e lizé article eos magazine des sciences marsavril2007

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Page 1: E lizé article eos magazine des sciences marsavril2007
Page 2: E lizé article eos magazine des sciences marsavril2007

LA RECHERCHE DES ÉPAVES DE NAVIRE COMMENCE DANS LES ARCHIVES , DETECTIV"ES SOUS-MARI NS Cela ressemble à un reve d'enfant. Partir à la recherche de l'épave d'un navire vieux de plu­

sieurs siècles dans l'espoir de lire des récits uniques et, si possible, de tomber sur un trésor.

Toutefois, les chasseurs d'épaves ne vont plus très loin de nos jours s'ils ne sont portés que par

ce type d'aventure romanesque. Ce qu'ils veulent, ce sont des indications indéniables et des

informations précises provenant de cartes et de documents anciens. En effet, une expédition

coûte une fortune. La Française Emmanuelle Lizé a fait de ce type de recherches maritimes

son métier. Telle un détective, elle épluche des archives poussiéreuses dans toute l'Europe à

la recherche d'indications précises sur base desquelles les archéologues ou les firmes de ren­

flouement pourront entamer leurs investigations.

Inge TAUCHER

Em manuelle Lizé (29 ans) a hérité désormais commencé à voler de ses propres

du virus de la recherche mari­ ailes après dix années de formation et de

time de son père, Patrick Lizé collaboration avec son père. Avec un peu de

(voir encadré), A l'âge de 3 ans, chance, elle va peut-être collaborer avec des

elle se promenait déjà avec un Tc archéologues du gouvernement philippin.

shirt de pirate. A la différence qu'elle posait Elle a réuni un impressionnant dossier sur

sur une plage de l'île Maurice, avec la repro­ l' Oxftrd, une épave du pirate du I7 e siècle

duction d'un portrait du' pirate du ISe siècle Henry Morgan (voir encadré). Et elle met la

"Le secteur de l'archéologie maritime fourmille de requins"

John Bowen imprimée sur le ventre, à côté toute dernière main à son premier livre (en

de quelques trouvailles que son père venait deux tomes), un aperçu schématique et chro­

juste de remonter de l'épave du bateau pi­ nologique de tous les naufrages dans les eaux

rate de Bowen, le Speaker. Pendant toute son françaises, de 1120 à 1945.

enfance, elle a vécu de près cene profession Comment en arrive-t-on à éplucher des rare - dans le monde entier il n'y a au grand archives à la recherche de navires coulés?

maximum qu'une vingtaine de spécialistes Dans votre cas, cela me paraît plutôt évi­

des archives maritimes à plein temps - et a dent, mais comment votre père a-t-il ern-

Eos 59

A 29 ans, Emmanuelle Lizé est une des spécialistes mondiales de l'archéologie maritime.

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plu s jarnais lâché mon père. Lors de son re­

rour en France, il s'est im m éd iatemen t lancé

dans la consultation d'archives, à la rech erche

d'a utres navires. Il en a alors [Out simplement

fait sa profession . Aussi loin qu e je me sou­

vien ne, cela m'a touj ours fascinée . Imaginez

un peu: un papa qui est rarem ent à la maison

et, à chaque reto ur, raconte des histoi res de

tréso rs à sa fille de onze ans. Je rêvais de faire

la mê m e chos e' Vers l'âge de seize ans, j'ai

commencé à travailler avec lui ; pendant les

vacances scolaires , je l'accom pagnais da ns ses

voyages de reche rche en Espagne ou à Lon­

dres. C'est vrai qu 'il y a beaucoup de gens qui .

se sont, un e fois dans leur vie, consacrés par

curiosité à ce travail d'archive. Ma is peu sa­

vent qu e cela peur être un e profession à temps

plein . Sa.ns mo n père, je n'aurais jam ais em­

brassé cette profession . Elle n'existe d 'ailleurs

En consultant les archives, on a parfois que depuis une petite vingtaine d'années." les doigts recouverts de pa illettes parce Est-ce que cela a été difficile de tracer que, à l'époque, "encre contenait de fines

vot re propre voie, Cil tant que jeune femmeparticules d'or. et avec le nom que vous portez, et qui en

bras sé cette profession? plus déb arque dans un monde d'bommes?

