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EFFERVESCENCE DOC PRÉSENTE

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EFFERVESCENCE DOC PRÉSENTE

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Cette série retracera, pour la première fois en images, la généalogie de l’antisémitisme depuis ses

origines jusqu’à nos jours. Grâce à l’intervention d’une trentaine d’experts internationaux de premier

plan, en s’appuyant sur les traces laissées à travers le monde et les reconstitutions historiques en 3D

élaborées par Ubisoft pour sa série Assassin’s Creed, cette fresque va explorer les multiples facettes

du phénomène et ses évolutions à travers les âges.

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NOTE DE REALISATION

Une enquête historique et « scientifique »

Saisir la complexité de l’antisémitisme

Appelé parfois « la haine la plus longue », l'antisémitisme s’est exprimé dans de multiples endroits

du monde et sous de multiples formes depuis plus de deux mille ans. Remonter le fil de l’histoire

nous permettra de dessiner les lignes de force du phénomène tout en décryptant ses différentes

facettes dans leurs singularités. Cette enquête historique a pour ambition de s’éloigner des

explications réductrices et d’éviter les éprouvantes et fastidieuses recensions des violences et

paroles antisémites. La variété des angles et des éclairages associés à un récit chronologique

rendront cette série accessible tout en en faisant un outil de connaissance et de réflexion.

Un récit pluriel

Le récit sera majoritairement porté par la voix des historiens interviewés et le commentaire off. Les

historiens, face caméra, filmés sur fond vert, afin de travailler les décors, commentent et analysent

les événements. Le commentaire les introduit, les contextualise et nous fait avancer dans le récit.

Un ancrage dans le monde contemporain…

L’antisémitisme ne constitue pas un chapitre révolu de l’histoire. Il persiste encore aujourd’hui. Plus

généralement les mécanismes qui engendrent la haine et les persécutions d’une minorité, tout

comme leurs utilisations et leurs exploitations, sont des phénomènes toujours actifs. Pour rendre

prégnante cette réalité, les séquences débuteront, dans chaque endroit du monde que nous

visiterons au fil du récit, par des vues, notamment de drones, des lieux aujourd’hui.

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Dans le même but, nous illustrerons de nombreuses séquences par des images prises aujourd’hui

dans les lieux clés évoqués en nous attachant particulièrement aux traces laissées par

l’antisémitisme dans l’espace public actuel. D’Alexandrie à Odessa, de Kichinev à Cordoue, de Paris à

Jérusalem, la mémoire des évènements passés résonne encore aujourd’hui.

Une immersion dans les lieux et les époques à travers des reconstitutions 3D.

A partir des images de drones, le spectateur glissera dans le passé, grâce aux reconstitutions en plan

large des lieux réalisées par Ubisoft pour sa série Assassin’s Creed. Il pourra ainsi s’immerger dans

l’univers et l’ambiance des différentes époques.

Pour cela nous utiliserons aussi des parcours en vue subjective, au cœur même de ces différents

lieux, de ces villes, de ces villages, de leurs rues et de leurs bâtiments. Les images d’Ubisoft pourront

nous permettre, par exemple, de parcourir l’Alexandrie de l’Antiquité et son amphithéâtre, le Paris

agité de la Révolution ou le ghetto de Venise et ses synagogues.

Ridabavia, ancien quartier juif

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Des événements illustrés sobrement en dessins

Quand nous évoquerons une scène, un événement précis et particulièrement les événements

dramatiques, ou pour simplement illustrer un témoignage, nous aurons recours à la création

spécifique d’une représentation illustrée. Des dessins en 2D, volontairement sobres en contraste des

images « photoréalistes » d’Ubisoft, et que nous ferons vivre par des jeux d’animation et de lumière.

Au-delà des témoignages, nous ferons appel à des moments de dialogue. Ces échanges, ont pour

grand mérite de faire revivre des moments d’histoire « comme si on y était ». Par exemple, la

« dispute de Paris » sous Saint Louis, où l’on entendra le renégat Nicolas Donin et Rabbi Yéhel

échanger leurs arguments sur le Talmud. Ou encore les débats sur l’émancipation, à l’assemblée

nationale pendant la révolution française.

L’antisémitisme : à travers 2 000 ans d’évolution des médias

Avant de se traduire en acte, l’antisémitisme est une abstraction, une idée qui se propage et évolue

au fil du temps et au contact des cultures. Raconter l’histoire de l’antisémitisme, c’est aussi raconter

comment au fil des siècles les idées se sont propagées dans les différentes sociétés. Les ressources

sont denses et multiples. Nous choisirons d’utiliser celles qui sont contemporaines de l’époque

évoquée. C’est pourquoi au fil des épisodes, les textes, les dessins, les peintures, les sculptures et les

objets seront progressivement remplacés par des photos ou même les cartes postales puis par des

images d’archives vidéo et des fictions, et finalement par des éléments extraits d’internet et des

réseaux sociaux. En mettant en avant des modes de représentation de l’époque évoquée, nous

pourrons nous inscrire davantage dans ce voyage dans le temps tout en soulignant l’impact de

l’évolution des modes de représentation, et leurs capacités à toucher de larges audiences.

Carte postale antisémite, XIXème

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Rendre sensible la permanence des mécanismes de l’antisémitisme

Tout au long des 20 siècles de l’histoire que nous racontons, les mêmes mécanismes se

reproduisent. Le commentaire et les interviews le souligneront, mais il nous semble important que

la réalisation de la série contribue à rendre sensible cette dimension de l’antisémitisme, ces

répétitions des mêmes causes et des mêmes effets. Nous ferons pour cela appel à des récurrences

sonores, musicales et visuelles, sortes de leitmotivs pour reprendre le terme d’un antisémite auto-

proclamé.

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LISTE DES INTERVENANTS

ALGERIE

Ghaleb Bencheikh, Philosophe, théologien et islamologue, président de la Conférence mondiale

des religions pour la paix. L'Islam et le Judaïsme en dialogue ; Le Coran, une synthèse

d'introduction » et Petit manuel pour un islam à la mesure des hommes.

ALLEMAGNE

Thomas Kauffmann, Prof. Histoire religieuse, Göttingen. Les juifs de Luther ; Histoire de la

Réformation.

Peter Longerich, Historien, Professeur. Directeur du centre de recherche sur l'Holocauste et l'histoire

du XXe siècle, Uni. Londres.

Luccia Raspe, Prof. Etudes juives, Francfort. Responsable de la réorganisation du Musée juif de

Berlin.

Peter Schafer, Directeur du Musée juif de Berlin. Les Juifs dans l’Antiquité ; Judéophobie,

attitudes à l’égard des Juifs dans le monde antique.

ETATS-UNIS

Mark R Cohen, Prof., Princeton. Sous le Croissant et la Croix : les juifs au Moyen Âge.

Steven Englund, Historien, Prof. Uni. américaine Paris, Uni. Princeton.

Paula Fredriksen, Prof., Boston. Augustin et les Juifs.

David Kertzer, Prof. d’anthropologie et d’histoire, Brown University. Prix Pulitzer pour son livre-

enquête Pie IX et l’enfant juif-L’enlèvement Mortara.

Sarah Lipton, Prof. Histoire juive, Yale. Dark Mirror: The Medieval Origins of Anti-Semitic

Iconography.

David Nirenberg, Prof. Histoire médiévale, Chicago. Violence et minorité au Moyen-Âge ;

Antijudaïsme : une tradition.

Diana Pinto, Historienne, membre du London-based Institute for Jewish Policy Research. Entre

deux mondes ; Israël a déménagé.

FRANCE

Robert Badinter, Auteur. Ancien ministre de la Justice. Libres et égaux… l’Emancipation des

Juifs ; L’antisémitisme ordinaire.

Pierre Birnbaum, Historien et sociologue. Prof. Sociologie politique, Paris I Sorbonne et Sciences Po

Paris. Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et heureux ? Le concours de l’Académie de

Metz (1787) ; L’Affaire Dreyfus : la République en péril.

Jean-Yves Camus, Politologue et historien. Spécialiste de l'extrême droite française et des groupes

radicaux islamistes.

Guillaume Erner, Sociologue, Dr. en sciences sociales, Paris-Sorbonne. Les modèles explicatifs de

l'antisémitisme ; Le bouc émissaire, autopsie d’un modèle explicatif.

Sarah Fainberg, Historienne. Les Discriminés. Prof. Relations internationales, Tel Aviv et

Georgetown, Washington, DC. L'antisémitisme soviétique après Staline, prix Hertz 2014.

Sylvie-Anne Goldberg, Directrice d’étude à l’EHESS – Spécialiste de l’historiographie et de l’histoire

des Juifs de l’Antiquité au Moyen-âge.

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Antoine Guggenheim, Père, Théologien et directeur du Pôle de recherche du Collège des

Bernardins. L’Antijudaïsme à l'épreuve de la philosophie et de la théologie.

Maurice Kriegel, Directeur d’études juives à l’EHESS. Les Juifs dans l'Europe méditerranéenne à

la fin du Moyen Âge ; La prise d’une décision : 1492, l’expulsion des juifs

d’Espagne ; Mobilisation politique et modernisation organique ; Les expulsions de Juifs au

Bas Moyen Age.

Elsa Marmursztejn, Maître de conférences en Histoire médiévale, Reims. Le baptême forcé des

enfants juifs. Question scolastique, enjeu politique, échos contemporains.

Marie-Anne Matard-Bonucci, Prof. Histoire contemporaine, Paris 8. Antisémythes - L’image des

juifs entre culture et politique (1848-1939).

Pap Ndiaye, Historien, Prof., Institut d'études politiques de Paris. Spécialiste de l’histoire des Etats-

Unis et du racisme.

Elisabeth Roudinesco, Psychanalyste et historienne. Retour sur la question juive.

Juliette Sibon, Historienne, spécialiste de la période médiévale. Université Toulouse II. Chasser les

juifs pour régner ; Saint-Louis et les juifs- Politique et idéologie au temps de Saint-Louis.

Pierre-André Taguieff, Politologue, historien des idées et directeur de recherche au CNRS. Auteur

de nombreux livres sur l’antisémitisme

Zohar Wexler, Dramaturge, comédien et traducteur. Kichinev 1903.

Annette Wieviorka, Historienne , spécialiste de la Shoah et de l'histoire des Juifs au XXe siècle.

Directrice de recherches au CNRS. Le procès Nuremberg ; Le moment Eichmann ; Auschwitz, la

mémoire d’un lieu.

IRAN

Ladan Boroumand, Historienne. La guerre des principes: les assemblées révolutionnaires face

aux droits de l'homme et à la souveraineté de la nation, mai 1789-juillet 1794.

ISRAEL

Denis Charbit, Prof. Histoire et sciences politiques, Israël. Qu’est-ce que le sionisme ? ; Retour à

Altneuland - la traversée des utopies sionistes.

Simon Epstein, Economiste et historien, Prof. et chercheur, Jérusalem. Directeur du Centre

international de recherche sur l'antisémitisme.

A B Yehoshua, Ecrivain, Prof., Haifa. Voyage vers l’an mil ; Pour une explication structurelle de

l’antisémitisme.

Israel Jacob Yuval, Prof., Jérusalem. Historien du judaïsme médiéval. Deux peuples en ton sein

: juifs et chrétiens au Moyen-âge.

POLOGNE

Joanna Tokarska-Bakir : Anthropologue, Professeure à l’université de Varsovie, est l’auteure de

« Légendes du sang : Pour une anthropologie de l’antisémitisme chrétien »

MAROC

Michel Abitbol, Orientaliste, spécialisé dans l’étude des relations entre Juifs et Arabes. Prof., Paris

VIII. Le passé d'une discorde : Juifs et Arabes du VIIe siècle à nos jours » (Prix Thiers de

l’Académie française en 2000) ; Les juifs d’Afrique du Nord sous Vichy ; L’histoire des juifs.

Adil Jazouli, Sociologue. Chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po.

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Episode 1

De l’antiquité aux croisades

Antijudaïsme, judéophobie, haine des juifs, d’où vient ce phénomène qui a traversé les siècles, et

que - par facilité de langage - nous appelons l’antisémitisme ? Comment est-il né ? Où a-t-il pris

naissance ?

Naissance d’une haine antijuive (38 – Alexandrie - Empire romain)

Au fil des siècles de l’antiquité païenne, la Judée, territoire à la croisée des grands empires de

l’époque : égyptien, babylonien, perse, puis grec, romain et parthe, a connu son lot de guerres et

d’invasions. Le peuple de Judée a certes subi les destructions et l’exil, mais aucune trace d’un

antisémitisme avéré ne vient différencier ses avatars des innombrables conflits entre les divers

peuples de l’époque.

