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LE HÉRAUT DU DHAMMA DE BOUDDHA Guy Poitevin L’initiation à la suite d’Ambedkar L’énoncé « Nous avons pris la d¥k ! å » est une référence à l’initiation ou cérémonie d’entrée dans le Bouddhisme du 14 octobre 1956 à Nagpur. Des paysannes en chantent le souvenir en se mettant à moudre. Le chant qui leur vient aux lèvres les fait entrer à nouveau sous la tente de la d¥k ! å (il en est la porte, dit un distique) que donna Ambedkar, dont la présence demeure au fond du cœur. L’espace de mémoire qu’ouvre le chant se constitue aussitôt en mode de la présence. Je mouds, je mouds, premier tour de la meule courante Båbå est assis sur la terre de la d¥k!å. (10ai17) 1 Tente de la d¥k!å. Ma bouche, j’en fais la porte Mon Bh¥m råjå réside au fond de mon cœur. (7b6) Des chanteuses se souviennent d’un voyage en train, le premier voyage sans doute de leur vie, fait sans billet, non sans appréhension, mais sous la garde de leur frère : Il arrive, il arrive le train, des bougies à chaque voiture Femme, mon frère (les) avait emmenées prendre la d¥k!å. (10ai7, 22) Des images restent vives en l’esprit de cet « aujourd’hui » : l’arrivée de Båbåsåh„b, les voitures et les aléas du voyage : Qu’est-ce que ce branlebas sur la Prairie du Park Docteur Båbåsåh„b est venu pour prendre la d¥k!å. (10ai14) 1 Pour une explication de la classification, voir la note 51 dans l’ouvrage.

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LE HÉRAUT DU DHAMMA DE BOUDDHA

Guy Poitevin

L’initiation à la suite d’Ambedkar

L’énoncé «!Nous avons pris la d¥k!å!» est une référence à l’initiation oucérémonie d’entrée dans le Bouddhisme du 14 octobre 1956 à Nagpur. Despaysannes en chantent le souvenir en se mettant à moudre. Le chant qui leurvient aux lèvres les fait entrer à nouveau sous la tente de la d¥k!å (il en est laporte, dit un distique) que donna Ambedkar, dont la présence demeure aufond du cœur. L’espace de mémoire qu’ouvre le chant se constitue aussitôt enmode de la présence.

Je mouds, je mouds, premier tour de la meule couranteBåbå est assis sur la terre de la d¥k!å. (10ai17)1

Tente de la d¥k!å. Ma bouche, j’en fais la porteMon Bh¥m råjå réside au fond de mon cœur. (7b6)

Des chanteuses se souviennent d’un voyage en train, le premier voyage sansdoute de leur vie, fait sans billet, non sans appréhension, mais sous la gardede leur frère!:

Il arrive, il arrive le train, des bougies à chaque voitureFemme, mon frère (les) avait emmenées prendre la d¥k!å. (10ai7, 22)

Des images restent vives en l’esprit de cet «!aujourd’hui!»!: l’arrivée deBåbåsåh„b, les voitures et les aléas du voyage!:

Qu’est-ce que ce branlebas sur la Prairie du ParkDocteur Båbåsåh„b est venu pour prendre la d¥k!å. (10ai14)

1 Pour une explication de la classification, voir la note 51 dans l’ouvrage.

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La voiture de Bh¥m est arrivée arborant le drapeau bleuLa foule sur la terre de la d¥k!å se compte par centaines de mille. (10ai18)

Ce sont des gens par centaines de mille qui prennent la d¥k!å aujourd’hui (10ai53).Quant à la radio dans ma ville de Nagpur, on pourra penser qu’il s’agit en faitdes haut-parleurs de la sonorisation.

Voitures sur voitures!! Que de voitures!! Pour quelle d¥k!å!?Pour la d¥k!å de Båbåsåh„b à Nagpur. (10ai9)

Ecoutez!! La radio parle dans la ville de NagpurLes épouses de Kunbi prennent la d¥k!å de Bouddha. (10ai4)

A l’exemple et sous la direction d’Ambedkar, un demi million de Mahårentraient dans le dhamma de Bouddha. Les chanteuses sont chaleureusementreconnaissantes à Ambedkar d’une démarche qui marque le début d’une èrede bonheur. Elles lui en accordent avec fierté tout le crédit.

