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Les « valeurs », terrain de substitution à l’entreprise ? De plus en plus de jeunes semblent « préférer » une précarité semblant pouvoir se conjuguer avec altruisme et probité plutôt qu’avec sujétion et compromis. Orphelins des organisations politique ou syndicales, peu pressés de se plier aux oukases d’entreprises perçues dénuées de sens et d’éthique, ils font preuve de réalisme. Une stratégie comme une autre de manifester leur volonté de se faire reconnaître, d’être visibles, audibles et écoutés, tout en rejoignant un secteur en voie de professionnalisation… Jeunes et entreprises entre des ententes et désententes Pour l’employeur, le jeune diplômé est tout à la fois un eldorado à s’approprier et une charge à alléger ; un risque incontournable mais à limiter ; bref, et pour reprendre le titre d’un colloque organisé par des étudiants en management des ressources humaines, l’occasion d’un formidable « je t’aime, moi non plus ». Dans ce contexte, la stratégie des stages à gogo a soulevé plus de tollé que de louanges et a fini par transformer une certaine distance en une rupture quasi certaine. Aujourd’hui, le Medef tente de renouer les fils et en appelle à un changement d’attitude. Un empressement qui ne saurait laisser le syndicalisme indifférent. Action, syndicalisme : besoins et modes d’engagement La récession aggrave la fragilité des jeunes, qu’ils soient étudiants, en recherche d’emploi ou dans l’entreprise. Cette situation renforce plus encore les responsabilités du syndicalisme à leur égard. Comment être l’outil pertinent qui leur offre les moyens de s’engager collectivement, sur des modes par eux choisis, en convergence avec les préoccupations des autres salariés ? La question est au cœur de la préparation du 49 e Congrès de la Cgt, et l’Ugict en éclaire quelques aspects. 18 OPTIONS N° 549 / SEPTEMBRE 2009 SOMMAIRE JEUNES DIPLÔMÉES : APRÈS QUOI COURENT-ELLES ? PAGES 19-21 REPÈRES PAGE 22 POINT DE VUE D’EMMANUEL SULZER : FEMMES, UN FORT ATTACHEMENT AU SALAIRE PAGE 23 JEUNESSE : ÉTUDES, EMPLOI, INVESTISSEMENTS PAGES 24-25 JEUNES, ENTREPRISES : ENTRE DES ENTENTES ET DÉSENTENTES PAGES 26-27 TABLE RONDE PAGES 28-31 JEUNESSE diplômé e s Emploi Côté

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18 OPTIONS N° 549 / SEPTEMBRE 2009 Action, syndicalisme : besoins et modes d’engagement Jeunes et entreprises entre des ententes et désententes Les « valeurs », terrain de substitution à l’entreprise ? SOMMAIRE … Sur fond de précarité généralisée et de baisse des salaires à tout va, l’engouement des jeunes diplômés pour un départ en mission dans les grandes associations humanitaires se confirme mois après mois. Parmi eux, une majorité de jeunes femmes. MICHEL VIALA / MAXPPP

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Les « valeurs », terrain de substitution à l’entreprise ?De plus en plus de jeunes semblent « préférer » une précarité semblant pouvoir se conjuguer avec altruisme et probité plutôt qu’avec sujétion et compromis. Orphelins des organisations politique ou syndicales, peu pressés de se plier aux oukases d’entreprises perçues dénuées de sens et d’éthique, ils font preuve de réalisme. Une stratégie comme une autre de manifester leur volonté de se faire reconnaître, d’être visibles, audibles et écoutés, tout en rejoignant un secteur en voie de professionnalisation…

Jeunes et entreprises entre des ententes et désententesPour l’employeur, le jeune diplômé est tout à la fois un eldorado à s’approprier et une charge à alléger ; un risque incontournable mais à limiter ; bref, et pour reprendre le titre d’un colloque organisé par des étudiants en management des ressources humaines, l’occasion d’un formidable « je t’aime, moi non plus ». Dans ce contexte, la stratégie des stages à gogo a soulevé plus de tollé que de louanges et a fini par transformer une certaine distance en une rupture quasi certaine. Aujourd’hui, le Medef tente de renouer les fils et en appelle à un changement d’attitude. Un empressement qui ne saurait laisser le syndicalisme indifférent.

Action, syndicalisme : besoins et modes d’engagementLa récession aggrave la fragilité des jeunes, qu’ils soient étudiants, en recherche d’emploi ou dans l’entreprise. Cette situation renforce plus encore les responsabilités du syndicalisme à leur égard. Comment être l’outil pertinent qui leur offre les moyens de s’engager collectivement, sur des modes par eux choisis, en convergence avec les préoccupations des autres salariés ? La question est au cœur de la préparation du 49e Congrès de la Cgt, et l’Ugict en éclaire quelques aspects.

18 OPTIONS N° 549 / SEPTEMBRE 2009

S O M M A I R E

JEUNES DIPLÔMÉES : APRÈS QUOI COURENT-ELLES ?PAGES 19-21

REPÈRES PAGE 22

POINT DE VUE D’EMMANUEL SULZER :FEMMES, UN FORT ATTACHEMENT AU SALAIREPAGE 23

JEUNESSE : ÉTUDES, EMPLOI, INVESTISSEMENTSPAGES 24-25

JEUNES, ENTREPRISES : ENTRE DES ENTENTES ET DÉSENTENTESPAGES 26-27

TABLE RONDE PAGES 28-31

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Au premier rang, au deuxième, au troisième rang ; jusqu’au bout de la salle, presque que des jeunes diplômées… Deux fois par mois, Médecins sans frontières organise des réunions d’information pour tous ceux qui voudraient, un jour ou l’autre, s’employer dans l’une ou l’autre de ses missions. Ce soir-là encore, infirmières en formation, médecins en devenir, psychologues, spécialistes en gestion ou universitaires de tout poil, elles forment l’essentiel de l’assistance. Un petit film vient d’être projeté. Derrière le visage des enfants du Darfour et de Colombie, les plaies des femmes pakistanaises, birmanes ou palesti-

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Sur fond de précarité généralisée et de baisse des salaires à tout va, l’engouement des jeunes diplômés pour un départ en mission dans les grandes associations humanitaires se confirme mois après mois. Parmi eux, une majorité de jeunes femmes.

niennes, c’est le profil des candidats recherchés qui se précise. Pour rejoindre les effectifs de cette Ong qui, en 1999, a reçu le prix Nobel de la paix, le message est clair : il faut avoir plus d’une qualité à proposer. Si des aptitudes en organisation, en gestion ou de sérieuses compétences médicales sont indispensables pour poser sa candidature, elles ne suffisent pas à rejoindre les équipes de l’association. Il faut aussi être « généreux », « dis-ponible », « débrouillard » ; il faut ne pas avoir froid aux yeux, être à l’aise, à l’écoute de l’autre… Il faut, enfin, ne pas être trop gourmand.Aux postulants à un emploi de « volontaire » à

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qui elle s’adresse, la responsable de recrutement mobilisée pour la soirée n’y va, en effet, pas par quatre chemins : « 736 euros par mois pour un contrat de trois à six mois non salarié sera la rémunération à laquelle les débutants pourront prétendre. Vous serez défrayés, nourris, logés, mais vous ne devrez pas compter votre temps. De week-end, vous n’en aurez pas. Sachez par contre que Msf s’engage à vous acheminer vers la zone sécure la plus proche une semaine tous les trois mois pour que vous puissiez faire un break… » Ailleurs, un autre soir, de tels propos auraient peut-être fait réagir. De réaction de la salle, ce jour-là, en tout cas, point. Des préoccupations d’une tout autre nature, en revanche, se font jour : tel ou tel diplôme pourra-t-il convaincre l’Ong de faire une première expérience ? La maî-trise de l’anglais est-elle impérative pour poser sa candidature ?…Combien sont-elles, chaque année, à se laisser tenter par de telles conditions d’emploi ? Nul ne le sait avec précision. Seule certitude : sur fond de précarité généralisée et de baisse des salaires à tout va, l’engouement des jeunes diplômés pour un départ en mission dans les grandes associations humanitaires se confirme mois après mois. Eric Bordeaux-Montrieux est le res-ponsable de la Plate-forme de l’emploi solidaire. A ce titre, il a en charge la seule structure qui, en France, s’attache à informer et accompagner les candidats à l’emploi vers le secteur des Ong.

