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1 Énergies et territoires : une régulation, des régulations ? Colloque de la Commission de régulation de l’énergie 11 octobre 2012 Actes

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Énergies et territoires : une régulation, des régulations ? Colloque de la Commission de régulation de l’énergie 11 octobre 2012 Actes

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Sommaire

Biographies des intervenants ........................................................................................ 3 Programme ................................................................................................................... 7 Ouverture ...................................................................................................................... 8 Table ronde n°1 ........................................................................................................... 10 Table ronde n°2 ........................................................................................................... 40 Clôture ........................................................................................................................ 84

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Biographies des intervenants Introduction

Philippe de Ladoucette est Président de la Commission de régulation de l'énergie depuis 2006. Né en 1948, Philippe de Ladoucette est docteur en sciences économiques et en sociologie, titulaire d'un troisième cycle d'urbanisme et d'aménagement de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Entré en 1974 à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), il est commissaire à l’Industrialisation des Ardennes en 1977, puis responsable des questions de conversion industrielle à partir de 1982. En 1986, il est nommé conseiller technique au cabinet du ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme. De 1988 à 1993, il est chargé de mission pour les questions industrielles auprès du secrétariat général du Tunnel sous la Manche. De 1993 à 1994, il prend les fonctions de directeur adjoint du cabinet du ministre des Entreprises et du Développement économique, chargé des PME, du Commerce et de l'Artisanat. De 1994 à 2004 il devient président du conseil d'administration des Houillères du bassin du Centre et du Midi. De 1996 à 2006, il est président directeur général de Charbonnages de France, et de la SNET de 1996 à 2000. Il est également président du conseil d'administration des Houillères du bassin de Lorraine de 2002 à 2004. Philippe de Ladoucette a codirigé avec le Professeur Jean-Marie Chevalier en octobre 2010 un ouvrage sur les réseaux électriques intelligents : « L’Electricité du futur : un défi mondial », publié aux éditions Economica.

Première table ronde

Claude BASSIN-CARLIER est Directeur général délégué de l’ARENE Île-de-France. A la direction de l’ARENE Île-de-France (Agence régionale de l’Environnement et des nouvelles énergies) depuis plus de dix ans, il en a assuré le déploiement pour favoriser les pratiques de développement durable. L’ARENE, en charge de l’accompagnement des collectivités locales dans les démarches de développement durable, est l’un des organismes associés de la Région Île-de-France. Précédemment porteur des questions environnementales au sein de l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’industrie (ACFCI), il a été responsable du service environnement et a animé le réseau national des conseillers environnement des CCI.

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Olivier Beatrix est directeur juridique de la Commission de régulation de l’énergie depuis 2010. Né en 1972, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et titulaire d'un DEA de droit public des affaires, Olivier Beatrix a été admis au Barreau de Paris en 1999. Il a débuté sa carrière d'avocat au sein du département "droit public" du cabinet Gide Loyrette Nouel, avant de rejoindre le département "concurrence et droit public" du cabinet De Pardieu Brocas Maffei et Leygonie (1998-2002). En 2002, Olivier Beatrix est nommé chef de cabinet de la Secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, et conseiller technique chargé du dispositif des demandeurs d'asile. Il assure les fonctions de directeur de cabinet par intérim d'avril à juin 2003. Conseiller juridique au sein du pôle "droit de la concurrence " de la direction juridique d'EDF (2004-2007), il est nommé en juillet 2007 conseiller au cabinet de M. Laurent Wauquiez, Secrétaire d'Etat, porte-parole du Gouvernement. Il exerce ensuite les fonctions de conseiller au sein du cabinet de M. Luc Chatel, porte-parole du Gouvernement, puis de chef de cabinet adjoint de M. Laurent Wauquiez, Secrétaire d'Etat chargé de l'emploi et conseiller pour les affaires réservées.

Michèle Bellon est Présidente du directoire d’ERDF depuis 2010. Ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris et titulaire d’un Master of Sciences – Nuclear Engineering – Northwestern University (Illinois USA), Michèle Bellon rejoint EDF en 1974 dans le domaine de l’ingénierie nucléaire au sein de la Direction de l’Equipement. Elle participe à la construction de l’ensemble des paliers nucléaires, du 900 MW jusqu’au 1400 MW (N4-Chooz, Civaux). Elle est nommée Directrice adjointe en 1991 du Centre National d’Equipement Thermique (CNET). De 1995 à 1999, elle occupe les fonctions de Directrice adjointe puis de Directrice déléguée à la Direction du Personnel et des Relations Sociales des entreprises EDF et Gaz de France. De 1999 à 2000, elle est nommée adjointe du Directeur Général Délégué Clients du groupe EDF. En 2000, elle est nommée Directrice de la Division combustibles nucléaires. En 2001, à l’occasion du partenariat entre le groupe EDF et le groupe Veolia sur Dalkia, Michèle Bellon est nommée Directrice Générale adjointe de la branche énergie de Veolia (Dalkia).

Jean-Luc Dupont est maire de l'Ile-Bouchard depuis 2003 et président du Syndicat intercommunal d'énergie d'Indre-et-Loire (Sieil) depuis 2008. Il est aussi Vice-président de la FNCCR depuis 2011, en charge de la Commission « Nouvelles technologies de l’énergie et des communications électroniques ». Ingénieur diplômé des industries du bois né en 1967, il est, depuis janvier 2002, vice-président de la Communauté de communes du Bourchardais, en charge du développement économique. Il est également Président du Pôle Energie Centre (Entente départementale des syndicats d’énergie de Région Centre) depuis janvier 2012.

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Laurence Hézard est Directeur général de GrDF depuis 2007. Elle est titulaire d'une maîtrise de lettres classiques et diplômée de l'Institut National des Techniques de la Documentation. Sa carrière dans l’énergie commence en 1980 lorsqu’elle rejoint EDF à la Direction de l’Equipement/communication, jusqu’en 1983. Toujours au sein du même groupe, elle devient chargée des relations parlementaires de 1985 à 1988, puis occupe le poste de Directeur cabinet communication production électricité de 1990 à 2000. De 1999 à 2003, elle intègre EDF-GDF Services en tant que Directeur Groupement de centres Est. En 2003, la Direction Générale de Gaz de France lui confie le Projet de mise en place du gestionnaire du réseau de distribution gaz, dont elle est nommée Directeur en 2004. Laurence Hézard est aussi membre du Conseil économique, social et environnemental depuis 2010. Elle a publié un ouvrage intitulé « L’énergie au cœur, entretien avec Vianney Aubert » (éditions Choiseul, novembre 2011).

Grand témoin

Professor Dr. Haag est maire adjoint en charge du développement urbain, de l’aménagement du territoire, du génie civil, de la gestion des installations et de la planification des transports à la Ville de Freiburg-im-Breisgau (Allemagne). Professor Dr. Martin Haag a fait ses études dans le domaine de l’urbanisme et de l’environnement et a ensuite exercé des fonctions d’assistant de recherche à l’Université technologique de Kaiserslautern. En 1995, il déménage à Freiburg-im-Breisgau pour superviser un projet sur le transport public régional intégré. En 2002, il commence à travailler pour la ville de Freiburg-im-Breisgau au sein du bureau en charge de l’aménagement du territoire et de la voirie (transports individuels et transports en commun, parcs, etc.). De 2007 de 2010, il dirige la chaire de la mobilité et du transport de l’Université technologique de Kaiserslautern. Il est membre du comité de planification du transport public de Freiburg-im-Breisgau et de l’académie de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire. Depuis janvier 2011, il est maire adjoint en charge du développement urbain, de l’aménagement du territoire, du génie civil, de la gestion des installations et de la planification des transports, Ville de Freiburg-im-Breisgau.

Deuxième table ronde

Jacques Bucki est maire de Lambesc dans les Bouches-du-Rhône depuis 2008. Cet ingénieur, né en 1947, a effectué toute sa carrière dans le domaine de l’énergie. Il crée son entreprise dans ce secteur en 1994 (dispatchable, puis cogénération de 1995 à 2001), puis devient Président-fondateur en 2002 de THEOLIA, société totalement dédiée à la production d’énergies renouvelables, la première cotée en Bourse à Euronext Paris dans ce secteur d’activité. Il est élu Maire de Lambesc en 2008, première ville à héberger une installation smartgrid depuis 2009 (PREMIO).

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Andrew Burgess est Associate Partner, Transmission and Distribution Policy à l’OFGEM, le régulateur de l’énergie anglais. Andrew Burgess a rejoint l’OFGEM en 2008 après avoir travaillé à l’Office de régulation du rail (ORR), en tant que Directeur de la régulation des réseaux. Il y a notamment dirigé les travaux sur la politique européenne et ceux sur la stratégie de développement et de l’organisation interne de l’ORR. Il fait partie de deux directions réseaux de l’OFGEM, au sein desquelles il travaille à établir des liens entre les différents réseaux d’énergie – transport et distribution à la fois en électricité et en gaz. Jusqu’à octobre 2011, il était Head of Enforcement and Competition Policy à l’OFGEM, guidant la démarche de l’OFGEM dans l’utilisation de ses pouvoirs d’exécution – dans le cadre du droit de la concurrence, de la législation de protection du consommateur et de la législation sectorielle.

Cécile George est directrice de l’accès aux réseaux électriques (DARE) de la Commission de régulation de l’énergie depuis 2007. Ingénieur des Mines, elle a débuté sa carrière comme chef de la division Développement industriel à la direction de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) région Bourgogne, et chargée de mission auprès du préfet de région pour les affaires économiques (2001-2004). Elle a rejoint la CRE en 2004 comme chef du département Economie et tarification à la DARE, puis elle a été nommée directrice adjointe en janvier 2007.

Eymeric Lefort est Directeur de mission Energie du Grand Lyon depuis 2011. Eymeric Lefort est diplômé de l'école Polytechnique et de l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique et de l'Espace. Il a travaillé pendant six ans chez PSA – Peugeot-Citroën en tant qu’ingénieur puis responsable-projet en coopération. Depuis décembre 2011, il est Directeur de mission "énergie" au sein de la Direction de la Planification et des Politiques d'Agglomération du Grand Lyon avec pour mission principale de proposer et déployer la stratégie "Energie" du Grand Lyon, et dans ce cadre, d'être référent sur l'ensemble des expérimentations Smart grids.

Olivier Sala est Directeur Général de Gaz Electricité de Grenoble depuis 2011, et Président du syndicat ELE (Entreprises locales d’électricité), Vice-président de L’Union Française de l’Electricité (UFE). Avant d’intégrer Gaz Electricité de Grenoble, Olivier Sala a dirigé le marketing France de Gaz de France puis la Direction Commerciale de la Branche Energie France de GDF SUEZ pour le marché des clients particuliers et professionnels. Il a également travaillé au sein du Boston Consulting Group, où il a réalisé des missions dans les secteurs de l’énergie, des biens industriels et de la santé sur des problématiques de stratégie, d’organisation et d’efficacité opérationnelle. Avant de rejoindre le conseil, il a occupé au sein du Groupe Air Liquide des postes d’auditeur, de Responsable marketing et de Responsable des ventes export. Olivier Sala est membre du Club Premier des Dirigeants Commerciaux de France et du comité de pilotage de la Chaire de Vente et Stratégie Marketing de l’ESSEC.

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8h15 Accueil 8h45 Introduction Philippe de LADOUCETTE, Président, Commission de régulation de l’énergie (CRE) 9h00 Table ronde 1 Les villes au cœur de la décentralisation énergétique : l’énergie, une question territoriale ? - Quelles sont les nouvelles compétences des collectivités territoriales en matière d’énergie (EnR, Smart grids, etc.) ? - Des projets de Smart grids et Smart cities menés par les collectivités. Les territoires, moteur de l’innovation énergétique ? - Comment s’articulent le rôle de la ville et celui des autres acteurs publics en matière énergétique ? Participants : • Claude BASSIN-CARLIER, Directeur général délégué, ARENE Île-de-France • Olivier BEATRIX, Directeur juridique, CRE • Michèle BELLON, Présidente du Directoire, ERDF • Jean-Luc DUPONT, Vice-président de la FNCCR et Président du Syndicat intercommunal d’énergies d’Indre-et-Loire • Laurence HÉZARD, Directeur général, GrDF 10h30 Grand témoin Professeur Dr. Martin HAAG, Maire adjoint, Ville de Freiburg-im-Breisgau (Allemagne)

11h00 Table ronde 2 Locale, nationale ou européenne : comment évoluera la régulation de demain ? - Comment rapprocher les réseaux énergétiques des territoires ? Quelle acceptabilité sociale des projets ? - Quels enseignements tirer des initiatives locales en matière de gouvernance concertée ? - Quelle(s) régulation(s) pour les projets de Smart grids locaux ? Participants : • Jacques BUCKI, Maire de Lambesc (Bouches-du-Rhône) • Andrew BURGESS, Associate Partner, Transmission & Distribution Policy, OFGEM • Cécile GEORGE, Directrice de l’accès aux réseaux électriques, CRE • Eymeric LEFORT, Directeur de mission Energie, Grand Lyon • Olivier SALA, Directeur général, Gaz Electricité de Grenoble et Président du syndicat ELE (Entreprises locales d’électricité) 12h45 Clôture Débat animé par Béatrice MATHIEU, Rédacteur en chef de l’Expansion et Responsable éditoriale de la Chaîne Energie (lexpansion.fr)

PROGRAMME

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Ouverture

Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie :

Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et

Messieurs les Directeurs, bienvenue dans cette salle où nous étions il y a à peu près deux ans pour

lancer un débat sur les smart grids. Il s‘agissait alors du premier débat qui était organisé en France sur

ce sujet. Vous voyez que la démarche a prospéré. Aujourd’hui ce débat énergies, au pluriel, et territoires,

se tient à un moment intéressant dans l’évolution de ce qui se passe en France, puisque nous sommes à

la veille d‘un débat sur la transition énergétique et d’un débat sur la décentralisation.

En réfléchissant à cette matinée, je faisais un parallèle en me reportant quelques années en arrière, vers

la fin des années 70 et le début des années 80. Le parallèle me semblait assez pertinent, dans le sens

où nous connaissions à l’époque une crise économique et industrielle : la restructuration de la sidérurgie,

et une crise de l’énergie, avec le second choc pétrolier. Un nouveau plan sur l’énergie se déployait avec

la deuxième vague de construction des centrales nucléaires et la construction des grandes autoroutes

de transport de l’électricité de 400 000 volts pour raccorder ces centrales. Nous assistions donc à la

structuration du secteur de l’énergie avec laquelle nous allions vivre jusqu’à aujourd’hui. C’était

également la veille d’une grande évolution dans l’organisation politico-administrative, à partir de 1981 : la

régionalisation. A cette époque, nous connaissions donc en même temps une évolution du secteur de

l’énergie et une nouvelle répartition des responsabilités en France. Nous sommes aujourd’hui un peu

dans une situation similaire, mais avec quelques différences. A l’époque, il n’y avait pas d’ouverture du

marché de l’énergie. Le rôle de l’Europe était très différent. Il n’y avait pas de régulateurs. Nous ne

bénéficions pas non plus à cette époque de toutes les innovations technologiques qui changent la

physionomie du secteur.

Aujourd’hui, au moment où toutes ces innovations sont en train de fleurir en Europe, en France et au

niveau local, nous avons en même temps de plus en plus de réglementation, notamment européenne,

où parfois la volonté d’uniformisation prend le pas sur la volonté d’harmonisation − ce qui n’est pas

nécessairement un élément favorable pour les innovations.

Certaines choses peuvent évoluer. Le droit par exemple évolue plus ou moins, mais il évolue. Il y a aussi

les règles d’économie. On les transgresse parfois. Il y a des choses qui sont en revanche plus difficiles à

faire évoluer, ce sont les réalités techniques. Les gestionnaires de réseaux sont notamment bien placés

pour le savoir. Il y a des choses qu’on peut faire et d’autres qu’on ne peut faire. Comment tout ceci peut

s’harmoniser, comment tout ceci peut se greffer au profit d’une construction harmonieuse d’un système

européen, d’un système français et d’un système local ? Voilà le débat que nous souhaitons ouvrir. Bien

entendu, nous n’avons pas les réponses. Nous lançons le débat.

Nous sommes très heureux de vous avoir ici pour que ce débat soit animé et que nous parvenions à la

fin de ce colloque, non pas à des solutions, mais en tout cas à ce que nous ayons ouvert des pistes de

réflexion au cours des mois qui viennent. Mesdames et Messieurs, je laisse maintenant la parole aux

orateurs.

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Régionalisation et premières lois de décentralisation

Source : http://www.vie-publique.fr

La décentralisation est le processus consistant pour l’Etat à transférer au profit des collectivités territoriales certaines compétences et les ressources correspondantes. Les mesures adoptées à partir de 1981 - les lois Defferre – poursuivent trois objectifs : rapprocher les citoyens des centres de décision, responsabiliser les autorités élues et leur donner de nouvelles compétences, favoriser le développement des initiatives locales.

La politique de décentralisation engagée en 1981 repose sur trois grands principes :

• l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre ;

• le maintien des différentes structures d’administration locale existantes ;

• la compensation financière des transferts de compétences.

Les lois Defferre se traduisent par cinq changements principaux :

• la tutelle exercée par le préfet disparaît. L’Etat contrôle les actes des collectivités locales a posteriori, non plus a priori, et ce par l’intermédiaire du préfet, des tribunaux administratifs et des chambres régionales des comptes,

• le conseil général élit lui-même l’autorité exécutive de ses décisions : ce n’est plus le préfet qui met en œuvre les politiques du département, mais le président du conseil général ;

• la région devient une collectivité territoriale pleine et entière, elle est administrée par un conseil régional dont les membres sont élus au suffrage universel ;

• l’Etat transfère des blocs de compétences qui étaient jusqu’à présent les siennes au bénéfice des communes, des départements et des régions ;

• les aides financières accordées aux collectivités locales par l’Etat sont globalisées sous la forme de dotations : dotations globales de fonctionnement, d’équipement, de décentralisation.

La répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales

Les transferts de compétences, issus des lois Defferre, sont opérés en fonction de deux principes :

• le premier est celui de la stricte compensation des charges pouvant résulter du transfert de compétences. Ce principe implique un transfert des ressources correspondant aux charges des compétences transférées : l’Etat abandonne certaines ressources fiscales (vignette, droits de mutation...), des crédits sont attribués aux collectivités sous la forme d’une dotation générale de décentralisation ;

• le second principe impose que soit respectée la liberté des collectivités locales. Celles-ci s’organisent comme elles l’entendent. Aucune collectivité locale n’exerce de tutelle sur une autre, l’Etat seul arbitrant et réglant les conflits entre elles.

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Table ronde n°1

Béatrice Mathieu, animatrice des débats :

Ouvrons donc tout de suite le débat avec la première table ronde dédiée au pourquoi et au comment de

la décentralisation énergétique. Alors qu’on parle aujourd’hui beaucoup de smart grids, de smart cities,

et qu’on voit qu’un certain nombre de projets fleurissent un petit peu partout sur le territoire, on sent bien

que les collectivités locales ont de plus en plus envie d’être acteurs dans ce domaine, alors mêmes

qu’elles ont les compétences mais qu’elles ne les exercent pas. Il y a un élément que le grand public

oublie souvent, c’est que les communes sont propriétaires du réseau et qu’elles en confient la gestion,

soit à une régie, soit à un concessionnaire. Comment les choses se passent aujourd’hui entre les

collectivités locales et les gestionnaires de réseaux ? Que demandent les collectivités aujourd’hui et que

leur répondent les gestionnaires de réseaux ?

Pour cette première table ronde, je vais vous présenter nos cinq invités qui vont nous rejoindre sur

scène : Michèle Bellon, présidente du directoire d’ERDF, Laurence Hézard, directrice générale de GrDF,

Jean-Luc Dupont, Maire de l’Ile-Bouchard, président du SIEIL et vice-président de la Fédération

nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), Olivier Béatrix, directeur juridique de la CRE

et Claude Bassin-Carlier, directeur général délégué de l’ARENE Ile-de-France. Je vous remercie tous les

cinq.

Olivier Béatrix débutera cette table ronde et nous dressera une fresque historique de la décentralisation

énergétique et poser les questions qui permettront de lancer les débats de la matinée.

Olivier Béatrix, directeur juridique de la Commission de régulation de l’énergie :

Merci beaucoup. J’espère que les intervenants ne m’en voudront pas de prendre la parole en premier. Il

s’agit bien entendu pour le régulateur de lancer le débat et non d’imposer son point de vue,

naturellement.

Vous nous avez invités à réfléchir sur la question de l’énergie et des collectivités territoriales avec une

question qui était : l’énergie est-elle une question territoriale ? J’ai envie de répondre spontanément : oui,

l’énergie est bien sûr historiquement une question territoriale.

Il faut rappeler que la construction des réseaux électriques et gaziers a été d’abord le fait de ces

collectivités territoriales et que la jurisprudence administrative et le juge administratif en portent

témoignage depuis le 19e siècle. Je serai bref sur l’historique. Il faut simplement rappeler que cette

question territoriale a été inhérente à l’ensemble de l’évolution législative et que la loi de 1946 qui portait

nationalisation a maintenu deux choses essentielles : d’abord un principe d’organisation territoriale de la

distribution du gaz et de l’électricité, puisqu’elle a conforté l’existence d’un service public local de la

distribution d’énergie. La loi de 1946 a aussi bien sûr maintenu l’existence de distributeurs non

nationalisés, les DNN, devenus les entreprises locales de distribution (ELD).

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J’ajouterai pour terminer ce bref et très schématique panorama historique que la loi a même confié aux

collectivités territoriales un rôle dans des domaines purement régaliens : la fiscalité de l’énergie d’une

part, puisqu’aujourd’hui une partie de la fiscalité de l’énergie vient abonder les finances des collectivités

locales, par les taxes locales d’électricité ou par, par exemple, l’impôt forfaitaire sur les entreprises de

réseaux (IFER) ; et d’autre part un autre domaine régalien qui est celui de la planification territoriale,

dans lequel, là encore, les collectivités locales ont été impliquées. Elles le sont dans les schémas

régionaux du climat de l'air et de l'énergie (SRCAE), dans les schémas régionaux éoliens (SRE) et dans

les zones de développement éolien (ZDE), en attendant les prochaines évolutions législatives sur ce

sujet.

SRCAE, SRE et ZDE

Le décret relatif aux schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) est paru au Journal officiel

du 18 juin 2011. Il définit le contenu et les modalités d'élaboration de ces outils de planification issus du

Grenelle de l'environnement. La loi prévoit que chaque région devait se doter de tels schémas avant le 14

juillet 2011.

Les SRCAE sont composés d'un rapport, d'un document d'orientation et d'un volet annexe consacré à

l'éolien : le schéma régional éolien.

Le rapport présente l'état des lieux dans les domaines du climat, de l'air et de l'énergie, et les perspectives

d'évolution aux horizons 2020 et 2050. Le document d'orientation définit les objectifs régionaux en matière de

réduction des émissions de gaz à effet de serre, de lutte contre la pollution atmosphérique, de développement

des filières d'énergies renouvelables et d'adaptation aux changements climatiques.

Le schéma régional éolien, quant à lui, identifie les parties du territoire régional favorables au développement

de l'énergie éolienne. Il établit la liste des communes dans lesquelles sont situées ces zones de

développement de l'éolien (ZDE).

Le schéma régional est élaboré conjointement par le préfet de région et le président du conseil régional, qui

s'appuient sur un comité de pilotage rassemblant les représentants de l'Etat, des établissements publics, ainsi

que sur un comité technique réunissant l'ensemble des acteurs et parties prenantes.

Je termine là ce bref panorama pour en venir à trois points qui me paraissent essentiels lorsque l’on

parle d’énergie dans les collectivités territoriales. Aujourd’hui, il y a trois axes privilégiés de

développement de l’action des collectivités territoriales en matière d’énergie.

Le premier axe, le plus évident, est celui de la maîtrise de la demande d’énergie et de l’efficacité

énergétique. Les collectivités locales ont évidemment investi pleinement ce champ parce que les

communes sont d’abord des autorités décisionnaires en matière d’urbanisme. Elles sont aussi

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aménageurs et peuvent confier l’aménagement à des concessionnaires. Elles sont donc en première

ligne face aux promoteurs et aux constructeurs. Elles ont les moyens d’avoir une action tout à fait

efficace en matière de maîtrise de la demande de l’énergie. Je citerais simplement l’exemple récent de la

région Alsace, qui comme vous le savez, a conclu en décembre 2009 un contrat de performance

énergétique avec un opérateur national, GDF SUEZ, qui portait sur les équipements publics. Les

collectivités territoriales se sont donc emparées de tous les outils, y compris des outils contractuels

assez innovants que sont par exemple ces contrats de performance énergétique.

Le deuxième axe de développement et de l’action des collectivités territoriales dans ce domaine, est bien

sûr celui de la production énergétique elle-même. Je n’ai pas besoin de développer sur ce sujet mais je

souligne simplement que l’évolution du mix énergétique français a naturellement pour effet un

développement des moyens de production d’énergie décentralisés et, là encore, les collectivités

territoriales ont investi pleinement ce champ. Deux exemples de production me paraissent assez

illustratifs. Le premier exemple est celui de la biomasse. Vous le savez, la biomasse produit à la fois de

l’électricité et par exemple de la chaleur. Il est évident qu’une collectivité territoriale, lorsqu’elle est

autorité concédante avec un concessionnaire qui exploite une installation de biomasse, est partie

prenante d’une politique d’aménagement territorial et d’une politique locale. Elle va évidemment

permettre à son concessionnaire d’avoir une action concrète sur la vie de ses concitoyens. Il est normal

que les collectivités territoriales interviennent sur ce type d’installation. Mon deuxième exemple concerne

des installations plus récentes en biogaz. On en a une illustration avec l’action du département de l’Aube

qui a créé, en collaboration avec la région Champagne-Ardenne, un cluster biogaz, qui permet

l’association de la filière amont et de la filière aval, des agriculteurs, des industriels et des chercheurs

pour permettre le développement territorial de proximité des installations de production décentralisée.

Dernier axe de développement : c’est évidemment l’implication des collectivités territoriales en matière

d'énergie et leur volonté d’un dialogue approfondi avec les concessionnaires de réseaux de distribution

de gaz ou d’électricité. Ceci va être l’un des axes de notre matinée, je n’y reviens donc pas. On peut

simplement saluer les progrès de la législation en la matière avec la mise en mise en place des

conférences départementales sur les investissements des gestionnaires de réseaux et des autorités

concédantes. C’est aussi l’implication majeure des collectivités locales dans les grands projets de

réseaux intelligents sur lesquels nous allons revenir.

Je termine ce propos en disant que, aujourd’hui, il y a une question qui est celle de la formulation de la

politique territoriale de l’énergie. Y a-t-il ou pas une politique territoriale de l’énergie ? La question

centrale est celle de la définition de cette politique territoriale, avec finalement deux options. La première

consiste à intégrer les axes de développement que je viens de mentionner dans une politique nationale

de l’énergie. L’autre option est celle d’une formalisation de cette politique territoriale de l’énergie. On a

pu lire dans la presse récemment les propos d’un élu local qui disait : « le vent des Picards doit revenir

aux Picards ». On voit bien que, derrière cette expression, il y a la formalisation d’une possible politique

territoriale de l’énergie qui serait centrée sur l’idée d’autarcie ou d’autonomie des régions. Aujourd’hui, ni

le législateur, ni d’autres autorités, n’ont à ce stade tranché sur les différentes options, les différentes

définitions de cette politique territoriale de l’énergie. Nous allons y consacrer notre dialogue ce matin.

