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ESSAI SUR LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES PAR HENRY DOULCET. ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE DES CARMES, LICENCIÉ EN DROIT. THÈSE PRÉSENTÉE À LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS. PARIS - PLON ET CIE - 1882

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  • ESSAI SUR LES RAPPORTS DE L'GLISE CHRTIENNE AVEC L'TAT ROMAIN PENDANT

    LES TROIS PREMIERS SICLES

    PAR HENRY DOULCET.

    ANCIEN LVE DE L'COLE DES CARMES, LICENCI EN DROIT.

    THSE PRSENTE LA FACULT DES LETTRES DE PARIS.

    PARIS - PLON ET CIE - 1882

  • AVANT-PROPOS.

    PREMIRE PARTIE. Rapports des Juifs et de l'glise chrtienne avec l'tat romain jusqu'en 96.

    DEUXIME PARTIE. Rapports de l'glise chrtienne avec l'tat romain de 96 180.

    Ier. Le rescrit de Trajan. II. Les apologistes. III. Les martyrs.

    TROISIME PARTIE. Rapports de l'glise chrtienne avec l'tat romain de 180 235.

    QUATRIME PARTIE. Rsum des rapports de 235 313, conclusion.

  • AVANT-PROPOS.

    Qu'avaient craindre les rois de la terre de l'Enfant Jsus ? Ignoraient-ils qu'il tait un roi dont le royaume n'est pas de ce monde ? Cependant Hrode le craint, le hait ds sa naissance : cette haine est hrditaire dans sa maison, et on y regarde Jsus comme l'ennemi de la famille royale. Ainsi s'est perptue de prince en prince la haine de l'glise naissante. Ainsi s'est leve contre l'glise une double perscution : la premire, sanglante, comme celle d'Hrode ; la seconde, plus sourde, comme celle d'Archlas, mais qui la tient nanmoins dans l'oppression et la crainte : et cette perscution, durant trois cents ans, ne s'est jamais ralentie. Afin de mieux saisir les lments de ce problme historique, que Bossuet expose avec autant de prcision que d'loquence1, je me suis dtermin l'envisager dans toute son tendue et examiner l'ensemble des relations de l'glise chrtienne avec l'tat romain pendant les trois premiers sicles.

    Je dis l'tat romain, pax Romana, selon l'heureuse expression des anciens ; et en effet, l'unit du monde romain tait accomplie au commencement de l're chrtienne. Qu'on se reprsente le spectacle qu'offrait cette poque la capitale de l'empire. Le citoyen qui ds son enfance avait respir l'air de l'Aventin et avait t nourri des fruits de la Sabine, s'indignait de ne pouvoir faire un pas sur la voie Sacre sans tre coudoy par les Grecs et les Syriens. Aucune distinction n'est maintenue ; Rome adore les divinits monstrueuses de l'gypte qu'elle avait vaincues Actium ; l'Oronte se dverse dans le Tibre2. Au milieu d'une pareille confusion, il y avait moins de singularit propager le culte de Jsus-Christ crucifi par un gouverneur romain3 qu' s'abstenir de solliciter pour lui une place au Panthon ct de tous les autres dieux. Cette abstention tait cependant un des traits caractristiques de l'attitude des premiers fidles, telle qu'ils la dcrivaient eux-mmes : Les chrtiens, disent-ils, habitent les villes des Grecs ou des barbares4, selon qu'il est chu chacun d'eux ; ils se conforment aux habitudes du pays pour le vtement, la nourriture et le reste de la vie, et nanmoins, de l'aveu de tous, leurs manires prsentent je ne sais quoi de remarquable et d'extraordinaire. Ils habitent les patries qui leur sont propres, mais comme des gens de passage ; ils ont le droit complet de citoyens et sont absolument traits en trangers. Toute terre trangre leur est patrie, et toute patrie leur est comme trangre. Ils se marient l'exemple de tout le monde et donnent le jour des enfants, mais ils n'exposent jamais leurs nouveau-ns. Ils prennent part des repas communs, mais sans se livrer au dsordre. Ils mnent dans la chair une vie non charnelle ; ils sjournent sur la terre, et leur conversation est clans le ciel. Ils obissent aux lois tablies et les dpassent par leur morale. Ils aiment tous les hommes et sont attaqus par tous. On ne les connait pas, et on les condamne.... Les Juifs leur manifestent une hostilit nationale, et les Grecs les perscutent ; leurs ennemis oublient de dire le motif de leur haine. Conformment cette peinture, nous les verrons ignors d'abord, mais, cause de la noble originalit de leur conduite, victimes dsignes par la jalousie des Juifs au caprice vindicatif d'un despote, puis mis hors la loi, et sitt

    1 lvations sur les mystres, dix-neuvime semaine, sixime lvation. 2 JUVNAL, Sat. III, v. 59 et suiv. 3 TACITE, Annales, XV, LXIV. 4 Barbares, peuples autres que les Grecs. Ep. ad Diogn, c. V, 4-17.

  • que l'occasion s'offrait, punis du dernier supplice ; enfin devenus assez nombreux pour se faire accepter par l'autorit, ou pour exciter ses craintes et s'attirer une guerre gnrale et acharne.

    Je n'avais pas m'arrter l'antique numration de dix perscutions portant chacune le nom d'un empereur, quoiqu'elle ait t reue de bonne heure chez les historiens ecclsiastiques. Dj saint Augustin, se plaant au point de vue gnral, en contestait, non sans raison, la justesse. Pourquoi donc, s'crie-t-il1, commencer par Nron, puisqu'avant lui le dveloppement de l'glise avait rencontr des obstacles terribles dans le dtail desquels il serait trop long d'entrer ? Que si l'on ne tient compte que des perscutions suscites par les princes, Hrode, qui tait un prince, aprs l'Ascension du Seigneur, fut galement l'auteur d'une trs-srieuse perscution. Et que dire de Julien que l'on oublie de joindre ses dix prdcesseurs ? pas, lui aussi, perscut l'glise, alors qu'il interdisait aux chrtiens de donner et de recevoir l'enseignement libral ?..... Il poursuit de la sorte et montre que la liste des perscuteurs n'tait pas encore close de son temps. Rejetant, son exemple, cette division factice, j'ai prfr la simple exposition des faits dans leur suite chronologique.

    Von Wietersheim, dans son Histoire de la migration des peuples2, remarque que la situation des chrtiens vis--vis de l'tat romain a pass par trois phases correspondant peu prs aux trois sicles : 1 Celle d'une existence ignore officiellement jusqu'en 96 ; 2 celle de la rpression lgale, diffrente de la perscution haineuse et systmatique, jusqu'en 211 ; 3 celle de l'alternative entre la faveur croissante et la perscution systmatique, jusqu' l'adoption du christianisme comme religion d'tat. Pour ma part, j'ai distingue une priode intermdiaire entre la deuxime et la troisime ; en effet, aprs l'tat de non-lgalit absolue (96-180), l'glise traversa un temps de transition o la tolrance atteignit son maximum (180-235). A partir de cette dernire poque, j'ai pu abrger mon rcit : bien que trois quarts de sicle dussent s'couler encore avant l'dit de Milan (313), l'issue finale n'tait ds lors plus douteuse. L'assurance d'Origne ce moment mme est trs-frappante. A Celse qui avait dit : Les barbares viendront, et ils dtruiront paens et chrtiens, il rpondait : Qu'arriverait-il si les barbares se convertissaient3 ? Tous les cultes paens seraient dtruits ; le culte chrtien subsisterait seul ; or, c'est lui seul qui triomphera un jour, car sa doctrine gagne de plus en plus les mes. Et il ajoutait : Lorsque Dieu permet que nous soyons perscuts, nous le sommes, et lorsqu'il ne le permet plus, au milieu du monde qui continue nous har, nous gardons une srnit merveilleuse, croyant cette parole : Ayez confiance, car j'ai vaincu le monde. La foi, voil donc le secret de la victoire du christianisme. Cependant les perscuteurs taient plus que jamais dcids en finir avec la religion nouvelle : il suffit, pour le prouver, de nommer un Dce, un Valrien, un Galre ! Aussi, malgr la ralit des trves dans cette dernire crise, trop prolonge pour tre constamment violente, le sang chrtien a-t-il abondamment coul.

    1 Civ. Dei, XVIII, LII. Les auteurs ne sont mme pas d'accord entre eux. SULP. SVRE attribue le quatrime rang la perscution d'Hadrien, et met celle de Maximin hors rang (Chron., II, XXXII), tandis que PAUL OROSE (Hist., VII, XIX) compte celle de Maximin la sixime, et omet celle d'Hadrien. 2 Geschichte der Vlkerscanderung (Leipzig, 1859-1864) ; le dix-neuvime chapitre du IIIe vol. (1862) est intitul : Das Christenthum und der Rmische Staat. 3 Les barbares, cette fois, ceux qui sont aux frontires de l'empire. C. Celse, VIII, LXVIII.

  • Pendant la troisime priode, au contraire, l'glise s'panouit presque librement. Ce contraste parait trange quand les souverains s'appellent Commode, Caracalla ou Hliogabale ; mais ces empereurs portaient de prfrence leurs coups sur leur propre entourage. En mme temps le nombre des fidles s'tait accru, et de nouvelles mesures devenaient ncessaires pour les atteindre avec efficacit. Or, c'tait prcisment l'instant o les jurisconsultes romains, soit par un progrs naturel du droit, soit sous la pression d'une ncessit sociale, inclinaient, sans se l'avouer, vers la libert d'association en consacrant d'importants privilges en faveur des collges funraires. Comment les chrtiens n'auraient-ils pas profit de ces facilits accordes surtout aux classes moyennes et infrieures, tenuiores ? Leurs croyances, assurment, restaient frappes d'interdit, et ils devaient toujours tre prts faire pour elles le sacrifice de leur vie ; mais l'opinion publique ne pouvait gure s'mouvoir du spectacle de ces morts enterrant leurs morts. Il est donc vraisemblable, sinon certain, que l'assimilation fut tacitement admise. De l faire participer la socit des fidles au bienfait de l'existence lgale, il n'y avait qu'un pas, que franchit en fait le bon vouloir personnel de plusieurs princes, entre autres, d'Alexandre Svre.

