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ECONOMICUS

Entretien avec Yann Moulier-Boutang : Les leons majeures dune crise systmique Propos recueillis par Adil El Mezouaghi et Driss Ksikes Jusquo iront les fonds souverains ? par Hicham Benjama Quid de la convertibilit du dirham ? par Sonia Benjama Pourquoi lconomie relle souffrira au Maroc par Ismal Hariki Chronique du stratge

LENDEMAINS DE LA CRISE DES SUBPRIMES

Le capitalisme nen mourra pas, mais ...par Alfredo Valladao

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Lendemains de la crise des subprimesENTRETIEN

Avec Yann Moulier-Boutang, conomiste*

Les leons majeures dune crise systmiquePropos recueillis par Adil El Mezouaghi et Driss Ksikes

Expliquer lorigine de la crise des subprimes, saisir leffet domino qui sen est suivi, comprendre comment le systme financier a t pris son propre pige et apprhender des issues, pas seulement techniques mais aussi politiques cette crise systmique. Cest cela que nous invite cet article didactique, tabli sur la base dun entretien.Au dpart, une crise du logement socialLes subprimes (prts hypothcaires) nont pas t conus pour soutenir le secteur immobilier mais pour rpondre une absence de logement social financ par lEtat. Contrairement une grande partie de lEurope, les Etats-Unis ont un secteur du logement social insignifiant, dvelopp seulement dans quelques villes. Se posait donc le problme des gens faibles revenus. Normalement le march ne loge que les gens qui ont un apport financier dau moins 20% de linvestissement, ce qui reprsente des garanties suffisantes pour le remboursement, aux yeux des socits de crdit. Voil qui permettait laccs la proprit de la moiti de la population mais pour la seconde moiti, ctait beaucoup plus difficile. Les subprimes sont donc une invention qui consiste permettre des mnages qui reprsentent un grand risque de dfaillance demprunter des cest de proposer tous lutopie de la proprit. La droite vend partout ce rve-l. Greenspan reconnat que, pour soutenir le capitalisme, il faut un grand nombre de propritaires. Pour que cela marche et pour que, par miracle, des gens qui nont pas les moyens de payer puissent le faire, il faut que soient runies plusieurs conditions, dont un march trs drgul. Il faut aussi que limmobilier soit la hausse. Cela permet aux gens qui sengagent sur des montants extrmement levs de voir la valeur de leur logement doubler, par exemple en 2 ou 3 ans, avec un prt qui lui porte sur 20 ou 30 ans. Les emprunteurs sont gagnants puisquils peuvent rcuprer au-del de la mise de dpart, trs vite, dautant plus que les autorits financires ont rinstaur une rgle bannie depuis la crise de 1929, qui permet aux emprunteurs de ne rembourser le capital qu la fin du prt, et qui surtout les autorise ne rien payer pendant les deux premires annes. Quand on triche sur les

taux plus levs, (8% au lieu de 6%) et daccder du logement social dans un systme (amricain) o le social compte pour rien.

La droite et le mythe de la propritPourquoi les Etats-Unis ont-ils dvelopp massivement ces programmes? Cest nonc trs clairement par Alan Greenspan, lancien prsident de la Fed, et par dautres personnes dans les socits amricaines de drgulation. Le meilleur moyen de mettre la gauche sur la dfensive,

*Professeur l'IEP, Paris, l'Universit de technologie de Compigne et Birmingham-N.Y

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revenus, quil ny a plus dapport personnel et que les gens peuvent sengager sur des montants quils nont absolument pas, et revendre leurs appartements avec le crdit hypothcaire qui va avec au bout de 2 ans en ayant gagn de largent en plus, il ne faut pas stonner de la dbcle qui sensuit.

Comment le systme financier a-t-il t pris au pige ?Il y a bien videmment quelque chose de pervers dans ce systme: il faut pousser le march de limmobilier la hausse pour gnrer la possibilit croissante dlargir lassiette de ceux qui peuvent prtendre se loger. Thoriquement,

Leffet boule de neige de la titrisationEn quoi la titrisation est-elle responsable de ce qui sest pass ? Que sest-il pass ? Les banques, au lieu de garder dans leurs comptes, des dbiteurs insolvables, ont fabriqu des titres dans lesquels elles ont mlang les crances douteuses avec dautres plus sres. Cest la question du mlange qui est trs importante. Ainsi, les titres englobaient plusieurs blocs demprunteurs : on a appel prime les rglos, seniors les quasi srs, avec une notation triple de celle des primes et on a baptis subprimes , les emprunteurs risques, auxquels on a allou, en cas de dfaillance, des cfficients de remboursement beaucoup plus levs. Ce systme permet de fabriquer des produits hybrides destins tre vendus sur le march financier. Grce ces produits complexes, la banque se dbarrasse de ses crances, puisquelles ne figurent plus dans son bilan, et gagne au passage des ressources, parce que le mcanisme de titrisation permet de prlever chaque fois des commissions. Cest pour cette raison que les banques sont passes par des courtiers quelles ont pays pour placer des emprunts auprs de toutes les couches sociales, mme les trs pauvres. Ces intermdiaires ont eu intrt vendre le maximum demprunts possibles dont la banque, elle, avait intrt se dbarrasser le plus vite possible

Unis - et en inondent le march, ne trouvent plus les revendre, ce qui accentue la baisse de limmobilier Or, aux Etats-Unis, la comptabilit des entreprises, notamment celles des tablissements financiers, a t rvise de telle sorte que, lorsquelles rcuprent des immeubles, ce nest pas la valeur historique dacquisition qui est prise en compte mais celle en cours. Voil qui dclenche une dvaluation des actifs des banques qui, de plus, ont peur dexpulser les gens de leurs maisons.

Les dommages collatraux de la drglementationCommenons par vacuer un gros malentendu. La drglementation nest pas labsence de rgles. Rien de plus rglement que la drglementation ! Rien naccumule plus de rgles aussi prcises, allant de la comptabilit la lgalisation de certains produits, que le systme nolibral ! Par ailleurs, il faut savoir que la croissance phnomnale accumule sur le plan financier durant les trente dernires annes nest pas simplement le fruit de la croissance bancaire, mais provient

toute la mcanique fonctionne dans un sens positif, mais il suffit que limmobilier baisse et que les actions commencent elles aussi baisser pour que surviennent la dfaillance des subprimes. Or, comme ces crdits hypothcaires reprsentent un norme volume, les banques, quand bien mme elles saisissent les appartements hypothqus - un million (sur 12) lont t aux Etats-

Quest-ce que les droits de tirage spciaux ?Les Droits de tirages spciaux (DTS) sont un instrument de rserve international cr par le FMI en 1969, pour complter les rserves officielles existantes des pays membres. Ils sont allous aux pays membres proportionnellement leur quote-part au FMI. Le DTS sert aussi d'unit de compte au FMI et certains autres organismes internationaux. Sa valeur est dtermine partir d'un panier de monnaies. Le DTS n'est pas une monnaie, et ne constitue pas non plus une crance sur le FMI. Il reprsente une crance virtuelle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI. Sa valeur initiale est de 0,888671 gramme d'or fin, valeur du dollar lpoque de Bretton Woods. Depuis la crise de 1973, le DTS est dtermin par rapport un panier de monnaies, (Dollar, Euro, Livre sterling et Yen). Cette composition est revue tous les cinq ans pour veiller ce que la pondration des monnaies rende bien compte de leur importance relative dans les changes et les systmes financiers internationaux. La prochaine valuation aura lieu en 2010. Dici l, les conomies nauront qu sadapter. Source : www.imf.org

