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LES ANNONCES DE LA SEINE RENTRÉE SOLENNELLE Tribunal de Grande Instance de Paris L’office du juge par Chantal Arens ......................................................2 Le service de la justice par François Molins ........................................6 Cour d’Appel de Colmar Renforcer l’impact de l’action judiciaire par Jean-François Thony ..................................................................10 La dématérialisation des procédures....................................................... par Marie-Colette Brenot .................................................................12 AGENDA......................................................................................5 AU FIL DES PAGES Et ce sera justice… Le juge dans la cité par Roger Errera...................................................9 DIRECT Cercle des Stratèges Disparus ...............................................14 Haut Conseil de la Famille ......................................................22 Autorité de la Concurrence ....................................................22 ANNONCES LEGALES ...................................................15 AVIS D'ENQUETE ..............................................................19 PALMARÈS Prix Jean Carbonnier 2012 Un regard sociologique porté sur le droit par Dominique Fenouillet ................................................................23 Le domicile conjugal comme source de conflits judiciaires par Veronika Nagy............................................................................27 J OURNAL OFFICIEL D’ANNONCES LÉGALES - I NFORMATIONS GÉNÉRALES, J UDICIAIRES ET TECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : [email protected] FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE Lundi 11 février 2013 - Numéro 11 - 1,15 Euro - 94 e année C hantal Arens et François Molins, respectivement Président et Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Paris accueillaient leurs prestigieux invités pour l’Audience Solennelle de Rentrée ce 16 janvier 2013. Après avoir rendu compte de l’activité de la juridiction parisienne, la Présidente Chantal Arens, attachée depuis deux ans « à mettre en valeur et à objectiver la spécificité » de son Tribunal « qui ne peut être comparé à aucun autre en France », s’est déclarée particulièrement satisfaite de la création d’un nouveau pôle : « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre ». Evoquant ensuite le philosophe Georges Steiner, elle a rappelé avoir engagé une réflexion au sein de sa juridiction sur « la transmission des savoirs et la mutualisation des compétences ». Face à la mondialisation et à la généralisation des échanges économiques, sociaux et culturels, de nouvelles formes de gouvernance des juridictions ont été mises en place et le travail du juge s’en est trouvé modifié. Pour la Présidente Chantal Arens, l’intervention accrue du juge est donc le signe du passage « d’une justice administrée à une justice managériale ». Quant au Procureur de la République, installé dans ses fonctions le 14 décembre 2011 (Les Annonces de la Seine du 15 décembre 2011), il a ponctué son propos des évènements marquants de l’année écoulée dont notamment : - la signature le 13 juillet 2012 avec la Mairie de Paris, la Préfecture de Police et le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles de la Convention « Téléphone Grand Danger » -la configuration de la section « Pôle génocide, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre » - l’installation de « la Zone de Sécurité prioritaire du 18 ème arrondissement sur la zone Goutte d’Or ». Autant d’évènements qui soulignent combien le Parquet de Paris est un « Parquet hors normes ». Il s’est également déclaré satisfait que les objectifs, fixés dans son « mémento de politique pénale » fruit d’un travail collectif élaboré dès son arrivée et destiné à formaliser la politique pénale, aient été atteints grâce à la mobilisation des magistrats et des fonctionnaires qui ont tout mis en œuvre pour développer le recours au traitement en temps réel, renforcer le contradictoire, améliorer l’organisation et le fonctionnement de l’audiencement des affaires correctionnelles, exécuter les peines dans des délais efficaces et développer le recours aux procédures simplifiées. Pour conclure, il a défini de nouveaux enjeux pour 2013 « découlant naturellement des directives de politique pénale de la Ministre de la Justice issues de sa circulaire du 19 septembre 2012 » : action publique de qualité et de proximité, développement de la lutte contre la délinquance économique et contre la corruption, afin de mieux répondre aux attentes des justiciables. Jean-René Tancrède Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35 Tribunal de Grande Instance de Paris Audience Solennelle de Rentrée - 16 janvier 2013 Chantal Arens et François Molins

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Journal d'annonces légales : Les Annonces de La Seine

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Page 1: Edition Du Lundi 11 Fevrier 2013

LES ANNONCES DE LA SEINE

RENTRÉE SOLENNELLETribunal de Grande Instance de ParisL’office du juge par Chantal Arens ......................................................2Le service de la justice par François Molins ........................................6Cour d’Appel de ColmarRenforcer l’impact de l’action judiciairepar Jean-François Thony ..................................................................10La dématérialisation des procédures.......................................................par Marie-Colette Brenot .................................................................12AGENDA......................................................................................5AU FIL DES PAGESEt ce sera justice…Le juge dans la cité par Roger Errera...................................................9DIRECTCercle des Stratèges Disparus ...............................................14Haut Conseil de la Famille ......................................................22Autorité de la Concurrence ....................................................22ANNONCES LEGALES ...................................................15AVIS D'ENQUETE ..............................................................19PALMARÈSPrix Jean Carbonnier 2012Un regard sociologique porté sur le droitpar Dominique Fenouillet ................................................................23Le domicile conjugal comme source de conflits judiciairespar Veronika Nagy............................................................................27

JOURNAL OFFICIEL D’ANNONCES LÉGALES - INFORMATIONS GÉNÉRALES, JUDICIAIRES ET TECHNIQUESbi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : [email protected]

FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE

Lundi 11 février 2013 - Numéro 11 - 1,15 Euro - 94e année

Chantal Arens et François Molins,respectivement Président et Procureur dela République du Tribunal de GrandeInstance de Paris accueillaient leurs

prestigieux invités pour l’Audience Solennelle deRentrée ce 16 janvier 2013.Après avoir rendu compte de l’activité de la juridictionparisienne, la Présidente Chantal Arens, attachée depuisdeux ans « à mettre en valeur et à objectiver la spécificité »de son Tribunal « qui ne peut être comparé à aucun autreen France », s’est déclarée particulièrement satisfaite dela création d’un nouveau pôle : « crimes contre l’humanité,crimes et délits de guerre ».Evoquant ensuite le philosophe Georges Steiner, elle arappelé avoir engagé une réflexion au sein de sajuridiction sur « la transmission des savoirs et lamutualisation des compétences ».Face à la mondialisation et à la généralisation deséchanges économiques, sociaux et culturels, denouvelles formes de gouvernance des juridictions ontété mises en place et le travail du juge s’en est trouvémodifié. Pour la Présidente Chantal Arens, l’interventionaccrue du juge est donc le signe du passage « d’une justiceadministrée à une justice managériale ».Quant au Procureur de la République, installé dans sesfonctions le 14 décembre 2011 (Les Annonces de laSeine du 15 décembre 2011), il a ponctué son proposdes évènements marquants de l’année écoulée dontnotamment :

- la signature le 13 juillet 2012 avec la Mairie de Paris,la Préfecture de Police et le Centre d’Information surles Droits des Femmes et des Familles de la Convention« Téléphone Grand Danger » -la configuration de la section « Pôle génocide, crimescontre l’humanité et crimes et délits de guerre »- l’installation de « la Zone de Sécurité prioritaire du18ème arrondissement sur la zone Goutte d’Or ».Autant d’évènements qui soulignent combien le Parquetde Paris est un « Parquet hors normes ».Il s’est également déclaré satisfait que les objectifs, fixésdans son « mémento de politique pénale » fruit d’untravail collectif élaboré dès son arrivée et destiné àformaliser la politique pénale, aient été atteints grâce àla mobilisation des magistrats et des fonctionnaires quiont tout mis en œuvre pour développer le recours autraitement en temps réel, renforcer le contradictoire,améliorer l’organisation et le fonctionnement del’audiencement des affaires correctionnelles, exécuterles peines dans des délais efficaces et développer lerecours aux procédures simplifiées.Pour conclure, il a défini de nouveaux enjeux pour 2013« découlant naturellement des directives de politiquepénale de la Ministre de la Justice issues de sa circulairedu 19 septembre 2012 » : action publique de qualité etde proximité, développement de la lutte contre ladélinquance économique et contre la corruption, afinde mieux répondre aux attentes des justiciables.

Jean-René Tancrède

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Tribunal de Grande Instance de ParisAudience Solennelle de Rentrée - 16 janvier 2013

Chantal Arens et François Molins

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L’office du jugepar Chantal Arens

(…)

Comme chaque année, la juridictionrend compte de son activité et de sonfonctionnement aux autres acteurs dela Cité. Cette audience donne

également l’occasion d’aborder des thèmes, enlien avec l’actualité, qui intéressent l’institutionjudiciaire. La plaquette mise à votre dispositionvous permettra d’appréhender dans le détaill’activité des différents services du Tribunal degrande instance et des Tribunaux d’instance del’arrondissement et je n’en aborderai que lestraits les plus saillants.L’année 2012 a été marquée, comme les annéesprécédentes, par une forte activité du Siège civilet pénal. En matière civile, le nombre des affairesnouvelles et terminées s’est stabilisé à un niveautrès élevé. La durée moyenne de traitement desaffaires continue de décroître pour atteindre undélai six mois et demi. L’activité pénale, tant auservice correctionnel qu’à l’instruction, connaîtune légère diminution dans un contexte decomplexité élevée des affaires. Le contrat d’objectifs, signé avec la direction desservices judiciaires en  2011, a conduit aurenforcement du service de l’application despeines d’un magistrat, et a permis d’absorber lahausse de l’activité du service constatéedepuis 2011.

Les Magistrats du Tribunal pour Enfants ontentrepris un travail très important pour réduireles délais de jugement des affaires pénales. Uneattention soutenue a également été portée auxdossiers d’assistance éducative. Le renfort d’un14ème  magistrat de septembre  2012 àjanvier  2013 a permis de poursuivre ladynamique entreprise. Ce renfort mériteraitd’être pérennisé en termes budgétaires. Les Tribunaux d’instance ont fait face avec undévouement exemplaire aux sujétions leurincombant en matière électorale, en particulierpour le vote des représentants des Français àl'étranger. Enfin, le Juge des libertés et de la détentioncontinue d’avoir une activité très intense. Lecontentieux des hospitalisations sansconsentement nécessite la tenue de deuxaudiences quotidiennes au Tribunal de grandeinstance et depuis le 1er janvier de cette année,le Juge des libertés et de la détention connaîtdes contestations de la régularité des décisionsde l’autorité administrative ordonnant unehospitalisation sous contrainte. Le traitement de cet important nouveaucontentieux est intervenu à moyens constants.Plus généralement, l'on peut regretter qu'uncertain nombre de postes ne soient pas pourvus,ce qui nous contraint dans plusieurs chambresciviles à un fonctionnement dégradé, alorsmême que la juridiction se caractérise parl'excellence dans le traitement des affaires deceux qui la composent.Depuis deux ans déjà, je me suis attachée àmettre en valeur et objectiver la spécificité de

2 Les Annonces de la Seine - lundi 11 février 2013 - numéro 11

LES ANNONCES DE LA SEINESiège social :

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARISR.C.S. PARIS B 339 349 888

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Etablissements secondaires :l 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST

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Téléphone : 01 42 60 84 41l 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI

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Directeur de la publication et de la rédaction :Jean-René Tancrède

Comité de rédaction :

Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet BernardsFrançois-Henri Briard, Avocat au Conseil d’EtatAntoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon SorbonneMarie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droitAndré Damien, Membre de l’InstitutPhilippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon SorbonneBertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens,ancien Bâtonnier de BordeauxDominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisBrigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appelRégis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassationSerge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-AssasFrançoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassationMaurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - EntrepreneursJean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-AssasChristian Lefebvre, Président Honoraire de la Chambre des Notaires de ParisDominique Lencou, Président d’Honneur du Conseil National des Compagniesd’Experts de JusticeNoëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne MinistrePhilippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-AssasJean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptesGérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassationJacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPLYves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisRené Ricol, Ancien Président de l’IFACFrancis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisCarol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International

Publicité :Légale et judiciaire : Didier ChotardCommerciale : Frédéric Bonaventura

Commission paritaire : n° 0713 I 83461I.S.S.N. : 0994-3587Tirage : 12 659 exemplairesPériodicité : bi-hebdomadaireImpression : M.I.P.3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS

Copyright 2013Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autoriséeexpressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale oupartielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnéepar les articles 425 et suivants du Code Pénal.

Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pourla période du 1er janvier au 31 décembre 2013, par arrêtés de Messieurs les Préfets :de Paris, du 27 décembre 2012 ; des Yvelines, du 31 décembre 2012 ; des Hauts-de-Seine, du 31 décembre 2012 ; de la Seine-Saint-Denis, du 27 décembre 2012 ; duVal-de-Marne, du 27 décembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescritespar le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerceet les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contratset des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine.N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales.

- Tarifs hors taxes des publicités à la ligneA) Légales :Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,48 €Yvelines : 5,23 € Hauts-de-Seine : 5,48 €Val-de-Marne : 5,48 €B) Avis divers : 9,75 €C) Avis financiers : 10,85 €D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 €Seine-Saint Denis : 3,82 € Yvelines : 5,23 €Val-de-Marne : 3,82 €- Vente au numéro : 1,15 €- Abonnement annuel : 15 € simple

35 € avec suppléments culturels95 € avec suppléments judiciaires et culturels

COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALESNORMES TYPOGRAPHIQUES

Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéasTitres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (oumajuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm.Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps6 points Didot, soit 2,256 mm.Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse(minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Lesblancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm.Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanccompris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif.L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Leblanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm.Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’unalinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiquesont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeurretiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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Chantal Arens

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Rentrée solennelle

l’activité de cette juridiction qui ne peut êtrecomparée à aucune autre en France. A cetégard, je souhaiterais m’attarder quelquesinstants sur les conclusions de l’étude menéependant 18 mois au Tribunal de grande instancede Paris sur les flux et la nature des contentieuxtraités au sein de la juridiction en matière civileet pénale.

En matière civile, le groupe de travail estparvenu à dégager des critères révélateurs de laspécificité et de la complexité des contentieuxtraités par la juridiction. Ainsi, la réflexion a étémenée par chambre, chacune ayant retenu lescritères qui lui paraissaient pertinents, lajuridiction parisienne étant composée de15 Chambres civiles, elles-mêmes divisées en42  sections, correspondant à autant decontentieux, auxquelles s'ajoutent le service desréférés, le service des requêtes ou la CIVI.L'objectif était de pouvoir mesurer le poids deces spécificités sur le traitement des dossiers etdonc sur la charge de travail des Chambres.Ainsi, selon les contentieux civils, un taux decomplexité de 33 % à 73 % a pu être mis enévidence, ce qui, vu de l'extérieur, estexceptionnel mais qui, pour les Magistratsparisiens, qui ont connu d'autres juridictions,correspond précisément à la spécificité ducontentieux qu'ils traitent quotidiennement auTribunal de grande instance de Paris.L'objectivation de ces critères devrait constituerun outil pérenne d'évaluation de la performanceen tenant compte de la qualité des dossiers jugés.

En matière pénale, plusieurs sous-groupes detravail ont été réunis. Ils concernent tout à lafois l'activité du parquet, de l'instruction, desChambres correctionnelles, du Tribunal pourEnfants. Une concordance d'indices despécificité ou de complexité a pu être relevéeet le traitement habituel de dossiers hors normemis en évidence.Je salue la forte mobilisation des magistrats etfonctionnaires autour de ce projet de juridiction. Il a en particulier permis à chacun de mesureret d’appréhender pleinement les contentieuxqu’il traite, la capacité moyenne de jugement

par Magistrat par contentieux ayant été calculéeà partir de la production des Chambres surcinq ans. Je forme le vœu que cette étude puisseêtre l’occasion d’une réflexion partagée avec laChancellerie sur l’adéquation des moyensaffectés à la juridiction au regard des spécificitésainsi mises en évidence, à l’instar du travail menésur les effectifs de Greffe qui a permis leurréévaluation à hauteur d’un tiers.

Évoquer la spécificité des contentieux traitésme conduit naturellement à revenir sur lacréation du pôle « crimes contre l’humanité,crimes et délits de guerre ».

Ce sont désormais trois Magistrats instructeursdont un premier Vice-Président qui sontaffectés au traitement de ce contentieux.Installés sur le site des « Italiens », ils ont étérejoints par quatre assistants spécialisés depuisles mois d’octobre et novembre 2012. Ce pôleaura vraisemblablement vocation à prendre del’ampleur. Sa création est une illustration del’importance croissante du droit internationaldans notre système juridique. Face à cesévolutions comme à celles de la société, il estlégitime de s’interroger sur les mutationsrécentes ou à venir de l’office du juge.C’est pourquoi, j’ai souhaité que le Tribunal degrande instance de Paris ouvre une réflexionsur l’office du Juge. Quatre groupes de réflexioncomposés de Magistrats du Siège se réunissentdepuis plusieurs mois afin d’appréhender lemieux possible les différentes facettes du rôledu Juge dans un contexte de mondialisation dessources du droit et des procédures. Cetteréflexion doit trouver son aboutissement dansl’organisation d’un colloque le 21 mars 2013auquel participeront des universitaires, desMagistrats, des Avocats et des Philosophes.Trois tables rondes aborderont le thème « duJuge à l’écoute du monde, un nouvel office pourle Juge au 21ème siècle. »

L’organisation de ce colloque s'inscrit dans laperspective du nécessaire partage des savoirsqui me paraît se trouver au cœur du métier demagistrat.

C’est en songeant à « l’éloge de la transmission »chère au philosophe Georges Steiner que j’aisouhaité engager une réflexion sur latransmission des savoirs, la mutualisation descompétences, au sein de la juridiction. Celle-cime paraît d’autant plus nécessaire que lajuridiction est confrontée à un fortrenouvellement de ses membres, tantMagistrats que fonctionnaires. Ainsi, en deuxans, la moitié des effectifs de Magistrats du Siègea été renouvelée (180 magistrats concernés). Dans ce contexte, il me paraît indispensable quesoit assurée la transmission des compétences.Des espaces dématérialisés ont d’ailleurs déjàété installés entre les Magistrats des différentesChambres civiles afin de mettre en commun,jurisprudence, outils d’aide à la rédaction etarticles de doctrine.

En outre, des groupes de travail se réunironten 2013 autour du thème de la qualité de larédaction de la décision de justice en matièrecivile et pénale et ce, dans un souci constantd’allier cohérence et efficacité de la justice dansl’intérêt du citoyen. Dans un contexte dedématérialisation des écritures, une réflexionsur la méthodologie du jugement apparaît eneffet indispensable pour intégrer non seulementde nouvelles méthodes de travail induites pardes évolutions technologiques, mais aussi pourrendre plus lisibles et plus facilementexécutables les décisions de Justice.Aux magistrats de cette juridiction, je veuxtémoigner à nouveau de ma profondereconnaissance. J’ai pu apprécier vos grandesqualités professionnelles et humaines. Je salueen particulier votre capacité à participer auxprojets de la juridiction et à vous mobilisercollectivement pour rendre dans de très bonnesconditions une justice de nature à restaurer toutlien social, alors même que commeprécédemment évoqué, le traitement decertains contentieux peut pâtir d'allocation demoyens dégradée.

Le soutien essentiel des premiers Vice-Présidents, des chefs de service et desPrésidents de Chambre en lien avec la direction

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du greffe, a permis de poursuivre et de menerà bien de grands projets. Je citerai pour mémoire, la généralisation de lamise en état dématérialisée dans l’ensemble desChambres civiles depuis le 2  avril  2012, lasignature d’une convention sur lacommunication électronique civile avec lesTribunaux de Bobigny, Créteil et Nanterre, lasignature d’un avenant à la convention sur lacommunication électronique pénale afin defavoriser son développement, la signature d’unprotocole d’accord avec le Tribunal administratifde Paris en matière d'aide juridictionnelle, lasignature d’un nouveau protocole de procédurecivile avec le Barreau, l’implantation en matièrepénale du logiciel Cassiopée, le projet decréation d’une chambre Correctionnelle dédiéeau jugement des affaires de terrorisme et decriminalité organisée, le développement de lacommunication et du site Intranet de lajuridiction. La mobilisation de tous a également permisd’aboutir à la rédaction du premier rapportd’activité de la juridiction pour le Siège. Cedocument interne à la juridiction permet àchacun de mesurer l’ampleur du travailaccompli. Soyez en tous vivement remerciés.Au titre de l'activité de l'année 2012, ce rapportconnaîtra une large diffusion.

