Éléments de sémiologie. roland barthes 1964

Upload: claudio-reichert

Post on 17-Oct-2015

27 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    1/46

    Roland Barthes

    lments de smiologieIn: Communications, 4, 1964. pp. 91-135.

    Citer ce document / Cite this document :

    Barthes Roland. lments de smiologie. In: Communications, 4, 1964. pp. 91-135.

    doi : 10.3406/comm.1964.1029

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1029

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_63http://dx.doi.org/10.3406/comm.1964.1029http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1029http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1029http://dx.doi.org/10.3406/comm.1964.1029http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_63
  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    2/46

    Roland BarthesElments de sm iologie

    Introduction.I. LANGUE ET PAROLE.1.1. En linguistique.1 . 1 . 1 . Chez Saussure.1.1.2. La Langue.1.1.3. La Parole.1.1.4. Dialectique de la Langue et de laParole.1.1.5. Chez Hjelmslev.1.1.6. Problmes.1.1.7. L'idiolecte.1.1.8. Structures doubles.

    2. Perspectives smiologique.2.1. Langue, Parole et scienceshumaines.2.2. Le vtement.2.3. La nourriture.2.4. L'automobile, le mobilier.2.5. Systmes complexes.2.6. Problmes (I) : origine des systmes.1.2.7. Problmes (II : le rapportLangue/Parole.II. SIGNIFIANT ET SIGNIFIII. 1. Le Signe.II. 1.1. La classification des signes.II. 1.2. Le signe linguistique.II. 1.3. Forme et substance.1 1 . 1 . 4 . Le signe smiologique.

    Le Signifi.1. Nature du signifi.2. Classement des signifis linguistiques.3. Les signifis smiologiques.II. 2.II. 2.II. 2,II. 2,II. 3II. 3II. 3

    Le Signifiant.1. Nature du signifiant.2. Classement des signifiants.II. 4. La Signification.II. 4.1. La corrlation significative.

    11. 4. 2. Arbitraire et motivation enlinguistique.11. 4. 3. Arbitraire et motivation ensmiologie.II. 5. La Valeur.11. 5.1. La valeur en linguistique.11. 5. 2. L'articulation.III. SYNTAGME ET SYSTMEIII. 1. Les deux axes du langage.III. 1.1. Rapports syntagmatiques etassociatifs en linguistique.III. 1.2. Mtaphore et Mtonymie chezJakobson.III. 1.3. Perspectives smiologiques.111. 2. Le syntagme.111. 2.1. Syntagme et Parole.111. 2. 2. Le discontinu.111. 2. 3. L'preuve de commutation.111. 2. 4. Les units syntagmatiques.III 2 . 5 . Les contraintes combinatoires.III. 2. 6. Identit et distance des unitssyntagmatiques.111. 3. Le systme.111.3.1. Ressemblance et dissemblance;la diffrence.111. 3. 2. Les oppositions.111. 3. 3. Le classement des oppositions.III 3 . 4 . Les oppositions smiologiques.111. 3. 5. Le binarisme.111. 3. 6. La neutralisation.111. 3. 7. Transgressions.IV. DNOTATION ET CONNOTATIONIV. 1. Les systmes dcrochs.IV. 2. La connotation.IV. 3. Le mta-langage.IV. 4. Connotation et mta-langage.Conclusion : la recherche smiologique.

    91

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    3/46

    Roland Barthes

    INTRODUCTIONLa smiologie restant difier, on conoit qu'il ne puisse exister aucun manuelde cette mthode d'analyse ; bien plus, en raison de son caractre extensif (puisqu elle sera la science de tous les systmes de signes), la smiologie ne pourra tretraite didactiquement que lorsque ces systmes auront t reconstitus empiriquement. Cependant, pour mener pas pas ce travail, il est ncessaire de disposerd'un certain savoir. Cercle vicieux dont il faut sortir par une information prparatoire qui ne peut tre la fois que timide et tmraire : timide parce que lesavoir smiologique ne peut tre actuellement qu'une copie du savoir linguistique ;tmraire parce que ce savoir doit dj s'appliquer, du moins en projet, desobjets non-linguistiques.Les Elments qui sont prsents ici n'ont d'autre but que de dgager de lalinguistique des concepts analytiques x dont on pense a priori qu'ils sont suf

    fisamment gnraux pour permettre d'amorcer la recherche smiologique. En lesrassemblant, on ne prjuge pas s'ils subsisteront intacts au cours de la recherche ;ni si la smiologie devra toujours suivre troitement le modle linguistique2.On se contente de proposer et d'clairer une terminologie, en souhaitant qu'ellepermette d'introduire un ordre initial (mme s'il est provisoire) dans la massehtroclite des faits signifiants : il s'agit en somme ici d'un principe de classementdes questions.On groupera donc ces Elments de smiologie sous quatre grandes rubriques,issues de la linguistique structurale : I. Langue et Parole ; II. Signifi et Signifiant III. Systme et Syntagme ; IV. Dnotation et Connotation. On le voit, cesrubriques se prsentent sous une forme dichotomique ; on notera que le classement binaire des concepts semble frquent dans la pense structurale 3, commesi le mta-langage du linguiste reproduisait en abyme la structure binairedu systme qu'il dcrit ; et l'on indiquera, en passant, qu'il serait sans doutetrs instructif d'tudier la prminence du classement binaire dans le discoursdes sciences humaines contemporaines : la taxinomie de ces sciences, si elle taitbien connue, renseignerait certainement sur ce que l'on pourrait appeler l'imaginaire intellectuel de notre poque.

    I. LANGUE ET PAROLE.1.1. En linguistique.1.1.1. Le concept (dichotomique) de Langue [Parole est central chez Saussureet a certainement constitu une grande nouveaut par rapport la linguistique

    1. Un concept, assurment, n'est pas une chose, mais ce n'est pas non plus seulementla conscience d'un concept. Un concept est un outil et une histoire, c'est--dire un faisceaude possibilits et d'obstacles engag dans un monde vcu. (G. G. Granger : Mthodologieconomique, p. 23).2. Danger soulign par Cl. Lvi-Strauss [Anthropologie structurale, p. 58).3. Ce trait a t not (avec suspicion) par M. Cohen (c Linguistique moderne et idalisme , in : Recherches intern., mai 1958, n 7).92

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    4/46

    lments de smiologieantrieure, proccupe de chercher les causes du changement historique dansles glissements de prononciation, les associations spontanes et l'action de l analogie, et qui tait, par consquent, une linguistique de l'acte individuel. Pourlaborer cette dichotomie clbre, Saussure est parti de la nature multiformeet htroclite du langage, qui se rvle premire vue comme une ralitinclassable 1, dont on ne peut dgager l'unit, puisqu'elle participe la fois duphysique, du physiologique et du psychique, de l'individuel et du social ; or cedsordre cesse, si, de ce tout htroclite, on abstrait un pur objet social, ensemblesystmatique des conventions ncessaires la communication, indiffrent lamatire des signaux qui le composent, et qui est la langue, en face de quoi laparole recouvre la partie purement individuelle du langage (phonation, ralisation des rgles et combinaisons contingentes de signes).1.1.2. La Langue, c'est donc, si l'on veut, le langage moins la Parole : c'est lafois une institution sociale et un systme de valeurs. Comme institution sociale,elle n'est nullement un acte, elle chappe toute prmditation ; c'est la partiesociale du langage ; l'individu ne peut lui seul, ni la crer, ni la modifier ; elleest essentiellement un contrat collectif, auquel, si l'on veut communiquer, ilfaut se soumettre en bloc ; de plus, ce produit social est autonome, la faond'un jeu, qui a ses rgles, car on ne peut le manier qu' la suite d'un apprentissage. Comme systme de valeurs, la Langue est constitue par un certainnombre d'lments dont chacun est la fois un valant-pour et le terme d'unefonction plus large o prennent place, diffrentiellement, d'autres valeurs corrlatives : du point de vue de la langue, le signe est comme une pice de monnaie * :cette pice vaut pour un certain bien qu'elle permet d'acheter, mais aussi ellevaut par rapport d'autres pices, de valeur plus forte ou plus faible. L'aspectinstitutionnel et l'aspect systmatique sont videmment lis : c'est parce que lalangue est un systme de valeurs contractuelles (en partie arbitraires, ou, pourtre plus exact, immotives) qu'elle rsiste aux modifications de l individu seulet que par consquent elle est une institution sociale.1.1.3. Face la langue, institution et systme, la Parole est essentiellementun acte individuel de slection et d'actualisation ; elle est constitue d'abordpar les combinaisons grce auxquelles le sujet parlant peut utiliser le code de lalangue en vue d'exprimer sa pense personnelle (on pourrait appeler discourscette parole tendue), et ensuite par les mcanismes psycho-physiques qui luipermettent d'extrioriser ces combinaisons ; il est certain que la phonation, parexemple, ne peut tre confondue avec la Langue : ni l'institution ni le systmene sont altrs si l'individu qui y recourt parle voix haute ou voix basse,selon un dbit lent ou rapide, etc. L'aspect combinatoire de la Parole est videmmentapital, car il implique que la Parole est constitue par le retour de signesidentiques : c'est parce que les signes se rptent d'un discours l'autre et dansun mme discours (quoique combins selon la diversit infinie des paroles) quechaque signe devient un lment de la Langue ; et c'est parce que la Parole estessentiellement une combinatoire qu'elle correspond un acte individuel et non une cration pure.

    1. On notera que la premire dfinition de la langue est d'ordre taxinomique : c'estun principe de classement.2. Cf. infra, II, 5, 1.93