Ce n’est qu’à la fin de cette période, sous l’empire romain, que certains situent le premier acte

traçable de l’antisémitisme. Il se déroule en Égypte à Alexandrie en 38 après JC.

Les Juifs y mènent une vie paisible depuis qu’Alexandre le Grand, trois siècles plus tôt, les a autorisés

à s’y installer en leur donnant les mêmes droits qu’aux grecs et macédoniens. Sous l’empire romain,

ils obtiennent même quelques privilèges en récompense de l’aide qu’ils apportent à César dans la

conquête de l’Égypte.

Ces exceptions suscitent le ressentiment et la jalousie chez les Grecs et les Egyptiens qui voient,

dans la même période, leur puissance décliner. Un homme va exploiter cette situation : un célèbre

érudit du nom d’Apion, contemporain d’un illustre inconnu de l’époque, Jésus Christ. Apion est

ambitieux et il va se servir de l’animosité envers les juifs comme d’un tremplin pour sa propre gloire.

En août 38, alors que le roi judéen Agrippa est en visite à Alexandrie, les Grecs et les Égyptiens

d’Alexandrie s’assemblent dans l’amphithéâtre de la ville et figurent une scène où ils ridiculisent

Agrippa « le roi des Juifs ». Par ailleurs, la légende propagée par Apion selon laquelle les juifs

pratiqueraient des sacrifices humains est de plus en plus créditée. Et les Grecs demandent au

gouverneur romain d’imposer les statues de l’empereur dans les synagogues en signe de

protestation contre la dérogation accordée aux juifs. Cet événement est le déclenchement d’une

émeute antijuive. Tueries et pillages sont perpétrés. Les survivants sont envoyés dans un

« ghetto ».

Apion, l’agitateur, se fait alors l’avocat des émeutiers auprès de l’Empereur. A la tête d’une

délégation, il vient plaider leur cause. Face à lui, Philon d’Alexandrie prend la défense des Juifs.

Premier « pogrom » avéré de l’histoire, et mise en place du premier « ghetto » … Premier acte

identifiable dans l’histoire de l’antisémitisme ?

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Les accusations à l’origine portées par les émeutes d’Alexandrie seront reprises à travers les siècles

et serviront à alimenter les principales manifestations de haine à l’égard des juifs. Mais, dans

l’immédiat, ces émeutes resteront un cas isolé. Somme toute, sous l’empire de César et ses

successeurs, la Diaspora juive bénéficie du plus bel ensemble de concessions et de privilèges qu’un

peuple « étranger » ait obtenu de Rome.

Ce n’est qu’avec l’avènement d’un second monothéisme que le statut des juifs sera mis en question

et qu’une phase cruciale de l’histoire de l’antisémitisme va s’ouvrir.

Les racines d’une haine religieuse (IIème-VIIème siècle)

Du judéo-christianisme à l’antagonisme judéo-chrétien

Au premier siècle de notre ère, environ trois millions de Juifs vivent dans la Diaspora, et un

million en Judée, leur berceau initial. Les juifs sont dispersés depuis plusieurs siècles et le peuple

juif, dans sa masse, n’a même pas eu vent de l’existence de Jésus, né dans une famille juive qui suit

les préceptes de la loi hébraïque. Aux yeux de la petite communauté qui l’entoure, Jésus se présente

comme le Messie (Christ en grec) tant attendu par les juifs. Celui-ci doit amener la paix sur Terre, et

représente l’avènement d’une ère nouvelle. Cette première communauté est composée de Juifs de

stricte observance et ne cherche qu’à attirer des Juifs vers son crédo.

Avec l’apôtre Paul de Tarse, tout change. Il promeut l’ouverture vers les Gentils (les non juifs) en

optant pour un changement capital, celui de dispenser ces convertis chrétiens de s’astreindre à la

circoncision et de suivre les commandements de la Loi Juive. Ces nouvelles orientations

remportent un grand succès et ce qui est devenu le christianisme fait de plus en plus d’adeptes

parmi les païens. Mais dans le même temps, elles transforment les chrétiens, qui ne constituaient

qu’une des nombreuses sectes juives de l’époque et représentaient des hérétiques aux yeux des

tenants de l’orthodoxie religieuse.

Les deux camps s’opposent, Juifs et Chrétiens se réclament tous deux d’Abraham et du même

texte originel, la concurrence entre eux va devenir frontale.

Alexandrie

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Une rébellion juive prend de l’ampleur, suscitée par des motifs autant religieux que nationalistes,

mais la répression romaine, menée par le futur empereur Titus, à partir de 69, va dévaster la Judée

en supprimant le temple juif de Jérusalem.

Soixante ans après la mort du Christ, tout a donc changé. La position des juifs est affaiblie et le

judéo-christianisme est mort, l’Église et la Synagogue se combattent brutalement.

Une lente différenciation

Les deux camps se livrent à une intense compétition dans le prosélytisme et Rome commence à faire

progressivement la différence entre Juifs et Chrétiens. En 132, une nouvelle révolte secoue la

Judée. L’empereur Hadrien réprime la révolte dans le sang et puni les Judéens en les exilant de

Jérusalem. Les Chrétiens s’organisent et demandent à Rome de les considérer comme les

pratiquants d’une religion légale et différente de celle des Juifs.

Théologiquement, c’est le philosophe chrétien Justin qui pose les premiers jalons officiels de la

séparation entre le christianisme et le judaïsme. Désignant les juifs comme responsables de la

mort du Christ, il outrepasse le récit initial, qui pointe du doigt Judas comme délateur, et les qualifie

de « peuple déicide ».

Le successeur d’Hadrien, l’Empereur Antonin, doit faire face au succès croissant de la prédication

chrétienne et se retourne alors contre la communauté chrétienne. Tout le IIIème siècle sera un

siècle de persécution à l’encontre des Chrétiens.

Pendant deux siècles, les chrétiens continuent à suivre le calendrier juif et fréquentent souvent

les synagogues. Jusqu’au IIIème siècle, les prescriptions alimentaires juives sont suivies par de

nombreuses communautés chrétiennes. On consulte les Rabbins quand on s’interroge sur des points

de la Bible, car pour interpréter l’ancien Testament, le peuple juif est le plus qualifié, on se fait

soigner par les médecins juifs dont la réputation est déjà très établie. Cette proximité, ces échanges,

hérissent la hiérarchie ecclésiastique. Le IVème siècle va leur permettre d’acter la séparation.

La révolution constantinienne acte un nouveau chapitre de l’histoire : l’Empereur Constantin se

rallie à l’Eglise du Christ. Jusque-là persécuté, le christianisme va dorénavant s’imposer et

chercher à obtenir le monopole religieux. C’est une des plus importantes révolutions de

l’Histoire. Pour l’Église, ce judaïsme en pleine vitalité est l’adversaire à combattre, l’ennemi intime,

politique autant que spirituel.

C’est aussi à cette époque que la longue tradition orale juive va s’écrire. Entre le IVème et le Vème

siècle, la rédaction définitive des explications et des commentaires du texte sacré va former le

Talmud.

Enseigner le mépris

En 387, le futur Saint-Augustin, jeune romain de 33 ans, se convertit au christianisme. Il devient

théologien et va forger les armes contre l’ennemi juif. Évêque d’Hippone, l’une des principales cités

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de l’Afrique romaine, Saint-Augustin cherche une confrontation avec les Juifs d’autant que ces

derniers multiplient les tentatives prosélytes auprès des chrétiens et des païens. Il doit alors faire

face à la question troublante pour la théologie chrétienne de la permanence du judaïsme. Si la

venue de Jésus représente l’avènement du messie, c’est alors qu’une nouvelle ère voit le jour et

qu’elle ouvre le chemin d’un nouveau testament. Le judaïsme n’a donc plus raison d’être. Or les

juifs continuent d’exister et de faire des émules. C’est alors qu’il développe sa doctrine du « peuple

témoin » en élaborant une analogie avec l’histoire biblique de Cain et Abel.

Abel représente l’Église, fils cadet préféré de Dieu. Caïn est l’aîné maudit à jamais, suite au meurtre

de son frère. Caïn est marqué d’un signe (ici, la circoncision) et condamné à errer éternellement sur

terre, menant une existence misérable. Mais il doit être laissé en vie.

Selon Saint-Augustin, Dieu a voulu que les juifs servent de témoins des temps anciens. Ils sont là

pour attester l’authenticité des textes sacrés sur lesquels se fonde la foi chrétienne.

« Qu’est-il donc, aujourd’hui, ce peuple, si ce n’est une espèce d’archiviste des chrétiens. Eux ont les

livres, et nous, nous tenons le Christ ». Le rôle des chrétiens serait alors de maintenir les juifs « en

vie » mais dans une situation d’avilissement qui ne cessera de rappeler leur faute et par lequel

toute souffrance serait une expiation. Selon lui, l’antijudaïsme chrétien exige donc la survie du Juif.

Mais une survie honteuse, dans le mépris et la déchéance. Une vie torturée sans cesse tourmentée.

La doctrine antijuive de Saint-Augustin constitue un tournant majeur dans la mesure où elle

préconise un changement de statut des juifs. Au moment de son élaboration, cette doctrine n’est

pas immédiatement reprise par les autorités civiles, plus soucieuses de maintenir l’ordre dans la cité.

Elle jouera un rôle central dans le douloureux sort des juifs en terre chrétienne, mais quelques

siècles plus tard.

Les juifs, qui vivent alors disséminés aux quatre coins de l’empire, vont passer du statut de citoyens

privilégiés au statut de citoyens de seconde zone.

Hipppone, basilique Augustin

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Byzance et l’avilissement par la Loi

Au début du Vème siècle, l’Europe et l’Afrique du nord sont bouleversées par les invasions

barbares. L’empire romain, avec son système administratif et législatif, ne survit qu’à travers

Byzance.

Pour l’Église, il s’agit de défaire lentement le statut privilégié des Juifs accordé par Rome. Mais

l’administration est par nature conservatrice, et les modifications de législation ne peuvent se faire

que progressivement, décennies après décennies. Le premier souci de l’Église est de combattre le

prosélytisme juif afin d’affaiblir la concurrence. Aussi, les premières lois punissent tous ceux qui se

convertissent au judaïsme. Mais le prosélytisme continue, les mesures contre les juifs se

multiplient et les chrétiens sont encouragés à convertir les juifs.

Les synagogues sont protégées par le pouvoir impérial, mais à la fin du IVème siècle, la

construction de nouvelles synagogues est interdite. Dans la même période on construit des églises

en masse. A partir de 432, on interdit de restaurer ou d’embellir les synagogues existantes et on fait

tout pour en interdire l’accès aux non juifs. On interdit progressivement aux juifs certaines

professions. Alors que les juifs étaient nombreux dans l’armée romaine, on leur en interdit l’accès

par des lois renouvelées, en 404 et 418. On les exclue progressivement de tous les postes

administratifs en commençant par les hautes fonctions de la cour. Ils sont exclus de la profession

d’avocat en 425 et de toutes les fonctions publiques en 438.

Néanmoins, les juifs ne sont pas pour autant inquiétés dans leurs pratiques. Et ces lois

discriminantes ont bien du mal à s’imposer à l’Ouest de l’Europe où l’empire romain d’occident est

en train de s’effondrer.

Dans ces territoires désormais sous la domination des rois barbares règne le plus grand chaos et

une extrême diversité de situations. Le système restrictif mis en place par Byzance a donc beaucoup

de mal à s’imposer dans de nombreux territoires.

Les modes de transmission

Tout le problème pour l’Église, pendant cette longue période, est donc de transmettre cette

détestation des Juifs au sein d’une population trop souvent encline à la fraternisation. L’influence

de l’écrit est très faible dans une population globalement illettrée et ce sont les contes populaires

qui véhiculent le message. L’opposition judaïsme/christianisme est présentée au peuple comme la

lutte du mal contre le bien, du Diable contre Dieu. Dans un climat général d’ignorance, les

morales simplistes de ces fables peuvent facilement se propager.

Mais la façon principale de façonner les esprits passe par la liturgie. Quand ils vont à l’église, le

vendredi saint, les Chrétiens ont le devoir de prier Dieu pour les Juifs afin qu’ils mettent fin à leur

aveuglement et rejoignent les vrais croyants.