Monsieur le Procureur, tout au long de cette année,j’ai pu apprécier votre esprit de dialogue. Nousavons mené ensemble ces derniers mois uneréflexion sur l'audiencement des affairescorrectionnelles de nature à favoriser untraitement fluide de ces dossiers jusqu’au stade del'exécution et l’application des peines. La tâche estimportante car 20 audiences pénales journalièressont concernées par ce projet ambitieux.

Madame le Bâtonnier et Monsieur le viceBâtonnier, notre dialogue a toujours été richeet constructif. Madame le Bâtonnier, votreimplication et votre détermination ont permisde mener à bien de grands projets que j’évoquaisà l’instant, en particulier en matière decommunication électronique civile et pénale,de révision du protocole de procédure civile. Jesouhaite que nous continuions d’œuvrerensemble dans le même esprit constructif. Je salue chaleureusement l’élection de MaîtrePierre Olivier Sur et de Maître LaurentMartinet, respectivement Bâtonnier et Vice-Bâtonnier désignés. Je ne doute pas que nouspourrons poursuivre ensemble le travailentrepris.Madame le Directeur de greffe, je veux ànouveau témoigner de toute ma reconnaissanceaux fonctionnaires de justice. Leur dévouementet leur implication au quotidien forcent lerespect. Vous savez qu'ils peuvent compter surun soutien sans faille de ma part, connaissantleur engagement fort au service de la Justice etles difficultés qu'ils peuvent rencontrer dansleurs conditions matérielles de travail.

Après ce très bref panorama de l’activité del’année écoulée, je souhaiterais m’attarder surun thème qui m’est cher, celui destransformations que le philosophe FrançoisJullien appelle « silencieuses ». Ces mutationss’opèrent en elles-mêmes, de façon continue etglobale, sans que nous les discernions alorsqu’elles ne cessent de se manifester. Ces

changements sont assez souvent plus subis quesouhaités, lorsque l'on n'en prend pasconscience. «  Jusqu’ici silencieuse, latransformation s’impose maintenant de la façonla plus criante, d’autant plus brutale, par sonrésultat, et cet effet de réel nous revient bien enplein visage » La Justice n’échappe pas à cesphénomènes qui modifient également enprofondeur la place et le rôle du Juge.J’ai déjà évoqué les années précédentes lamondialisation. Ce vocable ne regroupe-t-il pasun ensemble de ces «  transformationssilencieuses » ? La généralisation des échangeséconomiques, sociaux, culturels s’accompagned’une mobilité du droit, d’une propagation desdroits fondamentaux. Le travail du Juge s’entrouve modifié. Les échanges entre Jugess’intensifient. Les Magistrats n’hésitent plus àse référer à un patrimoine démocratiquecommun dans leurs décisions, bouleversant parla même la notion de hiérarchie des normes. Un auteur a souligné que la Cour Européennedes Droits de l’Homme exerce une fonctiontierce extérieure tout en renforçant de surcroîtla fonction tierce interne du Juge. La normeacquiert un caractère composite et lesmagistrats eux-mêmes peuvent participer à laconstruction de ce socle commun.

Ce phénomène s’accompagne de modificationsprofondes du rôle des juridictions supérieures.Ainsi, s’agissant du Conseil constitutionnel,l’intention première des rédacteurs de laConstitution de 1958 n’était peut être pas decréer une institution chargée de garantir commemission première que la loi respecte les droitsfondamentaux. Pourtant, au fil de sajurisprudence, des évolutions constitutionnelles,du développement des droits fondamentaux etdernièrement de l’instauration de la questionprioritaire de constitutionnalité, la nature mêmedu Conseil s’est trouvée profondémentmodifiée.

En matière familiale, c’est le Juge qui, le plussouvent se trouve confronté le premier àl’évolution des formes de la famille et dans sonoffice d’interprétation des normes, dequalification, et il est conduit à adapter le droità l’évolution de la famille.

Un auteur a souligné qu’aujourd’hui, « la normene précède plus le Juge mais résulte del’application qu’il en fait. La loi n’est plusdécidément, l'instituant collectif qu'elle fut pourla société. Le droit devient un mode dominantd’organisation de la vie collective dont le Jugeest le principal architecte » La Cour de cassationa été amenée à se prononcer à plusieurs reprisessur certaines évolutions de la familleconsécutives aux progrès scientifiques, avantque le législateur ne s’empare de ces questions.

D’autres évolutions peuvent être citées enexemple de ces « transformations silencieuses ».Ainsi en est-il de la recomposition de notreprocédure pénale dans un contexte européenlui même en pleine évolution, la coopérationeuropéenne et internationale devenantprimordiale eu égard à la mondialisation de lacriminalité organisée.Ainsi, la multiplication des procédures dites«  alternatives  » et le recours accru auxprocédures simplifiées et négociées avec un rôlerenforcé du Parquet ont eu une incidence surl’office du Juge. Avec d'autres modes depoursuite et de traitement des flux pénaux, unauteur a souligné que le « rôle du Juge peut êtreamené à passer d’une fonction arbitrale à unefonction d’autorisation ». Le propos n’est pas deporter un jugement de valeur sur cette évolutionmais il s’agit pour tous d’en être conscient etsurtout d’en penser la complexité de manièreglobale.

D’autres réformes ou réflexions ont aussidessiné depuis plusieurs années une nouvelleéconomie de notre système pénal. Elles portentainsi sur une conception beaucoup plusaccusatoire qu'inquisitoire de la procédure avecune intervention à tous les stades de la défensepénale, la prise en compte de toute la place dela victime dans le procès, l’expérimentation d'unrôle accru du citoyen dans la phase de jugement,de nouvelles mesures de surveillance lors del'exécution de la sanction, une réflexion sur lesens de la peine de prison et les mesures deprobation.J’évoquerai également les nouvelles formes degouvernance des juridictions. Pendantlongtemps, au nom de l'indépendance

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juridictionnelle, la notion de gouvernance étaittotalement absente du fonctionnement desCours et Tribunaux. Progressivement, unmanagement vertical s’est imposé mais cefonctionnement s’est insensiblementtransformé en management participatif. LesMagistrats, en lien avec les fonctionnaires, sontdésormais associés de manière étroite à laconduite de la juridiction. Le décloisonnemententre les différents services, la prise en comptedu travail et des contraintes des autres, doiventêtre des objectifs prioritaires. Ce nouveau mode de gestion qui suppose unecommunication interne vivace, se traduit parune politique de juridiction, voire par un projetde juridiction à l'instar de la Cour administratived'appel de Paris. A ce titre, pour remettre enperspective ce qui est souhaité pour unfonctionnement optimum du tribunal et ainsidonner du sens au travail accompli, en 2013, jeproposerai aux Magistrats du Siège, en lienétroit avec le greffe, une réflexion collective surla mise en place d'un projet de juridiction pourles années à venir, la transmission des savoirs,la méthodologie du jugement, le recours accruà la dématérialisation et l’amélioration del’accueil des justiciables en faisant partie ; l'idéequi sous-tend ce projet étant de rendre unejustice de qualité au bénéfice des citoyens.

Au-delà du fonctionnement des juridictions, lemétier même de Magistrat a subi de profondestransformations. « Sorti du néolithique » selonla formule datant de 1959 de Maurice Aydalot,alors Procureur général près la Cour d’appel deParis, le Magistrat dispose d’une place de plusen plus importante et visible dans la cité. Ilinteragit avec les autres acteurs de manière plusforte. Ses méthodes de travail se sontconsidérablement modifiées accompagnant lesévolutions précitées portant sur la nature desnormes, une coopération européenne etinternationale renforcée, la recomposition dela procédure pénale, mais égalementl’informatisation des juridictions etl’accroissement des politiques partenariales. Ce mouvement s’est également accompagnéd’une formalisation accrue de l'intervention duJuge et d’une homogénéisation des conditionsd’application des règles, signe du passage d’uneJustice administrée à une Justice managérialeoù sont évoqués le traitement de flux,l'écoulement des stocks ou la capacité dejugement au regard des moyens alloués. Cettedernière évolution est le reflet du déplacementdu centre de gravité de l’institution judiciairevers le citoyen auquel l'article  6-1 de laConvention Européenne des Droits del'Homme reconnaît des droits à un procès dequalité et dans des délais raisonnables. Autre manifestation de ces transformations del’office du Juge, il est aujourd’hui paradoxal deconstater qu’on attend du Juge des réponsescollectives, universalisables, voire sociétalesalors que son rôle est d’abord de trancher deslitiges individuels. Il s'agit par exemple de litigesen matière prud'homale, familiale et plusgénéralement dès lors que les droits de lapersonne sont en cause.

Je terminerai en évoquant la « judiciarisation »de la société, acception commode et nonpéjorative rendant compte d’une trajectoire

continue de développement du droit, d’uneextension de l’influence de la règle et du contrôlejuridique, et d’une intensification de l’activitéjudiciaire tant dans les relations individuellesqu’institutionnelles. L’intervention du droit etdu juge pour réguler la sphère sociale apparaîtcomme croissante. Un auteur évoque la« juridictionnalisation de la vie collective ».

Cette justiciabilité devient absolue, générale etuniverselle. Ce phénomène n’est pas spécifiqueà la France et concerne tous les pays développés.Toutefois les changements qu’il engendre,viennent remettre en cause la tradition françaiseidéalisant la Loi comme source principale dudroit et où l’épouvantail du gouvernement desJuges a longtemps été agité. Cette « irruptiondu Tiers pouvoir », pour reprendre l’expressiond’un auteur, n’est pas soudaine mais le fruit d’unelente évolution sociétale. Ses manifestationssont aujourd’hui multiples et conduisent à nousinterroger sur la place du Juge, sa légitimitédémocratique, son rôle, les valeurs qui sous-tendent sa mission. Dans un contexte enmutation profonde, marqué par l’émergencetrès forte de l'individu, la Justice n'a plusseulement une fonction de régulation ; un rôlede maintien, voire de restauration du lien socialpeut lui être conféré, ce qui accroît d'autant plusle respect par le Juge de la déontologie auquelil est soumis et de l'éthique dont il ne doit jamaisse départir. Cette transformation profonde a été théoriséepar de nombreux et éminents philosophes,historiens et sociologues. Il est permis d’avancerque cette théorisation devrait trouver satraduction dans le travail législatif. Denombreux textes de loi successifs accordent denouvelles compétences au Juge mais uneréflexion plus globale sur l’office qu’on souhaitelui voir jouer  me parait primordiale. N’ygagnerait-on pas en cohérence ? Cette réflexionsur le périmètre de l'intervention du jugeprésente également l’avantage de mieux cernerla question des moyens, car compétences etmoyens sont liés de manière indissoluble. Le professeur Loïc Cadiet indique d’ailleurs :«  en définitive la seule question qui se posevéritablement est la suivante : quelle ambitionpour la Justice pour quel coût socialementacceptable ? ». A cette question fondamentale il apportait laréponse suivante : « il faut avoir pour la justiceune ambition maximale car la justice est lacondition de l’harmonie sociale.  (…) Pourautant, il ne s’agit ni d’une justice dispendieuse,ni d’une justice envahissante. » C’est à ces conditions, dans un contexte oùparfois prévaut un certain pessimisme, que laJustice pourra répondre aux défis du nombreet de la complexité des procédures qui lui sontsoumises et que pour ses acteurs, un nouveléclairage de leur intervention dans l'intérêt descitoyens sera donné.

Ces quelques réflexions trouveront unprolongement naturel dans le colloque du21 mars 2013.J’ai souligné l’année dernière que la Justice estau fondement même de notre existenceindividuelle et collective. Je citerai Jean-JacquesRousseau qui nous rappelait que « de toutes lesvertus, la Justice est celle qui concourt le plus aubien commun des hommes ». (…)

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Rentrée solennelle Agenda

ASSOCIATION DES AVOCATS CONSEILS D’ENTREPRISES

Rencontres autour du droitéconomique : « Les Garantiespersonnelles » Conférence le 18 février 2013Grand’Chambre de la Cour de cassation 5, quai de l’Horloge - 75001 PARISRenseignements : 01 44 32 78 28

www.courdecassation.fr 2013-115

UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE

« L’Autorité de la concurrence :avocate de la concurrence »Conférence «Droit et Economie» deMonsieur Bruno Lasserre, Président del’Autorité de la concurrence Le 19 février 2013UFR droit et sciences politiquesBâtiment F - 142200, avenue de la République92000 NANTERRERenseignements : 01 46 69 24 00

[email protected]

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REVUE BANQUE - CLUB BANQUE

Des nouveautés sur FATCAChangement de perspectives ?Conférence le 26 février 2013Salons Hoche9, avenue Hoche - 75008 PARISRenseignements : Magali Marchal

01 48 00 54 04 - [email protected]

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ASSOCIATION IMA FRANCE

Actualité des tests dedépréciation : dernières recommandations del’ESMA pour la clôture 2012Conférence le 27 février 2013Hôtel Westin 3, rue de Castiglione - 75001 PARISRenseignements : Patrick Iweins - 01 55 04 76 90

www.ima-france.com 2013-118

CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Etats Généraux du Droit del’Entreprise - 3ème Edition:Pérennité et croissance del’entrepriseConférence le 11 avril 2013Centre Marceau 12, avenue Marceau - 75008 PARISRenseignements : 01 44 43 80 50

www.auditoriumpariscentremarceau.com

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Le service de la justicepar François Molins

(…)

C’est plus qu’une question, c’est undevoir qui nous incombe : celui derendre compte de l’activité de laJustice. Devoir démocratique on ne

peut plus légitime, pour une institutiondétentrice d’un des plus éminents pouvoirsrégaliens de l’Etat.Nous, «  institution justice  », avons nouspleinement répondu aux attentes que nosconcitoyens ont placées en nous ?C’est cette interrogation qui ponctuera monpropos sur l’ensemble des moments forts, desévénements marquants de l’année 2012 maisaussi sur les projets, les objectifs qui sont ceuxdu Parquet de Paris à l’aube de cette nouvelleannée.Evénement marquant tout d’abord que cetterésurgence du terrorisme que l’on aurait presquepu oublier, pensant que le territoire français quin’avait pas été le théâtre d’attentats depuis 1996était à l’abri de tels drames. L’affaire Merah au mois de mars, qui a révélétoute l’horreur d’une dérive djihadiste à traversles attentats dirigés contre des enfants et desenseignants juifs, des militaires, puis l’affaire deTorcy qui a permis en octobre dernier ledémantèlement d’une cellule qui était prête àpasser à l’acte et disposait d’un engin explosifprêt à l’emploi, sont venus nous rappeler tout ledanger que nous courions et la vigilancepermanente qui s’impose, afin de réduire lesrisques et de contrer le terrorisme, en amont,tout en veillant à l’application stricte des règlesqui siéent à un Etat de Droit.

Je veux à ce propos souligner combien lesMagistrats de la section anti terroriste duParquet de Paris ont su à cette occasiondémontrer une fois encore la mobilisation, lacompétence et le professionnalisme que l’onattendait d’eux.

Moment forts que les remarquables réussitesenregistrées par les Officiers de Police Judiciairede la DSPAP, de la direction de la policejudiciaire de Paris et des offices centraux de lapolice judiciaire. Ces réussites ont conduit àl’élucidation de crimes et délits particulièrementgraves, dans le domaine de la criminalitéindividuelle et organisée et du blanchiment avecun suivi judiciaire de qualité tant par la sectionC 2 chargée de la criminalité organisée par lessections P 12 et P 20 et S 2.Moment fort que la signature le 13 juillet 2012avec la Mairie de Paris, la Préfecture de policeet le CIDF, de la convention sur le téléphonegrand danger afin de prévenir et de mieux luttercontre les violences faites aux femmes. Six moisaprès cette signature, dix téléphones portablesont déjà été attribués, pour mieux protéger desfemmes victimes, confrontées à des situationstrès lourdes de violences. Ce dispositif, soupleet efficace est un plus incontestable dans lapolitique déjà très dynamique conduite par leParquet de Paris pour lutter contre les violencesconjugales. Il mérite à l’évidence d’être étendu,développé et pérennisé sur l’ensemble de notrepays. Moment fort que l’achèvement de laconfiguration de la section « pole génocidecrimes contre l’humanité et crimes et délits deguerre » il y a 1 mois. Cette nouvelle section duParquet, composée depuis le 1er janvier 2013de deux Magistrats, de deux assistantsspécialisés et d’un greffier est désormais en

mesure de faire face à des enjeux importants etde développer avec les Magistrats instructeursla synergie nécessaire pour faire émerger lavérité judiciaire dans ces dossiers.Moment fort encore que l’installation de laZone de sécurité prioritaire du 18èmearrondissement sur la zone Goutte d’Or -Barbès qui marque la qualité du partenariat quenous déclinons ensemble Monsieur Le Préfetde Police. L’indépendance de la Justice ne doitpas constituer un motif de frilosité ou derepliement sur soi. Nous poursuivrons dansquelques semaines ce partenariat de qualité auservice des habitants de la zone de sécuritéprioritaire du 19ème arrondissement.Moment fort que celui de la réorganisation dela section Santé publique et des actions qu’ellemène. Elle assure un travail de grande qualitédans la prévention et la répression desinfractions en matière de santé publique, dedroit du travail et de harcèlement et a vurécemment son organisation modifiée parl’instauration d’une « sur spécialisation » enmatière de santé publique. Désormais, le suivide ces dossiers est assuré par les mêmes quatreMagistrats. C’était indispensable compte tenude la complexité des dossiers et de laspécialisation des autres intervenants,notamment en défense.Moment fort pour le Parquet des mineurs quia connu cette année encore une très forteactivité (plus de 3  000  présentations auParquet), et qui grâce à son dynamisme constantconduit une politique pénale offensive etimaginative, se traduisant par la recherchepermanente de dispositifs innovants: il en vaainsi de la conclusion d’une convention avecune nouvelle association pour la relance dudispositif des stages de responsabilité parentalequi avait été initié par mon prédécesseur Jean

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Claude Marin pour les parents coupables dedéfaillances graves relatives aux obligationsconstitutives de l’exercice de l’autorité parentale. Il en va de même pour la signature avec laProtection Judicaire de la Jeunesse, la Mairie deParis et le Recteur d’académie de la conventiontrès innovante permettant le signalement desmineurs de 16  ans exclus définitifs desétablissements scolaires afin d’engager un bilanéducatif et en cas de besoin, les actionséducatives nécessaires.Moment fort enfin pour la section civileconfrontée à un haut niveau d’activité et à descontentieux complexes avec dans l’affaireMerah, afin de faire cesser la diffusion d’images,la première assignation en référé d’heure à heurejamais délivrée par le Parquet, ou encore avecles actions menées pour lutter en lien avec leBarreau de Paris contre la piraterie du droit, oupour lutter contre les locations de meublés sansagrément de la ville de Paris.L’évocation de ces moments forts soulignecombien ce Parquet est un Parquet hors normescompte tenu de ses compétences nationales,inter régionales et régionales. Hors normes, ill’est incontestablement comme le démontrentun certain nombre de chiffres. Plus de 390 000 plaintes et procédures reçuesen 2012 et surtout une augmentation de 10 %des affaires poursuivables qui pour la premièrefois dans l’histoire de ce Parquet passent la barredes 100 000. Plus de 100 000 procédures contreauteur connu traitées par 127 Magistrats. Il faut bien sûr s’en féliciter puisque cela traduitune meilleure efficacité de la chaîne pénale maisil faut aussi savoir que cette augmentationsubstantielle de la charge de travail estintervenue alors que la situation des effectifsn’avait jamais été aussi problématique puisquesur 127 magistrats prévus, l’effectif utile n’estdepuis septembre  2012 que de 117. Cettesituation mérite une particulière attention dela part de la chancellerie compte tenu de la

situation spécifique du parquet de Paris et descontentieux qui y sont traités.