"Par hasard. Pen dant son service militaire "Ce n'est pas génial d 'être une fem me dans

il s'est rendu à La Ré un ion et à M aurice. 11 ce microcosme, mais en fin de comp te j'ai

y a rencontré des pêche urs qu i lu i ont de­ su rto ut dû faire mes p reuves parce que j'étais

mandé s'il voulait les accompag ner à l' épave fort jeu ne. Au déb ut , je t ravaillais pour mo n

du Saint-Géran. C'est tout un co nce pt en père et pour ses clients , mais je restais déli­

France, à cau se du roman "Paul et Virginie" bérément il l'arrière-p lan. Après un mo ment,

de Bernardin de Saint-P ierre (et un feuilleto n j'ai voulu voler de mes propres ailes. Ce la

télévisé éponyme dans les années 1970 ndlr) . n'ét ait pas facile, pa rce que je ne voulais pas

Dans ce rom an, le Sain r-C éran cou le avec souHler des clients à mo n père. Et malgré

Virginie à son bord et Paul at tend en vain le mo n nom de fam ille, qui a une bo nne r épu ­

retour de sa bien-aimée. Ce tte excursion n'a ration dan s ce milieu, cela n'a pas immédiate­

, PATRICK LIZE Patrick Lizé se qualifie lui-mêm e d 'arc hiviste-historien. Autodid acte, il s'est forgé un no m

au fil des a ns dans le monde de la rech erc he dan s les a rchives maritimes. En 1979, il jou e

avec le plongeur fran çais Jacqu es Dumas un rôle de pionnier dans l'a rchéolog ie maritime .

Ils décou vrent le navire Banda, batt ant pavillon des Indes orienta les néerl andais es, co ulé

en 1615 . Pou r la première fois da ns l'histoi re, un gouvernem ent collabore avec une équipe

d'archéolog ues, avec le so utien de l'Unesco . On y trouve ra nota mmen t 90 pièc es de po rce­

laine de la dynastie Ming et différents inst ruments de navigatio n. En 1980, Lizé, une nouvelle

fois souten u pa r l'Une sco, découvre des morc eau x d 'ép ave du Speaker, le bat eau du pirate

Jo hn Bowen qui avait sombré e n 1702 . Ce q ui rend Cette découverte unique, c'est qu e c' est

uniquemen t grâce a ux don nées d 'archives de Lizé qu'on a pu montr er qu 'il s'agissait bien

d' un bate au pirate . Car il n'av a it pa s été possible de remonter des preuves irréfutables de

l'épave.

Patrick Lizé, par la s uite, co llabore ra pendant de nom breuses a nnées avec l'arch éologue

so us- marin médiagé nique et s e lfma de ma n Franck God dio (qui s 'entourait d 'ailleurs de

scien tifiques de haut vol), Ils découvriront ense mble, en tre autres , L'Orient, un navire-am ira l

de Napoléon armé de 120 canons , et le ga lion San Diego , coulé aux Philippines après une

bataille navale (les objet s remo ntés sont visibles au musée nat ional de Manille). On dit auss i

que ce serait Lizé qui aurait initié les expéditions de Goddio dans la ville immergée d' Alexan ­

drie, qu i so nt le thème d 'un e expos ition qui se tient à Paris (Gra nd Palais) jusqu'au 16 mars

2007. Goddio et Lizé ne collaborent plus ensemble depuis un bon mom ent. Patrick Lizé a

privilégié ces dern ières an nées une o rientation académique et ne se limite plus exclusive­

ment à l'histoire navale . Il trava ille régu lièrement pour le ministre po rtugais de la Culture .

Eos 60

me nt m arché. Personne ne prenait une aussi

jeune femme au sérieux. Finalement, j'ai p u

quan d mêm e m'atteler à mon premi er dossier

qui m'a été confié par un client de mon pè re.

