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Ecole Pascal Classe de Seconde 2 DST - 24 Avril 2007 Français-Littérature Objet d’étude : La Chanson française « Chanter la guerre » Documents A/ article « Chanson » du Dictionnaire « Le Robert ». B/ Jean Val, « La Garde de nuit à l’Yser », X.1914. C/ Raymond Asso, « Tout fout l’camp », 1939. D/ Georges Brassens, « La Guerre de 14-18 », 1962. E/ « De la Chanson de Geste à MC Solaar », entretien entre Pierre Saka & Alexie Lorca, magazine « Lire », Septembre 1997. F/ Audition de la chanson de Damia « La Garde de nuit à l’Yser ». Question (4 points) Après avoir entendu la chanson de Damia « La Garde de nuit à l’Yser », lu avec attention l’article « Chanson » du dictionnaire « Le Robert » et pris connaissance des textes du corpus, vous évaluerez les différences de tonalité, de style & de point de vue qui existent entre les paroles des chansons de Damia & de Georges Brassens (documents B, C & D). Ecriture (16 points) Sujet 1/Commentaire composé Vous ferez un commentaire du poème du « poilu » belge Jean Val (document B). Sujet 2/ Dissertation La chanson n'est pas un genre mineur, affirme Philippe Labro, l'un des plus fidèles paroliers de Johnny Hallyday, expliquant qu'il lui plaît d' «essayer à travers un interprète au goût très sûr, profondément populaire, capable de s'adapter aux courants des époques et du monde et possédant un instinct et une intuition très forts pour choisir, transformer ou rejeter les textes qui lui sont proposés, de dire quelques petites choses sur mon époque». Pensez-vous comme Philippe Labro que la chanson peut se satisfaire de « dire quelques petites choses sur [notre] époque » ? Sujet 3/Ecriture d’invention Persuadé qu’il faut élucider la difficile question des rapports Musique/Littérature dans la Chanson, vous allez vous entretenir de cette question avec un auteur-compositeur de votre choix, afin de publier cet entretien dans une revue lycéenne… 1

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Ecole Pascal

Classe de Seconde 2 DST - 24 Avril 2007

Français-Littérature

Objet d’étude : La Chanson française

« Chanter la guerre » Documents A/ article « Chanson » du Dictionnaire « Le Robert ». B/ Jean Val, « La Garde de nuit à l’Yser », X.1914. C/ Raymond Asso, « Tout fout l’camp », 1939. D/ Georges Brassens, « La Guerre de 14-18 », 1962. E/ « De la Chanson de Geste à MC Solaar », entretien entre Pierre Saka & Alexie Lorca, magazine « Lire », Septembre 1997. F/ Audition de la chanson de Damia « La Garde de nuit à l’Yser ». Question (4 points) Après avoir entendu la chanson de Damia « La Garde de nuit à l’Yser », lu avec attention l’article « Chanson » du dictionnaire « Le Robert » et pris connaissance des textes du corpus, vous évaluerez les différences de tonalité, de style & de point de vue qui existent entre les paroles des chansons de Damia & de Georges Brassens (documents B, C & D). Ecriture (16 points) Sujet 1/Commentaire composé Vous ferez un commentaire du poème du « poilu » belge Jean Val (document B). Sujet 2/ Dissertation La chanson n'est pas un genre mineur, affirme Philippe Labro, l'un des plus fidèles paroliers de Johnny Hallyday, expliquant qu'il lui plaît d' «essayer à travers un interprète au goût très sûr, profondément populaire, capable de s'adapter aux courants des époques et du monde et possédant un instinct et une intuition très forts pour choisir, transformer ou rejeter les textes qui lui sont proposés, de dire quelques petites choses sur mon époque». Pensez-vous comme Philippe Labro que la chanson peut se satisfaire de « dire quelques petites choses sur [notre] époque » ? Sujet 3/Ecriture d’invention Persuadé qu’il faut élucider la difficile question des rapports Musique/Littérature dans la Chanson, vous allez vous entretenir de cette question avec un auteur-compositeur de votre choix, afin de publier cet entretien dans une revue lycéenne…