Je voudrais à cette occasion rendre hommageà l’action et à l’investissement de tous lesMagistrats de ce Parquet, à leur éthique et à leurattachement à une Justice de qualité. Tous quelsqu’ils soient, des sections de permanence et aupremier chef la section P 12 qui effectue untravail en tous points remarquable, aux sectionsspécialisées. Je voudrais rendre hommage à laqualité de leur travail, à leur professionnalismeet à leur mobilisation au service d’objectifspartagés, au service d’une ambition commune :satisfaire toujours davantage à la tradition et àl’exigence d’excellence de ce parquet où lesenjeux sont tels qu’ils ne soufrent nicomplaisance ni médiocrité.Mes remerciements vont aussi auxfonctionnaires dont je voudrais saluer ledévouement, la compétence et la conscience

professionnelle dont ils font preuve chaque jour. Installé dans mes fonctions en décembre 2011,j’avais au cours de l’audience de rentrée de cettejuridiction il y a un an, fixé un certain nombred’objectifs partant de plusieurs constats qui meparaissaient problématiques et susceptibles àterme, de mettre en cause l’efficacité de nosréponses judiciaires.J’avais annoncé le lancement d’un travailcollectif impliquant l’ensemble du Parquet pourréaliser un mémento de politique pénale destinéà formaliser la politique pénale et mieux garantirson application par l’ensemble de ce Parquet. Ce mémento est achevé et sera diffusé dansquelques jours.

J’avais souligné la nécessité de développer lerecours au traitement en temps réel et derenforcer le contradictoire, consubstantiel àl’idée de Justice et mis à mal par le nombrebeaucoup trop important de citations directes

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et donc de jugements rendus par défaut danscette juridiction.J’avais souligné l’intérêt de développer le recoursaux procédures simplifiées notamment lesordonnances pénales dans les affaires simplesafin de préserver la capacité d’audiencement etde jugement de la juridiction en réservantl’audience aux affaires dans lesquelles elle peutvéritablement apporter une réelle valeurajoutée.J’avais souligné la nécessité d’améliorerl’organisation et le fonctionnement del’audiencement des affaires correctionnellesdont le modèle n’est plus adapté compte tenude la grande diversité des réponses pénalesaujourd’hui apportées par le Parquet.J’avais souligné la nécessité impératived’exécuter les peines dans des délais efficacesen tenant compte des situations individuelles.Tous ces enjeux ont été relevés et l’ensembledu Parquet de Paris a répondu à ces exigences.La plaquette déposée sur vos Sièges vousindique les données du 1er décembre 2011 au30  novembre  2012. Les statistiques au31 décembre 2012 doivent encore être affinéescompte tenu de l’installation en cours deCassiopée mais révèlent d’ores et déjà quelquesévolutions fortes.

Le nombre de citations directes a ainsi baisséen une année de 36 % tandis que les poursuitespar voie de CPPV et de COPJ ontrespectivement augmenté de 15 % et de 9 %.Les ordonnances pénales ont augmenté de 23 %.Quant aux CRPC elles ont connu unediminution liée en partie à un déficitd’informations figurant dans les documents deconvocation et corrigés depuis, mais le recoursà cette procédure est appelé à se développerencore compte tenu de l’extension du traitementen temps réel dans les sections qui lepratiquaient peu et compte tenu d’audiencestransformées qui leur seront désormais dédiées.Ces tendances démontrent les changementsqui sont en train d’intervenir au Parquet de Paris

en matière d’action publique et d’orientationdes poursuites. Quant à l’audiencement, il est devenu le champd’une véritable politique de juridiction. Il y avaiturgence sous peine d’une véritable thrombosese traduisant par une hausse constante desaffaires à fixer à l’audience et une augmentationdu délai pour écouler le stock d’affaires à juger. Cette nouvelle politique doit permettre demieux audiencer et de mieux juger les affairesde criminalité organisée relevant de lajuridiction inter régionale spécialisée à traversla spécialisation d’une Chambre correctionnelleet de mieux utiliser les audiences pour améliorerle délai des réponses judiciaires.Enfin, l’exécution des peines s’effectueaujourd’hui à Paris dans des délais exemplaires.Il y a 18 mois, le délai moyen d’exécution despeines était de 1 an. Il est aujourd’hui de 3 moiset demi et seulement de 1 mois et demi pourles peines prononcées en plaider coupable.Cette situation que bien des Parquets plusmodestes aimeraient connaître n’est pas le fruitdu hasard mais de la mobilisation et de lavolonté. Mobilisation d’abord des Magistrats et desfonctionnaires de l’exécution des peines auquelje tiens à rendre hommage aujourd’hui pour laqualité du travail accompli.

Volonté ensuite de concentrer dans ce serviceles moyens supplémentaires en vacatairesobtenus du Ministère de la Justice dans le cadredu contrat d’objectif mis en place en 2011. Lasection de l’exécution des peines a ainsi pubénéficier d’agents vacataires de longue duréequi ont en réalité permis le maintien en nombrede l’effectif théorique, compte tenu des postesvacants de fonctionnaires. Cela me permet desouligner l’intérêt de poursuivre ce contratd’objectif qui a démontré ici toute son utilité.La circulaire de Madame le Garde des Sceauxdu 19  septembre  2012 a insisté surl’individualisation indispensable et la nécessitéde veiller tout particulièrement à

l’aménagement des peines à l’audience, après leprononcé de la condamnation et lors de sa miseà exécution. L’individualisation, c’est le coeur du métier duMagistrat du Siège ou du Parquet.Nous savons tous que rien n’est pire pour lerisque de récidive qu’une sortie sèche de prison.Nous savons aussi tous les avantages que peutprésenter l’exécution d’une courte peined’emprisonnement sous la forme d’unplacement sous surveillance électronique oud’une mesure de semi-liberté.

Si le juge garde bien sûr sa liberté de décision,la montée de ce principe d’individualisation achangé la nature du Juge. On ne lui demandeplus aujourd’hui seulement de « dire juste » maissurtout d’obtenir la réinsertion sociale, sinonl’amendement du délinquant par le choix de lamesure qui sera réajustée autant qu’ilconviendra. C’est en cela, je crois, que réside lasignification profonde de l’idéed’individualisation.La peine constitue donc un élément essentieldans la détermination de la politique pénaled’une juridiction et l’audience pénale doitconstituer un moment privilégié pour cela.C’est le rôle du Ministère public que d’affirmerdans ses réquisitions orales les normes essentiellesconstituant le fondement des poursuites et deprotéger les institutions publiques.Ces valeurs, cette réprobation sociale, leMinistère Public a le devoir de les exprimer enproposant une peine tenant compte de lanocivité de l’acte commis, de la personnalité del’auteur, de la situation globale de la criminalitéet de la réalité de l’exécution future de la peine.Le Magistrat du Parquet doit donc exprimerune réflexion personnelle dont la synthèse vaêtre la nature et le quantum de la peinedemandée, ce qui nécessite qu’il y intègre aussiles modalités d’exécution et d’aménagement s’ils’agit d’une peine d’emprisonnement ferme.

Dans ce cadre, la reconnaissance par lapersonne poursuivie des faits reprochés peutconstituer un facteur favorable. Cela ne signifiepas bien sûr qu’il faille réserver lesaménagements de peine aux faits reconnus.Cela signifie simplement que la reconnaissancedes faits et partant de là, la procédure de CRPCpeut constituer une réelle opportunité pourdévelopper les aménagements de peineprononcés ab initio, à l’audience.La procédure de CRPC étant fondée sur desfaits reconnus, elle permet en effet un débat plusapaisé qu’à l’audience correctionnelle classique.Elle permet de placer la peine véritablement aucoeur du débat et permet donc plus facilementl’organisation ab initio d’une peine aménagée. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé àl’ensemble de mes collègues de développer lapratique des placements sous surveillanceélectronique dans le cadre des CRPC lorsqu’ilsenvisagent de proposer à l’homologation dujuge une peine d’emprisonnement ferme.Mesdames et Messieurs, l’avènement d’unenouvelle année est aussi le temps privilégié dela définition de nouveaux objectifs sans lesquelsla réflexion et l’action ne seraient querecommencement.Les objectifs qui seront les nôtres découlentnaturellement des directives de politique pénaledu Ministre de la Justice, de la situation de la

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criminalité, et des attentes de nos concitoyens.C’est d’abord une action publique de qualité,conduite dans la plénitude du statut et desmissions du Ministère Public avec le souci deveiller à l’application de la loi afin de permettreque soit rendue une justice de qualité, dans desdélais plus raisonnables en utilisant l’ensembledes réponses pénales dans le respect des droitsde la défense et des droits des victimes.C’est ensuite la direction de l’exercice de lapolice judiciaire et de la direction des enquêtes.Cet exercice sera encore amélioré en 2013 grâceà la création très prochaine d’un bureau desenquêtes à la section en charge de la criminalitéorganiséeC’est une action publique de proximité qui setraduira par l’investissement sans réserve duParquet dans les dispositifs des zones de sécuritéprioritaire du 18ème et du 19ème arrondissementset des groupes locaux de traitement de ladélinquance conçus pour mieux traiter lesproblèmes spécifiques posés par la délinquancedans certains territoires. Plus que jamais, l’actionpublique doit être attentive à un contexte et doitfaire montre d’une intelligence aigue deshommes et des situations. C’est par ce critèreque se mesurent l’intelligence et la qualité d’unepolitique pénale

C’est une action publique concentrant sesefforts sur les connexions de plus en plusnombreuses que nous constatons entre le crimeorganisé et la délinquance économique etfinancière. Cette hybridation de la grande

criminalité apparaît notamment à travers lesdossiers liés à la taxe carbone et se manifestepar une interpénétration croissante entre milieudu grand banditisme et délinquance en colblanc des blanchisseurs comme nous l’arécemment montré l’affaire « Virus ».C’est enfin, accroître et développer la luttecontre la délinquance économique et financièreet la corruption. La lutte contre ce type decriminalité, mère nourricière de l’économiesouterraine, doit être inscrite au rang despriorités, quels que soient les hommes, lesstructures ou les institutions en cause.Nous pourrons la soutenir à travers plusieursaxes.-  Une meilleure synergie entre la sectioncommerciale et la section économique etfinancière pour mieux assurer la détection descomportements frauduleux notammentlorsque ceux-ci ont pu compromettre l’activitéet la survie d’une entreprise.- Le renforcement des liens opérationnels entrela section économique et financière et sespartenaires institutionnels (AMF, Tracfin, fisc,commissaire au redressement productif...).- Mais cela ne suffit pas: deux autres conditionssont nécessaires à une réelle efficacité en cedomaine.

La délinquance économique et financière ne serévèle pas spontanément mais exige toujoursinvestigation et recueil de renseignement. Or,il y a eu en 2012, 21 signalements parvenus à lasection financière du Parquet de Paris au titre

de l’article 40 du CPP. C’est pourquoi j’invite lesadministrations concernées à utiliser sansfrilosité cet article trop ignoré qui fait obligationà toute autorité constituée ou fonctionnaire quidans l’exercice de ses fonctions acquiert laconnaissance d’un crime ou d’un délit d’eninformer sans délai le Procureur de laRépublique.Il faut ensuite davantage d’effectifs dans lesservices de police judiciaire spécialisés enmatière économique et financière. Il n’est pasdans mon propos de mettre en cause la qualitéet la mobilisation des Officiers de PoliceJudiciaire de ces services. Nous la connaissonset l’apprécions. Il s’agit de souligner que leseffectifs, après une baisse entamée depuisplusieurs années, sont devenus insuffisants pourtraiter de façon efficace et dans des délaisraisonnables la totalité des réquisitionsd’enquêtes des Parquets et les commissionsrogatoires des Juges d’instruction dans desprocédures complexes qui présentent desenjeux importants et appellent des réponsesefficaces.Tels sont les vœux que je forme en ce débutd’année 2013.Je sais pouvoir compter sur la foi, la compétenceet l’énergie de l’ensemble des Magistrats duParquet de Paris pour mener à bien l’ensemblede ces chantiers mobilisateurs qui confluenttous vers le même objectif: le noble, généreuxet exaltant service de la Justice. (…)

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Au fil des pages

On la dit toute-puissante, mais on lavoit parfois désarmée ou dépassée.On la soupçonne de dépendre dupouvoir, mais on évoque le

« gouvernement des juges ». Les responsablespolitiques s'estiment dépossédés et sont tentésd'intervenir. Le corps judiciaire, profondémentrenouvelé, est tiraillé entre des exigencescontradictoires.Dans cet essai original, Roger Errera examineavec rigueur les principaux problèmes qui seposent aujourd'hui à la Justice. Il mesure aussile chemin parcouru : depuis un demi-siècle, touta changé, le métier de Juge, ses pouvoirs,sonstatut, le droit applicable et notre société. Plus

que jamais, le Juge est dans la cité. Lajustice est l'affaire de chacun.Ce livre s'adresse donc aux citoyens,désormais plus exigeants et mieuxinformés de leurs droits, aux décideurspolitiques, rappelés à leursresponsabilités, et aux membres del'institution judiciaire.Roger Errera est conseiller d'Étathonoraire et ancien membre du ConseilSupérieur de la Magistrature. Il estl'auteur de nombreuses études sur leslibertés et la justice.

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Et ce sera justice…Le juge dans la cité

par Roger Errera

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Rentrée solennelle

Renforcer l’impactde l’action judiciairepar Jean-François Thony

En ce qui concerne l’activité pénale sur leressort de la région Alsace, j’ai le plaisirde vous informer qu’une nouvelle fois,les chiffres de la délinquance tels qu’ils

ressortent des statistiques des parquets sont enbaisse, puisque le nombre de plaintes et deprocès-verbaux reçus dans les parquets duressort est passé de 107 999 à 104 507, soit unebaisse de 3,23  %. Le nombre de jugementscorrectionnels rendus hors intérêts civils est lui-même passé de 11 345 à 10 732, soit une baissede 5,4 %. La durée moyenne d’écoulement dustock est par ailleurs passée d’un peu plus detrois mois à un peu plus de deux mois, ce quiveut dire qu’une personne qui commet un déliten Alsace est jugée en moyenne deux moisaprès les faits, ce qui est presque un record.

Au-delà de ces chiffres, une triste réalité metrégulièrement l’Alsace au devant de la scènemédiatique. Ce sont les violences urbaines, quitouchent en particulier Strasbourg, Mulhouse

et Colmar - et la situation de Mulhouse meparaît particulièrement préoccupante. Le niveaude violence de ces jeunes qui s’en prennent àtous les symboles de la vie encommun  -  transports en commun,équipements sociaux, abribus  -  mais s’enprennent surtout à tous les acteurs de la paixsociale et de la sécurité - policiers, pompiers,services d’urgence, interpelle fortement. Lesrécents évènements, durant lesquels desmineurs ont attaqué un tramway pour tenterd’y mettre le feu alors qu’il transportait desvoyageurs, et ont volontairement jeté descocktails Molotov sur le chauffeur, laissent sansvoix. Il est difficile de comprendre leursmotivations  - en ont-ils  ?  - mais surtout lesracines d’un comportement aussi haineux etviolent, dont les premières victimes sont lespopulations les plus vulnérables, qui voientpartir en fumée tous les efforts et lesinfrastructures que les différents servicessociaux ont mis en place pour améliorer leurenvironnement urbain et leur vie de tous lesjours. J’ai accompagné cette nuit Monsieur Valls,Ministre de l’Intérieur dans les quartierssensibles de Mulhouse, en compagnie deMonsieur Le Préfet, Monsieur Robin, Procureurde Mulhouse, et des élus locaux, dont certainssont parmi nous et que je remercie pour leurprésence après une courte nuit ! Nous avons puconstater l’arrogance de certains de cesjeunes - une infime minorité, il faut le répéter,même si elle pourrit l’existence d’une grandemajorité et jette l’opprobre sur toute une classede la population - qui exigent tout mais ne sontprêts à rien faire d’autre que semer la désolation.Le Ministre a pu s’entretenir avec des habitantsde ces quartiers qui l’ont interpelé pour lui fairepart de leur exaspération. Des discussions quej’ai eu sur place en marge avec les élus, lespoliciers, les pompiers, le sentiment qui domine,c’est l’incompréhension.

Ces violences urbaines répétées donnent parfoisun sentiment d’échec, tant l’ensemble desservices de l’Etat et des collectivités territorialesont investi d’énergie depuis des années pourtenter d’apporter une solution au « malaise »des banlieues - puisque c’est le nom qu’on luidonne.

La justice et les parquets concernés n’ont jamaisménagé leurs efforts, tant au plan de larépression des infractions qu’à celui de laprévention de la délinquance et du soutien auxmineurs en difficulté, veillant à doserhabilement l’implacable fermeté quecommande la répression de certainscomportements et l’accompagnement desjeunes en difficultés pour leur éviter la récidive.Je tiens à saluer ici l’action inlassable etl’engagement de tous les collègues du Parquetet du Siège et des éducateurs qui sont, nuit etjour - l’expression n’est pas trop forte- sur leterrain de la prévention des violences urbaines,et je tiens à leur dire combien j’admire leurténacité alors que jamais, ils ne baissent les bras.Je salue plus particulièrement l’action de mesprocureurs de la République. J’ai eu l’occasionde rendre hommage à Patrick Poirret, mais jene voudrais pas oublier Madame CarolineNisand, qui dirige avec autorité mais toujoursavec humanité le Parquet de Saverne, BernardLebeau dont je sais combien il est apprécié parson équipe du Parquet de Colmar, et HervéRobin qui a été souvent au feu à Mulhouseen 2012 - et qui est bien parti pour en faireautant en 2013, ce qui ne l’empêche pas decodiriger sa juridiction avec énergie et créativité.

Je rends également hommage aux services depolice et de gendarmerie, mais aussi aux servicesd’urgences et aux travailleurs sociaux quiinterviennent parfois au péril de leur vie. Lacollaboration totale et efficace que nousentretenons avec l’autorité administrative mériteégalement d’être relevée. Elle nous permetd’articuler de la manière la plus harmonieusepossible, protection de l’ordre public etrépression des infractions. La mise en place des zones de sécuritéprioritaires sera l’occasion de renforcer encorecette collaboration, dans le respect desattributions de chacun. Pour ma part, je réuniraile 23 janvier prochain les Procureurs du ressortainsi que les chefs de service de la police et dela gendarmerie, réunion au cours de laquellenous définirons les grandes lignes de notreaction dans les zones sensibles de notre ressort.Notre engagement contre les violences urbainessera à la mesure du ressentiment de plus en plus

Cour d’Appel de Colmar11 janvier 2013

Ce 11 janvier 2013, lors de l’Audience Solennelle de Rentrée Judiciaire de la Cour d’Appel de Colmar, ont été installés Madame JosianeBigot en qualité de Président de Chambre, Christine Kauffer-Dorsch en qualité de Conseiller chargé d’un secrétariat général, ClaireFernaut en qualité de Conseiller, Céline Deshayes en qualité de Vice-Président placé et Michel Senthille en qualité d’Avocat Général prèsla Cour d’Appel de Colmar pour exercer les fonctions de Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg ;ce fut l’occasion pour les Chefs de Cour Marie-Colette Brenot Première Présidente et Jean-François Thony Procureur Général d’accueillirde hautes personnalités du monde judiciaire au premier rang desquelles Jean-Marie Bockel Sénateur-Maire du Haut Rhin et ancienSecrétaire d’Etat à la Justice.Après avoir souhaité la bienvenue à leurs collègues magistrats, ils ont retracé l’activité 2012 de la juridiction et ont constaté avec satisfactionun fléchissement de la délinquance en Alsace. Ainsi qu’elle l’avait annoncé lors de son installation le 14 septembre 2012 (Les Annoncesde la Seine du 20 septembre 2012) Marie-Colette Brenot a poursuivi l’amélioration des conditions de travail des magistrats et fonctionnairespar la mise en place de la dématérialisation des procédures : les actes de procédure, à peine d’irrecevabilité, devant être remis à lajuridiction par voie électronique depuis le 1er janvier 2013. Elle s’est également félicitée de la mise en place d’un site intranet améliorantles liens entre magistrats et fonctionnaires de son Ressort. Quant au Procureur Général, il a, pour conclure son intervention, formulé levœu que la construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Lutterbach soit placée au rang des priorités tant les conditions de détention,liées à une surpopulation carcérale, « ne sont pas dignes de ce qu’on peut attendre dans notre République ». Jean-René Tancrède

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vif de nos concitoyens contre ces entreprisesde destruction systématique de notre biencommun.

