Écrivains francophones

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1 Avant-Propos j’écris dans une nouvelle langue une langue qui n’est pas la mienne une langue que j’aime comme tout ce qui ne m’appartient pas j’en prononce les paroles à haute voix je m’en grise je renonce je persévère ma joie mon amour ma souffrance sont-ils autres ? le poème est-il un enfant adopté ? j’écris dans une nouvelle langue je la murmure je la caresse comme un petit chien lentement elle vient m’habiter elle se glisse dans mon esprit elle commence à y bâtir des forteresses à mon insu ma joie mon amour ma souffrance y sont mes enfants sans nom Letitia Ilea Apprivoiser le silence, éd. Autres Temps Au fur et à mesure de la conception de la présente biobibliographie, l’évidence s’est renforcée : les deux littératures roumaine et française s’irriguent l’une l’autre. Pas à la manière d’un donnant-donnant bilatéral et simpliste. Plutôt à la façon d’un fleuve dont les eaux franco-roumaines enrichiraient de concert la culture européenne. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de présenter les auteurs en respectant les grandes scansions chronologiques de l’ère contemporaine dont ils sont indissociables. Lire leurs oeuvres, c’est passer tout naturellement de la Belle Epoque au large mouvement des Avants gardes, de la Montparnasse des années 20 et 30 aux drames de la guerre et de la Shoah, des déchirements de l’Europe après le partage de Yalta et de la chute du Rideau de Fer aux exils antitotalitaires, du rééquilibrage identitaire de l’après 1989 à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007. On a coutume de rappeler tout ce que la culture roumaine a donné à la littérature française au XX ème siècle. On cite alors assez spontanément Panaït Istrati, Tristan Tzara, Eugène Ionesco, Mircea Eliade, Emile Cioran. Qu’en est-il de notre XXI ème siècle encore balbutiant ? Un bienfait réconfortant et paradoxal de notre Printemps de l’Europe (par contraste avec un autre Printemps, celui des Peuples) est qu’il faut aujourd’hui mener une véritable enquête pour dépister, débusquer les « auteurs roumains » de langue française. Alors, écrivains roumains d’expression française ou écrivains français d’origine roumaine ? La question est presque philosophique. Nous n’en démêlerons pas les fils ici, mais on peut se poser la question si l’on s’intéresse aux ressors de la créativité littéraire et au jeu des mots. Il est éminemment symbolique, ce geste de changer d’idiome au point de faire oeuvre littéraire dans une nouvelle langue –en l’occurrence, la langue française.

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Avant-Propos

j’écris dans une nouvelle langue une langue qui n’est pas la mienne une langue que j’aime comme tout ce qui ne m’appartient pas j’en prononce les paroles à haute voix je m’en grise je renonce je persévère ma joie mon amour ma souffrance sont-ils autres ? le poème est-il un enfant adopté ?

j’écris dans une nouvelle langue je la murmure je la caresse comme un petit chien lentement elle vient m’habiter elle se glisse dans mon esprit elle commence à y bâtir des forteresses à mon insu ma joie mon amour ma souffrance y sont mes enfants sans nom

Letitia Ilea

Apprivoiser le silence , éd. Autres Temps

Au fur et à mesure de la conception de la présente biobibliographie, l’évidence s’est renforcée : les deux littératures roumaine et française s’irriguent l’une l’autre. Pas à la manière d’un donnant-donnant bilatéral et simpliste. Plutôt à la façon d’un fleuve dont les eaux franco-roumaines enrichiraient de concert la culture européenne. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de présenter les auteurs en respectant les grandes scansions chronologiques de l’ère contemporaine dont ils sont indissociables. Lire leurs œuvres, c’est passer tout naturellement de la Belle Epoque au large mouvement des Avants gardes, de la Montparnasse des années 20 et 30 aux drames de la guerre et de la Shoah, des déchirements de l’Europe après le partage de Yalta et de la chute du Rideau de Fer aux exils antitotalitaires, du rééquilibrage identitaire de l’après 1989 à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007. On a coutume de rappeler tout ce que la culture roumaine a donné à la littérature française au XXème siècle. On cite alors assez spontanément Panaït Istrati, Tristan Tzara, Eugène Ionesco, Mircea Eliade, Emile Cioran. Qu’en est-il de notre XXIème siècle encore balbutiant ? Un bienfait réconfortant et paradoxal de notre Printemps de l’Europe (par contraste avec un autre Printemps, celui des Peuples) est qu’il faut aujourd’hui mener une véritable enquête pour dépister, débusquer les « auteurs roumains » de langue française. Alors, écrivains roumains d’expression française ou écrivains français d’origine roumaine ? La question est presque philosophique. Nous n’en démêlerons pas les fils ici, mais on peut se poser la question si l’on s’intéresse aux ressors de la créativité littéraire et au jeu des mots. Il est éminemment symbolique, ce geste de changer d’idiome au point de faire oeuvre littéraire dans une nouvelle langue –en l’occurrence, la langue française.

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Est-ce que cela s’apparente à une conversion ? Conserve-t-on des thèmes roumains, quand on devient « écrivain français » ? Est-ce que c’est un doublement de la créativité ? Les romans des auteurs installés durablement dans la langue française figurent légitimement dans les collections de littérature française de leurs éditeurs. N’est-ce pas leur faire violence que les ramener à ce que leur naissance fit d’eux : des locuteurs de roumain ? Les plus grands écrivains se penchent sur cet aspect de leur vie. C’est pourquoi nous avons choisi de montrer en quelques lignes, dans le parcours de chaque écrivain ici présenté le moment français.

Force est de constater ici que lorsqu’un auteur a la chance inouïe de trouver une seconde langue comme un second souffle, il en use et il en joue avec une sensitivité extrême, donnant une écriture percutante, précise et riche.

Jamais comme au XXème siècle notre langue n’aura été l’objet d’autant de déconstructions, de ré articulations. On a beaucoup joué avec le français, dans le cadre des grands mouvements surréaliste, oulipien – lettriste, …. Ainsi, on ne peut oublier les titres coup de poing de Mateï Visniec –Petit boulot pour vieux clown ou Attention aux vieilles dames rongées par la solitude. On est saisi par les poèmes décoiffants de Linda Maria Baros –Le chemin et son juke-boxe par exemple. On s’éprend de la profonde simplicité et de la simplicité profonde des poèmes de Letitia Ilea – mon livre est tombé amoureux de ton livre. Cas particulier illustrant parfaitement notre propos sur la langue jouée dans la culture française, Gherasim Luca, ce « grand sorcier de la poésie sonore » : il nous a donné, parmi quelques centaines d’autres, « L’amant dit cité » et « De l’alphabet au bétabet »… Faut-il poursuivre la démonstration ? Oui, pour avoir le plaisir de découvrir tout de suite cet extrait de poème de Marius Daniel Popescu, écrivain en cours d’affirmation et dont l’éditeur José Corti vient de publier un extraordinaire premier roman : “ …je suis

le descendant de la pluie ménagère, celle qui évite

les gouttières, délinquante météorologique elle

fait que mes lèvres s'ouvrent chaque fois comme

un œuf qui se casse pour que tu puisses faire une bonne omelette orme barre droite musique tarif

basalte y lardons”.

