effets de voûte dans les milieux...

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Effets de voûte dans les milieux granulaires S. Lherminier - N. Vitrant L3 - Semestre 2 Résumé Nous avons cherché à mettre en évidence et quantifier les effets de voûte dans les milieux granulaires, c’est-à-dire l’existence de contraintes internes qui répartissent le poids d’une couche de milieu granulaire sur les côtés plutôt que sur la couche immédiatement en dessous. Introduction - Position de l’étude Les milieux granulaires sont des milieux complexes et difficiles à étudier : en effet, le grand nombre de particules rend prohibitif l’approche par la mécanique du solide. À l’échelle macroscopique, un milieu granulaire à un comportement proche d’un fluide visqueux. Pourtant, certaines caractéristiques leur sont propres, comme par exemple l’existence de contraintes internes qui redistribuent le poids d’une colonne ou d’un tas d’un simple milieu. Nous avons essayer de quantifier ces effets de voûtes en les étudiant dans deux situations bien distinctes : le silo et la tas de sable. 1 Étude des voûtes en milieu confiné - Modèle de Janssen 1.1 Modèle de Janssen Ce modèle a été introduit par Janssen en 1895 pour expliquer la loi de pression dans les silos remplis de grains ([1]). On le décrira en utilisant le tenseur des contraintes moyenné en coordonées cylindriques ¯ ¯ σ. On note ρ la masse volumique du milieu granulaire considéré. L’existence des voûtes est traduit par un facteur de proportionnalité K : σ rr (z)= zz (z) (1) Si l’on suppose que les voûtes internes font un angle φ avec la verticale, on obtient : K = tan φ. Le modèle de Janssen nécessite également l’hypothèse que le matériau est au seuil de glissement en tout point de contact avec le cylindre : σ rz = μ s σ rr = s σ zz μ s est le coefficient de frottement statique. (2) On réalise un bilan de forces sur une couche cylindique de hauteur dz : les forces sont indiquées sur la figure 1.1. P = -ρgπR 2 dz , F f rottement = σ rz 2πRdz = s σ zz 2πRdz , F zz (z)= σ zz (z)πR 2 (3) 1

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Effets de voûte dans les milieux granulaires

S. Lherminier - N. Vitrant

L3 - Semestre 2

Résumé

Nous avons cherché à mettre en évidence et quantifier les effets de voûte dans les milieux granulaires,c’est-à-dire l’existence de contraintes internes qui répartissent le poids d’une couche de milieu granulaire surles côtés plutôt que sur la couche immédiatement en dessous.

Introduction - Position de l’étude

Les milieux granulaires sont des milieux complexes et difficiles à étudier : en effet, le grand nombre departicules rend prohibitif l’approche par la mécanique du solide. À l’échelle macroscopique, un milieu granulaireà un comportement proche d’un fluide visqueux. Pourtant, certaines caractéristiques leur sont propres, commepar exemple l’existence de contraintes internes qui redistribuent le poids d’une colonne ou d’un tas d’un simplemilieu. Nous avons essayer de quantifier ces effets de voûtes en les étudiant dans deux situations bien distinctes :le silo et la tas de sable.

1 Étude des voûtes en milieu confiné - Modèle de Janssen

1.1 Modèle de Janssen

Ce modèle a été introduit par Janssen en 1895 pour expliquer la loi de pression dans les silos remplis degrains ([1]). On le décrira en utilisant le tenseur des contraintes moyenné en coordonées cylindriques ¯σ. On noteρ la masse volumique du milieu granulaire considéré.

L’existence des voûtes est traduit par un facteur de proportionnalité K :

σrr(z) = Kσzz(z) (1)

Si l’on suppose que les voûtes internes font un angle φ avec la verticale, on obtient : K = tanφ.

Le modèle de Janssen nécessite également l’hypothèse que le matériau est au seuil de glissement en toutpoint de contact avec le cylindre :

σrz = µsσrr = Kµsσzz où µs est le coefficient de frottement statique. (2)

On réalise un bilan de forces sur une couche cylindique de hauteur dz : les forces sont indiquées sur la figure1.1.

