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Elvan ARIK Master 2 Urbanisme et Aménagement Urbain Spécialité recherche Villes et Sociétés Année universitaire : 2011-2012
DISCUTER LA TRANSITION ENERGETIQUE A ISTANBUL
Débats théoriques et premiers éléments d’enquête
Membres du jury :
- Eric VERDEIL (UMR 5600 Environnement Ville et Société) : directeur de mémoire
- Jean-Michel DELEUIL (INSA, UMR 5600 Environnement Ville et Société, ITUS)
3
Remerciements
Je tiens tout spécialement à remercier Eric Verdeil d’avoir bien voulu accepter une nouvelle
fois de m’accompagner. Cela n’allait sans doute pas de soi pour lui que j’ai assailli, l’année
dernière, du flot de mes questions parfois alambiquées et de mes doutes. Il semblerait qu’il ne
m’en ait pas tenu rigueur, me permettant même de participer à la conférence qui s’est tenue à
Istanbul le 29 mai dernier intitulée « Metropolitan energy policies in the turkish cities », conférence
durant laquelle j’ai pu rencontrer de nombreux chercheurs, dont Dominique Lorrain. A ce
propos, je profite de cette occasion pour remercier Sylvie Jaglin, responsable de l’ANR Termos
de m’avoir intégré dans ce programme. Un grand merci donc à Eric Verdeil pour ces rencontres
si riches, et en espérant pouvoir être à la hauteur du soutien et de la confiance qu’il m’accorde
depuis l’année dernière.
Je remercie également l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes et plus particulièrement les
membres de l’Observatoire Urbain de m’avoir accueilli en tant que stagiaire. Un remerciement
tout particulier et chaleureux à Jean-François Pérouse.
Un dernier clin d’œil à ma mère pour le temps qu'elle a passé à dénicher les sempiternelles
fautes d’orthographe que je réussis à dissimuler malicieusement. Je souhaiterais rappeler à
Armelle que La Madonne de Lorette n’est rien sans le Caravage et qu’un tableau n’est donc rien sans
son peintre. Enfin, en espérant que les années à venir me verront progresser dans de nombreux
domaines autant que le petit Louis a pu le faire le temps d’une seule année…
4
Résumé
Entre ville monde et ville émergente, entre gated communities et gecekondu, entre formel et informel,
entre régulier et irrégulier, nous souhaitons replacer la transition énergétique à Istanbul au cœur de cette
interface du global et du local. Pour ce faire, nous considérons la transition énergétique comme un
processus de percolation au sein duquel des solutions énergétiques, plus ou moins bien pensées, circulent
au sein d’un système institutionnel et sociétal complexe, instable et parfois chaotique, composé d’acteurs
multiples et variés, aux logiques et intérêts divergents, contribuant ainsi à subvertir structurellement les
ambitions initiales des décideurs. L’analyse de la transition énergétique en métropole émergente ne peut
donc s’abstraire totalement d’une tentative de compréhension de ces mécanismes de l’action publique,
hybridés entre légalité et illégalité, qui ne servent que rarement de focale d’analyse au sein des théories
traditionnelles sur la transition. En définitive, la transition énergétique est analysée à Istanbul via le prisme
des institutions et des instruments de l’action publique en faveur de la lutte contre le changement
climatique mais également via les pratiques vernaculaires d’accès aux services en réseau en ce qui concerne
notamment le macro-système technique du gaz naturel. Enfin, nous complétons ce cadre d’analyse par
l’introduction d’éléments anthropologiques en termes de pratiques et d’usages de l’énergie pour tenter
d’expliquer l’inachèvement de la transition vers le gaz naturel.
Mots-clés : transition énergétique, Istanbul, gaz naturel, pratiques et usages de l’énergie, gouvernance du
changement climatique, politiques vernaculaires, macro-système technique et accès aux services urbains en
réseau, fragmentation socio-territoriale
Abstract
From world city to emerging city, from gated communities to gecekondu, from formal to informal, from
regular to irregular, we take into account the energy transition in Istanbul through these global and local
dynamics. To this end, we consider the low carbon transition as a percolation process in which energy
solutions circulate within an complex and unstable, institutional and societal system, made up of multiple
actors having different logics and interests, thus contributing to subvert the initial ambitions of
stakeholders. The analysis of the energy transition in an emerging metropolis can not be separated from
the understanding mechanisms of public actions, crossed between legality and illegality, which are rarely
used among traditional transition theories. Istanbul’s energy transition is analyzed through the prism of
institutions and instruments of public action which aim to fight against climate change but also
considering vernacular politics organizing specific forms in the access to network services. In this respect,
free coal distribution and diffusion strategy of the natural gas network are particulary significant. Finally,
we bring to a whole framework by introducing anthropological elements in terms of practices and uses of
energy in order to explain the incompleteness of the natural gas transition.
Keywords : low carbon transition, Istanbul, natural gas, practices and use of energy, climate change governance, vernacular politics, large technical system and access to urban network services, socio-territorial fragmentation
5
Sommaire
Remerciements 3
Résumé 4
Abstract 4
Sommaire 5
Avant-propos 6
Introduction 7
Partie 1 : 17
Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche
1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES 17 1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES 32 1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE 35
Partie 2 : 37
Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition énergétique à Istanbul ?
2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE 37 2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES 47 2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS… 56
Partie 3 : 60
Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une réussite ?
3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL 63 3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION 71 3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE 77
Conclusion 86
Liste des abréviations 89
Bibliographie 90
Table des matières 97
Table des illustrations 99
6
Avant-propos
Ce présent mémoire s’inscrit dans la continuité d’un premier travail réalisé l’année dernière à
Istanbul au sein de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes. Sur les bases de cette recherche
exploratoire qui avait débouché sur l’écriture d’un mémoire intitulé Politiques énergétiques et accès aux
services urbains en réseau à Istanbul1, nous avons entrepris d’approfondir nos questionnements durant
notre Master 2 Urbanisme et Aménagement Urbain, spécialité recherche Villes et Sociétés réalisé
au sein de l’Institut d’Urbanisme de Lyon. Ce mémoire est ainsi, à l’image de son objet d’étude
sur la transition énergétique métropolitaine, un mémoire de transition entre nos premières
investigations empiriques sur le terrain et cette présente réflexion, plus théorisée, qui nous
l’espérons pourrait servir de support à un travail doctoral plus approfondi. Ce mémoire possède
donc une dimension prospective pour de futures recherches, sorte de galop d’essai dans notre
modeste parcours de recherche. Cet avant-propos nous permet ainsi de prévenir le lecteur des
lacunes scientifiques inhérentes à ce mémoire du fait de son statut particulier qui ne nous a pas
amené à mettre en place une méthodologie adaptée à l’évolution de nos questionnements. La
nécessité de conceptualiser semblait toutefois indispensable pour mieux cerner les tenants et
aboutissants du sujet.
1 Disponible sur ce lien : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00648609/fr/
7
Introduction
« Des croyances mythiques ou religieuses avaient jusque-là conduit l’homme à refuser l’exploitation des sous-sols. Le règne minéral attendait son heure… »2
L.Reynes, L’énergie, Paris, Hachette, 1980
Fin juin 2012, à peine achevé, le sommet de Rio+20 est d’ores et déjà présenté comme un
échec à en croire les unes des grands quotidiens européens3. Pourtant, vingt-ans en arrière, en
1992, d’un sommet similaire tenu au même endroit, s’était massivement imposée l’urgence à
considérer sérieusement la problématique environnementale et écologique. A travers la
médiatisation et l’institutionnalisation du concept de « développement durable », la nécessité de
changer de modèle de développement s’est progressivement diffusée à l’ensemble de l’opinion
publique. La question énergétique s’inscrit au cœur de ce mouvement. Le postulat d’une
extraction illimitée et indéfinie des ressources fossiles est désormais battu en brèche par de
nombreuses études scientifiques mesurant la raréfaction de ces ressources non renouvelables. De
là, est apparue progressivement l’idée de penser une transition énergétique vers un modèle moins
énergivore et moins polluant. Malheureusement et comme c’est souvent le cas avec des concepts
trop rapidement institutionnalisés, la « transition énergétique » souffre d’une faiblesse de
conceptualisation et de clarification. A l’instar du lénifiant principe de développement durable, le
« consensus sémantique » (Semal, 2009, p. 4) autour de l’urgence de la transition énergétique, ne
deviendrait-il pas un nouveau « mythe pacificateur » (Lascoumes, 2001), résultant de la
convergence des approches « post-politiques » et scientifiques actuelles qui évacuerait les
alternatives aux abondantes solutions technico-managériales d’inspiration néolibérale (Erik
Swyngedouw, 2009) ?
2 Cité dans A.Gras, Grandeur et dépendance : sociologie des macro-systèmes techniques, Presses Universitaires de France, 1993, p 53 3 Pour exemple : Libération, « Rio : le sommet enterre l’intérêt général », 20/07/12, The Daily Beast, « Rio+20, sommet sans ambition pour planète en perdition », 20/07/12, disponible sur www.courrierinternational.com
8
DEFINITION ET CONCEPTUALISATION DE LA TRANSITION ENERGETIQUE
Abordons ce travail de décodage à partir de l’idée, évidente pour certains, plus obscure pour
d’autres, que l’énergie « n’est pas une simple ‘variable’ alimentant un système technique, mais
[qu’elle] engage les institutions, les systèmes politiques, économiques et sociaux. Le choix d’une
source d’énergie est pour cela un choix de société. » (Raineau, 2011, p. 133). L’aqueduc, le moulin
à vent et la centrale nucléaire ne renvoient pas en effet, aux mêmes imaginaires d’une société
inscrite dans des rapports différents au temps, à l’espace, au progrès technologique. Depuis la
révolution industrielle, le paradigme de la modernité construit par les sociétés occidentales s’est
appuyé sur un postulat énergétique simple : la faculté humaine d’extraire et de transformer des
ressources fossiles, sur une période de temps indéfinie, rend possible l’abondance énergétique et
permet la concentration industrielle, étape liminaire vers l’accumulation et la prospérité
économique (Gras, 1993, p. 54). En réussissant à faire passer une ressource d’un « monde naturel
à un monde social où elle peut être transformée, stockée et déplacée » (Raineau, 2011, p. 138),
l’homme pensait prouver sa puissance et sa domination sur la nature. L’ensemble du système
énergétique reposait sur cette idée de dénaturalisation de la ressource4, transformée et stockée,
pour se prévenir des aléas naturels. Ce « tournant » technologique, économique et culturel (Gras,
2007; 1993) permet encore aujourd’hui de garantir un flux énergétique d’abondance, continu et
mobile qui autorise la délocalisation des lieux de production des lieux de consommation grâce à la
puissance des macro-systèmes techniques5 (Gras, 1993).
Si l’on considère l’idée de transition comme l’idée de « passage d’un état à un autre »6, une
étape entre une situation estimée non durable à un futur plus ajusté, le besoin actuel de changer
de modèle ne provient alors pas tant d’une remise en cause du mode de fonctionnement des
macro-systèmes, que de la raréfaction de la ressource alimentant l’intégralité du système. La
transition actuellement engagée n’est donc pas liée à l’irruption d’une innovation technologique
majeure7 mais s’impose d’elle-même. En ce sens, les options pour résoudre le problème
n’apparaissent pas de manière évidente, exceptée celle de l’adaptation progressive de nouvelles
technologies promulguées au rang de solution spontanée selon le modèle d’inspiration
4 « En mettant ainsi à l’écart les énergies renouvelables, la modernité affirmait en même temps une rupture avec les civilisations passées, le monde animal et végétal et plus généralement avec la nature à laquelle ces énergies étaient (et restent) intrinsèquement attachées » (Menozzi, Flipo, & Pécaud, 2008) 5 Notion sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin 6 Définition du Petit Robert 7 Comme ce fut le cas dans l’histoire des transitions énergétiques où les progrès technologiques pénétraient et révolutionnaient progressivement l’organisation de la société
9
économique néoclassique de transition/durabilité faible8. Les leviers d’actions de cette transition
faible, techno-centrée, se concentrent de manière générale sur deux axes : agir d’un côté sur
l’offre et la demande en énergie en offrant aux populations des technologies plus efficaces
(bâtiments à énergie positive, réseaux de chaleur et de froid, traitement des déchets, biofuel dans
les transports, sensibilisation aux économies d’énergie…), en maîtrisant les approvisionnements
par une diversification du mix-énergétique (énergie renouvelable, hydrogène, gaz de synthèse…) ;
de l’autre côté, l’axe bilan-carbone rivalise d’innovations pour capter et stocker le CO2 rejeté dans
l’atmosphère et réduire le contenu carbone de l’énergie. Ces leviers ne peuvent être activés que
par des autorités publiques instigatrices d’expérimentations énergétiques promouvant ainsi une
nouvelle vision sociétale. La spécificité du problème climatique les oblige finalement à faire
évoluer leur mode de penser et d’agir. La transition actuelle est donc autant énergétique
qu’institutionnelle.
Les grandes directions empruntées aujourd’hui semblent ainsi converger vers ce que Laurence
Raineau appelle le « temps de l’innovation technique » (Raineau, 2011, p. 135) qui désigne cette
période d’adaptation du système énergétique présent au potentiel des énergies renouvelables,
c'est-à-dire en alimentant les macro-systèmes techniques par ces nouveaux flux, sans réinterroger
les fondements du système sur lequel il s’est construit. Tout le panel de solutions techniques qui
émerge, conforte ce que François Ascher avait anticipé lorsqu’il prédisait la naissance des niches
économiques, ces « cleantech comme second moteur d’un capitalisme cognitif et
environnemental » (Ascher, 2007). Réussir la transition énergétique passerait donc par
l’implantation et le développement massif de ces nouvelles technologies tout en veillant à ce que
les comportements des usagers se responsabilisent au contact de ces innovations : « chacun
d’entre nous, dans ses actes quotidiens, a le devoir de se remettre en cause et de revoir en
profondeur ses comportements de consommateur » (Rojey, 2008, p. 13). Le souhait
publiquement affiché de responsabiliser9 voire de culpabiliser l’« éco-citoyen » (Rumpala, 1999),
reconnaît explicitement le rôle majeur de l’usager au cœur du processus de transition. Cette
reconnaissance est toutefois limitée : l’homme doit s’adapter à la machine et se responsabiliser à
son contact. L’inverse est rarement envisagé. L’analyse fine et précise des comportements des
8 Pour une définition plus détaillée des modèles de durabilité faible et forte, se reporter à (Godard, 1994) 9 Cette responsabilisation du consommateur individuel est l’objet de critique car « […] cela revient à dissocier l’énergie, prise comme un mode de consommation, des configurations socio-techniques et culturelles qui encadrent cette consommation. » (Menozzi et al, 2008, p. 13)
10
usagers est au final trop rarement prise en compte au cœur du processus de transition
énergétique.
ENJEUX DE LA TRANSITION ENERGETIQUE EN METROPOLES EMERGENTES
Notre regard sur la transition énergétique est, par bien des aspects, un regard objectivant de la
réalité des actions menées au nom de la lutte contre le changement climatique dans un contexte
spatial circonscrit : celui des villes et plus spécifiquement celui des grandes métropoles du Sud.
Alors que très tôt, les villes (du Nord au départ) ont été accusées d’être les premières
responsables du dérèglement climatique mondial10, elles ont, très vite, également été considérées
comme la solution du problème, parce qu’elles disposaient des capacités d’action à l’échelle locale
sur des secteurs fortement énergivores et pollueurs (notamment dans le secteur des transports et
des bâtiments). Actuellement, tout un pan du vocabulaire de l’action urbaine se structure autour
des figures de l’« adaptation », de l’« atténuation », de la « maîtrise de l’énergie » ou de la
« résilience » et témoigne effectivement de la période d’incertitude que connaissent les villes.
Pourtant, l’intégration des nouvelles technologies énergétiques est aujourd’hui consubstantielle à
cette nouvelle manière de fabriquer de l’urbain et soulève de nouveaux enjeux. Taoufik Souami,
prenant pour exemple le cas de collectivités locales européennes, parle de « distorsions entre
d’une part, les enjeux et les modes d’action sur la ville, et d’autre part, les paradigmes et les modes
de déploiement des technologies énergétiques » (Souami, 2007, p. 8). Cet antagonisme peut se
résumer d’une part, par une dissociation des échelles spatiales d’intervention, l’urbanisme
recherchant des solutions territoriales globales alors que la technologie est chevillée à l’échelle
micro-territorialisée (bâtiment, ilot, quartier)11 pour une recherche d’autonomie, et d’autre part,
par une différenciation des échelles temporelles entre le temps long des enjeux énergétiques et les
temporalités éphémères de l’urbanisme, rythmées par les cycles politiques locaux.
Dans le cas des métropoles émergentes, cet antagonisme entre l’urbanisme opérationnel et
l’ « arrière plan idéel » des technologies énergétiques (Souami, 2007, p. 8) est amplifié par la nature
et l’intensité même des problèmes socio-environnementaux à résoudre. Comme le révèle le
qualificatif XXL choisi par Dominique Lorrain pour décrire le gigantisme de ces espaces urbains,
tout y est « plus » dans ces villes ( Lorrain, 2011b, p. 371). La croissance urbaine sans précédent et
10 Selon le rapport World Energy Outlook 2008 de l’Agence Internationale de l’Energie, les villes représentent deux-tiers des consommations mondiales d’énergie et ce taux devrait atteindre trois-quarts en 2030. 11 Conséquences de cette distinction des espaces de référence, T.Souami révèle aussi l’inadaptation juridique de l’approche urbanistique fondée sur une juridiction du foncier alors que la représentation technique et énergétique du territoire raisonne en terme systémique, de flux métaboliques sans réelle considération des surfaces.
11
non planifiée que les pays du Nord n’ont jamais connue, couplée à une certaine instabilité
institutionnelle et politique est à l’origine de l’émergence spontanée d’une autre « culture
urbaine », souvent marginalisée et confinée dans les espaces périphériques de ces villes. Dans ces
interstices urbains, face à la quasi-absence d’interventionnisme public, les populations,
confrontées à la pauvreté, s’adaptent et créent, de manière plus ou moins volontaire, des
mécanismes d’auto-régulation sociale (entraide, solidarité familiale et communautaire…) et
politique (clientélisme, populisme électoral, corruption…). L’incapacité des gouvernements
urbains à réduire cette « misère urbaine » s’explique différemment en fonction des villes mais de
manière générale, ces derniers doivent composer avec une autonomie institutionnelle et financière
limitée (décentralisation administrative et territoriale non aboutie, omniprésence de l’Etat au sein
du système politique…), une absence de ressources cognitives (main d’œuvre bien formée) et une
déficience des règles du jeu établies par leurs soins (droit de propriété, planification, fiscalité…).
Enfin, les récentes vagues de libéralisation et de privatisation des économies étatiques impulsées
par les bailleurs de fonds internationaux, ont profondément complexifié la manière d’administrer
ces territoires urbains en multipliant les interlocuteurs de statuts différents (on fait référence ici à
la notion de la gouvernance mise en lumière par Patrick Le Galès12) tout en mettant au débat la
question de l’accentuation des inégalités socio-spatiales. Pourtant, ces institutions sont forcées
d’agir face à l’ampleur des problèmes socio-environnementaux à résoudre tant ils représentent
des terreaux potentiels de contestations sociales: étalement urbain et pression foncière sur les
réserves naturelles, érosion des sols et risques d’inondation, gestion des déchets, assainissement,
problématique de l’accès aux services primaires (eau, électricité, chauffage, transport…). La
problématique énergétique n’est donc pas tout à fait de même nature dans les villes du Sud que
dans celles du Nord. Pourtant, c’est au cours des années 2000, une décennie après les pays
développés, que la recrudescence des dégradations environnementales conduit les gouvernements
urbains des villes du Sud de la Méditerranée, à internaliser les préceptes du développement urbain
durable, au cœur de leurs agendas politiques locaux (Barthel & Zaki, 2011).
Toutes ces dynamiques récentes et profondes font que les métropoles émergentes
représentent des terrains fertiles et originaux d’observation des modalités de déploiement de la
transition énergétique au sein de sphères politico-institutionnelles, technico-économiques,
12 LE GALES Patrick, 1995, « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine’’, in Revue française de Science politique, 45ème année, n°1, pp.57-95
12
sociales et culturelles spécifiques servant rarement d’exemples aux démonstrations scientifiques
sur la transition.
ENJEUX ET DEBATS SCIENTIFIQUES
C’est le paradoxe, entre d’un côté l’acceptation unanime de considérer la transition énergétique
comme un projet global de société bien au-delà da la simple question technique en intégrant
l’ensemble des acteurs de la « chaîne énergétique » (schématiquement de l’acteur politique au
pouvoir décisionnel jusqu’à l’usager consommateur) et, de l’autre, la réalité des premières
expériences de transition énergétique innovante d’un point de vue exclusivement technologique,
qui a constitué le point de départ de notre réflexion. Nous pensons que ce consensus autour de
l’intégration des technologies énergétiques au cœur des modes de production des villes
émergentes est le « masque qui cache les rapports de domination et d’exclusion » (Callon,
Lascoumes, & Barthe, 2001, p. 16). A l’image de la « diffusion moins fluide et évidente » du
référentiel du développement urbain durable au Sud de la Méditerranée décrit par Barthel et Zaki
(Barthel & Zaki, 2011, p. 21), nous considérons la transition énergétique comme un processus de
percolation au sein duquel des solutions énergétiques, plus ou moins bien pensées, circulent au
sein d’un système institutionnel et sociétal complexe, instable et parfois chaotique, composé
d’acteurs multiples et variés, aux logiques et intérêts divergents, contribuant ainsi à subvertir
structurellement les ambitions initiales des décideurs.
En considérant la transition énergétique de la sorte, comme un phénomène polymorphe, nous
nous sommes aperçu qu’aucun courant théorique ou école de pensée n’embrassaient cette
question dans sa complexité absolue. D’aucuns reconnaissent cette dimension plurielle, mais les
études jusqu’à présent menées n’abordent la transition qu’à travers certains aspects sectoriels de la
problématique. Trois grandes entrées sont ainsi souvent privilégiées :
Depuis moins d’une dizaine d’années, une littérature d’origine anglo-saxonne inspirée de
la géographie radicale néo-marxiste se penche sur les reconfigurations politico-institutionnelles
des villes engagées dans la lutte contre le changement climatique (Bulkeley & Betsill, 2005, 2006;
Bulkeley, Broto, & Hodson, 2011; Hodson, Marvin, 2007; Hodson & Marvin, 2010; Kern &
Alber, 2008). Malgré l’influence disciplinaire de la géographie, qui se reflète particulièrement au
travers de l’utilisation des jeux d’échelles spatiales (multilevel governance), ces auteurs focalisent leurs
13
propos sur l’analyse des instruments de l’action publique (politics) ainsi que sur le rôle de la
myriade d’acteurs impliqués dans ces reconfigurations (policy) agissant à différentes échelles (rôle
majeur des réseaux transnationaux et des ONG). Ils mettent ainsi en lumière le fait que
l’émergence d’une gouvernance environnementale globale dédiée à la résolution des problèmes
climatiques à l’échelle municipale ne peut se comprendre qu’en considérant la formation de
coalitions d’acteurs métropolitains aux intérêts et stratégies bien définis, tout en ayant réussi à
évacuer des arènes décisionnelles d’autres acteurs plus marginalisés. C’est ainsi que ces auteurs
mettent en évidence l’importance des conflits et des rapports de force entre acteurs
métropolitains soumis à des pressions externes pour expliquer les choix des transitions
sociotechniques opérées à l’échelle locale.
Le phénomène d’urbanisation, tel que considéré par ce premier courant théorique, est
décrit comme un processus de transformation socio-métabolique mis en lumière par les tenants
d’une écologique politique urbaine (Heynen & Swyngedouw, 2006; Swyngedouw, 2006). Les
infrastructures représentent ainsi une dimension centrale de leurs analyses dans le sens qu’elles
autorisent et arbitrent les circulations socio-écologiques urbaines (Bulkeley, Broto, et al., 2011).
Les conceptualisations et théorisations traditionnelles du lien entre territoire et réseau, sujet de
nombreuses publications en langue française sous l’égide du groupement de recherche Réseaux
du CNRS (Dupuy, 1991; Offner, Pumain (ss la dir), 1996; Lorrain, 1999; Offner, 1996) font
l’objet de remises en cause récentes sous l’effet de la désintégration néo-libérale du secteur
énergétique et de l’apparition d’innovations technologiques. Ces processus combinés seraient à
l’origine de la formation de réseaux décentralisés et autonomes hors du système des réseaux
jusqu’alors pensés comme indéfiniment extensibles et universels (Coutard, 1999; Coutard,
Hanley, & Zimmerman, 2005; Dupuy, 2011; Graham, 2002; Graham & Marvin, 2001; Hodson &
Marvin, 2010; Lorrain, 2002; Offner, 2002). Une nouvelle dialectique territoriale, faite de
fragmentation et de différenciation sociale, obligerait ainsi à reconsidérer la pertinence de la
notion de large technical system, certains allant même jusqu’à percevoir les prémisses d’une ville sans
réseaux (Petitet, 2011).
Alors que la dimension technique et technologique du sujet est centrale, les deux courants
décrits jusqu’ici éludent de leur approche des transitions socio-techniques liées à l’énergie, la
dimension des pratiques et des usages individuels. Sous l’impulsion des nouvelles politiques de
maîtrise de l’énergie (dans une perspective d’aide à la décision publique), une littérature
14
scientifique émergente, usant de référentiels plus sociologiques et anthropologiques, s’attache à
disséquer les différents modes de réception des publics confrontés à l’utilisation d’une nouvelle
technologie. Dans la lignée des travaux d’Alain Gras sur la sociologie des techniques de la vie
quotidienne (Gras, Joerges, & Scardigli, 1992), des travaux sur la diffusion des innovations (Alter,
2002; Desjeux, 2002; Rogers, 1995), de la sociologie de la traduction (Akrich, Callon, & Latour,
2006), des chercheurs (Henning, 2005; Shove & Walker, 2010; Subrémon, 2009, 2010; Wilhite,
2005 ) en se focalisant sur l’usager et ses pratiques, tentent de « saisir les raisons pour lesquelles
les comportements des acteurs se transforment, ou pas, face à une politique, une technique, ou
un effet de contexte qui vise à les faire changer » (Zélem, 2010, p. 15).
Ce cadre théorique, d’essence pluridisciplinaire, constitue une trame et un appui théorique
salutaire cohérent avec la manière dont nous avons caractérisé les enjeux de la transition
énergétique, c'est-à-dire comme étant un processus multiforme impliquant la reconnaissance du
rôle d’acteurs politiques, institutionnels, économiques et techniques agissant à différentes
échelles, mais aussi prendre en compte l’implication de la société civile, des populations locales,
des communautés et des usagers.
