echos octobre-novembre-décembre 2013

44
Echos de la Compagnie de Jésus Province Belge Méridionale et Luxembourg Hommage aux Jésuites décédés (2012–2013) • P 402014 • Trimestriel • Supplément au n o 2013-4 • Bureau de dépôt : Namur 1 • Ed. resp. : Pierre Hupez, s.j., Rue Fauchille, 6, 1150 Bruxelles •

Upload: daniel-de-crombrugghe

Post on 07-Mar-2016

221 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Revue des Amis de la Compagnie en Belgique et Luxembourg

TRANSCRIPT

Page 1: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Echosde la Compagnie de Jésus

Province Belge Méridionale et Luxembourg

Hommage aux

Jésuites décédés

(2012–2013)

• P402014 • Trim

estriel • Supplém

ent a

u no2013-4 • Bureau de dépôt: N

amur 1 •Ed. resp.: Pierre Hu

pez, s.j., Rue Fauchille, 6, 1150 Bruxelles•

Mélanges 2013-04 - couv 05-11-13 11h10 Page1

Page 2: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Nous avec euxeux avec nous

P. Georges Bédoret16 mai 1917 – 24 janvier 2012

P. Xavier Breuls de Tiecken23 avril 1922 – 23 février 2012

P. Jean Lecuit7 juin 1931 – 7 avril 2012

P. André Delhaze30 mars 1920 – 15 mai 2012

P. Guy De Grox23 janvier 1936 – 1er octobre 2012

P. Paul Lebeau16 décembre 1925 – 13 novembre 2012

Fr. Jean-Pierre Scailquin18 février 1942 – 9 décembre 2012

P. Jean Mottet24 avril 1933 – 25 décembre 2012

P. Paul Smolders29 septembre 1938 – 24 janvier 2013

p. 2

p. 3

p. 6

p. 10

p. 11

p. 14

p. 18

p. 21

p. 24

P. Pierre Defoux16 mars 1924 – 3 février 2013

P. Georges Krug26 juin 1922 – 2 avril 2013

P. Marcel Gérard21 janvier 1922 – 8 juillet 2013

P. Jean Legros2 mars 1927 – 27 août 2013

P. André Roberti de Winghe10 juillet 1925 – 20 septembre 2013

p. 26

p. 30

p. 32

p. 34

p. 37

• DE LA FÊTE DE MARIE MÈRE DE DIEU 2012 À LA TOUSSAINT 2013 •

E P

R T

S R M J I B R D

Mélanges 2013-04 - couv 05-11-13 11h10 Page2

Page 3: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Maintenant, ô Maître Souverain,tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix selon ta parole.Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples :Lumière qui se révèle aux nationset donne gloire à ton peuple Israël.

Gloire au Père, et au Fils et au Saint-Esprit,pour les siècles des siècles. Amen.

Cantique de Syméon, Luc 2, 29-32

1

Du 1er janvier 2012, fêtetitulaire de la Compagnie deJésus, à la Toussaint 2013

Un hommage à nosfrères jésuites décédés

Echos • Supplément 2013-4 •

Page 4: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 16 mai 1917 à Clermont-Walcourt, dé-cédé le 24 janvier 2012 à Woluwe-Saint-Pierre, il est entré dans la Compagnie le 23septembre 1934 et a été ordonné prêtre le 2février 1952.

Né à Clermont (Walcourt) en pleine guerre, mai 1917, dans une famille

qui sera nombreuse, Georges entre jeune aunoviciat en septembre 1934. Après la forma-tion habituelle, on le trouve surveillant édu-cateur à Godinne, puis à Mons, en pleineguerre encore. Il fait sa théologie à Leuvenet est ordonné prêtre en août 1947 ; vientalors le temps du troisième an à La Pairelle.

Le voici d’abord à Arlon, comme ministreet avec la charge de l’église, puis à Liège, Saint-Servais avec les mêmes tâches. En 1955-1956,il est envoyé à Bujumbura comme ministre,pour aider aux constructions en cours. Il estrappelé au collège Saint-Michel à Bruxelles,comme Recteur (1956-1959), avant d’aller enFrance pendant de longues et belles années(trente-quatre ans), comme « ouvrier apos-tolique » et animateur de retraites (Exercicesspirituels) : d’abord à Gap, à Marseille, à Aix-en-Provence, puis séjour heureux à Marseille(1968-1987), enfin à Montpellier.

Il revient en Belgique à Charleroi, au servicede l’église du Sacré-Cœur ; mais à l’âge de 90ans, sa santé le conduit à La Colombière(Bruxelles), mai 2007, où il vivra paisiblementses dernières années, fidèle aux eucharistiesquotidiennes, tant qu’il l’a pu. Ses yeux et ses

oreilles le lâchaient peu à peu ; sa fin fut rapideet calme — nous en avons été surpris.

Homme dévoué et souriant, soigneux danstout ce qu’il faisait, il était un guide spirituelde bon conseil, très accueillant pour ses visi-teurs, ce qu’attestent tant de personnes recon-naissantes.

Pierre Mourlon Beernaert, s.j.

2 Echos • Supplément 2013-4 •

P. GeorgesBédoret

Nous avec eux

Texte que le P. Bédoret aimaitprier souvent

Job prit la parole et dit :« Je sais, moi, que mon libérateur estvivant,Et qu’à la fin, il se dressera sur lapoussière des morts.Avec mon corps, je me tiendraidebout,Et de mes yeux de chair, je verraiDieu :Moi-même, je le verrai ! »

Page 5: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 23 avril 1922 à Roclenge-sur-Geer, dé-cédé le 23 février 2012 à Woluwe-Saint-Pierre, il est entré dans la Compagnie le 7 sep-tembre 1941 et a été ordonné prêtre le 15août 1953.

Les deux frères et les deux sœurs de Xavier lui donneront de nombreux neveux et

nièces, qui lui voueront une grande affection.Il fait les humanités gréco-latines au collègejésuite de Tournai. En mars 1939, la RevueMissionnaire (jésuite) publie un petit rapportdu cercle missionnaire, signé Xavier Breuls,3e latine. On y lit déjà toute l’ardeur d’apôtre,qui l’a animé jusqu’à son dernier souffle ! « Lecercle, écrit-il, est en correspondance régu-lière avec deux missionnaires, le P. Peeters,de Kinzambi, et le P. [Robert] Delhaze, deDjuma. » Se doutait-il alors qu’il les rencon-trerait quelques années plus tard, dans leurchamp missionnaire ?

En septembre 1941, il entre au noviciat d’Ar-lon, dont les bâtiments seront réquisitionnésquelques mois plus tard par l’armée alleman-de, et qui trouvera alors refuge dans un cou-vent de religieuses non loin de là, à Guirsch.Nous sommes en effet en pleine deuxièmeguerre mondiale, et le déroulement des pre-mières années de formation de tous les jeunersjésuites s’en trouvera encore plus d’une foisperturbé. Après les études classiques au juvé-nat de Wépion (1943-1945) et la philosophieà Godinne (1945-1947), Xavier fait la régencecomme surveillant, d’abord dans son ancien

collège de Tournai(1947-1949), ensuite aucollège Saint-Michel àBruxelles. Pour lathéologie il est à Ee-genhoven, où il est or-donné en août 1953. En1954, il termine sa for-mation par le 3e An à Wépion. Le voilà prêtpour la mission qu’il a demandée dès son en-trée au noviciat.

Arrivé au Congo en 1955, il commence parquelques années dans l’enseignement. A Kik-wit-cité, il est professeur de religion et de fran-çais à l’école professionnelle (l’EPTOK, lefutur ITPK), aumônier des scouts et des xa-véris, père spirituel des élèves et confesseur àl’école et à la cathédrale. (C’est à Kikwit que

3

P. XavierBreuls de Tiecken

Echos • Supplément 2013-4 •

Eux avec nous

« Annoncer l’Évangile n’est pas unmotif d’orgueil ;c’est une nécessité qui s’impose àmoi !Malheur à moi si je n’annonce pasl’Évangile !Quel est donc mon salaire ?C’est d’offrir gratuitement l’Évangileque j’annonce, sans user des droitsque cet Évangile me confère.Libre à l’égard de tous, je me suis faitl’esclave de tous, pour en gagner leplus grand nombre… »

1 Co 9, 16ss

Page 6: Echos octobre-novembre-décembre 2013

des élèves lui auraient donné le nom de Fran-çois Xavier, par dévotion au grand saint mis-sionnaire jésuite). Et, bien sûr, il profite de sesloisirs pour apprendre la langue et s’initieraux us et coutumes du pays. Car ce dont il rêve,c’est d’une activité pastorale, à l’image de Jésusparcourant les routes de la Palestine en an-nonçant le Royaume de Dieu, soit ici, une viede broussard.

En 1961, il voit son rêve se réaliser : il estnommé vicaire itinérant, et le restera pendantplus de vingt-cinq ans, autrement dit, jusqu’aujour où, malgré son ardeur apostolique et saténacité, le bon « frère âne » commencera àtraîner la patte et déclarera forfait. On le trou-vera successivement à Yasa, où il est aussi ac-compagnateur des Xavéris (1961-1965), à Kik-wit Sacré-Cœur, où il est également accom-pagnateur spirituel à la pédagogie des FrèresJoséphites (1965-1967), puis rédacteur de lafeuille de liaison du diocèse « Lukwikilu lwe-to » (1967-1968), à la paroisse Sainte-Marie deKikwit, où il doit remplacer comme vicaire etprofesseur de religion le P. Léo Duvieusart,parti au 3e An (1968-1969), à Kingungi, où ilest aussi professeur à l’école normale (1969-1971), Yasa (1971-1974), Tumikia (1974-1976),Kisanji (1976-1981), Lumbi (1981-1983), Lu-sanga (1983-1986) et Sia (1986-1987).

A partir de 1987, il doit se résoudre à unmode de vie plus sédentaire. Il est d’abord vi-caire résidant et aumônier de l’hôpital à Djuma(1987-1988), puis à Mosango (1988-1989),avant de devenir aumônier de l’hôpital deBonga-Yasa avec les cours de religion à l’I.T.M.(1989-1992). En 1992, il rejoint la communauté

de la résidence Nzo Ngemba comme aumô-nier de l’Hôpital Général de Kikwit (1992-1999). Il est donc à Kikwit quand s’y déclare,en avril 1995, la terrible épidémie de type Ebo-la, qui en quelques semaines fait plus de centvictimes, parmi lesquelles un médecin, six re-ligieuses (dont toute la communauté desSœurs des Pauvres de Bergame) et seize in-firmiers et infirmières. En aumônier conscien-cieux et dévoué, le P. Xavier, avec les précau-tions utiles, continue courageusement sonministère d’accompagnement des malades.

En 1999, il va renforcer l’équipe pastoralede la lointaine paroisse de Sia, dont il devient,en 2002, ministre et économe. En 2003, la pa-roisse est cédée au clergé diocésain et il re-tourne à la Nzo Ngemba.

Il a alors 81 ans et le travail pastoral, surtoutles longues années d’itinérance, les nombreuxdéplacements, l’ont usé. Depuis 1961, il a chan-gé quinze fois d’affectation ! Modèle de mo-bilité, de disponibilité ! Quelle faculté d’adap-tation aussi à tant de populations, différentespar la langue et les coutumes ! « C’est le proprede notre vocation d’aller d’un endroit à unautre et de vivre en quelque lieu où pourrontêtre plus grands le service de Dieu et le salutdes âmes. » Pour le P. Xavier, ces lignes duSommaire des Constitutions, vécues dansl’obéissance, n’ont certes pas été lettre morte !

De retour à Kikwit, il reçoit une tâche moinsrude. En plus de ‘ministères divers », il est bi-bliothécaire et responsable de la salle Loyola,où les étudiants et étudiantes de l’Institut su-périeur pédagogique viennent travailler, avecla possibilité de consulter les livres de la bi-bliothèque. Il devient leur « conseiller cultu-rel », et profite de ses loisirs pour composer,en collaboration avec Adelbert Kola, la bro-chure Vers le mieux-être. Réflexion sur la po-litique, où il montre comment compétence,conscience professionnelle et sens des res-

Nous avec eux

4 Echos • Supplément 2013-4 •

« Souhait pour tous les Congolais,tous les confrères et tout le monde :“E Jesu, kitula mono bonso nge !”Jésus, rends-moi semblable à Toi ! »

Page 7: Echos octobre-novembre-décembre 2013

ponsabilités doivent être les maîtres-mots envue d’un vrai progrès humain. (1re impressionen 2004, 6e mille en 2008 !).

Mais avec les années ses forces déclinent,il souffre d’insuffisances cardiaque et respi-ratoire, et le 13 janvier 2009, il rentre définiti-vement en Belgique. Accueilli à la commu-nauté Saint-Claude La Colombière, il est soi-gné à l’hôpital Saint-Luc, et peut, aprèsquelques semaines, rejoindre la communauté

de Godinne. Quand celle-ci est fermée (2011),il retourne à La Colombière. Toujours fermeet bien droit, il garde son enthousiasme et sesparoles encourageantes pour tous ceux qu’ilrencontre, jusqu’au jour où ses forces l’aban-donnent, et où il s’abandonne pleinement lui-même entre les mains de Celui qu’il a servijusqu’au bout.

Jan Evers, s.j.

Eux avec nous

5Echos • Supplément 2013-4 •

« Ce qui se passera de l’autre côté,quand tout pour moi aura basculédans l’éternité… je ne le sais pas !Je crois, je crois seulement qu’ungrand amour m’attend. »

Saint Jean de la Croix(1542-1591)

« La politique, c’est l’art de conduireun peuple vers le mieux-être. »

Paul VI

« Le plus grand acte de charité que puisse faire un chrétien (et unnon-chrétien),c’est de faire de la politique. »

Paul VI

Page 8: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 7 juin 1931 à Charleroi, décédé le 7 avril2012 à Bruxelles, il est entré dans la Compa-gnie le 14 septembre 1949 et a été ordonnéprêtre le 6 août 1964.

Né à Charleroi aîné de cinq enfants, Jean était très attaché aux siens. La guerre

marquera sa jeunesse. Il entre au noviciatd’Arlon en 1949. Après sa philosophie à Ee-genhoven, il se spécialise en mathématiqueset en physique à Leuven. Il fait sa théologiependant le concile et est ordonné prêtre enmême temps que son frère Pierre (1964).

Sa mobilité le mène d’abord à Liège commeprofesseur au collège. Dès son « troisième an »en 1967, l’Italie le séduit. Il y gardera des ami-tiés fidèles jusqu’à son dernier jour. De 1971 à1974, son travail en milieu populaire à Flo-rence le convainc que tous doivent pouvoirs’exprimer. De retour à Liège, il devient en1977 collaborateur « volontaire » d’ATDQuart-Monde. Cet engagement le conduitnotamment à Jemappes (Mons), Bruxelles, etMéry-sur-Oise (1992-1999). Un temps adjointdu P. Provincial (1999-2003), il poursuit sonactivité avec ATD : contacts personnels, écrits,recherches sur la vie du P. Joseph Wresinski.