Parmi les mesures qui seront mises en place,certaines viseront à cibler directement les caïdsdes quartiers, qui ont tout à gagner à empêcherles services de police d’y pénétrer, pour leurpermettre de se livrer en toute impunité à leursactivités criminelles profitables. Pour cela, nousallons développer une approche nouvelle, axéesur le recours systématique au nouveau cadrejuridique de la saisie et de la confiscation, quinous fournit des armes inédites contre lacriminalité organisée. Je donneraiprochainement des instructions aux Parquetspour faire saisir, dans tous les cas d’infractiongrave ayant généré des profits, tous les biensdont ne peuvent justifier l’origine les personnesinterpelées, mais aussi les personnes qui sonten relation habituelle avec eux, ainsi que le codepénal le permet. Les services de police inclurontchaque fois, dans le cadre de leurs enquêtes surce type d’infractions, un volet patrimonial visantà identifier l’ensemble des biens et comptesbancaires des délinquants de profit. Et si lesorganisateurs des trafics pensent pouvoir mettreà l’abri leurs biens en les mettant au nom deleurs parents ou de leur petite amie, qu’ilssachent que cela sera vain, puisque la loi permetde saisir l’ensemble des biens dont ils ont la libredisposition, qu’ils en soient propriétaires ou non. Enfin, chaque fois que cela sera utile, ces biensseront remis aux services de police ou degendarmerie pour l’utilisation dans le cadre deleur service, parce que la loi le permet égalementaujourd’hui. Ainsi, les services de répressionpourront lutter contre les petits caïds desquartiers et contre les groupes criminels enutilisant les moyens que ceux-cimettront - contre leur gré j’en conviens- à leurdisposition…

Je demanderai aux parquets de requérirsystématiquement devant les juridictions dejugement la confiscation des biens saisis, voirede prononcer la confiscation des produits ducrime en valeur, c'est-à-dire d’autoriser laconfiscation de tous les biens, même acquislégitimement par le condamné, à hauteur de lavaleur des profits que l’infraction aura générés.Nous avons réuni hier, avec le Préfet de région,le comité de pilotage du Groupe d’interventionrégional, chargé d’épauler les services de policeet de gendarmerie dans la lutte contrel’économie clandestine des quartiers, et avonsfixé les objectifs et les cibles de ce groupe pourl’année 2013. J’ai demandé au chef du GIR etaux chefs de services d’enquête de faire évoluerl’approche des enquêtes pour que, le plussouvent possible, l’enquête patrimoniale ne soitplus l’accessoire de l’enquête traditionnelle maisun nouvel angle d’attaque opérationnel pourdémanteler les groupes organisés. Nous avonsdécidé de nous réunir à intervalles très régulierspour suivre l’accomplissement de ces objectifs.La mise en œuvre généralisée de ces mesures,même si elles ne permettent pas à elles seulesde trouver une solution à l’insécurité dans lesquartiers, va considérablement renforcerl’impact de l’action judiciaire, et élargir le champdes sanctions tout en s’attaquant d’une manièreplus efficace et plus simple à la tête même de ladélinquance des quartiers. Elle privera les caïds

de leur pouvoir économique de nuisance etdonc de leur autorité dans les quartiers.

Cette nouvelle politique s’inscrit dans la droiteligne de la politique pénale dont le Garde desSceaux a fixé les orientations, et qui vise àindividualiser les sanctions et trouver desalternatives efficaces aux mesuresd’emprisonnement.Je suis conscient des obstacles qui sont devantnous, juridiques administratifs et techniques.Nous les lèverons un à un, avec opiniâtreté,parce que l’on ne peut pas accepter qu’il existedans notre région des zones de non-droit.Je souhaite être à même, à intervalle régulier,d’évaluer l’impact de ces nouvelles mesures surla situation dans les quartiers. Il nous faut pourcela développer des outils de mesure del’efficacité de la politique pénale, qui nousmanquent encore parfois cruellement.Comme vous le savez, une conférence deconsensus sur la récidive se réunit en cemoment à l’initiative de Madame la Garde desSceaux, pour proposer des approches nouvellesà la prévention de la récidive. Comme tous lesMagistrats chargés de la lutte contre ladélinquance, nous attendons beaucoup desrésultats de cette conférence. L’une desdifficultés auxquelles se heurtera toutefois laréflexion sur le sujet est l’absence quasi-totaled’évaluation de l’impact des différentespolitiques pénales au sens large du terme, ycompris celles relatives à la sanction.

Je vous indiquais tout à l’heure que nous avonsla chance de constater un infléchissement de ladélinquance générale dans la région d’Alsace.Alors que les causes de la délinquance sontmultifactorielles, à quoi pouvons-nous attribuercette baisse ? Aux efforts de prévention ? À lasévérité de peines prononcées dans nosjuridictions ? Aux efforts fait pour la réinsertiondes condamnés  ? Nous n’avonsmalheureusement aujourd’hui aucuninstrument qui nous permette de l’apprécierscientifiquement. Et s’il nous est théoriquementpossible d’analyser l’impact - ou plutôt l’absenced’impact- des politiques pénales sur lespersonnes qui ont récidivé, nous en savons

beaucoup moins en revanche sur les mesures,les politiques ou les circonstances qui ont amenéla plupart à ne pas récidiver. Tant que nous nesommes pas en mesure de faire cette évaluationde manière plus scientifique, à la manière desétudes épidémiologiques des politiques desanté, nous ne pourrons avancer que de manièreempirique sur le chemin de la prévention de larécidive.

Je ne doute pas que cette question sera au cœurdes débats de la Conférence de consensus, parcequ’il s’agit d’une question récurrente, et jeproposerai à la Présidente de cette Conférenceque l’Alsace devienne l’un des laboratoires d’unevraie démarche épidémiologique d’évaluationde l’impact des politiques pénales sur la récidive. Pour conclure mes propos, je voudrais revenirsur les faits qui ont récemment mis la Maisond’Arrêt de Colmar sous les feux des projecteurs,à savoir la publication par la presse desconclusions d’un rapport d’expertise mettanten cause les conditions d’hébergement desdétenus, et, plus récemment, l’évasion de troisdétenus, qui ont d’ailleurs été rattrapés depuis.J’ai participé personnellement au conseild’orientation de la Maison d’Arrêt de Colmarqui a eu lieu au mois de novembre dernier. J’aipu constater que la Maison d’Arrêt de Colmar,malgré les efforts de l’administrationpénitentiaire pour gérer au mieux les moyensà sa disposition, ne correspond plus auxstandards d’accueil des détenus dans desétablissements pénitentiaires. La surpopulationcarcérale, mal chronique de notre société, s’yajoute pour créer des conditions de détentionqui ne sont malheureusement pas dignes de cequ’on peut attendre dans notre République. Jesais que des arbitrages vont être rendusincessamment, à la suite de la visite de Madamele Garde des Sceaux sur le site du projet decréation d’un centre pénitentiaire à Lutterbach.Puisque l’époque est propice aux vœux, jeformule le souhait que, malgré la baisse desmoyens de l’Etat, cette construction soit placéeau rang des priorités, afin qu’elle puissepermettre de fermer le plus vite possible lesMaisons d’Arrêt de Colmar et de Mulhouse.(…)

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Marie-Colette Brenot, Jean-François Thony et Jean-Marie Bockel

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Rentrée solennelle

La dématérialisationdes procédurespar Marie-Colette Brenot

(…)

Alors que l’on pouvait s’attendre à uneexplosion du contentieux de laChambre sociale en raison de la criseéconomique, cela n’a pas été le cas

puisque le nombre d’affaires entrantes est endiminution, alors que le nombre d’affairesterminées a sensiblement augmenté.Parallèlement, le stock des dossiers en cours adiminué tant dans les Chambres civiles etcommerciale qu’à la Chambre sociale.Ces résultats sont d’autant plus remarquablesque depuis septembre 2012, notre Cour a connuquatre vacances de poste dont celle de l’un desdeux Présidents de la Chambre sociale.

En matière pénale, les résultats de la Cour sonttout aussi satisfaisants puisqu’alors que lenombre d’affaires nouvelles a augmenté de façonconséquente à la Chambre correctionnelle, lenombre d’affaires évacuées a, lui aussi, augmentéde manière significative.La Chambre de l’application des peines et laChambre des mineurs ont connu unestabilisation de leur activité.La Chambre de l’instruction voit uneaugmentation de ses saisines et du nombred’affaires sorties avec une complexification deson contentieux qu’il convient de souligner enraison du nombre nettement plus importanten  2012 qu’en  2011 des mandats d’arrêteuropéen et des extraditions.Les Cours d’assises du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont jugé 73 affaires en 2012, alors que lenombre de leur saisine a été de 72, c’est dire quela situation est particulièrement saine et que lenombre d’affaires en stock est en nettediminution depuis deux ans.Malgré un effectif en magistrats insuffisant avecdes vacances de poste qui ne sont pas encoretotalement résorbées, la Cour d’appel de Colmara fait face avec détermination à sa charge detravail, améliorant ses délais de traitement.Pour le travail accompli tant en quantité qu’en

qualité au cours de l’année écoulée, je tiens àféliciter chaleureusement les Magistrats etfonctionnaires de cette Cour et à leur exprimerma profonde gratitude.

Je ne peux évoquer le fonctionnement de laCour sans rendre un hommage appuyé auxfonctionnaires et à la directrice du SAR.Malgré les difficultés organisationnellesauxquelles ils sont confrontés, ces fonctionnairesgèrent le budget de notre Cour avec rigueur etprofessionnalisme. Qu’ils en soientchaleureusement remerciés.A ce stade des analyses et des bilans, je voudraisévoquer un contentieux qui a été dévolu àl’autorité judiciaire depuis le 1er août 2011 etqui va s’étoffer d’un nouveau champ decompétence à compter du 1er janvier 2013. Jeveux parler de la loi du 5 juillet 2011 relative auxdroits et à la protection des personnes faisantl’objet de soins psychiatriques et aux modalitésde leur prise en charge.Depuis le 1er août 2011, cette loi prévoit que leJuge des libertés et de la détention exerce uncontrôle systématique des mesuresd’hospitalisation complète décidées par leDirecteur d’établissement à la demande d’un tiersou en cas de péril imminent, et par lereprésentant de l’Etat ou de celles prononcées àla suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale.

Les décisions du Juge des libertés et de ladétention sont susceptibles de recours devantle Premier Président ou son délégué.Ce contentieux n’est pas négligeablepuisqu’en 2012 le délégué du Premier Présidentde la Cour d’appel de Colmar a rendu65 décisions relatives au bien fondé des mesuresd’hospitalisation prises.

Ce contentieux demande du temps d’écoute dela part du Magistrat et une appréciation dessituations individuelles au vu des certificatsmédicaux produits qui n’est pas toujours aisée,mais il entre pleinement dans la mission degarant de la liberté individuelle du Juge.Je voudrais rendre hommage à MonsieurHoffbeck qui s’est beaucoup impliqué dans cecontentieux jusqu’à son départ à la retraite ainsiqu’à Monsieur Allard qui a accepté de s’encharger en plus de son service.Jusqu’au 31 décembre 2012, le Juge administratifgardait sa compétence relative à l’appréciationde la régularité des décisions administrativesprises par les directeurs des établissements desanté.A compter du 1er janvier 2013, en applicationde l’article L3216-1 du code de la santé publiqueissu de la loi du 5 juillet 2011, le Juge judiciaireest seul compétent pour examiner la régularitédes décisions prises en matière de soins sansconsentement par le directeur de l’établissementde soins ou le préfet ; l’irrégularité de la décisionne pourra toutefois entraîner la mainlevée dela mesure par le Juge que dans le cas où cetteirrégularité aura porté atteinte aux droits del’intéressé.Toutefois, en application de l’article 18 de la loidu 5 juillet 2011, la juridiction administrativedemeure compétente pour statuer sur lesrecours dont elle est saisie antérieurement àcette date.

Les irrégularités peuvent être variées  :incompétence de l’auteur de la décision, vice deforme, vice de procédure, défaut ou insuffisancede la motivation de la décision.Nous ignorons, à l’heure actuelle, quel sera levolume de ce nouveau contentieux qui sera

IN MEMORIAM

Paul Haegelavril 1926 - 9 janvier 2013

Ceux qui ont travaillé avecMonsieur Paul Haegel,

Premier Président de cette Courd’appel pendant presque 8 anset ceux qui l’ont connu, ontappris avec tristesse son décèssurvenu avant hier.Lorsque Monsieur Paul Haegela quitté la Cour en 1994 pourprendre la Présidence dugroupement d’intérêt publicchargé d’informatiser le livrefoncier en Alsace Moselle, lePrésident de Chambre Doyens’était exprimé en ces termes :« Faire l’éloge de Monsieur PaulHaegel est à la fois simple etcomplexe, simple, parce qu’ilest aisé de parler de quelqu’unque l’on admire et que l’onrespecte, complexe, parce quela diversité de ses talentspourrait rendre leurénumération interminable et dece fait, peut être fastidieuse,puisqu’à en croire le pessimisteLa Bruyère, le commun des

mortels se lasse plus vite del’énoncé des vertus d’unhomme que de celui de sesfaiblesses. »Monsieur Haegel a été nomméattaché stagiaire le18 décembre 1950. Il a été un Magistrat« Alsacien », pour avoir exercéses fonctionspresqu’exclusivement enAlsace. Il avait toutefois exercébrièvement les fonctions depremier Juge au Tribunal degrande instance de Metz en1970-1971 et plus tard cellesde Premier Président de la Courd’appel de Metz deseptembre 1984 à décembre1986. Il est revenu en Alsacepour prendre les fonctions dePremier Président de cette Couren janvier 1987.Monsieur Haegel a laissé lesouvenir d’un homme attentifaux autres, simple et direct,travailleur infatigable, fort

d’une grande expérience en demultiples domaines ; il atoujours été du meilleur conseilpour ceux, nombreux, quivenaient le solliciter, le sachantaccessible et accueillant.Remarquable juriste il étaitparticulièrement attentif auxproblèmes humains cachésderrière les dossiers qui luiétaient soumis.Il était notamment membre dela commission d’harmonisationdu droit alsacien mosellan avecle droit général, membre de lacommission de réforme de laprocédure civile, dont lestravaux ont été marqués par sacompétence, son bon sens, sarigueur et sa tonicité.Exemple pour tous ceux quil’ont approché et côtoyé,puisse-t-il nous inspirer dansnos pratiques professionnellestout au long de cette année quicommence. (…)

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traité par les juridictions du ressort à moyens,hélas, constants.En application du décret du 9 décembre 2011,les déclarations d’appel et les actes deconstitution doivent être adressés à la Courd’appel par voie électronique dans les matièresoù à compter du 1er janvier 2013, l’article 930-1du code de procédure civile dispose qu’à peined’irrecevabilité relevée d’office, les actes deprocédure sont remis à la juridiction par voieélectronique et que les arrêts, avertissements etconvocations sont remis aux représentants desparties par voie électronique dans l’ensembledes procédures avec représentation obligatoire.

La mise en oeuvre de cette dématérialisationdes procédures nécessitait la signature d’uneconvention entre la Cour d’appel et les Barreauxdu ressort.

Je voudrais remercier vivement les Bâtonniers desquatre Barreaux d’Alsace et leurs représentants,les Magistrats et les Greffiers de la Cour d’appelde Colmar pour leur engagement dans ceprocessus de modernisation. Les échanges quenous avons eus ont été riches et fructueux etchacun y a mis du sien pour que nous soyons tousprêts pour assurer le déploiement et le bonfonctionnement de la communicationélectronique dès le 1er janvier 2013.

Le 21 décembre 2012, la convention relative àla communication électronique civile etcommerciale a été signée entre la Cour d’appelde Colmar et les Bâtonniers des Barreaux duressort. Le même jour a été également signéeune convention définissant les règles de bonneconduite à la Chambre sociale entre les mêmespartenaires.

Je voudrais particulièrement remercierMonsieur Adam, Président de Chambre, etMonsieur Jobert, Conseillé, pour la part activequ’ils ont pris dans l’élaboration de cetteconvention en matière sociale.Autre évolution technologique importante,l’ouverture en octobre 2012 du site intranet denotre Cour d’appel illustré de photographies ;les articles publiés constituent un lien entre lesMagistrats et fonctionnaires exerçant dans leressort.L’équipe informatique du SAR, etparticulièrement Monsieur Naegelen, doit êtreremerciée pour la mise en oeuvre rapide de cesite et pour son caractère vivant et attractif. (…)

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REPÈRES

Installationde cinq magistratsà la Cour d’Appelde Colmar11 janvier 2013JOSIANE BIGOT, Alsaciennepuisque née à Colmar, vousfaites un retour au pays enintégrant, comme Président deChambre, la Cour d’appel deColmar que vous connaissezdéjà pour y avoir été Conseillé.Vous avez commencé votrecarrière en janvier 1977 commeJuge au Tribunal de grandeinstance de Strasbourg, enseptembre 1985 vous devenez1er Juge dans ce mêmeTribunal.En septembre 1993, vousintégrez une première fois laCour d’appel de Colmar pour laquitter deux ans plus tard pourrejoindre le Tribunal de grandeinstance de Strasbourg commeVice-Présidente chargée duTribunal pour enfants.En septembre 1999, vousretrouvez la Cour d’appel deColmar comme Conseiller. Puis,après dix ans passéessentiellement à la Chambrede la famille, contentieux quivous passionne, vous bénéficiezd’une promotion commePrésident de Chambre à la Courd’appel de Besançon, poste quevous occupiez jusqu’àaujourd’hui.Votre arrivée est très attenduepuisque le poste de Président dela section A de la Chambresociale est vacant depuis le1er octobre 2012, date dudépart à la retraite de MonsieurMichel Hoffbeck.Monsieur Michel Hoffbeck amarqué son passage dans cetteCour d’appel par sa grandecompétence juridique, sonhumanisme et sa courtoisie.Très apprécié des Avocats,Magistrats et Greffiers, il ne

laisse, ici, que de bonssouvenirs. Nous lui souhaitonsbeaucoup de bonheur dans sanouvelle vie.Vous présenter, Madame Bigot,serait presque vous faire injuretant vous êtes connue dans ceressort où vous avez passé lamajeure partie de votre carrièreet où vous êtes très impliquéedans la vie associative.Je ne m’y risquerai donc pas etje vous souhaite de vousépanouir dans cette Cour quevous connaissez bien et quevous vous preniez de passionpour la matière sociale.

CHRISTINE DORSCH, vousn’êtes pas non plus uneinconnue en Alsace puisqu’aprèsavoir été nommée Juged’instance à Mulhouse endécembre 1989, vous avezrejoint en septembre 1992 leTribunal de grande instance deSaverne et avez été chargée duTribunal d’instance deMolsheim. Vous avezparticulièrement apprécié cettefonction d’instance puisqu’aprèsl’avoir exercée pendant treizeans comme Juge, vous devenezVice-Présidente du Tribunald’instance de Strasbourg.En janvier 2008, vous êtesnommée à la Cour d’appel deMetz comme Conseiller, posteque vous occupiez jusqu’à cejour.Madame Dorsch, vous allez êtrema collaboratrice la plus directecomme Conseiller chargé dusecrétariat général et je vousattends avec impatience depuisquatre mois. Vous succédez à Philippe Baboqui a quitté la Cour de Colmar

en septembre 2012 pour leposte, bien mérité, de Présidentdu Tribunal de grande instancede Belfort. Rompu auxtechniques budgétaires, ayant lesens des relations humaines,Monsieur Babo a exercé cettedifficile fonction avec beaucoupd’engagement.J’espère, Madame, que vousvous plairez dans cette fonctionparticulière de secrétairegénérale et que nous formeronsun tandem efficace au servicede notre Cour d’appel.

CÉLINE DESHAYES, votreparcours professionnel vous aamené à occuper à la sortie del’Ecole Nationale de laMagistrature le poste de Juge àl’application des peines auTribunal de grande instance deTroyes à compter du1er septembre 2003, enseptembre 2006 vous rejoignezle Ministère de la Justice etmettez votre expérience deterrain au service del’élaboration des textes.Trois ans plus tard, vousretournez en juridiction auTribunal de grande instance deStrasbourg où vous êtes chargéedu service des affairesfamiliales.Accédant au 1er grade, vousallez exercer les fonctions deVice-Présidente placéeauxquelles votre expériencevous a bien préparé.Ces fonctions exigent, en effet,une grande faculté d’adaptation,une polyvalence ainsi que desconnaissances juridiques danstous les domaines. Vous serez

bien accueillie dans lesTribunaux du ressort puisquevous viendrez combler unevacance de poste, un congématernité ou maladie.Dans un premier temps, vousserez affectée au service desaffaires familiales de Strasbourgque vous connaissez bien : vousy serez d’autant plus à l’aise.