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Lendemains de la crise des subprimes

Les leons majeures dune crise systmique

essentiellement des paradis fiscaux. Tous les tablissements qui ne sont pas soumis aux mmes rgles que les banques se sont crs dans linterstice entre la mondialisation productive financire et son besoin norme de liquidits. Bien sr, les paradis fiscaux ne datent pas daujourdhui. Mais la nouveaut consiste en ltendue des capitaux qui y migrent. Au fond, le systme financier se rgule avec la soupape de cette immense masse dargent chappant aux cadres rglementaires et de ces flux de liquidits illgales (drogue, prostitution ). En fait, chaque grand pays a son paradis fiscal (Monaco pour la France, Andorre pour lEspagne, le Liechtenstein pour lAllemagne, les les Jersey pour lAngleterre ) qui recycle tout.

de la titrisation. Rsultat, elle est aussi touche de plein fouet par la crise des subprimes. Certaines collectivits allemandes sont menaces parce quelles dtiennent des actifs dgrads, comme les fonds de pension amricains, ce qui les soumet un risque de faillite. Cest ce qui explique la volte-face dAngela Merkel. Au dpart, elle tait contre le plan europen et, depuis la faillite de la banque de lEtat de Saxe qui ncessite une recapitalisation hauteur de deux fois le budget, elle sest ravise

lopacit. Tous ralisent que la supervision des marchs est beaucoup plus complique que la supervision de lEtat. Aujourdhui, le passage brusque et mal digr de la rgulation de lEtat celle des marchs annonce une transition vers un capitalisme mixte qui va essayer de mler le ct reporting, trs prcis, aux formes de rgulation de lEtat soumis la pression dmocratique.

Pas de New Deal lhorizonLe niveau dinvestissement produit par la finance est norme mais manque dorientations. Labsence de lisibilit, de politique publique et dun consensus mondial sur les grandes orientations en terme de dveloppement (ex : innovation technique, savoir, cologie..) fait que toute cette liquidit, cre travers peu de dpts, ne sait pas o sinvestir. Du coup, elle est injecte dans des produits trs court terme et va spculer sur les marchs en crant une instabilit croissante. La crise est lie une instabilit profonde et une crise de confiance sur le modle de dveloppement long terme. Au moment du New Deal, on a rapidement su ce quil fallait faire aux Etats-Unis (des routes, des barrages). Aujourdhui, il y na pas ce consensus et pas de ligne claire pour crer un plan de dveloppement solide qui capitaliserait sur laccumulation des ressources.

Vers un capitalisme mixteLa propension la souverainet rapparat travers les fonds souverains et dans la raction de certaines grosses entreprises. Il y a quinze ans, celles-ci sont alles en Bourse parce que ctait le seul moyen pour elles dobtenir du capital et dponger leurs dettes. Maintenant quelles ont eu des capitaux, elles souhaitent en sortir. Les top managers savent que, sils sont la Bourse, ils ne peuvent pas mener de stratgies secrtes, sont soumis au diktat des actionnaires et la proie des OPA. Au fond, les marchs sont trop transparents et dmocratiques au got dun certain nombre dagents qui souhaitent revenir lanonymat, larbitraire et la souverainet. Par exemple, les fonds souverains chinois et qataris agissent dans la plus grande discrtion et naiment pas beaucoup la publicit qui leur a t faite. Aussi les entreprises les plus puissantes envisagent-elles de plus en plus de sortir du march financier. Cest le retour tentant

Les collectivits locales emportes par la vagueDans les pays europens, dans au cours des quinze, vingt dernires annes, beaucoup de gros dpts et beaucoup dpargne ont permis des personnes, des collectivits et mme des Etats, comme lIslande, daccrotre leurs revenus en sadossant au systme financier. Les titres, type subprimes, auxquels ils se sont adosss, les attiraient parce quils pouvaient rapporter gros, un peu comme les junk bonds (littralement, obligations pourries) des annes 80. Plusieurs collectivits locales qui devaient sendetter pour financer leurs plans de dveloppement, se sont tournes vers ces produits. Ctait comme jouer au casino pour essayer de gagner plus ! En Norvge par exemple, une collectivit pouvait placer de largent liquide 4 %, mais a prfr le faire 8 et 10 %, laide

Entre sauvetage financier et choix dinvestissementAujourdhui, aux Etats-Unis, le plan Paulson, qui comporte 700 MM$

il y na pas de ligne claire pour crer un plan de dveloppement solide

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est-il suffisant ? Il en faudrait le double pour consolider les banques, car il y a 44 milliards de cartes de crdit qui gnrent des drivs. Le Trsor amricain veut aider lindustrie amricaine. Pendant la crise, un plan fdral amricain proposait de donner 70MM$ aux trois grands constructeurs amricains qui ont un problme de financement de la protection sociale : ces derniers en ont exig 180. Or, lEtat amricain ne peut pas tout faire. Il ne peut donc pas viter la sidrurgisation de lindustrie automobile. Aujourdhui, la recherche et le dveloppement, la connaissance pour crer un dveloppement durable, ncessitent de rels investissements autour du protocole de Kyoto. Les fonds allous actuellement ne suffisent pas. Cest comme les 3% de PIB pour la recherche, il en faudrait 10% !

Le comble est que les Etats nont pas le droit de faire de la monnaie. Du coup, ils sendettent. Il a donc fallu une catastrophe pour que sorganise une rponse europenne qui renforce les pouvoirs de la BCE. Cette situation explique le revirement de la Grande-Bretagne: La

la scurit. Do lide davoir deux monnaies de rserve, au lieu dune seule. De cette manire, il y aurait un effet de balancier entre leuro et le dollar et les liquidits seraient protges, ce qui donne aux marchs un pouvoir de bargaining (marchandage). Ils peuvent, alors

BCE va accepter des crdits libells en dollars et en livres sterling, ce qui signifie que la Livre sterling va rejoindre lEuro.

LEurope fdre face la catastropheLe passage dune crise de liquidits une crise interbancaire provient du fait que les institutions financires doutent de la solvabilit des unes et des autres. La banque fdrale amricaine ne peut pas intervenir, mais a la latitude de crer de la monnaie. Elle peut placer des bons du Trsor ou faire marcher la planche billets. En cela, elle est avantage par rapport son homologue europenne. Actuellement, le drame de lEurope, cest que la BCE commence peine intervenir sur la solvabilit. Elle vient daccepter le 20 octobre de faire payer aux banques un taux correct en admettant des actifs de type subprimes. Par contre, elle ne peut pas crer de monnaie par emprunt, cest-dire quelle ne peut pas lancer un emprunt sur lEuro. Elle nen a pas le droit car on est dans une structure confdrale et non fdrale.