Petit à pet it, vous étab lissez d'autres contacts,

aussi via les forums sur intern et, et les perits

ruisseaux se mettent à faire de grandes riviè­

res. Cela fait mai ntenant dix ans que je suis

dans la profession et j'ai quelqu es bonnes ré­

férences, donc ce probl ème comme nce à se

résoud re de lui-m ême. J' ai aussi beauco up de

chance d 'avoir reçu tellement d'archives de

mo n père. J'ai complété certa ins dos siers, et

j'ai aussi commencé il en consti tuer tout un

tas de no uveaux. Je dois avoir p rès de 10.000

épaves dans mes fichiers . Mais je le répète,

sans mo n père je ne serais pas où je suis."

Voue profession est assez unique. Ave:r.­

vous suivi une formation qui vous en a

donné les bases?

"Non , je n'ai auc une format ion universi taire

en arch éologie ou en histoire. ]'ai fait des étu­

des de marketi ng et communicat ion . Pour le

reste , c'es t mon père qui m'a form ée. Il y a

dix ans , j'aurais aimé su ivre un e formation en

archéo logie maritime, mais elle ne se donnair

qu'en Flo ride. En Europe, vous devez d'abord

suivre le parcours généra l de quar re ans d'ar­

chéologie, avant de pou voir vous spécialiser.

Je n'en avais pas envie. Et m ême si j'avais

étudié l'archéologie mariti me, je n'au rais pas

enco re été p our amant capable d'exerce r ce

mé tier. Une uni versité aurait pu m'enseigner

l'histoi re mar itime ou l'arch itecture navale,

mais pas com me nt éplucher les archives à la

man ière d'un d étective, Mais bon , je so uhaite

aujourd' hui obte nir quelques d iplômes, no ­

rammem un certificat recon nu par l'Un esco

sur les tech niques Ct les méthodes de fouilles

archéologiques sous-marines."

Quelle est votre crédibilité auprès des cer­

cles scientifiques et acadé m iques, ne crai­

gnez-vous pas d 'être assimilée à ces aventu­

riers dans le milieu des chasseurs d 'épave?

"En France certainement , vous êtes rapide­

ment cata logué si vous n'avez.pas le diplôm e

universita ire ad hoc, mais dans le reste du

mo nde cela se passe plut ôt bien . Si vou s racon­

rez à des un iversitaires français que vous avez

trouvé telle ou telle épave, vous to uchez un

point se;"sible. Non pas qu' ils ne vont pas me

croire, mais ils von t se sentir terribleme nt mal

à l'aise à cet égard. Parce qu e j'ai trouvé sans

d iplôme une chose qu'i ls n'o nt pas trouvée.

M ais peut-être ma crédibilité va-t-elle s'amé­

liorer avec la pub licatio n de mon pre mier

livre. En France, chaque t rouvai lle archéo lo­

gique revient toujours à 100 % à l'Etat , sans

aucune reco nn aissance po ur la person ne qu i a

fait la découverte. Je tr availle dès lors surto ut

à l'ét ranger, aussi parce que la Chi ne ou les

Caraïbes frappent davanta ge mon im agina­

Page 4: E lizé article eos magazine des sciences marsavril2007

don . Pour le reste, votre crédibilit édépend de

la personne avec qui vous collaborez. Je refuse

de m'em barqu er avec des chasseurs de t résors

purs er durs. Ils ne recherchent que l'or et ne

veulen t pas enrendre parler de l'hi stoire. Ils ne

se soucient pas du nom du bateau . . . du m o­

m ent qu'on y trouve de l' or. A l'autre extr ê­

me, vous avez des archéologues universitaire s

qui n e s' in réressen r qu 'à l'h istoire."

Où vous situez-vous sur cette échelle, où 6­

gIll'cnt d'un côté les chasseurs de trésors sans

pitié et de l'autre les purs universitaires?

"Ce n'esr pas aussi simp le. . . mais disons qu e

je m e situe quelque part au milieu. Je ne pe ux

pas j urer qu e l'a rchitectu re navale me lasse

planer. Mais j'adore les r écirs el' les petites

parties d 'histoire qu'ils dévoilent. Et le travail

de recherche me pa ssion ne! C'est la raison

pri ncip ale qui me pousse à exercer ce mét ier.

