 1er décembre

(Publicité)

Après avoir brillamment pastiché depuis des années

toute la presse française (Le Monstre, L'Aberration,

Loup-Garou Magazine, etc…), le «Groupe d'interven-

tion culturelle Jalons» a lancé sa propre revue men-

suelle cet été. Cela donne une publication très distin-

guée, comme en témoigne l'article ci-dessus.

Pour s'abonner :

Un chèque

de FF 300.–

à Jalons,

Rue de la

Fédération 51,

75015 Paris

Page 4: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

4 — LA DISTINCTION OCTOBRE 1991

L'ex-syndic de Lausanne a réécrit son manuelL'ex-syndic de Lausanne a réécrit son manuelLa syndique de Lausanne a écrit un livreLa syndique de Lausanne a écrit un livre

Le 21 septembre dernier, Yvette Jaggi

inaugurait à Basta ! les séances de

signature qui marquent la sortie de son

livre. Voici quelques extraits pittores-

ques de l’entretien à bâtons rompus

qu’elle nous a accordé à cette occasion.

Le titre– La rumeur publique fait croi-

re que vous avez emprunté cetitre au Président PhilippePidoux, est-ce vrai ?

– Dans ce cas-là, ce serait luiqui m’aurait emprunté ma de-vise personnelle depuis long-temps.

– Y a-t-il une contrepèterie dis-simulée dans votre titre ?

– J’ai cru pouvoir la percevoiraprès coup.

– Voici trois propositions detitres pour votre prochain livre:«Quand faut y aller, faut y al-ler», «On est déçu en bien» et«Ça va pas durer». Laquellechoisissez-vous ?

– «Quand faut y aller, ça vapas durer», ou bien plutôt«Quand faut y aller, on est déçuen bien».

– Ne croyez-vous pas que votremoindre aptitude que les ténorsradicaux à débiter des lieux com-muns assortis de pataquès rhé-toriques vous desserve dans lepublic ? Pourriez-vous faire uneffort pour approvisionner da-vantage le Grand Prix du Mairede Champignac ?

– Je dirais que c’est plutôt euxqu’elle dessert, enfin j’espère.Pour le reste, je pense apportermes petites contributions : iln’y a pas encore de quoi faire unpetit livre rouge, mais tôt outard, il y aura.

Le livre– Croyez-vous qu’un livre sans

images, publié chez un petit édi-teur certes courageux, puisseavoir une incidence sur les ré-sultats électoraux de cetautomne ?

– Je pense qu’il n’en aura pasbeaucoup, mais ce n’est pas lemanque d’images qui en est àl’origine, ni la petitesse de l’édi-teur. L’écrit détaillé n’est peut-être plus le véhicule numéro unde la pensée. C’est accablant,mais enfin il faut le constater.Les uns font des tracts, les au-tres des bouquins et probable-ment les uns comme les autresn’influencent les choses que demanière minime, millimétriquedirait Brélaz.

– Est-ce que vous pouvez qua-lifier et quantifier les classes

sociales qui constituentvotre électorat naturel etpotentiel ?

– Là, on tombe dans uneparodie des sondages, quisont déjà une parodie dela réalité. Certaines caté-gories, larges, se retrou-vent en dehors de la popu-lation a priori sympathi-sante, j’en ai la convictionet quasiment la démons-tration quotidienne : cesont les femmes en géné-ral, une partie des pay-sans. Mais c’est unegrande difficulté de savoirqui vote pour qui : avant,il y a moins de mondequ’après, quand on estélu. Les gens volent ausecours du succès et veu-lent en avoir été. Commeje n’ai jamais fait l’expé-rience d’une non-élection,je peux pas dire ce qui enest quand on n’est pas élu.

– Comment peut-on à lafois citer quatre ouvragesde Baudrillard dans unebibliographie et se dégui-ser en vigneronne vaudoise pourl’inauguration du Comptoir ?

– Ah mais, ça montre qu’on abien lu Baudrillard !

– A propos du Comptoir, sa-vez-vous déjà quelle tyranniesera l’invité officiel du Comp-toir de l’année prochaine ?

– Les invitations de pays sontsupprimées. Le pavillon de dés-honneur sera transformé encentre de petits congrès.

– Comme références de penséevous citez Rousseau, Saint-Exupéry, Mendès-France et Ro-card. Pourquoi n’y a-t-il aucunpenseur de la tradition socialis-te dans cette liste ?

– Rousseau est un penseur del’origine de la pensée socialiste.Son Discours sur l’origine del’inégalité m’a l’air d’être unbon manifeste pour le lance-ment d’une initiative populairesur le droit foncier.

– Mais la pensée socialiste nes’est pas arrêtée à Rousseau…

– Ce qui est intéressant dansla tradition, c’est l’origine… etl’actualité, donc du cher Jean-Jacques au beau Michel.

L’auteure

– Comme étapes de votre for-mation personnelle, vous indi-quez le militantisme estudian-tin, la fédération des consom-matrices et les mandats parle-mentaires, mais pas le partisocialiste, pratiquement absentdans tout le livre. Pourquoi ?

– Il n’y a pas d’activité parle-mentaire sans activité partisa-ne préalable. Mon activité par-tisane préalable était d’une cer-taine manière inavouable puis-qu’une disposition des statutsde la FRC stipule que les res-ponsables ne font aucun gestepublic qui atteste leur appar-tenance à tel ou tel parti. Avantcela, mon activité au sein duPSS s’est essentiellement dé-roulée en Suisse alémanique, àBâle et à Berne.

– Vous parlez à la page 50 devotre «amitié» pour ElizabethKopp. Qu’entendez-vous par ceterme ?

– On est réputé avoir de lapeine à se faire de vrais amisau-delà de la période du gym-nase. Je me suis fait quelquesamis sous la coupole. Je ne di-rais pas qu’elle en soit carré-ment, mais c’est quelqu’un avecqui je me suis bien entendue

aussi longtemps qu’elle étaitconseillère nationale, parce quec’était quelqu’un avec qui onpouvait faire sur des points pré-cis des alliances; et il y en pasdes masses chez les radicaux,en tout cas pas chez les ra-dicaux romands. Pour les dis-cussions sur la protection del’environnement ou l’articleconstitutionnel sur l’égalité,c’était quelqu’un de très sûr.Ça crée des liens. Dans ce sens-là, je lui garde un sentimentd’amitié, même si j’ai trouvéson attitude au moment de sadémission tardive et surtout parla suite très incompréhensible,pour être gentille.

– Quel rapport entretenez-vousavec les activités manuelles, tel-les que ménage, couture, jardi-nage, bricolage ou autre ?

– Je suis relativement douéepour le bricolage. Dans le mé-nage, j’aime bien les tâches denettoyage, parce que c’est gra-tifiant : on voit la différenceentre avant et après. Mais toutce qui est couture, c’est nul.

– L’hédonisme et un mandatpolitique se conjuguent malai-sément. Quel type de satisfac-tions retirez-vous de votre car-rière politique ?

– Ça s’apparente au travailpaysan du labourage, pouvoirse retourner et voir une trace.Ça tiendra jusqu’à la prochaineneige ou jusqu’à la prochaineherse.

– Mais vous aimez convain-cre?

– Quelque chose entre con-vaincre et imposer, oui.

(Propos extorqués parJ.-J. M. et C. S.)

Yvette Jaggi

Ce n’est le moment de mollir

Zoé, septembre 1991,

160 p., Frs 22.50

E Chevallaz nouveau estarrivé ! Après l’éditionen noir et blanc des an-

nées soixante, après l’éditionen bichromie noir-brun aveccouverture en vrai skaï lors del’accession au trône, voici main-tenant l’œuvre de la maturité :Histoire générale de 1789 à nosjours, en deux volumes et enquadrichromie, toujours chezPayot.

