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Droit, déontologie et soin

Décembre 2006, vol. 6, n° 4

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Encadrement des étudiants infirmiers et responsabilité pénale

Alexandra Veluire

Avocate au Barreau de Lyon

Résumé

L’étudiant infirmier exerce sous l’encadrement effectif de l’infirmière, etcelle-ci engage sa responsabilité pénale si une faute dans cette missiond’encadrement a conduit à la réalisation par l’étudiant d’un geste causantun dommage au patient.

Ce sont des questions très présentes dans la pratique des services. Qu’enest-il de l’encadrement des étudiants infirmiers ? Quelle liberté laissée ou accor-dée à l’étudiant dans la pratique des soins ? Quid de la situation de l’étudiant,qui

de facto

, remplace l’intérimaire que l’on aurait souhaité trouver dansl’équipe ? Et quelle répartition dans la charge de la surveillance entre le cadreet l’infirmière auprès de qui exerce l’étudiant ?

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 juin 2001

1

confirmant un arrêtde condamnation de la cour d’appel de Riom, était passé inaperçu du grandpublic. Et pourtant, dans un domaine où l’on dispose de peu de références juris-prudentielles, il est du premier intérêt de revenir sur cette affaire. L’analyse desdeux décisions permet de bien connaître les faits qui ont été jugés, que les juri-dictions ont retracé avec beaucoup d’attention. C’est dire que la solution renduen’est pas forcément transposable à d’autres circonstances de fait qui, pourtantpourraient paraître proches. En revanche, la méthode de raisonnement de la Courde cassation, et la manière dont elle rejette l’ensemble des moyens de défenseprésentée par l’infirmière condamnée, sont, eux, des enseignements durables.

Dans cette affaire qui a conduit au décès d’un patient, trois professionnellesétaient en cause : deux infirmières, dont une était partie déjeuner au moment

1. Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 juin 2001, n

°

00-87816.

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des faits, et une étudiante-infirmière de 3

e

année. Les instances internes s’étaientmontrées plus que bienveillantes : aucune sanction disciplinaire n’avait été pro-noncée. Mais le tribunal correctionnel, lui aussi, n’avait pas retenu la gravitédes fautes : les trois professionnelles avaient été innocentées. C’est la procureurde la République qui a fait appel, et la cour a prononcé la condamnation pénalede l’étudiante et de l’infirmière qui travaillait alors avec elle.

I – Les faits

Atteint depuis 1984 d’affections cardiaques qualifiées de « lourdes » parl’expert, Jean Ch., 75 ans, était admis à la clinique des Dômes le 12 mars 1997pour une coronographie. Après cette investigation, réalisée le 13 mars par ledocteur Sch. sous anesthésie générale, sans difficulté particulière, le patient étaitramené dans sa chambre vers 12 h. La feuille de prescription avait été rédigéepar le médecin comme suit :

– perfusion : G5 1 000 cc/24 HEURES + 4 g Kcl– autres : 2 ampoules de Lasilix

®

IVD.

Ainsi, il convenait de lui administrer, d’une part, en perfusion sur 24 heures,une solution glucosée d’un litre, avec 4 g de chlorure de potassium, et d’autrepart, 2 ampoules de Lasilix

®

en intraveineuse directe.

Lors du retour de Jean Ch. du bloc opératoire, une seule infirmière étaitprésente dans le service, Isabelle C. (5 h 45 à 14 h 45), Christiane L., élève infir-mière en 3

e

année, en stage dans le service depuis le 10 mars, était également pré-sente, arrivée un peu en avance sur son horaire (12 h 15-20 h 15), Françoise G.prenait effectivement son service à l’heure prévue, soit 12 h 15 (12 h 13-20 h 15).Une infirmière, en stage dans un autre service, n’avait pas été remplacée.

Après avoir lu la prescription – et l’avoir transcrite, selon ses déclarationsà l’audience – Isabelle C. demandait à Christiane L. d’aller chercher en salle desoins la perfusion glucosée et de l’installer, puis d’injecter les deux ampoules deLasilix

®

; ces deux opérations étaient donc réalisées par Christiane L., seuleselon ses dires, en présence d’Isabelle C. selon celle-ci.