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Les réseaux publics de distribution de gaz et d’électricité

Source : http://www.cre.fr

Environ 11 millions de consommateurs sont raccordés aux réseaux de distribution de gaz naturel qui

appartiennent aux collectivités. Ces clients sont alimentés par 25 gestionnaires de réseaux de distribution

(GRD) de gaz naturel, de tailles très inégales. GrDF (Gaz Réseau Distribution France, filiale distribution de

GDF SUEZ) assure la distribution de plus de 96 % du marché. 22 GRD aussi appelés entreprises locales de

distribution (ELD) parmi lesquelles Régaz (Bordeaux) et Réseau GDS (Strasbourg) assurent chacun la

distribution d'environ 1,5 % du marché, les 20 autres ELD se partageant moins de 1% du marché. Antargaz et

la SICAE de la Somme et du Cambraisis, dont l’activité d’origine est respectivement la distribution de gaz

propane et butane et la distribution d’électricité, sont les premiers opérateurs « nouveaux entrants » sur la

distribution de gaz naturel en France depuis la mise en exploitation du réseau de la commune de

Schweighouse-Thann par Antargaz en octobre 2008 et celle du réseau des communes d’Herbécourt et de

Vrély par la SICAE de la Somme et du Cambraisis en avril 2010.

Les réseaux de distribution acheminent l’électricité entre 20 kV et 400 V et desservent les consommateurs

finals en moyenne tension (PME-PMI) ou en basse tension (clientèle domestique, tertiaire, petite industrie).

Les réseaux publics de distribution sont la propriété des communes qui peuvent en confier la gestion à ERDF

(pour 95 % des réseaux de distribution du territoire métropolitain continental), ou à des entreprises locales de

distribution (ELD) par le biais de contrats de concession.

Les gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité et de gaz exercent des monopoles régulés par la

Commission de régulation de l’énergie.

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup Olivier Béatrix. Le débat a été planté. Donnons tout de suite la parole à Jean-Luc

Dupont. Olivier Béatrix a dit que l’on doit maintenant définir une politique territoriale de l’énergie.

Monsieur Dupont, qu’est-ce que vous, élu et vice-président de la FNCCR, répondez à ça ? Que faites-

vous et de quelle politique territoriale parle-t-on ?

Jean-Luc Dupont, président du Sieil, vice-président de la FNCCR, maire de l’Ile-Bouchard :

Bonjour à toutes et à tous. Je souhaite en premier lieu excuser Xavier Pintat, président de la FNCCR, qui

avait prévu d’assister à ce colloque et qui est retenu pour présider le conseil d’administration de la

fédération ce matin. Il m’a demandé de le représenter.

Concernant ces problématiques de régulation, M. Béatrix et vous-même avez rappelé en préambule le

rôle important et historique des collectivités dans la distribution d’énergie sur le périmètre national. On

voit aujourd’hui clairement qu’avec l’histoire, la propriété des réseaux mais aussi ce qui leur avait été

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donné dans la loi de nationalisation − c’est-à-dire le bon exercice des missions de service public de

distribution à l’échelon local, la maitrise d’ouvrage sur les travaux importants d’amélioration, de

développement mais aussi de sécurisation de ce réseau − ce sujet est au cœur des préoccupations des

collectivités. La FNCCR a d’ailleurs engagé l’année dernière une réflexion assez importante qui a

débouché sur un livre blanc sur le mode de gestion pour les services publics locaux de l’électricité. Dans

son chapitre 4, ce livre blanc fait une large place au mode de régulation locale, à la nécessaire évolution

de ce mode de régulation et au poids que doivent avoir les collectivités dans le dispositif. L’ouverture des

marchés à la concurrence pour la fourniture n’a pas remis en cause la place des autorités organisatrices

de la distribution. Je dirais même qu’elle l’a renforcé, puisque le décret du 17/11/2004 n°12-24-2004 qui

portait création d’EDF SA, mettait les autorités organisatrices de la distribution au même plan que le

ministère chargé de l’énergie et la Commission de régulation de l’énergie en tant qu’autorités de

régulation. On voit bien que le législateur a souhaité qu’il y ait encore un ancrage fort de régulation à

l’échelon local.

Je crois qu’il n’y a pas d’opposition à ce qu’on ait à la fois la Commission de régulation de l’énergie qui

est un régulateur national avec une vision un peu plus moyennée des territoires et de la performance sur

les territoires et à la fois des autorités locales avec une place forte dans ce dispositif, ce qui est

incontournable et indiscutable. La France a un modèle unique de système de distribution d’énergie qui

fait la richesse de son territoire. Il faut aussi prendre en compte ses particularités, qui font par exemple

que les contraintes de distribution en Ardèche ne sont les mêmes que celles de l’Ile-de-France, et vice-

versa. Je crois que le principe fort sur lequel était acté notre système de développement d’énergie, c’est

la péréquation nationale qui est un élément incontournable. La FNCCR a rappelé en préambule de son

livre blanc son attachement à ce système de péréquation nationale, qui permet une égalité des

territoires. Je crois que l’égalité des territoires, pour un libre accès à l’énergie dans les mêmes

conditions, sans discrimination, est un sujet qui doit être au cœur du débat.

Aujourd’hui, au 21e siècle, l’énergie électrique est devenue incontournable. L’arrivée des énergies

renouvelables sur les territoires renforce et remet encore plus au cœur du dispositif les autorités

organisatrices de la distribution. On a parlé des smart grids tout à l’heure. L’arrivée de production

d’énergie décentralisée pour une consommation au plus proche va demander un équilibrage et un

pilotage plus fins donc une approche beaucoup plus fine de ces réseaux. La place des autorités est en

plein cœur de ce dispositif.

La péréquation tarifaire nationale

Les tarifs de l’électricité dans les zones non interconnectées (ZNI) au réseau électrique métropolitain

continental (Corse, départements d'outre-mer, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon et les îles bretonnes de

Molène, d'Ouessant et de Sein) sont les mêmes qu’en métropole continentale, alors que les moyens de

production y sont plus coûteux (article L.121-7 du Code de l’énergie). C’est le principe de la péréquation

tarifaire nationale. Les surcoûts de production sont couverts par les charges de service public d’électricité

(CSPE).

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Par ailleurs, l’arrivée des nouvelles technologies de production − tout à l’heure M. Béatrix évoquait la

cogénération par la biomasse par exemple − nous a amenées, nous, collectivités territoriales, à créer

des structures pour nous adapter au monde moderne. J’ai moi-même créé en Indre-et-Loire l’année

dernière une société anonyme d’économie mixte locale, appelée EneRSIEIL, qui a pour objet de

permettre le développement local de toutes les politiques liées aux énergies renouvelables. Nous

sommes partenaires sur un certain nombre de projets, dont un très emblématique en région Centre, sur

la commune de Descartes. Ce projet de cogénération à partir de biomasse est lauréat d’un appel à

projets de la Commission de régulation de l’énergie, qui a été remporté par Dalkia. Il est lié à une

industrie papetière avec une grosse utilisation de chaleur, une production d’énergie électrique

décentralisée de 20 MW, ce qui n’est pas négligeable, et une production de biogaz liée aussi à cette

industrie, à hauteur de 4 MW. On est là en plein cœur du sujet. Descartes est une commune rurale de

4 000 habitants située dans le sud du département. C’est un point sensible et névralgique du réseau de

distribution d’électricité. L’arrivée de ces capacités de production locale d’énergie, linéaires dans l’année

puisque la biomasse cogénération fonctionne de façon régulière 360 jours par an, 24 heures sur 24 − ce

qui n’est pas le cas de toutes les EnR − nous permet de soulager considérablement le réseau. A terme,

cela nous évite d’investir des centaines de milliers d’euros dans le renforcement du réseau public de

distribution déjà existant pour permettre de satisfaire la demande. Aujourd’hui, en fin de compte, l’usine

va être complètement effacée par sa production d’énergie, c’est-à-dire qu’on regagne la capacité d’une

ville de 15 000 habitants sur ce secteur. C’est un enjeu important, d’autant plus que le poste source qui

alimente cette zone n’est pas situé sur notre département, mais un peu plus loin dans la Vienne. Nous

avions la nécessité de récréer des lignes importantes sur ce secteur.

On voit bien que les collectivités locales qui sont partenaires dans ce projet vont pouvoir à la fois

soutenir un projet de développement local dans l’industrie, générateur d’emploi, mais aussi structurer

une filière économique locale, non délocalisable, la filière bois, grâce aux massifs forestiers de Chinon et

de Loches qui sont aujourd’hui sous exploités, voire pas du tout exploités pour le bois-énergie. On

pourra même aller plus loin : au-delà de la fourniture de cette usine en biomasse, il y a aussi l’éventuelle

alimentation future de chaudières bois pour les collectivités, chaudières qui aujourd’hui n’existent pas,

faute d’approvisionnement en bois. C’est la problématique de la poule et de l’œuf : s’il n’y a pas la filière

bois on n’installe pas les chaudières (si on a trop de chemin à faire pour amener le combustible, le bilan

économique n’est pas favorable), et d’un autre côté, tant qu’il n’y a pas de chaudières, on ne crée par la

filière. Pour un élu comme moi en charge du développement économique de son territoire, qui a la

capacité d’appuyer un projet industriel qui va apporter des ressources en énergie et structurer une filière

industrielle locale, non délocalisable et qui va générer des emplois, il est évident que les collectivités ont

toute leur place à prendre dans le dispositif.

Béatrice Mathieu :

C’est un véritable cercle vertueux qui est en train de se mettre en place. Claude Bassin-Carlier, quel

point rajouteriez-vous sur ce que vient de dire Jean-Luc Dupont sur le rôle des collectivités dans cette

décentralisation énergétique ?

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Claude Bassin-Carlier, directeur général délégué de l’ARENE Ile-de-France :

Du point de vue du terrain, nous sommes exactement dans la situation décrite par Jean-Luc Dupont. Les

faits sont là, les collectivités locales se sont saisi des questions d’énergie. Hier, j’ai eu la chance de

participer au colloque « Plans énergie climat territoriaux » qui était organisé par l’Ademe à Nantes. Nous

étions 450 collectivités rassemblées, non pas pour savoir s’il fallait faire quelque chose, mais comment

on allait le faire et quelles étaient les meilleures solutions. Je veux dire par là qu’il y a, outre les aspects

techniques que vous avez évoqués, une évolution de la culture des collectivités locales en matière

d’énergie, mais aussi une évolution de la demande et du niveau d’exigence qui est en train de se faire,

même s’il n’est pas encore également réparti partout. Maintenant il y a des interlocuteurs qui savent

comment faire.

Je représente ici l’ARENE d’Ile-de-France mais je représente aussi, de fait, le réseau des agences

régionales de l’énergie. Vous avez fait référence à la décentralisation et à l’histoire récente qui nous

concerne. Ces agences ont été créées au moment où il semblait nécessaire aux régions de se

positionner par leur action mais aussi de se positionner dans leurs politiques, notamment leurs politiques

d’aide aux projets. Nous sommes là pour accompagner les collectivités locales dans leurs démarches.

Elles recherchent souvent des informations neutres. J’insiste un peu sur ce point parce qu’elles sont très

régulièrement sollicitées commercialement et qu’elles peuvent souhaiter à un moment donné prendre le

temps de demander un avis extérieur.

Béatrice Mathieu :

Vous avez un rôle de conseil.

Claude Bassin-Carlier :

Non. Je réagis abruptement car il n’est pas question pour nous de prendre la place des bureaux d’études

et du secteur privé. Nous participons à des études de pré-faisabilité qui permettent à un moment donné

à une collectivité de prendre une bonne décision. Je précise le terme « accompagnement » parce que

dans les démarches d’Agenda 21 1 qui peuvent comporter un pan énergie, notre travail consiste en

quelque sorte à être garants de la méthode et garants de la déontologie sur la manière de faire. C’est la

même chose sur les plans climat-énergie territoriaux (PCET). En fonction de l’actualité sur les PCET,

nous allons proposer des formations comprenant des informations sur les smart grids, parce

qu’évidemment la question commence à se poser, même si nous ne sentons pas, nous, une demande

particulière de la part des collectivités sur cette question. La question des smart grids a été abordée par

1 L’Agenda 21 est un projet global et concret, dont l’objectif est de mettre en oeuvre progressivement et de manière pérenne le développement durable à l’échelle d’un territoire. Il se traduit par un programme d’actions visant à améliorer la qualité de vie des habitants, à économiser les ressources naturelles et à renforcer l’attractivité du territoire. Source : http://www.vie-publique.fr

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elles sous un angle technique, selon notre point de vue. Les questions des collectivités ont plutôt trait à

la production locale. Elles se demandent quel peut être le panachage du mix, comment faire de la

maîtrise de la demande d’énergie, comment réduire les consommations sur le territoire et des propriétés.

Leur demande est forte. Je ne voudrais pas qu’on oublie les agences locales de l’énergie qui font un

travail important auprès des citoyens et des collectivités. Ce travail de fourmi sur le terrain pour faire

évoluer cette culture dont je parlais précédemment permet probablement d’avoir maintenant une

approche plus réfléchie, plus objective, sur les questions d’énergie sur un territoire donné. Voilà en gros

ce que nous pouvons dire actuellement.

Les plans climat-énergie territoriaux

Source : Ademe

Les collectivités locales sont en première ligne dans la mise en œuvre des politiques publiques. La loi

Grenelle 2 leur a donné un rôle important dans la lutte contre le changement climatique et rendu obligatoire la

mise en place de Plans Climat-Energie Territoriaux (PCET).

Le PCET est un projet territorial de développement durable qui constitue un cadre d’engagement pour le

territoire au travers d’un plan d’actions structurant. Il s’intègre, sans superposition, dans le projet politique de

la collectivité et renforce les démarches déjà engagées (Agenda 21 ou Schéma régional du climat, de l’air et

de l’énergie (SRCAE) par exemple).

Le PCET vise deux objectifs :

– la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), c’est-à-dire limiter l’impact du territoire sur le

climat en réduisant les GES dans tous les domaines de l’économie et de la vie quotidienne dans la

perspective du facteur 4 (diviser par 4 les émissions d’ici 2050) ;

– l’adaptation réfléchie et planifiée au changement climatique, c’est-à-dire réduire la vulnérabilité du territoire

face aux impacts du changement climatique.

D’un point de vue opérationnel, les collectivités territoriales peuvent agir au travers de leurs compétences

directes (bâtiments, équipements publics, politique des déchets, transports collectifs, distribution d’eau et

d’énergie,…) et de leur responsabilité légale d’organisation et de planification (SCOT, PDU, PLU, …).

Les collectivités de plus de 50 000 habitants ont jusqu’au du 31 décembre 2012 pour réaliser leur PCET.

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Béatrice Mathieu :

Je voudrais vous relancer tous les deux très rapidement Jean-Luc Dupont et Claude Bassin-Carlier

avant de donner la parole à nos deux gestionnaires de réseaux. Comment la gouvernance au niveau

régional ou local peut-elle évoluer ? Et que demandez-vous ?

Jean-Luc Dupont :

Pour ce qui concerne les autorités organisatrices de la distribution, la demande a été clairement

formulée. Il s’agit de conserver évidemment une place forte par le biais des cahiers des charges de

concessions qui établissent les relations entre l’autorité organisatrice de la distribution et le gestionnaire

de réseau. Il s’agit aussi de développer les outils juridiques qui permettent aux collectivités d’avoir un

pouvoir de contrainte plus fort vis-à-vis d’un gestionnaire de réseau de distribution qui s’avèrerait

défaillant.

Le livre blanc de la FNCCR a essayé de potentialiser ces choses : il est important pour les collectivités

de disposer d’outils d’action et d’interaction directe sur le terrain, mais aussi, si jamais on doit en arriver

à ce point, d’outils juridiques qui permettent de pénaliser dans le cadre contractuel qui unit l’autorité

organisatrice de la distribution avec son gestionnaire de réseau et éventuellement de faire à charge s’il y

a un réel constat de défaillance.

Aujourd’hui on a des particularités et parfois, dans certains dossiers, des contraintes locales qui

aboutissent à des situations ubuesques, dans lesquelles, même si on a un cahier des charges

historique, on a des dysfonctionnements patents. Le rôle de l’autorité organisatrice de la distribution ici

est d’être le garant de la bonne mise en œuvre du service public local de la distribution et donc à ce titre

d’en avoir l’ensemble des moyens.

Claude Bassin-Carlier :

De notre côté, nous ne représentons pas, au sens fort du terme, les collectivités. C’est important. En

revanche nous animons et participons au réseau d’observation de l’énergie d’Ile-de-France et, à ce titre,

les syndicats d’énergie participent aux travaux. D’autre part, je vous évoquais le réseau national des

agences régionales. Ce réseau, le RARE, a signé un accord-cadre avec ERDF, fin 2011, et des

déclinaisons sont à l’étude dans Régions. Nous cherchons nous aussi des liens, des lieux d’échange,

apaisés parfois, pour travailler et orienter nos projets et notre action. Nous sommes dans l’ouverture.

Béatrice Mathieu :

Merci Laurence Hézard et Michèle Bellon d’être toutes les deux avec nous ce matin. Je vais tout de suite

donner la parole à Michèle Bellon. ERDF est le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité sur

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une grande partie du territoire. Vous avez promu un certain nombre d’expériences de smart grids avec

des collectivités locales. Pouvez-vous nous détailler ces expériences et nous dire comment vous

travaillez avec ces collectivités territoriales ? Que répondez-vous à Jean-Luc Dupont sur la question des

dysfonctionnements ?

Michèle Bellon, Présidente du directoire d’ERDF :

Je voudrais rappeler quelques éléments de contexte avant de rentrer dans ces questions très

spécifiques. Nous sommes gestionnaire de réseau sur 95 % du territoire. Nous avons été désignés

gestionnaire par la loi, ce qui a été confirmé par les dernières lois, y compris en 2004.

Le contexte actuel est extrêmement mouvant et a été considérablement modifié dans les quatre

dernières années par l’émergence massive des énergies renouvelables. Ces énergies renouvelables

sont en grande partie, au moins à 99 % pour le photovoltaïque et 95 % pour l’éolien, raccordées au

réseau de distribution. On compte 250 000 installations pour le photovoltaïque et nous continuons à

enregistrer des demandes de raccordement à un rythme tout à fait soutenu. Raccorder 250 000

installations de photovoltaïque qui s’installent de façon non planifiée, non organisée, a pu créer

effectivement des perturbations. On est aussi dans une période où on voit apparaitre le développement

de transport électrique, on a beaucoup parlé de mix énergétique de production.

Je suis tout à fait d’accord avec Jean-Luc Dupont pour dire qu’une installation de biomasse à Descartes,

que je connais bien par ailleurs, c’est une installation de production décentralisée qui a l’avantage d’être

localisée là où il y a de la consommation, et qui a l’autre avantage de produire de façon constante et

déterminée, décidée. C’est-à-dire qu’on la fait tourner quand on en a besoin. Si jamais il y avait des

excédents, on ne la ferait pas forcément tourner. Elle n’a pas ce côté intermittent que peuvent avoir les

énergies éolienne ou photovoltaïque pour lesquelles dans un cas il faut du vent, mais pas trop, et dans

l’autre cas il faut du soleil alors que malheureusement, il n’y a pas de soleil aux heures de pointe en

hiver.

Nous sommes donc confrontés à des préoccupations de sécurité et de tenue du réseau. Bien entendu,

nous sommes en contact avec un certain nombre d’élus, de tous niveaux. Ce sont les autorités

concédantes qui sont responsables des concessions et de la façon dont on travaille avec elles, mais

aussi les élus des grandes villes, les régions, les conseillers généraux, les agences régionales de

l’énergie.

Il y a beaucoup d’acteurs qui, sur le territoire, ont un rôle avec des compétences différentes et

complémentaires et avec lesquels il faut traiter. Par exemple, un projet de ligne à grande vitesse

concerne plusieurs communes, plusieurs collectivités locales voire plusieurs autorités concédantes qu’il

faut arriver à coordonner pour faire en sorte que la ligne à grande vitesse ait ses alimentations

électriques un peu partout. Même chose pour le Grand Paris. Ce projet traverse plusieurs collectivités

locales et plusieurs autorités concédantes. On est à un carrefour où les usages de l’électricité se

développent de plus en plus, la production décentralisée devient de plus en plus importante, la

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consommation décentralisée et, de façon atypique le véhicule électrique, est en train d’émerger. On

nous demande aujourd’hui de prévoir des bornes de charge dans certaines communes, parfois même

dans certains départements. Ce sont des décisions des collectivités territoriales. C’est à elles qu’il

appartient de définir l’aménagement du territoire et de prévoir comment ce territoire va se développer à

court, moyen et long terme. Nous sommes là pour travailler de la façon la plus intelligente et de la façon

consensuelle possible avec elles et à tous les niveaux.

Nous devons gérer un monde qui change beaucoup. Il y a 15 ans, on avait des problématiques

énergétiques qui étaient extrêmement centralisées. On avait de gros outils de production, des réseaux

qui étaient monodirectionnels et totalement prévisibles. Il suffisait de connaître la météo pour savoir

quelle serait la demande d’électricité du lendemain. Aujourd’hui, cela devient de plus en plus compliqué :

on a toujours les mêmes prévisions météo, mais ce qu’on connait mal, c’est quelle va être la production

du lendemain, en fonction du soleil, du vent et comment on va pouvoir assurer l’équilibre à tout moment

sur le réseau.

M. Dupont a dit, à juste titre, qu’il a beaucoup d’attentes envers le concessionnaire. C’est totalement

normal et légitime. Ses attentes sont notamment en matière de qualité. Nous travaillons de façon très

active pour améliorer la qualité du réseau. En 2005, nous étions à 1,5 milliard d’euros d’investissements

sur le réseau. Nous avons augmenté ces investissements en moyenne de 12 à 13 % par an pour

atteindre cette année 3 milliards d’euros. La qualité du réseau est une donnée fondamentale et il faut

qu’on l’améliore partout en réduisant les écarts entre zones urbaines et zones rurales, sans pour autant

négliger les zones urbaines où se trouvent aussi des réseaux vieillissants qu’il faut rénover. Il faut non

seulement anticiper l’architecture du réseau pour permettre le développement des énergies

renouvelables mais aussi la conduite du réseau. C’est avec plus d’automates, plus de logiciels de

gestion des réseaux, plus de fonctions avancées de conduite ou d’organes de télécommande à distance,

dans notre jargon, et demain plus de compteurs interactifs, que nous serons en capacité d’avoir une

valeur ajoutée plus importante au réseau mais surtout de garantir la sécurité d’alimentation sur le

territoire, notamment au niveau de la boucle locale.

Nous travaillons au quotidien avec toutes les collectivités locales, puisque les prérogatives et les

responsabilités ne sont pas les mêmes partout. Les autorités concédantes ont un rôle important sur

l’architecture et la gestion du réseau. Nous avons aussi à tenir compte de projets qui sont « supra-

collectivités ». Au niveau régional, on a parlé tout à l’heure de la nécessité d’avoir une meilleure

planification des schémas régionaux climat-air-énergie. Nous travaillons aussi aux schémas régionaux

de raccordement des énergies renouvelables.

Il y a beaucoup d’acteurs sur le territoire. Nous appelons de nos vœux l’existence de lieux de

concertation, apaisés, j’en suis tout à fait d’accord, avec l’ensemble des parties prenantes, car toutes

n’ont pas forcément les mêmes objectifs à court terme. Toutes ont cependant la volonté d’améliorer le

service aux consommateurs, aux usagers. Nous aussi. Ce que je souhaite, c’est qu’on travaille tous de

mieux en mieux ensemble.

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Béatrice Mathieu :

Merci Mme Bellon. Laurence Hézard, quel est le rôle de GrDF dans cette décentralisation ? Pourriez-

vous nous donner quelques exemples ?

Laurence Hézard, directeur général de GrDF :

Je voudrais mettre en avant le fait que la relation des collectivités locales avec l’énergie a été

profondément bouleversée avec l’ouverture du marché à la concurrence et la création de nouveaux

acteurs que sont les gestionnaires de réseaux. Il nous a fallu travailler à renouer la confiance dans un

univers qui est devenu très compliqué. Beaucoup d’élus nous le disent : « Avant, c’était simple ».

Aujourd’hui, on a un nombre d’acteurs extrêmement nombreux. Ça ne facilite pas notre façon de

travailler avec vous.

Le deuxième point à souligner et qui a été un peu une déception est qu’au moment où nous préparions,

dans les années 2000, l’ouverture du marché, nous pensions tous que la concurrence favoriserait des

prix de l’énergie à la baisse. Or, à l’évidence, on le sait bien aujourd’hui, l’énergie sera durablement rare

et chère.

Nous avons donc face à nous cet enjeu, dans cette transformation que nous avons menée, de retisser

une relation de confiance avec les territoires, avec les collectivités locales et les autorités concédantes.

GrDF, c’est 200 000 km de réseau. Nous sommes présents dans 9 500 communes. Mais le gaz n’est

pas une énergie obligatoire. C’est un choix, un choix fait par les collectivités locales qui veulent avoir le

gaz naturel dans leurs villes. Nous avons donc, dès l’ouverture du marché, travaillé à la clarification de

nos rôles et responsabilités respectifs. Nous avons revu notre engagement à travers notre contrat de

concession pour qu’il ne porte que sur le réseau de façon à avoir clairement défini ce rôle neutre et non

discriminant dans notre relation avec les autorités concédantes et les collectivités locales. C’est ainsi que

nous avons poursuivi notre travail avec les 6 500 correspondants, qui sont soit des syndicats, soit des

communes.

Nous avons une relation de proximité extrêmement forte au quotidien et nous constatons une vraie

montée en puissance de nos interlocuteurs locaux sur le thème de l’énergie, que ce soit au niveau local

ou au niveau régional. En ce moment, nous sommes engagés sur des projets locaux, notamment par la

négociation d’avenants aux contrats de concession pour intégrer des sujets comme le biométhane par

exemple.

Il y a aussi des engagements au niveau d’une région. En Bretagne par exemple, nous sommes

partenaires, cela va vous faire sourire, du pacte électrique breton. RTE, l’Ademe et les élus de la région

ont considéré que là où le réseau de gaz naturel est présent sur le territoire, il apporte une aide pour

gérer les pointes d’électricité qui posent problème dans les périodes de forte consommation. Il y a donc

une vraie démarche responsable, de coopération entre les acteurs et de complémentarité entre les

énergies. Je pourrais citer d’autres projets qui sont en train d’émerger, comme en Alsace par exemple où

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nous allons travailler avec le Conseil régional et l’ADEME Alsace à la réalisation de références de

bâtiments performants basse consommation BBC en rénovation en utilisant des solutions ENR

(photovoltaïque, solaire thermique…). Cette démarche montre à l’évidence que les élus ont pris

conscience de la chance qu’ils avaient d’avoir différents outils industriels à leur disposition sur leurs

territoires dont ils sont propriétaires et que la transition énergétique, ça commençait chez eux par la

capacité à utiliser ces infrastructures existantes, de les marier avec des énergies renouvelables,

d’investir parfois sur des projets très ambitieux en matière de production de biométhane.

On compte aujourd’hui à peu près 370 projets de production du biométhane sur l’ensemble du territoire.