Toujours plus viteOuvrons-le avec vénération,même s’il n’est plus le manuelofficiel de l’enseignement del’histoire en terre vaudoise. Lanouvelle édition corrige appa-remment quelques détails deséditions précédentes, remplaceles clichés passablement som-bres par de belles reproductionsen couleur (et les retourne par-fois : ainsi Benjamin Franklincherche la foudre à gauche etnon plus à droite –page 15).Sont ajoutés par-ci par-là quel-ques paragraphes consacrésaux femmes (voir ci-dessous) etau canton de Genève (1).Le gros de l’ouvrage est resté lemême, c’est la partie contem-poraine qui s’est considérable-ment étoffée : si l’édition de1962 s’arrêtait grosso modo en1956, si celle de 1974 n’allaitguère au-delà de 1970, la cuvéeparue au printemps s’arrête le24 février, avec le «cessez-le feuqui confirme la libération duKoweït et la responsabilité ira-kienne dans les dommages deguerre». On trouvera donc dansla nouvelle édition l’Intifada, la«secte intransigeante des chii-tes», la basilique de Yamassou-kro, le FIS algérien, Miles Da-vis à Montreux, la libération deMandela, l’élection de Boris-Eltsine 1er, le sida (huit lignes,avec une capote en photo –pre-mière dans un manuel scolairevaudois…) et l’épizootie des va-ches folles (six lignes, justeaprès le sida). Bref, le présent yabonde : pour Chevallaz commepour les gazettes, l’histoire vade plus en plus vite.Cette nouvelle capacité trans-cendantale à distinguer dansl’écume de l’actualité la plusimmédiate les faits dignes defigurer dans un mémorial per-met aussi à G.-A. Chevallazd’imposer aux futurs citoyensde l’an 2000 le portrait inou-bliable de MM. Botta, Keller etTinguely posant pour le 700ème

(p. 276). Mais «j’ai pris monrecul intérieur», nous déclarel’auteur dans une interview à24 Heures le 4 septembre 1991.

Question structure de l’analysehistorique et clarté dans l’expo-sé, la partie nouvelle de l’ou-vrage donne une impression dedistribution des bons points àla fin de l’année, mis à part unchapitre massif et cohérent surla perestroïka, apparemmentrajouté sur le tard. Le plan estgéographique : continent parcontinent, on passe en revue lesdifférents pays et on émet unjugement équilibré sur leur si-tuation et leurs gouvernants.Ça donne des choses exquisescomme ce Maroc «très discrète-ment démocratique, mais in-fluent en modération parmi lespays musulmans».

Modernisation etrectification

Une analyse de détail, portant–choix tout à fait malinten-tionné– sur le chapitre consa-cré à la Suisse entre 1914 et1945, va nous permettre de re-lever l’évolution de la pensée

chevallazienne depuis trenteans (voir tableau comparatif ci-contre).

La tendance la plus marquéeest un féminisme galopant : laseule nouveauté qui ne soit pasune rectification est un para-graphe –avec photo– consacréà la participation des femmessuisses à l’effort de guerre. Unsiècle de revendications fémi-nistes a donc ici obtenu un écho.Un brin d’écologisme pousseaussi sans doute l’ancien con-seiller fédéral à remplacer lesbarrages, par des «usines au filde l’eau». Voilà un historien enprise avec son temps !Les décisions politiques, autre-fois attribuées aux seules insti-tutions («le Conseil fédéral dé-cide…»), sont désormais per-sonnalisées, les noms des hom-mes politiques suisses appa-raissent, ce qui permet en pas-sant de faire le procès de Pilet-Golaz (verdict : discours tropambigu). Faut-il y voir un signede la désagrégation du monoli-thisme politique helvétique del’après-guerre ? Ce n’est pasChevallaz qui pourra répondre,puisque ni la guerre froide etses ravages dans les mentalitéshelvétiques, ni même le scan-dale du fichage des opposantsne sont mentionnés. Signalonsaussi la photo d’Elisabeth Kopp,qui fut, nous rappelle la légende,«la première femme élue au gou-vernement fédéral en 1984 oùelle siégera quatre ans» : pointfinal, circulez, y a rien à voir !De manière générale, on cons-tate que le temps adoucit leschoses dans la prose de celuiqui fut ministre des porte-mon-naies puis des casquettes : la«colère» des Romands de 1916devient une «irritation» et lessocio-démocrates de 1918 sontnettement plus réformistes.L’interdiction des organisationscommunistes et «nicolistes» en1940-1941 est maintenant men-tionnée (2), même si la limi-tation des droits démocratiquesqu’elle implique n’est pas rele-vée. A l’inverse, l’implantationdu fascisme en Suisse est sous-estimée dans les trois éditions.En 1991, la Suisse de 1940 estun peu moins prête à affronterHitler qu’elle ne l’était encoreen 1974, et l’efficacité de sonarmée dans la défense du paysn’est plus aussi nettement af-firmée (3).Les contorsions les plus specta-culaires sont bien entendu con-sacrées à la collaboration éco-nomique avec l’Allemagne na-zie, qui n’est plus complètementoccultée, mais à laquelle oncherche de bien piètres justifi-cations. Et puis, il y a les réfu-giés : des «Israélites» (4) oubliésdans l’édition de 1962, rajoutésen 1974, on en arrive en 1991 àaccumuler des mesures chif-frées de l’action du CICR pourdonner l’impression au lecteurque la Suisse a quand mêmefait quelque chose (5). Dans cetordre d’idées, une maladressede langage pourrait choquer :une note indique qu’«on déplo-rera que la police fédérale aitadmis, pour des raisons prati-ques [le lecteur brûle de savoirlesquelles], que la lettre J figurâten tête des passeports des per-sonnes d’origine israélite». Lebel emploi du subjonctif impar-fait ne saurait dissimuler ici unsens ignoré du verbe «admet-tre», puisque c’est à la deman-de insistante des autorités suis-ses auprès des bureaucratesnazis que le dit signe distinctiffut introduit après l’Anschluss.Sur certains sujets manifeste-

ment Chevallaz sera toujoursChevallaz. Mais la comparai-son des trois états successifs deson texte, exercice de premièreannée en historiographie, mon-tre que même un auteur aussientier que le rougeaud ex-syn-dic de Lausanne peut être per-méable, fût-ce contre son gré, àl’évolution des mentalités. Toutdiscours historique, aussi sco-laire soit-il, est le produit deson époque.Quelle histoire enseigner dansles écoles ? Le récit chevalla-zien, très événementiel, sansgrandes perspectives, fait unpeu ringard (6). On pourra luipréférer des histoires moins ex-clusivement étatico-militaires,prenant en considération leschangement économiques, so-ciaux et culturels. Mais c’estune conception d’adulte et pource qui en est de l’effet sur lesélèves, on se rappellera que laseule rupture majeure dansl’enseignement de l’histoire futla diabolique réforme des na-zis, qui inversèrent simplementla chronologie scolaire, faisantdébuter les élèves les plus jeu-nes par l’époque contemporai-ne. Dans l’imaginaire des bam-bins, Hitler remplaça Egyptienset Romains (7).

C.S.

Georges-André Chevallaz

Histoire générale

De 1789 à 1918

Payot, 1991, 277 p., Frs 29.–

De 1919 à nos jours

Payot, 1991, 320 p., Frs 37.–

(1) L’Instruction publique du boutdu lac a choisi le Chevallaz aumoment où l’école vaudoise l’aban-donne –et on parle de se réunir enun seul canton !