Des postulants, il en reçoit chaque année un peu plus : « Cette année, j’en ai accueilli plus de huit cents ; parmi eux, une majorité de jeunes femmes. Des jeunes de mieux en mieux formées, titulaires dans leur plus grande majorité d’un titre de l’en-seignement supérieur, voire de grandes écoles ; des candidats, poursuit-il, dotés au minimum d’un bac plus quatre, voire d’un bac plus cinq, et prêts à se plier à des conditions de recrutement de plus en plus sévères pour parvenir à leurs fins. Tous affichaient la même ambition : d’abord et avant tout, donner un sens à leur travail. »Il y encore quelques mois, Céline Pérez, jeune diplômée d’une école de commerce et titulaire d’un Dess en management, était chef de produit pour une grande marque d’habillement. A vingt-huit ans, avec 40 000 euros par an, elle gagnait très bien sa vie. En septembre 2008, pourtant, elle a décidé de tout plaquer : son emploi, sa carrière et son salaire pour tenter sa chance dans le secteur des Ong. « J’aurais pu continuer à faire du business. Seulement voilà, ce que je voyais a fini par me devenir insupportable. Comme chef de produit, je voyageais beaucoup en Asie pour y négocier des contrats de fabrication avec nos four-nisseurs. Quand je débarquais à l’aéroport, un taxi m’attendait. J’étais protégée de la misère qui m’entourait : des enfants des rues, des mendiants, des prostituées. » De tout, sauf des conditions de travail dans les usines partenaires. « Ce que je voyais dans les entreprises avec qui je faisais affaire était terrifiant. Au Bengladesh, surtout. Et encore ne nous laissait-on entrevoir que ce que l’on avait bien envie de nous montrer. Ce vide éthique qui m’entourait a fini par me devenir insoutenable. Le système auquel je participais, système qui ne respecte ni les salariés, ni aucune des parties prenantes auxquelles il a affaire, m’est devenu odieux. » Il y a quelques mois, Céline Pérez a entamé une formation à l’Institut de rela-tions internationales et stratégiques. Objectif : décrocher un mastère susceptible de lui per-mettre de travailler dans une Ong pour être « plus en phase avec [ses] convictions ». Pour « être avec les gens », avec ceux qui, dit-elle, « structurent [sa] vie ». Et tant pis si les conditions d’emploi sont moins bonnes que précédemment. Tant pis si son salaire doit baisser. Entre la carrière et « le sens [qu’elle peut] donner à [son] investissement professionnel », Céline Pérez dit avoir choisi.Un parcours hors du commun. Mais de plus en plus nombreux sont les jeunes qui suivent cette voie : préférer une précarité semblant pouvoir se conjuguer avec altruisme et probité plutôt qu’avec sujétion et compromis. Orphelins des organisations politiques ou syndicales, beau-coup imaginent souvent n’avoir d’autre solution que de postuler dans les associations d’urgence internationale pour affirmer leur engagement.

Jeunes diplômées : après quoi courent-elles ?

Objectif : décrocher un mastère susceptible de permettre de travailler dans une Ong pour être « plus en phase avec ses convictions ». Pour « être avec les gens »…

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Sophie Alary exerce maintenant à Paris comme cadre dans une grande association de l’écono-mie sociale et solidaire. Il y a quinze ans, son diplôme d’école de commerce en poche, la jeune étudiante qu’elle était a entamé un périple sur quelques-uns des fronts les plus chauds de la planète : en Croatie, au Cambodge, en Rdc, au Libéria, au Liban ou encore en Palestine, tout simplement, raconte-t-elle, pour pouvoir « agir ». « Des possibilités de conjuguer engagement social et professionnel, je ne connaissais à dix-huit ou vingt ans que celles dont parlaient les médias : l’humanitaire. Les Ong m’apparaissaient être le seul lieu où il était possible de rencontrer des gens comme moi qui voulaient faire avancer les choses et les changer. Très franchement, il m’a fallu aller à l’étranger, rencontrer des expatriés pour pren-dre conscience que je n’étais pas seule à vouloir défendre une autre conception de la société. C’est à l’autre bout du monde que des adultes m’ont confirmé l’importance du lien entre droits fonda-mentaux et droits politiques, droits politiques et droits sociaux », confie-t-elle. « Serais-je restée si longtemps hors de France si j’avais croisé, à vingt ans, des personnes susceptibles de m’aider à com-prendre cette réalité ? Je ne le pense pas. »Bien sûr, la tentation est grande d’apprécier la surreprésentation des jeunes diplômés de sexe féminin dans les organisations humanitaires à l’aune de la présence massive des femmes dans le secteur sanitaire et social. La comparaison,

pourtant, s’arrête là. Le prestige d’un emploi en Ong, en effet, n’a d’égal que la déconsidération qui pèse sur les professionnels du travail social. Travailler chez Oxfam, la Croix-Rouge ou pour Médecins du monde, c’est pouvoir dire que l’« on y était ». C’est pouvoir affirmer sa légiti-mité à agir, à s’exprimer, à intervenir dans la marche du monde. « Combien de temps faut-il aux jeunes pour être entendus et prendre des responsabilités dans les entreprises ? demande Sophie Alary. En Ong, aussitôt descendu de l’avion, on attend de vous que vous vous impli-quiez. Le travail se fait en équipe et chacun a droit de cité », assure-t-elle.Etre visible, audible et écouté : et si, en s’enga-geant en masse dans les carrières humanitaires, les jeunes adressaient à la société un message beaucoup plus important qu’il n’y paraît ? S’ils exprimaient autre chose qu’une mode ? Tout au contraire, une critique acerbe de leurs condi-tions d’insertion dans le monde du travail, « dans le monde des adultes », comme le suggère Hélène Alexandre, responsable d’études à l’Apec ? « Impossible, estime cette spécialiste de l’em-ploi, d’analyser l’engouement des jeunes pour l’humanitaire sans revenir sur leurs difficultés à se faire une place dans la société. Décrocher un emploi, disposer d’un salaire pour devenir indé-pendant relèvent pour beaucoup encore d’une véritable course d’obstacles. En choisissant de postuler dans les Ong, les jeunes, je crois, font tout simplement preuve de réalisme. Le secteur recrute, il se structure, se professionnalise et réclame des compétences. Il offre aux jeunes des responsabi-lités sans devoir attendre des mois et des années que leur employeur les juge dignes de les assumer. Derrière la justification qu’ils peuvent donner à leur choix d’orientation, peut-être est-ce simple-ment une volonté de se faire reconnaître qu’ils expriment… » Est-ce pour les mêmes raisons que de plus en plus de quinquagénaires se laissent tenter par l’aventure humanitaire ? A voir…

Martine HASSOUN

LE SECTEUR RECRUTE, IL SE STRUCTURE, SE PROFESSIONNALISE ET RÉCLAME DES COMPÉTENCES. IL OFFRE AUX JEUNES DES RESPONSABILITÉS SANS DEVOIR ATTENDRE DES MOIS ET DES ANNÉES QUE LEUR EMPLOYEUR LES JUGE DIGNES DE LES ASSUMER.

La tentation est grande d’apprécier la surreprésentation des jeunes diplômés de sexe féminin dans les organisations humanitaires à l’aune de la présence massive des femmes dans le secteur sanitaire et social. La comparaison, pourtant, s’arrête là. Le prestige d’un emploi en Ong, en effet, n’a d’égal que la déconsidération qui pèse sur les professionnels du travail social.

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DEVENIR ADULTE, SOCIOLOGIE COMPARÉE DE LA JEUNESSE EN EUROPE, Cécile Van De Velde, Puf, 2008.

LES JEUNES, PREMIÈRES VICTIMES DE LA CRISE, revue Problèmes économiques, La Documentation française, mai 2009.

LES JEUNES, Olivier Galland, collection Repères, éditions La Découverte, juin 2009.