Mai s je ne cacherai pas que j'aime les tréso rs.

Pas en premier lieu pou r l'a rgen t, mais bien

parce qu'un tréso r a une b eau t é d e con re de

fées. C'est to ut simp lement magn ifiqu e d 'ad­

mirer des bijou x qui one reposé penda nt des

siècles dans le fond de la mer. Je trouve cela

bien plu s beau qu'u n mo rceau de bois pou rri

ou un tas de crânes. N' oubliez pas que cha­

que nau frage exigeait son lor de mo rts. Une

épave est aussi souvent un cirne rière."

Recherchez-vous aussi une reconnaissance

ou une collaboration scien ti fique?

"J' aimerais en effet beau coup collaborer

avec des insti tuts universitaires ou scienti­

fiques. M ais ce n'est pas dans ma nature de

me pr ésen ter à eux. A eux de savo ir où me

trouver. .. Mais je sera is très contente si cela

se produ isait. Je trou verais par exemp le fan­

tastique de réécrire J'hi sto ire mariti me d 'un

pays. O u donner toutes les informations que

j'ai sur un pays d étermin é à un institu t re­

no mmé er gérer ses archives. C'est un de m es

rêves. Je suis touj ours en train d 'apprendre

er de m'exercer dans ce m étier, mais j'espè­

re travailler un jo ur pour les autori t és d'un

pays. Je t rouve impo rtant de faire quel qu e

chose avec un e déco uverte archéologique.

Elle doit êt re expos ée pour être m on trée au

je m 'en occu pe moi-même. J' est ime vraiment

qu 'il doit y avo ir un rapp o rt détaillé de l'en­

rreprise, avec to us les moyens, un inven tai re

des objets trouvés, etc. cr qu 'il soit publié

dan s un e revue scicncifique."

Qu'est-ce qui vous motive personnelle­

ment? Uniquement le travail de d étective?

"En tour cas pas l'argent. La célébrité? Je

n'ai aucu ne env ie d ' êrre connue. C 'est pour

moi une satisfaction personnelle quand mes

recherches abo utissent. J' aime fouiller dans

l'hi stoire. Vous ouvrez un manu scrit an cien . . .

"Une épave de navire est bien souvent aussi un cimetière" grand public. O u alors elle doir faire l'ob jet

d 'un reportage télévisé du National Geogra­

p hie ou quelque cho se du genre. M on père

a avert i officiellemem les au to rités de M au­

rice de la d écou vert e du Speaker, et tolit es les

pièces uniques som allées au m usée. Er nous

avons pu conserver qu elques obj ets. N 'est- il

pas normal que le d écouvreur reçoive tom

de mê me qu elque chose? Il a d'ailleurs aussi

t ravaillé avec des universitaires à des pu blica­

t ions scientifiqu es sur ses décou vertes dans

l' International jo urnal ofNau tical Areheology (IjNA), la très rép uté e revue du secteur. C'est

la raison pour laquelle j' exige toujours par

contrar qu 'une exposit ion et un rappon écrit

soien t réalisés q uand une découvert e esr faire .

Er si mes clients n'assu rent pas la publication ,

Eos 61

et vous avez les do igts recouverts de paillettes,

par ce qu e ce document a été écrit avec de

l'encre qui contient de fines panicules d 'or.

Vous plon gez alor s da ns une époque complè­

tement différente. Vous lisez des choses qui

n'auraien t jamais pu se produire à notre épo­

qu e. J' oublie to ur. .. commen t je m'appelle,

où j' habit e, je n'existe plus. Je suis plongée

dans un autre monde. C'est fascinant. Co m­

me dans un rêve. Le plus fantastiqu e dans ces

archives, c'est quand vous tombez sur un ma­

gnifique navire q ue plu s personne ne connaît.

E t le fait de pou voir prouver à J'aide de docu­

m enrs que le nav ire a réellem ent exisré,j'ado­

re ça! Cel a ar rive raremen t, mais ce rype de

dossier, je le mets de côté dans l'attente que le

client ad hoc se pr ésente."

