Élodie berger - mémoire 2
DESCRIPTION
Les communautés roms de Bucarest, Formes d'habitat et politiques publiques, le cas du Lac Vacaresti et du quartier Ferentari, Mémoire de fin de 2ème cycle, ENSA Marseille, 2013-2014, 59 p.TRANSCRIPT
LES COMMUNAUTÉS ROMS DE BUCAREST FORMES D’HABITAT ET POLITIQUES PUBLIQUES
Elodie Berger
Arlette Hérat, DIRECTRICE DE MÉMOIRE
5
REMERCIEMENTS
Merci à Arlette Hérat pour son aide dans l’accomplissement de ce travail, même à distance.
Merci à Andrei, dont le nom a été changé pour des raisons
le(s) terrain(s).
Et un grand merci à tous les roumains que j’ai rencontré pendant mon séjour et qui ont accepté de s’entretenir avec moi consciemment ou non au sujet des roms.
6
SOMMAIRE
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1. Enquête de terrain : découverte et analyse de deux formes d’habitats précaires à Bucarest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
roms dans un espace en transition
- Le quartier Ferentari, une ségrégation forte installée sous le régime de Ceausescu et aujourd’hui renforcée par des limites physiques, symboliques et sociales
2. Les logiques de la politique de logement étatiste sous le régime dictatorial de Ceausescu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
- Rappels historiques : les grands projets d’aménagement urbain pendant la période Ceausescu en Roumanie et à Bucarest
- Les roms à l’Est pendant la période communiste, une tentative d’intégration faussée ?
- L’après Ceausescu, processus de rétrocession et logiques de marché
3. La situation contemporaine : conséquences d’une mobilité exacerbée et d’une visibilité accrue ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
7
MOTS-CLÉS
Roms
Habitat précaire
Bucarest
Ceausescu
Ségrégation/Intégration
Politique publique
RÉSUMÉ / Les roms sont aujourd’hui de plus en plus
visibles dans nos pays occidentaux, mis sur le devant
de la scène par les médias et dans l’espace urbain.
C’est une population que l’on ne peut pas ignorer bien
que les politiques publiques cherchent souvent à les
faire disparaître.
Un retour au point de départ, c’est-à-dire dans leur(s)
pays d’origine, ici en locurrence en Roumanie, est un
d’une part en fonction de l’évolution historique des
politiques nationales à leur égard et d’autre part en
fonction de l’impact des migrations au sein de l’Europe.
9
Introduction
économiques (emploi, santé, logement, scolarisation)
auxquelles se heurtent les populations roms sont,
comme le dit Samuel Delépine, «portées sur le devant
des scènes médiatiques et politiques». Selon lui elles
ont, avec la chute des Etats communistes à l’est de
l’Europe au début des années 1990, «servi de
“prétextes” à l’émergence d’une “question rom” à
l’échelle européenne, voire d’un “problème rom” qui
nécessite que l’on s’y attaque, et qui exige des
résultats.»1
En France, nous en avons entendu parler quasi
hebdomadairement dans les journaux télévisés
pendant les mois qui ont suivi le dernier changement
de présidence en mai 2012. Cette «question rom»
rendue de plus en plus visible par les médias fait
débat, suscite à la fois une certaine forme d’agressivité
directe ou indirecte de la part d’habitants, voisins de
campements roms, d’hommes politiques et d’autre
part une certaine compassion de la part de bénévoles,
d’associations d’aide humanitaire, etc... Selon les
secteurs, les collectivités locales hésitent ainsi entre
politique du rejet et mesures d’aides ou de soutien.
Le mémoire présenté ici s’inscrit dans la continuité
d’un travail de recherche sur dix mois qui avait
démarré en septembre 2011 dans le cadre de l’école
d’architecture de Marseille2. A cette époque, mon
intérêt pour la question de l’habitat précaire m’avait
amenée à mener un travail d’enquête de terrain au
sein d’un bidonville de la banlieue lyonnaise. C’est à
cette occasion que j’ai rencontré pour la première fois
Atlas des tziganes, Le
dessous de la question
rom, Paris, éd. Autrement, 2012, p. 6
2. BERGER, Elodie, L’habitat précaire, Marges
urbaines et compétences
des habitants en situation
de vulnérabilité, le cas d’un
campement rom à Lyon,
2011-2012, 89 p.
10
de la vie, de la culture et du quotidien de quelques
familles dans une de nos agglomérations françaises.
Actuellement en échange universitaire à Bucarest je
souhaite découvrir, d’un point de vue géographique,
l’autre côté de la «question rom». C’est dans ce
contexte que s’inscrit ce bref travail de recherche qui
s’est étendu sur quatre mois. Pour des questions
pragmatiques, il se limitera territorialement parlant à
la ville de Bucarest, dans un contexte urbain où les
modes d’habiter des communautés roms sont très
différents de ceux des communautés qui vivent dans
des zones rurales.3
roms dans leur pays d’origine au prisme de l’évolution
des politiques nationales à leur égard et de l’impact
des migrations au sein de l’Europe.
Dès lors nous pouvons nous demander comment se
pose la question de l’intégration des roms dans leur
pays d’origine ? Quelles sont les différentes formes
d’habitat des communautés roms de la capitale
roumaine ? Comment ont-elles évoluées dans
l’histoire politique du pays, notamment pendant et
après la dictature de Ceausescu, qui a fortement
marqué le peuple roumain ?
Comment la «plus grande minorité d’Europe»4 s’est-
elle adaptée ou non aux politiques de logement
étatiste du pays ? Existe-t-il des migrations internes
spatio-temporelles entre ces différentes formes
expérience d’habitat insalubre en Europe occidentale
et suite à un retour dans leur pays d’origine (forcé ou
non), importé de nouveaux modes d’habiter ?
Autrement dit, est ce que les formes de survivances
développées par les roms dans des villes de marché
(en France par exemple) se retrouvent à Bucarest
aujourd’hui ?
3. Sur ce point, voir
Locuirea si saracia
extrema, Cazul romilor,
Housing and extreme
poverty, the case of Roma
comunities, Bucuresti, ed. univ. Ion Mincu, 2006,pp. 35-44
4. Expression née lors de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union Européenne en 2007,
Alexandra, “Roms en Bulgarie, Roms en Roumanie - quelle intégration?”, Méditerranée [En ligne], 110 | 2008, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 03 décembre 2013. URL : http://mediterranee.revues.org/548, p.1
11
Ma démarche a d’abord consisté en la découverte
des différentes formes d’habitat des communautés
roms de Bucarest, à travers une série de visites sur le
terrain. De là ont surgi de nouvelles questions
auxquelles nous essaierons de répondre à travers la
mise en parallèle du travail d’observation sur le terrain
et d’un travail de lectures bibliographiques d’études
déjà menées sur le sujet, dans la perspective
d’articuler analyse spatiale et analyse temporelle, de
relier forme d’habitat et politique publique.
été alimenté également par des témoignages de
personnes rencontrées lors de mon séjour à Bucarest,
étudiants (en architecture ou dans d’autres disciplines)
et professeurs principalement mais aussi d’autres
habitants de la capitale roumaine. Des témoignages
précieux, parfois un peu violents dans les mots parce
m’ont souvent apporté des réponses très intéressantes
aux questions que je me posais. C’est dans mes
échanges avec ces gens là que j’ai mesuré
l’importance des informations que je recevais dans
une simple conversation autour d’un café ou dans les
escaliers de l’université.