Cet étonnant créateur puise dans le monde qui l’entoure à chaque fois qu’il accomplit les gestes anodins et répétitifs de son quotidien de conducteur de trolleybus, dans les rues de Lausanne… Il s’appelle Marius Daniel Popescu et un journaliste suisse a la subtilité de se souvenir : “ Il y a bien longtemps, Lausanne a déjà vu déambuler dans ses rues un poète-travailleur venu de Roumanie. Il s'appelait Panaït Istrati. Lui aussi avait été conquis par la langue française et en devint un maître ”.

Février 2008 Laure Hinckel

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En passant devant un café à la mode

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DORA D’ISTRIA (1828 – 1888)

Evoquer sa personnalité et son œuvre en tête de cette bio bibliographie nous tient particulièrement à cœur. Son nom est oublié, et pourtant elle fut une femme exceptionnelle. Née en 1828 à Bucarest dans une très vieille famille, Elena Ghica se marie à un prince russe puis voyage en Europe avant de terminer ses jours à Florence en se consacrant à l’écriture et à l’entretien de son jardin. Mais surtout, elle laisse derrière elle une œuvre foisonnante, éparpillée, composée de récits de voyages et de textes à l’appui de la cause des femmes. Ses reportages paraissent dans la Revue des deux mondes, dans l’Illustration à partir des années 1850, à une époque où la littérature roumaine moderne commence seulement à se former. Avec elle, les lecteurs français et européens de l’époque vont à la rencontre des belles et courageuses « amazones » crétoises qui se révoltent aux côtés de leurs maris. L’auteur les entraine à cheval dans les régions montagneuses des confins de la Grèce ; dans un autre texte, elle leur fait vivre presque en direct son ascension, en première féminine mondiale, d’un des plus hauts sommets des Alpes suisses, les 10 et 11 juin 1855 …. le tout dans une langue française pleine de grâce et d’élégance. Tel est l’intérêt d’Elena Ghica qui choisit comme nom de plume le très féminin Dora D’Istria.

La vie monastique dans l’Eglise orientale, Cherbuliez, 1855

La Suisse allemande et l’ascension du Mönch, Cherbuliez 1856

La Nationalité roumaine d’après les chants populaires, mars 1859, Revue des Deux Mondes.

Les Femmes en Orient, Meyer et Zeller, Zurich, 1860

Excursions en Roumélie et en Morée, l’Illustration, 1861

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ANNA DE NOAILLES (1876 – 1933) Anna-Elisabeth Brancoveanu est une poétesse issue d’une vieille et grande famille roumaine et grecque comptant des poètes et des gens de lettres. Elle grandit entre Paris, Le Bosphore et la Savoie. Comme Marthe Bibesco, dont elle était une cousine, elle maîtrise parfaitement le français dès son enfance. En 1898, ses premiers poèmes (Litanies) paraissent dans La Revue de Paris. Son premier recueil de vers, Le Cœur innombrable reçoit à sa parution en 1901 un accueil enthousiaste et demeure son œuvre la plus connue. PANAÏT ISTRATI (1884 – 1935) « …et le 25 décembre 1913 je descends, enfin, dans ce Paris tant désiré. (…) Paris visité dans quatre mois, je m’ennuie et je le quitte. » Dans son texte intitulé simplement Autobiographie, le grand écrivain évoque également son apprentissage du français. Panaït Istrati est succinct : « Trente-trente-trois ans : je descends à Leysin pour soigner ma poitrine, sérieusement atteinte (après l’avoir été une première fois en 1911). Trois mois de repos complet, lectures assidues des classiques français à l’aide d’un dictionnaire et puis déchaînement de passion amoureuse qui me réduit à la misère. » Toute sa vie d’errance, de souffrance, de passion et d’écriture est contenue dans cette courte phrase. Il y aurait beaucoup à dire sur l’auteur de l’inoubliable Les Chardons du Baragan. Le mieux est de lire ses œuvres enfin réunies par les bons soins des éditions Phébus en 2006 et assorties d’une très jolie préface de l’écrivain Linda Lê. Dans cette introduction à l’œuvre immense de Panaït Istrati, Linda Lê évoque bien entendu le moment français1 du vagabond merveilleux qui, venant de toucher le fond de la misère, fait parvenir une lettre poignante à Romain Rolland et dès lors se voit encouragé « à écrire, écrire dans une langue qu’il ignorait jusqu’à l’âge de trente ans, une langue qu’il avait apprise seul en luttant contre la maladie et les doutes. » Œuvres, Phébus libretto, édition établie et présentée par Linda Lê, trois tomes, 2006

1 Le passage de la langue maternelle à la langue française

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MARTHE BIBESCO (1886 – 1973) Née en Roumanie, à Bucarest, le 28 janvier 1886. Marthe Bibesco a six ans lorsque son père Jean Lahovary est nommé diplomate à Paris et y installe sa famille. L’enfant parle déjà couramment le français avec sa mère qui en est une adepte fervente. Ce n'est que plus tard qu'elle apprendra le roumain. Marthe Bibesco publie en 1923 un ouvrage consacré à la Roumanie, Isvor, le pays des saules. Sa carrière commence réellement avec la parution, en 1924, du Perroquet vert, peinture de milieux russes en exil, salué comme une révélation par de célèbres auteurs. Puis elle écrit en 1928 un premier essai, Au bal avec Marcel Proust. Elle a rencontré ce dernier occasionnellement et publiera en 1949 sa correspondance au duc de Guiche (Le Voyageur voilé). Suit un recueil d'articles parus dans Vogue, Noblesse de robe, où elle dépeint les milieux de la mode. Elle accomplit des voyages et en rapporte des récits, Jour d'Égypte en 1929, et des lettres de Terre sainte, en 1930, Croisade pour l'anémone. Sous le pseudonyme de Lucile Decaux, elle pratique même le feuilleton populaire : Marie Walewska puis Katia, immortalisée au cinéma par Danielle Darrieux… Dans la même ligne, elle produira plusieurs textes ayant pour sujets Élisabeth II, Churchill ou de Gaulle. La princesse Bibesco retourne souvent en Roumanie, où elle finit par s'installer, faisant à Paris, chaque fois qu'elle y revient, des séjours remarqués. La seconde guerre mondiale la surprend dans son pays; elle erre alors, d'Istanbul à Bucarest, avant de se fixer à Paris en 1945. Elle ne possède plus rien (ses biens sont confisqués par les communistes) et il faudra toute sa persévérance et le soutien de personnalités pour que sa fille puisse quitter la Roumanie avec mari et enfants. Marthe Bibesco est élue à l'Académie Royale de langue et de littérature françaises le 8 janvier 1955, en même temps que Jean Cocteau. Elle consacre les dernières années de sa vie au projet d'une vaste fresque en plusieurs volumes, liée à l'histoire de l'Europe. Seuls La Nymphe Europe, en 1960, et Où tombe la foudre, posthume, verront le jour. Ses œuvres demeurent un beau témoignage de l’histoire littéraire française et européenne.