CLAIRE FERMAUT, comme voscollègues, votre carrière a étéessentiellement alsacienne.Vous avez débuté en juillet 1982comme Substitut à Mulhouse.Après six ans au Parquet, vouspassez définitivement au Siège,d’abord comme Juge del’application des peines auTribunal de grande instance deMulhouse, puis enseptembre 1995 comme Vice-Présidente au Tribunal degrande instance de Belfort.Vous retrouvez le Tribunal degrande instance de Mulhouse enmars 2001 comme Vice-Présidente, poste que vousoccupiez avant votre nominationcomme Conseiller à la Courd’appel de Colmar.Vous succédez à MadameMartine Conte qui a bénéficiéd’une promotion méritéecomme Président de Chambre àla Cour d’appel de Reims.Travailleuse et fine juriste,Madame Conte a largementcontribué aux bons résultats denotre cour en 2012. Nous luisouhaitons bonne installationdans ses nouvelles fonctions.Votre arrivée à la Cour entraînepour vous une reconversionprofessionnelle importante.

Vous allez connaître denouveaux contentieux dans ledomaine du droit du travail etdu droit de la sécurité sociale.Monsieur le Président deChambre Adam et Monsieur leConseiller DIE sauront être desguides efficaces dans le cadredes collégialités qu’ils présidentet je suis certaine que trèsrapidement vous aurez unebonne maîtrise de ces matièrestechniques.

MICHEL SENTHILLE, Monsieurle Procureur Général a retracévotre parcours professionnel ; jene m’y attarderai pas.Vous allez prendre la tête d’ungrand Parquet, celui deStrasbourg, dans une cité quiconnaît une délinquanceprotéiforme. La tâche seraimportante mais votreexpérience vous y a préparé.Je souhaite que vous formiezavec Benoît Rault une dyarchieharmonieuse au service de cettebelle juridiction de Strasbourg.Vous aurez à mener avec lui ungrand défi : celui de larestructuration du bâtimentavec toutes les opérations quecela comporte et notammentdans un premier temps ledéménagement dans des locauxprovisoires. L’Agence Publiquepour l’Immobilier de la Justice(APIJ), le magistrat délégué àl’équipement et notre efficaceAvocat général honoraire,Monsieur Pascal Schultz, serontà vos côtés pour piloter cetterestructuration.

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Direct

La Fondation Caritas France a été crééeen 2009 par le Secours catholique, dontPierre Levené a occupé pendant neufans le poste de Secrétaire Général.

L'objectif de la Fondation est la lutte contre lapauvreté et l'exclusion sous toutes ses formes,en France et dans le monde, en portant desprojets innovants qui se développent dans desthemes aussi divers que la creation d'emploisou de logements, la formation - notamment desfemmes, « nouvelles victimes privilégiées de lapauvreté » selon Pierre Levene - ou encore lacreation d'épiceries et de conserveries et lesoutien de nouveaux entrepreneurs, eux aussidestinés a créer, a leur tour, des emplois.C'est de cette philanthropie, plusparticulièrement sous une forme assezméconnue en France - les fondations y sontmains nombreuses que dans la plupart desautres pays Occidentaux (plus de 80 000 auxEtats Unis, pres de 20 000 dans les paysscandinaves, pour un peu mains de 1 500 enFrance) - que Pierre Levené et Jean MarieDestrée sont venus débattre, aupres de Strategesouverts et conscients de l'importance desnouvelles problématiques d'un monde en crise.Comme la plupart des fondations reconnuesd'utilité publique, la creation de Caritas Franceest partie d'un constat: de plus en plus - etspécialement en période de crise - les donateurs,au delà de sommes d'argent, souhaitent investirdu temps et de l'effort. D'où le besoin de créerune fondation qui, au dela des sommes d'argent

et autres dons patrimoniaux, peut accueillir etsoutenir de véritables projets humanitaires.La premiere difficulté que rencontrent lesfondations, au dela dun mode de creationcomplexe obéissant a des criteres drastiques(capital minimum fixé à 1 million d'euros, décretdu Ministre de l'Intérieur, avis du Conseild'Etat...) se trouve dans la recherche permanentede lien social : « le monde associatif seprofessionnalise, s'ouvre a l'économie : enconsequence, on demande de plus en plus ausecteur privé dans de nombreux domaines »,explique Jean Marie Destrée, qui a lui-mêmefait sa carrière dans le monde associatif. C'estcette nécessité vitale d'être present sur le terrain,et d'innover sans cesse, qui représente leprincipal défi des fondations.Outre les aspects purement technique etjuridique, la principale difference entre uneassociation et une fondation, reside dans le faitqu'une fondation est constituée par l'affectationirrevocable d'un bien, d'un droit au d'uneressource a une ceuvre d'intérêt général. Unefois formée, et respectueuse de ces conditions,la fondation prendra alors le statut de «fondation reconnue d'utilité publique », statutplus exigeant, au cadre plus normatif que ce quiest impose aux associations.Il existe plusieurs types de fondations, parmilesquelles figurent les fondations abritées, selonqu'elles ont ou non la personnalité morale.Caritas France, étant dotée de la personnalitémorale, abrite 32 fondations dont elle gère le

budget. Ce sont, en quelque sorte, des projetsproposés par le public à Caritas, et dont le destinaura dépassé les espérances. A cet égard,comme le rappelle Pierre Levené, « lesfondations sont souvent là pour amorcer unprojet, elles mettent le doigt sur une carencequ'elles tentent de combler, avant que lespouvoirs publics prennent le relais ».Pour les représentants de Caritas, trois facteursessentiels déterminent la volonté d'unepersonne à se lancer dans l'engagementassociatif ou auprès d'une fondation : lepatrimoine - et la volonté de le partager, le «capital moral » c'est à dire certaines valeurshumaines, et des valeurs transmises parl'éducation : on constate en effet souvent que laphilanthropie s'hérite.Mais ces facteurs ne sont pas suffisants: il enfaut un quatrième, le facteur déterminant, lepoint de basculement : « ce sera le fait pour unepersonne d'avoir été touchée personnellement »par un cas de misère humaine.C'est la part la moins connue du rôle desfondations, que cet accompagnement au jourle jour de projets humanitaires provenant detous horizons, et quelle que soit leur taille. Lepetit déjeuner s'achève dans une ambiancedétendue mais néanmoins studieuse.

Le Cercle des Stratèges Disparus aura commeprochain invité, le 22 mars, François Drouin,Président d'Oséo.

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Le 25 janvier les membres du Cercle des Stratèges Disparus, présidé par Thierry Bernard, avocat au Barreau de Paris etfondateur du cabinet d'avocats Bernards, se sont réunis au Cercle Interallié autour de Pierre Levené et Jean-Marie Destrée,respectivement Délégué général et Délégué général adjoint de la Fondation Caritas France, sur le thème du développementet du rôle des Fondations en France, particulièrement dans la mise en ceuvre et l'accompagnement de projets philanthropiques.Le Cercle contribue, par la rencontre d'esprits critiques et de points de vue pluralistes, à l'expression d'analyses et de propositionssur les enjeux politiques et économiques auxquels est confrontée la société française ; constitué en décembre 1995, réunit despublics d'origines variées pour réfléchir en toute indépendance d'esprit aux stratégies industrielles d'aujourd'hui et de demain,ainsi qu'à l'économie française dans toutes ses dimensions. Jean-René Tancrède

Cercle des Stratèges DisparusParis - 25 janvier 2013

Jean-Marie Destrée, Thierry Bernard et Pierre Levené

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Annonces légales Direct

Haut Conseil de la Familleean-Marc Ayrault, Premier ministre,a installé, le 7 février 2013, le HautConseil de la Famille, renouvelédans sa composition, en présence

de Marisol Touraine, ministre desAffaires sociales et de la santé, et deDominique Bertinotti, ministredéléguée chargée de la Famille.Bertrand Fragonard, présidenthonoraire à la Cour des comptes, a étéconfirmé à sa présidence.Le Haut Conseil de la Famille, quicompte 60 membres, est une instancechargée d’animer le débat public sur lapolitique familiale, notamment sur laconciliation et la hiérarchisation de sesobjectifs essentiels. Il peut formuler desrecommandations, des avis et proposer

des réformes, et mène des réflexionssur l'équilibre financier de la branchefamille de la sécurité sociale.Le Premier ministre a salué dans sonallocution la qualité des travaux remispar le Haut Conseil de la Familledurant ses trois premières annéesd’activité, et confirmé les attentes duGouvernement s’agissant de la missionsur l’architecture, le ciblage et l’efficacitédes aides aux familles. Cette réflexioncontribuera à la définition d’unepolitique familiale nouvelle.

Source : communiqué du Premier Ministredu 7 février 2013

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Autoritéde la concurrence

L'Autorité de la concurrencevient de rendre une décisionpar laquelle elle prononce unesanction de 400 000 euros à

l'encontre du groupe Réunica pour nepas avoir notifié l'opération de fusionavec le groupe Arpège préalablementà la réalisation de l'opération.L'absence de notification de la fusiondes groupes Réunica et ArpègeLes groupes de protection socialeRéunica et Arpège qui gèrent descomplémentaires de retraite, desinstitutions de mutuelles et deprévoyance, ont fusionné leurs moyenshumains, matériels et organesdécisionnels le 1er janvier 2010 sansque cette opération ait étépréalablement soumise au contrôle del'Autorité de la concurrence.Or compte tenu des chiffres d'affairesréalisés par les deux groupes(1), cesderniers étaient tenus de soumettrel'opération à l'examen de l'Autorité dela concurrence avant sa réalisation.En l'espèce, si la fusion a été effectivele 1er janvier 2010, Réunica n'a informél'Autorité de la concurrence de laréalisation de l'opération qu'en avril2010.Le groupe Réunica ne pouvait ignorerque cette opération était soumise aucontrôle de l'Autorité de laconcurrence. En effet, le groupe anotifié deux autres opérations deconcentration ces cinq dernièresannées : la création de l'entreprisecommune Réunima avec Groupama

en 2007 et la fusion avec le groupeBayard en 2008(2).Une sanction de 400 000 eurosLe non respect de l'obligation denotification d'une opération deconcentration prive l'Autorité de laconcurrence de toute possibilité decontrôler un projet de concentrationpréalablement à sa réalisation, et ce,quels que puissent être ses effetspossibles sur la concurrence.Néanmoins, l'Autorité de laconcurrence a tenu compte du fait quele groupe Réunica s'est rapidement etspontanément rapproché d'elle aprèsla réalisation de l'opération, laquelle, nesoulevant pas de problèmes deconcurrence, a été autorisée(3).En conséquence, l'Autorité de laconcurrence a prononcé une sanctionde 400 000 euros à l'encontre dugroupe Réunica.

Notes : 1 - L'article L. 430-1 du Code de commerce précise qu'uneopération de concentration doit obligatoirement êtresoumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence dèsque le chiffre d'affaires de la nouvelle entité est supérieurà 150 M€ et que les chiffres d'affaires de chacune desparties se rapprochant dépassent 50 M€ chacun.2 - Cette opération avait déjà été réalisée sans notificationpréalable au ministre de l'économie, compétent en matièrede contrôle des concentrations à l'époque.3Par décision du 19 mars 2012 (12-DCC-36), l'Autorité dela concurrence a autorisé l'opération.

Source : communiqué du 1er février 2013

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R. TANCRÈDE S.A.

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12, rue Notre-Dame des Victoires75002 PARIS

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Un regard sociologiqueporté sur le droitpar Dominique Fenouillet*

u’il nous soit permis, avant toutechose, de remercier le Conseilconstitutionnel, en la personne deson président, de l’hospitalité qu’il a

bien voulu nous offrir. Quel meilleur signe rêver, en effet, pour lecouronnement d’une thèse de sociologie dudroit sur le logement conjugal dans le divorceque la remise du prix Carbonnier, par unreprésentant éminent de la Cour de cassation,sous les auspices des Sages de la République ?

Peut-être Jean Carbonnier sourirait-il de cetteassociation quelque peu inattendue entre sonnom et la rue de Montpensier. On imagine quetelle aurait pu être la réaction de celui qui, dansune sorte de testament sceptique, nous mettaiten garde, en 1996, contre ce phénomène depsychologie « susceptible de mettre la raison endéroute » qu’il nommait « la Passion du droit »(1).Souvenons-nous, cette passion du droit, il envoyait notamment la manifestation dansl’existence, « au pôle supérieur », d’« une justicequi transcende les lois positives ». Mais ilpoursuivait en évoquant aussi, « au pôleinférieur,… la passion du métier de juriste en sesmultiples catégories », catégorie dont relève, àn’en pas douter, les professeurs de droit. Belleleçon d’humilité ! Oui, Jean Carbonnier, tout « empreint duscepticisme de Montaigne » et bien plus« inspiré par Montesquieu »(2) que par Kelsen,sourirait peut-être, l’étrangeté de la situation nepouvant échapper à l’homme plein d’humourqu’il était. Mais il est sûr, aussi, et surtout, qu’ilserait très heureux, Madame, que vous soyezrécompensée pour ce regard original que vousavez porté sur le logement dans le divorce. Le Code civil de 1804 connaissait déjà ledomicile, cet instrument de rattachementgéographique du sujet de droit dont il faisait –etfait encore- un élément de l’état civil. Larésidence est apparue plus tard, non sans lienavec une appréhension plus concrète de lapersonne par le droit. Mais c’est surtout aulogement que l’on s’attache aujourd’hui, enraison du caractère fondamental que représentece lieu si essentiel à chacun de nous. Une association caritative nous rappelait, lasemaine dernière, qu’il existe, en France,plusieurs millions de personnes « mal logées »à des titres divers(3) . C’est dire l’importance dudroit au logement opposable consacré par la loidu 5 mars 2007, dans le prolongement du droità disposer d’un logement décent érigé enobjectif de valeur constitutionnelle par votreAssemblée, dès la célèbre décision du19 janvier 1995. C’est pressentir aussi la difficultéqu’il peut y avoir à régler la question dulogement dans un divorce.

Parce qu’il est tout à la fois élément dupatrimoine, domicile et lieu d’habitation, lelogement conjugal assure de multiplesfonctions, que vous avez, Madame, fort bienmises en lumière. Ce sont généralement ses fonctionspersonnelles que l’on met en avant : le logementabrite l’intimité du couple ; il permet à lacommunauté de vie, matérielle et spirituelle,qui constitue la véritable « chair » du mariage,de se développer ; il offre au lien familial lapossibilité de se déployer, assurant ainsil’articulation de l’alliance et de la filiation. Home,sweet home… Le logement est avant tout lieude refuge de la personne, du couple, de la famille.Mais il ne faudrait pas pour autant occulter sanature patrimoniale : le logement conjugal estaussi un bien, une valeur patrimoniale, de naturevariable et sur laquelle les époux ont des droitset des pouvoirs divers, selon qu’il s’agit d’unimmeuble leur appartenant, en propre ou encommun, ou d’un bien loué, voire prêté, etc. De cette double appartenance, à l’ordre de l’êtreet à l’ordre de l’avoir, résulte toute l’ambivalencedu logement conjugal. De cette doubleappartenance résulte aussi la difficulté de doterle logement d’un statut juridique équilibré.Comment concilier, en effet, la protection ducadre de vie de chacun tout en respectant lesprérogatives patrimoniales de l’un et de l’autre ?

Le Code civil y parvient assez bien, en cours demariage, en limitant le pouvoir de dispositionqu’ont les époux sur les droits assurant lelogement pour protéger la stabilité du toitfamilial (art. 215). La loi successorale s’y emploieelle aussi, au décès d’un époux, en préservantle cadre de vie du conjoint survivant, parl’attribution d’un droit temporaire d’usage aucours de l’année qui suit l’ouverture de lasuccession (art. 763) et par la reconnaissanced’un droit viager d’habitation (art. 764). Dansune perspective comparable, le droit s’efforcede concilier les considérations patrimoniales etles enjeux personnels lorsqu’il fixe le sort dulogement conjugal dans le divorce. La loi ne règle explicitement que quelquessituations : elle organise la résidence séparée des

Prix Jean Carbonnier 2012 Conseil constitutionnel - 5 février 2013

Co-organisée par la Mission de Recherche Droit et Justice et le CNRS, la cérémonie de remise du prix Jean Carbonnier 2012s'est déroulée ce mardi 5 février 2013 au Conseil constitutionnel en présence de son Président Jean-Louis Debré. Cetterécompense a été décernée à Veronika Nagy pour sa thèse de sociologie juridique intitulée "Le domicile conjugual commesource de conflits judiciaires" et c'est Jean-François Weber, Président du jury composé de Claire Bazy-Malaurie, ChristineLazerges, Dominique Fenouillet, Hugues Dumont, Yann Aguila, Jacques Commaille, Serge Guinchard et Jean-Louis Halperin,qui lui a personnellement remis ce prix crée en 2005, après la disparition du Doyen Jean Carbonnier en 2003, pour couronnerle travail en sociologie juridique ou en philosohie d'un étudiant "qui s'inscrirait dans une démarche extraordinairementnovatrice" quelle que soit la discipline des sciences humaines et sociales concernée.Nous adressons nos chaleureuses félicitations à la récipiendaire pour sa thèse qui décrit parfaitement ce que la face honteusedu divorce nous enseigne sur le lien matrimonial; nous publions ci-après l'introduction et la conclusion de ce passionnanttravail de recherche d'une brûlante actualité, sélectionné parmi quarante, par le Jury et qui a permis à Veronika Nagy d'obtenirle grade de Docteur avec la mention "très honorable avec félicitations du Jury" ainsi que l’excellent commentaire de présentationréalisé par le professeur Fenouillet. Jean-René Tancrède

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époux en cours de procédure (art. 255) etautorise la concession judiciaire à bail dulogement à l’époux avec lequel résident lesenfants mineurs (art. 285-1). Mais le statut dulogement dans le divorce dépasse, et debeaucoup, ces deux dispositions. Il n’est pas rare,ainsi, que le juge attribue la jouissance dudomicile familial à l’un des époux, à titre depension alimentaire pendant la procédure, oude prestation compensatoire une fois le divorceprononcé. Non sans rapport, il peut aussi fairede cette jouissance du logement familial uneforme de la contribution à l’entretien desenfants. Sur toutes les questions, importantes etnombreuses, soulevées par le devenir dudomicile conjugal après la dissolution du lienmatrimonial, la doctrine juridique a déjàbeaucoup dit. L’originalité de votre réflexion,Madame, tient dans le regard, dans les regards,que vous avez portés sur cette question.Originale, votre réflexion l’est en effet, et à plusd’un titre.

I. Votre thèse est d’abordoriginale par la question posée

elle-même

Le titre met en appétit : « Le domicile conjugalcomme source de conflits judiciaires. Ce que laface honteuse du divorce nous enseigne sur lelien matrimonial» Ce titre, et ce sous-titre,révèlent à eux seuls, Madame, que vous avezsouhaité engager une réflexion libérée desdiscours et des normes, qu’ils soient juridiquesou / et sociaux. Votre réflexion se développe d’abord àcontrecourant du discours social qui exaltetoujours plus les questions personnelles et

occulte les considérations patrimoniales au seinde la famille. Non, le divorce n’est pas querupture psychologique ; il est aussibouleversement patrimonial, en particulierpour les femmes, comme vous le montrez sibien, et comme le disait déjà Jean Carbonnier :« Quoique les textes aient toujours été rédigés enstyle bilatéral par un hommage creux à l’égalitédes sexes, il est bien connu que c’est la femme qui,dans l’immense majorité des cas, est menacée depauvreté par le divorce »(4) . On mesure aisémentl’enjeu que représente, dans un tel contexte,l’attribution du domicile conjugal. Et l’oncomprend d’autant mieux le sous-titre de votretravail : s’intéresser à cette « face honteuse dudivorce » que la société s’efforce d’escamoter. Votre analyse se présente encore en marge dudiscours social qui encensent les accordsconjugaux et dénoncent ces couples qui nesavent pas se séparer en restant « fair play ».Alors que le droit du divorce a renoncé à êtrele bras armé du mariage et promeut toujoursplus l’accord des époux, alors que le discourssocial accuse les divorcés qui ont l’âmebelliqueuse, c’est aux conflits judiciaires quevous avez, tout au contraire, décidé de vousintéresser. Parce que tous les couples ne sontpas en état et situation de se séparer dans la joieet la bonne humeur.Votre thèse se présente, enfin, assez éloignéed’une certaine tendance contemporaine à dé-systématiser le droit familial et saucissonner lesquestions. Alors que les questions familialestendent trop souvent à n’être appréhendéesqu’isolément, vous avez au contraire choisid’aborder le droit familial dans sa globalité, etanalysé le divorce sous l’angle du mariage, oupeut-être plutôt le mariage à travers le prismedu divorce.Il s’est donc agi, par une analyse minutieuse desconflits que le logement suscite lors du divorce,de découvrir la signification profonde que les

époux donnaient à leur lien matrimonial.Sur tous ces points, Madame, votre réflexion,loin de s’inscrire dans le discours ambiant, s’estvoulue personnelle et critique. Et cettedémarche critique a permis de mettre à jourune réalité familiale assez différente de celle queles stéréotypes sociaux véhiculent. On aimeraitcroire que vous serez écoutée, et que votreapproche des questions familiales, tout à la foisplus objective, plus complète et plussystématique que celle en cours dans le mondecontemporain, infléchira les réformes à venir.Originale, votre thèse l’est donc déjà par sonsujet.