P = −ρgπR2dz , Ffrottement = σrz2πRdz = Kµsσzz2πRdz , Fzz(z) = σzz(z)πR2 (3)

1

Figure 1.1 – Forces s’exerçant sur une couche cylindrique

Au final, on obtient :∂σzz

∂z− 2Kµs

Rσzz = −ρg (4)

Les conditions aux limites sont : σzz(z = h) = 0 et un fond en z = 0.

Au final, on obtient la relation :

σzz(z) =ρgR

2Kµs

[1− exp

(−2Kµs(h− z)

R

)](5)

et l’on en déduit la masse pesée au fond :

Mpesée = Msat

[1− exp

(−Mversée

Msat

)](6)

Msat =ρπR3

2Kµs(7)

1.2 Configuration du silo à grains

Notre premier montage expérimental est celui présenté sur la figure 1.2. On utilise un piston pour transmettrele poids de la colonne de grains à la balance. Nos premiers essais avaient été réalisés sans piston, mais celui-cipermet de maintenir les grains dans la colonne tout en glissant contre le cylindre, et donc de ne transmettreque le poids des grains et pas du cylindre. Ce dernier est tenu par une potence la plus rigide possible afin deminimiser ses déplacements. L’entonnoir nous permet de réaliser un tas aéré et homogène en versant les grainsà faible débit.

Nous avons également essayés deux autres montages : ils sont représentés sur les figures annexe 1 et annexe2. Le montage 3 a l’avantage de peser à la fois la masse soutenue par le piston et celle soutenue par le cylindre.On vérifie en permanence que la masse totale est bien la masse de grains versée. Le montage 2 permet deconserver la balance de mesure fixe lorsque l’on déplace le piston 1.

L’utilisation de milieu granulaires fait beaucoup intervenir le frottement solide et les contraintes internes,ainsi nous avons eu des difficultés à obtenir des mesures stables. En effet, deux tas se ressemblent de l’extérieurmais leurs arrangements internes peuvent être complètement différents. La rigidité des statifs et les vibrationsdans la pièce sont autant de facteurs perturbants. Pour cela, la mesure faite à la balance souffre d’une grandeimprécision et d’une mauvaise reproductibilité.

1. La raison pour laquelle on déplace le piston lors de la mesure est expliquée plus loin.

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Figure 1.2 – Montage expérimental 1

Le principe de l’étude est de mesurer la masse pesée par la balance et de la comparer à la masse totale verséedans le cylindre. L’existence de voûtes nous assure que la masse mesurée doit être inférieure.

La principale difficulté expérimentale est de se placer effectivement au seuil de glissement. Pour résoudre ceproblème, on déplace le piston grâce au support à croisillon : en se déplaçant à vitesse constante et très faibledevant le temps de réorganisation du milieu, le système est maintenu en équilibre quasi-statique.

Le déplacement du piston étant réalisé à la main, les mesures souffrent d’une imprécision de l’ordre dudemi-gramme. Les courbes obtenues restent tout de même compatibles avec le modèle proposé.

1.3 Résultat expérimentaux

Nous avons réalisé des mesures sur plusieurs types de grains : des billes de verre de diamètres de l’ordre dumillimètre ainsi que des grains de sucre et des billes en acier.

1.3.1 Billes de verre

L’étude des billes de verre a été la plus complète : en effet, nous disposions de plusieurs diamètres de billesen quantité suffisante pour remplir notre cylindre. Les diamètres étudiés sont (en mm) : ' 0.75-1, 2.0, 4.0 et5.0.

Billes de 0.75-1 mm Les résultats donnent une masse de saturation d’environ 19.3 g, comme le montre lafigure 1.3.

Sachant que le coefficient de frottement verre-verre est environ 0.7, on peut calculer la constante de JanssenK dans le modèle :

K =ρπR3

2µsMsat' 0.24

soit un angle moyen des voûtes de φ = arctanK ' 0.25 rad.

Billes de 2.0 mm On obtient une masse de saturation de 20.2 g, comme le montre la figure annexe 3. Ontrouve donc φ ' 0.40 rad pour K ' 0.42.