Ainsi, le travail initial d’observation sur le terrain,
relativement naïf, a été pris pour explorer et
reconnaître les formes d’habitat avant de les
approfondir à travers d’autres méthodes. Chacune de
celles-ci (terrain, bibliographie et témoignages) m’a
permis de recueillir de l’information, poser des
émises.
types d’habitat principaux des communautés roms de
Bucarest à travers un journal de bord rédigé suite aux
visites sur le terrain. Dans un second temps, nous
ferons un retour historique sur les différentes logiques
de la politique de logement mise en place sous le
12
régime de Ceausescu pour comprendre pourquoi et
comment les roms ont-ils subi l’évolution des politiques
revenir sur la situation contemporaine et d’apporter
des éléments explicatifs. Suite à la compréhension du
contexte socio-économique historique de l’époque
communiste, nous chercherons donc à savoir si les
formes d’habitat actuelles des communautés roms à
Bucarest résultent de cette rupture politique et d’une
mobilité externe accrue avec le changement de
régime politique.
13
1. Enquête de terrain : découverte et analyse de
deux formes d’habitats précaires à Bucarest
communautés roms dans un espace en transition
rapide après mon arrivée à Bucarest, parce que c’est
le premier endroit dont on m’a parlé au sujet des roms
de la capitale. Le journal de bord qui suit, présente de
manière assez descriptive de ce que j’ai vu et ce que
j’ai senti lors de mes visites. Il raconte la découverte
d’une forme d’habitat que nous connaissons plus ou
moins en France, bien que la situation dans la ville et
le contexte de ces constructions soient très différents
de celles qui existent chez nous.
Depuis mon arrivée à Bucarest, je suis à la recherche
des «roms» de Roumanie. Où sont-ils ? Comment
vivent-ils ? Quelle est leur statut/situation dans leur
pays d’origine ? Existe-t-il beaucoup de discrimination
envers eux ?
Je commence à en parler autour de moi. Quand des
étudiants roumains me demandent pourquoi je suis
venue étudier à Bucarest, on retombe toujours sur le
thème des roms... qui fait débat.
J’entends un peu tout et son contraire… Certains
étudiants de l’école d’architecture (milieu sûrement un
peu ellististe) me disent qu’il n’y a pas vraiment de
discrimination et que les roms ont la possibilité de
s’intégrer à la société roumaine (éducation, santé,
etc…)
Par ailleurs, beaucoup de roumains me disent «les
roms ne sont pas des roumains !» ou «ici, nous ne
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sommes pas tous des roms». Parfois certains ont
tendance à s’excuser pour «le mal que font les roms
en France». Il semble effectivement qu’ici la population
est bien au courant de ce qu’il se passe dans nos
pays d’Europe de l’ouest et subit parfois de plein fouet
la mauvaise réputation de leur pays à l’étranger.
J’ai quelques amis roumains étudiants à l’école
d’architecture qui sont partis dans le cadre du
programme erasmus en France pendant un an. Ils ont
idiotes voire racistes qu’ils ont pu entendre durant leur
séjour. Ce genre d’événements, qui peuvent paraître
une certaine forme de haine envers les communautés
roms de Roumanie.
Plus tard des amis portugais et français, aussi
étudiants à l’école d’architecture de Bucarest, me
«Il semblerait que ce lac soit habité par des roms.» Je
Ci-contre, situation géographique du lac
15
cherche à comprendre, comment peuvent-ils vivre au
milieu de l’eau ? Qu’est ce que cet endroit en plein
cœur de la capitale roumaine ? Mon ami portugais a
déjà vu l’endroit : «Non, a priori c’est un ancien projet
une sorte de piscine ou un centre sportif… Tout le
bord du lac a été bétonné. Puis il a été laissé à
l’abandon.»
Mon amie française a vu il y a quelques années un
reportage sur la chaîne Arte à ce sujet : «Il semblerait
que ce lac se soit transformé en un véritable écosystème
»
J’apprends par la suite que les roms habiteraient au
milieu de la végétation «cachés», «protégés» du reste
de la ville. Je commence déjà à avoir des images dans
la tête. J’imagine une véritable forêt (végétation haute)
au cœur de la ville. J’imagine également, comme me
l’avait décrit mon ami portugais, une colline à franchir
pour arriver sur le site… Une colline qui fait frontière
entre la ville et le lac. J’imagine aussi que les habitants
se sont installés sur des «morceaux de terre» (îlots) qui
émergent du lac.
16
Samedi 16 novembre 2013, il est midi.
Je décide alors de m’y rendre. Mon amie Sophie,
C’est jour de marché dans le quartier, donc beaucoup
grandes barres d’immeubles longent le boulevard.
arrivons dans un quartier résidentiel très calme (qui
fait contraste avec l’agitation du grand boulevard que
nous venons de traverser). Beaucoup de véhicules en
stationnement sur les trottoirs. Quelques personnes
qui vont à pieds.
Plus loin, nous commençons à apercevoir des fonds
de cours privées fermées par des clôtures hautes et
17
les maisons jusqu’à pouvoir trouver une entrée sur ce
lac. Soudain, il n’y a plus de maisons, c’est une grande
clôture métallique qui continue. Elle est interrompue à
un endroit. C’est l’entrée sur le lac.
Au sol, l’entrée est marquée par un chemin qui s’est
creusé dans la terre avec le temps et le passage de
derrière la clôture. Il nous regarde. Je continue mon
chemin en faisant mine d’être sûre de moi. Sophie de
attend derrière la clôture. Petit à petit nous découvrons
sommet d’un pan incliné de béton... immense, qui
tombe dans le lac, une sorte de no man’s land à perte
de vue, avec en fond et en tout petit le skyline des
immeubles de Bucarest. Je me rends compte que ce
en silence.
apercevons de loin deux baraques. Elles sont
relativement éloignées l’une de l’autre. Mais visibles.
Il fait beau. Des gens sont dehors. Des enfants
L’entrée sur le lac, fermé par une barrière métalliqueCliché Elodie Berger – 16.11.13.
18
semblent jouer. Les baraques sont petites mais ont
des fenêtres, une porte d’entrée, et une cheminée.
chemin. Car nous sommes «coincées» entre le pan
de béton et la clôture métallique. Au retour, nous
croisons deux papis saouls, dont un qui est à vélo. Ils
nous saluent chaleureusement. De loin nous voyons
également un jeune homme arrivant à pieds depuis
les baraques. Il grimpe le pan de béton et passe par
ralentissons le pas pour le laisser passer devant mais
nous nous retrouvons à peu près à son niveau au
même moment. Il nous regarde. Soutient son regard
Photo prise depuis le petit chemin en terre qui surplombe le lacCliché Elodie Berger – 16.11.13
19
pendant une seconde. Puis continue son chemin.
Le paysage désolé est marquant, impressionnant. Le
silence aussi.
Puis nous revenons sur le grand boulevard, bruyant,
en mouvement. Je réalise alors que cette bande
d’immeubles résidentiels est un réel tampon avec la
ville. Tampon sensoriel (visuel, auditif…). Il est une
des limites physiques entre la ville et le lac.