II. Mais elle l’est aussipar sa méthode

Vous avez en effet décidé de croiser les regardsentre droit et sociologie, entre sociologiethéorique et sociologie empirique, entre droitfrançais et droit étranger. Vous avez d’abord souhaité chausser les lunettesdu comparatiste. Ayant choisi de faire porterl’analyse non seulement sur le droit français,mais aussi sur le droit hongrois, vous offrez àvos lecteurs une présentation comparéepassionnante du statut du logement des épouxque la France et la Hongrie consacrent dans lecadre du divorce. Vous montrez ainsi combien,dans un contexte historique, social etéconomique assez différent, les problématiquespeuvent rester comparables. Vous avez également adopté une démarche desociologie juridique. Cette démarche, qui n’estdéjà pas si fréquente, du moins à la faculté dedroit, vous l’avez appliquée tant à l’analyse dudroit théorique qu’à celle de la pratiquejudiciaire. Et vous l’avez fait en déployant nonseulement ce que Jean Carbonnier appelait très

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Veronika Nagy, Christine Lazerges, Jean-Louis Debré et Claire Bazy-Malaurie

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joliment l’observation sociologique« d’appartement » dans son cours de sociologiejuridique de 1961-1962, mais aussi en procédantà des enquêtes de terrain.Votre construction de l’objet « logementconjugal » est en effet le résultat d’une méthoded’analyse théorique somme toute classique: c’està partir des textes, de la jurisprudence et desconnaissances sociologiques théoriques, quevous avez analysé l’importance du domicileconjugal, mis à jour ses fonctions, et identifiéles difficultés inhérentes au croisement dupersonnel et du patrimonial. Mais l’analyse que vous avez menée ensuite,dans la seconde partie de votre travail, enportant votre regard sur les conflits judiciairesrelève d’une autre méthode sociologique, cellede l’analyse de cas, notamment au moyen d’uneenquête de terrain. Vous avez ainsi épluché denombreux dossiers français de divorce que descabinets d’avocats mettaient à votre disposition,assisté à de nombreuses audiences de divorceen Hongrois et consulté plusieurs dizaines dedossiers auxquels des magistrats hongrois vousdonnaient accès. Vous avez ainsi pu sélectionner cinquante-cinqaffaires de divorce, en France et en Hongrie,dans lesquels un conflit existait entre les épouxau sujet du logement. Vous avez alorsminutieusement analysé les prétentionsrespectives des parties, pour mettre à jour lesmotifs qui justifiaient leurs demandes et leurdésaccord. Le panel sur lequel vous avez assisvotre travail reste certes limité : il serait inexact,vous le dites vous-même, de le prétendre« représentatif au sens statistique » du terme ;mais comme vous le dites aussi, il reste tout àfait « exemplaire » des difficultés suscitées parle sort du logement après divorce(5) . Vous nouslivrez là une remarquable illustration de l’utilitéd’une analyse de microsociologie, plusprécisément, plus exactement d’une étude depsychologie juridique.Originale, votre analyse l’est donc par son objetet par les méthodes mises en œuvre.

III. Mais elle l’est égalementpar les fruits recueillis

L’analyse minutieuse et comparée des affairesvous a d’abord conduite, Madame, à identifierdeux types principaux de demandes : les unsveulent rester dans les lieux, les autressouhaitent convertir leurs droits sur le logementen capital. Elle vous a également permis de mettre à jourles arguments utilisés par les parties pour fonderleurs demandes : certains invoquent la nécessitéde se loger, d’autres expriment la volonté derester dans un lieu privilégié, certains arguentdes investissements qu’ils ont réalisés dans cebien ; d’autres se réfèrent au passé conjugal. Après avoir ainsi mis à jour les désaccords et lesmotifs justifiant les demandes des parties, vousavez pu dégager la cause des désaccords. Cettecause tient, dites-vous de façon trèsconvaincante, au fait que les époux ne partagentpas le même modèle matrimonial, c’est-à-direqu’ils ont une représentation différente descritères qui doivent présider à l’attribution dudomicile conjugal. Et ici réside le véritable cœur

de votre thèse, sa substantifique moelle : vouslivrez une typologie des demandes relatives aulogement conjugal. Cette typologie intègre quatre modèles : certainsépoux optent pour un modèle que vous appelezégalitaire parce qu’il consiste à procéder aupartage par moitié des droits assurant lelogement familial ; d’autres époux préfèrent unmodèle que vous appelez « solidaire », modèleconsistant à faire prendre en charge par l’un desépoux les besoins de l’autre ; d’autres époux,encore, adhèrent à un modèle que vous dites« compensatoire » en ce qu’il permet à l’époux« innocent » de conserver ses conditions delogement ; d’autres enfin optent pour un modèleque vous qualifiez de modèle de« reconnaissance », modèle dans lequel le sortdu logement dépend de la part versée parchacun dans le patrimoine.

IV. Vous étiez en concurrence,Madame, avec de bien belles

thèses, mais c’est à vousque nous avons décidé

d’attribuer ce prix

Et si nous l’avons fait, c’est parce que votre travails’inscrit pleinement dans le droit fil de la penséede Jean Carbonnier.Cette fidélité à la pensée de Jean Carbonnier,tient en premier lieu au fait que vous avezpratiqué, et en tous points, l’ouverture prônéepar Jean Carbonnier. Un regard sociologique porté sur le droit, à larecherche de la psychologie des divorçants.Des méthodes sociologiques originales, passantnotamment par l’analyse de la pratique judiciairedu divorce, le dépouillement de dossiers dedivorce.Une comparaison fructueuse de situationsnationales différentes, mettant en valeurl’existence de préoccupations et raisonnementscommuns, par delà les différences culturelles,juridiques. Et cette ouverture, vous l’avez pratiquée dans lamodération, l’équilibre, la conscience des limitesd’une telle démarche. Vous n’avez ainsi, à aucunmoment, cédé au « mythe du législateurétranger » : « A beau mentir qui vient de loin »,jamais vous n’êtes tombée dans cet écueil ducomparatisme(6) .Cette fidélité à la pensée de Jean Carbonniertient en deuxième lieu au fait que votre thèseporte très exactement sur des thèmes deprédilection du doyen.Le thème du logement, d’abord, qui ne pouvaitlaisser indifférent le regard sociologique qu’ilportait sur le droit tant cette question renvoieà une réalité pratique essentielle, affective etpatrimoniale, sociale et individuelle. Et chacunsait la part du doyen dans la protection dulogement, qu’il s’agisse de préserver la stabilitédu logement du majeur protégé ou celle dulogement familial, en cours de mariage ou aprèsla dissolution du mariage, par décès ou pardivorce. Il fut l’inventeur du statut civilspécifique du logement, qu’il justifiait par « lavaleur quasi sacrée que notre époque attache aulogement familial et au décor de la vie »(7) : il nes’agissait « pas seulement », disait-il, « du droit

élémentaire de se mettre à l’abri de la pluie, duvent et du froid », mais aussi du « droit plus raffinéde garder son cadre de vie habituel, de n’en êtrepoint séparé»(8) . Le thème du divorce, ensuite, ce « malnécessaire »(9) dont on sait qu’il l’a toujoursabordé avec le souci de dédramatiser cetteépreuve humaine traversée par nombre de nosconcitoyens, en facilitant les accords conjugaux,mais aussi en dénouant préventivement lesconflits. Nul doute, à cet égard, qu’il eut accueilliavec beaucoup d’intérêt cette grille de lectureque vous proposez, Madame, tant elle pourraitsans doute être mise à profit pour apaiser lesconflits conjugaux. Si le jury vous a attribué le prix Carbonnier,Madame, c’est enfin et en dernier lieu parce quevotre thèse entre en résonance avec plusieursquestions chères à Jean Carbonnier.L’imbrication du patrimonial et du personneld’abord. Son droit de la famille s’ouvre sur cettemise en garde : « la famille ne peut vivre d’amouret d’eau fraîche : une assise économique estnécessaire »(10) .Le lien fondamental qui unit mariage et divorce,ensuite. S’il avait eu à cœur, en 1975, delibéraliser le divorce, pour reprendre l’expressionconsacrée, ce n’était pas sans limite, et il s’en étaitexpliqué très clairement : « la question dudivorce »(11) , pour reprendre son expression, étaitaussi à ses yeux la question du mariage. Toutvotre travail confirme ce lien essentiel.L’importance et les limites des accordsconjugaux. Jean Carbonnier n’était pas lechantre inconditionnel de la médiation,conciliation, et autres pactes de famille, qu’ilconcevait essentiellement comme des moyenssusceptibles de « favoriser un règlementpacifiquement définitif »(12) . Il connaissaitparfaitement les avantages et les inconvénientsde cette « dépossession du droit »(13) . Et de cepoint de vue aussi, votre thèse lui aurait sansdoute beaucoup plu, toute d’équilibre, attentivequ’elle est à l’existence des conflits, et susceptibleaussi d’y remédier, nous y reviendrons plus tard. Le lien existant entre le passé conjugal et l’après-divorce. Si Jean Carbonnier avait oeuvré aurelâchement du lien entre vécu conjugal et effetsdu divorce, dans la perspective de« dédramatisation du divorce » qui était lasienne, ce n’était pas sans limite(14) . Et il s’en étaitclairement expliqué : « il est », disait-il « desconflits conjugaux que la conscience populairecontinue de poser en termes de culpabilité et àrésoudre en termes de sanction… Ce seraitcompromettre gratuitement la réception de laréforme dans la nation que de méconnaître laforce de ces réflexes élémentaires »(15) . Votretypologie intègre un modèle que vous appelezle modèle compensatoire qui, pour l’essentiel,fait du logement un élément de punition desfautes commises par l’un et de réparation destorts subis par l’autre. Pluralisme dans le divorce enfin. Chacunconnaît la célèbre formule : « A chacun safamille, à chacun son droit »(16) . Et chacun saitaussi combien la législation subséquente adiminué ce pluralisme : certes, le plurielcontinue de caractériser les cas de divorce endroit positif ; mais la loi, en organisant les effetssur un seul et même modèle, aconsidérablement atténué la portée de cepluriel. Votre thèse atteste que le pluralismecontinue pourtant de vivre dans la psychologie

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des divorçants, ce que le législateur serait bieninspiré de mesurer, s’il souhaite donner à lalégislation une chance d’effectivité et, partant,œuvrer pour la postérité.Par où l’on mesure que votre thèse mérite le prixCarbonnier, non seulement pour lesconclusions explicites que vous avez formulées,mais également pour toutes les perspectivesque votre regard sociologique ouvre, tant enthéorie juridique qu’en pratique judiciaire. La grille de lecture des conflits surgissant autourdu logement conjugal après le divorce que vousproposez, en même temps qu’elle dévoile lescauses du conflit, offre en effet d’abord auxpraticiens de précieux éléments de solution.L’enjeu pratique, humain et social, n’est pasmince : si tous les époux ne sont pas assez richespour verser une prestation compensatoire,presque tous ont un logement : la question dulogement se pose donc, très concrètement, danspresque tous les divorces. Et l’on mesure alorsque votre thèse pourrait utilement appuyer lesexpériences que les avocats initientactuellement autour de la convention deprocédure participative, du contrat collaboratif,éclairer l’action des médiateurs, inspirer lesdécisions du juge.

Votre réflexion dessine en outre des pistes deréflexion très riches pour la théorie juridique,qu’il s’agisse du mariage, du pacs, duconcubinage, de la parenté. Elle porte à réfléchir à l’imbrication dupersonnel et du patrimonial dans un couple, àrebours de la distinction opérée par le droit, parexemple dans le pacte civil de solidarité. Elle invite à considérer le lien entre passé et futur,

à rebours du cloisonnement étanche que le droitdu divorce tente d’établir entre la cause et leseffets de la rupture. Elle suscite la réflexion sur la persistance d’unfort pluralisme conjugal, entre égalité et équité,respect des devoirs de mariage et prise encompte des contributions patrimonialesrespectives.Elle suggère une transposition des modèles derésolution des conflits à d’autres ruptures, ettout particulièrement à la dissolution du pacset du concubinage.Surtout, elle incite à mettre en œuvre, dans lesconflits parentaux, votre approche depsychologie judiciaire. On imagine le profit qu’ily aurait à disposer d’une typologie comparabledes désaccords parentaux relatifs à l’éducationdes enfants, leur résidence.

Jean Carbonnier, « Jean le mystérieusementSage »(17) - et notre présence en ces lieux, prendalors tout son sens ! -, disait des thèses dedoctorat de droit qu’elles occupaient parmi lesmonographies doctrinales une placeimportante: « c’est », disait-il, « la recherchescientifique adaptée au droit »(18) . Nul doute quece qualificatif sied à votre travail, tant cette miseà jour de la psychologie juridique des divorçantsest susceptible d’éclairer le statut juridique dulogement conjugal dans le divorce et, au-delà,dans le couple, dans la parenté, dans la famille.Nul doute que votre directrice de thèse peutéprouver le sentiment de la mission accomplie :nourrir la réflexion, accompagner la pensée versla maturité. Pour tout cela, et pour tous les fruits que chaquelecteur saura cueillir en vous lisant, le jury 2012

est très heureux, Madame, de vous attribuer leprix Jean Carbonnier.

* Dominique Fenouillet est Professeur de droit privé à l’UniversitéPanthéon-Assas (Paris II) et Directrice du Laboratoire de sociologiejuridique.

Notes : 1 Droit et passion du droit sous la V° République, Flammarion, 1996,p. 11. 2 J. Commaille, « L’esprit sociologique de Jean Carbonnier : la flexibilitédu droit », in Hommage à Jean Carbonnier, Dalloz, Thèmes etcommentaires, 2007, p. 51.3 Fondation Abbé Pierre, 18ème rapport sur l’état du mal-logement,janvier 2013.4 Carbonnier, La famille, Thémis, 20° éd. refondue, 1999, p. 578.5 P. 145.6 « A beau mentir qui vient de loin, Ou le mythe du législateur étranger», in Essai sur les lois, Defrénois, 1979, p. 191 s.7 Les personnes, Thémis, 21° éd. refondue, 2000, p. 325, n°157 : « levœu de la loi est qu’au sortir de l’hôpital le malade puisse retrouver cecadre intact. D’où la règle prescrite à ceux qui ont charge de ses intérêts: conserver le plus longtemps possible à sa disposition son logementet ses meubles meublants ».8 Les biens, Thémis, 19 ° éd. refondue, 2000, n° 188, Théorie juridique,p. 300.9 Droit de la famille, préc., Politique législative, p. 509. Josserandemployait déjà l’expression.10 Droit de la famille, préc., p. 2. 11 Titre de sa célèbre chronique, « La question du divorce, Mémoire àconsulter », D. 1975, chr. 115 s.12 La famille, préc., Pratique judiciaire, p. 543.13 La famille, préc., Politique législative, p. 567.14 Perte de la prestation compensatoire et des avantages attachés audivorce par l’époux aux torts exclusifs duquel le divorce était prononcé.15 « Le divorce », in Essai sur les lois, préc., p. 132.16 Essai sur les lois, préc., p. 167.17 G. Cornu, « Propos introductifs », in Hommage à Jean Carbonnier,Dalloz, Thèmes et commentaires, préc., p. 3.18 Introduction, Thémis, 26° éd. refondue, 1999, n°150, p. 288.

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Le domicile conjugalcomme source deconflits judiciairespar Veronika Nagy

Introduction*

« Si le droit de la famille n’occupe pas en entierle livre Des personnes, il occupe, en revanche, unepartie d’un autre livre, le livre III, Des différentesmanières dont on acquiert la propriété. Cetterubrique peut sembler étrange et mêmedéplaisante, appliquée à des rapports familiaux.Il n’y a rien de cynique, pourtant, à constater que,par héritage, donation, partage de communauté,on peut acquérir des biens. La famille ne peut vivre « d’amour et d’eaufraîche » : une assise économique lui estnécessaire. » Jean Carbonnier(1)

« Et ils se battirent jusqu’à la dernière petitecuillère. »

Ainsi pourrait se terminer une fablemoderne mettant en scène unmodèle de divorce à ne surtout passuivre, un contre-exemple de la

désunion réussie. En effet, à l’heure où rien n’estplus valorisé que la négociation et la résolutiondes conflits par les justiciables eux-mêmes, àl’heure où l’on enjoint aux époux de dénouerles liens de leur union passée avec autant dedélicatesse que possible – notamment dansl’intérêt de leurs enfants –, les mauvais élèvesdu divorce sont assurément ceux qui paraissentincapables d’appréhender leur séparation demanière apaisée(2).Surtout, les conjoints qui s’affrontent sur leterrain de l’argent et des biens non seulementse font la guerre, ce qui est déjà condamnableen soi en référence au « on divorce pacifié »,mais en plus, il se la font pour des motifs quipassent pour bassement matériels, s’adonnantà de viles pulsions mercantiles lesquelles nedevraient pas avoir droit de cité en matièreconjugale et familiale. Car à bien y regarder, lecalcul parcimonieux, la cupidité mesquine et larecherche de profit au détriment de l’autreépoux, qu’on imagine être le propre de cesconflits sur les effets financiers et patrimoniauxdes désunions, ne sont que l’expressionexacerbée, et donc perçue commeparticulièrement choquante, de l’irruption desintérêts économiques au sein de la sphèreprivée : « parler d’économie et de famille dansla même phrase est incongru et presqueobscène »(3). En somme, c’est au nom d’unmélange des genres non conforme que lesépoux qui se déchirent autour du montantd’une prestation compensatoire, du sort d’unbien immobilier, ou de toute autre questionmatérielle, sont spécifiquement décrits commede mauvais divorçants.Un tel sentiment de malaise face à ceux quientendent compter, décompter, comptabiliser,calculer l’argent et les biens du mariages’enracine dans une vision des rapports

familiaux comme étant régis par l’amour,l’affection et la solidarité, avec pour traductionconcrète le don, le partage et surtout l’absenced’enregistrement rigoureux et systématique desopérations de débits et de crédits dont chacunest l’auteur (quand on aime, on ne compte pas).De cette manière, si personne ne songeraitsérieusement à nier que les couples et lesfamilles manient des biens de valeur et del’argent, qui sont utilisés dans le quotidien,accumulés à titre de patrimoine, et fontégalement l’objet de divers transferts, on partusuellement du principe que la façond’appréhender les choses matérielles est dansce contexte radicalement différente de celle,froide et intéressée, qui caractériserait lesacteurs de l’économie de marché(4). En vertud’une conception qui valorise le « mariaged’amour » contemporain, en opposition au« mariage d’argent » quelque peu caricatural dupassé, l’intimité et l’économie sont séparés endeux mondes aux logiques bien distinctes : auxcommerçants et aux financiers le profit et lecalcul rationnel, aux couples et aux familles ledon gratuit et les solidarités désintéressée (5.)

