economie d’internet 5 : internet, numérisation et innovation marc bourreau, majeure management et...
TRANSCRIPT
Economie d’Internet 5 : Internet, numérisation et innovation
Marc Bourreau, Majeure Management et Nouvelles Technologies
http://ses.telecom-paristech.fr/bourreau/ecoint/
Plan Propriété intellectuelle et nouvelles technologies
Les différentes formes de la propriété intellectuelle La PI et les NT, un double mouvement de
renforcement et d’affaiblissement Faut-il toujours protéger ?
Stratégies de protection vs. d’ouverture
I -- Les différentes formes de la propriété intellectuelle
La propriété intellectuelle Protéger la création
Parce qu’elle est coûteuse à produire (investissements importants et risqués),
Mais peu coûteuse à reproduire (imitation, copies…) … la connaissance est un bien rival et non exclusif
Arbitrage pour la société entre l’incitation à innover et la diffusion des connaissances
Inciter à innover (avant que la création n’ait eu lieu) Plaide en général pour un régime de protection fort
Diffusion des connaissances (une fois que la création est faite) Protection forte monopole & diffusion insuffisante de l’innovation La protection limite les possibilités d’innovation cumulative Plaide pour un régime de protection faible
Les différentes formes de protection Le brevet : protège des « procédés » Le secret industriel Le copyright / le droit d’auteur : protège
« l’expression » Le droit des marques et des dessins
Le brevet Le brevet accorde le monopole de l’exploitation
commerciale d’une innovation. C’est un droit de propriété intellectuelle.
Critères de brevatibilité d’une innovation : Nouveauté. Ne pas avoir déjà été mise en œuvre ou
publiée. Utilité. Une application industrielle potentielle est
nécessaire. Non-évidence. L’innovation ne doit pas être « évident
pour l’homme de l’art » Le critère d’application industrielle rappelle que le
brevet ne protège pas une idée, mais sa réalisation
Durée d’un brevet : généralement 20 ans (Europe + US)
Brevet ou secret ? Coûts du brevet :
Monétaires : frais d’avocat, de traduction, de dépôt et de renouvellement (25 000€ le brevet européen, 10 000€ son renouvellement pour 10 ans)
De monitoring et de procédure judiciaire pour le faire respecter. Diffusion du contenu du brevet après 18 mois.
Coûts du secret : Coût de l’organisation pour la confidentialité
Risques du secret : Presque aucun recours si le secret est diffusé
Risques du brevet : Invalidation en cas de contestation devant un tribunal : un
brevet est un droit de propriété probabiliste.
Brevet ou secret ?
Source : Pajak (2012).
Brevet ou secret ?
Source : Pajak (2012).
Le brevet aléatoire Le Prozac : un médicament (anti-dépresseur) vedette de
Eli Lilly Recettes de plus de 2 milliards de $ / an aux Etats-Unis
les meilleurs années (30% des recettes d’Eli Lilly) Protégé par 4 brevets accordés entre 1974 et 1986, avec
une protection jusqu’en 2003 En 1995, Barr Laboratories lancent un générique du
Prozac, encore protégé par des brevets Les Barr Labs plaident qu’un des brevets du Prozac n’est
pas valide En 2000, la Cour d’Appel déclare le brevet de Lilly en
effet invalide Confirmé en 2001 par la Cour Suprême
Usages stratégiques du brevet Dans le secteur TIC, la plupart des brevets ont peu
de valeur en soi
<30K 30-100K 100-300K 300K-1M 1-3M 3-10M 30-100M 100-300M
>300M0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
1800
Source : Ménière (2014)
Usages stratégiques du brevet Lemley et Shapiro (2005) :
Plus de la moitié des brevets en vigueur aux Etats-Unis ne sont pas renouvelés
La distribution de la valeur des brevets est très asymétrique avec une forte concentration au premier 1%
Une stratégie de détention de brevets au delà de la simple protection de l’innovation : Rôle des brevets pour obtenir des financements,
augmenter sa valorisation de marché Aspect défensif pour décourager des procédures
judiciaires Conséquence : les patent thickets ou maquis de
brevets
Les maquis de brevet Shapiro (2001) : « A dense web of overlapping
patents that a company must hack its way through in order to actually commercialize new technology ».
D’après la Federal Trade Commission aux Etats-Unis (2003) : Environ 90 000 brevets pour les micro-processeurs,
détenus par environ 10 000 firmes différentes Environ 420 000 brevets pour les semi conducteurs,
détenus par environ 40 000 firmes différentes
L’innovation cumulative
« If I have seen further it is by standing on the shoulders of giants. » -- Isaac Newton, lettre à Robert Hooke, 15 février 1676.