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En terres d’Islam (VII-VIIIème siècle) Dans cette période du Haut Moyen-Age, les juifs ont déjà vécu une longue histoire en Arabie où ils

trouvaient leur place au milieu de tribus polythéistes. Au VIIème siècle, dans la région ouest de la

péninsule arabique, un bouleversement majeur va modifier l’équilibre des forces en présence. Près

de Médine, un prêcheur rencontre un succès aussi considérable que soudain. Ce prêcheur, Mahomet,

qui n’est ni juif ni chrétien, est parti à quarante ans, à la recherche du Dieu unique. Au lendemain

d’une révélation nocturne, il déclare sa vocation à transmettre une parole divine dont l’origine juive

est assumée. Il donne sa propre interprétation de l’Ancien Testament et fonde une nouvelle

religion : l’Islam.

Banni de sa tribu polythéiste, Mahomet, accompagné de quelques fidèles, se rend à Médine et

espère être reçu comme le nouveau prophète par les Juifs. Nombreux et prospères, les Juifs de

Médine refusent de le reconnaitre comme un prophète mais certains acceptent d’être sous sa

protection et son commandement face à la menace de tribus étrangères.

Mahomet n’est pas seulement un prêcheur hors pair, c’est aussi un grand stratège militaire et il va,

en une dizaine d’années, mener la conquête de toute l’Arabie. Il conclut des accords de soumission

avec les populations juives et chrétiennes conquises, qui bénéficient de sa protection en échange du

paiement d’un impôt. Cette mesure porte un nom : « la dhimma », terme signifiant en arabe

soumission mais aussi protection.

Des années après sa mort, les révélations de Mahomet sont couchées par écrit par ses successeurs.

Dans ce livre sacré, le Coran, l’attitude de Mahomet vis à vis des Juifs se traduit par des versets

contradictoires. Certains peuvent glorifier les « Fils d’Israël » tandis que d’autres les vouent aux

gémonies en tant que « Yahouds ».

Le Coran reprend aussi le raisonnement de Saint Augustin mais en le transformant. Ce sont

maintenant les Juifs et les Chrétiens, gens du Livre, qui auront été les témoins de sa venue et sont

décrits comme des témoins infidèles, détenteurs d’une semi-vérité. Ils veulent « éteindre la lumière

d’Allah avec le souffle de leur bouche ». En même temps, à de multiples reprises, le Coran affirme la

liberté de conscience : « Nulle contrainte en religion ». Ces écrits contradictoires vont permettre de nombreuses interprétations, servant des causes

parfois bien opposées.

A la mort de Mahomet, ses successeurs poursuivent ses élans d’expansion. Très vite, les armées

musulmanes étendent leurs conquêtes sur trois continents. Au VIIème siècle, une majorité des

juifs vit alors sous le règne de l’islam. Mais surtout, les califes se retrouvent à gouverner une

population dont les juifs comme les chrétiens et les zoroastriens sont plus nombreux que les

musulmans.

L’Islam gouverne alors un territoire dans lequel sa pratique est minoritaire. Les califes décident de

codifier le statut de « dhimma » initié par le prophète : ils imposent le pacte d’Umar. Ce pacte

assure aux « gens du Livre », chrétiens et juifs, la sécurité et la liberté de vivre leur foi à condition de

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se plier à certaines restrictions reflétant l’infériorité de leur statut. Entre autres, ils doivent porter

un signe distinctif, une ceinture jaune pour les juifs, et bleue pour les chrétiens. Ils ont deux impôts

particuliers à payer. Et ils ne peuvent monter des chevaux, mais seulement des ânes ou des mulets.

Le modèle islamique de hiérarchie se caractérise également par sa souplesse. Ainsi, malgré son

statut d’infériorité, le judaïsme s’affirme, se diffuse, préserve son culte et son autonomie juridique.

Vers l’an 800, Bagdad devient le centre de l’Empire islamique. C’est une ville œcuménique, riche

d’une des plus florissantes communautés juives. C’est la période où la théologie de l’Islam se

constitue, avec l’écriture des haddits, qui sont en partie des transpositions des textes du Talmud.

L’échange culturel est intense.

Avec la conquête arabe, le peuple Juif, de cultivateur qu’il était, se transforme progressivement en

peuple de commerçants ou d’artisans. En Islam, le commerce est considéré comme l’une des

occupations les plus agréables à Dieu, et Bagdad est une plaque tournante internationale. Des

commerçants et des banquiers juifs acquièrent une grande renommée. A Bagdad puis au Caire la

coexistence donne lieu à une grande civilisation. Elle va finir par atteindre l’Espagne et Cordoue.

C’est le début d’un âge d’or qui va durer 400 ans.

L’Espagne musulmane

La conquête arabe ne s’arrête pas aux frontières européennes. En 711, les Arabes envahissent

l’Espagne. Une fois les villes conquises, les conquérants arabes confient souvent aux Juifs la garde

des villes tombées en leur pouvoir. Ces conquérants s’installent en Espagne pour plusieurs siècles. Il

se développe alors une culture hispano-mauresque, qui va jouer un rôle décisif au niveau de la

philosophie, de la science et de la poésie pour toute l’Europe.

Car avec les invasions barbares, l’héritage de l’Antiquité grecque a sombré dans l’oubli. En

rétablissant le lien entre Orient et Occident, les Arabes amènent avec eux cet héritage. La civilisation

d’Al-Andalus ouvre une période de « Lumières médiévales » et les Juifs servent souvent de passeurs

entre Musulmans et Chrétiens.

La ville de Cordoue devient un centre international et multiculturel où une vie raffinée se

développe, faite de tolérance religieuse, et d’une liberté impensable sur le reste du continent.

Les Juifs sous les Carolingiens

Le climat est à la tolérance. Les princes apprécient l’habileté des marchands et médecins juifs.

Charlemagne, par exemple, qui est particulièrement féru d’éducation, aime le savoir des Juifs, qui

apprennent à leurs enfants à lire dès le plus jeune âge. Dans un Moyen-âge majoritairement

analphabète, ils servent souvent de professeurs et de précepteurs. La bienveillance de l’Empereur

carolingien à leur égard se transmet de génération en génération.

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L’Occident aux abords de l’An 1000

Dans l’Europe chrétienne de l’An Mil, la figure du Juif est soumise à la détestation dans les récits

théologiques, mais les Juifs eux-mêmes ne sont pas particulièrement inquiétés et certaines

communautés sont même florissantes. Installées particulièrement en France du Nord et sur les

bords du Rhin, elles bénéficient de bonnes conditions de vie et d’une liberté totale de culte. Leur

épanouissement intellectuel et culturel s’illustre à travers la figure de Rachi de Troyes. Auteur des

principaux commentaires enseignés du Talmud, son influence dépasse largement les sphères du

judaïsme et certains de ses écrits comptent parmi les plus anciens apports à la connaissance du

français du Moyen Âge.

Mais dans le même temps, la « Grande Peur » gagne l’Occident. Au Nord, les raids scandinaves

sèment la terreur. A l’Est, la ruée des hordes Magyars dévaste tout sur son passage. Et l’Islam au Sud

reste une puissante force conquérante. Le climat d’insécurité est généralisé et l’organisation féodale

de la société se met en place pour répondre aux menaces.

La Chrétienté, attaquée de toute part, se sent assiégée et menacée d’éclatement. Sa réaction va

être le lancement d’un formidable mouvement mystique pour tenter d’unifier tous les chrétiens

d’Europe sous une même bannière. Le 27 novembre 1095, au concile de Clermont Ferrand, le pape

Urbain II entreprend de prêcher la première Croisade. Personne ne se doute du prodigieux

retentissement que connaîtra cet appel, ni des conséquences incalculables sur le sort des minorités

juives. Rien ne peut les préparer au traumatisme qu’elles vont bientôt affronter.

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Episode 2

Des Croisades à l’Emancipation

Tout au long du premier millénaire de notre ère, l’antisémitisme prend racine, entre luttes de

territoires, antagonismes religieux et fantasmes expiatoires.

Le temps des Croisades

« Une soudaine violence antijuive »

Dieu le veut !

Autour de l’an 1000, le mysticisme gagne les populations européennes, et les pèlerinages vers

Jérusalem se multiplient. Les Arabes, qui tiennent la ville sainte depuis 638, ont toujours permis

ces pèlerinages, mais en 1071, Jérusalem tombe aux mains des Turcs qui en interdisent l’accès aux

pèlerins. Ils menacent aussi Byzance et l’empire romain d’Orient.

Le 27 novembre 1095, le pape Urbain II lance un appel aux chevaliers, pour prendre les armes et

secourir leurs frères chrétiens d’Orient. Le pape est dépassé par le succès de son appel. De tous les

coins de la chrétienté, moines, chevaliers, gens du commun, quittent leurs familles, vendent leurs

biens, et en prenant la croix, partent pour Jérusalem.

Dans ce climat d’exaltation des foules à croiser le fer avec « l’envahisseur », les écrits théologiques

semblent prendre corps et les juifs européens considérés comme « infidèles » et « déicides »

sont soudain pris pour cibles. Pour se ravitailler ou exprimer leur exaltation, les croisés s’en

prennent, sur le chemin, aux « infidèles » vivant en pays chrétiens : les Juifs. A Metz, à Rouen, mais

aussi dans les villes Rhénanes, les juifs sont massacrés.

Mayence, cimetière des Croisades

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La déshumanisation et l’apparition des légendes de sang

Les persécutions ont pour effet paradoxal d’augmenter l’hostilité envers les Juifs. Sur le terreau

des anciennes accusations théologiques se développent alors toutes sortes de fantasmes. La

situation des communautés juives va se dégrader continuellement dans un long processus où le Juif

réel, que le Chrétien côtoie pourtant depuis des siècles, se voit progressivement dépouiller de sa

dimension humaine. Il se transforme en un personnage abstrait, mythique. Un juif imaginaire

fondamentalement différent de ses contemporains.

En 1144 dans le nord de l’Angleterre, à Norwich apparait la première accusation de meurtre rituel.

Peu avant la Pâques juive, le corps d’un adolescent est retrouvé dans un bois. Le moine bénédictin

de la ville, Thomas de Monmouth, accuse les Juifs du meurtre.

L’accusation de crime rituel est très rapidement accompagnée d’autres types de « légendes du

sang ». C’est à Paris en 1290 qu’apparait pour la première fois une accusation que l’on retrouvera à

de multiples reprises : la profanation d'hostie. Un usurier juif parisien fut accusé par une servante

chrétienne de lui avoir extorqué une hostie en échange de la récupération des vêtements qu’elle

avait mis en gage auprès de lui. La communauté juive rassemblée aurait ensuite tenté de lacérer

cette hostie avec des couteaux. Le plus grand couteau serait tout juste parvenu à la partager en trois

morceaux, dont du sang aurait alors commencé à s’écouler. Jetés ensuite dans de l’eau bouillante,

les trois morceaux d’hostie auraient transformé cette eau en sang, et donné corps à une pièce de

chair tout entière. Cet événement est censé prouver dans le même temps la présence du corps du

christ dans l’hostie et l’infamie des juifs.

L’antisémitisme a donc pris un nouveau tournant en se constituant à présent autour d’un

ensemble fantasmatique : les légendes sanglantes. D’autres types d’accusations vont commencer

à proliférer, comme l’infanticide ou le cannibalisme. Après les meurtres rituels et l’empoisonnement

des hosties, apparaît l’idée d’un empoisonnement des esprits. Les accusations de légendes du sang

étaient parfois justifiées par une prétendue injonction du Talmud qui inciterait les juifs à pratiquer

les sacrifices humains en référence à l’histoire biblique de la ligature d’Isaac. Le livre de

commentaires rabbiniques est de plus en plus dénoncé comme un instrument du diable.

Premières images antijuives et premiers signes distinctifs

A toutes ces accusations s’ajoute un autre fait nouveau : le Juif devient un personnage identifiable

dans l’iconographie chrétienne. La distinction est d’abord vestimentaire, elle devient rapidement

physique. Le juif apparait plus petit avec un teint plus foncé que le chrétien. Mais surtout, les

imagiers décident de lui courber le nez. Les premières caricatures de juifs au nez crochu

apparaissent en Angleterre en 1233. A travers ces images, on cherche à stigmatiser les juifs en

leur accolant des caractères imparfaits de la physionomie, habituellement attribués à la figure du

diable, dans le but de révéler leur appartenance à l’univers du mal.