Jean soutient aussi, à partir de 2006, les Ita-liens du Foyer catholique européen à Bru -xelles. À la maison Pierre Favre ces dix der-nières années, il demeurait actif, présent à lavie communautaire, accueillant, disponibleaux accompagnements, attentif aux petits, cu-rieux de tout — réétudiant l’hébreu bi-blique ! —, attaché au cœur de l’Évangile.

Hospitalisé d’urgen-ce, bien entouré et lu-cide sur son état, Jeanpart, le Samedi saint,vers sa Pâque éternelle.« La vita è bella ! »,confiait-il encore quel -ques jours plus tôt.

Homélie pour la messede funérailles

L’octave de Pâques transfigure nos peinesdans la clarté de la résurrection, les premiersrayons d’un soleil levant qui ne connaît plusde déclin.

Jean, dans sa montée, rude et inattendue,vers sa dernière Pâque, a accompagné le Christau fil de la Semaine sainte. Plus encore, il s’estlaissé accompagner par son Seigneur, condui-re à traverser la mort avec Lui. Jean a reçu,vécu lucidement le sacrement des maladesdans l’après-midi du dimanche des Rameaux.Il a continué, les jours suivants, comme en ac-complissement de toute sa vie, à habiter lestraces de Celui qui l’avait appelé à le suivre auplus près. Il a pu affronter l’inattendu dans saprésence, en logeant sa peine dans celle de Jé-sus aimant jusqu’à l’extrême. En se laissantporter par son amour, qui s’est fait solidairede nos détresses et de nos dépouillements ul-times, pour nous rendre à notre tour prochesde nos frères et sœurs éprouvés. Le psaumedu bon berger nous a redit l’abandon qu’il faut

6 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Jean LecuitNous avec eux

Page 9: Echos octobre-novembre-décembre 2013

consentir, la confiance qui, tout en affrontantla maladie, s’en remet à Dieu : « Passerais-jeun ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal.Près de moi, ton bâton, ta houlette sont là quime consolent. »

La maman de Jean s’en était allée un Ven-dredi saint. « Femme, voici ton fils », lui auradit le Seigneur en accueillant son enfant dansl’après-midi du samedi, du repos sabbatique.C’était quelques instants seulement avant quela maman de Jean Tonglet, un de ses grandsamis de longue date, engagé avec lui dansATD, ne parte elle aussi vers Dieu. Reconnais-sons les signes que Dieu nous donne. Ils scel-lent les liens humains et spirituels les plus pro-fonds entre les personnes, ces relations queDieu seul, secrètement souvent, peut souteniret nourrir en vérité.

La première lecture, de saint Paul, vient denous rappeler la promesse de vie qui s’offrepour chacun de nous dans le Christ à jamaisvivant. Sa résurrection n’efface pas, mais trans-figure les heures douloureuses qui le condui-sent dans sa gloire pour qu’il nous la partage :« Ne fallait-il pas que le Christ souffrît celapour entrer dans sa gloire ? », dira le Ressuscitéaux disciples d’Emmaüs, en les aidant à sur-monter leur tristesse pour entrer dans sa joie.L’accès à la vie plénière passe par l’abandonde la Passion, le silence effacé du Samedi saint.Jean s’en est allé dans cet intervalle de retraitdiscret. Il s’est comme retiré doucement, auseuil de la veillée pascale, pour entrer danscette veille, dans cette attente de l’aube où lejoyeux message de l’Ange rejoint non pointles disciples d’abord, mais les femmes atten-tionnées. Des femmes venues là aux premièreslueurs, comme porteuses de l’affection desplus humbles, des plus petits, pour recevoir,avec eux les premiers, la consolation offerte.

Dans une belle page de son livre Jésus mi-sérable (p. 69), Jean médite le mystère du Sa-

medi saint, du Christ descendu aux enfers,comme dit le Symbole des Apôtres. Il écrit àce propos : « Cette descente aux enfers n’ex-prime-t-elle pas la Communion du Christavec les hommes jusque dans ce qui est laconséquence de leur péché sans qu’il ait péchélui-même ? » Il cite alors le P. Joseph, qui s’ex-prime ainsi : « Quand maintenant un hommeou une femme me dit : “Chez nous, c’est l’en-fer”, quand je vois une famille vivre une situa-tion infernale, pour le moins ai-je la certitudeque le Christ est revenu de l’enfer et que la so-lution existe. […] Et je crois comprendre qu’endescendant dans les ténèbres, Jésus acheva samission en sauvant aussi les nantis, les oppres-seurs, ceux qui savent ou ne savent pas ce qu’ilsfont en torturant les malheureux. Sans cettedescente dans l’innommable horreur, tous leshommes n’auraient pas été sauvés, l’amour deDieu ne serait pas allé jusqu’au bout del’anéantissement. »

De cet anéantissement, Dieu le Père relèveson Fils, non pas isolément, mais comme pre-mier-né d’entre les morts. Il nous relève enLui. La vie qui nous est promise au-delà denos jours terrestres n’est pas une éternité ano-nyme. C’est vivre d’une présence ; celle deDieu même, dans l’épanouissement de notrerelation avec son Fils. Paul y insiste : « Ceuxqui se sont endormis, dit-il, Dieu, à cause deJésus, les emmènera avec son Fils. Ainsi, nousserons pour toujours avec le Seigneur. » « Êtreavec », en plénitude : « Aujourd’hui, tu serasavec moi dans le paradis. »

Être avec : telle fut l’orientation foncière dela vie de Jean. Il aimait beaucoup l’évangile desaint Marc, dont il faisait, dernièrement en-core, une lectio divina qu’il partageait à desamis. Or, saint Marc précise bien que Jésuschoisit les Douze d’abord « afin qu’ils soientavec lui » (Mc 3, 14). Au sein de son « êtreavec » le Christ, Jean a voulu « être avec » toute

Eux avec nous

7Echos • Supplément 2013-4 •

Page 10: Echos octobre-novembre-décembre 2013

personne, à commencer par les plus pauvres,dans la joie comme dans la peine. Non pasavant tout faire des choses pour les autres,mais d’abord vivre une qualité de présence,une proximité fraternelle dans laquelle le ser-vice trouve alors la justesse d’un amour res-pectueux.

Les derniers jours de Jean lui ont rendu enaffection cette qualité d’« être avec », à traverstant de marques d’amitié et de présence, ycompris de tous ceux et celles qui ne pouvaientse rendre à son chevet. « Être avec ». Être là,simplement, pour accompagner, en ses der-niers jours, celui qui a accompagné tant depersonnes diverses dans leurs épreuves. C’estainsi qu’on entre dans la communion authen-tique. Aussi Paul peut-il dire en vérité : « Re-tenez ce que je viens de dire, et réconfortez-vous les uns les autres. »

L’évangile nous fait entendre l’exultationde Jésus. En présence de ses disciples, il s’ex-clame : « Père, Seigneur du ciel et de la terre,je proclame ta louange. » Jésus s’adresse à sonP. comme créateur et maître des merveillesde l’univers. Comme source de la beauté dontl’œil, l’intelligence et le cœur de Jean n’ontcessé de s’émerveiller. Toutefois, le motif dela louange est plus profond encore : « Ce quetu as caché aux sages et aux savants, tu l’as ré-vélé aux tout-petits. » Jésus reconnaît ici laprévenance de l’amour : « Oui, Père, tu l’asvoulu ainsi dans ta bonté. » Non que le Sei-gneur préconise l’ignorance. Loin de là. Il avaitdonné à Jean beaucoup de sagesse. Et Jeanétait savant en bien des choses, curieux de tout,en de multiples domaines, capable de dialo-guer avec des interlocuteurs variés en les sui-vant sur le terrain de leurs centres d’intérêt etde leurs compétences, qu’il s’agisse de poli-tique, de sciences, d’art ou de théologie bi-blique. Mais sa sagesse et son savoir, Jean, loind’en retirer de la suffisance, n’avait qu’un désir :

les partager et, plus encore, d’abord les laissers’enrichir de la sagesse et du savoir des pluspauvres, experts en humanité, susceptiblesde s’ouvrir à la révélation de celui qui a rejointnotre condition pour nous ouvrir à la dimen-sion divine semée en nous, et qu’il vient faireéclore dans les cœurs qui ont la simplicité des’y ouvrir.

« Ce que tu as caché aux sages et aux sa-vants, tu l’as révélé aux tout-petits. » L’objetde cette révélation, c’est la paternité de Dieu.Seul le Fils unique de Dieu en mesure la bonté.C’est pourquoi lui seul peut aussi nous la ré-véler. Non pas comme un savoir déversé del’extérieur, mais comme le partage d’une ex-périence, qui ne transfigure la nôtre qu’en ve-nant l’habiter au plus intime et au plus bas. Ense faisant pauvre parmi les pauvres.

Il y a quelques jours, dans la chambre deJean à la maison Pierre Favre, j’ai trouvé surson bureau, près du crucifix de ses vœux, bienlisible de l’endroit où Jean se tenait assis, unpetit papier manuscrit. Quand je l’ai montréà André Modave, il a reconnu sans hésiterl’écriture du P. Joseph. Il y est écrit simplement— mais quel programme de vie ! — : « La cha-rité, c’est devenir pauvre pour avoir une voixde pauvre, non une voix de riche qui parlepour les pauvres. » Saint Paul nous indique lasource d’une telle attitude : c’est l’amour despauvres que le Christ nous manifeste à tous.Paul dit aux Corinthiens : « Vous connaissezla générosité de Notre Seigneur Jésus Christqui, pour vous, de riche qu’il était, s’est faitpauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté »(2 Co 8, 9).

Oui, Père, Seigneur du ciel et de la terre,nous proclamons ta louange. Avec tous leshommes et les femmes que Jean a rencontrés.Avec sa famille, ses amis si divers, ses compa-gnons jésuites. Nous te rendons grâce aveclui-même, notre frère Jean, notre père Jean,

Nous avec eux

8 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 11: Echos octobre-novembre-décembre 2013

qui te rejoint dans la lumière pascale. Avec leP. Joseph Wresinski. Avec saint Ignace et lebienheureux Pierre Favre. Avec ton Fils JésusChrist, mort et ressuscité pour lui. Pour cha-cun de nous. Jésus qui nous dit, comme Jean

nous l’a soufflé sur son lit d’hôpital : « Vi vogliobene a tutti », « Je vous aime tous. »

Philippe Wargnies, s.j.

« Frères, Jésus, nous le croyons, est mortet ressuscité ; de même, nous le croyons,ceux qui se sont endormis, Dieu, à causede Jésus, les emmènera avec son Fils.Ainsi, nous serons pour toujours avec leSeigneur. »

Première Lettre de saint Paul auxThessaloniciens 4, 13sv.

« En ce temps-là, Jésus prit la parole :Père, Seigneur du ciel et de la terre, jeproclame ta louange : ce que tu as cachéaux sages et aux savants, tu l’as révéléaux tout-petits. Oui, Père, tu l’as vouluainsi dans ta bonté… »

Évangile selon saint Matthieu 11,25-26

« La charité,c’est devenir pauvre pour avoir une voixde pauvre,non une voix de riche qui parle pour lespauvres. »

Mot manuscrit du P. Joseph, sur le bureau de Jean

« La divine douceur sauve tout,elle veut tout sauver.Elle ne désespère jamais de personne (…).Elle est présence, elle est hospitalité.Elle est parole échangée. Elle estcompassion. »

Maurice Bellet, L’Épreuve

« Nul n’est prêtresans une sorte d’attachement viscéral àJésus Christ.À lui, non pas comme un symbole,mais comme une réalité vivante de ceque le monde vitet que les plus pauvres autour de nousexpriment et espèrent. »

P. Joseph Wresinski, cité par Jean

dans son livre Jésus misérable

Eux avec nous

9Echos • Supplément 2013-4 •

Page 12: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né à Dorinne-Yvoir le 30 mars 1920, décédéle 15 mai 2012 à Woluwe-Saint-Pierre, il estentré dans la Compagnie le 23 septembre1938 et a été ordonné prêtre le 24 août 1951.

D’une famille de cinq garçons (il était le dernier en vie), André est entré au

noviciat d’Arlon en septembre 1938. Après laformation habituelle, il fait deux années derégence en Belgique, puis deux années enAfrique Centrale (Totshi, 1946-1948). Sathéologie faite à Leuven, il est ordonné prêtreen août 1951.

Sa vie missionnaire, André la vivra toujoursau diocèse de Kikwit, dans diverses localitésle long du Kwilu. On le trouve une année àKinzambi ; après son 3e an comme adjoint duP. Maître (Arlon, 1953-1954), il retourne enAfrique où son cœur est attaché. Il est d’abordà Pindi, au nord de Kikwit (1954-1960), com-me missionnaire itinérant. Après une annéeà Djuma, il fait partie de la communauté deSia, au nord du diocèse, toujours comme iti-nérant ; il prend en charge les Ligues du Sa-cré-Cœur (1962-1976), et est enfin directeurde l’école primaire de Sia. De 1946 à 1976, celafait donc trente ans de dévouement pour l’Égli-se d’Afrique, sans jamais ménager ses forces.

Revenu en Belgique, il a vécu quelques an-nées à Erpent (1976-1981) comme professeurde religion, puis à Liège comme ministre etvicaire à Saint-Christophe, avec la charge del’hôpital psychiatrique de Volière. Il souffrede plus en plus des yeux, mais accepte la tâchede curé à Fraipont et Nessonvaux (1989-1997),où il donne ses dernières forces. Puis il arriveà La Colombière, où il vivra ses quinze der-

nières années, en pri -ant pour le monde, l’É -glise et la Compagnie.

Nous avions fêté encommunauté ses 92ans(en mars) et, pen dantla Semaine sainte, ilavait reçu l’onction desmalades, au milieud’une dizaine de con frères. Parvenu au termed’une longue vie donnée, le cher et discret P.André s’est éteint paisiblement, près de huitans après son frère, le P. Robert, décédé lui aussià La Colombière (octobre 2004).

Souffrant beaucoup des yeux depuis long-temps, le P. André était devenu presqueaveugle ; il venait à l’eucharistie et aux repasen chaise roulante, et ses oreilles avaient bienbaissé. Auprès du Seigneur ressuscité, il va re-trouver un « corps spirituel ». Il a fini de che-miner dans la foi, sans voir, et il peut entendre :« Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie deton Maître » !

Sa chambre était encore remplie de dossiersliturgiques ; une farde gardait les lettres deson frère Robert. Il y avait aussi différentescassettes, et des photos en grand nombre, dontune grande photo d’un pèlerinage à Lourdesen 2005 (Ordre de Malte). Son gros bérêt noirétait là, car il avait peur du froid en hiver !Deux pipes cassées enfin… et tout un dossierde contacts avec l’ONA (Œuvre nationale desaveugles) pour échanger des cassettes de livresenregistrés.

Adieu, P. André !

Pierre Mourlon Beernaert, s.j.

10 Echos • Supplément 2013-4 •

P. André DelhazeNous avec eux

Page 13: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né à Frameries le 23 janvier 1936, décédé le1er octobre 2012 à Anderlecht, il est entrédans la Compagnie le 14 septembre 1955 et aété ordonné prêtre le 28 juin 1969.