En reprenant le grand boulevard en sens inverse,
nous atteignons le centre commercial Sun Plaza qui
se situe au sud ouest du lac. De l’autre côté nous
retrouvons la même zone verte délaissée au cœur de
la ville.
20
Samedi 30 novembre 2013, 16h30.
Ce jour là j’y retourne seule mais je pars trop tard de
chez moi et je me fais rattraper par la tombée de la
nuit. En hiver le soleil se couche sur le coup des
16:30 - 17:00… Il est cinq heures moins dix quand
j’atteins le lac. Je décide d’arriver par l’angle nord-
ouest cette fois-ci. Mon ami portugais m’avait parlé
d’une «colline» entre la ville et le lac. Je veux aller
voir ça. Et puis à cet endroit là il y a aussi le canal…
Je suis curieuse de voir comment se fait la frontière
entre le lac et la ville.
J’arrive donc en métro à la station Tineretului. Je
commence à marcher en direction du lac. Je longe le
parc Tineretului jusqu’à rencontrer une rue
perpendiculaire à celle que j’empreinte, la calea
y a beaucoup de circulation. Les phares des voitures
se mélangent aux lumières de la ville et à celles du
chantier. Pourtant la route est sombre… Il faut
regarder où on met les pieds.
21
Je longe le chantier pour arriver au niveau du canal. Il
n’y a pas de trottoir… Il faut un peu jongler entre les
voitures… Quand j’atteins le canal, je bifurque en
direction du lac. La rue est d’un coup beaucoup plus
calme. Des camions de chantier sont stationnés sur le
canal jusqu’au pied des tours qui font l’angle du lac.
Derrière la butte de terre qui s’élève devant moi se
cache le lac.
Dans l’obscurité de la nuit je ne vois que sa silhouette.
Assez haute, impressionnante. Depuis la rue, elle fait
les tours pour aller voir. C’est un ensemble d’immeubles
résidentiels tout neuf : le «Asmita Gardens». Au pied
tout est propre, goudronné, nickel...
22
Des gardiens gèrent l’entrée du parking. Je me
demande qui habite là… Et quelle vue ont les habitants
sur le lac !!! L’image ci-dessous5, prise depuis le toit
d’une des tours, nous en donne un aperçu.
Une clôture marque la limite de propriété de la
résidence. Derrière celle-ci s’élève la butte de terre
qui semble continuer sur toute la longueur du lac. Je
décide alors de monter au sommet. Là où la clôture
s’arrête, il y a quelques sentiers creusés par le
passage régulier de personnes. J’entame l’ascension.
Je me demande si quelqu’un va me dire quelque
chose, si c’est interdit… Un des gardiens de la
résidence est là. Mais rien.
Je monte. Le sol est recouvert de neige par endroits…
Ca glisse, c’est boueux. Petit à petit je découvre un
rapide et mon cœur qui s’est emballé, un peu à cause
de l’effort mais surtout à cause d’un certain mélange
de peur et d’excitation. Le spectacle ne me laisse pas
indifférente, comme la première fois que j’y suis allée.
D’un côté, le silence et le calme de la nuit sont assez
pesants et de l’autre, j’entends et je sens l’agitation
nocturne de la ville. En face de moi je devine dans
l’obscurité cette étendue de végétation à perte de
vue. A mes pieds, l’immense pan de béton de
Ceausescu qui fait le tour du lac. Il fait froid. Mais je
reste une vingtaine de minutes au sommet à observer.
5. source : http://rezistenta.net/2012/09/avem-inca-o-delta-ce-fa-cem-cu-ea-2.html#comments, consulté le 08.11.13
23
Je cherche du regard une quelconque présence
humaine. Je ne vois personne. Il n’y a pas de
mouvement. Je cherche aussi s’il y a des chiens parce
que j’en ai un peu peur... Mais il n’y en a pas. Je
décide de rester par là à observer cette limite physique
impressionnante entre le lac et la ville. Il fait nuit, je
ne souhaite pas m’aventurer seule plus loin. Je
dessine sur un petit carnet sorti de ma poche. Je
croque, je schématise ce que je vois. Puis je
redescends pour continuer mon analyse au niveau de
la route. Quand je commence à sentir mes doigts se
congeler un à un, je rentre à pieds jusque chez moi en
longeant le canal.
24
Samedi 4 décembre 2013, 14h.
Je me suis arrangée pour revenir sur le site avec mon
ami portugais cette fois-ci. Il veut bien m’accompagner
Tineretului. Puis nous longeons le parc, jusqu’au pied
des tours de logements. Elles sont au nombre de sept.
J’ai entendu dire que c’était une résidence de luxe. Je
suis donc très impressionnée par la proximité de ces
deux mondes complètement opposés par leur nature,
résidence et nous grimpons au sommet de la «colline».
J’ai alors un moment d’hésitation avant de descendre
sur le pan de béton. Je regarde à nouveau le paysage
qui s’offre à moi, de jour cette fois-ci. Mon ami n’hésite pas
une seule seconde, il descend et me dit «tu viens ?»
25
sentier, à échelle humaine, est dessiné par le passage
régulier de personnes. Autour, tout est végétation ou
zone d’eau.
profondeurs du lac. Déjà nous avons oublié la ville,
têtes d’immeubles hauts qui dépassent au dessus du
pan de béton et des enseignes publicitaires énormes,
commerciaux.
Très vite nous devinons au milieu de la végétation une
première baraque de roms. Elle est installée contre un
ensemble d’arbres, relativement cachée. Depuis le
sentier, nous ne pouvons l’apercevoir que par
morceaux. A «l’entrée de la propriété», des chiens
semblent monter la garde. Ils sont agressifs et nous
dissuadent de nous rapprocher. Je dis «l’entrée de la
propriété» parce que j’ai l’impression qu’elle est
aménagée comme telle : la végétation est plus courte,
comme si l’herbe avait été tondue et me laisse penser
26
que c’est «l’entrée du jardin» qui mène à la baraque.
la largeur et il semblerait que des voitures aient déjà
circulé ici car nous retrouvons dans le sol les traces
de pneus de la largeur d’un véhicule. Plus loin, nous
apercevons un homme qui transporte un tas de bois
et de branchages sur son épaule. Quand nous
arrivons à sa hauteur, il nous demande en roumain si
mais il se rend compte que nous sommes étrangers. Il
nous demande alors à nouveau en anglais «Smoke ?»
No, no sorry».
Puis il trace sa route. Je le regarde partir au loin et je
vois qu’il bifurque au niveau de la baraque que nous
avions vu cinq minutes plus tôt. Il doit sûrement
nous rapprochons. Les hautes herbes sont écrasées
par endroits. Mon ami me dit que la première fois qu’il
était venu, il avait vu de loin des hommes pêcher dans
des petites barques. Il semblerait que ce «lac
étendues d’eau qui jalonnent notre parcours. Les
immobile et sans ride. Il n’y a pas de vent mais il
commence à faire très très froid. Je pense à cet
homme que nous avons rencontré plus tôt dans
l’après-midi et qui rentrait chez lui avec du bois pour
en chemin. Du moins il n’y en a pas de ce côté du lac.
de l’autre côté, côté ville. Dans cet angle, il y a un
escalier en béton qui nous permet de redescendre au
niveau de la route. Pour rentrer nous longeons la
colline de terre et le canal jusqu’à la prochaine station
27
de métro. De ce côté l’agitation reprend, il y a
colline et les voitures.
