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individuelle qu’il place à sa convenance. Une autre plus importante permet de préparer le dîner à l’abri des intempéries autour d’une table. Nos guitounes sont recouvertes d’une pellicule de neige au réveil, la preuve que le climat glacial d’hiver s’installe en altitude, brrrrr ! Le lendemain midi, nous sommes à Beni- Tajjite où débute le trajet sur piste, mais une coupure d’électricité empêche le fonctionnement des deux stations- services jusqu’à 14 h. Ce temps à profit permet de déjeuner, remplir les réserves d’eau, acheter du pain et des légumes frais. Dès l’arrivée du courant, je fais le plein du réservoir et des jerrycans. Cette première piste empruntée mène à la belle palmeraie de Takoumite, premier bivouac du désert. Au matin, nous passons à côté des ruines de Tazouguerte au bord de l’oued Guir que nous longeons d’abord avant de le traverser et mettre le cap plein sud, vers la frontière algérienne. Une roche foncée, presque noire, jalonne un paysage aride dépourvu d’arbres. Le franchissement de nombreux oueds ralentit notre progression, pourtant leurs crues deviennent rarissimes, et lorsqu’elles surviennent, la tenue en eau reste éphémère. Quelques bergers vivent encore dans ce milieu dont l’un de leurs abris nous procure à l’occasion de l’ombre pour déjeuner. Nous gardons à vue la falaise de l’hamada du Guir, puis l’arrivée sur un plateau nous rapproche de la cassure. La descente s’effectue par une piste technique avec de forts dénivelés. Nous remontons sur une terrasse « U n tel parcours est normalement préconisé pour deux véhicules minimum. Avec un 4x4 solo, celui-ci doit partir dans un parfait état mécanique et être doté d’un équipement saharien complet (snorkel avec filtre cyclonique, galerie grand raid dotée de six caisses en aluminium, cric Hi-Lift, pneus Cooper STT, quatre plaques de désensablement, réserves de carburant, eau et nourriture avec ustensiles de cuisine, trousse à pharmacie, téléphone satellite, navigation par tablette GPS…). L’équipage dont les membres ne se connaissent pas tous au départ forme le moteur existentiel du voyage. La recette de l’union se résume en quatre mots : curiosité, tolérance, entraide et humour. Ce cercle de cinq personnes est constitué par Jean- Charles, jeune retraité dynamique, Anne- Sophie, en quête d’emploi qui fête au retour ses 25 ans sur le bateau, Sullivan, animateur sportif et culturel au Club Med, Belgacem, retraité tunisien qui nous rejoint en avion au Maroc, et moi- même, fidèle reporter du magazine. On franchit l’oued Guir L’itinéraire routier de Tanger au désert nous oblige la nuit venue à camper dans le Moyen-Atlas. Chacun dispose d’une tente R éalisé en douze jours avec un seul véhicule et cinq personnes à bord, ce raid saharien d’est en ouest traverse les principaux ergs du Maroc et se termine en longeant l’océan après avoir été brinquebalées pendant environ 1500 km. La première partie débute à Beni Tajjite pour s’achever à Mhamid. Par Antoine Sigogneau CARNET DE VOYAGE 26 27 4x4 Mondial N°130 4x4 Mondial N°128 26 27 27 4x4 Mondial N°130 La Traversée du grand sud (1) ou le Sahara du Tafilalt z Une amicale rencontre qui se prolonge par quelques verres de thé. z Bivouac dans l’erg Chebbi. Un silence assourdissant. z En l’absence de pelle, il faut parfois creuser avec les doigts. z La cassure du plateau.