Le 1er octobre 2012, au cours de l’eucha-ristie célébrée en la fête de sainte é-

rèse de l’Enfant Jésus, dans l’église de sa pa-roisse Saint-François-Xavier, Guy s’écroule.Il ne reprendra pas connaissance. Les pa-roissiens de Cureghem (Anderlecht) sontsous le choc : le P. Guy fait maintenant partiede la chorale céleste…

Commençons par un témoignage de sa fa-mille : « Enfant, il aimait la musique… déjà !et Luc Varenne, qu’il imitait avec brio. Son dé-sir d’entrer dans la Compagnie n’étonna per-sonne : plusieurs grands oncles, oncles et cou-sins s’étaient consacrés à la prêtrise. Il n’oubliaitpas les fêtes, anniversaires, moments joyeuxou douloureux : une carte un coup de fil, unmot plus personnel et réconfortant, tout celanous faisait chaud au cœur. Et les réunions defamille ! Nous y tenions tous. Elles commen-çaient par la messe qu’il célébrait. Que de sou-venirs échangés (nos parents sont morts re-lativement jeunes). Sur certains sujets sen-sibles, Guy avait un avis tranché, et cela pro-voquait des discussions animées, sérieuses,enrichissantes. Il aurait aimé notre nouveauPape François : un jésuite, ouvert à tous. Guynous manque beaucoup. »

Après son noviciat à Arlon, Guy se voit déjàdestiné à l’enseignement dans nos collèges.Ses deux ans de juvénat à Wépion sont consa-crés à l’étude de la philologie et de la littérature.Après sa philosophie à Eegenhoven il acquiert

la licence en philologieromane à l’UCL. Noussommes en 1964, peuavant le « Walen bui-ten ».

Il est envoyé au Col-lège du Sacré-Cœur àCharleroi pour ensei-gner en 3e latine (c’estavant le rénové) et assurer le chant liturgique(selon l’esprit du tout récent concile VaticanII) à l’église et au collège.

En septembre 1966, Guy commence sathéologie. Celle-ci terminée, le voilà à Char-leroi de nouveau, mais cette fois pour vingt-sept ans d’affilée. Mais ce ne seront pas des an-nées tranquilles… en moins de dix ans le col-lège connaîtra une complète mutation. Le co-mité d’expropriation de l’Etat, en vue de l’élar-gissement de la rue du Pont-Neuf, oblige lecollège à se reconstruire ou à déménager. Faut-il rester au centre ville ou s’implanter en pé-riphérie ? Comment rendre les bâtimentsconformes aux futures normes du rénové etde la mixité ? Guy participe activement auxdiscussions de la communauté et de l’équipeéducative du collège.

En 1972, la communauté ouvre une maisondépendante au 57 boulevard Janson : pendantdouze ans elle abritera des enseignants dontGuy. Ce sera pour lui un engagement pourplus de simplicité dans la vie commune. C’estce qui l’a rendu heureux à Cureghem, aprèsson long séjour à Charleroi.

Guy n’oubliera jamais la journée du 2 février1974. Elèves et professeurs reçoivent l’ordrede sortir deux à deux avec leur banc de classe,

11

P. Guy De Grox

Echos • Supplément 2013-4 •

Eux avec nous

Page 14: Echos octobre-novembre-décembre 2013

de traverser le parc jusqu’au boulevardMayence où une petite porte donne accès auxlocaux mis à la disposition du collège par laDéfense nationale pour la durée des travaux.On y restera plus de trois ans jusqu’au jour dugrand retour vers le nouveau collège, le 12 mai1977. L’inauguration des bâtiments tout neufscoïncidera avec la célébration du centenairedu collège. Quel symbole !

Guy fut aumônier des scouts du collègependant tout son séjour. Il y fonda de pro-fondes amitiés. Il ne s’est jamais habitué à lamanière désinvolte de traiter les choses sé-rieuses. Et pour Guy tout était sérieux et mé-ritait une sérieuse préparation. Avec les chefsil préparait avec soin le grand camp d’été quidevait comporter un aspect de vrai servicedes autres. Bienveillant sans limite par prin-cipe, toujours accueillant, il ponctuait tousses contacts par ses légendaires jeux de mots.

Dès 1965, jusqu’à son décès, Guy fut un ac-compagnateur fidèle d’une équipe de foyersde médecins (équipe Hippocrate) : il a che-miné avec ces couples (ainsi que ceux d’uneEquipe Notre Dame), partageant les joies etles peines, admiré pour sa ténacité, son idéa-lisme et son engagement social.

A 61 ans, Guy prit sa prépension de l’ensei-gnement. Les continuels changements de pro-gramme et les évaluations de tout genre l’ontusé. Pour lui tout devait être minutieusementpréparé, l’improvisation le déstabilisait. Aussison status dans la communauté de Cureghem,qui sera dénommée plus tard « communautéHurtado », lui était parfaitement adapté : ilpartageait la pauvreté effective d’un quartieret gardait un rôle non directif dans les équipesd’animation religieuse du collège Saint-Mi-chel. Peu à peu il s’est investi dans la pastoralelocale. Pendant dix ans il a assuré presque seulle chant liturgique à l’église Notre-Dame Im-maculée de Cureghem.

Ce qui est encore le plus admirable c’est qu’enacceptant de bon cœur qu’une chorale parois-siale (d’un autre style que le sien) le remplaced’abord partiellement puis progressivementchaque dimanche, il a cru que son rôle devaitdésormais se limiter à mêler sa voix, toujoursexcellente, à celles des choristes, au service detous, sans aucune prétention de sa part.

Toujours très mobile (qui de Cureghem nel’a pas vu, de son pas rapide, avec un sac plas-tique, arpenter les trottoirs du quartier ?) etdésireux de rendre tous les petits services pos-sibles, il était très ému et désarmé en face detoute misère. Devant le pauvre, il ne pouvaitrésister et était toujours prêt à donner.

Les derniers temps, tout ce qui l’entouraitétait bon comme cela : Guy rappelait souventle mot du P. Alberto Hurtado : « Contento,Señor ! »

Toute la paroisse et ceux qui l’ont connu ontrendu grâce au Seigneur de l’avoir repris ra-pidement, sans souffrance. Il était dans la paixet se laissait conduire par la Providence sur lechemin évangélique de la pauvreté, ayantabandonné au Seigneur toute exigence per-sonnelle.

Jacques Delooz, s.j.

Témoignages

« Sa simplicité, ses réflexions profondes, sapassion pour l’Evangile, et son option pourles pauvres ont marqué tous ceux qui l’ontconnu. » (équipe de Saint-Michel)

« Sa liturgie était bien préparée, en re-cherche d’un chant adapté. Il a accepté sa fra-gilité, sans se plaindre, toujours souriant. »(un ami prêtre)

« Il est passé parmi nous en faisant le bien :humour, humilité, service. » (un compagnonjésuite)

Nous avec eux

12 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 15: Echos octobre-novembre-décembre 2013

« Un homme d’une grande bonté, d’un hu-mour fin, d’humeur constante et joyeuse. Etd’une magnifique humilité. » (un directeurde collège)

« Depuis 1965 Guy fut un ami fidèle qui acheminé avec notre équipe, partageant noshauts et nos bas, nos joies et nos peines. Nousl’admirions pour sa ténacité, son idéalisme etson engagement social. Nous sommes recon-

naissants d’avoir pu bénéficier de sa présencespirituelle si bienfaisante et louons Dieu pourcela. » (une équipe « foyers de médecins »)

« Par son regard et son sourire, Guy savaitaccrocher le contact avec ceux et celles qui vi-vent dans le besoin, que celui-ci soit matériel,spirituel ou affectif. » (un compagnon jé suite)

Eux avec nous

13Echos • Supplément 2013-4 •

« Nous le savons : le corps, qui est notredemeure sur la terre, doit être détruit.Mais Dieu construit pour nous dans lescieux une demeure éternelle, qui n’estpas l’œuvre des hommes.Nous avons donc pleine confiance… »

2 Co 5, 1-6

« Le Seigneur en désigna encoresoixante-douze,et il les envoya deux par deux devant lui,dans toutes les villes et localitésoù Lui-même devait aller. Il leur dit :“La moisson est abondante,mais les ouvriers sont peu nombreux :Priez donc le Maître de la moisson…” »

Luc 10, 1-2

Page 16: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 16 décembre 1925 à Couillet (Charleroi),décédé le 13 novembre 2012 il est entré dansla Compagnie le 9 août 1943 et a été ordonnéprêtre le 23 juin 1957.

Le P. Paul Lebeau nous a quitté paisible-ment en la fête de saint Stanislas Kostka.

Nous perdons ainsi un théologien qui a mis enpratique les ouvertures du con cile Vatican II.

Issu d’une famille de magistrats de Charleroi,Paul Lebeau entre au noviciat d’Arlon au termede ses études secondaires au collège du Sacré-Cœur. Comme la majorité des jésuites del’époque, il suit les cours de philologie classique,formation qui lui sera bien utile lorsqu’il abor-dera la théologie à Woodstock où il est ordonnéprêtre et lorsqu’il entreprendra son doctorat àl’Institut catholique de Paris en patrologie. Ilse consacre ensuite à l’enseignement de la théo-logie à Eegenhoven, puis à L’IET et à LumenVitae. Éminent pédagogue, il est animé par unesprit que la fidélité à la tradition n’a jamais fer-mé à la nouveauté. Il fut toujours marqué parune véritable jeunesse intellectuelle que les an-nées n’ont pu entamer. Son travail de professeurcomportait les prolongements habituels deceux qui se donnent à fond dans des publica-tions diverses. Au travers des activités pasto-rales qu’il a menées en même temps que l’en-seignement, il a su comprendre, en particulier,la valeur du renouveau charismatique et l’aider,par ses connaissances théologiques, à évolueret à s’adapter. Nombreux aussi sont ceux quiont pu bénéficier de ses connaissances litur-giques. D’autres gardent en mémoire ses en-gagements pour l’œcuménisme et les mouve-

ments chrétiens pour lapaix. Ceci est sans dou-te à mettre en relationavec un esprit d’ou ver -ture aux dimensionsinternationales. Toutce la mérite reconnais-sance et action de grâ-ce.

Robert Huet, s.j.

Homélie pour lacélébration d’à-Dieu

Il peut paraître paradoxal que les lectureschoisies pour cette eucharistie d’à-Dieu à notrefrère Paul parlent de joie et de bonheur. « Heu-reux serez-vous si vous le faites », venons-nous de conclure. C’est qu’au delà et au dedansde la peine que nous éprouvons de son départ— et aussi de cette souffrance que nous éprou-vions depuis quelques mois à voir son état desanté se dégrader — nous sommes surtoutrassemblés dans la gratitude pour ce qu’il aété parmi nous : un homme heureux, épanoui,rayonnant de culture, d’initiative et d’entrain,un homme d’action de grâce (c’est ce que lesquelques versets de l’épître aux Philippiens 4,4-9 ont évoqué) mais aussi et surtout un vraidisciple de Jésus, qui, dans toute sa vie, tousses ministères et toutes ses relations, n’a pasvoulu autre chose qu’humblement servir tousles frères et sœurs humains que le Seigneur amis sur sa route, comme l’évoque l’évangile

14 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Paul LebeauNous avec eux

Page 17: Echos octobre-novembre-décembre 2013

du lavement des pieds (Jn 13, 1-5.12-17).L’apparence un peu solennelle de Paul, une

certaine emphase dans ses propos pouvaientparfois donner le change, voire agacer ou fairesourire. Il me semble que c’était surtout le re-flet d’un accomplissement, un bonheur devivre, une juste estime de soi-même, une sorted’humble assurance de quelqu’un qui, selonla vieille expression des comptes de conscien-ce, était « content dans sa vocation » et danssa vie.

Paul était fier de ses origines ; il aimait rap-peler qu’il était de Charleroi. Il aimait évoquerson père, magistrat, agnostique mais profon-dément droit et honnête et qui avait acceptéavec beaucoup de respect le choix religieuxde son fils. Il rappelait sa mère aussi, femmede foi profonde et les racines campagnardesqu’il avait par elle. Il aimait évoquer le parcoursde sa formation dans la Compagnie, parcoursassez atypique mais dont il avait tiré le plusgrand fruit et qui, en fait, l’a équipé pour lagrande variété d’engagements et de ministèresqui furent les siens : la rencontre de circons-tances favorables et d’une grande disponibilitéde sa part l’avait amené à faire son juvénat àDrongen, ce qui lui permit de bien maitriserle néerlandais, et plus tard sa théologie auxUSA, grâce à quoi il parlait parfaitement l’an-glais. Le troisième an en Autriche, le doctoraten théologie en France complétèrent sa for-mation, promesse peut-être, en tout cas ex-cellente préparation de son futur engagementeuropéen.

Paul fut un homme disponible : non seu-lement pour accomplir les tâches qu’on luiconfia ou qu’on lui demanda d’assumer maisaussi pour prévenir les appels, pour recon-naître les signes des temps, pour s’engageravec détermination dans des voies nouvelles.Il était depuis quelques années professeur dethéologie lors de la profonde réforme des

études que fut la création de l’Institut d’étudesthéologiques ; il fut de ceux qui s’engagèrentdélibérément dans ce nouveau chemin. Plustard il fut président de l’IET, tâche qu’il assumaavec sagesse et courage ; j’ai le souvenir per-sonnel d’une décision de programme meconcernant où j’ai pu apprécier l’une et l’autre.Il fut un des premiers aussi à mettre en œuvreles nouvelles pratiques qu’autorisait la Réfor-me de la liturgie par le concile. Paul fut aussitrès engagé dans le mouvement œcuménique,dans le renouveau charismatique, ainsi quepar les rapports entre les deux : c’est sa com-pétence et son engagement dans ces domainesqui amenèrent la cardinal Suenens à lui de-mander une collaboration qui fut étroite, durapendant des années et dont il gardait un pré-cieux souvenir. On ne peut pas ne pas men-tionner son engagement militant dans le Mou-vement international de la réconciliation etle célèbre épisode qui devait lui valoir une no-toriété de grand public : « Pas d’armes dansl’Église » (on ne doit pas oublier qu’effective-ment cette vieille coutume contestable fut sup-primée dès l’année suivante).

Autre forme privilégiée à la fois d’œcumé-nisme et d’engagement dans la société, c’estla part importante prise par Paul dans la pas-torale et la vie de la Communauté européenne,et en particulier dans la création de la chapellede la Résurrection et toutes les activités quise déroulent autour de celle-ci : célébrationsdiverses, récollections, conférences, sans ou-blier les années où il exerça la charge de supé-rieur de la Communauté européenne Saint-Benoît. Tant que ses forces le lui permirent, ilse rendait fidèlement chaque matin à la cha-pelle pour une prière dont il avait été un desinitiateurs. Ce n’était encore qu’une partie desnombreuses célébrations et prédications qu’ilassura pendant des années, répondant auxdemandes de groupes divers : messes en an-

Eux avec nous

15Echos • Supplément 2013-4 •

Page 18: Echos octobre-novembre-décembre 2013

glais à Saint-Nicolas Bourse et pour la com-munauté des Philippins, célébrations de laConfrérie Saint-Yves des avocats… On lui de-mandait volontiers ce service, non seulementparce qu’il ne le refusait pas mais parce qu’onétait sûr que par lui ce serait fait avec soin etde grande qualité.