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    5/46

    Roland Barthes1.1.4. Langue et Parole : chacun de ces deux termes ne tire videmment sapleine dfinition que du procs dialectique qui unit l'un et l'autre : pas de languesans parole, et pas de parole en dehors de la langue : c'est dans cet change quese situe la vritable praxis linguistique, comme l'a indiqu Maurice Merleau-Ponty. La Langue, dit aussi Y. Brondal1, est une entit purement abstraite,une norme suprieure aux individus, un ensemble de types essentiels, que ralisela parole de faon infiniment variable . Langue et Parole sont donc dans unrapport de comprhension rciproque ; d'une part, la Langue est le trsor dpospar la pratique de la Parole dans les sujets appartenant une mme communaut ,et, parce qu'elle est une somme collective d'empreintes individuelles, elle ne peuttre qu'incomplte au niveau de chaque individu isol : la Langue n existe parfaitement que dans la masse parlante ; on ne peut manier une parole que si onla prlve dans la langue ; mais d'autre part, la langue n'est possible qu' partirde la parole : historiquement, les faits de parole prcdent toujours les faits delangue (c'est la parole qui fait voluer la langue), et gntiquement, la langue seconstitue dans l individu par l'apprentissage de la parole qui l'entoure (onn'enseigne pas la grammaire et le vocabulaire, c'est--dire en gros la langue,aux bbs). En somme, la Langue est la fois le produit et l'instrument de laparole : il s'agit donc bien d'une vritable dialectique. On notera (fait importantlorsque l'on passera aux perspectives smiologiques) qu'il ne saurait y avoir(du moins pour Saussure) une linguistique de la Parole, puisque toute parole,ds lors qu'elle est saisie comme procs de communication, est dj de la langue :il n'y a de science que de la Langue. Ceci carte d'emble deux questions : il estinutile de se demander s'il faut tudier la parole avant la langue : l'alternativeest impossible : on ne peut qu'tudier tout de suite la parole dans ce qu'elle a delinguistique (de glottique ) ; il est tout aussi inutile de se demander d'abordcomment sparer la langue et la parole : ce n'est pas l une dmarche pralable,mais bien au contraire l essence mme de l investigation linguistique (et plustard smiologique) : sparer la langue de la parole, c'est du mme coup tablir leprocs du sens.1.1.5. Hjelmslev a n'a pas boulevers la conception saussurienne de la Langue/Parole, mais il en a redistribu les termes d'une faon plus formelle. Dans lalangue elle-mme (qui reste toujours oppose l'acte de parole), Hjelmslev distingue trois plans : 1) le schma, qui est la langue comme forme pure (Hjelmslev ahsit donner ce plan le nom de systme , pattern ou charpente ) :c'est la langue saussurienne, au sens rigoureux du terme ; ce sera, par exemple,le r franais, dfini phonologiquement par sa place dans une srie d'oppositions ;2) la norme, qui est la langue comme forme matrielle, dj dfinie par unecertaine ralisation sociale, mais encore indpendante du dtail de cette manifestation : ce sera le r du franais oral, quelle qu'en soit la prononciation (maisnon celui du franais crit) ; 3) Yusage, qui est la langue comme ensemble d'habitudesd'une socit donne : ce sera le r de certaines rgions. Entre parole, usage,norme et schma, les rapports de dtermination sont varis : la norme dterminel'usage et la parole ; l'usage dtermine la parole mais aussi est dtermin par elle ;

    1. Acta Linguistica, I, 1, p. 5.2. L. Hjelmslev : Essais linguistiques, Copenhague, 1959, p. 69 sq.94

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    6/46

    lments de smiologiele schma est dtermin la fois par la parole, l'usage et la norme ; on voit ainsiapparatre (en fait) deux plans fondamentaux : 1) le schma, dont la thorie seconfond avec la thorie de la forme x et de l'institution ; 2) le groupe NormeUsage-Parole, dont la thorie se confond avec la thorie de la substance * et del'excution ; comme selon Hjelmslev la norme est une pure abstractionde mthode et la parole une simple concrtisation ( un document passager ),on retrouve, pour finir, une nouvelle dichotomie, Schma Usage, qui se substitueau couple Langue Parole. Le remaniement hjelmslevien n'est cependant pasindiffrent : il formalise radicalement le concept de Langue (sous le nom deschma) et limine la parole concrte au profit d'un concept plus social, Y usage :formalisation de la langue, socialisation de la parole, ce mouvement permetde faire passer tout le positif et le substantiel du ct de la parole, tout lediffrentiel du ct de la langue, ce qui a pour avantage, comme on va le voir l'instant, de lever l'une des contradictions poses par la distinction saussuriennede la Langue et de la Parole.I.i.6. Quelle qu'en soit la richesse, quel qu'en soit le profit, cette distinctionne va pas, en effet, sans poser quelques problmes. On en indiquera ici trois.Le premier est celui-ci : peut-on identifier la langue avec le code et la parole avecle message ? Cette identification est impossible selon la thorie h elmslevienne ;P. Guiraud la refuse, car, dit-il, les conventions du code sont explicites et cellesde la langue sont implicites8, mais elle est certainement acceptable dans laperspective saussurienne, et A. Martinet la prend son compte 4. On peut poserun problme analogue en s'interrogeant sur les rapports de la parole et du syn-tagme 5 ; la parole, on l'a vu, peut tre dfinie, outre les amplitudes de phonation,comme une combinaison (varie) de signes (rcurrents) ; cependant, au niveaude la langue elle-mme, il existe dj certains syntagmes figs (Saussure citeun mot compos comme magnanimus) ; le seuil qui spare la langue de la parolepeut donc tre fragile, puisqu'il est ici constitu par un certain degr de combinaison ; voici ds lors introduite l'analyse des syntagmes figs, de naturecependant linguistique (glottique), puisqu'ils s'offrent en bloc la variationparadigmatique (Hjelmslev appelle cette analyse la morpho-syntaxe) ; Saussureavait not ce phnomne de passage : II y a aussi probablement toute une sriede phrases qui appartiennent la langue, que l'individu n'a plus combiner lui-mme 6. Si ces strotypes appartiennent la langue, et non plus la parole,et s'il est avr que de nombreux systmes smiologiques en font grand usage,c'est donc une vritable linguistique du syntagme, qu'il faut prvoir, ncessairepour toutes les critures fortement strotypes. Enfin le troisime problmequ'on indiquera ici concerne les rapports de la langue et de la pertinence (c'est--dire de l lment proprement signifiant de l'unit) ; on a quelquefois (et Trou-betskoy lui-mme) identifi la pertinence et la langue, rejetant ainsi hors de la

    1. Cf. infra, II, 1, 3.2. Cf. infra, II, 1, 3.3. t La mcanique de l'analyse quantitative en linguistique , in : tudes de linguistique pplique, 2, Didier, p. 37.4. A. Martinet : lments de Linguistique gnrale, Armand Colin, 1960, p. 30.5. Cf. infra, sur le syntagme, ch. m.6. Saussure, in : R. Godel : Les sources manuscrites du Cours de Linguistique gnrale,Droz, Minard, 1957, p. 90.95

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    7/46

    Roland Bartheslangue, tous les traits non-pertinents, c'est--dire les variantes combinatoires ;cette identification fait cependant problme, car il existe des variantes combinatoiresrelevant donc, premire vue, de la parole) qui sont nanmoins imposes,c'est--dire arbitraires : en franais, il est impos par la langue que le l soitsourd aprs une sourde [oncle) et sonore aprs une sonore {ongle), sans que cesfaits cessent d'appartenir la simple phontique (et non la phonologie) ; onvoit la consquence thorique : faut-il admettre que contrairement l'affirmationde Saussure ( dans la langue il n'y a que des diffrences ), ce qui n'est pas diff-renciatif puisse tout de mme appartenir la langue ( l'institution) ? Martinetle pense ; Frei tente d'pargner Saussure la contradiction en localisant lesdiffrences dans des sub-phonmes : p ne serait pas, en soi, diffrentiel, maisseulement, en lui, les traits consonantique, occlusif, sourd, labial, etc. Ce n'estpas le lieu, ici, de prendre parti sur ces problmes ; d'un point de vue smiolo-gique, on en retiendra la ncessit d'accepter l'existence de syntagmes et devariations non-signifiantes qui soient cependant glottiques , c'est--dire quiappartiennent la langue ; cette linguistique, peu prvue par Saussure, peutprendre une grande importance partout o rgnent les syntagmes figs (ou strotypes), ce qui est sans doute le cas des langages de masse, et chaque fois que desvariations non-signifiantes forment un corps de signifiants seconds ce qui est lecas des langages forte connotation l : le r roul est une simple variation combi-natoire au niveau de la dnotation, mais dans le langage de thtre, par exemple,il affiche l'accent paysan et participe par consquent un code, sans lequel lemessage de ruralit ne pourrait tre mis ni peru.1.1.7. Pour en terminer avec Langue/Parole en linguistique, on indiquera icideux concepts annexes, mis jour depuis Saussure. Le premier est celui d'idiolecte . L'idiolecte, c'est le langage en tant qu'il est parl par un seul individu (Martinet), ou encore le jeu entier des habitudes d'un seul individu un momentdonn (Ebeling). Jabokson a contest l'intrt de cette notion : le langage esttoujours socialis, mme au niveau individuel, car en parlant quelqu'un onessaye toujours plus ou moins de parler son langage, notamment son vocabulaire( la proprit prive, dans le domaine du langage, a n'existe pas ) : l'idiolecteserait donc une notion largement illusoire. On retiendra pourtant que l'idiolectepeut utilement servir dsigner les ralits suivantes : 1) le langage de l aphasique ui ne comprend pas autrui, ne reoit pas un message conforme ses propres modles verbaux, ce langage tant alors un idiolecte pur ; (Jakobson) ;2) le style d'un crivain, encore que le style soit toujours imprgn de certainsmodles verbaux issus de la tradition, c'est--dire de la collectivit ; 3) on peutenfin franchement largir la notion et dfinir l'idiolecte comme le langage d'unecommunaut linguistique, c'est--dire d'un groupe de personnes interprtantde la mme faon tous les noncs linguistiques ; l'idiolecte correspondrait alors peu prs ce qu'on a tent de dcrire ailleurs sous le nom d'criture 3. D'une

    1. Cf. infra, ch. iv.2. R. Jakobson : Deux aspects du langage... in : Essais de Linguistique gnrale,d. de Minuit, 1963, p. 54. C. L. Ebeling : Linguistic units, Mouton, La Haye,1960, p. 9. A. Martinet : A functional view of language, Oxford, Clarendon Press,1962, p. 105.3. Le Degr Zro de l'criture, Seuil, 1953.96

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    8/46

    lments de smiologiemanire gnrale, les ttonnements dont tmoigne le concept d'idiolecte ne fontque traduire le besoin d'une entit intermdiaire entre la parole et la langue(comme le prouvait dj la thorie de l'usage, chez Hjelmslev), ou, si l'on prfre,d'une parole dj institutionnalise, m ais non encore radicalement formalisable,comme l'est la langue.1.1.8. Si l'on accepte d'identifier Langue Parole et Code/Message, il faut mentionner ici un second concept annexe, que Jakobson a labor sous le nom destructures doubles {duplex structures) ; on n'y insistera gure, car l'expos deJakobson a t repris dans ses Essais de Linguistique Gnrale (ch. 9). On indiquera seulement que sous le nom de structures doubles, Jakobson tudie certainscas particuliers du rapport gnral Code/Message : deux cas de circularit et deuxcas de chevauchement (overlapping) : 1) discours rapports ou messages l intrieur d'un message (M/M) : c'est le cas gnral des styles indirects ; 2) nomspropres : le nom signifie toute personne qui ce nom est assign, et la circularitdu code est vidente (C/C) : Jean signifie une personne nomme Jean ; 3) cas d'au-tonymie ( Rat est une syllabe ) : le mot est ici employ comme sa propre dsignation, le message chevauche le code (M/C) ; cette structure est importante,car elle recouvre les interprtations lucidantes , c'est--dire les circonlocutions,synonymes et traductions d'une langue une autre ; 4) les shifters (ou embra-yeurs ) constituent sans doute la structure double la plus intressante ; l'exemplele plus accessible du shifter est donn par le pronom personnel (Je, tu), symboleindiciel qui runit en lui le lien conventionnel et le lien existentiel : Je ne peuten effet reprsenter son objet que par une rgle conventionnelle (qui fait que Jedevient ego en latin, ich en allemand, etc.), mais d'autre part, en dsignant leprofrant, il ne peut que se rapporter existentiellement la profration (C/M) ;Jakobson rappelle que les pronoms personnels ont pass longtemps pour lacouche la plus primitive du langage (Humboldt), mais que, selon lui, il s'agit aucontraire d'un rapport complexe et adulte du Code et du Message : les pronomspersonnels constituent la dernire acquisition du langage enfantin et la premireperte de l'aphasie : ce sont des termes de transfert difficiles manier. La thoriedes shifters semble encore peu exploite ; il est pourtant, a priori, trs fcondd'observer, si l'on peut dire, le code aux prises avec le message (l'inverse tantbeaucoup plus banal) ; peut-tre (ce n'est l qu'une hypothse de travail), est-cedu ct des shifters, qui sont, comme on l'a vu, des symboles indiciels, selon laterminologie de Peirce, qu'il faudrait chercher la dfinition smiologique desmessages qui se situent aux frontires du langage, notamment de certaines formesdu discours littraire.