Isabelle C. faisait ensuite préparer par la stagiaire, dans la salle de soins,la seringue de chlorure de potassium à partir de 4 ampoules d’un gramme cha-cun à 10 %, soit 10 ml. Au cours de cette opération, Christiane L. se blessait àla main avec un trocard, si bien qu’elle était interrompue et le premier matérielutilisé, souillé par son sang, jeté.

Isabelle C. procédait alors, Christiane L. étant occupée à se soigner, à la« relève » avec Françoise G., c’est-à-dire à la passation des consignes, avant dedescendre à la cantine (en fait elle va chercher son plateau pour revenir déjeunerdans le service).

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Les déclarations de ces trois personnes sont en contradiction sur les proposexacts échangés au cours de cette relève au sujet du chlorure de potassium res-tant à administrer à Jean Ch.

Françoise G. étant occupée par un nouveau patient remonté du bloc opé-ratoire vers 12 h 30, Christiane L. préparait à nouveau la seringue de chlorurede potassium, puis en faisait vérifier la posologie par Françoise G. Elle se rendaitensuite dans la chambre de Jean Ch. où, en la seule présence de Mme Ch., ellecommençait l’injection du contenu de la seringue en intraveineuse directe à l’aidedu cathéter déjà en place, et non en perfusion comme prescrit.

Le patient s’étant aussitôt plaint d’une violente sensation de brûlure, puisde « deux barres », elle s’interrompait après avoir injecté 1/4 ou 1/3 du produit(les 3/4 selon l’épouse du patient). Elle allait aussitôt aviser Françoise G., tou-jours retenue par son patient dans la chambre en vis-à-vis, de la réaction anor-male de Jean Ch. Après s’être fait préciser le mode d’administration, FrançoiseG. lui demandait de verser le produit restant dans la perfusion et d’accélérer ledébit de celle-ci pour « rincer » les veines. Rapidement pris d’un malaise cardia-que, Jean Ch. devait décéder vers 13 h 30 malgré les efforts de réanimation aus-sitôt entrepris par Christiane L., les deux infirmières présentes et le médecin appeléen urgence.

L’expert

Le juge d’instruction avait désigné un expert. Celui-ci a confirmé l’extrêmedangerosité du chlorure de potassium, qui ne doit être injecté qu’en perfusionlente. La dose mortelle, lors d’une injection en intraveineux, est de 1 à 2 g. Dèslors, l’injection de 1,5 g est directement à l’origine de la mort du patient.

Les suites internes

S’agissant de l’étudiante, elle a été traduite devant le conseil de disciplinede l’IFSI. Celui-ci s’est prononcé le 29 avril 1977, et a décidé de ne pas prendrede sanction, pour

« une erreur commise dans une situation complexe ».

Françoise G. a fait l’objet d’une réaffectation, dans un autre service de laclinique. Quant à Isabelle C., la clinique indique qu’elle lui a fait part d’obser-vations écrites de réprimandes, ce que l’infirmière conteste.

II – L’arrêt rendu par la cour d’appel de Riom

S’agissant d’Isabelle C.

La cour retient qu’il ne peut être sérieusement reproché à Isabelle C., pré-sente depuis, 6 h 45, d’être allée déjeuner vers 12 h 30 après avoir passé desconsignes à sa collègue.

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En transmettant les consignes à sa collègue Françoise G. et en lui indiquantles actes restant à accomplir pour chaque patient et notamment le chlorure depotassium à administrer à Jean Ch., Isabelle C. s’est déchargée de toute respon-sabilité pour les actes devant être accomplis par sa collègue ou par l’élève infir-mière sous le contrôle de l’infirmière.

Son innocence est ainsi confirmée.

S’agissant de Christiane L., l’étudiante

Christiane L. a procédé à l’injection de chlorure de potassium, qui a direc-tement causé la mort du patient. Elle a pratiqué seule cet acte qui ne présentaitaucun caractère d’urgence.

Il appartenait à Christiane L., soit de prendre connaissance elle-même dela prescription médicale, soit de solliciter toutes explications utiles de la part del’infirmière, dès lors qu’elle ignorait le mode d’administration de chlorure depotassium.

Il lui appartenait également de lire les inscriptions présentes sur lesampoules de chlorure de potassium, lesquelles indiquaient :

« Ne pas injecterpur, IV stricte après dilution. Attention, solution hypertonique à employeravec précaution ».