(2) Encore un dernier effort, et lesanarchistes ne seront plus oubliés.Quid alors de la thèse des «or-ganisations travaillant au profitde l’étranger» ? (voir tableau)

(3) Dans cet ordre d’idées, on noterala montée en puissance du cultedu rapport du Grutli : une simplephoto en 1962; une photo et undocument en 1974; la photo, ledocument et un commentairedans le texte en 1991.

(4) Sans faire de mauvais procès,sept lignes sur l’Holocauste dansun livre d’histoire du vingtièmesiècle, est-ce vraiment suffisant ?Peut-on expliquer la naissancede l’Etat d’Israël (page 158) sansmentionner la Shoah ?

(5) On découvrira avec surprise page255 une justification de l’actionillégale : hébergement de clan-destins et soutien à une résis-tance armée compris. S’en souve-nir à l’occasion.

(6) Même s’il essaie de se déguiseren historien moderne et critiquequi revient sur les errances de«certaines écoles historiques»,remarquons qu’il n’a jamais faitautre chose depuis trente ans etqu’il nous ressert une vieille soupepassablement refroidie : «Il se pas-se à certains moments des événe-ments qui sont, qu’on le veuille ounon, déterminés par des person-nalités, bonnes ou mauvaises, plu-tôt généralement mauvaisesd’ailleurs, et qui modifient le coursde l’histoire.» (Interview à la Ra-dio romande, 11 septembre 1991)

(7) Marc Ferro, Comment on racon-te l’Histoire aux enfants à traversle monde entier, 1981, p. 130.

L

Yvette Jaggi en costume de

garde pontical, lors de la

réception du nonce apostolique

au Pavillon du Vatican lors du

dernier Comptoir

� Il y aura uneréduction sur lestarifs les plus chersde Swissair ?

� Ah bon, vous enêtes encore là ?

Le conformisme des idées ne se porteplus très bien. Et puis il y a cetterécession qui démoralise tant de mon-de. Afin que chacun, librement, formesa propre opinion.

LA NOUVELLE DISTINCTION

Sortie vers le 1er décembre

(Publicité)

Eléments de chevallazographie“Entre convaincre et imposer”

Page 5: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

OCTOBRE 1991 LA DISTINCTION — 5

(Publicité)

(Annonce)

� Quel film passe à Pully ?

� Ah bon, vous en êtes encorelà ?

La Suisse est fille de l'Europe. Afin que chacun, librement, forme sa propreopinion. Nous réussirons grâce à vous. Cette réalité, nous voulons en êtrel'observateur attentif. Et puis il y a cette récession qui démoralise tant demonde. Elargir les angles de vision.

LA NOUVELLE DISTINCTIONSortie vers le 1er décembre

Exposition

Lausanne, 14 juin 91:grève des femmesPhotos d’Estelle Conus etFrançoise Cosandey

Du 14 novembre au 11 décembre 1991Vernissage le jeudi 14 novembre à 18h00

Galerie Basta !Petit-Rocher 4, Lausanne

Exposition organisée par le collectifFemmes en grève le 14 juin – Lausanne

Mieux qu’un rêve, une grève !La grève des femmes du 14 juin 1991 en Suisse

Textes et photos réunis et présentés

par Ursula Gaillard

Album de 160 pages, 110 photos, Frs 29.–

La date du 14 juin 1991, journée nationale de grève des

femmes, restera à jamais gravée dans l’Histoire de la Suisse. Ce

jour-là, des milliers de femmes, et d’hommes, se retrouvent

dans la rue, sur leur lieu de travail, pour manifester leur solidarité

face aux inégalités dont sont encore victimes, quotidiennement,

les femmes.

Impossible de faire un inventaire des innombrables manifesta-

tions qui ont ponctué cette journée… Réalisé en quelques

semaines grâce à l’intérêt et à la collaboration des actrices et

des acteurs de cet événement, cet album est là pour témoigner,

à travers ses textes et ses photos, de l’immense force et de la

grande détermination qui se sont dégagées ce 14 juin.

Ce livre vous fera découvrir ou revivre des animations de rue, les

grèves de l’école enfantine à l’Université, la solidarité des

hommes, le mécontentement dans les hôpitaux, des actions sur

les lieux de travail, etc.

Rencontre à l’occasion de la sortie du livre

à la librairie-galerie Basta! (Chauderon)

jeudi 21 novembre à 18 h 00

1991G.-A. Chevallaz,

Histoire générale de 1919 à nos jours, pp 245-255

«A la grande irritation de l’opinion romande, ces deux officiers ne furent frappés

que d’une sanction légère.»

«Deux hommes politiques, le conseiller fédéral Hoffmann et le conseiller national

Grimm, s’entremirent, en 1917 pour obtenir…»

«Les socialistes suisses avaient, durant la guerre, été en contact avec des

révolutionnaires étrangers réfugiés en Suisse, russes notamment, parmi

lesquels Lénine. Certains de leurs chefs avaient participé, non sans réserve, aux

conférences de Zimmerwald et Kiental…»

«Le Conseil fédéral n’entendait pas accepter les conditions d’un comité de

grève.»

«De 1848 à 1918, les radicaux avaient dirigé en majoritaires pragmatiques,

parfois exclusifs, la politique de la Confédération.»

«Elle met en valeur ses ressources en énergie électrique, installant des usines

au fil de l’eau sur les rivières et les fleuves, créant en montagne des bassins

d’accumulation pour les réserves d’hiver.»

«quelques disciples bruyants, mais peu nombreux: “fascistes suisses”,

“chemises grises”, Front national, “Union nationale” à Genève.»

«La majorité des socialistes genevois et vaudois, sous l’influence de Léon

Nicole, se distança du parti socialiste suisse et resta proche du communisme.»

«…l’armée était prête à remplir sa mission. Un matériel moderne, bien

qu’insuffisant, avait été acquis»

«…petit Etat démocratique, sans ressources naturelles, elle se trouvait

encerclée par les puissances totalitaires et, semblait-il, à leur merci

politiquement, militairement et économiquement.»

«Cependant en Suisse, la défaite de la France avait ébranlé bien des esprits.

Certains se résignaient déjà à un alignement forcé. Le discours radiodiffusé du

président de la Confédération Pilet-Golaz, le 25 juin 1940, au nom du Conseil

fédéral, sans donner de gages à l’Ordre nouveau totalitaire, appelant au calme,

à la fermeté, à la discipline, était, dans sa prudence, trop ambigu pour rassurer

l’opinion. C’est de l’armée et de son commandant en chef que vint l’affirmation

de la volonté de résistance.»

«…les deux puissances s’attendaient à la résistance des Suisses, qui eût distrait

des forces notables…» «En octobre 1944, Joseph Staline suggéra à ses alliés

une invasion de la Suisse (…) Churchill s’y opposa avec vivacité, soulignant la

loyauté de la neutralité suisse…»

«Le Conseil fédéral, sous la direction des conseillers fédéraux Pilet-Golaz et

Stampfli, sut conduire avec fermeté ses négociations avec les pays belligérants

de manière à sauvegarder, conformément au droit des neutres, ses relations

commerciales avec les deux camps.»

«En échange de fournitures industrielles et d’armements qu’elle obtenait

partiellement à crédit, l’Allemagne livrait le charbon et le fer qui permettait à la

Suisse de poursuivre ses activités industrielles (…) Mais au plus fort de la guerre,

en dépit des difficultés d’acheminement, la Suisse expédiait 15% de ses

exportations (…) dans les pays anglo-américains (…). Les transactions

financières et monétaires ardues se poursuivirent durant toute la guerre avec les

deux camps. A la fin du conflit, une commission anglo-franco-américaine (…)

constata que la Confédération –les circonstances étant ce qu’elles étaient– ne

s’était pas départie de sa neutralité.»