Isvor, le pays des saules, éd. Plon, 1923 et Christian de Bartillat, 1994.

Le Perroquet vert, éd. Grasset, 1924.

Au bal avec Marcel Proust, éd. Gallimard, 1928.

Noblesse de robe, éd. Grasset, 1928.

La Nymphe Europe. Livre I. Mes vies antérieures, éd. Plon, 1960.

La Nymphe Europe. Livre II. Où Tombe la Foudre, éd. Grasset, 1976

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L’ancien café littéraire « Capsa »

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TRISTAN TZARA (1896 – 1963) Tristan Tzara2, pseudonyme de Samuel Rosenstock (16 avril 1896, Moineşti / 24 décembre 1963, Paris). Avant de partir, en automne 1915, à Zürich pour des études universitaires, il avait édité, avec Ion Vinea et Marcel Iancu, les revues Simbolul (Le Symbole) et, avec Ion Vinea, en 1915, Chemarea (L’Appel). En Suisse, il lance en février 1916 (au cabaret Voltaire de Zürich) le mouvement Dada, aux côtés de Marcel Iancu, Richard Huelsenbeck, Hugo Ball, etc. Ses poèmes roumains, écrits entre 1913 et 1915 ont été publiés pour la première fois en volume par Sasa Pana, en 1934 (édition complétée en 1971 avec les textes inédits conservés dans les archives). En 1965, Claude Sernet en réalise une version française aux éditions Seghers ; une seconde paraîtra dans la traduction de Serge Fauchereau et Mircea Tomus, aux éditions de La Quinzaine littéraire (1974). Œuvres complètes, éd. Flammarion, 1975-1982, 5 volumes

Tristan Tzara, une biographie de François Buot, éd. Grasset, 2002

2 Cette notice est extraite de l’excellent ouvrage de Ion Pop publié par Maurice Nadeau, La Réhabilitation du rêve.

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Noms de victimes de la collectivisation - Musée Bu carest

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BENJAMIN FONDANE (1898 – 1944) Le jeune homme âgé de 25 ans a déjà publié 550 articles quand il s’expatrie à Paris en 1923. Le voyage en train dans une Europe enneigée est marqué par l’étrangeté qui demeure un des accents de ce destin hors du commun ; par le sentiment de l’irrémédiable, aussi : « Tout mon passé est là dont je n’ai que faire / son sang troue la neige » écrira-t-il dans le poème Nature morte. Francophile, Benjamin Fondane l’est, bien entendu. Dès 1925, il devient écrivain dans la langue de Voltaire… Dans Exercice français, il s’écrit « Ce soir, je te traverse en étranger, Auteuil ! » Sa langue poétique devient le français. L’auteur de sa belle biographie, Olivier Salazar-Ferrer souligne dès ce premier poème « le bateau de tous les départs qui obsède le poète : Les fanaux ont crié dans le sang des trottoirs/ tant pis ! tant pis ! pour le bateau qui se détache. » Le destin cruel de Benjamin Fondane gazé à Birkenau en 1944 semble ici résumé. Entre les deux points d’attache de sa courte vie, ce poète majeur aura fondé un théâtre d’avant garde, réalisé un film surréaliste, voyagé, énormément écrit. Après cinquante ans d’oubli, on le redécouvre depuis quelques années. Les éditions Verdier ont édité en 2006 Le Mal des fantômes, cinq recueils de poèmes que le prisonnier du camp de Drancy désignait à sa femme comme devant un jour former un tout. D’une grande fluidité, l’écriture de Benjamin Fondane mérite d’être lue et dite. Comme ces quelques vers du Mal des fantômes : Oui… Pourtant, en songe, le front collé aux vitres de la nuit où ce qui est demeure en ce qui change, je les ai vus entrer en leur sommeil, dans le murmure long du miel sauvage, et s’y coucher, farouches, sur le seuil. Je les ai vus aussi, aux heures d’huile, quand la pensée ressemble à un ibis debout, sur une jambe et immobile, jeter (d’un muscle rude et aguerri) leur dur harpon au dos des solitudes.

Ecrits pour le cinéma : Le muet et le parlant, préfaces de Michel Carassou, Olivier Salazar-Ferrer, Ramona Fotiade, éd. Verdier, 2007

Le Mal des fantômes, éd. Verdier poche, 2006

Benjamin Fondane, Olivier Salazar-Ferrer, éd. Oxus, coll. Les Roumains de Paris, 2004

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MIRCEA ELIADE (1907 - 1986) L’itinéraire intellectuel de Mircea Eliade est indissociable des voyages qu’il entreprend dès l’âge de vingt et un ans, quand il part en Inde après avoir obtenu une licence de philosophie. Puis c’est Londres en 1940, Lisbonne de 1941 à la fin de la guerre et Paris, où il arrive en 1945. Déjà écrivain primé dans son pays, il accède à la renommée internationale d’abord grâce à son travail d’historien. Le mythe de l’éternel retour et le Traité de l’histoire des religions, préfacé par G. Dumézil paraissent en 1949 à Paris. L’historien des religions a écrit la plupart de ses essais en français, mais a rédigé son journal, ses poèmes, nouvelles et romans dans sa langue maternelle, le roumain. Il fait partie de l’Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, où il succède à Marthe Bibesco.

Aspects du mythe, éd. Gallimard, Folio essais, 1988

Le Sacré et le profane, éd. Gallimard, Folio essais, 1987

Forgerons et alchimistes, éd. Flammarion, coll. Champs », 1977.