Je n’évoquerai pas tous ses écrits, livres ouarticles, prolongement naturel de son ensei-gnement et de son ministère. Mais je ne peuxpas ne pas mentionner un d’entre eux, son livresur Etty Hillesum, produit d’une rencontrespirituelle qui le marqua profondément : etc’est justice de rappeler que c’est lui qui fitconnaître au public de langue française cettefemme exceptionnelle. L’écho profond quecelle-ci éveilla chez Paul nous aide aussi à entrerdans le secret le plus intime de sa propre vie.

Toute cette activité intellectuelle et pastorales’inscrit dans un réseau serré de relations : lafamille d’abord, frères, neveux, nièces et leursenfants dont il parlait avec tendresse, ses com-munautés et confrères successifs, de très nom-breuses amitiés nouées au fil des temps et desrencontres avec des hommes et des femmesd’origines, nationalités, cultures et convictionsdiverses, chrétiens séparés et libres penseurs ;et même simplement le sourire partagé ou legrand geste de salut adressé à ceux qui le croi-saient furtivement… On ne peut oublier nonplus son attention pour les pauvres, et les dé-marches difficiles où l’entraîna parfois sonbon cœur. Mais qu’il me soit permis d’évoquerd’un mot cette exceptionnelle rencontre avecla jeune femme chinoise qui vint un jour letrouver vers la fin de son mandat à l’IET et quiest devenue sa filleule : ce fut une des joies lesplus profondes et durables de sa vie.

« Réjouissez-vous dans le Seigneur… Quevotre bienveillance soit connue de tous… Toutce qu’il y a de vrai, de noble, de juste, d’aimable,d’honorable, tout ce qu’il peut y avoir de bon,

dans la vertu et la louange humaine… » Cesmots de saint Paul, dans sa lettre aux Philip-piens, reflètent bien la figure de notre Paul quiétait si fier de porter ce nom. Un homme ai-mant la vie, jetant sur le monde et les per-sonnes un regard de bienveillance, capabled’admiration, content dans sa vocation. Jusquedans les diminutions de l’âge qu’il ressentaitdouloureusement, il a gardé ce fond de bien-veillance et sa capacité de s’émerveiller — fût-ce des ébats des oiseaux, du changement dessaisons… Je me permets de citer quelquesmots d’une lettre reçue d’une amie qui lui arendu visite fidèlement jusqu’à ses derniersjours : « Alors que son esprit brillant et puis-sant l’avait quitté, sa bonté, son sourire, sonplaisir de rencontrer ses semblables et sa joieintérieure lui étaient restées chevillés à l’âme. »

« Je vous ai donné l’exemple… Heureux se-rez-vous si vous le faites ». L’Évangile nouslivre le dernier message de Jésus au momentd’entrer dans son Heure et de donner sa viepour nous ; il nous montre le vrai sens de lavie, le cœur même de la vie chrétienne :l’amour véritable qui prend corps dansl’humble service mutuel. Il nous fait entrerplus profondément encore dans la compré-hension de la vie de Paul : selon la belle ex-pression du P. Arrupe, Paul a été fondamen-talement, profondément et fidèlement, unhomme pour les autres, entièrement donné àsa vocation de jésuite, à sa mission de profes-seur, de prédicateur, avec audace créative etfidélité persévérante. Le cœur et le foyer decette vie donnée, il faut les chercher dans safoi profonde, son intimité avec le Seigneur, saconfiance infinie dans le Dieu d’amour. À ceDieu nous le confions aujourd’hui.

Jean-Marie Faux s.j.

Nous avec eux

16 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 19: Echos octobre-novembre-décembre 2013

« Sachant que le Père lui avait tout remisentre les mains et qu’il était venu de Dieuet qu’il s’en allait vers Dieu, il se lève detable, dépose ses vêtements….Vous m’appelez Maître et le Seigneur… jele suis… vous devez vous aussi vous laverles pieds les uns aux autres ;… c’est unexemple que je vous ai donné : … faites-le vous aussi.En vérité, en vérité, je vous le dis, unserviteur n’est pas plus grand que sonmaître, ni un envoyé plus grand que celuiqui l’envoie.…vous serez heureux si vous le mettez enpratique.… je connais ceux que j’aichoisis.En vérité, en vérité, je vous le dis, recevoircelui que j’enverrai, c’est me recevoirmoi-même, et me recevoir c’est aussirecevoir Celui qui m’a envoyé. »

Evangile selon saint Jean 13, 1-20

« Tout progresse selon un rythmeprofond, propre à chacun de nous. Ondevrait apprendre aux gens à écouter età respecter ce rythme : c’est ce qu’un êtrehumain peut apprendre de plus impor-tant en cette vie. Je ne lutte pas avec Toi,mon Dieu. Ma vie n’est qu’un longdialogue avec Toi. Le premier mot qui mevient à l’esprit, toujours le même, c’est :Dieu. Il contient tout et rend tout le resteinutile. Toute mon énergie créatrice seconvertit en dialogue intérieur avec Toi.La houle de mon cœur s’est faite pluslarge depuis que je suis ici, plus animéeet plus paisible à la fois, et j’ai le senti-ment que ma richesse intérieure s’accroîtsans cesse… Ma vie est une succession demiracles intérieurs. Et comme c’est bonde pouvoir encore le dire à quelqu’un. »

Etty Hillesum

Eux avec nous

17Echos • Supplément 2013-4 •

« Cantique des degrés. De David.Éternel ! je n’ai ni un cœur qui s’enfle, ni des regards hautains ;

Je ne m’occupe pas de choses trop grandes et trop relevées pour moi.Loin de là, j’ai l’âme calme et tranquille,

Comme un enfant sevré qui est auprès de sa mère ;J’ai l’âme comme un enfant sevré.Israël, mets ton espoir en l’Éternel,

Dès maintenant et à jamais ! »

Psaume 131

Page 20: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 18 février 1942 à Mons, décédé le 9 dé-cembre 2012 à Etterbeek, il est entré dans laCompagnie le 13 avril 1963 et a prononcé sesderniers vœux le 5 mars 1977.

C’est au sein d’une famille nombreuse que Jean-Pierre apprit à être « frère ».

Entré à 21 ans au noviciat d’Arlon, il suit uneformation en éducation physique puis en ca-téchèse à Lumen Vitae. Son champ d’actionest diversifié : l’éducation (collège de Go-dinne, collège Saint-Michel, Service des Equi -pes de moniteurs, Fédération de scouts catho-liques), l’apostolat social (MRAX, commu-nauté Avec) et l’administration (secrétaire dudirecteur de Saint-Michel, Unité pastorale desCôteaux, économat de la communauté Saint-Ignace).

TémoignageC’est en 1979 que Jean-Pierre est venu re-

joindre la communauté Avec installée depuisun an à Schaerbeek, rue des Palais. Son travailprofessionnel l’appelait chaque jour à Saint-Michel mais cette tâche ne l’a pas empêché des’insérer très réellement, activement et affec-tivement, dans sa commune. Nous vivionsalors des temps agités, notamment à traversles engagements du Front antiraciste deSchaerbeek qui s’opposait à la démagogie xé-nophobe du bourgmestre de l’époque. Je mesouviens en particulier de la grève de la faim

entreprise par quel -ques militants au prin-temps de 1982 pourpro tester contre la dé-cision prise illégale-ment par la communede refuser toute nou -velle inscription d’im-migrés. Jean Pierreavait pris sur lui deveiller au confort et à la santé des grévistes.C’était bien cela, Jean Pierre : un service dis-cret, effacé mais efficace, qu’il remplissait avecfidélité, tact et bonne humeur. Il fut aussi pen-dant quelques années le trésorier du MRAX(Mouvement contre le racisme, l’antisémitis-me et la xénophobie). Il s’engagea aussi dès ledébut au plan paroissial, de diverses manières,engagement qui devait prendre un tour plusdéterminé encore lorsque vint l’heure de laretraite de son travail à Saint-Michel et quimotiva pour une bonne part le fait qu’il de-meure à Schaerbeek après la fin de la Com-munauté Avec. Dans cette communauté, pen-dant trente ans, j’ai vécu avec Jean Pierre et j’aipu apprécier — je dirais volontiers goûter —la qualité de sa présence et de sa participationfraternelle. Service, discrétion, chaleur, sim-plicité, bonne humeur teintée d’humour. Jerends grâce pour tout ce qu’il a été avec nouspendant ces années ; je prie pour toutes celleset tous ceux qu’il a rencontrés, aidés, accueillis,pour l’unité pastorale des Côteaux, pour toute

18 Echos • Supplément 2013-4 •

F. Jean-PierreScailquin

Nous avec eux

Page 21: Echos octobre-novembre-décembre 2013

la commune de Schaerbeek et ses habitants sidivers.

Jean-Marie Faux s.j.

Homélie des funérailles

Unir et réunir, nous le savons, c’était l’artde vivre de Jean-Pierre. Comment son dernieracte terrestre ou son premier geste célestepourrait-il être différent ? Nous voici donc ré-unis avec lui et par lui.

Jean-Pierre, vous êtes nombreux à l’avoirbien connu. Et vous avez, dans la mémoire,des souvenirs heureux qui ne s’effaceront pas.Jean-Pierre, vous êtes quelques-uns à l’avoircôtoyé en communauté et donc en plus grandeproximité. Et vous avez, dans le cœur, des sen-timents qui ne s’estomperont jamais.

A ces souvenirs et à ces sentiments qui voushabitent, permettez-moi de joindre mon té-moignage. Celui de quelqu’un qui, dix annéesdurant, chaque jour ouvrable de l’année, a tra-vaillé étroitement avec Jean-Pierre. Le travail,nous l’avons tous éprouvé, nous fait passerpar des moments d’expériences diverses. Sou-vent agréables mais, parfois rudes ou difficiles.Des moments faits parfois de dureté, de fa-tigues et même de peur. Et c’est dans ces cir-constances-là que Jean-Pierre donnait sa plei-ne mesure. Se manifestaient alors au grandjour, ses nombreuses qualités. Je n’en retien-drai que trois.

Son écoute, d’abord. Sa capacité d’écoutervraiment. De toute sa personne et de touteson intelligence. Il captait avec patience et ilcomprenait. Il comprenait les besoins de ra-conter les difficultés rencontrées, de dire sondécouragement ou ses rêves avortés. Et alorsvenaient les conseils, les bons conseils quiapaisent et qui redonnent le goût d’avancer.

Mais une autre qualité de Jean-Pierre,c’était, après avoir tout entendu, de n’en pasparler. Et cela, c’est un bonheur précieux. Celuide vivre un sentiment de confiance assuréeen quelqu’un. Savoir que l’on peut compterfranchement sur lui, sur son tact, sur sa dis-crétion, sur son infinie loyauté.

Une troisième qualité encore chez Jean-Pierre : son mode particulier de communica-tion. Pas une communication clinquante, pasde poudre aux yeux, pas de grandes phrases.Le contraire de cela. Bien mieux donc. Unecommunication faite de retenue, de réserveet de respect. D’où émanait une grande au-thenticité. Dans une institution comprenantdeux cents enseignants, il se passe toujoursquelque chose. Et, souvent, il faut pouvoircompter sur un bon messager, fiable aux yeuxde tous, unanimement apprécié. Chaque fois,dans ces missions spéciales qui lui étaientconfiées, Jean-Pierre a excellé. Et, paradoxa-lement, de la posture modeste et même hum -ble qu’il adoptait, rayonnait une véritable for-ce. Vous le comprenez, cette force de Jean-Pierre, c’était la force de l’amitié humaine au-thentique. Il était, en quelque sorte, expert enhumanité.

Mais cette force humaine avait un secretdivin. L’évangile que nous venons d’écouternous le révèle. Je voudrais en extraire deuxphrases.

Une première, d’abord. « Comme le P. m’aaimé, moi aussi je vous ai aimés et vous, ai-mez-vous ». Le Père, moi, vous. Il nous est ditici que l’amour est comme un fleuve. Il a unesource, il coule, il se transmet. Il descend duPère mais, observons-le bien : il ne remontepas vers le Père. Ou alors d’une manière bienparticulière : « Mon commandement, le voici :aimez-vous ». Ce que nous apprenons ici c’estque l’amour reçu de Dieu ne peut pas lui êtrerendu autrement qu’en aimant ses frères. Il

Eux avec nous

19Echos • Supplément 2013-4 •

Page 22: Echos octobre-novembre-décembre 2013

n’y a pas deux amours. Jean-Claude, tu as sou-haité que soit inscrite sur l’annonce du départde Jean-Pierre une phrase de l’apôtre Pierre :« Seigneur, toi qui sais tout, tu sais que je t’ai-me. » Ces mots, en effet, correspondent bienà Jean-Pierre : Tu sais que je t’aime puisquej’aime mes frères.

Mais ce n’est pas tout. Je voudrais aller unpeu plus loin dans la mise au jour de ce secret.

Reportons-nous, pour cela, à une deuxièmephrase. Une phrase que je voudrais traduireen me tenant au plus près du texte grec. C’estune phrase bien connue. Mal traduite, elle dit :« Il n’y a pas de plus grand amour que de don-ner sa vie pour ses amis. » Ce qui, en quelquesorte, reviendrait à dire qu’il faut aimer ceuxqu’on aime déjà. Le secret se trouve là, dansla découverte d’une bonne traduction ! Cardans le texte d’origine, il n’y a pas le verbe don-ner. Il y a le verbe disposer. Et cela change tout.« Il n’y a pas de plus grand amour que de dis-poser sa vie pour des amis, pour de l’amitiépour faire des autres des amis. »

Disposer sa vie pour qu’ainsi, par le don deson écoute, de sa confiance et de sa parole, del’amour surgisse chez l’autre et qu’adviennentdes amis.

Frères et sœurs, chers amis, c’était là le se-cret de Jean-Pierre. Il ne se contentait pas d’ai-mer les autres en se faisant leur ami. Il dispo-sait sa vie pour faire naître des amis. Pour fairedes autres des amis. C’était un créateur d’ami-tié. Jean-Pierre avait 70 ans. Il a passé septanteans à disposer sa vie pour des amis. Aujour-d’hui, comme hier et comme les autres jours,il nous invite à l’amitié. Entre nous. Et, nouspouvons en être sûrs, aujourd’hui, c’est lui quisait combien Dieu l’aime.

Jean-Paul Laurent, s.j.

Témoignage

Certains hasards ont fait que je connaissaisun peu mieux Jean-Pierre que bien d’autrespères ou frères : son attachement à Mons dontil était ancien et où avait aussi étudié son ne-veu, son aptitude relationnelle, sa gentillessesans chichi et — détails sans doute — notrehomonymie et notre âge ; parcourant, avecdes fréquences variables selon les années etles fonctions, l’étage de la direction de Saint-Michel depuis 1982, j’ai eu de multiples occa-sions d’être accueilli par lui avant d’affronterdes activités plus formelles : ce n’était pas désa-gréable de commencer ainsi ces visites.