    1.2. Perspectives smiologiques.1.2.1. La porte sociologique du concept LanguejParole est vidente. On asoulign trs tt l'affinit manifeste de la Langue saussurienne et de la conceptiondurkheimienne de la conscience collective, indpendante de ses manifestationsindividuelles ; on a mme postul une influence directe de Durkheim sur Saussure;Saussure aurait suivi de prs le dbat entre Durkheim et Tarde ; sa conceptionde la Langue viendrait de Durkheim et sa conception de la Parole serait une

    97

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    9/46

    Roland Barthetmanire de concession aux ides de Tarde sur l'individuel *. Cette hypothse aperdu de son actualit parce que la linguistique a surtout dvelopp, dans l'idede langue saussurienne, l'aspect de systme de valeurs , ce qui a conduit accepter la ncessit d'une analyse immanente de l'institution linguistique :immanence qui rpugne la recherche sociologique. Ce n'est donc pas, paradoxalement, du ct de la sociologie, que l'on trouvera le meilleur dveloppementde la notion LanguejParole ; c'est du ct de la philosophie, avec Merleau-Ponty,qui est probablement l'un des premiers philosophes franais s'tre intress Saussure, soit qu'il ait repris la distinction saussurienne sous forme d'uneopposition entre parole parlante (intention significative l'tat naissant) et paroleparle ( fortune acquise par la langue, qui rappelle bien le trsor de Saussure) 2,soit qu'il ait largi la notion en postulant que tout procs prsuppose un systme 3 : ainsi s'est labore une opposition dsormais classique entre vnementet structure *, dont on connat la fcondit en Histoire 5. La notion saussuriennea eu aussi, on le sait, un grand dveloppement du ct de l anthropologie ; larfrence Saussure est trop explicite dans toute l uvre de Cl. Lvi-Strauss,pour qu'il soit ncessaire d'y insister ; on rappelera seulement que l'oppositiondu procs et du systme (de la Parole et de la Langue) se retrouve concrtementdans le passage de la communication des femmes aux structures de la parent ;que pour Lvi-Strauss l'opposition a une valeur pistmologique : l'tude desfaits de langue relve de l'interprtation mcaniste (au sens lvi-straussien,c'est--dire par opposition au statistique) et structurale, et celle des faits deparole, du calcul des probabilits (macro-linguistique) 6 ; enfin que le caractreinconscient de la langue chez ceux qui y puisent leur parole, postul explicitementar Saussure 7, se retrouve dans l'une des positions les plus originales etles plus fcondes de Cl. Lvi-Strauss, savoir que ce ne sont pas les contenusqui sont inconscients (critique des arch-types de Jung), mais les formes, c'est--dire la fonction symbolique : ide proche de celle de Lacan, pour qui le dsir lui-mme est articul comme un systme de significations, ce qui entrane ou devraentraner dcrire d'une faon nouvelle l'imaginaire collectif, non par ses thmes , comme on l'a fait jusqu' prsent, mais par ses formes et ses fonctions ;disons plus grossirement, mais plus clairement : par ses signifiants plus que parses signifis. On voit par ces indications sommaires combien la notion LanguejParole est riche de dveloppements extra-ou mta-linguistiques. On postuleradonc qu'il existe une catgorie gnrale Langue (Parole, extensive tous lessystmes de signification ; faute de mieux, on gardera ici les termes de Langue

    1. W. Doroszewski : Langue et Parole , Odbitka z Prac Filologicznych, XLV, Varsovie, 1930, pp. 485-97.2. M. Merleau-Ponty, Phnomnologie de la Perception, 1945, p. 229.3. M. Merleau-Ponty, loge de la Philosophie, Gallimard, 1953.4. G. Granger, vnement et structure dans les sciences de l'homme , Cahiersde l'Inst. de science conomique applique, n 55, mai 1957.5. Voir F. Braudel : Histoire et sciences sociales : la longue dure , in : Annales,oct.-dc. 1958.6. Anthropologie structurale, p. 230, et c Les mathmatiques de l'homme , in : Esprit,oct. 1956.7. c II n'y a amais de prmditation, ni mme de mditation, de rflexion sur les formes,en dehors de l'acte, de l'occasion de la parole, sauf une activit inconsciente, non cratrice :l'activit de classement . (Saussure, in : R. Godel, op. cit., p. 58).98

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    10/46

    lments de smiologieet de Parole, mme s'ils s'appliquent des communications dont la substancen'est pas verbale.1.2.2. On a vu que la sparation de la Langue et de la Parole constituait l essentiel de l'analyse linguistique ; il serait donc vain de proposer d'emble cettesparation pour des systmes d'objets, d images ou de comportements qui n'ontpas encore t tudis d'un point de vue smantique. On peut seulement, pourquelques-uns de ces systmes supposs, prvoir que certaines classes de faitsappartiendront la catgorie Langue et d'autres la catgorie Parole, en disanttout de suite que, dans ce passage smiologique, la distinction saussuriennerisque de subir des modifications, qu'il s'agira prcisment de noter. Prenonsle vtement, par exemple ; il faut sans doute distinguer ici trois systmes diffrents, selon la substance engage dans la communication. Dans le vtementcrit, c'est--dire dcrit par un journal de Mode l'aide du langage articul,il n'y a pour ainsi dire pas de parole : le vtement qui est dcrit ne correspond amais une excution individuelle des rgles de la Mode, c'est un ensemblesystmatique de signes et de rgles : c'est une Langue l'tat pur. Selon le schmasaussurien, une langue sans parole serait impossible ; ce qui rend le fait acceptable ici, c'est d'une part que la langue de Mode n'mane pas de la masse parlante , mais d'un groupe de dcision, qui labore volontairement le code, etd'autre part que l'abstraction inhrente toute Langue est ici matrialisesous forme du langage crit : le vtement de mode (crit) est Langue au niveaude la communication vestimentaire et Parole au niveau de la communicationverbale. Dans le vtement photographi (en supposant pour simplifier qu'il n'estpas doubl par une description verbale), la Langue est toujours issue du fashion-group mais elle n'est dj plus donne dans son abstraction, car le vtementphotographi est toujours port par une femme individuelle ; ce qui est donnpar la photographie de mode, c'est un tat semi-systmatique du vtement ;car d'une part, la Langue de mode doit tre ici infre d'un vtement pseudo-rel ; et d'autre part, la porteuse du vtement (le mannequin photographi) est,si l'on peut dire, un individu normatif, choisi en fonction de sa gnralit canonique, et qui reprsente par consquent une parole fige, dpourvue de toutelibert combinatoire. Enfin, dans le vtement port (ou rel), comme l'avaitsuggr Troubetskoy *, on retrouve la distinction classique de la Langue et de laParole ; la Langue vestimentaire est constitue : 1) par les oppositions de pices,empicements ou dtails dont la variation entrane un changement du sens(porter un bret ou un chapeau-melon n'a pas le mme sens) ; 2) par les rglesqui prsident l'association des pices entre elles, soit le long du corps, soit enpaisseur ; la Parole vestimentaire comprend tous les faits de fabrication anomi-que (il n'en subsiste plus gure dans notre socit) ou de port individuel (tailledu vtement, degr de propret, d'usure, manies personnelles, associations libresde pices) ; quant la dialectique qui unit ici le costume (Langue) et l'habillement(Parole), elle ne ressemble pas celle du langage ; certes l'habillement est toujours puis dans le costume (sauf dans le cas de l'excentricit, qui d'ailleurs a,elle aussi, ses signes), mais le costume, du moins aujourd hui, prcde l habillement,uisqu'il vient de la confection , c'est--dire d'un groupe minoritaire(quoique plus anonyme que dans le cas de la Haute Couture)

    1. Principes de Phonologie (trad. J. Cantineau), p. 19.99

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    11/46

    Roland Barthes1.2.3. Prenons maintenant un autre systme de signification : la nourriture.On y retrouvera sans peine la distinction saussurienne. La Langue alimentaireest constitue : 1) par les rgles d'exclusion (tabous alimentaires) ; 2) par lesoppositions signifiantes d'units qui restent dterminer (du type, par exemple :sal/sucr) ; 3) par les rgles d'association, soit simultane (au niveau d'un mets),soit successive (au niveau d'un menu) ; 4) par les protocoles d'usage, quifonctionnent peut-tre comme une sorte de rhtorique alimentaire. Quant la parole alimentaire, fort riche, elle comprend toutes les variations personnelles(ou familiales) de prparation et d'association, (on pourrait considrer la cuisined'une famille, soumise un certain nombre d'habitudes, comme un idiolecte).Le menu, par exemple, illustre trs bien le jeu de la Langue et de la Parole : toutmenu est constitu par rfrence une structure (nationale ou rgionale etsociale), mais cette structure est remplie diffremment selon les jours et lesusagers, tout comme une forme linguistique est remplie par les libres variationset combinaisons dont un locuteur a besoin pour un message particulier. Lerapport de la Langue et de la Parole serait ici assez proche de celui qu'on trouvedans le langage : c'est, en gros, l'usage, c'est--dire une sorte de sdimentationdes paroles, qui fait la langue alimentaire ; toutefois les faits de novation individuelle (recettes inventes) peuvent y acqurir une valeur institutionnelle ; cequi manque, en tout cas, et contrairement au systme du vtement, c'est l'actiond'un groupe de dcision : la langue alimentaire se constitue seulement partird'un usage largement collectif ou d'une parole purement individuelle.1.2.4. Pour en finir, d'ailleurs arbitrairement, avec les perspectives de ladistinction Langue /Parole, on donnera encore quelques suggestions concernantdeux systmes d'objets, certes trs diffrents, mais qui ont ceci de commun, dedpendre tous deux d'un groupe de dcision (de fabrication) : l'automobile et lemobilier. Dans l'automobile, la langue est constitue par un ensemble deformes et de dtails , dont la structure s'tablit diffrentiellement en comparantes prototypes entre eux (indpendamment du nombre de leurs copies ) ;la parole est trs rduite, car, standing gal, la libert de choix du modle estextrmement troite : elle ne peut jouer que sur deux ou trois modles, et l intrieur d'un modle sur la couleur ou la garniture ; mais peut-tre faudrait-il icitransformer la notion d'objet automobile en notion de fait automobile ; on retrouverait alors dans la conduite automobile les variations d'usage de l'objet quiconstituent d'ordinaire le plan de la parole ; l'usager ne peut en effet, ici, agirdirectement sur le modle pour en combiner les units ; sa libert d'excutionporte sur un usage dvelopp dans le temps et l'intrieur duquel les formes issues de la langue doivent, pour s'actualiser, passer par le relais de certaines pratiques. Enfin, dernier systme dont on voudrait dire un mot, le mobilier constitue,lui aussi, un objet smantique ; la langue est forme la fois par les oppositionsde meubles fonctionnellement identiques (deux types d'armoires, deux types delits, etc.) et dont chacun, selon son style renvoie un sens diffrent, et par lesrgles d'association des units diffrentes au niveau de la pice ( ameublement) ; la parole est ici forme, soit par les variations insignifiantes quel'usager peut apporter une unit (en bricolant, par exemple, un lment), soitpar les liberts d'association des meubles entre eux.100