Notamment, le lien conjugal, qui en raison deson caractère foncièrement électif et dissolublesemble être le plus privé des liens familiaux, lemoins soumis à un contrôle de la part de lacollectivité(6), apparaît comme une relationinterpersonnelle qui n’engage rien d’autre quedeux individus, dont l’affection réciproque seraità la fois la justification (on entre en couple paramour, on en sort par désamour) et l’essence(l’affection est la condition nécessaire etsuffisante du lien). A contrario, l’idée que des

considérations d’ordre financier puissent jouerun rôle dans le choix de se marier se présentecomme une négation de la vocation même del’union conjugale. Dès lors, les choses matériellesfont simplement figure de décor, de cadre, desupport concret de la relation, mais n’entrentpas dans sa définition : l’essentiel, c’est l’amour,tout le reste n’est qu’accessoire.Dans cette perspective, il n’est pas rare que lessociologues du couple eux-mêmes définissentle lien conjugal comme une pure relation depersonne à personne(7) dont la finalité est lasatisfaction psychologique des partenaires(8), cequi les conduit à écarter du champ de l’analysetout ce qui concerne les aspects économiquesde la vie conjugale. Autrement dit, « fairecouple » paraît aujourd’hui avant tout renvoyerau fait de nouer une relation de personne àpersonne, dans un souci d’authenticité et deréalisation de soi, sans que les choses possédéesou utilisées en commun soient considéréescomme faisant véritablement partie du lien.Partant de là, appréhender son divorce commeune affaire financière dont on voudrait tirer unprofit maximal, en se frottant les main d’avanceà l’idée de tout ce qu’on pourrait y gagner, sembleêtre le pendant, tout aussi condamnable, del’attitude de ceux qui, au moment de conclureun mariage, entendent moins épouser lapersonne que le portefeuille.Pourtant, nombreux sont les éléments quiincitent à prendre de la distance vis-à-vis d’unelecture des affrontements matériels des épouxen termes de conflit entre deux homooeconomicus et plus globalement vis-à-visd’une séparation radicale entre relations

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familiales et relations économiques. Ainsi, noussavons grâce aux anthropologues que ledualisme entre marché lieu de l’utilitaire etfamille lieu de l’affectif n’est pas de mise partout,et surtout que la condamnation morale del’imbrication de ces deux mondes est loin d’allerde soi, avec dans certaines sociétés un rapportà l’argent placé sous le signe du bien communet de la passion(9), ou encore l’existence devéritables contrats marchands conclus entreépoux(10). De plus, les travaux ethnographiquessur les pratiques monétaires et les usages del’argent, qui se sont particulièrement développésdepuis les années 1980, ont permis deréinterroger les catégories économiquesstandard(11). En parallèle, comme le montre trèsjustement Viviana Zelizer, la simple observationau sein des sociétés occidentales de lacirculation de l’argent dans le périmètre del’intime met en échec la dichotomie entresphère économique et sphère privée, puisquesoit l’argent ne devrait pas du tout pénétrer dansla famille, soit il devrait provoquer unchangement profond dans les relations (12).À cela on pourra ajouter qu’à côté de ladéfinition du couple comme lien purementamoureux, un de ses critères majeurs estaujourd’hui la cohabitation, ce qui signifie quel’usage commun d’un bien immobilier et d’objetsdu quotidien, de même que la gestion d’unbudget domestique ne viennent pas « ensurplus », mais font dans cette optiquepleinement partie du lien.Dans le même sens d’une dimensionéconomique centrale au sein du mariage, nousavions constaté lors d’un travail sur l’adultèrefaute cause de divorce que la dimension fautivede la relation extraconjugale pouvait êtrerapportée à des questions matérielles, lesépouses reprochant aux maris de dilapiderl’argent du ménage en cadeaux pour lesmaîtresses et les maris appréhendant les amantsexclusivement sous l’angle de leurs revenus oude leur profession(13).De telles accusations suggèrent l’existence d’undevoir de « fidélité économique », bien éloignéde la fidélité amoureuse ou sexuelle qu’onassocie à l’image du couple pur lieninterpersonnel.Enfin, des enquêtes de sociologie judiciaire dudivorce mettent en avant le fait que dans le cadredes procédures, le débat est toujours global, cequi signifie que les demandes financières etpatrimoniales n’y sont pas discutées isolémentdes autres éléments, notamment la cause dudivorce ou de la séparation(14).

Notes : 1. J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille,l’enfant, le couple, Paris, PUF, 2004. p. 750.2. L’émergence et la généralisation de la norme du bon divorce pacifiéest un phénomène désormais bien connu, qui a fait l’objet de plusieursétudes. On peut notamment citer : B. Bastard, L. Cardia-Vonèche, « Lessilences du juge ou la privatisation du divorce. Une analyse empiriquedes décisions judiciaires de première instance », Droit et Société (4),1986, p. 497-506 ; I. Théry, Le démariage. Justice et vie privée, Paris,Odile Jacob, 1996 ; J. Hauser (dir.), Sociologie judiciaire du divorce,Paris, Economica, 1999. Pour une synthèse plus récente, on pourraconsulter S. Cadolle, « La transformation des enjeux du divorce »,Informations sociales (122), mars 2005, p. 136-147.3. C. Delphy, L’ennemi principal, t. 1, Économie politique du patriarcat,Paris, Syllepse, 2009, p. 11.4. Il va de soi que dans cette optique, les phénomènes économiqueseux-mêmes sont perçus comme relevant d’une sphère autonome etisolée du reste de la société. Cf. L. Dumont, « Préface », in : K. Polanyi,La grande transformation, Paris, Gallimard, 1983, p. I-XX. Au demeurant,l’affirmation de l’unité du champ économique,formulée en Europe à la fin du 18e siècle à l’occasion de sa constitution

comme objet de la science économique, semble être indissociable d’uneséparation complète, sur le plan conceptuel, des passions et des intérêts.Làdessus, voir : P. Bridel, « Passions et intérêts » revisités. La suppressiondes « sentiments » est-elle à l’origine de l’économie politique ? », Revueeuropéenne des sciences sociales (144), 2009, p. 135-150.5. Ce cloisonnement va aussi de pair avec l’idée qu’il convient depréserver les relations affectives des considérations intéressées etégoïstes et la « peur d’une perversion réciproque » des deux sphères.Cf. J. Godbout, en collab. avec A. Caillé, L’ esprit du don, Paris, Ladécouverte, 1992, p. 230 pour la citation.6. Nous entendons par là que le seul critère du caractère acceptableou non de telle pratique conjugale, de telle forme de vie de couple, estle consentement des deux partenaires. Les comportements les moinshabituels sont, du moment qu’ils ne sont pas le résultat d’un rapportde force, perçus comme étranges ou marginaux, mais ne sont pas àproprement parler condamnés, ni sur le plan moral, ni sur le planjuridique. On peut par exemple penser à l’échangisme, qui transgresseouvertement la norme de la fidélité sexuelle, mais qui est renduemoralement acceptable précisément en raison du consentement desdeux membres du couple. Dans le même sens, l’échangisme est rejetépar les tribunaux en tant qu’adultère faute cause de divorce, les jugesconsidérant que la connivence lui ôte son caractère fautif (cf. une étudejurisprudentielle sur l’adultère, menée dans : V. Nagy, La qualificationjuridique d’adultère : une étude sociologique, Mémoire pour le diplômede l’EHESS, dir. Irène Théry, mai 2003). A contrario, le rapport auxenfants semble faire l’objet d’une attention plus grande, avec un seuilde tolérance plus bas quant aux pratiques inusuelles, perçues commeimposées par les parents.7. A. Giddens, Modernity and Self Identity, London, Polity Press, 1991.8. F. de Singly, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996.9. Chez les Tsiganes, l’argent n’est pas entaché de suspicion etd’amoralité dès lors qu’il franchit l’espace des relations personnelleset est au contraire rendu très visible à travers une valorisation extrême.M. Stewart, « La passion de l’argent. Les ambiguïtés de la circulationmonétaire chez les Tsiganes hongrois », Terrain (23), p. 45-10. Jusque dans les années quatre-vingt, il n’était pas rare que lesfemmes sénégalaises de milieu rural vendent à crédit une partie de leurpropre production céréalière à leur mari, parfois avec intérêts. A.-B.Diop, La famille wolof, Paris, Karthala, 1985.11. Pour une synthèse des travaux francophones et anglophones, voir :J. Blanc, « Usages de l’argent et pratiques monétaires », in : Ph. Steineret F. Vatin, Traité de sociologie économique, Paris, PUF 2009, p. 649-688.12. V. Zelizer, La signification sociale de l’argent, Paris, Seuil, 1995.13. V. Nagy, « Cher adultère. Transgression du devoir de fidélité, argentet biens dans les procédures de divorce pour faute », in : A. Fine et A.Martial (dir.), La valeur des liens. Hommes, femmes, et comptesfamiliaux, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, coll. LesAnthropologiques, 2009, p. 115-134.14. I. Théry, Le démariage, op. cit., spéc. p. 192 et s. ; B. Bastard, Lesdémarieurs. Enquête sur les nouvelles pratiques du divorce, Paris, LaDécouverte, 2002.

Conclusion*

« Le sens de l’injustice n’est pas seulement pluspoignant, mais plus perspicace que le sens de lajustice, car la justice est plus souvent ce quimanque et l’injustice ce qui règne, et les hommesont une vision plus claire de ce qui manque auxrelations humaines que de la manière droite deles organiser. C’est l’injustice qui la première meten mouvement la pensée. »Paul Ricoeur(1)

Le choix de travailler sur le logement des épouxétait initialement motivé par l’hypothèse quec’était là un objet pertinent pour essayer depenser ensemble la dimension affective etéconomique du lien conjugal, que nous voulionstenter non pas d'appréhender en termesd'opposition (l'intérêt matériel contre lesrelations authentiques) ou de dévoilement (sousl'illusion de l'amour, le vil calcul), maissimultanément, comme les deux faces d'unemême pièce. De plus, l’installation dans un lieud’habitation commun représentant, au senspropre et au sens figuré, un des « seuils » del’entrée en conjugalité, la question du logementsemblait particulièrement pertinente pour

comprendre les enjeux des ruptures conjugales.Chemin faisant, nous avons découvert à quelpoint le domicile conjugal ne se limitait pas àêtre à la fois le lieu de vie des personnes et unbien de valeur économique.Ainsi, quand on s’interroge sur sa définition, onest conduit à le décrire comme un local concret,une adresse, et un bien de valeur. Chacune deces caractéristiques est elle-même composite :le local est indissociable de sa fonctiond’habitation, laquelle se caractérise plus parl’intention (retour, attente) que par des élémentsobjectifs ; l’adresse, qui peut être indépendantedu lieu d’habitation effectif, mais aussi plurielle,est à la fois identité administrative, situationgéographique et ancrage dans un réseaufamilial ; le bien de valeur est patrimoine,cependant cette richesse réside moins dans lachose que dans les droits sur la chose. Enparallèle, quand on tente de le saisir en tantqu’élément de la vie des époux, le domicileconjugal se révèle être l’incarnation de troisdimensions du lien matrimonial englobées lesunes dans les autres, lesquelles renvoient aumariage comme concubinage notoire,institution juridique et famille.De cette manière, déplier la notion de domicileconjugal conduit déjà à mieux comprendre cedont est fait le mariage, puisqu’il nous apprendà voir que la publicité et l’ancrage dans l’espacesocial à travers un logement commun sontindispensables au lien de couple, que le lienjuridique qui unit les époux n’a des effetscomplets qu’en cas de communauté de vie etque la famille a une double définition, dont l’unea pour critère la corésidence (lien de fait) etl’autre la parentèle (lien de droit).Cette pluralité, on la retrouve également quandon se penche sur le statut juridique du logementdes époux, mais c’est désormais une pluralitémise en ordre et hiérarchisée par le droit,puisqu’un des aspects semble primer sur lesautres. Aux termes de la loi française, la notionde « résidence de la famille » domine en effet àbien des égards : le local d’habitation despersonnes mariées est un bien tout à faitparticulier que le législateur français protègespécifiquement en imposant la cotitularité dubail et la cogestion, parfois au détriment du droitcommun des biens.En corollaire, dans le domaine du droit dudivorce, c’est avant tout le sort de la fonctionrésidentielle, c’est-à-dire la possibilité donnée àl’un ou l’autre des deux époux de continuer àhabiter dans le logement commun après ladissolution du mariage qui est au centre desdispositions juridiques françaises.Cependant, quand on se tourne vers d’autressystèmes juridiques européens, et notammentcelui de la Hongrie, le regard porté sur lalégislation française peut être affiné : laprotection contre les actes de disposition, si ellen’est pas un cas isolée en Europe, n’est pas nonplus une règle qui s’applique partout ; enparallèle, il apparaît en creux que le droitfrançais encadre beaucoup moins que d’autrespays l’usage du logement après le divorce.De cette façon, le droit hongrois, qui prévoit demultiples règles en ce qui concerne l’occupationdu logement conjugal après le divorce, ajoutantaux droits de propriété ou de bail détenus parles époux une nouvelle couche juridique, quicorrespond à une sorte de « droit de maintiendans les lieux ». Mais dans les deux cas, on voit

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bien que l’objet des inquiétudes et le champ danslequel intervient le législateur est celui del’habitation.Dans les affaires judiciaires qui constituent lamatière de l’étude empirique, on retrouve àtravers la morphologie des désaccords relatifsau sort du logement conjugal cette mêmedouble dimension économique et résidentielle,puisque indépendamment des ressortsjuridiques mobilisés, les conflits semblents’organiser soit autour de la question del’occupation du logement, soit autour de laconversion des droit qu’on détient dessus ensomme d’argent. Toutefois, là encore, et en celales conjoints font écho aux dispositions légales,une hiérarchie apparaît entre les deux aspects :les demandes liées à l’usage effectif du logementsemblent chargées d’une valeur supérieure,tandis que le soupçon de la vénalité pèsetoujours sur ceux qui désirent mettre en ventele logement afin de toucher un capital, au pointque ces derniers justifient leurs prétentions enavançant que les sommes d’argent ne sont pasconvoitées pour elles-mêmes, par pur appât dugain, mais seront précisément utilisées pourfinancer leur relogement.En parallèle, il est frappant de constater que lesdéfinitions que nous avions proposées pourdessiner les contours du domicile conjugaltrouvent un écho fort dans la manière qu'ontles parties en divorce d'appréhender lesdifférentes fonctions de celui-ci. De cette façon,les prétentions visant à obtenir le domicileconjugal en ce qu'il est un toit ou un abri, quisont justifiées par l’état de dénuement danslequel se trouve l’époux, voire le risque declochardisation qui le menace, rappellent cettechose construite en dur, pérenne, fixe et séparéede l’espace public, qu’est le local d’habitation ;les demandes qui concernent le dernier

logement commun en tant que lieu de viespécifique et particulier évoquent à la fois lechez-soi et la résidence au sens géographiquedu terme ; enfin, lorsque ce qui est mis en avantest l’origine familiale des moyens ayant permisd’accéder au logement, on pense inévitablementau sens étymologique du terme patrimoine etnotamment au fait qu’une donation ou unhéritage seront toujours l’objet d’un marquagefort au regard de la lignée dont ils proviennent.En somme, la pluralité du logement conjugal,si on prend la peine d'écouter toutes les voixque l’objet porte en lui et ce qu'elles nousracontent sur le mariage et le divorce, nousapprennent à penser le lien matrimonial commeun tout qui se décline et s'actualise à travers sesmultiples dimensions.Plus précisément, ce que nous voudrions mettreen valeur ici, c'est moins l'existence de cesdiverses composantes prises dans l'absolu – carau fond, on sait bien que dans une viematrimoniale, il n'y a pas seulement des corpset des esprits, mais aussi des objets, des lieux,des formulaires administratifs, de l'argent et desbiens de valeur – que le fait que le domicileconjugal, parce qu'il est aisé à se représenter(tout un chacun peut se figurer mentalementce qu'est un domicile conjugal) et pourtantcomplexe (il ne se laisse pas enfermer dans uneseule définition, ni même dans une seuledénomination), permet de les embrasser d'unseul regard.Pour le dire autrement, ce que nous enseigne lelogement des époux, c'est que l'unicité et lapluralité ne s’excluent pas l'une de l'autre : lemariage ou le divorce ne sont pas éclatés en demultiples aspects ou écartelés entre diversessphères, mais incarnent tour à tour chacun deces aspects touchant aux choses, aux lieux, auxbiens, aux personnes et aux intentions.

Les degrés de la rupture

« Maître, dois-je faire une nouvelle demanded’aide juridictionnelle pour cette partie-là de laséparation ? »(2) Au détour d’une phrase quisemble anodine, qu’une cliente adresse à sonavocat au sujet du financement de la procédure,est formulé de manière limpide un des résultatsde notre étude. En effet, quand cette questionest posée, les conjoints sont séparés de fait, lacommunauté de vie est rompue, le sort desenfants est réglé et aucun des deux n’a l’intentionde se réconcilier avec l’autre. Alors, ne sont-ilspas déjà séparés ? Ils le sont, mais partiellement :« cet aspect-là », c’est le litige patrimonial, soitle partage de la maison indivise.Ainsi, à la pluralité de la nature du domicileconjugal répond, dans les affaires examinées, lapluralité des verrous susceptibles de sauter pourqu’un mariage soit rompu. Si on pouvait deprime abord penser que la disparition dusentiment amoureux marquait la fin du coupletandis que la décohabitation l’entérinait, ondécouvre que non seulement celle-ci n’est pasnécessairement une situation de fait évidente,et qu’elle peut être l’objet d’un travail dedescription des époux, mais aussi que ce qui sedéfait à l’occasion d’un divorce est plus large etplus divers.Car toute une part des efforts des divorçantsconsiste précisément à mettre en récit larupture, et notamment son asymétrie, qui estle moment de rappeler les fautes commises, demême que le caractère intentionnel etvolontaire du départ ou de la mise à la porte (cequi correspond, en symétrique inversé, àl’intention de retour ou l’intention d’attenteévoquées plus haut). Par ailleurs, les manièresqu’on les époux de « déconjugaliser » lelogement commun en insistant sur leur

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investissement personnel, est aussi une façonde dire – et donc de faire, si l’on accepte l’idéeque l’énonciation a un caractère performatif –la fin du couple.Enfin, le divorce est aussi une réorganisationdes relations patrimoniales des conjoints, avecune séparation des comptes du présent et unnouveau regard porté sur les comptes du passé.Partant de là, la rupture affective et même lacessation de l’intention matrimoniale nesemblent constituer qu'un des aspects de la findu mariage, car les autres liens ne se brisent passimultanément et automatiquement – laprocédure judiciaire pouvant au demeurantêtre, à la fois par les décisions de justice rendues(résidence séparée, date de la fin de lacommunauté de vie, et éventuellementliquidation du patrimoine) et par les récits qu'ils'y donnent à voir (reproches adressés à l'autre,re-personnalisation du domicile conjugal,asymétrie des ruptures au regard de la personnede l'initiateur), le lieu où ils sont rompus.