OBJET ET OBJECTIFS DE L’ETUDE
Le choix d’Istanbul comme support d’investigation des enjeux énergétiques, s’avère
particulièrement pertinent pour plusieurs raisons. Un travail préliminaire de recherche réalisé en
Master 1 intitulé Politiques énergétiques et accès aux services urbains en réseau à Istanbul (Arik, 2011) avait
mis en lumière toute l’acuité et la sensibilité de la problématique énergétique dans cette métropole
turque. Locomotive économique d’une Turquie en pleine phase de croissance économique et
démographique, le dynamisme de la première métropole nationale, de plus de quinze millions
d’habitants, participe au gonflement de la facture énergétique nationale. Cette hausse est d’autant
plus préjudiciable que la Turquie est un pays grandement dépendant des ressources extérieures
qu’elle importe13. La Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (MMI), structure institutionnelle en
place depuis 1984, en lien avec des acteurs privés et dans le cadre de stratégies nationales, est à
l’origine de nombreuses initiatives afin de réduire sa consommation énergétique. Ainsi, voit-on
apparaître des projets de production d’électricité à partir de la méthanisation des déchets ou en
cogénération, des panneaux solaires et des éoliennes fleurissent sporadiquement sur des
13 72% des ressources énergétiques dont la Turquie a besoin sont importés d’Iran, d’Irak, du Turkménistan d’Azerbaïdjan et de Russie… (OCDE/IEA 2010)
15
bâtiments municipaux ou au cœur de projets immobiliers labellisés par les standards
internationaux de durabilité… L’une de nos principales conclusions faisait alors état d’une
réappropriation sélective des enjeux de durabilité et d’efficacité énergétique par la MMI qui
érigeait ces projets en vecteur d’internationalisation de la métropole. Cette conclusion s’appuyait
entre autres, sur l’observation d’une redéfinition opportuniste des missions d’acteurs semi-
municipaux dont le savoir-faire et l’expertise en matière énergétique s’avéraient fictifs et par
l’investissement des pouvoirs publics dans la fabrication de logements de standing,
énergétiquement mieux favorisés, accentuant ainsi la fragmentation sociale du territoire.
Aujourd’hui, avec plus de recul, le déroulé argumentatif aboutissant à cette conclusion, aussi
fondée puisse-t-elle être, révèle quelques lacunes. C’est pourquoi à l’aune des arguments dévoilés
par les courants mobilisés, notamment sur les enjeux de gouvernance, nous aimerions en premier
lieu réévaluer la pertinence de nos propos. Il s’agira en définitive de répondre à la question
formulée par les auteurs de l’ouvrage Cities and low carbon transition (Bulkeley, Broto, et al., 2011) :
comment et pourquoi Istanbul initie-t-elle une politique de transition énergétique et quelles en
sont les conséquences ?14 Ceci nous permettra d’évaluer la capacité institutionnelle, réglementaire
et politique des pouvoirs locaux, de mettre en lumière la liste des acteurs impliqués et des
rapports de force qui conditionnent leurs stratégies ainsi que les freins inhérents au changement
dans ce contexte. D’autre part, alors que les exemples mobilisés par ces auteurs radicaux traitent
souvent du cas des villes mondiales européennes et nord américaines (Londres, Stockholm, San
Francisco, New York…), observe-t-on le même déroulement des dynamiques à Istanbul ? Les
montées en généralité autour de la reconfiguration de ces gouvernements métropolitains
conservent-elles leur pertinence dans un contexte urbain différent ? C’est d’ailleurs cette question
que se posent Mike Hodson et Simon Marvin après avoir conclu qu’il est possible d’opérer une
transition socio-technique à l’échelle urbaine : « […] what happens in cities that do not have the resources
and capacities to mobilise that world cities have ? Further research should engage with transitions in cities other
than premium world cities and examine what transitions look like in ordinary cities, and cities of the global
South » (Hodson & Marvin, 2010a, p. 484)
Enfin, souhaitons que ce mémoire puisse apporter une première pierre heuristique à l’édifice
d’une méthodologie révélatrice des trous noirs des études actuelles sur la transition énergétique.
Pour ce faire, l’une des innovations socio-techniques majeures à l’échelle de la Turquie entrevue
14 « How, why and with what implications are cities effecting low carbon transition » p.3
16
l’année précédente nous servira d’appui. En effet, depuis les années 1990, l’Etat turc a initié une
politique d’acheminement du gaz naturel dans les plus grandes villes turques. A l’échelle
d’Istanbul, le succès somme toute limité de cette transition (un quart des ménages stambouliotes
feraient encore usage du bois ou du charbon comme moyen de chauffage15) ne peut se
comprendre uniquement via la focale des instruments d’actions publiques nationaux et
métropolitains. D’autres mécanismes de régulation politique et socio-économiques locaux ainsi
que les usages individuels de ces ressources mettent à mal cette transition énergétique pensée par
des coalitions d’acteurs nationaux ou « méta-métropolitains ». Comment réarticuler ces
différentes règles du jeu de l’action publique plus ou moins formelles à la réalité des usagers
finaux, tout en montrant l’ensemble des interactions entre acteurs de natures diverses source
potentielle de réinterprétation et de « traductions » différentes (Callon et al., 2006) qui peuvent
constituer autant d’accélérateurs ou de freins à la transition ?
PLAN
Trois temps seront nécessaires au déroulement de notre fil argumentaire. La première partie
développera plus en profondeur notre cadre théorique, ses limites, et la problématique qui en
découle au regard de notre terrain d’étude. Les deux parties suivantes centrées sur le terrain se
risqueront à la confrontation entre la théorie et la pratique ; la première d’entre elles se focalisera
plus particulièrement sur les dimensions de l’action publique et la seconde traitera de la récente et
majeure transition énergétique survenue à Istanbul depuis l’acheminement du gaz naturel.
15 Estimation réalisée par le journal Zaman dans un article du 14 mars 2005
17
Partie 1 :
Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche
1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES
Le dernier rapport du Word Energy Council intitulé Energy and Urban innovation (WEC, 2011)
réaffirme le rôle central joué par les villes dans la transition énergétique. Cette responsabilité
confiée aux gouvernements urbains locaux implique l’adoption d’un « ensemble de mesures »
(package measures) qui articule des réformes institutionnelles, économiques et financières afin de
permettre le déploiement de solutions techniques plus efficaces énergétiquement. Toutefois, les
auteurs du rapport précisent que ces réformes doivent toujours être considérées au regard de leur
inscription dans un contexte national et local spécifique. C’est ainsi qu’après avoir détaillé les
éléments théoriques mobilisés, nous souhaitons en révéler leurs limites à la lumière des
dynamiques urbaines de la ville d’Istanbul.
1.1.1. Les théories
Prévenons dès à présent le lecteur des difficultés rencontrées pour circonscrire
minutieusement notre cadre théorique. Cela tient au fait que certains auteurs naviguent
notamment au sein des deux premiers courants mobilisés, leurs objets d’étude s’avérant proches.
Dans un cas la transition est abordée via le prisme des instruments de l’action publique, dans
l’autre c’est l’objet des « réseaux » qui focalise l’attention. Dans les deux cas, on retrouve
l’évocation des deux approches. Ces deux grandes familles théoriques se différencient donc par la
manière d’aborder l’objet d’étude en question.
18
1.1.1.1. Gouvernance du changement climatique et transition socio-technique : jeux d’acteurs, jeux d’échelles
Gouvernance globale de l’environnement et perspective multi-niveau
Harriet Bulkeley, géographe anglaise et Michelle Betsill, politologue américaine, à l’origine de
la conceptualisation du global environnemental governance et du multi-level perspective16 (MLP), constatent
que l’action publique urbaine élaborée en vue de réduire les émissions de Co2, redessine les
contours du paradigme de la gouvernance, qui procède d’une part, à une redéfinition des rôles
verticaux entre l’Etat et les collectivités locales et, d’autre part, à l’apparition de nouvelles
relations horizontales entre de multiples acteurs. D’après les auteures, ces acteurs agissent
désormais dans et entre différentes échelles. La gouvernance du changement climatique ne serait
donc plus, ou globale, ou locale, mais beaucoup plus complexe car à la fois et globale et locale,
tout en étant hybridé en faisant fi d’une stricte hiérarchie entre les niveaux d’intervention. Cette
affirmation repose sur l’observation des stratégies d’action des réseaux transnationaux dédiés aux
questions énergétiques (ICLEI, C40, Climate Alliance and Energy Cities)17. Ces réseaux
contournent volontairement l’échelle nationale pour supporter directement les actions des
municipalités urbaines, perçues comme l’échelle optimale d’intervention politique contre les
effets du changement climatique. Agir à l’échelle locale serait pertinent car, premièrement, les
villes sont les principaux lieux d’émission de Co2 et de consommation d’énergie, c’est donc à
cette échelle que les gouvernements locaux peuvent et doivent agir ; deuxièmement, les villes sont
déjà sensibilisées aux enjeux du changement climatique (généralisation des Agendas 21 locaux),
certaines d’entres elles ont acquis une grande expérience de management et d’expérimentation de
solutions innovantes ; troisièmement, les autorités locales sont des interlocuteurs privilégiés des
acteurs privés, ces formes de partenariat (PPP) existent déjà autour des projets énergétiques. Les
mille deux cents collectivités locales aujourd’hui membres du réseau18 reçoivent ainsi un appui
logistique pour des projets de monitoring des émissions de Co2, tout en s’inspirant des bonnes
pratiques existantes, diffusées grâce au réseau.
Selon ces auteures, les théories traditionnelles des régimes internationaux et des réseaux
transnationaux n’offrent plus désormais un cadre d’analyse suffisamment pertinent pour
16 Bulkeley, Betsill, 2005, Cities and Climate Change : urban sustainability and global environmental governance, Routledge ; Bulkeley, Betsill, 2006, « Cities and the Multilevel Governance of Global Climate Change, Global Gouvernance, vol.12, n°2 17 Harriet Bulkeley et Michelle Betsill se focalisent sur le programme Cities for Climate Protection (CCP) du réseau International Council for Local Environmental Initiatives (ICLEI) 18 Voir le site www.iclei.org
19
comprendre l’action des réseaux municipaux transnationaux. Alors que la théorie des régimes
d’action confirme l’influence encore majeure des Etats en tant que garants de la souveraineté
nationale et concepteurs des règles de coopération à l’intérieur du régime : « this top-down perspective
assumes a vertical relationship between the international, national, regional, and local scales and ignores the role of
local governments as an important site of global environmental governance in their own right » (M. Betsill &
Bulkeley, 2006, p. 146). Les auteures n’hésitent pas à rappeler que les villes se sont initialement
appropriées la question climatique en dehors de tout cadre national. De son côté, l’analyse
traditionnelle des réseaux transnationaux amplifie le rôle des acteurs non gouvernementaux tout
en affaiblissant l’influence des acteurs gouvernementaux : « rather than establishing transnational
networks as non-state actors, it may be appropriate to view them as multifaceted, having some of the features of
nongovernmental, quasi-governmental and business organizations » (Betsill & Bulkeley, 2006, p. 148).
L’analyse de la gouvernance multi-niveau est ainsi un nouveau cadre conceptuel proposé par
ces auteures, originellement adapté à l’analyse des politiques de développement régional au sein
de l’Union Européenne. Selon elles, seule cette approche permet d’illustrer la triple dynamique de
redistribution (rescaling) des arènes et des formes de gouvernement du changement climatique :
vers le haut jusqu’aux organismes internationaux et réseaux transnationaux ; vers le bas en
direction des villes et des régions ; vers l’extérieur avec l’apparition d’acteurs non
gouvernementaux. Plus qu’un cadre d’analyse des nouvelles formes de coordination verticale et
horizontale, la gouvernance multi-niveau entend rendre compte d’une hiérarchisation des
relations beaucoup plus poreuse voire quasi-absente. En effet, certains membres des réseaux
(industriels, ONG, société civile…) agissent à différentes échelles. Les réseaux transnationaux ont
ainsi la capacité d’arbitrer et de négocier au nom de leurs membres au sein des différentes arènes
décisionnelles. Cette légitimité s’explique en partie par le fait que les réseaux ont su créer leur
propre arène de gouvernance en s’imposant des règles et des normes d’action ainsi que des
objectifs partagés par tous les membres. Il est important de souligner à cet égard que cette
gouvernance climatique n’écarte pas les acteurs gouvernementaux. Bien au contraire, au sein des
réseaux, on retrouve la présence d’agences gouvernementales dédiées à ces questions. L’échelle
nationale demeure ainsi toujours pertinente pour définir un cadre d’interprétation des enjeux du
changement climatique: « a multilevel governance perspective does not necessarily signal a weakening of the
state but rather a redefinition of the scope and scale of state activity » (Betsill & Bulkeley, 2006, p. 153).
Cette gouvernance, faite d’arrangements polycentriques entre des sphères d’autorité plus ou
moins interconnectées, sans relations hiérarchiques stabilisées, entrecroise les règles, les normes,
20
les intérêts et les valeurs de chaque groupe. Cette nouvelle redistribution des rôles et des marges
de manœuvre de chacun est alors source de conflits et de potentielles inerties locales. Preuve du
caractère intrinsèquement contesté de ce processus (M. Betsill & Bulkeley, 2006, p. 154),
l’opérationnalisation et la transcription des objectifs généraux élaborées par les réseaux
transnationaux en politique publique locale rencontrent parfois certaines complications. Ce
dernier facteur est d’ailleurs l’un des points de désaccord scientifique concernant les trajectoires
de diffusion des transitions socio-techniques développées par Franck W. Geels.
Débats à propos des transitions socio-techniques
Cet auteur néerlandais qui s’intéresse aux mécanismes d’apparition des transitions
technologiques, est le pionnier du MLP (Multi-Level Perspective)19. Ce concept analytique situe
les transformations technologiques dans un cadre socio-politique et économique large. Geels
établit trois niveaux de compréhension des interactions entre acteurs. Une innovation se
développerait à l’intérieur de « niches » (échelle micro), puis elle se diffuserait progressivement au
cœur de « paysages sociotechniques » (échelle macro) par l’intermédiaire des « régimes socio-
techniques » (échelle méso).
Figure 1 : Perspective Multi-Niveau des transitions socio-techniques (F. W Geels & Schot, 2007, p. 401)
19 A ne pas confondre avec la gouvernance multi-niveau de Bulkeley en dépit des sigles identiques parfois employés.
21
Les niches décrites comme des « chambres d’incubation » (Geels, 2004, p. 912) sont des espaces
stables et protégés par des règles précises, dans lesquels les producteurs (scientifiques R&D)
sponsorisés par des acteurs nationaux ou privés tentent de stabiliser une innovation par différents
moyens (réseaux scientifiques, publications, séminaires…). Les régimes socio-techniques, scènes
encore plus stabilisées que les niches, caractérisent une « série de règles semi-cohérentes » (Geels,
2002, p. 1260) instituée entre différents acteurs (autorités publiques nationales voire locales,
financiers, fournisseurs industriels, usagers…) pour influencer une trajectoire technologique. La
formation de cette institution collective, aux ressources cognitives plurielles, réunie autour d’une
vision partagée, fonctionne comme un « mécanisme de rétention et de sélection des innovations »
(Geels, 2002, p. 1260). Les trajectoires technologiques, confortées ou non par les régimes, sont
enfin enchâssées dans un « paysage socio-technique » qui regroupe des macro-tendances socio-
économiques (démographie, niveau de vie, conjoncture des prix, système culturel…), politiques
(configuration des forces politiques), matérielles (infrastructures) et géographiques (aménagement
du territoire). Le « paysage » représente donc une externalité majeure qui influe sur la diffusion
d’une technologie. Les premières critiques adressées au MLP dénonçaient la linéarité de type
bottom-up des trajectoires technologiques ; ce mouvement ascendant caractérisant l’ouverture
d’une fenêtre d’opportunité par les régimes et paysages qui permettait aux innovations de trouver
une attention particulière et ainsi se diffuser. Geels a réajusté son concept en rappelant dans un
premier temps qu’un processus de transition socio-technique est un processus qui doit se lire
dans le temps long et qu’il n’est jamais une transition brutale mais plutôt la conséquence d’une
série d’innovations incrémentales. Ainsi, dans cette version corrigée du MLP (Geels & Schot,
2007), Geels conçoit que des interactions « perturbatrices », « compétitives », « renforcées » ou
« symbiotiques » couplées à la temporalité des pressions (pression du régime sur une niche peu
développée par exemple) n’ont pas les mêmes conséquences sur la transition. Il en résulte une
typologie des transitions en fonction des temporalités et de la nature des interactions entre
acteurs qui conduisent à expliquer des processus d’alignement/désalignement entre niveaux, des
degrés de pression variables et descendants, l’ouverture de fenêtres d’opportunité ou la
persistance des chemins de dépendance à certains moments.
Cette complexification du MLP ne réussit cependant pas à séduire certains chercheurs. Deux
éléments de critique retiennent particulièrement notre attention. Le premier, nous l’avons déjà
évoqué, concerne le caractère fondamentalement politisé des transitions. Les conflits entre
acteurs en tant que « motivation et contrainte structurante du changement » (Bulkeley, C.Broto, &
22
Maasen, 2011, p. 33) sont ainsi minimisés au sein du MLP. La seconde critique porte sur la non
prise en compte des villes dans le processus, alors qu’elles représentent désormais les principaux
lieux de concentration humaine et économique. Ce n’est pas un hasard si cette critique provient
de géographes radicaux (Hodson & Marvin, 2010a) percevant le processus d’urbanisation comme
consubstantiel à la transformation du capitalisme : les villes absorbant le surplus de capital
engrangé dans d’autres secteurs (Harvey, 2011). Pour Geels, les villes ont un rôle important
uniquement durant les phases initiales de la transition, mais qui s’amenuise durant les phases de
diffusion qui impliquent des acteurs nationaux plus influents (Geels, 2011). Pour les géographes
radicaux, la position des métropoles dans la hiérarchie urbaine mondiale et nationale ainsi que le
niveau de ressources institutionnelles et financières dont elles disposent, déterminent leur
capacité à être influencées ou d’influencer une transition nationale20, (Hodson & Marvin, 2010a,
p. 481). A l’image de leurs études sur la diffusion de la technologie de l’hydrogène à Londres, la
transition socio-technique est ici analysée en termes de policies (Bulkeley, C.Broto, & Maasen,
2011; Hodson, Marvin, 2007) mettant en valeur des choix et des orientations en fonction du jeu
d’intenses négociations entre acteurs publics et privés, nationaux et locaux aux intérêts distincts.
Les différentes études de terrain menées par Simon Marvin et Mike Hodson sur les
reconfigurations politiques et matérielles constitutives des politiques d’adaptation aux effets du
changement climatique dans différentes villes mondiales du Nord, les conduisent à formuler une
thèse stimulante (Hodson & Marvin, 2010b). L’accroissement de l’intensité des pressions
écologiques (hausse du niveau de mer, canicules, inondations) et énergétiques (raréfaction des
ressources) auxquelles ces villes sont soumises augmente la vulnérabilité des infrastructures
urbaines21 installées au cœur du mécanisme de stabilité et d’expansion économique urbaine. Ainsi,
selon eux, la diffusion des connaissances et des nouvelles pratiques de l’action urbaine depuis les
attentats du 11 septembre ou la catastrophe naturelle occasionnée par l’ouragan Katrina,
véhiculée notamment au travers des réseaux transnationaux22 a pour but de sécuriser ces
infrastructures garantes des capacités de reproduction économique des villes. Cette recherche de
sécurisation urbanistique et de résilience des infrastructures (SURI : secure urbanism and resilient
infrastructure) réalisée par les « coalitions de croissance » (growth coalition) à la tête de ces métropoles
post-démocratiques et oligarchiques (Pinson, 2010) n’est pas sans conséquence sur la
20 « Cities have differential capacity to ‘be shaping of’ or shaped by national transitions » (Hodson & Marvin, 2010a, p. 481) 21 L’interconnexion entre l’ensemble de ces infrastructures avait déjà considérablement augmenté leur vulnérabilité (Zimmerman, 2002) 22 Ils prennent exemple du réseau C40 (Cities Climate Leadership group) « espace exclusif d'échanges et d'expérience regroupant grandes entreprises, experts et représentants politiques des plus grandes villes » (Verdeil, 2011, p. 2)
23
transformation d’un métabolisme urbain pensé comme réticulaire jusqu’à aujourd’hui, et mis en
lumière par les tenants des large technical system.
1.1.1.2. Les Large Technical System (LTS) : un concept encore d’actualité ?
La notion de macro-système technique est étroitement liée à celle de réseau qui définit « un
ensemble d’équipements interconnectés, planifié et géré de manière centralisée à une échelle
tantôt locale, tantôt plus large et offrant un service plus ou moins homogène sur un territoire
donné qu’il contribue ainsi à solidariser » (Coutard, 2010, p. 102). Sans entrer dans le détail des
controverses sémantiques entre ces deux notions23, nous pensons à l’instar d’Alain Gras (Gras,
1993, p. 113) que l’expression macro-système technique renvoie plus fidèlement à la conception
systémique d’un réseau dont l’efficacité de fonctionnement s’accroît proportionnellement à
l’augmentation de sa taille. L’archétype des LTS sont les réseaux de transport, de
télécommunication, d’approvisionnement énergétique et les réseaux de services urbains (eau,
assainissement, électricité, gaz…). Ces grands réseaux ne sont donc pas l’expression unique d’une
réalité matérielle ou technique mais sont constitutifs d’un système d’action aux implications
institutionnelles, sociales et territoriales fortes. Le choix d’extension d’un réseau, les modalités de
son exploitation (universalité du service, tarification à l’usager) sont le « résultat d’un consensus
entre divers intérêts en présence » impliquant les autorités publiques territoriales compétentes et
l’opérateur du réseau (Offner, Pumain (ss la dir), 1996, p. 65). Délaissant partiellement l’approche
territoriale des réseaux essentiellement mise en avant par le groupement de recherche Réseaux du
CNRS (processus d’homogénéisation/solidarisation territoriale, de connexité/contigüité spatiale
évalué en fonction des degrés d’accès au service et de l’impact des réseaux dans la construction
politique des territoires)24, l’approche LTS s’intéresse plus spécifiquement aux évolutions des
modes de régulations politiques et économiques ainsi qu’aux stratégies des firmes individuelles
(management), des secteurs économiques (régulation industrielle et publique) en relation avec les
dynamiques sociétales plus globales (Coutard, 1999, p. 1). Les réseaux urbains sont ici perçus
sous le prisme des systèmes technico-économiques et socio-politiques.
23 A ce sujet se reporter à l’article de Jean Marc Offner, intitulé « Réseaux et large technical system : concepts complémentaires ou concurrents », Flux n°26, 1996, pp.17-30 24 « Les réseaux promeuvent à mesure de leur développement une forme spécifique de territorialité commandée par un principe de connexité plutôt que de contigüité et caractérisée par un télescopage des échelles spatiales. […] Symétriquement le développement des réseaux est conforté par cette forme de territorialité. Dans le même temps, l’équipement infrastructurel et la fourniture des services universels participent de la construction des territoires politiques (notamment nationaux) » (Coutard, 2010, p. 107) ; « Moreover, the development of LTSs cannot be reduced to their spatial dimensions. Sometimes, the ‘largeness’ of an LTS does not even refer to its size at all » (Coutard, 1999, p. 3)
24
Depuis deux décennies, d’importantes évolutions contextuelles et structurelles réinterrogent la
pertinence du concept de macro-système technique : « À la circulation linéaire des flux favorisée
par les réseaux (prélèvement de la ressource, approvisionnement des zones peuplées, puis
évacuation des déchets) est désormais préférée une circulation (re)bouclée des flux d’eau,
d’énergie, de matières (recyclage, réutilisation). Au référentiel de l’efficacité technico-économique
(économies d’échelle et d’envergure; gestion de flux) est préféré un modèle de la performance
écologique (préservation des ressources et des milieux; gestion de stocks). À l’échelle large des
réseaux conventionnels (régions urbaines, espaces nationaux…) est préférée l’échelle locale du
bâtiment, de l’îlot, du quartier. À la satisfaction systématique de besoins inexorablement
croissants est préférée la recherche d’une plus grande ‘sobriété’ » ( Le Bris et Coutard, 2009, p.
6). Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ces transformations qui autorisent désormais
l’apparition de réseaux décentralisés plus autonomes aux marges des grands réseaux industriels
(Rutherford & Coutard, 2009). Le premier est la remise en cause de l’efficacité environnementale
de ces systèmes réticulaires qui dissocient, de manière toujours plus forte, les lieux de
prélèvement des ressources des lieux de leur consommation jusqu’aux lieux de déversement des
déchets rejetés. Le souhait de recréer des systèmes autonomes promouvant un métabolisme
circulaire a notamment été rendu possible par le développement des NTIC « mises au service
d’une organisation fonctionnelle plus distribuée » (Rutherford & Coutard, 2009, p. 8) et par
l’apparition des nouvelles technologies énergétiques. D’autre part, des transformations macro-
économiques ont également profondément bouleversé les modes de régulation traditionnelle des
LTS. En effet, les réseaux socio-techniques étaient gérés jusqu’à présent sous la forme de
monopoles publics, modèle organisationnel naturel pour ce type d’activité jugée trop stratégique
pour être laissé aux logiques du marché. Les réformes libérales du secteur des réseaux ont remis
en cause ce système hiérarchisé fortement régulationniste (octroi d’importantes subventions
publiques pour baisser les tarifs). Les préceptes de déréglementation et de désintégration du
marché ont ouvert à la concurrence ces secteurs autorisant ainsi les privatisations et l’apparition
de nouveaux opérateurs. Enfin, au fur et à mesure qu’une majorité des populations urbaines ont
eu accès aux LTS, à l’enthousiasme populaire initial a succédé un souhait de différenciation avec
des services de plus grande qualité et plus individualisés. Cette dynamique est étroitement
corrélée avec les mutations urbaines actuelles qui permettent l’accès à des services mieux adaptés
à chacune des demandes (mini-réseau, individualisation des factures…) favorisant ségrégation et
fragmentation socio-spatiale au détriment d’une solidarité et d’une homogénéité territoriale des
services.
25
Ces deux derniers facteurs, et notamment le premier plaideraient en faveur du processus de
splintering urbanism mis en lumière par Stephen Graham et Simon Marvin (Graham & Marvin,
2001) qui évoquent les conséquences territoriales désastreuses des disparitions des grands services
urbains en réseaux pensés alors comme intégrateurs et universels. Selon eux, le processus de
désintégration (unbundling) cautionnerait les logiques de contournement (by-pass) des grands
réseaux au profit d’espaces solvables (premium network spaces) et au détriment de ceux qui le sont
moins. Ce modèle devient ainsi source de fragmentation. Cette thèse de la fragmentation
soutenue par la dérégulation des macro-systèmes techniques n’est cependant pas jugée recevable
par nombre de spécialistes de la question25 (Coutard, 2008; Dupuy, 2011; Lorrain, 2002, 2011;
Coutard, 2010). Deux éléments centraux semblent venir contester les arguments de ces
géographes radicaux. Le premier est lié au postulat sur lequel s’est fondée toute leur théorie, selon
lequel, avant ces réformes économiques, le service proposé était entièrement universalisé et
intégré. L’histoire des réseaux n’a pourtant jamais témoigné d’une intégration urbaine complète
en termes socio-spatiaux en particulier dans les villes du Sud (Coutard, 2008) : « finally, behind the
universality of services, a great disparity in the quality of service lies hidden » (Offner, 2002). Cette
fragmentation urbaine par les réseaux est d’ailleurs souvent l’œuvre des stratégies volontaires de
différenciation socio-spatiale mises en œuvre par les autorités publiques locales elles-mêmes.
L’acteur privé ne peut donc être considéré comme l’unique responsable des processus de
fragmentation urbaine26. Le second élément évacue de cette théorie la réalité des stratégies locales
d’adaptation des populations face aux déficiences des services urbains qui, comme la littérature
sur les Petits Opérateurs Privés (POP) l’a montré, permet de parler d’une diversité des situations
au-delà de la séparation péremptoire entre branchés/débranchés (Jaglin, 2004). En définitive, à
défaut de pouvoir généraliser à propos d’une aggravation de la ségrégation urbaine par les réseaux
depuis la désintégration du secteur, la théorie du splintering urbanism soutient involontairement
l’impérieuse nécessité de toujours examiner le contexte social, économique, politique et culturel
dans lequel s’insèrent les services urbains en réseau.