Suite à cette visite, j’ai l’impression que contrairement
le lieu principal de vie des roms à Bucarest. On
retrouve parsemées au milieu de la végétation
quelques baraques telles qu’on les connaît dans les
bidonvilles de France, construites à base de planches
en bois, tôle, carton, bâches plastique, etc…6
Cependant il me semble qu’elles n’existent pas en
le «logement type» des roms à Bucarest.
Par ailleurs au cours de mes recherches sur le statut 6. voir BERGER, Elodie, op. cit.
28
un lieu qui devient de plus en plus connu pour nombre
de biologistes qui font des recherches sur la nouvelle
été laissé à l’abandon suite à la chute de Ceausescu,
se soit développé un écosystème qui regroupe
approximativement 90 espèces d’oiseaux rares,
d’autres espèces de poissons, d’animaux ou de
plantes qui existent au Delta du Danube. Aujourd’hui,
Bucarest». Depuis juin 2012, grâce à ce phénomène
par le ministre de l’environnement, Rovana Plumb,
zone naturelle protégée.7
Samedi 7 décembre 2013, 16h.
Ce jour là, je suis allée me promener avec deux amis
(Ignacio, espagnol et Sophie) dans le parc Tineretului
que nous ne connaissions pas. Comme nous étions à
parc, sur le côté ouest.
Je propose de tracer tout droit en traversant le
7. Source internet : http://m.adevarul.ro/news/bucuresti/lacul-vacaresti-putea-declarat-arie-prote-jata-1 _50bdf10a7c-42d5a663d089c7/index.html, consulté le 12.12.13
29
boulevard et la bande verte qui longe le lac pour éviter
de repasser au même endroit que les deux fois
Une clôture basse vient fermer cette bande verte.
être complètement abandonné, avec une végétation
apercevons tout près, des baraques.
Plusieurs baraques, presque un campement. Plus
nous avançons, plus nous avons l’impression que
nous allons arriver chez quelqu’un : aménagement
d’un chemin d’accès, ordures au sol, végétation plus
courte, etc... Je veux continuer mais mes deux
demi-tour… Et nous passons à nouveau au pied des
restons que peu de temps sur place. Puis nous
repartons pour prendre le métro.
Cette courte visite m’a permis de voir ce qu’il se passe
côté ouest du lac et de comprendre comment se fait la
limite avec le parc Tineretului et le reste de la ville.
parce que c’est ce qui lui confère aujourd’hui ce statut
si particulier.
Les bucarestois l’appellent le «lac d’accumulation
agglomération dans le but de réguler le niveau des
devait aussi comprendre une base sportive. La
révolution roumaine de 1989 a entraîné l’abandon du
projet qui avait débuté en 1986. L’un des gros
chantiers de l’époque communiste avait entraîné la
longtemps comme prison. Son emplacement était
celui du mall Sun Plaza actuel.8
puis se serait alimenté de sources souterraines. Ceci
peut expliquer en partie que la nature ait repris ses
8. source : RIBOUT, Benjamin, article, “Le lac
Revue Regard n° 56, juil-oct 2012, http://
documents/ee-14c866a35984466d-79d25f.pdf, p. 8, consulté le 07 février 14
30
9. source IMG 1 : http://iqool.ro/expeditie-pe-lacul-vacaresti/, consulté le 08.11.13IMG 2 : http://adevarul.ro/news/bucuresti/vacaresti-balta-vacaresti-1 _ 52064953c7b855ff56c-3da18/index.html, consulté le 08.11.13
droits et que se soit formé un véritable écosystème.
Depuis la déclaration en juin 2012 par le ministre de
l’environnement comme zone naturelle protégée, il
semble pourtant ne pas encore avoir été investi. C’est
donc un espace en transition qui garde cependant un
côté encore «laissé à l’abandon»… qui permet aux
roms de s’y installer.
Le travail d’observation et de relevé, croquis, photos,
cartographie, réalisé sur le terrain nous a permis de
décrire les limites du lac à l’échelle de la ville : elles
sont topographiques, physiques ou symboliques
(ensemble de barres d’immeubles, canal, colline de
terre, pan de mur de béton incliné, végétation,
clôtures, grand boulevard, etc…). Ceci nous montre
assez hermétique au reste de la ville qui permet à ses
habitants de s’y installer illégalement.
observations avec le phénomène de bidonvilisation
que nous connaissons en France. Les baraques
rapprochent très fortement, dans l’utilisation des
matériaux de construction, de celles que nous
connaissons dans les interstices urbains de nos
agglomérations françaises.
Comme nous l’avons vu dans le journal de bord, les
roms utilisent des matériaux de récupération et
construisent à partir de rien, c’est-à-dire sur un terrain
vide, un abri fermé leur permettant de répondre aux
besoins les plus fondamentaux de l’habiter. Les deux
images ci-contre9 nous montrent des baraques du lac
Il existe cependant une grande différence entre les
constructions des baraques de Bucarest et celles de
nos villes françaises. C’est peut-être parce que
phénomène se produit : les baraques sont très
éloignées les unes des autres.
31
Chaque baraque a un espace libre assez important
autour d’elle. Ceci s’oppose complètement à ce qu’il
se passe dans les marges urbaines en France, où les
roms ont besoin de s’installer en groupe pour pouvoir
occuper un terrain. Ils doivent partager des terrains
très étroits (interstices urbains, bretelles d’autoroutes,
etc…) pour pouvoir prétendre s’établir pendant un
temps à un endroit.
IMG 1
IMG 2
32
Mon travail de découverte du quartier Ferentari a pu
se faire grâce à l’accompagnement d’un étudiant
roumain. Malheureusement, par manque de temps, je
n’ai pu réalisé qu’une seule visite sur le site. Suite à
cela ce sont mes lectures qui m’ont permis d’obtenir
plus d’informations sur la composition typologique et
sociale du quartier, la nature des logements et les
modes d’habiter des communautés roms. Mon journal
de bord présente cette visite de manière assez
descriptive, assez naïve aussi, sans chercher à
analyser dans un premier temps ce qui a été perçu. Il
raconte la découverte d’un ghetto, comme espace
fermé, ou autrement dit comme une véritable enclave
dans la ville, avec des limites physiques très fortes.
J’étais un peu prise pour une folle par certains
étudiants de l’école d’architecture ou certains
bucarestois avec qui j’avais tenté d’aborder le sujet.
Finalement c’est un jeune roumain que j’ai rencontré
le samedi qui précédait ma visite qui a accepté de
m’accompagner. J’ai discuté avec lui ce soir là parce
qu’il était très intrigué à l’idée que je vienne faire une
partie de mes études à Bucarest (alors que «c’est
mieux en France, c’est évident !»)... Il est aussi
étudiant à l’école d’architecture. Je lui raconte ce que
je viens faire là puis il semble être intéressé. On en
vient à parler de Ferentari. Il accepte sans hésitation.
Il me dit qu’il n’a jamais été là-bas mais qu’il a envie
date, trois jours après…
33
Mercredi 11 décembre 2013,entre 10h et 15h.