M. Jean-Pierre Dubuquoy,ancien directeur

du collège Saint-Stanislas (Mons)

Nous avec eux

20 Echos • Supplément 2013-4 •

« Le 9 décembre 2012, jour du décès deJean-Pierre, l’Eglise priait à la messe dudeuxième dimanche de l’Avent : Seigneurtout-puissant et miséricordieux, ne laissepas le souci de nos tâches présentesentraver notre marche à la rencontre deton Fils ; mais éveille en nous cette intel-ligence du cœur qui nous prépare à l’ac-cueillir et nous fait entrer dans sa proprevie. »

Page 23: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 24 avril 1933 à Fronville, décédé le 25décembre 2012 à Arlon, il est entré dans laCompagnie le 14 septembre 1951, et a été or-donné prêtre le 6 août 1964.

Homéliede la messe des funérailles

Monseigneur l’Archevêque de Luxem-bourg, qui êtes aussi, cher P. Jean-Claude Hol-lerich, membre de la Compagnie de Jésus,

Cher Jean-Marie, toi notre Doyen et notreVicaire Épiscopal,

Vous, chers Pères jésuites, qui avez gardéau cœur une attache fidèle avec Arlon, à cetteéglise du Sacré-Cœur qui fut la vôtre, et aunoviciat qui rayonna depuis la fin du xixesiècle jusqu’à ce centenaire, fêté dignement ily a quelques années,

Chers confrères prêtres et amis de JeanMottet,

Chers abbé Jules Mottet et Maria, le frèreet la sœur de Jean, chers neveux et nièces, cou-sins, cousines et familles apparentées,

Dans cet admirable vaisseau néoroman-rhénan, nous nous sommes rassemblés ce jourpour accompagner un confrère, un ami, uncollègue dans l’enseignement à l’athénée Royald’Arlon ou à la communauté jésuite de Go-dinne, un sportif qui reçut le prix du méritesportif d’Arlon, un agitateur de jeunes, unconseiller, un accompagnant de retraites sco-laires, un passionné de la mission, Jean Mottet,qui plus est, fut pour moi un fidèle ami et un

efficace coadjuteurdans l’animation desparoisses de Saint-Do-nat et du Sacré-Cœur.

Jean fut un hommepassionné par l’annon-ce de la bonne nou -velle ; figure atypiqueau sein de la Compa-gnie de Jésus, il vivait en « électron libre » quiparvint progressivement à faire admettre unstyle qui lui fut propre. Pour lui, compétitionsde kayaks, rallyes, compétitions sportives,rencontres, préparations de belles liturgies si-gnifiantes et chantantes, camps de jeunes, in-tégration dans la pastorale locale et décanale,sessions de formation de prêtres et de laïcs,tout était bon pour le P. Jean afin de mieuxparvenir à faire passer le message de l’Évangiledans toutes les couches de la société. Je mesouviens de ce qu’il m’a confié tout récemmentlors de « RivEspérance 2012 », ce grand ras-semblement pour donner un souffle nouveauau peuple de Dieu, organisé à Namur débutnovembre 2012. Il m’a partagé ce souffle et cetenthousiasme qui lui fit du bien ; c’est là qu’ilrencontra des chrétiens engagés ou distants,pratiquants réguliers ou irréguliers dont leseul critère pouvait se résumer en cette défi-nition : « l’Évangile nous rassemble ».

Très attentif au monde des jeunes, n’est-cepas lui qui, avec des confrères enseignants,directeurs et directrices d’écoles, professeursde religion, organisa à Arlon, dans les années1972, une superbe mission pour les jeunes-dumilieu scolaire, tous réseaux confondus, et

21

P. Jean Mottet

Echos • Supplément 2013-4 •

Eux avec nous

Page 24: Echos octobre-novembre-décembre 2013

que l’on baptisa : « Vivre Avec ».Un groupe français de chanteurs liturgiques

qui commençait à faire parler de lui, le groupe« Crèche », dont les membres s’appelaientMannick, Jo Akepsimas, Gaëtan de Courèges,Jean Humenry, étaient de la partie ; des nomsbien connus depuis lors : les membres de noschorales paroissiales reprennent souvent leurrépertoire. J’ai encore feuilleté hier un albumde photos où j’ai revu le P. Jean Mottet, che-veux noirs et rouflaquettes, s’entretenir avecle P. Amory, un liturgiste renommé. Quellebelle époque ! Quel dynamisme ! Quelle dy-namique ! Quelle dynamite !

Et ces messes du samedi soir 18 heures auSacré-Cœur, préparées avec une équipe litur-gique, qui recopiait les homélies d’après unenregistrement : ainsi tout le monde pouvaiten recevoir le texte et le méditer durant la se-maine. Et cette animation des chants, à la gui-tare, avec Philippe Crochet, qui avait 17 ans àl’époque, et qui est toujours fidèle au poste.

Les jeunes du P. Mottet sont devenus papasdepuis lors et sont prêts à être grands-pères ;que de générosité et d’accueil suscités grâceà Jean, qui était toujours l’étincelle initiale quimettait le feu aux poudres ! Jean était un ras-sembleur, un détecteur, un fédérateur, un ca-talyseur, doublé d’un anticonformisme sym-pathique. C’était aussi un ami des jeunes, aupoint de vivre avec eux des temps de retraitesà Clairefontaine, à Maredsous, à Orval ouailleurs : moments providentiels pour poserles questions essentielles sur la vie, sur leurscroyances, leurs orientations, sur le sens àdonner à l’existence, avec ou sans Dieu. Cesmoments-là lui demandaient beaucoupd’énergie ; il en revenait souvent très fatigué,voire même épuisé. « Que veux-tu ? disait-il,on n’a plus vingt ans ! » C’est vrai qu’il avait79 ans bien sonnés, et il espérait faire une bellefête pour ses 80 ans au prochain avril 2013 !

Mais il y eut ce 29 novembre, au croisementde la rue de Diekirch et de la rue de la Caser-ne… l’accident… la perte de conscience… lepronostic vital engagé. Dans nos communau-tés, on a prié, on a espéré, jusqu’à ce jour deNoël, en soirée, où Jean nous quitta pour en-trer dans la lumière de Dieu. Pour lui, Noëlfut véritablement son dies natalis, le jour desa naissance à la vie en Dieu, le jour de sa re-naissance. Deux jours après Noël, la liturgienous proposait de fêter Jean l’évangéliste, sonsaint patron, qui avouait dans le commence-ment de sa première lettre : « Oui, la vie s’estmanifestée, nous l’avons contemplée. Et ce quenous avons contemplé, ce que nous avons en-tendu, nous vous l’annonçons pour que voussoyez en communion avec nous et que nousayons la plénitude de la joie » ! Quelle coïnci-dence ! Jean Mottet n’appréciait pas trop leservice du pouvoir ; mais il expérimenta sou-vent le pouvoir du service : l’accueil, l’écoute,l’hébergement occasionnel dans la petite mai-son de la rue des Déportés, des trajets et desdémarches multiples pour débloquer les pro-blèmes de la vie des gens et de la vie des jeunes.Ce fut là son pain quotidien. En tant que prêtreet religieux, il a vécu quasi quotidiennementle geste de Jésus avant la Pâque, le Jeudi saint :s’abaisser, suivre l’exemple du Maître, commelui nouer le tablier, comme lui servir paramour, comme lui donner son temps… etmême sa vie ! Comme lui…

Jean, on aurait aimé te garder longtempsencore parmi nous ; tu nous as habitués, enplus de trois décennies à Arlon, d’être sur tousles fronts, de tous les combats pour plus dejustice, plus de fraternité, plus de compréhen-sion entre les élèves et leurs profs, entre les pa-rents et leurs jeunes, entre les couples.

Tu vas beaucoup nous manquer : mais,toutes les valeurs que tu as défendues, tous lescombats que tu as menés, nous nous enga-

Nous avec eux

22 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 25: Echos octobre-novembre-décembre 2013

geons à les reprendre à notre compte. Commetoi, nous nous efforcerons de traduire l’Évan-gile en paroles, mais surtout en actes, pour lemonde d’aujourd’hui.

Mes amis, malgré notre peine, rendons grâ-ce à Dieu pour tout le travail accompli par leP. Jean Mottet. Discrètement, sans tapage, ila cherché à rendre le Christ présent dans notresecteur pastoral d’Arlon, et bien au-delà, par-tout où il passait.

Tantôt, en communiant au Corps livré etau Sang versé du Christ Jésus, nous retrouve-

rons la source des énergies qui ont motivé Jeandurant toute sa vie de religieux et de prêtre.Puissions-nous aussi y trouver la paix que luiprocuraient sa foi et son invincible espérance.Et que Jean vive maintenant dans ta Lumière,Seigneur, après t’avoir courageusement cher-ché dans le visage de ses frères et sœurs qu’ila rencontrés sur sa route.

Abbé Paul Hansen,curé de Saint-Donat et du Sacré-Cœur,

Arlon

Eux avec nous

23Echos • Supplément 2013-4 •

O Sacré-Cœur de Jésus, apprends-moi le parfait oubli de moi-même.Enseigne-moi ce que je dois faire pour parvenir à la pureté de ton Amour.Tu as mis dans mon cœur une grande volonté de te plaire, Mais je n’ai par moi-même qu’une impuissance complète d’en venir à l’effetsans une grâce particulière qui me viendra de toi seul.Seigneur Jésus, fais en moi ta sainte volonté : j’y mets, je le sens, bien des obstacles,mais soumets-moi tout à toi.C’est à toi qu’il appartient de tout faire, divin Cœur de Jésus.Toi seul auras la gloire de ma sanctification, si je me fais saint !Achève donc, Seigneur Jésus, ton ouvrage.

Prière de saint Claude la Colombière

Page 26: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 29 septembre 1938 à Bruxelles, décédéà Woluwe-Saint-Pierre le 24 janvier 2013, ilest entré dans la Compagnie le 4 octobre1978 et a été ordonné prêtre le 25 juin 1983.

Paul est né dans une famille belge partie en Argentine peu après sa naissance.

Il y passe la majorité de sa jeunesse. Ingé-nieur chimiste et philosophe de formation,il entame, en 1977 des études de théologie àl’Institut d’études théologiques de Bruxelles.Il entre au noviciat de la Compagnie à Wé-pion l’année suivante et est ordonné prêtre à45 ans.

Durant son noviciat, Paul subit un accidentde la circulation qui lui provoque une fracturedu crâne. Celle-ci a laissé des séquelles qui ontorienté et marqué profondément sa vie apos-tolique. Son ministère sacerdotal, il l’accomplità la Communion d’Opstal, puis à la commu-nauté Saint-Michel de Bruxelles. Il participeà l’animation de l’église, très présent et actifdans les groupes de prière. Là, son talent d’ac-compagnateur l’amène à donner de multiplesretraites.

Dans ces différents ministères, il a su dé-ployer ses qualités d’écoute, de discernementet toute l’attention d’un cœur vraiment sacer-dotal. C’est en 2011, qu’il rejoint la commu-nauté Saint-Claude La Colombière à partirde laquelle il a pu rester fidèle à tous ses amiset continuer son apostolat d’accompagne-ment. Il a relevé le défi des épreuves physiquesavec une ténacité et un courage qui n’ont faitque renforcer sa disponibilité et son accueilà l’égard de tous.

Sur ce chemin desainteté, le Seigneur aprofondément modeléet façonné Paul et a in-fluencé sa manièred’exercer son ministèresacerdotal. Il s’est en-dormi dans la paix enla fête de Saint Françoisde Sales.

Robert Huet, s.j.

Homéliepour la messe de funérailles

« Moi, je suis venu pour que les hommesaient la vie et qu’ils l’aient en abondance… »Dès les premiers versets de son évangile, saintJean nous dit que dans le Verbe fait chair, dansle Christ Jésus, « était la vie » (Jn 1, 4), la pléni-tude de la vie, le mystère de la vie, l’origine, lecommencement, de toute vie. Il ne s’agit passeulement de la vie surnaturelle, de la vie pro-prement divine, de la vie éternelle, mais ausside la vie temporelle, terrestre, biologique. Ils’agit de la vie tout court. En lui, Jésus « étaitla vie ». « Moi, je suis venu pour que les hommesaient la vie et qu’ils l’aient en abondance. »

Notre frère Paul aimait la vie, il avait un im-mense appétit de vivre. Une des caractéris-tiques de son existence est qu’il fut de nom-breuses fois au seuil de la mort, qu’il eut denombreuses fois à lutter très consciemmentcontre la mort et qu’au terme de ce combat, il

24 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Paul SmoldersNous avec eux

Page 27: Echos octobre-novembre-décembre 2013

reçut comme à neuf la vie. Il l’a reçue commeun surcroît indu, comme un sursis, commeune gratuité, comme un cadeau de Dieu. Il enacquit un sens de la vie extraordinaire et à tra-vers ce sens de la vie, un sens très profond duDieu Créateur et Sauveur de la vie.

C’est pour échapper à la mort qu’en 1975 ilprit à Buenos Aires le premier avion dispo-nible pour se sauver en Belgique. Au tempsde la dictature, Paul s’était engagé à fond enfaveur des pauvres et de la justice. Il appritqu’il était sur la liste de ceux que l’on voulaitfaire disparaitre prochainement et il dût quit-ter en hâte. Au noviciat, lors de son accidentet de sa fracture du crâne, il fut à la mort. Il ya quelques années, après son opération ducœur, Paul resta un mois aux soins intensifsde l’UCL. Ce fut une lutte, jour après jour,contre la mort.

Mais ce ne sont là que quelques épisodesles plus marquants d’un combat pour la viequi fut celui de toute son existence. A traverstout cela, Paul a fait au jour le jour l’expériencedu Ressuscité. « Souviens-toi de Jésus Christ,ressuscité d’entre les morts », écrit saint Paulà Timothée. Dans l’évangile johannique,Marthe, affligée par la mort de son frère La-zare, fait un bel acte de foi : « Je sais que monfrère ressuscitera au dernier jour. » Elle parleau futur, mais Jésus la reprend au présent : « Jesuis la Résurrection et la Vie : celui qui croiten moi, même s’il meurt vivra ; et quiconquevit er croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,25).

« Dans la maison de mon Père », dit encoreJésus dans le même évangile selon saint Jean,« il y a beaucoup de demeures ». La « demeu-re » dont il est ici parlé, représente plus qu’unsimple lieu d’habitation. C’est le lieu où l’ontrouve son repos, sa paix, sa joie, son « lieu »précisément. C’est se trouver enfin chez soidans la maison de son Père. C’est se trouver à

une « place » qui, à l’avance, nous a été prépa-rée. Car Jésus continue : « Autrement, vousaurais-je dit que j’allais vous préparer le lieuoù vous serez ? Lorsque je serai allé vous le pré-parer, je reviendrai et je vous prendrai avecmoi, si bien que là où je suis, vous serez vousaussi. […] Je suis le chemin, la vérité, la vie »(Jn 14, 2-6).