Concluons enfin cette partie en répondant à la question initialement posée : les LTS sont-ils
un concept et a fortiori une forme matérielle dépassés ? A ce sujet, la position de plusieurs
25 Pour une critique complète de cette théorie, se reporter à l’article d’Olivier Coutard intitulé « Placing splintering urbanism : introduction », 2008, Geoforum 39, pp.1815-1820 26 Dans la conclusion de l’ouvrage de Dominique Lorrain sur les métropoles XXL, on peut notamment lire : « […] si un urbanisme ségrégué se développe, c’est plus par la promotion foncière et les opérations de construction que par les réseaux urbains, dont la vocation à l’universalisation et la forte réglementation par la puissance publique sont partout affirmées » (Lorrain, 2011b, p. 396)
26
auteurs est sans équivoque (Le Bris & Coutard, 2009; Coutard, 2010; Rutherford & Coutard,
2009). Selon eux, les vertus des macro-systèmes techniques demeurent en dépit des contestations
environnementales et économiques dont ils sont l’objet. Ils invitent à se méfier de la doxa
écologique du « small is beautiful » car les systèmes alternatifs, plus autonomes et plus petits ne sont
pas des solutions parfaites. Le métabolisme circulaire promu par ces systèmes ne serait pas sans
risque hygiénique face au danger de stagnation des flux. Qui plus est, leur autonomie est bien
souvent garantie grâce à leur raccordement au grand réseau industriel. La forme des LTS n’est
donc pas à sacrifier sur l’autel de la durabilité, mais doit au contraire s’ajuster pour former des
« systèmes hybrides » ou « composites » (Coutard, 2010). Par ailleurs, en s’intéressant aux intérêts
motivant ces changements, ce chercheur montre que ces systèmes souvent présentés comme
décentralisés sont en réalité gérés de manière autant, sinon plus centralisée que les grands réseaux
industriels. C’est pourquoi, ceux qui participent au développement de ce qu’il appelle la post-
networked city ne sont en réalité pas toujours motivés par des préceptes de durabilité, mais plutôt
attirés par l’opportunité présente des technologies qui peuvent garantir le maintien et la
reproduction identique du fonctionnement des anciens systèmes (Coutard & Rutherford, 2011).
Enfin, les investissements massifs dans les grandes infrastructures de réseau, réalisés dans les
villes du Sud27, ne semblent pas plaider en faveur d’une disparition des macro-systèmes
techniques. Au contraire, ils représenteraient dans le contexte de ces métropoles XXL, des
vecteurs politiques d’intégration territoriale et d’apprentissages institutionnels de nouveaux
instruments de l’action publique (Lorrain, 2011).
1.1.1.3. Pratiques et usages: les grands oubliés de la transition énergétique
Enjeux de nouvelles luttes politiques et économiques au cœur d’une transition énergétique
moins carbonée, ces réseaux s’avèrent également contournés par les pratiques locales d’autres
acteurs. Cet aspect de la transition est peu, voire non détaillé, par les courants précédents cités
bien que les auteurs restent conscients de son importance : par exemple, Harriet Bulkeley écrit
« infrastructure networks are not only contested but also in some way subverted by the everyday practices of actors in
the city » (Bulkeley, C.Broto, et al., 2011, p. 37). Ces pratiques sociales désignent les nouveaux
comportements individuels, mais aussi collectifs, issus d’une confrontation avec une nouvelle
technique énergétique. Dans notre cas d’étude, cela peut concerner des nouveaux modes de
chauffages, des techniques pour économiser l’eau, l’électricité, la chaleur. Ces pratiques entraînent
27 Dynamique mise en lumière dans les contributions à l’ouvrage de D.Lorrain, 2011, Métropoles XXL en pays émergents, Les Presses de SciencesPo
27
l’apparition de nouveaux usages quotidiens en remplacement d’anciens. Cette séquence de
l’appropriation, de la confrontation à quelque chose d’étranger, est potentiellement source de
tensions individuelles ou collectives. Les normes inconsciemment intériorisées sont mises à mal.
L’ordre social est momentanément perturbé. Dominique Desjeux parle des « rugosités sociales »
pour évoquer ces freins au changement. L’émergence de nouvelles pratiques est donc le fruit
d’une « transformation simultanée des relations économiques, sociales et symboliques du terrain
d’accueil » (Alter, 2002, p. 17). Le chemin de l’innovation est tortueux. Il représente « l’ensemble
du processus social et économique amenant l’invention à être finalement utilisée ou pas » (Alter,
2002, p. 16).
Paradoxalement, cette question des pratiques sociales liées à l’énergie n’est que depuis peu
l’objet d’une attention particulière. Jusqu’à présent, le débat sur la transition énergétique avait été
accaparé par un regard centré sur l’offre de création technologique délivrée par des ingénieurs ou
des économistes (Henning, 2005; Shove & Walker, 2010; Wilhite, 2005). Il en résulte des
innovations technologiques et des dispositifs pensés « indépendamment des cultures [faisant] fi
des particularités des acteurs, des systèmes d’acteurs et des environnements auxquels ils
s’adressent » (Zélem, 2010, p. 13). Actuellement, ce paradigme techno-centré se décloisonne petit
à petit depuis la prise de conscience de la part des énergéticiens et des thermiciens que leurs
inventions ne deviendront innovations que si les comportements des usagers se les approprient
entièrement28. Comprendre les conditions d’appropriation d’une création dans un milieu donné,
moment charnière du processus d’innovation, implique d’adopter un regard sociologique et
anthropologique recentré sur les demandes : « anthropology is equipped to reframe energy demand as
taking place in the interaction between the consummers and producers of energy choices, both of which are socially
constituted » (Wilhite, 2005, p. 2).
Ces approches rejettent la rationalité individuelle de l’homo-œconomicus. Elles tentent de
montrer que les comportements individuels sont contraints par certains déterminismes sociaux.
Ils sont motivés par des habitus structurés et structurants pour reprendre le vocabulaire
bourdieusien. L’usage de l’énergie n’est pas uniquement lié à une dimension utilitariste (besoin
primaire de se chauffer ou d’accéder à l’électricité) mais également à des questions de classes
sociales, à des effets d’appartenances identitaires plurielles (l’individu réseau), de genre, de morale,
28 Cette affirmation repose sur une discussion menée avec un ingénieur thermicien de l’INSA qui nous expliquait que l’un des principaux verrous scientifiques auxquels les ingénieurs étaient confrontés concernait la compréhension des usages à l’intérieur des bâtiments pour tenter des les modéliser dans des logiciels de simulation en vue d’adapter les dispositifs d’habitat.
28
de normes culturelles et symboliques qui expliquent des variations comportementales face à une
technique. La transition socio-technique perturbe le système social dans lequel elle s’insère.
Toutefois, les différents degrés de résistance à l’adoption d’une technique ne peuvent pas se lire
via le prisme d’un argument naturaliste ou d’une inertie inhérente à certaines populations qui ne
veulent pas remettre en cause leurs anciennes pratiques. Les sociologues de l’innovation
considèrent la diffusion comme un « processus social complexe, comme la résultante de
l’agrégation d’une série d’interactions qui transforment une partie du contenu technique de
l’innovation » (Desjeux, 2002, p. 47) et qu’il s’agit donc de démêler. Pour ce faire, les dimensions
sociales, matérielles et symboliques, centrales au cœur du processus de diffusion d’une innovation
(Desjeux, 2002) ne sont révélées qu’à travers une variation des focales d’analyse, du macro-social
au micro-individuel, une dynamique étant visible à une échelle d’observation mais ne le sera plus
à une autre (Desjeux, 2004).
Comprendre les multiples facettes des résistances au changement selon ces différentes focales
d’analyse ne revient donc pas à extirper l’individu ou l’usager de son environnement. Bien au
contraire, ne peut être écartée l’analyse du contenu des dispositifs politiques au capital cognitif
important qui accompagne la diffusion des innovations. C’est dans cette optique que Marie-
Christine Zélem, étudiant les mises en œuvre de politiques de maîtrise de l’énergie (Zélem, 2010),
élabore une anthropologie des décisions à la fois des usagers mais également des professionnels
du secteur des bâtiments et des décideurs politiques. Il s’agit en définitive de « révéler que les
consommateurs ne sont pas seuls à être pris dans des routines et des habitudes, des usages qui
concourent à modeler les politiques publiques et leur inscription sociale » (Subrémon, 2010b).
Si l’on s’intéresse aux résultats de certaines de ces études socio-anthropologiques de l’énergie,
aucun dénominateur commun ne semble influencer intégralement une consommation d’énergie
ou constituer un frein au changement. Des facteurs cognitifs, techniques ou symboliques entrent
en jeu et rendent difficile la généralisation de « recettes » facilitant le changement. Seule une
analyse socio-anthropologique fine des spécificités du terrain semble à même de révéler les
problèmes de diffusion. Ainsi, alors que Christophe Beslay souligne l’importance du poids de la
technique au détriment des dispositions sociales ou des habitudes au cours du passage à
l’individualisation des frais de chauffage dans des copropriétés françaises (Beslay, 2008), Hélène
Subrémon, s’intéressant aux pratiques de l’habiter en fonction des saisons, montre que les
pratiques de consommation d’énergie sont étroitement corrélées aux constructions sociales et
culturelles de l’espace domestique (Subrémon, 2010a). Dans ce dernier cas, le poids des
29
techniques est minimisé face à l’importance de pratiques mésologiques et des représentations
individuelles du foyer en fonction des saisons. Marie-Christine Zélem, quant à elle, pointe du
doigt l’absence d’information, de médiation et d’accompagnement des dispositifs de maîtrise de
l’énergie comme frein au changement au-delà de leur contenu, plus ou moins adapté, et au-delà
des conditions d’acceptabilité sociale du changement (Zélem, 2010).
1.1.2. Apports et limites du cadre théorique
Cette présentation succincte des courants mobilisés autour de l’enjeu de la transition
énergétique dans les villes en développement a révélé la diversité des positionnements et des
opinions des auteurs qui ne recourent pas aux mêmes disciplines, aux mêmes méthodologies et
aux mêmes objets d’études. Pourtant, les trois grandes familles théoriques présentées ne semblent
pas s’opposer mais au contraire se compléter. Nous y voyons des éléments d’articulation qui
permettent de densifier les analyses traditionnelles des transitions énergétiques en milieu urbain.
En faisant dialoguer ces théories, il s’agirait de mieux illustrer la transition énergétique comme
étant un phénomène multi-causal, construit progressivement par la co-évolution d’éléments a
priori indépendants mais qui s’enrichissent réciproquement. Les dimensions politiques et
économiques prioritairement mises en avant au sein de la littérature sur les transitions socio-
techniques sont contrebalancées par la réintroduction de la focale des pratiques individuelles de
l’énergie. Par exemple, la linéarité des trajectoires verticale de type bottom-up mise en avant dans le
MLP de Geels s’enrichit des circulations plus horizontales incarnées par des pratiques sociales
considérées comme une dynamique continue et toujours en cours, moins matérielle, mais qui
contribue à façonner le processus de transition (Shove & Walker, 2010). De même que l’analyse
multi-niveau des décisions politiques peut révéler bien des éléments quant à la nature de la
transition, celle des pratiques individuelles au sein d’une salle de bain en révélera d’autres si l’on
reprend l’exemple de Elisabeth Shove et Gordon Walker autour des transitions du quotidien
(Shove & Walker, 2010). Ces derniers écrivent ainsi: « what people do in the privacy of their own
bathrooms is environnementally vital, sociotechnically embedded and subject to processes of multiple causality and
co-evolution. In addition, bathroom routines appear to have arisen and disappeared as an outcome of connected
changes – in concepts of health, in investments in mains water supply, in beliefs and notions of propriety – all of
which reinforce each other. Despite fitting the definition provided above, bathing is not a usual topic for transition
studies. Nor is it one that fits easily in the scheme of the multi-level perspective » (Shove & Walker, 2010, p.
472). Les interactions entre acteurs commerciaux (produits d’hygiène, cosmétiques), acteurs
techniques (opérateurs du réseau d’eau), immobiliers (configuration de l’espace), nationaux
30
(sensibilisation publique autour de l’hygiène) et l’usager du lieu, porteur de normes, de
conventions personnelles (hygiène corporelle, santé mentale, fraicheur…) sont toutes
perceptibles dans cet espace et concourent ensemble à expliquer pourquoi prendre une douche
est devenu un comportement quotidien depuis moins d’une génération. Des déductions
semblables pourraient être réalisées autour des questions de chauffage par exemple. Comme le
montre Hélène Subrémon, au sein de la sphère domestique « le chauffage n’est […] jamais
suffisant pour que la sensation de chaleur soit complète. Pour la conserver, des pratiques se
mettent en place qui participent à la construction du climat intérieur […] » (Subrémon, 2010a, p.
709). Son argumentation, qui met en lumière les différentes formes d’appropriation des pièces de
l’espace domestique par rapport à leur résistance au chaud ou au froid et aux représentations des
fonctions des lieux, ne s’articule cependant pas avec des considérations plus politiques et
économiques29 et ce en fonction des différents contextes nationaux et locaux étudiés. Observe-t-
on des pratiques ou des représentations de consommation de l’énergie similaires selon que les
opérateurs énergétiques soient privés ou publics ? Le cas échéant, quels leviers (mode de
facturation, degré de confiance dans l’opérateur, degré de sensibilisation aux économies
d’énergie…) s’avèrent déterminants ? Dans quelles mesures les choix énergétiques nationaux et
les stratégies d’efficacité énergétiques locales ont-ils un impact sur les consommations ?
D’autre part, le courant des LTS renforce cette articulation théorique par le fait que l’objet
étudié, c'est-à-dire le réseau, représente le moyen matériel par lequel l’énergie est acheminée
jusqu’à l’usager. C’est ce que Nicolas Curien appelle le « réseau-support » (Curien, 1993) qui
permet les transactions de flux en termes économiques et dont le fonctionnement est assuré grâce
aux services intermédiaires de « contrôle-commande ». En aval, le réseau permet in fine de
fournir un service plus ou moins différencié et adapté à différentes catégories de clients (Curien,
1993, p. 54). Une comparaison entre les caractéristiques de cet ensemble de prestations et les
pratiques effectives des catégories sociales, considérées comme des usagers et non plus des
clients, peut témoigner d’une certaine inadaptation, potentiel frein à toute transition énergétique.
Cette méthodologie disposerait d’une dimension d’aide à la décision publique pour adapter des
politiques de maîtrise de l’énergie en lien avec les opérateurs des réseaux aux populations ciblées.
29 Précisons que nos propos se basent uniquement sur une synthèse (Subrémon, 2010a) de son travail de doctorat que nous
n’avons malheureusement pas eu le temps d’apprécier. Notre idée est simplement de dire ici que de manière générale, les études socio-anthropologiques autour des pratiques de l’énergie écartaient de leur approche ces questions d’ordre socio-politique et économiques, ce qui se comprend aisément par la nature de l’objet étudié et la méthodologie employée.
31
Néanmoins, ces trois familles théoriques, bien qu’articulées entre elles, ne paraissent pas assez
étoffées pour rendre compte des spécificités de la gestion urbaine des villes en développement.
S’intéresser à la question de la transition énergétique dans ces villes, via le prisme des services
urbains en réseau, ne peut pas procéder exclusivement d’une lecture des institutions formelles
incarnées par les coalitions de croissance qui les pilotent. Bien que le modèle du « bien
gouverner »30 (Lorrain, 2003) promu par les instances financières internationales ait largement
reconfiguré les gouvernements traditionnels dans ces villes et ne soit donc pas resté un vœu
pieux, les particularités de l’action collective locale, fortement ancrées territorialement, remettent
partiellement en cause cette notion de modèle (Dorier-Apprill & Jaglin, 2002). Il serait plus juste
de parler des modèles de gestion urbaine31 voire d’un modèle de service urbain local construit
dans le temps long (Lorrain, 2011b). Cette gouvernance hybride dans laquelle « les activités non
conventionnelles sont nécessaires à la satisfaction des besoins basiques des citadins les plus
pauvres et sont de ce fait tolérées, sous diverses formes par les pouvoirs publics » (Lorrain,
2011b, p. 387) n’est que peu étudiée dans le cadre théorique mobilisé. Quoique les géographes
radicaux insistent sur la notion de conflits et de contestations entre acteurs, il n’est fait souvent
que référence à ces acteurs « métropolitains », souvent décrits comme une minorité oligarchique
formée depuis les réformes néolibérales. Cette relative déconnexion des modalités d’une action
collective infra-métropolitaine, plus territorialisée ne rend pas compte des enjeux de politisation,
d’instrumentalisation et des rapports de force politiques et économiques locaux autour des
services urbains. Marie-Hélène Zérah, dans son chapitre sur Mumbai, métropole XXL, montre
bien comment la complexité des régulations des services urbains peut se comprendre à travers le
rôle crucial des élus locaux qui « organisent une forme vernaculaire d’accès au service, fondée sur
une relation privilégiée avec certains groupes » (Zérah, 2011, p. 160). D’autre part, bien que le
local ne puisse être considéré comme « un simple pôle de résistance au changement » (Dorier-
Apprill & S. Jaglin, 2002, p.7), il ne faut pas sous-estimer la vigueur des mobilisations sociales en
tant que force perturbatrice d’un ordre établi jugé injuste. Géraldine Pflieger évoque par exemple
l’influence des mouvements sociaux formés dans des quartiers déshérités de Santiago du Chili en
marge des coalitions de croissance (Pflieger, 2011, p. 356). L’analyse des pratiques individuelles
présente ici le risque de détacher l’individu de cet environnement socio-politique qui fonctionne,
30 Ce modèle d’inspiration libérale prône une « rationalisation des administrations publiques, une généralisation des régulations marchandes et une multiplication des partenariats public/privé » (Dorier-Apprill & S. Jaglin, 2002, p. 5) 31 Nous reprenons la définition d’Elisabeth Dorier-Apprill et de Sylvie Jaglin sur la gestion urbaine « entendue comme l’ensemble des fonctions de coordination des services techniques et de régulation des sociétés et des espaces concourant au fonctionnement urbain » (Dorier-Apprill & S. Jaglin, 2002, p. 6)
32
selon nous, comme un mécanisme supplémentaire de filtrage de diffusion ou de rétention des
innovations énergétiques. Il s’agit donc de replacer cette sphère de l’action publique et collective
locale au cœur de l’analyse des pratiques de l’énergie en révélant les moyens par lesquels les
changements atteignent la sphère du privé.
Enfin, bien que le courant sur la gouvernance du changement climatique se semble pas
considérer comme plausible la théorie de la ville comme acteur collectif, l’étude des conflits entre
acteurs se base toutefois sur le postulat d’une unité au sein de chaque structure. Le changement
de nature du problème à résoudre implique des reconfigurations cognitives qui peuvent
constituer autant de blocages internes au sein de chaque institution. C’est ce que démontre Alex
Aylett pour qui le poids des routines et de l’expertise traditionnelle de la bureaucratie municipale
de Durban en Afrique du Sud a empêché d’apporter des solutions efficaces et rapides face à la
crise électrique survenue en 2008 (Aylett, 2011).
1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
Entre ville monde et ville émergente, entre gated communities et gecekondu32, entre formel et
informel, entre régulier et irrégulier, nous souhaitons replacer la transition énergétique à Istanbul
au cœur de cette interface du global et du local. Aux côtés des stratégies officielles
d’internationalisation métropolitaine qui se développent désormais autour d’une communication
sur la durabilité (Pérouse, 2011) et sur l’efficacité énergétique (Arik, 2011), d’autres pratiques
locales, plus ou moins officieuses et tolérées, opèrent comme des mécanismes de régulation
socio-politiques auprès des populations et ce notamment autour de la fourniture des services
urbains. Comme nous le verrons plus loin, le succès politique des partis islamistes turcs, qui s’est
dans un premier temps édifié sur le terrain local à l’échelle des petites municipalités urbaines
comme rurales, s’explique en partie par l’attention particulière qu’ils ont su porter à l’amélioration
des services urbains de base (assainissement, eau, électricité et gaz naturel…). Toutefois, les
pratiques clientélistes et populistes, pratiques récurrentes dans le système politique turc, sont
porteuses de contradictions en interne et en externe avec les politiques officielles. Ainsi, nous
avions pu constater que l’usage du charbon comme moyen de chauffage par les populations les
plus démunies d’Istanbul ne s’expliquait pas uniquement par des raisons économiques mais
également par les campagnes de distribution massive et gratuite de sacs de charbon dans des
32 Littéralement « posé la nuit » désigne une forme d’habitat illégal construit sur des terrains publics qui se sont développés à grande échelle à partir des années 1959 jusqu’au milieu des années 1980
33
territoires urbains sciemment ciblés, orchestrées par différents types d’acteurs, et qui incitent de
facto à consommer cette ressource. Ces pratiques paraissent contradictoires à l’échelle locale car
ces acteurs perpétuent alors des usages énergétiques « précaires » au lieu de favoriser l’accès à un
service plus moderne (le réseau de gaz naturel) plus à même de satisfaire leur électorat. A plus
large échelle, ces pratiques rentrent également en contradiction avec les politiques métropolitaines
et nationales cherchant à achever la transition énergétique vers le gaz naturel.
Afin de qualifier ces pratiques quotidiennes du politique, nous emprunterons à
l’anthropologue américaine Jenny White sa définition des politiques vernaculaires qu’elle applique
au cas turc pour décrire cette autre réalité, différente de l’action publique officielle (White, 2002,
p. 27). La politique vernaculaire représente « un processus centré sur les valeurs, prenant son
origine dans la culture locale, les relations interpersonnelles, et les réseaux communautaires, mais
en relation avec la politique partisane nationale à travers des organisations civiques »33. Elise
Massicard, dans une étude des pratiques notabiliaires – elle définit un notable comme « un
individu caractérisé par son prestige et ayant un accès privilégié à des ressources spécifiques à
travers ses relations avec les centres de pouvoir » (Massicard, 2004, p. 104) – démontre que la
politique vernaculaire « implique un engagement dans des réseaux locaux communautaires
(voisinage, réseaux familiaux), les valeurs et les normes locales (normes égalitaires, réciprocité,
confiance, obligations mutuelles mais aussi normes hiérarchiques concernant le sexe ou l’âge) »
(Massicard, 2004, p. 126). Dans ce système, « le patronage et les relations clientélaires »
représentent des pratiques fréquentes (ibid).
Les pratiques politiques vernaculaires ont servi d’angle d’analyse des répertoires de l’action
collective à Istanbul face à la défaillance du système politico-administratif national et local sans
toutefois se focaliser expressément sur leurs liens avec les services en réseau. D’autre part, à notre
connaissance, aucune recherche n’a abordé jusqu’à présent la problématique des pratiques
individuelles de consommation de l’énergie à Istanbul alors que nous la considérons comme
centrale. En situation de changement, la variable de la rationalité économique de l’homo-
oeconomicus peut-elle expliquer à elle seule les résistances au changement ? Nous pensons a
priori que d’autres éléments rentrent en ligne de compte. Pour preuve, une enquête sociologique
réalisée à Istanbul sur la perception des énergies renouvelables montre que l’échantillon
33 Référence citée dans (E. Massicard, 2004, p. 125)
34
sélectionné34 considère le gaz naturel comme une énergie renouvelable juste derrière l’énergie
solaire et éolienne (Erbil, 2011). Il semblerait donc que le gaz naturel à Istanbul, qui bien que
moins polluant demeure une énergie fossile au même titre que le pétrole ou le charbon, véhicule
un certain imaginaire social. Ces représentations symboliques du gaz naturel diffèrent sans doute
selon les différentes catégories de population. Synonyme d’ascension sociale pour certains, de
changement ordinaire plus facilement acceptable pour d’autres, ou symbole de modernité pour
éradiquer les affres d’une pollution urbaine passée, ce qui doit être considéré comme une
transition énergétique à l’échelle Istanbul, ne laisse pas indifférent et implique une recomposition
des modes de penser et de faire au sein des sphères individuelles mais aussi des sphères
professionnelles, économiques et politiques.
Ainsi, notre réflexion fonde de manière globale l’enjeu énergétique à Istanbul comme une
progression conceptuelle de la transition énergétique. L’inégal déploiement spatial des pratiques
politiques vernaculaires ainsi que la variété des pratiques individuelles de l’énergie ne
représentent-ils pas des leviers de connaissances majeurs pour appréhender la transition
énergétique ? L’analyse des processus de diffusion ou d’adoption d’une innovation énergétique
peuvent-ils s’affranchir de ces focales d’analyse dans le cas d’une métropole en voie de
développement telle qu’Istanbul ?
De cette problématique quasi-épistémologique découle logiquement une hypothèse globale
plus appliquée au terrain d’étude. Nous postulons ainsi que l’absence de vision globale et partagée
autour d’une transition énergétique métropolitaine à engager à Istanbul ne s’explique pas
uniquement par des « inerties sectorielles liées à des logiques institutionnelles tenaces » (Pérouse,
2011, p. 69) à l’origine d’une gouvernance fragmentée.
Nous pensons que la non-prise en compte des enjeux socio-politiques locaux ainsi que
l’absence préalable d’examen des aspects de la demande et des pratiques énergétiques en fonction
des types de populations, de la part des instances métropolitaines, constituent un autre frein à une
transition collective.
Nous supposons également que certaines catégories de population disposent d’une meilleure
capacité d’adaptation aux nouvelles technologies, notamment face au gaz naturel dans le cas
34 Nous reviendrons plus tard sur les détails de cette enquête et notamment sur ses limites mais dès à présent, il est important de signaler que l’échantillon sélectionné ne nous semble pas tout à fait représentatif de la géographie sociale d’Istanbul
35
d’Istanbul et qu’une démarche publique adaptée en fonction de ces différences serait plus
efficace. Afin d’infirmer ou de confirmer ces hypothèses, nous étudierons dans un premier
temps, l’état actuel des transitions menées à l’échelle métropolitaine comme à l’échelle locale afin
de discerner les premiers éléments de résistances qui contribuent à désarticuler les grandes
politiques énergétiques et les pratiques individuelles locales. Le second temps de l’argumentation
sera spécifiquement dédié à l’analyse de la principale transition énergétique survenue il y a un peu
plus de vingt ans avec l’arrivée du gaz naturel de ville.
1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE
1.3.1. D’une étude empirique à une étude théorique : les sources de la démonstration
Comme nous l’avons rappelé dans notre préambule, cette présente réflexion vient prolonger
celle que nous avions entamée l’année précédente. Notre premier mémoire de recherche s’était
principalement construit sur l’observation empirique des problématiques quotidiennes de
l’énergie à Istanbul qui contrastaient avec les politiques métropolitaines volontaristes marquées
du sceau de la durabilité. Nous avions ainsi réalisé une série d’interviews auprès d’acteurs publics
et privés, experts locaux et internationaux, professionnels du bâtiment et urbanistes, afin de
comprendre de quelles manières l’injonction de durabilité avait pu modifier leur capacité d’action.
Nous avions notamment pu obtenir de précieuses informations sur la cartographie du
développement du réseau de gaz d’Istanbul auprès de l’opérateur semi-public en charge de
l’exploitation de ce service. Au préalable, nous nous étions intéressé aux rapports de lois
nationaux, aux contenus des discours politiques et à certains projets publics de maîtrise
énergétique. Nous souhaitons ainsi réutiliser en partie ces données de première et seconde main
pour éclairer sous un nouvel angle notre nouvelle problématique. Il n’est certes pas très
académique de se réapproprier une méthodologie développée spécifiquement pour une
problématique antérieure mais nos propos se sont depuis enrichis grâce à l’apport d’une revue de
presse constituée au quotidien depuis près d’un an, d’un suivi de l’actualité métropolitaine depuis
le site internet de la Mairie Métropolitaine d’Istanbul (MMI). D’autre part, nous avons élargi
notre corpus scientifique en ciblant des lectures sur la gestion urbaine et l’administration et le
municipalisme turc (Bayraktar, 2007; Fliche, 2005; Massicard, 2004; 2009; Massicard &
Bayraktar, 2011; Pérouse, 1999a), sur la géographie sociale des espaces périphériques d’Istanbul
(Pérouse, 1997, 2005, 2009, 2010; Poyraz, 2007; Poyraz, Gandais, & Aslan, 2010; Poyraz, 2010),
36
Enfin, nous pourrons également mobiliser quelques éléments anthropologiques sur les pratiques
individuelles du chauffage (Fliche, 2006, 2007).