    A ce double titre, on se trouvait loin de la fin du premier sicle, o, d'une part, la lgislation tait trs-rigoureuse contre toute espce de socits, et o, d'autre part, le gouvernement avait peine une notion claire de ce qu'tait un chrtien. En effet, le caractre dominant de cette poque primitive (je laisse momentanment de ct celle qui suivit), c'est qu'aux yeux de l'autorit il n'y a pas de distinction entre les Juifs et les chrtiens. Ces derniers forment une secte que ddaignent les gouverneurs romains comme Gallion Corinthe, Festus Csare, et mme Rome le conseil de l'empereur , plutt qu'ils ne la condamnent. Ce ne sont pas assurment les accusateurs qui font dfaut, mais tous les fonctionnaires n'ont point la coupable faiblesse d'un Pilate. Cependant la vrit perce peu peu, et le gros du peuple appelle les chrtiens par le nom distinctif qu'ils avaient reu pour la premire fois Antioche, la suite de l'augmentation de leur nombre1. C'en est assez pour que Nron imagine de faire de l'glise naissante le bouc missaire de ses infamies ; plus tard Domitien, cette moiti de Nron, comme l'a qualifi Tertullien (portio Neronis de crudelitate), compltera son uvre par de mfiantes et cruelles investigations. On peut remarquer qu'il tait honorable pour l'glise d'avoir t perscute l'origine par de pareils tyrans. Cette dernire considration, et il n'y a pas lieu de s'en tonner, devait peser sur l'esprit de Lactance, le premier crivain qui put embrasser d'un coup d'il les perscutions. D'aprs lui2, leur auteur responsable est Nron, effray des progrs du christianisme ; peu aprs, Domitien veut marcher sur ses traces, mais la raction se produit avec tant d'nergie, que le rgne de Nerva inaugure une paix de plus de cent cinquante annes, pendant lesquelles fleurit la religion ; c'est Dce qui renouvelle la tradition sanglante, perptue depuis lui, de prince en prince, jusqu' la paix de Constantin. On s'aperoit qu'il manque bien des traits ce tableau ; il ne faut pas oublier seulement que Lactance n'a en vue qu'un objet, mettre en relief le chtiment exemplaire dont furent atteints certains empereurs, ennemis des chrtiens ; il se taira donc sur ceux dont la fin ne rentre pas dans son cadre, et qui ont nanmoins fait acte de rigueur contre l'glise. De l sou erreur, plus ou moins

    1 Actes des Aptres, XI, 26. 2 Il crirait Nicomdie, la fin de l'anne 313, De mort. pers., II, III et IV.

  • volontaire1, relativement l'apprciation de la seconde priode, laquelle a d particulirement attirer mon attention.

    Souvent appele l'ge d'or de l'empire romain, elle porte aussi le nom de sicle des Antonins : temps heureux, a-t-on dit, puisqu'il n'a pas eu d'histoire. Oui, mais les monuments, encore debout dans Rome, tmoignent du pass avec une loquence qui s'impose. Ces honntes souverains, qui se succdrent de Trajan Marc-Aurle, avaient leurs palais au sommet du Palatin ; autour et au-dessous, les demeures de leurs familiers, les temples de leurs dieux ; plus bas, le Colise, o ils convoquaient le peuple tout entier, pour lui donner, la fois comme un divertissement et comme une leon, le spectacle du mpris de l'humanit. Ici, observe M. Taine2, s'achve le monde antique : c'est le rgne incontest, impuni, irrmdiable de la forc. L'homme qui clbrait son triomphe cent vingt-trois jours durant, en faisant combattre dix mille gladiateurs dans le cirque3, dicta le rescrit qui devint l'arrt de mort de tant de martyrs, je veux parler de la lettre de Trajan Pline. Un gouverneur de province, indcis sur la conduite tenir l'gard des chrtiens, consulte l'empereur, qui lve tous ses doutes en posant le principe que tous ceux qui seront amens son tribunal, moins qu'ils ne renoncent leur foi, devront subir la peine capitale4. On comprend que M. Renan ait pu dire5 : Le rgime trs-lgal des Trajan, des Antonins, fut ainsi plus oppressif pour le christianisme que la frocit et la mchancet des tyrans..... La perscution l'tat permanent, telle est donc l're qui s'ouvre pour le christianisme avec le deuxime sicle. Du reste, les rares documents ecclsiastiques de cette poque sont unanimes reproduire le souvenir de la perscution. M. Gaston Boissier a, dans une page mue, fort bien montr6 comment les ouvrages qui conservent ce souvenir ne sont pas de ceux qui sont composs pour la postrit et qui, n'tant vus que par elle, peuvent mentir impunment. Ils taient destins des contemporains, quelquefois mme ils s'adressaient des ennemis. Il n'est pas possible qu'on ait os y raconter des violences imaginaires et des supplices de fantaisie. Et puis, ici a t appliqu le contrle que rclamait Pascal : Histoire de la Chine. Je ne crois que les histoires dont les tmoins se feraient gorger. (Penses.) C'est donc avec respect, disons mieux avec amour, qu'il convient de recueillir ces histoires ; j'ajoute que

    1 Son contemporain, Eusbe, tait mieux inform, puisqu'il avait en main les pices dont il nous a laiss de nombreux et prcieux extraits dans son Histoire ecclsiastique. 2 Voyage en Italie, t. I, ch. II. 3 DION CASSIUS, pit., LXVIII, XV. 4 LACORDAIRE a crit quelque part : Ds que l'homme exerce un pouvoir absolu et n'a contre les erreurs de son intelligence ou de sa volont aucune barrire srieuse, il est impossible qu'il ne tombe pas un jour ou l'autre dans quelque acte de dmence. Alexandre assassine ses plus chers amis ; Hadrien fait un dieu d'Antinos ; Trajan perscute les chrtiens et crit Pline leur sujet une lettre qui est un monument de dlire imprial ; Thodose fait massacrer tout un peuple Thessalonique ; Louis XIV rvoque l'dit de Nantes et chasse de son royaume, par des supplices barbares, des hrtiques qui y vivaient paisibles sous la foi d'un trait sculaire. Je ne nomme que les meilleurs princes, et mme les plus grands, tant le pouvoir absolu a de prise contre la raison ! Compte rendu de l'ouvrage du prince Albert de Broglie, L'glise et l'empire romain au quatrime sicle, dans le Correspondant du 25 sept. 1856, p. 906. 5 Journal des Savants, 1876, p. 724. Les cahiers de novembre et dcembre contiennent deux articles dans lesquels sont rsums les sept volumes de l'auteur au point de vue de la thse traite ici, et o l'on retrouvera les ides gnrales que j'nonce, bien qu'il y ait dsaccord sur maintes questions particulires. 6 Revue des Deux Mondes, n du 15 avril 1876, p. 816.

  • la tache a tent les plus savants, et leurs soins sont rcompenss chaque jour par la restitution de quelque nouveau fragment d'crits rputs perdus, des Pres apostoliques, des apologistes ou des hrsiologues.

    Sans remonter aux clbres publications du cardinal Pitra, de M. Miller, de Tischendorf et de Cureton, en 1815, c'tait l'ptre intgrale de saint Clment de Rome qu'un mtropolitain grec, Philotheos Bryennios, dcouvrait Constantinople. L'anne suivante, une traduction syriaque de la mme ptre, galement complte, tait acquise par l'Universit de Cambridge. En 1878, les Pres Mkhitaristes de Venise tiraient d'un couvent de l'Armnie une partie de l'apologie d'Aristide, qui prendra place au Corpus apologetarum d'Otto (Ina, 1812 et suiv.). Depuis, Usener trouvait la Bibliothque nationale de Paris les actes originaux des martyrs Scillitains (programme de l'Universit de Bonn polir le deuxime semestre de 1881) ; M. l'abb Duchesne ditait pour la premire fois, d'aprs un manuscrit de cette bibliothque, le texte grec de la Vita Polycarpi ; en mme temps, les compatriotes de saint Polycarpe, les saints Camus et Papylus avaient leurs actes publis par M. Aub dans la Revue archologique de dcembre 1881. Enfin, Funk vient de donner une nouvelle dition des Opera Patrum apostolicorum (Tbingen, 1878-1881), en bnficiant des recherches critiques de Zahn, Harnack, Gebhardt et Hilgenfeld. Je me suis appliqu traduire moi-mme les citations que j'ai multiplies l'appui de ma dmonstration, car la lecture des uvres de la littrature chrtienne primitive a form le fond du prsent travail.

    Le commentaire indispensable de cette lecture m'tait fourni par les rsultats rcents et dj admirablement fconds de l'archologie chrtienne, que M. de Rossi personnifie avec clat sur le sol qui l'a vue natre, et que son collgue de l'Institut, M. Le Blant, a tant contribu propager en France. Les dcouvertes archologiques ne sont-elles pas en effet d'une ressource prcieuse et d'un emploi lgitime pour l'intelligence d'une poque o l'histoire profane elle-mme est moins constitue par des textes que par des monuments ? En outre, les renseignements qu'elles apportent, tant, pour ainsi dire, involontaires, ont l'avantage incontestable de l'impartialit. Que rclamer de plus, lorsqu'une mthode sre, une critique sagace, une comparaison exerce, ont servi en fixer la valeur1 ? C'est un devoir pour moi d'associer M. de Rossi, dans l'expression de ma gratitude, M. l'abb Duchesne, disciple, puis matre son tour2. Son enseignement profondment scientifique, non moins en garde contre les tendances systmatiques des historiens allemands qu'au courant de leurs rudites productions, a t mon principal guide3. Le secours de ces deux savants

    1 Les ouvrages fondamentaux de M. DE ROSSI sont le Bullettino di archeologia cristiana partir de 1863, recueil o j'ai constamment puis, et la Roma sotterranea, t. I, 1864 ; t. II, 1867 ; t. III, 1877. Sa mthode a t parfaitement mise en relief par les Nouvelles tudes sur les catacombes romaines de M. DESBASSAYNS DE RICHEMONT (Paris, 1870). On peut voir comment M. Beul a apprci ce livre dans la Revue archologique, 1870, t. I, p. 355 ; c'est un de ceux qui font le mieux sentir le progrs ralis dans cette branche de la science. 2 Professeur d'histoire ecclsiastique l'Institut catholique de Paris, ancien membre de l'cole franaise d'archologie Rome. Je ne veux pas omettre cette occasion de rendre grces M. Geffroy, l'minent directeur de l'cole, de son aimable accueil. 3 Un lve de l'cole des hautes tudes, professeur lui-mme, M. l'abb Beurlier, m'a t un conseiller aussi utile qu'obligeant. M. Samuel Berger, secrtaire de la Facult de thologie protestante de Paris, m'a ouvert avec une libralit peu commune la bibliothque confie ses soins.

  • n'aura pas laiss, je l'espre, de me rendre profitables plusieurs sjours dans la Ville ternelle.

    crivant ces lignes Rome, je mentionnerai, titre de souvenir, l'impression qu'veillent par leur aspect bizarre les hautes colonnes (colonnacce) demi enterres sous les rues du quartier des Monts, et l'immense mur en bloc de pprin contemporain de notre re, dont l'alignement irrgulier atteste le respect de l'empereur Auguste pour la proprit prive1. Ce sont les imposants dbris du forum de Mars et du temple consacr aux mnes vengeresses de Csar. M. de Rossi a signal l'appellation de boucherie des martyrs (in macello martyrum) conserve une glise voisine, grce la tnacit de la mmoire populaire2. L'endroit apparat en effet aux actes de la passion de sainte Flicit, dont l'authenticit a t mise en question par l'auteur de L'Histoire des perscutions de l'glise jusqu'a la fin des Antonins (Paris, 1875)3. Je me suis propos dans un chapitre spcial de contrler la date de ces actes, et d'tablir que le martyre de l'illustre veuve romaine et de ses sept fils appartient dcidment au deuxime sicle. Il m'a sembl intressant de runir galement la fin de ce travail les pitaphes des papes des cinq premiers sicles qui ont pu tre retrouves, un recueil analogue ayant t entrepris par l'historien allemand Gregorovius pour leurs successeurs.