Vers un nouveau Bretton Woods ?Un Etat qui ne dtient pas la monnaie de rserve du monde entier ne peut pas recourir lmission de billets volont, parce que la contrainte de change loblige la conversion, et rien ne dit que ses cranciers voudront autre chose que des devises trangres. Le Dollar tant la monnaie de rserve, les Etats-Unis peuvent imprimer le nombre de billets quils veulent. Mais il y a le risque quil se dvalue de 60 ou 75% comme Lehman Brothers, dont laction tait 70 dollars et a subitement chut un dollar. Dans ce cas, on se retrouverait devant une crise financire majeure. Et cest pour cette raison que tous les Etats parlent de revoir le systme montaire. Si les marchs ont vot pour un fdralisme europen, cest parce quen dtenant des Hedge funds ou des fonds souverains, la seule chose quils souhaitent cest

dire aux Amricains, si vous allez trop loin, nous convertissons une partie de nos rserves en euros, et a contrario, ils peuvent dire lEurope : vous nachetez pas assez sur le march mondial, donc nous achetons plus de dollars et moins deuros . Pour pouvoir agir ainsi, il faut que leuro soit une monnaie de rserve mondiale et, pour ce faire, la BCE doit pouvoir emprunter sur le march des capitaux et lancer des bons du Trsor libells en euros, ce qui permettra den freiner la hausse. Lors des accords de Bretton Woods, justement, les Amricains avaient refus de crer une monnaie mondiale avec des tirages spciaux lis des investissements, cologiques, cognitifs ou sociaux. Le temps est propice pour remettre la proposition sur la table, avant que le dollar ne dvisse compltement et ne ruine tout au passage.

La Chine, pas si avantage que celaLa Chine commence sinquiter du remboursement des bons du Trsor amricain long terme. Sachant

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Lendemains de la crise des subprimes

Les leons majeures dune crise systmique

quelle ne dtient que du papier, elle regarde de trs prs si les capitaux se sont ports sur des emprunts trs court terme pour financer le remboursement de la dette. La vraie question, ce sont les droits de tirage spciaux, la cration montaire qui doit tre autorise aux Etats du Tiers monde. Initialement, la Chine avait comme possibilit de dveloppement de vendre ses biens manufacturiers sur le march mondial. Quand sest prsent elle le schma des mnages moyens amricains qui achtent chinois, elle a fait un choix commercial o lAmrique est centrale. Or, partir du moment o ce ressort est cass, le problme commence devenir grave pour la Chine et les pays du Tiers monde. Entendez, la chute brutale de la demande des pays du centre aura un effet puissant parce que ni la Chine, ni lInde dailleurs, nont un march intrieur solvable. Comparons les chiffres. Les EtatsUnis font un PIB de 13 MMM$ par an, alors que celui de la Chine avoisine les 4 MMM$, dpassant peine le PIB franais et natteignant mme pas celui de lAllemagne. Si la Chine ne peut plus compter sur la capacit dendettement du systme amricain, elle est oblige de booster le march intrieur et dassurer de meilleures salaires et une relle protection sociale. Il faut savoir que ce pays compte 1,8 MMM dollars en rserve internationale et que seuls 400 millions de Chinois installs dans les rgions ctires assurent la demande interne. Le modle de dveloppement par lexportation reposant sur lexploitation, qui prvaut aujourdhui en Chine, fait penser au Japon de lre

Meiji (de 1853 1914) qui tait devenu la manufacture du monde avec des objets de faible qualit. La guerre a tout chang.

Le discours sur lconomie relle menace les dlocalisationsIl y a un discours actuel qui affirme quon est all trop loin dans la mondialisation, que le confdralisme europen est catastrophique, parce quil dessert les Etats. Alors, quoi ? On arrte lexpansion europenne, on arrte lentre de la Turquie, on bloque lEurope maintenant avec toutes les consquences qui sensuivent, on relocalise les usines ? Lhistoire nous apprend qu chaque fois que le commerce mondial se rtracte, cest la guerre qui sensuit. Il y a eu trois dpressions trs fortes. Celle de 1857, qui fut dj une premire grande crise montaire, a prsag la guerre franco-prussienne de 1870. Lnorme dpression de 1893 sest solde par le cloisonnement des empires, menant la guerre de 14-

la faon daccumuler du capital. Et une des pires ractions que lon voit surgir en Europe, consiste dire que toute la finance nous a tromps, comme ce fut le cas pour la finance internationale juive dans la crise des annes 30. Aujourdhui, le discours sur lconomie relle et irrelle peut provoquer une raction trs forte contre lconomie de la connaissance, et favoriser des relocalisations dusines Ce serait une catastrophe pour le Sud, mais aussi pour le Nord.

La Russie, imprvisible et les pays du Sud, menacsTout ce que jai dit sur la situation de guerre qui suit les rcessions, devient encore plus imminent dans des conomies rentires comme celle de la Russie. Cest tout de mme le seul pays dont le Premier ministre ferme la Bourse quand rien ne marche. La prosprit russe, contrairement ce quon en a dit, ressemble celle dun Etat comme lAlgrie. Elle repose essentiellement sur la production de gaz. Ces rentres dargent provenant de lnergie expliquent un boom de limmobilier, semblable celui des USA, avec des spculateurs, des courtiers et des hedge funds, donc une prosprit norme. Or, aujourdhui, on estime que la moiti de ces fonds pourris vont mourir. Ceux qui dtiennent 260 milliards de crances par leurs investissements vont devoir en rembourser 700M, avant le 31 dcembre. Il est donc trs vraisemblable quils se retirent de linvestissement, notamment dans les pays du Tiers monde. Il va donc falloir que les Etats des

Le discours sur lconomie relle peut provoquer une raction trs forte contre lconomie de la connaissance18. Enfin, face la grande crise des annes 30, le New Deal na suffi tirer lconomie et a relanc la machine de guerre. Noublions pas que la machine conomique amricaine ne sest pas mise tourner plein rgime qui partir de lentre en guerre des Etats-Unis au Moyen Orient. Noublions pas non plus quon a frl la catastrophe cet t en Gorgie. Tout cela est li labsence profonde de consensus sur

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pays du Sud se prparent pour protger le capital manufacturier qui est un gage de dveloppement trs important pour eux. Il va aussi falloir quils se prparent des prises de participation, do la ncessit davoir une abondance de trsorerie. Il leur faudra alors demander au FMI de leur donner des droits de tirage spciaux, car sils financent leur dveloppement sur la base de largent tir de leurs exportations, ils ne vont pas pouvoir le faire autant, car la valeur de ces dernires va baisser.

circulent est faux. Il faut donc que les banques soient de plus en plus svres dans lattribution des prts. Les Etats, par contre, ont besoin de tellement dinvestissements, dans les domaines de lducation, de la sant, de la connaissance et de la recherche, quils ne peuvent se permettre de restreindre la liquidit et

Le capitalisme financier est vital pour le dveloppementLe problme qui se pose aujourdhui, cest quon a fond un systme qui tient le coup et qui va continuer dexiger des liquidits phnomnales. Or, on ne pourra pas se passer de la finance parce que ses mcanismes sophistiqus, la grande diffrence du crdit classique bancaire, constituent un multiplicateur de dpt de 1 6. LEtat, quant lui, na pas de limite la cration montaire, cest--dire quil na de limite, que sil a du crdit, mais ce mme Etat peut quand mme se librer de la tyrannie des dpts. Or, pour faire une politique de dveloppement, il a grandement besoin dun multiplicateur tolr qui irait de 1 5. Le problme rside dans lusage fait de la finance. Multiplier, comme dans le cas des subprimes, les dpts entre 32 et 37 fois, et crer des dettes qui nont pas de trs fortes chances dtre rembourses, cest franchir la limite de la tyrannie des dpts. Le dveloppement, cest de prter des gens qui nont pas dargent, en supposant quils vont en avoir, ce qui va leur permettre de sortir de la pauvret. Ce besoin-l de la finance va exister dautant plus que le prsuppos il y a trop de liquidits qui

davoir un discours catastrophique pour le dveloppement. Il va falloir batailler pour que, sous lautorit des Etats, un investissement ait lieu avec les outils de la finance et que des liquidits surveilles soient encadres pour servir un plan de dveloppement global.