«Les femmes apportèrent leur pleine contribution à la mobilisation (…)»

«En 1943, un socialiste , Ernst Nobs, entra au Conseil fédéral.»

«Des mesures furent prises contre la propagande hitlérienne et contre les

organisations travaillant au profit de l’étranger. Les partis d’extrême-droite, le

parti communiste et la dissidence socialiste de Léon Nicole furent interdits.»

«Elle accueillit au cours de la guerre, par dizaines de milliers, des réfugiés civils,

des politiques, des Israélites et des internés militaires de toutes les nations

belligérantes.»

«Elle eût pu faire davantage encore; mais le Conseil fédéral jugea bon, pour des

raisons économiques –le ravitaillement précaire– et politiques –la pression de

nos voisins– de limiter le nombre des réfugiés et d’en refouler à la frontière.»

«Le CICR, bénéficiant d’une aide essentielle de la Confédération, (…) s’est

occupé, durant la guerre, de 7 millions de prisonniers de guerre, de 175 000

internés civils. [5000 visites de camps, 600 000 demandes d’enquête, 33 millions

de colis, 3 milliards de francs] Les chiffres officiels ne tiennent naturellement pas

compte de toute une action privée en Suisse et dans les pays occupés, de

passages de la frontière et d’hébergements clandestins, de refuge et de

concours apportés à des résistants français, italiens ou allemands.»

«On a reproché au CICR de n’avoir pas dénoncé publiquement les massacres

des camps de concentration allemands. Le CICR s’en est défendu, rappelant des

interventions ponctuelles auprès des responsables allemands, en estimant

qu’une protestation solennelle n’eût rien changé au sort des détenus civils et eût

pu compromettre son action auprès des prisonniers de guerre.»

«On notera qu’il n’était guère possible de transférer des réfugiés dans des pays

d’outre-mer. (…) On déplorera que la police fédérale ait admis, pour des raisons

pratiques, que la lettre J figurât en tête des passeports des personnes d’origine

israélite.»

1962G.-A. Chevallaz, Histoire générale de

1789 à nos jours, pp 349-358

«A la grande colère de l’opinion ro-

mande, ces deux officiers ne furent frap-

pés que d’une sanction dérisoire.»

«Deux hommes politiques, un

conseiller fédéral et un conseiller

national, s’entremirent, en 1917 pour

obtenir…»

«Les socialistes suisses avaient, durant

la guerre, subi l’influence de

révolutionnaires étrangers réfugiés en

Suisse, russes notamment, parmi

lesquels Lénine. Certains de leurs chefs

avaient participé aux conférences de

Zimmerwald et Kiental…»

«L’exemple de la révolution soviétique

de 1917 les incita à agir.»

«Le Conseil fédéral ne pouvait accepter

les conditions d’un comité de grève.»

«De 1848 à 1918, les radicaux avaient

dirigé en majoritaires, parfois exclusifs,

la politique de la Confédération.»

«Elle met en valeur ses ressources en

énergie électrique, barrant le cours des

rivières, créant en montagne des

bassins d’accumulation pour les

réserves d’hiver.»

«quelques disciples bruyants, mais peu

nombreux, “fascistes suisses”,

“chemises grises”, Front national, etc.»

«…l’armée était prête à remplir sa

mission. Un matériel moderne avait été

acquis»

«…petit Etat démocratique, sans

ressources naturelles, surpeuplé, elle

se trouvait encerclée par les

puissances totalitaires et, semblait-il, à

leur merci militairement et

économiquement.»

«Impressionnés par l’ampleur du

succès allemand, certains esprits

préconisaient un alignement sur le

Reich, une adaptation à ce que l’on

appelait “l”Ordre nouveau”. Le Conseil

fédéral et le général Guisan surent

réagir contre le défaitisme.»

«Ces mesures eurent leur résultat : une

action contre la Suisse eût coûté trop

cher; elle ne fut pas engagée. Pourtant

à plusieurs reprises, Hitler semble

l’avoir envisagée.»

«Le Conseil fédéral sut conduire ses

négociations avec les pays belligérants

de manière à sauvegarder une partie du

trafic international.»

«Un socialiste entra au Conseil

fédéral.»

«Des mesures furent prises contre la

propagande hitlérienne et contre les

organisations travaillant au profit de

l’étranger.»

«Elle accueillit au cours de la guerre,

par dizaines de milliers, des réfugiés

civils et des internés militaires de toutes

les nations belligérantes.»

1974G.-A. Chevallaz, Histoire générale

de 1789 à nos jours, pp 418-426

«A la grande colère de l’opinion

romande, ces deux officiers ne furent

frappés que d’une sanction dérisoire.»

«Deux hommes politiques, un

conseiller fédéral et un conseiller

national, s’entremirent, en 1917 pour

obtenir…»

«Les socialistes suisses avaient, durant

la guerre, subi l’influence de

révolutionnaires étrangers réfugiés en

Suisse, russes notamment, parmi

lesquels Lénine. Certains de leurs chefs

avaient participé aux conférences de

Zimmerwald et Kiental…»

«L’exemple de la révolution soviétique

de 1917 les incita à agir.»

«Le Conseil fédéral ne pouvait accepter

les conditions d’un comité de grève.»

«De 1848 à 1918, les radicaux avaient

dirigé en majoritaires, parfois exclusifs,

la politique de la Confédération.»

«Elle met en valeur ses ressources en

énergie électrique, barrant le cours des

rivières, créant en montagne des

bassins d’accumulation pour les

réserves d’hiver.»

«quelques disciples bruyants, mais peu

nombreux: “fascistes suisses”,

“chemises grises”, Front national, etc.»

«…l’armée était prête à remplir sa

mission. Un matériel moderne avait été

acquis»

«…petit Etat démocratique, sans

ressources naturelles, surpeuplé, elle

se trouvait encerclée par les

puissances totalitaires et, semblait-il, à

leur merci militairement et

économiquement.»

«Impressionnés par l’ampleur du

succès allemand, certains esprits

préconisaient un alignement sur le

Reich, une adaptation à ce que l’on

appelait “l”Ordre nouveau”. Le Conseil

fédéral et le général Guisan surent

réagir contre le défaitisme.»

«Ces mesures eurent leur résultat : une

action contre la Suisse eût coûté trop

cher; elle ne fut pas engagée. Pourtant

à plusieurs reprises, Hitler semble

l’avoir envisagée.»

«Le Conseil fédéral sut conduire ses

négociations avec les pays belligérants

de manière à sauvegarder une partie du

trafic international.»

«Un socialiste entra au Conseil

fédéral.»

«Des mesures furent prises contre la

propagande hitlérienne et contre les

organisations travaillant au profit de

l’étranger.»

«Elle accueillit au cours de la guerre,

par dizaines de milliers, des réfugiés

civils, des politiques, des Israélites et

des internés militaires de toutes les

nations belligérantes.»

«Elle eût pu faire davantage encore;

mais le Conseil fédéral jugea bon, pour

des raisons économiques –le ravitaille-

ment précaire- et politiques –la pression

de nos voisins– de limiter le nombre des

réfugiés et d’en refouler à la frontière.»