    En rsum, la transition ne s'est point opre pacifiquement des temps anciens aux temps nouveaux inaugurs par le christianisme. Depuis le moment o les aptres commencrent rpandre la bonne nouvelle, jusqu' la reconnaissance du libre exercice de la religion au quatrime sicle, la prdication de l'vangile rencontra une vive opposition de la part du gouvernement le plus fort que nous prsente l'histoire. L'glise ne fut pas plus tt connue de l'tat, qu'il lui refusa le droit d'exister. Rduite grandir en dehors de la scne apparente de la socit, elle continua du moins affirmer sa vitalit par le martyre. C'est ainsi qu'elle conquit enfin, au prix de souffrances extrmes, sa place au soleil, et ce jour-l elle vit reculer devant elle la puissance qui avait voulu l'anantir : ce qui prouve que la lutte, imprudemment engage par l'tat romain, tait impossible soutenir4. L'empire se retira Byzance, et la papaut resta seule Rome.

    Telle est la conclusion de cet essai, qui, exempt des prtentions d'un livre, se devait borner aux exigences d'une thse. Je remercie mon pre qui je dois d'avoir pu entreprendre, et toutes les personnes dont la sympathie m'a aid mener bonne fin ce labeur de quatre annes.

    ROME, 7 mars 1882.

    Henry DOULCET.

    1 V. dans L'Exploration de la Galatie, par M. PERROT, l'inscription d'Ancyre : Privato solo comparato Martis ultoris templum forumque Augustum exstruxi. Cf. SUTONE, Oct. vit., LVI : Forum angustius fecit, non ausus extorquere possessoribus proximas domos. Les trois colonnes qui subsistent ont 17m,50 de hauteur. 2 Bullettino, 1877, p. 54. C'est l'glise S. M. degli Angeli alle colonnacce, l'angle de la via Alessandrina et de la via di Croce bianca. 3 P. 345. Si je l'ai souvent contredit, que M. AUB veuille bien ne l'attribuer aucun sentiment personnel, dont nul plus que moi ne sentirait l'inconvenance ; je rpterai seulement pour mon excuse : Amicus Plato, magis amica veritas. 4 TERTULLIEN en 211, ad Scapul., IV. Discours d'EUSBE pour la ddicace de la basilique de Tyr au lendemain de la paix, en 314, Histoire ecclsiastique, X, IV, 31.

  • SOURCES PRINCIPALES CONSULTES POUR CET ESSAI.

    ADOS, Martyrologe (dition Giorgi) ; Rome, 1745.

    ALLARD, Rome souterraine (2e dition) ; Paris, 1877. Rapports de l'glise et de l'Empire romain au troisime sicle, dans les n 3 et 4 des Lettres chrtiennes ; Lille, 1881.

    Annales de la propagation de la foi ; Lyon, 1879-1882.

    ARISTIDE, uvres (dition Dindorf) ; Leipzig, 1819.

    ARISTIDE (S.), Sermones duo ; Venise, 1878.

    ARMELLINI, Scoperta della cripta di S. Emerenziana, di una memoria relativa alla cattedra di San Pietro ; Rome, 1877.

    AUB, Saint Justin, philosophe et martyr (thse) ; Paris, 1861. Histoire des perscutions de l'glise jusqu' la fin des Antonins ; Paris, 1875. La Polmique paenne la fin du deuxime sicle ; Paris, 1878. Les Chrtiens dans l'Empire romain, de la fin des Antonins au milieu du troisime sicle ; Paris, 1881. tude sur un nouveau texte des actes des martyrs Scillitains ; Paris, 1881. Un texte indit d'actes de martyrs du troisime sicle, Revue archologique de dcembre 1881.

    AUGUSTIN (S.), De civitate Dei. Breviculus collationis, Patrologie latine de Migne, t. XLI et XLIII.

    BAUDOUIN, Commentarii ad edicta veterum principum Romanorum de christianis, per Joannem Oporinum ; Ble, 1557. Octavius (1re dition au nom de Minucius Felix) ; Heidelberg, 1500.

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    BOISSIER, la Religion romaine d'Auguste aux Antonins ; Paris, 1874. De l'authenticit de la lettre de Pline au sujet des chrtiens, Revue archologique, fvrier 1876. C. r. du 1er vol. de M Aub, Revue des Deux Mondes, 15 avril 1876, C. r. du 20 vol. de M. Aub, Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1879. Promenades archologiques ; Paris, 1880.

    BOLLANDISTES, Acta sanctorum (dition d'Anvers).

    BORGHESI, uvres compltes ; Paris, 1862 et suiv.

    BOSSUET, Discours sur l'histoire universelle (11e partie).

    BOUCHE-LECLERCQ, les Pontifes de l'ancienne Rome (thse) ; Paris, 1871.

    BROGLIE (DE), l'glise et l'Empire romain au quatrime sicle ; Paris, 1856-1859.

    CEULENEER (DE), Marcia, la favorite de Commode, Revue des questions historiques, 1er juillet 1876. Essai sur la vie et le rgne de Septime Svre ; Bruxelles, 1880.

    Chronique pascale, dition de Bonn.

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    Corpus Inscriptionum grcarum de Berlin.

  • Corpus Inscriptionum latinarum de Berlin.

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  • PREMIRE PARTIE. RAPPORTS DES JUIFS ET DE L'GLISE CHRTIENNE AVEC L'TAT ROMAIN JUSQU'EN 96.

    Le christianisme n'a pas eu Rome pour berceau : il est sorti des entrailles du judasme. De cette origine est rsulte aux yeux des Romains la confusion des chrtiens avec les Juifs dans les premiers temps de l'glise. Nous avons donc d'abord dterminer le moment o cette confusion cesse. Tel est l'objet de notre premire partie, o nous suivrons pas pas le dveloppement extrieur du christianisme.

    C'est en qualit de Juif que, ds sa naissance Bethlhem, le divin Fondateur de l'glise eut affaire l'tat romain dans la personne de C. Sentius Saturninus, charg d'oprer le recensement de la Palestine1. Saint Luc, dans son vangile2, place cette opration sous le gouvernement de P. Sulpicius Quirinius, qui fut lgat proprteur de Syrie ds l'an 5 avant notre re. Le mme personnage gouverna une seconde fois cette province de l'an 6 l'an 10 aprs Jsus-Christ3, et son entre en charge, il tablit un chevalier romain la tte de l'administration de la Jude avec le titre de procurateur cum jure gladii. Il est facile ds lors d'entendre la pense du Samaritain saint Justin, lorsqu'il dit propos de Bethlhem, dans sa premire Apologie l'empereur Antonin4 : C'est une bourgade du pays des Juifs, loigne de trente-cinq stades de Jrusalem, dans laquelle est n Jsus-Christ, comme vous pouvez l'apprendre par les registres du cens confectionns sous Quirinius, votre premier procurateur en Jude.

    Le prompt accomplissement d'une formalit requise par le pouvoir romain avait donc marqu le premier pas de Jsus-Christ. La doctrine qu'il prcha plus tard ses disciples ne devait pas dmentir ce prsage. Mais telle n'tait point l'attitude de la nation juive tout entire. Les pharisiens surtout se signalaient par leurs tendances anti-romaines, et, chose curieuse, c'est prcisment au sujet de la formalit dont nous venons de parler que Josphe nous les a dpeints : Il y avait, dit-il5, une portion des Juifs qui se vantaient de leur exactitude observer la loi de leurs pres, qui feignaient de jouir de la faveur divine, et ils avaient pour eux le inonde des femmes ; ce sont les pharisiens, gens trs-capables de rsister aux rois, pleins de circonspection, d'ailleurs cdant ouvertement au dsir de lutter et de nuire. Alors que tout le peuple juif prta serment de fidlit l'empereur et au gouvernement du roi, ces hommes, au nombre de plus de six mille, refusrent de jurer. Et l'historien rapporte qu' cette occasion ils rpandaient le bruit de l'avnement d'un roi prdit l'avance, devant rgner sur l'univers, et qu'Hrode inquiet fit prir tous ceux de sa maison qui avaient cru

    1 TERTULLIEN, Adv. Marc., IV, c. 19. Cf. c. 7. 2 II, 2. 3 Iterum Suriam (optinuit), dit une inscription trouve Tivoli et aujourd'hui au muse du Latran. 4 Premire apologie, 24, p. 104 de l'd. Otto (Ina, 1876). Un peu plus loin, c. 46, il ajoute qu'il parle moins de cent cinquante ans aprs l'vnement. 5 JOSPHE, Antiquits Judaques, XVII, II, 4. Ce fait est distinct de l'insurrection de Judas le Gaulanite, ibid., XVIII, I.

  • leur parole1. Il est difficile de ne pas l'approcher ces diffrents faits des recherches que les mages provoqurent dans les livres des prophtes au sujet du Messie, ainsi que du massacre des Innocents qui s'ensuivit2.

    Cependant Hrode tait mort en avril, quatre ans avant notre re ; son fils Archlas, confirm, malgr les Juifs, par Auguste en Jude, y fut remplac, dix ans aprs, comme nous l'avons vu, par un procurateur romain. Hrode Antipas, son frre, sut rester plus longtemps ttrarque de Galile. Ce fut lui qui ordonna la dcollation de saint Jean-Baptiste3, populaire parmi les Juifs, quoique ennemi de l'astuce des pharisiens, et digne sous tous les rapports d'tre appel le prcurseur du Christ. Cet Hrode le ttrarque, joua un rle dans la Passion Jrusalem, et fut plus tard, l'an 39 aprs Jsus-Christ, exil par Caligula Lyon avec sa femme Hrodiade : tous deux allrent mourir en Espagne4. C'est aussi afin de plaire aux pharisiens qui avaient lapid le diacre tienne aprs la destitution de Pilate en l'an 36, qu' Hrode Agrippa Ier, arrivant de Rome o Claude venait de lui confrer le titre de roi, s'empressa de faire prir par le glaive saint Jacques le Majeur, frre de saint Jean et fils de Zbde5. Il ne survcut que deux ans sa victime. Les donnes assez dtailles de Josphe, qui concordent du reste avec le rcit des Actes6, permettent de fixer sa mort Csare aprs le troisime anniversaire de l'avnement de Claude, janvier 41. Le jus gladii chappa alors aux Juifs par le rtablissement des procurateurs, et la perscution, d'abord force de suivre les voies lgales, comme le remarque justement M. Wallon7, s'en affranchit la faveur d'un interrgne dans l'administration romaine, dont le grand prtre Anan, sadducen farouche nomm par Hrode Agrippa II8, profita pour faire mourir en 62, avec quelques autres, saint Jacques le Mineur, vque de Jrusalem et parent de Jsus-Christ. Josphe et Hgsippe9 rapportent qu'il fut lapid, mais Hgsippe ajoute qu'il avait t