Compte tenu de la compétence d’une étudiante-infirmière de troisièmeannée, des moyens dont elle disposait, des possibilités qu’elle avait de s’informer,Christiane L. n’a pas accompli toutes les diligences normales, et a ainsi causé lamort du patient.

La cour dès lors, réforme le jugement qui, lui, avait innocenté l’étudiante.Elle prononce une sanction de 3 mois d’emprisonnement avec sursis.

S’agissant de Françoise G.

Françoise G. n’a pas causé directement le dommage. Sa responsabilitépénale doit être analysée comme celle de l’auteur indirect, et doit apporter lapreuve d’une faute caractérisée.

Dès lors que les consignes lui avaient été transmises, ce qu’elle ne contestepas, Françoise G. demeurait responsable des actes à accomplir pour le suivi desmalades.

Mais la surveillance des actes accomplis par l’élève infirmière lui incombaitégalement, et en laissant l’élève infirmière procéder à l’administration d’unesubstance dangereuse à un patient hors de sa présence et sans s’être assurée quel’élève connaissait le mode opératoire à suivre, Françoise G. a délibérément violél’obligation de prudence et de sécurité prévue par l’article 31 du décret du16 février 1993. Ce non-respect délibéré des dispositions susvisées constitue en

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outre une faute caractérisée qui exposait Jean Ch. à un risque d’une particulièregravité.

Elle ne pouvait, en sa qualité d’infirmière diplômée d’État travaillant dansun service de cardiologie, ignorer les effets du chlorure de potassium et par consé-quent le risque qu’elle faisait courir à son patient en ne surveillant pas le travailde son élève.

Françoise G. ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant le faitqu’elle devait s’occuper d’un malade remontant du bloc opératoire. En outre,l’administration de chlorure de potassium au patient ne présentait aucun carac-tère d’urgence et pouvait être accomplie après que le nouveau patient eut étéinstallé dans sa chambre. De même, Françoise G. avait également la possibilitéde faire attendre son nouveau patient le temps de verser dans la perfusion deJean Ch. la seringue de chlorure de potassium ou d’être présente pendant quel’élève infirmière accomplissait ce geste qui ne devait pas l’occuper plus d’uneminute.

Il convient de relever que la chambre du nouveau patient était située justeen face de celle de Jean Ch. Même s’il est regrettable qu’une infirmière en stagen’ait pas été remplacée, Françoise G. ne peut justifier d’aucune impossibilitématérielle d’agir elle-même ou de surveiller l’élève infirmière. Elle disposait dela compétence et des moyens nécessaires à l’accomplissement de la tâche qu’ellen’a pas accomplie.

La cour réforme le jugement, qui avait innocenté Françoise G. La cour pro-nonce une sanction de huit mois d’emprisonnement avec sursis.

III – Les arguments de défense de Françoise G

L’étudiante n’a pas formé de pourvoit en cassation, acceptant ainsi la déci-sion rendue. En revanche, Françoise G. s’est pourvue en cassation. Elle présentesix moyens en défense, pour réclamer l’annulation de l’arrêt de la cour de Riom.

1 – La notion de surveillance des étudiants est définie en termes trop largespour répondre à la notion de faute caractérisée, qu’exige le code pénal dans cescirconstances

Seule la méconnaissance d’une obligation de prudence ou de sécurité revê-tant un caractère particulier est susceptible d’engager la responsabilité pénalede la personne poursuivie pour homicide involontaire n’ayant pas causé direc-tement de dommage. Or, l’article 31 du décret n

°

93-221 du 16 février 1993relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières est ainsi rédigé :

« L’infirmier ou l’infirmière chargé d’un rôle de coordination et d’encadrementveille à la bonne exécution des actes accomplis par les infirmiers, aides-

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soignants, auxiliaires de puériculture et par les étudiants infirmiers placés soussa responsabilité »

.