1.3.2. Les limites de la recherche
Aux limites de la recherche précédente, s’ajoutent celles propres à ce mémoire. Celle qui
paraîtra la plus évidente concerne la difficile adaptation du cadre théorique à un cadre d’analyse et
à une méthodologie approfondie. Comment prétendre parler des pratiques individuelles de
l’énergie sans avoir mené d’enquêtes de terrain ? Comment constater les conflits et inerties au
sein des sphères institutionnelles sans avoir réalisé d’interviews auprès de ces acteurs ? Face à
l’absence de données récoltées sur le terrain, il nous sera impossible d’affirmer, mais plutôt de
procéder par tâtonnements et avec précaution en nous appuyant sur la littérature mentionnée ci-
dessus, qui s’appuie quant à elle sur de solides études empiriques.
37
Partie 2 :
Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition
énergétique à Istanbul ?
Technology adoption is always
a big challenge anywhere
Rapport du WEC, ‘Energy and Urban Innovation’, 2011, p.7
2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Cette première partie a pour but d’évaluer la capacité institutionnelle officielle dont s’est dotée
la métropole d’Istanbul afin d’intervenir contre les effets du changement climatique. Quelles sont
les orientations politiques et stratégiques prises en matière de production et de consommation
d’énergie par la métropole d’Istanbul, qui dispose en théorie de moins de capacités
institutionnelles et de ressources financières que les villes développées du Nord35 ? Nous verrons
tout d’abord que la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (MMI) est paradoxalement une
institution capable d’administrer politiquement son territoire mais qui ne fonde pas pour autant
son action sur un interventionnisme majeur dans le domaine des politiques climatiques et
énergétiques36. Le second temps de l’argumentation montrera toutefois que l’investissement
public s’est prioritairement concentré sur le développement et la sécurisation de
l’approvisionnement énergétique via les macro-systèmes techniques depuis les années 1980.
Enfin, nous décrirons la fluidité réduite des interactions multi-niveau comme frein à la
constitution d’une gouvernance du changement climatique, l’Etat restant un acteur omniprésent
du système politique turc.
35 Se reporter page 14. Pour rappel, il s’agit de la question formulée par Simon Marvin et Mike Hodson (Hodson & Marvin, 2010a, p. 484). 36 Nous entendons ici par politiques énergétiques, des mesures qui visent à améliorer la maîtrise et l’efficacité énergétique et à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique local
38
2.1.1. La MMI : une structure politique forte sans vision stratégique de lutte contre le changement climatique
Istanbul, métropole effervescente de plus de 12 millions d’habitants37 contre moins d’un
million en 1950, dont on peine encore à délimiter précisément les contours tant le phénomène de
croissance urbaine évolue rapidement, est-elle gouvernable ? Une des conclusions de l’ouvrage
dirigé par Dominique Lorrain sur les Métropoles XXL en pays émergents, montre que la taille des
villes ne préjuge en rien de leur capacité à gouverner. Shanghai et ses 20 millions d’habitants
semble plus gouvernable que le Cap ou Santiago du Chili avec respectivement 3,5 et 6 millions
d’habitants. La complexité à administrer ne proviendrait donc pas tant de la taille que du degré
d’emboîtement des institutions responsables de ces vastes espaces urbains (Lorrain, 2011, p. 389).
Appuyons-nous sur les trois variables institutionnelles qui fondent la différence quant à une
capacité à gouverner pour l’appliquer au cas d’Istanbul (Lorrain, 2011, p. 390).
Le territoire du gouvernement urbain correspond-il à celui de la métropole bâtie ?
A ce sujet, il est intéressant de constater le souci permanent depuis les années 1980, de
réadapter les limites administratives de la métropole stambouliote en fonction de la croissance
urbaine alimentée par les vagues d’exode rural depuis le milieu du XXème siècle et qui se sont
accélérées durant la seconde moitié de ce siècle.
.
Figure 2 : Emprise bâtie, limites institutionnelles de la MMI et frontières administratives infra-métropolitaines (Urban Age, 2009, p. 24 et 26)
Suite au coup d’Etat de 1980, le régime militaire, prenant les rênes du pouvoir, établit dès 1981 les
bases d’un nouvelle organisation métropolitaine à l’échelle du territoire national qui prévoit
37 Au sujet du nombre d’habitants à Istanbul, il est difficile d’arrêter un chiffre précis. Ce nombre oscillerait entre 12 et 15 millions d’habitants
39
notamment l’annexion des petites collectivités aux grandes villes voisines : ainsi « à la seule ville
d’Istanbul ont été rattachés 31 municipalités et 23 villages » (Elicin-Arikan, 1997, p2). En 198438,
Istanbul, avec plus de 4,7 millions d’habitants (Pérouse, 2010, p. 238), obtient le statut de
Municipalité Métropolitaine qui regroupe 14 municipalités d’arrondissement (ilçe belediyeler).
Actuellement, on dénombre 39 municipalités d’arrondissement suite à l’extension du territoire de
compétence de la MMI depuis 2004, qui correspond désormais aux frontières du département
d’Istanbul (cf : figure 2). Ce gouvernement à deux niveaux39 administre ainsi un territoire
homogène de 5337 km2 qui incorpore le continuum bâti métropolitain mais aussi des espaces
périphériques encore ruraux40. Ce surdimensionnement métropolitain permet à l’action territoriale
d’être mise au service de l’urbain (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 44). Cette homogénéisation
institutionnelle et cette anticipation de la future croissance métropolitaine mettent surtout fin au
développement de territoires périphériques sortant du contrôle institutionnel de la MMI41.
Le maire dispose-t-il des ressources lui permettant de peser dans le champ politico-institutionnel ?
Indéniablement oui. Depuis les récentes réorganisations municipales en Turquie, les pouvoirs
des maires métropolitains, élus au suffrage universel direct pour cinq ans, se sont renforcés
(Elicin-Arikan, 1997). Ce leadership politique, actuellement incarné par Kadir Topbaş à Istanbul,
est parfois même jugé autoritaire tant ces pouvoirs conférés s’avèrent importants et ce
notamment vis-à-vis du conseil métropolitain42 et des municipalités d’arrondissements assujetties
à la volonté supérieure de l’institution métropolitaine. L’administration métropolitaine,
compartimentée en plusieurs départements (santé, services sociaux, police, sport, éducation,
transport…)43, bien que souffrant d’une insuffisance de personnels techniques (Massicard &
Bayraktar, 2011, p. 54) œuvre « docilement » en faveur des grandes orientations politiques initiées
38 Suite à la loi n°2972 du 18 janvier 1984 remplacée ensuite par la loi organique n°3030 du 9 juillet 1984 (Elicin-Arikan, 1997). 39 En réalité, il existe un dernier niveau institutionnel, les mairies de quartier (mahalle) au nombre de 830 mais qui assurent seulement une fonction d’état-civil et de sécurité. 40 « En outre, les périmètre géographiques des municipalités métropolitaines ont été étendus et englobent dorénavant nombreux villages et bourgs environnants. On assiste ainsi à un surdimensionnement de certaines métropoles, qui absorbent de facto des villages et zones rurales alentour et polarisent d’autant ces espaces (E. Massicard & U. Bayraktar, 2011, p. 44). 41 Il est fait référence à la quarantaine de municipalités de second rang, no mans land administratif, dans lesquelles se sont massivement développées les gated communities. 42 Par exemple « Le maire dispose d'un droit de veto suspensif sur les délibérations du conseil métropolitain et des conseils des municipalités d'arrondissement. Le droit de veto comprend tous les domaines, et les matières dans lesquels les conseils décident. […] Le conseil municipal est ainsi réduit à un organe consultatif. […] le maire métropolitain peut changer les délibérations du conseil métropolitain et des conseils municipaux des municipalités d'arrondissement sans leur consentement. Ces derniers ne disposent absolument d'aucun moyen de s'opposer à ces modifications » (Elicin-Arikan, 1997, p. 5/6) 43 Ce qui représente entre 30 et 40000 employés (la fluctuation des chiffres s’explique par la précarisation des statuts : fonctionnaires ou contractuels). Données issues d’une conférence de Jean-François Pérouse du 22 avril 2010 intitulée « La gestion du Grand Istanbul », IFEA.
40
par le maire métropolitain. Deux départements municipaux sont en charge des questions
environnementales et énergétiques. Il s’agit du Département de la Protection et du Contrôle de
l’Environnement (Çevre koruma ve kontrol daire başkanlığı) et le Département de l’Eclairage Public et
de l’Energie (Şehir Aydınlatma ve Enerji) créé récemment en 2006. A propos de ce dernier, nous
avions constaté jusqu’à présent que ses actions se concentraient sur la rénovation du parc
d’éclairage public vieillissant sans pour autant disposer d’une stratégie en matière d’efficacité
énergétique.
Par ailleurs, le pouvoir politique métropolitain s’est élargi grâce à une nouvelle répartition des
ressources financières plus favorables pour les collectivités locales. Ce renforcement de
l’autonomie financière et donc politique s’explique d’une part par l’adoption de réformes, certes
encore timides et inachevées (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 75), en faveur de la décentralisation
et d’autre part par les effets de la libéralisation économique qui a permis la privatisation, la
délégation et la sous-traitance de nombreux services municipaux. Les partenariats avec des
acteurs privés ne concernent plus seulement la construction d’infrastructures mais aussi la
production, l’exploitation et la gestion de services par les collectivités locales (Massicard &
Bayraktar, 2011, p. 72). Cette reconfiguration des relations entre champs institutionnels,
politiques et économiques ainsi que la tentative de rationalisation de la gestion administrative sont
mises au service du vœu politique local et national d’internationalisation d’Istanbul44. Cette
redéfinition du pouvoir local a ainsi permis la formation de coalition de croissance désignant les
alliances « entre gouvernements locaux et acteurs privés pour promouvoir le développement
urbain » (Lorrain, 2011, p. 377).
Le budget municipal est de ce fait en constante augmentation depuis quelques années. Il
atteint 7,3 milliards de livres turques en 201245 (environ 3,3 milliards d’euros) soit 9%
d’augmentation par rapport à 2011. A ce budget municipal, il faut ajouter la capacité financière et
d’investissement de l’ensemble des établissements économiques de droit privé (Belediye İktisadi
Teşekkülleri) gravitant autour de la MMI et qui permet d’atteindre environ 16 milliards de livres
turques46. Ces établissements disposent entre autres d’une capacité d’emprunt auprès des banques
privées, la MMI ne pouvant quant à elle emprunter uniquement auprès de la Banque des
provinces, entité publique. Istanbul Enerji AŞ est un de ces établissements créé en 2006, détenu à
44 Voir (Montabone & Candelier-Cabon, 2009; Pérouse, 2007) 45 « 2012 yılı bütçesi » disponible sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/haber/kasim2011/ibb_2012_yili_butce.pdf 46 Données 2009. Conférence de Jean-François Pérouse du 22 avril 2010 intitulée « La gestion du Grand Istanbul », IFEA
41
50% par la MMI, pour devenir la nouvelle force d’expertise énergétique de la métropole. Pour
l’heure, nous avions vu que cette société, dont la principale activité demeure paradoxalement le
transport et le commerce de pétrole, ne disposait pas des ressources cognitives pour faire force
de proposition en termes de projets d’efficacité énergétique et n’était donc que le fruit d’une
redéfinition opportuniste d’anciennes sociétés et le cache misère d’une absence de planification
énergétique à l’échelle métropolitaine.
La variable politique : fluidité d’une gouvernance nationale/locale bi-niveau ?
Le pouvoir politique local ne souffre plus guère d’éventuels affrontements et oppositions
politiques depuis le « raz de marée islamique » (refah partisi47) de 1994 au sein des municipalités
d’arrondissement d’Istanbul (Pérouse, 1999b) et qui s’est consolidé depuis les élections de 1998
avec l’arrivée d’un maire métropolitain AKP (ancêtre du Refah), en la personne de l’actuel premier
ministre turc Recep Tayip Erdoğan. Ainsi depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir national de l’AKP,
on constate une congruence entre la politique étatique et celle des collectivités urbaines locales du
même bord. Actuellement, toute la hiérarchie politico-administrative turque est dominée par ce
parti à l’échelle nationale et locale en ce qui concerne Istanbul. Cette allégeance du local envers le
pouvoir national est notamment alimentée au travers des transferts financiers verticaux qui
constituent encore plus de la moitié des revenus des municipalités48. Cette hégémonie politique
est d’autant plus renforcée qu’il n’existe que peu de contre-pouvoirs que ce soit à l’échelle locale49
ou à l’échelle régionale quasi-absente, vide que les agences de développement50 instituées sous
l’égide des politiques de régionalisation européenne, ne parviennent pas à combler.
Ainsi, Istanbul est, à première vue, gouvernée par une institution métropolitaine forte qui à
défaut de s’autonomiser intégralement du pouvoir central partage avec celui-ci une vision
commune du devenir de la métropole. La MMI s’est dotée de nombreux instruments d’action
publique pour ce qui concerne notamment les problèmes environnementaux et énergétiques et a
47 Le Refah Partisi, « Parti du bien-être » était un parti politique islamiste fondé en 1983. Suite à sa dissolution en 1998, deux partis nouvellement créés, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) « Parti de la justice et du développement » et le Saadet Partisi, « Parti de la Félicité » se revendiquent les héritiers du Refah 48 « Les taux de ces transferts fiscaux ont beaucoup varié en fonction des relations entre gouvernement central et pouvoirs locaux, augmentant lorsque ces autorités étaient de la même couleur politique et chutant en cas de « cohabitation local-national » » (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 48) 49 A l’heure actuelle, les principales organisations constituant un contre-pouvoir efficace et organisé sont incarnées par les chambres professionnelles (Chambre des architectes, des planificateurs urbains, des ingénieurs électriques…) 50 Le découpage européen NUTS ainsi que la création d’agences de développement apparaît en Turquie en 2006. Elise Massicard et Ulaş Bayraktar parlent à leur sujet de « régionalisation en trompe l’œil » car ces agences ne disposent quasiment pas d’autonomie décisionnelle et financière, leur capacité d’initiative ainsi que leur rôle s’en trouvant automatiquement limités (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 38)
42
su s’allier avec des partenaires privés. Toutefois, aucune politique climatique ou énergétique à
proprement parler n’existe à l’heure actuelle. Discours et stratégies politiques à propos de la
maîtrise énergétique se concentrent actuellement autour du problème des transports, secteur
fortement pollueur, la congestion urbaine étant perçue comme le principal point noir du
développement d’Istanbul. La politique d’investissement infrastructurel dans ce secteur
représente plus de 60% du budget d’investissement 2012 de la MMI51. Le paysage urbain actuel
de la métropole est ainsi en pleine mutation avec de nombreux chantiers entamés (Marmaray,
nouvelles lignes de métro sur la rive asiatique, métrobus…). Les projets sectoriels, utilisés comme
illustration s’il en est de l’implication municipale dans la lutte planétaire contre le changement
climatique (introduction du gaz naturel pour lutter contre la pollution atmosphérique, panneaux
solaires sur quelques bâtiments publics, usines d’incinération et de méthanisation des déchets,
augmentation de la qualité du réseau d’assainissement et de distribution d’eau…)52 ne s’inscrivent
dans aucun schéma d’intervention ou de management global de l’énergie (Karabag, 2011). Les
projets actuels caractérisés par leur « fétichisme technologique » et leur « tendance à privilégier
l’événementiel » (Pérouse, 2011, p. 71) en réponse à des besoins de court terme, peuvent
s’expliquer de trois manières. Premièrement, la MMI se conforme au récent arsenal législatif
national qui émerge autour de l’énergie. Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans le processus
d’harmonisation législative vis-à-vis de l’Union Européenne53. Deuxièmement, le volontarisme
public affiché permet à la MMI d’être éligible à certaines subventions accordées par les
institutions financières internationales et notamment la Banque Mondiale. Ceci a notamment
permis de financer de nombreuses usines de valorisation des déchets ou des projets d’inventaires
et de monitoring des émissions polluantes54. Enfin, nous adhérons à l’idée développée par Eric
51 Donnée issue du « 2012 yılı bütçesi » disponible sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/haber/kasim2011/ibb_2012_yili_butce.pdf 52 Pour se faire une idée de la variété des actions menées en faveur de l’environnement ou de la maîtrise énergétique, se reporter au document de promotion réalisé par la MMI « Yaşayan şehir-Istanbul Istanbul da çevre Yatırımları » (Istanbul ville vivante, les investissements en faveur de l’environnement) disponible en ligne sur http://www.ibb.gov.tr/tr-TR/Documents/yasayan_sehir_istanbul_ibb_cevre_yatirimlari.pdf 53 L’Administration pour l’étude et le développement des ressources en énergie électriques (EIE, Elektrik Işleri Etüt idaresi) sous tutelle du Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles vient de publier un nouveau document stratégique sur l’efficacité énergétique 2012-2023 (Enerji Verimliliği Strateji Belgesi) qui décline sept grands objectifs visant à la réduction des consommations énergétiques dans divers secteurs économiques (industries, services, agriculture, bâtiments…). Il est intéressant de noter que les villes ne sont jamais mentionnées comme acteurs majeurs de la transition énergétique. Il semblerait donc que le niveau national demeure l’échelle d’intervention privilégiée concernant ces questions. 54 Nous pensons ici au projet Istanbul Airquality Strategy développé dans le cadre du programme européen LIFE qui vise à créer un inventaire et une modélisation des pollutions atmosphériques par type de polluant et par secteur d’activité à Istanbul dans une perspective d’aide à la décision publique ou le projet « Monitoring gas consumption for thermo-rehabilitation of residential buildings » financé par l’UE pour cartographier la consommation de gaz naturel dans des quartiers pilotes à Istanbul et Sivas. Ce dernier projet pilote s’est avéré instrumentalisé par ces deux municipalités et n’a jamais été généralisé à l’ensemble des métropoles.
43
Verdeil (Verdeil, 2011, p. 3) à savoir que l’implication (contrastée) d’Istanbul55 au sein des réseaux
municipaux transnationaux autour du changement climatique s’explique plus par souci de
visibilité internationale que par réelle conviction politique et appropriation des enjeux climatiques
locaux .
Bien que d’autres acteurs, sans doute plus intègres mais disposant de moyens humains et
financiers plus limités, se mobilisent autour de l’enjeu énergétique et tentent de sensibiliser la
MMI, nous pensons notamment à l’Union des Municipalités des détroits et de la Marmara
(MBBB) très actives au sein du réseau transnational NALAS56, il paraît prématuré de parler à
Istanbul d’une constitution d’une « gouvernance du changement climatique » telle que décrite
dans les villes mondiales du Nord par Harriet Bulkeley et Michelle Betsill.
2.1.2. Le rôle stratégique des infrastructures de réseau dans la construction du territoire métropolitain
Le gigantisme urbain d’Istanbul n’est donc pas à l’origine d’un spectacle urbain chaotique car
elle se trouve organisée et gouvernée par des institutions et un système de règles officielles. Nous
avons des raisons de croire que l’histoire de cet apprentissage institutionnel du gouvernement
urbain sied à l’idée de Dominique Lorrain qui parle de gouvernabilité développée au travers de la
gestion des services en réseaux (Le Galès & Lorrain, 2003; Lorrain, 2011) : « pour construire et
gérer ces systèmes techniques, il fallut, consciemment ou de fait, résoudre des questions
institutionnelles qui concernent leur statut juridique, leur mode d’organisation et de
financement » (Lorrain, 2011, p. 14). Autrement dit, les restructurations des pouvoirs urbains
locaux entamées dans les années 1980 en Turquie, visaient à résoudre les problèmes majeurs de
l’époque, à savoir la fourniture des services essentiels. Cette situation de carence locale
s’expliquait à l’époque par la période de transition économique dans laquelle se situait la Turquie
passant d’une économie rurale à une économie urbaine industrialisée. Le problème était que les
villes, alors financées exclusivement à travers des mécanismes de distribution financière de l’Etat
vers ses entreprises économiques déconcentrées mais de manière trop insuffisante, ne pouvaient
subvenir aux besoins d’une population en pleine croissance (Güvenç, 2010). Cette politique de
sous-investissement dans les infrastructures urbaines est ainsi à l’origine de l’émergence de
55 Istanbul n’est pas membre du réseau ICLEI (seul l’arrondissement de Sisli l’est). La MMI est membre associé du réseau C40 et s’implique également dans le réseau Polismed concernant les villes méditerranéennes littorales. 56 Nalas est un réseau d’association des collectivités locales du Sud-Est européen (Network of Associations of Local Authorities of South-East Europe) avec pour objectif principal de promouvoir les idées de décentralisation autour de thèmes comme les finances locales, la planification urbain, gestion des déchets et l’efficacité énergétique. Voir www.nalas.eu
44
la « ville des gecekondu, des dolmuş et des vendeurs ambulants » décrite par Ilhan Tekeli57, de la
débrouillardise quotidienne informelle et du développement sans précédent des systèmes
politiques clientélistes (Güvenç, 2010).
La transition vers une économie libérale à l’aune des années 1980 marque alors un tournant et
amorce une période de rattrapage infrastructurel. Ainsi, les réformes urbaines initiées par le
régime militaire, à l’origine de la création des Municipalités Métropolitaines, avaient pour but
« d’assurer la fourniture cohérente et planifiée des services urbains tels que l’énergie, l’eau potable,
la voirie, les égoûts et la planification urbaine »58 (Elicin-Arikan, 1997, p. 1). Pour ce faire, dès
1981, est créée la Direction des Eaux et des Canalisations d’Istanbul (ISKI, Istanbul Su ve
Kanalizasyon Idaresi), en 1986 est créée la compagnie municipale de gaz d’Istanbul (IGDAŞ :
Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret AŞ). Depuis 1990, la distribution d’électricité à Istanbul est
assurée par deux sociétés publiques étatiques se partageant la rive européenne (BEDAŞ : Boğaziçi
Elektrik Dağıtım Anonim Şirketi) et la rive asiatique (AYEDAŞ : Anadolu Yakasi Elektrik Dagitim
Anonim Şirketi). La création de ces sociétés est une résultante du processus de désintégration du
secteur électrique turc suite au démantèlement de l’entreprise nationale de l’électricité TEK. Le
développement spatial non linéaire et heurté de ces macro-systèmes techniques qui s’explique par
les contraintes inhérentes à chaque réseau a pourtant été pensé dans une perspective
d’universalisation et sous un mode inclusif. Le régime de service urbain qui s’est construit de
manière incrémentale en fonction de la nature des problèmes à résoudre a ainsi contribué à
accroître la gouvernabilité d’un territoire métropolitain désormais unifié.
Par ailleurs, le processus d’internationalisation de la métropole renforce le rôle stratégique des
ces infrastructures de réseau. Istanbul, transformée en nouveau hub financier et tertiaire,
symbolisé par le développement du nouvel axe urbain stratégique Taksim-Levent-Maslak, oblige
les autorités publiques à sécuriser les flux métaboliques assurant le fonctionnement de ces
nouvelles activités. Afin qu’Istanbul puisse devenir le premier centre financier régional et, à
terme, mondial59, une structure s’est mise en place afin de garantir notamment la sécurisation des
infrastructures face au risque de tremblement de terre auquel est soumise la région d’Istanbul et
d’assurer l’approvisionnement énergétique en continue. Cette institution dénommée Comité pour
l’Infrastructure du Centre Financier d’Istanbul (İstanbul Finans Merkezi Altyapı Komitesi – IFM) est
57 Cité dans (Güvenç, 2010, p. 50) 58 Loi n°2561 du 8 décembre 1981 59 L’objectif du centre de coordination pour l’infrastructure d’Istanbul est “Istanbul shall become first a regional financial center, and ultimately a global financial center” visible sur http://ifm.ibb.gov.tr
45
pilotée par la MMI en lien avec l’Administration de la Planification d’Etat. Le comité de pilotage
est composé principalement d’acteurs de la finance (Banque Centrale de Turquie, Bourse
d’Istanbul, Banque Ziraat, Autorité des marchés de capitaux, Agence de Régulation et de
Supervision Bancaire…). Cette coalition de croissance formée autour d’un intérêt commun
semble à première vue corroborer les hypothèses développées par Mike Hodson et Simon Marvin
à propos du SURI (Secure Urbanism and Resilient Infrastructure). Depuis 2009 et la déclaration
officielle par l’Administration de la Planification d’Etat de la « Stratégie et du Plan d’Action pour
le Centre Financier d’Istanbul », on assiste effectivement à une mobilisation en termes cognitifs
(production de connaissances sur plusieurs thèmes : logement, transport, télécommunications,
éducation, sécurité…) et à la mise en œuvre d’une programmation d’une série d’actions à mener à
moyen et long terme60. Toutefois, cette course à l’éco-compétitivité (Hodson & Marvin, 2010b)
doit être ici nuancée car concernant la sécurisation énergétique, il n’est pas question
d’autonomisation de la production mais de simple modernisation des macro-systèmes techniques
existants afin de garantir l’approvisionnement des flux et de rendre ainsi pérenne l’activité
économique. La relocalisation et l’individualisation des infrastructures et des flux à l’échelle
micro-locale ne sont sans doute pas encore envisagées car il apparaît qu’aucun acteur technique
de l’énergie porteur de ces nouvelles solutions technologiques ne figure ni au sein du comité de
pilotage de l’institution, ni au sein du groupe de recherche Energie. Là encore, vu la présence de
nombreux représentants des directions des autoroutes ou des transports ferroviaires, la question
des transports paraît dominer les réflexions.
2.1.3. Les interférences étatiques comme frein à la constitution d’une «gouvernance du changement climatique » locale ?
Au-delà des limites d’une gouvernance énergétique locale liées « aux données structurelles qui
pèsent sur le système de gouvernance locale et le contraignent fortement » (Pérouse, 2011, p. 69)
(absence de coordination entre différents services municipaux et de transversalité des approches,
démocratie locale chétive du fait de l’ « élitisme dirigiste des décideurs », vide de la planification
urbaine, triomphe des politiques de court terme…) (Pérouse, 2011, p. 70), c’est la place occupée
par l’Etat turc ainsi que son rôle qui nous interrogent au sein du processus de transition
énergétique. Le cas turc renforce la légitimité du concept de gouvernance multi-niveau qui
n’écarte pas le rôle des acteurs gouvernementaux. Toutefois, les fondements de l’unité
60 Voir les détails sur ifm.ibb.gov.tr ou
46
républicaine et territoriale sur lesquels s’est fondé l’Etat souverain turc compromet partiellement
le processus d’autonomisation des collectivités locales. Le degré d’influence de l’acteur national
reste encore prédominant notamment au travers d’une tutelle administrative forte et d’un système
politico-administratif dominé par un seul parti à l’échelle locale et nationale (Massicard &
Bayraktar, 2011). Concernant les infrastructures de réseau à Istanbul, l’Etat demeure omniprésent
au travers de sa puissante organisation bureaucratique réticulaire que ce soit, comme nous l’avons
évoqué, au niveau de la distribution d’électricité ou des orientations stratégiques pour le centre
financier d’Istanbul. Citons deux autres exemples de la dynamique de recentralisation qui nous
intéressent tout particulièrement concernant le processus de transition énergétique.