    1 Est-ce cette date que doit se placer la plaisanterie d'Auguste jouant sur les mots et que raconte le prfectus cubiculi de Thodose II, MACROBE, Saturnales, II, 4 ? La certitude n'est gure possible avec un prince aussi peu mnager que l'Idumen du sang de sa famille. M. DE SAULCY, Hist. d'Hrode (Paris, 1867), p. 371, n'a pas dit quelles raisons il avait de considrer l'auteur des Saturnalia comme chrtien. 2 SAINT MATTHIEU, II. 3 JOSPHE, Antiquits Judaques, XVIII, V, 2. 4 JOSPHE, Antiquits Judaques, XVIII, VII, 2, et Guerre des Juifs, II, IX, 6. L'abb FOUARD, Vie de Jsus-Christ (Paris, 1880), t. I, p. 432, propose une autre conciliation des deux textes en plaant le lieu d'exil Lugdunum Convenarum (aujourd'hui Saint-Bertrand de Comminges), qui, en effet, est prs de la frontire d'Espagne. 5 Actes des Aptres, XII, 3. Cf. Antiquits Judaques, XIX, VII, 3. 6 Antiquits Judaques, XIX, VIII, 2, et Actes, XII, 21-23. 7 De la croyance due l'vangile (Paris, 1866), p. 109. 8 Antiquits Judaques, XX, IX, 1. 9 HSGIPPE, dans l'Histoire ecclsiastique d'EUSBE, II, 23. Cet auteur du second sicle, originaire de Palestine, donne certains dtails reprsentant saint Jacques comme un Nazaren et provenant d'une tradition conserve par la secte des Nazarens dont il faisait partie lui-mme. On appelle ainsi la continuation de l'glise de Jrusalem, qui, restant orthodoxe, niais se recrutant exclusivement parlai les Juifs, et continuant observer les prceptes de la loi aprs la destruction du temple, se retira en Bathane. Les singularits et l'isolement de cette communaut au milieu de la civilisation grco-romaine introduite par la conqute de Cornelius Palma en 105 dans l'Arabie nabatenne ont contribu la faire confondre avec les hrtiques bionites. Cf. SAINT JUSTIN, Dial. cum Tryph., XLVII, p. 156 de l'd. Otto (Ina, 1877) : de mme ORIGNE, Contra Celse, V, 56.

  • prcipit du haut du Temple ; ils s'accordent galement sur son titre de Juste, et sur le mcontentement que sa mort causa chez une partie du peuple1. Les mcontents reurent satisfaction lors de l'arrive du procurateur Albinus, qui destitua le grand prtre.

    En effet, l'origine, les gouverneurs de province ne devaient pas tre mal disposs vis--vis des gens qui leur taient dnoncs sous l'appellation de chrtiens. En 112, le lgat proprteur de la province de Bithynie, Pline le Jeune, hsitait encore sur la conduite tenir leur gard. Mais en 53, poque vers laquelle saint Paul comparut Corinthe devant le frre de Snque, Gallion, proconsul d'Achae, ce dernier refusa d'entendre les plaintes des Juifs, ses accusateurs, en se fondant sur ce qu'il n'avait commis ni dlit, ni quasi-dlit2. Pilate Jrusalem n'avait pas fait d'autre constatation au sujet de Jsus-Christ3, et s'il agit en contradiction avec ses paroles, c'est qu'il eut peur de la foule et craignit de se compromettre auprs de l'empereur. Il ne devait pas ncessairement tre indiffrent ou hostile, comme il a t dit rcemment4 ; il lui tait permis de se montrer bienveillant, ainsi que le fit Festus envers le mme saint Paul Csare5.

    Si les Romains subissaient partout plus on moins l'influence des Juifs6, ceux-ci ne leur taient pas tellement sympathiques qu'ils se crussent obligs d'pouser leurs querelles intestines. Ce peuple savait au besoin invoquer les dits7 qu' diffrentes reprises il avait fait renouveler par les empereurs, sans tre pour cela l'abri de leurs caprices. Ainsi Claude, dont Josphe nous a conserv l'dit8 rendu l'an 42 en faveur des Juifs d'Alexandrie, puis tendu ceux de tout l'empire, n'en chassa pas moins les Juifs de Rome en 49.

    1 Nous savons d'ailleurs que plusieurs, parmi les prtres juifs, s'taient convertis la fui chrtienne ; seulement, en se convertissant, ils n'avaient pas dpouill leurs prjugs nationaux contre les hellnisants. Actes, VII, 7. L'attachement des chrtiens de Jrusalem aux usages mosaques s'explique assez par ce fait que les lois crmonielles avaient aussi chez eux le caractre de luis civiles. 2 Actes, XVIII, 14, 15. 3 Ses ennemis le prsentaient Pilate comme voulant se faire roi des Juifs : Ce mot seul, dit M. DURUY, Hist. rom., t. V, p. 95, constituant ses yeux un crime qui relve de la loi de majest, il ratifie la condamnation. Mais Rome n'excluait pas tous les rois des pays conquis, et cette accusation pouvait ne pas paratre suffisante un magistrat romain ; aussi Pilate prcise-t-il davantage : ... , SAINT JEAN, XVIII, 33-38. M. Duruy reconnat lui-mme que l'affaire ne regardait point d'abord les Romains. 4 M. AUB, Histoire des perscutions de l'glise jusqu' la fin des Antonins, p. 41. 5 Hist. des perscutions, p. 57. Quoiqu'il en soit, il dut rester des traces de sa sentence au greffe du prtoire. Est-ce un tmoignage de cette provenance que saint Justin (Ire Apologie, 35 et 48) et TERTULLIEN (Apologtique, 5) font allusion, ou bien au document lgendaire qui le suppose et qui se trouve dans la collection de Tischendorf ? Consulter ce sujet l'Hist. des vangiles apocryphes, de l'abb J. VARIOT (Paris, 1878), 6 Rome, le sabbat tait observ par le populaire. HORACE, sat. IV, I, en fait un trait du caractre de son Fcheux, SNQUE, De superstitione (cit par SAINT AUGUSTIN, Civ. Dei, VI, 11), s'en plaint amrement. STRABON constate aussi d'une manire gnrale cette domination de la race juive apud JOSPHE, Ant. Jud., XIV, VII, 2. 7 Ils rclamrent par exemple auprs de P. Ptronius, lgat de Syrie, contre les habitants de Dora en Phnicie, qui avaient introduit dans la synagogue une statue de Claude. 8 Antiquits Judaques, XIX, V, 2-3.

  • Si nous considrons la teneur du dcret imprial, nous y trouvons deux choses : 1 une simple tolrance, 2 une condition apporte cette tolrance. Il est juste, disait-il, que les Juifs dans le monde entier soumis nos ordres, gardent librement leurs usages nationaux ; je les avertis aussi par la mme occasion de ne pas abuser de nia condescendance et de ne pas mpriser les croyances des autres peuples, mais de s'en tenir leurs propres lois. Et il fondait sa dcision sur l'exemple d'Auguste qui, en effet, avait permis Rome l'tablissement de synagogues. Philon1 nous fait assister aux dbuts de la communaut juive dans le Transtevere : La plupart des prisonniers de guerre amens en Italie (aprs les guerres de Pompe), ayant t affranchis, taient devenus citoyens romains ; ils avaient reu de leurs matres la libert, sans qu'on les fort de renoncer aucun des usages de leur pays. L'empereur savait qu'ils avaient des proseuques o ils se runissaient, surtout les saints jours de sabbat, et faisaient publiquement profession de la religion de leurs pres ; il savait qu'ils recueillaient des prmices et envoyaient des sommes d'argent Jrusalem, par des dputs qui les offraient pour les sacrifices. Cependant il ne les chassa pas de Rouie, il ne les dpouilla pas du droit de citoyens ; il voulut que leurs institutions fuissent maintenues aussi bien dans ce pays qu'en Jude ; il ne fil aucune innovation coutre nos proseuques, il n'empcha pas les assembles o s'enseignent nos lois, il ne s'opposa pas ce qu'on recueillit les prmices... Aussi tous les peuples de l'empire, mme ceux qui nous taient naturellement hostiles, se gardaient de toucher la moindre de nos lois.

    Ces Juifs, qui portaient le nom de libertini2, avaient, nous le savons par saint Luc, une synagogue Jrusalem. Ds l'origine, ils montrrent avec ceux de Cyrne, d'Alexandrie et d'Asie Mineure3, une hostilit particulire aux chrtiens de Jrusalem. La mme hostilit accueillit les fidles qui introduisirent le christianisme Rome. C'est ce que nous conclurons lgitimement en rapprochant un texte de Sutone d'un passage des Actes, qui fait mention de l'expulsion des Juifs par Claude4, et nomme en particulier Aquila et sa femme Priscille que saint Paul rencontra Corinthe. Dion Cassius assure, il est vrai, qu' cause du nombre des Juifs, l'empereur se borna interdire leurs runions5. Nous pouvons admettre qu'un certain nombre seulement d'entre eux dut s'loigner. Le tmoignage de Sutone confirme d'ailleurs le dire des Actes et indique le motif de cette expulsion : Claude, dit-il6, chassa de Rome les Juifs, parmi lesquels Chrestus excitait de frquents tumultes. Dans ce Chrestus il est facile de reconnatre le nom dfigur des chrtiens. Les troubles causs par la prdication de l'vangile dans la capitale de l'Empire avaient amen Claude sortir de sa bienveillance habituelle.

    S'il y avait dj des chrtiens Rome, moins de vingt ans aprs la mort de Jsus-Christ, quel messager leur avait apport la bonne nouvelle ? Il est Lieu question de voyageurs romains juifs et proslytes parmi les auditeurs de saint

    1 Lgation ad Caus (traduction Delaunay), p. 323. Sur l'organisation intrieure des Juifs Rome, consulter l'intressant mmoire de SCHURER, Die Gemeindeverfassung der Juden in Rom in der Kaiserzeit (Leipzig, 1879), 41 p., in-4. 2 Annales, II, 85. 3 Actes, VI, 9. 4 Actes, XVIII, 2. La Priscille des Actes est, sans doute la mme que le chrtien Priscus de M. AUB, Hist. des perscutions, p. 82. 5 Histoire romaine, LX, 6. 6 Claude, 25.

  • Pierre, le jour de la Pentecte1 ; mais ont-ils suffi fonder une communaut chrtienne ? Les contemporains eux-mmes ne le pensaient pas : car comment croire qui l'on n'a pas entendu ? et comment entendre sans un prdicateur ? et qui donc peut prcher s'il n'est aptre2 ?