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EUGENE IONESCO (1909 -1994 ) Né d'un père roumain et d'une mère française, Eugène Ionesco passe son enfance en France. Il y écrit à onze ans ses premiers poèmes, un scénario de comédie et un « drame patriotique ». En 1925, le divorce de ses parents le conduit à retourner en Roumanie avec son père. Là se joue sans doute l’avenir créateur de l’auteur de La Cantatrice chauve : le jeune homme français doit apprendre le roumain et suivre les cours du lycée en roumain. Ce ne fut pas facile, comme le montre un reportage de L’Evénement du Jeudi en 1995, révélant pour la première fois les carnets de notes du jeune Eugen Ionescu. Après ses études et une grande activité littéraire dans l’avant-garde roumaine, en 1938, il part en France pour préparer une thèse. Il est interrompu par le déclenchement de la guerre qui l'oblige à regagner la Roumanie. C'est en 1942 qu'il se fixe définitivement en France, obtenant après la guerre sa naturalisation. 1950 est l’année décisive pour Ionesco : il passe définitivement au français. Il avait déjà confié à son ami Tudor Vianu, dans une lettre, en 1948, qu’il n’espérait plus être publié en Roumanie par le nouveau pouvoir communiste et annonçait « j’essayerai de me traduire moi-même en français ». En 1950, sa première œuvre dramatique, La Cantatrice chauve, sous-titrée «anti-pièce » est représentée au théâtre des Noctambules. Le « théâtre de l'absurde » est né. Toute l’œuvre de Eugène Ionesco est disponible chez Gallimard et, bien sûr, dans l’édition de la Pléiade. Quelques titres pour mémoire : La Leçon, 1950, Les Chaises, 1952, Amédée ou comment s'en débarrasser, 1953, L'Impromptu de l'Alma, 1956, Rhinocéros, 1959, Le Roi se meurt, 1962…

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CIORAN (1911 – 1995) C’est au cours de l’été 1947 que Cioran a la révélation de la langue française comme nécessité créatrice, alors qu’il se trouve déjà en France depuis une dizaine d’années et que, pendant tout ce temps, il a continué d’écrire en roumain. Il avait obtenu avant guerre une bourse du gouvernement français pour mener à bien un travail universitaire... pour lequel il ne prendra jamais la plume, préférant lire et voyager. Comme le raconte Simona Modreanu dans son Cioran (éd. Oxus), « …Cioran, se trouvant à Dieppe, s’adonne à un exercice absurde dans les circonstances considérées, à savoir traduire Mallarmé en roumain. (…) L’évidence est là : s’il veut s’en sortir, s’il souhaite écrire et vivre en France, il lui faut absolument abandonner le roumain et s’atteler à l’étude de cette « camisole de force » qu’est le français, tellement opposée à son tempérament et à la poésie sauvage de sa langue maternelle. Il rentre à Paris le lendemain et se met au travail sous le coup de cette impulsion (…). » Cioran décrit ce moment capital dans une lettre à un ami qui, resté en Roumanie, lui demande s’il a l’intention d’écrire de nouveau en roumain. La réponse de Cioran est d’une grande véracité psychologique tout en livrant plusieurs ressorts de sa pensée (la pratique de l’oxymoron et le jeu conscient - inconscient sur la portée symbolique différente de mots roumain et français proches par la syntaxe, éloignés par le sens) : “Ce serait entreprendre le récit d’un cauchemar que de vous raconter par le menu l’histoire de mes relations avec cet idiome d’emprunt, avec tous ces mots pensés et repensés, affinés, subtils jusqu’à l’inexistence, courbés sous les exactions de la nuance, inexpressifs pour avoir tout exprimé, effrayants de précision, chargés de fatigue et de pudeur, discrets jusque dans la vulgarité. Il n’en existe pas un seul dont l’élégance exténuée ne me donne le vertige : plus aucune trace de terre, de sang, d’âme en eux. Une syntaxe d’une raideur, d’une dignité cadavérique les enserre et leur assigne une place d’où Dieu même ne pourrait les déloger. Quelle consommation de café, de cigarettes et de dictionnaires pour écrire une phrase tant soit peu correcte dans cette langue inabordable, trop noble et trop distinguée à mon gré ! Je ne m’en aperçus malheureusement qu’après coup, et lorsqu’il était trop tard pour m’en détourner ; sans quoi jamais je n’eusse abandonné la nôtre, dont il m’arrive de regretter l’odeur de fraîcheur et de pourriture, le mélange de soleil et de bouse, la laideur nostalgique, le superbe débraillement. Y revenir, je ne puis; celle qu’il me fallut adopter me retient et me subjugue par les peines mêmes qu’elle m’aura coûtées.”.

En 1949, son premier livre écrit en français paraît chez Gallimard : c’est le Précis de décomposition. Œuvres, éd. Gallimard, coll. Quarto, 1995

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GHERASIM LUCA (1913 – 1994) Il s’appelait Salman Locker (ou Zolman)3 et ses amis le surnommaient Zola ! Quel départ dans la vie pour celui qui fit du déplacement de sens, du déplacement de césure des mots à l’intérieur des vers, une de ses marques de fabrique –il en va ainsi de la fin du poème A Gorge dénouée : « et le Coupeur de tête (…) éclate de mou rire ». Né en 1913 à Bucarest, Salman Locker – Zola n’a pas fini de muer. Lorsqu’il doit pour la première fois se choisir un nom de plume dans les années 1930, un ami suggère Gherasim Luca, nom qui deviendra officiellement le sien après la seconde guerre mondiale. Il apprit plus tard que l’ami en question avait trouvé ce nom à la rubrique nécrologique : « Gherasim Luca, Archimandrite du Mont Athos et linguiste émérite »… La troisième mue est celle qui le fait naître à la langue française. Après un séjour de deux ans à Paris (jusqu’à l’entrée des Allemands dans la capitale) et un retour en Roumanie, Gherasim Luca rédige son premier livre en français en 1941, Le Vampire passif. Pour fuir le pays et la censure communiste, le poète parvient à rejoindre Israël en 1951, puis une année plus tard, Paris. Une vie de création s’ouvre à lui. Il y met un terme en se jetant dans la Seine, le 10 mars 1994. Les ressorts de sa poésie sont d’une modernité que les slameurs d’aujourd’hui ne renieraient sans doute pas… et son art est ludique, tels ces vers qui remplaceraient utilement, chez les élèves de collège, les trouvailles du Prince de Motordu qui, chez les tout-petits, font aujourd’hui un tabac:

3 Détails rapportés par Petre Raileanu dans son excellent Gherasim Luca paru chez Oxus, coll. Les Roumains de Paris, en 2004.