Page 6: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

6 — LA DISTINCTION OCTOBRE 1991

NouveautésNouveautés

Huguette Bouchardeau

La Grande Verrière

Payot, août 1991, 231 p., Frs 24.80

Une bien jolie idée que de choisir Emilie,

vingt ans lors de la chute du Mur de Berlin,

comme alibi pour retracer la courte histoire

d’une communauté à Besançon (la Grande

Verrière) au début des années 70. Des com-

munautés comme celle-là, il y en eut beau-

coup même si elles n’eurent pas toutes la chance d’assister depuis

leurs balcons aux soubresauts de Lip. Leur programme restait

toujours plus ou moins le même : faire éclater des structures

familiales trop rigides, inventer une autre manière de vivre et

travailler ensemble, faire la révolution quoi ! Les étudiants quit-

taient les facs pour entrer à l’usine (Peugeot dans le cas précis), les

femmes se regroupaient pour lutter ensemble et vogue la galère,

nous autres on arrivera bien à la trouver, la vraie vie ! Les

problèmes de fonctionnement prennent bien sûr un temps et une

énergie démentiels, la vie en commun est tout que facile et les

gens du dehors asphyxiants avec leurs éternelles questions sur

des mœurs qu’on suppose affriolantes. Mais malgré tout la petite

troupe arrive presque à concrétiser son rêve lorsque, sans raison

vraiment apparente, tout éclate et chacun repart de son côté.

Emilie, pourtant peu présente dans l’histoire à part comme

unique enfant vivant dans la communauté, fait profondément

ressortir le côté obsolète de cette vie-là. Les problèmes abordés

sont plus actuels que jamais et même si Madame Bouchardeau

met parfois des dialogues plus lourds que le plomb dans la

bouche de ses personnages, on ne peut s’empêcher de les trouver

attachants. Mais voilà, ils vivaient dans une bulle, comme le

remarque l’un des personnages à la fin, et même si ça aide un

moment, ce n’est toujours pas la solution. (J. S.)

Lothar Baier

Les Allemands maîtres du temps

Essai sur un peuple pressé

La Découverte, 1991, 204 p., Frs 28.20

L’espace, c’est fini. Le voilà arrivé au termed’une lente dissolution entamée il y a unsiècle. Pendant longtemps, il fut la dimen-sion nécessaire, sans laquelle les domina-tions politiques, économiques et culturellesne pouvaient s’épanouir. Aujourd’hui, l’es-

pace ne compte plus. Sa résistance physique rongée par lesprogrès des transports, son poids économique ballotté au grédes caprices boursiers et financiers, ses réserves d’exotismes etde différences submergées par le grand marché des biens et desimages, il a perdu toute raison d’être. Même lorsqu’il s’agitd’éloignement, on ne parle plus de kilomètres, mais d’heuresde vol, d’heures d’autoroutes ou de TGV… A l’impérialisme del’espace a succédé une sorte d’impérialisme du temps, quiconsiste à investir, à prévoir et à imposer des modèles quifaçonnent le temps de toutes les sociétés et qui rythment lepouls du monde. Voilà la thèse qui constitue la partie cohérentede l’essai de Lothar Baier. Thèse qu’il emprunte, il l’avoue lui-même, au sociologue français Serge Moscovici.La suite, Baier ne l’emprunte pas. Les Allemands, dit-il, sontpassés maîtres dans la gestion du temps. Peut-être. Mais lerythme imposé au processus de réunification ou l’allergieteutonne à toute limitation de vitesse sur les autoroutes sont-ils vraiment des symptômes suffisants pour valider un teldiagnostic ? A la suite de la défaite, la modernisation a pris enRFA une connotation morale et politique, et s’est trouvée de cefait accélérée : ce qui était ancien n’était pas seulementmauvais parce qu’ancien, mais parce que nazi. Peut-être. Maisfaut-il vraiment en déduire que les vaincus furent contraintsde foncer vers le progrès et que, depuis, la course aveugle versl’avenir et l’obsession de la vitesse conditionnent profondé-ment la société germanique?Après avoir narré comment le temps a mangé l’espace, puiscomment les Allemands ont dompté le temps, Baier s’inquiète.Une telle vitesse étourdit, et les souvenirs s’estompent. Unpassé qui les mettait mal à l’aise a d’abord encouragé lesAllemands à accélérer leur course. Aujourd’hui, leur attitudea changé. Le sentiment de honte et de culpabilité a disparu. Ilsn’ont plus rien à craindre des zones d’ombre de leur histoire,puisque tout se résout dans le happy end actuel. L’ère nazie,une étape, malheureuse certes, mais dépassée…Tout cela est décousu et les banalités ne manquent pas, maisl’essai de Baier propose quelques aperçus audacieux et parfoisconvaincants. Dommage qu’il soit aussi… rapide. (A. C.)

Dodo, Ben Radis & Jano

Bonjour les Indes

La Sirène, septembre 1991,

74 p., Frs 75.–

Quiconque a voyagé une fois enInde retrouvera au travers decette BD toute l’atmosphère dece pays fascinant. Le dessin

rend avec une précision remarquable ses mille et une senteurs,l’indicible tohu-bohu de la vie citadine, mais également toutela richesse des rapports qui existent entre les Indiens et levoyageur. Dodo, Ben radis et Jano, les héros de ces aventuresvécues, font partager au lecteur les innombrables histoires quileur sont arrivées et qui, d’ailleurs, peuvent arriver à n’im-porte quel voyageur avide de découvertes.Parvenant à transformer les expériences les plus pénibles enun éclat de rire, ils nous réconcilient avec tout ce que nous necomprenons pas dans ce pays. De la complainte de l’intoucha-ble, qui est né, a vécu et meurt dans la rue, à la recette du curryde potiron, en passant par les règles du grand jeu de laréincarnation, tout y est ou presque… On n’en sort pas forcé-ment plus sage, mais on a beaucoup ri. (N. C.)

longueur importe peu, il peutêtre utile de bien savoir s’enservir. Une virgule de trop, et lesens est modifié .

Les trente et un cas d’emploides points de suspension nemanquent pas de nous étonner.On y apprend tout d’abord queFrançoise Sagan avait demandéqu’on imprimât :

Aimez-vous Brahms..et qu’il est d’usage récent de

mettre trois points.

On y découvre ensuite toutesles subtilités qu’ils autorisentet dont certains écrivains ne seprivent pas :

Je sortis à mon tour, et j’allaispasser sans la voir, quand elleme prit le bras et m’attira pourm’embrasser, et là, en une mi-nute (. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . )

(Paul Léautaud, Amours.)S’en trouvera-t-il encore pour

oser prétendre que le silencen’a pas son poids de rhétori-que?

Laissons à Drillon le soin deconclure : «Il ne faut pas donneraux choses plus qu’il ne leurrevient. Faire le tout d’une par-tie, confondre la ponctuation etla langue, la langue et le langa-ge. En revanche, il est indispen-sable d’établir avec un semblantde certitude la frontière entre lemystérieux et l’explicable. Derespecter l’un et l’autre. Maisd’accroître autant que possiblele champ du second-qui se con-fond avec celui de notre liberté.»

M.T.

Jacques Drillon

Traité de la ponctuation française

Gallimard, février 1991,

472p., Frs 27.–

Deux points, guillemets :Deux points, guillemets :

La P... respectéeL est des sujets qu’on taitde peur de passer pour undangereux maniaque. Hon-

nêtement, ne vous êtes-vousjamais dit qu’il fallait un soup-çon de perversité pour se pas-sionner pour la ponctuation ?

Peut-être n’y avez-vous jamaiscompris grand-chose. Peut-êtreavez-vous toujours jeté vos vir-gules au petit bonheur la mal-chance, histoire de donner àvos textes un semblant de te-nue. D’ailleurs, au-delà du pointet de la virgule, le terrain vousparaît miné. Peut-être mêmepensez-vous que tout ceci est enfin de compte assez futile. Alors,sus aux préjugés. Osons l’écrire,le dernier ouvrage de JacquesDrillon, critique musical auNouvel Observateur est su-perbe, et vous auriez grande-ment tort de ne pas vous laisserséduire.