Premièrement, l’Etat priverait depuis 2009 les collectivités locales d’une ressource financière
majeure: « depuis janvier 2009 […], la taxe que les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel
versaient auparavant aux municipalités est désormais transférée directement au gouvernement
central » (Massicard & Bayraktar, 2011, p. 48). Bien que nous ne connaissions pas le montant de
cette taxe et la part qu’elle représentait dans le budget municipal d’Istanbul, il s’agit, bel et bien ici,
d’une recentralisation d’une ressource financière. Deuxièmement, depuis l’instauration de
l’Administration nationale du logement collectif TOKI (Toplu Konut Idaresi) en 1984 sous tutelle du
Premier Ministre turc, les politiques locales de logements sont court-circuitées. Cette
administration étatique qui se voit octroyer de nombreuses réserves foncières publiques sur
l’ensemble du territoire turc dispose d’une véritable puissance financière et logistique grâce
notamment aux nombreux partenariats constitués avec d’importantes entreprises immobilières,
des banques et des fonds d’investissement immobiliers privés. TOKI détient par exemple 39%
des actions de la plus grande société d’investissement immobilière turque Emlak Konut REIT
capitalisée sur les marchés boursiers internationaux. On assiste ici à la formation d’une coalition
de croissance gérée à l’échelle nationale affectant lourdement le développement urbain d’Istanbul.
Ces interférences du pouvoir national expliquent entre autres pourquoi la ville d’Istanbul n’est
pas située dans la même catégorie que les villes mondiales européennes et nord-américaines.
L’actuel maire métropolitain milite d’ailleurs pour disposer d’une plus grande marge de
manœuvre afin de placer Istanbul au plus haut des classements internationaux. Dans ce contexte,
il paraît effectivement compliqué de mobiliser une pluralité d’acteurs parlant au nom d’Istanbul et
œuvrant pour en réduire son impact sur le changement climatique, que ce soit à l’échelle
métropolitaine ou au sein des réseaux transnationaux. La timide gouvernance du changement
climatique, telle qu’elle existe aujourd’hui témoigne ainsi plus d’une volonté d’accroître la visibilité
47
internationale de la ville que d’une réelle intégration des enjeux sous-jacents de la part des
décideurs politiques locaux.
2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES
Le degré de gouvernabilité de la métropole d’Istanbul ne peut se déduire exclusivement à
partir des conclusions d’une analyse des institutions formelles et des règles du jeu officielles qui
fondent un mode de gouvernement urbain. Des « phénomènes de débordement institutionnel »
(Lorrain, 2011, p. 392) persistent encore aujourd’hui, conséquences d’un débordement
démographique et de « la lutte des places » (Lussault, 2009) qui en a découlé notamment dans les
franges métropolitaines. A Istanbul, l’informalité a ainsi souvent été associée aux gecekondu,
désignant des formes d'auto-construction illégale construits depuis les années 1960 sur des
terrains essentiellement publics. Cette partie s’intéresse plus spécifiquement à ces espaces
périphériques et à ces autres formes de pratiques politiques qui s’y sont développées et que nous
avons définies comme des politiques vernaculaires. En effet, ce terme permet d’appréhender
toute l’ambigüité et la complexité des pratiques politiques aux modes d’agir illégaux pourtant liés
à des politiques officielles plus globales. En ce qui concerne l’énergie, les modalités de diffusion
des services urbains en réseau est un bon révélateur de ces pratiques alternatives qui participent à
la fabrique de la métropole et régulent l’équilibre social métropolitain (Lorrain, 2011).
2.2.1. Quelques éléments sur la fabrique urbaine par le bas des périphéries d’Istanbul
Dans une perspective historique, évoquons la succession de deux régimes de fabrication de la
ville d’Istanbul par le bas depuis le milieu du XXème siècle, qui nous permettra d’appréhender
sommairement le rôle de différents « micro acteurs »61. A partir des années 1950, un néologisme
turc, le gece-kondu (qui signifie littéralement « posé la nuit »), sert à désigner cette forme d’habitat
spontané qui se développe un peu partout aux abords des grandes villes turques. Le gecekondu
désigne toutefois plusieurs réalités. Cette polysémie lui vaut d’ailleurs d’être souvent utilisée à tort
et à travers, notamment pour décrire toute forme d’illégalité (Pérouse, 2009a). Sans entrer dans
une description trop détaillée, retenons deux de ses caractéristiques. Le gecekondu désigne d’abord
une forme architecturale, un type d’habitat précaire, souvent bas, démuni des équipements de
61 Nous reprenons la typologie établie par Jean-François Pérouse dans « Istanbul depuis 1923 : la difficile entrée dans le XXème siècle ? » in Nicolas Monceau (dir), 2010, Istanbul, histoire, promenades, anthologie & dictionnaire, Robert Laffont
48
base mais « intrinsèquement évolutif » (Pérouse, 2009a, para. 16). La flexibilité du « gecekondu
architectural » est donc loin de correspondre à l’image renvoyée par ce que nous considérons
comme des bidonvilles ou encore à une représentation de l’invasion de mode de vie ruraux en
ville (Fliche, 2009; Pérouse, 2009a). Le gecekondu est bel et bien une forme urbaine qui a contribué
à produire le paysage urbain actuel d’Istanbul. Certains ont d’ailleurs su reconnaître les qualités de
ce type d’habitat, à la fois dense et aéré, capable de se réinventer en permanence (Cankat, 2010;
Pérouse, 2009a). D’autre part, le gecekondu se définit également par son rapport au foncier. En
effet, il s’agit d’opérations « d’auto-construction illégale, sur des terrains non possédés par les
constructeurs. D’où l’expression de gecekondu foncier. Ces terrains non acquis (ou acquis auprès
d’un lotisseur véreux), sont le plus souvent des terrains du domaine public (hazine ou maliye) ou
propriétés d’une fondation pieuse (vakif), en bien de mainmorte » (Pérouse, 2009a, para. 7). De
manière générale, l’appropriation illégale du sol et l’informalité initiale de la construction sont le
fait des migrants ruraux.
Figure 3 : Gecekondu légalisé et verticalisation du paysage urbain d’Istanbul : apartkondu et CBD (Source : E.A, 2011)
Depuis le début des années 1980, un autre régime de fabrication de la ville informelle est
apparu (figure 3), producteur de paysages urbains différents (Pérouse, 2010, p. 250) qualifiés à
tort de gecekondu, qui d’ailleurs n’existent quasiment plus dans leur forme initiale. La tendance est
depuis cette période à la densification urbaine par la verticalisation de l’habitat grâce au
développement d’immeubles bétonnés appelés apartkondu (Pérouse, 1997). L’apartkondu est « un
immeuble non réglementaire dans ses modalités de construction, mais édifié sur un terrain
appartenant au constructeur » (Pérouse, 2009a, para. 28). Ces immeubles sont construits par les
propriétaires fonciers eux-mêmes (auto-construction) ou par l’intermédiaire de petits
entrepreneurs (Pérouse, 1998), ces derniers vendant « à mesure qu’ils construisent, étage par
étage, voire appartement par appartement » (Pérouse, 2010) selon la technique dite du Yap-Sat,
49
littéralement « fais et vends ». Ces acteurs de la fabrique urbaine stambouliote (auxquels il faudrait
ajouter les coopératives de construction), au capital financier faible, agissent la plupart du temps à
la limite de la légalité : non recours à des professionnels du bâtiment, usage du troc pour le
paiement des terrains, construction de logements au sein du cercle familial ou destinés aux
membres du village d’origine (hemşehri) (Pérouse, 1998). Ces micro-acteurs agissent également
dans une logique de spéculation foncière et immobilière. A ce sujet, l’arrivée des services urbains
en réseaux participe à la fois à accroître le mécanisme de rente foncière mais est également le
premier signe matériel de régularisation d’anciens quartiers d’habitations informelles (cf : figure 4)
qui peut être ensuite suivie de campagnes politiciennes de légalisation du sol et des constructions
rendue possible par une série de lois d’amnisties nationales62.
Figure 4: Habitat de gecekondu et compteur individualisé de gaz naturel (Source : E.A, 2011)
Tout comme il faudrait prendre en compte les grandes entreprises immobilières publiques et
privées entrées sur le marché, étudier méthodiquement la transition énergétique impliquerait de
considérer la manière dont ces acteurs de l’immobilier, inscrits dans des systèmes informels,
s’imprègnent des nouvelles législations énergétiques (norme d’isolation TS825 établie en 2008,
matériaux de construction, normes pour le chauffage et l’électricité…). La notion d’efficacité
énergétique est-elle une notion qui fait sens pour ces acteurs ? Sont-ils soumis à des mécanismes
de contrôle par les autorités publiques ? Font-ils face de plus en plus à une nouvelle demande de
la part des locataires en termes de confort énergétique ? Sont-ils directement en contact avec les
opérateurs de réseau pour acheminer ces services dans les constructions qu’ils initient?
62 Depuis 1949 et la première amnistie nationale votée sur l’habitat illégal (loi n°5431), plus d’une dizaine d’autres amnisties se sont succédées souvent votées à la veille d’élections politiques.
50
2.2.2. Municipalisme local et pratiques clientélistes : l’exemple du charbon
Depuis le début des années 1970 (Massicard, 2009) mais surtout depuis les décennies 1980-
1990, un « nouvel ordre urbain » (Pérouse, 1999a) s’est progressivement échafaudé au cœur des
municipalités turques quasiment toutes tombées sous l’influence des partis islamistes. Le Parti du
salut national (Milli Selamet Partisi –MSP) au départ, puis le Parti de la prospérité (Refah Partisi –
RP) et actuellement le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi – AKP)
ont successivement bâti leur hégémonie politique sur le terrain local, particulièrement au cœur des
périphéries métropolitaines déshéritées, tremplins politiques pour accéder ensuite aux plus hautes
sphères institutionnelles63. A l’échelle d’Istanbul, suite aux élections municipales de 1994, dix-neuf
municipalités d’arrondissement et la MMI étaient contrôlées par le Refah (Pérouse, 1999a). Si l’on
écarte la dimension religieuse véhiculant des principes moraux, parfois conservateurs mis en
avant par ces partis et qui s’affiche symboliquement dans la manière de produire l’espace et de
gérer les sociétés locales (Massicard, 2009; Pérouse, 1999a), le succès électoral des partis islamistes
s’explique en partie parce qu’ils ont su axer leurs interventions sur la résolution des nombreux
problèmes liés aux services urbains. Tout en focalisant leurs discours sur l’inefficacité gestionnaire
des anciennes municipalités gangrénées par la corruption et les pratiques clientélistes (Massicard,
2009, p. 28), les élus islamistes ont amorcé une dynamique de modernisation des services en
réseau. Ceci s’est traduit d’une part par une politique massive d’investissement infrastructurel :
« l’extension des services et des infrastructures de base a constitué dès le départ l’une des priorités
du RP : promotion du gaz naturel pour remplacer le chauffage au charbon et au lignite générant
une pollution importante, mise en place de systèmes efficaces de collecte des eaux usées. La
mairie RP d’Istanbul a effectivement beaucoup fait pour améliorer la distribution d’eau potable »
(Massicard, 2009, p. 31) ; d’autre part, par le recours à des entreprises privées pour administrer
ces services sous forme de délégation ou de privatisation et enfin, découlant de ce qui vient d’être
dit, par l’officialisation de services auparavant gérés de manière informelle ou en d’autres termes
par la monétarisation de services anciennement « gratuits » : pour exemple « la municipalité
d’Ümraniye (Istanbul) a rendu payant certains services (ramassage des ordures, enregistrements
des titres de propriété) qui étaient officiellement gratuits sous les précédentes administrations,
mais pour lesquels étaient en réalité prélevées des taxes informelles sous forme de bakchich »
(Massicard, 2009, p. 28).
63 L’exemple le plus frappant de cette trajectoire politique construite à l’échelle municipale est incarnée par l’actuel Premier Ministre de la Turquie, Recep Tayip Erdoğan, maire métropolitain d’Istanbul entre 1994 et 1998
51
Cette stratégie politique a eu deux effets : la première est d’avoir effectivement amélioré
sensiblement la qualité des services urbains en réseau à l’échelle métropolitaine grâce aux
nombreux investissements réalisés, la seconde est d’avoir ainsi réussi à fidéliser un nouvel
électorat populaire. Toutefois, ces investissements réalisés ont un coût que les élus au pouvoir ont
rapidement répercuté sur les contribuables turcs en augmentant sensiblement la tarification des
biens essentiels (pain, essence, services sociaux, eau, gaz, transports publics). L’augmentation des
prix des services urbains, constatée l’année précédente en ce qui concerne le gaz naturel (Arik,
2011, p. 83) ne peut donc être imputable uniquement à des effets conjoncturels macro-
économiques ou aux logiques commerciales d’acteurs privés rentrés sur le marché, mais relève en
partie de stratégies publiques. En effet, cette nouvelle tarification aurait permis d’amortir les
importantes subventions accordées par l’Etat turc via le Trésor National aux municipalités de
même bord politique afin de financer les nouvelles infrastructures (Akinci, 1999).
D’autre part, loin d’avoir éradiqué le phénomène de corruption et de clientélisme, les
nouvelles élites politiques locales ont fondé leurs actions sur un « activisme social » (Massicard,
2009, p. 34) auprès des plus nécessiteux. Ainsi, concernant l’énergie, les distributions gratuites de
sacs de charbon durant les hivers rigoureux, généralement à la veille d’une élection locale, de la
part des élites locales, entrent en contradiction avec la politique nationale et métropolitaine du
développement du réseau de gaz naturel. Ces pratiques politiques vernaculaires ne sont pas
totalement illégales mais plutôt « a-légales » comme le souligne Elise Massicard (Massicard, 2004,
p. 118) car celles-ci sont réalisées au travers de réseaux de bienfaisance qui impliquent l’Etat, les
municipalités, le parti politique, des fondations pieuses (Vakfi) ou bien diverses associations
financées par des donateurs privés (Massicard, 2009, p. 35). Bien que les données ci-dessous ne
soient pas toutes à jour, elles sont néanmoins révélatrices de l’ampleur de ces distributions
réalisées en adéquation avec la politique sociale de l’Etat: durant la présentation du budget 2011
du Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles au sein de la Grande Assemblée Nationale
de Turquie64, le ministre estime la distribution gratuite de sacs de charbon à 1,7 millions de foyers
turcs chaque année entre 2003 et 2009, pour la période hivernale 2010-2011, 2 millions de tonnes
de charbon seront distribuées « généreusement », ces distributions sont généralement assurées via
le Fond d’Aide Sociale et d’Encouragement à la Solidarité (Sosyal Yardımlaşma ve Dayanışmayış
Teşvik Fonu) ; en décembre 1995, le maire de Bahcelievler à Istanbul a distribué gratuitement 1500
64 Disponible à l’adresse suivante : http://www.enerji.gov.tr/index.php?dil=en&sf=webpages&b=yayinlar_raporlar_EN&bn=550&hn=&id=40721
52
tonnes de charbon dans son arrondissement en sus des 250kg d’alimentation pour 3500 familles
lors du Ramadan et des vêtements en faveur de collégiens…(Akinci, 1999, p. 77)
Nous y reviendrons plus loin lorsque nous évoquerons la transition énergétique via le prisme
des histoires individuelles mais l’on peut d’ores et déjà se demander en quoi ce « populisme
énergétique » influence les choix de consommation des ménages les plus précaires. Au-delà des
résistances économiques au changement, le prix à l’unité du gaz naturel étant comparativement
plus élevé que celui du charbon ou du lignite (Arik, 2011, p. 85), ces pratiques politiques ne
perpétuent-elles pas l’usage d’un mode de chauffage traditionnel pourtant dangereux pour la
santé humaine et pour l’atmosphère ? La distribution gratuite de charbon par des autorités
publiques ou affiliées n’est-elle pas d’autant plus impertinente que chaque hiver des milliers de
citadins meurent asphyxiés par les fumées noires des poêles ?
2.2.3. « Faire lien avec une administration poreuse »65
Dans le quartier d’Ayazma, on a assisté début 2002 à une mobilisation pour l’aménagement du réseau d’eau dont
l’absence faisait cruellement défaut et compliquait la vie quotidienne des femmes. Tout s’est joué dans une conjoncture précise :
une chronologie très courte et un mode informel. En effet, dans une optique électoraliste sans ambiguïté, les autorités locales –
en l’occurrence la mairie d’arrondissement – auraient proposé, mais de façon orale, d’installer le réseau d’eau à Ayazma, à
condition que chaque foyer voulant se raccorder verse une petite somme ; condition étonnante pour le développement d’un réseau
public. Un marchandage local informel a donc été amorcé, en faisant jouer une commune origine géographique (hemşehirlik)
des protagonistes, le responsable de l’urbanisme de la municipalité concernée étant originaire du même département qu’un
certain nombre d’habitants du quartier (Ağrı à l’extrême est du pays). Face au refus de certains habitants de verser la somme
exigée, la proposition a finalement été retirée, au grand dam de tous ceux qui étaient prêts à jouer le jeu.
Mais cette affaire d’eau ne s’est pas terminée ainsi. En un certain sens, les leçons de l’échec des négociations de 2002 ont
été tirées, sinon collectivement, du moins par une poignée d’habitants. De fait, après cette déconvenue, quelques habitants
décidées – autour de la figure de C. – ont cherché les raisons du refus qu’ils se sont vu opposés et les mécanismes de la prise de
décision en matière d’installation d’un réseau d’eau. En effet, les instances sollicitées – en l’occurrence la mairie
d’arrondissement et l’antenne locale de l’Administration des Eaux et Canalisation d’Istanbul (ISKI) – se sont longtemps
renvoyés le dossier, aucune d’entre elles n’acceptant de prendre une décision ferme face aux sollicitations des habitants
mobilisés, car la décision aurait aboutie à reconnaître un quartier « qui n’existe pas sur les cartes et plans officiels ». Une
fois ces enjeux clarifiés, les habitants les plus opiniâtres, utilisant à leur tour habilement des réseaux de connaissance ou de
connaissances de connaissances, se sont lancés dans une véritable entreprise de lobbying discret auprès de l’antenne locale de
l’ISKI. Ainsi, la détermination de quelques uns autour de la figure de C. ; entrepreneur en bâtiment possédant alors le seul
immeuble à deux étages du quartier et originaire d’Ağrı, comme l’un des responsables de l’urbanisme de la mairie de
Küçükçekmece, a-t-elle fini par porter ses fruits. En mars 2003, en effet, l’installation du réseau commençait, moyennant au
départ 50 millions de livres turques (30 euros) par foyer. Mais il est intéressant de souligner qu’à partir du moment où
l’installation a été vraiment engagée, le collectif a grossi, et de nouveaux intéressés se sont greffés au noyau initial. Ainsi, le
coût moyen de l’installation par foyer (creusement des tranchées et pose des tuyaux) a peu à peu diminué pour devenir
65 Nous nous excusons par avance auprès de Benoit Fliche pour avoir ouvertement plagié un des titres issu de son article « De l’action réticulaire à la recherche du semblable, ou comment faire lien avec l’administration » paru dans La Turquie conteste : mobilisations sociales et régime sécuritaire de Gilles Dorronsoro (dir), 2005, CNRS Editions
53
attractif, même pour les plus réticents au départ. D’un point de vue simplement comptable – on pourrait parler d’économie
d’échelle –, l’action collective prenait alors tout son sens. Structure évolutive, le collectif habitant, large, finalement constitué
pour l’occasion, n’aurait pas existé sans une personnalité forte et surtout sans le succès des négociations entreprises par un tout
petit nombre au départ. L’affaire n’est cependant pas close : l’ISKI a accepté de faire cette concession – moyennant une
contribution des habitants –, mais n’est pas prête à officialiser son geste en délivrant des abonnements pour l’eau fournie. En
effet, la délivrance d’abonnements et l’installation de compteurs signifierait l’officialisation d’une faveur locale. En d’autres
termes, l’antenne locale de l’ISKI a fabriqué par cette initiative partielle de nouveaux utilisateurs pirates.
Extrait de l’article « Les compétences des acteurs dans les micro-mobilisations » de Jean-François Pérouse,
paru dans La Turquie conteste : mobilisations sociales et régime sécuritaire sous la direction de Gilles Dorronsoro,
2005, CNRS Editions
Ce récit, fruit d’une fine étude de terrain, est convoqué ici par Jean-François Pérouse pour
étudier les répertoires de l’action collective activés par ceux qu’il décrit comme les « citadins
ordinaires » (Pérouse, 2005a, p. 127). Cette mobilisation « […] anonyme, ultra-territorialisée,
locale et […] éphémère » (Ibid.) est comprise comme une « action concertée d’un groupe
cherchant à faire triompher des fins partagées » (Dorronsoro, 2005, p. 24)66 qui concernent ici
l’accès à un service énergétique primaire : le réseau d’eau. Dans une perspective heuristique
d’analyse de la transition énergétique, plusieurs éléments retiennent notre attention, car ceux-ci
remettent en cause notre conception occidentale du gouvernement urbain, celle-ci reposant « sur
la vision d’une couche d’institutions publiques servant tous les habitants d’un territoire » (Lorrain,
2011, p. 394).
Dans le cas évoqué remontant à 2002, les frontières métropolitaines ne s’étant pas élargies
pour correspondre à celles du département d’Istanbul, le quartier d’Ayazma est alors situé en
périphérie sud-ouest du territoire métropolitain. Ce quartier composé alors essentiellement de
gecekondu67, fut édifié dans les années 1980 par une population majoritairement d’origine kurde.
L’interventionnisme public semble alors quasi-absent dans ce quartier ou du moins il végète de
manière différenciée avec des conditions d’accès aux services urbains spécifiques et rudes: jusqu’à
cet incident, l’eau était distribuée gratuitement par des camions citernes, l’électricité étant encore
majoritairement captée par des raccords illégaux. A l’instar de l’organisation vernaculaire d’accès
aux services mises en place par les élus locaux de Mumbai (Zérah, 2011, p. 160), le maire
d’arrondissement de Küçükçekmece, en proposant de manière informelle (c'est-à-dire oralement)
66 Définition initialement tirée de Fillieule O. (dir.), 1993, Sociologie de la protestation. Les formes de l’action collective dans la France contemporaine, Paris, L’Harmattan 67 Ce quartier a depuis fait l’objet d’un programme de rénovation urbaine brutal étant situé en toute proximité du stade olympique Atatürk qui a fait tabula rasa des habitations illégales et reconstruit des immeubles de standings. Les habitants pourtant propriétaires de leur logement mais de manière fictive juridiquement ont été relogés progressivement suite à une forte mobilisation médiatique dans le quartier TOKI de Beziganbahçe.
54
et dans une vision populiste, d’installer le réseau d’eau dans le quartier, s’impose officiellement
comme un « médiateur » entre la population et la bureaucratie métropolitaine, compétente en
matière de services urbains. Son statut de maire lui octroie une position privilégiée pour accéder
plus facilement à des ressources politiques, cognitives et financières. L’action politique devient ici
réticulaire, c'est-à-dire qu’il est nécessaire de créer des liens avec une administration perméable à
ce genre d’agissement afin « d’accéder à des ressources difficilement accessibles autrement. Il faut
pour cela faire appel à des ‘personnes-relais’ ou à des ‘leviers’ qui fassent pression sur des ‘cibles’
(Fliche, 2005, p. 160). Dans le cas d’Ayazma, l’action réticulaire s’est fondée sur deux personnes
relais : C. l’entrepreneur en bâtiment du quartier et l’un des responsables de l’urbanisme de la
mairie. L’appartenance géographique commune (le département d’Ağrı) de ces deux personnes a
constitué le lien légitimant l’action. Le sentiment d’appartenance politique, familial ou d’amitié
constituent d’autres types de liens de solidarité (Fliche, 2005, p. 160) qui se construisent dans des
lieux de proximité urbaine particuliers tels les associations villageoises ou de pays (hemşehri derneği),
les cafés, les commerces ou encore les lieux de culte… (Poyraz, 2007; Poyraz et al., 2010).
Toute l’ambiguïté et les paradoxes de l’action publique locale se dévoilent à travers cet
exemple. Entre la perspective d’universalisation du réseau d’eau affichée par l’autorité locale qui
convoque les services de l’exploitant officiel du réseau (ISKI) et les mécanismes locaux de prise
de décision dépendant des chemins politiques traditionnels, on assiste à la création plus ou moins
volontaire et consciente, d’un système d’action publique situé aux marges de la légalité (Pérouse,
2005a, p. 131). Ceci s’incarne dans les faits par le marchandage d’une faveur politique qui en
contrepartie oblige la population concernée à s’acquitter d’une somme convenue sans doute
arbitrairement et dont on ignore ce qu’est censé recouvrir le montant total. La non délivrance de
ces informations par la mairie aux habitants a été préjudiciable quant à l’issue des événements, les
habitants ignorant que la somme demandée diminuerait plus ils seraient nombreux. D’autre part,
le premier échec du développement du réseau serait imputable à l’absence de prise de
responsabilité tant de l’autorité publique que de l’antenne locale du réseau d’eau, qui met en
lumière ces « inerties sectorielles liées à des logiques institutionnelles tenaces », accusées ailleurs
par Jean François Pérouse d’être des freins à la transversalité des politiques locales de
développement durable (Pérouse, 2011, p. 69). Il faut savoir que l’entreprise ISKI est une « vieille
et puissante institution – dont le budget a longtemps été supérieur à celui de la municipalité
d’Istanbul elle-même – [qui] a sa logique d’action propre, qui fait peu de place à la concertation
avec d’autres acteurs, comme au développement d’actions intégrées territorialisées » (Ibid.). En
55
définitive, les résultats de ce qui relève d’une politique publique amènent à « créer de nouveaux
utilisateurs pirates » sans compteurs individuels, ni factures. A posteriori, l’hypocrisie politique
semble aller encore plus loin avec l’officialisation du raccordement au réseau et la délivrance,
quelques années plus tard, de factures en bonne et due forme aux habitants d’Ayazma, ce qui n’a
pas empêché les autorités locales de détruire ces logements en 2007 en plaidant l’argument de
l’illégalité foncière et immobilière des habitations68. La puissance publique semble donc se donner
le droit d’apprécier arbitrairement et abusivement ce qui relève du légal et de l’illégal en fonction
des différentes conjonctures politiques et des contextes spatio-temporels. Le raccordement
officiel au réseau ne serait pas dans le cas présent une preuve suffisante de la légalité juridique de
l’habitation. Cette situation ubuesque d’un point de vue politique l’est aussi d’un point de vue
social dans une société urbaine de haute densité réseautique. Au sein de la « Gig@city »
stambouliote (Lorrain, 2002), être connecté au réseau représente le premier témoignage matériel
manifestant d’une intégration à la société urbaine (Lorrain, 1998, p. 16). Entre affiliation
spontanée et désaffiliation indéterminée, entre branchement illégal au réseau, branchement toléré
et branchement semi-légalisé, la confusion entrainée par ce type de politique publique envers une
population déjà socialement vulnérable institue une certaine schizophrénie réseautique.
Cette chronique d’une mobilisation collective territorialisée est révélatrice du poids des
décisions publiques dans la dynamique de ségrégation socio-territoriale par les réseaux. L’action
réticulaire et les pratiques politiques vernaculaires flirtant avec l’illégalité dans des espaces où
l’informalité est déjà omniprésente s’avèrent en d’autres termes plus responsables de la
fragmentation urbaine que ne le sont les logiques commerciales des opérateurs privés des réseaux
pourtant désignés par Stephen Graham et Simon Marvin, comme facteur central du Splintering
Urbanism (Graham & Marvin, 2001). Ces logiques politiques territorialisées nous invitent à
multiplier à l’avenir des enquêtes de terrain de même nature, pour comprendre, entre autres,
comment les services urbains en réseau et notamment celui du gaz naturel développé récemment,
se sont déployés au sein du territoire métropolitain en prenant en compte les configurations
politiques et socio-spatiales de chaque lieu.