Je chanterai mon premier chant pour AmbedkarIl nous a donné la d¥k!å, je resterai heureuse. (10ai10, 13)

Il assura la garde de millions de millions de rêvesNous emmenant aux pieds de Bouddha, il nous donna la d¥k!å dudhamma. (10ai23)

Ambedkar figure dans le souvenir des chanteuses au centre de l’événementcomme celui qui refait l’histoire et leur destin en leur donnant la d¥k!å deBouddha (10ai2, 44!; 1b1) ou du dhamma (10ai23).

A la voiture de Båbåsåh„b il y a un cordage d’argentBåbå est venu prendre la d¥k!å dans la ville de Nagpur. (10ai15)

Lui, Bh¥mråo a pris la d¥k!å, nous l’a donnéeSur les bords de la (rivière) Nag, à Nagpur, ma ville. (10ai24)

C’est donc aussi bien à la d¥k!å d’Ambedkar ou à la d¥k!å dans le temple de Bh¥mque les chanteuses se savent redevables de cette authenticité rendue. Avecgrand enthousiasme, je mets un sari blanc, la tante prend la nouvelle d¥k!åd’Ambedkar (10ai12).

Je veux porter le sari blanc de BouddhaJe veux aller prendre la d¥k!å dans le temple de Bh¥m. (10ai3)

Vite, en hâte, je mets un sari blancLa belle-sœur prend la nouvelle d¥k!å d’Ambedkar. (10ai2, 11, 12)

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C’est ce qu’exprime le terme de «!conducteur!» (gå"¥vån) (trois occurrences,1L29, 31!; 10d8) à propos d’Ambedkar, qualifié de vrai conducteur de la voiture(1L31). L’expression est à comprendre en référence à des représentationsrituelles propres à la communauté Mahår qui appellent ainsi le potråj, l’un desleurs qu’ils ont offert à leur divinité, Lakßm¥ å¥, comme son serviteur et sonreprésentant, et qui est appelé «!le conducteur du char!» de la déesse, soncocher. Bh¥m est devenu ce cocher mais d’un autre char. L’imaginationsurréaliste de la chanteuses se plaît à l’imaginer étincelant de joyaux dont ellene connaît que les noms, signifiants qui expriment pour elle tout ce qu’ellevoudrait dire de celui qui est désormais le seul vrai conducteur de son destin!:

Voiture de bijoux, de rubis, splendide!! Bh¥m mon conducteurJe chanterai Bouddha avec bonheur et rentrerai à la maison. (10d8)

Bikku Chandramani présidait et recevait l’engagement d’Ambedkar :

Qui est ce Chandramani qui passe devant ma porte!?Je ne savais pas que mon Bh¥m en avait fait son gourou. (10d7)

Un bâton à la main, une robe jaune pour vêtementIls sont partis prendre la d¥k!å, Bh¥m en avant, Ramå en arrière. (10ai25)

La mère et la première épouse d’Ambedkar sont là aussi2. En prenant la d¥k!åà son tour (10ai6), la seconde devient la mère des dalit :

Ramå¥, Mère des dalit, est venue sur la terre de la d¥k!åBh¥m a fait tourner la roue du dharma, lancé son appel aux dalit. (10ai19)

Un bâton à la main, une robe jaune pour vêtementIls sont partis mendier, Bh¥m en avant, Ramå en arrière. (10ai16)

Les corps se parent d’une nouvelle clarté qui est celle d’une renaissance dansl’authentique pureté de l’être retrouvée, un motif déjà rencontré et sur lequelje reviendrai encore plus bas (10b4). La blancheur du sari de Bouddha (unevingtaine d’occurrences) est un signe qui parle d’une fulgurance quienveloppe le corps tout entier et augure de nouveaux liens humains!:

Les cent plis de mon sari blanc me tombant jusqu’aux piedsJ’ai été la première à prendre la d¥k!å de Bouddha. (10ai21)

Je porterai un sari blanc me tombant jusqu’aux piedsMon époux, je te le dis, allons tous les deux prendre la d¥k!å. (10ai32)

L’appel de la nouveauté ne peut se dire plus simplement!: Vite, en hâte, je metsun sari blanc (10c29, 31).