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individuelle qu’il place à sa convenance. Une autre plus importante permet de préparer le dîner à l’abri des intempéries autour d’une table. Nos guitounes sont recouvertes d’une pellicule de neige au réveil, la preuve que le climat glacial d’hiver s’installe en altitude, brrrrr ! Le lendemain midi, nous sommes à Beni-Tajjite où débute le trajet sur piste, mais une coupure d’électricité empêche le fonctionnement des deux stations-services jusqu’à 14 h. Ce temps à profit permet de déjeuner, remplir les réserves d’eau, acheter du pain et des légumes frais. Dès l’arrivée du courant, je fais le plein du réservoir et des jerrycans. Cette première piste empruntée mène à la belle palmeraie de Takoumite, premier

bivouac du désert. Au matin, nous passons à côté des ruines de Tazouguerte au bord de l’oued Guir que nous longeons d’abord avant de le traverser et mettre le cap plein sud, vers la frontière algérienne. Une roche foncée, presque noire, jalonne un paysage aride dépourvu d’arbres. Le franchissement de nombreux oueds ralentit notre progression, pourtant leurs crues deviennent rarissimes, et

lorsqu’elles surviennent, la tenue en eau reste éphémère. Quelques bergers vivent encore dans ce milieu dont l’un de leurs abris nous procure à l’occasion de l’ombre pour déjeuner. Nous gardons à vue la falaise de l’hamada du Guir, puis l’arrivée sur un plateau nous rapproche de la cassure. La descente s’effectue par une piste technique avec de forts dénivelés. Nous remontons sur une terrasse

«Un tel parcours est normalement préconisé pour deux véhicules minimum.

Avec un 4x4 solo, celui-ci doit partir dans un parfait état mécanique et être doté d’un équipement saharien complet (snorkel avec filtre cyclonique, galerie grand raid dotée de six caisses en aluminium, cric Hi-Lift, pneus Cooper STT, quatre plaques de désensablement, réserves de carburant, eau et nourriture avec ustensiles de cuisine, trousse à pharmacie, téléphone satellite, navigation par tablette GPS…). L’équipage dont les membres ne se connaissent pas tous au départ forme le moteur existentiel du

voyage. La recette de l’union se résume en quatre mots : curiosité, tolérance, entraide et humour. Ce cercle de cinq personnes est constitué par Jean-Charles, jeune retraité dynamique, Anne-Sophie, en quête d’emploi qui fête au retour ses 25 ans sur le bateau, Sullivan, animateur sportif et culturel au Club Med, Belgacem, retraité tunisien qui nous

rejoint en avion au Maroc, et moi-même, fidèle reporter du magazine.

On franchit l’oued GuirL’itinéraire routier de Tanger au désert nous oblige la nuit venue à camper dans le Moyen-Atlas. Chacun dispose d’une tente

R éalisé en douze jours avec un seul véhicule et cinq personnes à bord, ce raid saharien d’est en ouest traverse les principaux ergs

du Maroc et se termine en longeant l’océan après avoir été brinquebalées pendant environ 1500

km. La première partie débute à Beni Tajjite pour s’achever à Mhamid. Par Antoine Sigogneau

CARNET DE VOYAGE

26 274x4 Mondial N°130 4x4 Mondial N°12826 27274x4 Mondial N°130

La Traversée du grand sud (1) ou le Saharadu Tafilalt

z Une amicale rencontre qui se prolonge par quelques verres

de thé.

z Bivouac dans l’erg Chebbi. Un silence assourdissant.

z En l’absence de pelle, il faut parfois creuser avec les doigts.

z La cassure du plateau.

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- Traversées maritimes par www.euromer.net Tél : 04 67 65 67 30- Le Tome II Pistes du Maroc de Jacques Gandini fournit tous les points essentiels de cette grande traversée. Le titre de ce périple lui revient aussi. J’ai utilisé dans l’ordre et en partie les itinéraires du GT1, L6, GT2, J8, J1, GT3, GT5, A2a, A1a. - Cartes : Michelin 742 ; GPS Globe.

Informations pratiques

intermédiaire en face de la dent de la Gara Tout Lioudou que nous devons contourner avant de prendre le cap sud-est.