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document A CHANSON, n.f. (article tiré du dictionnaire « Le Grand Robert »). -I. 1. Composition pour la voix, texte mis en musique, souvent divisé en couplets et refrain. Chansons anciennes, traditionnelles. - Ballade, barcarolle, berceuse, bergerette, brunette, cantilène, canzonette, cavatine, complainte, lied, mélodie, pont-neuf, romance, ronde, vaudeville, villanelle. L'air, la musique; les paroles d'une chanson. La reprise, le refrain d'une chanson traditionnelle (ex. : ô gué! larifla, tire-lire, tra-la-la, turlurette). - aussi Flonflon. Vieille chanson folklorique. Chanson italienne. - Canzone, 2. Chanson française polyphonique et a cappella du XVIe siècle. Chanson d'histoire ou de toile, que les femmes chantaient en filant (au moyen âge). Chansons de trouvères*. La séguedille*, chanson espagnole. Chanson populaire; chanson réaliste*. - aussi Complainte, goualante. Chanson d'amour, chanson de charme. Chanson triste. Chanson gaie, badine; chanson grivoise, gaillarde, chanson d'étudiants. Chanson braillée à tue-tête. - Beuglante. Chanson à danser. Chanson à boire, chanson de table, de cabaret, chanson bachique (cit. 1 et 2). Chanson satirique, chanson rosse (- Chansonnier). Chanson d'enfants. - aussi Comptine. Chanson patriotique. Chanson de marche, de route. Chanson de marins. Chanson de bord. Chansons de cow-boys. Chansons américaines traditionnelles. - Folk (folk-song). - Chanson ressassée. - Rengaine, ritournelle, scie. - Écrire, composer des chansons. Parolier de chansons. Chanter, écouter une chanson. Faire des chansons sur qqn. Mettre (qqn, qqch.) en chansons. - Chansonner. Récital de chansons. Chanteur qui enregistre des chansons. Les chansons de Mireille et Jean Nohain, de Charles Trenet, de Georges Brassens, de Jacques Brel, de Léo Ferré, de Gilles Vigneault. Auteur* (paroles), compositeur, interprète de chansons. Mise en scène vidéo d'une chanson. 2.clip. Loc. L'air ne fait pas la chanson (- L'habit ne fait pas le moine). - Air. - Le ton fait la chanson : la manière de dire les choses en modifie le sens. - Comme on dit dans la chanson, comme dit la chanson. Allus. littér. (En France) tout finit par des chansons (Beaumarchais, le Mariage de Figaro, V, 19, Vaudeville) : les Français sont frivoles. Spécialt. [a] La musique seule. Siffloter une chanson à la mode. Compositeur de chansons. - La partition. Acheter une chanson. Éditeur de chansons. [b] Le texte seul; poème mis en chanson. Une chanson de Prévert, de Queneau. La Chanson de Tessa, de Giraudoux. - Texte de chanson. Éditer un recueil des chansons de Brassens. Collectif. La chanson : l'art de composer, de chanter des chansons (de manière professionnelle); ensemble des compositions musicales populaires pour la voix humaine. La chanson courtoise, au moyen âge. La chanson française, italienne. Histoire de la chanson. Festival de la chanson. La chanson réaliste (cit. 4.3). La chanson satirique. La chanson yé-yé. La chanson pour enfants. La chanson rive* gauche, la chanson engagée. Les vedettes de la chanson. 2. Bruit musical. - Chant; bruit, murmure. La chanson des oiseaux, du rossignol. La chanson du grillon. La chanson du vent dans les feuillles. 3. Fig. et fam. (dans quelques expressions). Propos rebattus. - Refrain. Il n'a, il ne sait qu'une chanson. C'est toujours la même chanson. - Comédie, histoire. Il chante toujours la même chanson. Voilà une autre chanson, une autre affaire, un nouvel embarras. 4. Vx (généralement au plur.). Propos ou raisons futiles et dont on ne tient aucun compte. - Bagatelle, baliverne, conte (conte en l'air), sornette. Il ne se paye pas de chansons. -II. Littér. - 1. Poème épique du moyen âge, divisé en strophes (- Laisse). Chansons de chevalerie. Chanson de Geste (- Geste). La Chanson de Roland (- Assonance, cit. 1; assoner, cit.). La Chanson d'Antioche. - 2. (Dans des titres). Poème lyrique de style tel qu'il puisse en principe faire l'objet d'une mise en musique sous forme de chanson (style naturel, simple, expressif, structure répétitive). Les Chansons des rues et des bois, de Hugo. La Bonne Chanson, de Verlaine. La Chanson des gueux, de Richepin. La Chanson du Mal Aimé, d'Apollinaire. CONTR. Sérieux (chose sérieuse). DÉR. Chansonner, chansonnette, chansonnier. Espèce de petit poème lyrique fort court, qui roule ordinairement sur des sujets agréables, auxquels on ajoute un air pour être chanté dans les occasions familières (...) ROUSSEAU, Dictionnaire de la musique, article « Chanson ».