Bh¥mråo est arrivé, une guirlande de fleurs autour du couPour prendre la d¥k!å bouddhiste mettons un sari blanc. (10ai2)

Sari blanc et bustier blancJ’ai mis à mon cou le joyau des Trois Refuges. (10c24)

2 On sait que ces deux femmes sont décédées depuis longtemps.

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La cérémonie de Nagpur est également célébrée dans d’innombrableshameaux de Mahår au Maharashtra. Le souvenir des cérémonies y est là plusintime. L’entrée dans le bouddhisme se fait partout sous le signe de lalumière!:

Femme, nuit de la pleine lune, clair de lune dans la courSa clarté dans la cour, Bh¥m entre dans le dharma de Bouddha. (10ai5)[37582]3

Qui est cette femme qui traverse le champ vêtue de sari blanc!?Femme, ma chère sœur Radha s’en revient de prendre la d¥k!å. (10ai8)

Dans le village de Barpe, écoutez!! Quel est ce bruit!?Les femmes chantent des hymnes dans le temple de Bouddha. (10a1)

L’événement se vit comme le passage décisif à un autre ordre de vie!: MonBh¥m nous a éveillés aux principes de Bouddha (10d11).

Mères et femmes, allons au vihåra de BouddhaPrenons aujourd’hui la d¥k!å sur la Terre de la d¥k!å à Nagpur. (10ai20)

L’enseignement de Bh¥mråyå est la grande chance de ma vieLa grâce de Bouddha donne tout son décorum à ma maison. (10e2)

Les chanteuses savent que Bh¥m mettait à exécution une décision personnelleancienne, celle de rebâtir la société et le pays sur de solides fondements!:

Il y a une fondation en fer de l’autre côté de DelhiBéni Bh¥m, votre résolution d’entrer dans le dharma de Bouddha. (10c27)

Le bâtiment à étage de Båbåsåh„b avait une fondation d’acierBh¥m avait résolu d’entrer dans le dharma de Bouddha. (10c34)

Il a beaucoup réfléchi à l’époque de sa jeunesseBåbå s’est converti au bouddhisme dans sa vieillesse. (10c28)

Ramener et rétablir la loi de Bouddha était un projet intentionnellement voulude dignité sociale pour les opprimés, les dalit (10c23, 26)!:

Mon premier chant est pour le Seigneur BouddhaIl a lancé le Bouddha dhamma pour le bien-être des dalit. (10b1)

Mon neuvième chant, il a imposé le nom de BouddhaIl a purifié les dalit comme on donne un bain de lait au dieu. (10b4)

Le bain de lait de la purification n’est plus, avec l’ère qu’Ambedkar inaugure,une pratique symbolique rituelle substituée à une autre, c’est une pratiquehistorique qualitativement autre. Elle réduit le rite traditionnel à un statut depure allégorie d’une regénération de l’opprimé dans l’authenticité de son êtrehumain. Ce n’est plus le dieu qui est baigné mais les dalit dont l’ancien ordrefaisait des «!impurs!» indignes de la race humaine!:

Il arrive, il arrive Ambedkar, son premier duvet sur la têteDans un peuple aussi nombreux, il a purifié le pays de Mawal. (1a48)

3 Les nombres entre crochets renvoient à l’index des enregistrements sonores.

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Bh¥m a aspergé la terre entière des gouttes du dharmaIl a baigné l’humanité avec les gouttes de l’Esprit de Vie (caitanya4).(10b3)

Le feu de l’Esprit de Vie (caitanya) a tout embraséCe peuple en son entier s’est levé tout ensemble. (1n26)

Ces gouttes de caitanya ne sont pas une pure formule rhétorique!: elle semêlent aux gouttes de sueur versées par Bh¥m s’échinant à faire revivre les Mahår,en réécrivant leur destin (1n6) au prix de sa sueur pour en assurer le bien-êtrequotidien. Cette réécriture est réalisée par le dhamma de Bouddha, une loi dedignité pour le relèvement de toutes déchéances, de la terre et des hommes.La valeur cosmique des images ne peut passer inaperçue.

Trois signes d’ordre différent se conjuguent pour signifier la portée del’événement. Le sari blanc en dit la nouveauté profonde de regénération dansla clarté, une portée d’ordre anthropologique.