L’Algérie n’est pas loinNous sommes au sud du Jebel Bou Tadmart (1130 m). Le passage à proximité immédiate de la falaise offre un panorama remarquable, d’autant plus que l’on peut suivre la bordure pendant plusieurs kilomètres. Par contre, nous ne faisons pas le détour par la nécropole d’Hassi Beraber, non par désintérêt, mais afin d’éviter de nous justifier auprès des militaires sur cette position pratiquement située sur la frontière. L’après-midi est

déjà bien entamé, or nous cherchons un bivouac abrité par de la verdure. Le bel oasis d’Hassi Talrhemt correspond parfaitement à notre attente. On y trouve un puits bien

entretenu équipé d’une pompe à main avec de l’eau à deux mètres, des lauriers roses et de nombreux palmiers s’épanouissent à côté. Nous campons dans la partie la plus dense de cet opportun coupe-vent végétal. Le lendemain matin, je salue d’abord, puis observe un homme venu avec un vélo remplir un bidon au puits. Il m’invite à venir boire le thé chez lui sous la tente berbère. Lorsque nous arrivons, trois femmes avec des petits enfants sont aussi sous la tente. Notre hôte offre des amandes à grignoter avec le thé. Il ne nous propose rien à vendre, il souhaite simplement discuter et plus particulièrement avec Belgacem qui s’exprime avec lui en arabe. Nous laissons en partant quelques antalgiques

et du collyre pour soigner la famille. Après l’oasis, le sable imprègne davantage le paysage. Sa densité augmente encore au village de Tisserdimine où un habitant donne de la farine à Belgacem dans la perspective de faire cuire ce soir du pain dans le sable. Nous arrivons en vue des premières dunes de l’erg Chebbi.

Le coupé de l’erg Chebbi Ce petit erg de 28 km de long et 7 de large détient les plus hautes dunes du Maroc. Il constitue la grande curiosité touristique de la région qui devient le passage incontournable des agences spécialisées dans le «Grand Sud». C’est justement pour éviter l’éventuelle affluence de périphérie que nous voulons pénétrer au centre et tracer une diagonale dans sa partie la plus longue. L’idée peut sembler téméraire avec un seul véhicule lourdement chargé, de plus sans la pelle à sable que j’ai oubliée en France, nous n’avons que nos mains pour creuser en cas de besoin. Heureusement, le plantage ne s’est présenté qu’une seule fois, le Def posé sur une crête. Le soir venu, nous dressons le bivouac au milieu des dunes. Belgacem démarre un feu avec le bois entreposé dans une bâche sur la galerie, puis prépare la galette qu’il dépose dans un lit de braise et de sable. Nous mangeons du pain chaud au dîner. Le lendemain matin, le Land parvient sans encombre jusqu’au pied de la grande dune de Lalla Merzouga, l’ascension du

must ne pouvant s’obtenir que par la force des mollets.

Taouz – ZagoraLe goudron va désormais jusqu’à Taouz via Merzouga, ce qui favorise les implantations d’infrastructures touristiques dans le secteur. Cet

itinéraire peut être emprunté par des véhicules d’agences avec, par endroits, une floraison d’auberges. Une piste poussiéreuse défoncée par des camions

miniers dessert la première partie du parcours le long de l’oued Ziz. Nous nous arrêtons prendre une douche chaude chez Zaid, une auberge de l’Erg Ouzina où nous mangeons un tajine et campons à proximité. Evidement, j’improvise une virée découverte dans l’erg au matin. Il ne s’étale que sur une petite superficie à flanc de relief mais exhibe pourtant quelques dunes bien formées avec de belles arêtes. Nous descendons ensuite dans une grande sebkha, puis nous atteignons le jebel de Tizi Ahanou aux flancs recouverts de sable avant de rejoindre l’immense cuvette en pente douce du maader de Tafraout des Kem-Kem. Un peu plus loin dans une passe

z Vue sur la vallée de l’assif n’Ourti.

CARNET DE VOYAGE

28 294x4 Mondial N°130

z Ksar d’Ahandar aujourd’hui abandonné. Il est difficile d’imaginer qu’il y a eu de la

vie à l’intérieur des murs.

z La grande tente sert d’abri en cas d’intempéries.

z Pause déjeuner sous le seul acacia du coin.