ENTRE FAMILLE ET TRAVAIL, Ariane Pailhé et Anne Solaz, collection Recherches, éditions La Découverte, avril 2009.

biblio

REPÈRES

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web<www.ugict.cgt.fr>, rubrique « Syndicalisme » puis « Jeunes diplômés ».<www.apec.fr>, rubrique « Jeunes diplômés » : profils recherchés, situation des jeunes diplômés.<www.afij.org>, le site de l’Association pour faciliter l’insertion des jeunes diplômés. A consulter notamment la lettre « Emploi ».<www.grandesecolesaufeminin. net> : au cours du mois de septembre seront disponibles les résultats d’une enquête sur les différents dispositifs destinés à favoriser la mixité des équipes dirigeantes.<www.cereq.fr> : consulter en particulier les résultats de l’enquête « Génération 2004 » comparant notamment la situation hommes/femmes dès la première embauche et à niveau de diplôme équivalent.

Chaque année, la Conférence des grandes écoles (Cge), association de 186 grandes écoles d’in-génieurs et de management, sanctionnant au moins cinq ans d’études après le bac, réalise une enquête sur l’insertion des jeunes diplô-més : 65 000 sont potentiellement concernés. La 17e enquête du genre, réalisée aux mois de janvier et février 2009, montre que, en dépit de la crise, la situation de ces jeunes reste relative-ment favorable avec un taux d’emploi de 85 %. Plus précisément, 83 % d’entre eux ont trouvé un emploi moins de deux mois après la sortie de l’école, même si, pour cela, ils ont dû consentir des efforts salariaux. C’est moins qu’au cours des deux dernières années, mais cela reflète la tendance enregistrée en 2006. Mais les jeunes femmes, en particulier celles qui sont diplômées des écoles d’ingénieurs, connaissent des condi-

tions d’insertion plus difficiles. Exemple : 22 % de celles issues des écoles d’ingénieurs les plus fémi-nisées étaient à la recherche d’un emploi en jan-vier 2009, contre 15 % des jeunes hommes. Et si les écarts sont plus faibles pour les diplômés des écoles de management, ils existent aussi : 17,7 % des femmes recherchent un emploi contre 14,7 % des hommes. Et lorsqu’elles ont un emploi, elles sont moins souvent en Cdi (70,7 % contre 83,2 %). Sur le front des salaires aussi, les inégalités sont fortes. Les jeunes femmes diplômées perçoivent en moyenne 2 000 euros de moins par an, en salaire brut hors primes, auxquels il faut encore retrancher environ 1 000 euros de primes par an. Pour la Cge, les primes constituent d’ailleurs un facteur aggravant de l’inégalité de traitement selon le sexe, et ce, quel que soit le type d’école.En savoir plus sur <www.cge.asso.fr>.

INSERTIONDes conditions plus difficiles pour les femmes

RECRUTEMENTLes jeunes cadres plutôt privilégiés…Si la tendance enregistrée sur le taux d’emploi reflète la baisse des embauches au cours de ces derniers mois, la situation n’est pas prête de se redresser. Ainsi, le baromètre Apec (Association pour l’emploi des cadres) du troisième trimestre 2009 confirme la dégradation du marché de l’emploi : seules 35 % des entreprises interrogées prévoient en effet de recruter au moins un cadre au cours des trois prochains mois ; 44 % étaient dans ce cas de figure il y a un an. A l’exception du médico-social, tous les secteurs sont concernés par cette baisse. Dans ce contexte, la situation

des jeunes diplômés est jugée « fort délicate » par l’Apec. A peine un tiers des entreprises qui recru-tent sont prêtes à les accueillir, contre 48 % il y a deux ans. Seuls les services informatiques leur restent ouverts (58 %), mais avec des volumes d’embauche nettement moins élevés que lors des années précédentes. Dans les mois qui vien-nent, alors que les jeunes diplômés s’apprêtent à entrer sur le marché du travail, les entreprises semblent vouloir leur préférer les jeunes cadres, ceux dont l’expérience est comprise entre un et dix ans.

Une autre étude, réalisée par l’Afij (Association pour faciliter l’insertion des jeunes diplômés) au printemps 2009, livre en revanche des résultats beaucoup moins favorables, hommes et femmes compris. Il faut dire que le champ de l’enquête est très différent de celle réalisée par la conférence des grandes écoles : elle porte sur un échantillon de 1 241 inscrits à l’Afij, diplômés en 2008 : 21 % de bac plus deux, 16 % de licence, 6 % de mastère 1, 1,56 % de mastère 2… Pour eux, globalement, la situation est plus critique puisqu’ils sont moins de 40 % à avoir un emploi au mois d’avril 2009. Certes, les postes occupés sont majoritairement

des emplois stables et à temps plein. Mais, dans la moitié des cas, les jeunes diplômés affirment occuper un emploi d’attente. Ils sont aussi 20 % à avoir obtenu un emploi à temps partiel, une situation subie dans huit cas sur dix. La question, cruciale, de leurs ressources n’incite pas non plus à l’optimisme. L’enquête de l’Afij montre ainsi qu’ils sont presque la moitié (47 % exactement) à pouvoir vivre grâce au soutien financier de leurs proches. Par ailleurs, 17 % de ces jeunes diplômés sont bénéficiaires de l’allocation chômage et 14 % sont, au moment de l’enquête, allocataires du revenu minimum d’insertion.

RESSOURCESLe nécessaire soutien parental

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« Sur l’initiative de la Fondation pour l’innova-tion politique, a été menée une enquête inter-nationale sur les jeunesses face à l’avenir (2), une enquête extrêmement large traitant à la fois de la vie personnelle et de la vie professionnelle. Au Céreq, nous avons travaillé sur la partie concer-nant le rapport de ces jeunes au travail et à l’em-ploi sur la base d’un certain nombre d’“items” : la place du travail dans la vie, ce que les jeunes en attendent, le type d’emplois qu’ils espèrent occuper… Une étude originale dans la mesure où elle concerne non pas une génération, mais une classe d’âge, les 16-29 ans, ce qui implique une jeunesse encore scolarisée ou déjà sur le marché du travail.» Pour être très général, les clivages entre les différents pays sont assez forts : le rapport au travail et à l’emploi est globalement structuré par des éléments nationaux comme, par exemple, le rôle du diplôme. Dit autrement, le rapport des jeunes de chaque pays à l’emploi est, dans l’en-semble, davantage lié au contexte dans lequel ils évoluent qu’à leur génération. Cela étant posé, et de manière un peu contradictoire, il apparaît que la question du sexe est moins affectée par les spécificités sociétales : les différences entre les jeunes hommes et les jeunes femmes, sources d’inégalités et de discriminations, transcendent les clivages nationaux.» En permettant une comparaison entre les classes d’âge, cette enquête montre que la repré-sentation implicite de l’emploi féminin est en train de se déliter dans les jeunes générations. Alors que la question de la rémunération est tradition-nellement un item masculin, les jeunes femmes, en grande majorité diplômées, montrent un atta-chement affirmé au salaire : c’est-à-dire un salaire décent et qui assure l’autonomie. Aujourd’hui, les inégalités constatées entre les hommes et les femmes en termes de qualité de l’emploi ne sont plus vécues comme “normales” ; sérieusement écornée est l’image des jeunes femmes ayant un