La photo d’Ambedkar qui en remémore le héraut bienaimé, en dit l’ancrage réel à un moment précis del’histoire des opprimés. L’habit moderne du libérateursur la photo en dit l’intention!: faire disparaître l’ancienmonde qui défigurait des êtres en redonnant à ceux-ciune autre condition de vie5.

Ces trois signes pointent vers ce que donne Båbå à l’Inde!: la loi de Bouddha,la nouvelle âme du royaume conquis par Bh¥m.

Vite, en hâte, je mets un sari blancFemme, il y a des photos de Båbå dans toutes les maisons. (10c29)

Souliers, costume, manteau, voilà tes ornementsNe va pas oublier ce que Båbåsåh„b nous a donné. (10c4)

La reine de Bh¥m a mis un sari blancLes femmes de Delhi s’enquièrentComment va le dharma de Bouddha!? (10c22)

La mère de Bh¥m Båbå a mis un sari blancElle se demande comment est le royaume de Delhi. (10c31)

4 Voir le glossaire à la fin de l’ouvrage.

5 Voir Ramachandra Guha, The Hindu Magazine, 8/12/2002, p.!3!: La tenue d’Ambedkar acquiert toute

sa signification par opposition à celle de Gandhi dont le dépouillement vestimentaire marque le

renoncement moral et politique aux biens et au pouvoir en ce monde d’un homme de haute-caste, de

condition aisée et proche du pouvoir par naissance. Ambedkar est né dans une caste dépouillée par

naissance de ce qui fait la dignité élémentaire d’un être humain!: vêtement, nourriture, éducation,

reconnaissance politique. Sa stature, son costume (Ambedkar, les trois dernières décennies de sa vie,

s’habilla régulièrement d’un costume bleu foncé) et son éducation sont le signe pour les chanteuses de

«!la prise d’assaut d’une citadelle de haute caste!» jusque-là interdite!:. Leurs chants font de son

costume un insigne de libération.

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La communauté de Bouddha

Les chanteuses ont conscience d’être entrées dans un nouvel ordre des choses,celui du dharma!/!dhamma de Bouddha (ces deux mots reviennent vingt-neuf foisensemble, Bouddha lui-même étant nommé cent trois fois) conformément à lavolonté historique d’Ambedkar de mettre fin à jamais à la charte orale etcoutumière des cinquante deux droits (10c1) qui définissait le statut traditionneldes Mahår.

Il a rejeté au loin le dharma hindou et la nation hindoueNous, nous avons pris le nouveau dharma de Båbå. (10c9)

Le rêve d’un âge d’or prend forme avec le rejet des traditions d’hier.

Changez vos façons de penser, abandonnez les superstitionsJoignez les mains devant les disciples de Gautam. (10h13)

Je fis un rêve, je vis en rêve des récipients d’orFrères dalit, célébrez l’årat¥ en l’honneur de Bouddha. (10c6)Dans la perception des chanteuses, ce rejet signifie l’abandon de dieuxde pierre inertes pour entrer dans un nouvel espace de vie etd’appartenance. C’est celui de la communauté humaine de Bouddharégi par la nouvelle loi du dhamma telle que la proclame Båbå :Mon premier chant est pour le Seigneur BouddhaJe prendrai refuge dans la communauté du Bouddha dhamma. (10c7)

Les formes symboliques d’identification et de communication changent. Cesont de nouveaux emblèmes de ralliement et de nouvelles écritures (poth¥) deréférence!: Femme, dans ma cour, l’ombre du drapeau bleu, on a placé le poth¥ deBouddha (10c8). La connaissance impartie par Båbå, celle du dharma de Båbå, deBouddha (10c9), est une toute nouvelle sagesse. Elle donne un sentiment deplénitude, elle comble!: Femme, Bh¥m, mon Bh¥m m’a rempli mon giron d’or(10c12)!:

Båbå me dit les histoires de la connaissanceLa connaissance de Båbå remplit mon giron. (10c11)

Le drapeau bleu à la mainJ’ai acquis la connaissance du Bouddha. (10c13)

La nouvelle divinité fascine. Elle conduit d’emblée à congédier avec sarcasmeles dieux ancestraux et des pratiques maintenant honnies!:

Dieux de pierre, ne vous avons-nous pas servis!?La nouvelle divinité, Bouddha, est arrivée, mettez-lui des bâtonnetsd’encens (10c4) [37455]

D’un tout nouveau dharma les toutes nouvelles attractionsDu vieux dharma nous avons brisé les observances. (10c10)

Toute la science religieuse de l’hindouisme est dénoncée comme culture futileet inepte — «!des livres de superstition!», litt. d’une «!foi d’aveugles!» (10h10, 11)— pour la raison qu’elle fut incapable de relever le statut des intouchables etde motiver un sentiment de responsabilité sociale à leur égard. Dès lors, àquoi bon!?