    L'aptre n'est pas saint Paul ; il n'arriva Rome qu'en 61, et nous savons dans quelles circonstances. Son ptre aux Romains, crite de Corinthe en janvier ou fvrier 58, constate que leur glise tait, ds culte poque3, pleine de foi, de perfection dans l'accomplissement des prceptes vangliques, de soumission vis--vis de l'autorit religieuse. Saint Paul ajoute qu'il ne veut pas btir sur le fondement d'autrui4, mais il ne nomme point celui qui a pos ce fondement. tait-ce saint Pierre ? La tradition universelle, trs-ancienne (et qui ne se rattache aucune lgende), des vingt-cinq annes de son pontificat5, le ferait venir Rome peu aprs l'avnement de Claude, 24 juin 41, s'il est vrai qu'il dut la palme du martyre Nron, qui mourut le 9 juin 68. Les Actes, racontant sa mise en prison par Hrode Agrippa lors de l'arrive de ce dernier Jrusalem, disent seulement que, quand il fut miraculeusement dlivr, il s'en alla dans un autre lieu6 ; or, ce que nous savons d'ailleurs des dispositions trs-favorables aux Juifs que Claude manifesta au dbut de son rgne, nous permet d'adopter la fin de l'anne 42 comme date probable de sa venue en Italie. Aprs avoir profit de l'dit de tolrance, il dut tre atteint par l'ordonnance d'expulsion, et prendre, comme Aquila et Priscille en 49, le chemin de l'Orient.

    Cette dispersion des Juifs nous ramne naturellement Jrusalem, on les Actes montrent les aptres runis en l'an 50 pour trancher une question dont la solution s'imposait ce moment. Il s'agissait de savoir dans quelle mesure la religion nouvelle devait se dgager des observances judaques7. Les Juifs, en effet, avaient vu de mauvais il les chrtiens de Jrusalem d'abord, et ceux de Rome ensuite, se montrer de plus en plus infidles aux usages de leurs pres. La dcision, qui fut prise sur l'avis de saint Pierre, dlia en principe la doctrine nouvelle de ces usages, niais, accordant la libert dans la pratique la conscience de chacun, elle ne trancha pas bien des difficults qui, en ralit, ne manqurent pas de surgir. Nous avons le texte de la dcision : saint Paul allait plus loin que la lettre, quand il permettait de manger de la chair immole aux idoles la seule condition de ne point causer de scandale8. Saint Pierre restait en de de l'esprit, lorsqu' Antioche il se relira d'avec les gentils par crainte des rflexions de quelques chrtiens circoncis9. Tous deux faisaient ainsi usage de la libert, mais les, Juifs regardaient surtout la premire partie de la dcision : la communaut chrtienne s'tait affranchie de la loi ; elle tait dsormais une ennemie qu'il fallait poursuivre outrance.

    1 Actes, II, 10. 2 ptre aux Romains, X, 14 et 15. 3 ptre aux Romains, I, 8. XV, 19. XVI, 19. 4 ptre aux Romains, XV, 20. 5 Cf. Die ltesten rmischen Rischofslisten, la suite de l'ouvrage d'Harnack, Die Zeit des Ignatius (Leipzig, 1878). 6 Actes, XII, 18. 7 Actes, XV. 8 Premire ptre aux Corinthiens, VII, 7-11, et X, 23-20. 9 ptre aux Galates, II, 12. coutons TERTULLIEN, dont l'indulgence est peu suspecte, De prscr., XXIII : Ceterum si reprehensus est Petrus quod, quum convixisset ethuicis, postea se a convictu eorum separabat personarum respectu, utique conversationis fuit vitium, non prdicationis.

  • C'est contre saint Paul que furent dirigs les premiers coups, et, chose curieuse, contre saint Paul usant de la libert pour accomplir une observance lgale. Il revenait en effet de Corinthe pour un vu de nazirat, lorsque les Juifs l'attaqurent dans le temple. Il ne leur chappa que par les vigoureux efforts du tribun Lysias, chef du dtachement romain la tour Antonia. Il fut envoy au procurateur Flix, rsidant Csare, qui le retint deux ans prisonnier, esprant en tirer de l'argent. Le successeur de ce dernier, Porcins Festus, arriva dans l't de l'anne 60, et, ds son arrive, les Juifs l'importunrent pour qu'il pronont la condamnation mort de l'aptre ; alors celui-ci, citoyen romain, en appela Csar. Cependant Festus ne comprenait rien l'accusation porte contre saint Paul et ne savait quel rapport joindre l'appel1. Il couta avec une curiosit tonne sa dfense dbite pour la forme en prsence du dernier roi de la dynastie idumenne, Hrode Agrippa II2, et de la clbre Brnice, et dut en somme mettre une note favorable, qui fit acquitter le prvenu, lorsque, deux ans aprs son arrive Rome, 61-63, vint le tour de son jugement.

    L'empereur en eut-il connaissance ? Savait-il ce que c'tait que les chrtiens ? La sparation, clairement faite aux yeux les Juifs, existait-elle dj pour l'tat romain ? Cette question est capitale, parce que si les chrtiens formaient purement une secte judaque, ils avaient une situation lgale, nous l'avons vu plus haut ; si, au contraire, ils taient les adeptes d'une religion nouvelle, leurs rapports avec l'autorit devenaient tout diffrents, et quelle que fut l'attitude du gouvernement leur gard, une chose est nanmoins hors de cloute, ils n'taient plus garantis par l'immunit juive. De fait, la solution parat aussi complexe que controverse, et nous nous trouvons en face des opinions les plus diverses, quant l'poque de la distinction et ses consquences.

    Si nous prenons les crivains allemands, par exemple, il est difficile de rencontrer deux systmes plus opposs que celui du Dr Overbeck3 dans sa dissertation sur les dits des empereurs romains contre les chrtiens depuis Trajan jusqu' Marc-Aurle, et celui du Dr Wieseler4 dans son examen

    1 Actes, XXX, 18. 2 Il avait obtenu en 52 de la libralit de Claude les ttrarchies de Lysanias et de Philippe, comprenant la Trachonite, l'Auranite, l'Abilne et la Batane ; ces pays furent runis sa mort, en l'an 100, la province romaine de Syrie. 3 Studien zur Geschichte der alten Kirche (Schloss-Chemnitz, 1875), p. 93-157. Overbeck, professeur Ble, ne cite pas l'tude approfondie de Franois BAUDOUIN, Commentarii ad edicta reterum principum Romanorum de christianis, Basil per Joannem Oporinum, petit in-8, 132 p., sans date : l'anne 1557 est indique, p. XIII de la prface, la rimpression complte de ses uvres, par HEINECCIUS, Jurisprudentia Romana et Attica, t. I (Leyde, 1778). Baudouin, n Arras en 1520, tudia le droit Louvain et l'enseigna successivement Bourges, Strasbourg, Heidelberg et Paris. Il mourut dans cette ville au collge d'Artois en 1583, et fut enterr in peristyllo Mathurinorum, couvent voisin de l'htel de Cluny. 4 Die Christenverfolgungen der Gsaren bis zunt dritten Jahrhundert, historisch und chronologisch nutersucht (Gtersloh, 1878), X-140 p. Ce serait inutile de nommer les autres auteurs allemands dont les systmes sont rsums par les deux prcdents ; mais il parait juste d'indiquer ds prsent une srie d'articles de Fr. GRRES qui se succdent sans ordre dans Higenfeld's Zeisschrift fr wissenschaftliche Theologie (Leipzig, 1876 et suiv.), et qui traitent des diverses perscutions. Cf. le Christenverfolgungen du mme dans la Real-encyclopdie du docteur KRAUS (Fribourg en Brisgau, 1880). Enfin, dans le recueil cit ci-dessus, 1881, p. 291-331, il a paru un article de Rudolf HILGENFELD, intitul Verhltuiss des rmisehen Staates zum Christenthume in den beiden ersten Jahrhunderlen.

  • chronologique et historique des perscutions des chrtiens par les Csars jusqu'au troisime sicle. Ce dernier systme se rsume dans les trois points suivants : 1 dj lors du jugement de saint Paul, la communaut chrtienne, connue du gouvernement imprial, tombait sous le coup de la loi des associations et de la loi de majest ; 2 un dit de Domitien en aurait ordonn contre elle l'application ; 3 depuis Trajan et sous les Antonins sa situation lgale se serait amliore.

    Overbeck, au contraire, voit les chrtiens confondus avec les Juifs aux yeux des Romains, mme aprs la prise de Jrusalem par Titus ; son avis, les perscutions de Nron et de Domitien ont un caractre purement accidentel et local ; la perscution lgale ne commence qu'avec Trajan. M. Aub est du mme sentiment dans la conclusion de son Histoire des perscutions, page 393 ; cependant, il adopte successivement les deux opinions dans le corps de l'ouvrage. Il n'admet pas, page 189, que les accusations de lse-majest, de sacrilge, de magie, d'association illicite, etc., fussent applicables aux chrtiens. S'il en tait ainsi, dit-il, on ne comprend gure qu'un seul chrtien ait survcu dans l'empire. Mais il admet, page 340, que les textes de la loi de majest (lex Julia majestatis), de la loi de veneficiis, de la loi contre les conjurations, de la loi contre les auteurs des tumultes populaires et de tant d'autres encore dans la fort touffue de la lgislation pnale des Romains, pouvaient tre directement ou indirectement tourns contre les chrtiens. M. Gaston Boissier, qui fait ressortir cette contradiction, penche pour la dernire thse, qui est celle de N. Edmond Le Blant1, et de plus, il donne raison aux crivains ecclsiastiques qui affirment que Nron et Domitien publirent contre le christianisme des dits de proscription2 ; ce qui implique une distinction absolue d'avec le judasme. Il oppose bon droit ceux qui veulent la date de 68 pour l'Apocalypse, on il est question de martyrs en Orient, ceux qui ne veulent pas que la perscution de Nron se suit tendue en dehors de Rome : deux propositions galement chres M. Aub, qui, sur la dernire en particulier, a prtendu perfectionner l'opinion de M. de Rossi lui-mme3. Quant au savant archologue romain, en rendant compte du Mmoire de son collgue, M. Le Blant, sur les bases juridiques des poursuites diriges contre les martyrs4, il s'est vu forc de n'en accepter les conclusions que sous bnfice d'inventaire5, toutes ses dcouvert.5 aboutissant un rsultat quelque peu diffrent. C'est sur les donnes de l'archologie mises par lui en si vive lumire qu'il s'appuie naturellement. Tous ceux qui connaissent la longue carrire fournie dans la science par M. de Rossi comprendront que non-seulement son tmoignage vaut la peine d'tre discut, mais encore qu'il ne salirait tre infirm par de simples points d'interrogation. L'tude des antiquits chrtiennes6 lui a

    1 Voir le travail de M. G. TOURRET sur la Situation lgale du christianisme pendant les trois premiers sicles, dans la Revue catholique des institutions et du droit, juin et juillet 1878. 2 Les Premires Perscutions de l'glise, dans le n du 15 avril 1876 de la Revue des Deux Mondes. Au contraire, M. Ferdinand Delaunay nie l'existence de ces lois dans sa communication l'Acadmie des inscriptions et belles lettres, sance du 28 fvrier 1879, sur la situation lgale des chrtiens en 112. 3 De la lgalit du christianisme dans l'empire romain pendant le premier sicle, dans les Comptes rendus de l'Acadmie des inscriptions, 1866, p. 187, et la fin de l'Histoire des perscutions. 4 Comptes rendus de l'Acad. des inscript., mme anne, p. 358. 5 Bullettino di archeologia cristiana, 1867, p 28. 6 Voici, numrs par M. de Richemont, dans les Nouvelles tudes, les principaux lments d'apprciation dont M. de Rossi s'est servi pour fixer la chronologie des

  • donc permis de constater une priode de confiance et de scurit assez longue pour n'admettre d'autre explication qu'une confusion persistante aux yeux du gouvernement, et par suite, la participation dans une certaine mesure aux privilges de la synagogue1. Les protestations des Juifs ne russissaient pas encore en exclure compltement les chrtiens. Ce motif, joint peut-tre d'autres considrations, contribua l'acquittement de saint Paul. Son appel, nous l'avons vu, le conduisait devant le conseil du prince2, qui se composait de snateurs pris parmi les amis de l'empereur et des deux consuls en charge. A ce conseil appartenait certainement Snque, l'ancien prcepteur de Nron, le frre de celui qui avait refus de juger l'aptre Corinthe.