Linterconnexion de la crise exige un plan de sauvetage politiqueJe pense quon est dans une crise systmique, cest--dire que tous les aspects sont lis les uns aux autres. Lapproche de Paulson, le plan de Brown et celui des 15 pays europens, puis la dmarche de la banque du Japon, tout cela rsout

peine la moiti du problme. Lautre partie, cest la confiance dans le futur, la monnaie et le crdit. Quel prix mettre sur le futur ? Cest l que se posent les solutions cologiques, la question dun New Deal social rel, qui viendrait rpondre la rpartition ingalitaire des revenus, puis la question cognitive, cest-dire la mutation du capitalisme en vue de liquider les secteurs qui sont en train de dtruire la plante. Linterconnexion des choses fait que le Sud va avoir besoin de liquidits, de faon plus importante que le Nord, parce que toute la prosprit quil a accumule avait pour gage les capitaux dinvestissement sur le dveloppement industriel. Lexprience montre, comme dans les annes 30, que lorsquil y a une priode de dpression comme celle-ci, les gens se mettent consommer. Il faut quon pense au futur, sinon la crise va continuer sous une forme larvaire. Cest ce quon appelle un New Deal hmiplgique, technique, qui ne va pas rassurer les marchs pour autant. Il ne faut pas sousestimer les marchs, cest--dire les marchs au sens des investisseurs qui ont du capital. Ils peuvent le mettre partout dans le monde. Or, que se passe-t-il actuellement ? Ils sont dans une crise de confiance parce quil ny a aucune proposition politique qui puisse dgager lhorizon du possible et du faisable. Des pays du Sud, qui se sont ouverts au systme financier international, comme le Maroc, ne peuvent plus se contenter des crdits internationaux privs, grande nouveaut de la mondialisation. Ds linstant o ces pays sont confronts au risque de retrait dinvestissements, la question qui se pose eux est dobtenir du FMI des droits de tirage importants. Sils restent tributaires du circuit international priv, ils nauront aucun rle stabilisateur et risquent de sombrer dans le non-dveloppement.

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Lendemains de la crise des subprimesANALYSE

les fonds souverains ?par Hicham Benjama Chercheur, CESEM.

Jusquo iront

La crise des subprimes a dmontr le poids grandissant des fonds souverains. Dun ct, les pays occidentaux les appellent la rescousse, en ces temps de turbulences, de lautre, ils craignent que ces fonds ne soient utiliss des fins autres que commerciales. Pour quils circulent en toute transparence, le FMI vient dlaborer un code de bonne conduite.

D

es pays du Sud volant au secours de pays occidentaux ? On ne stonnera dcidment plus de rien. Ces derniers mois, les fonds souverains des pays mergents sont venus la rescousse dun certain nombre dinstitutions financires, fragilises par la crise des subprimes. Avec, en quelques semaines, plus de 60 milliards de dollars investis dans le capital de banques occidentales, ces fonds figurent aujourdhui parmi les acteurs les plus importants de la finance mondiale.

Les fonds souverains adoptent aujourdhui une stratgie beaucoup plus offensive, tourne essentiellement vers les prises de participation.la banque suisse UBS, en y injectant 12 milliards de dollars. Les deux premires banques daffaires amricaines Morgan Stanley et Merrill Lynch ont, quant elles, bnfici du secours de fonds chinois, China Investment Corp (CIC), et singapourien, Temasek, qui y sont respectivement intervenus, hauteur 5 milliards et 6,2 milliards de dollars. Enfin, le 19 dcembre dernier, le CIC a acquis, pour 10 milliards de dollars, 9,9 % du capital de la banque daffaires amricaine Morgan Stanley.

Les interventions des fonds souverains

Le 27 novembre 2007, la banque amricaine Citigroup, premire banque commerciale du monde, a t sauve par Adia, le fonds dAbu Dhabi, qui a acquis 4,9% de son capital, pour la somme de 7,5 milliards de dollars. Quelques jours plus tard, le fonds de Singapour, Governmental of Singapore Investment Corporation (GIC) venait la rescousse de

Les capitaux des fonds souverains proviennent de la rente ptrolire des pays du Golfe, de la Norvge, de la Russie ainsi que des excdents commerciaux de pays asiatiques tels que Singapour, la Chine, la Malaisie, ou encore la Core du Sud. Les pays dtenteurs de ces fonds, qui auparavant consacraient une partie de leurs rserves de change lachat de bons du trsor amricains, sont dsormais la recherche de placements beaucoup plus rentables. Cest ce qui explique pourquoi les fonds souverains adoptent aujourdhui une stratgie beaucoup plus offensive, tourne essentiellement vers les prises de participation. Lacquisition, en septembre 2007, de 48 % de la Bourse de Londres par le fonds de Duba ( hauteur de 28 %) et du Qatar ( hauteur de 20%) en est la meilleure illustration.

Des fonds qui inquitent les pays occidentauxLampleur que prennent actuelle-

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ment les fonds souverains nest pas sans inquiter les pays occidentaux. Ceux-ci manifestent la crainte que ces prises de participation ne soient pas toujours dictes par des objectifs de rentabilit pure, mais par des considrations politiques. Les fonds souverains pourraient, en effet, tre tents dinvestir dans des secteurs stratgiques, tels que lnergie, la dfense, la haute technologie, ou encore les infrastructures, ce qui serait peru comme une menace pour les Etats destinataires. En 2006, les tats-Unis ont empch loprateur portuaire Duba Ports World de racheter les terminaux de transport de six ports amricains (dont celui de New York et de la Nouvelle-Orlans) qualifis de stratgiques. Lanne prcdente, ils avaient galement interdit le rachat de la compagnie ptrolire amricaine Unocal, par lentreprise publique chinoise China National Offshore Oil Corporation (CNOOC). Seul le fonds souverain norvgien, le Government Pension Fund Global (GPFG), qui pourtant dtient des participations dans plus de 7000 entreprises, na jamais suscit la moindre crainte, car gr

en toute transparence par un Etat dmocratique, europen et non musulman.

Le Code de bonne conduite

Le meilleur moyen pour les pays du Nord de se prmunir contre les conduites hgmoniques de pays comme la Chine ou certains producteurs de ptrole est de restreindre

les prises de participation des fonds souverains dans leurs entreprises. On parle dores et dj de dfinir des listes de socits interdites. LAustralie est le premier pays avoir os le black listing, par ladoption de rgles visant protger ses entreprises des prises de participation des fonds souverains. LAllemagne envisage galement de prendre des mesures pour limiter les rachats

Seul le GPFG, un fonds norvgien qui a des participations dans plus de 7000 entreprises ne fait pas peurUn fonds pour les victimes des subprimesEn juillet dernier, les Etats-Unis ont mis en place, un plan de sauvetage du march immobilier. Ce plan prvoit, entre autres mesures, la cration dun fonds pour le refinancement des emprunts immobiliers, au profit des personnes victimes de la crise des subprimes. Le fonds en question, dot dun montant de 300 milliards de dollars, sera gr par lAdministration fdrale du logement et devrait bnficier prs de 400 000 propritaires, dans lincapacit de rembourser leurs dettes. Quelques semaines aprs ladoption de ce plan, le Congrs votait (le 3 octobre) un plan de 700 milliards de dollars destin venir en aide aux banques en difficult du fait la crise des subprimes, et au rachat, sur le march financier amricain, des titres reprsentatifs de crances hypothcaires.