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Damia / La garde de nuit à l’Yser Bataille des Flandres pour Calais (22.X-15.XI.1914) Falkenhayn est défait par Foch, commence la guerre d’usure … un poème d’un soldat belge de la guerre 14-18, Jean Val. chantée par Damia en 1933. Un rien de lumière, lueur éphémère, Rampe encore sur terre au long des boyaux ; La nuit tombe, tombe, après dans la tombe, Et la mort en trombe pour bien des héros. C’est l’heure indicible où l’humaine cible Frissonne impassible au fond de son cœur, Et c’est l’heure obscure où sous notre armure S’insinue, sûre, la main de la peur. Va, légers mes contes, l’angoisse se dompte Et le sang remonte orgueilleux et vif Un doigt sur la gâchette, le soldat furète Et par la nuit guette d’un œil attentif. Les canons rugissent, Les balles ratissent Les abris gémissent sous les coups du fer, Et plus cela barde, et plus on bombarde Plus belle est la garde au bord de l’Yser. Clarté fulgurante, fleur éblouissante, Traînée sanglante dans le ciel tout noir, C’est une fusée qui monte irisée, De l’enfer lâchée comme un feu d’espoir. Alors tout se fige, alors Ô prodige, Par le seul prestige de cet œil ouvert, Tous les nerfs se tendent, les armes se bandent, Et les cœurs attendent l’holocauste offert. Mais le vent se lève, là-bas vers la grève Il assaille et crève le manteau des cieux, Des nues s’affaissent, fuient, se dépècent, Des étoiles naissent en clignant des yeux.

Et soudain, très belles, de lugubres ailes, Des ailes mortelles, passent en vrombissant Quelques gottas passent, ils passent voraces, Jalonnant sa trace de flaques de sang. Et le temps s’enrouille et la mort se saoûle Du sang qui s’écoule en flots monstrueux, Grisée de tumulte, la camarde exulte, Et son geste insulte aux plus valeureux. Elle arrive, lente, lâche, patiente, Immonde, démente, implacable et lasse, Et sa main fantasque, dédaignant le casque, Glisse sous le masque le poison des gaz. Enfin l’accalmie, une voix ranime, Une voix bénie s’élève soudain, Le gars taciturne sent dans l’air nocturne Le clocher de Furnes qui s’émeut lointain. Il s’émeut, et chante la chanson vivante, Pleure de détente du prochain éveil, La nuit se lézarde, l’aube les blafarde, Finie la garde, voici le soleil.