Tous n’aboutiront pas. Pour autant, on voit l’intérêt de ces démarches inspirées de l’économie circulaire

que M. Dupont décrivait tout à l’heure : comment, par exemple, à partir du tri d’ordures ménagères dans

une ville, on peut méthaniser ces ordures, qui peut être utilisé sous forme de carburant pour les

véhicules de la collectivité et/ou injecté dans le réseau de gaz naturel quand c’est possible. Il peut aussi

être valorisé pour produire de l’électricité localement.

Ces projets sont très intéressants. Ils soulèvent des questions de responsabilisation locale et de choix

engagés pour être contributifs à redéfinir des équilibres entre le choix du local et le choix du national.

Cette tendance locale va se marier avec des évolutions technologiques très fortes, à partir par exemple

des compteurs communicants, qui aboutiront, GrDF en est persuadé, à des interactions entre les

différents réseaux qui transportent les fluides dans les collectivités locales. Cette intelligence collective

permettra d’optimiser, de gérer une ressource rare et chère, en faisant en sorte que chacun y ait accès

dans la durée et au moindre coût.

Béatrice Mathieu :

Merci Mme Hézard. Dans ce premier tour de table, je vous entends tous parler de « relations apaisées »,

de la nécessité de trouver un « lieu de discussion ». Quel peut être ce lieu de discussion ? Pourquoi

parlez-vous de relations apaisées ? Jean-Luc Dupont, vous avez à côté de vous les deux gestionnaires

de réseaux, que leur demandez-vous aujourd’hui ?

Jean-Luc Dupont :

Pour en revenir à vos premiers questionnements, je crois que la volonté de relations apaisées est liée au

contexte très mouvant des dernières années. On a vécu plus de mouvements ces dix dernières dans le

monde de l’énergie que dans les 50 années précédentes. Ces mutations n’ont pas contribué à fluidifier

les rapports qu’on pouvait avoir avec les gestionnaires de réseaux. Il y a eu quelques points de

flottement, c’est naturel. La filialisation des deux grands groupes qu’étaient EDF et GDF avec ERDF et

GrDF ne peut se faire sans petits problèmes locaux, même avec la meilleure volonté de l’ensemble des

acteurs. Du coup, les relations historiques que pouvaient avoir les autorités organisatrices de la

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distribution avec ces deux partenaires forts s'en sont trouvées altérées. Je ne pense pas que ce soit

durable.

Il reste cependant des points durs. Les évolutions législatives et normatives avec, dans le cadre de la loi

NOME, la création de la conférence départementale annuelle sur les investissements et de la

conférence qualité, vont nous donner des lieux de mise en commun et d’échanges entre les autorités

organisatrices de la distribution, donc les collectivités, et les gestionnaires de réseaux, de façon à

pouvoir retrouver collectivement des modes de fonctionnement qui permettent aux usagers d’être servis

dans des conditions normales.

J’évoquais tout à l’heure les points de friction que l’on peut avoir. La façon de gérer la problématique des

coûts de l’énergie en est un. Ce n’est évidemment pas un sujet politiquement correct, mais c’est une

réalité quotidienne pour les élus locaux dont je fais partie, qui ont toujours la volonté de faire en sorte

que l’impact soit le plus faible possible à la fois sur les finances locales et sur les finances de nos

administrés. Au niveau des finances locales, c’est tout le travail qu’on peut mener sur les parcs

d’éclairage public dans les communes en partenariat avec l’Ademe pour faire en sorte qu’ils soient moins

énergivores et plus conformes aux exigences du 21e siècle. Je pense que les gestionnaires de réseaux

eux-mêmes ont une volonté d’aller dans ce sens. Cependant, au passage d’un système monopolistique

à des sociétés privées, il y a une nécessaire veille à avoir pour que, dans l’équilibrage et dans les

missions de service public qui sont dévolues aux gestionnaires de réseaux, il n’y ait pas une tendance à

occulter un certain nombre de points sur l’aspect patrimonial. C’est à ce niveau qu’il y a pu avoir des

difficultés. Mme Bellon évoquait tout à l’heure l’inflexion qu’ont connu les investissements sur les

réseaux. Je le souligne car c’est une réalité.

Béatrice Mathieu :

Sont-ils suffisants ?

Jean-Luc Dupont :

On a vécu une baisse entre 1990 et 2005, puisqu’on était quasiment à 3 milliards d’euros par an en 1990

pour descendre à pratiquement 1,5 milliard d’euros en 2005. Aujourd’hui, on est revenu à 3 milliards. On

est donc aujourd’hui au même niveau qu’en 1990.

Il faut ramener cela à son juste niveau. Il reste des efforts à faire mais je dois concéder que ce qui a été

fait relève d’un exercice très compliqué et très périlleux. Les investissements s’assoient sur le TURPE, le

tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité. On est donc toujours confrontés au difficile équilibre

entre une volonté de plus d’investissements et celle de minimiser l’impact sur le coût de l’énergie. Cela

relève de choix stratégiques de décider que ce qui doit être dévolu à l’investissement sur le réseau ne

doit pas l’être à d’autres actions.

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Depuis le retour à un niveau d’investissement plus acceptable, on a vu graduellement une amélioration

sensible de la qualité. L’année 2011 a retrouvé un seuil qui reste toutefois en deçà de ce qu’on avait en

2002. C’est le principe du supertanker : quand on barre à droite, ça tourne 10 km après. Lorsqu’on fait

moins d’investissements, la dégradation de la qualité n’est pas instantanée, mais elle est durable.

Ensuite, quand vous réinvestissez, le retour à la normale n’est pas aussi instantané qu’on le voudrait.

Aujourd’hui, les efforts croisés du gestionnaire de réseau sur les investissements et des autorités

organisatrices de la distribution avec les plans pluriannuels d’investissements qu’on est en train

d’élaborer avec les services d’ERDF pour essayer conjointement de résorber des points noirs sur le

réseau, devraient permettre sensiblement et localement d’améliorer les situations. Je ne veux pas faire

de triomphalisme. Ce retour est dans un niveau normal mais l’année 2011 qui est meilleure a aussi

connu des aléas climatiques moins importants que les années précédentes (tempêtes Klaus et Quinten

en 2009, Xynthia en 2010). C’est un travail de longue haleine.

Dernier point sur les relations entre collectivités locales et gestionnaires de réseaux : nous avons mené

un travail important avec GrDF sur un nouveau modèle de cahier des charges de concession. Je

remercie Mme Hézard de la collaboration efficace que nous avons pu avoir avec les services de GrDF

pour réfléchir à ce que seront demain les relations entre le gestionnaire de réseau et les autorités

organisatrices de la distribution dans une vision pérenne et stable dans l’avenir. Ces outils contractuels

tracent nos obligations et nos devoirs et doivent permettre à chacun de considérer qu’il a fait sa part du

chemin pour se retrouver au milieu du gué et faire en sorte qu’on soit satisfaits de nos relations. Ce qui a

pu tendre les relations avec ERDF, c’est que dans les années passées, il y a eu, d’un point de vue des

autorités organisatrices de la distribution, une remise en cause unilatérale de certains points du cahier

des charges de concession, ce qui a créé des tensions. J’appelle de mes vœux un apaisement de la

situation pour sortir par le haut de ses situations qui ne sont pas agréables à vivre humainement parlant,

de façon à ce que demain, ces relations avec les autorités organisatrices de la distribution et l’ensemble

des collectivités reprennent le chemin qu’il a historiquement suivi depuis la loi de nationalisation.

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Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE)

Source : CRE

Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) rémunère les gestionnaires de réseaux publics

pour compenser les charges qu’ils engagent pour l’exploitation, le développement et l’entretien des réseaux.

Le coût de l’utilisation du réseau est facturé au fournisseur par le gestionnaire de réseau auquel est raccordé

le consommateur. Ce coût figure sur la facture du consommateur, dont il représente environ 46 %. La CRE

élabore les tarifs d’accès aux réseaux avec le souci de donner aux gestionnaires de réseaux les moyens

d’accomplir au mieux leurs missions de service public et de s’assurer d’une maîtrise raisonnable des coûts

pour ne pas alourdir excessivement les charges pesant sur les consommateurs. La tarification de l’accès au

réseau répond à trois grands principes : la tarification « timbre-poste » (même tarif quelle que soit la distance

parcourue par l’énergie électrique), la péréquation tarifaire (tarifs identiques sur l’ensemble du territoire) et la

couverture des coûts engagés par les gestionnaires de réseaux. Les tarifs TURPE 3 sont entrés en vigueur le

1er août 2009 et sont prévus pour s’appliquer jusqu’en 2013.

Béatrice Mathieu :

Mme Bellon, le professeur Jean-Luc Dupont dirait « c’est bien mais peut mieux faire… ». Que lui

répondez-vous ?

Michèle Bellon :

Merci à M. Dupont pour ce qu’il a dit, parce qu’effectivement j’approuve les trois-quarts de son

intervention. J’approuve tout ce qu’il a dit. Sur la question de « décisions unilatérales », je pense qu’il y a

eu aussi des malentendus. Il y a eu des décisions liées à des modifications de certains de nos outils

d’exploitation. Il reste des choses à faire mais l’essentiel est de se parler, autour de la gestion

patrimoniale, autour de la façon de traiter les provisions, autour de la façon de traiter la cartographie ou

le plan de tension. Ce plan de tension est notre outil de pilotage qui nous permet d’intégrer les

productions décentralisées et de faire en sorte que, quand on a par exemple une production massive de

photovoltaïque un dimanche après-midi dans une région, on n’ait pas une surtension inacceptable pour

le réseau et faire en sorte que lorsqu’un orage survient une demi-heure plus tard on arrive à tenir la

tension du réseau qui aurait tendance à chuter. Nous avons modifié ce plan de tension pour des raisons

d’exploitation. Cela induit des conséquences sur des indicateurs statistiques de clients mal alimentés.

Tout cela a créé des malentendus. Il faut qu’on arrive à les surmonter et à progresser ensemble. Nous

avons beaucoup de sujets de discussion.

Jean-Luc Dupont vient de le dire, le monde de l’énergie a beaucoup changé, mais pas seulement le

monde de l’énergie. On est aujourd’hui beaucoup sollicités par les collectivités locales sur la question de

fibre optique, du haut-débit. Il faut arriver à mieux coordonner les travaux dans ce domaine. Tous les

Français aujourd’hui veulent avoir accès au haut-débit. Comment ERDF peut avoir des conventions de

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coopération avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, avec les grandes communes

pour faire en sorte que ça se développe ? Comme je le disais précédemment, certaines communes

veulent se doter de parcs de véhicules électriques, comment travailler sur l’implantation de prises de

charges lentes ou rapides ? Dans un contexte de crise économique et sociale qui se creuse, les élus

nous sollicitent beaucoup sur les questions de solidarité, de précarité. Nous avons signé un certain

nombre de conventions avec des élus pour essayer d’anticiper parce que les coupures d’électricité, c’est

nous qui les faisons. Sur demande des fournisseurs, certes, mais c’est nous qui faisons l’acte de

coupure. Nous nous sentons donc concernés par la question de la précarité, tout comme les élus. C’est

légitime. On a énormément de sujets à traiter ensemble.

J’ai entendu M. Bassin-Carlier dire qu’il n’y avait pas vraiment de demande de smart grids. Nous

travaillons quand même à l’heure actuelle sur 13 pilotes de smart grids qui ont été conçus et construits.

Ces projets sont menés en partenariat soit avec des villes soit avec des départements. On en a par

exemple un actuellement en Vendée, un autre à Lyon, Lyon Confluence. GreenLys est un projet qui

concerne à la fois Lyon et Grenoble. Il y a aussi NiceGrid, projet mené avec la ville de Nice. Venteea

dans l’Aube est un projet d’intégration des éoliennes de forte puissance dans un réseau rural très peu

consommateur. Tous ces projets de smart grids visent à mieux piloter le réseau et à accompagner les

clients dans leur demande de plus en plus forte d’une meilleure gestion de la consommation

énergétique, d’une plus grande sobriété énergétique, d’une meilleure connaissance de leurs

consommations et des modes d’action possibles. Ces pilotes de smart grids « amont » concernent des

interventions sur le pilotage et l’intégration d’éléments de perturbation du réseau si je puis dire, sans

sens critique, qu’il faut arriver à gérer de façon dynamique. Ils offrent aussi la possibilité d’apporter de

nouvelles solutions grâce aux fournisseurs d’électricité, aux équipementiers, à tous ceux qui sont prêts à

participer pour faire en sorte que les clients, les consommateurs, maîtrisent mieux leur consommation et

deviennent des consom’acteurs. Je crois vraiment que, sur toutes ces questions de société, nous avons

un rôle à jouer, collectivement.

Béatrice Mathieu :

Laurence Hézard, comment envisagez-vous la relation avec la collectivité ? Visiblement, vous avez

commencé à travailler sur ce sujet-là.

Laurence Hézard :

Ce colloque s’appelle « une régulation, des régulations ». Il est important de voir que nous sommes face

à de multiples systèmes de régulation. La régulation dans laquelle on vit aujourd’hui avec la Commission

de régulation de l’énergie est le fruit d’un nouveau dispositif qu’il a fallu travailler, pour la discussion des

tarifs à partir desquels nous facturons les fournisseurs de gaz qui utilisent le réseau que nous

exploitons, la mise en place de règles du jeu, de comptes à rendre sur notre transparence et sur la non-

discrimination.

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Nous avons une autre régulation, qui est celle exercée dans la relation contractuelle par les autorités

concédantes. Nous en avons davantage l’habitude, puisque cela fait maintenant des dizaines d’années

que nous sommes dans cette relation. Mais elle est de plus en plus exigeante, et à juste titre, sur notre

transparence, la qualité des prestations que nous faisons en tant qu’exploitant de réseau et en termes de

sécurité aussi.

Nous avons une troisième régulation qui a trait évidemment à la sécurité avec les autorités

administratives et politiques, au niveau local comme au niveau national.

Il y a aussi l’actionnaire évidemment qui incarne aussi une autre forme d’acteur fort avec lequel nous

avons relation.

Un grand nombre d’acteurs nous demandent des comptes et attendent de nous beaucoup de choses :

de l’implication, de la qualité, de la satisfaction, de la rapidité dans les services que nous faisons. Cela

ne va pas cesser d’augmenter. Je ne m’en plains pas, je dis que nous avons un métier passionnant et

multiple et qu’il nous faut être cohérents entre nos différentes approches, quelles que soient les attentes

qui peuvent être contradictoires parfois. Par exemple, entre des enjeux de sécurité avec des exigences

de règlementations extrêmement lourdes et des enjeux de performance qui pourraient paraître

contradictoires. Notre rôle de gestionnaire de réseau, au niveau local comme au niveau national,

consiste bien à réconcilier l’ensemble de ces enjeux pour faire en sorte de créer une dynamique qui soit

positive aussi bien dans les choix faits au niveau local que dans les arbitrages faits au niveau national.

Je pense que de nouveaux acteurs vont entrer en ligne de compte avec le développement de toutes les

solutions de mix énergétique. Et c’est normal. Mais je crois qu’on a vraiment quitté l’ère du noir ou blanc,

du zéro ou un.

Vous le savez, je suis une littéraire dans une boîte d’ingénieurs, qui a toujours travaillé avec des

ingénieurs. L’apport des mélanges de cultures permet d’apprendre à naviguer sur plusieurs échelles de

temps, entre plusieurs styles de régulation et à marier des enjeux européens à des enjeux locaux. C’est

notre quotidien, avec une forte accélération de la vitesse des échanges et de la circulation des

informations.

Béatrice Mathieu :

Olivier Béatrix, comment peut-on articuler une politique énergétique nationale avec une décentralisation

énergétique ? On voit apparaître la volonté d’autonomie des territoires. Comment cela peut-il

fonctionner ?

Olivier Béatrix :

Je n’ai malheureusement pas de réponse simple à cette question complexe. Je vais faire trois

remarques sur ce qui vient d’être dit. Je remarque d’abord que le dialogue entre les autorités

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concédantes et les concessionnaires n’a pas toujours été facilité par le droit et la législation elle-même, à

la décharge des uns et des autres. Je pense en particulier à la règlementation sur la maîtrise d’ouvrage

des travaux. C’est une législation complexe qui se décline localement avec des règles nationales.

Ensuite, s’agissant de la qualité du réseau, la Commission de régulation de l’énergie est tout à fait

impliquée sur ce sujet, sans pouvoir naturellement aller jusqu’à une expertise fine, territoire par territoire,

des investissements sur le réseau. Le régulateur n’a pas cette vocation-là. En revanche, il a vocation à

veiller à ce que des mécanismes tarifaires soient mis en place de façon efficace pour accompagner les

efforts d’investissement du gestionnaire de réseau. C’est je crois ce que le régulateur a fait ces dernières

années. Cela a permis tout simplement de renforcer un niveau d’investissements sur les réseaux de

distribution d’électricité. Enfin, comme l’ont souligné Michèle Bellon et Laurence Hézard, le régulateur

croit à la nécessité de mettre en place rapidement des moyens pour le consommateur de maîtriser sa

consommation, des moyens pour le gestionnaire de réseau de mieux piloter son réseau. Cela passe

évidemment par le déploiement des compteurs communicants pour lequel nous accompagnerons les

gestionnaires de réseaux.

Béatrice Mathieu :

Une question collective maintenant : pensez-vous qu’il y ait une limite à cette décentralisation

énergétique ? Quelle peut être cette limite ?

Claude Bassin-Carlier :

Le terme d’autarcie a été utilisé. C’est un beau projet mais il reste difficilement imaginable pour des

raisons de sécurité et de service. Les travaux qui ont pu être faits sont intéressants puisqu’ils

réfléchissent en termes de bilan carbone. On a là une limite évidente. Découle de ces réflexions la

question de politiques énergétiques différentes selon les régions, selon les conditions. Comment trouver

un équilibre avec l’échelon national ? On a des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à

effet de serre. Les engagements des régions ou des départements trouvent là un cadre général, pour

participer à hauteur de leurs moyens et de leur consommation, à ces objectifs. C’est probablement en

travaillant cette question que l’on arrivera à trouver le juste milieu.

Je reviens sur l’intérêt des plans climat-énergie territoriaux, qui est vraiment l’exercice obligé, toute

proportion gardée sachant que les sanctions n’existent pas, qui va faire réfléchir les responsables, les

acteurs de l’énergie mais aussi la population sur la place de l’énergie dans leurs conditions de vie. On

trouvera probablement là des règles qui vont, sans faire d’angélisme, apparaître de façon assez

évidente. Je reviens aussi sur la question de la demande de smartgrids de la part des collectivités. En

réalité, celles que nous rencontrons ont d’abord besoin d’un service. Dans leurs projets de requalification

d’une zone d’activité ou dans leur réflexion sur la mise en place de photovoltaïque sur les toits

d’entreprises ou encore sur la création d’un quartier durable, la liaison avec le développement d’un smart

grids n’est pas évidente et ne correspond pas à une demande systématique. La question reste

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aujourd’hui avant tout une question d’aménagement même si elle a bien évolué dans sa conception. A la

limite c’est un gage de confiance qu’on se trouve dans cette situation-là.

Jean-Luc Dupont :

Je reviens sur votre question sur la bonne taille, la bonne échelle de régulation.

Je pense qu’il y a eu d’énormes avancées de la part des collectivités depuis une bonne dizaine d’années

à ce sujet. Aujourd’hui il y a 56 départements en France où l’autorité organisatrice de la distribution

couvre complétement le département et une bonne trentaine d’autres où elle couvre presque tout le

département sauf une ou deux collectivités qui n’y sont pas. On est donc sur une taille d’échange quasi

départementale sur l’ensemble du territoire avec un maillage harmonieux et cohérent en termes de taille.

Le Pôle Energie Centre que je préside qui est une entente interdépartementale constituée en 2009,

fédère les six départements de la région Centre pour une réflexion et des travaux menés conjointement

sur un périmètre régional, donc supra-départemental, qui permet aussi pour nous élus locaux des visions

partagées avec des territoires qui nous entourent, qui n’ont pas forcément les mêmes particularités

locales. L’Eure-et-Loir a par exemple une production éolienne forte, ce qui n’est pas du tout le cas de

l’Indre-et-Loire. On a des diversités, des problématiques différentes à gérer qui nous permettent aussi de

pouvoir avancer.

Ce qui est important, c’est le poids de la régulation locale, par l’interlocuteur local. Le périmètre

départemental me semble être une taille correcte. Cela n’empêche pas de travailler à des échelons un

peu plus larges pour développer ne vision plus fine de l’environnement et du monde énergétique qui

nous entoure.

Béatrice Mathieu :

Mesdames, quelle est selon vous la limite à ce phénomène de décentralisation énergétique ?

Laurence Hézard :

Je serais mal placée pour fixer des limites car je tiens beaucoup à ce choix responsable au niveau local.

Mais je tiens aussi à rappeler la notion d’intérêt général qui me semble vraiment importante dans nos

sujets énergétiques.

Il faut arriver à travailler avec un cap clair pour tout le monde et des objectifs partagés, à définir la

position du curseur entre intérêt local et intérêt général. Je n’ai pas de réponse simple et évidente à cette

question. Nous avons besoin réellement d’avoir un cap qui soit clair, des objectifs de réduction de CO2,

de réduction de l’émission des particules, des objectifs en matière d’efficacité énergétique. Nous avons

aussi besoin de cohérence entre toutes les règlementations, les lois, les décisions, les décrets, la

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fiscalité pour créer les conditions de l’atteinte de ces objectifs. Je forme ce vœu que nous pouvons y

arriver. Je suis optimiste.

Béatrice Mathieu :

La notion d’intérêt général peut aussi aboutir à la question de la péréquation tarifaire ?

Laurence Hézard :

Tout à fait. C’est un des principes fondateurs de la distribution de l’électricité et du gaz en France. C’est

grâce à cette péréquation que des territoires peuvent avoir aujourd’hui accès au gaz naturel, ce qui ne

serait pas possible sans ce système de péréquation. C’est donc un sujet qu’il faut remettre sur la table

pour se le réapproprier, pour voir comment les conditions d’après-guerre dans lesquelles il a été défini,

ont évolué et comment il a encore toute sa force aujourd’hui dans l’organisation de l’énergie en France.

Michèle Bellon :

Pour moi la question ne se pose pas en termes de limites. On ne peut pas être binaires. La solution n’est

pas un système tout centralisé ou un système tout décentralisé. La problématique est tellement

complexe qu’elle a conduit le gouvernement à lancer un grand débat sur la décentralisation pour voir le

rôle des uns et des autres dans la décentralisation, mais aussi dans tous les domaines. Se posent des

questions autour du rôle des départements, des régions, des intercommunalités.

Notre table ronde s’intitule « Les villes au cœur de la décentralisation énergétique ». Actuellement, 75 %

de la population habite dans les villes. Ces habitants ont des problématiques différentes des ruraux. Les

problématiques sont complexes. Ce n’est pas à nous d’apporter des réponses à un sujet aussi vaste.

Nous avons à apporter notre contribution. Je crois fondamentalement qu’il faut trouver comment allier les

deux systèmes, avec une expertise nationale pour ce qui concerne les réseaux, la question de

décentralisation sur l’énergie ne se limitant pas aux réseaux. Mais, sur les réseaux, il me paraît important

de préserver une expertise nationale qui permette d’intervenir partout sur le territoire, notamment en cas

de crise, et de faire jouer la solidarité, qui permette d’assurer les missions de service public sur

l’ensemble du territoire, qui soit garante de la péréquation tarifaire grâce à laquelle on paye l’électricité

au même prix, à 2 km d’une centrale ou au fin fond du Cantal. C’est également la garantie d’avoir la

force de frappe en termes de compétences pour être force de proposition en matière d’innovations,

d’être capables de gérer les nouveaux outils et les nouveaux systèmes qui interviennent sur le réseau

avec la production décentralisée, les véhicules électriques, d’être des acteurs complets. Cette vision est

la garantie d’avoir un système national fort au service de l’ensemble des citoyens et une garantie

également de la cohérence des territoires.

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Il faut lier cette verticalité, si je peux dire, d’une expertise nationale avec un rôle accru des élus locaux,

qui me semble vraiment important de privilégier, dans les décisions prises, dans les choix faits. Les élus

locaux s’intéressent de plus en plus à ces problématiques, à juste titre. Les citoyens eux-mêmes

s’intéressent de plus en plus à l’énergie. L’énergie est devenue un bien fondamental et les usages de

l’énergie, surtout ceux de l’électricité, se sont largement développés. Dans ce contexte, il faut arriver à

trouver un système harmonieux entre d’une part un système national avec un tarif national, un régulateur

national, un Etat qui fixe les prix, et d’autre part des acteurs locaux qui veulent être parties prenantes, et

à juste titre, dans les décisions prises. On est au carrefour de ces débats. Nous n’avons pas à nous

substituer au grand débat qui est engagé dans ce domaine, mais nous souhaitons y contribuer et

apporter notre pierre à l’édifice.

Béatrice Mathieu :

Avant de passer la parole à la salle, peut-être un dernier mot de Jean-Luc Dupont sur la façon

d’envisager concrètement demain la relation entre les deux systèmes et sur ses limites ?

Jean-Luc Dupont :

Je souhaite rebondir sur ce qui vient d’être formulé. Je partage le sentiment de l’intérêt général qu’à

véhiculé Mme Hézard, sur la notion des coûts et comment ça doit s’équilibrer. Mme Bellon a aussi

rappelé des chiffres : 70 % de la population vit dans les villes. Les 30 autres pourcents ont aussi le droit

de vivre.

Moi qui suis un élu du monde rural, je veux ici rappeler un certain nombre de principes. Le calcul du B/I2

sur le développement des réseaux de gaz en milieu rural fait qu’aucune commune n’est desservie par le

gaz, sauf cas exceptionnel, par exemple si une grosse industrie locale génère une forte consommation.

Le rôle des autorités organisatrices de la distribution est justement de lancer des réseaux propres à de

petites collectivités, notamment rurales, pour permettre aussi à ses habitants d’avoir accès à un choix

énergétique. Dans le mix énergétique français actuel, c’est aussi notre rôle de porter cela, de lancer des

délégations de service public local, avec parfois d’autres partenaires. La vision de l’intérêt général est un

élément mais la vie des territoires est une autre composante qu’il ne faut pas occulter. C’est essentiel

dans la réflexion qu’on doit mener sur la manière de combiner les visions économiques qui grèvent

l’ensemble de nos décisions et la volonté de permettre aux territoires de vivre en bénéficiant d’un accès

normal à l’ensemble des services et notamment des services de l’énergie.

2 Le B/I Réseau est le critère économique fixé par la réglementation et utilisé par GrDF et les GRD pour évaluer la rentabilité de ses investissements de développement du réseau de distribution de gaz. Le calcul du B/I réseau permet d'évaluer le bénéfice (actualisé) par euro investi. Il consiste à calculer le bénéfice généré par un investissement et à le rapporter à cet investissement. Le seuil est actuellement fixé à 0 : concrètement la décision d'investissement nécessite que le B/I soit positif.

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Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup. La parole est à la salle. Nos cinq intervenants sont là pour répondre à vos questions.

Nicolas Garnier, AMORCE :

Je suis le délégué général d’AMORCE, l’association nationale des collectivités, des associations et des

entreprises pour la gestion des déchets, de l’énergie et des réseaux de chaleur. Nous représentons

aujourd’hui 500 collectivités, de communes de 150 habitants jusqu’à des régions de très grande taille, en

passant par des agglomérations et des départements.