68 L’authenticité de ces propos est à considérer avec prudence car ils s’appuient seulement sur des sources audiovisuelles, la démolition des habitations d’Ayazma ayant fait l’objet d’une mobilisation médiatique importante. Nous avons pu ainsi voir le film Ekumenopolis, city without limits, de İmre Azem paru en 2011 et une vidéo intitulée « The evicted families of Ayazma, Istanbul » disponible sur : http://www.habitants.org/spazio_degli_abitanti_organizzati/video/the_city_is_for_all/the_evicted_families_of_ayazma_istanbul
56
2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS…
Au regard de ce qui a été décrit jusqu’à présent, malgré l’apparente complexité du système
institutionnel et sociétal d’une métropole combinant à la fois les qualités d’une ville monde et
d’une ville émergente, nous réfutons la position déterministe et fataliste de l’impossible transition
énergétique à Istanbul. Si le processus de percolation, qui nous a permis de définir la transition
énergétique, apparaît aussi heurté dans ce contexte urbain spécifique, ceci s’explique sans doute
par la tension à laquelle est soumise cette dynamique de changement entre, d’un côté, des
politiques et stratégies métropolitaines encore timides sur le sujet et, de l’autre, la réalité des
pratiques politiques vernaculaires dont les conséquences socio-économiques ne sont jamais
totalement stabilisées. L’analyse de la transition énergétique ne peut donc s’abstraire totalement
d’une tentative de compréhension de ces mécanismes de l’action publique, hybridés entre légalité
et illégalité, qui, n’existant pas ou du moins à des degrés beaucoup moins importants dans les
contextes métropolitains des villes du Nord, ne servent que rarement de focale d’analyse au sein
des théories traditionnelles sur la transition.
Afin de dénouer la complexité des instruments et des dispositifs de l’action publique mis en
œuvre et, ainsi, de rendre compte de leur degré d’efficacité, il serait nécessaire de clarifier plus en
profondeur le rôle des acteurs impliqués ainsi que la vision dont ils sont porteurs à propos de la
transition énergétique. Faute de données empiriques étoffées, nous souhaiterions ici brièvement
émettre certaines hypothèses quant au rôle et aux relations entretenues par les membres de la
coalition de croissance qui s’est formée autour du développement urbain d’Istanbul.
Tout d’abord, concernant la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul, nous avions constaté que
l’enjeu énergétique n’était pas à l’heure actuelle la priorité au sein de l’agenda politique local. Les
interventions sectorielles et ponctuelles présentées comme une illustration de l’engagement public
en faveur de la transition énergétique ainsi que l’implication contrastée des acteurs métropolitains
au sein des réseaux municipaux transnationaux dédiés à ces questions, semblaient plus témoigner
d’une appropriation opportuniste et sélective de la question. Il est peut-être trop réducteur de
s’arrêter à cette conclusion car une certaine dynamique impulsée par l’Etat et par les collectivités
locales turques, membres des réseaux transnationaux, semble toutefois faire prendre conscience
de l’acuité de la question auprès des décideurs locaux. Nous ne pouvons être totalement d’accord
avec Solmaz F. Karabag qui, étudiant l’approche des municipalités métropolitaines turques du
changement climatique, écrit que ces dernières ne font même pas l’effort de mettre en place des
57
études prospectives sur la manière dont le changement climatique impactera leur éco-système
urbain (Karabag, 2011, p. 130)69. Ces études existent et se multiplient notamment grâce aux
subventions accordées par des acteurs transnationaux. C’est à un autre niveau que le problème
surgit, plus en aval, durant le temps de la prise de décision. En effet, la prise en compte et
l’analyse de ces ressources cognitives par les services métropolitains ne débouchent que rarement
sur la production de dispositifs publics d’intervention. Au sein de la nébuleuse bureaucratique
métropolitaine qui s’est considérablement complexifiée depuis l’arrivée des sociétés de droit privé
(Belediye İktisadi Teşekkülleri), il serait sans doute opportun, à l’image des études réalisées par Alex
Aylett dans le cas des municipalités sud-africaines (Aylett, 2011), d’entreprendre une analyse
sociologique des valeurs et des cultures organisationnelles de ces institutions. Ne pourrait-on pas
envisager que des routines bureaucratiques, Aylett parle de culture organisationnelle pour décrire
la mise en œuvre de règles, procédures, de pratiques et d’éthiques communes partagées par les
employés d’une même structure, ainsi que la trop grande spécialisation des employés qui
empêchent d’appréhender des problèmes inattendus, Aylett parle cette fois de trained incapacity,
sont autant de facteurs bloquant l’apparition d’une démarche énergétique plus intégrée ? D’autre
part, la multiplication des conférences internationales sur la thématique énergétique – tenue
annuelle d’une conférence internationale sur les énergies renouvelables et l’environnement70;
second forum sur l’efficacité énergétique71, symposium sur la technologie des déchets72,
conférence sur la ville durable73, sommet sur les villes mondiales intelligentes74 – toutes organisées
à Istanbul et qui rassemblent des acteurs gouvernementaux (les ministères et ses autorités
affiliées), des représentants des collectivités locales turques et étrangères, des grands groupes
privés de l’énergie (Zorlu, Enerji SA, Siemens…) ainsi que des acteurs de la société civile
(association, ONG, bureaux d’expertise…), questionne la position dévolue à Istanbul dans ce
processus de transition énergétique. Quels sont l’implication et le rôle réel de ces acteurs
métropolitains stambouliotes présents au sein de ces réseaux ? L’accumulation du capital de
connaissances engrangées petit à petit ne présage-t-elle pas, à terme, de voir Istanbul devenir le
support de nouvelles politiques énergétiques inspirées des cas exemplaires étrangers ? Ceci
69 Il est précisément écrit : « Furthermore, the study found been no efforts to disclose information how climate change will affect those cities » 70 ICCI, Uluslararası enerji ve çevre fuarı ve konferans_voir www.icci.com.tr 71 Ulusal enerji verimliliği forumu ve fuarı _www.uevf.com.tr 72 IWES, Atık Teknolojileri Sempozyumu ve sergisi_ www.iwes.com.tr 73 Türkiye’de sürdürülebilir kentler_ www.surdurulebilirkentler.org 74 WICS, Dünya Akıllı Şehirler Zirvesi_www.wicsummit.com
58
constituerait un moyen parmi d’autres pour lui permettre de maintenir son rôle de leader
métropolitain à l’échelle de la Turquie.
A l’heure actuelle, la Municipalité Métropolitaine de Gazientep75 a devancé celle d’Istanbul en
matière de planification énergétique avec l’adoption récente d’un Plan Climat-Energie Territorial,
inspiré du modèle français développé par l’Ademe. Cette initiative en faveur de la lutte contre le
changement climatique accentue la visibilité de cette ville à l’échelle de la Turquie mais aussi à
l’international, ce que les élites politiques et économiques stambouliotes ne peuvent que constater
et jalouser. Alors que l’on peut supposer que la ville de Gazientep dispose de capacités
institutionnelles et financières moindres que celles d’Istanbul, pourquoi et comment cette
métropole de province réussit là où Istanbul échoue ? Les problèmes de gouvernance locale à
l’origine de conflits organisationnels à l’échelle d’Istanbul expliquent-ils pourquoi les décideurs
métropolitains ne parviennent pas à s’entourer d’acteurs ressources capables de faire émerger de
telles initiatives, ce que la ville de Gazientep sous le leadership politique et la vision de son actuel
maire est parvenue à faire avec notamment l’appui de l’Agence Française de Développement ? Il
serait également opportun d’analyser la vigueur et la nature des liens entre les membres des
coalitions de croissance métropolitaine (Lorrain, 2011, p. 377). L’omniprésence de l’Etat turc au
sein du gouvernement urbain stambouliote contribue-t-elle au développement métropolitain ou
s’apparente-elle à une réduction de l’autonomie du pouvoir local ? Cette gouvernance bi-niveau
permet-elle au gouvernement local de s’appuyer sur des relations de confiance avec des grandes
firmes privées ? L’année précédente, un employé de l’une de ces grandes firmes urbaines,
Siemens, détentrice de nombreuses solutions énergétiques notamment en ce qui concerne les
smart-technologies, justifiait l’absence de partenariat avec la MMI par une situation urbaine locale
défaillante en matière d’infrastructures de base, condition sine qua none pour développer des
technologies plus innovantes. Ce dernier nous citait en exemple le cas de la fibre optique encore
absente à Istanbul. L’Etat turc ne fut jamais cité comme étant un frein potentiel au
développement de leur secteur d’activité en milieu urbain. A l’inverse, face au déficit de
régulations incitatives développées par l’Etat turc en matière de maîtrise énergétique dans un
secteur du logement court-circuité à l’échelle locale par l’organisme étatique TOKI, les initiatives
de maîtrise énergétique sont laissées à l’initiative de puissants promoteurs immobiliers, plus
sensibles aux enjeux des innovations technologiques perçues comme des avantages comparatifs
sur le marché. C’est ce que nous avons pu constater cette année dans le cas du projet Varyap
75Ville située dans le sud-est anatolien comptant un peu plus d’un million d’habitants
59
Meridian76, premier projet urbain turc intégralement certifié Leed, construit sur une emprise
foncière libérée à titre préférentiel par TOKI sans qu’aucun cahier des charges n’impose le
respect de normes énergétiques.
76 Ce programme immobilier est localisé dans le nouveau centre financier d’Ataşehir à Istanbul.
60
Partie 3 :
Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une
réussite ?
« Les paysans n’ont éprouvé aucune difficulté à s’adapter au tracteur, et à vivre avec ces engins. Eux qui attachaient des talismans en pâte de verre bleue à leurs vaches ou à leurs chevaux, pour les protéger du mauvais œil, en ornaient désormais les tracteurs. Le tracteur était la noce, la fête. On pense qu’il est difficile de devenir un prolétaire. S’arrachant à mille traditions, les gens deviennent tout autres. J’ai été le témoin admiratif de ces paysans, qui entrèrent avec facilité dans le prolétariat. Bien sûr, ils s’accrochaient encore à telle ou telle tradition, mais ils s’agrippaient plus encore à leur monde nouveau. Dans mes romans, cette métamorphose reste le thème fondamental. Le changement de l’homme face aux conditions nouvelles, la mutation de la nature en rapport avec le changement social : cette aventure humaine était la source de mon admiration. »
Yaşar Kemal, Entretiens avec Alain Bosquet, Extraits, paru dans
Yaşar Kemal, 2011, La saga de Mémed le Mince, Quarto, Gallimard, p.81
Durant le mois de janvier de l’année 1992, surgissent aux yeux des habitants de Kadiköy,
quartier situé sur la rive asiatique d’Istanbul, les premiers résultats tangibles d’une profonde et
lente mutation socio-technique, amorcée quelques années plus tôt. La formidable histoire du gaz
naturel de ville en Turquie entame ici son entreprise de substitution aux anciens systèmes
énergétiques utilisés jusqu’alors dans la sphère domestique pour ce qui concerne le chauffage
urbain et les commodités culinaires à savoir principalement le charbon, le bois ou dans une
moindre mesure le gaz manufacturé ou le fioul. Actuellement, l’exploitant officiel de la
61
distribution du gaz naturel à Istanbul se vante d’avoir diffusé l’utilisation de cette ressource sur
plus de 97% du territoire métropolitain enregistrant presque 5 millions d’abonnés. Cette mutation
urbaine, dont on imagine l’ampleur au vu de ces chiffres, doit être comprise comme une
transition énergétique en tant que telle, bien qu’elle ne décrive pas véritablement le passage à un
système énergétique plus durable, le gaz naturel demeurant une énergie fossile. Pourtant, cette
transition du charbon au gaz naturel qui s’est opérée dans les années 1960 en Europe, est vécue
par la population d’Istanbul comme une réelle avancée vers un système énergétique plus
moderne, écologique et moins polluant, en témoignent les représentations, certes faussées, d’une
partie des habitants considérant le gaz naturel comme une ressource renouvelable au même titre
que l’énergie solaire ou éolienne (Erbil, 2011).
L’objectif de cette troisième et dernière partie est de proposer une première grille d’analyse de
cette transition socio-technique, soutenue par des informations glanées sur le terrain, laquelle
transition a été trop rapidement présentée comme aboutie. En effet, nous avons pu le constater
durant nos deux séjours successifs à Istanbul, tout le monde n’utilise pas encore le gaz naturel ou
du moins tout le monde n’utilise pas exclusivement cette ressource énergétique, certains
aménageant des systèmes énergétiques hybrides en ayant toujours recours à des combustibles
traditionnels. La situation actuelle est donc encore celle d’une transition, indubitablement en voie
d’achèvement avec une adoption quasi-généralisée du gaz naturel mais le nouvel état du « tout au
gaz » n’est pas encore tout à fait parvenu, quoi qu’en disent ceux qui invoquent d’ores et déjà un
succès sans équivoque. Nous avons ainsi construit cette grille d’analyse, en nous demandant
comment il serait possible d’appréhender l’intégralité des dynamiques économiques, sociales et
politiques, de l’échelle macro à l’échelle micro, constitutive du processus de transition
énergétique, capable d’expliquer l’hétérogénéité des situations advenues face à l’innovation. A
terme, notre ambition serait d’effectuer une historiographie de l’apparition du régime de gaz
naturel à l’échelle de la Turquie, à l’image de ce que Joel Tarr a pu écrire à propos du
développement du gaz naturel aux Etats-Unis (Tarr, 1999), en vue de repérer des séquences
temporelles sur un laps de trente années (1980-2012) au cours desquelles une pluralité d’acteurs
(Etats, industriels, associations, lobbying, Banque Mondiale…) ont, par une série de décisions
économiques, techniques et d’accords politiques, permis la diffusion du gaz naturel dans les villes
turques. Cette première approche contextuelle pourrait s’affiner en s’intéressant tout
particulièrement au cas d’Istanbul. Ceci se justifie doublement par sa position de première
62
métropole turque qui fut à ce titre l’une des trois premières villes à recevoir le gaz naturel77 et qui
fut considérée comme un laboratoire d’apprentissage de ce nouveau régime socio-technique du
gaz naturel. Cette historiographie urbaine pourrait s’inspirer des approches conceptuelles de
l’écologie politique urbaine mises en avant par certains chercheurs radicaux dont Erik
Swyngedouw est l’un des principaux partisans (Heynen & Swyngedouw, 2006a; Swyngedouw,
1997; 2006). Cette écologie politique considère le développement urbain comme un processus de
transformation socio-métabolique de l’environnement, la ville n’étant pas considérée comme une
antithèse de la nature mais comme une hybridation environnementale (Swyngedouw, 2006). Cette
fusion du social et du naturel se conçoit par les circulations métaboliques que l’auteur définit
comme « the socially mediated process of environnemental_inclunding technological transformation and trans-
configuration_ through which all maner of agents are mobilized, attached, collectivized and networked »
(Swyngedouw, 2006, p. 113). Dans cette perspective, le système socio-technique du gaz naturel
pourrait être considéré comme un nouveau flux métabolique encastré au sein d’un pouvoir
politico-écologique au travers duquel l’urbanisation s’organise (Swyngedouw, 1997). Le gaz
naturel est ainsi considéré comme un sujet de lutte sociale intense en vue de son contrôle et de
son accès à l’échelle des villes turques mais aussi à l’échelle infra-métropolitaine au sein des
quartiers. Il est ici important de rappeler que l’écologie politique urbaine se fonde sur le postulat
radical selon lequel la production matérielle de la ville est contrôlée et manipulée par et pour les
intérêts des élites au détriment des populations marginalisées (Heynen & Swyngedouw, 2006b, p.
6). De ce fait, les conflits politiques, économiques et sociaux sont inhérents à l’accès aux flux
métaboliques.
N’étant pas à même d’appréhender l’ensemble des transformations socio-métaboliques
résultant de l’arrivée du gaz naturel à Istanbul, nous considèrerons, dans un premier temps, cette
transition dans un cadre socio-politique large grâce au concept analytique du Multi-Level Perspective
de Franck W. Geels. Le second temps de l’argumentaire aura pour but de revenir et de compléter
nos travaux de l’année précédente sur les différenciations socio-territoriales résultant de
l’introduction de cette innovation technique. Enfin, nous émettons l’hypothèse que
l’inachèvement de cette transition s’explique en partie par l’inadéquation des politiques de
diffusion du gaz naturel à la réalité des pratiques individuelles de l’énergie. La dernière sous-partie
propose ainsi de poser quelques éléments sociologiques et anthropologiques en vue de
77 Avec Ankara et Bursa
63
comprendre cette métamorphose de l’homme face à la technique, aventure humaine qu’aurait
sans doute appréciée décrire l’écrivain Yaşar Kemal.
3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL
A l’image de ce que nous enseigne l’écologie politique urbaine, l’analyse des trajectoires de
diffusion des innovations technologiques reconfigurant des systèmes socio-techniques – soit
l’approche du Multi-Level Perspective (MLP) – souligne l’importance du processus co-évolutif et co-
déterminant, de l’innovation enchâssée dans un environnement sociétal et dans un
environnement matériel ou technique. L’apparition d’un nouveau système socio-technique,
résultant de l’émergence ou de la substitution d’une nouvelle technologie, n’est jamais neutre et
dépend du contexte politico-économique et socio-culturel dans lequel il s’insère. Les conditions
dans lesquelles la transition conduisant au gaz naturel s’est opérée en Turquie coïncident en partie
avec le chemin de transition que Geels nomme « substitution technologique » (Geels & Schot,
2007).
Figure 5: Sentier de substitution technologique (Geels & Schot, 2007, p. 410)
Ce type de transition (voir figure 5) – Geels l’illustre avec le passage du bateau à voile au bateau à
vapeur en Grande-Bretagne – éclot lorsque des pressions importantes créées au sein du paysage
socio-technique perturbent le régime existant et offrent des fenêtres d’opportunités à des
technologies déjà matures produites dans des niches afin de pénétrer le régime. Cette substitution
64
technologique souvent liée à un choc spécifique engendre une disparition progressive du régime
existant ainsi que de nouvelles luttes de pouvoir et d’influence parmi les nouveaux acteurs d’un
régime en gestation qui investissent alors massivement dans la construction de ce régime (Geels
& Schot, 2007, p. 409).
3.1.1. Régime et paysage socio-technique de la transition au gaz naturel en Turquie
Evoquons la série d’externalités composant le paysage socio-technique de la Turquie au début
des années 1980 qui a influé sur la décision d’acheminer le gaz naturel dans les villes turques :
Nouvelles orientations politico-économiques de l’après coup d’Etat militaire : le tournant néolibéral
Suite au coup d’Etat militaire de 1981, la Turquie signe son entrée dans un « nouveau régime
néolibéral d’accumulation et de régulation, caractérisé par le démantèlement systématique du
fragile Etat-providence qui s’était constitué pendant les deux décennies précédentes » (Güvenç,
2010, p. 50). Le programme d’ajustement structurel du FMI établit les bases d’une libéralisation
du marché économique turc ce qui aboutit en 1987 à un accord de prêt entre l’Etat turc et la
BIRD pour l’ajustement structurel du marché énergétique (Tansug, 2009).
Croissance urbaine, croissance des besoins énergétiques et problèmes hygiéniques en milieu urbain :
L’objectif de la dérégulation néolibérale du marché énergétique qui a abouti au processus
d’unbundling (désintégration du marché) était de garantir et satisfaire les besoins en énergie des
consommateurs à un prix abordable grâce à l’introduction d’une concurrence privée sur le
marché. La Turquie est alors en pleine phase d’urbanisation accélérée et de croissance
économique. La courbe des besoins énergétiques entame à l’aune des années 1980 une
progression constante qu’il s’agit donc d’accompagner en pariant sur une nouvelle stratégie
énergétique nationale. Le gaz naturel est alors considéré comme une solution rentable
financièrement pour produire de l’électricité. Désormais, la moitié de l’électricité est produite en
Turquie au moyen de centrales alimentées au gaz naturel. D’autre part, cette ressource fut perçue
à un moment donné comme la solution hygiénique au problème de pollution atmosphérique
rencontrée dans les principales villes turques. La combustion du mauvais lignite durant les hivers
rigoureux était accusée d’être la principale source de cette pollution.
65
Un nouveau contexte géopolitique favorable à la Turquie :
Ce qui a constitué un choc au sein du paysage socio-technique et qui est à l’origine d’une
« cascade ou d’une avalanche de changements » pour reprendre la terminologie de Geels est
l’apaisement du contexte géopolitique européen suite à la fin de la Guerre Froide. Ce climat de
détente avec la Russie et les pays balkaniques, voisins de la Turquie, repositionne la Turquie au
centre d’un corridor énergétique entre des pays richement pourvus en ressources énergétiques et
des pays consommateurs d’énergie. La Turquie s’est depuis affirmée progressivement comme un
nouveau hub énergétique en offrant la possibilité de faire transiter ressources gazières et
pétrolières par l’installation de gazoducs et d’oléoducs sur son territoire.
Sujet à l’ensemble de ces pressions et du fait de ce contexte géopolitique apaisé rendant
possible le commerce de gaz naturel et de pétrole, l’Etat turc autorise en 1984, l’utilisation du gaz
naturel dans le secteur industriel et à des fins domestiques78. En 1985, l’entreprise publique
BOTAŞ, créée en 1974 pour gérer le commerce de pétrole irakien, voyant ses prérogatives
élargies pour s’occuper de l’importation, du commerce et du transport de gaz naturel, lance une
étude sur l’utilisation du gaz naturel en Turquie afin de déterminer la demande potentielle de gaz
naturel ainsi que les tracés des futurs pipelines (Rapport annuel BOTAŞ 2010). Sur les bases de
cette étude et suite à un accord intergouvernemental signé le 18 septembre 1984 entre la
République de Turquie et l’Union Soviétique, un contrat d’approvisionnement de 25 ans est signé
le 14 février 1986 entre BOTAŞ et Soyuzgazexport, compagnie gazière aujourd’hui rattachée à
Gazprom.
Figure 6: Premier réseau de gaz naturel en Turquie achevé en 1988
(Bouthors & Cailleau, 1987, p. 223)
78 Décret officiel du Conseil des Ministres (84/8806)
66
Une fois les ententes avec les fournisseurs de gaz réglées, ne restait plus qu’un problème à
résoudre : la construction de pipelines pour acheminer le gaz naturel dans les villes turques. En
1986, BOTAŞ désigne un consortium industriel international79 pour construire le premier
tronçon d’un gazoduc de 845 km de la frontière bulgare jusqu’à Ankara. La construction du
réseau débute en 1986. Les premières importations de gaz naturel commencent en 1987 pour
alimenter dès 1988 une usine80 à Istanbul et livrer du gaz naturel domestique à Ankara la même
année. Suivra ensuite le raccordement au réseau des villes d’Istanbul, Bursa en 1992, Izmit et
Eskişehir en 1996 (voir figure 6).
Nous supposons que les pressions du paysage socio-technique ayant conduit à l’acheminement
du gaz naturel dans ces premières villes à la fin des années 1980/début des années 1990, ont
amorcé le déclin d’un régime énergétique jusqu’alors dominé par l’industrie du charbonnage, et
ont inversement annoncé la naissance d’un nouveau régime socio-technique autour du gaz
naturel. Il serait intéressant d’analyser de quelle manière s’est effectuée cette évolution : quelles
reconfigurations politiques, industrielles et économiques cela a-t-il eu comme conséquence?
Quels acteurs y ont pris part ? Quels conflits et luttes de pouvoir cela a-t-il entraîné ? Au sein du
nouveau régime créé, fédéré sans doute autour du ministère de l’énergie et de l’entreprise
publique BOTAŞ, un acteur semble avoir joué un rôle prépondérant. Il s’agit de l’Association des
Compagnies de Distribution de Gaz Naturel de Turquie (Türkiye Doğal Gaz Dağıtıcıları Birliği
Derneği – GAZBIR) créée en 2004 à Istanbul avec pour mission d’étendre l’utilisation du gaz
naturel à l’ensemble du territoire turc. Pour ce faire, cette association centralise des informations
sur l’état du marché, identifie les freins juridiques et divers problèmes techniques afin de proposer
des solutions et un appui matériel aux acteurs de la distribution du gaz. Composée de l’intégralité
des sociétés privées et publiques de distribution de gaz naturel de Turquie, il semblerait que
l’association dispose d’une force de proposition importante auprès des législateurs concernant les
modifications législatives à entreprendre pour optimiser le fonctionnement du marché. Son
implication au sein d’un nouveau régime et ses capacités réelles d’action restent toutefois à
préciser.
79 Ce consortium était composé de l’industriel français Spie-Capag, spécialiste des pipelines terrestres et des infrastructures attenantes (stations de compression, de pompage ou de comptage…), l’industriel turc Enka, spécialiste du secteur de la construction d’infrastructures, et des entreprises américaines Fluor et Brown and Root (Bouthors & Cailleau, 1987, p. 223). 80 Il s’agit de l’entreprise de fertilisants IGSAŞ située à Kocaeli
67
L’action de ce nouveau régime socio-technique a rendu possible l’utilisation quasi-généralisée
du gaz naturel en milieu urbain, puisqu’en 2010, 67 villes turques sont connectées au réseau
national qui s’est massivement déployé sur l’ensemble du territoire (figure 7).
Figure 7: Provinces turques raccordées au réseau national de gaz naturel (Rapport annuel BOTAŞ, 2010, p35)
3.1.2. Villes et Multi-Level Perspective : l’implication d’Istanbul dans la transition énergétique
L’une des principales critiques portées au MLP se focalise sur le rôle mineur accordé aux villes
dans le processus de transition socio-technique. Istanbul n’a pas eu qu’un rôle déclencheur dans
cette transition vers le gaz naturel. Du fait de sa situation géostratégique entre Europe et Asie, de
l’attention particulière qu’elle provoque chez les dirigeants nationaux et de ses dispositions
politiques et économiques intrinsèques, Istanbul n’a pas été simplement influencée par cette
transition nationale mais a au contraire contribué à la façonner (Hodson & Marvin, 2010a, p.
481).
Nous pensons, tout d’abord, que c’est autour d’acteurs de la société civile d’Istanbul que
l’ensemble des habitants des grandes villes de Turquie ont pu se fédérer dans une lutte sociale
engagée contre la pollution atmosphérique urbaine jugée catastrophique pour la santé humaine.
Au début des années 1990, cette mobilisation sociale a été particulièrement vigoureuse à Istanbul
et fut largement relayée par les médias (Arik, 2011, p. 70). Ces polémiques et contestations
68
naissantes ont sans doute eu un impact déclencheur auprès des dirigeants nationaux, invités à
trouver prestement une solution facilement généralisable à ce problème. Là aussi, un travail
d’identification des acteurs mobilisés dans cette lutte reste à mener.