10h du matin puis nous décidons de nous rendre sur
prendre le tram. Andrei demande à des gens qui
attendent à l’arrêt si c’est bien ce tram là qui va a
Ferentari. On nous dit qu’il n’y a plus de tram qui va là
bas… Ils ne savent pas trop comment on y va… Peut-
être faut-il prendre un bus mais lequel ? et où se
prend-il ? Personne n’a l’air de savoir… Je propose à
Andrei de prendre le métro jusqu’à la station la plus
proche de Ferentari puis de marcher ensuite. Il
accepte, nous nous y rendons comme ça, depuis la
station Eroii Revolutiei.
34
d’œil à la carte pour voir dans quelle direction nous
devons aller. Puis nous nous promettons mutuellement
de ne plus la sortir de la poche jusqu’à ce que nous
terminions notre tour. Andrei me prévient aussi que
les chiens sont connus dans le quartier pour être
sans pour autant chuchoter. Les rues sont très calmes,
elles ont l’air de se réveiller… Le soleil est là mais il
fait très froid… Ce que je vais dire a peut-être ses airs
un peu naïfs mais je sens qu’on est quand même
«blindé», dans le sens où nous nous sommes
préparés chacun de notre côté pour «affronter» le
froid et la pauvreté. Vêtements sombres, grosses
groles, un peu dégueu, blouson bien fermé jusqu’en
haut et gants et bonnet sur la tête pour Andrei !
Evidemment, pas de sac à main ou d’appareil photo.
Andrei s’arrête dans une petite échoppe pour acheter
deux paquets de mouchoirs. C’est la seule de la rue
j’ai l’impression… Elle semble avoir été ouverte dans
la cour d’une maison.
Le quartier n’est constitué d’ailleurs que de maisons
individuelles qui semblent avoir été construites par les
habitants eux-mêmes… sur des parcelles de petite
taille, plus ou moins identiques. Elles sont toujours
clôturées, avec un portail puis une petite cour ou un
jardin à l’entrée.
nous nous éloignons progressivement du grand boulevard
nous semble. Quand nous arrivons à une intersection,
nous choisissons la direction un peu en fonction de ce
que nous voyons, de ce que nous sentons… en essayant
bien sûr de ne jamais revenir sur nos pas.
Plusieurs fois Andrei me demande «mais qu’est ce tu
cherches en venant là ?» Je ne sais pas trop quoi
35
10. GUEST, Milena,
p. 108 11. source : image extraite de Google Street View
répondre au début… Je lui dis «on m’a dit que c’était
le quartier des roms ici… Alors je veux voir comment
c’est, comment ils vivent et puis j’ai lu dans un article
trouvé sur internet que c’était le quartier ghetto rom de
Bucarest…»10
Dans une rue, nous apercevons tout au bout une
barrière noire immense qui bouche complètement la
je me dis «
ghetto…» J’imagine le ghetto comme quelque chose
de très fermé, du coup, selon l’idée que j’en ai, il doit
y avoir des barrières, un mur ou quelque chose qui
cerne le lieu, qui en fait une enclave dans la ville.
Donc je me dis que ce pourrait bien être derrière cet
obstacle que démarre le ghetto rom de Bucarest.
Finalement, en collant le nez sur la barrière nous
pouvons voir par un petit trou ce qu’il y a derrière…
C’est un immense terrain vague. Il semble être en
chantier, des hommes y travaillent au volant de leurs
machines (tractopelle, pelleteuse, etc…)
rues du quartier… nous longeons de temps à autre la
palissade noire… puis nous nous en éloignons à
nouveau quand nous repassons dans une rue
parallèle.
yeux une voiture aux vitres noires et trois hommes qui
marchent devant, en plein milieu de la route. L’un
d’entre eux porte une croix, l’autre un bénitier. Le
véhicule klaxonne comme pour annoncer son passage
dans le quartier. Certains voisins sortent sur le pas de
la porte ou sur le trottoir. Andrei m’explique que c’est
une cérémonie funéraire. «Quelqu’un est mort, c’est
traditionnellement comme ça qu’on lui rend
hommage.
resserre au bout puis débouche sur un espace plus
large un peu confus (voir l’image ci-après11).
36
A cet endroit, la rue doit bifurquer subitement sur la
droite parce qu’elle est coupée par un énorme tuyau
de métal qui repose au sol (voir l’image ci-dessous12).
Derrière, j’aperçois le sommet de blocs tout gris qui
semblent être dans un terrible état d’insalubrité. Avec
Andrei, nous nous regardons puis nous regardons un
petit escalier de métal qui passe par dessus le tuyau.
Là je me dis que nous sommes vraiment arrivés au
ghetto. J’ai l’impression d’avoir attendu quelque chose
pendant toute la promenade. Quelque chose qui
n’arrivait pas. Le quartier était trop tranquille à mon
goût. La succession de petites maisons individuelles
ne me semblait pas pouvoir former un ghetto. Et puis 12. source : image extraite de Google Street View
37
je me demandais si tout le quartier était ghetto selon
ce que j’avais entendu dire ou si ça devait se résumer
à quelques parties du quartier. Je commençais à avoir
un élément de réponse. Ce que j’avais traversé
jusqu’à maintenant ne pouvait clairement pas être un
ghetto. Par contre la vision de ce tuyau qui barrait
complètement la route et qui enfermait un ensemble
d’immeubles insalubres me laissait penser que c’était
là le début d’une véritable enclave dans la ville, d’un
espace littéralement fermé.
Je m’engage alors dans le petit escalier, je monte
deux marches pour regarder ce qu’il y a derrière (la
hauteur du tuyau ne me permettant pas d’apercevoir
ce qu’il s’y cache depuis le niveau de la rue). J’ai une
sensation bizarre quand je vois la quantité d’ordures
qui longe le tuyau de l’autre côté, les rues en terre,
des vieilles voitures stationnées, qui semblent être
abandonnées. J’ai besoin de faire demi-tour. Andrei
qui attendait sûrement mes premières réactions me
regarde avec des grands yeux et me demande, avec
un ton un peu affolé, «Quoi ? Qu’est ce qu’il y a ?
Qu’est ce qu’il s’est passé ? Qu’est ce que tu as vu ?»
Moi je lui dis «Non, non rien… C’est juste que… je
sais pas si on peut y aller… Je sais pas si une fois
qu’on sera passé de l’autre côté, on pourra en
ressortir… ou du moins en ressortir indemne.» Il
passe alors devant moi, monte les trois premières
marches de l’escalier, jette un coup d’œil de l’autre
côté, puis me dit, «bon, il n’y a personne, on y va ?».
Les chemins sont de terre. Il n’y a pas beaucoup de
monde, mais quand nous arrivons au cœur du «ghetto»,
c’est à dire dans une petite cour centrale autour de
laquelle s’articulent les blocs, nous rencontrons des
gens. Je suppose que ce sont des roms. Ils ont tous
une couleur de peau mate. Les femmes ont des robes
traditionnelles avec des tissus très colorés. Des
passons lentement sans nous arrêter, cependant.
38
certes, elles ont une couleur bleu ciel bien sale mais
surtout, chaque balcon est différent de l’autre. Il n’y en
a pas deux qui se ressemblent. Ils sont fermés. Je
suppose que c’est «la pièce en plus» dans
l’appartement. J’imagine que ceux-ci sont tellement
petits par rapport au nombre de personnes qui y vit
que chaque famille a réalisé sa propre extension.