Page 5: E lizé article eos magazine des sciences marsavril2007

Avez-vous une période p référée? "Je SU IS ma joritairement co ntactée par des

"Vous pouv ez en principe remonter jus­ mi lliardaires qui ont fait fo rt une da ns un

q u' avant notre ère... Dans la Bible, il est autre sec teur ou ont hérité de so m mes impo r­

indi qu é co mm en t la flotte d u roi Josaphat a tante s, et qui son t passion nés par l' archéo­

sombré dans la me r Rou ge. Mais ce n'est pas logie maritime. Ils veulent deveni r le grand

mon tr uc. Je démarre à partir du 16e siècle, découvreur d 'une épav e impo rta n te. C ela ne

mais je préfère le ISe siècle, celu i des bat ailles m e dérange pas. Parfoi s, des entr ep rises de

navales, des flibustiers cc des pira tes. Je m e renflo uem ent so nt u niq uement fondées dans

suis entichée de la période de la gue rre de Sé­ le bu t de découvrir des épaves et des tr ésors.

cession en Am érique. Je m'i nt éresse beaucoup O u c'est une association que veut lan cer un

aussi aux ba teaux d' esclaves, m ais ce suje t res­ m usée . Mon père a déjà travaillé pour des

te, aux Etats -Unis su rto ut, encore tab ou." d épar tem ents ph ilanr ro piques d'une multi ­

Quelles son t les personnes qui font appel nationale o u pour le ministère portugais de

à votre travail de recherche? Qui so nt vos la C ul tu re. Il existe à vrai dire deux typ es de

clients? clien ts avec lesquels je refuse catégor iq ue-

Henry Morgan & The Oxford "Je prenais le repas du soir avec

les autres quand le grand mât

s'est arraché et est tombé sur

le capitaine Aylett et le capitaine

Bigford et les autres et les a tou­

chés à la tête. Je me suis sauvé

en rampant à califourchon sur le

mât de misaine. Seuls Morgan

et ceux qu i étaient assis de son

côté de la tab le ont été sauvés."

C'est ainsi que s'exprime dans

ses écrits Browne, le médecin

de bord de la flott e du corsaire­

pirate Henry Morgan. Le bateau

en question , The Oxford , a coulé

peu après cette grotesque explo­

sion . Nous sommes le 2 janvier

i 669. Sur le pont de l'Oxford se

tenait une grande fête richement

arrosée. Dans l'agitation de la

fête, on a tiré des feux de joie,

mais une seule ét incelle fatale est

tombée dans le magasin de pou­

dre et a provoqué une énorme explosion. Plus de trois cents marins anglais et prisonniers

français ont péri. Seuls Morgan et une poignée d'officiers, qui se tenaient à la poupe, ont

survécu.

Henry Morgan est, avec Blackbeard (Edward Teach), William Kidd et Black Sam Bellamy,

l'un des pirates qui figurent habitu ellement dans les livres d'enfants. Les légendes ont tou­

tefois aussi négligé quelques navires. A ce jour, on n'a retrouvé et reconnu avec certitude

qu'un seul bateau-pirate: il s'agit de l'épave du Whydah de Black Sam Bellamy décou­

verte en 1984. Certains aussi revendiqu ent avoir découvert ou localisé le Queen Anne 's

Revenge (Blackb eard) et le Jamaica Merchant (Henry Morgan), mais il n'y a pour l'instant

(encore) aucune unanimité.

Emmanuelle Lizé souhaite maintenant , avec le Sud-Africain Christopher Juredin (qui vit

sur les îles Vierges britanniques et y travaille notamment en tant que plongeur pour le

gouvernement) retrouver la trace du navire amiral du corsaire Henry Morgan, The Oxfo rd.

Elle se fait fort de connaître l'emplacement exact du naufrage. Les initiés cherchent autour

de l'île à Vache, devant la côte sud d' Haïti mais, selon Lizé, l'épave repose plus au nord .