Nous n’effectuons pas seuls le passage de lamort. Jésus s’y fait notre chemin vers la Vie etvers la lumière. Nous croyons que Jésus estvenu chercher notre frère Paul pour le condui-re là où il est, « dans le sein du Père » (Jn 1, 18).

Saint Paul écrivait — nous l’avons entendu :« Voici une parole sûre : Si nous sommes mortsavec lui [Jésus], avec lui nous vivrons. Si noussupportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. »Paul, notre frère, notre ami, a supporté beau-coup d’épreuves, il a été soumis à plusieurshandicaps. Cela n’a pas empêché son apostolatincessant. « On n’enchaîne pas la parole deDieu » : fidélité au confessionnal et à l’eucha-ristie de notre église Saint-Jean Berchmans,fidélité au groupe de prière Siloé, fidélité auxpersonnes handicapées de Ciney, fidélité auxaccompagnements spirituels, fidélité auxnombreuses amitiés qu’il savait susciter etnouer. Comme son patron, Paul aurait pudire : « Je supporte tout pour ceux que Dieu achoisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salutpar Jésus Christ, avec la gloire éternelle. »

Merci, Paul, de nous avoir montré qu’à tra-vers les épreuves et les handicaps, la vie restebelle et qu’elle peut être vécue dans la paix etmême dans la joie.

Jean-Marie Hennaux, s.j.

Eux avec nous

25Echos • Supplément 2013-4 •

Page 28: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 16 mars 1924 à Arlon, décédé le 3 février2013 à Woluwe-Saint-Pierre, il est entré dansla Compagnie le 14 septembre 1942 et a étéordonné prêtre le 31 juillet 1955.

Pierre est le deuxième d’une famille de huit enfants. Son frère Max devient

scheutiste au Japon, et son frère André estprêtre du diocèse de Namur.

Au terme de ses études secondaires au col-lège Notre-Dame de la Paix à Namur, il entreau noviciat d’Arlon, rejoignant à Guirsch legroupe de novices connu sous le nom de « bel-le et riche année ». S’ensuivent les annéesd’études de philologie classique et de philo-sophie, la régence à Léopoldville et à Charleroiet la théologie à Enghien avec les jésuites fran-çais. C’est à cette époque qu’il réalise pour leséditions Dupuis à Marcinelle la célèbre bandedessinée consacrée à saint François Xavier.Pierre mettait ainsi à la disposition d’un grandnombre de lecteurs des talents artistiques mé-connus des supérieurs de l’époque. Cette mé-connaissance a approfondi un esprit libre faitd’humour, de tact, de profondeur, de discré-tion et de souci des autres. Il est ordonné prêtreà Enghien en la fête de saint Ignace.

Pierre rejoint le collège Saint-Servais à Liègecomme enseignant et aumônier des cadets de1959 à 1966. Nous le retrouvons au collègeSaint-Michel de Bruxelles de 1966 à 1970. Vientensuite le collège de Godinne où il participeactivement à la réforme pédagogique au seind’une équipe d’enseignants enthousiastes.

Il met ainsi sur pied l’option arts d’expres-sion et partage ses talents de sculpteur, depeintre, d’écrivain, de conteur, de scénariste

et de metteur en scène.Avec des membres dela communauté jésuite,il transforme la grandechapelle du collège.

En 1988, il est retrai-té de l’enseignement etdevient curé de Mont-Godinne. C’est une pé-riode de création artistique intense : céra-mique et peinture. Communautés jésuites,collège de Godinne, paroisses avoisinantes,hôpital de Mont-Godinne sont les principauxdépositaires de ses œuvres.

Il rejoint ensuite la communauté de Plom-cot à Namur où il est supérieur de 2002 à 2005.A cause de problèmes de vue, il doit limiterses activités artistiques.

Durant les six années qui suivent il estmembre de la communauté Notre-Dame dela Paix à Namur. Durant ce séjour, sa santé dé-cline.

C’est pacifié, qu’il rejoint en 2011, la com-munauté Saint-Claude La Colombière àBruxelles. Cette arrivée à Bruxelles correspondà l’organisation à Godinne d’une expositionoù bon nombre de ses œuvres étaient rassem-blées.

Au cours de sa vie de jésuite, Pierre n’a jamaisrevendiqué quelque statut que ce soit, ni re-cherché les honneurs. Libre à l’égard de lui-même et de tous, il peut aujourd’hui entendrela réponse du Seigneur : « Chaque fois que vousl’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères,c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Robert Huet, s.j.

26 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Pierre DefouxNous avec eux

Page 29: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Témoignage

Jésuite, prêtre, professeur, Pierre a été entout un artiste. Le dessin, le sens artistiqueétaient chez lui un don inné, un talent qu’il afait fructifier. Mais bien avant d’être l’artistetalentueux et généreux que nous connaissons,lui qui se reconnaissait simplement et modes-tement traducteur, interprète ou metteur enscène de la parole, Pierre a été un grand ob-servateur de la nature et des humains. Il a jetésur eux un regard sympathique, et évangé-lique. L’artiste, en lui, était avant tout un con -templatif.

Dans notre société, devenue de plus en plusune société du spectacle, nous sommes solli-cités par une multitude d’images qui se pré-sentent à notre vue. Toutes ne sont pas d’unégal intérêt. Il ne suffit pas de voir. Il faut savoirregarder. Pierre fut un artiste au regard juste,transparent et amical qui nous apprend à re-garder. Ce regard d’artiste chrétien porte undouble secret dont nous pouvons tirer profit.

Le secret de ce regard juste, c’est d’abordde regarder avec les yeux du cœur. Le renarddu Petit Prince de Saint-Exupéry a le mot exactquand il dit : « On ne voit bien qu’avec le cœur,l’essentiel est invisible pour les yeux. » Ce re-gard est celui de l’aveugle-né guéri par Jésusdans l’évangile de Jean (chap. 9). Ce regardest le chemin de la découverte de Jésus.

Pour avoir un regard juste, il faut ensuiteavoir dépassé ses illusions sur soi-même etsur le monde. C’est la seconde leçon que nouslaisse Pierre. Lui qui était si soucieux des ap-parences, il nous dit que l’essentiel, nous nel’atteignons qu’à travers ces apparences im-parfaites, au-delà de ces apparences. Si nousnous arrêtons aux apparences, nous restonsprisonniers de notre désir. Notre regard resterivé aux choses telles que nous voudrionsqu’elles soient et non pas telles qu’elles sont. 

Les yeux du cœur, pour un chrétien, ce sontles yeux de la foi. Merci, Pierre, parce que tonœuvre artistique nous invite à regarder vrai-ment, longuement, intérieurement. Tu nousproposes de jeter un regard neuf et toujoursrenouvelé sur la personne même de Jésus, surnous-mêmes, sur la nature et sur les événe-ments du monde, au-delà des illusions, un re-gard réaliste et néanmoins poétique.

Il est devenu courant d’opposer le « voir »et le « croire ». Pour Pierre, comme dans l’é -van gile de Jean, la foi est un « voir », un regardde personne à personne. « Où est le Fils del’Homme pour que je croie en lui ? », demandel’aveugle-né après sa guérison ; Jésus lui ré-pond : « Tu le vois, c’est lui qui te parle. » L’œu -vre artistique de Pierre est une œuvre qui pro-pose, sans l’imposer, la suite du Christ et l’écolede l’Esprit. Une œuvre jésuite, assurément !

Pierre Defoux et son œuvre

S’il n’a produit qu’une seule BD dans Spirou(et Robbedoes) en 1953, « Xavier raconté parle Ménestrel » (rééditée cinquante ans plustard, en deux volumes), Pierre Defoux est unartiste complet : illustrations, caricatures, af-fiches, fresques murales, céramiques, vitraux,pièces de théâtre et émissions de télévisionscolaire. Il fut aussi un brillant enseignant àLéopoldville, à Charleroi, à Bruxelles, à Liègeet à Godinne.

A la question comment avez-vous com-mencé le dessin ? Il répondait : je ne me suisjamais « mis » au dessin. Je suis né avec le des-sin, c’est un besoin fondamental pour moi.J’ai toujours visé un type de représentationqui soit beau. Quand j’entends quelque chose,j’ai un réflexe presque automatique de lemettre en dessin. Ce réflexe me pousse à écriredans une autre langue qui est universelle.Quand je prends ma plume, je veux que ce

Eux avec nous

27Echos • Supplément 2013-4 •

Page 30: Echos octobre-novembre-décembre 2013

soit beau. Si ce que je dessine n’est pas beau,alors je ne le garde pas. J’ai donc mes proprescritères pour savoir si c’est beau ou non.

La BD de Xavier

En 1952, c’était le ive centenaire de la mortde saint François Xavier (compagnon d’Ignacede Loyola). Le P. Provincial demanda à Pierres’il était volontaire pour illustrer l’histoire deXavier sous forme de bande dessinée pour lesenfants. Il a sauté sur l’occasion et a été trèssurpris d’apprendre que c’était pour Spirou,et non pour une petite revue bien pensante.Il devait fournir pour le journal deux pagespar semaine.

Ce récit conte la vie exemplaire de « l’apôtredes Indes », jésuite espagnol né près de Pam-pelune en 1506 et mort en Chine, au large deCanton, quarante-six ans plus tard. Ce grandmissionnaire fit partie du groupe des six pre-miers jésuites qui, en 1534 à Montmartre, firentle vœu de consacrer leur existence au servicede Dieu et de l’Eglise.

La BD publiée dans Spirou appartient, parson trait, à l’école dite de « la ligne claire », fa-çon Will, Peyo ou Jijé humoristique.

Par la suite, cette œuvre est tombée dansl’oubli. Il était prévu que Spirou en fasse unalbum. Il ne l’a pas fait, estimant que le sujetn’était pas assez commercial. Ces planchessont restées aux archives Dupuis pendant qua-rante ans et c’est grâce au CRIABD que les ori-ginaux ont été rendus à l’auteur qui les aconfiées au Centre belge de la BD. La LibreBelgique a publié ces septante-cinq planchesen 1989-1990 et un album en noir et blanc aété publié par les éditions Hélyode en dé-cembre 1990. Pierre Defoux a dédicacé ce pre-mier album à Angoulême en janvier 1991.Deux ans plus tard, il a dessiné dix-sept nou-velles planches pour terminer enfin cette his-

toire inachevée. Les éditions Coccinelle BDde Durbuy en ont fait deux volumes en 2002,enrichies des couleurs de ierry Faymonville.Ces albums sont toujours disponibles.

Dans son livre, paru en 2011 chez Karthala,le professeur Philippe Delisle note que la BDde Pierre Defoux « donne une image renou-velée du missionnaire, homme de dialogueplus que d’autorité… ».

La céramique

C’est à l’âge de 12 ou 13 ans que Pierre réaliseses premiers modelages avec de la terre quin’était même pas cuite. Bien plus tard, dans lecollège où il enseigne, le recteur promeut desactivités artistiques dont l’une était la céramique.Il fait alors des moules pour un professeur etcommence la production de la céramique.

En 1988, alors que Pierre Defoux est retraité,le syndicat d’initiative de Godinne lui deman-de de restaurer la chapelle Saint-Roch près ducollège. Il opte pour la céramique plutôt quedes fresques, car l’endroit est exposé à l’hu-midité. Et c’est ce travail qui le lance.

Il réalise des « pages d’évangile » traduitesen céramique. Il fait aussi des séries de pro-verbes tant religieux que profanes. Son seulsouhait est que la céramique « parle ». Recon-naître Zachée dans une céramique n’est pasimportant, le laisser parler l’est beaucoup plus.Son désir, c’est que ses œuvres continuent àvivre en étant regardées.

On assiste donc chez Pierre Defoux à uneabondante production, aussi diversifiée dansles thèmes abordés que dans la forme d’ex-pression choisie, répartie aux quatre coins dupays et même à l’étranger…

Dans ce parcours pluriel, une seule trame,celle du « spectacle ». Car le visuel doublé dulittéraire est bien le caractère principal de sonœuvre.

Nous avec eux

28 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 31: Echos octobre-novembre-décembre 2013

L’expression « Montrez voir » est chère àcet artiste qui se veut avant tout « traducteuret metteur en scène », c’est-à-dire interprète

et serviteur de la Parole. Tel Jean Baptiste, ildésigne Quelqu’un et s’efface devant plusgrand que lui.

Eux avec nous

29Echos • Supplément 2013-4 •

« Lorsque sur mon corps — et bien plus sur mon esprit — commencera à marquer l’usurede l’âge, quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra du dedans, le mal qui amoindrit ouemporte, à la minute où je comprendrai que je suis malade ou que je deviens vieux, à cemoment surtout où je sentirai que je m’échappe à moi-même, donnez-moi, mon Dieu,de comprendre que c’est Vous — pourvu que ma foi soit assez forte — qui écartezdouloureusement les fibres de mon être, pour m’emporter vers Vous. O énergie de monSeigneur, force irrésistible et vivante, c’est à Vous que revient le rôle de me brûler dansl’union qui doit nous fondre ensemble… »

Pierre Teilhard de Chardin

Page 32: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 26 juin 1922 à Merksem-Antwerpen,décédé le 2 avril 2013 à Woluwe-Saint-Pierre,il est entré dans la Compagnie le 7 septembre1941 et a été ordonné prêtre le 15 août 1953.

Georges est l’aîné d’une famille de huit enfants. Après ses études au collège

Notre-Dame d’Anvers et une année de droitaux facultés de Namur, il entre au noviciatd’Arlon. Après l’ordination sacerdotale, il en -seigne aux collèges de Tournai, de Charleroi,de Mons et surtout de Godinne. Il a pu rendrebien des services dans l’aide aux malades etplus spécialement aux personnes handica-pées de Ciney. Il rencontrait aussi régulière-ment des religieuses âgées.

Comme citoyen, Georges s’engageait dansla promotion d’un multilinguisme actif, signeconcret du respect profond qu’il portait auxcommunautés linguistiques du pays. Il rejointla communauté Saint-Claude la Colombièrede Bruxelles en 2010. C’est là qu’il partage etcommunique à ses frères, à sa famille et aupersonnel soignant la paix profonde et la re-connaissance qu’il avait rencontrées chez lesmalades et les personnes handicapées. C’estdans cet esprit qu’il s’est éteint à l’aube du mar-di de Pâques.