L’innovation cumulative
Innovations séquentielles Innovations complémentaires
Problème du hold up Tragédie des anticommuns
Le problème du hold up Research In Motion (RIM), inventeur du Blackberry, 10 B$ de
chiffre d’affaires en 2009, dont 14% en R&D (2000) NTP, Inc. a pour principal actif un portefeuille de 50 brevets En 2000, NTP propose une licence de ses brevets à plusieurs
sociétés de haute technologie dont RIM, et devant leur refus porte plainte.
Entre 2002 et 2005, RIM conteste devant le US Patent Office la validité des brevets qui lui sont opposés.
RIM est condamné à payer 53 M$ de dommages, les frais de justice, et à faire cesser sans délai l’infraction (càd fermer le système Blackberry).
RIM fait appel. La procédure suit son cours. En mars 2006, un accord est trouvé. RIM paye 612 M$ de
dommages pour mettre fin au contentieux. Plusieurs des brevets concernés ont depuis été annulés.
La tragédie des anticommuns Tragédie des communs : surexploitation d’une
ressource commune – comme un lieu de pêche – du fait de l’absence de droits de propriété
Tragédie des anticommuns : sous-exploitation d’une ressource (innovation) du fait du contrôle de droits de propriété par un grand nombre d’entités (patent thicket) De nombreuses firmes possèdent des brevets
essentiels pour la nouvelle technologie royalty-stacking
Les brevets essentiels Les standards technologiques contiennent des
éléments protégés par des brevets : Ces brevets sont qualifiés de « brevets essentiels » Les utilisateurs du standard doivent obtenir une licence
de ces brevets Politique spécifique vis-à-vis de ces brevets :
Divulgation de l’existence de ces brevets lors du processus de standardisation
Engagements sur les termes des licences : Cas des licences « FRAND » dans les télécoms
Les brevets essentiels
Le copyright – droit d’auteur Protège les œuvres de l'esprit originales dès leur
création, même lorsqu'elles sont encore inachevées S'applique de plein droit sans démarche particulière Une protection par le droit d'auteur ne constitue pas une
garantie de l'inventivité ou de l'utilité de la création, mais seulement de son originalité.
Droits de deux natures dans le droit d’auteur : Droit moral, inaliénable et incessible Droits patrimoniaux
Durée : En France : 70 ans après la mort de l’auteur Harmonisation internationale : au minimum 50 ans après la
mort de l’auteur
Le copyright – droit d’auteur Différences droit d’auteur – copyright
Le copyright s’applique lorsque l’œuvre est fixée sur un support tangible
Le titulaire du droit d’auteur est nécessairement l’auteur, qui conserve le droit moral mais peut céder ses droits patrimoniaux
Mickey et le copyright
Qui protège quoi ?
Source : Serge Pajak (2009).
Source : Pajak (2012).
Les autres formes de protection Mais autres systèmes : système des prix… Exemple du prix Netflix
Dans un contexte d’accélération de la diffusion des innovations…
Source : New York Times, fév. 08
… (1) un renforcement des droits de propriété intellectuelle Les brevets logiciel
Recevables aux Etats-Unis, en débat en Europe depuis plusieurs années
La brevetabilité des idées et des business methods aux US Exemple du brevet de Sightsound.com sur « the sale of audio or
video recordings in download fashion over the internet » Exemple du brevet d’Amazon.com sur « One-Click »
La loi Digital Millennium Copyright Act aux US et son équivalent en France, la loi DADVSI Interdiction de « contourner » des mesures de protection
(même pour obtenir une copie privée) Le renforcement des moyens techniques de protection :
DRM
Le brevet One Click Exemple du brevet d’Amazon.com sur « One-Click »
Plainte d’Amazon contre Barnes&Noble (service « Express Lane » sur B&N)
Apple a acheté une licence de « One Click » Amazon a essayé d’obtenir un brevet sur One Click en
Europe, sans succès
… (2) un affaiblissement des droits de propriété intellectuelle L’open source software et la licence GPL (General
Public License) Le piratage et la notion de fair use :
Est-ce que télécharger, c’est du fair use ? Google Book, Google News, … et la réutilisation de
contenus « protégés »
II -- Faut-il toujours protéger ses innovations ?
Un exemple d’ouverture : le logiciel libreSource : FSF
Un exemple d’ouverture : le logiciel libre Un intérêt provoqué par trois facteurs Une diffusion rapide
Serveurs web Apache Utilisateurs Linux : d’après XiTi, part de marché de 1%
environ sur les postes clients Site Sourceforge.net : 230,000 projets open source en
février 2009 Des investissements
Start ups : Red Hat, VA linux, etc. Grandes entreprises hi-tech : HP, IBM, Sun, etc.