Par la suite, le choix du gaz naturel ayant fait l’objet, semble-t-il, d’un consensus politique, la
transition fut dirigée par les instances nationales du pays, échelon approprié pour appliquer une
politique d’investissement infrastructurel de grande échelle. Il n’en reste pas moins que l’impact
d’Istanbul dans le déroulement des événements ne s’est pas arrêté là. En effet, un acteur
métropolitain a endossé le rôle de leader technique de cette transition, en réussissant à la fois à
consolider un régime gazier national naissant et à diffuser l’utilisation de cette ressource sur le
territoire. Cet acteur n’est autre que la société métropolitaine de distribution de gaz naturel
d’Istanbul (Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret A.Ş – IGDAŞ) créée dès 1986 dans l’optique
de « sauver Istanbul de la pollution atmosphérique ». IGDAŞ dispose du statut d’établissement
économique (BIT) dont la MMI est actionnaire à 95%. En ce sens, la politique de cet exploitant
industriel est étroitement liée à celle de l’institution métropolitaine d’Istanbul qui dispose d’un
droit de contrôle sur son activité. Dans un pays où la culture du gaz n’existait pas au début des
années 1980, IGDAŞ est devenue, au fil des années, le symbole de la réussite de cette transition
de par l’expérience et le savoir-faire technique qu’elle a sus acquérir. IGDAŞ a su édifier un
nouveau régime socio-technique national tout en créant les conditions matérielles et cognitives
pour que les technologies les plus innovantes en matière de gaz naturel se développent au sein de
nouvelles niches. Ne pas avoir évoqué jusque-là le rôle des niches est une omission volontaire
puisque les technologies mobilisées n’ont pas perturbé en tant que telles le régime existant. En
effet, l’innovation technologique nécessaire pour entamer le processus de transition se limitait à
l’importation d’un savoir faire largement expérimenté à l’étranger concernant la construction des
pipelines. Le second temps de l’innovation technique, à savoir l’installation de toute l’ingénierie
que requiert un macro-système technique tel que celui du gaz naturel, allait être quant à lui plus
complexe…
Revenons cependant dès à présent sur la brève chronologie des faits nous ayant permis
d’affirmer ce qui précède. En 1985, un contrat est signé entre la compagnie municipale des
transports publics d’Istanbul (İstanbul Elektrik Tramvay ve Tünel İşletmeleri – IETT) et Sofregaz,
69
filiale à l’époque de Gaz de France81, pour faire l’étude du projet d’alimentation en gaz naturel du
Grand Istanbul (Bouthors & Cailleau, 1987). L’année suivante est créée IGDAŞ qui
commissionne un consortium industriel composé de la firme française SAE et de la compagnie
turque Alarko en vue de construire et gérer les premiers tronçons du futur réseau urbain. En
1993, environ 2000km de réseau furent installés (soit 15% du territoire) par ce consortium qui
cède alors intégralement l’exploitation du réseau à IGDAŞ. L’année 1999 marque un tournant
dans l’histoire du gaz naturel à Istanbul mais aussi dans l’histoire du régime gazier en Turquie
avec l’instauration d’un centre international de recherche et formation technique autour du gaz
nommé UGETAM (Uluslararası Gaz Eğitim Teknoloji ve Araştırma Merkezi), au sein duquel a été
formée la majorité du personnel actuel travaillant dans les diverses compagnies de distribution à
travers le pays (voir l’encadré ci-après). Ce centre de certification de standards techniques, inspiré
des modèles des centres français de Gaz de France, aujourd’hui le plus important centre de la
sorte dans la région des Balkans, du Moyen-Orient et du Caucase est né d’une idée de Bilal Arslan
(directeur d’IGDAŞ) et autorisé par le maire métropolitain d’Istanbul de l’époque à savoir Recep
Tayip Erdoğan, conscient de l’opportunité d’une telle institution pour œuvrer en faveur des
ambitions d’internationalisation d’Istanbul. UGETAM est encore aujourd’hui lié à la MMI,
disposant du statut d’établissement économique municipal. Ces vingt premières années
d’existence d’IGDAŞ ont ainsi constitué une période d’apprentissage technique et de
capitalisation cognitive d’un savoir-faire autour des métiers du gaz naturel de ville et qui ont
abouti à la création de ce laboratoire technique fonctionnant telle une niche socio-technique,
espace protégé d’incubation technologique à partir duquel se sont déployées connaissances et
technologies à travers toute la Turquie. IGDAŞ est également à l’origine de la formation de
l’association GAZBIR, évoquée plus haut, dont le siège était situé jusqu’en 2005 à Istanbul avant
d’être délocalisé à Ankara à proximité des autorités gouvernementales et dont le premier
président fut le directeur d’IGDAŞ.
Discours de Ümit Doğay Arınç, président du comité directeur d’UGETAM, le 2 mai 2008 lors de la signature d’un protocole de coopération entre GAZBIR et UGETAM
UGETAM now works as a separated incorporated company serving the gas and energy sectors. There are 4 laboratories, 3
workshops and 6 classes and applications centers including the one in Ümraniye where a total of 100 people can be trained
and theoretical and practical courses are being offered in 80 different topics. UGETAM currently provides training and
consultancy services for Saudi Arabia, Syria, Jordan, Romania, Macedonia, Azerbaijan and Bosnia Herzegovina and
81 Sofregaz est une société française proposant des services d’ingénierie gazière créée en 1959 par Gaz de France. Elle a été depuis rachetée et appartient au groupe Maire Tecnimont
70
continued « A new gas training technology, research and development center » is being built in the King Abdul-Aziz
University campus in Jeddah, Saudi Arabia, similar to UGETAM. There is no other training and research institute
similar in scope of UGETAM in the Middle-East, Asia, Africa, Caucasia and Balkans
Discours de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, le 4 juillet 2008 lors de la fête des travailleurs d’IGDAŞ
I congratulate you for you courage. Most of you have become the top-level executives of the sector. You play a significant role in
the development of the sector. In fact, the entrepreneurs of the companies are confessing that they would not be able to progress
so rapidly if it was not for IGDAŞ. There is a signature of IGDAŞ all overt Turkey as well as everywhere from the
Adriatic coast to the Great Wall of China. We are greatly honored.
Discours de Mehmet Kazanci, actuel président de GAZBIR, le 2 mai 2008 lors de la signature d’un protocole de coopération entre GAZBIR et UGETAM
First of all, you [UGETAM] and IGDAŞ provided human ressources to the sector right from the start. You introduced a
very different approach to the sector. No one could expect the state to provide financial resources for this purpose. The state
was able to provide the funding and the facilities and developped the human resource. Today, 70-80% of the natural gaz
distribution companies in Turkey are run by our colleagues who worked and became experienced at IGDAŞ »
Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ,
journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.6582
[…] In spite of all these achievements, there has not been a significant increase in the headcount of IGDAŞ. In fact,
IGDAŞ has 2607 personnel until 2004 and the staff needs of the new natural gas companies were met by IGDAŞ,
decreasing the total headcount of the company to 2300 now […]
Cette culture professionnelle du gaz s’est donc construite à Istanbul, au sein d’une société
appartenant à la MMI et qui s’est diffusée au sein des différentes compagnies de distribution de
gaz naturel en Turquie grâce au transfert de personnel à partir des années 2000. Il n’est donc sans
doute pas anodin si à partir des années 2000, l’on constate un point d’infléchissement dans la
courbe d’acheminement du gaz naturel en Turquie avec l’accélération notable du nombre de villes
raccordées au réseau national83. En exploitant le plus gros marché urbain de distribution de gaz
naturel, IGDAŞ est situé à la 22ème place des 500 plus importantes entreprises turques. Cette
influence économique sur le régime socio-technique national est telle qu’elle nous interroge sur sa
capacité d’intervention politique à l’échelle nationale et locale : avant la création de l’association
GAZBIR, IGDAŞ, qui fédérait alors l’ensemble des sociétés de distribution en Turquie, a-t-elle
été impliquée dans l’adoption de la loi n°4646 de mars 2001 libéralisant le marché du gaz en
82 Toutes ces citations proviennent de ce journal 83 Se reporter à la figure 5, « Réseau national du gaz naturel en Turquie » du précédent mémoire p. 20
71
Turquie ? Quel rôle a-t-elle joué dans la mise en place d’une régulation coercitive en 1995 sur la
circulation et le commerce de charbon à Istanbul ?
3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION
N’ayant pas d’avantage d’éléments à exposer par rapport à l’analyse socio-territoriale du
développement du réseau de gaz naturel à Istanbul réalisée dans notre premier mémoire84, nous
aimerions ici simplement revenir sur quelques éléments importants au regard du corpus théorique
mobilisé.
3.2.1. Macro-système technique centralisé versus autonomisation décentralisée des systèmes énergétiques : Istanbul à l’ère de la « post-networked city » ?
Du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, l’installation de quelques 5000 kilomètres de
réseaux de gaz naturel à Istanbul par l’exploitant semi-public IGDAŞ, gérant la distribution de ce
flux de manière centralisée, remet en cause, de prime abord, l’utilisation du qualificatif « post »
pour décrire la réalité réseautique de cette métropole. Ce nouveau système technique, dont
l’efficacité s’est accrue proportionnellement à l’augmentation de sa taille (macro-système),
renforce au contraire le paradigme traditionnel du système réseautique basé sur une circulation
linéaire des flux énergétiques (Coutard & Lebris, 2009; Coutard & Rutherford, 2009; 2011;
Coutard, 2010): dans le cas étudié, un premier macro-système technique national permet
d’acheminer le gaz naturel capté loin en amont85 d’Istanbul où le macro-système technique local
prend le relais en transformant la ressource afin qu’elle puisse être utilisée par les
consommateurs86. La sécurisation des flux énergétiques par l’intermédiaire de systèmes
décentralisés et plus autonomes ne semblent pas constituer la priorité des politiques
métropolitaines actuelles ainsi que nous l’avions entrevu dans le cadre de la stratégie pour le
centre financier d’Istanbul, piloté par le comité IFM.
Paradoxalement, le développement des NTIC et des nouvelles technologies énergétiques
conjugué à la libéralisation du marché énergétique turc ainsi que la sensibilisation d’acteurs
métropolitains à ces nouvelles solutions depuis qu’ils sont présents au sein de réseaux
transnationaux sur le changement climatique, auraient déjà permis de généraliser de tels systèmes.
84 Se reporter notamment à la troisième partie de notre précédent mémoire (Arik, 2011, p. 81) 85 Principalement en Russie, en Iran et en Irak 86 La transformation et la consommation de gaz naturel entrainent une pollution atmosphérique qui ne peut être prise en charge par le macro-système technique.
72
Aucune orientation politique (policy) n’a été cependant prise dans cette direction. A l’image de
l’unique réseau de chaleur urbain de Turquie présent à Esenyurt en périphérie d’Istanbul dont
l’existence ne se justifie que par le leadership de l’ancien maire d’arrondissement concerné, si
quelques systèmes de distribution de gaz naturel fonctionnent en dehors du macro-système
d’IGDAŞ, seules des configurations politiques locales (politics) peuvent légitimer leur apparition.
Figure 8: Exploitants privés de gaz naturel aux marges du macro-système technique (E.A, 2011 à partir de données d’IGDAŞ)
Sur le territoire métropolitain d’Istanbul, des réseaux privés de distribution de gaz naturel se
sont développés au sein de quatre régions urbaines périphériques (Çatalca, Hadımköy, Muratbey
et Bahçeşehir). Comment expliquer leur apparition alors que le réseau centralisé d’IGDAS s’est
construit autour d’une logique d’homogénéisation spatiale ? La formation de ces réseaux
décentralisés, de taille modeste, en parallèle du macro-réseau d’IGDAS correspond à ce processus
« off-grid » qu’Olivier Coutard et Jonathan Rutherford décrivent de la sorte : « Perhaps the most
radical form is based on a deliberate policy or collective strategy of bypassing to some extent traditional centralized
networks and developing services on a local level, increasingly over decentralized, local infrastructures. Such policies
or strategies are founded on desires or obligations for autonomy or independence, and effectively create delinked
‘islands’ in the form of local communities ‘left’ more or less ‘to their own devices’ for basic service provision. […] »
73
(Coutard & Rutherford, 2011, p. 112). L’ancienne organisation fragmentée du territoire d’Istanbul
a permis à ces fronts d’urbanisation de s’ériger en véritable isolat urbain par leur fonctionnement
politique autonome. En effet, ces quatre territoires correspondaient, parmi plus d’une quarantaine
d’autres, aux « municipalités de second rang » qui échappaient, avant une loi d’avril 200887 et
malgré l’extension des limites institutionnelles du Grand-Istanbul intervenue en juillet 2004, au
contrôle de la MMI et par conséquent à l’exploitant IGDAS.
Bahçeşehir Gaz Dağıtım A.Ş (BAGDAŞ)
Trakya Doğal Gaz Dağıtım A.Ş (TRAKYADAŞ)
Territoires desservis
Başakşehir : Bahçeşehir 1 kisim, Bahçeşehir 2 kisim
Büyükçekmece88
: Muratbey89
Arnavutköy : Hadımköy ; Hastane, Ömerli ; Yeşilbayır Çatalca, Ferhatpaşa ; Kaleiçi + logements TOKI/KIPTAŞ à Ömerli et Istasyon
Actionnaire(s) de la société
Eksen (Holding immobilière Süzer) 63%
Mesa (Construction) 13,5% Nurol holding (Construction) : 6,75% Nurol hôtel : 6,75% Municipalité : 10%
Trakyadaş est une société appartenant au groupe AKSA gaz naturel (créé en 2003, plus gros distributeur privé de gaz naturel en Turquie avec plus de 20 licences d’exploitation) qui fait partie de la puissante holding familiale Kazancı présent notamment dans le secteur énergétique, l’agriculture et le tourisme
Historique de la création
1992 : accord entre BOTAŞ et la municipalité de Bahçeşehir pour acheminer le gaz naturel dans la ville-satellite 1994 : 1ère livraison de gaz naturel 2002 : la société BAGDAŞ obtient une
licence auprès de l’EPDK90
2003 : suite à une demande de la mairie, refus d’IGDAŞ de gérer la distribution dans cette zone car ne possède les compétences légales pour le faire
Septembre 2003 : suite à un appel d’offre, la société Anadolu Doğalgaz Dağıtım A.Ş gagne le marché et crée à cet effet la compagnie TRAKYADAŞ. La licence d’exploitation obtenue auprès de l’EPDK s’étend sur 30 ans 2005 : 1ère livraison de gaz naturel
Nombre d’abonnés
12 000 avec un potentiel maximum de 16000 abonnés
12 000 abonnés avec un potentiel à court terme de 40 000 suite à la distribution de gaz naturel dans des programmes de construction de logements TOKI et KIPTAŞ
Malgré la réintroduction de ces territoires au sein du gouvernement métropolitain régulier
depuis 2008, les licences d’exploitation de longue durée contractées auprès de sociétés privées ne
permettent pas à IGDAŞ de récupérer l’exploitation de ces zones. L’argument de l’efficacité
87 La loi n°5747 supprime définitivement les municipalités de second rang qui sont réintégrées au sein de différentes municipalités d’arrondissement 88 Ilçe : municipalité d’arrondissement 89 Mahalle : mairie de quartier 90 Autorité régulatrice du marché de l’énergie
74
environnementale de tels réseaux n’étant jamais invoqué, seuls des rapports de force socio-
territoriaux légitiment donc l’existence de tels réseaux qui conduisent à fragmenter l’accès à un
service urbain dans des espaces socialement favorisés non atteints par le « raz de marée »
politique du Refah puis de l’AKP. Entre d’anciennes municipalités non soumises aux règles du
jeu usuelles de la municipalité métropolitaine et non acquises aux valeurs diffusées par les
gouvernements islamistes, entre les logiques commerciales d’acteurs privés et notamment celles
de la compagnie AKSA, propriétaire du réseau exploité par TRAKYADAŞ, qui a réalisé la
seconde meilleure offre lors de la privatisation du réseau métropolitain et les accords opaques
réalisés par des sociétés immobilières avec les autorités publiques locales dont celles censées
œuvrer pour l’intérêt général (TOKI/KIPTAS), nombre d’éléments concourent potentiellement à
expliquer l’existence de tels systèmes. Il est toutefois nécessaire de nuancer le caractère
décentralisé de ces mini-réseaux qui demeurent dépendants du macro-système technique
d’IGDAŞ qui les alimente.
Par ailleurs, l’extension des limites de compétence de la MMI et d’IGDAS n’a pas posé que
des problèmes d’ordre politique. En termes économiques, l’idéal d’universalisation d’un tel
service bute sur l’intégration de zones rurales périphériques, moins denses en termes d’habitants,
qu’il s’agit toutefois de desservir par l’intermédiaire d’investissements matériels conséquents.
Figure 9: Installation des lignes de réseau de gaz naturel en direction du nord de
l'arrondissement d'Eyüp (Source : E.A, 2012)
Of course, we are experiencing problems. The change in the
definition of neighboring region for the city of Istanbul in 2004,
extented the distribution license borders of IGDAŞ as well. The
fact that naturel gas had to be supplied to the new districts (Silivri,
Gaziosmanpaşa, Şile) to the north of the city according to the new
license border within a certain deadline necessitated the building of
certain lines that did not have a priority in terms of feasibility.
EMRA should allow more time for the installation of lines to such
regions with a low subscriber potential
Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.66
Sous un angle socio-spatial, les modalités d’expansion du réseau de gaz naturel ont
inéluctablement suivi la logique de diffusion traditionnelle des macro-systèmes techniques à
75
savoir que les premiers connectés au réseau étaient des populations comparativement plus aisées
occupant le centre urbain densément peuplé. Au fil des années, le réseau s’est agrandi en direction
des périphéries moins denses et moins aisées socialement91. Toutefois, cette croissance spatiale
n’a pas été linéaire. Afin de comprendre les anomalies existantes – certaines zones périphériques
circonscrites ayant été desservies prioritairement par rapport à des espaces centraux – il serait
nécessaire de réintroduire la variable des pratiques politiques vernaculaires à l’image de ce que la
description de l’arrivée du réseau d’eau à Ayazma a pu révéler.
3.2.2. Le territoire métropolitain est-il socialement fragmenté par les réseaux ?
La thèse de l’accentuation de la fragmentation urbaine engendrée par les nouvelles stratégies
néolibérales des firmes privées gérant les services urbains en réseau (Graham & Marvin, 2001) est
infirmée, à l’épreuve de l’étude du terrain stambouliote. Le chemin des privatisations emprunté
par la Turquie depuis les années 1990 n’empêche pas les opérateurs privés d’être soumis à une
forte régulation et réglementation publique (Tansug, 2009) dans un contexte où l’Etat reste un
acteur central. Les dernières tentatives de privatisation du réseau de gaz naturel d’Istanbul et
d’Ankara qui se sont soldées par des échecs retentissants, semblent illustrer la frilosité des
pouvoirs publics à accorder l’entière gestion de tels services à des opérateurs privés et d’autant
plus s’ils sont étrangers. La gestion du service par IGDAŞ est nécessairement à relier avec la
politique urbaine de la MMI, car son statut d’Etablissement Economique Municipale, relevant du
droit privé, restreint son domaine d’activité à celui de la municipalité métropolitaine. De ce point
de vue, l’accès à ce service urbain a été pensé selon un mode universel et inclusif qui témoigne
d’un fort investissement public. Si l’homogénéisation socio-spatiale n’est pas encore atteinte,
l’accès au gaz naturel reproduisant peu ou prou les lignes de fractures sociales du territoire
métropolitain (Pérouse, 2005b), ce n’est pas le macro-système technique qui doit être incriminé,
ce dernier ne faisant que se superposer à une segmentation socio-spatiale urbaine déjà existante
(Coutard, 2008, p.1816). Les différenciations d’accès au service s’expliquent par le rythme
d’universalisation saccadé du réseau, dépendant, comme nous l’avons vu, de politiques publiques
mais aussi de considérations économiques.
Les réseaux urbains ainsi disculpés, Dominique Lorrain propose plutôt de considérer la
« promotion foncière et les opérations de construction » (Lorrain, 2011, p. 396) comme
91 Se reporter à la description des étapes de la croissance du réseau de gaz naturel réalisée dans notre précédent mémoire à partir de la page 76
76
principaux vecteurs de fragmentation urbaine. Cette idée nous semble plus recevable dans le
contexte urbain d’Istanbul, soumis depuis la fin des années 1990 à une intense spéculation
foncière et marqué par un déficit de régulation publique du marché foncier92. Les terrains du
domaine public93 (hazine) composant 60% de la superficie métropolitaine (Pérouse, 1998, 2006),
souvent occupés illégalement, sont progressivement revendus à des promoteurs immobiliers par
les pouvoirs publics nationaux ou locaux. Dans ce contexte de libéralisation du marché foncier et
immobilier, « la captation de la rente par les grands propriétaires, liés aux promoteurs, emporte
toutes les autres considérations. La valorisation urbaine est telle que les développeurs peuvent
acquérir de vastes territoires et les urbaniser […] » (Lorrain, 2011, p. 399). Cette logique de
captation de la rente foncière à des fins privées a permis entre autres d’édifier la ville-satellite à
Bahçeşehir ou a conduit à l’apparition de ces « paquebots urbains »94 – « ensembles construits de
grande taille qui peuvent fonctionner comme des mondes autonomes offrant à leurs
occupants/clients toutes les facilités du monde moderne » (Lorrain, 2002b, p. 80) – qui
fleurissent un peu partout en périphérie d’Istanbul sur d’anciens terrains publics. C’est à
l’intérieur de ces espaces de sécession sociale, que des services énergétiques de haut-standing se
développent, caractérisés par leur recherche d’autonomie grâce au recours à une technologie
valorisant les énergies renouvelables et leur déconnection des réseaux centralisés. Ces innovations
technologiques représentent au sein de ces projets immobiliers – projet Meridian à Ataşehir du
groupe Varyap, projet Solarkent du groupe Aydınli, projet Tulip du groupe Gayrimekul (…) – des
critères supplémentaires d’attractivité commerciale et de distinction socio-économique pour les
futurs clients. C’est dans cette perspective, par exemple, que les différents promoteurs-
constructeurs immobiliers en charge du développement de Bahçeşehir se sont coalisés pour
former BAGDAŞ et ainsi proposer un service différencié par rapport au reste de la métropole (se
reporter au tableau p.73).
Ces exemples illustrent à quel point les frontières entre les logiques des opérateurs privés et
publics tendent à s’estomper sur le marché immobilier d’Istanbul. L’agence gouvernementale
pour le logement social (TOKI) agit tel un promoteur immobilier, spéculant sur des terrains
publics et annihilant de la sorte toute possibilité pour les autorités locales de mener une politique
de planification urbaine. TOKI au même titre que KIPTAŞ, la société municipale de construction
de logements sociaux de la mairie d’Istanbul, n’a pas hésité à privilégier le raccordement de
92 Seuls 35% de ces terrains publics serait cadastrés (Pérouse, 2006) 93 Propriétés de ministères et d’administrations gouvernementales ou de fondations pieuses 94 Voir à ce sujet la série d’articles proposée dans Flux, n°50, 2002/4, intitulé « Paquebots urbains »
77
logements construits par ses soins dans les quartier de Yeşilbayır et d’Ömerli à une compagnie
privée de distribution de gaz naturel, en l’occurrence TRAKYADAŞ que nous avons déjà
mentionnée, alors que l’exploitant métropolitain IGDAŞ aurait été en mesure de le faire,
participant ainsi délibérément au processus de différenciation d’accès aux services urbains en
réseau.
3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE
Pour passer de l’invention à l’innovation ne reste plus qu’une étape à franchir : celle de
l’adoption effective de la technique par les usagers espérés (Alter, 2002). Cette étape implique
automatiquement une période d’adaptation à des nouvelles pratiques et à des usages induits par
l’utilisation de cette technique. Celle-ci est toutefois potentiellement porteuse de représentations
et de sens différents plus ou moins rationnels qui dépendent de certaines normes culturelles et
sociétales intériorisées, déterminant certains codes comportementaux. Ces habitus, parfois
partagés par une communauté d’appartenance, constituent des freins éventuels à l’adoption d’une
innovation comme ce fut le cas au moment de l’arrivée du réseau de gaz naturel à Istanbul au
début des années 1990.
Interview de Bilal Aslan, directeur général d’IGDAŞ, journal de GAZBIR, n°4, Juin-Juillet 2008, p.65
The inhabitants of Istanbul regarded the natural gas lines to be built underground as a source of danger. In order to change
this misconception, we had to organize subscription campaigns not only in our head office, but also in tents built all around
the city. Our efforts proved to be fruitful in the following years and also contributed to the efforts of our counterparts in other
cities. […]
Dans un pays où la culture du gaz était absente jusque-là, l’arrivée d’une ressource inconnue au
moyen d’un système technique caché, enfoui sous le sol, provoquait une certaine méfiance de la
part des habitants. Les campagnes de sensibilisation et d’information réalisées par IGDAŞ ont,
petit à petit, réussi à lever ces inquiétudes et permis de faciliter l’adoption du gaz naturel dans
l’espace domestique. Aujourd’hui, l’efficacité de ces dispositifs d’information, preuve du fort
volontarisme des pouvoirs publics dans la conduite de la transition, le prix relativement attractif
de cette énergie couplé au symbole de modernité qu’elle véhicule justifient l’adoption quasi-
généralisée du gaz naturel chez les stambouliotes. Comment dès lors expliquer la résistance à
78
cette transition d’environ 25% des ménages stambouliotes qui disposent de la possibilité effective
de se raccorder au réseau, qu’ils soient situés en périphérie ou dans le centre de la métropole ? Le
facteur économique constitue à ce niveau une des résistances principales à l’accession au gaz
naturel. Les frais de connexion au service et l’investissement préalable dans une chaudière (kombi)
ajoutés à l’acquittement de factures mensuelles de consommation représentent une somme
conséquente difficilement abordable pour les ménages les plus précaires, d’autant plus que les
prix du gaz naturel en Turquie subissent des augmentations régulières. Cette résistance
économique peut être perçue différemment, sous un angle plus anthropologique, et demande de
s’interroger sur le degré d’acceptabilité sociale des différentes catégories socioprofessionnelles à
payer pour la modernité (Lorrain, 2011, p. 397). Accéder au gaz naturel ne représente-t-il pas un
témoin matériel symbole d’une progression sociale, un idéal de confort moderne pour lequel
certains individus seraient plus aisément prêts à fournir des efforts pour y parvenir ?
Tout en refusant l’idée réductrice d’un gradient d’adaptabilité face à une innovation,
prédéterminé en fonction des catégories socioprofessionnelles95, des enjeux et des contraintes
sociales structurants pèsent sur le choix du changement. Nous proposons ainsi dans un premier
temps de nous inspirer de la méthodologie anthropologique des itinéraires développée par
Dominique Desjeux (Desjeux, 2006a) afin de mieux cerner le processus de prise de décision
conduisant à utiliser le gaz naturel à Istanbul. Cette méthode, qui a pour objectif de reconstituer
l’ensemble des étapes amenant un individu à acquérir un bien ou un service, présente l’avantage
de ne pas dissocier cet individu des dynamiques sociales dans lesquelles il est inséré, en situant
l’observation à une échelle micro-sociale plutôt que de considérer les arbitrages personnels
observables à l’échelle micro-individuelle (Desjeux, 2006a, p. 90). C’est donc l’approche
interactionniste entre différents acteurs privilégiée qui nous intéresse tout particulièrement et que
nous appliquerons au cas du processus de transition énergétique urbaine. De plus, cette méthode
qui insiste entre autres sur les nouvelles pratiques et les nouveaux usages induits par l’utilisation
d’un objet technique nous permettra d’aborder la question des reconfigurations sociales et
spatiales de l’espace domestique liées à l’innovation énergétique pour en définitive tenter
d’appréhender ce qui relève d’une « poétique de l’habiter » en fonction des variations saisonnières
(Subrémon, 2010a).
95 C’est ce déterminisme naturaliste que Yaşar Kemal remet admirablement en cause en décrivant la facilité avec laquelle des paysans anatoliens ont adopté le tracteur en « s’arrachant à mille traditions » pour intégrer le prolétariat agricole.