C’est pourquoi tous les balcons ont des dimensions et
des profondeurs différentes. Certains sont fermés par
du verre, d’autres par du bois et la structure semble
être toujours métallique. Il y a des vêtements qui
sèchent aux fenêtres. D’autres ont des plantes vertes
suspendues. Il y a des rideaux aussi. Chaque balcon
a une personnalité différente. Parfois ce ne sont pas
des balcons mais simplement des extensions de
Carte du parcours effectué lors de la visite sur le terrain et mise en évidence de la zone «ghetto» traversée.
39
13. source : image extraite de Google Street View
fenêtres pour faire comme un espace de rangement
ou peut-être pour permettre de mieux se protéger du
froid en hiver et de la chaleur en été, en créant une
sorte de double vitrage ou de double peau.
Avec Andrei, nous traversons cette zone de blocs puis
nous ressortons de l’autre côté, dans une rue plus grande,
à nouveau goudronnée. J’ai le sentiment alors d’avoir
«atteint mon premier objectif»… Mettre un pied dans ce
que je croyais être le ghetto rom de Ferentari. Découvrir la
de la ligne de tram. Puis nous regagnons le centre de
Bucarest.
Suite à cette visite sur le terrain, nous avons pu, à l’échelle
de la zone du «ghetto Iacob Andrei», décrire de manière
plus ou moins précise les limites et les caractéristiques des
logements qui ont été vus. Ceci nous informe en partie sur
les modes d’habiter de la population rom qui y vit.
générale du «ghetto» - liée au constat de ségrégation
spatiale à Bucarest - qui nous amènera à nous poser la
question de savoir si l’on peut ou pas caractériser le
quartier Ferentari comme tel. Puis nous découvrirons à
travers son histoire que Ferentari est en fait composé de
plusieurs zones, communément appelées «ghetto» dont
Iacob Andrei fait partie.
Image montrant les balcons des immeubles du ghetto «Iacob Andrei»13
41
ERDELI, George, “La ville de Bucarest, espace de (post)transition entre restructuration et étalement urbain”, Méditerranée [En ligne], 110 | 2008, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 23 décembre 2013. URL : http://mediterranee.revues.org/530, p. 56
-
Roumanie et à Bucarest
Il semble essentiel de faire un retour en arrière sur
l’histoire politique de la Roumanie pour comprendre
pourquoi et comment les populations roms ont subi
l’évolution des politiques nationales à leur égard.
A l’époque communiste, l’aménagement urbain et la
gouvernance des villes sont du ressort de l’Etat seul.
Celui-ci se rend propriétaire des terres et maisons
construites avant 1945 par décret. Les grandes phases
de transformation de la période socialiste (1948-1977,
1977-1989) vont marquer très fortement la morphologie
urbaine actuelle de Bucarest. «Les tours de barres de
6-10 étages s’imposent dans le nouveau paysage
urbain [dans les années 1950.] […] Les décennies
1960-1970 offrent aux citoyens l’illusion d’une
prospérité et d’un standard de vie élevé.»14 Les
logiques foncières (accroissement du prix de terrains
donc construction de grands ensembles résidentiels)
vont également provoquer ces transformations
urbaines. Cette période est régie par les grands plans
de systématisation. La période 1970-1977 est nommée
«deuxième systématisation». Elle est marquée par des
constructions de mauvaise qualité dues à la forte
demande en logements et à la pression immobilière.
grandes mutilations opérées sur le centre-ville.
42
La politique de systématisation du territoire menée
par l’Etat communiste a donc eu pour conséquence la
destruction massive de quartiers historiques en villes
et de villages en milieu rural avec relogement forcé
des habitants (tous y compris les populations roms)
dans des blocs d’appartements collectifs. C’est la
vision égalitariste des styles et des modes de vie qui
a conduit à la promotion exclusive de l’habitat collectif.
Ainsi les politiques égalitaristes poussées à l’extrême
de l’Etat communiste ont dissimulé des drames (peur,
faim, pénurie, etc…) qui ont touché et marqué (encore
aujourd’hui) la population entière.
43
Les Etats communistes de l’Est ont un objectif
commun dès les années 1950 : sédentariser les roms
encore nomades, l’objectif étant leur assimilation
dans le système collectiviste. Cependant les mesures
prises sont relativement discrètes car ces politiques
de sédentarisation forcée ne forment pas un sujet
majeur pour les Etats concernés. «La Roumanie
attendra 1977 pour légiférer sur le thème»15 . Ainsi, les
pouvoirs communistes mettent en place différentes
méthodes d’intégration : à la classe ouvrière, à l’école
ou dans certains programmes de logement. «Or et
bien que certaines familles tsiganes y trouvent leur
compte, ces tentatives d’assimilation forcée se
révèlent globalement désastreuses pour les Roms
des pays de l’Est.»16 Samuel Delépine nous parle
dans son ouvrage de la manière dont les roms
n’occupent pas les mêmes statuts que le reste de la
population à l’époque communiste. Ainsi ils sont
réduits à «effectuer des tâches subalternes, sont
présents à l’école mais souvent discriminés.»17 Il
évoque également la négation de leur culture qui a
affecté beaucoup d’entre eux. Cependant bien que
celle-ci ait quand même pu survivre à travers les
années, les phénomènes d’exclusion, «déjà
séculaires» selon Samuel Delépine, se sont
accentués.
A l’appui des données ci-contre concernant le
recensement des roms dans la population roumaine
en 1930, 1966 et 1992, Samuel Delépine démontre
que la réalité était masquée par l’orientation des
statistiques sous le régime communiste. C’est ce qu’il
op. cit., p. 22
16. Ibid., p. 23
17. Ibid.
18. Ibid.
Recensement général de la population roumaine : 1930, 1966, 1992. Données réactualisées selon les limites administratives actuelles par l’Institut national de statistiques de Roumanie (2002)18
44
appelle une «prétendue intégration par l’invisibilité» :
«Dans sa volonté d’assimiler les Roms, le
gouvernement communiste roumain avait donc
commencé par sous-estimer leur nombre.»19
«Ainsi la sédentarisation des Roms, que ce soit dans
les villes ou dans les campagnes, est suivie par leur
”intégration” au plus bas de l’échelle sociale. Sur le
plan spatial les nouvelles dispositions des
communistes accélèrent la dissémination des Roms
sur les territoires nationaux et favorisent leur
concentration locale.»20 Le groupe est donc resté très
territoriales.
Les législations à l’époque communiste ont donc
fonctionné souvent selon «une politique de façade»21
entretenir un simulacre d’intégration»22.
op. cit., p. 23
20. GUEST, Milena,
p. 106
21. Ibid.
22. Ibid.
45
La période post-1989 est marquée par un creusement
des disparités sociales, une accentuation de la
pauvreté, et un manque de volonté politique. Ceci est
dysfonctionnements, «tergiversations législatives et à
un processus tardif et lent de privatisation.»23
Dès 1990, le processus de rétrocession des biens se
met en place. Les roumains voient généralement ce
changement comme « »24.