rapport distancié à l’argent, privilégiant davantage la dimension sociale de leur activité.» Il faut dire que ces jeunes générations se carac-térisent, comme l’ont montré les enquêtes “Génération” du Céreq, par une progression des jeunes femmes diplômées de l’enseigne-ment supérieur. Désormais, les jeunes femmes, en Europe, représentent 59 % des diplômés de l’enseignement supérieur. Et cet investissement dans la scolarité, les études, le diplômes doit, de leur point de vue, se retrouver dans la sphère professionnelle, avec une juste rétribution de leur activité. Une enquête que j’ai menée sur les diplômées des filières artistiques montrait que ces dernières ne cherchaient pas toutes à valo-riser leur qualification sur le marché du travail. Mais les temps ont changé : les jeunes femmes qui ont fait des études ne veulent plus renoncer à les valoriser. Du coup, les inégalités, les discrimi-nations sont vécues de manière plus violente.» Suivant la même logique, les jeunes femmes ont un rapport à l’emploi plus fort que les jeunes hommes. Elles sont ainsi moins nombreuses à considérer, par exemple, qu’“une belle vie consiste à ne pas travailler”. C’est particuliè-rement vrai pour les jeunes diplômées. Cette tendance est d’autant plus remarquable qu’elle se conjugue avec une vision plus pessimiste du marché du travail. En revanche, l’une des dimen-sions sociales de l’activité, avoir un travail qui a du sens et qui permette la réalisation de soi, est un des éléments où les hommes et les femmes se rapprochent. Les jeunes générations n’ont pas un rapport strictement instrumental au travail, et c’est plutôt cohérent avec le fait qu’ils sont de plus en plus diplômés.» Aujourd’hui, quelles peuvent être les conséquen-ces de la crise économique mondiale ? Au Céreq, nous ne possédons pas de données annuelles qui nous permettent de répondre précisément à la question. Mais les enquêtes “Génération” que nous avons menées précédemment, notamment en 1998 et 2004, mettent en évidence des ten-dances lourdes : s’il est possible que la conjonc-ture dégrade davantage l’emploi féminin avec des effets sectoriels, ce sont surtout les moins diplômés qui sont pénalisés. Pour les autres, les plus diplômés, la crise peut avoir des répercus-sions sur les salaires d’embauche, avec des effets en cascade et une amplification des inégalités dans le temps. En effet, les travaux du sociologue Louis Chauvel ont montré que ces éléments, conjoncturels, ne se limitent pas au moment de l’insertion sur le marché du travail : ils peuvent affecter ensuite l’ensemble de la vie active. »

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Femmes : un fort attachement au salaire

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point de vueEMMANUEL SULZERSOCIOLOGUE, CHARGÉ D’ÉTUDES AU CÉREQ (1)

Propos recueillis par Christine LABBE

Chez les jeunes, de plus en plus diplômés, la représentation implicite de l’emploi féminin est en train de changer. C’est ce que montre une étude internationale sur les jeunes face à l’avenir.

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(1) Centre d’études et de recherches sur les qualifications.

(2) « Les jeunesses face à leur avenir », une enquête internationale réalisée par Kairos Future, en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, 2008. La partie relative au rapport à l’emploi a été traitée par Emmanuel Sulzer et Dominique Epiphane, tous deux chercheurs au Céreq.

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L e postulat partagé par les participants est que les formes d’engagement de la jeunesse – dans les études, le travail, la

citoyenneté et l’action sociale – ont à voir avec les institutions qui « produisent » de « la » jeunesse. Ainsi, en ouverture des travaux, Stéphane Beaud, maître de conférences en sociologie à l’univer-sité de Nantes et chercheur associé à l’unité de recherche « Cultures et sociétés urbaines » (Paris-8), traite de la construction des différen-ciations sociales au sein d’un appareil scolaire historiquement construit à partir de l’enseigne-ment secondaire. Il en tire le constat de l’impor-tance longtemps première de l’enseignement général et de la dévalorisation concomitante de l’enseignement technique. Si l’obtention du bac-calauréat a longtemps pu être considéré comme ouvrant « un droit de bourgeoisie » fabriquant des « transfuges », le phénomène s’est modifié dans les années récentes au bénéfice de la création d’un nouveau processus sélectif entre les filiè-res de l’enseignement supérieur, d’une part, et d’autre part les filières dites « de masse ». C’est dans cette période, témoigne le sociologue, que l’on entendra des jeunes déprécier leur diplôme en le caractérisant de « p’tit bac ».Depuis, l’hétérogénéité de la jeunesse ne fait que croître, avec un dualisme grandissant entre gran-des écoles et autres filières et le reste de l’Univer-sité. Ce dualisme n’est pas sans rapport avec une mise aux normes des formations au regard des « besoins » portés par l’évolution mondiale des productions et des échanges. C’est ainsi que les écoles d’ingénieurs se sont mises à « produire » des générations de « traders », dans une propor-tion sans rapport avec les besoins hexagonaux. Cette sélectivité sociale n’est évidemment pas sans conséquences sur le moral des jeunes. C’est souvent sur un mode de vaincu que s’opère l’entrée en Iut, à charge pour l’enseignant de commencer l’année en revalorisant études et moral aux yeux de ses étudiants. L’Université, qui

a longtemps produit des cadres moyens-moyens supérieurs orientés à gauche, parce qu’on leur apprenait un savoir critique (sociologie, phi-losophie), se retrouve aujourd’hui coincée par une demande forte de certification profession-nelle de la part de ses étudiants. Car si une idée demeure, idée corroborée par toutes les études statistiques, c’est que le diplôme joue un rôle décisif de relative protection, sur le marché du travail, contre le chômage et un trop longue pas-sage en emploi à durée déterminée.Jean-Baptiste Prévost, président de l’Unef, confirme l’exigence persistante de diplômes et de qualification chez les jeunes, exigence qui porte des tensions sociales fortes. En effet, l’institution scolaire y a répondu par une démo-cratisation à la marge du système et non en son cœur. Plus qu’à une démocratisation, c’est à une « massification » que l’on a assisté, de sur-croît sans que les moyens suivent. Aujourd’hui, les étudiants attendent une révolution pédago-gique prenant en compte dans le premier cycle les populations de jeunes amenées par la massi-fication, plus fragiles. Face au « sas de précarité » qui s’allonge, à l’absence de minima sociaux avant vingt-cinq ans, les étudiants éprouvent un besoin de protection, à la fois personnelle et collective ; ils en appellent à de nouvelles garanties, d’où le soutien de l’Unef à la propo-sition de la Cgt d’une allocation d’études, de même qu’à une véritable reconnaissance des

JEUNESSEEtudes, emploi : investissements

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En juin dernier, l’Ugict et l’Urif organisaient un colloque sur les jeunes diplômés et leur rapport à l’enseignement, au travail, à l’engagement social. Nous évoquons ici quelques aspects des débats menés entre chercheurs et syndicalistes.

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On distingue trois grands types d’attitudes des jeunes vis-à-vis des savoirs : conformité, appropriation, critique. Ceux qui réussissent sont ceux qui articulent les trois. C’est particulièrement visible lors des conflits étudiants.

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diplômes dans les conventions collectives. Pour Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fsu, si le système s’est démocratisé, il reste impré-gné d’une conception élitiste. Ce constat est aujourd’hui largement partagé et appelle des « solutions » de nature différente. A cet égard, il oppose la culture scolaire « commune », qui vise à donner du sens à ce que l’on apprend à l’école, travail qui s’articule, avec les questions de la construction sociale, à la politique dite de « l’égalité des chances » qui, elle, vise à mettre un peu plus de mixité sociale dans le système tel qu’il est, à l’exemple de ce qui s’est pratiqué à Sciences po. C’est évidemment mieux que rien, et cela désigne un problème, mais sans en régler le fond, qui tient à sa nature sélective.Stéphane Bonnery, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à Paris-8, au sein de l’équipe Essi-Escol, revient, lui, sur le lien exis-tant entre engagement scolaire et engagement social à partir d’une question-constat : pourquoi les étudiants ne considèrent-ils pas les savoirs de l’Université comme de possibles occasions de développement personnel et de possibles armes pour améliorer leur condition ? Notant que le rapport aux études est ambivalent, il se demande si l’on ne retrouve pas cette même ambivalence vis-à-vis de l’inscription sociale. Il développe ce point de vue en distinguant trois grands types d’attitudes des jeunes vis-à-vis des savoirs : conformité, appropriation, critique. Ceux qui réussissent sont ceux qui articulent les trois, qui arrivent à articuler polyphoniquement plusieurs voix, dont la leur. Réussir, ici, consiste à forger son opinion propre en se déplaçant au sein des savoirs constitués, en établissant des distances avec le réel pour mieux y revenir. Le chercheur estime qu’il est possible de dresser un parallèle avec les formes de l’engagement social, où l’on retrouve cette difficulté d’arti-culer l’engagement pour soi et l’engagement pour une cause. Les contenus des savoirs aussi sont ambivalents : ils portent une volonté de démocratisation aussi bien que la marque d’une stratégie du capital pour reconfigurer la nouvelle classe salariée, visant à morceler les savoirs, à individualiser des parcours et à exacerber les compétitions individuelles. Dans ce contexte, l’engagement prendra-t-il la forme du caritatif, du communautaire, du politique ? Sachant que les épisodes de conflits permettent de réarticuler intérêt personnel et collectif.Dans sa logique de responsable de ressources humaines, Charlotte Duda, présidente de l’As-sociation nationale des cadres et dirigeants de la fonction personnel (Andcp), se refuse à trop « saucissonner » les problématiques des âges dans l’entreprise, mais constate que le taux de chômage des jeunes, qui va de 10 à 40 % selon les bassins d’emploi, conduit à repenser l’organisation du marché du travail et les liens qu’il entretient avec son amont et son aval. Elle constate, pour le déplorer, des débuts de carrière indemnisés et non pas rémunérés,