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Jusquo iront les fonds souverains ?

potentiels de groupes nationaux, par des fonds souverains trangers. La France et la Grande-Bretagne pourraient, leur tour, prendre des mesures similaires. Cest dans ce mme esprit que le FMI a nonc, le 21 mars dernier, les principes dun code de bonne conduite concernant la gestion et la transparence des fonds souverains. Ces principes ont fait lobjet dune dclaration des pratiques optimales, publie en octobre 2008, lissue de lassemble annuelle du Conseil des gouverneurs de linstitution. Cette dclaration insiste sur la ncessit de dvoiler lensemble des informations relatives lorigine et lemploi des fonds souverains, ainsi que sur le respect des lgislations en vigueur dans les pays o ces fonds investissent. A ce titre, il est prvu de mettre en place un groupe de travail permanent runissant les reprsentants des pays dtenteurs de fonds souverains et ceux de lOCDE (Organisation de coopration et de dveloppement conomique), afin de collecter et de diffuser des donnes agrges sur les activits des fonds en question. Les craintes suscites autour des fonds souverains sont pourtant, dans ltat actuel des choses, loin dtre justifies : aucun dentre eux ne sige actuellement au conseil dadministration dune des entreprises dans lesquelles il dtient des participations. De plus, ils ont subi, en lespace de quelques mois, des pertes considrables. Ainsi, par exemple, depuis lentre du fonds GIC dans son capital, laction dUBS a perdu prs de 60% de sa valeur. Il en est de mme du titre de Citigroup qui a baiss de plus de 50%, depuis lentre du fonds ADIA dans son capital. Il apparat

donc que lnorme tapage orchestr autour des dangers potentiels des fonds souverains nest quune tem-

pte dans un verre deau ! Quant lavenir des fonds souverains, il ne sannonce pas des plus roses

Les diffrents fonds souverainsUn fonds souverain (sovereign wealth fund) est un fonds dinvestissement tatique. Le premier de ce genre a t cr par le Kowet, en 1953, suivi par la plupart des pays ptroliers du Golfe, Singapour, la Norvge, la Malaisie, la Core du Sud, la Russie, la Chine, etc. La plante en compte aujourdhui prs de 40 qui psent plus 3000 milliards de dollars, pour un march international de capitaux estim 50 000 milliards de dollars. Le plus important est le Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), des Emirats Arabes Unis, qui reprsente 875 milliards de dollars. Le Government Pension Fund Global (GPFG) de Norvge reprsente, quant lui, 330 milliards de dollars. Les fonds souverains de Singapour, Governmental of Singapore Investment Corporation (GIC) et Temasek, comptent respectivement 330 milliards et 100 milliards de dollars. Quant au fonds chinois, China Investment Corporation (CIC), il est valu 200 milliards de dollars. En 1990, le montant global des fonds souverains tait estim 500 milliards de dollars. En 2015, il devrait atteindre les 12 000 milliards de dollars, selon les dernires estimations. Le gouvernement norvgien a rcemment annonc que la part de son fonds dinvestissement dans les conomies des pays mergents sera porte de 5 10% du capital total. Dix-huit nouveaux pays, dont le Maroc, devraient bnficier des futurs investissements du GPFG. Bien que les secteurs concerns naient pas t officiellement dfinis, la priorit semble, pour le Maroc, avoir t donne au secteur agricole.

Le fonds GPFG intress par le Maroc ?

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convertibilitdu dirham ?Sonia BENJAMAA, Docteur en conomie internationale

Quid de la

Alors que le processus de passage la si convoite convertibilit totale du dirham, entam il y a presque vingt ans, semble enfin arriver son terme, les dernires tapes sannoncent plus prilleuses : comment finaliser sans risque cette mutation inluctable, dans un contexte conomique et financier international ravag par une crise sans prcdent ?

E

n 2007, le Maroc, fort de tous les progrs accomplis au cours des dernires annes, tant en terme de stabilit du cadre macroconomique quen matire dapprofondissement et de supervision du secteur financier, a adopt de nouvelles mesures douverture du compte de capital, entres en vigueur le 1er aot dernier. Ces mesures, qui ont permis une leve significative des restrictions qui sappliquaient aux rsidents en matire de mouvements de capitaux, constituent une nouvelle tape importante dans le processus vers une convertibilit totale du dirham. En 2008, lconomie mondiale a subi de plein fouet la crise financire internationale. Cette crise, qui a commenc par leffondrement du march hypothcaire risque subprimes aux Etats-Unis, sest propage la plupart des pays industrialiss ds lt 2007 et a remis en cause les fondements mmes du systme financier international. Remettra-t-elle galement en question le processus de libralisation financire entam par le Maroc, ds le dbut des annes 90 ? En dautres termes, le processus de passage une convertibilit totale du dirham risque-t-il dtre ralenti, voire compromis par la dtrioration de la conjoncture financire internationale ?

Le passage une convertibilit totale du dirham, un processus graduelAu Maroc, le processus de libralisation des changes sest acclr partir du dbut de la dcennie 90, et a ainsi permis, durant la priode 1990-2006, ladoption de la convertibilit du dirham au titre des transactions courantes, la mise en place dun march des changes, louverture quasi-totale du compte de capital pour les non-rsidents, la suppression des restrictions aux emprunts commerciaux des entreprises, et la libralisation de lacquisition dactifs lEtranger par les banques commerciales rsidentes. Les mesures adoptes en matire douverture du compte de capital avant 2007 ont surtout concern les non-rsidents qui ont bnfici dune convertibilit pratiquement totale ds 1992. Ces mesures sinscrivaient en fait dans le cadre de la politique dattractivit des investissements trangers mise en uvre par le Maroc, ds le

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Quid de la convertibilit du dirham ?

dbut des annes 90. En aot 2007, de nouvelles mesures douverture du compte de capital sont entres en vigueur (voir encadr 2) en faveur des rsidents, oprateurs conomiques (exportateurs, importateurs, investisseurs et institutionnels), alors que les rsidents particuliers, restent encore soumis des restrictions importantes. La suppression de tous les contrles encore en place sur les mouvements de capitaux se traduirait par louverture totale du compte de capital et permettrait le passage une convertibilit totale du dirham (voir encadr 1). Le dmantlement des restrictions encore en vigueur devrait seffectuer par tapes et ce, conformment lapproche graduelle et prudente adopte jusqu prsent par le Maroc en matire de libralisation des changes, les autorits ayant toujours voulu viter quun ventuel retour en arrire ne nuise la crdibilit de leur politique conomique. Le passage la convertibilit totale du dirham est donc un processus graduel conditionn par les progrs en termes de pralables. Il faut savoir en effet que le succs du passage une convertibilit totale est tributaire de la mise en place dun certain nombre de conditions pralables identifies par la littrature conomique, et qui consistent en un cadre macroconomique stable et cohrent, un secteur

financier solide et un systme de rglementation prudentielle adquat. Lexprience internationale, et en particulier la crise du Sud-est asiatique, a dmontr quen cas douverture totale du compte de capital, ces pr-requis doivent tre tous runis si lon veut viter les risques dinstabilit financire. Avant de passer une convertibi-

lit totale du dirham, la question essentielle est donc de voir si ces conditions pralables sont runies dans le cas du Maroc. A cette question, vient sajouter aujourdhui une problmatique cruciale : dans quelle mesure la mise en place de ces pralables serait-t-elle affecte par la propagation de la crise financire internationale ?

Quelles rpercussions de la crise financire sur la libralisation totale du compte de capital ?

