elements picards chez paul claudel (mémoire t.19, histoireaisne.fr)

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SOCIIT8 HISTORIQUE ET ARCHOLOGIQVEDE CHATEAU-THIERRYLe Pays de Paul ClaudelConzmunication de M. Andr LEFEBVRE du 25 Novembre 1972.G Le maniement et emploite des beaux esprits donne prix la langue non pas l'innovant tant, comme la remplissant de plus vigoureux et divers services, l'esiirant et ployant. D Ainsi parle Montaigne, qui fut un de ces beaux esprits l. Pau1,Claudel aussi ; sa langue est un fcond sujet d'tude. Il existe une relation intime entre la terre nourricire et le langage humain. Le langage des hommes est n6 du sillon : il est d'origine rustique. Le vieux peuple des campagnes est l'artisan de notre langue. La Fontaine a trouv son inspiration dans le cadre de son enfance et de sa jeunesse. C'est pourquoi ses fables sont toutes fleuries des fleurs des champs et des bois. On parlait alors autour de Chteau-Thierry une jolie langue qui tait le vrai frangais parl, leste et vigoureux avec un tas de mots originaux. Deux sicles et demi plus tard, et presque au mme endroit, Paul Claudel amassait une telle rserve d'observations qu'il allait, pour ainsi dire, s'en imbiber, sans mme en avoir conscience. C'est dans les premieres uvres, surtout, que l'on trouve ces souvenirs du terroir natal, mais il faut croire qu'ils sont rests bien vivaces dans la m6moire du pote car on les rencontre q et l tout au long de ses pages et jusque dans sa correspondance. La jeune fille Violaine tout entire est ne du village de Villeneuve. Dans la premire version, Bibiane s'exclame : G Mais Bibiane, Z'AGACHE ! Elle est dure comme le fer ! elle est aigre comme la CESSE ! B L'agace ou agasse (en picard : agache) est l'oiseau ordinairement appel6 pie. Nous avons une chanson l-dessus : > Dans sa fable l'Aigle et la Pie, La Fontaine emploie ce mot, qu'il l'agace eut peur ... )> a entendu aussi : Lun des LArtifaille, Quatorze, parlant de son pre : > ( (Le Jardinier et son Seigneur). Cest ainsi que parle Violaine, dans la mme histoire de la pierre prkcieuse, la petite brebis de six mois disant au buf : > Ecoutez maintenant Anne Vercors : ) Le cocassier tait le ramasseur dufs qui parcourait en voiture la campagne et achetait les ufs dans les fermes ; on lappelait aussi coquetier (cocassier vient de coque). > Ainsi sexprime le Vieux des LArtifaille. Guingner, cest guetter dun il sagace. Il faut lire le debut de lacte III pour retrouver, dans le langage de cette famille pitoyable et comique, probablement une bande de (( traneux D, le parler du Tardenois. < Plein de foin dans le SINET >>, ( dit Violaine. Un sinet est un petit grenier fourrage, dans la rgion de Chteau-Thierry. >. baron Turelure : G ... La mre, reprochant Bibiane ses mchancets : > Nwirpiaud, dans notre patois, designe un individu au teint sombre dont lme nest pas toujours tr&s claire non plus. Notre idiome populaire lui a fabriqu hardiment un fminin que Claudel utilise avec dlectation. Dans lAnnonce faite Marie, il faudrait presque tout citer de lacte III, tant il fourmille de mots et dexpressions paysannes encore en usage aujourdhui. < ( ... ctait la plus sale partie avec toutes ses mauvaisets et ces ronces, et le marais n, dit le maire de Chevoche. Les ronces sont les ronces. Lapprenti : > Cest une onomatope faite sur ding dong. On dit badinguer sur les bords de la Marne et badonguer sur les bords de lOurcq. Violaine : Quelquun : u Je connais Son visage, autant que je puis le reconnatre Dans cette rambleur de la demi-nuit. P( (