Ils peuvent racheter leur propre appartement à un prix
dérisoire grâce à la dévalorisation du Leu. Seulement
ce processus de rétrocession est très lent et très peu
d’anciens propriétaires arrivent à obtenir gain de
cause. De plus, ce processus de restitution et de
privatisation des biens nationalisés ne fait qu’agrandir
la marginalité économique des roms qui ne possèdent
pas de biens fonciers et immobiliers propres. On peut
alors supposer que le laps de temps assez important
pendant lequel les logements restent abandonnés
permet aux familles roms de s’y installer. C’est ce qu’il
se passe dans les centres historiques notamment,
phénomène très bien décrit et analysé par Catalin
Berescu dans son ouvrage sur le logement et
l’extrême pauvreté : «The demolitions before the
construction of Ceausescu’s civic centers also created
conditions for such communities due to the abandoned
houses. Most of the time they are inhabited semi-
illegally or illegally being characterized and governed
by this initial formula»25.
Les conséquences de tels événements socio-politiques
ERDELI, George, op. cit., p. 57
24. Ibid.
op. Cit., p. 35
46
sont un étalement urbain chaotique et l’émergence de
nouveaux quartiers dans la capitale bucarestoise.
Aujourd’hui, Bucarest semble toujours être en
transition, bien que le rythme se soit accéléré
notamment après l’an 2000 : «Jusqu’à l’an 2000, les
investissements immobiliers sont peu nombreux,
d’affaires face au cadre législatif qui réglemente les
transactions. Après l’an 2000, les grandes entreprises
sol, au détriment des espaces verts. De nouvelles
tours modernes voient le jour…»26
«
investisseurs à convoiter toutes les zones
pavillonnaires et à acquérir tout près des voies sur
berge ou à proximité des lacs et étangs».27 C’est
exactement ce qu’il se passe avec l’ensemble de
tours de logements Asmita Gardens ou le nouveau
ERDELI, George, op. cit., p. 57
27. Ibid. p. 59
47
3. La situation contemporaine : conséquences
d’une mobilité exacerbée et d’une visibilité
accrue ?
Le phénomène de migration de roms depuis les pays
de l’Est vers l’ouest de l’Europe n’est pas nouveau.
mouvement migratoire global (c’est-à-dire pas
cependant plusieurs caractéristiques «roms» de ce
mouvement migratoire : l’aspect familial de la
(scolarisation des enfants, question de logement ou
de santé, etc...), le fait que bien souvent les familles
migrantes soient originaires d’une même ville, mais
aussi la pauvreté, voire la misère et le peu de
facilitée par sa grande visibilité dans l’espace urbain
et par le fait qu’elle ait été fortement médiatisé ces
selon Samuel Delépine, comme «rom» : «De cette
”problème public rom”, entraînant dans son sillage
l’émergence, le développement, voire la mise en
oeuvre de politiques de rejet un peu partout en
Europe.»28
Les motifs de migration des roms peuvent être très
divers selon Alain Reyniers : «fuir une discrimination
ethnique qui a touché le demandeur d’asile ou l’un de op. cit., p. 80
48
ses proches ; faire des affaires avec l’intention de
retourner au pays ; échapper à une paupérisation
totale sans développer aucun projet de retour.»29
On peut alors distinguer un autre mouvement migratoire
- celui essentiellement dirigé des pays de l’Est vers les
pays de l’Ouest, occultant très largement le second -
«plus circulaire, explicitement économique»30. Certains
roms aujourd’hui entreprennent en effet, «un troisième
ou un quatrième voyage temporaire en Occident,
investissant ici ce qu’il ont gagné là-bas»31.
Dès lors, nous pouvons supposer que les formes
d’habitat actuelles à Bucarest sont en lien avec cette
«nouvelle mobilité». Peut-être que ces formes
partiellement de ce mouvement migratoire circulaire.
D’abord économique, celui-ci deviendrait physique
lorsque les roms rentrent au pays pour un temps
déterminé ou de manière permanente. Ainsi les
similitudes avec les baraques des campements roms
de France seraient issues d’un phénomène de
bidonvilisation renaissant suite au retour de familles
roms d’Europe occidentale.
Une des conséquences les plus remarquables de
cette «nouvelle mobilité» à Bucarest est la
marginalisation spatiale des communautés roms. La
carte ci-contre nous fait part de ce fait qui persiste
dans le temps.
(dir.), Visibles mais peu
nombreux, Les
circulations migratoires
roumaines, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 2003, p. 57
30. Ibid. p. 59
31. Ibid. p. 51
49
«La localisation périphérique des ”quartiers roms” à
Bucarest, s’explique par le coût du foncier, mais surtout
par une marginalisation spatiale déjà ancienne.»32
«Isolement géographique et isolement social vont de
pair, jusqu’à ce que se dessinent de véritables ghettos.
Lorsque ces espaces sont proches d’autres espaces
urbanisés, il n’est pas rare que les Roms soient exclus
par les autorités municipales, ou que celles-ci
construisent des murs de séparation pour isoler le
”quartier rom” du reste de la ville. [Dans de tels cas],
l’Union Européenne intervient parfois, mais ces actes
de ségrégation peuvent également prospérer dans
une certaine indifférence.»33
La carte de Bucarest ci-après nous montre les
différentes «zones ghettos» du quartier Ferentari, qui
se trouve au sud de la capitale. Ces zones ont des
noms différents : Amurgului, Aleea Livezilor, Zabrautiop. cit., p. 53
33. Ibid.
50
et Iacob Andrei. A travers cette carte, les auteurs font le
constat d’une ségrégation urbaine très forte à Bucarest.
Aujourd’hui, on peut voir surgir dans l’homogénéité du
quartier Ferentari plusieurs unités de blocs, qui
tranchent avec la typologie des petites maisons
individuelles. C’est cela qui, entre autre, caractérise
ces vraies enclaves dans le quartier. Ces immeubles
standardisés ont «
»34
Et ce sont ces zones qui sont maintenant communément
appelées «ghettos».
A l’époque, elles abritaient une population modeste
mais qui échappait à l’extrême pauvreté. Ceux qui ont
eu les moyens ont déménagé pour éviter la
cohabitation avec une population appauvrie, dans des
immeubles dépourvus de propriétaires qui sont
«The Map of Bucharest Urban Segregation : Empirical Evidence»35 34. GUEST, Milena,
p. 110
socio-spatial dimension of the Bucharest ghettos, Transylvanian Review of
Administrative Sciences,
51
soumis à une dégradation rapide. «La ségrégation
que la répartition étatique des logements à l’époque
communiste avait établie s’est trouvée renforcée.»36
D’autres critères décrits par Milena Guest et Alexandra
desroms en Bulgarie et en Roumanie, nous permettent
de démontrer le caractère fermé, enclos et hermétique
de ces zones «ghetto» du quartier Ferentari. Elles
évoquent d’une part les problèmes de connexion aux
réseaux d’approvisionnement en eau et électricité
puis, d’autre part, ceux liés aux services de «qualité
visiblement inférieure à la moyenne de la ville de
Bucarest»37 ou quasi inexistants de transports en
commun, de santé ou d’éducation. A l’intérieur du
quartier, les commerces se réduisent généralement à
de «petites échoppes ouvertes dans les cours des
maisons ou au pied des immeubles» ou à des «étals
de fortune […] installés par des habitants»38 qui
achètent au marché et revendent au quartier.
Il semble par ailleurs essentiel de noter que Ferentari
est un quartier mixte : «The area […] is known to be a
Roma ghetto. Despite the stereotype, based on the
idea that all the residents of Ferentari are Roma, the
ethnic mix background of residents is quite diverse,
with permanent residents being mainly poor workers
and rural migrants.»39 Ainsi, sa composition ethnique
n’est pas essentiellement rom, contrairement à ce qui
est dit par les habitants de Bucarest, en général.