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On distingue à présent les juifs dans les iconographies chrétiennes mais ce distinguo va dépasser

l’imagerie quand, au Concile de Latran en 1215, le pape demande que les juifs portent désormais

un signe distinctif sur leur vêtement. En 1269, Saint Louis décide de mettre à exécution la

demande de la Papauté. A la veille de son départ pour la huitième croisade, il impose le port d’un

cercle de couleur jaune (une rouelle) sur le vêtement. Les Juifs protestent contre ce stigmate qui les

isole du reste de la population. Mais son usage s’impose dans tout le royaume.

Cette initiative sera bientôt suivie par d’autres pays de la chrétienté : rouelle aussi pour l’Italie,

chapeau conique rouge et jaune pour l’Allemagne, deux bandes blanches pour l’Angleterre… La

société médiévale se fragmente, figeant les uns et les autres dans des rôles prédéterminés.

Le siècle du diable (XIVème siècle)

Jusqu’à présent, dans ce XIIIème siècle européen, Juifs et Chrétiens font partie d’un même monde et

les influences entre les deux cultures sont encore nombreuses. Certains papes et des autorités

séculières, soucieux de l’ordre public et de la prospérité des états, interviennent encore

régulièrement pour demander l’arrêt des violences.

Mais à partir du XIVème siècle, une succession de désastres s’abat sur l’Europe. Les juifs vont servir

d’exutoire aux foules européennes saisies par la peur. Et les peuples vont trouver dans la figure

du juif honni, le responsable de « la colère divine ». Dans les représentations, le juif porte désormais

des cornes, un bouc et parfois des sabots aux pieds.

Les Juifs deviennent ainsi une cible utile pour calmer les colères et les interrogations du peuple lors

de l’arrivée de la peste noire en 1347. Ce fléau se répand sur tout le continent, désorganise

l’ensemble de la société et emporte, en trois ans, un tiers des habitants du continent européen. Une

rumeur surgit : des Juifs, associés aux lépreux, empoisonneraient les puits à l’aide de sachets

maléfiques. Ils sont les intermédiaires du Diable sur Terre.

Dans cette chasse au Diable, les Juifs ne sont pas les seuls à être persécutés. La sorcière devient une

cible privilégiée de l’église, et à la fin du siècle, plus de 30 000 femmes accusées de sorcellerie,

finissent sur le bûcher. C’est dans ce climat de déshumanisation que les politiques d’expulsion

vont se mettre en place un peu partout en Europe.

Première caricature du « nez juif »

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L’expulsion des juifs d’Europe (XIV-XVème siècle)

La société féodale se structure en communautés de métiers. Dans cette société, les Juifs sont

progressivement marginalisés, exclus des corporations artisanales. Cette société n’offre

pratiquement aucun débouché aux Juifs qui ne peuvent, sauf exception, être soldat, ou posséder des

terres. De nombreux Juifs se sont retrouvés par défaut à exercer les rares métiers auxquels ils ont

accès : fripiers, prêteur sur gage, usurier… Ces métiers sont considérés par l’Église comme

« impurs ». Cette dernière définit l’intérêt sur l’argent comme illégitime et immoral.

La relégation aux métiers d’usure associe, dans l’esprit de la population, les Juifs au « peuple des

Judas ». Ils deviennent des parias, descendants de l’homme qui a trahi Jésus pour trente deniers.

« L’argent sale » des juifs devient un motif d’expulsion. C’est aussi une manière de renflouer les

caisses du pouvoir : dès qu’un besoin d’argent se fait sentir, il est fort simple de promulguer un édit

d’expulsion et de s’emparer des biens des Juifs. On assiste partout en Europe à une série

d’expulsions et de rappels, au gré notamment des besoins financiers du pouvoir séculier. Les

expulsions se présentent comme la solution à différentes problématiques et sont destinées à

satisfaire les populations.

L’Angleterre expulse les juifs dès la fin du XIIIème siècle. La mesure prise par le Roi Édouard Ier est

avant tout symbolique, la communauté juive britannique ne regroupe que 2 000 personnes.

L’expulsion des juifs de France est bien plus importante. Elle concerne une centaine de milliers de

juifs à qui l’on confisque tous leurs biens et leurs finances. Elle intervient définitivement en 1394 sur

ordre de Charles VI. Elle sera suivie par l’expulsion des juifs d’Espagne et du Portugal.

Pendant longtemps les juifs restent particulièrement bien traités en terre espagnole, mais tout au

long du XIVème siècle, l’Espagne se met lentement au diapason du reste de l’Europe. A Séville, à

partir de 1378, l’archidiacre Ferrando Martinez mène une guerre ouverte contre les Juifs et pousse les

chrétiens de la ville à attaquer le quartier Juif. Les émeutes se propagent dans tout le pays, et de

nombreux Juifs se convertissent pour échapper à lamort.

En 1412, le pape Benoit XIII se met en tête de convertir tous les Juifs d’Espagne. 1414 sera l’année de

la grande apostasie. Une multitude de Juifs choisissent la conversion, et l’Espagne se peuple de

« nouveaux chrétiens ». On les appelle les conversos (convertis en espagnol). Parmi les nouveaux

convertis le scepticisme religieux gagne les esprits, et c’est parfois avec un parfait cynisme qu’ils

embrassent la croix.

Le converso finit par inquiéter plus que le Juif traditionnel, finalement plus repérable. La méfiance

se généralise. D’autant que parmi ces conversos, certains affichent une foi chrétienne des plus

pieuses tandis qu’ils continuent à pratiquer le judaïsme en secret. Ce phénomène s’appelle le

marranisme. Le mot marrano veut dire en espagnol « cochon » et désigne de manière péjorative ces

juifs dissimulés, en référence à l’interdit de manger du porc.

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L’Inquisition

Comment débusquer le Juif caché, celui qui sous le masque du bon chrétien, continue à pratiquer la

loi juive ? L’Église décide d’avoir recours à une institution créée pour traquer les hérétiques en

tous genres depuis des décennies : « l’Inquisition ». Ferdinand d’Aragon, marié à Isabelle de Castille,

va l’utiliser lui aussi comme une véritable police politique afin de lutter contre tous ses

adversaires, mais les marranes en resteront la cible principale.

Il suffit de ne pas allumer son feu un samedi d’hiver, de ne pas aimer le porc, de cuisiner avec de

l’huile d’olive plutôt qu’avec du saindoux, ou de simplement sourire en entendant mentionner le

nom de la Sainte Vierge, pour se retrouver devant le tribunal. Pour les inquisiteurs, seul l’aveu

compte et tous les moyens sont bons pour l’obtenir. Les tortures peuvent durer des jours, des

semaines… Celui qui avoue a la vie sauve et peut se racheter, celui qui nie jusqu’au bout finit au

bûcher. Le tourment des innocents est pire que celui des « coupables » car ils n’ont rien à avouer.

Le 2 janvier 1492, Ferdinand d’Aragon et Isabelle la catholique entrent dans Grenade, dernière terre

d’Espagne à être libérée des Maures. Deux mois plus tard, ils signent l’édit d’expulsion des Juifs

d’Espagne.

En quête de refuge (XVI-XVIIème siècle)

Expulsés d’une grande partie d’Europe, les juifs cherchent refuge vers le Sud, le Maghreb, ou vers

l’Est. L’Europe occidentale perd la quasi-totalité de ses communautés dont les membres trouvent

surtout asile dans le bassin méditerranéen. Une petite minorité rejoint l’Allemagne.

La Réforme

Au début du XVIème siècle, un jeune théologien du nom de Martin Luther, défie l’autorité papale en

tenant la bible comme la seule source d’autorité pour les chrétiens. En 1521, il est excommunié. Mais

cette mise au ban ne fait que précipiter la Réforme. Le protestantisme est né. Au commencement,

Martin Luther se montre favorable aux juifs qu’il pense convertir à sa nouvelle foi.

Mais, déçu de ne pouvoir convertir les juifs en masse, il incite finalement ses coreligionnaires à les

détester. Plus il vieillit, plus il devient ordurier, choquant jusqu’à ses plus fidèles compagnons. Mais

l’impact historique de l’homme est immense et ses prises de positions marqueront durablement

une partie de la société germanique.

L’Italie et le ghetto

Une partie des juifs expulsés du reste de l’Europe occidentale ont trouvé refuge en Italie. Là où se

trouve une communauté originelle installée depuis l’Antiquité. En Italie, le sort des juifs est empli de

paradoxes. Au cœur du pouvoir chrétien, la Papauté applique bien peu ses propres décrets antijuifs.

Cette mansuétude sert de modèle aux autres états italiens, et le rejet des Juifs est bien moins

violent en Italie que dans le reste de l’Europe. Cela ne va pas empêcher l’apparition à Venise d’un

ghetto, quartier où les juifs sont forcés de résider, en 1516.

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L’Antisémitisme sans Juifs

Durant cette période, en France et en Angleterre, alors que les Juifs ne sont plus présents,

l’antisémitisme persiste et se manifeste à travers des chants populaires et de nombreux écrits

littéraires et théologiques. C’est dans ce contexte que l’association juif-argent se cristallise

définitivement.

En Angleterre où il n’y a plus de juifs depuis 300 ans, William Shakespeare publie en 1597 une pièce

« Le marchand de Venise » dont le personnage principal est l’usurier Juif Shylock. Celui-ci demande

une livre de chair humaine en échange d’une dette. Le portrait de Shylock par Shakespeare va servir

à cristalliser et à renforcer un stéréotype littéraire antisémite pour les siècles à venir.

En France, l’absence de juifs sur une grande partie du territoire fait disparaitre les persécutions

antijuives. Pendant cette période, ce sont désormais les protestants qui sont victimes de

persécutions religieuses. Cependant l’antisémitisme reste profondément ancré dans la culture

populaire. L’enseignement catholique continue de transmettre dans les écoles un antijudaïsme

féroce.

En Russie, la situation est encore plus absurde. Depuis la fin du XVème siècle, sous le règne d’Ivan le

Grand, aucun Juif n’est admis sur le territoire russe, à l’exception de quelques colporteurs. La

chance de rencontrer un adepte du judaïsme pour un habitant de la grande Russie, est

infinitésimale. Et pourtant, les mêmes préjugés sont répandus dans la population, et Tsars et

Tsarines font tout pour « protéger » leur pays d’une présence juive.

A l’Est

Suite aux expulsions d’une grande partie d’Europe, les Juifs qui choisissent de rester sur le continent

se déplacent de plus en plus à l’Est. En Pologne, ils trouvent une terre d’accueil. La population n’est

pas christianisée à outrance, et ils se sentent bienvenus dans ce pays qui voit avec leur arrivée des

possibilités de développement économique et culturel. En 1364, ils sont assimilés en droit à la

noblesse polonaise, et la justice punit du même châtiment ceux qui s’en prennent à eux.

A partir du XVIème siècle, la Pologne devient le centre mondial du judaïsme, où les juifs disposent

de tous les droits des citoyens. Mais ce statut a son revers : pour le peuple, très misérable, les juifs

font partie des oppresseurs : « Nous autres paysans, nous sommes toujours dans le malheur : nous

devons nourrir le seigneur, le prêtre et le juif ». La révolte gronde, et en 1648, une fronde

populaire éclate. Les serfs ukrainiens, menés par Bogdan Chmielnicki, déferlent sur toute la

Pologne, massacrant Juifs et aristocrates polonais, tous considérés comme des ennemis du peuple.

Mis en difficulté, Chmielnicki demande le soutien de Moscou. La Suède se mêle au conflit. Une

guerre entre les trois pays s’ensuit qui impacte toutes les communautés juives. Le nombre total des

victimes approche les cent mille.

Après l’année fatale de 1648, appelée « l’année du déluge », la Pologne cesse d’être une grande

puissance, et face à la multiplication des violences, les juifs polonais sont extrêmement fragilisés,

sans compter que les légendes sanglantes finissent aussi par arriver en terres polonaises.

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Vers les Lumières

Sur le reste du continent, les mentalités ne cessent d’évoluer. Le monde s’ouvre et le commerce

transatlantique bouleverse les équilibres économiques. L’Angleterre devient une grande puissance

maritime. Elle est transformée par la révolution calviniste et voit d’un bien meilleur œil ces

marranes, installés dans tous les ports d’Europe. A l’aube des temps nouveaux, l’aversion anglaise

envers la religion juive est bien moins grande. Le calvinisme éprouvant même une certaine

compréhension, sinon sympathie pour le judaïsme.

En France, les Protestants sont le meilleur soutien des Juifs. Pierre Bayle, déjà sous Louis XIV,

avait prêché la tolérance pour toutes les religions. Rousseau, depuis Genève, prend la relève et

montre de l’empathie pour ces Juifs « qui se mêlent chez tous les peuples et ne s’y confondent

jamais ».