4x4 Mondial N°130

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sableuse proche de la Gara es Sbaa, la rencontre impromptue d’un qatari avec son chauffeur permet de nous faire offrir le thé, cet homme de haut rang est venu s’assurer de la réimplantation d’une espèce d’oiseau qu’il souhaite chasser avec des faucons dressés.

Un crochet par Tazzarine A partir d’Oumjrane, le cap prend la direction de Tazzarine. Nous avançons dans le lit de l’oued El Fecht jusqu’à l’ancienne palmeraie abandonnée d’Aït Ouazza pour installer le bivouac. Le lendemain, l’itinéraire emprunte toujours l’oued. Sur la rive, se distingue d’abord le village d’El Fecht équipé de plusieurs puits dotés de pompes. Puis, le lit côtoie l’ancien ksar en ruine d’Ahandar avec sa palmeraie abandonnée. Nous parcourons les ruelles souvent chargées d’éboulis. De grands édifices dotés de quatre tours carrées sont encore debout. Nous entrons à l’intérieur des bâtiments les mieux conservés dont certaines pièces consolidées par des piliers en arcade. A partir de Tazzarine, notre cap vire au sud-ouest visant la partie sud du jebel Sarhro. Après la pause déjeuner, nous sommes

en quête de pain dans le village de Tanoumrit lorsqu’un habitant nous invite chez lui nous offrant des galettes et même des dattes pour puiser l’énergie nécessaire au voyage. A moins d’une lieue du village, des gravures rupestres sur dalle au trait profond suscitent l’observation cent mètres en surplomb de la piste. Elles représentent les animaux locaux de l’époque et une tête humaine avec des yeux en spirale. Le Land franchit après le col de Tizi n’Tanekfout (1188 m.) et bascule dans la belle vallée de l’assif

n’Ourti par une longue descente sur une piste taillée dans le flanc de la montagne. En bas, une palmeraie bordant l’oued élargi tombe à point nommé pour établir le bivouac. Le soleil flamboie la vallée dominée au nord-est par le jebel Ouamerzemlal (1641 m). Le lendemain, nous traversons l’assif et continuons à le suivre sur l’autre rive jusqu’au village de Touna n’Iarabène. Là, nous cherchons au plus direct à joindre la route de Zagora qui nous mènera à Mhamid.» z

«La générosité des Marocains est sans égale. Des bédouins nous offrirent du thé et des cacahouètes sous leur tente,

assis sur des tapis berbères et des coussins. D’autres, nous donnèrent selon les cas, de la farine, du pain ou des dattes. Certains pêcheurs de l’Atlantique nous firent partager ce qu’ils possédaient en thé et en nourriture. J’apprécie aussi les paysages montagneux, les oueds immenses tant en largeur qu’en longueur, souvent bordés d’acacias, de tamaris, avec des palmeraies et autres arbustes

qui constituent une variété d’arbres du

désert plus importante qu’en Tunisie. On peut également trouver des espèces marines fossilisées dans les vallées

et sur les plateaux. Les dépressions forment des Sebkhas à perte de vue où les mirages sont visibles même en saison fraîche. Au Maroc, la frontière pourtant imprécise avec l’Algérie ne freine pas son approche si l’on accepte de se plier à de rapides contrôles militaires. De plus, aucun critère particulier n’est exigé pour bourlinguer dans le désert marocain. Si je compare avec la Tunisie où l’accès au Sahara est soumis à des autorisations coûteuses et contraignantes avec 2 ou 4 véhicules minimum selon la zone, je trouve cette obligation contre nature qui ruine le tourisme saharien dans mon pays. Avec Antoine, j’ai couru

l’ensemble du Maghreb désertique avec son seul véhicule,

et tout s’est toujours bien passé.»

Les impressions de Belgacem, guide saharien tunisien

CARNET DE VOYAGE

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z Le désert peut rendre ivre…