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    12/46

    lments de smiologie1.2.5. Les systmes les plus intressants, ceux du moins qui relvent de lasociologie des communications de masse, sont des systmes complexes, danslesquels sont engages des substances diffrentes ; dans le cinma, la tlvisionet la publicit, les sens sont tributaires d'un concours d'images, de sons et de graphismes ; il est donc prmatur de fixer, pour ces systmes, la classe des faits delangue et celle des faits de parole, d'une part tant qu'on n'a pas dcid si la langue de chacun de ces systmes complexes est originale ou seulementcompose des langues subsidiaires qui y participent, et d'autre part tant que ceslangues subsidiaires n'ont pas t analyses (nous connaissons la langue linguistique mais nous ignorons la langue des images ou celle de la musique).Quant la Presse, que l'on peut raisonnablement considrer comme un systmede signification autonome, mme en se bornant ses lments crits, nousignorons encore presque tout d'un phnomne linguistique qui semble y avoirun rle capital : la connotation, c'est--dire le dveloppement d'un systme desens seconds, parasite, si l'on peut dire, de la langue proprement dite * ; cesystme second est lui aussi une langue , par rapport laquelle se dveloppentdes faits de parole, des idiolectes et des structures doubles. Pour ces systmescomplexes ou connotes (les deux caractres ne sont pas exclusifs), il n'est doncplus possible de prdterminer, mme d'une faon globale et hypothtique, laclasse des faits de langue et celle des faits de parole.1.2.6. L'extension smiologique de la notion Langue Parole ne va pas sans posercertains problmes, qui concident videmment avec les points o le modlelinguistique ne peut plus tre suivi et doit tre amnag. Le premier problmeconcerne l'origine du systme, c'est--dire la dialectique mme de la langue etde la parole. Dans le langage, rien n'entre dans la langue, qui n'ait t essay parla parole, mais inversement, aucune parole n'est possible (c'est--dire ne rpond sa fonction de communication) si elle n'est prleve dans le trsor de lalangue. Ce mouvement est encore, du moins partiellement, celui d'un systmecomme la nourriture, encore que les faits individuels de novation y puissentdevenir des faits de langue ; mais pour la plupart des autres systmes smiolo-giques, la langue est labore, non par la masse parlante , mais par un groupede dcision ; en ce sens, on peut dire que dans la plupart des langues smiolo-giques, le signe est vritablement arbitraire 2, puisqu'il est fond d'une faonartificielle par une dcision unilatrale ; il s'agit en somme de langages fabriqus,de logo-techniques ; l'usager suit ces langages, prlve en eux des messages(des paroles ), mais ne participe pas leur laboration ; le groupe de dcisionqui est l'origine du systme (et de ses changements) peut tre plus ou moinstroit ; ce peut tre une technocratie hautement qualifie (Mode, Automobile) ;ce peut tre aussi un groupe plus diffus, plus anonyme (art du mobilier courant,moyenne confection). Si cependant ce caractre artificiel n'altre pas la natureinstitutionnelle de la communication et prserve une certaine dialectique entre lesystme et l'usage, c'est que d'une part, pour tre subi, le contrat signifiantn'en est pas moins observ par la masse des usagers (sinon, l'usager est marqupar une certaine asocialit : il ne peut plus communiquer que son excentricit),et que d'autre part les langues labores par dcision ne sont pas entirement

    1. Cf. infra, ch. iv.2. Cf. infra, II, 4, 3.101

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    13/46

    Roland Bartheslibres ( arbitraires ) ; elles subissent la dtermination de la collectivit, aumoins par les voies suivantes : 1) lorsque naissent des besoins nouveaux, conscutifs au dveloppement des socits (passage un vtement semi-europendans les pays de l'Afrique contemporaine, naissance de nouveaux protocolesd'alimentation rapide dans les socits industrielles et urbaines) ; 2) lorsque desimpratifs conomiques dterminent la disparition ou la promotion de certainsmatriaux (tissus artificiels) ; 3) lorsque l idologie limite l'invention des formes,la soumet des tabous et rduit en quelque sorte les marges du normal . D'unemanire plus large, on peut dire que les elaborations du groupe de dcision,c'est--dire les logotechniques, ne sont elles-mmes que les termes d'une fonctiontoujours plus gnrale, qui est l'imaginaire collectif de l'poque : la novationindividuelle est ainsi transcende par une dtermination sociologique (de groupesrestreints) et ces dterminations sociologiques renvoient leur tour un sensfinal, de nature anthropologique.1.2.7. Le second problme pos par l extension smiologique de la notionLangue Parole porte sur le rapport de volume que l'on peut tablir entre les langues et leurs paroles . Dans le langage, il y a une trs grande disproportionentre la langue, ensemble fini de rgles, et les paroles qui viennent se logersous ces rgles et sont en nombre pratiquement infini. On peut prsumer qu'unsystme comme la nourriture prsente encore un cart important de volumes,puisqu' l'intrieur des formes culinaires, les modalits et les combinaisonsd'excution restent en nombre lev ; mais on a vu que dans des systmes commel automobile ou le mobilier, l'amplitude des variations combinatoires et desassociations libres est faible : il y a peu de marge du moins reconnue par l inst itut ion elle-mme entre le modle et son excution : ce sont des systmeso la parole est pauvre ; dans un systme particulier comme la Mode crite,cette parole est mme peu prs nulle, en sorte qu'on a affaire ici, paradoxalement,une langue sans parole (ce qui, on l'a vu, n'est possible que parce quecette langue est soutenue par la parole linguistique). Il n empche que s'il estvrai qu'il existe des langues sans paroles ou parole trs pauvre, il faudrancessairement rviser la thorie saussurienne qui veut que la langue ne soitqu'un systme de diffrences (auquel cas, tant entirement ngative , elleest insaisissable hors de la parole), et complter le couple Langue/Parole par untroisime lment, pr-signifiant, matire ou substance, et qui serait le support(ncessaire) de la signification : dans une expression comme une robe longue oucourte , la robe n'est que le support d'un variant [long/court) qui, lui, appartientpleinement la langue vestimentaire : distinction qui est inconnue du langage,o le son tant considr comme immdiatement signifiant, on ne peut le dcomposer n un lment inerte et un lment smantique. On serait ainsi amen reconnatre dans les systmes smiologiques (non-linguistiques) trois plans(et non deux) : le plan de la matire, celui de la langue et celui de l'usage ; cecipermet videmment de rendre compte des systmes sans excution , puisquele premier lment assure la matrialit de la langue ; amnagement d'autantplus plausible qu'il s'explique gntiquement : si dans ces systmes, la langue abesoin de matire (et non plus de parole ), c'est qu'ils ont en gnral uneorigine utilitaire, et non signifiante, contrairement au langage humain.

    102

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    14/46

    lments de smiologie

    II. SIGNIFI ET SIGNIFIANT.II. 1. Le signe.II. 1.1. Le signifi et le signifiant sont, dans la terminologie saussurienne, lescomposants du signe. Or ce terme de signe, prsent dans des vocabulaires trsdiffrents (de la thologie la mdecine) et dont l'histoire est trs riche (del'vangile l la cyberntique), ce terme est par l-mme trs ambigu ; aussi,avant d'en revenir l'acception saussurienne, il faut dire un mot du champnotionnel o il occupe une place, d'ailleurs, comme on va le voir, flottante.Signe s'insre en effet, au gr des auteurs, dans une srie de termes affinitaires etdissemblables : signal, indice, icne, symbole, allgorie sont les principaux rivauxdu signe. Posons d'abord l'lment commun tous ces termes : ils renvoient tousncessairement une relation entre deux relata 2 ; ce trait ne saurait donc distinguer aucun des termes de la srie ; pour retrouver une variation de sens, ilfaut recourir d'autres traits, que l'on donnera ici sous forme d'une alternative(prsence /absence) : 1) la relation implique, ou n'implique pas, la reprsentationpsychique de l'un des relata ; 2) la relation implique ou n implique pas une analogie entre les relata ; 3) la liaison entre les deux relata (le stimulus et sa rponse)est immdiate ou ne l'est pas ; 4) les relata concident exactement, ou au contraire, l'un dborde l'autre ; 5) la relation implique ou n'implique pas un rapport existentiel avec celui qui en use 3. Selon que ces traits sont positifs ou ngatifs marqus ou non marqus), chaque terme du champ se diffrencie de sesvoisins ; il faut ajouter que la distribution du champ varie d'un auteur l'autre,ce qui entrane des contradictions terminologiques ; on cernera facilement cescontradictions en donnant le tableau de rencontre des traits et des termes travers quatre auteurs diffrents : Hegel, Peirce, Jung et Wallon (la rfrence certains traits, qu'ils soient marqus ou non marqus, peut tre absente chezcertains auteurs) :

    1. J. P. Charmer : c La notion de signe (orjuelov) dans le IV vangile , Rev. dessciences philos, et thol, 1959, 43, n 3, 434-48.2. Ce qu'a exprim trs clairement Saint Augustin : Un signe est une chose qui,outre l'espce ingre par les sens, fait venir d'elle-mme la pense quelque autre chose .3. Cf. les shifters et symboles indiciels, supra, I, 1, 8.103