Je dois vous dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à vous écouter, et en particulier M. Béatrix. On voit là

une sorte de début de transition énergétique quand on voit un grand acteur comme la Commission de

régulation de l’énergie parler des politiques énergétiques territoriales. Je ne suis pas sûr que vos

prédécesseurs en parlaient autant que vous en tout cas.

Le mot transition est à la mode. Il signifie « aller d’un point A à un point B ». On est au milieu ou on

essaye en tout cas d’être au milieu. Les collectivités locales peuvent faire beaucoup mais elles

pourraient faire beaucoup plus. Pour moi, la notion de limite tient davantage à cette limite-là, liée à ce

qu’elles peuvent actuellement faire ou non. C’est cela qui est en jeu dans le débat sur la transition

énergétique. En matière de consommation, c’est d’abord le besoin qui compte, les collectivités font

énormément de choses. Mais on voit là les limites du système car, comme vous le savez, en termes

d’accès aux habitants, il nous manque aujourd’hui des ambassadeurs de la maîtrise de l’énergie. Nous

avons des Espaces Info Energie, nous avons le Conseil en Energie Partagé (CEP). Mais nous n’avons

pas encore l’outil qui permet d’aller frapper aux portes pour expliquer aux gens leur changement de

consommation. Le logement, nous sommes tous d’accord aujourd’hui, est probablement l’une des

priorités de la transition énergétique. Nous n’avons pas réussi la rénovation du logement. Nous avons

plutôt bien réussi le changement de la loi sur le logement neuf. Nous pensons que les collectivités

locales pourraient jouer un rôle majeur dans la rénovation. A ce sujet, le fonds de rénovation, le guichet

unique dont tout le monde parle depuis la conférence, pourrait de notre point de vue plutôt se situer à

l’échelle locale qu’à l’échelle nationale, avec des acteurs comme les collectivités, les syndicats, les

régions ou les départements qui jouent un rôle majeur.

Du point de vue de la production, là encore, on peut voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide.

Les collectivités locales font beaucoup. Il y a aussi des syndicats d’énergie qui produisent de l’énergie.

Mais on sent bien, à chaque fois qu’on les écoute, qu’ils fonctionnent dans une sorte de contournement

de la loi ou en tout cas en essayant de trouver des solutions plus ou moins aisées pour produire de

l’énergie. La production de notre point de vue doit aujourd’hui être érigée en service public local.

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Les Espaces Info-Energie

Source : http://www.infoenergie.org

Initiés par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (Ademe) en 2001, pour sensibiliser et

informer le grand public gratuitement et de manière objective sur l'efficacité énergétique et les énergies

renouvelables, les Espaces Info-Energie sont co-financés par les collectivités territoriales, notamment les

conseils régionaux. Leur action est confortée par les engagements pris dans le cadre du Grenelle

Environnement et contribue à atteindre les objectifs français en matière de réduction des émissions de gaz à

effet de serre.

La mission première des conseillers des Espaces Info-Energie est de proposer aux particuliers conseils et

solutions concrètes pour mieux maîtriser leurs consommations d'énergie (chauffage, isolation, éclairage) et

recourir davantage aux énergies renouvelables (solaire, géothermie, biomasse). En réalisant notamment des

évaluations simplifiées de la consommation énergétique dans l'habitat, en fonction de différents critères (bâti,

équipements électriques et thermiques), les conseillers aident au passage à l'acte. Enfin, ils relayent sur le

terrain et auprès des collectivités partenaires les campagnes d'information initiées par l’Ademe et le Ministère

du Développement durable au niveau national.

Le réseau compte 250 Espaces Info-Energie animées par près de 500 conseillers répartis sur tout le territoire

français.

Je vais maintenant peut-être en surprendre certains dans la salle qui auraient suivi l’actualité des trois

derniers jours. Vous savez qu’AMORCE est passionnée par le sujet des énergies renouvelables et les

pousse. Or il y a cinq jours nous avons découvert qu’on voulait faire disparaître les ZDE dans le monde

éolien. Qu’on se rassure, AMORCE n’est pas devenue anti-éolien. Mais qu’on préfère, certes alléger les

questions juridiques, mais aussi si possible contourner les collectivités territoriales qui seraient

défavorables à des parcs éoliens montre bien que, même dans le monde des énergies nouvelles, il reste

des choses très ancrées : les collectivités, c’est intéressant mais là où elles risquent de poser problème,

il vaut mieux faire sans elles. Je n’ai pas l’habitude de lancer des piques aux énergies renouvelables,

mais cet exemple montre bien que la transition culturelle n’est pas accomplie. En termes de production,

c’est bien un service public local des énergies décentralisées qu’il faut créer de notre point de vue.

En termes de distribution, deuxième petite pique. Vous savez qu’il n’y a pas que du gaz et de l’électricité

dans ce pays ? Il y a aussi un truc original qui s’appelle les réseaux de chaleur. Il y en a 750 aujourd’hui

en France qui alimentent près de 10 % de la population. Ils sont souvent oubliés dans ces débats

énergétiques, alors que ce sont des dispositifs qui distribuent de l’énergie, et qui, même s’ils utilisent

encore beaucoup de fioul et de gaz, utilisent généralement des énergies de plus en plus renouvelables.

Ces réseaux ne demandent qu’à se développer.

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Notre rêve est de mettre autour de la table les trois réseaux. Nous voudrions que l’autorité concédante

au niveau du syndicat, de l’agglomération ou de la commune, puisse demander à ERDF, GrDF et

l’opérateur de réseau de chaleur de se réunir pour décider ensemble sur la manière de développer les

réseaux de manière harmonieuse, efficace et en lien avec les objectifs sociaux, économiques et

environnementaux. Il manque véritablement des capacités de jouer ce rôle. Sur la question spécifique du

gaz et de l’électricité, nous sommes de tout cœur avec nos amis de la FNCCR sur la nécessité d’avoir

des marges de négociation bien plus importantes. Bien sûr, nous avons conscience du fait que nous

jouons un jeu compliqué. On souhaite la péréquation, on souhaite la solidarité territoriale.

Personnellement, je préfère la notion de solidarité territoriale à celle de péréquation nationale. Je trouve

qu’on confond un peu les deux débats. Qu’il y ait une solidarité territoriale entre monde urbain et monde

rural, c’est incontestable et incontesté par les collectivités locales, que les choses soient bien claires.

Mais on peut imaginer autre chose qu’une péréquation nationale, c’est là qu’on aura la créativité

nécessaire dans le débat qui s’annonce. Il existe de nombreux moyens d’envisager une solidarité sans

péréquation nationale. Celle-ci sous sa forme actuelle, on en a bien conscience, limite un peu nos

actions en matière de maîtrise de l’énergie. Je prends un exemple très classique. Dans les DOM-TOM,

on sait que l’énergie est très chère. Et pourtant, on n’arrive pas à faire de la maîtrise de la demande de

l’énergie. C’est assez logique, ils payent leur énergie au même prix que les autres. Ça ne veut pas dire

qu’il faut faire payer trois fois plus cher l’électricité de La Réunion. Mais il y a des dispositifs à inventer

pour que la maîtrise de la demande de l’énergie passe avant la consommation, et encore davantage

dans ces territoires-là.

Dernier élément important, c’est la planification. Il existe trois niveaux de planification à l’heure actuelle.

Le plan local d’urbanisme (PLU) permet d’introduire des critères d’efficacité énergétique. C’est encore

assez peu utilisé. Les deux plus connus sont les plans climat-énergie territoriaux (PCET) et les schémas

régionaux du climat de l'air et de l'énergie (SRCAE). Le débat de fond est celui de l’opposabilité. Nous

sommes de ceux qui portent les PCET. AMORCE a organisé hier un atelier sur leur financement. Mais

nous craignons que, dans cinq ans, les PCET se retrouvent dans une armoire, au 4e étage, et ne seront

pas appliqués, alors que la plupart sont excellents. Il faut probablement fixer un niveau de prescriptivité

de ces PCET. Ce doit être un niveau intelligent, ce ne sera pas un niveau hiérarchique. Il faut aussi un

mode de financement. Faire un PCET sans financement pour l’élaborer, ça ne sert à rien. Aujourd’hui, il

faut mettre en place de nouveaux systèmes de financement, une nouvelle fiscalité énergétique locale.

Elle pourrait passer par une contribution énergie climat locale, puisque vous savez que la contribution

énergie climat nationale est morte et que l’européenne n’est pas prête de voir le jour. Pour finir, la

transition énergétique sera soit un débat de technologies (nucléaire vs. éolien, gaz de schistes vs.

rénovation thermique). Ce débat aura probablement lieu, mais on connait déjà les arguments des uns et

des autres. Soit c’est un débat de gouvernance. La vraie question du débat sur la transition énergétique

est de savoir qui décide de l’énergie dans ce pays pour les 50 prochaines années.

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Le Conseil en énergie partagé (CEP)

Source : Ademe

Pour aider les collectivités à disposer d’une compétence locale « énergie » l’Ademe a élaboré et mis en place

le service « Conseil en énergie partagé ». Lors de la création d’un tel service l’Ademe apporte un appui

technique et un accompagnement financier au cours des trois premières années de fonctionnement.

Le CEP, service de proximité, s’adresse aux communes de moins de 10000 habitants (un conseiller peut

travailler sur un total de population d’environ 40 000 habitants) a pour objectif de :

• gérer l’énergie par un suivi des factures ;

• réduire la consommation à confort identique ;

• accompagner la commune dans ses projets de bâtiments pour optimiser les choix ;

• animer des actions de sensibilisation.

Béatrice Mathieu :

Qui veut rebondir sur ces sujets ?

Claude Bassin-Carlier :

J’ai moi-même dit tout à l’heure à propos des PCET qu’ils ne comportaient pas d’obligation, pas de

sanction en cas de non-respect des engagements. L’Etat n’envoie même pas une petite lettre de rappel.

Toutefois, je vois davantage le verre à moitié plein. Je vois qu’il y a des collectivités qui s’engagent dans

ces démarches, alors qu’elles n’y sont pas obligées. Je vois que les collectivités obligées en font un outil

d’acculturation et de développement. Il y a des réalisations, des changements de comportements, des

bouleversements dans la transversalité des collectivités qui découlent de ces démarches volontaires.

Jean-Luc Dupont :

Je souhaite revenir sur la question de l’opposabilité. Je crois qu’on a structurellement déjà enjambé un

certain nombre d’étapes. On parlait de la complexité de l’usage énergétique et de l’efficacité énergétique

des logements. Aujourd’hui on impose à quelqu’un qui dépose un permis de construire des contraintes

sur la couleur de ses volets parce qu’il est dans une zone ABF3 mais on ne lui impose rien lorsqu’il

change son chauffage : a-t-il le droit d’installer une pompe à chaleur ou ne vaudrait-il mieux pas qu’il 3 Zone « Architecte des bâtiments de France » qui s’étend dans un rayon de 500 mètres autour d'un monument ou site classé.

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utilise le réseau de gaz qui est présent. Pourtant, c’est dix fois plus ambitieux que la couleur des volets !

Je n’ai rien contre l’architecture. Mais en termes de coûts pour la nation, c’est différent. On a tous vécu,

ce n’est pas à Mme Bellon que je vais l’apprendre, le développement des pompes à chaleur il y a

10 ans. Dans un lotissement de 20 pavillons, il suffisait qu’un propriétaire change son chauffage pour

une pompe à chaleur et qu’il en parle avec ses voisins. L’année d’après, il y avait 5 pompes à chaleur, et

20 l’année suivante. On était alors obligés de mettre 500 000 euros pour renforcer la ligne desservant le

réseau. Alors que si on avait soumis la mise en œuvre de la pompe à chaleur à une autorisation

administrative, on aurait dit oui pour les 3 premières, les suivantes auraient été à charge et on aurait pu

informer les habitants sur la disponibilité du réseau de gaz.

Béatrice Mathieu :

Le coût n’est quand même pas le même pour les ménages.

Jean-Luc Dupont :

Il vaut mieux à un moment donné aider l’installation d’une chaudière gaz que payer avec de l’argent

public des réseaux qu’on devra entretenir à terme et qui coûtent fort cher. Il y a des choix stratégiques à

faire et on doit se poser ces questions. On ne peut pas demander indéfiniment à des réseaux d’énergie

de s’adapter à la demande, parfois irréfléchie, d’usagers. Si on dit à l’usager qu’il a le droit à toutes les

énergies, il va se diriger vers celle qui lui est la plus avantageuse. Mais il va critiquer ensuite la hausse

des coûts liée aux coûts de renforcement des réseaux. Il y a des étapes transitoires à envisager. Dans la

régulation locale, il y a des notions de bon sens qui seraient bonnes à rappeler.

Michèle Bellon :

Je suis tout à fait d’accord. Il y a énormément de décisions individuelles, qui finissent par avoir des

surcoûts socialisés. Quand on renforce le réseau, cela finit par augmenter le tarif que tout le monde

paye. Ces décisions peuvent être celles de particuliers, comme dans l’exemple de M. Dupont. Cela peut

aussi être un supermarché qui s’équipe par exemple de dix bornes de charge rapide de véhicules

électriques. Il faut arriver à trouver des solutions plus adéquates. L’individualisme c’est bien,

l’indépendance des choix aussi. Mais il y a des conséquences et il faut les mesurer.

Laurence Hézard :

Je ne peux qu’être d’accord avec ce qui vient d’être dit. Nous avons une pédagogie importante à faire

pour que chacun puisse comprendre que le choix qu’il fait doit être éclairé des différentes possibilités

offertes, de son impact sur les finances d’une collectivité, éventuellement sur les coûts industriels de

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renforcement de réseau qu’il induit. Ces notions n’avaient jusqu’alors pas de raison d’être appropriées

par le commun des mortels. On change de monde aujourd’hui. J’espère que ce débat sur la transition

énergétique permettra de sortir des approches dogmatiques que nous avions par le passé, qui étaient

nécessaires parce qu’on ne peut pas construire des infrastructures et des systèmes de production

d’électricité et de transport de gaz tels qu’ils sont aujourd’hui sans avoir une volonté industrielle

centralisée forte.

Le moment est venu de redonner la parole au local pour travailler sur toutes ces possibilités, qui peuvent

tout à fait se marier avec des solutions d’énergies renouvelables, de solaire, d’éolien, de biomasse, pour

faire des choix qui auront du sens dans la durée. C’est bien là l’objectif qu’on doit se fixer

collectivement : créer les conditions de choix qui n’obèrent pas le futur, qui soient pérennes en termes

d’efficacité énergétique, de respect de l’environnement, et qui laissent ouvertes des solutions qu’on

n’imagine pas encore. Vous disiez qu’on est à mi-route. Je crois qu’on est au début de la route, et le

chemin est long. On ne sait pas exactement quels seront les grands équilibres énergétiques pour les

générations futures. En tout cas, il nous appartient aujourd’hui, à partir de ce que nous savons et des

possibilités que nous offre la nature, de prendre cette route ensemble et avec confiance et

détermination.

Béatrice Mathieu :

Prenons une autre question dans la salle.

Olivier Schneid, la Gazette des communes :

Ma question s’adresse plus particulièrement à Olivier Béatrix, Claude Bassin-Carlier et Jean-Luc Dupont.

J’aimerais rebondir sur l’intervention de Nicolas Garnier. Il disait que la transition culturelle n’est pas

encore faite. Le thème de cette table ronde, c’est l’énergie en tant que question territoriale. Dans un pays

jacobin comme la France, où l’Etat décide sinon de tout, en tout cas de beaucoup de choses et où les

collectivités territoriales sont obligées de suivre, dans le domaine de l’énergie comme dans plein d’autres

domaines comme celui de l’éducation, on le voit actuellement, l’énergie n’est-elle pas vouée ou

condamnée à devenir marginalement une question territoriale ?

Olivier Béatrix :

Les questions sont de plus en plus faciles au fur et à mesure de la table ronde (rires). Sans me

substituer au législateur, aux autorités gouvernementales et au gouvernement, il y a quand même un

consensus autour de l’idée de l’intérêt général et d’une solidarité nationale. C’est pour cela que le

système de péréquation nationale, quoi qu’on en dise, a prouvé son efficacité depuis 1945. En revanche,

il est important de prendre en compte la dimension nouvelle qui est celle de la précarité énergétique. Elle

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nous appelle effectivement à regarder la péréquation nationale d’une façon différente en trouvant les

bons outils juridiques pour résoudre cette précarité. Mais il y a toujours une conciliation possible entre

l’intérêt général et la prise en compte des préoccupations sociales et territoriales.

Claude Bassin-Carlier :

Je répondrai avec un peu de sémantique et de symbolique. On parle de plus en plus d’énergie locale et

pas d’énergie décentralisée. Ça vaut ce que ça vaut, il n’empêche, il y a constamment des échanges sur

ces questions-là. Donc, d’un point de vue optimiste, c’est en cours.

Jean-Luc Dupont :

Je pense pour ma part qu’il n’y aurait rien de pire que de vouloir décliner une décision nationale à

l’ensemble des territoires sans tenir compte de leurs particularités et de leur histoire. Je crois que ce

serait la pire des décisions.

Béatrice Mathieu :

Une dernière question de la salle maintenant s’il vous plaît ?

Régis Meyer :

Bonjour, je suis consultant indépendant. Les débats ont montré l’importance de la coordination. Or il n’y

a pas de coordination sans échange d’information. Le développement des smart grids dans les villes et

les territoires a conduit à une avalanche de données. Donc la notion de gestion de données change. Ne

serait-il pas souhaitable, pour faciliter cette coordination, qu’un rôle nouveau soit donné aux opérateurs

de réseaux, le rôle de gestionnaires de données, neutres, pour l’ensemble des acteurs ?

Olivier Béatrix :

Je rappelle qu’il existe un cadre juridique légal et réglementaire qui s’applique au gestionnaire de réseau

pour l’utilisation des données de consommation des consommateurs. Moi je ne suis pas législateur, je ne

sais pas s’il faut aller plus loin. Je note simplement qu’à ce stade, il existe bien des outils juridiques qui

permettent de garantir la sécurité et la confidentialité des données. Je rappelle aussi que les

gestionnaires de réseaux sont même soumis à un cadre pénal en cas de divulgation d’information. On

peut imaginer d’autres dispositifs comme avoir un tiers neutre pour s’assurer qu’il y a bien la sécurité

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totale des échanges d’informations, mais aujourd’hui un cadre existe déjà. La question peut néanmoins

se poser.

Jean-Luc Dupont :

Le département que je représente, l’Indre-et-Loire, a mené une expérimentation Linky pour en préparer

le déploiement. Ce sujet fait l’objet de nombreuses réunions, notamment dans le cadre du comité

Besson sur la réflexion des services autour de Linky.

La question des nombreuses données qui en découlent, de leur utilisation et de leur transcription a été

longuement débattue avec un certain nombre d’acteurs, dont la Cnil. Il faisait partie des demandes fortes

des autorités organisatrices de la distribution mais aussi de l’Ademe et des associations de

consommateurs, qu’il y ait un large retour, le plus pédagogique possible, auprès des usagers

consom’acteurs, pour qu’ils puissent eux-mêmes influer sur leur façon de consommer l’énergie.

Je crois qu’aujourd’hui ce cadre est posé. Il reste cependant clairement des attentes sur la nature de

l’outil qui sera donné à l’usager pour pouvoir réellement potentialiser et utiliser ces informations. Cette

question est restée marginale dans le cadre de l’expérimentation mais c’est un vrai sujet puisqu’on sait

aujourd’hui que les pics de consommation peuvent trouver une partie de leur réponse, je dis bien une

partie, dans un pilotage au plus fin avec une action directe des usagers comme régulateurs de la

demande.

Michèle Bellon :

La gestion des données est une question majeure identifiée par le comité Besson. Nous devons

continuer à travailler, de façon collective, sur la capacité que nous aurions de donner accès aux

consommateurs à leurs données de consommation.

Le comité de suivi du déploiement de Linky ne s’est jamais réuni. Décidé le 28 septembre 2011, la

composition n’en a pas été définie, ce qui explique que l’on n’ait pas beaucoup avancé.

Je tiens à signaler qu’en attendant, nous avons lancé des expérimentations par exemple à Lyon où, sur

1 200 logements sociaux avec différents types de chauffage, collectif, individuel électrique et réseaux de

chaleur, nous donnons accès aux clients à leur données de consommations, soit directement par

Internet soit par le biais du gardien. Cette expérimentation est menée de manière très étroite avec

l’Office Public de l'Habitat de Lyon. Elle nous permet de voir quelles données les consommateurs

utilisent, quelles données sont nécessaires, comment on peut les accompagner. Une courbe de charge

par exemple n’étant par exemple pas très compréhensible pour le consommateur moyen, comment

essayer de rendre utilisables et compréhensibles les données ? Au-delà de l’information, il s’agit aussi

de savoir comment les accompagner dans l’action, c’est-à-dire la réduction de la consommation.

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Nous avons recommencé à travailler avec différentes parties prenantes sur ces données de

consommation, des associations de consommateurs, le médiateur national de l’énergie, l’Ademe et nous

allons continuer. Pour nous c’est un sujet qu’il faut faire avancer. Un très grand nombre de données sont

gérées par les gestionnaires de réseaux, pas seulement les données de consommation mais aussi les

données d’exploitation, les données techniques, les données patrimoniales.

Quand vous gérez 35 millions de clients, cela représente 35 millions de branchements et 35 millions de

consommateurs qui ne consomment pas tous de la même façon. Cela suppose des outils adaptés, des

moyens. Derrière cela, la question est de savoir ce qui est transmis, à qui et sous quelle forme. Les

autorités concédantes souhaitent avoir des données, les gestionnaires de logement sociaux également.

Les consommateurs sont naturellement propriétaires de leurs données. Il reste un travail pour affiner et

clarifier ce chantier.

Béatrice Mathieu.

Il est 10h40, notre première table ronde est terminée. Je vous remercie de votre présence parmi nous ce

matin et de la qualité de vos échanges.

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Table ronde n°2

Béatrice Mathieu :

Nous passons maintenant à la deuxième table ronde de cette matinée, consacrée à la régulation et aux

régulations : comment la régulation peut s’adapter et accompagner le phénomène de décentralisation

énergétique ? Pour parler de ce sujet très épineux, j’appelle nos cinq intervenants : Cécile George,

directrice de l’accès aux réseaux électriques de la CRE, Eymeric Lefort, directeur de la mission Energie

du Grand Lyon, Olivier Sala, directeur général de Gaz Electricité de Grenoble, Jacques Bucki, maire de

la ville de Lambesc et Andrew Burgess, le représentant du régulateur britannique de l’énergie, l’OFGEM,

qui sera notre point de vue étranger. Comme à la précédente table ronde, c’est à la CRE de lancer le

débat, et donc à Cécile George de nous donner le cadrage et les enjeux de la régulation.

Cécile George, directrice de l’accès aux réseaux électriques de la Commission de régulation de l’énergie :

J’ai le sentiment qu’on est à un moment charnière entre deux grands mouvements.

D’abord, un mouvement historique qui correspond à une période où les grands électriciens ont cherché à

étendre les systèmes électriques du local au régional, du régional au national – les grands barrages des

Alpes et du Massif central ont d’abord alimenté Paris, puis ils ont alimenté l’Europe, par-delà le mur de

Berlin, puis les grands réseaux électriques se sont développés tout autour de la Méditerranée. Les

Israéliens travaillent avec leurs voisins arabes. Ce mouvement d’extension progressif des réseaux

électriques, de grand transport notamment, a eu lieu pour des raisons évidentes d’amélioration de la

sûreté d’exploitation et d’amélioration de l’efficacité économique. Ce développement a été accompagné

en parallèle par une régulation. Aujourd’hui les régulateurs sont regroupés, ou plus exactement

coopèrent, au sein d’une agence européenne de coopération, l’ACER. La règlementation s’est

également adaptée : il y une réglementation européenne. A titre d’exemple, les régulateurs travaillent

cette semaine tout particulièrement sur le renforcement des règles de sûreté d’exploitation pour éviter ou

limiter les black-out.

Ensuite, en même temps qu’il y a ce mouvement d’expansion des territoires, on a un mouvement

extrêmement fort d’innovation locale, de prise et de reprise en main par les territoires de leur réalité

énergétique. Les territoires sont des endroits où l’innovation se crée : d’une part, ils se trouvent au plus

près des spécificités, des besoins et des envies des uns et des autres et, d’autre part, ils sont un bon lieu

de concertation. On est à une maille où la réalité du terrain parle. Certains disent parfois que c’est la

maille la plus adaptée ou la plus aisée au débat démocratique. Au point que, cela a été cité ce matin par

M. Bassin-Carlier, certains territoires s’imaginent ou se souhaitent en autarcie ou en autonomie. Pour

eux, les grands réseaux ne seraient plus là que pour le secours.

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Ces deux mouvements inverses créent parfois des incompréhensions. Je me souviens avoir participé au

débat public sur la construction d’une ligne de grand transport qu’il fallait renforcer entre Lille et Arras. Il

y avait d’un côté les habitants qui avaient apporté des photos de leur maison pour montrer qu’au-dessus

de chez eux des faisceaux de lignes électriques très haute tension passaient déjà en nombre

impressionnant. Et de l’autre, l’opérateur qui leur disait légitimement qu’« il est très important de

renforcer, c’est-à-dire de mettre un énième fil au-dessus de votre tête, car dans le grand nord de

l’Europe de grands parcs éoliens offshore vont se développer. » Le lien n’est donc pas tout à fait évident

entre ces problématiques mondiales – le réchauffement climatique, la réduction des émissions de CO2 –

et des problématiques très locales.

Cela m’amène à aborder la question évoquée par M. Nicolas Garnier de l’AMORCE. Est-ce que la

transition signifie aller d’un modèle à l’autre ? Je ne sais pas. Il faut probablement a minima assurer la

cohérence entre les deux, et si possible tirer le meilleur des deux : garder l’efficacité, la sûreté, la

solidarité, mais aussi ne pas se priver de l’innovation, de la facilité de concertation locale ou de la liberté

d’entreprendre, de créer et d’ajuster au mieux.

J’ai envie de poser deux questions aux participants à cette table ronde. Premièrement, pensez-vous qu’il

y ait besoin d’augmenter le dialogue, de le renforcer ? Et si oui, comment ? Faut-il échanger des idées ?

Faut-il coopérer plus pour définir des politiques énergétiques locales, nationales, européennes,

mondiales ? Ma deuxième question concerne la préparation de l’avenir, la phase post-expérimentation.

Je ne doute pas qu’une majeure partie de ces expérimentations prouveront leur efficacité, leur utilité

pour le citoyen ou le consommateur. Mais une fois les expérimentations menées à bien, qu’est-ce qu’on

fait ? On ne fait rien et on reste sur une idée de liberté d’entreprendre localement ? Parce que c’est vrai

que c’est pertinent de traiter le problème du photovoltaïque à Nice puisque c’est là qu’il y a du soleil en

France, et c’est vrai que c’est pertinent que le Pacte breton s’intéresse aux questions d’effacement de

consommation car la Bretagne est une péninsule électrique. Mais faut-il aller plus loin en dialoguant ? La

question est ouverte. Toutefois, faut-il se dire qu’on ne peut pas laisser certains territoires en déshérence

faute d’acteurs innovants sur ce territoire et de collectivités motivées ? Faut-il stimuler les innovations ?