Parler de ponctuation avechumour et plaisir tout en res-tant rigoureux peut paraître im-possible et pourtant, ce traité,tout d’intelligence, de sensibi-lité et d’érudition, plutôt qued’en être le critique, on auraitfurieusement envie d’en êtrel’auteur.

L’ouvrage est en deux par-ties. La première, des originesà nos jours, retrace l’histoirechaotique de la ponctuation. Laseconde, en s’appuyant sur denombreux exemples tirés de lalittérature française, est uneétude du bon usage que l’on faitdes signes qui la composent.

Un jour, un scribe s’avisa deplacer un «blanc» entre les mots:il avait inventé la ponctuation.Ce blanc-là aide à la compré-hension du texte écrit; et toutela ponctuation est à son image.Aussi, si l’ouvrage est indis-pensable à tous ceux dont laglose éclectique aime à se per-dre dans le détail ou la digres-sion, il rendra des services non-négligeables à tout francophonequi lit ou écrit, ne serait-cequ’occasionnellement.

La ponctuation est étroite-ment liée à l’histoire des idées.Au 19e, par exemple, «dans cesiècle gonflé de révolte s’épa-nouit la ponctuation académi-que. La lutte entre les typogra-phes et les auteurs tourna pres-que toujours à l’avantage despremiers. (...) Ils sont en bout dechaîne, et gardent le mot de lafin.» Ils ont d’ailleurs la fermeconviction d’être les garants dela clarté, et ne souhaitent pasabandonner la langue aux ca-prices des écrivains. La typo-graphie du 19e a beaucoup «cor-rigé» la langue des siècles pré-cédents, elle l’a, comme le sou-lignait Nina Catach, «bâillon-née, camisolée dans des bande-lettes de signes superflus, con-formes aux bonnes mœurs na-poléoniennes». Qu’on lise Hugodans l’édition Furne ou dansune édition moderne, il est bonde savoir qu’on ne lit pas lemême texte.

La ponctuation doit être res-pectée, non point sacralisée, carelle n’est pas essentielle, elle nefait pas le style, elle le suit; «ellene fait que lui donner son relief,sa lisibilité.»

Là est la force de Drillon :nous présenter ce code qui nousest commun sans jamais dé-noncer de coupables, mais enobservant les effets obtenus parl’emploi de tel ou tel signe.

Prenons la virgule du latinvirgula («petite verge»). Pasmoins de cent quarante posi-tions sont ici recensées. Et si sa

I

selon la saison, votre envie et ce

que vous êtes capable de trouver.

Suivant qui vous voulez inviter, vous

pouvez aussi cueillir des amanites

phalloïdes ou des inocybes de pa-

touillard, des satyres puants ou des

entolomes livides… mais à ce mo-

ment-là, évitez de goûter le plat.

Si la forêt est trop loin, si votre

vieille douleur au dos vous empê-

che de vous baisser, achetez ces

champignons au marché ou dans

un commerce plus ou moins

quelconque.

Ne lavez pas les champignons

mais nettoyez-les soigneusement

avec votre si joli couteau. Débitez-

les en morceaux raisonnablement

petits. Faites-les revenir dans un

peu de beurre, avec une échalote

et un peu de persil. Laissez rendre

l’eau, à petit feu. Salez et poivrez en

fin de cuisson.

Jetez quelques lasagnes dans de

l’eau frémissante et salée, égout-

tez, séchez sur un linge.

Sur un plat si possible prévu pour

aller au four, de forme rectangulaire

par exemple, placez successive-

ment : une couche d’huile d’olives,

une couche de lasagnes, une cou-

che de tomates (pelati par exem-

ple), une couche de lasagnes, une

couche de champignons, une cou-

che de lasagnes, une couche de

tomates (par exemple pelati), une

couche de lasagnes, une couche

de champignons, une couche de

lasagnes et ainsi de suite jusqu’à

épuisement du stock. Vu le côté un

peu répétitif de l’exercice, il est sug-

géré d’écouter pendant l’opération

une musique du genre du Boléro de

Ravel (pom popopom…) ou de se

faire lire un discours de M. Perrin,

président du Conseil communal de

Lausanne et de la société vaudoise

des officiers (moins d’Etat, plus de

liberté, plus d’armée, moins

d’Etat…).

Coupez un peu de mozzarelle en

fines tranches, répartissez sur les

lasagnes, saupoudrez de parme-

san râpé et placez au four chaud

jusqu’à ce que ça gratine.

Si vous n’étiez pas tout à fait sûr

de vos champignons, un bon truc

pour voir s’ils étaient comestibles.

Une semaine après votre récep-

tion, réinvitez les mêmes amis. S’ils

ne peuvent venir parce qu’ils sont

encore hospitalisés, c’est qu’il y avait

sûrement un mauvais champignon

parmi le lot.

Le Maître-coq

La société des fillesDescription de l'indescriptibleDescription de l'indescriptible

TOQUÉ, LE CHEF

LASAGNES

DRAMATIQUES

Avec le joli couteau suisse que vous

a offert votre maman pour vos

14 ans, cueillez 800 grammes de

champignons sauvages. Des bons,

si possible. Des bolets ou des chan-

terelles, des trompettes de la mort

ou des pieds bleus, des coulemel-

les ou des coucoumelles, des pieds

de mouton ou des pets de loup…

On s’affronte à la marelle, à lacorde à sauter, à la balle (etvoici des comptines que chan-taient aussi mes sœurs )…

De temps à autre, les garçonssurgissent, ils sont violents,brutaux avec les filles et cruelsavec les animaux qu’ils attra-pent. Les filles aussi sont cruel-les, mais différemment.

L’école et la messe sont l’occa-sion de découvrir d’autres rues,d’autres trottoirs, qui ne sontjamais tout à fait aussi fami-liers que ceux qui passent de-vant chez soi, qui, à force, sontdevenus un espace semi-privé,dans lequel l’étranger est in-trus (1).

C’est un monde entier qui sereconstruit ainsi, d’autant plusprécieux à connaître qu’en gé-néral, ceux qui en sortent n’enparlent pas volontiers, et queceux qui n’en sortent pas ne ledécrivent jamais. Les pages lesplus frappantes, et poignantes,sont d’ailleurs celles ou MarieRouanet explique comment sonascension sociale, toute répu-blicaine (elle est professeur delettres) lui à coûté son identitésociale, dont elle nous fait partavec sobriété et élégance.

J.-C. B.

Marie Rouanet

Nous, les filles

Presses-Pocket, 1991, Frs 10.20

(1) Un ami me racontait l’étrangesensation qu’il a éprouvée à Na-ples, en passant dans une rue oùtout le monde le dévisageait, pa-raissant chercher qui il pouvaitbien être, pour être là.

De notre correspondant

à Paris

ALGRE les efforts fé-ministes, les cérémo-nies différenciées se-

lon les sexes semblent avoir en-core quelques années devantelles. En tous cas, tant que lesfemmes-zet-les-zommes éprou-veront le besoin de conserverun je-ne-sais-quoi par deverseux, et n’auront pas envie de lepartager. L’ambiance lourde(dans tous les sens du terme)des vestiaires de football peut-elle être vraiment décrite à unedame ?

C’est pourtant à cette tâchede description de l’indescripti-ble que peinent les ethnogra-phes de notre vie quotidienne.C’est pourtant une explicationde l’inexplicable que MarieRouanet réussit dans son trèsbeau livre Nous, les filles.

Elle s’attache, dans une écri-ture que sa fonction même renddrue et serrée, à la descriptionde sa vie et de celle de ses amies,filles d’ouvriers, de journaliers,depuis le moment où elle quitteles jupes de sa mère pour oserjouer dehors, jusqu’à la puberté-frontière de l’enfance.