L’esprit des Lumières gagne la France, et avec les protestants, ce sont les nobles d’épée qui

soutiennent ouvertement qu’il est temps que les mentalités évoluent. Ainsi, Charles de Ligne écrit :

« Je conçois très bien l’horreur qu’inspirent les Juifs, mais il est temps que cela finisse. Une colère de

mille huit cents ans me paraît avoir duré assez longtemps».

En 1789, la Révolution française éclate et va balayer l’Ancien Régime, noblesse et clergé

confondus. Elle porte en elle un bouleversement qui va transformer le monde et changer le destin

des Juifs.

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Épisode 3

De l’Emancipation à Nuremberg

Si les Juifs se fondaient dans la société sans se distinguer et en obtenant un statut égalitaire, aurait-

on résolu définitivement « la question juive » ? Ou alors doit-on se débarrasser complètement des

juifs pour régler le problème juif ?

Entre le début du XIXème siècle et le milieu du XXème, ces interrogations donnent lieu autant à des

mouvements d’émancipation qu’à des persécutions de plus en plus cruelles.

L’Egalité en marche ! C’est de France que vient le grand souffle libérateur. Au cœur de la Révolution française,

l’assemblée constituante débat autour de l’attribution de l’égalité de droits aux juifs.

Les débats sont houleux. Chaque groupe défend ses intérêts et essaie de faire avancer sa cause. Les

Protestants se battent pour leurs droits, mais aussi pour ceux des Juifs, marquant une solidarité de

persécutés déjà constatée dans le passé.

Le 23 décembre 1789, l’affranchissement total des Protestants est adopté sans difficultés. Mais

l’émancipation des Juifs leur est refusée, malgré la plaidoirie de Robespierre. Les opposants

l’emportent d’une courte majorité en votant la motion suivante : « L’Assemblée nationale reconnaît

les non-catholiques capables de remplir tous les emplois civils et militaires, sauf les Juifs, sur

lesquels elle se réserve de se prononcer. »

La fuite du roi à Varennes et son arrestation conduisent au procès de Louis XVI et ouvrent la porte

aux grandes campagnes de déchristianisation du pays. Dans le même élan, l’Assemblée nationale

vote, presque d’une seule voix, l’émancipation totale des Juifs le 27 septembre 1791. Le

lendemain, c’est l’abolition de l’esclavage qui est voté, à l’exception des colonies.

La plupart des Etats européens imitent la France à commencer par les Pays-Bas, le royaume de

Prusse, la Belgique et la Grèce. Cette évolution soudaine du statut des juifs, la réussite de certains

d’entre eux dans des corps de métiers qui leur étaient interdits, le fait qu’on ne les distingue plus

comme avant et qu’ils puissent se fondre dans la société suscitent chez certains craintes et jalousie.

Le processus d’émancipation a bouleversé le rapport que les juifs entretenaient avec leur identité.

Egaux, il leur est désormais possible de s’affirmer et de faire évoluer leurs situations. Certains

investissent l’économie sans crainte de se voir spolier comme par le passé. D’autres se sentent

autorisés à s’engager dans le champ politique à l’instar de Benjamin Disraeli qui devient, en 1837,

député britannique et sera même par la suite premier ministre.

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Au milieu du XIXème siècle, l’espoir d’une fin définitive des discriminations et des fantasmes

ravageurs dont les juifs n’ont cessé d’être victimes pourrait bien ne plus être une utopie.

L’antisémitisme politique et racial : une invention des temps modernes L’Europe du XIXème siècle voit deux grands bouleversements : la révolution industrielle, et la

montée des nationalismes vers la création des états nations. L’intégration progressive des Juifs

dans la société moderne et leur présence dans de nombreuses activités dont ils avaient été exclus,

vont à nouveau nourrir des fantasmes et éveiller d’autres types d’accusations. Si l’émancipation fut

une chance pour les juifs, paradoxalement, elle se retourne à présent contre eux. L’assimilation

semblait régler « la question juive », à présent on leur reproche de se fondre dans la masse et de

pouvoir avancer masqués ! L’antisémitisme place désormais les juifs au centre des débats portant

sur l'Etat et le modernisme.

Plus encore, sur fond de montée des nationalismes, on les accuse d’être des opposants à la Nation.

Ils deviennent les ennemis utiles dont se servent différents mouvements politiques pour fédérer

autour d’eux contre un ennemi commun.

Le nationalisme moderne embrasse l’esprit du temps dit « scientifique » et s’invente des origines

biologiques. En 1853, le comte Arthur de Gobineau publie son célèbre « Essai sur l’inégalité des

races ». Les hommes classés en race, la race aryenne est supérieure et les Juifs sont rangés dans la

race « sémite », inférieure.

Le pouvoir d’attraction des thèses racialistes est tellement fort que certains juifs, pourtant pris pour

cibles, vont adhérer à leur manière à cette nouvelle croyance. C’est le cas de Benjamin Disraeli qui

est l’un des premiers députés juifs d’Angleterre. Tout en restant dans la logique raciste promue par

les antisémites, il inverse l’échelle des valeurs et glorifie, lui, « l’esprit sémitique », qu’il place au-

dessus de tout. En 1847, il demande l’admission des Juifs à la Chambre des Communes et prononce

un discours unique dans les annales de la politique européenne : « Tous les premiers chrétiens

furent des Juifs. Si vous n’aviez pas oublié ce que vous devez à ce peuple, si vous lui aviez été

reconnaissants pour ces écrits, qui à travers les siècles ont apporté tant de consolations et tant

d’édifications aux fils des hommes, vous ne seriez que trop heureux de pouvoir satisfaire à la

première occasion les demandes de ceux qui professent cette religion. Mais vous restez influencés

par les obscures superstitions qui datent des siècles les plus obscures de l’histoire de ce pays. Ces

superstitions, elles continuent à vous influencer, à votre insu, comme elles influencent d’autres

hommes dans d’autres pays… »

Le mythe aryen, tout en marquant l’affranchissement du joug ecclésiastique, brise une filiation

symbolique entre Juifs et Chrétiens. Et c’est dans ce contexte où le juif est maintenant le sémite

que le terme « antisémitisme » est utilisé pour la première fois en 1879 par un journaliste antisémite

allemand Wilhelm Marr. La haine contre les juifs porte désormais un nom et il est assumé.

L’auteur Wilhelm Marr popularise le terme « antisémitisme » par le bais d’un ouvrage « La victoire

de la judéité sur la germanité ». Il reprend et donne écho aux thèses racialistes, la « différence

juive » serait devenue biologique. Des partis antisémites voient le jour en France comme en

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Allemagne. Et en 1882 se tient à Dresde le 1er Congrès international antisémite tandis que le

« mythe Aryen » fait l’objet d’enseignement dans les écoles et commence à faire partie de la culture

générale des élites.

A la fin du XIXème siècle, deux camps se dessinent en France de plus en plus clairement. Ceux qui

accusent les juifs de gangréner la société depuis leur émancipation, et ceux qui défendent la

République et veulent croire que depuis la révolution française, la France peut s’enorgueillir de

défendre des valeurs universelles.

L’affaire Dreyfus : un tournant dans le siècle (1894-1900)

À la fin de l’année 1894, en France, le capitaine Alfred Dreyfus est arrêté et condamné pour un

crime de haute trahison qu’il aurait commis au profit de l’Allemagne. Le vieux préjugé antisémite a

fait de lui le coupable idéal alors que les preuves paraissent sommaires et que le document qui

l’accable s’avérera être un vulgaire faux.

Convaincu de son innocence et scandalisé par un procès où le droit est méprisé au profit des passions

et préjugés de l’opinion publique, l’écrivain Émile Zola publie une lettre ouverte « J’accuse ! » et

se lance, avec quelques autres, dans une bataille qui dure plusieurs années et remue la République.

Par sa portée symbolique, cette affaire devient la vitrine internationale du combat entre les

prêcheurs de l’antisémitisme moderne et leurs adversaires. Elle devient centrale dans la diffusion

massive et l’uniformisation, au-delà des frontières de l’hexagone, d’un nouveau type

d’iconographies antijuives (à l’âge de la communication de masse) par le relais de la presse, des

cartes postales et des affiches.

Le coupable dévoilé, le capitaine Dreyfus est réhabilité. La nouvelle de la libération d’Alfred

Dreyfus fait le tour du monde et la légende voudrait qu’on célèbre l’événement jusque dans les

shtetls de Russie. Pourtant, sur ce territoire, dans une bien plus grande indifférence, les juifs

subissent, depuis quelques décennies, d’importantes vagues de violence.

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Le sort des Juifs de l’Est :

Entre assignation à résidence, exils et pogroms (1903-1914)

Chassés d’Europe de l’Ouest au fil des siècles, les juifs ont massivement émigré vers l’Est. Et en

1900, la Russie regroupe sur son territoire un tiers des juifs du monde. Néanmoins ils n’échappent

pas à un statut spécial : depuis 1743, ils sont confinés dans une « zone de résidence » et ne peuvent

pas posséder de terres ni intégrer la fonction publique ou l’armée.

La ville portuaire d’Odessa fait partie de cette « zone de résidence ». Et c’est dans cette ville, en

1821, que se déroule le premier pogrom recensé dans l’Empire russe. Odessa sera à nouveau le

théâtre de ces soudaines violences en 1849, 1859 et 1871. Ces massacres et pillages se propageront

dans tout l’Empire et atteindront leur paroxysme entre 1881 et 1884, après l’assassinat du tsar

Alexandre II dont les juifs sont accusés d’être les auteurs.

La violence de ce pogrom provoque l’indignation de l’Europe et des Etats-Unis. Elle n’empêche pas

le déclenchement d’une deuxième grande vague de pogroms qui s’étend jusqu’en 1908. Ces séries

de pogroms, souvent orchestrées par la police au sein d’un empire Russe vacillant et durant une

période de sécheresse et de mauvaises récoltes, ont pour conséquence le départ massif de juifs

d’Europe orientale vers les Etats-Unis et vers la Palestine sous domination ottomane.

L’hypothèse sioniste

Les flambées de violence en Russie et le retentissement de l’affaire Dreyfus vont amener certains à

se demander si la création d’un Etat juif indépendant ne serait pas la seule solution face à

l’antisémitisme. A Odessa, Léon Pinsker défend cette vision dans un ouvrage : « Auto-

émancipation », qu’il conclut par « Nous devons enfin posséder notre propre pays, sinon notre

propre patrie ». A Paris, Theodore Herzl, témoin du procès Dreyfus, constate l’échec du modèle

Français dans lequel de nombreux juifs plaçaient leurs espoirs. Il conçoit alors que seule la

« construction d’un abri permanent pour le peuple Juif » pourrait être une solution viable et propose

« l’Etat des Juifs ».

Entre espoirs et incertitudes (1914-1933)

Frères d’armes et fauteurs de guerre

Dans de nombreux pays, le déclenchement de la première guerre mondiale suspend

l’antisémitisme le plus virulent. Mais devant le prolongement de la guerre, en France comme en

Allemagne, on voit s’élever des voix pour dénoncer les juifs comme traitres ou fauteurs de guerre.

Une période paradoxale

Avec la révolution russe en 1917, l’antisémitisme moderne ajoute la figure du juif révolutionnaire

et judéo-bolchevique à sa longue liste de représentations. Par une triste ironie, les juifs sont autant

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accusés d’être les artisans du capitalisme que les agents de l’anticapitalisme. Dans l’après-

guerre, un document censé mettre en lumière un complot juif mondial et intitulé « Les protocoles

des sages de Sion » commence à être diffusé. Il devient la Bible des antisémites.

Au Caire, la traduction et la publication des « Protocoles des sages de Sion » en 1925 constituent

l’acte de naissance de l’antisémitisme moderne dans le monde arabo-musulman. Depuis 1839 sur le

territoire ottoman et 1870 en Algérie sous protectorat français, les juifs ne subissaient plus le statut

de dhimmi. Le vent de l’émancipation arrivé jusqu’à eux est rejoint à présent par celui de

l’antisémitisme moderne. Cet antisémitisme résonne avec des discours islamiques et se développe

sur fond de conflit national entre juifs et arabes en Palestine sous mandat britannique.

Néanmoins, à la sortie de la guerre, des nouveaux signes d’espoir voient le jour. Les deux grands

foyers du judaïsme européen (qui regroupent la majorité des juifs du monde : près de 60%)

obtiennent l’égalité de droits. La Russie d’abord, avec la Révolution d’Octobre, suivie en 1921 par la

Pologne. De plus, suite à la déclaration Balfour en 1917, dans laquelle l’Angleterre préconise la

création d’un foyer national juif en Palestine, les juifs ont l’autorisation (premier livre blanc)

d’émigrer en « terre promise » à présent sous mandat britannique.