Elle est en bonne voie d 'obtenir les autorisat ions des autorités haït iennes. Normalement,

i'expédition devrait être lancée cette année.

ru ent de tr availler. Je ne tr availle jamais pour

des chasseurs de tr ésors purs et durs. S' ils dé ­

co uvrent une épave dans les eaux inr ernario­

nales, ils vendent rou tes leurs trouvailles aux

enchè res chez Ch rist ie's. C'est rid icu le! Et je

ne travaille jamais no n plus pour des gen s qui

ne dispo sent d 'aucune au rorisa rio n officielle

po ur leur expédition . Com m e je l' ai dé jà dit ,

to us mes clien ts doivent aussi ma rquer leur

acco rd sur la clause de réd act ion d 'un rap pon

scient ifiq ue O ll d 'organ isation d 'une exposi­

tio n décence. Le grand pub lic doi t po uvoi r

profit er de nos découvertes. Si ces conditions

so m remplies , ils peuvent b ien m onter l'exp é­

dirion po u r l'argem ou les éventuels tr ésors.

C ela ne m e pose aucu n problème ."

D e com bien d 'informations disposez-vous

quand vous VOlIS lancez dans ce type de re­

cherches? Et comment cela se passe-t-il?

"En règle géné rale, Je client me contac te

q uand il d ispose d 'une au torisatio n po ur un

pays ou un e épave déterminée. Il ne possède

d 'hab itude pas d 'aut res renseignem enrs. Il n'a

aucune idée de l' époq ue non plus. Parfois il

me demande ce qui peur êtr e découvert dans

u n certain pays. Je suggère alors des épaves

potentiellement in téressan tes sur lesqu elles

no us pourrio ns travai ller. En fin , je reste avare

d 'i nformarions jusqu'à ce que le co ntr at soit

signé. Mo n pè re a eu u o p d 'exp ériences né­

gatives avec des gens qui s'évapo raient dans

la nature avec ses in for m ations. C e secteu r

grouille de requins. Il arrive pa rfo is qu e je

dispose déjà de routes les informations sur

l'épave so uhaitée chez moi. J'ai bo uclé qu el­

ques dossiers su r des épaves très convo itées,

m ais je ne les vendrai qu 'au client pa rfait,

qui sera prêt à le [rai rel' de faço n scien tifiq ue.

Sino n , généralement, je n'ai que le nom du

ba teau ou la date d u naufrage. Er c'est avec

ces données qu e je me m ets au travail. Prenez

pa r exem ple un navi re fran çais q ui a coulé en

Angleterre. Je fais alo rs des recherches dans

les archives françaises et anglaises. En Fran ce,

je co llabo re beau co up avec le Service Histo­

rique de la Marine à Vincennes, LeI Archives

Na tionales à Par is, les arch ives du ministère

à Paris . . . Cela vous perm er de co nnaître le

nom du capitaine ou de l'ami ral, j'e ssaie alors

de mettre la ma in sur sa biographie, car les

so urces SOnt so uve nt in t éressantes. Par ce

bia is, vous trou vez une référence aux [ivres

de bo rd que je pe ux consu lter au près de la

High Court ofAdmiralty à Lon dres. A l'aide

d 'autres mots-clés, il se peur aussi que je

co nsulte les archives de The Times, The State

Papa , Archiuos Genemles de Indias à Séville . . .

Je lis to ur. Dans J'un de ces do cuments, vous

fini ssez par tro uver un rapp ort p récis de l'en ­

droit où le navire en q uestion a cou lé. Vous

décou vrez d 'où est parti le bateau. Ce qui me

per met de déd uire q ue lle était sa cargaison ;

Eos 62

Page 6: E lizé article eos magazine des sciences marsavril2007

un navire qui venait de Chine transporte ra

généra lem ent de la porcelain e. C' est v érira­

blement un tra vail de d érec rive. Au d éb u t, je

me ret rou vais fréqu emment bloquée et je té­

léph onais à roue instant à mon père pour lui

de man der conseil. D epuis, je sais main tenan t

précisément o ù je dois chercher."

Ne rencontrez-vous pa s trop de fausses pis­

tes? Ou y a-t-il d 'autres diffi cuités?