Et qui doit s’en occuper ? A minima, par exemple, en échangeant les bonnes pratiques ? Ou bien, mais

peut-être est-ce aller trop loin, faut-il dans certains cas envisager des généralisations ?

Avant de commencer cette table ronde, je discutais avec quelqu’un de véhicules électriques. On prenait

l’exemple suivant. L’agglomération de Lyon a développé les Vélo’V. Ensuite, Paris a développé les

Vélib’. Cela ne pose pas de problème car en général on ne va pas de Paris à Lyon à vélo. Mais si l’on

conserve la même approche avec le véhicule électrique, cela peut être plus compliqué pour le Lyonnais

qui ira passer le week-end à Paris : en allant d’une ville à l’autre, on ne reconnaîtra pas les prises, on

sera perdu car dans un cas la recharge se fait par la collectivité et dans un autre par un opérateur privé,

on n’a pas les bonnes informations ni les mêmes cartes d’abonnement. Il y a donc des cas où les

généralisations de bonnes pratiques seraient peut-être souhaitables. Voici donc la place qu’on s’imagine

comme régulateur : peut-on, et si oui comment, faciliter les échanges et les développements de bonnes

pratiques, les stimuler, voire les généraliser ?

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Béatrice Mathieu :

Pour faire un trajet Paris-Lyon en voiture électrique, est-ce qu’il existe une batterie qui le permet ? (rires)

Merci Cécile George. Vous avez parlé d’expérimentations et justement un certain nombre

d’expérimentations locales nous seront présentées ce matin. Commençons avec Olivier Sala, directeur

général de Gaz Electricité de Grenoble, président du syndicat Entreprises locales d’électricité (ELE),

vice-président de L’Union Française de l’Electricité (UFE). Olivier Sala, vous avez un certain nombre de

projets en cours à Grenoble : GreenLys, SensCity, ÉcoCité, etc. Vous nous en détaillerez certains et

vous nous expliquerez comment vous travaillez aujourd’hui avec la collectivité.

Olivier Sala, directeur général de Gaz Electricité de Grenoble, Président du syndicat ELE :

Bonjour à tous. J’interviens en tant que dirigeant d’un énergéticien territorial, Gaz Electricité de Grenoble

et en tant que président d’un syndicat national d’entreprises locales de distribution, ELE.

Avant de rentrer dans des exemples concrets, je souhaiterais revenir aux facteurs qui expliquent cette

aspiration à une plus grande territorialisation de l’énergie. A cette question d’évolution de la régulation,

dont je ne suis pas expert, il y a deux natures de réponses à apporter : d’une part, une réponse politique,

au sens le plus noble du terme, et je ne suis pas légitime pour me positionner sur cette dimension-là, et

d’autre part une réponse de bon sens, d’expert du secteur. Soyons clairs : nous sommes face à des

enjeux énergétiques aujourd’hui que nous ne serons pas en mesure de surmonter sans davantage

territorialiser notre système énergétique. Ce n’est pas qu’une question d’envie.

Prenons le sujet de la montée en puissance des ENR. J’ai beaucoup apprécié tout à l’heure le clin d’œil

d’Olivier Béatrix sur le vent des Picards. Qu’est-ce qui permettra de faire décoller demain la production

décentralisée dans les territoires ? C’est l’accès à la ressource, c’est-à-dire la goutte d’eau, le souffle

d’air, le rayon de soleil. Ca prête à sourire mais quand on parle du gaz des Qataris, finalement tout le

monde prend ça tout à fait au sérieux. C’est bien une richesse du territoire. L’autre condition pour faire

décoller la production décentralisée, c’est l’acceptabilité sociétale, locale. Comme le disait

précédemment Mme George, le niveau de l’acceptabilité de l’imposition verticale est devenu quasi-nul.

Pour sortir de l’électricité de Flamanville, il y a 50 activistes derrière chaque pylône ! Aujourd’hui, en

France, c’est inimaginable et infaisable de mettre en œuvre sur les territoires, comme il y a 30, 40, 50

ans, des programmes pensés et déroulés nationalement. On ne résoudra pas cette question de la

montée en puissance des ENR si on n’a pas une approche davantage territorialisée. Cette remarque est

aussi valable pour l’impulsion à apporter sur l’efficacité énergétique. On sait tous aujourd’hui qu’on ne va

pas à un rythme compatible avec les ambitions que nous prétendons avoir. Or comment mieux identifier

les gisements et optimiser la réalisation des travaux, les sécuriser, si ce n’est en passant par le terrain ?

Autre point majeur, qui n’a pas été mentionné clairement : on est dans un secteur qui se trouve face à un

mur d’investissements. Quel que soit le sujet (la production, le transport, la distribution, l’efficacité

énergétique), on est face à des investissements colossaux. Parallèlement, le niveau de visibilité et de

clarté sur le contexte des investissements n’a jamais été aussi faible. L’ouverture à la concurrence a, de

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ce point de vue-là, plutôt réduit la visibilité. C’est assez naturel, c‘est l’effet du marché. Mais les

politiques publiques l’ont également réduite : la réglementation a une volatilité qui paraît au moins aussi

grande que celle du marché. La question qui se posera, sachant qu’on est devant un niveau

d’augmentation des prix qui n’est pas tenable sociétalement, est de savoir où mettre l’euro pour en faire

un investissement optimal ? Dans un compteur communicant, dans un cycle combiné, dans une aide au

développement des ENR, dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ? Est-on capable

de répondre intelligemment à cette question, de manière nationale et globale ? La réponse est non. Cela

dépendra du potentiel de la région, de l’évolution de la consommation, des risques sur le système, de sa

capacité d’interconnexion, etc. Cette question est majeure et doit être repensée au bien sûr au niveau

national mais avec une boucle de rétroaction (c’est une forme de collaboration, tel que le mentionnait

Cécile George) pour repenser local, reconsolider, voir ce que cela pose comme question au niveau

national et retourner dans une boucle locale, nationale et européenne de manière plus dynamique.

Une autre question majeure est la valeur de l’intégration le long de la chaine de valeur dès qu’on parle

de ville de demain. Dès qu’on parle de smart energy, la valeur est dans l’intégration sur la chaîne de

valeur de l’énergie et dans l’intégration de manière transverse avec les autres utilités. Je pourrais par

exemple vous parler du projet Eco-cité que nous conduisons à Grenoble. C’est un projet soutenu dans le

cadre des Investissements d'Avenir, tout comme 13 grandes agglomérations françaises ont imaginé des

villes de demain. Le cas de Grenoble est assez emblématique car il montre le rôle central moteur

intégrateur de la ville dans le projet et démontre que ce type de question ne peut être appréhendé que

de manière systémique : c’est la question de l’habitat, de la mobilité, et de comment on vit dans la ville.

La question énergétique est importante mais n’existe qu’en interconnexion avec toutes les autres

problématiques. GEG est directement impliqué dans toutes les dimensions énergétiques de l’écocité

grenobloise. Quand on réfléchit au « smart », on ne pense pas qu’à l’électricité, mais aussi au gaz

naturel, la chaleur, l’eau, l’éclairage public. Pourquoi ? Parce qu’il y a des investissements à produire, un

système à intégrer, une intelligence à consolider. ll faut que tout cela se consolide à la fin chez le

consommateur ou le citoyen, et pour la ville. Si chacun doit se poser la question du business model et

des modalités à atteindre pour y parvenir isolément, on n’y arrivera pas. C’est pour cela à mon avis,

qu’en France on a du mal à innover, car la structure française des acteurs contraint à penser les choses

de façon plus intégrée.

La question se pose aussi de savoir quels acteurs demain joueront un rôle avec une énergie plus

territorialisée. Je crois qu’il ne faut surtout pas rentrer dans une guerre de modèles. Les grands acteurs

nationaux actuels ont une valeur considérable pour le système, la qualité des échanges aujourd’hui le

prouve et ils auront toute leur place demain. La question complémentaire, et non en substitution, c’est

que sur le modèle des ELD tel qu’on les connait traditionnellement, il y a un point d’appui qui peut se

constituer en termes de transformation et d’innovation. Je pense qu’on va voir naitre beaucoup de

nouvelles ELD dans les mois et années qui viennent. Qu’est-ce qu’on appelle une ELD ? Si on considère

que c’est un animal à l’intersection de trois dimensions, l’énergie, le territoire et l’économie mixte ou

publique, je pense que l’on va en voir. C’est déjà le cas dans les régions (Rhône Alpes, Picardie, Ile-de-

France), il y a des initiatives de syndicats départementaux. Je pense que de nouveaux véhicules vont

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voir le jour car dès lors qu’un nouveau rôle est donné aux collectivités territoriales, il faudra des moyens,

des leviers ou des véhicules pour les mettre en œuvre.

Je pense que, de ce point de vue-là, l’économie mixte a de belles années devant elle. Parce que, loin

d’opposer le modèle de l’entreprise à celui du modèle privé, les collectivités auront besoin de l’expertise

des grands groupes et de leurs capacités de financement dans un contexte de financement des

collectivités qui est assez compliqué.

En guise de synthèse, je pense qu’il faut que la régulation permette l’innovation, l’initiative dans les

territoires. Il ne s’agit pas de la limiter. On sait qu’il n’y aura pas de modèle unique, monolithique. On

rentre finalement dans une logique d’innovation active. Il faut donc accepter de ne pas avoir pensé le

modèle avant de le mettre en œuvre, mais on va penser le modèle en parallèle de sa mise en œuvre et

de sa propre réinvention.

Les Investissements d’Avenir

Source : Ademe

Les Investissements d’avenir s’inscrivent dans la phase la plus proche du déploiement sur le marché des

activités de Recherche, Développement et Innovation de l’ADEME. Forte du succès du Fonds Démonstrateur

de Recherche et de son expérience éprouvée dans l’accompagnement de l’innovation, l’ADEME s’est vu

confier par l’Etat, la gestion des Investissements d’avenir relevant de ses champs de compétences, à savoir :

Démonstrateurs et plateformes technologiques en énergies renouvelables et décarbonées et chimie verte

1275 millions d'euros couvrant énergie solaire, énergie éolienne, énergie marine, géothermie, captage,

stockage et valorisation du CO2, chimie du végétal, biocarburants avancés, hydrogène et pile à combustible,

stockage de l’énergie, îlots et bâtiments à énergie positive, etc.

Réseaux électriques intelligents

215 millions d'euros pour promouvoir l'expérimentation et la recherche en faveur de l'intégration des énergies

renouvelables intermittentes (éolien, solaire, marine...) dans les réseaux électriques et du développement de

produits et services intelligents permettant la maîtrise des consommations d'électricité.

Économie circulaire

210 millions d'euros pour les solutions innovantes, les démonstrateurs et les filières d'excellence de

l'économie circulaire des déchets (de la pré-collecte jusqu'au recyclage ou la valorisation), la dépollution des

sols, des eaux souterraines et des sédiments et des applications d'éco-conception et d'écologie industrielle.

Véhicule du futur

950 millions d'euros pour promouvoir le développement de technologies et de solutions innovantes et durables

en matière de déplacements terrestres et maritimes :

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• pour les véhicules routiers faiblement émetteurs de CO2 et les solutions de mobilité décarbonée ;

• pour le ferroviaire ;

• pour le maritime et le fluvial.

13 EcoCités en projet sont actuellement soutenues par les Investissements d'Avenir (Dossier de presse du

Gouvernement : ) http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/DP_Ecocite.pdf

Béatrice Mathieu :

Une régulation en perpétuel mouvement, c’est-à-dire qu’on la fera comme on marche.

Olivier Sala :

Oui, on s’y fera, on sera moins français, mais on s’y fera.

Béatrice Mathieu :

Eymeric Lefort, vous être directeur de la mission Energie au Grand Lyon. Vous sembliez tout à fait

d’accord avec ce qui vient d’être dit.

Eymeric Lefort, directeur de la mission Energie au Grand Lyon :

En fait je ne vais pas avoir grand-chose à rajouter. On partage les mêmes préoccupations et questions.

Je remplace ce matin Mme Karine Dognin-Sauze, Vice-présidente en charge de l’innovation et des

smartgrids au Grand Lyon.

Je vais porter un discours qui ne peut pas être politique, je suis une personne de terrain, je fais de la

technique. Je vais poser des questions. Je vais vous parler de la ville demain au Grand Lyon, territoire

leader sur le nombre d’expérimentations smart grids, avec les réseaux électriques, les réseaux de

chaleur – nous relançons la concession de service public de notre réseau – l’intégration des ENR et de

la biomasse, le gaz.

Le début du propos était l’inscription du smartgrids dans des démarches plus larges. Ça fait longtemps

que les territoires réfléchissent à l’énergie. Au Grand Lyon, cela a commencé avec l’Agenda 21 et avec

ses différentes mises à jour depuis 2005. Le Grand Lyon a déjà voté son plan climat-énergie territorial en

2011 avec une approche assez particulière car elle dit que l’institution ne peut pas faire seule. Cette

approche implique directement tous ses partenaires. Il y en a 104 engagés dans ce PCET : Etat,

communes, chambres consulaires, différentes grandes entreprises, start-ups. Cela a abouti à 26 fiches-

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actions avec 54 partenaires, plan d’action signé en novembre l’année dernière. Parmi elles, il y a une

fiche smart grid qui caractérise le positionnement de Lyon.

Lyon est aussi un territoire d’expérimentation sur toutes les politiques publiques. Plus d’une trentaine

d’expérimentations dans le domaine de la ville intelligente couvrent trois thématiques, les services, la

mobilité de demain et la partie énergie smart grids, avec une coordination en mode transversal. La

question est la capacité de mise en place et d’animation de l’innovation sur le territoire.

Ces trois démarches sont regroupées dans une démarche du Grand LYON, « la ville intelligente et

durable », qui se met en place et dans laquelle on intègre toutes les questions énergétiques et de

transversalité des politiques publiques. La question qui se pose est celle de l’origine de l’attractivité

lyonnaise ? Pourquoi tant de projets smart grids ? C’est une conjonction de situations, de choix de

certains opérateurs. ERDF a par exemple choisi le Grand Lyon comme territoire d’expérimentation pour

Linky dans quatre arrondissements de la ville et onze communes du nord-est lyonnais. Il y a donc déjà

une des briques des smartgrids de demain qui est ce compteur communicant. La deuxième brique est,

comme le disait Olivier Sala, notre écoquartier Confluence. Cela commencé avec le programme

Concerto, c’est-à-dire une réflexion sur les bâtiments BBC, HQE, énergie passive. Ce quartier s’est

développé en accueillant l’Ademe japonaise, le NEDO 4 , un bras armé du ministère de l’industrie

japonaise, qui cherchait un lieu en France pour développer un grand projet. Dernier point expliquant son

attractivité, c’est l’écosystème d’innovation du Grand Lyon qui était déjà en place avec un certain nombre

de grands acteurs comme Schneider electric mais aussi des start-ups.

Cela se traduit par cinq expérimentations smart grids sur le Grand Lyon, dont trois majeures.

Béatrice Mathieu :

Pouvez-vous en détailler une ?

Eymeric Lefort :

Je pense que je pourrais détailler l’expérience du NEDO qui est la plus importante. Il y a aussi

Smartelectric Lyon qui est en train d’être lancé par EDF, et qui vise à devenir le premier démonstrateur

sur les smart grids aval et qui intègre les notions de réduction des consommations et d’effacement à une

échelle importante. Enfin GreenLys est le démonstrateur Smart Grid le plus intégré couvrant toute la

chaîne de valeur. Voilà les trois principales expérimentations. On peut aussi parler d’un projet très

intéressant, Transform qui est un projet planification urbaine du quartier de la Part-Dieu et de gestion des

politiques publiques.

4 NEDO : New Energy and Industrial Technology Development Organization

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Dans le projet du NEDO, on est en train de tester la première brique d’un micro-grid. On a un bâtiment

intelligent en train de se mettre en place sur Confluence dont la première brique va être posée, c’est la

première tâche. La deuxième tâche consiste à essayer de coordonner ENR et véhicule électrique : quels

sont leurs impacts sur réseau ? Comment vont-ils s’articuler ? Est-il possible d’assurer une partie de

mobilité durable seulement à partir d’énergie renouvable ? Comment vont se coordonner l’intermittence

des usages du véhicule électrique, de la charge, avec l’intermittence de la production ? La troisième

tâche est liée à l’information du consommateur. Quel est l’impact du retour vers le consommateur de

l’information sur ses consommations énergétiques sur ses usages et comment l’accompagner avec des

bons conseils ? Cela se met en place. La collectivité que nous sommes est vraiment intéressée par ça :

on considère que la sobriété dépend de changement individuel et collectif. Pour être sobre, il faut avoir

accès à l’information sur sa consommation, sans laquelle on n’a pas conscience de ce qu’on consomme.

On s’aperçoit là qu’il y a énormément de choses à mettre en place. Mme Bellon parlait du projet « Watt &

moi » sur le Grand Lyon. On est un peu dans la même logique, c’est un deuxième projet, avec autre

acteur, et avec une autre approche de l’accompagnement.

Béatrice Mathieu :

Il n’y a pas redondance ?

Eymeric Lefort :

Un petit peu. Mais c’est ça qui est intéressant. Il s’agit en expérimentant de voir quelles sont les voies qui

vont répondre aux enjeux de demain. Les 3x20 c’est demain. Augmenter la part des ENR de 20 %,

réduire la consommation de 20 %. On a un télescopage de toutes les échéances temporelles. On parle

de 2020. On parle de diviser par 4 en 2050 les émissions de CO2. Mais le temps de déploiement de la

ville, c’est 30 ans. Ce que vous faites maintenant sera donc en place en 2050. Si on le fait mal, on

n’atteindra pas ces objectifs.

Béatrice Mathieu :

D’où la nécessité de multiplier les expériences ?

Eymeric Lefort :

C’est un peu l’idée. Cela permet aussi de réinjecter les idées dans d’autres projets. Le projet Transform,

c’est un peu ça. Il va récupérer tout ce qui a été appris sur les différents projets smart grids. Je pourrais

continuer encore longtemps sur ces expérimentations.

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Une question fait écho au discours de Nicolas Garnier d’AMORCE et d’Olivier Sala : comment

coordonner les trois réseaux ? C’est une obligation. Par les politiques publiques, le Grand Lyon impacte

les choix et les appels qui seront faits sur les réseaux, à la fois les réseaux de chaleur, qui ont un appel

direct sur la biomasse et sur les énergies fatales, mais aussi les réseaux électriques, on parlait du

véhicule électrique mais il s’agit aussi de toutes les autres politiques qui seront mises en place pour

réduire les consommations. La collectivité, c’est le lien au citoyen. On parle des politiques d’urbanisme.

Quand on reconstruit une ville sur une ville, il faut optimiser les réseaux. A la Part-Dieu, on va

reconstruire un million de m2 de bureaux sur un quartier déjà existant. Si vous raisonnez avec les modes

de raisonnement actuels, cela signifie qu’il faut ajouter un poste source. Or on n’a pas forcément la

volonté de multiplier les investissements et il n’est pas simple d’ajouter un poste source dans un tissu

aussi dense que Lyon. Avec l’arrivée des smart grids qui aideront à optimiser l’utilisation des réseaux,

avec l’intégration des ENR directement dans la ville, avec du photovoltaïque ou de la cogénération, vous

pouvez vous demander comment faire cette transformation au moindre coût, pour le promoteur, pour le

gestionnaire de réseau et pour la collectivité qui paye une partie des coûts de renforcement.

Cela pose une question qui fait rebondir sur une deuxième : c’est celle du management des risques de

cette transformation dans un temps aussi court. Les expérimentations nous aident à doser ce

management des risques. Qui doit avoir la responsabilité de faire les choix en termes

d’approvisionnement du réseau et en termes d’articulation des réseaux. Pour l’instant la question ne se

pose pas. Elle ne s’est pas posée à un niveau local, encore moins à un niveau urbain. Un projet comme

Transform interroge ça.

Je reviens sur la notion d’autorité organisatrice locale d’énergie. On ne dit pas qu’on va donner les

solutions, ce n’est pas à nous de le faire car la technicité est au sein des grands groupes, des grands

opérateurs, ERDF, GrDF, Dalkia ou Cofely pour les réseaux de chaleur. Par contre nous souhaitons que

la collectivité puisse commencer à fixer des orientations pour atteindre ces objectifs, puisse commencer

à fixer la coordination entre les trois réseaux et à organiser son système pour répondre aux enjeux de

demain.

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup. On reviendra après dans le détail sur vos projets respectifs et votre façon de travailler

avec la ville de Grenoble et du Grand Lyon et sur le retour d’expérience que vous en faites.

Nous avons le plaisir d’avoir un représentant du régulateur anglais, Mr Burgess. Pouvez-vous nous

parler de l’expérience « Low Carbon London » ?

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Andrew Burgess, Associate Partner, Transmission & Distribution Policy, OFGEM :

Je fais partie du régulateur britannique, l’OFGEM (Office of the Gas and Electricity Markets ; ca.

Commission de régulation des marchés du gaz et de l’électricité). Nous supervisons les entreprises

régionales de réseau disposant d’un monopole en Grande-Bretagne. Il existe quatorze entreprises de

réseau de distribution d’électricité.

Nous utilisons un système de régulation des entreprises de réseau que nous appelons RIIO (Revenue =

Incentives + Innovation + Outputs ; ca. Recettes = incitations + innovation + résultats). L’idée consiste

non seulement à garantir que les entreprises de réseau soient efficaces dans leur utilisation de l’argent

des consommateurs mais aussi qu’elles deviennent de plus en plus innovantes. Nous mettons en place

un ensemble de mesures et les éléments clés de cet ensemble comprennent de meilleurs engagements

de la part de parties prenantes, de meilleurs engagements entre les gestionnaires de réseau de

distribution et leur clients, consommateurs, développeurs et, de plus en plus, ceux qui produisent leur

propre électricité. Il existe également un ensemble de mesures destinées à stimuler l’innovation par

lequel les gestionnaires de réseau sont encouragés à conclure des partenariats avec des organismes

tels que les autorités locales, agences régionales et universités afin de développer des projets qui

favorisent l’innovation. L’idée est que les entreprises développent des programmes à long terme

bénéficiant de cette innovation.

Nous avons mis en place un mécanisme incitatif doté d’une somme d’argent disponible pendant un

temps donné, à laquelle les entreprises de réseau peuvent prétendre en nous soumettant des offres.

Nous organisons en fait une concurrence afin que les entreprises de réseau soumettent différents projets

en partenariat avec d’autres gens. Nous avons un comité d’experts qui évalue ces projets et est en

mesure de décider à qui attribuer un financement. Une partie des fonds proviennent des entreprises de

réseau mais il s’agit d’un pot commun qui, en définitive, est alimenté par les consommateurs en vue de

financer des projets innovants. La caisse que nous gérons à l’heure actuelle s’appelle le « low carbon

network fund » (ca. fonds pour les réseaux à faibles émissions de carbone). Les financements réduisent

ainsi les émissions carbonées par le biais de projets innovants. Nous allons étendre cela aux projets

pour le gaz, aussi bien du côté de la distribution que du côté du transport, ainsi qu’aux projets relatifs au

transport d’électricité.

L’idée est de donner une impulsion initiale à l’innovation dans les entreprises de réseau et de les

stimuler afin qu’elles deviennent plus innovantes. Nous ne leur donnons pas un surplus d’argent pour

qu’elles fassent ce qu’elles sont déjà censées faire mais nous leur versons de l’argent pour qu’elles

fassent plus qu’une simple activité routinière et tentent de changer leur comportement. Ainsi, nous avons

reçu onze offres de projet en 2010 et avons attribué un financement à quatre d’entre eux. Le montant

total des offres était de 150 millions de livres sterling et nous avons accordé 63,6 millions de GBP de

financements. En 2011, les six offres présentées ont été sélectionnées. En 2012, sept offres ont retenu

notre attention suite à un premier examen. Nous réfléchissons à présent au nombre d’entre elles que

nous allons financer mais nous n’assurerons probablement pas le financement de toutes.

Je pense que la chose importante à retenir dans tout cela est que même si nous encourageons les

entreprises à faire des choses qu’elles ne feraient pas spontanément et même si nous les encourageons

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à conclure des partenariats avec d’autres gens, il s’agit toujours d’innovation et, par conséquent, certains

des projets n’aboutiront pas. Nous acceptons le fait que certains des projets financés par les

consommateurs n’offriront pas les avantages escomptés, en premier lieu par les entreprises. Nous

pensons que la prise de risques et l’expérimentation prospective font partie intégrante du processus

d’innovation.

L’élément clé consiste en ce que les enseignements tirés des projets, réussis ou non, soient partagés

non seulement au sein de l’entreprise et avec les clients mais également avec toutes les entreprises de

distribution, voire plus largement encore. Un site Internet a été créé pour mettre ces informations à

disposition du plus grand nombre. De manière générale, nous pensons que les entreprises n’ont pas à

se réserver la propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de projets ayant reçu un tel financement [de la part

de l’OFGEM].

Voici quatre exemples de projets que nous avons financés :

• Low Carbon London (ca. Londres, ville économe en carbone) est un projet d’UK Power Networks

(UKPN), un réseau de distribution du sud-est de l’Angleterre qui a appartenu à EDF. Son partenaire

principal est EDF en tant que fournisseur d’énergie. Ce projet fait également appel à des experts de

l’Imperial College de Londres. L’idée centrale en est d’observer l’utilisation des véhicules électriques et

des pompes à chaleur pour voir ce que cela implique pour le développement des réseaux. Je vous

avoue que ce projet rencontre des difficultés latentes. Par exemple, le gestionnaire de réseau voulait

interroger les clients d’EDF au Royaume-Uni au sujet de l’utilisation de véhicules électriques et de

pompes à chaleur mais il n’a pas trouvé suffisamment de personnes à la fois clientes chez EDF et

possesseurs d’un véhicule électrique pour pouvoir réaliser une véritable étude. UKPN a donc décidé

d’élargir cette enquête aux clients d’autres fournisseurs d’énergie. Cela démontre que, même avec les

meilleures intentions du monde, on ne réussit pas toujours.

• Nous avons également le projet Customer-led Network Revolution (ca. La révolution des réseaux côté

client), qui consiste à mener des essais relatifs à l’interaction clients - compteurs intelligents, compteurs

intelligents dont l’apparition est attendue d’ici 2018 au Royaume-Uni.

• Il y a ensuite le projet Low carbon Hub (plate-forme à faibles émissions de carbone), qui est dirigé par

un gestionnaire de réseau différent et cherche à observer comment les technologies de réseau

augmentent la capacité de production, principalement comment les éoliennes peuvent être connectées

aux réseaux de distribution ruraux, et ce que cela implique en matière d’arrangements commerciaux. Je

pense que cela reflète le fait que les entreprises de réseau qui ont traditionnellement affaire à des

développeurs de nouveaux chantier de construction de logements ou d’usines, ou encore à des agences

régionales, ont désormais également affaire à des gens qui produisent leur propre électricité et qui ont

des besoins différents, mais aussi dont l’utilisation qu’ils font du système est moins prévisible.

• Finalement, nous avons le projet Low Voltage Network Templates for Low Carbon Future (ca. Modèles

de réseau basse tension pour un avenir économe en carbone), qui évalue l’impact des technologies

économes en carbone connectées aux réseaux à basse tension. Cela vise à aider les réseaux à planifier

efficacement leur travail.