La paupière philosophale Bien au-delà du peu la peau et l’épée lapent l’eau ailée du petit pire Toupie d’une peur idéale épi à pas de pou appât ou pâle pet de pétale La vie dupe la fille du vite Tapis doux où les fées filent les feux muets d’un rien de doute L’effet est fête faute hâte écho et cause Muer le vil métal en pot-au-feu d’or mental étale

un métapeu de métatout : oeufs de tatou… mythes dormants… haute île en air… Mi-métamoi mi-métamoi le métanous nous étoile Le mot « pied » ose le mot « pierre » s’use tout colle Tout est foutu touffu fétu faux défi défaut fou Peau fine paupière finale fœtale fatale philosophale Le Chant de la carpe, in Héros-Limite, Gallimard

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Héros-Limite suivi de "Le Chant de la carpe" et de "Paralipomènes", préf. d’André Velter, éd. Gallimard, Coll. Poésie, 2001

Comment S’en Sortir Sans Sortir, éd. José Corti, Bientôt disponible

Sept slogans ontophoniques, éd. José Corti, mars 2008

Le vampire passif, éd. José Corti, coll. Domaine français, 2001

Levée d’écrou, éd. José Corti, coll. Rien de commun, 2003

Un Loup à travers une loupe, éd. José Corti, coll. Domaine français, 1998

La voici la voie silanxieuse, éd. José Corti, coll. Rien de commun, 1997

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ISIDORE ISOU (1925 – 2007) Petite (et donc abusivement restrictive) mention pour Isidore Isou qui a bâti son œuvre sur les lettres, à partir de sa « révélation » du lettrisme. En 1942, à l’âge de 17 ans, dans sa Roumanie natale, Isidore Isou lit la phrase de Keyserling "le poète dilate les vocables" et comprend "voyelles"… qui en roumain se disent "vocale". C’est le début d’une aventure intellectuelle encore largement méconnue, quand bien même de grands courants de l’art d’aujourd’hui lui sont largement redevables. De l'Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique (1947) à la monumentale Créatique publiée seulement en 2003, l’artiste a investi tous les domaines du savoir, de l’après-guerre à nos jours. Ben, l’artiste des mots blancs sur fond noir, avait invité Isidore Isou et son compagnon de la première heure, Maurice Lemaître en 2006, à la manifestation « Le tas d’esprit », dans le quartier Latin où Isou vivait. Il s’agissait d’une de ses dernières apparitions en public. Il s’est éteint à 82 ans, le 28 juillet 2007. Retrouvez cet artiste fécond sur le site officiel du Lettrisme, www.lelettrisme.com

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LIA SAVU (1932 – 1995) Lia Savu est née à Bucarest. Elle suit les cours du Lycée français de la capitale et poursuit des études à la Faculté de Chimie. Elle commence une carrière de chercheur en biochimie dans la Roumanie communiste et finit par émigrer en France en 1963, où elle continue son ascension dans son domaine de recherche, au sein du CNRS. La langue française l’accompagne toute sa vie, dans la recherche, dans la création, dans la maladie. Elle meurt en 1995 en laissant dix cahiers de poèmes et un journal inédits. Colette Seghers, alors rédactrice en chef de la revue Poésie, publie ses poèmes qui lui parviennent « comme au temps de Stendhal », écrit-elle dans la préface d’un recueil –le seul à ce jour- publié à Bucarest par les éditions Humanitas. La Roumaine qui écrivait en français est traduite dans son pays de naissance par un esthète, Stefan Augustin Doinas, poète lui aussi aujourd’hui disparu. La parole à Colette Seghers : « Il y a dans cette voix qui feint parfois de pianoter avec désinvolture sur les notes du langage, une femme profonde, douloureuse, allusive (…). Sa poésie est son parfum. Elle s’en environne à la fois pour se dire et se taire, et son grand talent est que nous l’entendons au niveau qu’elle mérite et qui ne trompe pas. ». Novembre 1989 Mon cœur d’exil En mon cœur d’exil mon pays est une absence désormais impénétrable (une porte ouverte désormais inenfonçable) Tous les pèlerinages du monde Tous les agenouillements : Rien n’y fera Pas même s’ils conduisent jusque dans les églises qui sont nées qui sont mortes (qui renaîtront) là-bas

Août 1990 Arche Le déluge était avant nous chacun en sommes une goutte, qui repleut doucement, à l’envers. Chacune une source, à contre-pente, une vie par des larmes versée, une eau sauvée des eaux – si peu.

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ION POP Ion Pop est né en 1941 à Miresu-Mare, au nord de la Transylvanie roumaine. Il est l’auteur d’une oeuvre poétique considérable, couronnée de plusieurs prix littéraires roumains et partiellement traduite en français. Son nom et sa réputation sont indissociables de la critique littéraire, dans laquelle il excelle, et du nom de la revue littéraire roumaine Echinox dont il a tenu les rênes dans les années 1970 et 1980. Il vit aujourd’hui à Cluj-Napoca. La Réhabilitation du rêve propose pour la première fois en France une anthologie de l’Avant-garde littéraire roumaine. Ion Pop démarre cet ouvrage indispensable par une étude littéraire et historique d’une centaine de pages, bineinteles, écrite en français. Il fait suivre son étude par des textes exhumés des revues roumaines des années 1920 et 1930 et dont les traducteurs s’appellent Eugène Ionesco, Ilarie Voronca ou Claude Sernet. La troisième partie est à proprement parler une anthologie des œuvres écrites des quelque seize (et oui !) représentants de cette bouillonnante période créatrice. Le tout est enrichi de documents (gravures, dessins, fac-similés).

La Réhabilitation du rêve, Une anthologie de l’avant-garde roumaine par Ion pop, éd. Maurice Nadeau et EST- Samuel Tastet Editeur, avec le concours de l’Institut Culturel Roumain, 2006.

La Découverte de l’œil, édition bilingue, traduction par Stefana et Ioan Pop-Curseu, Maisons Ecrivains Etrangers Traducteurs (Meet) Saint-Nazaire, 2005.