On est à Béziers et la sociétédes filles, normée, vit dans larue, le plus souvent. Les inté-rieurs sont préservés, contrô-lés par les mères (les pères tri-ment). On joue de tout, des her-bes, des détritus qu’on trouvedans le ruisseau, de cailloux.

M

«Aucun homme ne saura jamais cequ’il y a de vrai dans cette histoire.

»Des femmes peuvent sans doute se lachuchoter mutuellement après unedanse, quand elles s’arrangent les

cheveux pour la nuit et qu’elles com-parent les listes de leurs victimes.

»Naturellement, un homme n’assistepas à cette cérémonie.»

Page 7: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

OCTOBRE 1991 LA DISTINCTION — 7

L'esprit d'aventure

LA NOUVELLE DISTINCTION PARAÎT DE TEMPS EN

TEMPS, MAIS JAMAIS LE DIMANCHE !SORTIE VERS LE 1ER DÉCEMBRE !

Seules les sommités fleuriesdes plants femelles se fumentune fois séchées, ou entrentdans la composition des sub-stances dérivées telles que lehaschich (1) ou l’huile (2).

Usages multiplesLe chanvre possède d’autres

vertus : ficelle, tissu, pulpe àpapier, idéale pour le papierbible, huile très riche en sucresnaturels et protéines sous formed’albumine, parfaite pour l’as-saisonnement et la friture. De

de quelques substances psycho-tropes choisies parmi les 80métabolites du THC qui se ter-mine par un indispensable ta-bleau croisé présentant les dif-férents haschichs, leur prove-nance, leur aspect (goût, cou-leur, consistance) et leur com-position chimique.

Effets modérésLe lecteur trouvera une des-

cription organe par organe desméfaits et des bienfaits du can-nabis consommé régulière-ment, car le fumeur occasion-nel semble à l’abri de touteconséquence fâcheuse commesemble l’indiquer la majoritédes rapports officiels sur le su-jet. Le premier date de 1894 etémane de l’Indian Hemp DrugCommission mandatée par lescolons britanniques, et conclutentre autres qu’un usage mo-déré du haschich ne peut êtrenocif. En 1944, celui de la mai-rie de New York affirme que lapublicité concernant les effetscatastrophiques de la mari-juana est sans fondement. En1972, 24 millions d’Américainsont essayé la marijuana, troismillions en fument une à qua-tre fois par mois, cinq millionsune fois par semaine et un demimillion régulièrement. Dans undiscours, Nixon qui ne sait plusà qui déclarer la guerre s’enprend à la drogue, il nommeune commission qui finira paren proposer la décriminalisa-tion de l’usage. Tout comme lerapport Le Dain au Canada, lerapport Pelletier en France sousGiscard 1er, tous, mais tous,reconnaissent que l’usage mo-déré du «shit» est sans consé-quence. Alors, faut-il croire quela politique répressive de la con-sommation par les pays occi-dentaux (3) est uniquement ba-sée sur l’argument clé des pro-hibitionnistes, qui affirme queles drogues douces conduisentinéluctablement aux droguesdures (4) ? La réponse n’estévidemment pas là puisqu’elleest idéologique, et toc !

Plutôt le whiskyPour nos sociétés, la fumette

reste attachée au mouvementhippie et à la contestation qui

s’ensuivit. Qui fume un jointremet en question sa cultureoriginelle et conteste le systèmede valeurs établi. De plus, n’est-il pas surprenant que les dro-gues des pays du Sud aient étéofficiellement condamnées àl’éradication sur pression despays occidentaux (5) au profitde l’hégémonie des drogues duNord ? La vente et l’usage abu-sif des médicaments et de l’al-cool se portent bien merci. N’ou-blions pas que le premier grandrapport, celui de l’Indian HempDrug Commission, était uneidée des colons anglais qui sou-haitaient démontrer qu’user dela drogue est plus dangereuxque s’adonner au whisky, ce quileur aurait permis de préleverdes taxes. En réalité, les Asiati-ques, Amérindiens et autres Es-quimaux souffrent trop facile-ment d’alcoolisme, car contrai-rement aux blancs, ils ne possè-dent pas ou peu une certaineenzyme qui métabolise les mo-lécules d’alcool. Allez-y-voir!

Dans le livre de Galland, onparle de tout cela et de biend’autres choses encore. Signa-lons pour terminer une redou-table revue de presse mondialequi couvre les années 69-90. Ony lit cette opinion définitive duParti communiste français en1977 : «La réalité, c’est que par-ler des drogues douces, c’est déjàmettre le doigt dans l’engre-nage.» C. Sch.

Jean-Pierre Galland

Fumée clandestine

Il était une fois le cannabis

Ramsay, février 1991,

288 p., Frs 75.–

(1) Nous signalons aux réformateursque d’autres orthographes sontadmises, à savoir : haschisch, ha-chisch et même hachich, voire ma-rijuana.

(2) Espérons que ce livre aura lemérite de mettre fin aux rumeursles plus fantaisistes sur la fabri-cation du haschich et de l’huile,en donnant des recettes authen-tiques ainsi que les variantes con-tinentales, voire régionales et lesprocédés malhonnêtes donnantlieu aux produits frelatés qui fontla honte de la profession.

(3) Certains pays, voire certainesrégions tendent à être plus nuan-cés en ce qui concerne l’applica-tion desdites lois. En Suisse, fu-mer un joint devant un agent nevous coûte plus que Frs 100.– .Pour les autres destinations enEurope et dans le monde, le livrevous fournira de précieuses infor-mations touristico-cannabiques.

(4) Rappelez vous la publicité d’HaraKiri qui disait qu’il s’agit là d’uneloi de la nature, que les branlettesau savon conduisent aux mutila-tions au fer rouge. Comme le dit ledocteur Olivenstein, on reconnaîtdans les arguments des prohibi-tionnistes ceux que l’on opposaità la masturbation le siècle der-nier.

(5) Cf la convention unique de l’ONUde 1961.

NouveautésNouveautés

Jean Steinauer

Glasnest ou l’auto-subversion d’un

empire alimentaire

En Bas, 1991, 104 p., Frs 22.–

Ce gai troubadour de Jean Steinauer a voulufaire un conte. Un joli conte. Moderne, cer-tes, mais joli.Il était une fois… une terrible entreprise

qu’on appelait Nestlé. Méchante, avide, veule, menteuse ettout et tout. Mais un jour son Prince, qui portait le doux nomde Directeur général Helmammut, décida qu’il fallait toutchanger. Tout, oui. Et qu’il fallait permettre à Cendrillon(CANES de son prénom) et à tous les gentils d’aller au bal etmême de le mener. Mais les méchants lieutenants du Princeveillaient au grain…Bonne idée, ça commence même bien, mais ça ne tient pas laroute. Les personnages ne sont qu’à peine esquissés et l’his-toire a des allures de baudruche dégonflée. Dommage, onaurait aimé pouvoir y croire. Mais ne devient pas conteur quiveut. (J.-P. T.)

Marguerite Duras présente

L'Amant du Hei-Lung-Kiang

Collection Harlequin, septembre 1991,

153 p., Frs 7.80

Après L'amante anglaise (Gallimard, 1967),L'amant (Minuit, 1984, prix Goncourt) etL'amant de la Chine du Nord(Gallimard,1991), Marguerite Duras lance sa proprecollection chez un éditeur enfin digne d'elle,

et qu'on trouve dans tous les bons hypermarchés.Le lecteur (la lectrice le plus souvent, il faut bien le dire)retrouvera avec plaisir cette narratrice au ton si particulier,cette fois-ci dans le Hei-Lung-Kiang, qu'on écrit aussi parfoisHeilongjiang. Le récit raconte la rencontre entre une jeuneFrançaise égarée et un ardent Mandchou. C'est tout bonne-ment grandiose.On regrettera toutefois la petite supercherie qui consiste àpublier cette collection sous l'intitulé «Marguerite Duras pré-sente», ce qui suggère au lecteur attentif que peut-être lestrente volumes annoncés ne seront pas tous de la plume de lagrande dame avec des lunettes. (J.-E. M.)