Il résulte de ces termes que l’obligation mise à la charge de l’infirmier oude l’infirmière chargé d’un rôle de coordination et d’encadrement est une obli-gation qui, n’étant pas définie en fonction de situations spécifiques, revêt uncaractère général et que, par conséquent, en estimant que sa méconnaissanceconstituait une faute caractérisée et devait entraîner la condamnation deFrançoise G., l’arrêt a violé, par fausse application, les dispositions combinéesdes articles 121-3 et 221-6 du Code pénal ;

2 – La cour n’a pas distingué les rôles respectifs de l’infirmière et du cadre

La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de pru-dence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, condition de la respon-sabilité pénale de la personne poursuivie du chef d’homicide involontairen’ayant pas causé directement le dommage en application de l’article 121-3, ali-néa 3 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, ne peutêtre retenue qu’à l’encontre de la personne à qui cette obligation incombe. Or,il résulte des termes de l’article 31 du décret n

°

93 – 21 du 16 février 1993 quel’obligation de veiller à la bonne exécution des actes accomplis par les élèvesinfirmiers incombe à l’infirmier chargé d’un rôle de coordination et d’encadre-ment.

Françoise G., dont il n’est pas discuté qu’elle n’a pas causé directement ledommage, étant simple infirmière diplômée d’État, n’était pas chargée d’un telrôle qui incombait en l’espèce à Florence J en sa qualité de surveillante du servicecardiologie. La cour d’appel, qui ne s’est pas expliquée sur ce point, et qui n’aau demeurant pas constaté que Françoise G. ait eu

« un rôle de coordination etd’encadrement »,

ne pouvait retenir que celle-ci avait délibérément violé l’obli-gation de prudence et de sécurité prévue par l’article 31 du décret susvisé.

3 – Le niveau de surveillance s’apprécie au regard des circonstances concrètes,et rien ne justifiait en l’occurrence une surveillance renforcée.

Le défaut de surveillance d’un élève infirmier par une personne à quiincombe cette surveillance aux termes de l’article 31 du décret du 16 février1993 ne constitue un manquement fautif qu’autant que cette surveillance estrendue nécessaire par le niveau de connaissances de l’élève et les circonstancesconcrètes de son intervention. Dans ses conclusions, Françoise G. invoquait lescirconstances de fait suivantes :

a) La feuille de prescriptions de docteur Sch. était clairement rédigée et nelaissait place à aucun doute sur le fait que les 4 g de chlorure de potassiumdevaient être administrés en perfusion et non en intraveineuse ;

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b) Isabelle C., infirmière présente dans le service jusqu’à midi trente, avantde transmettre les consignes à Françoise G. qui reprenait son service à 12 h 15,avait lu à l’infirmière stagiaire cette feuille de prescriptions et lui avait préciséqu’elle devait injecter le chlorure de potassium dans la perfusion, c’est-à-diredans le flacon ;

c) L’infirmière stagiaire – major de sa promotion et qui avait validé unmodule de cardiologie – connaissait nécessairement la dangerosité du potassiumet son mode d’administration ;

d) L’injection d’une dose de potassium dans un flacon de perfusion est unacte courant et banal.

Elle estime qu’il se déduisait de ces circonstances qu’aucune surveillanceparticulière de l’élève infirmière n’était normalement nécessaire de la part deFrançoise G. et que, dès lors, la cour ne pouvait retenir à son encontre une fauteconsistant en un défaut de surveillance, sans s’être préalablement expliquée surces arguments.

4 – La surveillance de l’infirmière n’était pas défaillante, compte tenu dece qu’était sa charge de travail

Seule la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière deprudence ou de sécurité peut engager la responsabilité pénale d’une personnepoursuivie pour homicide involontaire et n’ayant pas directement causé le dom-mage.

Le fait pour une infirmière se trouvant, comme l’ont constaté les premiersjuges, seule dans un service de cardiologie comportant 25 lits occupés par desmalades atteints de pathologies lourdes avec retours du bloc opératoire, de nepas avoir exercé simultanément de surveillance constante sur tous les faits etgestes d’une élève infirmière ayant déjà reçu des consignes avant qu’elle ait reprisson service, ne revêt pas un caractère manifestement délibéré contrairement àce qu’a estimé la cour d’appel.

5 – L’infirmière ne disposait pas des moyens adaptés pour accomplir lestâches qui lui incombaient.