-8Claudel ne l'avait pas oubli en 1926, et il crit dans Conversations (Richard Wagner) : >. T'ai t surpris de ne pas trouver ce mot dans le dictionnaire lorsque, l'ayant rencontr sous la plume de Claudel, j'ai voulu en vrifier l'orthographe. En effet, je N l'crivais P mentalement rembleur et c'est alors seulement que je me suis aperu qu'il n'avait jamais t imprim. C'est dommage, et l'Acadmie devrait bien l'introduire dans son dictionnaire. Je l'ai pourtant dcouvert depuis, utilise par Frdric Henriet, voquant en Dcembre 1914 l'arrive des Allemands ChteauThierry, le 2 Septembre 1914, et crivant, comme je l'aurais crit ( les moi-mme : i ... sinistres reinbleurs de l'incendie ... >> Cbs : > Rebouler des yeux, c'est regarder de tous c6ts en les carquillant, et sans bouger la tte. L'empereur : > Mettre la table, dans nos campagnes, c'est ce qu'on appelle ailleurs dresser le couvert, et l'on imagine l'motion de C6bs et celle de Tte d'Or, comme aussi la ntre, en entendant cette phrase si simple, mais si pleine de la vie paisible dans la maison familiale. On peut en dire autant de ce mot dans la bouche de Furius (Conversation dans le Loir et Cher - Juillet 1928) : ( ( ...un endroit ... toute la ville se donne rendez-vous la o frache D. C'est l'heure, dit Claudel, quand le travail est achev, celle o les animaux viennent boire, o tous les habitants prouvent le besoin de se rencontrer et de se retrouver. >> Le parler de Villeneuve, on l'entend encore lorsque, dans l'otage, M. Badilon dit : > L'auteur a pris soin d'indiquer par un renvoi : Il prononce broyes. D La premire phrase de Marthe dans l'Echange : >

V I L L E N E U V E - S U R - F R E (Aime). Le Presbytbre, maison natale de Paul Claudel, le 6 aot 1868

V I L L E N E U V E - S U R - F R E (Aisne). Ici fut Ccrit lAnnonce faite Marie.

FRE-EN-TARDENOIS (Aisne). Route de Seringues : Le Grs qui va boire.

-9Et cest en effet toujours ainsi que lon salue ici, le matin, aprs et quelquefois la pluie qui a tout nettoy - la journe la nuit pendant laquelle on verra clair jusqu ce que la nuit arrive de nouveau. Ce nest pas : la journe que lon voit claire. Cest : on voit clair dans la joum6e. Il faut tre du pays pour comprendre cela du premier coup. Gide, charg de limpression de MAGNIFICAT, la 3me des Cinq Grandes Odes, lui crit le 17 Avril 1910 : >, conseille Paul Claudel. (Positions et Propositions - Sur le vers franais). Cest colle-en-bouche, bien entendu. Il sagit dune espce de pte sucre et violemment colore de rouge ou de vert, ayant un peu la consistance de la pte de guimauve. On vendait cela la Foire de Chteau, la Fte Jean et dans les ftes de village. Et, par extension, on appelait ainsi toute nourriture paisse, tel le riz mal cuit. Conversations dans le Loir et Cher : Mardi, Acer : Q ... mme que ce inchuron de suie sur le bout de de votre nez indique autour de vous une industrie dans le brouillard. >> Mchurorz vient de mchurer, barbouiller de noir. Couramment employ6 ici. Samedi, Saint-Maurice : crit-il 5 Pottecher, de Boston, le jeudi 17 Janvier 1894. Il insiste dans son Journal, le 12 Avril 1915 : Le 12 Mai 1944, Claudel assista Lyon une reprsentation de lAnnonce faite Marie donne par la Compagnie du Regain. On peut lire dans les notes quil rdigea cette occasion, esquissant la mise en scne : vocifre Anna dans lHistoire de Tobie et de Sara. Cette faon dcrire, semblable la prononciation locale, nous a permis de donner lexpression un fminin : proparienne. La nymphe Brindosier, dans Prote, sexclame : > Ribouler, cest dgringoler ple-mle. Tentre ans aprs avoir crit Prote, le pote navait pas oubli le verbe ni le substantif quon lui a tranquillement fabriqu. Dans le chapitre de lil coute consacr 1 Jacques Thvenot, il crit : >. En prononant riboule, on entend rouler les unes sur les autres les pommes de terre quand on vide un sac dans la cave, on voit le tas chancelant, sous larbre, des pommes que lon cueille. Dans son Journal, le 30 Novembre 1919, Claudel parle dun vieux prunier auquel il ne reste quune seule reine-glaude. Claudel nignore pas quune reine Claude a donn son nom ce fruit, mais il sait aussi que, probablement, on prononait Glaude comme Crillon crivait son nom Grillon. En tout cas, pour nous de la Galvse, ce prunier est un reine-glaudier. Cest que Claudel se sert des mots non pour lutilit mais pour constituer a un tableau la fois intelligible et ddlectable >>, qui fait natre lmotion, sans quoi la posie ne peut exister.

- 112 Toujours dans le Journal, Claudel note, le 6 AoQt 1953 :