Billes de 4.0 mm La courbe est donnée sur la figure annexe 4. On mesure une masse de saturation de 12.2g. La constante de Janssen vaut donc K = 0.69 soit un angle entre la verticale et les voûtes de φ = 0.61 rad.

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0 20 40 60 80 100 120

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure 1.3 – Masses mesurées pour des billes de verre de diamètre 0.9 mm, Msat ' 19.3 g

Billes de 5.0 mm La masse de saturation obtenue est ici de 27.5 g environ. Les résultats sont présentés surla figure annexe 5. On trouve K = 0.31 soit φ = 0.30 rad.

1.3.2 Autres matériaux

Acier Les résultats de mesure sur des billes d’acier de diamètre 4 mm sont présentés sur la figure 1.4. Lesmesures sont présentées en parallèle des masses obtenues par le modèle de Janssen, en adaptant la masse desaturation. Ici, nous avons pris Msat = 103 g.

Sachant que le coefficient de frottement verre-acier est environ 0.6, on trouve K = 0.24 soit un angle moyendes voûtes de φ = arctanK ' 0.24 rad.

0

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0 50 100 150 200 250 300 350 400

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure 1.4 – Masse mesurée pour des billes d’acier, Msat = 103 g

Grains de sucre Les résultas sur les grains de sucre sont plus discutables : en effet, les grains n’étant pascalibrés, le tas peut ne pas être homogène. De plus, il peut y avoir des interactions électrostatiques entre lesgrains les plus petits. Les résultats sont présentés sur la figure annexe 6.

De la même façon, Msat = 6.2 g et µs = 0.35 soit au final K ' 1.67 et donc φ ' 1.03 rad.

4

Farine Pour la farine, on obtient des résultats similaires (figure annexe 7). On trouve une masse de saturationde 9.1 g. On ne peut calculer la constante de Janssen car on ne connaît pas le coefficient de frottement verre-farine.

1.4 Conclusion

En utilisant le montage 2, on voit directement quelle est la masse portée par le cylindre. Nous avons essayerd’apporter des perturbations au tas sous la forme de vibrations : lorsque les vibrations étaient de faible intensité(petits coups contre la potence par exemple), on observait une stabilisation des voûtes et la masse supportéepar le cylindre augmentait. Si l’on donnait un coup violent dans la table, le phénomène inverse se produisaitet la masse supportée diminuait. Nous sommes même descendus à des masses virtuellement négatives, ce quipourrait s’interprêter par un retournement des voûtes dans le milieu (le tas de sable porte le tube).

Nos résultats expérimentaux montrent bien que la masse supportée par le fond du silo sature lorsque l’on leremplit, et le modèle de Janssen décrit bien le phénomène. Nous avons été confrontés à des difficultés expéri-mentales liées à la nature des milieux granulaires.

2 Étude des voûtes dans le tas de sable - Carte de pression

2.1 Présentation de l’expérience

Nous cherchons à établir la carte de pression ressentie sous un tas de sable, formé par avalanches successivesà partir d’un point source, comme décrit sur la figure 2.5.

Figure 2.5 – Formation d’un tas de sable par un point source

L’existence de voûtes doit déplacer le maximum de pression du centre vers l’extérieur, ce qui devrait donnerun profil comparable à celui présenté sur la figure 2.6 ([2]).

2.2 Résultats expérimentaux

2.2.1 Montage et protocole

Notre première tentative a été d’utiliser des capteurs de pression résistifs ultraplats. Le problème est queces capteurs avait une résistance (théorique à vide) de l’ordre de 20 MΩ, donc la mesure de la résistance a étéimpossible malgré nos efforts (ohmmètre, pont de Wheatstone, montages série).

Nous avons finalement opté pour une autre méthode : nous avons utilisée une plaque percée et un piston.La figure 2.7 représente notre montage expérimental.

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Figure 2.6 – Profil théorique de pression sous un tas de sable

Figure 2.7 – Montage expérimental pour la mesure de pressions

Le piston est en réalité une masse de 20 g. Nous avons été confrontés à des problèmes de frottement entrele piston et les parois du trou dans la plaque. Nous avons trouvé la solution en agrandissant un peu le trou eten utilisant un petit peu d’huile de silicone pour lubrifier le trou.