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THOMAS PAVEL Thomas Pavel mène sa carrière d’universitaire, d’essayiste et d’écrivain à cheval sur les langues française et anglaise. Né en 1941 à Bucarest, il s’exile en France dans les années 1960, où il intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales avant d’enseigner à Ottawa. Il est tour à tour invité par les plus prestigieuses universités américaines et européennes dans les années 1980 à 2000. Il prononce en 2006 une leçon inaugurale au Collège de France qui le charge de sa Chaire Internationale. Comment écouter la littérature est publiée chez Fayard dans sa collection "Leçons Inaugurales Du Collège "en 2006. Thomas Pavel est aujourd’hui citoyen américain et enseigne la littérature à l’université de Chicago. Son roman La sixième branche (Fayard, 2003) entraîne le lecteur sur les pas d’un jeune homme d’origine juive employé comme bibliographe dans les riches archives que la police politique vient juste de confisquer aux monastères démantelés par le pouvoir communiste. Il se retrouve en France presque par hasard, puis au Canada, où il s’installe. Ce jour marque un tournant essentiel dans sa vie : jusqu’alors menée par le hasard et le déterminisme, elle devient un trésor qu’il tient entre ses mains. En est-il vraiment le seul maître ? Une intrigue se noue. Plusieurs destins s’entremêlent. « S’habituer à vivre dans un nouveau pays, cela ressemble à un long réveil »… constate le narrateur. Ses nouvelles certitudes ne tardent pas à être ébranlées. Le passé le rattrape. «Et pourtant je me croyais bien planté sur le roc de la Sagacité, au beau milieu de l’Archipel des Rêves réalisables. »

La sixième branche, éd. Fayard, 2003

La Pensée du roman, éd. Gallimard, 2003

L’Art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, éd. Gallimard, 1996

Univers de la fiction, éd. du Seuil, coll. "Poétique", 1988

Le Mirage linguistique, éd. de Minuit, 1988

De Barthes à Balzac. Fictions d’un critique et critiques d’une fiction, avec Claude Bremond, éd. Albin Michel, 1998

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DUMITRU TSEPENEAG Un cas à part. Un de ces écrivains dont le talent permet d’innover aussi bien dans leur langue maternelle que dans la langue d’adoption, le français. Son extraordinaire roman Le Mot sablier en est la preuve formelle. Il est en Roumanie dans les années 60 et 70, avec le poète Leonid Dimov, le chef de file de l’onirisme, le seul courant littéraire à s’opposer au réalisme socialiste officiel. En 1975, pendant un séjour à Paris, il est déchu de sa nationalité par Ceauşescu et contraint à l’exil. Il est naturalisé français en 1984. Pendant les années 80, il se met à écrire directement en français. La chute du mur de Berlin le ramène à la langue maternelle, sans pour autant qu'il renonce au français. Il fonde et dirige à Paris les Cahiers de l’Est (trimestriel littéraire) de 1975 à 1980, puis les Nouveaux Cahiers de l’Est, de 1991 à 1992 et Seine et Danube de 2003 à 2005 et fait partie du comité de rédaction de la revue Po&sie. Dumitru Tsepeneag tient d’épatantes chroniques dans La Revue littéraire, justement intitulées «frappes chirurgicales». Dumitru Tsepeneag est également un grand traducteur. Dès les années 60, il traduit en roumain Albert Béguin, Michel Deguy, André Malraux, Gérard de Nerval, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, etc. Et plus récemment Maurice Blanchot, Alexandre Kojève et Jacques Derrida. Chez P.O.L

La Belle Roumaine, 2006

Attente, 2003

Au pays du Maramures, 2001

Pont des Arts, 1998

Hôtel Europa, 1996

Pigeon vole, 1989, sous le pseudonyme Ed Pastenague

Roman de gare, 1985

Le Mot sablier, 1984

Chez d'autres éditeurs

Quinze poètes roumains (recueil), éd. Belin, 1990

La Défense Alekhine, éd. Garnier, 1983

Les Noces nécessaires, éd. Flammarion, 1977

Arpièges, éd. Flammarion, 1973

Exercices d’attente, éd. Flammarion, 1972

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MATEI CAZACU Dire de lui qu’il est « archiviste, paléographe, docteur en histoire et civilisation du monde byzantin et post-byzantin » suffit fort peu à définir l’esprit insatiable de Matei Cazacu. Doté d’une curiosité et d’un souci du détail érudit hors du commun, ce diplômé de l'Ecole pratique des hautes études, chargé de cours à Paris IV et chercheur au CNRS, communique la jubilation de la recherche historique à des générations d’étudiants –ceux de l’Inalco entre autres. Il est l’auteur d'une centaine d'articles scientifiques et d'une dizaine d'ouvrages dont, chez Tallandier, la fameuse première biographie de Dracula…Ce livre, qui se lit avec facilité, est le fruit de quarante années de recherches. Matei Cazacu raconte, avec l’humour discret qui le caractérise, les étapes de cette passion historique initiée en Roumanie par l’étudiant en maîtrise en 1969 et que le lecteur français a la chance de voir éclore, en 2004, avec la publication de cet ouvrage.

Gilles de Rais, éd. Tallandier, 2005

Dracula, suivi de "Capitaine vampire", éd. Tallandier, 2004

Des femmes sur les routes d'Orient, éd. Georg, Coll. L'Orient Proche, 1999

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MATEI VISNIEC Dramaturge, poète et journaliste, né en 1956 en Roumanie, Matei Visniec arrive à Paris en 1987, sur invitation d’une fondation culturelle et il demande l’asile politique en France. Depuis, il écrit essentiellement en français. En 1993, il obtient la nationalité française et commence à travailler en tant que journaliste à RFI. Après la chute du régime totalitaire en Roumanie, en 1989, Matei Visniec devient l’auteur le plus joué dans le pays. En France, une trentaine de créations ont d’ores et déjà vu le jour. « Je suis l'homme qui vit entre deux cultures, deux sensibilités, je suis l'homme qui a ses racines en Roumanie et ses ailes en France. »

Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux, éd. Lansman – Nocturnes théâtres – 2007

Du pain plein les poches et autres pièces courtes, éd. Actes Sud – Papiers, 2004

L’Histoire du communisme racontée aux malades mentaux, éd. Lansman, 2000

Petit boulot pour vieux clown, Suivi de : L'Histoire des ours, éd. Actes Sud – Papiers, 1998

Paparazzi suivi de La Femme comme champ de bataille, éd. Actes Sud – Papiers, 1997

Le Théâtre décomposé ou l’homme poubelle, éd. L’Harmattan, 1996

L'Histoire des ours Panda racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort, éd. Cosmogone, 1996