La lutte contre l’antisémitisme : un combat devenu politique

Le mouvement français de lutte contre l’antisémitisme s’inscrit dans la filiation de l’action d’Adolph

Crémieux, un des fondateurs de l’Alliance Israélite Universelle tout en marquant une différence dans

le mode d’action.

Contrairement aux démarches diplomatiques ou à l’action discrète de leurs prédécesseurs, les

nouvelles organisations de lutte contre l’antisémitisme ne craignent pas de s’exposer et multiplient

les rassemblements de protestation avec des milliers de personnes pour faire face au

développement des partis antisémites et à l’émergence de mouvements politiques tels que l’Action

Française de Charles Maurras. C’est dans ce contexte que se créé la LICA (ligue internationale

contre l’antisémitisme) en 1927.

La ligue contre l’antisémitisme est née suite à l’acquittement d’un jeune juif, Shalom Schwartzbard, auteur du meurtre en plein Paris d’un célèbre dignitaire russe ayant orchestré le massacre de toute sa famille lors d’un pogrom en Ukraine. Son avocat Henri Torres ainsi que Joseph Kessel décident de fonder cette association après avoir transformé ce procès en lieu de témoignage sur les pogroms de Russie. Pour les défenseurs de l’accusé, cette affaire judiciaire devient un prétexte pour retisser le fil de l’histoire de l’antisémitisme. Les témoignages ainsi que la plaidoirie de Henri Torres sont reconstitués dans une émission télévisée française « En votre âme et conscience » en 1958. Torres et Kessel y interprètent leur propre rôle.

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Comme en France, les associations germaniques de défense des Juifs sont très combatives. La plus

importante, l’Union Centrale des Juifs Allemands, remporte de nombreux procès contre les

boycotts, les accusations de meurtres rituels, les diffamations. Rejeté par une grande partie de

l’opinion, combattu par le gouvernement, l’antisémitisme allemand n’est pas cataclysmique mais

ces organisations doivent faire face aux courants rejetant la responsabilité de la défaite de la guerre

sur les juifs.

Ces mouvements antisémites mettent en lumière les contradictions extrêmes auxquelles sont

confrontés les allemands d’origine juive. Probablement plus que dans n’importe quel pays, ils ont

joué le jeu de l’assimilation, souvent avec succès. En moins de cinquante ans, ils ont donné à la

civilisation européenne trois de ses plus importants penseurs. Trois hommes qui, chacun à sa façon,

ont révolutionné le monde. Karl Marx dans le domaine de l’économie, Albert Einstein dans le

domaine de la physique, Sigmund Freud, dans le domaine de l’esprit. Tous les trois se sont coupés

de leurs croyances religieuses, et ils représentent l’image même du Juif émancipé.

Avant la Shoah, quand l’antisémitisme moderne arrive au pouvoir (1930-1939)

Le pouvoir nazi

En Allemagne, déjà affaiblie par les conséquences de la défaite, les conséquences de la crise

économique de 1929 sont particulièrement dramatiques. Le retrait des capitaux américains

provoque la faillite de nombreuses banques. Rapidement, la valeur du mark s’effondre et le

chômage monte en flèche pour atteindre 33% de la population active.

L’antisémitisme devient un puissant facteur de rassemblement, capable de créer un consensus au

sein d’une nation en plein chaos. Les Juifs doivent maintenant répondre à une double accusation :

celle d’être responsables en tant que capitalistes de la crise ; et par ailleurs d’être des ennemis de la

République, en tant que participants actifs à la révolution communiste.

Le mécontentement populaire transforme le petit parti nazi en deuxième force politique du pays. Ce

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parti s’appuie de manière centrale et obsessionnelle sur la longue tradition d’antisémitisme

moderne. A sa tête Adolf Hitler fait parler de lui depuis quelques années. En 1923, il a tenté un coup

d’état qui échoue et a écopé d’une courte peine de prison pendant laquelle il a entrepris d’exposer

ses convictions dans un livre intitulé « Mein Kampf ».

Dans le début du livre, autobiographique, il désigne son ennemi politique principal : le Juif. Et il

explique dans le détail comment il est devenu antisémite. Il n’y avait que très peu de Juifs dans sa

ville natale de Linz, et ceux qu’il fréquente ne déclenchent chez lui aucune aversion. « Au cours des

siècles ils s'étaient européanisés extérieurement et ils ressemblaient aux autres hommes ; je les

tenais même pour des Allemands. (…) Persuadé qu'ils avaient été persécutés pour leurs croyances,

les propos défavorables tenus sur leur compte m'inspiraient une antipathie qui, parfois, allait

presque jusqu'à l'horreur. »

Ce n’est qu’après son arrivée à Vienne que son opinion concernant les juifs va se modifier. Il se veut

peintre mais se voit refuser l’entrée du conservatoire. Commence pour lui cinq années de grande

pauvreté. Vivant d’expédients, il travaille sur les chantiers et il est mis en contact avec les syndicats

communistes. Il développe une véritable aversion pour cette doctrine.

Il se persuade que ce sont les Juifs qui tiennent la « presse mondiale » dans laquelle ils dénigrent

l’Allemagne et encensent la France. Il voit les ramifications d’un vaste complot et dont il se dit

définitivement convaincu quand il fait le lien entre le communisme, qu’il abhorre et les Juifs qui le

soutiennent. « C'est à cette époque que mes yeux s'ouvrirent à deux dangers dont je ne soupçonnais

nullement l'effrayante portée pour l'existence du peuple allemand : le marxisme et le judaïsme. » Il

essaie alors de convaincre les Juifs qu’il fréquente des faussetés de la doctrine marxiste. Il échoue.

« Le cosmopolite sans énergie que j'avais été jusqu'alors devint un antisémite fanatique. Je finis par

les haïr ».

Son antisémitisme devient l’un des fondements de son idéologie politique. À la suite des

élections de l’automne 1930 les nazis entrent en masse au Reichstag et dans la rue leurs troupes

s’en prennent aux passants juifs, brisant les vitrines des magasins leur appartenant. De nombreux

rassemblements de soutien sont organisés et les affrontements sont nombreux. Mais l’ascension

politique d’Hitler est irrésistible.

En janvier 1933, le maréchal Hindenburg le nomme chancelier. Le premier avril de la même année, il

décide du boycott général des magasins juifs. Entre 1933 et 1939, l’état nazi va promulguer 2000

lois et décrets antijuifs. Parmi elles, les tristement célèbres lois raciales de Nuremberg. Ces

mesures discriminantes et persécutrices vont prendre une dimension encore plus cruelle au

lendemain de la Nuit de Cristal en 1938. Le pouvoir rend légal tout acte violent ou criminel à l’égard

d’un juif.

Dans toutes les mesures antijuives prises par les nazis depuis 1933, il n’y a rien d’original. Les

législateurs n’ont fait que puiser dans la panoplie des discriminations employées dans le passé. Les

moyens de dégradation inventés au fil des siècles ont été convoqués par les Nazis pour

déshumaniser les populations juives et le pouvoir hitlérien ne renouvelle pas vraiment le discours

antijuif ni l’imagerie antisémite.

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En France, la volonté de ne plus revivre le carnage de 1914-1918 a créé un puissant mouvement

pacifiste. Mais les institutions juives n’y adhèrent pas. Elles considèrent que la guerre peut être dans

certains cas nécessaire, et se mobilisent contre la montée des fascismes partout en Europe.

En face, on mobilise sur le thème « Tout plutôt que la guerre » et le « Juif international » est

suspecté de conspirer pour lancer les pays dans une guerre contre son persécuteur : Hitler. Ce qui fait

écrire à l’écrivain Céline, virulent antisémite : « Nous irons à la guerre des juifs. Nous ne sommes

bons qu’à mourir ». L'arrivée en France de quelque 25 à 30 000 réfugiés du IIIe Reich, en majorité

juifs, augmente encore les tensions. Dans la presse de droite, ces réfugiés sont assimilés à des «

agents du judéo-bolchévisme ».

Pourtant la société civile résiste aux appels à la haine. En avril 1936, au grand dam des ligues

d’extrême droite, le Front populaire remporte les élections, et pour la première fois, la troisième

République se donne un gouvernement de gauche. Mais surtout, c’est la première fois qu’un

homme politique de religion juive, Léon Blum, est placé à la tête de la France. Il écrit : "Je suis né à

Paris, le 9 avril 1872, Français de parents français... Aussi loin qu'il est possible de remonter clans

l'histoire d'une famille plus que modeste, mon ascendance est purement française. Depuis que les

juifs français possèdent un état-civil, mes ancêtres paternels ont porté le nom que je porte

aujourd'hui." Léon Blum est un Juif non pratiquant, ne voyant dans la religion « qu’un ensemble de

superstitions auxquelles on obéit sans conviction aucune ». Pourtant il ne manque pas de susciter

une haine chez les sympathisants des ligues d’extrême droite.

A l’Assemblée, les débats dégénèrent. L’agitation finit par gagner la rue et devant le danger, le

premier gouvernement de Front populaire prononce la dissolution de groupes et ligues d'extrême

droite. Mais elles réapparaissent rapidement sous d'autres appellations. Les meetings d’extrême

droite répondent aux meetings anti hitlériens et deux camps s’affrontent, comme du temps de

l’affaire Dreyfus mais de manière encore plus virulente.

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Un défi lancé au reste du monde

A la fin des années 30, d’autres pays tels que la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et l’Italie fasciste

instaurent à leur tour un antisémitisme d’Etat.

Le reste du monde est interrogé quant à sa capacité à se préoccuper du sort des juifs victimes du

pouvoir nazi. Les frontières des pays voisins comme de la Palestine leurs sont pratiquement fermées.

Et même les Etats-Unis refusent d’augmenter leur quota d’immigration. Les juifs allemands sont

laissés pratiquement seuls face à leur sort. Un sort qui sera partagé après le déclenchement de la

seconde guerre mondiale par une grande partie des juifs d’Europe.

Au début, la volonté nazie était de « purger » l’Allemagne des Juifs. Et effectivement, même si pour

émigrer ils devaient payer une taxe élevée et abandonner la majeure partie de leurs biens, une

moitié des 600 000 juifs allemands quittent le territoire pour s’installer à l’étranger.

Le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables nazis sont réunis, dans le quartier isolé de Wannsee

à Berlin, pour entériner l’organisation et la mise en œuvre de « la solution finale » c’est à dire

l’extermination des juifs. L’antisémitisme ouvre sa page d’histoire la plus sombre.

Raul Hilberg (dans Shoah)

(…) Ils inventèrent avec la Solution Finale. Ce fut leur grande invention et c’est en quoi le processus

entier fut différent de tout ce qui avait précédé.

A cet égard, ce qui s’est produit, lorsque la solution finale fut adoptée ou pour être plus précis,

lorsque la bureaucratie en fit sa chose, fut un tournant dans l’Histoire.

A chaque phase de l’opération il fallut inventer, car chaque problème était sans précédent. Non

seulement comment tuer les juifs, mais que faire de leurs biens, et comment empêcher le monde de

savoir ? Tout était neuf.

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Episode 4

De la Destruction à Aujourd’hui 1945-2018

On aurait pu croire qu’après la Shoah et la découverte de l’horreur nazie, le phœnix antisémite

n’allait plus renaître de ses cendres. Pourtant, très rapidement, un antisémitisme contemporain

apparait. Délesté de l’idéologie raciale, il s’appuie sur de nouveaux visages tout en se référant aux

formes anciennes de l’antijudaïsme traditionnel religieux et aux formes modernes de

l'antisémitisme social et politique du XIXème siècle.

La Libération et la découverte des camps

8 mai 1945, le cauchemar s’achève. Le monde compte ses morts et découvre l’horreur des camps. A

Nuremberg, 24 des responsables du troisième Reich sont accusés de crime contre l’humanité, et

jugés au cours d’un procès fleuve.

Le retour des survivants force à un examen de conscience inconfortable : l’antisémitisme n’est pas

désigné et il persiste. Les populations locales ne voient pas toutes d’un bon œil le retour des

survivants. Leurs biens ont été spoliés et ils pourraient les réclamer. Des mécanismes de déni ou de

justification a posteriori, que l’on a déjà pu rencontrer après les premiers massacres des Croisades,

nourrissent une hostilité à l’égard des rescapés. Des accusations d’un autre siècle ressurgissent. La

Pologne en est un exemple édifiant.