Une structure organisationnelle innovante A influencé le concept « d’open innovation » par
exemple
Un exemple d’ouverture : le logiciel libre Exemple de Linux Linux = Linus + Unix [Linus Torvalds]
Créé en 1991 Objectif de LT : développer le « kernel » (cœur) d’un système
d’exploitation. Se base sur « Minix », un système Unix dans le domaine public Poste Linux sur un serveur d’une université et encourage les
contributions Organisation :
LT a conservé l’autorité du projet [décision ultime sur les modifications]
Développement très fort Pour la distribution des « packages », des entreprises
commerciales (VA Linux, Red Hat, etc.) ou des communautés de développement libre (debian, Ubuntu…).
Modèles d’affaires du logiciel libre ? Vendre des produits ou services complémentaires
(exemple de Red Hat…) Support, portage, etc. IBM WebSphere, basé sur Apache
Intermédiaires : Faire l’intermédiaire entre des entreprises clientes et des
communautés de développement de logiciel libre (exemple de Collab.Net).
Allouer des ressources (programmeurs) pour : Suivre la concurrence (des logiciels open source), Développer une capacité d’absorption pour intégrer des idées
issues du logiciel libre dans des logiciels commerciaux, Repérer des programmeurs talentueux, attirer ces
programmeurs.
Protection vs. ouverture
L’exemple du logiciel libre montre qu’une entreprise n’a pas toujours intérêt à avoir une application « stricte » de sa propriété intellectuelle
Attraction de la demande Offrir une partie du contenu gratuitement pour attirer la
demande : … car l’information est un bien d’attention (ce produit existe) Attirer la demande pour vendre des encarts publicitaires uniquement
Attirer la demande en proposant une offre gratuite et essayer de convertir certains utilisateurs vers une offre payante
Evaluation de la qualité Offrir gratuitement une partie du contenu pour
fournir de l’information sur qualité du reste : L’information est un bien d’expérience Possibilité d’utiliser une ligne de produit / versioning :
Version en ligne facile à lire, mais difficile à imprimer Version payante sur papier
Version payante
Version gratuite
Effets de réseaux Fournir une version gratuite pour diffuser le logiciel et
augmenter ainsi la valeur de la version payante Exemple : Acrobat / Acrobat Reader
Les effets de réseau indirects peuvent jouer également : La disponibilité de logiciels piratés/gratuits, par exemple,
augmente l’intérêt d’acquérir un ordinateur, ce qui tend à augmenter la demande légale de logiciels
(payants).
Verrouiller la demande Une fois que l’utilisateur est verrouillé avec la version
gratuite, s’il veut obtenir les upgrades ou des fonctionnalités supplémentaires, il doit acheter la version payante
Autoriser le partage Différents types de partage :
partage de logiciels : licences de sites partage de vidéos : vidéo stores marché d’occasion bibliothèques, etc.
Arbitrage pour le vendeur en cas de vente d’un bien « partagé » : valeur du bien partagé plus élevée, donc prix potentiellement plus élevé ; mais quantités vendues plus faibles…
Dépend de la possibilité d’appropriation indirecte On parle “d’appropriation indirecte” lorsque le vendeur est
capable de capturer indirectement la valeur créée par le partage (dans le prix de vente du premier exemplaire, par exemplaire)
Un exemple : les librairies ambulantes 18ème siècle : 80,000 lecteurs en
Grande-Bretagne 1741, parution d’un roman d’un nouveau
genre, « Pamela » A suscité un très fort intérêt pour la
lecture, mais les livres étaient beaucoup trop chers…
développement de « librairies ambulantes » qui louent les livres
Réaction des éditeurs ? « L’apparition des librairies ambulantes
mit les éditeurs en émoi. Leur essor ne fit qu’accroître davantage les inquiétudes de voir les ventes de livres se réduire »
1850 : 5 millions de lecteurs en Grande-Bretagne
Ce qu’il faut retenir Un double mouvement : renforcement de la
propriété intellectuelle (par la loi) et affaiblissement de cette propriété intellectuelle avec la numérisation.
Différentes méthodes de protection. Principe général de la protection contre la diffusion de l’innovation ou de la création Brevet : divulgation de l’innovation Droit d’auteur/copyright : exception copie privée
Une application stricte de la propriété intellectuelle n’est pas nécessairement une stratégie optimale. Des stratégies d’ouverture peuvent être préférables.