"Je me méfie généralement des do cuments

ou des livres im pri més daran r de certa ines pé­

riod es. Les récit s sone sou vent roma ncés. Les

navi res qu i o nr péri corps et biens cons ti tuent

souvent un poin t d ifficile. Tous les mem bres

de l'équipage ont été noyés, il n'y a aucu n ré­

m oin d u naufrage. Seuls les survivants à terre

peuvent supposer qu e le bateau ait coulé: ils

l'at rendaien r avec sa cargaison à une p ériode dérerminée. Vous po uvez alors vo us mettre

en quête des bull et ins m étéo de cette péri ode.

Ou de navires qu i rài saien t à l'époque la m ê­

me route - il Y a peut-êt re qu and même eu

un tém oin? Mai s ce type de dossier ne repose

jamais sur du con cret .

C'est aussi la raison pou r laqu elle les épa­

rée par des gens qui courenr derrière un my­

the!"

Combien de temps fa ",t- il pour boucler

ce genre de dossier? Et jusqu'à quel point

êtes-vous certaine qu'il y a une épave ou

un tr ésor?

"Q uand vous avez beauco up de chance, cela

peut ne pren dre qu'u n seul jour . M ais, géné­

ralem ent, le tra vail de reche rche prend un à deux mois. Cela dépend, cela peut aussi du­

rer t rois ans. Si la source fait une erreur ; un

survivan t qui affirme avoir nagé 3 km , alors

qu 'ii y avait tout au plus 500 mètr es. Vous

ne pou vez jam ais être cerrain à 100 %. Je

répète tou jou rs à mes client s que je n'y étais

pas. Il se peut par exem ple qu 'il y ait eu, vingr

ans a près le naufrage, une op ératio n de ren ­

flouage, au cou rs de laq uelle la cargaison (ou

le t réso r) ait disparu . C én éra lem em , ce gen re

d ' événeru en r est d ocument é quelque parr.

C'est la raison pou r laqu elle je co mpulse cou­

jours les archives au moin s un an après la dace

du naufrage, po ur voir s'i l y a eu des ten ta­

tives de ren flo uement. Mais vous ne pouvez

pas épluche r toutes les archives sur 15 ou 20

"J'ai envie de me pencher, dans les prochaines années, sur les archives russes, en fait peu étudiées parce que la plupart des archivistes ne parlent pas le russe"

ves les plus convoit ées n'ont pas encore ét é

retrouvées. Il y a tr op de sources sujett es à

caution, les navires one péri corps et b iens ou

ils sont comp lètemen t ensablés. Il est arrivé

un e fo is qu'un collègue me dem ande des in­

formation s sur un navire particul ier, le Notre

Dame de la Délivrance. Un bareau connu , qu i

a coulé au large de la Flor ide en 1756, d isait­

il. Je n'ai absolumen t rien retr ouvé dans m es

archives. Il esr vrai que je ne con nais pas rous

les bureaux, mais cela m e sembla it quand

même bizarre. Surtou t parce qu e, d'ap rès ce

qu'on disait, c'était un bateau très connu. Je

n'a i retrou vé n ulle pan l'in for m ation selon

laqu elle il aurait coulé. Fin alem ent, j'ai lu

dans un ancien catalogue de la Cham bre dt:

C ommerce de Marseille qu'i l avait été pr is

par les Anglais. D éto urné, pas coulé. Alo rs

qu 'u ne firme am éricaine clam ait qu'e lle avai t

trou vé cette épave pleine d 'or.