Contrairement à ce qu’a estimé la cour, ne peut être considérée commedisposant des moyens propres à assurer dans des conditions convenables la tâchede surveillance d’une élève infirmière, l’infirmière diplômée d’État qui a seule lacharge de 25 lits dans un service de cardiologie comportant des malades atteintsde pathologies lourdes avec retours du bloc opératoire comme c’était le cas deFrançoise G.

6 – La cause du décès est le fait de l’étudiante, et les décisions postérieuresde l’infirmière ne peuvent être sanctionnées, dès lors que la dose mortelle avaitdéjà été injectée.

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La cour a déclaré Françoise G. coupable d’homicide involontaire auxmotifs qu’informée par l’élève infirmière que celle-ci avait pratiqué une injectionde chlorure de potassium en intraveineuse directe, Françoise G. ne s’est pasinquiétée, ne s’est pas rendue au chevet de Jean Ch. et a conseillé à l’élève infir-mière de verser le restant du chlorure de potassium dans la perfusion et d’enaccélérer le débit aggravant selon l’expert, le geste accompli par Christiane L.

Or, le délit d’homicide involontaire suppose l’existence d’un lien de cau-salité certain entre la faute retenue et le décès de la victime. Ainsi, la courd’appel, qui constatait que Christiane L. avait injecté en intraveineuse entre 1et 1,5 g de potassium à un malade de 74 ans atteint d’affections cardiaques qua-lifiées de lourdes, c’est-à-dire une dose nettement mortelle, ne pouvait, pourentrer en voie de condamnation à l’encontre de Françoise G., faire état de pré-tendus manquements postérieurs à l’administration de cette dose mortelle, seulecause certaine de la mort du malade ».

IV – La réponse de la Cour de cassation

Il résulte de l’arrêt attaqué, que Jean Ch., atteint d’affections cardiaques,a été admis dans le service de cardiologie d’une clinique pour y subir une coro-nographie sous anesthésie générale.

À l’issue de l’examen, le médecin lui a prescrit l’administration, en perfu-sion sur 24 heures, d’une solution glucosée d’un litre additionnée de quatregrammes de chlorure de potassium ; qu’une élève infirmière en stage lui a injectéle chlorure de potassium par voie intraveineuse directe, à l’aide du cathéter déjàen place, au lieu de procéder par perfusion, ce qui a provoqué le décès dupatient ;

Pour déclarer Françoise G., infirmière du service, coupable d’homicideinvolontaire, l’arrêt retient qu’elle venait d’assurer la relève de sa collègue,qui lui avait transmis les consignes, qu’il lui incombait de surveiller les actesaccomplis par l’élève infirmière et qu’elle disposait de la compétence et desmoyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission. La cour a égalementrelevé que l’administration du produit, ne présentant aucun caractère d’urgence,pouvait être différée jusqu’à ce que l’infirmière, occupée auprès d’un autrepatient, soit disponible pour agir elle-même ou surveiller le travail de l’élèveinfirmière.

La Cour a ajouté qu’en laissant celle-ci administrer une substance dan-gereuse à un patient, hors de sa présence et sans s’être assurée qu’elle connaissaitle mode opératoire, Françoise G. a commis une faute caractérisée ayantexposé le patient à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvaitignorer.

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Dés lors la cour d’appel a caractérisé les éléments constitutifs du délit, etn’avait pas davantage à répondre à des arguments de droit et de fait, ne remet-tant pas en cause cette démonstration.

En conclusion

Quelques enseignements de synthèse s’imposent.

– À partir du moment où l’étudiant infirmier pratique des soins, il engagesa responsabilité pénale. Il est juridiquement exposé, car auteur direct, sa res-ponsabilité peut être retenue pour toute faute, sans que soit exigé un degré degravité ;

– L’infirmière encadrante ne supporte pas les conséquences des fautes del’étudiant, mais celles de ses propres fautes, qui s’apprécient comme des man-quements à son devoir d’encadrement ;

– Il est possible de travailler en équipe avec des relations juridiques nettes,et, en l’espèce, tel est le cas entre Isabelle C. et Françoise R. après la transmissiondes informations et l’acceptation de la relève ;

– Non diplômé, l’étudiant n’en est pas moins placé en situation profes-sionnelle. Il doit faire preuve d’une attention et d’une prudence toute particu-lière, et demander des explications chaque fois qu’il s’estime insuffisammentéclairé.