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MARIA MAÏLAT Personnalité chaleureuse (ses amis le disent) et secrète (on le lit), Maria Maïlat se livre un peu dans le parcours de son héroïne Mina, dans son premier roman écrit en français, La Cuisse de Kafka. Mina est gymnaste, le lavage de cerveau est éprouvant dans ce pays communiste. Dans ce milieu de la performance sportive, on la traite avec mépris de « poétesse ». Mina écrit : « Adolescente, j’aurais aimé ressusciter Blaise Cendras en récitant ses poèmes, j’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Je songeais à la France, mais sans l’approcher, je l’observais de loin, depuis Saturne. Je ne me voyais pas débarquer à Paris en touriste, puisque Dante n’avait pas arpenté le Purgatoire en suivant le plan d’une agence de voyage. L’exil n’était pas comparable à un week-end d’évasion à Venise ou à Prague. » Et Mina de s’exiler, d’apprendre le français, à trente-trois ans, de subir la douleur et l’humiliation de ceux qui vous accueillent sans vous accueillir. Née en Transylvanie dans une famille pluriculturelle, anthropologue, poète et romancière francophone, Maria Maïlat vit à Paris depuis 1986. Cailles en Sarcophage, éd. Editinter, 2004

Silences de Bourgogne, éd. de l'Armançon, 2004

La Cuisse de Kafka, éd. Fayard, 2003

Avant de mourir en paix, éd. Fayard, 2001

Quitte-moi, éd. Fayard, 2001

La Grâce de l'ennemi, éd. Fayard, 1999

Sainte Perpétuité, éd. Julliard, Hors Collection, 1998

S’il est défendu de pleurer, éd. Robert Laffont, Coll. Pavillons, 1992

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MARIUS DANIEL POPESCU Marius Daniel Popescu est né à Craiova en 1963 et s’est établi à Lausanne en 1990. Au volant de son trolleybus de la compagnie des Transports publics, Marius Daniel Popescu observe le monde, l’absorbe par tous ses pores. L’homme est poète. Quatre recueils publiés en Roumanie, puis le français s’impose. Son premier recueil de poèmes écrits en français, intitulé 4 x 4, poèmes tout-terrains est publié par les éditions Antipodes, à Lausanne. Puis ce sont les Arrêts déplacés, en 2004 chez le même éditeur, recueil qui obtient le Prix Rilke 2006. Marius Daniel Popescu lance en 2004 un journal littéraire dont il est le seul et unique contributeur : Le Persil. En 2007, les éditions José Corti publient un roman à la facture extraordinaire, en cette période de maigreur épique : à la fois grand récit et accumulation poétique d’observations au périscope –l’exacte quotidienneté de la beauté. Pour lui, « La langue française est devenue (…) une sorte de sœur jumelle avec laquelle je partage les impressions sur tout ce que je vis, sur tout ce qu'elle et moi rencontrons dans la vie de chaque jour. » Un journaliste a écrit quelque part que s’il n’écrivait pas, ce romancier-là verrait son crâne exploser sous la pression des images, des associations et des idées. Cependant, quelle maîtrise du flux créateur ! Que ce soit pour évoquer ce nid d’hirondelles posé sur un fil électrique dans la véranda chez sa grand-mère ou dans la réflexion partant d’un regard un seul posé sur « cinq sacs en plastique sur une des étagères », Marius Daniel Popescu ensorcelle. Allez, un court passage : « Quand un inconnu te demande ce que tu fais dans la vie, tu lui réponds « je suis dans la publicité ! » Tu ne dis pas aux inconnus que tu travailles comme colleur d’affiches, tu leur dis que tu analyses les publicités sur les sacs en plastique et en papier. S’ils te demandent : « Et les sacs en tissu, ils vous intéressent ? », tu réponds oui et ils prennent l’air de quelqu’un qui réfléchit puis, après deux ou trois secondes, ils disent « ça doit être intéressant ! »

La Symphonie du loup, éd. José Corti, 2007

Arrêts déplacés, éd. Antipode, 2004

4x4 : poèmes tout-terrains, (épuisé) éd. Antipodes, 1995

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FLORIN TURCANU Florin Turcanu est né en 1967 en Roumanie. Il est historien. Ancien étudiant de l'EHESS de Paris, il est actuellement maître de conférences à la Faculté de sciences politiques de l'université de Bucarest et chercheur à l'Institut roumain d'études sud-est-européennes. Son ouvrage sur Mircea Eliade, écrit en français et préfacé par Jacques Julliard éclaire de manière magistrale une des personnalités les plus complexes de l’histoire des lettres roumaines et françaises. Il est la preuve éclatante de la vitalité des liens qu’entretiennent les intellectuels, de la Dambovita à la Seine. Mircea Eliade, Le Prisonnier de l'histoire, éd. La Découverte coll. L'espace de l'histoire, 2003

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LETITIA ILEA Letitia Ilea, poète et traductrice, est née en 1967 à Cluj-Napoca, en Roumanie. Elle poursuit des études de Lettres à la faculté de Cluj- Napoca, où elle enseigne aujourd’hui le français. Elle fait ses débuts en poésie dès 1984 et ne cesse depuis de publier des poèmes, des chroniques littéraires, des interviews et des traductions dans la majorité des revues littéraires de Roumanie. Letitia Ilea appartient à la belle famille des poètes qui se traduisent eux-mêmes. Ses poèmes ont été publiés sous forme de recueils en Roumanie (eufemisme, Ideea, 1997; chiar viaŃa, Paralela 45, 1999; o persoană serioasă, Limes, 2004) puis en France (Est-cris,Transignum, 2005; Terrasses, Éditions du Centre International de Poésie de Marseille, 2005; Apprivoiser le silence, Autres Temps, 2005), ainsi que dans diverses anthologies et revues roumaines et françaises (Europe, nr. 894, octobre 2003, La revue des archers, nr. 8, 2005, etc.). Letitia Ilea a été une des douze invités des Belles Étrangères consacrées en 2005 à la Roumanie. Plusieurs de ses poèmes ont été publiés à cette occasion dans le recueil Douze écrivains roumains. Les lecteurs ont la possibilité de l’écouter et de la voir, filmée chez elle en 2005 : le DVD du film de Dominique Rabourdin figure à la fin du recueil. Elle a reçu sept prix littéraires en Roumanie pour sa poésie et ses travaux de traduction. Le prix Jean Malrieu lui a été décerné en avril 2007 pour son recueil Apprivoiser le silence. « J'écris des vers comme des timbres qui ne collent pas sur des lettres sans destinataire » écrit-elle. Pour son préfacier, « il y a dans cette phrase tout le désarroi du poète sur son utilité immédiate, mais aussi sa dramatique assurance de savoir demain des collectionneurs qu'il saura intéresser ». Voici un auteur qu’il faut lire et faire écouter.