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    15/46

    Roland Barthes

    1. Reprsentation2. Analogie

    3. Imm-diatet4. Adquation

    5. Existen-tialit

    signalWaUon

    Wallon+

    Wallon+

    indiceWallon

    WaUon

    WallonPeirce+

    icne

    Peirce+

    symboleWallon+

    Hegel +Wallon +Peirce

    Hegel Jung WaUon

    PeirceJung +

    signeWaUon+

    Hegel Wallon

    Hegel +Jung 4-WaUon +

    allgorie

    Jung

    On voit que la contradiction terminologique porte essentiellement sur indice(pour Peirce, l'indice est existentiel, pour Wallon il ne l'est pas) et sur symbole(pour Hegel et Wallon, il y a un rapport d'analogie ou de motivation entre les deux relata du symbole, mais non pour Peirce ; de plus, pour Peirce,le symbole n'est pas existentiel, il l'est pour Jung. Mais on voit aussi que ces-contradictions lisibles ici verticalement s'expliquent trs bien, ou mieux :se compensent par des translations de termes au niveau d'un mme auteur translations lisibles ici horizontalement : par exemple, le symbole est analogiquechez Hegel par opposition au signe, qui ne l'est pas ; et s'il ne l'est pas chezPeirce, c'est parce que l'icne peut recueillir le trait. Ceci veut dire, pour rsumeret pour parler en termes smiologiques, ce qui est l'intrt de cette brve tudea en abyme , que les mots du champ ne prennent leur sens que par oppositionles uns aux autres (d'ordinaire par couple) et que si ces oppositions sont sauvegardes, le sens est sans ambigut ; notamment signal et indice, symbole et signesont les fonctifs de deux fonctions diffrentes, qui peuvent elles-mmes entreren opposition gnrale, comme chez Wallon, dont la terminologie est la plucomplte et la plus claire *, icne et allgorie restant confins au vocabulaire dePeirce et de Jung. On dira donc, avec Wallon, que le signal et Yindice formentun groupe de relata dpourvus de reprsentation psychique, tandis que dans legroupe adverse, symbole et signe, cette reprsentation existe ; qu'en outre lesignal est immdiat et existentiel, face Yindice qui ne l'est pas (il n'est qu'unetrace) ; qu'enfin, dans le symbole, la reprsentation est analogique et inadquate(le christianisme dborde la croix), face au signe, dans lequel la relation est

    1. H. Wallon : De l'acte la pense, 1942, pp. 175-250.104

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    16/46

    lments de smiologieimmotive et exacte (pas d'analogie entre le mot buf et l'image buf, qui estparfaitement recouverte par son relatum.)1 1.1.2. En linguistique, la notion de signe ne provoque pas de comptition entredes termes voisins. Pour dsigner la relation signifiante, Saussure a tout de suitelimin symbole (parce que le terme comportait une ide de motivation) au profitde signe, dfini comme l'union d'un signifiant et d'un signifi ( la faon du rectoet du verso d'une feuille de papier), ou encore d'une image acoustique et d'unconcept. Jusqu' ce que Saussure trouvt les mots de signifiant et de signifi,signe est pourtant rest ambigu car il avait tendance se confondre avec le seulsignifiant, ce que Saussure voulait viter tout prix ; aprs avoir hsit entresme et sme, forme et ide, image et concept, Saussure s'est arrt signifiantet signifi, dont l'union forme le signe ; proposition capitale et laquelle il fauttoujours revenir car on a tendance prendre signe pour signifiant, alors qu'ils'agit d'une ralit bi-face ; la consquence (importante) est que, du moins pourSaussure, Hjelmslev et Frei, les signifis faisant partie des signes, la smantiquedoit faire partie de la linguistique structurale, tandis que pour les mcanistesamricains, les signifis sont des substances qui doivent tre expulses de lalinguistique et diriges vers la psychologie. Depuis Saussure, la thorie du signelinguistique s'est enrichie du principe de la double articulation, dont Martineta montr l'importance, au point d'en faire le critre dfinitonnel du langage :parmi les signes linguistiques, il faut en effet sparer les units significatives,dont chacune est doue d'un sens (les mots , ou pour tre plus exact, les monmes ) et qui forment la premire articulation, des units distinctwes, quiparticipent la forme mais n'ont pas directement un sens (les sons ou pluttles phonmes), et qui constituent la seconde articulation ; c'est la double articulation qui rend compte de l conomie du langage humain ; elle constitue eneffet une sorte de dmultiplication puissante qui fait, par exemple, que l'Espagnold Amrique, avec seulement 21 units distinctives peut produire 100 000 unitssignificatives.1 1.1.3. Le signe est donc compos d'un signifiant et d'un signifi. Le plan dessignifiants constitue le plan d'expression et celui des signifis le plan de contenu. Dans chacun de ces deux plans, Hjelmslev a introduit une distinction quipeut tre importante pour l'tude du signe smiologique (et non plus seulementlinguistique) ; chaque plan comporte en effet, pour Hjelmslev, deux strata :la forme et la substance ; il faut insister sur la nouvelle dfinition de ces deuxtermes, car chacun a un lourd pass lexical. La forme, c'est ce qui peut tredcrit exhaustivement, simplement et avec cohrence (critres pistmologiques)par la linguistique, sans recourir aucune prmisse extralinguistique ; la substance, c'est l'ensemble des aspects des phnomnes linguistiques qui ne peuventtre dcrits sans recourir des prmisses extra-linguistiques. Puisque ces deuxstrata se retrouvent dans le plan de l'expression et dans le plan du contenu,on aura donc : 1) une substance de l'expression : par exemple, ]a substancephonique, articulatoire, non fonctionnelle, dont s'occupe la phontique etnon la phonologie ; 2) une forme de l'expression, constitue par les rgles para-digmatiques et syntaxiques (on notera qu'une mme forme peut avoir deuxsubstances diffrentes, l'une phonique, l'autre graphique) ; 3) une substancedu contenu : ce sont, par exemple, les aspects motifs, idologiques ou simplement

    105

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    17/46

    Roland Barthesnotionnels du signifi, son sens positif ; 4) une forme du contenu : c'est l'organisation formelle des signifis entre eux, par absence ou prsence d'une marquesmantique l ; cette dernire notion est dlicate saisir, en raison de l'impossibilit nous sommes, devant le langage humain, de sparer les signifis dessignifiants ; mais par l-mme, la subdivision formel substance peut redevenirutile et facile manier, en smiologie, dans les cas suivants : 1) lorsque nousnous trouvons devant un systme o les signifis sont substantifis dans uneautre substance que celle de leur propre systme (c est, on l'a vu, le cas de laMode crite) ; 2) lorsqu'un systme d'objets comporte une substance qui n'estpas immdiatement et fonctionnellement signifiante, mais peut tre, un certainniveau, simplement utilitaire : tel mets sert signifier une situation mais aussi se nourrir.II.1.4. Ceci permet peut-tre de prvoir la nature du signe smiologique parrapport au signe linguistique. Le signe smiologique est lui aussi, comme sonmodle, compos d'un signifiant et d'un signifi (la couleur d'un feu, par exemple,est un ordre de circulation, dans le code routier), mais il s'en spare au niveaude ses substances. Beaucoup de systmes smiologiques (objets, gestes, images 2)ont une substance de l'expression dont l'tre n'est pas dans la signification :ce sont souvent des objets d'usage, drivs par la socit des fins de signification :le vtement sert se protger, la nourriture sert se nourrir, quand bien mmeils servent aussi signifier. On proposera d'appeler ce signes smiologiques, d'origineutilitaire, fonctionnelle, des fonctions-signes. La fonction-signe est le tmoind'un double mouvement qu'il faut analyser. Dans un premier temps (cette dcomposition est purement opratoire et n'implique pas une temporalit relle), lafonction se pntre de sens ; cette smantisation est fatale : ds qu'il y a socit,tout usage est converti en signe de cet usage : l'usage du manteau de pluie est deprotger contre la pluie, mais cet usage est indissociable du signe mme d'unecertaine situation atmosphrique ; notre socit ne produisant que des objetsstandardiss, normaliss, ces objets sont fatalement les excutions d'un modle,les paroles d'une langue, les substances d'une forme signifiante ; pour retrouverun objet insignifiant, il faudrait imaginer un ustensile absolument improviset qui ne se rapproche en rien d'un modle existant (Cl. Lvi-Strauss a montrcombien la bricole est elle-mme recherche d'un sens) : hypothse peu prsirralisable dans toute socit. Cette smantisation universelle des usages estcapitale : elle traduit le fait qu'il n'y a de rel qu'intelligible et devrait amener confondre finalement sociologie et socio-logique 3. Mais le signe une fois constitu, la socit peut trs bien le re-fonctionnaliser, en parler comme d'un objetd'usage : on traitera d'un manteau de fourrure comme s'il ne servait qu' seprotger du froid ; cette fonctionnalisation rcurrente, qui a besoin d'un langagesecond pour exister, n'est nullement la mme que la premire fonctionnalisation(d'ailleurs purement idale) : la fonction qui est re-prsente, elle, correspond

    1. Quoique trs rudimentaire, l'analyse donne ici, supra, II, 1, 1, concerne la formedes signifis c signe , symbole , indice , signal .2. A vrai dire, le cas de l'image devrait tre rserv, car l'image est tout de Suite communicante , sinon signifiante.3. Ci. R. Barthes : A propos de deux ouvrages rcents de Cl. Lvi-Strauss : Sociologie et Socio-Logique , in : Information sur les sciences sociales (Unesco), Vol. 1, n 4,dc. 1962, 114-22.106

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    18/46

    lments de smiologieune seconde institution smantique (dguise), qui est de l'ordre de la connotation. La fonction-signe a donc probablement une valeur anthropologique,puisqu'elle est l'unit mme o se nouent les rapports du technique et du signifiant.II.2. Le Signifi.11.2.1. En linguistique, la nature du signifi a donn lieu des discussions quiont surtout port sur son degr de ralit ; toutes s'accordent cependant pourinsister sur le fait que le signifi n'est pas une chose , mais une reprsentationpsychique de la chose ; on a vu que dans la dfinition du signe par Wallon, cecaractre reprsentatif constituait un trait pertinent du signe et du symbole(par opposition l'indice et au signal) ; Saussure lui-mme a bien marqu lanature psychique du signifi en l'appelant concept : le signifi du mot buf n'estpas l'animal buf, mais son image psychique (ceci sera important pour suivre ladiscussion sur la nature du signe 1). Ces discussions restent cependant empreintesde psychologisme ; on prfrera peut-tre suivre l'analyse des Stociens a ; ceux-ci distinguaient soigneusement la avracia \ornx.r\ (la reprsentation psychique),le Turvavov (la chose relle) et le Xextov (le dicible ) ; le signifi n'est ni laavrama, ni le xuyyavov, mais bien le Xexxov ; ni acte de conscience ni ralit,le signifi ne peut tre dfini qu' l'intrieur du procs de signification, d'unemanire quasi-tautologique : c'est ce quelque chose que celui qui emploie lesigne entend par lui. On en revient ainsi justement une dfinition purementfonctionnelle : le signifi est l'un des deux relata du signe ; la seule diffrence quil'oppose au signifiant, est que celui-ci est un mdiateur. La situation ne sauraittre pour l'essentiel diffrente en smiologie, o objets, images, gestes, etc., pourautant qu'ils soient signifiants, renvoient quelque chose qui n'est dicible qu'travers eux, cette circonstance prs que le signifi smiologique peut tre prisen charge par les signes de la langue ; on dira, par exemple, que tel sweatersignifie les longues promenades d'automne dans les bois ; dans ce cas, le signifin'est pas seulement mdiatis par son signifiant vestimentaire (le sweater), maisaussi par un fragment de parole (ce qui est un grand avantage pour le manier) ;on pourrait donner le nom d'isologie au phnomne par lequel la langue colle d'une faon indiscernable et indissociable ses signifiants et ses signifis, de faon rserver le cas des systmes non-isologues (systmes fatalement complexes),o le signifi peut tre simplement juxtapos son signifiant.1 1.2.2. Comment classer les signifis ? On sait qu'en smiologie, cette oprationest fondamentale, puisqu'elle revient dgager la forme du contenu. En ce quiconcerne les signifis linguistiques, on peut concevoir deux sortes de classements ;le premier est externe, il fait appel au contenu positif (et non purement diffrentiel des concepts : c'est le cas des groupements mthodiques de Hallig etWartburg 3, et d'une faon plus convaincante, des champs notionnels de Trier