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Pour conclure, je voudrais dire que ce que nous essayons de faire en Grande-Bretagne consiste à influer

sur le comportement des entreprises de réseau afin de les encourager à être plus innovatrices, à

prendre plus de risques et faire cela en partenariat avec des agences et administrations locales, des

villes et le monde universitaire. Ce qui est important, c’est de diffuser les enseignements que nous tirons

de ces projets afin que d’autres personnes puissent en bénéficier, et d’accepter que ces projets ne

soient pas tous des succès.

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup Andrew Burgess. Avant de donner la parole à M. Bucki, je voudrais la redonner à Cécile

George. Que vous inspire la présentation du projet Low Carbon London et que pourriez-vous prendre de

cette expérience-là, dont le but est d’encourager à l’innovation ?

Cécile George :

Je n’étais pas entrée dans mon propos liminaire sur ces sujets-là car je savais qu’Andrew Burgess allait

en parler. Bien entendu, la CRE a des missions symétriques à celles de l’OFGEM sur la tarification des

réseaux électriques. Les gens intéressés dans la salle savent donc déjà que la CRE est dans un

processus d’élaboration d’un nouveau tarif d’utilisation des réseaux publics (TURPE) tant en transport

qu’en distribution. L’une des thématiques abordées, une des thématiques phares, est la question de

l’innovation : comment stimuler la R&D ? Comment stimuler les expérimentations ? Les tarifs précédents

permettaient déjà de financer ces expérimentations, au moins pour la part portée par les gestionnaires

de réseaux. A très court terme nous voulons aller plus loin et début novembre nous publierons une

nouvelle consultation publique dont cet élément fera partie.

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup. Je donne la parole à Jacques Bucki, maire de la très jolie commune de Lambesc qui

depuis très longtemps travaille dans le secteur des ENR et qui a élaboré, vous allez le voir, un schéma

extrêmement complexe et novateur de gouvernance du système de l’électricité.

Jacques Bucki, maire de Lambesc :

Avant de débuter permettez-moi deux préalables. Si comme beaucoup de personnes passionnées par le

thème de l’énergie j’ai souvent « la tête dans les étoiles » et cherche toujours à innover, les exigences

de ma fonction d’élu font que j’ai toujours « les pieds dans la glaise » et ce sont avant tout les contraintes

du terrain qui guident mes réflexions. Par ailleurs, il y a ici beaucoup de personnes d’EDF, aussi

concernant mes relations avec la grande Maison, permettez-moi de citer Sacha Guitry qui à propos des

femmes aimait à dire qu’il était « contre, mais tout contre, tout contre ». C’est un peu mon ressenti quand

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j’évoque mes relations avec EDF et ERDF qui jouent le rôle majeur que nous leur reconnaissons tous,

mais dont je pense qu’elles pourraient faire plus et mieux aux côtés des collectivités.

Béatrice Mathieu :

Elles sont parties (en parlant de Mme Bellon et Mme Hézard).

Jacques Bucki :

Elles sont parties, mais je suis sûr que dans la salle il y a beaucoup de personnes qui écoutent…EDF,

ERDF ou GRDF ont des oreilles partout… (Rires).

Loin de moi l’idée de contester le rôle majeur que jouent ces grandes dames de l’énergie dans notre

pays, d’autant qu’il y a des évidences qui parlent… Qui, sans EDF, saurait traiter la pointe l’hiver en

PACA ou en Bretagne ? Qui, sans ERDF, traiterait le problème des réseaux déséquilibrés ou des

surtensions quand se multiplient les installations de production d’ENR ?

Mes divergences sont ailleurs et tiennent aux évolutions récentes du rôle, des missions et des

positionnements des opérateurs ou de leurs filiales par rapport aux collectivités. Je reviendrai sur ce

sujet majeur au cours de mon intervention.

Smart grids

Le premier sujet que je souhaite aborder concerne les smart grids puisque ma ville, Lambesc, fut en

2009, la première cité à en avoir équipé l’un de ses quartiers grâce à EDF et la Région PACA qui ont

investi près de 5 M€ pour expérimenter en vraie grandeur, tant sur le plan technique que sociologique.

Nous avons aujourd’hui trois années de recul et en avons tiré plusieurs leçons importantes, des leçons

qui vont au-delà des problèmes de production et de distribution.

La première leçon est qu’en amont de tout investissement il faut se poser une question, une question

déterminante qui conditionnera tout le projet : « au bénéfice de qui sera installé le smart grid ? ». S’il est

naturel pour le producteur et le distributeur de vouloir aplanir la courbe de production afin d’éviter le coût

des pointes et des dentelles que chacun connait, la communauté utilisatrice a comme premier objectif de

consommer moins.

Après expérience je dis donc oui au smart grid mais en inversant les objectifs prioritaires : d’abord

privilégier les économies au bénéfice de la communauté et ensuite traiter les attentes du producteur et

du distributeur.

Qu’il s’agisse de la taille, du prix ou de la conception, il est évident que le second smart grid, sera très

différent du premier.

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Se posent ensuite d’autres questions : « quelle intelligence ? Pour quoi faire ? De quelle taille et placée

où ? » Pour Lambesc, une ville de 10 000 habitants dont seulement un quartier a bénéficié des smart

grids, il a fallu un grand local, de gros ordinateurs et de multiples capteurs pour une très grande

intelligence dont le coût global fut donc de 5 M€. Je pense aujourd’hui que l’intelligence dont on a le plus

besoin doit être beaucoup plus petite, beaucoup moins chère et plus proche des citoyens. Elle devrait,

conformément à des règlements qui restent à écrire, être intégrée dans le tableau électrique des

maisons et permettre la commande à distance pour, par exemple, délester les systèmes de chauffage aux heures de pointe ou encore, permettre du stockage de chaud et de froid pendant les heures

creuses.

L’intelligence, ce n’est pas forcément de la puissance technologique onéreuse au service d’un opérateur

mais probablement des techniques simples et à bas prix au service des consommateurs.

Comme l’a dit Nicolas Garnier, l’intelligence doit aussi prendre en considération le mix énergétique. Il ne

faut plus penser une énergie contre une autre, mais toujours chercher à consommer moins et plus

propre, avec toutes celles qui sont à notre portée dont en premier lieu, celle du « consommer moins ».

Approche Environnementale de l’Urbanisme

Nos réflexions entre élus et administrés, à propos de l’énergie, nous ont fait prendre conscience que

l’énergie qui, hier encore n’était qu’un système de production et de consommation avec un outil

centralisé de production et des clients, est en train, très rapidement, de se transformer en un système de

collecte décentralisé où le citoyen devient acteur. L’énergie qui était un produit simple de consommation

devient un sujet complexe, tant sur le plan technique, juridique que financier. Ce qui n’était qu’une

politique en soit devient une politique transverse qui en impacte de nombreuses autres comme l’habitat,

le transport, le développement économique, l’urbanisme, la construction, l’éducation et la formation,

l’aménagement du territoire…bref, presque tous les domaines de la vie courante.

A propos de l’aménagement et après en avoir mesuré tous les avantages à Lambesc, je pense qu’il est

grand temps pour penser nos villes et pour établir nos PLU, POS ou SCOT de remplacer le travail sur

les plans cadastraux par une Approche Environnementale de l’Urbanisme (AEU).

Cet outil mis au point par l’ADEME est trop peu utilisé en France. L’analyse et le dessin du territoire au

travers de critères comme les trames vertes ou bleues, les distances ou le temps, le prix des carburants,

l’usage des modes doux et bien sûr l’énergie, définissent un tout autre espace que celui obtenu avec les

outils classiques, de plus cet espace ainsi défini devient difficilement contestable parce qu’il découle du

bon sens commun et de l’intérêt général.

Mieux encore, le résultat des études permet d’anticiper la ville et les territoires de demain, des territoires

qui seront confrontés aux grandes évolutions dont aujourd’hui nous avons plus ou moins conscience

(coût de l’énergie, réchauffement climatique…) mais des évolutions qui demain s’imposeront à nos

sociétés.

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Il nous faut d’urgence sortir de la prise de conscience et passer du concept à l’acte. Je n’ai pas ici le

temps de développer mais permettez-moi d’insister, l’Approche Environnementale de l’Urbanisme (AEU)

est un outil de gestion de l’énergie pour nos territoires dont on mesurera les impacts dans les décennies

futures. A titre d’exemple, c’est maintenant qu’il faut planter des arbres pour que dans 50 ans la

température des villes soit plus basse de 2 ou 3°C… dans 50 ans il sera trop tard. A ma connaissance il

n’y a pas d’autre outil semblable. On peut probablement l’améliorer mais celui-ci existe et il faudrait

l’imposer pour tous les schémas d’aménagement des villes et des territoires.

Comment s’élabore un budget local ?

Source : http://www.vie-publique.fr

Un budget est un document qui prévoit et autorise les recettes et les dépenses.

Au sens strict, il n’existe qu’un seul budget, mais il peut subir des modifications. En effet, le budget primitif est

tout d’abord voté et retrace aussi précisément que possible l’ensemble des recettes et des dépenses pour

l’année. Mais en cours d’année, des budgets supplémentaires ou rectificatifs sont nécessaires, afin d’ajuster

les dépenses et les recettes aux réalités de leur exécution. De plus, des budgets annexes retracent les

recettes et les dépenses de services particuliers.

La structure d’un budget comporte différentes parties : la section de fonctionnement et la section

d’investissement qui se composent, toutes deux, d’une colonne dépenses et d’une colonne recettes. À

l’intérieur de chaque colonne, il existe des chapitres, qui correspondent à chaque type de dépense ou de

recette, ces chapitres étant eux-mêmes divisés en articles.

La section de fonctionnement regroupe :

• toutes les dépenses nécessaires au fonctionnement de la collectivité (charges à caractère général, de

personnel, de gestion courante, intérêts de la dette, dotations aux amortissements, provisions) ;

• toutes les recettes que la collectivité peut percevoir des transferts de charges, de prestations de services,

des dotations de l’État, des impôts et taxes, et éventuellement, des reprises sur provisions et amortissement

que la collectivité a pu effectuer.

La section d’investissement comporte :

• en dépenses : le remboursement de la dette et les dépenses d’équipement de la collectivité (travaux en

cours, opérations pour le compte de tiers...) ;

• en recettes : les emprunts, les dotations et subventions de l’État.

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Devoir des élus

L’énergie, je la regarde aussi au travers des finances publiques et en particulier de la section de

fonctionnement – les élus savent ce que cela signifie. La dotation globale de fonctionnement5 (DGF)

baisse et va continuer à baisser, les dotations de solidarité des départements et des communautés,

baissent elles aussi. Nous devons donc absolument trouver des ressources nouvelles, d’autant que dans

le même temps, nos charges augmentent, l’énergie en particulier. Ces charges induites sont directes et

indirectes puisqu’aujourd’hui beaucoup d’administrés frappent à la porte du CCAS, ne pouvant plus

payer leurs factures d’énergie.

Notons à ce propos que les solutions aux problèmes de la précarité énergétique seraient beaucoup plus

efficaces traitées localement plutôt qu’en passant par l’Assemblée nationale et des mesures

compliquées venues d’en haut, qui toutes sont difficilement exploitables et ont déjà fait la preuve de leur

inefficacité.

Face aux évolutions de la situation financière de nos communes, nous élus avons donc trois

contraintes : trouver des ressources nouvelles, réduire les charges, et de plus en plus, aider nos

concitoyens à sortir de la précarité énergétique ou à l’éviter.

Confronté comme tous mes collègues à cette réalité et soucieux de trouver des solutions, plusieurs

chiffres ont retenu mon attention et m’ont fait rechercher des pistes de solutions :

1. 45 Md€, c’est selon l’AMF la somme que les collectivités françaises devront trouver pour

financer les travaux d’isolation thermique des bâtiments publics.

2. Quasi 0€, c’est le montant des ressources liées à l’énergie dont disposent les

communes pour répondre à cette obligation légale, avec en plus la nécessité de mettre

en place les solutions qu’imposent la transition énergétique (lutte contre la précarité en

particulier).

3. 3/1, c’est le rapport de prix constaté par une collectivité qui devait faire des travaux de

raccordement, entre le montant du devis de l’exploitant officiel et celui d’une entreprise

agrée… (Source FNCCL).

4. 1/2, c’est le rapport de prix constaté par une communauté de communes, à la revente

de ses certificats d’économie d’énergie (CEE), entre le prix proposé par un grand

opérateur et celui qu’elle a trouvé en consultant le marché des « obligés ».

5. 1/5, c’est le rapport entre les revenus générés par un projet de production d’ENR, selon

qu’il s’agisse du montant offert par des opérateurs utilisant le schéma 1 ou des revenus

5 La dotation globale de fonctionnement (DGF), instituée par la loi du 3 janvier 1979, est un prélèvement opéré sur le budget de l'État et distribué aux collectivités locales pour la première fois en 1979. Son montant est établi selon un mode de prélèvement et de répartition fixé chaque année par la loi de finances. Elle est versée aux régions depuis 2004. Cette dotation est constituée d'une dotation forfaitaire et d'une dotation de péréquation.

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obtenus par la collectivité utilisant le schéma 2 (pour les références aux schémas, cf.

infra).

Ce dernier ratio a fini par me convaincre qu’il fallait que les collectivités fassent évoluer leurs relations

avec leurs partenaires énergéticiens et que probablement la production d’ENR pouvait être une

ressource nouvelle pour nos finances communales. Mon expérience a fait le reste…

Concrètement, en 2009 nous avons donc décidé à Lambesc de lancer un projet d’ENR (15 MW

photovoltaïque). Nous avons consulté des opérateurs et obtenu plusieurs offres de location d’espace

(environ 180.000€/an pour un Bail Emphytéotique Administratif).

Ayant effectué toute ma carrière professionnelle dans le domaine de l’énergie et en particulier dans le

domaine des ENR avant ma retraite en 2004, j’ai repris mes modèles créés en 2001-2002 et réactualisé

les coûts et les équations financières. J’ai confronté mes résultats calculés sur la base de modèles

juridico-financier différents du BEA avec des offres établies par des experts de grandes entreprises et de

banques. J’ai d’abord eu la confirmation de mon pressentiment, à savoir qu’au lieu des 180.000 €/an la

commune pouvait espérer 1 500 000 euros/an ! Soit à l’époque un rapport de 1 à 8 (c’était avant le 3

décembre 2010 aujourd’hui les tarifs ayant changés le ratio est passé de 1 à 5) mais mieux encore,

qu’au terme du contrat, avec le schéma 1 des opérateurs la collectivité ne possédait plus rien, alors

qu’avec le schéma 2 elle devenait pleinement propriétaire et percevait des revenus encore plus

importants... !

Le moratoire du 3 décembre 2010 a tué dans l’œuf notre projet et toute l’économie qui aurait été

induite...

Pour comprendre ce qui a conduit à cette situation étonnante il faut d’abord savoir comment et pourquoi

tout le monde travaille aujourd’hui avec le schéma de base (BEA, schéma 1, cf. infra).

Jean-Marie Chevalier, professeur émérite à Paris Dauphine l’explique très bien : l’énergie est un monde

triplement complexe (techniquement, juridiquement et financièrement) et dans le contexte du monde

nouveau de l’énergie, méconnus des élus et des propriétaires, il a été très facile pour les opérateurs de

convaincre leurs clients potentiels avec un discours simpliste du genre, « vous n’aurez rien à faire, on

s’occupe de tout, des études à l’exploitation en passant par le financement et l’exécution. Là où vous

n’avez que des espaces fonciers qui ne vous rapportent rien nous allons créer un système de production

d’énergie renouvelable qui rapportera de l’argent à votre commune ».

Euréka ! Apparemment triple bonus pour les élus ! Non seulement ils dégagent des ressources nouvelles

pour les finances de leur commune mais en plus ils font « du développement durable » politiquement

correct et en prime ils peuvent même dans certains cas baisser les impôts !

Qui n’aurait pas accepté ? Je le comprends et ne fais bien sûr aucun reproche à postériori à mes

collègues qui ont fait confiance à des interlocuteurs qui se sont bien gardés de leur dire qu’il existait

d’autres solutions.

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En conclusion, que d’argent ainsi passé de la poche des citoyens qui paient la CSPE à celles des

actionnaires boursiers, alors que ces centaines de millions d’euros et probablement des milliards

auraient pu financer des politiques liées à la transition énergétique !

Avantage et inconvénients du schéma de base

Schéma 1 (complet)

Schéma 1.bis (simplifié)

1

Citoyens Consommateurs

PROPRIETAIRES

Péréquationsolidaire

DIVIDENDES

LOYER

Coût de l’investissement

Jacques BUCKI, Maire de Lambesc, Vice-président de la CPA [email protected] 09 53 86 36

Vision partielle du développement des ENR

Schéma actuel (BEA) simplifié

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Le schéma du BEA (schéma 1 et 1.bis) est effectivement très simple :

1. Le citoyen paie la CSPE à EDF qui a l’obligation de racheter les ENR à un prix et pour une durée

fixés par décret.

2. L’opérateur crée la société de production et la finance.

3. L’actionnaire perçoit les dividendes et la collectivité le loyer et quelques taxes.

En 2011 le système s’est compliqué par l’introduction du principe des appels d’offres que

personnellement je juge inapproprié au développement des énergies renouvelables et aux intérêts de la

France. A cela trois raisons :

1. L’appel d’offre est un frein pour les industriels eu égard au coût important des dossiers et du

faible taux de réussite.

2. La compétition sur les prix qui réduit les marges et l’incitation aux technologies nouvelles qui

augmente les risques, sont deux facteurs qui « refroidissent » les banquiers et compliquent donc

les financements.

3. Ces freins au développement des ENR contribuent à l’aggravation pour la France du déficit de

sa balance commerciale dans ce secteur (63 Md€ en 2011 quand par ailleurs c’est si difficile de

trouver 1 Md€ pour boucler le budget national...).

Le schéma actuel (schéma 1), mis en place au début des années 2000 pour développer les ENR en

France et vendu depuis par les opérateurs est non seulement devenu obsolète pour les collectivités mais

surtout inadapté aux exigences du temps économique dans lequel se trouve la France.

- Il privilégie les montages spéculatifs plutôt que d’être un moteur de l’économie locale et

nationale.

- Il favorise le monde des actionnaires boursiers plutôt que les collectivités locales qui

pourraient lutter efficacement contre la précarité énergétique et investir.

- Il utilise la capacité financière de la CSPE, sans discernement entre les projets d’intérêt

particulier et ceux d’intérêt général, qu’ils soient bons ou mauvais, ce qui est un gâchis

financier.

- Il exclut le citoyen plutôt que d’en faire un acteur intéressé, responsable et moteur.

- Il est si peu incitatif pour les citoyens et les communes que cela se traduit par des recours

nombreux.

En résumé, ce schéma n’a d’autre vertu que l’intérêt financier de quelques-uns mais passe outre tous les

avantages sociétaux possibles (économie, social, environnement, gouvernance…).

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Révolution culturelle et puissance des lobbies

Le schéma 1 perdure parce qu’il s’adosse à des arguties et des prétextes imposés par les lobbies qui

tous pourtant peuvent être contredis :

1. « Danger ! Le déficit de la CSPE coûte trop cher à EDF… »

Oui, mais :

a. Pourquoi ne pas augmenter la CSPE et en élargir l’assiette en l’appliquant à

d’autres énergies et d’autres opérateurs qu’EDF ? Cette mesure serait à la fois

une incitation vertueuse aux économies d’énergies, un moyen de rembourser

EDF et surtout l’opportunité de doper les ENR en France (la CSPE est

10,5 €/Mwh en France et de 35,4 € en Allemagne).

b. Pourquoi ne pas songer à en optimiser l’usage ?

i. En optimisant l’usage qui en est fait

ii. En ne l’utilisant que pour des projets d’intérêt général définis dans un

cadre politique régional.

iii. En diminuant le coût du financement des projets (voir les études de

Terra Nova du 18 novembre 2011).

2. « Cela nuirait aux entreprises qui font des ENR… »

Faux, au contraire, plus les collectivités et les administrés y trouveront leur intérêt, plus il y aura de

projets à construire, plus les entreprises auront d’activité…Seule la spéculation serait perdante.

3. « Les communes n’ont pas les moyens de financer… »

Oui, mais. C’est vrai, mais plusieurs banques proposent une ingénierie juridico-financière de haut

niveau, innovent et utilisent par exemple des produits comme le PPP pour accompagner les collectivités

qui n’ont pas la capacité d’investissement.

Il faudrait simplement sur le plan de la comptabilité publique reconsidérer le PPP et différencier dans le

traitement de la dette, celui qui comme dans les ENR génère des ressources de celui qui au contraire

pèse sur les finances communales.

4. « L’achat des panneaux photovoltaïque à l’étranger nuit à la balance commerciale et

donc à l’économie de la France… »

Oui, mais :

En première approche et avec le schéma 1 cette vision est juste, mais il existe aussi de vraies réponses

à cette question et d’autres questions à se poser :

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a. Il faudrait par exemple comparer l’économie du schéma 1 qui ne sert que les

intérêts privés de quelques-uns avec celle plus globale du schéma 2 qui permet

le développement d’une économie circulaire florissante de la commune à l’Etat

(création d’emplois locaux et augmentation des ressources sociales et fiscales

au bénéfice de l’économie nationale en particulier). Ce calcul a-t-il été fait ?

b. Pourquoi ne pas réserver l’obligation d’achat à certaines technologies plutôt

développer en France et en Europe (comme on le fait déjà en différenciant la

cogénération ou l’éolien…)?

5. « Techniquement le réseau RTE ne peut pas tout absorber… »

C’est une réalité mais n’est-il pas possible de faire des plans Régionaux pluriannuels de développement

des ENR qui tout à la fois tiendraient compte, des potentiels de réinjection, des besoins locaux d’énergie,

du schéma régional de développement des ENR, avec en prime, la possibilité de cibler les espaces

anthropisés pour préserver les terres agricoles ? D’une part, cela redonnerait des marges de manœuvre

pour le développement des ENR et d’autre part cela éviterait aux entreprises de souvent travailler en

pure perte sur des dossiers dont très peu aboutissent.

Et puis, le réseau n’est pas figé, l’avenir peut se penser et le réseau grandir…

Avantages et inconvénients du schéma alternatif, schéma 2

Schéma 2 (complet)

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Schéma 2.bis (simplifié)

22

Jacques BUCKI, Maire de Lambesc, Vice-président de la CPA [email protected] 09 53 86 36

Vision globale = Economie circulaire à vocation économique,

sociale et environnementale

SERVICE PUBLIC de la performance

énergétique de l’habitat

Citoyens Consommateurs

Collectivités et régionsSociété de production

Schéma alternatif – CSPE simplifié

Réglage CSPE

Réglage tarif d’obligation d’achat

C’est la comparaison avec ce qui se fait ailleurs en Europe et la conjugaison de mes expériences

professionnelles et d’élus qui m’ont conduit à la mise en œuvre du schéma alternatif (schéma 2), un

schéma qui présente plusieurs avantages :

- il offre une vision globale du développement des ENR et non partiel (comparez les schémas

1bis et 2bis) ;

- Il favorise une économie circulaire ;

- Il est vertueux à plusieurs titres (économique, social et environnemental).

Dans ce schéma 2, le citoyen paie toujours la CSPE et il y a toujours une société de production et donc

les entreprises privées qui construisent. La valeur ajoutée et les innovations sont dans la forme juridico-

financière et dans la finalité du montage. L’histoire et les évolutions économiques expliquent aussi le

passage à un schéma plus mature.

Autrefois les opérateurs devaient tout intégrer, des études aux financements en passant par l’exécution.

Aujourd’hui une grande partie de ces métiers est vulgarisée, les BE et les entreprises de réalisation sont

opérationnels en Région.

Autrefois les collectivités n’avaient pas conscience des potentialités de leur territoire. Aujourd’hui les

élus, qui maîtrisent le droit du sol, qui connaissent les contraintes et les opportunités de leur territoire, qui

ont le pouvoir de décision, qui ont pris conscience de l’intérêt des ENR, pourraient avec l’aide d’un

Etablissement Public Régional de l’Energie (E.P.R.E.) ou d’une Agence Locale de l’Energie (A.L.E.)

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lancer leurs propres appels d’offres et faire construire leurs sociétés de production en étant maître

d’ouvrage public.

C’est dans ces E.P.R.E. ou A.L.E. que nous devons créer que les collectivités trouveront « l’intelligence

technico-juridico-financière » qui est au fond la seule valeur ajoutée des opérateurs, une valeur ajoutée

qui leur a rapporté des centaines de M€.

N’est-ce pas très cher payé un outil que nous collectivités aurions pu mutualiser à l’échelle d’un territoire

pertinent ? Ne l’avons-nous pas fait pour les déchets qui coûtent ? Pourquoi ne le ferions-nous pas pour

des énergies nouvelles qui donneraient à nos communes des ressources financières nouvelles ?

Remarques et analyses :

Contrairement au schéma 1 dans lequel le citoyen n’est que payeur et subit les désagréments générés

par les opérations, dans le schéma 2 il devient, s’il le souhaite, responsable et acteur. La participation

citoyenne peut prendre plusieurs formes si les élus et les citoyens concernés le décident :

- participation directe ou indirecte (fond d’investissement régional, coopérative…) ;

- apport d’un terrain pour participation à une SEM ou une SA.

Grâce au schéma 2 il est possible de régler le conflit d’usage des terres agricoles en proposant aux

propriétaires fonciers de devenir actionnaires des sociétés locales de production. Les études réalisées à

ce jour en Régions le démontrent toutes, il y a suffisamment d’espaces anthropisés pour faire de l’éolien

ou du photovoltaïque, sans avoir à utiliser les terres agricoles.

Les paysans, avant de faire des ENR, ont surtout besoin eux aussi de trouver des ressources financières

nouvelles, c’est humain, je ne leur reproche pas. Je propose avec ce schéma 2, qu’ils gagnent plus

d’argent tout en conservant leurs terres pour un usage agricole.

En PACA par exemple, l’ADEME a identifié suffisamment de ces espaces pour construire 7000 MW de

champ photovoltaïques (il y en a 350 construits à ce jour) et 760 MW pour faire de l’éolien

(40 construits), ce qui laisse un potentiel de développement énorme et donc la possibilité de préserver

les espaces agricoles.

Economie circulaire, économie verte

Pour améliorer ce schéma 2 j’ai travaillé avec des experts d’AMORCE, d’Energy-cities et d’autres

experts que je remercie tous. C’est ainsi que fut mis au point ce concept « d’économie verte, circulaire à

vocation financière, sociale, économique et environnementale ».

Pour bien comprendre le fonctionnement de ce schéma 2 il faut considérer que le « moteur de cette

l’économie verte » est la société de projet et que l’énergie qui alimente ce moteur est la CSPE.

En l’occurrence cette énergie est une « énergie financière », qui permet au « moteur » de fonctionner

plus ou moins longtemps et avec plus ou moins de puissance selon qu’il y ait plus ou moins de CSPE

dans le « réservoir », un réservoir dont il convient de bien gérer le contenu…

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A ce jour, seule une faible partie de la CSPE collectée par EDF, via nos factures d’électricité, est dédiée

aux ENR, le reste est destiné à des opérations de péréquation nationale et de solidarité…d’où une

indispensable réflexion sur le meilleur usage de cette CSPE pour pouvoir développer les ENR en

France.