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avec des stages, et souhaite que soit repensé le statut des stagiaires, particulièrement lorsqu’ils sont diplômés. Surtout, elle plaide pour que la formation professionnelle joue un rôle éminent pour tous les âges, soulignant que la notion de trajectoire professionnelle doit retrouver toute sa place. Elle pointe enfin un enjeu majeur à venir pour les entreprises, lié au papy boom : en 2011-2012 il faudra que les employeurs sachent attirer les talents et les garder. Cela passe, pour elle ; par un sens accru de l’entreprise, de sa responsabilité sociale, notamment vis-à-vis des territoires.Une vision prospective que Pascal Joly, de l’Urif-Cgt, tempère en évoquant quelques-uns des traits majeurs de la réalité au travail : des rap-ports sociaux qui, en se compliquant, s’alour-dissent, ce dont témoignent la souffrance au travail et les suicides chez les plus diplômés. Il revient sur les émeutes des banlieues de 2005 pour souligner qu’il existe aujourd’hui, dans ces mêmes banlieues, une foule de jeunes diplômés contraints au chômage du fait d’une double dis-crimination, du diplôme et du territoire. C’est un énorme potentiel humain qui est ainsi gaspillé, et les difficultés d’intégration au syndicalisme s’enracinent dans ce défaitisme, ce désespoir. Des tendances lourdes que risquent d’exacerber la poursuite de la désindustrialisation. Quant au projet de Grand Paris, il annonce une spé-cialisation de l’industrie financière et du type de diplômes requis pour accéder à l’emploi en Ile-de-France.Pierre Cours-Salies, professeur de sociologie et démographie à Paris-8, s’attache, quant à lui, à penser une stratégie revendicative perti-nente aux évolutions à long terme, d’une part du travail à l’entreprise, d’autre part de l’in-

dividu dans le corps social. Il insiste sur l’idée que le travail ne saurait être une résignation. Et que, pour un individu libre et curieux, se résigner à rester dans le même travail toute sa vie, même au prix de la sécurité, serait se renier en partie. C’est essentiellement dans sa capa-cité à cerner cette dimension de résignation et à la combattre de

façon collective que se construit la pertinence du syndicalisme. Dans ce cadre, il juge sous-estimés les enjeux de formation récurrente et en appelle à la constitution de nouvelles garanties collec-tives – qu’il oppose aux actuelles conventions, largement dépassées – et au renouvellement de structures de solidarité, notamment au plan ter-ritorial et interprofessionnel. Enfin, il estime que l’aspiration à exister individuellement n’a rien d’illégitime, qu’elle est même porteuse de libé-ration collective, soulignant : « La sécurité sociale professionnelle de la Cgt est une trouvaille à cet égard et correspond à une demande d’en semble de la société. »

Gilbert MARTIN

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Le syndicalisme doit garder en tête l’idée que le travail ne saurait être une résignation et que, pour un individu libre et curieux, se résigner à rester dans le même travail serait se renier en partie.

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L e Medef ne ménage pas ses efforts : ren-contre avec des étudiants, mobilisations régionales pour impliquer des entre prises,

lancement d’une campagne exaltée sur le thème « jeunes attitudes » et, enfin, promesse d’un ave-nir meilleur placée sous le signe de la « tem-pête ». Ce véritable déploiement organisationnel s’appuie sur une masse énorme d’en quêtes, sondages d’entreprises et autres entretiens qua-litatifs afin de cerner au mieux les « attentes », les « cultures » censées caractériser la génération qui frappe à la porte de l’entreprise ou qui vient juste de réussir à y glisser un pied. Un tel niveau de mobilisation renvoie à un enjeu majeur pour l’entreprise : renouveler des équipes en captant talents et intelligence, qualification et capacités d’innovation. Un enjeu qui prend des allures de casse-tête pour les Drh, puisqu’il s’agit aussi de fidéliser sans créer de positions acquises : crise et flexibilité obligent…De ce point de vue, on assiste à des situations d’arroseurs arrosés : les jeunes diplômes ont à ce point intégré le discours dominant sur la concurrence et la mobilité qu’ils n’hésitent pas à les retourner contre l’entreprise d’accueil. Ce qui n’est pas sans inquiéter certains RH (2), à l’instar de François de Wazières, directeur international du recrutement chez L’Oréal : « Pour nous, il s’agit de trouver les salariés qui seront là dans dix ans pour prendre les directions des “business units”. »Si l’on s’en tient aux profils dégagés par les enquêtes, les jeunes nés entre 1978 et 1994, sou-vent qualifiés de « génération zapping », expri-ment à la fois « désir de carrière » et quête de sens ; autrement dit, une capacité à accepter beaucoup de contraintes pourvu qu’elles soient intéressantes. Et, à l’inverse, à refuser de sacrifier ce qui donne du sens (vie de famille, loisirs) à la vie hors travail. D’une certaine façon, elle porte en elle à l’état brut tous les ingrédients qui tissent le fameux « divorce » entre les cadres et les stratégies d’entreprises, de façon fortement indi-viduée. Le terrain d’entente – ou d’attente – avec l’entreprise est sans mystère : travail, réalisa-tion de sa valeur propre, moyens d’assumer son autonomie sociale, affective et intellectuelle, perspectives de carrière…D’où des attentes élevée en termes de qualité de management ou de « mentoring », le souhait de se retrouver conforté et encadré par une hiérarchie en capacité de donner du sens aux efforts consentis. L’avenir du jeune diplômé se joue pour une large part dans cet échange de compétences, de créativité, d’innovation ; et il n’est pas gagné d’avance au vu des pratiques réelles. Réduction des effectifs, course contre la

montre et stratégies erratiques parce que subies jouent ici contre l’intégration, nonobstant toute la bonne volonté affichée par tel ou tel RH.Attachés à la qualité de vie hors travail, ils sont en recherche d’une activité professionnelle qui ne percute pas leur vie personnelle ; la demande adressée à l’entreprise participe d’un cocktail de reconnaissance et d’affect, de relationnel et d’identité à la fois individuelle et collective. C’est sur ce terrain de la valorisation que les valeurs affichées par l’entreprise prennent leur pleine dimension. Le souci de l’environnement, la res-ponsabilité sociale, le respect de la diversité et de l’égalité, d’une certaine éthique comptent aux yeux des jeunes diplômés, et les directions en tiennent compte dans leur stratégie de commu-nication, espérant amorcer un donnant-donnant leur permettant de bénéficier d’un engagement sans faille autour de leurs valeurs, confondues avec leur stratégie ou leur projet d’entreprise.

Après les attentes vient les temps des mésententes

Parallèlement, le Medef a travaillé à réduire la distance creusée entre cadres et décideurs stratégiques, entre jeunes diplômés et stratégies d’entreprises. Il l’a fait autour d’un axe central, faisant d’ailleurs écho à des préoccupations réelles et exprimées par le corps social : celui de la diversité. Prenant la mesure du caractère souvent sélectif des embauches et du caractère répressif des lois antidiscriminations, le patro-nat a mis en avant plusieurs initiatives telles que les CV anonymes, des embauches volonta-ristes, des initiatives en direction des « jeunes des

JEUNESSEJeunes, entreprises : entre des ententes e

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Pour l’employeur, le jeune diplômé est tout à la fois un eldorado à s’approprier et une charge à alléger ; un risque incontournable mais à limiter ; bref, et pour reprendre le titre d’un colloque organisé par des étudiants en management des ressources humaines (1), un formidable “je t’aime, moi non plus”.

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(1) Université de Paris-Dauphine en juin 2008.

(2) Idem.