A la veille de la guerre, on comptait 3,3 millions de Juifs polonais. À l'issue de la guerre, il n’en reste

que 380 000 répartis entre la Pologne et les pays frontaliers. Pourtant, c’est dans la ville polonaise

de Kielce qu’éclate, un an après la fin de la guerre, une flambée de violence contre des survivants

juifs qui sont revenus.

La solution d’un Etat-refuge, à laquelle ne croyait jusque-là qu’une minorité de juifs, se dessine de

plus en plus et semble être la seule envisageable pour un nombre grandissant d’entre eux.

La Création d’Israël

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte un plan de partage de la

Palestine en deux États. 45 % sont attribués à l'Etat arabe de Palestine, 55 % du territoire, dont

une grande partie désertique, à l’État juif. Le 15 mai 1948, cinq armées arabes franchissent les

frontières pour attaquer l’État d’Israël dont David Ben Gourion vient à peine de proclamer la

naissance. Mais Israël confirme son existence d'État souverain et 700 000 Palestiniens quittent leurs

maisons pour fuir les combats, trouvant abri dans les pays voisins.

C’est le début d’un ressentiment arabe qui va déclencher le départ en bloc ou de manière

progressive de communautés juives qui vivaient dans le monde arabo-musulman depuis des siècles.

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Les juifs d’Irak et du Yémen sont les premières victimes d’un antisémitisme lié à l’existence de l’État

d’Israël.

Le rejet de cet État prend le nom d’« antisionisme » et se définit très vite par le refus d’une

légitimité à l’existence d’un État juif et l'appel à sa destruction.

L’antisémitisme soviétique (1945-1960)

La diplomatie soviétique a joué un rôle décisif dans la naissance de l'État d'Israël. En novembre 1947,

le délégué soviétique à l'ONU admet la légitimité du plan de partage. L'Union soviétique autorise

même la Tchécoslovaquie à vendre des armes à Israël, favorisant la victoire de l'armée israélienne.

Mais deux mois plus tard, les persécutions antisémites commencent. Le pouvoir stalinien orchestre

publiquement l’arrestation de centaines, voire milliers de juifs. Les soviétiques mènent une lutte

contre les religions et discréditent les pouvoirs et lieux de culte. Les Juifs sont écartés des postes

dirigeants, les lieux de culture juive sont systématiquement détruits et les associations dissoutes.

Le mythe du complot juif est recyclé par Staline sous la forme d’un complot sioniste.

Lorsqu’en mars 1953, Staline meurt, le Kremlin initie alors une période de « déstalinisation » mais,

à l’égard des juifs, un phénomène tacite d'exclusion se perpétue. Quant au génocide, il est

volontairement occulté.

Face au passé

A l’Ouest, une lente prise de conscience

Les premiers témoignages de la tragédie apparaissent sous formes de livres tels que le journal

d’Anne Franck ou « Si c’est un homme » de Primo Lévi. Quant aux historiens, ils se tournent en

priorité vers les combattants ou bien vers les bourreaux mais peinent encore à se consacrer aux

victimes.

En 1961, les services secrets israéliens capturent le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann, qui

s’était réfugié en Argentine. Il est transféré à Jérusalem pour être jugé par un tribunal israélien.

Après Nuremberg, c’est le deuxième grand procès de l’histoire à être entouré de caméras qui vont

diffuser les images aux télévisions du monde entier. Le processus d’extermination est enfin exposé

en pleine lumière.

Vatican II

L’Eglise catholique elle-même estime devoir tirer les leçons du génocide juif qui a été perpétré en

terre de christianisme. Elle prend conscience de la nécessité de rompre avec l'antijudaïsme qui a

accompagné son histoire.

En octobre 1962, le Pape Jean XXIII décide d’ouvrir à Rome le concile œcuménique Vatican II En

octobre 1965, la déclaration Nostra aetate est votée par le concile. Elle rappelle que Jésus et les

Apôtres sont issus du peuple juif et récuse l’idée que ce peuple soit « le peuple déicide ». Après

presque deux mille ans d’histoire, l’Eglise a solennellement rompu avec l'antijudaïsme.

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L’antisémitisme dans le monde arabe

Dans les années 60, les communautés juives présentes au Liban, en Syrie, en Tunisie, en Lybie et au

Maroc sont confrontées à une hostilité grandissante. Mais cette hostilité est encore plus implacable à

l’égard de l’Etat d'Israël, accusé d’avoir dépossédé les Palestiniens de leur terre.

Le tournant de la guerre des Six Jours

Au printemps 67, le président égyptien Nasser renvoie les casques bleus de l’ONU, déploie des

troupes militaires à la frontière et impose un blocus maritime à Israël. Le 5 juin au matin, l’Etat juif

prend les devants et passe à l’offensive. En six jours, l’armée israélienne défait la coalition arabe

dressée contre elle et s’empare d’importants territoires. La guerre des Six Jours constitue un

tournant majeur pour les dernières communautés juives présentes en pays arabes. Le nationalisme

arabe, exacerbé par la défaite militaire face à Israël, laisse place à une vague d’intimidations et de

violences antisémites, excepté au Maroc où les juifs sont protégés par le roi.

Le 22 septembre 1967, le Congrès islamique mondial réuni à Amman en Jordanie déclare que les

juifs en contact avec l’Etat d’Israël ou avec des milieux sionistes ne méritent plus la protection que

l’islam promet aux non-musulmans. Cette déclaration remet en cause treize siècles de relations

judéo-musulmanes.

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L’antisionisme à travers le monde

A la suite de la guerre des six jours, l’Union Soviétique rompt ses relations diplomatiques avec

l’Etat juif et lance une grande campagne dite « antisioniste » à travers le bloc de l’Est. Au-delà de

son territoire, le Kremlin forme et finance des mouvements d’extrême gauche européens et des

organisations palestiniennes terroristes qui vont commettre une série d'attentats terroristes en

Europe pour attirer l'attention sur la cause palestinienne. En 1972, lors des jeux olympiques de

Munich, onze athlètes israéliens sont pris en otage et meurent lors de l'assaut donné par la police

allemande. En octobre 1980, une bombe explose devant la synagogue libérale de la rue Copernic à

Paris. C'est le premier attentat depuis la fin de la seconde guerre mondiale qui s’en prend aux Juifs

français.

Au-delà de ces attentats meurtriers qui font de tout juif une cible potentielle, les distinctions entre

antisémitisme et antisionisme s’estompent. L’antisionisme radical se répand parmi des pays non-

alignés et s'infiltre dans les rangs de l'extrême-gauche radicale en Europe. L’année 1975 consacre la

force de ce mouvement à travers le monde. Le 30 août, la conférence des ministres des affaires

étrangères des pays non-alignés condamne le sionisme en tant que menace contre la paix et la

sécurité dans le monde et demande à tous les pays de s’opposer à cette idéologie raciste et

impérialiste.

Le 10 novembre, sur l’initiative du bloc de l’Est et des pays arabes, l'Assemblée générale des

Nations unies, dont le secrétaire général est alors l’ancien nazi Kurt Waldheim, adopte une

résolution (révoquée en 1991) décrétant que « le sionisme est une forme de racisme et

de discrimination raciale ». Pour le prix Nobel de la Paix, Andrei Sakharov : « l’abomination de

l’antisémitisme a reçu l’apparence d’une sanction internationale (…). L’adoption d’une telle

résolution est de nature à ternir le prestige des Nations Unies. »

Israël serait-il devenu progressivement « le Juif des Nations » ? A travers l’Etat juif, c’est un peuple

qui est accusé de racisme. De même, sous prétexte que des juifs de diaspora soutiennent l’existence

de cet Etat, ce n’est plus Israël qui est visé, mais les Juifs dans leur ensemble. Voilà sous le nom de

l’antisionisme, une nouvelle déclinaison de l’antisémitisme.

Lutte contre l’antisémitisme et antiracisme (70-80’s)

Les années 70 et 80 sont malgré tout une période où les moyens de lutte contre l’antisémitisme

se renforcent. La chasse aux nazis impunis se poursuit, grâce à des initiatives individuelles. Serge et

Beate Klarsfeld arrivent, par leurs actions coup de poing, à débusquer des nazis reconvertis. Dans

différents pays, une législation spécifique est promulguée pour criminaliser l’antisémitisme et toute

forme de discrimination des minorités. La première loi en ce sens est instituée en France en 1972 (loi

Pleven).

Les luttes communes contre toutes les formes de racisme prennent un nouveau tournant. En France,

en 1979, la LICA devient la Licra (ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et

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quelques années plus tard, en 1984, SOS Racisme se créé autour du message Ne touche pas à mon

pote : « Un juif à Marseille, un arabe à Lyon, c’est toujours un pote qu’on assassine. »

C’est aussi le temps de l’analyse et de l’étude des phénomènes d’exclusion et de discriminations.

Sociologues, psycho-sociologues, psychanalystes, philosophes et anthropologues, étudient les

mécanismes universels de la haine. Que ce soit pour expliquer le racisme anti-noir aux Etats-Unis,

l’esclavage, la déshumanisation, la violence que le colonisateur fait subir aux populations indigènes,

ou l’extermination planifiée de six millions de juifs, il s’agit de comprendre comment l’homme peut

devenir un bourreau pour l’homme. On étudie la soumission aveugle à l’autorité : comment un

homme ordinaire peut être amené à se déresponsabiliser et à accomplir des actes inhumains s’ils lui

sont ordonnés par une autorité supérieure.

Spécificité de l’antisémitisme

Ces expérimentations et théories sont nées d’un besoin de comprendre comment le monde a pu

basculer dans le cataclysme de la seconde guerre mondiale. Elles dégagent des schémas et des

modèles qui s’appliquent à toute forme de persécution. Mais la détestation des noirs, le rejet des

musulmans, ou la persécution des juifs, sont autant de manifestations de haine qui ont chacune

leur particularité. Si l’antisémitisme des nazis était basé sur une théorie raciste, on a vu qu’il a son

histoire propre qui plongeait ses racines dans les profondeurs du passé.

On peut s’étonner du choix si récurrent des Juifs comme bouc émissaires, tout au long de l’Histoire.

Mais les Juifs ont longtemps pâti d’être les seuls non-chrétiens disséminés sur le sol chrétien. Ils

étaient particulièrement appréciables pour leur vulnérabilité (il leur était le plus souvent interdit de

porter des armes), et pour l’impunité dont jouissaient généralement ceux qui s’en prenaient à eux.

Une autre caractéristique décrite par le philosophe Vladimir Jankélévitch, c’est que contrairement à

d’autres groupes, les Juifs ne se distinguent pas du reste de la population. En 1978, il écrit :

« L’antisémitisme exprime l’inquiétude que le non juif éprouve devant cet autre presque

indiscernable de lui-même. Le juif est différent, mais à peine. Et de là vient la nature ambivalente

des sentiments qu’il inspire. Et on lui en veut doublement pour ce malentendu. »

Cette angoisse de ne pas pouvoir distinguer les Juifs du reste de la population va conduire à

développer chez certains antisémites, une méfiance démesurée, et une sensation de menace

permanente. On pourrait parler ici de phénomène paranoïaque. Pour l’antisémite paranoïaque, le

Juif représente un principe organisateur, une explication manichéenne qui donne un sens aux

malheurs du monde. Il entre alors dans un système de pensée complotiste.

Les législations n’ont plus d’effet sur lui, car il a le sentiment qu’elles ont été aussi créées par les

Juifs, censés tout contrôler. Ce thème du contrôle est renforcé par le pouvoir qu’on prête aux juifs

en lien avec l’argent. Remontant fort loin, ce fantasme s’alimente du prétexte que certains d'entre

circulent dans le monde de la finance et de la banque. Il les désigne facilement comme les

responsables économiques de l'état du monde. Le patronyme Rothschild agit depuis longtemps déjà

comme un symbole ou un anathème désignant finance et richesse internationale. Ce phénomène

est toujours d'actualité.

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Les nouveaux visages de l’antisémitisme (1980-2000)

A la fin des années 70, l’opinion publique mesure avec plus d’intensité l’ampleur du génocide et les

conséquences d’un antisémitisme poussé à son extrême. Dès lors, dans les sociétés occidentales qui

ont subi la tragédie de la seconde guerre mondiale, l’antisémitisme est comme « anesthésié ».

Les expressions publiques de l’antisémitisme sont recouvertes d’un tabou. L’antisémitisme plie mais

ne rompt pas. Il va prendre de nouvelles voies sous-jacentes moins déclarées et d’apparence plus

difficile à qualifier en tant que tel.