Qu’est-il plus judicieux ? Conserver en l’état un système statique où 4 Md€ sont prélevés pour financer

des dépenses, sociales, de péréquations et pourquoi pas demain la rénovation des centrales nucléaires

tandis que 1,5 Md€ seulement servent à financer les ENR ? Ou repenser le système pour le rendre plus

dynamique et déclencheur d’une économie nouvelle ?

Tout le monde comprendra bien qu’un montant plus important dédié au développement des ENR

permettrait, grâce à un phénomène de levier financier et à l’intervention des banques d’augmenter le

nombre de sociétés de projet et par effet induit de doper les économies (locales, régionales et

nationales) et de rendre effective la lutte contre la précarité énergétique grâce à une action de proximité

et d’alléger la balance commerciale de la France… Bref de lancer véritablement l’économie verte

nationale qui pour l’heure est encore un vœu pieux…

Péréquation Régionale

Le schéma 2 qui se caractérise principalement par la maitrise d’ouvrage publique et la participation des

Régions aux sociétés de projet (ce qui n’exclut pas le partenariat privé), offre non seulement tous les

avantages évoqués par ailleurs, mais permettrait aussi aux Régions de mettre en place une répartition

plus équitable des revenus liés aux ENR.

Pour bien comprendre l’intérêt et la nécessité de cette péréquation, je prends l’exemple vécu entre ma

ville et La Barben, notre village voisin.

Lambesc s’étend sur 6 500 ha, compte environ 10 000 habitants et nous envisagions en 2009 un projet

de 15 MW photovoltaïque. La Barben s’étend sur environ la même surface pour 700 habitants et a son

propre projet d’environ 90 MW. Le câble RTE, qui passe au-dessus des deux communes, ne permet de

réinjecter que 90 MW. Notre voisin, plus en avance que nous pour diverses raisons, a donc toutes les

chances de réaliser son projet avant nous et donc de percevoir une manne financière très importante

tandis que Lambesc et toutes les autres communes situées sur le tronçon RTE concerné ne pourront, ni

réaliser les leurs, ni percevoir de ressources financières nouvelles avant longtemps.

La richesse pour les uns, rien pour les autres alors que toutes les collectivités sont confrontées aux

mêmes obligations, aux mêmes augmentations tarifaires, aux mêmes besoins, aux mêmes attentes de

nos administrés, aux mêmes exigences crées par la transition énergétique. Est-ce vraiment normal ?

Peut-on faire mieux pour tous ? Non avec le schéma 1, oui avec le schéma 2.

Contrairement à aujourd’hui où seules quelques communes sont privilégiées, il serait possible, grâce au

schéma 2 et aux revenus des sociétés de projet, d’alimenter un fond de péréquation Régional géré par

l’autorité politique. Ce fond fléché inciterait les collectivités, tant au développement des projets de

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production d’ENR qu’à la mise en place de programmes MDE (lutte contre la précarité, isolation des

bâtiments publics, programmes liés à l’Approche Environnementale de l’Urbanisme…etc.).

Pour mémoire, je rappelle que dans le schéma 1 actuellement utilisé par au moins 90% des communes,

le gain pour celles-ci est de 1 quand il pourrait être de 5 avec le schéma 2 (cf. page 55).

Il y a donc une marge financière importante pour tout à la fois, inciter les communes volontaristes, et

procéder à une péréquation Régionale. On peut par exemple imaginer que la commune porteuse

perçoive 1/5e (autant qu’avec le schéma 1) et que les 4/5e restants servent, pour une part à financer

l’Etablissement Public Régional de l’Energie et pour le reste le fond de péréquation régional.

La péréquation ne serait pas qu’un acte de solidarité mais aussi le moyen d’harmoniser et de dynamiser

les politiques liées à la transition énergétique à l’échelle de la Région.

Lutte contre la précarité

A propos de la lutte contre la précarité qui préoccupe de plus en plus les élus, permettez-moi à nouveau

de prendre l’exemple de ma ville.

Avant que le moratoire du 3 décembre 2010 ne brise la faisabilité de notre projet photovoltaïque, j’avais

prévu de répartir les ressources générées par ce projet en trois parties :

- l’une pour financer l’ensemble des travaux que la commune doit réaliser dans le cadre de

l’adaptation énergétique (rénovation thermique des bâtiments publics, aménagement de la

cité en fonction de l’approche environnementale d’aménagement de notre territoire) ;

- une seconde pour améliorer les services de la ville et augmenter les marges

d’autofinancement ;

- la dernière pour inciter les citoyens à traiter thermiquement leur logement, et ce grâce à

deux moyens :

o une exonération totale ou partielle pendant plusieurs années de la taxe d’habitation

sous réserve de la réalisation de travaux d’isolation thermique ;

o la création d’un « service public de la performance énergétique de l’habitat » pour

accompagner les administrés dans leurs démarches.

L’expérience vécue sur le terrain m’a en effet appris que très souvent les citoyens ne savent pas traiter

leurs problèmes énergétiques et ce pour deux raisons principales :

- d’une part et comme tout le monde, élu ou pas, là encore la triple complexité des travaux

(technique, administrative et financière) ;

- d’autre part et même quand les administrés maîtrisent ces 3 facettes, très souvent ils n’ont

pas les moyens financiers pour boucler le budget.

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Face à cette situation, que vaut-il mieux ? Perdurer dans un assistanat social ou traiter le problème au

fond ? Poursuivre le système des aides compliquées qui viennent d’ailleurs ou mettre en place des outils

de proximité financés par des projets régionaux ?

Pour moi les réponses à ces questions se trouvent dans le cercle vertueux de l’économie circulaire dont

il faut construire la boucle complète, à savoir : l’administré consommateur acteur – une CSPE optimisée

– la maîtrise d’ouvrage publique des projets d’ENR – la péréquation régionale – la commune – le service

public de la performance énergétique de l’habitat pour finalement revenir à l’administré (voir le schéma 2

bis).

Quel rôle pour les différentes institutions ?

Dans cette boucle, c’est pour moi la Région − même si celle-ci peut déléguer des pouvoirs et des

moyens à d’autres territoires comme les départements ou les communautés de communes − qui

possède la situation la plus pertinente pour jouer le rôle central. C’est en effet elle seule qui recouvre les

3 mailles indispensables pour bien conduire une politique cohérente et efficace :

1. Le climat. Il y a des réalités de terrain qui s’imposent. L’énergie sur nos territoires ne sera ni

produite ni gérée de la même façon selon que l’on soit en PACA avec du soleil, du vent et de

l’eau ou dans les Ardennes avec du bois, de la pluie et du vent.

2. le réseau RTE. Chaque Région a ses spécificités et ses besoins. C’est sur la base des

études de potentiel ADEME, de l’état du réseau RTE, des potentialités de réinjection sur ce

réseau, du gisement des énergies primaires (vent, eau, soleil…) que doivent être réalisés les

projets les plus pertinents, tant sur le plan technique et financier que pour un bon usage de

la CSPE et l’optimisation de l’usage du réseau.

3. Le territoire politique. C’est à ce niveau que peuvent être fixés par l’Etat les plans

pluriannuels de développement des ENR.

C’est aussi à l’échelle de la Région administrative que peuvent préférentiellement se mettre en place, à

la fois les outils d’accompagnement (E.P.R.E.), les outils financiers de financement (lignes BEI, CDC ou

fonds de participation) et ceux de péréquation entre les collectivités.

Ainsi le schéma 2 est vertueux à 6 titres :

1. Pour le citoyen qui de consommateur-payeur devient acteur-bénéficiaire et responsable ;

2. Sur le plan social, pour les administrés qui subissent la précarité énergétique et qui grâce à

cet outil nouveau trouvent localement les moyens de traiter leur problème ;

3. Pour l’économie locale avec la création d’emplois dans le domaine des ENR et des éco-

métiers (maçons, plombiers, électriciens, BE…) ;

4. Pour l’économie Régionale (la péréquation dope l’investissement des collectivités) ;

5. Pour les finances locales et nationales (ressources nouvelles pour les communes, nouveaux

revenus sociaux et fiscaux pour l’Etat, baisse du chômage, TVA, IS, IR…) ;

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6. Et enfin pour l’environnement (système incitatif pour le développement des ENR et moteur

d’une évolution comportementale par l’augmentation vertueuse de la CSPE, tranche sur-

consommateur).

Serait-ce la trame d’une vraie économie verte ? La vision globale de cette économie circulaire oblige à

une vision nouvelle de l’obligation d’achat et de la CSPE qui toutes les deux deviennent des critères de

réglage (voir schéma 2.bis) :

1. L’obligation d’achat, deux tarifs, un privé et un public…

Dans le schéma 1 actuel, le tarif d’obligation d’achat est principalement déterminé en fonction de

plusieurs facteurs sensibles qui, de plus, peuvent très vite évoluer (le coût de construction, les

contraintes liées à la CSPE, la nécessité de limiter les effets d’aubaine et donc les marges des

opérateurs). Cette logique d’établissement des tarifs oblige à une grande réactivité et parfois à des

variations importantes et brutales qui au cours des années ont eu plusieurs conséquences graves dont

en particulier (i) en 2011, le moratoire qui a cassé le marché du photovoltaïque et détruit près de 25 000

emplois en 2 ans, (ii) au fil des ans, la perte de confiance des banques dans ce marché des ENR, ce qui

rend beaucoup plus difficile le financement des projets.

Le schéma 2 permettrait une gestion plus souple et moins aléatoire du tarif d’obligation d’achat puisque

dans tous les cas les ressources générées reviendraient aux maîtres d’ouvrage publics et les bénéfices

alimenteraient « l’économie verte » locale et nationale. De plus, les fonds de péréquation régionaux et le

« Service public de la performance énergétique de l’habitat » pourraient aussi servir d’amortisseur et de

régulateur pour mieux gérer les transitions. Cette configuration aurait en plus l’avantage de sécuriser le

monde bancaire.

Pourquoi ne pas pousser la logique jusqu’au bout et ne pas profiter du concept du schéma 2 pour

innover sur les tarifs d’obligation d’achat ? Tant pour permettre aux opérateurs privés de poursuivre

normalement leurs activités avec le schéma 1 que pour inciter les collectivités et Régions à développer

le schéma 2, pourquoi ne pas créer deux tarifs d’obligation d’achat ? L’un inchangé pour les opérateurs

privés qui conserveraient le cadre actuel. L’autre avec un tarif plus élevé, pour les projets dont la

maîtrise d’ouvrage serait publique.

Deux arguments forts justifient cette différence de tarif au bénéfice des collectivités publiques porteuses

de projets ENR :

- l’intérêt national puisque ce concept permettrait de dynamiser notre économie verte et

l’emploi ;

- la possibilité pour les collectivités grâce à ces ressources de financer l’ensemble des

politiques liées à la transition énergétique (rénovation thermique des bâtiments, lutte contre

la précarité, aménagement du territoire…).

Deux modalités complémentaires pourraient renforcer le concept :

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- l’obligation d’un fléchage des ressources vers toutes les politiques locales liées à la

transition énergétique ?

- l’allongement de la durée des contrats d’obligation d’achat pour anticiper la parité toute

proche (l’obligation qui coûte aujourd’hui rapportera demain).

2. La CSPE

Il faut bousculer les idées archaïques sur la CSPE. Il faut passer du schéma 1, passif et au potentiel

financier limité, au schéma 2, dynamique et surtout vecteur d’une économie circulaire vertueuse dont la

CSPE et l’obligation d’achat deviennent les régulateurs de puissance d’un processus d’économie verte

(voir schéma 2bis). Il faut considérer que dans le nouveau concept l’objet n’est plus de générer des

marges pour des actionnaires mais des ressources financières pour les collectivités lesquelles pourraient

ainsi lutter contre la précarité énergétique, relancer leurs investissements et contribuer à la relance de

l’économie française.

Bien évidemment ceci oblige à repenser le système de la CSPE (son taux, son usage et son assiette) et

pourquoi pas aussi les recettes liées à l’énergie et leur redistribution :

- Ne serait-il pas vertueux de l’augmenter pour inciter aux économies d’énergie ?

- N’est-il pas envisageable qu’une partie de cette CSPE revienne aux Régions qui pourraient

ainsi financer une partie des politiques liées à énergie ?

- Ne peut-on revoir le FACÉ6, le TURPE… ?

- Ne faut-il pas imaginer comme le propose Terra Nova des modes de financement beaucoup

moins onéreux que ceux proposés par les banques commerciales ?

- Ne faut-il pas sélectionner les projets de développement ENR en fonction de leur

performance économique et environnementale ?

- Est-il normal que seule EDF ait son tarif impacté par la CSPE ?

- Ne faut-il pas élargir l’assiette de collecte à tous les producteurs d’énergie ?

En un mot, n’est-il pas temps de repenser et de moderniser tous les principes et les usages qui ont

prévalu à la CSPE d’aujourd’hui, une CSPE qui joue difficilement son rôle dans le développement des

ENR, une CSPE qui met l’Etat en position de dépendance vis-à-vis d’EDF son créancier, ce qui au

passage, est de nature à fausser les décisions politiques…

L’énergie, son financement et les opportunités qu’elle offre, c’est tout un monde à moderniser, c’est un

gisement d’innovations techniques et financières, c’est une extraordinaire opportunité pour notre pays de

relancer son économie, pour autant que l’Etat lâche la bride aux collectivités et aux Régions et adapte

les outils aux exigences du moment…

6 FACÉ : le fonds d’amortissement des charges d’électrification. Créé par la loi de finances du 31 décembre 1936, le FACÉ verse des subventions aux collectivités, maîtres d’ouvrage des travaux d’électrification rurale.Ces aides sont ventilées chaque année entre les départements par les ministres chargés de l’agriculture et de l’énergie, après avis du conseil du FACÉ. Ces répartitions sont basées sur une évaluation globale des besoins de chaque département. Chaque département répartit ensuite sa dotation entre les différentes collectivités-maîtres d’ouvrage concernées qui réalisent les travaux.

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J’ai récemment participé au congrès national de l’ADEME et j’ai pu constater que des centaines de

collectivités imaginent des solutions plus ou moins globales à partir de la production d’ENR mais

beaucoup se plaignent d’entraves liées à des règlements et de lois qui ne sont plus adaptés. Il faut

laisser le droit à l’expérimentation et briser les carcans qui freinent les projets.

Il faut permettre aux collectivités locales de générer sur leurs territoires des ressources financières qui

leurs permettraient de traiter localement et globalement des problèmes dont les solutions ne peuvent pas

venir du national parce que seuls les élus locaux ont une parfaite connaissance des potentialités de leur

commune et des besoins de leurs administrés.

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup Jacques Bucki, vous avez posé le problème. Nous allons garder ce schéma sous les

yeux. Olivier Sala et Eymeric Lefort, je voudrais savoir ce qu’il vous inspire ?

Olivier Sala :

Dans le deuxième schéma, on est à peu près sur le même dispositif que le dispositif actuel. On voit bien

que, tant qu’on n’a pas une compétitivité suffisante des énergies renouvelables, il y a un bonus tarifaire à

organiser pour permettre les investissements.

Je fais partie de ceux qui pensent que ce bonus-là va se réduire assez rapidement. Si on croit aux ENR,

on aura assez vite une compétitivité et elles convergeront dans le mode réel économique. Mais tant

qu’on a un dispositif aidé, il y a une pertinence pour partie à avoir cette activité de production dans

laquelle est investie la collectivité. On a toujours des effets de bord et des biais dans n’importe quel

système aidé mais on se dit que si ça part d’une poche publique et que ça revient dans une poche

publique, le système reste plus vertueux que si ça tombe dans des poches, disons opportunistes. Ça

n’empêche pas une régulation avec une économie mixte. Ce modèle sur le territoire est puissant et il est

à géométrie variable. Du coup, selon les configurations, on peut imaginer dans le tour de table la région

qui est apparue dans le troisième schéma, la collectivité, les acteurs privés ou publics, le syndicat

départemental. On peut avoir les acteurs qui ont envie de faire bouger le territoire. Je pense que c’est

assez puissant. Les ENR permettent cela car il n’y a plus de barrière technique à l’entrée ou de risque

industriel qu’on avait sur la production centralisée.

Jacques Bucki :

Je voudrais apporter une précision au sujet de l’alternative d’autoproduction (flèche verte du schéma 2).

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Il faut veiller à ce que le taux de la CSPE ne sorte pas d’une fourchette bornée à chacune de ses

extrémités par des taux qui s’ils étaient franchis priveraient le « moteur de l’économie circulaire » de son

« énergie financière » :

- Un niveau trop bas de la CSPE, assécherait le « réservoir », creuserait vite le déficit pour

EDF et en cascade bloquerait le développement des projets ENR ;

- Un niveau trop élevé présenterait le risque de conduire aux mêmes conséquences mais par

un biais totalement différent. Imaginons une CSPE élevée à laquelle s’ajouterait un coût de

l’énergie également élevé, le point de parité pourrait être franchi et de nombreux clients auto

producteurs pourraient se déconnecter, rompant ainsi le contrat avec le producteur et privant

le système du financement de la CSPE.

Eymeric Lefort :

Sur le schéma financier, le Grand Lyon n’a pas d’avis car on n’est pas encore autorité organisatrice de

distribution de l’électricité ou du gaz.

Ce qui est intéressant c’est cette notion de société de projet. On a évoqué la notion d’autarcie des

territoires. Il est clair qu’un territoire urbain comme le Grand Lyon ne sera jamais autarcique. Les études

menées dans le cadre du PCET montrent qu’on arriverait au mieux à faire 10 à 15 % d’énergies

renouvelables sur le territoire, en étant extrêmement ambitieux sur le développement du photovoltaïque.

On a pourtant deux barrages hydrauliques urbains sur le Grand Lyon. Cette notion d’autarcie pose la

question de la solidarité entre les territoires. Comment une agglomération, consommatrice d’énergie par

excellence, est-elle solidaire des territoires, pas forcément ruraux mais des territoires qui peuvent être

aussi producteurs ? Les sociétés de projet peuvent apporter une réponse. Une collectivité urbaine

pourrait-elle investir dans une société de projet portée par un département ou une communauté de

communes à un autre niveau pour faire du photovoltaïque, du bois ou de la biomasse ? Il y a des

valorisations à faire à différents niveaux. C’est un point favorable pour nous.

La deuxième question est celui du microgrid, qui ne s’oppose pas au réseau de distribution. C’est un

réseau local pas forcément autarcique, mais qui consomme au maximum sa propre production et qui a

des liens avec l’extérieur. Dans un quartier comme Confluences, on le teste petit à petit. L’expérience

NEDO n’est pas encore un microgrid car c’est ERDF qui gère le réseau de façon tout à fait naturelle,

c’est ERDF l’autorité organisatrice qui porte le risque. Cette expérience intègre quand même des

bâtiments intelligents qui auront leur propre autoconsommation, qui vont renvoyer et intégrer sur le

réseau, avec la mise en place d’une cogénération au niveau du quartier électricité/chaleur. Il y aura un

fond d’électricité constant qui permettra éventuellement d’atténuer une partie de l’intermittence. Les

bâtiments intelligents feront une partie du stockage. Concernant l’agrégateur, il faut qu’il ait un modèle

économique qui le porte. Le modèle économique vertueux qu’on voit là me fait penser à cette notion

d’agrégateur local sous forme d’une société de projet. En revanche, on n’a pas encore la réponse sur la

manière et la fiscalité qui permettront de faire fonctionner le système.

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Jacques Bucki :

Le droit à l’expérimentation associé à des tarifs d’obligation d’achat plus élevés permettrait de

développer sur nos territoires des projets globaux liés à l’énergie dont les ressources financeraient les

investissements et développeraient l’économie locale.

Pour exemple je peux évoquer un projet que j’envisage à Lambesc, ville qui historiquement à une

vocation de production maraichère. Nous pourrions d’une part développer des champs photovoltaïques

dont la puissance serait d’environ 15 MW et d’autre part coupler une centrale de cogénération avec un

système de serres et un réseau de chaleur.

L’ensemble des ressources financières générées grâce à la production d’électricité permettrait :

- de baisser d’environ 20 à 25% le coût de production de tomates et ainsi de rendre compétitive cette

filière qui permet la création de 10 emplois à l’hectare ;

- de faire baisser la facture énergétique aux bénéficiaires du réseau de chaleur ;

- de financer les travaux liés à l’énergie (éclairage public, bâtiments…) ;

- de créer une activité économique et des emplois non délocalisables.

Ces solutions globales sont de plus en plus développées en Allemagne et nous y réfléchissons pour la

France avec Monsieur Cyril Roger-Lacan, expert français et président d’une société allemande qui

développe ce concept.

J’ai entendu les remarques de Mme Bellon, la présidente d’ERDF, à propos du caractère aléatoire de la

production photovoltaïque (notons au passage que tel n’est pas le cas avec la cogénération). Ce

problème est réel mais là encore il faut se projeter vers le futur et innover des solutions.

La France a manqué le train des filières éoliennes et photovoltaïques, je pense qu’au lieu de vouloir

rattraper les chinois qui produisent des panneaux à des prix impossibles pour notre économie, il serait

préférable de mettre les feux pour développer les filières futures, comme par exemple celles du stockage

ou de la méthanation7. Appliquer à l’exemple de ma ville cela permettrait, quand EDF n’a pas besoin

d’énergie photovoltaïque, de transformer celle-ci en méthane stocké pour grâce à du dispatchable

produire de l’électricité quand EDF en a besoin (les heures de pointe par exemple).

Béatrice Mathieu :

Où sont les points de blocage ?

7 La méthanation est un procédé industriel de conversion catalytique de l'hydrogène et du monoxyde de carbone en méthane. Elle ne doit pas être confondue avec la méthanisation, processus naturel biologique de dégradation de la matière organique en absence d'oxygène.

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Jacques Bucki :

Essentiellement culturels et politiques.

La triple complexité dont je parle souvent (technique, juridique et financière) est un véritable obstacle aux

évolutions, bien sûr au niveau des élus, ce qui pose un vrai problème au niveau des hautes assemblées

où les lois devraient être écrites, mais plus gênant encore, au niveau des administrations qui ne peuvent

avoir toute l’expérience et le vécu de terrain. C’est le problème le plus important que je rencontre.

D’autres blocages sont plus politiques où perdurent pour protéger des intérêts. Je me souviens avoir

rencontré M. Cédric Lewandowski qui était directeur chez EDF des relations avec les collectivités, ainsi

que M. Mimoun en charge du développement d’EDF. Tous deux m’avaient présenté le schéma d’une

société d’économie mixte en Savoie dans laquelle EDF était partenaire aux côtés d’une collectivité

publique majoritaire. Tous deux avaient donc bien conscience du problème que je posais, mais pour

autant, dans le même temps, leur filiale EDF Energies nouvelles, continuait de proposer aux collectivités

des projets conçus sur le principe du schéma 1, au détriment donc de l’intérêt des collectivités locales.

J’avais alors fait remarqué à mes interlocuteurs que si je comprenais que EDF veuille mettre du vert sur

du bleu et conserver son rôle historique de producteur, je pensais qu’il serait préférable, tant pour EDF

que pour les collectivités, que EDF passe su schéma 1 au Schéma 2, ce qui probablement aurait tout

autant servi les intérêts de leur société que de nos collectivités.

Ces rencontres ont eu lieu à l’automne 2010, le moratoire du 3 décembre de la même année. Ce

moratoire a tué dans l’œuf les projets portés par les collectivités, dont Lambesc.

Eymeric Lefort :

Je voudrais rebondir sur cette notion de système local. L’exemple du producteur de tomates, c’est

optimiser un système local. Au Grand Lyon, on a actuellement un territoire, la Vallée de la chimie, qui est

fortement producteur de chaleur. Des études ont été menées pour savoir quel était le gisement d’énergie

fatale. Elles sont en train de se terminer. J’aimerais aborder ce point sous l’angle non pas de la quantité

du gisement mais sous l’angle de la gouvernance : comment mettre en place un système pour récupérer

la chaleur fatale dans la Vallée de la chimie dans un temps court ? On n’a pas eu le temps de prendre en

compte cette question quand on a relancé la délégation de service public de chauffage urbain. Sauf

qu’une délégation de service public de chauffage urbain aujourd’hui, ça signifie qu’on fournit à un

opérateur les clés de la production, de la distribution et de la commercialisation. On a des difficultés avec

le droit public pour lui imposer une petite clause qui dirait qu’il est obligé d’aller chercher de la chaleur

fatale auprès de tel ou tel privé parce qu’il aurait été identifié. Ce n’est pas possible. Quel système de

gouvernance peut-on mettre en place dans des temps relativement courts ?

C’est là que les exemples extérieurs sont très intéressants, comme ce qui a été fait à Rotterdam. On y

récupère la chaleur fatale sur le port. Le système de chauffage urbain, au lieu de faire l’objet d’un contrat

où on fournit toutes les clés à un opérateur privé, est divisé en 18 contrats au niveau local, de la même

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manière qu’au niveau national français on a séparé la production, la distribution, le transport et la

commercialisation. Ils ont fait la même chose au niveau du chauffage urbain. La société publique se

trouve au niveau de la distribution. Elle achète des volumes de chaleur à des privés et s’occupe de les

revendre à des sociétés qui les commercialisent avec tout un système de stockage. Mais arriver à mettre

ce type de système en place prend énormément de temps. Quand vous vous engagez, du fait de

contraintes technico-économiques de gouvernance, sur des durées assez longues de délégation de

service public, c’est très dur après de se lancer dans un changement de schéma.

Béatrice Mathieu :

J’aimerais que vous nous expliquiez vos retours d’expériences M. Sala sur les smartgrids et, en fonction

de ce retour, que vous nous disiez ce que vous demandez aujourd’hui au régulateur ?

Olivier Sala :

Il est difficile de conclure à ce stade. On a beaucoup d’initiatives en cours. Ce n’est pas que du discours,

on est dans la réalité. On voit que faire émerger les nouveaux modèles de villes demain et de smart,

c’est une évidence, mais une évidence complexe : il faut trouver les clients, leur expliquer, puis trouver

les modèles économiques, avec des investissements qui sont bien tangibles. Les retours existent du

point de vue systémique mais on ne sait pas trop où et donc on fait des démonstrateurs pour essayer

d’établir où ils se situent. Rien n’est trivial. Mon retour d’expérience à ce stade est de dire que ces

éléments nouveaux d’innovation majeure énergétique ne surviendront pas si on ne mobilise pas

l’ensemble des efforts de manière intégrée avec de l’encouragement. Je rejoins le propos de Jacques

Bucki : il faut donner l’impulsion, rassembler les efforts et oser l’initiative au niveau local.

Béatrice Mathieu :

Qui donne l’impulsion ?

Olivier Sala :

C’est la collectivité territoriale je pense, car elle seule a la légitimité, la capacité d’impulsion, le rôle

central qui permet de donner une orientation. Les sujets énergétiques vont conditionner de manière

significative notre manière de vivre dans les villes demain. Il y a bien un fond de sujet éminemment

politique. On ne peut pas confisquer cela à l’élu. Si on lui dit « vous ne pouvez pas comprendre, vous

n’êtes pas un expert, c’est compliqué », et que finalement la réflexion sur comment on veut vivre demain

dans la ville lui est retirée, cela pose une vraie question démocratique. Je pense qu’il faut permettre à

l’élu d’exercer son rôle d’orientation en s’entourant d’un écosystème qui comprendra des satellites qui

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peuvent être d’économie mixte ou publique mais qui comprendra aussi des acteurs performants, petits

ou grands, territoriaux ou nationaux.