    1. Cf. infra, II, 4, 2.2. Discussion reprise par : Borgeaud, Brcker et Lohmann, in : Acta linguistica,III, 1, 27.3. R. Hallig et W. ton Wartburg : Begriffssystem als Grundlage fiir die Lexicographie, Berlin, Akademie Veriag, 1952, 4, XXV, 140 p.107

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    19/46

    Roland Bartheset des champs lexicologiques de Mator * ; mais d'un point de vue structural, cesclassements (surtout ceux de Hallig et Wartburg) ont le dfaut de porter encoretrop sur la substance (idologique) de signifis, non sur leur forme. Pour arriver tablir un classement vraiment formel, il faudrait arriver reconstituer desoppositions de signifis et dgager dans chacune d'elles un trait pertinent(commutable) 2 ; cette mthode a t prconise par Hjelmslev, Srensen, Prietoet Greimas ; Hjelmslev, par exemple, dcompose un monme comme jument en deux units de sens plus petites : cheval femelle , units qui peuventcommuter et servir reconstituer par consquent des monnes nouveaux ( porc -f- femelle = truie , cheval mle = talon) ; Prieto voit dansfir deux traits commutables : homo -|- masculus ; Srensen rduit le lexiquede la parent une combinaison de primitifs ( pre = parent mle, parent = ascendant au premier degr). Aucune de ces analyses n'a encore t dveloppe. 3 II faut enfin rappeler que pour certains linguistes, les signifis ne fontpas partie de la linguistique, qui n'a s'occuper que des signifiants, et que leclassement smantique est hors des tches de la linguistique 4.1 1.2.3. La linguistique structurale, si avance soit-elle, n'a pas encore difiune smantique, c'est--dire un classement des formes du signifi verbal. Onimagine donc sans peine qu'on ne puisse actuellement proposer un classementdes signifis smiologiques, sauf recourir des champs notionnels connus. Onrisquera seulement trois remarques. La premire concerne le mode d'actualisationdes signifis smiologiques ; ceux-ci peuvent se prsenter d'une faon isologiqueou non ; dans le second cas, ils sont pris en charge, travers le langage, articul,soit par un mot (week-end), soit par un groupe de mots (longues promenades la campagne) ; ils sont ds lors plus faciles manier, puisque l analyste n'est pasoblig de leur imposer son propre mtalangage, mais aussi plus dangereux, puisqu'ils ramnent sans cesse au classement smantique de la langue elle-mme(d'ailleurs inconnu), et non un classement qui aurait son fondement dans lesystme observ ; les signifis du vtement de Mode, mme s'ils sont mdiatisspar la parole du journal, ne se distribuent pas forcment comme les signifisde la langue, puisqu'aussi bien ils n'ont pas toujours la mme longueur (iciun mot, l une phrase) ; dans le premier cas, celui des systmes isologiques, lesignifi n'a d'autre matrialisation que son signifiant typique ; on ne peut doncle manier qu'en lui imposant un mtalangage ; on interrogera par exemple dessujets sur la signification qu'ils attribuent un morceau de musique, en leursoumettant une liste de signifis verbaliss (angoiss, orageux, sombre, tourment,etc.) 5 ; alors qu'en ralit tous ces signes verbaux forment un seul signifi musical,qu'on ne devrait dsigner que par un chiffre unique, qui n'impliquerait aucundcoupage verbal ni aucun monnayage mtaphorique. Ces mtalangages, venusici de l analyste et l du systme lui-mme, sont sans doute invitables, et c'est

    1. On trouvera la bibliographie de Trier et de Mator dans : P. Guiraud : La Smantique,P.U.F. (t Que sais-je ), p. 70 sq.2. C'est ce qu'on a tent de faire ici pour signe et symbole (supra, II, 1, 1).3. Exemples donns par G. Mounin : Les analyses smantiques , in : Cahier* deVingt, de science conomique applique, mars 1962, n 123.4. Il serait bon d'adopter dornavant la distinction propose par . J. Grbimas :smantique = se rapportant au contenu ; smiologique = se rapportant l'expression.5. Cf. R. Frances : La perception de la musique, Vrin, 1958, 3e partie.108

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    20/46

    lments de smiologiece qui rend encore problmatique l'analyse des signifis ou analyse idologique ;il faudra du moins en situer thoriquement la place dans le projet smiologique.La seconde remarque concerne l extension des signifis smiologiques ; l'ensembledes signifis d'un systme (une fois formalis) constitue une grande fonction ;or il est probable que d'un systme l'autre, les grandes fonctions smantiquesnon seulement communiquent entre elles, mais encore se recouvrent partiellementla forme des signifis du vtement est sans doute en partie la mme quecelle des signifis du systme alimentaire, articules toutes deux sur la grandeopposition du travail et de la fte, de l'activit et du loisir ; il faut donc prvoirune description idologique totale, commune tous les systmes d'une mmesynchronie. Enfin ce sera la troisime remarque on peut considrer qu'chaque systme de signifiants (lexiques) correspond sur le plan des signifis uncorps de pratiques et de techniques ; ces corps de signifis impliquent de la partdes consommateurs de systmes (c'est--dire des lecteurs ) des savoirs diffrents (selon des diffrences de culture ), ce qui explique qu'une mme lexie(ou grande unit de lecture) puisse tre dchiffre diffremment selon les individus, sans cesser d'appartenir une certaine langue ; plusieurs lexiques et partant plusieurs corps de signifis peuvent coexister dans un mme individu, dterminant en chacun des lectures plus ou moins profondes .II.3. Le Signifiant.1 1.3.1. La nature du signifiant suggre, en gros, les mmes remarques quecelle du signifi : c'est un pur relatum, on ne peut sparer sa dfinition de celledu signifi. La seule diffrence, c'est que le signifiant est un mdiateur : la matirelui est ncessaire ; mais d'une part elle ne lui est pas suffisante, et d'autre part,en smiologie, le signifi peut tre lui aussi relay par une certaine matire : celledes mots. Cette matrialit du signifiant oblige une fois de plus bien distinguermatire et substance : la substance peut tre immatrielle (dans le cas de la substance du contenu) ; on peut donc dire seulement que la substance du signifiantest toujours matrielle (sons, objets, images). En smiologie, o l'on aura affaire des systmes mixtes engageant des matires diffrentes (son et image, objetet criture, etc.), il serait bon de runir tous les signes, en tant qu'ils sont portspar une seule et mme matire, sous le concept de signe typique : le signe verbal,le signe graphique, le signe iconique, le signe gestuel formeraient chacun un signetypique.1 1.3.2. Le classement des signifiants n'est autre que la structuration proprementdite du systme. Il s'agit de dcouper le message sans fin constitu par lnsemble des messages mis au niveau du corpus tudi, en units signifiantesminimales l'aide de l'preuve de commutation 1, de grouper ces units en classesparadigmatiques et de classer les relations syntagmatiques qui relient ces units.Ces oprations constituent une part importante de l'entreprise smiologiquedont il sera trait au chapitre m ; on ne les cite ici que pour mmoire 2.

    1. Cf. infra, III, 2, 3.2. Cf. infra, ch. ni (Systme et syntagme).109

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    21/46

    Roland Barthe

    II.4. La Signification.1 1.4.1. Le signe est une tranche (bi-face) de sonorit, de visualit, etc. Lasignification peut tre conue comme un procs ; c'est l'acte qui unit le signifiantet le signifi, acte dont le produit est le signe. Cette distinction n'a, bien entendu,qu'une valeur classificatrice (et non phnomnologique) : d'abord parce quel'union du signifiant et du signifi, comme on le verra, n'puise pas l'acte smantique, e signe valant aussi par ses entours ; ensuite, parce que, sans doute, l'espritne procde pas, pour signifier, par conjonction, mais comme on le verra, pardcoupage * : au vrai, la signification (semiosis) n'unit pas des tres unilatraux,elle ne rapproche pas deux termes, pour la bonne raison que le signifiant et lesignifi sont, chacun la fois, terme et rapport 2. Cette ambigut embarrassela reprsentation graphique de la signification, pourtant ncessaire au discourssmiologique. Sur ce point, on notera les tentatives suivantes.

    SaI) ;. Chez Saussure, le signe se prsente, dmonstrativement, comme l'x-06tension verticale d'une situation profonde : dans la langue, le signifi est en quelque orte derrire le signifiant et ne peut tre atteint qu' travers lui, encore queces mtaphores, trop spatiales, manquent d'une part la nature dialectique de lasignification et que d'autre part la clture du signe ne soit acceptable que pourles systmes franchement discontinus, comme la langue.2). E R C. Hjelmslev a prfr une reprsentation purement graphique : il y arelation (R) entre le plan d'expression (E) et le plan de contenu (C). Cette formulepermet de rendre compte conomiquement et sans falsification mtaphoriquedes mta-langages ou systmes dcrochs : E R (ERC). *3). . Lacan, repris par Laplanche et Leclaire 4, utilise un graphisme spatialissqui se distingue pourtant de la reprsentation saussurienne sur deux points :1) le signifiant (S) est global, constitu par une chane niveaux multiples (chanemtaphorique) : signifiant et signifi sont dans un rapport flottant et ne concident que par certains points d'ancrage ; 2) la barre de sparation entre lesignifiant (S) et le signifi (s) a une valeur propre (qu'elle n'avait videmmentpas chez Saussure) : elle reprsente le refoulement du signifi.4). 5a s Se. Enfin, dans les systmes non-isologues, (c'est--dire dans lesquelsles signifis sont matrialiss travers un autre systme), il est videmmentlicite d'tendre la relation sous forme d'une quivalence (=), mais non d'uneidentit (=).1 1.4.2. On a vu que tout ce que l'on pouvait dire du signifiant, c'est qu'il taitun mdiateur (matriel) du signifi. De quelle nature est cette mdiation ? Enlinguistique, ce problme a donn lieu discussion : discussion surtout termino-

    1. Cf. infra, IL 5, 2.2. Cf. R. Ortigues : Le discours et le symbole, Aubier, (1962).3. Cf. infra, ch. iv.4. J. Laplanche et S. Leclaire : L'inconscient , in : Temps Modernes, n 183,juillet 1963, p. 81 sq.110