Homélie des funéraillesIl pourrait paraître étonnant que nous

ayons choisi comme première lecture un pas-sage de saint Paul (Philippiens 4, 4-9) qui com-mence ainsi : « Réjouissez-vous… ». Ces motssont tirés de celle des épîtres de Paul où trans-

paraît le mieux sa con -nivence avec ceux qu’ilappelle « mes frères etsœurs bien aimés, majoie et ma couronne »et la Bible de Jérusalemdonne pour titre à cepassage : « dernierscon seils ». Ils évoquentbien la personnalité deGeorges telle qu’elle s’est exprimée et est ap-parue tout au long de sa vie. « Que votre bien -veillance soit connue de tous les hommes » etplus loin « tout ce qu’il y a de vrai, de noble,de juste, de pur, d’aimable, d’honorable, toutce qu’il peut y avoir de bon dans la vertu et lalouange humaine, voilà ce qui doit vous pré-occuper ». Oui, ces mots cernent bien la per-sonnalité de Georges, discrètement fraternel,sensible et plein de délicatesse. Étant entrédans la Compagnie en même temps que lui,étant son conovice comme nous disons, j’aipu l’apprécier et en profiter pendant les annéesde formation, y compris pendant la dernièreannée, le troisième an que nous avons fait en-semble à Münster en Allemagne. Il me sembleque ces mots rendent bien compte aussi de sesannées de professorat, à Godinne surtout,comme professeur de quatrième, puis de poé-sie. « Tout ce qu’il y a de beau, de noble, de jus-te… » Beaucoup d’étudiants sans doute, com-me celui dont un d’entre nous a, tout récem-ment et de manière tout a fait imprévue, purecueillir le témoignage, ont été éveillés parlui à l’étude sérieuse, à la réflexion, à la décou-verte de la beauté, à la justice aussi. On pense

30 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Georges KrugNous avec eux

Page 33: Echos octobre-novembre-décembre 2013

notamment à la rigueur de pensée et à la con -viction avec laquelle il réfléchissait et faisaitréfléchir sur l’histoire et l’avenir de la Belgique.Mais il ne faudrait pas oublier ses tâches plusdirectement spirituelles comme modérateurdes Équipes Notre-Dame, puis surtout com-me animateur spirituel des plus petits.

Quant à l’évangile (Matthieu 25, 37-40), sonchoix s’est imposé à nous en pensant à cettelongue période de la vie de Georges où il s’estconsacré corps et âme aux enfants handicapésprofonds de Ciney. « J’étais malade et vousm’avez visité… ». Ce ministère avait complè-tement ravi Georges. Il s’y donnait de tout soncœur, avec toute la patience, l’attention, la qua-lité de présence silencieuse qu’un tel apostolatrequiert. Il y trouvait une profonde joie : je mesouviens d’une confidence qu’il avait faite lorsd’une journée de province, parlant de la grâcequ’il y avait à vivre avec des enfants incapablesde péché… Et sans doute pouvons-nous évo-quer aussi, tout autour de ce service qui étaitle cœur de sa vie, toute l’aide fraternelle, toutl’éclairage évangélique qu’il a pu apporter àceux et celles qui, avec lui, étaient au servicede Jésus dans ses membres souffrants ; et jepense notamment ici aux années pendant les-quelles il fut aumônier national de Foi et Lu-mière.

Puis est venu le temps des diminutions : laperte progressive de la vue, la faiblesse géné-ralisée, la passivité, le silence : déjà à Godinne,puis ces dernières années dans notre commu-nauté La Colombière. Georges désormais n’aplus quitté son deuxième étage : mais pour luicet étage avait trois lieux : sa chambre presqu’aumilieu, il la quittait souvent et volontiers pouraller vers un des deux bouts de l’étage : à unbout la chapelle où il s’attardait longuement,à l’autre l’infirmerie où il était heureux de trou-ver un peu de compagnie. Il ne parlait presquepas et son silence pouvait faire croire à une ab-

sence mais il était souvent une écoute, et il ensortait de temps en temps, d’une manière sur-prenante, par une réponse, une question, uneréflexion. Je me souviens qu’à la fin d’une jour-née de récollection, lors du Carême de l’annéedernière, il avait tout d’un coup pris la paroleà la chapelle, d’une voix forte et distincte pourremercier le confrère qui avait animé la jour-née. Merci, le mot était souvent sur ses lèvres ;il était très reconnaissant envers celles et ceuxqui le soignaient : « J’ai de la chan ce de vousavoir, qu’est-ce que je ferais sans vous », disait-il. Ainsi pendant tout ce temps, celui qui avaitsi souvent « visité Jésus dans les plus petits deses frères » était devenu désormais celui qu’onvisitait, qu’on soignait, qui dépendait desautres : il était devenu un de ces plus petits, ilétait devenu Jésus.

Georges est entré dans la paix et la joie deDieu. À un niveau très profond, nous pouvonsbien faire nôtre la recommandation de Paul :« Réjouissez-vous dans le Seigneur ». Une joiequi n’exclut pas la peine, l’émotion, mais quiest une paix profonde, une communion. Queson souvenir, que son exemple nous encou-rage à chercher toujours ce qui est vrai, juste,aimable, à avoir soin les uns des autres, à serviret à aimer en toutes choses.

Jean-Marie Faux, s.j.

Eux avec nous

31Echos • Supplément 2013-4 •

Page 34: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né à Châtelineau le 21 janvier 1922, décédéle 8 juillet 2013 à Woluwe-Saint-Lambert, ilest entré dans la Compagnie le 7 septembre1939 et a été ordonné prêtre le 15 août 1951.

Après des études au collège du Sacré-Cœur de Charleroi, Marcel entre au

noviciat d’Arlon. Il prononce ses derniersvœux à l’institut Gramme d’Angleur le 2 fé-vrier 1955.

Très tôt le P. Gérard marque un souci par-ticulier pour les conditions de vie des plus dé-munis. Il approfondit ainsi les sciences so-ciales.

Après quelques années passées d’abord àl’institut Gramme, puis à Bruxelles Saint-Igna-ce et à Liège Saint-Servais, il rejoint la régionde Mons en 1971 : prenant la relève des PèresAlphonse Wauters et Carlos Gérard, il animela communauté chrétienne qui se rassembleautour de la chapelle Sainte-Barbe à Ghlin,près de l’ancien charbonnage.

Sa préoccupation sociale l’amène à s’enga-ger activement pour aider les habitants deslogements « sociaux » — dont il était lui-même locataire —, à s’organiser. C’est ainsiqu’il fonde le syndicat des locataires de Ghlinqui prendra rapidement une dimension na-tionale.

Dès 1965, au moment du concile Vatican II,il publie chaque mois, sous le titre l’Espérancedes Pauvres, un dossier de presse où il se faitl’écho de tout ce qui concerne le développe-ment, la lutte contre la pauvreté, le combatcontre l’apartheid et autres formes de racismeet d’injustice dans le monde entier. « Sa pré-occupation était de faire connaître les pro-

blèmes de la pauvretéde par le monde maissurtout de porter à laconnaissance de tousce qui était fait « pouret avec eux », dans l’E -glise notamment afind’encourager à l’enga-gement » (témoignagede Philippe de Briey).

Le bulletin est envoyé gratuitement tousles mois à travers le monde à deux cent no-nante personnes et institutions ; il en assureraseul la tâche jusqu’en 1991, date où il passe lamain à une équipe, tout en continuant à y col-laborer. C’était un travailleur infatigable.« Progressivement, la revue changea de nomet devint Espérance des peuples, qui connutun beau succès. Tous appréciaient beaucouple P. Marcel Gérard, parce qu’il était un hommesimple, cordial, plein de foi et de bon sens, unhomme d’ouverture d’esprit et d’humour. Lesenfants et les jeunes venaient sans réserve verslui » (témoignage de Philippe de Briey).

Après 2008, il est membre de la commu-nauté du Sacré-Cœur à Charleroi. Pour desraisons de santé, il rejoindra la communautéSaint-Claude La Colombière à Bruxelles en2011.

Robert Huet, s.j.

32 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Marcel GérardNous avec eux

Page 35: Echos octobre-novembre-décembre 2013

« Quand nous est-il arrivé de te voirétranger et de te recueillir… de te voirmalade ou en prison, et de venir à toi ? »Le Seigneur leur répondra : « En vérité, jevous le déclare, chaque fois qui vousl’avez fait à l’un de ces plus petits, quisont mes frères, c’est à moi que vousl’avez fait. »

Matthieu 25, 38-40

« Jamais, vous le savez, nous n’avons euun mot de flatterie,jamais de motifs intéressés, Dieu en esttémoin,jamais nous n’avons recherché leshonneurs,ni auprès de vous ni auprès des autreshommes,alors que nous aurions pu nous imposerEn qualité d’Apôtres du Christ.Au contraire, avec vous nous avons étépleins de douceur,comme une mère qui entoure de soinsses nourrissons.Ayant pour vous une telle affection,nous voudrions vous donner non seule-ment l’Evangile de Dieu,mais tout ce que nous sommes, car vousnous êtes devenus très chers. »

1 Thessaloniciens 2, 8)

Eux avec nous

33Echos • Supplément 2013-4 •

Page 36: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 2 mars 1927 à Seneffe, décédé à Wo-luwe-Saint-Lambert le 27 août 2013, il estentré dans la Compagnie le 14 octobre 1947et a été ordonné prêtre le 6 août 1959.

Jean est le troisième d’une famille de quatre enfants. Après ses études secondaires au

collège Saint-Michel de Bruxelles et des can-didatures en droit aux Facultés Saint-Louis,il entre au noviciat d’Arlon. S’ensuit la forma-tion classique des jésuites de l’époque, étudesde lettres, philosophie, régence (stages) aucollège Saint-Michel, puis la théologie. S’en-suivra enfin le troisième an de formationqu’il effectuera à Paray-le-Monial, en France.

À partir de septembre 1961, il enseigne aucollège Saint-Michel. C’est en 1967 qu’il rejointle collège Saint-Servais de Liège, jusqu’en 1991.Préfet de l’internat, titulaire en 2e, professeurde français et de langues anciennes, aumônierscout. Que de relations personnelles furentainsi créées, que de temps d’accueil et d’écouteaussi bien auprès des élèves que des collèguesenseignants et éducateurs. En même temps,Jean s’investit dans des lieux variés et occasionsde rencontres, à Botassart, en Grèce lors devoyages scolaires, dans l’école voisine Saint-Jacques.

Retraité de l’enseignement à l’âge de 64 ans,Jean devient ministre du théologat de Bru -xelles. C’est avec joie qu’il retourne à Liège en2001 où la communauté Saint-Servais béné-ficie de ses services jusqu’en 2009. Il relèveencore le défi d’accompagner sa communautépour un séjour en Grèce ou encore de rem -placer au pied levé des accompagnateurs de

séjours d’élèves dans cepays. En 2009, il rejointla communauté Saint-Claude La Colombièredont il a été le dévouéministre jusqu’au 1erjuillet dernier.

Hospitalisé à l’hôpi-tal Saint-Luc dans lamatinée du 27 août, il y est décédé dans la paixvers minuit, en présence de son supérieur.

Robert Huet, s.j.

Eucharistie d’au revoir

Quand nous nous sommes demandéquelles lectures conviendraient pour cette eu-charistie d’au revoir à notre frère Jean, c’esttout spontanément que s’est imposée à nouscette béatitude : « Heureux le serviteur fidèle ».Ce choix ne résulte pas d’un rapprochementfacile entre le terme de serviteur et celui deministre, charge que Jean a portée pendantles vingt-deux dernières années de sa vie etjusqu’à moins de deux mois avant son départ,c’est parce que, très réellement et concrète-ment, dans toute sa vie et toutes les tâches as-sumées, il a été ce serviteur — de Dieu, del’Église, de ses frères, de tous ceux qui luiétaient confiés ou que la vie a mis sur son che-min — compétent, consciencieux, fiable, effa-cé et bienveillant, sans discours ni complica-tions inutiles, auquel on pouvait recourir enconfiance, tant il alliait le bon sens et une bien-

34 Echos • Supplément 2013-4 •

P. Jean LegrosNous avec eux

Page 37: Echos octobre-novembre-décembre 2013

veillance fondamentale. Et c’est avec mêmesimplicité lucide qu’ayant joué sa partitiondans la vie, il a accueilli la mort.

C’est tout cela qu’exprime la réponse quele prophète Michée fait à l’homme qui chercheà plaire à Dieu : « Rien d’autre que d’accomplirla justice, aimer la miséricorde et marcherhumblement avec Dieu. » La justice, la misé-ricorde et la fidélité. Au chapitre 23 de l’évan-gile de Matthieu, au milieu du discours trèsdur dans lequel il se démarque de la faussejustice des pharisiens, dans une claire réfé-rence à cette prophétie, Jésus affirme que c’estbien là l’essentiel de la loi.

Accomplir la justice. Faire ce qui est juste(au double sens de justice et de justesse), bienfaire ce que l’on a à faire là où on est, accomplirson devoir d’état, selon un terme qu’on n’em-ploie peut-être plus beaucoup mais qui estlourd de sens. C’est bien ce qu’a fait notre frèreJean, tout au long de sa vie dans la Compagnie.D’abord dans sa carrière d’enseignant, de 1961à 1991. On pourrait dire, plus largement et plusjustement sans doute sa carrière d’« hommede collège », car son engagement de trente ansdans les collèges, dont vingt-cinq au mêmecollège Saint-Servais de Liège, allait bien plusloin que la simple fonction de professeur —si absorbante et bien assumée qu’elle ait été —et comprenait aussi bien des activités annexes,préfet d’internat, aumônier scout, voyagesscolaires — en particulier vers la Grèce quilui était si chère — et, en tout cela, toutes lesoccasions de rendre service, l’accueil desélèves, les relations avec les collègues, ensei-gnants et éducateurs. J’ai avancé le mot hommede collège pour exprimer tous les aspects quela tâche de professeur jésuite comporte con -crè tement ; parlant de sa si longue présence àSaint-Servais, avec tant de don d’accueil etd’engagement fidèle, on devrait sans doutedire : homme du collège, de ce collège Saint-

Servais dont il était une figure. C’est avec lemême sens du devoir, la même simplicité queJean va assumer la tâche de ministre (celui quiest chargé du bien-être de la communauté),d’abord pour la communauté Saint-Bellarmindu théologat à Bruxelles, puis en 2001, de re-tour dans son cher Liège, pour la communautéSaint-Servais et enfin, depuis 2009, dans lacommunauté Saint-Claude La Colombière.Malgré le poids de l’âge et une fatigue gran-dissante, il l’a portée fidèlement jusqu’au débutde juillet où il a pu enfin déposer le fardeau.Et la voix du Seigneur n’a pas tardé à se faireentendre : « Entre, bon et fidèle serviteur, entredans la joie de ton maître. »

Le Seigneur ne nous demande pas seule-ment d’accomplir la justice. Il demande aussi« d’aimer la miséricorde » (ou la tendresse,comme traduit la Bible de Jérusalem : « aimeravec tendresse »). La miséricorde, l’amour pré-venant et fidèle, celui même du cœur de Dieu.Nous n’avons vraiment pas de peine à retrou-ver Jean ici. Le soin et la compétence qu’il met-tait pour rendre un service dans le cadre desa tâche débouchait vite sur une relation pluspersonnelle et même une véritable amitié.Jean était un homme foncièrement bon, bien-veillant, sans chichis, simple et direct maisvraiment attentif aux personnes et sensibleaux détails qui font la vie fraternelle. Aidépeut-être par un certain goût personnel pourles bonnes choses, il avait le souci de petitesgâteries comme varier les fromages ou lesconfitures. Chacun et chacune qui l’ont abordéou surtout ont vécu et travaillé quelque tempsavec lui peuvent témoigner de la profondebonté qui, sous des dehors sans façons et vo-lontiers blagueurs, émanait de sa personne.Une bienveillance fondamentale aussi, un res-pect qui acceptait les gens comme ils sont,sans illusion mais sans jugement.