Apprivoiser le silence, éd. Autre temps, coll. Temps poétique, 2005

Est-cris, éd. Transignum, 2005

Terrasses, éd. CIPM - Spectres familiers, 2005

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DUMITRU DODO NITA Il n’est l’auteur d’aucun ouvrage en français, mais sa contribution à la francophonie est évidente. Dumitru Dodo Nita est né en 1964 à Bucarest. Il est aujourd’hui l’interlocuteur incontournable de qui cherche à connaître la BD roumaine. Le 9ème art ne bénéficie pas en Roumanie du prestige qu’il connaît ailleurs, mais il a, grâce à M. Nita, son salon annuel et son association des bédéphiles. A force d’écumer les bouquinistes, ce passionné, parfait francophone, a rassemblé 80 albums sur les cent albums jamais édités en Roumanie (oui, 100 : 50 albums publiés avant 1989, dans les années 1930 notamment, 50 albums depuis) et s’est constitué l’unique bibliothèque de BD de son pays. Il a traduit en roumain les œuvres de Morris, André Juillard et Louis Cance. Pour son travail en faveur de la francophonie à travers la bande dessinée, Dodo Nita a reçu en 2001 le titre de Chevalier de l`Ordre des Palmes académiques en France et en 2006 celui de Chevalier de l'Ordre de Léopold en Belgique. Il est le rédacteur en français du chapitre concernant la BD roumaine publié dans le BD guide 2005 – Encyclopédie de la bande dessinée internationale. (éd. Omnibus, Paris, 2004).

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LINDA MARIA BAROS Linda Maria Baros est née en 1981 à Bucarest. Fille de poète, elle est poète elle-même, essayiste et traductrice de ses propres textes ainsi que de poèmes roumains. Elle a été récompensée par plusieurs prix littéraires roumains et français, dont le prix de la Vocation en 2004 et le Prix Apollinaire en 2007, pour La Maison en lames de rasoir.

La Maison en lames de rasoir, Cheyne Éditeur, 2006. Recueil publié également en roumain : Casa din lame de ras, Editura Cartea Românească, Bucarest, 2006

Le Livre de signes et d’ombres, Cheyne Éditeur, 2004. Recueil publié également en roumain : DicŃionarul de semne şi trepte, Editura Junimea, Jassy, 2005

LA PORTE À VISAGE D’OISEAU La maison flotte sur la bosse en pierre de l’obscurité, sur ses écailles grisâtres, venimeuses, montées en épi, comme si la nuit voletait dans un cercle de craie et que son bruissement de lave, semblable au déploiement d’une aile, parvenait jusqu’à nous. La maison, aux cheveux bleus d’antan, trempés dans des eaux volatiles, coincés dans la porte, comme dans un ventilateur en teck. Ses griffes d’alpax s’enfoncent dans la pierre ! Son bec, ensanglanté. Tu te verrouilles de l’intérieur. Et tu ris. Le silence sautille à pieds joints sur la poignée. Linda Maria Baros, La Maison en lames de rasoir, Cheyne Éditeur, 2006, page 22. Préface de Patricia Castex Menier.

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Iasi vu de l’appartement de Dan Lungu

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Et puis aussi… Voyage en Roumanie, Alain Kerjean, éd. Glénat et La société de géograph ie, 2007

Ce très bel album est publié par les éditions Glénat en hommage à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne. Tout à fait indispensable pour son texte précis et juste et pour ses photographies classiques et belles. La sensible préface de la cantatrice Angela Gheorghiu n’en est pas un des moindres attraits. L’homme aux yeux gris , de Petru Dumitriu, éd. Seuil, 2005

Petru Dumitriu est né en Roumanie en 1924 et mort à Metz en 2002. Écrivain déjà célèbre dans son pays, il choisit la liberté en 1960 et vit en Allemagne d'abord, puis en France. Il est l'auteur d'une œuvre très importante, écrite en roumain, en français et en allemand : romans, théâtre, essais, traduits dans de nombreux pays. Trois volumes, rassemblant cette œuvre et comprenant plusieurs milliers de pages inédites, ont paru à Bucarest en 2004. Claude Sernet , de Michel Gourdet, éd. Oxus, 2005

La poésie de Sernet est à la fois classique et moderne. Héritier des Parnassiens et des symbolistes, son travail est accessible au public qui aime le vers français dans sa version classique, à la fois simple et pure. Sernet est un vrai moderne, un voyageur, un Européen d'avant-garde, un Gardien mais aussi un passeur, un chanteur dont la poésie a su capter et retenir tous les murmures, toutes les cassures et toutes les chutes du XXe siècle.

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Ils sont français ou pas, Roumains de Paris et de Navarre et leur contribution à la connaissance de la littérature roumaine est plus que capitale…. Catherine Durandin , historienne (Histoire des Roumains, éd. Fayard, 1995, Bucarest –Mémoire et promenades, éd. Jacques Hesse, 2001) ; Matei Calinescu , critique littéraire, longtemps professeur de littérature comparée en Indiana et auteur de nombreux ouvrages de référence ; Sanda Stolojan (1919 – 2005) , auteure d’un très intéressant journal, Au balcon de l’exil roumain, éd. de l’Harmattan ; le grand groupe des journalistes, écrivains et critiques littéraires roumains en activité à Paris (pardon à ceux qui ne sont pas mentionnés ici) au premier rang desquels Monica Lovinescu , figure de la culture roumaine en exil, inoubliable voix des « Thèses et Antithèses à Paris », chroniques littéraires et politiques diffusées sur Radio Europe Libre à partir de 1967 et qui faisaient vibrer ses auditeurs clandestins sur tout le territoire roumain (elle est aussi l’auteur d’un extraordinaire Journal publié en Roumanie après 1989) ; citons aussi Petre Raileanu , écrivain et auteur du Ghérasim Luca, Mircea Iorgulescu , fin critique de la littérature roumaine et Vincentiu Ilutiu , également journaliste que l’on découvre… auteur de la plus récente édition Assimil Le roumain sans peine ; et puis il y a les passionnés Jean-Yves Conrad , auteur de la belle promenade historique et littéraire Roumanie, capitale… Paris, guide du Paris des artistes et écrivains roumains chez Oxus, Basarab Nicolescu , directeur de la collection « Les Roumains de Paris » chez Oxus.

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Seine et Danube était le titre d'une excellente revue littéraire trop tôt interrompue. Dumitru Tsepeneag en était le rédacteur en chef et ce beau titre fut une trouvaille du poète Michel Deguy."

Espace Senghor – Verson – 2008 Bibliographie imprimée par nos soins.

Crédit photographie couverture : Laurent Jouault

Crédit illustrations au fil des pages :