Ces femmes cupides,ces hommes avares

Nous l’avons dit en ouverture de cette thèse, leprojet d’étudier l’aspect économique desséparations conjugales avait pour originel’intuition qu’il était injuste de condamner lesconjoints qui s’affrontent sur le terrain matérielau motif qu’ils entendent faire de leur divorceune bonne affaire financière au détriment deleur conjoint. Plus précisément, notre sentimentétait que si l’on condamne globalement tous lesépoux en conflit, le soupçon de vénalité pèsehabituellement plus lourdement sur les épaulesdes femmes. On retrouve cette idée au seinmême des procédures étudiées, puisque le don,qu’il fasse défaut ou qu’il soit au contraire misen valeur, et généralement masculin, tandis quece sont les femmes qui reçoivent ou désirentrecevoir.Ainsi, dans le cadre des négociations ou desdébats sur les conséquences de la désunion, ceque les femmes reprochent aux maris est de nepas offrir assez et ce que les hommes reprochentaux épouses est de demander trop, tandis quele pendant positif de ces caractéristiques – queles époux mettent en avant quand il s’agit de sedécrire eux-mêmes – est la générosité deshommes et la renonciation des femmes. Le casde la prestation compensatoire, qui paraît êtreperçu comme un don de la part du mari, alorsmême que sur le plan légal, il est un droit et undû, est à cet égard tout à fait parlant : dans lecadre de la recherche d’une solution amiable, ilapparaît que les hommes ont une nettepréférence pour verser des capitaux à leurépouse à titre de prestation compensatoire, alorsque les femmes, quand elles sont prêtes àrenoncer à une partie de leurs prétentions,proposent précisément de ne pas percevoir deprestation compensatoire. On retrouve la mêmechose en Hongrie, à travers la contrepartie dedroit d’usage, qui est la somme à verser à l’épouxqui perd la jouissance du dernier logementcommun du fait du divorce, et qui comme nousl’avons exposé, a une fonction équivalente à cellede la prestation compensatoire, aussi bien surle plan légal que sur le plan de la pratiquejudiciaire.Or si la plupart du temps, les solutionsfinancières envisagées renvoient à un transfert

économique depuis les hommes vers lesfemmes, ce qui donne en effet l’impressionqu’elles sont systématiquement celles quidemandent des sommes d’argent au mari, cetteasymétrie se comprend au regard de plusieurséléments. Tout d’abord, il y a un facteur évident,dans nos dossiers, de disparité économiqueobjective entres les conjoints, qui conduit nonseulement à l’hypothèse d’une prestationcompensatoire à verser par le mari dans lesaffaires françaises, mais joue aussi un rôle enmatière de liquidation du régime matrimonial.En effet, chez les époux communs en bien,même si l’argent des revenus du travail estcommun, c’est souvent sur le compte du mariqu’il se trouve dans la pratique.Dès lors, le partage, ou même une simple avancesur droits de communauté, prendra de fait laforme d’un chèque signé par le mari à l’épousebénéficiaire. Ensuite, l’organisation pratique desfinances des époux au cours de la vie communeles conduit généralement à régler lesmensualités de crédit immobilier sur le salairedes hommes et les dépenses de la vie courantesur le salaire des femmes, ce qui pourra devenirun argument, chez les maris séparés de bienset les concubins, pour affirmer qu’ils détiennentsur le logement conjugal des droits plus élevésque ceux de leur épouse.Dans le même sens, le fait pour un mari dedisposer d’un patrimoine propre ou personnelplus important que son épouse lui permettrade financer l’acquisition du bien à proportionplus importante, ou encore de faire réaliser destravaux d’amélioration, avec là encore, pourconséquence, des droits sur le logement du mariplus élevés que ceux de sa femme. Or, des droitsplus élevés du mari vont souvent de pair avecune demande d’attribution préférentielle aumari, et, partant de là, le versement d’une soulteà l’épouse – soit, encore une fois, un transfertd’argent depuis l’homme vers la femme. À celaon peut encore ajouter le cas de la pensionalimentaire, puisque là encore, il s’agit dans nosdossiers d’une somme d’argent qui va du marià l’épouse, et cela soit dans le cadre d’unerésidence habituelle fixée chez la mère, soitdans le cadre d’une résidence alternée, maisavec des revenus de l’épouse moins élevés.Ces raisons expliquent à elles seules pourquoi,dans une bonne partie des dossiers, la questiondu partage patrimonial se transforme, au coursdes négociations et des débats, en la questiondu montant de la part de l’épouse, que le maridevra lui verser. Toutefois, il est aussi d’autreséléments à prendre en compte.Ainsi, on remarque qu’au moment du divorce,les demandes qui s’inscrivent dans le cadre dece que nous avons nommé le « modèle de lasolidarité » vont de pair avec l’idée d’un soutienalimentaire de la part du mari envers l’épouse.De cette manière, certains maris considèrentqu’il est normal d’aider leur conjointe au-delàde la désunion, et estiment même que ce dontelle a besoin pour « rebondir » doit être lecritère sur le fondement duquel les sommes àverser sont déterminées, tandis que certainesépouses demandent explicitement à leur maride les aider à se reloger.A contrario, les maris dans le besoin nedemandent pas aux femmes de les aider : enHongrie, ils s’adressent aux juges, et en France,ils déplorent leur situation difficile mais neformulent pas de demande explicite à l’égard

de quiconque. Pour le dire simplement, mêmechez des conjoints qui ont des revenus d’unmontant identique, on trouve des épouses quidemandent aux maris de les aider, mais jamaisde maris qui sollicitent le soutien matériel deleur épouse.En substance, la cupidité des femmes, l’avaricedes hommes, qui sont les figures en négatif dubon mari généreux et de la bonne épouseéconome, non seulement sont mobilisées ycompris dans des situations où la disparité nele justifie pas, mais surtout, sont mobiliséesdans le cadre du divorce, soit quand l’unionprend fin : la disparition du couple amoureuxou la décohabitation n’effacent pasnécessairement tout ce que les époux étaientsupposés être l’un pour l’autre.

Jusqu’à la dernière petite cuillère…

Au regard des affaires judiciaires examinées,dont chacune a une singularité propre et s’inscritdans une histoire particulière, il convient desouligner combien elles sontétonnamment homogènes en ce qui concerneles problématiques et les références qui lestraversent, surtout quand on se souvient qu’ellesse déroulent non seulement dans deux pays auxcontextes juridiques et économiques différents,mais aussi qu'elles sont le fait de couplesappartenant à des catégories sociales diverses.De cette façon, le « problème » du sort dulogement conjugal dans le contexte d'uneprocédure judiciaire, malgré la diversité desqualifications juridiques dont il peut faire l'objet,se rapporte à deux grandes questions : celle del'occupation effective du lieu et celle de sa valeuren argent.C’est tout le paradoxe des dossiers les plusconflictuels, puisque si le litige y estextrêmement complexe et technique, et donneparfois du fil à retordre aux spécialistes eux-mêmes, le conflit, quant à lui, peut se résumeren une phrase compréhensible par le commundes mortels.Or cela, personne n’en est dupe. Car tous, époux,avocats, juges, savent que derrière les lignes decalculs produites à l’appui de telle prétentionfinancière, derrière les solutions patrimonialesaux montages atypiques, se trouvent desdemandes extrêmement simples. C’est dire sil’écart est parfois immense entre le souhaitpremier qu’un époux adresse à son avocatfrançais ou au juge hongrois qui lui expose lesrègles applicables (« je ne veux pas partir », « jevoudrais toucher ma part ») et la traductionjuridique que prendra cette demande. Surtout,on remarque qu’il y a dans le domainepatrimonial une corrélation entre technicité etforce du conflit : plus l’affrontement est dur, plusles pages de calcul s’allongent.Symétriquement, quand un accord est trouvé,tout redevient plus simple, comme si résoudrele conflit allait de pair avec un retour à descatégories plus simples et plus ordinaires.Surtout, l’accord est le moment de la fin de lalogique comptable en vertu de laquelle chaquecentime est pris en considération, consigné surle registre des crédits et des débits conjugaux.Au contraire, la solution amiable fonctionnedans l’autre sens : l’accord est trouvé, et pour lejustifier, on ajuste les comptes du passé, quitteà tricher, afin que le résultat du calcul des droitsaboutisse exactement à la solution envisagée.

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En d’autres termes, l’accord est toujours marquédu coin de la simplicité et du pragmatisme,tandis que la pure solution mathématiquen’existe pas, ne serait-ce parce qu’il y a toujourstrop d’éléments dont la preuve est difficile àrapporter et trop de règles de calcul possible.Que la solution ne soit jamais comptable, celaveut aussi dire que le conflit n’était pascomptable ; le décompte « jusqu’à la dernièrepetite cuillère » en était le symptôme, pas l’objet.

Bien divorcer, mal divorcer

Soit une histoire fictive inventée par un avocatet publiée sur son blog professionnel afind’illustrer une réflexion sur la législation(3). C’estune histoire de divorce, une histoire de conflit,une histoire d’argent et de biens.On y trouve des expressions comme « Madameà l’appétit aiguisé », « récupérer à l’oeil unimmeuble commun », ou encore « recouvrerson pactole ». Mais on y apprend également quele mari « se débat comme un beau diable », « n'apas le premier sou » et risque d’en sortir « nucomme un ver ». C’est une histoire, on l’auracompris, de femme cupide qui entend àl’occasion du divorce capter à son profit tous lesbiens du mariage et laisser son pauvre mari surla paille. En d’autres termes, il y a ici, dans cettefable qui au terme de l’étude des dossiersjudiciaires semble si familière à nos oreilles, unméchant et un gentil, un coupable et unevictime. Pourtant, à l’évocation des notions deculpabilité et d’innocence dans le contexte d’undivorce, c’est plutôt au passé conjugal qu’onsonge en premier lieu : on imagine des conjointstrompés, battus, abandonnés ; surtout, on penseà la procédure pour faute.Naturellement, on peut supposer qu’un avocata de multiples raisons, liées à sa cultureprofessionnelle, de condamner les époux enconflit sur des questions financières etpatrimoniales. Ainsi, tous les avocats que nousavons rencontrés sont profondément imprégnésde la norme du divorce pacifié, et il n’est pas undossier où il n’y ait pas de leur part une volontéde négocier et une porte toujours laissée ouvertepour un règlement amiable(4). Comme nousl’avons souligné, la guerre n’est jamais totale etabsolue, et le conflit n’est jamais que l’échec d’unenégociation.Or ce sur quoi nous voulons ici attirer l’attention,c’est qu’il y a assurément une reconfiguration,

du côté des normes officielles, c’est-à-dire cellesdéfendues par le législateur et les professionnelsde la justice, de la question morale dans lesruptures conjugales : si certains défendent encorele divorce pour faute au nom de la nécessité defaire reconnaître la culpabilité d’un conjoint oude l’importance de sanctionner la violation desdevoirs et obligations du mariage(5), lacondamnation du mauvais divorce, celui où l’onest en conflit, semble s’être imposée. Ainsi, dansun contexte où d’une manière très générale, laproblématique sociale du divorce est moinscelles de ses causes (doit-on autoriser ladissolution du lien matrimonial et si oui, dansquelles conditions) que celle de sesconséquences (l’équilibre psychologique desenfants, l’appauvrissement des conjoints)(6),vouloir mettre fin à l’union devient légitime ensoi, tandis que c’est la manière de se séparer quifait l’objet de toutes les attentions. Dès lors, lafaute morale, l’atteinte aux bonnes moeursconjugales réside aussi et peut-être mêmesurtout dans le fait d’être un mauvais divorçant,plutôt que dans celui d’avoir été un mauvaisconjoint.D’ailleurs, les parties en procès adhèrent elles-mêmes à cette norme, ou du moins y adhèrentsuffisamment pour la mobiliser quand il s’agitde disqualifier les positions du conjoint (il estbelliqueux) et de valoriser les leurs (on arecherché un accord). Cependant, comme onl’a vu, ce type de référence surgit précisémentquand les rapports se tendent, et sonnent enréalité le glas d’une phase consensuelle.Autrement dit, il s’agit aussi de justifier le passageau conflit et surtout de dire que les propositionsdu conjoint étaient inacceptables.Or, si le fait que les conjoints sont désormaisfortement enjoints à coopérer est une donnéeplutôt bien connue, ce que nous apprend notreétude de la pratique judiciaire, c’est que lecaractère acceptable ou non des propositionsde l’autre époux, et partant de là, le conflit quisurgit, ne peuvent se comprendre qu’au regardde la vie commune passée et des conditions dela rupture amoureuse, c’est-à-dire précisémentdans une perspective qui engage aussi les fautesdu passé.Par exemple, quand on observe les reprochesque les conjoints s’adressent au sujet de lapériode postérieure à la rupture de lacommunauté de vie, il est frappant de constaterque le retour des maris au sein du domicile

conjugal devenu la résidence principale del’épouse est perçu comme particulièrementmalvenu quand c’est ce dernier qui est, selonelles, à l’initiative de la séparation. Surtout, onnote que dans un certain nombre de cas, laquestion de la responsabilité dans l’échecconjugal est absolument indissociable durèglement financier et patrimonial demandé.Notamment, dans ce que nous avons appelé le« modèle de la compensation », les femmes quise considèrent comme ayant été abandonnéessollicitent un maintien de leurs conditions devie en l’état, soit la conservation de la maisonmais aussi l’accès à des ressources financièrescomparables à celles du temps du mariage,tandis que les maris qui estiment avoir étégravement offensés entendent gommer lepassage de l’épouse dans leur existence et de cefait garder la maison, la résidence des enfantset surtout verser le minimum à leur femme, quece soit à titre de soulte ou de prestationcompensatoire. Insistons sur le fait qu’il seraiterroné d’y voir un vulgaire échange marchand,le prix auquel on vend à l’autre sa liberté reprise :il s’agit plutôt à la fois de la réparation d’unpréjudice subi et le souhait qu’il n’aille pas depair avec un bouleversement brutal desconditions de vie que pourrait impliquer ledivorce (baisse de revenus, logement plus petit,déménagement dans un autre quartier) et quiconstituerait en lui même, parce qu’il est imposéunilatéralement et perçu comme profondémentinjuste, un autre préjudice.Car la perspective dans laquelle s’inscrivent cessolutions, qui sont parfois également proposéesspontanément par le conjoint qui se perçoit lui-même comme le responsable de la rupture, c’estla volonté de limiter la séparation à un uniqueaspect, la perte du couple amoureux.Cela au point que dans le cadre de certainessolutions amiables, les conjoints restent, sur leplan économique, quasi aussi liés entre euxaprès le divorce que pendant le mariage, ce quiva aussi de pair avec une certaine ingérence dela part des hommes dans l’organisation desconditions de vie des femmes. En contraste, s’ilest des femmes qui dans nos affaires n’entendentsurtout pas garder un quelconque lienéconomique avec leur ex-mari, ce sontprécisément celles qui raisonnent en vertu du« modèle de la reconnaissance ». Ici, parce quela rupture est assimilée à un nouveau départ, ils’agit avant tout de recevoir son dû, et rien queson dû – surtout pas un don de la part du mari– et non pas de continuer sa vie comme si ledivorce n’avait rien changé, mais au contrairede refaire sa vie dans un nouveau logement,parfois une nouvelle région ou encore avec unnouveau partenaire amoureux.Mais là encore, c’est bien le passé conjugal quidonne tout son sens aux demandes, puisque cequi est ici visé à travers la solution patrimonialedemandée est une reconnaissance de lacontribution féminine, y compris nonfinancière, à la vie commune et à l’édificationd’un patrimoine commun.

Apports et limites

« Ce que l’on a voulu voir dans la famille, c’estavant tout un phénomène de moeurs,de droit seulement par accident, de sorte que lasociologie de la famille, telle qu’elle estcouramment pratiquée, n’est pas une sociologie

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du droit de la famille. »(7) Le constat opéré parJean Carbonnier en 1978 est sans doute un peumoins vrai aujourd'hui puisqu’en sociologie dela famille comme en anthropologie de laparenté, il existe depuis une vingtaine d'annéesun courant innovant qui étudie la famille sansla séparer du droit qui fait partie de sa définitioncomme groupe social fondamentalement «institué », retrouvant ainsi certaines des leçonsles plus importantes des pères fondateurs de lasociologie (Durkheim, Mauss, Weber, Elias).Cependant, force est de constater que cecourant reste encore minoritaire dans le mondeacadémique contemporain, marqué par lacoupure institutionnelle entre universités desciences sociales et universités de droit, coupurequi s'est nettement accentuée après la deuxièmeguerre mondiale dans le monde francophone.Dans ce contexte, nous espérons avoir pucontribuer à convaincre, à notre tour, du grandintérêt qu’il y a à se saisir du droit en sociologue.Ainsi, suivre le fil rouge de la législation estencore le meilleur moyen d’éviter tout risquede réduire les phénomènes étudiés à de simples« relations intersubjectives » : il suffit de feuilleterquelques articles de loi sur les régimesmatrimoniaux pour commencer à douter de ladéfinition du couple comme pur lien amoureux,telle qu'on peut la trouver dans les manuels desociologie actuels. De plus, la pratique judiciaireconstitue un formidable matériau, très peuexploité, alors qu’il présente le double avantaged’être relativement facile d’accès du point de vuedu recueil des données et d’être constitué dediscours qui ne sont pas spécifiquementproduits à l’attention du chercheur.Le travail empirique qui a été présenté dans

cette thèse présente des limites, qui tiennentaux choix méthodologiques que nous avonsfaits à l'issue de l'enquête de sociologie du droitet de la jurisprudence que nous avons menée,et auxquels nous nous sommes tenue par soucide rigueur. Ainsi, nous avons assumé notrechoix initial de nous limiter au point de vue desparties, car celui-ci exigeait une analyse trèsapprofondie, capable de démêler la complexitédes conflits tels qu'ils se déploient dans lesdossiers analysés.Cependant au terme de cette étude, il nousapparaît que mettre en regard les grandsarguments déployés par les époux et lestendances fortes des jugements rendus,permettrait de compléter utilement notre,analyse de ce qui se joue dans les procédures.Cela supposerait de compléter le travailqualitatif que nous avons proposé par un autretravail, quantitatif cette fois, portant sur unesérie de dossiers terminés et permettant demettre l'accent non plus principalement sur leraisonnement des parties mais sur la pratiquedes juges, en tâchant de mettre au jour ses,logiques propres.Notre objectif était ici plus modeste. Nousvoulions tenter de convaincre le lecteur del’efficacité méthodologique qu’il y avait à sesaisir d’un objet tel que le domicile conjugal,c’est-à-dire d’un objet à la fois très banal et facileà se représenter et à la fois traversé de multiplesdimensions, pour s’en servir comme révélateurdans le cadre d’une étude sociologique.Car c’était aussi l’ambition de cette thèse demontrer que le caractère pluriel d’unphénomène ne devait pas être rejeté commeun échec à avoir trouvé la vérité, mais au

contraire valorisé en tant qu’il manifeste d'unepart la complexité inhérente à la vie socialeelle-même, et d'autre part les tensionsauxquelles les individus sont soumis lorsquedifférentes manières d’organiser et dehiérarchiser ces différentes dimensions sontpossibles, plaçant alors chacun face auxdilemmes que suscite inévitablement l'exercicede sa responsabilité personnelle.

Notes : 1 - P. Ricoeur, Lectures 1. Autour du politique, Paris, Seuil, 1991, p. 177.2 - FR09, Lettre de la femme à son avocat, 28 janvier 2008.3 - Le billet s’intitule « Prestation compensatoire – capital – paiement »et date du 10 décembre 2009.http://avocats.fr/space/jean-claude.guillard/content/prestation-compensatoire---capital---paiement--_AC19CD09-D4BD-1450-D0C4-B269E0F1404E/web-print4 - Par ailleurs, il n’est pas impossible que certains avocats, connaissantla préférence des magistrats pour les solutions consensuelles –préférence idéologique, mais aussi pratique, puisqu’un divorce d’accordreprésente un gain de temps par rapport à un divorce contentieux –,aient aussi à coeur de ne pas passer à leurs yeux pour des professionnelsqui optent systématiquement pour l’affrontement. Il convient en effetde ne pas oublier que les avocats spécialisés en droit de la famille d’unmême barreau et les juges aux affaires familiales d’un même tribunalde grande instance se voient régulièrement et finissent par se connaître.5 - Les deux positions ne sont pas identiques : dans un cas, il s’agitd’affirmer qu’il est juste d’énoncer les torts conjugaux dans le jugementet que cela participe du processus de rupture ; dans l’autre, il s’agitplutôt de défendre le « mariage-institution », qui en l’absence de divorcepour faute deviendrait un « simple contrat ».Nous nous appuyons ici sur notre travail de DEA, où nous avions examinéles arguments pour et contre la suppression du divorce pour fautefrançais. Cf. V. Nagy, Faute et faillite dans les procédures de divorce.Une analyse de sociologie juridique comparée France / Hongrie, Mémoirepour le DEA de Sciences sociales, EHESS / Shadyc, dir. Irène Théry, sept.2004.6 - A. Lambert, « Des causes aux conséquences du divorce : histoirecritique d'un champ d'analyse et principales orientations de rechercheen France », Population (1), 2009, p. 155-182.7 - J.Carbonier, Sociologie juridique, Paris PUF, 1978, P.43.

* de la thèse soutenue le 28 novembre 2011 2013-125

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Jean Carbonnier, Dominique Fenouillet, Christine Lazerges, Jean-François Weber, Veronika Nagy,Marceau Long, Irène Théry, Claire Bazy-Malaurie et Serge Guinchard