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    22/46

    lments de smiologielogique, car sur le fond les choses sont assez claires (elles ne le seront peut-trepas autant en smiologie). Partant du fait que dans le langage humain, le choixdes sons ne nous est pas impos par le sens lui-mme (le buf n'oblige en rien auson buf, puisqu' aussi bien ce son est diffrent dans d'autres langues), Saussureavait parl d'un rapport arbitraire entre le signifiant et le signifi. Benveniste acontest le mot * ; ce qui est arbitraire, c'est le rapport du signifiant et de la chose signifie (du son buf et de l'animal buf) ; mais on l'a vu, pour Saussurelui-mme, le signifi n'est pas la chose , mais la reprsentation psychique de lachose (concept) ; l'association du son et de la reprsentation est le fruit d'undressage collectif (par exemple de l apprentissage de la langue franaise) ; cetteassociation qui est la signification n'est nullement arbitraire (aucun Franais 'est libre de la modifier), mais bien au contraire ncessaire. On a doncpropos de dire qu'en linguistique la signification est immotive ; c'est une immotivation d'ailleurs partielle (Saussure parle d'une analogie relative) : du signifiau signifiant, il y a une certaine motivation dans le cas (restreint) des onomatopes, comme on va le voir l'instant, et chaque fois qu'une srie de signesest tablie par la langue par imitation d'un certain prototype de compositionou de derivation : c'est le cas des signes dits proportionnels : pommier, poirier,abricotier, etc., une fois l' mmotivation de leur radical et de leur suffixe tablie,prsentent une analogie de composition. On dira donc d'une manire gnraleque dans la langue le lien du signifiant et du signifi est contractuel dans sonprincipe, mais que ce contrat est collectif, inscrit dans une temporalit longue(Saussure dit que la langue est toujours un hritage ), et par consquent enquelque sorte naturalis ; de la mme faon, Cl. Lvi-Strauss prcise que le signelinguistique est arbitraire a-priori mais non arbitraire a-posteriori. Cette discussion incline prvoir deux termes diffrents, utiles lors de l extension smio-logique : on dira qu'un systme est arbitraire lorsque ses signes sont fondsnon par contrat mais par dcision unilatrale : dans la langue le signe n'est pasarbitraire mais il l'est dans la Mode ; et qu'un signe est motiv lorsque la relationde son signifi et de son signifiant est analogique (Buyssens a propos pour lessignes motivs : smes intrinsques, et pour les signes immotivs : smes extrinsques) ; on pourra donc avoir des systmes arbitraires et motivs ; d'autres,non-arbitraires et immotivs.1 1.4.3. En linguistique, la motivation est circonscrite au plan partiel de ladrivation ou de la composition ; elle posera au contraire la smiologie desproblmes plus gnraux. D'une part il est possible que, hors la langue, on trouvedes systmes largement motivs, et il faudra alors tablir la faon dont l'analogieest compatible avec le discontinu qui semble jusqu' prsent ncessaire lasignification ; et ensuite comment peuvent s'tablir des sries paradigmatiques(donc termes peu nombreux et finis), lorsque les signifiants sont des analoga :ce sera sans doute le cas des images , dont la smiologie, pour ces raisons, estloin d'tre tablie ; d'autre part, il est infiniment probable que l'inventaire smio-logique rvlera l'existence de systmes impurs, comportant ou des motivationstrs lches ou des motivations pntres, si l'on peut dire, d'immotivationssecondaires, comme si, souvent, le signe s'offrait une sorte de conflit entre lemotiv et l'immotiv ; c'est dj un peu le cas de la zone la plus motive de la

    1. E. Benveniste : Nature du signe linguistique , Ada linguistica, I, 1939.111

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    23/46

    Roland Bartheslangue, la zone des onomatopes ; Martinet a not * que la motivation onoma-topque s'accompagnait d'une perte de la double articulation [ae, qui relveseulement de la seconde articulation, remplace le syntagme doublement articul :a me fait mal) ; cependant l'onomatope de la douleur n'est pas exactement lamme en franais (ae) et en danois (au), par exemple ; c'est qu'en fait la motivation se soumet ici en quelque sorte des modles phonologiques, videmmentdiffrents selon les langues : il y a imprgnation de l'analogique par le digital.Hors la langue, les systmes problmatiques, comme le langage des abeilles,offrent la mme ambigut : les rondes de butin ont une valeur vaguementanalogique ; la danse sur la planche d'envol est franchement motive (orientation du butin), mais la danse frtillante en forme de 8 est tout fait immotive(elle renvoie une distance) 2. Enfin, dernier exemple de ces flous s , certainesmarques de fabrique utilises par la publicit sont constitues par des figuresparfaitement abstraites (non-analogiques) ; elles peuvent cependant dgager une certaine impression (par exemple, la puissance ), qui est dans unrapport affinitaire avec le signifi : la marque Berliet (un rond lourdement flch),ne copie en rien la puissance comment d'ailleurs < copier la puissance ? mais cependant la suggre par une analogie latente ; on retrouverait la mmeambigut dans les signes de certaines critures idographiques (le chinois, parexemple). La rencontre de l'analogique et du non-analogique parait donc indiscutable, au sein mme d'un systme unique. Cependant, la smiologie ne pourrase contenter d'une description qui reconnatrait le compromis sans chercher lesystmatiser, car elle ne peut admettre un diffrentiel continu, le sens, commeon le verra, tant articulation. Ces problmes n'ont pas encore t tudis endtail et l'on ne saurait en donner une vue gnrale. L'conomie anthropologique de la signification, cependant, se devine : dans la langue, par exemple,la motivation (relative) introduit un certain ordre au niveau de la premirearticulation (significative) : le contrat est donc ici soutenu par une certainenaturalisation de cet arbitraire a-priorique dont parle Cl. Lvi-Strauss ; d'autressystmes, au contraire, peuvent aller de la motivation l'immotivation : parexemple, le jeu des figurines rituelles d'initiation des Senoufo, cit par Cl. Lvi-Strauss dans la Pense Sauvage. Il est donc probable qu'au niveau de la smiologie a plus gnrale, d'ordre anthropologique, il s'tablit une sorte de circularitentre l'analogique et l'immotiv : il y a double tendance (complmentaire) naturaliser l'immotiv et intellectualiser le motiv (c'est--dire le culturaliser).Enfin, certains auteurs assurent que le digitalisme lui-mme, qui est le rival del'analogique, sous sa forme pure, le binarisme, est lui-mme une reproduction de certains processus physiologiques, s'il est vrai que la vue et l'oue fonctionnenten dfinitive par slections alternatives 4.

    1. A. Martinet : conomie des changements phontiques, Francke, 1955, 5, 6.2. Cf. G. Mounin : Communication linguistique humaine et communication non-linguistique animale >, in : Temps Modernes, avril-mai 1960.3. Autre exemple : le code routier.4. Cf. infra, III, 3, 5.112

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    24/46

    lments de smiologie

    II.5. La Valeur.1 1.5.1. On a dit, ou du moins laiss entendre, que c tait une abstraction assezarbitraire (mais invitable) que de traiter du signe en soi , comme seule uniondu signifiant et du signifi. Il faut, pour finir, aborder le signe, non plus par sa composition , mais par ses entours : c'est le problme de la valeur. Saussuren'a pas vu tout de suite l'importance de cette notion, mais ds le second Coursde Linguistique gnrale, il lui a accord une rflexion toujours plus aigu, et lavaleur est devenue chez lui un concept essentiel, plus important finalement quecelui de signification (qu'il ne recouvre pas). La valeur a un rapport troit avec lanotion de langue (oppose parole) ; elle amne d-psychologiser la linguistiqueet la rapprocher de l'conomie ; elle est donc centrale en linguistique structurale.Dans la plupart des sciences, observe Saussure 1, il n'y a pas de dualit entre ladiachronie et la synchronie : l'astronomie est une science synchronique (bien queles astres changent) ; la gologie est une science diachronique (bien qu'elle puissetudier des tats fixes) ; l'histoire est surtout diachronique (succession d'vnements), bien qu'elle puisse s'arrter certains tableaux 2. Il y a pourtantune science ou cette dualit s'impose parts gales : l'conomie (l'conomiepolitique se distingue de l'histoire conomique) ; il en est de mme, poursuitSaussure, pour la linguistique ; c'est que dans les deux cas, on a affaire unsystme d'quivalence entre deux choses diffrentes : un travail et un salaire, unsignifiant et un signifi (c'est l le phnomne que nous avons appel jusqu'prsent signification) ; cependant, aussi bien en linguistique qu'en conomie,cette quivalence n'est pas solitaire, car si l'on change l'un de ses termes, deproche en proche tout le systme change. Pour qu'il y ait signe (ou valeur conomique) il faut donc d'une part pouvoir changer des choses dissemblables(un travail et un salaire, un signifiant et un signifi), et d'autre part comparerdes choses similaires entre elles : on peut changer un billet de 5 F. contre dupain, du savon ou du cinma, mais aussi on peut comparer ce billet avec desbillets de 10 F, de 50 F. etc. ; de mme un mot peut tre chang contre uneide (c'est--dire du dissemblable) mais il peut tre compar avec d'autres mots (c'est--dire du similiaire) : en anglais, mutton ne tire sa valeur que desa coexistence avec sheep ; le sens n'est vraiment fix qu' l issue de cette doubledtermination : signification et valeur. La valeur n'est donc pas la signification ;elle provient, dit Saussure 3, de la situation rciproque des pices de la langue ;elle est mme plus importante que la signification : ce qu'il y a d'ide ou dematire phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dansles autres signes * : phrase prophtique, si l'on songe qu'elle fondait dj l'homo-logie lvi-straussienne et le principe des taxinomies. Ayant ainsi bien distingu,

    1. Saussure, Cours de Linguistique Gnrale, p. 115.2. Faut-il rappeler que depuis Saussure, l'Histoire a, elle aussi, dcouvert l'importance es structures synchroniques ? conomie, linguistique, ethnologie et histoireforment actuellement un quadrivium de sciences-pilotes.3. Saussure, in : R. Godel, op. cit., p. 90.4. Ib., p. 166. Saussure pense videmment la comparaison des signes, non sur leplan de la succession syntagmatique, mais sur celui des rserves virtuelles paradigma-tiques, ou champs associatifs.113

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    25/46

    Roland Barthesavec Saussure, signification et valeur, on voit tout de suite que si l'on reprendles strata de Hjelmslev (substance et forme), la signification participe de la substance du contenu et la valeur de sa forme (mutton et sheep sont dans un rapportparadigmatique, en tant que signifis, et non bien entendu en tant que signifiants).1 1.5.2. Pour rendre compte du double phnomne de signification et de valeurSaussure usait de l'image d'une feuille de papier : en la dcoupant, on obtientd'une part divers morceaux (A, B, C), dont chacun a une valeur par rapport ses voisins, et d'autre part chacun de ces morceaux a un recto et un verso,qui ont t dcoups en mme temps (A-A', B-B', C-'C) : c'est la signification. Cetteimage est prcieuse, car elle amne concevoir la production du sens d'une faonoriginale, non plus comme la seule corrlation d'un signifiant et d'un signifi,mais peut-tre plus essentiellement comme un acte de dcoupage simultan de deuxmasses amorphes, de deux royaumes flottants , comme dit Saussure ; Saussureimagine en effet qu' l'origine (toute thorique) du sens, les ides et les sonsforment deux masses flottantes, labiles, continues et parallles, de substances ;le sens intervient lorsqu on dcoupe en mme temps, d'un seul coup, ces deuxmasses : les signes (ainsi produits) sont donc des articuli ; entre ces deux chaos,le sens est donc un ordre, mais cet ordre est essentiellement division : la langueest un objet intermdiaire entre le son et la pense : elle consiste unir Vun etVautre en les dcomposant simultanment ; et Saussure avance une nouvelleimage : signifi et signifiant sont comme deux nappes superposes, l'une d'airet l'autre d'eau ; lorsque la pression atmosphrique change, la nappe d'eau estdivise en vagues : de la mme faon, le signifiant est divis en articuli. Cesimages, aussi bien celle de la feuille de papier que celle des vagues, permettentd'insister sur un fait capital (pour la suite des analyses smiologiques) : la langueest le domaine des articulations, et le sens est avant tout dcoupage. Il s'ensuitque la tche future de la smiologie est beaucoup moins d'tablir des lexiquesd'objets que de retrouver les articulations que les hommes font subir au rel ; ondira utopiquement que smiologie et taxinomie, bien qu'elles ne soient pas encorenes, sont peut-tre appeles s absorber un jour dans une science nouvelle,l'arthrologie ou science des partages.