Le négationnisme

Dès lors, à défaut de pouvoir assumer une détestation des juifs, certains vont se mettre à les accuser

d’amplifier la présence d’un antisémitisme qui aurait conduit au génocide ! On les accuse alors de

falsifier l’histoire en inventant même l’existence des chambres à gaz à des fins mercantiles et

politiques. La négation porte sur les faits tels que le nombre de victimes, l’existence des chambres à

gaz et réinterroge l’Histoire à l’aune d’une question insidieuse : « A qui profite le crime ? » Cette

forme d’antisémitisme, appelée négationnisme, était confinée jusque-là dans un petit milieu. En

1979, elle s’invite au cœur de l’actualité. C’est un Français, Robert Faurisson, qui met la négation de

la Shoah sur le devant de la scène et la qualifie « d’escroquerie juive politico-financière ». En

réaction, de nombreux rescapés multiplient les témoignages et le souvenir de la Shoah devient un

combat.

La concurrence victimaire

Alors que la Shoah est désormais reconnue comme un événement majeur du XXème siècle, un

nouveau type de discours se développe. Les juifs sont accusés de mener un lobbying de leurs

propres malheurs aux dépens des autres. La mémoire de la Shoah serait responsable de recouvrir

d’autres tragédies, comme celle de l’esclavage par exemple.

Ce phénomène touche notamment une partie de la communauté noire américaine. Pourtant, aux

Etats Unis, les minorités juives et noires se sont souvent épaulées dans leur combat contre le

racisme et l’antisémitisme. Au même moment, ce discours se répand également en Europe. Dans

certaines franges de la société, les juifs sont de plus en plus désignés comme les responsables d’une

compétition des mémoires qui hiérarchise et oppose les souffrances.

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Les nouveaux défis face à une résurgence de l’antisémitisme (2000-aujourd’hui)

Le XXIème siècle démarre par une forte hausse des actes antisémites à travers le monde. La

résurgence de ce phénomène repose sur des ressorts différents en fonction des régimes politiques. Il

se développe toujours sous différentes formes comme le négationnisme ou l’antisionisme.

La conférence mondiale contre le racisme organisée par l’ONU à Durban, du 2 au 9 septembre

2001, symbolise ce tournant. Des mouvements politiques et des ONG qui traversent les continents

y prennent fait et cause pour les Palestiniens. Ils se proclament antisionistes en réaction à la

politique israélienne de colonisation et d’implantation et se réclament de l’antiracisme. Mais dans le

forum, des tracts et discours tels qu’« un juif, une balle » circulent, des pamphlets antisémites et

autres documents négationnistes sont distribués, et le Club juif de Durban doit être évacué. A la fin

de l’intervention de Fidel Castro, la foule scande « Kill, kill the Jews ».

C’est cette même logique antisioniste, qui préside au lancement, en 2005, du mouvement BDS

(Boycott, désinvestissement, sanction). Au nom du soutien à la cause palestinienne et du

combat contre l'occupation, cette organisation remet en question le droit d'Israël à exister, déclare

Israël raciste et véhicule nombre de préjugés à l’égard des juifs d’Israël, dans de nombreux campus à

travers le monde.

Antisionisme : habit neuf de l’antisémitisme ?

Avant la création de l’Etat d’Israël, le terme « antisioniste » s’appliquait principalement aux juifs qui

ne croyaient pas que la création d’un Etat juif règlerait le problème de l’antisémitisme et du statut

des juifs à travers le monde. Certains opposants pensaient même qu’elle leur porterait préjudice.

Depuis qu’Israël existe, le mot « antisionisme » ne recouvre plus la même réalité ni les mêmes

protagonistes.

Parmi ceux qui se déclarent antisionistes, certains font le procès de l'occupation et de la

colonisation, alors que d’autres estiment qu’Israël est une erreur historique doublée d'une injustice

permanente et remettent en question la légitimité de l’Etat même.

L’antisémitisme dans le monde arabo-musulman

En Europe occidentale, la découverte de la Shoah ainsi que différentes législations ont rendu

l’antisémitisme hors-la-loi. Les antisémites occidentaux sont obligés de prendre des voies

détournées pour s’exprimer. Les régimes arabo-musulmans n’ont pas ces mêmes interdits.

L’islamisme intégriste joue un rôle clé dans la propagation de ce « nouvel antisémitisme ». Aussi,

comme aux temps anciens de l’antisémitisme chrétien, c’est toute une « éducation » du rejet qui se

met en place. L’antisémitisme devient acceptable et imprègne l’opinion publique. Des éditions

des plus célèbres livres antisémites se multiplient, Mein Kampf devient en 2005 un best-seller en

Turquie. Et comme à chaque période, l’antisémitisme s’adapte et s’appuie sur les outils de

communication de masse. En 2003, pendant les heures de prime-time, la chaîne de télévision du

Hezbollah Al-Manar diffuse un feuilleton antisémite Diaspora qui met en scène l’assassinat rituel

d'un garçon chrétien et d'une juive mariée à un non juif. En 2004, la télévision iranienne diffuse Al-

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Sameri wa Al-Saher, un documentaire qui explique que les Juifs contrôlent Hollywood grâce aux

Protocoles des Sages de Sion, et qui qualifie la Shoah de mythe.

L’antisémitisme en Europe : quand la haine redevient meurtrière

Depuis le début des années 2000, on observe aussi une explosion des actes antisémites sur le

continent européen. Certains l’appellent alors « l’intifada des banlieues » en référence au lien

manifeste entre ce pic de violences et le déclenchement de la seconde intifada au Proche-Orient.

Chaque escalade dans le conflit israélo-palestinien provoque une montée des actes antisémites. Ce

phénomène touche particulièrement la France qui compte à la fois la plus grande communauté juive

et la plus grande communauté musulmane d’Europe.

En 2006, la France est en émoi suite au meurtre d’Ilan Halimi, torturé pendant plusieurs jours avant

d’être laissé pour mort. Depuis la seconde guerre mondiale, c’est le premier meurtre antisémite

commis en France par des Français. La France est aussi la cible principale d’attentats antisémites

perpétrés au nom de l’idéologie islamiste terroriste. Trois enfants de l’école juive Ozar Hatorah, à

Toulouse, ainsi que quatre adultes sont tués en 2012 par Mohammed Merah. En 2015, un terroriste

exécute quatre personnes dans un magasin cacher, deux jours après l’attentat de Charlie Hebdo.

Sarah Halimi défénestrée et ensuite Mireille Knoll, rescapée de la Shoah, sont les victimes en plein

Paris de crimes antisémites en 2017 et 2018.

Cette haine obsessionnelle des Juifs véhiculée principalement par les mouvements terroristes

islamistes trouve donc une concrétisation meurtrière en France. Elle ne soulève pas pour autant une

indignation équivalente à celle des années 8O où des centaines de milliers de personnes

manifestaient dans la rue contre la profanation du cimetière juif de Carpentras. Au contraire, elle

s’accompagne de la montée d’un « antisémitisme ordinaire » et de l’augmentation du degré de

violence dans les passages à l’acte. Néanmoins, les pouvoirs en place combattent l’antisémitisme.

Les partis politiques ne peuvent plus assumer un programme incluant ce phénomène et l’arsenal

juridique et législatif ne cesse de se renforcer. Les mesures pédagogiques se multiplient. Quant à

l’antisionisme, dernière expression historique de l’antisémitisme, le 1er juin 2017, le Parlement

européen l’a inclus dans une résolution visant à définir les cadres de la lutte contre l’antisémitisme.

Quand la haine devient virale

Sur le continent européen, ces mesures mises en place pour lutter contre l’antisémitisme se

retrouvent mises à mal. L’éclosion d’internet offre un nouvel espace d’expression sans contrôle où

l’on voit se répandre les sites antisémites. Mais c’est avec le succès des réseaux sociaux que la haine

antijuive enflamme la toile. Souvent considérés comme une zone de non droit ainsi qu’un lieu où

l’on peut agir anonymement et en total impunité, les réseaux sociaux sont un espace de défouloir où

la surenchère est de mise.

Comme au temps des cartes postales sous l’affaire Dreyfus, l’usager des réseaux sociaux n’est pas

uniquement un consommateur : il concoure à la diffusion de ces messages. Racisme,

antisémitisme, théories du complot y foisonnent. La libre publication permet à chacun de choisir sa

source d’informations. Sans aucun contrôle, ces sources peuvent s’avérer fausses. Chacun peut

s’inventer une vérité sur le monde qui l’entoure, aussi tronquée soit-elle. Au royaume des mythes

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recyclés, celui du juif et l’argent figure en bonne place. Il dénonce un monde gouverné par la

finance qui serait elle-même gouvernée par les juifs et Israël.

De plus, les algorithmes des réseaux sociaux renforcent les communautés de pensée en

privilégiant les contacts entre individus qui parcourent et pensent le monde de la même manière.

Ces réseaux sociaux, pour fonctionner, ont besoin de conflits, de clashs, de buzz. Plus un article est

provocateur de conflits, plus il sera partagé. Cela ne peut que renforcer et radicaliser les visions

tronquées du monde.

Le système des algorithmes auto-alimente donc le phénomène. En France, pendant la campagne

électorale de 2012, le mot « juif » était le premier mot suggéré par Google lorsque l’on tapait le

nom d’un candidat. Preuve de la fréquence de cette recherche mais qui se retrouve également en

première place des suggestions de Google, celui-ci s’appuyant sur le modèle des recherches

existantes. En 2016, Microsoft lance son robot conversationnel sur Twitter. Au bout de huit heures

d’existence, l’intelligence artificielle propageait des propos racistes et antisémites.

Face à ce phénomène, la lutte contre la haine se retrouve devant un nouvel écueil. Quelle est la

responsabilité des géants du net ? Derrière cette question se retrouve un débat plus large sur le

choix des modes d’action face à la haine quand elle peut devenir massive.

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Les nouveaux défis (2010’s)

L’arrivée au pouvoir de partis politiques nationalistes et extrémistes dans plusieurs pays d’Europe et

d’Amérique interroge la persistance d’un foyer d’antisémitisme ancien et récurrent au sein de ces

pays, sans lien avec ces nouvelles formes d’antisémitisme. Les derniers rescapés et témoins voient

avec effarement des manifestations de haine antijuives ressuscitant les fantômes du passé. Des cris

« A mort les Juifs ! » sont scandés dans les rues de Paris, des militants extrémistes allemands font le

salut nazi dans les rues de Chemnitz et une rescapée des camps de la mort est assassinée avec dix

autres juifs dans une synagogue américaine par un tueur d’extrême droite.

A présent le continent américain n’est pas en reste et certains courants évangélistes sont héritiers de

l’antijudaïsme chrétien alors que d’autres encensent Israël parfois au point de considérer ses

souffrances essentielles pour le sort de l’humanité. Ces courants pourraient bien en être un des

facteurs de transmission et d’enseignement de l’antijudaïsme théologique auprès d’une part

conséquente de la population mondiale.

Il serait tentant de voir dans ce nouveau cycle de haine un éternel recommencement. Mais l’Histoire

ne se répète jamais à l’identique. L’existence même de l’Etat d'Israël a changé la perception que le

monde a des Juifs, et la façon dont eux-mêmes se perçoivent. Même s’ils ne se reconnaissent pas

nécessairement dans la politique menée par le pays, l’existence même de ce pays change la

perception de la majorité des juifs en diaspora.

L’Histoire ne se répète pas, et elle est riche de leçons. Elle nous apprend que l’antisémitisme n’est

pas intemporel, qu’il a une origine. Elle nous apprend que l’antisémitisme n’est pas inéluctable. Que

de nombreux peuples, pendant des centaines d’années, ont vécu en harmonie, sans donner prise à la

haine. Elle nous apprend que l’antisémitisme chrétien, pourtant enraciné génération après

génération, pendant des siècles, a pu régresser, voire disparaître dans le cœur des jeunes

générations. Elle nous apprend que l’antisémitisme évolue, qu’il peut prendre de multiples formes,

mais qu’on peut aussi le combattre, par l’éducation et la loi. Elle nous apprend qu’une société qui

protège ses minorités, qui prône la tolérance, permet à tous ses citoyens de coexister et de s’enrichir

mutuellement. Aucun enfant ne naît antisémite. Aucun enfant ne naît maudit. Il n’y a aucune

fatalité. Juste une longue lutte incertaine pour un monde plus humain.

FIN DES EPISODES

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Chargée des Ventes

Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, France, Pays-Bas, Scandinavie, Islande.

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