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document C Raymond Asso, Tout fout l’camp, 1939. paroles de Raymond Asso, musique de Juel /chantée par Damia en 1939, reprise après la guerre par Edith Piaf. Nous sommes maîtres de la terre Nous nous croyons des presque Dieu. Et pan ! le nez dans la poussière Qu'est-ce que nous sommes : Des pouilleux. Refrain Et là-haut les oiseaux Qui nous voient tout petit, si petits, Tournent, tournent sur nous, Et crient : Au fou ! au fou ! Nous nageons tous dans la bêtise Et l'on invente des drapeaux, On met des couleurs aux chemises, Sous la chemise y a la peau.{Refrain} Ecoutez le monde en folie… Vive la mort, vive la fin, Pas un ne crie vive la vie, Nous sommes tous des assassins.{Refrain} Et toute la terre qui gronde, Bonne saison pour les volcans. On va faire sauter le monde, Cramponnez-vous, tout fout l'camp ! Et là-haut les corbeaux Qui nous voient tout petit, si petits, Tournent comme des fous Et crient : A nous ! A nous ! La vie pourrait être si belle Si l'on voulait vivre d'abord. Pourquoi se creuser la cervelle Quand y a du bon soleil dehors ! Variante Edith Piaf [Et pourtant les filles sont belles Et y’a du beau soleil dehors. Pourquoi se creuser la cervelle, Au diable tout, vivons d'abord !] Et là-haut les corbeaux Qui nous voient tout petit, si petits Crient : les hommes sont fous Ils se foutent de nous !

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document D Georges Brassens, « La Guerre de 14-18 », 1962. Depuis que l'homme écrit l'Histoire Depuis qu'il bataille à cœur joie Entre mille et une guerr' notoires Si j'étais t'nu de faire un choix A l'encontre du vieil Homère Je déclarerais tout de suite: "Moi, mon colon, cell' que j'préfère, C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit!" Est-ce à dire que je méprise Les nobles guerres de jadis Que je m'soucie comm' d'un'cerise De celle de soixante-dix? Au contrair', je la révère Et lui donne un satisfecit Mais, mon colon, celle que j'préfère C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit Je sais que les guerriers de Sparte Plantaient pas leurs épées dans l'eau Que les grognards de Bonaparte Tiraient pas leur poudre aux moineaux Leurs faits d'armes sont légendaires Au garde-à-vous, je les félicite Mais, mon colon, celle que j'préfère C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

Bien sûr, celle de l'an quarante Ne m'as pas tout à fait déçu Elle fut longue et massacrante Et je ne crache pas dessus Mais à mon sens, elle ne vaut guère Guèr' plus qu'un premier accessit Moi, mon colon, celle que j' préfère C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit Mon but n'est pas de chercher noise Au guérillas, non, fichtre, non Guerres saintes, guerres sournoises Qui n'osent pas dire leur nom, Chacune a quelque chos' pour plaire Chacune a son petit mérite Mais, mon colon, celle que j'préfère C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit Du fond de son sac à malices Mars va sans doute, à l'occasion, En sortir une, un vrai délice Qui me fera grosse impression En attendant je persévère A dir' que ma guerr' favorite Cell', mon colon, que j'voudrais faire C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

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Document E De la chanson de geste à MC Solaar, entretien entre Pierre Saka & Alexie Lorca, magazine « Lire », Septembre 1997.

Pierre Saka a été le parolier d'Annie Cordy, d'Eddy Mitchell ou de Sylvie Vartan. Il est aussi intarissable sur l'histoire de la chanson en France.