Le Seigneur nous demande enfin de « mar-

Eux avec nous

35Echos • Supplément 2013-4 •

Page 38: Echos octobre-novembre-décembre 2013

cher humblement avec Dieu ». Nous touchonslà à la vie intime de notre frère, sa foi, sa prière,sa relation avec le Seigneur. Jean était discret,sobre en la matière, peu démonstratif. Mais lamanière dont il célébrait l’eucharistie de com-munauté — ce qu’il faisait assez fréquemment,attentif à « boucher les trous » — laissait devi-ner la solidité et la profondeur de sa foi. Il avaittoujours un petit mot d’homélie, très bref : ilrelevait un point de l’évangile, en résumaitd’un mot le contenu souvent de façon fort sug-gestive, et invitait à en tirer le fruit. Il gardaitun moment de silence avant de continuer. C’estavec cette sobriété, cette lucidité, cette foi pro-

fonde qu’il a accueilli mardi dernier le verdictdes médecins, refusé l’acharnement aléatoireet achevé sa montée vers son Seigneur. « Entes mains, Seigneur, je remets ma vie. » À notretour, en cette célébration, avec beaucoup d’af-fection et de gratitude, nous le remettons entreles mains du Père. Et j’aime évoquer en termi-nant ce chant un peu naïf que l’on chante par-fois dans les célébrations d’au revoir : « Ajouteun couvert, Seigneur, à la table. Tu auras au-jourd’hui un convive de plus. Reçois-le bienchez toi ; il était notre ami. »

Jean-Marie Faux, s.j.

Nous avec eux

36 Echos • Supplément 2013-4 •

« En todo amar y servir. »

« Que le Seigneur te bénisse et te garde ;qu’il fasse pour toi rayonner son visage !Que le Seigneur te découvre sa face,te prenne en grâce et t’apporte la paix. »

Chants de la messe des funéraillesle 31 août 2013

Page 39: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Né le 10 juillet 1925 à Louvain, décédé le 20septembre 2013 à Woluwe-Saint-Pierre, il estentré dans la Compagnie le 14 septembre1942 et a été ordonné prêtre le 15 août 1955.

André est né dans une famille qui comp-tait cinq enfants ; il est le deuxième.

Après ses études au collège de Godinne, ilentre au noviciat de Guirsch et est ordonnéprêtre à Eegenhoven.

À l’issue de son troisième an à Wépion, ilrejoint le collège Saint-Michel de Bruxellesen septembre 1957 comme professeur de re-ligion, accompagnateur spirituel d’équipesNotre-Dame et aumônier scout. C’est danscette triple insertion que naissent des intui-tions et des projets qui orienteront ses enga-gements futurs. En 1965, il part à Lourdes avecdes scouts ; ce furent alors les débuts deséquipes Saint-Michel qui accompagnent de-puis lors des personnes handicapées à Lourdeschaque année durant le mois d’août.

Dès 1971, il ouvre une maison appelée leToit à l’avenue de Tervuren qui s’intègreradans « L’Arche » de Jean Vanier en 1973.Chaque samedi, il préside l’eucharistie quirassemble des personnes de l’Arche et de Foide Lumière aux côtés des paroissiens qui fré-quentent l’église du collège Saint-Michel. Larencontre était pour lui chemin d’humanitéet de foi. Liée a son sacerdoce, son amitié avecles personnes handicapées allait de pair avecde nouveaux engagements : auprès des jeunes

jésuites de 1982 à 1994,comme recteur duthéologat, auprès desséminaristes et desprê tres du Grand-Du-ché du Luxembourg de1985 à 1987 pour l’ac-compagnement spiri-tuel ; de 2000 à 2006comme supérieur de la communauté Saint-Claude La Colombière où il a terminé ses joursle 20 septembre 2013.

Les petits billets qu’il écrivait chaque se-maine dans Alleluia Arche ont été collationnésdans deux livres aux titres évocateurs : Heu-reux avec eux et Que tout s’arrange.

Robert Huet, s.j.

Homéliede la messe des funérailles

Le P. André a souvent été au pied de la croixque beaucoup parmi nous ont dû porter dou-loureusement. C’est sans doute là qu’il a reçude Jésus Marie pour Mère. La dévotion ma-riale de notre père et ami a entretenu en luiun cœur tendre et maternel. Quand il arrivaità Lourdes, il aimait dire : « Elle m’attendait !Regarde comme elle est contente de me voir ! »Et voici qu’au ciel, c’est maintenant la granderencontre !

37

P. AndréRoberti de Winghe

Echos • Supplément 2013-4 •

Eux avec nous

Page 40: Echos octobre-novembre-décembre 2013

La croix de Jésus — de son cœur ouvert ontcoulé le sang et l’eau —, la croix des vœux deCompagnon de Jésus, déposée sur le cercueil,le chemin de croix que le P. André faisait àpieds nus, évoquant toutes les souffrances dumonde, la petite croix sur le front que, les der-niers jours, il venait demander à son supérieuravant de la lui faire à son tour…

La croix, celle de chacun de nous dans cetteéglise. Tous sans doute, nous avons été ren-contrés par le P. André, une immense présen-ce, à un moment difficile de notre existence.De sa belle écriture, dans une plaquette pourles jeunes en pèlerinage (1969), il disait : « Soisprésent à toute souffrance. Les plus vraies sontles plus cachées. Les plus proches sont les pluslourdes à porter. Jésus te parle à travers elles.Connais-tu son message d’espérance ? » Cemessage d’espérance, le P. André en a été levecteur par sa qualité d’écoute et d’accueil. Iln’y a de réponse à la souffrance que celle del’amour que je porte à celui qui souffre. « Soisaccueillant, soucieux de chacun, crois en cequi est meilleur en lui, écoute-le, aime-le decette amitié qui n’est pas attirance, mais pré-sence à son problème, à sa recherche… » Jeme souviens encore de cette phrase de l’abbéPierre qu’il nous citait lorsque j’étais son élève :« Aimer, c’est : quand tu souffres, j’ai mal. »

Pour le P. André, les moins valides étaientdes révélateurs d’Évangile : « Ils voient de ceregard intérieur qui distingue et reconnaît parun accord en profondeur. Ils sont l’enfant quinous est proposé comme modèle pour entrerdans le Royaume. […] Ils sont Jésus Christcrucifié au milieu de nous, sauvant le mon-de… Mets-toi à leur école pour regarder avecleurs yeux et trouver à leur lumière la réponseaux vraies questions ! »

Mais n’oublions pas la première lecture,celle de la fête de sainte Bernadette, qu’on lisaitlors des messes au cachot, ce lieu insalubre

d’où la voyante s’encourait vers ses rendez-vous à la grotte. Le P. André avait si bien perçuque l’Église est communauté ou elle n’est pas.Il n’a donc cessé de créer des communautés :le Toit, la « messe du samedi », la chapelle deCocrou, le pélé des Équipes Saint-Michel, leséquipes Foi et Lumière, toutes les relationsqu’il tissait et qu’il mettait en contact les unesavec les autres.

Le P. André était un animateur de commu-nautés — l’étole sur son cercueil le rappelle— et, au cœur de celles-ci, il y avait toujoursle plus faible, le plus fragile. Je n’ose pas com-mencer la litanie : Denis, Hélène, Marco, Vian-ney, Patrick, Marthe-Angèle… Il nous invitaitsans cesse à nous caler sur le plus petit. Il avécu « un sacerdoce totalement donné auxplus fragiles ».

Il y avait aussi les jeunes, porteurs du mon-de de demain, auxquels il faisait confiance.

Le P. André était en cela un visionnaire, caril n’y a pas d’avenir si l’on oublie les « moinsrentables » et si on compte sans les jeunes. Ilvoyait déjà l’Église de demain. Le soir del’inauguration du Toit, le P. Louis Toussaint,son inspirateur et ami, prononçait une homé-lie assez prophétique. Il se réjouissait donc del’éclosion de petites maisons, de petites com-munautés qui permettaient à l’Évangile depasser de bouche à oreille, de personne à per-sonne, par la relation personnelle.

L’Église du P. André était en réseau, commeun filet au maillage très serré. Que de voca-tions suscitées, que de vies réorientées que deliens tissés. « Cet homme et son regard ont unjour changé ma vie. »

Lourdes a profondément marqué la vie duP. André. Cette ville mariale fut au cœur desa vie, elle en fut aussi comme le point d’orgue.Souvent il évoquait ce pèlerinage en compa-gnie de sa maman souffrante. Il y eut la grandeaventure des pélés à Lourdes avec les jeunes,

Nous avec eux

38 Echos • Supplément 2013-4 •

Page 41: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Eux avec nous

39

Pour l’Arche des pauvresIssu de lignée noble, il entra au noviciat

Chez les bons Pères jésuites, il n’en fit pas un platEn régence, en mission au collège Saint Michel

Les jeunes gens, intrigués, reçurent comme du mielIl emmena des scouts en pèlerinage à LourdesPour éveiller à Dieu les oreilles les plus sourdes

Les personnes avec handicap il écoutaDe chaleur humaine sans hésiter les comblaPour ouvrir la maison du Toit se démena

Un havre de paix et d’amour à l’Arche créaDes hordes de plus en plus nombreuses allèrent en trainSe rendre près de la Vierge à Lourdes, ce n’est pas vain

Emmenant les personnes handicapées en peineDécouvrant l’amitié, le service, c’est d’la veine

Des novices jésuites, des jeunes gens de bonne familleÉtourdis et frivoles, furent touchés par la vie

Conférences, chemin de Croix, de la bonne nourritureAvec la messe du Père, des beaux chants c’est nature

Il organisa pour les jésuites en régenceDes weekends mémorables pour entrer dans la danse

Pour fêter la Pâque à Beausart il m’emmenaAu château de son frère, puis la messe célébra

Après le feu si difficile à allumerDeux jésuites illustres vinrent nous réconforterIl célébrait la belle messe de Foi et Lumière

Les chants avec instruments n’étaient pas nés d’hierLes enfants de chœur menés par un jeune scolastique

Et un séminariste les mettait en musiqueContre toute attente il fut nommé supérieurDes étudiants théologiens et professeursConduisant la barque de l’IET à bon port

Pour former des disciples qui dans le monde soient fortsUne mission plus méritoire à lui fut confiéeSupérieur des confrères retraités et âgés

Pour rendre doux leurs vieux jours et les préparerÁ la vie après la vie, le bonheur espéré

En 2011 les quarante ans du Toit furent fêtésTant d’années, les personnes différentes, enchantées

En 2012, l’atelier du Grain eut 35 ansAvec beaucoup d’amusement et d’émerveillement

Un jour il rejoignit, après toutes ces missionsLa Colombière, maison où l’on fait attentionExercer la patience, l’amour comme une rente

Admirable passion, supplication orante

Gonzague Jolly, .s.j

Echos • Supplément 2013-4 •

Page 42: Echos octobre-novembre-décembre 2013

Nous avec eux

40 Echos • Supplément 2013-4 •

et ces équipes hôtels qui permettaient aux per-sonnes moins valides de vivre le pèlerinageautrement.

Et puis ce dernier pèlerinage dont il est re-venu apaisé, prêt à vivre son grand passagevers le Père. Il était passé entièrement du côtédes malades. J’ai pu lui donner l’onction desmalades au milieu de ceux pour qui, jadis, ilanimait lui-même le pèlerinage.

Il ne pouvait désormais plus parler ni mêmeécrire, mais il lui restait ses yeux. « Oh, ce re-gard, je ne l’oublierai jamais », dit un chant àpropos de Jésus. Ces yeux voient maintenantl’invisible auquel il a tant cru et qu’il nous afait voir.

« Le ciel est plus beau avec lui », aimait direle P. André, offrant une de ses formules pro-fondément théologiques, mais d’une simpli-cité qui touche le cœur. Le P. André était eneffet un « baroudeur de l’intelligence ducœur ».

Merci, cher P. André, d’avoir été pour nous,comme le dit Nathalie, un P. inspirant, aimant,exigeant et confiant. Oui, le ciel est plus beauavec vous, mais la Terre n’est pas moins bellepour autant, car vous y avez laissé une traceprofonde.

Vous êtes un fondateur, et nous sommesles héritiers. Aujourd’hui, au cœur même del’émotion, nous nous sentons invités à pour-suivre. Avec la Vierge Marie, priez pour nouset que votre mémoire vivant en nos cœurs soitsouffle de vie et d’espérance.

Terminons par un Ave Maria, « car c’est bienla prière de ceux qui ne peuvent s’empêcherd’être là, des malades qui n’en peuvent inventerd’autres, des pèlerins distraits qui vont où onles guide, de tous les pauvres du monde queDieu, en Marie, salue à son tour… »

Charles Delhez, s.j.

« Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’achoisi pour confondre les sages ; ce quiest faible dans le monde, Dieu l’a choisipour confondre ce qui est fort ;Ce qui dans le monde est vil et méprisé,ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pourréduire à rien ce qui est, afin que nullecréature ne puisse s’enorgueillir devantDieu. »

1 Co 1, 18.25.27-31

«Merci d’avoir osé commencer tant deprojets, merci de nous avoir toujoursincités à aimer et à vivre avec lespersonnes les plus fragiles et les plushumbles. »

Témoignage

« Heureux les pauvres de cœur : leRoyaume des cieux est à euxHeureux les miséricordieux : il leur serafait miséricordeHeureux ceux qui font œuvre de paix : ilsseront appelés fils de Dieu. »

Mt 5, 3.6.9

« Près de la croix de Jésus se tenaitdebout sa mère… Voyant sa mère et prèsd’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit àsa mère : « Femme, voici ton fils ». Il ditensuite au disciple : « Voici ta mère ». Etdepuis cette heure-là, le disciple la pritchez lui. »

Jn 19, 25-27

Page 43: Echos octobre-novembre-décembre 2013

s

Editeur responsable PIERRE HUPEZ, S.J.Rue Fauchille, 6 – 1150 BruxellesCompte Missions-Œuvres des Jésuites 210-0905176-24BIC : GEBABEBB – IBAN : BE81 2100 9051 7624avec la mention : « Soutien aux Echos »

Rédacteur en chef TOMMY SCHOLTES, S.J.Service Communication BMLBd Saint-Michel, 24 – 1040 Bruxellestél. : 02 739 34 99 – courriel : [email protected]

Secrétaire de rédaction ROLAND FRANCART, S.J. Maquette et mise en page JEAN-MARIE SCHWARTZ Imprimerie BIETLOT, 6060 Gilly Routage DIPROMEDIA, 5000 Namur

© BML, MMXIII

Mélanges 2013-04 - couv 05-11-13 11h10 Page3

Page 44: Echos octobre-novembre-décembre 2013

• P402014 • Trim

estriel • Supplém

ent a

u no2013-4 • Bureau de dépôt: N

amur 1 •Ed. resp.: Pierre Hu

pez, s.j., Rue Fauchille, 6, 1150 Bruxelles•

Mélanges 2013-04 - couv 05-11-13 11h10 Page4