On a lu et récité les six ßåstra, personne ne nous est venu en aideMalgré cela, notre intouchabilité n’a pas diminué. (10h7)

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D’âge en âge, l’ineptie de la cultureBh¥m Båbå a brisé son entreprise d’aveuglement. (10h11)

Le législateur Manu était par ailleurs un sot qui adorait des pierres. Leschanteuses sont conscientes que le service de Bouddha instaure une coupure(khandan) radicale en les faisant sortir de l’aveuglement dans lequel la culturehindoue les tenait enfermées. L’égalité des sexes et l’éveil de l’esprit marquentcette coupure.

Dix pierres, dix dieux, le stupide Manu les adoreBh¥m tombe aux pieds de Bouddha, il assure le service de Gautam.(10h3)

Les livres de la superstition, Ambedkar leur mit le feu, les brûlaIl a donné des droits égaux à ses mères et sœurs. (10h10)

Les chanteuses n’oublient pas non plus qu’Ambedkar demandait au peuplede se couper non moins radicalement de la bhakti, la forme de religionpopulaire des masses du Maharashtra si souvent glorifiée par uneintelligentsia urbaine de hautes castes, au nom de son universalisme et de sondépassement des rites dans une foi dévote purement spirituelle. Pandharpuren est le centre prestigieux!:

Ambedkar Båbå l’a interdit au peupleN’allez pas à Pandharpur, ça ne sert à rien. (10h2)

Les chanteuses s’enhardissent désormais à dénoncer l’imposture dont ellesrefoulaient jusqu’alors l’idée. Elles osent dire qu’à Pandharpur on y mauditles Mahår!: Le prêtre y a interdit l’entrée du temple à Cokhoba6 le Mahår qu’il amême tué comme un voleur pour oser vouloir approcher le dieu dans sontemple au risque de souiller l’un et l’autre!:

N’allons pas à Pandharpur, ça ne sert à rienIls n’ont pas admis le fidèle Cokhoba dans le temple. (10h4)

Je n’ai pas l’intention d’aller à Pandharpur cette annéeCokhoba, le prêtre l’avait tué comme un voleur. (10h1)

Quant au fond, le dharma hindou est déjà mis à mort par ses propres erreurs(10h5). Il est incapable en tout état de cause d’assurer l’avenir du pays avecses gesticulations puériles et ses campagnes politiquement motivées deconstruction de temples de village en village!:

Comment ont-ils pu faire vivre le pays avec une pareille méthode!?Ils se battaient la poitrine en clamant «!Hindou!! Hindou!!!» (10h6)

C’est le Í¥lånyåsa7 qui se répand de village en villageEn brandissant le drapeau safran du dharma hindou. (10h8)

La foi nouvelle ouvre sur l’espoir d’une communauté humaine réconciliée etprotégée contre elle-même. Le grand dhamma de Bouddha assurera la garde du

6 Sur Ambedkar et Cokhoba, et la bhakti en général, voir Kamble (1991), p.!15-8.

7 Le terme Í¥lånyåsa dénote une pratique consistant à «!poser la pierre!» d’inauguration d’un temple!;

la chanteuse se réfère à une stratégie de construction de temples à Råm de village en village par les

représentants du fondamentalisme hindou.