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banlieues » ; toutes choses discutables et n’étant pas forcément négatives, même si elles restent souvent à la périphérie du noyau dur qu’est la politique de création d’emplois. Parallèlement, les jeunes diplômés ont vu s’allonger la période de stages préalables à l’entrée dans l’entreprise, ces stages étant chargé de valider chez le postu-lant la capacité qu’il a – ou non – d’être à l’écoute de l’entreprise, du client, du marché…Tous efforts qui n’empêchent pas que les mésen-tentes suivent : « Vous ne savez rien faire quand vous entrez dans l’entreprise, sachez être lucides ! » tempère ainsi aimablement le Pdg du groupe E. Leclerc (3). Une « lucidité » difficile à partager, surtout après que les employeurs se sont saisis de l’argument pour construire un véritable mur de stages entre jeunes diplômés et emplois. Cette pratique, véritable effet d’aubaine pour les employeurs, s’est accompagnée de dérives massives – déqualifications, confusion entre stages et travail effectif, rémunérations déri soires. Et les protestations, notamment à l’initiative de jeunes stagiaires, ont fini par rendre le statu quo intenable. D’où la déclaration vertueuse de Laurence Parisot sur le sujet (4) : « Les entre-prises, confrontées à des évolutions gigan tesques, ont besoin de cette génération talentueuse. Je les appelle à avoir le comportement le plus respon-sable possible. Je trouve par exemple inadmissible que l’on demande aux jeunes diplômés de multi-plier les stages, sans espoir d’embauche même si l’expérience a été positive. Les jeunes doivent avoir confiance, car si la crise a été synchrone sur la pla-nète, on peut espérer que la reprise, déjà sensible, le sera aussi. » Si la tonalité est nouvelle, elle reste

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s et désententes…

(3) Idem.

(4) Le Monde du 2 septembre 2009.

timide ; on met en garde contre les excès, sans plus. Même parti à la « recherche des temps nou-veaux », le patronat français continue à cultiver une forte irresponsabilité sociale. Pour ce qui est de l’emploi proprement dit, il s’en remet à la sortie de crise qu’il abandonne aux bons soins de la providence.

Un enjeu en symétrie inverse pour le syndicalisme

On assiste sans doute là à une fin de cycle dans le management des jeunes embauchés. Car les diverses politiques d’intégration qui se sont développées ont atteint une sorte de palier dans les années 1990 : à force d’abaisser le niveau de reconnaissance, les politiques d’embauche – tant publiques que privées – ont fini par trans-former une certaine distance en une rupture certaine. L’explosion générationnelle autour du Cip en atteste dans la rue ; dans les entreprises, enquêtes et sondages dessinent les traits nou-veaux d’un encadrement plus attaché à sa vie personnelle qu’aux objectifs de l’entreprise, plus soucieux de la maîtrise de son temps que de sa carrière, ne se sentant enfin plus d’obligation morale vis-à-vis d’un employeur dont la stratégie et les pratiques témoignent qu’il n’en a guère.Si l’on en juge à cette aune, l’objectif que s’était fixé Laurence Parisot de « réconcilier » les Français et l’entreprise est en échec. Il est en effet difficile pour le patronat de plaider pour faciliter les procédures de licenciement, pour reculer l’âge de départ légal à la retraite et d’apparaître comme l’ami des géné-rations qui tentent d’entrer à l’entreprise. C’est cette contradiction que le Medef tente de gérer à coups de slogans, dont le dernier – « réussir dans la tempête » – relève davantage du lyrisme que d’un quelconque volontarisme social.La métaphore choisie, aussi maritime que roma-nesque, dessine un monde idéal dans lequel jeunes et employeurs rameraient de concert sur le même bateau, solidaires face au déchaî-nement des forces naturelles. Mais la pluie de plans sociaux et les bourrasques consécutives aux révélations sur les hautes rémunérations évoquent plutôt les « eaux glacées du calcul égoïste ». Il y a fort peu de chance pour que les efforts cosmétiques du Medef suffisent à éluder ces réalités aux yeux des jeunes diplômés. Cela les incitera-t-il à combiner un désir d’action collective – réaffirmé dans tous les sondages – et une rencontre avec le syndicalisme ? La balle est en tout cas dans le camp de ce dernier ; l’enjeu étant pour lui, et dans une large mesure, assez semblable à celui des directions : savoir se faire entendre, se faire connaître et se faire apprécier pour assurer une certaine continuité… A cet égard, s’il n’y a pas de panacée, la suite dépendra dans une large mesure de sa capacité à combi-ner la défense des jeunes diplômes, des jeunes cadres et techniciens supérieurs avec celle d’une conception alternative de l’entreprise et de sa gestion, du travail et de son management.

Louis SALLAY

!

Le Medef tente de gérer les contradictions à coups de slogans.Le dernier – « réussir dans la tempête » – dessine un monde idéal dans lequel jeunes et employeurs rameraient de concert face au déchaînement des forces naturelles. Mais la pluie de plans sociaux et les bourrasques consécutives aux révélations sur les hautes rémunérations évoquent plutôt les « eaux glacées du calcul égoïste ».

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– Options : La récession, qui aggrave encore la situation des jeunes, diplômés ou pas, sans que le gouvernement propose de solution spécifique à leur insertion professionnelle et sociale, vous semble-t-elle placer les jeunes générations face à la nécessité de se mobiliser et de s’engager durablement ?

– Jean-Baptiste Prévost : Les jeunes diplômés entrent sur le marché du travail dans un contexte de destruction d’emplois, et les étudiants sont fragilisés par les difficultés de leurs familles. Quant aux jobs étudiants, ils se font rares, même si à l’Unef nous pensons que ce moyen de finan-cer les études nuit à leur réussite. Les jeunes sont par ailleurs exclus des mesures gouvernemen-tales : la seule réponse du Livre vert de Martin Hirsch, c’est le renforcement de l’alternance sous toutes ses formes. Certaines entreprises ne manqueront pas de saisir l’aubaine, y compris à l’égard des jeunes diplômés. Qualifiés et opé-rationnels, ces derniers auraient surtout besoin de vrais emplois, rémunérés comme tels, mais ils doivent accepter des emplois précaires ou ne correspondant pas à leurs qualifications et subissent un bizutage social de plus en plus long lors de leur entrée dans la vie active.Les jeunes ne restent pas sans réaction pour autant. Depuis plusieurs années, dans les lycées, à l’université, ils sont mobilisés quasiment en permanence. Le niveau de tension entre les jeunes et le reste de la société se nourrit de dif-ficultés auxquelles personne ne répond. Les raisons qui ont conduit au Cpe sont toujours là : conditions d’études, d’insertion professionnelle, d’emploi. De fait, malgré les différences et les inégalités, la jeunesse d’aujourd’hui se caracté-rise par une même condition, la précarité, et par des revendications communes : le besoin d’une formation qualifiante, l’aspiration à l’autonomie et la nécessité d’une insertion professionnelle et sociale durable. Face à ces enjeux, à l’Unef, nous ne croyons pas que l’engagement collectif soit périmé, même si nous sentons peser sur nos épaules des attentes auxquelles nous ne sommes pas toujours en capacité de répondre…

– Jean-François Bolzinger : La situation des jeunes n’a pas été aussi grave depuis longtemps : pas d’emplois, y compris qualifiés ; pas même de stages, serait-ce en apprentissage ; pas de mesures gouvernementales susceptibles de les aider à sortir de ce « sas » de précarité de plus en plus long, entre la sortie du système scolaire et l’accès à un emploi stable rémunéré en fonction de leurs qualifications et des responsabilités qui leur sont confiées. Les luttes étudiantes de ces dernières années illustrent cette réalité en se focalisant désormais sur les conditions d’études, mais surtout sur la qualité de la formation et de l’insertion professionnelle, ce qui est nouveau. Désormais, la jeunesse diplômée appréhende la question du travail bien avant d’y être confron-tée. Par ailleurs, elle ne se montre pas si indivi-dualiste, comme en a témoigné le mouvement contre le Cpe en 2006. Cette génération affirme que, même si elle aspire à un épanouissement personnel – y compris dans le travail – et à une vie privée, elle n’en est pas moins capable de construire de nouvelles formes de solidarités, avec des objectifs plus pragmatiques, peut-être, mais pas pour autant dénués de valeurs.