La crise financire qui a fortement secou la plupart des systmes financiers au cours des dernires semaines na pratiquement eu aucun impact sur le secteur financier marocain pour trois raisons majeures:

La premire raison, et la plus importante, est que notre secteur financier reste protg par la rglementation des changes en vigueur. Les dernires mesures douverture du compte de capital ont assoupli les conditions de placement en devises des banques ltranger, mais toujours dans le respect des rgles prudentielles. Les banques sont en effet tenues de respecter en permanence un rapport maximum de 20% entre leur position de change globale et leurs fonds propres nets, et peuvent effectuer des oprations de placement en devises ltranger pour leur propre compte, mais galement pour le compte des compagnies dassurance, des organismes de retraite et des organismes de placement collectif en valeurs mobilires (OPCVM). La nature des placements effectuer ltranger, ainsi que les modalits et conditions y affrentes sont fixes par les organes de supervision : Bank Al-Maghrib, le Conseil dontologique des valeurs mobilires (CDVM) et la Direction des assurances et de la prvoyance sociale. La qualit du portefeuille des banques en valeurs trangres est donc scrupuleusement suivie et contrle, ce qui explique que les institutionnels ne sont pas autoriss acqurir les titres mis ltranger par les fonds communs de placement en titrisation, ceux-ci ntant pas considrs comme suffisamment srs. Par consquent, les

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institutions financires marocaines ne dtiennent pas, lheure actuelle, de produits drivs des crances hypothcaires subprimes. La deuxime raison est que la crise financire internationale na pas eu deffet sur lendettement extrieur de notre pays. La dette extrieure publique, qui sest leve 129,5 MMDH fin juin 2008, est dans sa quasi-totalit une dette moyen et long terme avec des taux dintrt fixes. Cette dette est constitue en grande partie par des emprunts vis--vis des institutions financires internationales (50,7%) et des cranciers bilatraux (37,1%), alors que la part des banques

internationales est de 12,2% seulement fin juin 2008 contre 18,4% en 2003, ce qui explique la faible dpendance du Maroc lgard des marchs financiers internationaux, comparativement dautres pays mergents. Par ailleurs, un retrait massif des investisseurs trangers de la Bourse de Casablanca nest pas craindre dans la mesure o la part du flottant dtenue par les non-rsidents est de 1,8% seulement en 2007, la participation trangre tant essentiellement caractre stratgique (93% des 149 MM.DH dinvestissements trangers). La troisime raison est que les fondamentaux sont solides et les

banques marocaines saines et bien capitalises. La situation financire des tablissements bancaires sest considrablement amliore ces dernires annes, grce au renforcement de la supervision bancaire et lassainissement du secteur financier public. Le portefeuille des crances en souffrance de lensemble du secteur bancaire a t ramen de 19% en 2004 moins de 7% aujourdhui. Le cadre macroconomique est stable et cohrent. Les positions budgtaire et extrieure se sont considrablement renforces et linflation reste matrise. Lacclration de la croissance non agricole

Quest ce quune monnaien dit que la monnaie dun pays est pleinement convertible lorsque les rsidents et les non-rsidents sont autoriss la convertir, au taux de change en vigueur, en montants de monnaie trangre qui peuvent tre ensuite utiliss librement pour les besoins des transactions internationales. Une monnaie peut tre partiellement convertible, et il existe plusieurs formes de convertibilit partielle ou limite, notamment la convertibilit au titre des transactions courantes, la convertibilit aux fins des mouvements de capitaux, la convertibilit interne et la convertibilit externe. La convertibilit au titre des transactions courantes sentend du droit de convertir des encaisses montaires en devises pour effectuer des paiements affrents des transactions en biens et services. La convertibilit aux fins des mouvements de capitaux sentend du droit quont les dtenteurs dune monnaie de convertir leurs encaisses en devises pour rgler des transactions en capital. La convertibilit externe sentend gnralement du droit confr aux dtenteurs trangers dune monnaie (non-rsidents) de convertir leurs encaisses en devises. La convertibilit interne sentend en gnral du droit confr aux dtenteurs intrieurs (rsidents) dune monnaie de convertir leurs encaisses en devises. On peut dire quun pays qui a instaur ces quatre formes de convertibilit a une monnaie pleinement convertible, car cela signifie que les rsidents et les non-rsidents du pays peuvent convertir librement la monnaie nationale, au taux de change en vigueur, en montants de monnaie trangre, aussi bien pour des besoins de transactions de biens et services que de transactions en capital. Au Maroc, le passage ventuel la convertibilit totale du dirham ncessiterait une ouverture totale du compte de capital, puisque la convertibilit au titre des transactions courantes a dj t instaure depuis 1993 avec ladhsion larticle VIII des statuts du Fonds. Les oprations en capital ont pratiquement toutes t libralises pour les non-rsidents et le dirham bnficie actuellement dune convertibilit externe, mais la convertibilit aux fins des mouvements de capitaux ne pourra tre ralise que lorsque la convertibilit interne sera instaure, cest--dire lorsque toutes les restrictions encore existantes, notamment les restrictions sur les sorties pour les rsidents seront abolies. Le dmantlement de ces restrictions encore en vigueur permettrait ainsi la monnaie nationale dtre pleinement convertible.

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Quid de la convertibilit du dirham ?

prs de 6% du PIB en moyenne a permis dattnuer la dpendance de lconomie vis--vis des alas climatiques. Les progrs considrables accomplis par le royaume en matire de pralables de louverture du compte de capital tant au niveau du cadre macroconomique que du secteur financier nont donc, jusqu prsent, pas t affects par la tourmente financire internationale. Toutefois, des vulnrabilits importantes persistent et pourraient tre amplifies moyen terme par la dtrioration de lenvironnement international. Le problme majeur est celui de la fragilit de la position extrieure en cas de sorties massives de capitaux, dans un contexte douverture totale du compte de capital. La position extrieure sest renforce mais reste fragile essentiellement pour deux raisons : - Les postes de la balance des paiements qui ont permis la consolidation de la position extrieure ces dernires annes - transferts MRE, recettes de tourisme, investissements trangers- sont volatiles, car fortement dpendants de la conjoncture internationale et de facteurs externes, tels que la croissance conomique dans le pays dorigine. La contraction de lactivit conomique dans la zone euro, avec une croissance projete de 1,6% en 2008 et une quasi-stagnation en 2009, devrait ainsi ralentir la demande trangre adresse au secteur touristique marocain et se traduire par une baisse des transferts des Marocains rsidant ltranger (MRE), compte

tenu de la monte du chmage des travailleurs immigrs dans les pays europens. A fin aot, les recettes touristiques et les transferts des MRE ont marqu, pour la premire fois depuis 2002, une quasi-stagnation ne permettant de couvrir que 75% du dficit commercial. Par ailleurs, les investissements trangers au Maroc accusent dj un recul en 2008, principalement en raison de la contraction des crdits dans les pays industrialiss. A fin aot, les chiffres publis par lOffice des changes font ressortir une baisse de 14,5% ou 3,7 MMDH des investissements et prts privs trangers qui se sont tablis 22 MMDH contre 25,8 MMDH fin aot 2007. - Le dficit commercial ne cesse de se creuser et a gnr un compte courant ngatif pour la premire fois en 2007 (lger dficit de 0,1% du PIB), marquant ainsi une rupture avec les performances des six dernires annes. A fin aot 2008, le dficit commercial sest aggrav de 24,1% soit 20,3 MMDH, suite

Par ailleurs, la bonne sant affiche par le secteur financier marocain ne doit pas nous faire occulter le fait que ce secteur na encore jamais t vritablement expos aux risques externes et nest donc pas vraiment prpar grer ces risques. Les institutions bancaires doivent donc se doter ds maintenant dinstruments financiers appropris pour tre mme de grer les risques associs la libralisation financire internationale, et accrotre ainsi la rsilience du systme financier face aux chocs extrieurs. Dans ce contexte, les autorits montaires envisagent le passage un rgime de change plus flexible, car le rgime de change fixe actuel offre une garantie implicite, qui pourrait amener les oprateurs sous-estimer le risque de change dans une situation de compte de capital ouvert. Le secteur bancaire pourrait galement tre confront au risque de liquidit, surtout en cas de libralisation prmature du compte de capital. La structure des portefeuilles des crdits bancaires rvle en effet un processus dallongement graduel des maturits, alors que lessentiel des ressources qui financent ces crdits sont des engagements court terme. La grande dpendance des banques commerciales vis--vis de dpts vue non rmunrs, qui reprsentent 36% de leurs engagements court terme, les rend extrmement vulnrables un retrait massif de ces dpts qui pourrait se produire en cas de libralisation des sorties de capitaux pour les rsidents, et crer un grave problme de liquidit.