    C'tait du reste au clbre collgue de Snque, Burrhus, prfet du prtoire, que saint Paul ds son arrive avait t remis par le centurion qui l'accompagnait depuis la Palestine3 ; ce que lui-mme confirme dans son ptre aux Philippiens, lorsqu'il dit que ses chanes taient devenues une manifestation pour le Christ dans le prtoire entier et aux yeux de tous4.

    La confiance avec laquelle il annonce ses correspondants sa visite prochaine, l'interruption soudaine du livre des Actes qu'un dpart seul explique d'une manire satisfaisante, enfin les conditions mmes de l'affaire, tout fait prsumer une solution favorable laquelle ne dut pas rester trangre la bienveillance de Snque5. Mieux qu'un autre, il pouvait distinguer Paul d'un Juif ordinaire. Depuis longtemps, en effet, il tait an courant des doctrines et des lisages des Hbreux. Pendant sa jeunesse Alexandrie, il avait failli tre confondu avec

    catacombes : Les dispositions de la maonnerie, les marques et les noms dont les briques portent l'estampille, la nature et la teinte des enduits, le mode d'excution et le style artistique des peintures, le choix et l'interprtation des sujets, l'emploi des situes ou des mosaques, l'usage des tombeaux de marbre, de terre mille ou de locuti taills dans le lut, l'pigraphie dans toutes ses branches, la langue, le style, les symboles, la nomenclature, la palographie des inscriptions ; enfin l'auteur ajoute, les formes architectoniques des galeries souterraines (Loc. cit., p. 112.) 1 Bullettino, 1865, p. 90 et suiv. 2 Sur cette institution, v. DION CASSIUS, Hist., LIII, 21, pour Auguste ; LVII, 7, pour Tibre ; LX, 4, pour Claude ; cf. SUTONE, Tibre, 55. 3 Actes, XXVIII, 16 du texte grec. 4 ptre aux Philippiens, I, 13. 5 Une preuve de ces bons rapports, dont FRIEDLNDER, Sittengeschichte Roms (Leipzig, 1871), t. III, p. 535, reconnat la possibilit, rsulte de l'inscription suivante d'un descendant de la Gens Anna ou d'un de ses affranchis, trouve au commencement de 1867 dans les fouilles d'Ostie, et reproduite par M. de Rossi dans son Bullettino, mme anne, p. 13 :

    DM MANNEO

    PAVLOPETRO MANNEVSPAVLVS FILIOCARISSIMO.

    Le prnomen de Marcus, qui tait celui du frre de Snque, joint aux cognomma Petrus, et Paulus deux fois rpt, ne saurait tre un jeu du hasard, surtout quand on se rappelle l'habitude des anciens de prendre les noms et prnoms des personnes avec qui ils avaient des relations d'affection. Ce fait doit tre rapproch de la littrature apocryphe qui circulait au temps de saint Jrme et de saint Augustin. Du reste, une seule chose importe notre sujet : le conseiller de l'empereur (nous ne nous inquitons pas du philosophe) a connu l'aptre de l'vangile.

  • eux1. Plus lard dans un passage de ses traits perdus2, il reprenait, entre autres superstitions sociales, les rites mosaques et surtout le sabbat dont il tablissait l'inutilit sur ce que, revenant tous les sept jours, il faisait perdre la septime partie de la vie d'Amer, et que bien des choses pressantes pour le temps souffraient de cette inaction.

    Mais Snque faisait exception la plupart des hommes de son temps. Quand nous voyons les absurdits racontes par Tacite sur les Juifs, au dbut du cinquime livre de ses Histoires, on peut s'imaginer facilement combien l'opinion publique devait phis forte raison tre peu au courant de ce qui concernait les fidles. Sutone n'avait que des renseignements dfavorables sur leur compte, lorsqu'il crivait an commencement du deuxime sicle, et Pline la mme poque s'loignait du Forum romain, emportant une apprciation analogue du nom chrtien, et de la rputation qui y tait attache. Ce qu'il nous apprend de plus, il l'a entendu depuis en interrogeant les chrtiens de Bithynie. Quant Tacite, l'information prcise qu'il a recueillie sur l'origine du christianisme semble extraite de quelque rapport administratif concernant la Jude et dpos aux archives de l'empire : elle porte que l'auteur du nom chrtien avait t condamn mort sous Tibre par le procurateur Ponce-Pilate3. Ces simples dtails, combien peu de beaux esprits ou de lettrs les connaissaient en l'an 64, ainsi que le remarque avec raison M. Aub4 ! Cependant, ce sera pendant bien longtemps, aux yeux des paens, le plus clair de l'histoire du christianisme, et si l'on considre l'importance de la chose juge en droit romain, on ne pourra s'empcher d'tre frapp de l'influence qu'une pareille mention a d exercer sur la situation lgale de la secte nouvelle5. Un des derniers actes de l'tat perscuteur a prcisment consist refaire calomnieusement l'histoire du procs de Jsus-Christ par Pilate, afin d'exciter les populations contre l'glise chrtienne6.

    Nron ne demanda pas tant d'informations lorsque l'opinion l'accusa du grand incendie de Rome en 64. Il avait pu tre le seul de son palais ne pas voir saint Paul, car, bien que celui-ci et converti des gens de la maison de Csar7, ce n'tait pas une raison pour que Csar le connt ; il arrive le plus souvent aux princes d'ignorer ce qui se passe auprs d'eux. Le vulgaire, plus avanc que les lettrs, tait parvenu distinguer nettement les Juifs des chrtiens ; il n'avait pas tard frapper d'une note infamante ces gens d'une dtestable rputation, comme parle Tacite, et qu'il connaissait par leur vrai nom ; aussi est-cc dans ses rapports avec le bas peuple que Nron apprit les distinguer son tour. Il les considrait comme des maudits avant de les traiter comme des coupables, et il n'eut pas de peine les sacrifier, lorsqu'il lui fallut des victimes.

    Mais comment, une date si recule, et parmi les deux millions d'habitants de la ville de Rome, mit-on la main sur un grand nombre de chrtiens8 ?

    1 Ad Lucilium, p.108. 2 De superstitione, ap. Civ. Dei, VI, 11. L'exemple de l'Angleterre, la nation du monde aujourd'hui la plus commerante, nous prouve le contraire. 3 Annales, XV, 44. 4 Hist. des perscutions, p. 97. 5 TERTULLIEN, Ad Nat., I, 4. 6 EUSBE, Hist. ecclsiastique, IX, 5. 7 ptre aux Philippiens, III, 22. 8 Annales, XV, 54. Les dnonciations dont parle Tacite proviennent plutt des Juifs, qu'on tait expos confondre avec les chrtiens.

  • Les recherches de la police n'auraient pas t si fructueuses, si elles n'eussent t secondes par la vieille haine des Juifs. Grce l'impratrice Poppe1, ils avaient l'oreille de l'empereur, et longtemps aprs que l'incendie fut teint, ils purent encore, sous le prtexte de christianisme, satisfaire leurs rancunes.

    Prenons les nobles exemples de notre temps, dit le plus ancien document qui subsiste relativement la perscution de Nron2, c'est par la jalousie et par l'envie que ces hommes trs-grands et trs justes, les colonnes (de l'glise), ont t perscuts et ont eu lutter jusqu' la mort. Considrons les gnreux aptres : Pierre, qui une injuste jalousie a impos non pas une ou deux, mais beaucoup d'preuves, et qui, aprs avoir ainsi rendu tmoignage, s'en est all la place qu'il avait mrite dans la gloire. C'est par suite de la jalousie et de la contradiction que Paul a remport la palme de la patience ; sept emprisonnements, les expulsions, la lapidation, son apostolat en Orient comme en Occident, ont valu sa foi une renomme illustre ; ayant prch la justice au monde entier, pntr jusqu' l'extrmit de l'Occident, rendu tmoignage devant les magistrats, et tant ainsi sorti du monde, il s'en est all dans le lieu saint, idal accompli du courage patient. A ces hommes d'une conduite si vertueuse furent adjoints un grand nombre d'lus qui endurrent, cause (le la jalousie, des supplices et des tourments nombreux, et laissrent un magnifique exemple parmi nous. A cause de la jalousie, on vit des femmes subir le traitement de Danades et de Dircs, soumises d'atroces et d'abominables outrages, et, aprs avoir parcouru d'un pas assur le stade de la foi, obtenir, si frles que fussent leurs corps, une glorieuse rcompense. La jalousie a alin des pouses leurs maris et a dmenti la parole de notre pre Adam : Voici la chair de ma chair et l'os de mes os. La jalousie et la contradiction ont renvers de grandes villes et dtruit de grands peuples. Nous vous crivons ces choses, frres bien-aims, non-seulement pour vous faire rflchir, mais aussi pour rveiller nos propres souvenirs, car nous nous trouvons dans la mme arne, et le mme combat nous est propos.

    Quelle tait cette jalousie dont saint Clment de Rome parlait aux Corinthiens3 ? videmment c'tait celle des Juifs ; eux seuls, comme on le voit par les Actes et les ptres, ont ainsi maltrait saint Paul4. Voltaire les souponne mme d'avoir fourni l'accusation d'incendie la direction qu'elle prit en effet, et il ajoute5 : Il tait aussi injuste d'imputer cet accident aux chrtiens qu' l'empereur ; ni lui, ni les chrtiens, ni les Juifs n'avaient intrt brler Rome ; mais il fallait apaiser le peuple qui se soulevait contre des trangers galement has des Romains et des Juifs. On abandonna quelques infortuns la vengeance publique. Il semble qu'on n'aurait pas d compter parmi les perscutions faites leur foi cette violence passagre. Elle n'avait rien de commun avec leur religion qu'on ne

    1 JOSPHE, Antiquits Judaques, XX, VIII, 11. M. Aub signale son influence probable dans cette affaire, Hist. des perscutions, p. 101 et p. 421 en note. M. Duruy, Hist. rom., t. IV, p. 52, est du mme avis. Wieseler, loc. cit., p. 11, fait remarquer de plus, d'aprs Tacite, qu'elle formait avec le prfet du prtoire le cabinet secret de l'empereur, Annales, XV, 61. 2 L'pitre de SAINT CLMENT DE ROME aux Corinthiens, qui fut crite, ainsi que nous le verrons, en l'anne 96. 3 Premire ptre, V et VI. dit. Funk, p. 66. 4 Cf. Actes, IX, 25, 30 ; XIII, 50 ; XIV, 5, 18 ; IIe ptre aux Corinthiens, XI, 24-26. 5 Essai sur les murs, c. VIII, De l'Italie et de l'glise ; cit par OVERBECK, p. 98.