Il est aussi intéressant de se poser la question de
savoir si l’on peut vraiment considérer que Ferentari
est un ghetto, comme le nomment généralement les
bucarestois.
d’évoquer ce point parce que j’ai traversé au cours de
mon enquête de terrain, une petite partie de cette
zone nommée «ghetto Iacob Andrei», mais je suis
convaincue que le sujet mérite d’être traité à part
entière en dehors du cadre de ce travail.
36. GUEST, Milena,
p. 110
37. Ibid.
38. Ibid.
Florin (coord.), ibid., p. 39
52
ghetto est une «institution de fermeture et de contrôles
ethniques»40. Il discerne quatre éléments constitutifs
du ghetto : «
spatial et l’emboîtement institutionnel»41. Selon lui,
«pour qu’émerge un ghetto, il faut, tout d’abord, que le
ou prou tous les domaines de l’existence et, ensuite,
que s’y superpose une palette distinctive d’institutions
duplicatives qui permettent au groupe ainsi cloîtré de
se perpétuer dans les limites du périmètre qui lui est
assigné.»42 Par ailleurs il fait référence dans son
article à plusieurs autres auteurs qui se sont également
penché sur la question et qui font allusion aux roms
d’Europe de l’Est : «Il est un seul cas sur le vieux
continent qui s’apparente aujourd’hui à une dynamique
classique de ghettoïsation selon les quatre dimensions
l’effondrement des sociétés sous hégémonie soviétique
et la ”transition” à l’économie de marché.»43
Dans l’étude menée par Florin Botonogu sur Ferentari,
Florina Presada tente également de répondre à cette
et les caractéristiques du quartier Ferentari : «The
community’s relations with the outside world are
mainly characterized by segregation, and are
accompanied by common suffering reported vis-a-vis
their stigmatized social status. In the public perception,
Ferentari is already designated as a ghetto and the
community is more and more marginalized in relation
to the external social environment.»44
La composition actuelle du quartier Ferentari résulte
de la construction dans les années antérieures,
pendant, après la seconde guerre mondiale et sous le
régime de Ceausescu.
Ferentari est un quartier composé généralement de
petites villas individuelles, qui datent des années
1940, disposée sur des lots de taille plus ou moins
identiques. «L’époque Ceausescu introduit des
“Les deux visages du ghetto. Construire un
concept sociologique”, Actes de la recherche en
sciences sociales 2005/5, 160, p. 4-21, http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-5.htm, consulté le 02 janvier 2014, p. 8
41. Ibid., p. 10
42. Ibid., p. 16
(1991), Ivan Szelenyi et Janos Ladanyi (2004),
op. cit., p. 16
44. PRESADA, Florina,
Florin, op. cit., p. 83
53
changements, notamment la construction de dizaines
foyers pour ouvriers ou de studios pour familles
modestes (et qui constituent aujourd’hui la ”zone
ghetto”)»45.
Ce quartier est resté quasiment dans le même état
aujourd’hui. En effet, les autorités du régime de
Ceausescu ont privilégié le centre pour la réalisation
des grands projets urbains «qui comprenaient la
refonte du tissu urbain et la démolition des maisons
individuelles, remplacées par des blocs»46.
Il me semble que c’est une erreur de nommer le
l’échelle du quartier et à travers son histoire, qu’il est
en fait composé de plusieurs zones appelées
«ghettos». Par ailleurs les bucarestois considèrent
aussi de manière abusive que Ferentari est le
«quartier rom» de la capitale roumaine. Comme le dit
«ethnicité» de manière aussi systématique. Si l’on
peut se permettre d’appeler ces poches de pauvreté
de Ferentari des «ghettos», alors ce sont avant tout
des «ghettos de pauvreté» et non des «ghettos
ethniques». Ceci rejoint également le propos de
d’une «migration rom».
En Roumanie, une des conséquences de cette
nouvelle mobilité et de sa visibilité renforcée par une
médiatisation exagérée, est le reproche qu’on fait aux
roms de «
sale, archaïque, livré à l’affairisme et à l’anarchie»47.
visibilité organisée par les médias, qui résulte de la
construction de la fameuse «question rom» par les
politiciens de l’Europe entière. De cette stigmatisation
découle une xénophobie toujours grandissante qui a
pour conséquence la marginalisation persistante (car
45. GUEST, Milena,
p. 110
46. Ibid.
(dir.), op. cit., p. 54
54
elle n’est pas nouvelle) des communautés roms dans
les villes d’Europe de l’Ouest mais aussi à Bucarest,
dans leur pays d’origine.
55
Conclusion
«Entre la nécessité de maintenir une vie communautaire,
bien que mal aux politiques de rejet, les Roms ont
développé suivant les circonstances, et en ordre
dispersé, des stratégies diverses de visibilité ou
d’invisibilité.»48
Les raisons qui poussent les communautés roms à se
déplacer sont multiples. D’abord parce qu’ils sont
historiquement nomades puis pour fuir une
discrimination séculaire («We would like to mention
their slavery, holocaust, deportation, ousting,
demolition, moving out of traditional settlements.»49),
leur mouvement migratoire a toujours été des pays de
l’Est vers les pays de l’Ouest de l’Europe. Au cours des
deux dernières décennies, un nouveau mouvement
migratoire, circulaire et économique, a cependant fait
son apparition.
A Bucarest, il existe deux formes d’habitat principales
propres aux communautés roms : les baraques telles
d’appartements communistes qui forment des poches
de pauvreté appelées «zones ghetto» tel que dans le
quartier Ferentari.
Chacune de ces formes semble résultée de migrations
spatio-temporelles différentes. Les baraques
apparaissent sans doute après les déplacements des
communautés roms en Europe occidentale. Les blocs
d’appartements des «zones ghettos» quant à eux, ont
communiste, ils ont subi un processus de ghettoïsation
au cours des vingt dernières années seulement.
Ainsi, concernant les communautés roms de Bucarest,
(dir.), op. cit., p. 62
op. cit., p. 23
56
nous pouvons établir un lien entre les formes d’habitat,
les politiques publiques et les phénomènes migratoires.
Aujourd’hui en Europe, «les politiques nationales
révèlent généralement un rejet des Tsiganes qui ne dit
pas son nom, quand certains mouvements extrémistes
se révèlent, eux, ouvertement anti-Tsiganes. Quoiqu’il
en soit, aucune autre population, aucun autre groupe
ethnique ne fait l’objet d’une politique particulière en
comme une minorité ethnique transnationale à part
entière.»50
Ainsi, puisque les roms sont «visibles mais peu
nombreux» comme le dit Dana Diminescu en
évoquant les migrants roumains, n’est-il pas possible
de fonctionnement des sociétés majoritaires ? Et cela
ne doit-il pas passer tout d’abord par une véritable
intégration spatiale des roms ?
Le regard que j’ai porté sur les roms au cours de mon
bref séjour à Bucarest ne prétend pas apporter des
solutions ou des recommandations à la «question
rom». C’est un constat, sans doute un peu rapide, fait
sur leur situation dans un contexte urbain de leur pays
d’origine.
op. cit., p. 7
57
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