79
3.3.1. Itinéraire des décisions et degré d’acceptabilité sociale du gaz naturel
L’acte de consommer ne se réduit pas simplement au cadre de l’achat. La consommation se
rapporte aussi « aux usages et aux interactions familiales, amicales ou professionnelles, aux
normes des groupes sociaux, aux contraintes de la vile collective, à la construction sociale du
marché, au jeu politique, aux effets d’appartenance sociale et à la mondialisation » (Desjeux,
2006b, p. 4). La méthode des itinéraires, inspirée de la sociologie des organisations mais dont
l’objet est ici circonscrit à l’espace domestique, cherche à retracer l’ensemble des étapes
conduisant un individu à consommer un bien : de l’événement déclencheur de la décision à
l’utilisation effective du bien. L’observation anthropologique conduit à « se centrer d’abord sur les
pratiques et usages liés à l’acquisition du produit d’un côté et sur les codes ou les normes qui
organisent ces choix et ces pratiques de l’autre » (Desjeux, 2006a, p. 93). Ainsi, les représentations
des consommateurs d’un produit, leurs intentions et motivations à consommer sont disséquées à
l’aune de ce que le jeu social dans lequel ils sont insérés et les normes sociales qu’ils suivent sans
en être forcément conscients autorisent, prescrivent ou interdisent (Ibid.).
Cette méthode, nous l’avons dit, n’isole pas l’individu de l’environnement qui l’entoure et
qui structure son existence. Toutefois, l’environnement politique, influant fortement l’espace
social urbain des métropoles émergentes, est rarement présenté à cette échelle micro-sociale
comme un facteur pouvant influer la prise de décision individuelle. Alors qu’à chaque étape de la
méthode des itinéraires, l’attention est portée sur « les acteurs mobilisés, dans quels jeux
d’interactions ils sont engagés, dans quels espaces ils mènent leurs transactions (la cuisine, le
salon, la salle de bain ou la chambre à coucher), quel est le temps nécessaire à la pratique
observée et quels sont les objets concrets mobilisés pour réaliser l’action » (Desjeux, 2006a, p.
93), nous proposons d’élargir ce cadre d’analyse à l’influence des acteurs et des instruments de
l’action publique mise en œuvre en faveur de la transition énergétique. Cela concernerait donc
aussi bien les stratégies des autorités publiques locales ainsi que les modalités de gestion de
l’exploitant du réseau. En d’autres termes, il s’agirait d’appréhender au travers des politiques
publiques ou vernaculaires la manière dont se rencontrent la culture technico-scientifique et la
culture populaire, placées dans un rapport de domination en faveur de la première (Zélem, 2010,
p. 20). Comment les individus réceptionnent-ils et intériorisent-ils les incitations politiques
cherchant à diffuser l’utilisation du gaz naturel ? Alors que les motivations conditionnent
l’engagement (Zélem, 2010, p. 268), la manière dont sont dirigées les politiques publiques
constitue-t-elle des sources de motivation ? N’entrent-elles pas en contradiction avec les habitus
80
et les valeurs de certains ? Les campagnes d’information et de sensibilisation d’IGDAŞ ont-elles
été suffisantes et efficaces auprès de la population ? D’autres acteurs, insoupçonnés jusque-là,
entrent-ils en jeu durant le processus de transition ? Le cas échéant, à quelles
étapes interviennent-ils? En dehors de l’espace domestique, dans quels lieux les deux cultures se
rencontrent-elles ? La méconnaissance des pratiques sociales de l’énergie de la part des autorités
publiques conduit souvent à l’inadaptation structurelle des instruments mis en œuvre, expliquant
en partie l’échec des politiques de transition énergétique (Zélem, 2010, p. 19).
A partir de la grille d’observation théorique de l’itinéraire de décision (voir figure 10), nous
avons tenté d’adapter celle-ci au cas de la transition énergétique vers le gaz naturel survenue à
Istanbul tout en y intégrant ces considérations plus politiques (voir figure 11). Nous considérons
de ce fait l’acte de consommer de l’énergie à travers des choix et des usages individuels
conditionnés par un système d’action sociale. En suivant les sept étapes de l’itinéraire de décision,
certaines étant moins stratégiques que d’autres concernant le choix de souscrire au gaz naturel,
l’idée serait de pouvoir confronter à chaque fois les contenus des différentes politiques publiques
– celles à la fois officielles et celles plus officieuses – avec le système de compréhension et
d’action des individus. De quelles manières interagissent-ils ? De l’élément déclencheur
participant à la prise de décision dans l’espace domestique, à l’abandon de l’ancien système
énergétique en passant par l’apparition de nouvelles pratiques liées à l’utilisation de l’objet
technique, les politiques publiques tentent d’influer sur les comportements individuels en
fonction d’objectifs que les décideurs ont jugés bénéfique d’atteindre. Nous avons évoqué à ce
propos, le cas des campagnes de sensibilisation menées par IGDAŞ afin d’inciter les individus à
se connecter au réseau de gaz naturel. Cela se traduit également par des séances de formation aux
économies d’énergie dans l’espace domestique délivrées par la MMI par l’intermédiaire de sa
société ISMEK (Istanbul Sanat ve Meslek Kursları) ou par les municipalités d’arrondissement
(Pérouse, 2011, p. 63) dont le contenu et les effets tangibles doivent être analysés au regard de
l’idéologie singulière véhiculée, la population ciblée étant majoritairement des femmes
partiellement acquises aux principes moraux des partis islamistes. L’action politique ne tente donc
pas seulement de jouer sur les motivations individuelles préalables au changement mais cherche
également à s’immiscer au sein de la sphère privée pour modeler des pratiques et des usages
sociaux de l’énergie.
81
Figure 10: Représentation graphique de la méthode des itinéraires (Réalisation E.A, 2012)
82
Figure 11: Représentation graphique de l'itinéraire de la décision d'accéder au gaz naturel (Réalisation E.A, 2012)
Les étapes de l’itinéraire qui ont été volontairement représentées dans une couleur bleu-ciel ou blanche avec une bordure en pointillé sont celles qui sont moins importantes voire inexistantes dans le cas de la transition énergétique étudiée
83
3.3.2. Pratiques du chauffage et construction sociale de l’espace domestique
Cette méthode des itinéraires ne s’intéresse pas uniquement au processus de prise de décision
mais également aux nouvelles pratiques et usages induits par la consommation ou l’utilisation de
l’objet. Ici, « la consommation se joue autant en termes d’usage et de mobilisation du système
d’objets concrets nécessaires à son usage, qu’en termes de lieu dans l’espace domestique, de
négociation entre acteurs, de sens, d’imaginaire et de mise en scène de soi » (Desjeux, 2006a, p.
107). Ce que nous montrent les observations réalisées par Benoît Fliche dans le cadre d’une étude
anthropologique sur l’évolution des habitus en situation d’exode rural de migrants anatoliens
installés dans les périphéries d’Ankara (Fliche, 2007), c’est que les contraintes liées au chauffage
structurent les fonctions sociales – ce qui relève de « l’événement » ou du « quotidien » (Fliche,
2006) – de l’espace domestique. En ce sens, s’adaptant au système énergétique précaire et au
contexte climatique rude du plateau anatolien, les habitants des gecekondu ankariotes construisent
un « climat intérieur » (Subrémon, 2010a) qui rend compte « d’une construction sociale et
culturelle qui donne lieu à des pratiques de consommation d’énergie fortement porteuses de
sens » (Ibid. p.707).
Si l’on prend l’exemple du foyer d’Ali et de son habitation ankariote, on observe une nette évolution dans la gestion des
ouvertures. Au départ, l’architecture des gecekondu du quartier était influencée par les souvenirs des difficultés de chauffage
du village : les fenêtres étaient donc assez petites. En effet, celles-ci ne sont pas équipées de volets. Cela entraine une évidente
perte de chaleur l’hiver. Mais au fur et à mesure s’est développée une architecture à très larges fenêtres. Bektaş se souvient très
bien avoir été l’un des premiers à adopter ces fenêtres larges, qui forment de véritables baies vitrées, pour faire entre la
lumière : « Les fenêtres dans l’immeuble de Güzeltepe ? C’était une petite révolution. Tout le quartier s’y est mis pour dire
c’était une folie. Ils disaient : ‘ comment vont-ils chauffer tout cela avec de telles ouvertures ?’. En fait, ce n’était pas vraiment
un problème puisque l’hiver, on ne chauffe qu’une pièce ». Bektaş a cependant calculé : l’orientation des fenêtres du salon
permet un ensoleillement maximum durant les mois d’hiver, et une certaine fraîcheur durant les mois chauds. […]
L’ensoleillement est cependant obstrué par le jeu complexe des rideaux. On peut compter parfois jusqu’à trois types de
rideaux différents. Il y a d’abord un voilage léger, blanc, transparent, fait en tissu « mousseline », qui est tiré en permanence.
S’ajoute à celui-ci un rideau que l’on tire le soir, lorsque l’on allume la lumière. Il est également blanc, mais plus épais.
Enfin, viennent les double-rideaux de nuit, en tissu encore plus épais, de couleur, que l’on tire au moment du coucher pour
éviter la déperdition de chaleur. Ces derniers font l’objet d’une recherche esthétique dans le choix des couleurs et des motifs,
alors que les deux premiers sont plus standards. La fonction première du rideau reste cependant d’éviter les regards indiscrets.
Une maison sans rideaux ne peut d’ailleurs être qu’une maison inhabitée. Malgré les rideaux, chauffer l’ensemble des pièces
durant l’hiver est considéré comme un gaspillage. Aussi assiste-t-on à la recréation d’une sorte de kişlik dans les nouvelles
maisons ankariotes. Dans les constructions antérieures aux années 1990, on note un dédoublement du salon : une pièce peu
utilisée pendant les beaux jours devient la principale pièce de vie durant l’hiver ; on retrouve ici l’ancien kişlik du village. Ce
second salon d’hiver semble toutefois disparaitre. Les nouvelles habitations comptent des salons moins grands et donc moins
difficiles à chauffer. Ancienne, la maison d’Ali fait partie des habitations à deux salons : un salon d’été utilisé d’avril-mai au
84
mois de novembre, et un salon d’hiver pour le reste de l’année. Le salon d’hiver est nettement plus petit que le salon d’été. Il
est donc plus facile à chauffer : il ne compte par exemple qu’une fenêtre. Au bas de l’encadrement de la porte, une margelle a
été construite pour éviter les courants d’air froid et assurer une meilleure isolation de la pièce. Cette margelle se retrouve dans
de nombreux gecekondu et dans les nouvelles maisons villageoises. En revanche, elle se rencontre rarement dans les
appartements. Durant l’hiver, seul ce salon est chauffé. Le quartier n’étant pas alimenté par le gaz de ville, le poêle à charbon
(soba) est le seul moyen de chauffage. On en compte généralement un par maison, installé précisément dans le salon où l’on se
calfeutre. Un second est parfois placé dans la salle de bain. Les chambres sont réchauffées au moment du coucher par des
poêles électriques d’appoint dont on se sert avec parcimonie. Cette pièce surchauffée s’oppose à l’ensemble des autres tant par sa
température que par la périodicité de son utilisation. Mais, en tant que salon, elle s’oppose aussi, comme pièce de réception, à
l’espace intime que constituent les chambres, la cuisine, la salle de bain. A la différence du kişlik villageois, le couchage ne s’y
effectue qu’occasionnellement, au moment des mois les plus froids (janvier et février). L’urbanisation provoque une dispersion
du couchage : le gecekondu est marqué par l’apparition de la chambre (yatak odası).
Extraits de l’ouvrage Odyssées turques. Les migrations d’un village anatolien de Benoît Fliche paru aux Editions
CNRS, Paris, 2007, Chapitre 8 « Les transformations des habitus », p.178-179
Du village rural au gecekondu urbain, les pratiques habituelles du chauffage ont été bouleversées
du fait de la substitution du combustible organique du tezek – bouse de vache séchée – par
l’énergie libérée par le charbon consumé dans le soba. En fonction des variations saisonnières, les
nouvelles pratiques de consommation d’énergie ont alors restructuré le lien social et physique
entretenu avec l’habitat et l’espace domestique. C’est tout l’univers externe et interne du mode
d’habiter qui s’est métamorphosé. Au niveau de l’habitat, les ouvertures extérieures sont ainsi plus
grandes et orientées en fonction de l’ensoleillement. Au sein de l’espace domestique, on assiste à
l’installation de rideaux, de systèmes d’isolation mais aussi à l’apparition des chambres
individuelles et à la création, pour certains, de salon d’hiver et de salon d’été. Les pratiques de
chauffage sont étroitement liées au choix de chauffer une ou plusieurs pièces, ce qui se traduit par
l’apparition de nouvelles pratiques sociales comme au sein des chambres individuelles ou des
salles de bain partiellement chauffées redéfinissant l’intimité et les pratiques corporelles (Fliche,
2007).
Cette structuration de l’espace domestique par les pratiques du chauffage nous invite à nous
questionner sur la reconfiguration des pratiques causée par l’arrivée du gaz naturel à Istanbul.
Ainsi, observait-t-on les mêmes dynamiques d’adaptation décrites par Benoît Fliche à Ankara
dans le cas des migrants ruraux installés dans les gecekondu d’Istanbul ? Par ailleurs, l’utilisation du
gaz naturel a-t-elle été à l’origine de nouveaux usages de l’énergie ? Ce dernier questionnement
doit être mis en parallèle avec la restructuration profonde du paysage urbain d’Istanbul depuis la
85
généralisation d’une nouvelle forme d’habitat : l’apartkondu. La structuration de l’espace
domestique de ces logements verticaux bétonnés est-elle liée à l’usage du gaz naturel ? Observe-t-
on toujours une différenciation des fonctions de l’espace privatif en fonction des saisons, du
consentement à chauffer certaines pièces et du mode de chauffage utilisé ? Dans le cas d’un
changement brutal de système énergétique – nous pensons ici au cas des habitants délogés de
force des gecekondu et relogés dans des logements TOKI raccordés au réseau de gaz – de quelle
manière cette perturbation soudaine est-elle accueillie et gérée ? Enfin, ces questions peuvent être
formulées à un autre niveau en considérant cette fois une autre catégorie de population qui
expérimente pour la première fois des nouveaux logements éco-intégrés grâce à l’installation
d’une série de procédés technologiques visant à réduire la consommation énergétique. Les 1500
logements certifiés Leed du projet Varyap Meridian constitueraient à cet égard un terrain
d’observation fécond.
86
Conclusion
En réponse à notre problématique, notre argumentaire soutient l’idée que la prise en compte
des pratiques politiques vernaculaires et des pratiques individuelles de consommation énergétique
dans le contexte métropolitain d’Istanbul s’avère indispensable pour compléter les « classiques »
analyses des transitions énergétiques en milieu urbain. Les récits mobilisés à propos des modes de
régulation politique à l’échelle micro-locale en matière d’accès aux services urbains en réseau nous
ont d’ailleurs montré que ces politiques vernaculaires influençaient directement les pratiques
individuelles de consommation. L’exemple des livraisons gratuites de charbon dans les quartiers
périphériques d’Istanbul était particulièrement parlant à ce sujet. Cette relation demande à être
approfondie en vue de mieux cerner les potentielles résistances individuelles en situation de
changement de système énergétique. A ce propos, conjuguer ces deux facteurs contribue à mettre
en lumière le rôle des micro-acteurs dans la transition – acteurs de la fabrique urbaine par le bas
(auto-constructeurs, petits promoteurs, coopératives de construction, petits propriétaires
fonciers), associations caritatives et fondations religieuses, associations civiles a-politisées
mobilisées autour d’enjeux spécifiques (intérêt communautaire, villageois, commerçant,
militantisme environnemental…) – qui disposent d’un rôle aussi important que celui des acteurs
regroupés au sein des coalitions de croissance métropolitaine œuvrant à plus grande échelle.
Le rôle de ces acteurs – institutions du gouvernement urbain local, l’Etat et ses
administrations, les réseaux nationaux et transnationaux ainsi que les sociétés privées – théorisé
plus particulièrement au travers des deux premiers courants théoriques évoqués (soit à propos
des enjeux politiques de la gouvernance du changement climatique et de la gestion des LTS) ne
doit toutefois pas être minimisé tant l’enjeu politique est consubstantiel au processus de transition
énergétique. Les pouvoirs politiques et la force économique dont ils disposent leur confèrent une
capacité d’impulsion en matière de grandes ré-orientations des stratégies énergétiques. La
principale transition socio-technique dans le secteur énergétique, entamée en Turquie, à l’aube
des années 1980, ayant conduit à l’apparition d’un nouveau régime énergétique basé sur le gaz
naturel, ne peut d’ailleurs être interprétée que dans cette perspective.
87
Ainsi, afin de mettre en lien ces différentes dimensions de l’action publique qui visent de
manière plus ou moins consciente à faire évoluer les habitudes énergétiques des usagers, nous
avons proposé de partir des pratiques individuelles mises en œuvre dans l’espace domestique
pour appréhender la manière dont les facteurs politiques et économiques influent sur les
comportements aux côtés de considérations plus anthropologiques. A partir de l’observation des
étapes conduisant un individu à changer de système énergétique, l’idée est de remonter
progressivement vers les politiques publiques, notamment liées à la gestion des services en réseau,
pour analyser la façon dont elles impactent la gestion quotidienne de l’énergie. Cette
méthodologie impliquerait ainsi de naviguer entre les échelles d’observation – du micro au macro
et inversement – entre les types et la nature des politiques impliquées – officielles, informelles, a-
légales – et entre les multiples acteurs engagés, ceci dans le but d’évaluer les degrés d’adéquation
entre les politiques de transition énergétique et les pratiques individuelles. L’enjeu étant que
« l’arrivée d’un projet nouveau peut perturber ces systèmes sociaux fragiles dont les hommes et
les femmes qui les composent contribuent largement à conditionner le succès ou l’échec par le
simple jeu des appropriations sociales » (Zélem, 2010, p. 279). L’objectif serait donc de repérer les
passerelles (c'est-à-dire les passeurs et les modes de passage) entre les différentes variables
influant in fine les pratiques individuelles de l’énergie.
Enfin, avant de mettre un point final à ce mémoire, nous nous permettons d’insister sur le
bien-fondé de mener pareilles recherches sur la transition énergétique à Istanbul dans un contexte
national où la restructuration récente et profonde du secteur énergétique ne permet pas encore
d’en discerner l’intégralité des conséquences. La libéralisation du marché de l’énergie ne date que
d’une dizaine d’années. Le processus de privatisation des anciennes entreprises nationales n’est
pas encore abouti, les plus libéraux dénonçant la série d’entraves législatives et bureaucratiques
comme frein à la constitution d’un marché libéralisé. Cette ouverture néolibérale de l’économie
est accusée par d’autres d’être à l’origine des augmentations régulières du prix de l’électricité et du
gaz naturel. La dernière hausse officielle intervenue début 2012 faisait état d’une augmentation de
9,3% du prix de l’électricité et de 18,7% du prix du gaz96. Annoncée à la fin d’un hiver rigoureux,
cette augmentation spectaculaire du prix du gaz ne s’est pas encore fait pleinement ressentir sur
les budgets des ménages. L’hiver prochain, au moment de rallumer les chaudières, quelles en
seront les conséquences pour les familles les plus pauvres ? Par ailleurs, dans une perspective
comparative, caractériser les motivations qui poussent les décideurs métropolitains d’Istanbul à
96 Chiffres issus de l’article de presse « Price hikes hit budgets in Turkey », Hürriyet Daily News, 2 avril 2012
88
initier une politique de transition énergétique s’avère encore une tâche délicate tant le
positionnement des instances métropolitaines est ambigu. A défaut de distinguer une politique de
transition énergétique métropolitaine officielle, il serait d’ailleurs préférable de parler des
politiques de transition énergétique conduites de manière ponctuelles et sectorielles sans
qu’aucune vision globale n’harmonise l’ensemble. Concernant la transition vers le gaz naturel,
l’implication spécifique d’acteurs métropolitains stambouliotes confère un statut de leadership à
Istanbul dans la conduite de la transition à l’échelle nationale. Le rôle de la métropole
stambouliote est ainsi comparable à celui d’une niche socio-technique, sorte de laboratoire
d’incubation d’innovations technologiques et d’apprentissages cognitifs qui se sont déployés vers
l’ensemble des sociétés gazières de Turquie. A l’échelle d’Istanbul, cette transition a d’ailleurs
permis de renforcer la position dévolue aux grands systèmes techniques de réseau, gérés de
manière centralisée, remettant partiellement en cause la fin annoncée des grands réseaux
industriels. Toutefois, l’ensemble des dynamiques que nous avons décrites précédemment et
l’implication d’acteurs métropolitains au sein de réseaux transnationaux ne présagent-elles pas à
terme de voir se multiplier des nouveaux systèmes énergétiques plus autonomes ? Le cas échéant,
quelles seraient alors les logiques légitimant leur apparition : logique d’internationalisation de la
métropole, logique commerciale, logique de sécurisation des flux… ? Dans cette métropole XXL
où tout est « plus » et où tout va plus vite, il nous importe en définitive de rester attentif à toutes
ces dynamiques qui se répercutent par effet boule de neige sur le quotidien des citadins quels
qu’ils soient.
89
Liste des abréviations
AKP Adalet ve Kalkınma Partisi/Parti de la justice et du développement
AYEDAŞ : Anadolu Yakasi Elektrik Dagitim Anonim Şirketi/Société publique gérant la distribution d’électricité sur la rive asiatique d’Istanbul
BAGDAŞ Bahçeşehir Gaz Dağıtım A.Ş / Société privée de distribution de gaz naturel de Bahçeşehir
BEDAŞ : Boğaziçi Elektrik Dağıtım Anonim Şirketi/Société publique gérant la distribution d’électricité sur la rive européenne d’Istanbul
BIT Belediye İktisadi Teşekkülleri / Etablissements économiques des municipalités
BOTAŞ Boru Hatları ile Petrol Taşıma Anonim Şirketi / Société nationale gérant la transmission de pétrole et de gaz
EPDK Enerji Piyasası Düzenleme Kurumu/Autorité régulatrice du marché de l’énergie
GAZBIR Türkiye Doğal Gaz Dağıtıcıları Birliği Derneği / Association des Compagnies de Distribution de Gaz Naturel de Turquie
IETT İstanbul Elektrik Tramvay ve Tünel İşletmeleri / Compagnie municipale des transports publics d’Istanbul
IFM İstanbul Finans Merkezi Altyapı Komitesi / Comité pour l’Infrastructure du Centre Financier d’Istanbul
IGDAŞ Istanbul Gaz Dağıtım Sanayı ve Ticaret AŞ / Société municipale gérant la distribution du gaz à Istanbul
ISKI Istanbul Su ve Kanalizasyon Idaresi / Direction des Eaux et des Canalisations d’Istanbul
KIPTAŞ İstanbul Konut İmar Plan Sanayi ve Ticaret A.Ş / Société municipale de construction de logements sociaux de la mairie d’Istanbul
LTS Large Technical System / Macro-système technique
MBB Marmara Belediyeler Birliği / Union des municipalités des détroits et de la Marmara
MLP Multi-Level Perspective
MMI Istanbul Büyükşehir Belediye / Mairie Métropolitaine d’Istanbul
SURI Secure Urbanism and Resilient Infrastructure / Sécurisation urbanistique et résilience des infrastructures
TEK Türkiye Elektrik Kurumu / Institution de l’électricité de la Turquie
TOKI Toplu Konut Idaresi /Administration nationale du logement collectif
TRAKYADAŞ Trakya Doğal Gaz Dağıtım A.Ş / Société privée de distribution de gaz naturel de Çatalca, Hadımköy, Muratbey
UGETAM Uluslararası Gaz Eğitim Teknoloji ve Araştırma Merkezi / Centre international de recherche et formation technique autour du gaz
90
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97
Table des matières
Remerciements 3
Résumé 4
Abstract 4
Sommaire 5
Avant-propos 6
Introduction 7
Partie 1 : 17
Problématique, cadre théorique et méthodologie de recherche
1.1. CADRE THEORIQUE : APPORTS ET LIMITES 17
1.1.1. Les théories 17 1.1.1.1. Gouvernance du changement climatique et transition socio-technique : jeux d’acteurs, jeux d’échelles 18 1.1.1.2. Les Large Technical System (LTS) : un concept encore d’actualité ? 23 1.1.1.3. Pratiques et usages: les grands oubliés de la transition énergétique 26
1.1.2. Apports et limites du cadre théorique 29
1.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES 32
1.3. METHODOLOGIE ET LIMITES DE LA RECHERCHE 35
1.3.1. D’une étude empirique à une étude théorique : les sources de la démonstration 35 1.3.2. Les limites de la recherche 36
Partie 2 : 37
Entre permanence et recomposition de l’action publique, entre ville monde et ville émergente : l’impossible transition énergétique à Istanbul ?
2.1. GOUVERNABILITE METROPOLITAINE ET GOUVERNANCE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE 37
2.1.1. La MMI : une structure politique forte sans vision stratégique de lutte contre le changement climatique 38 2.1.2. Le rôle stratégique des infrastructures de réseau dans la construction du territoire métropolitain 43 2.1.3. Les interférences étatiques comme frein à la constitution d’une «gouvernance du changement climatique » locale ? 45
98
2.2. SERVICES URBAINS EN RESEAU ET ACTIONS RETICULAIRES : TERRITORIALISATION DES PRATIQUES POLITIQUES VERNACULAIRES 47
2.2.1. Quelques éléments sur la fabrique urbaine par le bas des périphéries d’Istanbul 47 2.2.2. Municipalisme local et pratiques clientélistes : l’exemple du charbon 50 2.2.3. « Faire lien avec une administration poreuse » 52
2.3. CONCLUSION PROVISOIRE, QUESTIONS EN SUSPENS… 56
Partie 3 : 60
Du charbon au gaz naturel : comment analyser les limites d’une transition énergétique prématurément présentée comme une réussite ?
3.1. TRAJECTOIRE DE L’INNOVATION SOCIO-TECHNIQUE EN TURQUIE ET RÔLE D’ISTANBUL DANS LA CONSTITUTION D’UN NOUVEAU REGIME ENERGETIQUE DU GAZ NATUREL 63
3.1.1. Régime et paysage socio-technique de la transition au gaz naturel en Turquie 64 3.1.2. Villes et Multi-Level Perspective : l’implication d’Istanbul dans la transition énergétique 67
3.2. APPROCHE SOCIO-TERRITORIALE DE LA TRANSITION 71
3.2.1. Macro-système technique centralisé versus autonomisation décentralisée des systèmes énergétiques : Istanbul à l’ère de la « post-networked city » ? 71 3.2.2. Le territoire métropolitain est-il socialement fragmenté par les réseaux ? 75
3.3. INNOVATION TECHNIQUE, TRANSFORMATION SOCIALE : CE QUE L’OBSERVATION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS PEUT NOUS APPRENDRE DU PROCESSUS DE TRANSITION ENERGETIQUE 77
3.3.1. Itinéraire des décisions et degré d’acceptabilité sociale du gaz naturel 79 3.3.2. Pratiques du chauffage et construction sociale de l’espace domestique 83
Conclusion 86
Liste des abréviations 89
Bibliographie 90
Table des matières 97
Table des illustrations 99
99
Table des illustrations
Figure 1 : Perspective Multi-Niveau des transitions socio-techniques 20
Figure 2 : Emprise bâtie, limites institutionnelle de la MMI et frontières administratives infra-
métropolitaines 38
Figure 3 : Gecekondu légalisé et verticalisation du paysage urbain d’Istanbul : apartkondu et
CBD 48
Figure 4: Habitat de gecekondu et compteur individualisé de gaz naturel 49
Figure 5: Sentier de substitution technologique 63
Figure 6: Premier réseau de gaz naturel en Turquie achevé en 1988 65
Figure 7: Provinces turques raccordées au réseau national de gaz naturel 67
Figure 8: Exploitants privés de gaz naturel aux marges du macro-système technique 72
Figure 9: Installation des lignes de réseau de gaz naturel en direction du nord de l'arrondissement
d'Eyüp 74
Figure 10: Représentation graphique de la méthode des itinéraires 81
Figure 11: Représentation graphique de l'itinéraire de la décision d'accéder au gaz naturel 82