– Caroline Blanchot : La réalité à la Sncf me semble la même qu’ailleurs et confirme vos pro-pos. Omniprésence des emplois précaires (inté-rimaires, alternants, stagiaires) qui, dans certains secteurs (communication, ressources humaines, gestion…), peuvent parfois représenter près de la moitié des effectifs et couvrent, l’un après l’autre, de vrais postes. A cela s’ajoute le fait que la direction a décidé, cette année, de se désen-gager du recrutement des alternants, ce qui crée un climat particulièrement anxiogène chez les jeunes. Ils s’estiment heureux d’avoir un emploi et, par conséquent, n’osent pas s’exprimer, ou peu. Nous nous sentons en revanche investis d’une sorte de délégation de pouvoir. Ainsi, même avec les nombreux recrutements de ces dernières années, la Cgt maintient sa représen-tativité et l’améliore dans l’encadrement. Pour autant, nous ne nous satisfaisons pas de cette situation, car les jeunes salariés ne prennent pas

MALGRÉ LES DIFFÉRENCES ET LES INÉGALITÉS, LA JEUNESSE D’AUJOURD’HUI SE CARACTÉRISE PAR UNE MÊME CONDITION, LA PRÉCARITÉ, ET PAR DES REVENDICATIONS COMMUNES : LE BESOIN D’UNE FORMATION QUALIFIANTE, L’ASPIRATION À L’AUTONOMIE ET LA NÉCESSITÉ D’UNE INSERTION PROFESSIONNELLE ET SOCIALE DURABLE.

TABLE RONDE

Jeunes diplômé(e)s-syndicalisme : besoins d’engagement...

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PARTICIPANTSCAROLINE BLANCHOT, MEMBRE DU BUREAU DE L’UFCM-CGT (MAÎTRISES ET CADRES SNCF) ET COANIMATRICE DU COLLECTIF JEUNES DIPLÔMÉS DE L’UGICT-CGT

JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DE L’UGICT-CGT

JEAN-BAPTISTE PRÉVOST, PRÉSIDENT DE L’UNEF

ISABELLE SOMMIER, SOCIOLOGUE, PROFESSEUR À PARIS-I, DIRECTRICE DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE LA SORBONNE

VALÉRIE GÉRAUD, “OPTIONS”

La récession aggrave la fragilité des jeunes, qu’ils soient étudiants, en recherche d’emploi ou dans l’entreprise. Plus que jamais, le syndicalisme est face à ses responsabilités et à une urgence : leur donner les moyens de se battre collectivement et en convergence avec les salariés.

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“assez contact avec nous et ne connaissent pas nos propositions. Or nous avons besoin de leur investissement, partout où ils se trouvent, pour identifier leurs problèmes et pour que s’expri-ment leurs revendications.

– Options : Ces dernières années, les jeunes ont souvent été à l’initiative de mobilisations mar-quées par des modes d’action plus radicaux, plus médiatiques, mais aussi par des revendications très ciblées (les stages, le logement). Des actions très ponctuelles et au sein de groupes pas tou-jours pérennes. De quoi est-ce le signe ?

– Isabelle Sommier : Indéniablement, la jeunesse actuelle fait preuve d’un souci éthique de solida-rité et n’est pas dénuée de capacité d’indignation et de mobilisation, notamment sur les questions de précarité (stages, logement). Mais on constate qu’elle s’exprime souvent dans d’autres cadres que ceux proposés par les organisations syn-dicales ou politiques. Ils sont nombreux à leur préférer des structures à géométrie variable, qui n’ont pas forcément vocation à durer, et qui peuvent tout autant se dissoudre ou se recons-truire sur d’autres thématiques en fonction des besoins et des engagements ponctuels de cha-cun. Du point de vue du rapport au syndicalisme traditionnel, ces pratiques résultent du manque de transmission générationnelle d’une certaine culture militante, de la crise du syndicalisme et des idéologies. La génération actuelle, profon-dément marquée par la précarité et le manque de perspectives, ne s’inscrit pas dans le même rapport au temps et ne se projette pas de la

même façon sur le long terme. Les jeunes ont le sentiment d’être dans l’urgence et toujours dans le présent, ce qui rend leurs engagements volatils et leur fidélité à une organisation incertaine. Ils ont un rapport plus pragmatique, plus utilitaire à l’engagement.Ce que je remarque aussi, même chez mes étu-diants en mastère 1 ou 2 de sciences politiques, c’est une très grande ignorance de l’histoire du syndicalisme, de ses structures, de ses modes d’organisation, qui s’accompagne d’une certaine méfiance. Ils le considèrent toujours marqué par l’ouvriérisme, la bureaucratie, un fonctionnement lourd, manquant de souplesse, comme un espace où l’on peut difficilement s’exprimer en nom propre et être entendu. Ils rejettent en fait toute professionnalisation du syndicalisme et toute forme d’organisation institutionnalisée…

– Jean-Baptiste Prévost : L’Unef ne fait pas l’ana-lyse d’une génération zapping, qui ne vit son engagement que comme un moment de mobi-lisation ponctuelle et de fête collective. Il y a des freins réels à l’engagement, mais aussi une vraie recherche d’efficacité sur le long terme. Les jeunes ont besoin de résultats concrets et rapides, mais aussi de s’engager pour changer la donne et changer la vie, et les syndicats – plus que les partis – bénéficient d’un certain capital de sympathie, même s’ils doivent faire la preuve de leur utilité. A cet égard, les commémorations de mai 1968 nous ont laissé un sentiment bizarre. Certains soixante-huitards laissent entendre qu’eux, au moins, se sont battus pour des valeurs – même si ce sont parfois les mêmes qui refusent

LA JEUNESSE S’EXPRIME SOUVENT DANS D’AUTRES CADRES QUE CEUX PROPOSÉS PAR LES ORGANISATIONS SYNDICALES OU POLITIQUES. ILS SONT NOMBREUX À LEUR PRÉFÉRER DES STRUCTURES À GÉOMÉTRIE VARIABLE, QUI N’ONT PAS FORCÉMENT VOCATION À DURER, ET QUI PEUVENT TOUT AUTANT SE DISSOUDRE OU SE RECONSTRUIRE SUR D’AUTRES THÉMATIQUES…

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“de faire de la place aux générations suivantes ou qui renient leurs combats de jeunesse. Ça leur semble petit de se battre pour des logements plus grands ou pour des emplois stables !En fait, les jeunes, toutes conditions confon-dues, n’ont jamais partagé autant d’aspirations communes, et les collectifs comme Génération-Précaire ou Jeudi-Noir ne considèrent pas leur engagement contradictoire ou incompatible avec d’autres mobilisations plus traditionnelles. Cela étant, les organisations traditionnelles, y compris l’Unef, sont interpellées sur leur capacité à faire une place à tous ceux et toutes celles qui le vou-draient. A ce propos, à l’Unef, on se rend compte que l’on a un vrai travail à mener pour donner plus de responsabilités aux filles, qui constituent une majorité de nos cadres mais qui ne pro gressent pas aussi rapidement que certains garçons dans le mouvement, parce que les garçons s’approprient la stratégie et la réflexion de fond tandis que les filles se cantonnent à l’organisation…

– Caroline Blanchot : Nous avons du mal à créer la convergence avec l’opinion publique, et en parti-culier les jeunes, comme tu le soulignes en insis-tant sur le fait que le syndicalisme doit prouver son utilité aux jeunes. Par exemple, les cheminots Cgt se battent depuis des années sur des dossiers qui devraient les interpeller parce qu’ils impli-quent le maintien d’activités, donc de milliers d’emplois, notamment ceux du fret, du régime spécial de retraite et de la rentabilité-productivité

imposée au service public ferroviaire. La Sncf va continuer à supprimer des emplois au fret et ne remplace pas les départs en retraite, mais incite les cheminots à prolonger leur activité, ce qui, cumulé, se solde par près de huit mille emplois en moins par an, rien que pour la Sncf ! A l’échelle de l’emploi public, imaginez le poten-tiel de débouchés pour les jeunes en recherche d’emploi ! Pourtant, nous ne réussissons pas à avoir suffisam-ment l’opinion publique avec nous, comme si nous étions juste en train de défendre nos « privilèges » !