    III. SYNTAGME ET SYSTMEIII.1. Les deux axes du langage.III.l.l. Pour Saussure x les rapports qui unissent les termes linguistiquespeuvent se dvelopper sur deux plans, dont chacun engendre ses valeurs propres ;ces deux plans correspondent deux formes d'activit mentale (cette gnralisation sera reprise par Jakobson). Le premier plan est celui des syntagmes ;le syntagme est une combinaison de signes, qui a pour support l'tendue ; dans

    1. Saussure : Cours de linguistique gnrale, p. 170 sq.114

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    26/46

    lments de smiologiele langage articul, cette tendue est linaire et irrversible (c'est la chaneparle ) : deux lments ne peuvent tre prononcs en mme temps (re-tire,contre tous, la vie humaine) : chaque terme tire ici sa valeur de son opposition cequi prcde et ce qui suit ; dans la chane de paroles, les termes sont unis rellement in praesentia ; l'activit analytique qui s'applique au syntagme est ledcoupage. Le second plan est celui des associations (pour garder encore la terminologie de Saussure) ; En dehors du discours (plan syntagmatique) les unitsqui ont entre elles quelque chose en commun s'associent dans la mmoire et formentainsi des groupes o rgnent des rapports dicers ; enseignement peut s'associerpar le sens ducation, apprentissage ; par le son enseigner, renseigner, ou armement, chargement ; chaque groupe forme une srie mnmonique virtuelle,un trsor de mmoire ; dans chaque srie, au contraire de ce qui se passe auniveau du syntagme, les termes sont unis in absentia ; l'activit analytique quis'applique aux associations est le classement. Le plan syntagmatique et le planassociatif, sont dans un rapport troit, que Saussure a exprim par la comparaison suivante : chaque unit linguistique est semblable la colonne d'un dificeantique : cette colonne est dans un rapport rel de contiguit avec d'autresparties de l'difice, l'architrave, par exemple (rapport syntagmatique) ; mais sicette colonne est dorique, elle appelle en nous la comparaison avec d'autresordres architecturaux, l'ionique ou' le corinthien ; et c'est l un rapport virtuelde substitution (rapport associatif) : les deux plans sont lis de telle sorte que lesyntagme ne peut avancer que par appels successifs d'units nouvelles hors duplan associatif. Depuis Saussure, l'analyse du plan associatif a reu un develop-pement considrable ; son nom mme a chang ; on parle aujourd hui, non de planassociatif, mais de plan paradigmatique 1 ou encore, comme on le fera dsormaisici, de plan systmatique : le plan associatif est videmment li de trs prs la langue comme systme alors que le syntagme est plus proche de la parole.On peut avoir recours une terminologie subsidiaire : les rapports syntagma-tiques sont des relations chez Hjelmslev, des contiguits chez Jakobson, descontrastes chez Martinet ; les rapports systmatiques sont des corrlations chezHjelmslev, des similarits chez Jakobson, des oppositions chez Martinet.III. 1.2. Saussure pressentait que le syntagmatique et l'associatif (c'est--direpour nous le systmatique) devaient correspondre deux formes d'activitmentale, ce qui tait dj sortir de la linguistique. Jakobson, dans un textedsormais clbre 2 a repris cette extension, en appliquant l'opposition de lamtaphore (ordre du systme) et de la mtonymie (ordre du syntagme) des langages non-linguistiques : on aura donc des discours de type mtaphorique et des discours de type mtonymique ; chaque type n implique videmment pas lerecours exclusif l'un des deux modles (puisque syntagme et systme sontncessaires tout discours), mais seulement la dominance de l'un ou l'autre. Al'ordre de la mtaphore (dominance des associations substitutives) appartiendraientes chants lyriques russes, les uvres du romantisme et du symbolisme,la peinture surraliste, les films de Charlie Chaplin (les fondus superposs seraient

    1. Paradeigma : modle, tableau des flexions d'un mot donn comme modle, dclinaison.2. R. Jakobson Deux aspects du langage et deux types d'aphasie , in TempsModernes, n 188, janvier 1962, p. 853 sq., repris dans : Essais de linguistique gnrale,d. de Minuit, (1963), Ch. 2.115

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    27/46

    Roland Barthesde vritables mtaphores filmiques), les symboles freudiens du rve (par identification) ; l'ordre de la mtonymie (dominance des associations syntagmatiques)appartiendraient les popes hroques, les rcits de l'cole raliste, les films deGriffith (gros plans, montage et variations des angles de prises de vue), et les projections oniriques par dplacement ou condensation. A l'numration de Jakobson,n pourrait ajouter : du ct de la mtaphore, les exposs didactiques (mobilisant des dfinitions substitutives) 1, la critique littraire de type thmatique,les discours aphoristiques ; du ct de la mtonymie, les romans populaires et lesrcits de presse 2. On retiendra, en suivant une remarque de Jakobson, que l analyste (en l'occurence le smiologue) est mieux arm pour parler de la mtaphoreque de la mtonymie, car le mtalangage dans lequel il doit mener son analyseest lui-mme mtaphorique et par consquent homogne la mtaphore-objet :il y a en effet une riche littrature sur la mtaphore mais peu prs rien sur lamtonymie.III.1.3. L'ouverture de Jakobson sur les discours dominance mtaphoriqueet dominance mtonymique amorce un passage de la linguistique la smiologie. Les deux plans du langage articul doivent en effet se retrouver dans lessystmes de signification autres que le langage. Bien que les units du syntagme,rsultant d'une opration de dcoupage, et les listes d'oppositions, rsultant d'unclassement, ne puissent tre dfinies a priori, mais seulement au terme d'unepreuve gnrale de commutation des signifiants et des signifis, il est possibled'indiquer pour quelques systmes smiologiques le plan du syntagme et celuidu systme, sans prjuger encore des units syntagmatiques et par consquentdes variations paradigmatiques auxquelles elles donnent lieu [voir tabl. ci-aprs).Tels sont les deux axes du langage, et l'essentiel de l'analyse smiologique consiste distribuer les faits inventoris selon chacun de ces axes. Il est logique decommencer le travail par le dcoupage syntagmatique puisque en principe c'estlui qui fournit les units que Ton doit aussi classer en paradigmes ; cependantdevant un systme inconnu, il peut tre plus commode de partir de quelqueslments paradigmatiques reprs empiriquement et d'tudier le systme avantle syntagme ; mais s'agissant ici d'Elments thoriques, on observera l'ordrelogique, qui va du syntagme au systme.III.2. Le Syntagme.IH.2.1. On a vu (1.1.6.) que la parole (au sens saussurien) tait de naturesyntagmatique, puisque, outre les amplitudes de phonation, elle peut tre dfiniecomme une combinaison (varie) de signes (rcurrents) : la phrase parle est letype mme du syntagme ; le syntagme est donc coup sr trs proche de laparole : or, pour Saussure, il ne peut y avoir une linguistique de la parole ; lalinguistique du syntagme est-elle donc impossible ? Saussure a senti la difficultet a pris soin de prciser en quoi le syntagme ne pouvait tre considr commeun fait de parole : d'abord parce qu'il existe des syntagmes figs, auxquelsl'usage interdit de rien changer ( quoi bon ? Allez donc I) et qui sont soustraits

    1. Il s'agit seulement d'une polarisation trs gnrale, car en fait on ne peut confondre la mtaphore et la dfinition (cf. R. Jakobson, Essais..., p. 220).2. Cf. R. Barthes : L'imagination du signe , in Essais critiques, Seuil, 1964.116

  • 5/27/2018 l ments de s miologie. Roland Barthes 1964

    28/46

    lments de smiologie

    Vtement

    Nourriture

    Mobilier

    Architecture

    SystmeGroupe des pices, empicements ou dtails quel'on ne peut porter enmme temps sur un mmepoint du corps, et dontla variation correspond un changement du sensvestimentaire : toque/bon-net [capeline etc.Groupe d'aliments affini-taires et dissemblablesdans lequel on choisit unplat en fonction d'un certain sens : les varitsd'entres, de rtis, oude desserts.Le menu du restaurant atture horizontale des entres, pitme, la lecture verticale du nGroupe des varits < stylistiques d'un mmemeuble (un lit).Variations de style d'unmme lment d'un difice,diffrentes formes de toitures, de balcons, d entres, etc.

    SyntagmeJuxtaposition dans unemme tenue d'lmentsdiffrents '.jupe blouse veste.

    Enchanement rel desplats choisis le long durepas : c'est le menu.

    tualise les deux plans : la lec-ir exemple, correspond au sys-enu correspond au syntagme.Juxtaposition des meublesdiffrents dans un mmeespace (lit armoire table etc.).Enchanement des dtailsau niveau de l'ensemble del'difice.

    la libert combinatoire de la parole (ces syntagmes strotyps deviennentdonc des sortes d'units paradigmatiques) ; ensuite parce que les syntagmes dela parole se construisent selon des formes rgulires qui appartiennent par l-mme la langue (indcolorable sera construit sur impardonnable, infatigable,etc.) : il y a donc une forme du syntagme (au sens hjelmslevien du mot), donts'occupe la syntaxe qui est en quelque sorte la version glottique 1 du syntagme.Il n'empche que la proximit structurale du syntagme et de la parole est unfait important : parce qu'elle pose sans cesse des problmes l'analyse, mais aussi inversement parce qu'elle permet d'expliquer structuralement certainsphnomnes de naturalisation des discours connotes. Le rapport troit dusyntagme et de la parole doit donc tre soigneusement gard en mmoire.II 1.2.2. Le syntagme se prsente sous une forme enchane (par exemplele flux de parole). Or comme on l'a vu (I I.5.2.) le sens ne peut natre que d'unearticulation, c'est--dire d'une division simultane de la nappe signifiante et de lamasse signifi