Tout ce que vous voulez savoir sur lecannabis, sans oser le demander

«...Y a un pouilleux beatnik qui m’a refilé du hakik,y m’a dit : tiens fume ça vient de Belgik...»

(Sarcloret, in l’un de ses nombreux pets musicaux)

Retour en adolescenceRetour en adolescence

N ouvrage récent, si-gné Jean-Pierre Gal-land, réunit une liste

ahurissante d’informations entout genre et d’articles de nom-breux (co-)auteurs.

Le cannabis, ou chanvre in-dien, est une mauvaise herbequi s’adapte à de nombreux cli-mats (comme le nôtre, regardezdonc la marquise de votre voi-sin !). Plantée au printemps ouau début de l’été, il vous faudraattendre trois mois pour que laplante choisisse enfin son sexe.Le plant femelle produit une

U

résine odorifère recouvrant lessommités fleuries, qui sert àcapter le pollen émis par lesplants qui en ont, i.e. les mâles.Il vaut mieux retarder voireempêcher la fécondation, afinque les plants femelles sécrè-tent un maximum de résine,car seule cette dernière con-tient des substances psychotro-pes. Pour permettre au novicede distinguer les sexes, les pre-mières pages du livre de Gal-land sont richement agrémen-tées de planches qui vous rap-pelleront vos cours de botani-que.

Vous y trouverez aussi destravaux pratiques ainsi quemoult conseils aux cultivateursen herbe. Point n’avez-vous dejardin qui soit plus grand que lechapeau de votre tante ? Qu’àcela ne tienne, les plants lesplus riches en substances psy-chotropes sont ceux que l’onfait pousser amoureusement àl’intérieur d’une armoire à l’aided’ampoules spéciales.

surcroît le chanvre lutte effica-cement contre l’érosion.

Certaines affirmations de J.P.Galland nous ont laissé quel-que peu perplexe, comme lagreffe houblon-cannabis ou lamutation à la colchicine, c’estpourquoi notre station d’expé-rimentation phytogénétique etnotre bureau d’agronomie ap-pliquée se soumettront à unesérie d’expériences sur le ter-rain. Les résultats confirméspar une commission d’expertsseront publiés dans un prochainnuméro de La Distinction.

Parmi les substances psycho-tropes contenues dans le can-nabis, on trouve en premier lieule tétrahydrocannabinol (sur-nommé THC) et parfois excep-tionnellement, en Afghanistan,Pakistan, Kashmir et au Né-pal, la très puissantetétrahydrocannabivarine(THCV). Vous trouverez dansce livre une analyse pharmaco-logique et pharmacocinétique

Renonçants shivaïtes tirant sur le chillum

Nos candidats n'ont trouvé place

que sur une seule liste

parti

(Annonce)

(Publicité)

Imre Nagy

Tu étais impersonnel comme les autres

dirigeants à lunettes en costume trois pièces. Ta voix

n’avait pas de timbre, car tu ne savais

que dire à l’improviste, devant cette foule rassemblée :

pour toi c’était une chose insolite. Déçu,

je t’écoutais, toi, vieil homme au pince-nez,

sans rien savoir encore

de la cour en béton ni du procureur

qui s’essouflerait à lire la sentence,

ni de l’écorchure rêche de la corde : la honte finale.

Qui dira ce qu’il aurait fallu dire

depuis ce balcon ? Les possibilités mitraillées dans l’œuf

ne reviennent jamais. La prison, la mort

ne rendent plus l’éclat ni la couleur

de l’instant terni. toutefois il nous est permis d’évoquer

cet homme offensé, hésitant vacillant,

qui aurait pu trouver sa place

lorsque nous nous sommes réveillés :

les chars anéantissaient la ville.

György Petri

L’époque d’imbéciles intrépides arrive

Poèmes traduit du hongrois

Budapest, 1991, 63 p., Frs 10.–

(En vente à la librairie Basta !)

Page 8: (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) paraît

8 — LA DISTINCTION OCTOBRE 1991

L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

L’Affaire

Ramuz (7)

La Distinction se propose de publier diverses

variations sur le texte de C.-F. Ramuz, «Viens

te mettre à côté de moi sur le banc…», afin de

permettre à chacun(e) de coller à la page idoine

de son Livret de Famille la version qui lui

convient. Toutes les suggestions, surtout les

plus saugrenues, seront publiées, mais dans

l'ordre de leur réception, ce qui peut impliquer

un certain délai.

L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

L'Ivresse des Familles par Henry MeyerProposition n° 16 :

Entre Denges et Denens

Exégèse : ce texte excepte sept lettres, elles se

repèrent d'elles-mêmes, Excepté quelqu'«u» que

le «q» gère. (Lettre de lecteur)

RENDS le temps de t’étendre,femme, je te le permets, trente-sept étés et quelques ensem-ble, et c’est le trente décembre.

Cette vesprée, qu’elle est belle, est leterme de l’être : prends en éphémèreétrenne le temps de rêver.Mère des bercements cessés, jetés enquête de terres… je t’entends, préférée,repenser le temps des semences.Femme, c’est excellent de repenser : letemps des semences est le temps de l’en-semencement. Reprendre et répéter lesgestes, quel excès. Et en quel zèle ferventje persévère.Quelle tendre déférence recelée se révèleen ce temps de l’ensemencement. N’est-elle que ces tremblements des lèvres, cesrévérences, ces frêles pensées décernéeset de se serrer très près ?Ce que je crée dégénère, ce que je recréedégénère de même.N’empêche que les bébés se vêtent, selèvent, s’élèvent, se dressent et se rebel-lent, c’est éternel, et t’empêchent mêmede rêver, et je bêche en nègre excédé dèsle lever.Les détresses me désespèrent, et les étésse répètent, et je reste, et je semble mêmeredescendre.Femme, remember when…

DANIEL RAUSIS

Proposition n° 17 : Définitions

Ce qu'il a vraiment voulu dire révélé par la littéra-

ture définitionnelle. (Lettre de lecteur)

IENS te mettre à côté de moi surle siège étroit et long devant laconstruction destinée à l’habi-tation humaine, être de sexe fé-

minin, c’est bien ta faculté de faire unacte; il va y avoir un nombre composé dequatre fois dix ans qu’on est le résultatde l’union des parties d’un tout.Cette dernière portion du jour, et puis-qu’il fait si beau, et c’est aussi la derniè-re portion du jour de notre vie : tuprésentes les conditions requises pourobtenir un petit espace de temps decessation de mouvement.Voilà que les fils et les filles à cette vingt-quatrième partie du jour sont casés, ilss’en sont allés par l’ensemble de tout cequi existe; et, de nouveau, on n’est rienque le nombre qui suit un dans la sérienaturelle des entiers, comme quand ona commencé.Etre de sexe féminin, tu te souviens ? onn’avait rien pour faire la première par-tie de quelque chose, tout était à faire. Eton s’y est mis, mais ça offre de la résis-tance. Il y faut de la fermeté en face dudanger, de la constance dans l’opinion.Il y faut un sentiment passionné pourune personne de l’autre sexe, mais unsentiment passionné pour une personnede l’autre sexe n’est pas ce que l’on tientpour vrai quand on commence.(…)tu as ça à l’esprit, être humain de sexeféminin, ou quoi ?

ANTOINE GUEX

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© Pour le Pays de Vaud, etc : Académie des Nouveaux-Vieux (ADN-V)

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