Avec mes sources, ce collègue a p u montrer

que des myth es circulent pa rfois cr qu e l'on

raconte des absurdités. Vous ne pou vez pas

vous im aginer combien de fois je suis con tac­

ans. Un risque subsiste dès lors. D ans le cas

d'une épave par 2.000 m ètres de fond, vous

pouvez être sûr qu e personne ne l'a visitée

ava nt 1945. Vous savez, je con na is des per­

sonnes qu i recherchent dep uis de nom breuses

années, aux Ph ilippin es, un e épave espagno le

qui rransportait beau coup d'argenr et qui a

coul é en 1806 à Panagatan. Ce ne sont pas

les premiers à y avoi r perdu beaucoup d 'ar ­

gen t. Mais à m on avis, ils se basen t rous sur

les mau vais documents. J' ai des indi cations

selon lesquell es le naufrage se serai t produit

50 0 km plus loin. Je sais où il a coulé, mais

je le garde po ur moi jusq u'à ce qu e je trouve

le client ad hoc. Ce qui est spécia l, c'est que

nous j'avons t rouvé tout à fait par hasard,

seulem en t pa rce que, mo n père et mo i, nous

avon s l'h abitude de toujours lire plus loin

dans les documents d'archives. Si nous t rou­

vons à la pag e d ix les informa tion s que nous

che rch ons, nous po urs uivons quand même

no tre lectu re. Q u i sait, no us pourr ions tom­

ber su t d 'autres naufr ages."

Pourtant, tout le monde n e fait pas des re -

Eos 63

cherches app rofondi es. Quell e importance

revêt un bon travail d'archive?

"fi arrive encore de temps à autre qu'un pê­

cheur ou un plongeu r en apn ée en Asie du

Sud-Est ramène une belle pièce. Mais ce

genre de hasard est devenu rare. l es eaux

peu profo ndes one été prati qu em ent pillées.

Pou rt ant, certa ins chasseurs de trésors tr a­

vaillent encore au peti t bonheu r avec tr ès peu

d' iulor macions sur J'épave. Avec leu r équipe­

ment high-tech , ils prennent deux ans à ex­

plorer une zone de 10 km sur lada ns l'espoir

de trouver un trésor. Q uels im béciles! M ais il

ya encore une raison pour laquelle le t ravail

d 'arch ive est util e. Vous savez avec précision

ce qu e VO LlS cherchez. Ce pêcheur ou ce plon ­

geur en ap née qui trou ve par h asard un ma­

gnifique objet, mais n'en sait rien de plus, va

peu t-être le vendre pour une bouchée de pain

aux m auvaises person nes. D ommage."

Quelle est l'épave la plus fantastique que

vous aYC7. découverte jusqu'ici?

"Je ne peux malheureusement pas en dire

grand-chose. Vou s devez être très discret dans

ce métier. Ce rtains clients ne veulent pas faire

savoir q u' ils s'occupen t ou se SOn! occupés de

ce type de reche rches. O u parfo is vous tra­

vaillez pour deux clients différent s, qui igno­

rene qu ' ils ont engagé le même cherche ur.

C 'es t dès lors un sujet ext rême men t délicat,

je ne veux pas com promett re mes bonnes re­

lations, ni celles de mon père."

Accompagnez-vous les expéditions, afin

de voi r en vrai la découverte quc vous avez

faite dans les archives?

"Peu de chercheurs part icipent aussi aux

expéd itio ns. Cela demande énor mément de

temps. Je ne peux pas me permettre d'être

part ie penda nt six mois. Mais pou r l'expédi ­

tion de l' Oxftrd, à Haïti, je serai pro bable­

ment là, parce que cett e histoire me rient fort . " a cœu r.

Quels so nt vos ambitions futures et vos rê­

ves dans ce métier ?

"Si je devais un jour avoir beaucou p d'argem,

je rêve de créer une fon dation, de former et

d 'employer beaucou p de gens - architectes,

ingénieurs, plon geurs - et de monter mes

propres expéd irions. J'ai aussi envie de me

pencher dans les prochaines années sur les

archives russes. Elles n'ont pas encore été vé­

ritablement étudiées, parce que la plupart des

archiv istes ne prat iquent pas le russe. En fait,

oui, je devrais aussi apprendre le néerlandais,

car les archives de la Haye ou de Rorrerdam

regorgent aussi d ' inform ations. Ce n'est pas

la mêm e chose quand on t ravaille avec un tra­

ducteu r. Mais la langue me rebu te un peu . . .

J'aimerais encore écrire lin livre sur la façon

don t les pir ates parvenaien t à leurs fins , avec

des déta ils qu i ne figurent dans aucu n autre

ouv rage." •