Quand on se promène en Scandinavie, c’est extrêmement frappant. Par exemple, à Stockholm, dans les

systèmes de smart cities qui déplacent des visiteurs du monde entier, on voit le maire de Stockholm, le

patron d’ABB, le patron de l’utility locale, etc. qui vous présentent main dans la main combien tout ça est

formidable. D’ailleurs Bruxelles a l’air de trouver cela très bien. Il n’y a donc aucun problème, aucune

question de débat de cloisonnement de la chaîne de valeur comme on peut l’avoir quelquefois. On voit

bien que la question de l’ouverture des marchés, qui a monopolisé énormément d’énergie, de coûts et

d’investissements depuis 10 ou 15 ans, a sans doute des vertus mais c’est vrai qu’on cherche chaque

jour un peu plus la main invisible. Plus on dérégule, plus il faut réguler. Les enjeux qui sont devant nous,

ce n’est pas ce levier-là qui va y répondre de manière satisfaisante. Il faut que le régulateur trouve un

cadre – c’est déjà le cas en partie, il n’y a pas de blocage intellectuel ou psychologique à cette idée-là –

un cadre plus large qui permette de prendre un coup d’avance et, dans un contexte économique où nous

avons besoin de régénérer un tissu industriel et de créer de l’emploi, d’innover. Ne restons pas bloqués,

permettons l’initiative ambitieuse.

Béatrice Mathieu :

Eymeric Lefort, partagez-vous ce sentiment que le régulateur doit prendre un coup d’avance ?

Eymeric Lefort :

Tout est dans la capacité à prendre des risques et à être flexible. On s’aperçoit que ce n’est pas simple.

Béatrice Mathieu :

On ne prend pas assez de risques ?

Eymeric Lefort :

Non, car il y a des blocages à beaucoup de niveaux : les façons de mettre en concurrence, la façon de

monter un projet avec un ou plusieurs privés, la lourdeur des procédures administratives…

Prenons par exemple ce qui est arrivé sur Transform. C’est un projet de planification énergétique

européenne sur le quartier Part-Dieu à Lyon. L’idée est d’arriver à un projet de recherche pour justement

prévoir le cheminement de cette transition énergétique sur les trois réseaux. Il y a donc des réflexions

sur la coordination de réseaux, la quantification du besoin, sur quelles politiques publiques vont mener à

quels besoins et qui porte le risque si on y arrive, sur les relations aux acteurs. C’est un quartier où on

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reconstruit la ville sur la ville, ce n’est donc pas la collectivité qui à la main mais ce sont les promoteurs

privés dans le cadre de plans locaux d’urbanisme.

Actuellement, du fait des procédures en cours, on n’est pas capable d’avoir une relation avec le

gestionnaire de chauffage urbain de ce quartier dans le cadre de ce projet. Tout simplement parce qu’on

est en relance de délégation de service public. A 18 mois de la fin de la relance de la délégation de

service public, il faut sécuriser l’information, assurer l’équité de traitement. Mais on ne peut pas faire

sans lui.

Béatrice Mathieu :

Tout est bloqué à cause de ça ?

Eymeric Lefort :

Sur la partie chaleur urbaine, oui. Mais on avance avec ERDF sur la partie électricité et avec GrDF sur le

gaz. Mais on n’est pas capable d’avoir un réflexion coordonnée sur les trois réseaux. Evidemment, il y a

une question de temporalité. C’est une vraie problématique. Comment avancer sur un projet d’une durée

de trois avec une procédure de délégation de service public en plein milieu qui est sur deux ans ? On ne

peut quasiment rien faire. Quand le nouveau délégataire sera désigné, ce n’est pas lui qui va vous aider

car il aura pour première préoccupation de reprendre les installations et les faire fonctionner. C’est un

exemple simple mais on peut les multiplier à l’infini. Le montage juridique fait avec le NEDO est aussi

très intéressant et complexe.

Béatrice Mathieu :

Oui, j’imagine. Jacques Bucki, que demandez-vous au régulateur, quel type de régulation pour demain ?

Jacques Bucki :

Je ne sais pas si c’est au régulateur qu’il faut demander ça, mais puisque l’occasion m’est donnée, je

m’adresse à tous ceux qui, sur le plan national ont la responsabilité de faire évoluer la situation. En

particulier je souhaite qu’ils donnent aux collectivités et aux Régions les moyens d’agir en leur confiant

un rôle d'autorité organisatrice qui reposerait sur des missions de planification, de production, de

fourniture et distribution d'énergie et de maitrise de l’énergie.

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Olivier Sala :

Elles ont surtout une obligation de produire un plan climat-énergie depuis le Grenelle mais sans aucun

levier ni aucun moyen qui leur permette de faire autre chose que de constater que cela n’a pas

progressé d’une année sur l’autre.

Jacques Bucki :

Vous avez tout dit. Nous, les collectivités, devons supporter les charges mais n’avons aucune ressource

pour les financer. Il faut donc donner les compétences énergie à tous les territoires mais aussi

moderniser le schéma du financement des ENR en France.

A ce propos, je tiens ici à saluer la CRE. Je me souviens il y a quelques mois quand je développais mon

concept, certains experts en énergie m’avaient dit « tu seras bloqué à la CRE qui reste sur des schémas

passés ». J’ai eu l’agréable surprise depuis, de constater exactement l’inverse et tiens ici à en particulier

remercier Mesdames Bertille Carette et Cécile George.

Je voudrais aussi demander à M. Béatrix, qui tout à l’heure disait à juste titre « il faut faire évoluer les

tarifs pour accompagner les efforts du gestionnaire de réseau », de bien vouloir conserver le même

esprit et d’ajouter qu’il faut aussi « faire évoluer les schémas et les tarifs pour accompagner les

communes qui portent beaucoup de charges liées à l’énergie ».

Béatrice Mathieu :

Vous avez le droit de répondre Olivier Béatrix !

Olivier Béatrix :

Je me contenterai de vous dire qu’il se trouve que je suis également élu local et que, par conséquent, je

rejoins tout à fait le discours qu’on entend depuis ce matin, sur la richesse de l’innovation dans les

territoires. Effectivement le régulateur le reconnaît et je suis heureux que vous saluiez le non blocage

culturel de la CRE, que je vous confirme sous l’autorité de notre président ce matin. Je confirme

évidemment la première phrase et quant à la seconde on en discutera ultérieurement.

Jacques Bucki :

Dans le prolongement de ces avancées, je voudrais revenir sur un point majeur de ma contribution.

Je le redis, il est nécessaire de créer un tarif d’obligation d’achat dédié aux collectivités et de façon

générale aux maîtres d’ouvrage publics, donc d’augmenter la CSPE. Tout le monde comprendra que

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mettre en place des aides pour rénover 500 000 logements par an, refaire les éclairages et isoler les

bâtiments publics, impose de donner les moyens aux collectivités pour le financer.

Il est évident, soyons réalistes, que de toute façon ce sont les administrés qui paieront, mais relativisons

et prenons en compte toutes les retombées positives de l’application du schéma 2, y compris avec une

hausse de la CSPE.

Ayons pour cela quelques chiffres à l’esprit et mettons les actions en perspective plutôt que de faire une

photo instantanée des impacts. :

- Aujourd’hui la CSPE coûte environ 60 euros par ménage et par an. Est-ce aberrant de

l’augmenter sachant qu’avec le schéma 2 cette augmentation permettrait de financer le « service

public de la performance énergétique de l’habitat », donc d’inciter à la réalisation de travaux

d’isolation, le tout avec en perspective une hausse du coût de l’énergie d’environ 50% prévue

d’ici 2020 ?

- Une étude allemande réalisée par la banque KfW montre qu’un financement public de 1,4 Md€

permet de mobiliser 8,8 Md€ de capitaux pour réaliser des projets lesquels contribuent à la

création de 197 000 emplois.

Ajoutons à cela qu’autant de projets verts et d’emplois créés, c’est un coût social qui diminue, des

ressources fiscales pour l’Etat qui augmentent, la facture énergétique de la France qui diminue, sans

compter le plus environnemental.

A quand les décisions ? En attendant nous vivons une toute autre réalité, par exemple dans ma ville

depuis 15 ans nous subissons un contrat d’éclairage public aberrant dans lequel les coûts

d’investissement pour faire des économies d’énergie sont payés par la ville quand les économies

réalisées bénéficient aux délégataires. Nous voudrions sortir de ce piège mais la loi nous en empêche.

Béatrice Mathieu :

Mais vous n’avez pas renégocié votre contrat ?

Jacques Bucki :

Croyez-moi, on a voulu mais les pénalités de rupture de contrat coûtent très cher et nous devrons

attendre terme de celui-ci. C’est un exemple parmi d’autres.

Que ce soit le code des marchés publics, le carcan administratif de l’Etat et les lobbies bien sûr, c’est

tous les jours qu’il faut lutter contre les freins et les obstacles. Ce sera long et compliqué, mais n’est pas

une raison supplémentaire pour plus vite encore mettre en place ce qui est facile (tarif pour projets

publics par exemple) ?

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Mes propositions sont des pistes, pourquoi ne pas y travailler ? Les freins et les blocages sont dans les

têtes et seront plus compliqués à traiter que les problèmes financiers. La solution, comme toujours dans

ces cas-là, sera le dialogue, l’écoute et le travail pour expliquer et convaincre à tous les niveaux, du local

à l’Europe en passant par les Régions et les Ministères. Lourde tâche, mais j’y crois !

Un texte de loi, quelques décrets et l’économie verte serait lancée. Pourquoi tant attendre quand la

priorité du gouvernement est l’emploi ?

Béatrice Mathieu :

Est-ce que vous êtes d’accord Olivier Sala ? Il faut faire sauter les points de blocage ?

Olivier Sala :

J’ai une posture moins militante, mais c’est normal, c’est le rôle de l’élu de faire bouger les lignes. Pour

moi il est curieux de voir que les choses se passent avant d’être pensées. C’est très net. L’initiative

survient, les choses vont se passer, elles sont déjà en cours. Mais comment prendre les choses de

manière constructive pour le faire positivement et aller de l’avant pour gagner des atouts industriels, des

atouts de performance, de compétitivité. C’est ce dont nous avons besoin collectivement dans les

territoires et au niveau national. A partir de là, je pense que ce doit être une logique − et je ne veux pas

faire de l’œcuménisme à bon marché − de rassemblement des efforts de tous les acteurs du système.

Le fait que la communauté des élus locaux rejoigne le club des énergéticiens renforce le système

énergétique et permet de faire des choses exceptionnelles. Mais à partir du moment où l’on accepte

d’assouplir un système de pensée qui a deux origines génétiques : la première c’est Marcel Paul8 et la

deuxième c’est le modèle de libéralisation des Anglais dans les années 80 qui a beaucoup de mérites

mais qui n’a marché que dans les années 80 et en Angleterre. En synthèse, si on regarde les choses de

manière plus ouverte, il y a des choses exceptionnelles à faire.

Béatrice Mathieu :

Passons maintenant aux questions de la salle.

Aude Binet, fédération des agences locales de l’énergie et du climat :

La fédération des agences locales de l’énergie et du climat regroupe ces agences qui sont des

structures créées à l’initiative des collectivités territoriales et qui sont associatives. Il y en a une trentaine 8 Marcel Paul est un homme politique français, né le 12 juillet 1900 et mort le 11 novembre 1982. Il a œuvré à la nationalisation du gaz et de l'électricité et organisé la création d'EDF-GDF.

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en France, une dizaine en cours de création et on estime qu’il pourrait y en avoir une cinquantaine sur le

territoire. Elles sont présidées par des élus. La présidente de la fédération, Mme Danielle Auroi, est

députée du Puy-de-Dôme.

Je voulais réagir à tout ce qui s’est dit aujourd’hui, tout d’abord au niveau des compétences des

collectivités territoriales. Ces structures d’agences locales regroupent énormément de compétences des

collectivités territoriales, elles sont créées pour les mutualiser sur le territoire. Elles accompagnent les

collectivités dans la création, la rédaction, l’élaboration des plans climat-énergie territoriaux par exemple.

Elles s’occupent de la sensibilisation et de l’animation du territoire en abritant les dispositifs de l’Ademe,

les espaces Info Energie et les Conseils en énergie partagée. Elles ont aussi des missions de

planification énergétique sur les territoires. Ce sont donc des acteurs qui sont très dynamiques car ils

sont créés à l’initiative de ces collectivités.

On parlait de lieux de concertation apaisés. Les agences locales de l’énergie, parce qu’elles sont des

structures associatives, rassemblent des entreprises, des associations et les réseaux de distribution de

gaz et d’électricité EDF, GDF, ERDF et GrDF. Elles sont des lieux d’échanges qui auront une place

importante dans les débats nationaux sur l’énergie qui auront lieu tout au long de cette année. Ce sont

également des lieux d’échanges de bonnes pratiques, la dynamique à ce niveau-là existe depuis

longtemps car elles se sont créées dans les années 90 à l’initiative de la Commission européenne.

Je suis d’accord avec ce qui a été dit sur l’approche multi-énergie et multi-flux. Cela relève de la

compétence des collectivités, elles auront la vision de leur territoire et donc la vision multi-énergie

contrairement aux opérateurs qui ont une approche sur un seul fluide, l’électricité, le gaz ou les réseaux

de chaleur.

Je souhaiterais enfin parler du périmètre. Le titre de la première table ronde parle de la ville. Je pense

que c’est trop restreint et qu’il faut parler de territoire, de « bassin de vie ». C’est à l’échelle du bassin de

vie que l’on rencontre une problématique énergétique spécifique.

L’enjeu pour cette année est d’articuler cette dynamique énergétique territoriale, qui existe, qui est là –

j’ai moi aussi pu constater la richesse des initiatives au colloque de l’Ademe hier – et qui est portée par

des acteurs associatifs, des agences, des collectivités, avec la politique nationale qui enfin.

Béatrice Mathieu :

D’autres remarques ou des questions ?

Franck Chevalley, ATOS :

Je travaille beaucoup à l’international pour proposer des solutions de smart energy et j’ai été avant cela

impliqué dans un contexte beaucoup plus local d’énergie. D’abord, travaillant beaucoup à l’international,

je confirme que les territoires sur lesquels cette articulation entre les collectivités fonctionne − disons le

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pouvoir public local en général, et les acteurs du monde de l’énergie ou plutôt des énergies − sont des

territoires sur lesquels les projets les plus nombreux et les plus innovants se développent. C’est le cas

en Asie et en Europe du Nord. Cette vision internationale confirme s’il en était besoin que cette

articulation fait beaucoup de sens dans le domaine des énergies.

J’en viens à ma question : il a été dit, avec un certain consensus qui m’a positivement impressionné ce

matin, qu’il faisait du sens de coordonner des choix entre les énergies à l’échelle des territoires, au

moins entre les trois que sont l’électricité, le gaz et la chaleur. Sur ce sujet précis et concret, qui a une

transposition possible en matière de régulation, pourrait-on avoir un avis, un retour ? Pourrait-on savoir

s’il y a des réflexions autour de ça pour arriver à ce que, à l’échelle d’un territoire (une commune ou un

autre), les collectivités locales aient la possibilité réellement d’exercer ce choix ? Car je crois que la

plupart des gens qui se sont confrontés au sujet savent qu’entre le dire et le faire, il y a un grand nombre

d’étapes importantes, qui passent notamment par des éléments de régulation. Voilà ma question.

Jacques Bucki :

Je répondrai par un biais en disant que partout où cette collaboration existe, les projets fleurissent, mais

que demeure toujours la principale difficulté qui est encore et toujours la triple complexité technique,

juridique et financière. Beaucoup d’élus, qui comme tous citoyens, sont avant tout des généralistes et

rarement des experts, ne sont pas en capacité de porter et de gérer les gros dossiers liés à l’énergie,

d’où la nécessité sur les territoires pertinents d’apporter cette intelligence qui éclairera les uns et les

autres. Croyez-moi, si on explique aux élus les intérêts pour leurs citoyens et leurs finances

communales, ils vont vite comprendre. Ils utiliseront le vent, le bois, le soleil, la chaleur aussi et tout le

reste. Cette notion de complexité est un frein important. Si des personnes comme vous se déplacent sur

tous les territoires, à mon avis cela va accélérer le processus.

Eymeric Lefort :

Je suis d’accord avec vos propos. Nous, nous ne sommes pas encore au bout de la réflexion. C’est une

volonté. On n’a pas encore identifié tous les freins. On a plusieurs expérimentations qui nous aideront à

aller vers ça, par exemple le projet Transform qui avec de la modélisation comprend une partie dédiée à

identifier les freins et les besoins de financement pour arriver à le faire. Je ne peux donc pas parler avant

que le projet ne se soit déroulé. Sur le projet Confluences on essaye de le faire, on a un avantage car

c’est une zone d’aménagement concertée (ZAC). On a donc la possibilité d’imposer un peu plus de

choses. On arrive à avoir un début de coordination entre les trois réseaux sur plusieurs points. Le mode

ZAC nous donne beaucoup plus de flexibilité.

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Olivier Sala :

Je pense qu’il faudra suivre avec attention les débats à venir sur la transition énergétique et les débats

parallèles sur la réforme territoriale. Car cette question est cruciale : à quelle maille doit se penser le

premier niveau de politique énergétique ? Il faut qu’on le décide car sinon on risque de rajouter de la

complexité comme on l’a fait souvent. Si on se dit par exemple que le bon niveau est la région ou

l’agglomération, il y a une structuration à faire et derrière il faut des moyens. S’il doit émerger une

fiscalité écologique, qui doit la percevoir ? Si on dit qu’elle doit servir au développement des ENR et de

la sobriété énergétique, et que c’est au niveau du territoire que ces euros-là seront le mieux utilisés,

alors elle doit être perçue par les acteurs qui définiront la politique énergétique territoriale, pour qu’ils

aient aussi les moyens de la mettre en œuvre. On rentrera alors dans quelque chose de concret qui

pourra produire des résultats assez rapides.

Philippe de Ladoucette :

Au vu de l’éclairage du débat que vous venez de poser, je vais me référer aux déclarations du Président

de la République il y a quelques jours lors des Etats généraux de la démocratie territoriale. Il a dit :

« l’Etat devra partager avec le bloc communal la responsabilité de la transition énergétique ». Alors, je

ne sais pas ce que cela signifie très exactement, mais cela signale clairement que la question est posée.

Jacques Bucki :

Tout pour les communes !

Nicolas Garnier :

Un élément de réponse pour Monsieur Chevalley d’abord. Nous travaillons actuellement sur une

compétence de planification des réseaux à l’échelle territoriale comme je le disais. Il faut créer un niveau

où puissent discuter des syndicats départementaux d’électrification et des structures qui ont compétence

pour les réseaux de chaleur.

J’aimerais maintenant revenir sur trois points. Premièrement, je voudrais mettre une alerte car je sens un

enthousiasme ambiant. Je ne voudrais pas qu’on tombe dans l’euphorie. Ce n’est parce qu’aujourd’hui

on est capable de démontrer que les collectivités peuvent faire beaucoup qu’elles font beaucoup. Je ne

souhaiterais pas que dans six mois, à la fin du débat territorial, on se dise que finalement il ne s’est rien

passé car les collectivités qui pouvaient faire beaucoup peuvent toujours faire beaucoup et on continue.

La transition n’aura pas eu lieu. Si aujourd’hui il y a 5 % de « Jacques Bucki », il y a aussi 95 % d’élus

qui n’ont pas la possibilité d’aller aussi loin que lui grâce à sa compétence et son implication. On travaille

aussi pour ceux qui n’ont pas ce militantisme politique. Concernant l’argent, il y a plusieurs façons de

voir les choses : soit on dit « désolé, mais on n’a pas d’argent dans ce pays, on est en récession ». Sauf

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qu’en réalité il y a des sommes en jeu, certaines ont été citées comme la CSPE, environ 5 milliards

d’euros, dont très peu revient aux collectivités. Je donne un exemple sur les impayés, le TPN ou les

structures d’impayés. Aujourd’hui le système de la CSPE rembourse l’opérateur pour sa part d’effort sur

les impayés mais ne rembourse pas la collectivité, en particulier le département pour sa part d’effort sur

les impayés. Cela montre que les dispositifs en place tournent à l’échelle nationale pour les opérateurs

mais pas avec l’échelon territorial. Comme l’a très bien dit Olivier Sala, il y a la question de savoir si on

prélève à l’échelle locale. Je donne un exemple un peu éloigné de nos métiers du gaz et de l’électricité :

la TIPP. Pas un euro de TIPP ne revient à la collectivité territoriale. 5 % est transféré vers les régions

mais rien de ce qui est consommé d’énergie sur nos territoires ne revient en termes de fiscalité sur les

territoires, à une nuance près avec la TLE. Il serait intéressant d’affecter cette TLE à nos questions de

politiques énergétiques et pas uniquement au budget général dans un certain nombre de cas.

Troisièmement, je terminerai par une boutade puisque la CRE est désormais convertie à la

décentralisation énergétique (rires). Dans quelques jours va passer au Sénat un projet de loi dont on n’a

absolument pas parlé aujourd’hui. C’est surprenant, je pense que François Brottes en serait presque

vexé. Ce projet de loi propose qu’au sein de la CRE il y ait des représentants des collectivités

territoriales. Et ma question c’est : « chiche » ?

Béatrice Mathieu :

M. de Ladoucette, vous devez répondre à cette question-là.

Philippe de Ladoucette :

On a prévu beaucoup de modifications dans la composition du collège, notamment en y intégrant un

représentant des zones non interconnectées, des consommateurs domestiques, des énergies

renouvelables, mais je n’ai pas entendu parler d’un représentant des collectivités territoriales.

Je voudrais vous répondre concernant les impayés. Ils représentent dans la CSPE une masse d’environ

80 millions sur 5 à 7 milliards, c’est donc peu par rapport au problème qui se pose sur le montant de la

CSPE et son évolution. Nos projections jusqu’en 2020, toutes choses égales par ailleurs, évaluent la

CSPE à un niveau de l’ordre de 10 à 11 milliards, dont à peu près 7 milliards pour les énergies

renouvelables.

Jacques Bucki :

Il est important de revenir sur ce point que j’ai déjà développé pour dire que si on ne regarde la CSPE

que comme un outil de financement des projets ou pire comme l’outil qui creuse le déficit d’EDF on

commet une grave erreur.

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L’image que je vais prendre est celle du transistor : avec un petit courant, on régule un courant plus

important. La CSPE est ce petit courant financier qui sert de levier pour des financements de projets

lesquels induisent une importante économie circulaire. Je souhaiterais qu’un jour quelqu’un fasse une

étude économique pour mesurer l’impact d’une hausse de 10 c€/ kWh d’un tarif d’achat, sur la création

d’emplois et les richesses crées pour les collectivités, les Régions et l’Etat.

Par ailleurs et en réponse à ce qui s’est dit avant : quand on a écouté tout ce qui s‘est dit ce matin,

même si ce n’est qu’un morceau du débat, on se demande pourquoi les communes et les Régions ne

sont pas représentés au sein du collège de la CRE ? J’en suis très étonné.

Béatrice Mathieu :

Posez votre candidature !

Jacques Bucki :

Ce n’est pas le sujet, encore que j’irais bien militer là-bas. Je profite de l’occasion puisque je suis militant

pour dire qu’il va y avoir des débats en région et si vous cherchez des volontaires pour militer, j’en suis !

Olivier Schneid, la Gazette des communes :

J’aimerais avoir le point de vue de Jacques Bucki sur le bon niveau territorial. Vous disiez tout à l’heure

sous la forme d’une boutade « tout pour la commune ». Je me suis demandé si vous n’alliez pas

aujourd’hui proclamer la principauté de Lambesc... Vous évoquiez la création d’établissements

régionaux de l’énergie. Donc, pour vous, quel est le bon niveau en matière de politique énergétique ? La

commune ? Le département ? La région ? L’intercommunalité ?

Jacques Bucki :

D’abord, je vous informe que Lambesc est une principauté, son prince Emmanuel de Savoie vit à

Naples. On cherche une princesse… (rires dans la salle).

La bonne réponse c’est le territoire pertinent. Ce territoire pertinent n’est pas nécessairement la région,

mais c’est cependant elle qui répond le mieux à un ensemble de critères que j’ai évoqués par ailleurs

(page 65).

Cela dit, il est possible de bien travailler avec les départements et les communautés de communes. Une

fois qu’on a débloqué le processus, tout se fait. Si demain dans une région une communauté de

commune se révèle dynamique et pertinente et qu’elle veut gérer une politique avec les outils et idées

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qui sont les siens à la maille de sa communauté de commune, pourquoi pas. Mais je crois que tout

commence par la région.

Eymeric Lefort :

Pour moi la réponse n’est pas unique mais multi-échelle. Le système inclue production, distribution et

consommation. La consommation se gère avec les autres politiques publiques. Une communauté

urbaine comme Lyon a la main sur les réseaux de transport, les déchets, l’eau, l’urbanisme et toute la

consommation se gère via ces leviers-là. Avec l’objectif d’une baisse de 20 % de la consommation, la

communauté urbaine ne peut pas ne pas s’intéresser à l’énergie.

Puis il y a les liens aux autres politiques publiques : quand on parle réseaux de chaleur, on parle d’unité

d’incinération des ordures ménagères qui sont aussi des unités de production énergétique. Quand on

parle eau, on peut récupérer de la chaleur sur les fours des STEP ou faire du biogaz par méthanisation.

On voit qu’il y a un système qui fait sens à cette échelle de la communauté.

Mais en réalité ça ne fera pas tout et ça ne fera pas une transition. Il y aura forcément un lien fort à la

région car c’est là qu’on a la vision du territoire, la vision des territoires qui seront principalement

producteurs et les autres qui seront principalement consommateurs. Cela force à réfléchir à multi-

échelle. Et il y aura toujours un rôle national parce qu’il y aura une interconnexion des réseaux, un

réseau de transport national.

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Clôture

Béatrice Mathieu :

Merci beaucoup pour la qualité et la richesse de vos interventions, pour être restés toute cette matinée.

Je vais repasser la parole à Philippe de Ladoucette qui va clore cette réunion.

Philippe de Ladoucette :

Je ne vais pas allonger la durée des débats. Ce fut très dense, très intéressant et je vous remercie de

votre présence active. Ce que j’ai compris pour le régulateur c’est qu’il fallait qu’il ait à la fois la tête dans

les étoiles et les pieds dans la glaise. Les étoiles chez nous c’est effectivement le niveau européen, la

glaise, pour reprendre l’expression de M. Bucky, c’est le territoire. Est-ce que c’est la commune, la

région, le département, je ne sais pas, mais en tout cas ce sont les réalités telles quelles sont vécues par

nos concitoyens, les consommateurs d’énergie en tous genres si je puis dire. Vous avez ajouté un

élément nouveau par rapport à nos responsabilités dans le gaz et l’électricité : les réseaux de chaleur.

C’est un élément intéressant parce que je crois que cela a fait partie des débats sur la loi du président

François Brottes, qui vient de nous faire le plaisir de nous rejoindre, et auquel j’adresse tous mes

remerciements pour nous avoir permis d’être accueilli ici à l’Assemblée nationale. Vous avez abordé tant

de sujets divers, variés, qu’il est difficile de tirer des conclusions. Mais je vous avais dit dès le départ qu’il

n’était pas question d’apporter des réponses à toutes les questions qui se posaient mais d’ouvrir le

débat. Je pense que vous l’avez fait de façon extrêmement vivante et je vous en remercie.

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