Pierre Saka connaît la chanson! Journaliste à Paris Inter et Radio-Luxembourg, il devient dans les années 50 un parolier à succès pour Jacques Hélian, Eddie Constantine, Annie Cordy ou Jacqueline François. Changement de style quelque dix ans plus tard, quand Eddy Mitchell, Sylvie Vartan, Dick Rivers et Richard Anthony le sollicitent à leur tour. Suivront les adaptations de chansons de Ray Charles et des Beatles. Il continue parallèlement ses activités radiophoniques, en animant entre 1955 et 1963 des émissions sur RTL et Europe 1, avant d'intégrer France Inter et l'équipe créatrice de L'oreille en coin. Homme d'écriture, il a publié divers ouvrages consacrés à la chanson française, dont le bel album illustré La chanson française à travers ses succès, aux éditions Larousse.

A quelle époque les premiers poèmes chantés apparaissent-ils? Pierre Saka. Au XIe siècle avec les chansons de geste, ces poèmes épiques en décasyllabes, comme La Chanson de Roland. Mais il ne s'agit pas de chansons au sens où on l'entend aujourd'hui. Ces textes ne sont pas accompagnés de mélodies, ils sont juste psalmodiés. Ils rendent compte des grands événements du moment. Un peu plus tard naissent les troubadours. En général, de jeunes et beaux garçons qui séduisent les châtelaines avec des chansons d'amour. A partir de François Ier la chanson existe vraiment en tant que telle. Le roi écrit lui-même des ballades sentimentales.

Les élites ont considéré la chanson tout au long de son histoire comme un genre mineur. Pourquoi? P.S. Parce que c'est une petite pièce rimée et légère, qui a en outre souvent l'audace d'être critique et contestataire. Ça commence pendant la régence d'Anne d'Autriche. Mazarin, son conseiller, devient la bête noire du peuple qui attaque le pouvoir par le truchement de parodies chantées: les mazarinades. On en compte plus de cinq mille. La chanson devient vite, entre autres choses, un instrument de revendication politique. Souvenez-vous du « Chant des partisans ». Il a été composé par Anna Marly, une chanteuse française d'origine russe, réfugiée à Londres en 1942. Au cours d'une réunion des résistants dans la capitale anglaise, elle fait écouter sa musique à Joseph Kessel et Maurice Druon, qui lui proposent un texte: Le chant de la Libération, qui deviendra Le chant des partisans. Mais la chanson peut également servir au pouvoir en place. Ainsi, en 1794, à l'occasion du cinquième anniversaire de la prise de la Bastille, le poète Joseph Chénier signe le Chant du Départ. Il répond à une commande du directeur de l'Institut national de musique, et s'inspire largement pour le fond et la forme de La Marseillaise. Soixante-dix ans plus tard, dans le genre patriotique et revanchard, Paul Déroulède écrit Le Clairon pour Marie-Thérèse Amiati, vedette de L'Eldorado. Il signera de nombreux autres textes de la même veine, ce qui lui vaudra cette phrase d'un critique: «Le poing aux Vosges, héroïque, il se fait tuer tous les soirs vers 23h30 dans la baraque des forains qui monte des drames militaires!»

A quel moment peut-on parler de «chanson littéraire»? P.S. Au XIXe siècle. Elle est incarnée par le chansonnier Pierre Jean de Béranger, dont le répertoire est très étendu: libertin, politique, anticlérical, historique, social. Béranger est le seul chanteur à qui l'on proposa d'entrer à l'Académie française. Il refusa mais eut tout de même droit à des obsèques nationales. Chateaubriand et Lamartine le connaissaient bien et l'admiraient. Ces deux derniers ont prêté leur plume à la chanson. Le Lac de Lamartine a été mis en musique par Niedermeyer et

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Chateaubriand a écrit une Romance à Hélène. La poétesse Marceline Desbordes-Valmore et l'écrivain Gérard de Nerval laisseront eux aussi des paroles de chansons. Même chose pour George Sand, qui mettra ses textes en musique avec l'aide de la cantatrice Pauline Viardot.