  • connaissait pas et que les Romains confondaient avec le judasme, protg par les lois autant que mpris.

    Ce jugement, qui repose sur un fond de vrit, se ressent de la leg1-t de l'auteur, et trahit une proccupation insolite chez lui, celle de prendre la dfense du bourreau contre les victimes ; mais Tacite est ici d'accord avec saint Clment pour le rectifier. Les excutions, dit-il, taient accompagnes de divertissements1 : on couvrait les uns de peaux de btes afin de les faire dvorer par des chiens, d'autres taient mis en croix, d'autres enfin taient rendus inflammables, et, la fin du jour, devaient brler pour clairer la nuit. Nron avait ouvert ses jardins pour cette reprsentation, et il donnait des jeux dans le cirque (voisin)2, o, vtu en cocher, il se mlait la foule ou se tenait sur son char. Si bien que ces criminels, qui mritaient les derniers chtiments, ne laissaient pas d'exciter la piti, comme si c'tait moins en vue du bien gnral que par la fantaisie sanguinaire d'un seul qu'on les exterminait. Voil pour la part personnelle de l'empereur ; niais Voltaire a raison de ne pas lui attribuer toute la responsabilit, car de mme que la jalousie des pharisiens de Jrusalem avait trouv un complice dans le faible Pilate, de mme la jalousie de la synagogue de Rome trouva un complice dans le cruel Nron, et les Juifs ont, selon l'nergique expression de Bossuet3, immol saint Pierre et saint Paul par le glaive et les mains des gentils.

    Cependant les disciples franais et allemands de l'cole de Baur voudraient que ce ft saint Pierre, ou son parti, qui et immol saint Paul. En effet, d'aprs eux, la communaut chrtienne fonde Rome resta l'origine attache aux pratiques judaques, et lorsque l'aptre saint Paul y vint plus tard prcher l'affranchissement de la loi, il y trouva des ennemis aussi acharns qu' Jrusalem. Partout o le roman dmenti !' montre Simon le Magicien poursuivi par saint Pierre, ces critiques veulent substituer le nom de saint Paul4. Du reste, ils ont soin de couronner leur systme par une rconciliation posthume des deux aptres. Mais, en 58, saint Paul, crivant aux Romains, s'adressait des chrtiens qui, sans l'avoir jamais vu, taient eu parfaite communion d'ides avec lui. Eu 62, il se plaint que quelques-uns profitent de sa captivit pour prcher l'vangile par esprit de contestation, niais pourquoi ferait-il l allusion saint Pierre plutt qu' des prdicateurs sans mission5, connue ceux qui avaient troubl nagure l'glise d'Antioche ? D'ailleurs, le tmoignage de saint Clment, ainsi que le fait remarquer M. l'abb Duchesne6, est dcisif, puisqu'il nous montre saint Paul comme saint Pierre victimes de la mme jalousie.

    1 L'histoire de Dirc et celle des Danades devaient tre figures. TACITE, loc. cit. 2 Les jardins et le cirque se trouvaient sur les pentes de la colline du Vatican ; ce sont aujourd'hui les jardins dont l'usage a t laiss au Pape, et la colonnade de Saint-Pierre. 3 Discours sur l'histoire universelle, deuxime partie. 4 Ils prtent l'glise de Rome des tendances judo-chrtiennes sur la foi d'un seul passage de l'ptre aux Philippiens, I, 16. 5 Saint Paul, dans son ptre aux Galates, II, 12, les nomme , mais ils n'avaient pas t envoys par l'glise de Jrusalem. Actes, XV, 21. Quant la prtendue dissension entre saint Jacques et saint Paul, l'ptre du premier, II, 17, relve seulement une fausse interprtation d'un passage de l'ptre du second aux Romains, III, 28, o il est parl des uvres mosaques et non des uvres charitables. Cf. ptre aux Galates, V, 6. 6 Revue du monde catholique, 10 juin 1877.

  • Furent-ils envelopps tous deux dans le massacre qui suivit immdiatement l'incendie ? M. Aub se croit forc de l'admettre1, cause du texte que nous avons cit. C'est tirer une conclusion trop rigoureuse d'un simple rapprochement dans une numration dmonstrative. Le mme texte, au contraire, nous oblige retarder le martyre de saint Paul, car il affirme expressment le voyage en Espagne2, dont l'aptre formait dj le projet dans l'ptre aux Romains3, et qui ne peut se placer qu' la fin de sa premire captivit. Nous avons vu aussi qu'il se proposait de retourner en Macdoine ds qu'il serait libr, et tout donne penser qu'il tait absent de Rome en 64. Lorsqu'il revint, peut-tre deux ans aprs, il suffisait qu'il y et encore des Juifs dans le Transtevere pour qu'il y trouve des accusateurs.

    Quant saint Pierre, une ancienne tradition, remontant au moins la fin du deuxime sicle, puisqu'elle est mentionne par Origne4, le reprsente s'loignant de la ville pendant la perscution, et ramen, par la vision de Jsus portant sa croix, la mort qui lui tait rserve. Cc qu'il y a d'incontestable, c'est sa prsence dans la capitale de l'empire, puisque son martyre tait de ceux dont, peine trente ans plus tard, l'glise de Rome se glorifiait, tandis que jamais aucune autre glise, mme rivale, n'a seulement song le revendiquer. Ainsi il est fait, sans indication de lieu, allusion son genre de supplice dans l'vangile de saint Jean5 rdig phse, centre de la tradition asiatique. La tradition syrienne, par la bouche de saint Ignace, vque d'Antioche, de la ville o, comme le remarque M. Aub, saint Pierre apparat pour la dernire fois dans l'histoire, place cet aptre ct de saint Paul Rome6. Saint Denys, vque de Corinthe, dans sa lettre au pape Soter, vers 170, ne les spare pas davantage7. Enfin saint Irne, vque de Lyon, en 180, insiste sur ce qu'ils sont tous deux les fondateurs du sige mme de l'orthodoxie8.

    Depuis, le consentement universel n'a pas t interrompu, et toujours, comme au temps de Caus9, les tombeaux de saint Pierre et saint Paul sont rests la barrire (ad limina apostolorum) contre laquelle viennent se heurter toutes les hrsies, grce la fidlit de l'glise romaine conserver la mmoire du magnifique exemple laiss chez elle par la prdication et le martyre de ses aptres10.

    Nul doute que les vnements qui suivirent le dsastre du 19 juillet 61 n'aient eu un grand retentissement dans tout l'Empire ; mais n'eurent-ils pas aussi des consquences plus durables ? Voyons si leur contrecoup ne devait pas continuer faire des victimes. M. Aub admet qu'ils furent d'un exemple fcheux l'gard

    1 Hist. des perscutions, p 127. 2 In p. de saint Clment, 5. 3 p. aux Romains, XV, 28. 4 Comm. sur l'v. de saint Jean, t. XX, XII. Il s'appuie sur les , crit hrtique trs-ancien, qu'Eusbe cite (Hist. ecclsiastique, III, 25) comme tant apocryphe, quoique lu dans certaines glises. 5 SAINT JEAN, XIX, 19. La Premire ptre de saint Pierre est date de Babylone ce que l'Apocalypse nous apprend traduire par Rome. 6 ptre de saint Ignace aux Romains, IV, 3. d. Funk, p. 218. 7 Histoire ecclsiastique d'EUSBE, II, XXV, 8. 8 SAINT IRNE, Adv. hres., IIII, 3. 9 Hist. ecclsiastique, loc. cit. Sa lettre au montaniste Proclus est de la fin du deuxime sicle. 10 Premire ptre de saint Clment, 6. d. Funk, p. 68.

  • des provinces, sans toutefois crer un prcdent de droit : En fait, dit-il, dans l'Asie proconsulaire1, le sang des chrtiens fut largement rpandu, mais il se refuse imaginer des dcrets spciaux mans du pouvoir central. Cependant, d'aprs le mme auteur, Nron avait comme dcrt la culpabilit des chrtiens de la capitale, et l'incendie de Rome lui fut un prtexte de svir administrativement2.

    L'opinion d'Overbeck est plus catgorique. Selon lui, l'entreprise de Nron contre les chrtiens a t entirement localise dans son origine et dans ses limites, et ne dcide absolument rien par elle-mme quant la situation qui sera faite dsormais au christianisme dans l'Empire3.

    Il s'autorise de Tertullien pour restreindre Rome la perscution ; mais dans le passage qu'il cite, les martyrs de cette ville sont simplement opposs ceux de Jrusalem4, et l, comme dans un autre passage, Tertullien tient surtout invoquer la foi des historiens profanes qui avaient mentionn les vnements dont la capitale avait t le thtre. S'il ne fallait pas s'interdire de demander au fougueux Africain une trop grande prcision, celui-ci semblerait, au contraire, croire une proscription aussi gnrale que le comportait l'application des lois existantes. Tel est aussi, comme nous l'avons dit, le systme de Wieseler5, qui estime que dj, cette poque, les chrtiens formaient aux yeux de l'tat une socit distincte. Il s'appuie sur le texte de Sutone, lequel rapporte la rpression de leur secte nouvelle et malfaisante6 ; toutefois, les termes dont se sert l'historien latin n'autorisent pas la classer, comme voudrait l'auteur allemand, parmi les associations non reconnues, niais la font plutt rentrer dans le nombre des religions trangres, qui depuis longtemps pullulaient Rome, et qui, eu effet, avaient t l'objet de lois trs-svres7.

    Pour se rendre compte de la rigueur avec laquelle on appliquait ces lois, l'poque o nous sommes, nous ne pouvons, ce semble, mieux faire que d'examiner un procs intent peu de temps auparavant, et qui portait prcisment sur ce chef d'accusation.

    Nous savons par Tacite8 qu'une femme de rang snatorial, Pomponia Grcina, marie au vainqueur de la Grande-Bretagne, T. Aulus Plautius, fut dnonce comme professant un culte tranger et remise, suivant l'antique usage, au jugement de son mari assist de ses proches. Sa rputation, sa lie taient en jeu ; mais elle fut acquitte. Ceci se passait en l'anne 58. Cette Pomponia vcut, au dire du mme historien, dans une perptuelle mlancolie jusqu'en 84. Pendant

    1 Le nom d'un martyr de Pergame est rest dans l'Apocalypse, II, 13. Cf. TERTULLIEN, Scorp., 12. 2 Hist. des perscutions, p. 110, 120 et 104. Cette contradiction a t aussi releve par FR. GRRES, p. 273-276 de son article, Antipas von Perganium, dans Hilgenfeld's schrift, 1878 ; lui, pour la logique du systme, supprime ce martyr. 3 Loc. cit., p. 97. 4 Scorp., 15. Cf. Apologtique, 5. 5 Die Christenverfolgungen, p. 8. 6 Nron, 16. C'est ce que, cent ans aprs, on disait des chrtiens de Lyon, Hist. ecclsiastique, 158 ; et Galre, dans l'dit de 313, qui mettait fin la perscution, rptait encore la mme chose : LACTANCE, De mort. persec., 34. 7 Voici les vieux textes conservs dans CICRON, De leg., II, 8 : Separatim nemo habessit deos, neve novos sive advenas nisi publice adscitos privatim colunto. Cf. TITE-LIVE, XXV, 1. Ce qui aurait l'air de ne pas interdire le culte priv des divinits trangres. 8 Annales, XIII, 32.