Le tube sur l’entonnoir permet d’assurer un débit constant une fois rempli. Pour un tas de 1 L de sable (soit1.6 kg), il faut environ 14 min pour former le tas complet.

2.2.2 Résultats

Pression statique Nous avons tout d’abord testé le protocole avec un tas de sucre de 600 g, ce qui donneun tas d’un diamètre D = 15 cm environ et d’un volume V = 0.652. Nous obtenons la courbe de la figure 2.8.On reconnaît la tendance attendue, c’est-à-dire que la pression n’est pas maximale au centre du tas mais bienà l’extérieur, ici à une distance d’environ 2 cm.

Nous avons ensuite effectué des mesures sur un tas de sable de 1.6 kg (soit 1 L). On obtient un tas d’environ12 cm de rayon. La figure 2.9 montre nos points de mesures : on reconnaît un minimum au centre et on obtient

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0

100

200

300

400

500

0 1 2 3 4 5

Pre

ssio

n (P

a)

Distance au centre (cm)

P = f(r)

Figure 2.8 – Pression sous un tas de sucre

0

50

100

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200

250

300

0 1 2 3 4 5 6 7

Pre

ssio

n (P

a)

Distance au centre (cm)

P = f(r)

Figure 2.9 – Pression sous un tas de sable

un maximum autour de 6 cm. Nous n’avons pas eu le temps d’effectuer des mesures plus loin du centre du tas.

Pression dynamique Nous avons pu enregistrer la pression subie sous le tas pendant sa formation : unebalance reliée à un ordinateur nous permet de suivre l’évolution de la pression. La figure 2.10 représente lamasse pesée en fonction du temps. La construction du tas s’est achevée au bout de 14 minutes soit 840 secondes.

2.3 Conclusion

On vérifie que contrairement à l’intuition, la pression est plus élevée sur le pourtour du centre et non pasau centre même du tas. De plus, la pression au centre semble constante quelquesoit la taille du tas : pour deuxtas de 1 L et 300 mL de sable, on mesure la même pression au centre. Nous n’avons pas pu approfondir l’étudede ce phénomène par manque de temps.

Pour ce qui est de la formation du tas, les effondrements successifs réorganisent l’architecture interne etredistribuent les contraintes. On voit également que la structure interne continue d’évoluer une fois que le tasest formé, alors que son allure extérieure semble figée.

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5

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15

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25

0 200 400 600 800 1000

Mpe

see

(g)

t (s)

Mpesee = f(t)

Figure 2.10 – Masse pesée à 2 cm du centre lors de la formation du tas et après

Références

[1] Guillaume Ovarlez. Statique et rhéologie d’un milieu granulaire confiné. PhD thesis, Université Paris XIOrsay, 2002.

[2] Loïc Vanel. Étude expérimentale de l’équilibre d’un milieu granulaire : exemple du silo et du tas de sable.PhD thesis, Université Parsi VI, 1999.

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Annexe - Figures

Figure annexe 1 – Montage expérimental 2 Figure annexe 2 – Montage expérimental 3

0

5

10

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20

25

0 20 40 60 80 100 120

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure annexe 3 – Masses mesurées pour des billes de verre de diamètre 2.0 mm, Msat = 20.2 g

9

0

2

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0 20 40 60 80 100 120 140

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure annexe 4 – Masses mesurées pour des billes de verre de diamètre 4.0 mm, Msat = 12.2 g

0

5

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30

0 20 40 60 80 100 120

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure annexe 5 – Masses mesurées pour des billes de verre de diamètre 5.0 mm, Msat = 27.5 g

0

1

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3

4

5

6

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8

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0 10 20 30 40 50 60 70 80 90

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure annexe 6 – Masses mesurées pour des grains de sucre, Msat = 6.2 g

10

0

2

4

6

8

10

0 10 20 30 40 50 60

Mpe

see

(g)

Mversee (g)

Mpesee = f(Mversee)

Figure annexe 7 – Masses mesurées pour de la farine, Msat = 9.1 g

Figure annexe 8 – Montage expérimental pour la mesure de pression sous un tas

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Figure annexe 9 – Balance et piston pour la mesure de pression

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