Vous évoquez dans La chanson française à travers ses succès le club des Hydropathes... P.S. Il a été créé par Emile Goudeau le 11 octobre 1878 et réunit des poètes, des romanciers, des musiciens et autres artistes tous amateurs de chahut et de bon vin. Ils cultivent aussi bien la satire politique que la chanson sentimentale. Chacun doit lire en public un texte de sa création, en vers ou en prose. S'y sont côtoyés notamment Charles Cros, François Coppée, Guy de Maupassant, Alphonse Allais, Léon Bloy, Jules Laforgue, le chansonnier Maurice Rollinat, Mac-Nab, Jules Jouy ou Jean Richepin. Ce dernier écrivit d'ailleurs deux succès, La glu et Les deux ménétriers, interprétés par Thérésa, une grande vedette de l'époque. Les Hydropathes n'ont finalement rien inventé. En 1730, Gallet, un riche épicier féru de chanson, décide de réunir le dimanche dans sa boutique - rue de la Grande-Truanderie - des écrivains et des intellectuels. Parmi eux, le dramaturge Charles Collé, l'écrivain Piron, le poète dramatique Prosper Jolyot Crébillon et son fils Claude, auteur de romans de mœurs et de contes licencieux. Chaque comparse doit écrire et chanter une chanson à partir d'un thème défini. L'auteur de la plus mauvaise est condamné à boire de l'eau lors du gueuleton qui suit cette joute! Plus intéressé par ses chansons que par la gestion de ses affaires, le malheureux Gallet fait faillite trois ans plus tard! Ces réunions se poursuivent chez Landelle, qui tient un cabaret rue de Buci. A partir de ce moment, d'autres caveaux vont fleurir partout en France. Parallèlement, une autre tendance fait rage: celle de la romance, dont le célèbre Plaisir d'amour, écrit par le poète Florian et mis en musique par Martini.

Quelles sont au XXe siècle les rencontres les plus insolites entre écrivains et chanteurs? P.S. L'une des moins connues est peut-être celle de Colette, qui croise un jour à Saint-Tropez le compositeur Michel Emer. Elle adore la chanson, et propose un texte à Emer, Mon âne, qu'il s'empresse de mettre en musique. La chanson sera enregistrée par Tino Rossi. Sur l'autre face de ce 45-tours figurait une chanson signée... Francis Carco! Parolier à ses heures, l'auteur de Jésus la Caille doit son premier succès dans la chanson à Marie Dubas qui interpréta son Doux caboulot et sa Chanson tendre. On peut encore mentionner Bal chez Temporel. C'est la première composition de Guy Béart sur un texte du poète André Hardellet pour Patachou. Desnos écrivit aussi plusieurs chansons pour des interprètes féminines, et une cantate mise en musique par Darius Milhaud pour l'inauguration du musée de l'Homme.

Raymond Queneau et Frédéric Dard figurent aussi dans votre ouvrage. P.S. Queneau est l'auteur de nombreuses chansons, Le gai rétameur, La pendule, Le repas ridicule, Pauvre type, Maigrir et le célèbre Si tu t'imagines, mis en musique par Joseph Kosma et chanté par Juliette Gréco. Quant au père de San-Antonio, il a signé le livret de Monsieur Carnaval, une opérette de Charles Aznavour et Jacques Plante, dont est extraite La bohème, interprétée à l'époque par Georges Guétary.

On a l'impression qu'en cette fin de siècle la littérature et la chanson flirtent beaucoup moins spontanément qu'avant. P.S. Aujourd'hui, de nombreux interprètes écrivent eux-mêmes leurs chansons. Et puis, la différence entre la langue littéraire et celle de la variété s'accuse. Les jeunes chanteurs puisent abondamment dans un argot contemporain en constante évolution. Enfants de Gainsbourg, ils sont férus de jeux de mots notamment en franglais. J'ai lu récemment un texte de Doc Gynéco dont le titre était: Les Filles en mov'ment. Entre Sollers et Solaar, le fossé linguistique est certainement plus profond qu'entre Colette et Tino!

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