Le secteur bancaire court un risque de liquidit, surtout en cas de libralisation prmature du compte de capital. une forte acclration du rythme des importations, et devrait gnrer un dficit du compte courant autour de 1,2% du PIB en 2008. Si le Maroc sinstalle dans une situation de compte courant ngatif, le resserrement de la liquidit bancaire observ depuis le dbut de lanne 2007 pourrait devenir structurel, et ce moment-l, mme les sorties de capitaux prvues dans le cadre de louverture partielle du compte de capital deviendraient difficiles grer.

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Le processus vers une convertibilit totale du dirham sera-t-il ralenti, voire compromis ?

Les autorits marocaines sont pleinement conscientes du fait quune ouverture totale du compte de capital nous aurait rendus beaucoup plus vulnrables aux turbulences financires internationales. Les vnements rcents appellent donc encore plus de prudence et de vigilance dans la poursuite du dmantlement des restrictions encore en vigueur sur le compte de capital. Le processus vers une convertibilit totale du dirham pourrait ainsi tre momentanment

ralenti, compte tenu du contexte international dfavorable : dans la mesure o la position extrieure risque dtre fragilise moyen terme par le ralentissement de la demande externe adresse au Maroc, les dcideurs auraient pour souci majeur dviter que des sorties importantes de capitaux conscutives une ouverture prmature du compte de capital naffectent davantage les comptes extrieurs du royaume et la liquidit de son systme bancaire. Toutefois, il est certain que le processus vers une convertibilit totale ne sera en aucun cas compromis, car

les dcideurs, dont lobjectif final est datteindre terme la libralisation complte du compte de capital, sont aujourdhui pleinement conscients des enjeux. La volont politique de faire du Maroc une vritable plateforme dinvestissement, la crainte dtre dpass dans la course la convertibilit totale par des pays mergents de niveau similaire, et limprieuse ncessit dintgration financire tant au niveau mondial que rgional, sont autant de facteurs qui font du passage une convertibilit totale du dirham une opportunit incontournable

Les nouvelles mesuresCes mesures portent sur : Le relvement de la part des recettes dexportation pouvant tre conserves dans les comptes en devises ou en dirhams convertibles de 20% 50%, cette part pouvant tre dornavant affecte au rglement de lensemble des dpenses des exportateurs (importation, transport, investissement) et non plus seulement aux dpenses de prospection) ; La libralisation des crdits acheteurs en faveur des clients des exportateurs marocains, le crdit accord pouvant atteindre 85% de la valeur du bien ou des services fournis, et le dlai de remboursement pouvant staler jusqu huit ans dans le cas de biens dquipement; Lassouplissement des conditions de rglement par anticipation des importations, les oprateurs ayant dsormais la possibilit de rgler par anticipation jusqu 40% de la valeur des biens et 20% de la valeur des importations de services Llargissement des instruments de couverture contre les risques de change, dans le sens notamment de laugmentation de la duration pour la couverture du risque de change porte dsormais 5 ans. La mesure largit galement le champ des transactions avec ltranger pouvant bnficier dune couverture pour inclure les services et les transferts; Lassouplissement des conditions de placement des banques ltranger en portant notamment la duration de leurs placements 5 ans, et en assouplissant les conditions de placement pour permettre une plus large palette de placements, dans le respect des rgles prudentielles; La suppression de lautorisation pralable pour le placement par les compagnies dassurance de 5% de leur actif ltranger. Cette mesure concerne les compagnies saines sur le plan financier, couvrant leurs engagements et respectant les rgles prudentielles; La libralisation des placements ltranger pour les organismes de retraite hauteur de 5% de leurs rserves ; La libralisation des placements ltranger pour les OPCVM hauteur de 10% de leur portefeuille. Les OPCVM peuvent investir dans des titres de crance et dans des actions cotes sur un march rglement, ainsi que dans des OPCVM et des instruments financiers selon les conditions fixes par voie rglementaire; La libralisation des investissements directs ltranger hauteur de 30 MDH par an pour les entreprises disposant de comptes certifis et ayant trois annes dexistence au moins.

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Pourquoi lconomie

relle souffrira au Marocpar Ismal Hariki, gestionnaire

Nul doute que la crise financire ne se propagera pas au Maroc de faon directe. Mais il est clair que ses effets auront sur lconomie relle un impact dont lampleur est difficile valuer. Ceci tant dit, lintensit des consquences attendues dpend beaucoup de la capacit des grandes conomies de la plante surmonter la rcession qui sinstalle.rotg par le contrle des changes qui entrave les flux de capitaux entre lconomie marocaine et les marchs financiers internationaux, le systme bancaire marocain sest trouv labri de la diffusion de la titrisation des risques financiers lis lendettement de lconomie amricaine. Il en est de mme pour la Bourse, peu connecte aux grandes places de valeurs internationales. Aucune socit trangre ny est cote, une seule valeur marocaine fait lobjet dune double cotation (Maroc Telecom) et les investisseurs trangers ne peuvent se prvaloir que dune prsence marginale sur la place de Casablanca. La crise financire internationale ne se propagera donc pas au Maroc par la voie financire, mais bel et bien par les effets de la rcession conomique quelle a engendre chez nos principaux partenaires conomiques. Car en sapant la confiance interbancaire, cette crise grippe les

P

Les taux de chmage prvus dans la zone euro vont avoir un impact sur le niveau demploi des immigrs et donc, sur leurs transferts dpargne vers le Marocmcanismes de financement de lconomie mondiale et cet asschement produit une srieuse rcession de lactivit conomique internationale. Du coup, la structure et ltat de dgradation des comptes extrieurs de lconomie marocaine la rendent particulirement dpendante du bon vouloir de ltranger. La question donc nest pas de savoir si la crise internationale va svir et frapper lconomie marocaine, mais plutt

de prvoir lintensit et la dure de ses effets sur les activits du pays.