  • quarante ans, depuis la mort de Julie, fille de Drusus, elle n'avait point quitt son air de tristesse et ses vtements de deuil1. De telles manires, jointes des pratiques religieuses, ont t souvent considres, jusque dans ces derniers temps, comme un indice de christianisme2. Mais cet indice, M. Aub demande pour qu'il prenne cit dans l'histoire et ait la valeur d'un fait3, autre chose que les quelques lignes de Tacite. Ses vux sont remplis par la dcouverte au cimetire de Calliste de l'inscription chrtienne d'un 4. Le voisinage d'autres pitaphes, tant paennes que chrtiennes, de Pomponii Bassi, et de Ccilii, et d'Attici, qui taient allis aux Pomponii, donne de la force l'hypothse, antrieurement propose sous toutes rserves5 par M. de Rossi, d'aprs laquelle le surnom de Lucine, attach la propritaire du terrain o le cimetire fut creus sur la voie Appienne, aurait t reu au baptme (6, illumination) par Pomponia Grcina. Sectatrice d'Isis et de Srapis, Pomponia n'et gure inspir les soupons. La dnonciation dont elle fut l'objet, et qui ne semble pas, en croire Tacite, provenir de la famille, non plus que du mari7, ainsi que le fait s'est prsent cent ans aprs, du temps de saint Justin, a pu tre l'uvre de quelque affranchi juif irrit de sa conversion. Aussi croyons-nous devoir rapprocher le texte cit plus haut, o saint Clment8, parlant des fcheux effets de la jalousie des Juifs, signale le trouble qu'elle avait caus dans certaines familles, en alinant, dit-il, des pouses leurs maris. Quoi qu'il en soit, Pomponia Grcina sortit indemne de son procs. Pourquoi fut-elle acquitte ? Comme la suite nous montre bien qu'elle ne changea pas de vie, il parat que Plautius ne trouva pas la conduite de sa femme coupable ; telle n'et pas t sa sentence, si les anciennes lois contre les cultes trangers avaient conserv toute leur vigueur, et rien n'indique que Nron les ait jamais fait revivre.

    Mais, dfaut de textes spciaux, comme dans cette circonstance le gouvernement romain avait son service cette arme de tous les gouvernements, la raison d'tat, que Tacite nomme utilitas publica, Wieseler croit trouver dans les paroles de l'historien un nouvel argument en sa faveur, lorsque celui-ci impute aux chrtiens, non des actes dfinis par une loi, mais des crimes compromettant l'ordre public, entre autres le flagrant dlit de haine du genre

    1 Avant d'entrer dans notre mission, nous dmes revtir l'habit de deuil des nobles Corens... parce que, en Core, un noble en deuil ne doit tre vu de personne. Lettre du 30 sept. 1878, dans le numro de nov. 1879 des Annales de la propagation de la foi. 2 V. aprs la dissertation de Dr SANCTIS, sur le Spulcre de Plautius (Ravenne, 1784), la rponse de FRIEDLNDER, De Pomponia Grcina superstitionis extern rea (Knigsberg, 1868), par WANDINGER, Pomponia Grcina (Munich, 1873). M. DURUY, qui (t. IV, p. 50 de son Hist. rom.) admet qu'elle tait probablement aussi chrtienne ou juive, crit en note la p. 476, t. V : Je ne puis partager les ides de M. de Rossi sur l'importance de la communaut chrtienne de Rome cls le temps de Nroli, et sur ses progrs dans la noblesse romaine. On ne saurait dire que Pomponia Grcina ft chrtienne. 3 Histoire des perscutions, p. 181. 4 Roma sott., t. II, pl. XLIX, n 27. 5 Roma sott., t. I, p. 319. Cf. t. III, p. 467. 6 CLMENT D'ALEXANDRIE, Pd., I, VI, 26. Cf. SAINT JUSTIN, Premire Apologie, 62, p. 168 de l'd. Otto. 7 Deuxime Apologie, 2, d. Otto, p. 198. Dans ce cas comme dans l'autre, la dnonciation ne fut pas suivie d'effet, mais pour un motif diffrent. La femme accuse de christianisme en 160 par son mari demanda, avant d'tre juge, exercer les reprises dotales auxquelles elle avait droit, comme spare de corps et de bien. 8 Premire ptre, 4. d. Funk, . 70.

  • humain1. Ce dernier grief ne leur est cependant pas particulier, et aprs saint Paul, Tacite l'avait dj dnonc ailleurs, comme caractristique des Juifs2. Aussi n'y a-t-il l qu'une preuve de la confusion des tendances juives et chrtiennes dans l'ide de la plupart des contemporains. Seulement, comme pour l'instant on faisait moins des procs de tendances que des excutions sommaires, les Juifs avaient une garantie individuelle qu'eux seuls pouvaient invoquer, leur nom mme reconnu par l'autorit, et nulle part on ne voit qu'ils aient t impliqus dans les supplices des chrtiens. Les chrtiens, eux, n'avaient aucune qualification lgale, ni bonne ni mauvaise, a l'origine. Lorsqu'ils furent poursuivis, la procdure, d'aprs Tacite, se borna obtenir un aveu ; aprs tout, on ne leur demanda ni s'ils avaient brl Rouie, ni s'ils hassaient le genre humain, mais simplement s'ils taient chrtiens. Fatebantur, voil leur crime fond sur le caprice cruel du prince et les calomnies perfides des Juifs. Ces calomnies et ce caprice cessrent-ils avec l'occasion qui leur avait servi de prtexte ? Ainsi se pose en rsum la question. D'abord, il serait inou qu'il n'en ft pas rest quelque chose. Ensuite, Sutone ne rattache nullement la perscution des chrtiens l'incendie de Rome ; il en parle, au contraire, parmi les institutions du rgne de Nron, et Ruinart a raison d'insister sur ce point3. D'un autre ct, Sulpice Svre, qui, la fin du quatrime sicle, se servait d'un exemplaire complet de Tacite, aprs le passage relatif aux supplices o il le copie4, ajoute : Hoc initio in christianos sviri cptum. Post etiam datis legibus religio vetabatur : palamque edictis propositis, christianum esse non licceat. Tum Paulus ac Petrus capitis damnati ; quorum uni cervix gladio desecta, Petrus in crucem sublatus est5.

    Il est difficile de comprendre ce texte, avec Overbeck, comme sparant la perscution de Nron de celles de ses successeurs. Le sens obvie est que les excutions, ordonnes d'abord arbitrairement par l'Empereur, s'effecturent ensuite d'aprs un ordre constant, et qu' cette seconde priode appartient la mort de saint Pierre et de saint Paul. Nous ne prtendons pas que les aptres fussent nomms dans Tacite ; mais nous voulons faire remarquer que si Sulpice Svre parle d'une mesure plus gnrale, rien ne nous prouve qu'il n'a pas emprunt ce renseignement l'historien profane6, car depuis le milieu de l'anne 67 jusqu'au 9 juin 68 les manuscrits des Annales nous font dfaut. tant admis que le mot d'dit est impropre en cette occasion, encore faut-il savoir jusqu'o pouvaient s'tendre les mesures administratives, et si la police impriale n'avait aucune ramifications en dehors de la circonscription urbaine7. Or du prfet du prtoire dpendaient des agents secrets dans tout l'empire8 ; c'tait un

    1 Annales, XV, 44. 2 Hist., IV, 5. Ire ptre aux Thessaloniciens, II, 15. 3 Prfatio generalis in Acta martyrum, III, 26 (d. de Ratisbonne, 1859). C'est du reste l'expression mme dont se sert TERTULLIEN, Ad nat., I, 7. 4 Cterum illud non pigebit fateri me... usum esse historicis ethnicis, atque ex his, qu ad supplementum cognitionis deerant usurpasse, dit-il au dbut du livre Ier de sa Chronique. 5 Chron., II, 19. 6 Est-ce Tacite que Tertullien avait lu ? Scalp., 15. 7 On n'ignore pas que la juridiction criminelle en Italie appartenait au prfet de la ville jusqu'au centime mille de Rome (Digeste, liv. I, tit. XII, frag. I, 4), et au del au prfet du prtoire. 8 EPICTTE, qui vcut Rome sous Nron et sous Domitien, tmoigne, Diss., IV, XIII, 5, que des soldats habills en bourgeois servaient d'agents provocateurs. Les milites

  • instrument tout indiqu contre les chrtiens. ll fut naturellement mis en action l surtout o ceux-ci taient plus nombreux, en Asie, par exemple. A quelle marque devait-on reconnatre ces coupables signals aux recherches ? Il n'y en avait qu'une, le nom mme qu'ils se donnaient. Paul Orose, malgr son exagration notoire, ne semble pas s'loigner de la vrit lorsqu'il fait porter la perscution sur le nom chrtien1. Et c'est ce qu'exprime navement Hermas quand, dsignant dans une de ses visions les martyrs, il demande2 : Qu'ont-ils eu supporter ? coute, lui est-il rpondu : le fouet, la prison, les tribulations les plus grandes, la croix, les btes froces, voil ce qu'ils ont souffert cause du nom ; voil pourquoi la droite leur appartient dans la gloire, eux et quiconque souffrira cause du nom ; la gauche est pour les autres.

    Les disciples, du reste, en avaient t prvenus par leur Matre3 : Alors vous serez livrs la tribulation, et ils vous tueront, et tous les peuples vous haront cause de mon nom. Ce nom s'est retrouv sur une muraille Pompi, o il n'tait assurment pas pris en bonne part4 ; malheureusement le reste du graffito n'a pu tre dchiffr d'une manire certaine5. On a fait un crime M. de Rossi de voir, par conjecture, dans cette premire mention des chrtiens par une main paenne, un cho de la perscution de Nron6. Cependant l'Italie, qui n'avait pas de gouverneur, n'tait pas soumise un autre rgime que celui de Roule, et l'on sait que l'Empereur frquentait en particulier les bords du golfe de Naples. D'ailleurs, la prsence constate Pompi d'une synagogue influente7 est trs-apte expliquer cette hostilit. M. Aub est d'avis, il est vrai, que les Juifs n'ont eu le pouvoir, ni peut-tre mme le dessein d'attirer le mpris et l'excration publique sur les chrtiens8. Mais saint Justin affirme le contraire quand il leur reproche d'avoir envoy de Jrusalem des messagers par toute la