– Options : Comment les organi-sations « institutionnalisées » vous semblent-elles en mesure de mieux répondre aux jeunes, à leur mode de fonctionnement, à leur percep-tion de l’action collective, à leurs besoins ?

– Isabelle Sommier : Il n’est évidemment pas question de prétendre que le syndicalisme est une forme d’organisation dépassée. Les jeunes qui découvrent l’engagement avant de travailler sont d’ailleurs souvent plus susceptibles que d’autres de s’intéresser au syndicalisme salarié. Encore faut-il qu’ils y trouvent leur place, avec les vécus d’engagement qui sont les leurs. Or on ne peut pas ignorer que, dans tous les grands conflits de ces dernières années, intermittents, chercheurs, universitaires, des coordinations ou des collectifs se sont formés à côté et au-delà des syndicats. Cela laisse penser que tous les poten-tiels de mobilisation ne peuvent pas s’exprimer ou être pris en compte au sein des syndicats. Il serait intéressant d’essayer de comprendre pourquoi certains, parmi les plus mobilisés, ont eu le sentiment qu’il fallait créer d’autres formes d’organisation que celles existantes…

– Jean-Baptiste Prévost : Les organisations syndi-cales salariées ou étudiantes doivent se remettre en cause en permanence pour impliquer plus de jeunes dans les luttes et répondre à leur exigence d’efficacité. Le syndicalisme peut répondre à leurs attentes, par exemple en les aidant à cla-rifier les enjeux de formation, d’insertion pro-fessionnelle, à mieux appréhender le monde du travail, dont ils ont une grande méconnaissance. On ne peut laisser le champ libre au dressage libéral des esprits, à l’idée que l’on s’en sortira mieux tout seul, que c’est normal de passer par de multiples épreuves de conformité sociale et d’accepter des années de précarité avant de s’insérer, qui plus est sans voir ses qualifications et son travail reconnus. Les étudiants veulent mener ces batailles avec les syndicats. Avant même le combat commun contre le Cpe, le tra-vail lancé avec la Cgt et l’Ugict depuis la Charte des stages ou sur la reconnaissance des quali-fications a porté ses fruits. Il se poursuit, avec encore récemment une intervention commune

QUAND L’ACTIVITÉ SYNDICALE S’ORGANISE AU PLUS PRÈS D’UN LIEU OU D’UN COLLECTIF DE TRAVAIL, LES JEUNES DIPLÔMÉS NOUS SOUTIENNENT ET PARFOIS MÊME ADHÈRENT, EN PARTICULIER CEUX QUI, APRÈS QUELQUES ANNÉES, COMMENCENT À CONNAÎTRE DES DÉSILLUSIONS. COMMENT FAIRE POUR QU’ILS RESTENT AU SYNDICAT ?

TABLE RONDEJeunes diplômé(e)s-syndicalisme : besoins d’engagement...

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Jean-François Bolzinger.

Isabelle Sommier.

Page 14: Emploi côté diplômées

sur le projet de loi sur la formation profession-nelle. Nous devons renforcer les échanges sur les besoins de formation, l’insertion profession-nelle, la reconnaissance des qualifications. Mais nous ne pourrons avancer sans une réflexion plus constructive entre le monde du travail et le milieu universitaire, sur d’autres bases que celles du patronat, qui pour l’heure impose sa vision de formations adaptées au marché de l’emploi à court terme, avec tous les dangers que cela représente.Au-delà des formes multiples et complémentai-res d’organisation ou d’action, il nous est indis-pensable d’être unis, pour construire un rapport nouveau entre le monde du travail et de la forma-tion, d’autres liens entre les étudiants, les ensei-gnants et les salariés. C’est la première fois que la massification de l’enseignement supérieur est remise en cause, que les conditions de travail des chercheurs et des universitaires se dégradent. Les étudiants comprennent qu’ils ne prendront pas tous l’ascenseur social, que les promesses ne seront pas tenues : il y a urgence.

– Caroline Blanchot : Quand l’activité syndi-cale s’organise au plus près d’un lieu ou d’un collectif de travail, on constate que les jeunes diplômés nous soutiennent et parfois même adhèrent, en particulier ceux qui, après quelques

années, commencent à connaître des désillusions. Comment faire pour qu’ils restent au syndicat et s’y investissent, y compris s’ils ont des responsabilités professionnelles ou une vie familiale accaparante ? Il faut les impliquer et leur expliquer comment se défendre. La Cgt, ça n’est pas une personne qui tire des fi celles d’en haut, je l’ai constaté moi-même quand j’ai dû m’inves-tir pour faire valoir mes revendica-tions. Les militants Cgt m’ont dit que c’était à moi de lancer le débat avec mes col lègues et de proposer une solution collective en conver-gence avec les revendications des autres cheminots. On ne peut créer une activité autour d’un métier, d’une filière ou d’une zone géogra-phique sans une personne ressource capable d’identifier les besoins et de mener les débats. Ainsi, on ne pourra jamais défendre les stagiaires et les précaires aussi bien que s’ils

mènent le combat avec nous !Reste que, faute de moyens humains dans le syndicat, les jeunes sont parfois très sollicités et que cela peut les effrayer ! Il faut faire des choix en fonction de ce que l’on pense être en capacité de faire. Il y aurait sans doute moyen de respon-sabiliser et d’impliquer les jeunes sur certaines initiatives – pétitions, mobilisations à l’échelle du lieu de travail, actions ponctuelles – pour leur montrer à quel point c’est émancipateur

d’exercer ses droits. Leur donner envie d’aller plus loin, de voir ce qui se fait ailleurs, bref, impulser un élan, une sorte de cercle vertueux !

– Jean-François Bolzinger : La Cgt ne peut être à l’initiative dans tous les domaines, mais sa démarche consiste résolument à aider les sala-riés à mettre en œuvre des mobilisations et à les faire grandir. Les jeunes vont là où ils peuvent s’exprimer et agir, ils ont besoin de l’outil Cgt mais veulent se l’approprier à leur manière ; à nous de répondre à leurs besoins d’engagement. Le congrès de la Cgt, en décembre prochain, y consacrera une partie importante de ses débats. Il ne s’agit plus de transmettre un savoir-faire mais d’expérimenter un « savoir laisser faire » pour que les nouvelles générations se prennent en main et construisent leur propre outil syndi-cal. A L’Ugict, nous allons par exemple proposer l’adhésion en ligne des jeunes diplômés, les encourager à se mettre en réseaux pour entrer en contact direct et permanent, mieux s’infor-mer sur leurs droits (droit du travail, droits des femmes, etc.), mieux agir ensemble si nécessaire, ou encore aider les plus isolés à s’organiser là où les syndicats n’existent pas…Par ailleurs, nous travaillons depuis des années avec les organisations de jeunes. Le syndica-lisme étudiant s’est restructuré, il est devenu plus visible, plus efficace. Il s’est rapproché du syndicalisme de salariés pour mieux réflé-chir aux questions qui taraudent les jeunes : la quête de sens et de finalités dans le travail, la formation, la qualification et sa reconnaissance. Nous avons également beaucoup travaillé avec Génération-Précaire, qui se pose évidemment la question de sa pérennisation. En cette ren-trée, nous menons campagne avec l’Unef sur l’interdiction des stages hors cursus et la recon-naissance des diplômes et des qualifications à l’embauche. Nous espérons travailler et agir ensemble sur toutes les questions qui relèvent des relations formation-travail, ce qui implique aussi de se rapprocher des enseignants pour être plus pertinents, plus constructifs et plus offensifs. Programme chargé !

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Caroline Blanchot.

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“IL NE S’AGIT PLUS DE TRANSMETTRE UN SAVOIR-FAIRE MAIS D’EXPÉRIMENTER UN “SAVOIR LAISSER FAIRE” POUR QUE LES NOUVELLES GÉNÉRATIONS SE PRENNENT EN MAIN ET CONSTRUISENT LEUR PROPRE OUTIL SYNDICAL. A L’UGICT, NOUS ALLONS PAR EXEMPLE PROPOSER L’ADHÉSION EN LIGNE DES JEUNES DIPLÔMÉS…

OPTIONS N° 549 / SEPTEMBRE 2009

Jean-Baptiste Prévost.