Quatre secteurs menacs

Au demeurant, cette rcession annonce va, sans nul doute, avoir un fort impact sur quatre grands secteurs de lconomie marocaine. Les cours du phosphate rechutent Ses effets les plus immdiats concerneront les exportations de biens et services. En effet, la contraction attendue de la demande des principaux partenaires du commerce extrieur marocain se fait dj sentir. De surcrot, cette rcession nourrit des anticipations dflationnistes chez certains oprateurs internationaux, en lien avec les matires premires, anticipations qui induisent une dtrioration de lactivit de diffrents secteurs conomiques. Aussi a-t-on dj pu noter un flchissement des cours des phosphates (il redescend de 400 quelque 200 dollars). La fameuse monte en flche des cours

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en 2008 nest donc plus dactualit. Le pouvoir dachat des touristes sera affect Le secteur touristique doit sattendre, son tour, une baisse des flux de visiteurs vers le Maroc. En effet, en Europe, les principaux pays metteurs ont t touchs de plein fouet par les suites financires de la crise des subprimes. La dgradation du pouvoir dachat, ainsi que la baisse de lactivit se rpercuteront de faon ngative sur le rythme de dveloppement soutenu qua connu ce secteur ces dernires annes.

cours des actions occasionne par la crise financire a grandement fragilis la structure comptable des grandes socits cotes sur les grandes places boursires. De la mme faon, elle a srieusement dgrad les fonds propres du secteur bancaire international, entravant ses capacits de financement. Cette conjonction

gradation des changes avec le reste du monde devrait nanmoins bnficier du repli des cours des matires premires, notamment ceux de lnergie, qui ptissent de la baisse de lactivit internationale. Une croissance qui flanche Le fait que plusieurs secteurs soient touchs a un effet dentranement sur lensemble du tissu conomique. Il est donc possible daffirmer que, lagriculture mise part, le taux de croissance de lconomie marocaine connatra un flchissement certain. Or, ce repli du niveau dactivit saccompagnera dune sensible dtrioration des quilibres financiers, internes et externes, dune plus grande pression sur les finances publiques et dune tension accrue sur le march de lemploi. Des socits cotes surexposes Enfin, cette baisse de lactivit conomique va induire une dgradation de la sant financire des oprateurs conomiques les plus exposs la demande externe. Pour ceux qui sont cots en Bourse, cela ne manquera pas davoir une incidence sur leur capitalisation boursire et plus gnralement, terme, sur la Bourse de Casablanca. En conclusion, les consquences de la crise financire sur le Maroc seront indirectes, mais bel et bien certaines. Les chances annonces de 12 18 mois pour un redmarrage de lactivit conomique internationale laissent prsager une morosit de la ntre sur lensemble de cette priode. Morosit, qui pourrait savrer bien plus srieuse, si les responsables politiques, financiers et conomiques internationaux narrivaient pas rtablir la confiance, condition sine qua non du financement du dveloppement de lconomie mondiale.

Les consquences de la crise financire sur le Maroc seront indirectes, mais bel et bien certaines. Les transferts de MRE seront touchs Les flux de capitaux vers lconomie marocaine risquent aussi de ptir de cette situation, notamment les transferts des MRE, gographiquement concentrs dans des pays dEurope occidentale fortement touchs par ce retournement de conjoncture. Aussi peut-on dj remarquer les mesures incitatives prises par lEspagne pour inciter les ressortissants trangers en situation prcaire retourner dans leur pays dorigine. De surcrot, les progressions attendues des taux de chmage dans la zone euro vont naturellement avoir un impact sur le niveau demploi des populations immigres et donc, sur les transferts dpargne vers leurs conomies nationales. Les IDE seront en berne Dans le mme ordre dide, il est prvoir une diminution des investissements directs trangers (IDE) vers lconomie marocaine. La chute des de facteurs sur fond de conjoncture dprime ne poussera pas au dveloppement, ni mme au maintien, des flux dIDE que le Maroc a accueillis ces dernires annes.

Trois effets conomiques

Toutes ces dynamiques, au degr de probabilit plus ou moins lev, risquent de se traduire par trois types de consquences conomiques.

Des comptes extrieurs en chute libre Tout dabord, cette contraction de la demande externe va avoir invitablement un impact ngatif sur ltat des comptes extrieurs, creusant un peu plus les dficits de la balance des biens et des services, en entranant de facto une baisse de la richesse nationale. Cet affaissement de la demande extrieure viendra alourdir un dficit de la balance commerciale dj plus que consquent : 80 milliards de dirhams au bout de seulement sept mois dactivit. Cette d-

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nen mourra pas, mais...

Le capitalisme

L

isser ou mme empcher la montagne russe des cycles conomiques est une vieille utopie des conomistes et des responsables politiques. Lquation de base de la vie conomique reflte cependant la tension qui existe toujours entre la satisfaction de besoins illimits et lexploitation de ressources qui, elles, demeurent limites. De deux choses lune. Soit on cherche contrler et rguler la croissance de manire la rendre compatible avec les capacits de production et dutilisation des ressources (matires premires, nergie, aliments, eau, air pur), soit on dcide dacclrer la croissance, grce au crdit et linvestissement, en esprant que lintendance suivra. Dans le premier cas, on aura une croissance faible, incapable damliorer, dans des dlais politiquement convenables, lexistence de la grande masse des pauvres et des exclus. Dans le deuxime, on assurera une vie plus prospre une grande masse de gens, mais on finira par aller dans le mur de la dette et du manque de ressources de base, et il faudra grer les consquences politiques de la rcession. La crise actuelle est du deuxime type. Dans le tourbillon des faillites et chutes boursires, on oublie que ce sont justement les formidables pyramides de dettes du systme financier international qui ont soutenu lextraordinaire croissance de la Chine, de lInde, du Brsil et dautres pays mergents ou pauvres. Lexplosion du crdit au cours des deux dernires dcennies a aliment la vague des investissements productifs dans le monde et la hausse considrable de

la consommation, et pas seulement dans les pays industrialiss. Prs dun milliard de nouveaux producteurs et consommateurs dans le monde en dveloppement ont rejoint le march mondial, tandis que les Etats-Unis et lEurope devenaient les consommateurs en dernire instance dune machine productive globale qui semballait. La hausse acclre des prix des ressources de base et lextension de la dette (aux Etats-Unis, celle-ci est pass de 20% du PIB en 1980 120% en 2008) ont fini par avoir raison du cycle haussier. Le cercle vertueux a sombr dans ses vices cachs. Le krach a commenc par le manque de liquidits, les craintes dinsolvabilit du systme financier et leffondrement du prix des matires premires et du ptrole. Plus personne ne parle de dcouplage entre pays riches et mergents face la crise. La question, aujourdhui, est de savoir si lon aura une vritable dpression ou si lon parviendra sen tirer avec une simple rcession, si possible pas trop longue. La rponse dpendra du rtablisse-

ment de la confiance. Lasschement de tous les crdits interbancaires dans le monde dmontre, encore une fois, quil ne peut y avoir ni investissement, ni consommation sans une garantie en dernier recours de viabilit du systme qui permette les changes des crances et des dettes. Cette garantie, seuls les pouvoirs politiques peuvent la donner. Mais la grande diffrence avec le pass est que les changes financiers et les chanes productrices de valeur se sont globaliss. En dpit de limportance de la crise, les Etats-Unis se trouvent toujours au cur de lconomie globale (comme latteste la hausse du dollar, en pleine crise de liquidits, et la fuite vers les papiers du Trsor amricain). Washington cependant, na plus les moyens de rgler, seul, un problme qui est devenu systmique. Face un risque global, les agents conomiques exigeaient des garanties politiques globales. Les aides milliardaires au systme financier, concdes de manire coordonne par des gouvernements rticents, marquent la premire grande victoire du march globalis sur les autorits politiques et montaires nationales. Reste savoir si une nouvelle gouvernance conomique globale va effectivement merger de la crise et si une plus grande intervention politique dans la marche des conomies ne se traduira pas par un excs de rgulation qui condamnerait la plante une longue priode de faible croissance. Cela reviendrait dire plus de la moiti de lhumanit qui vit dans la pauvret quelle peut continuer de rver des temps meilleurs mais seulement pour ses arrire-petitsenfants.