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monde (10e1). Des chanteuses entrevoient pourtant bien l’insécurité deslendemains!:

Bh¥må¥ déclara!: Ne brisez pas le char de l’égalitéSi vous ne pouvez, du moins tenez bon, ne le tirez pas en arrière. (1n27)

Ne cassez pas l’amour, la fraternité, ne brisez pas ce qui fait un toutNe fractionnez pas notre société. (1n31)

Arrêtez de vous diviser en factions, visez à l’unitéSouvenez-vous du dhamma de Bouddha. (10c3)

Peuple dalit, venons, nous, ensembleLà, parlons du message (mantra) de Bh¥mråyå. (1n24)

La grandeur inoubliable d’Ambedkar se manifeste en ce qu’il a rétabli ledhamma du Bouddha en s’en faisant le héraut infatigable dans l’intérêt des dalit(10b1!; 10c26), Bh¥m fit tourner la roue du dharma, il lança son appel aux dalit(10ai19)!:

Ecoutez!! Ecoutez le message de Båbå Bh¥mråyåLe dhamma de Bouddha, c’est le relèvement du monde. (10d2)

Båbåsåh„b est très intelligentIl a hissé le drapeau du dharma de Bouddha. (10d5)

Ambedkar est venu, il a une moto pour s’asseoirQue de peine il s’est donné pour le dharma de Bouddha. (10d6)

ll est donc juste de commencer par acclamer Bh¥mråyå!: «!Bh¥m ! Bh¥m !!» lereconnaissant comme le porte-parole de Bouddha, le guide et le héraut, sonprophète et son garant, et de s’en tenir fermement au dhamma de Bouddha(10d3). Si Båbå est apparu sur la terre, c’est pour nous donner le dhamma deBouddha!: il importe donc plus que tout d’en observer fidèlement les principespuisque telle fut sa raison d’exister!:

Ambedkar est venu, de quelle mère le diamant!?Bh¥m a assuré la répétition des principes du bouddhisme. (10d1)

Båbå nous a quittés en nous donnant le dhamma de BouddhaObservez fidèlement les principes du dhamma de Bouddha. (10d4)

Des chanteuses sont amèrement conscientes que cette fidélité n’est pasassurée d’avance. Prestige et mieux-être en conduisent déjà certains à oublierAmbedkar8!:

Au nom de Bh¥m, ils sont devenus hommes de loi, avocatsChez qui la capacité de lutter et un esprit combatif!? (1t1)

Grâce à Ambedkar on obtient des avantages, c’est vraiLui, un vrai, authentique, les autres, eux, que d’imposteurs. (1t2)

Les principes de cette vie nouvelle9 sont définis par les Cinq Préceptes, lePañcaߥla (10f), lampe de la vraie connaissance et gage du bien-être (kalyåˆa) des

8 Voir à ce sujet ce que dit Baby Kamble dans Kamble (1991), p.!260-4.

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dalit (10b1). Ce bien-être ne dépend plus du destin ni des dieux mais de soi.Une intuition nouvelle émerge à la conscience, celle de la responsabilitémorale de l’individu humain trouvant protection et refuge (ßaran) dans unevie se réglant sur les Cinq Préceptes du Pañcaߥla. Celui-ci substitue unenorme morale fondée sur une conviction de l’esprit à des pratiques rituelles.Une chanteuse compte bien que ce Refuge la gardera sur le droit cheminjusqu’au bout (ߥla)!:

Allumez la lampe de la connaissance, observez les Cinq PréceptesNotre bien-être est entre nos mains. (10f3) [37550]

Mon deuxième chant, pour le Refuge du PañcaߥlaJusqu’à mon dernier souffle, je garderai mon intégrité (ßila). (10f4)

Les chanteuses associent explicitement les Cinq Préceptes au Refuge dans leBouddha et à l’appartenance à la Communauté (sangha) (10f2), d’une part!:

Mon premier chant est pour le Seigneur BouddhaJe prendrai refuge dans la communauté du Bouddha dhamma. (10c7)

Mais, d’autre part, elles lient indissociablement et d’une double façon cetterègle de vie à Ambedkar. Premièrement, le Refuge à prendre dans le dhammade Bouddha est une attitude équivalente au nom de Bh¥m à prendre, un nom quirenvoie directement à Bouddha!: je prendrai Refuge en Bouddha, je prends le nomde Bh¥m (10f1). Deuxièmement, la démarche est motivée et modelée parl’exemple d’Ambedkar lui-même prenant refuge dans Bouddha. C’est dansl’intérêt des dalit que Bh¥m a lancé le dharma de Bouddha (10c26) comme lerépètent si souvent les chanteuses.

Il faut donc d’abord accepter Bh¥m comme leader puis adhérer au Bouddha dharma(10d3), d’un seul et même mouvement. L’un ne va jamais sans l’autre!:Bouddha se voit toujours dans le prolongement et comme à l’horizon de Bh¥m.On s’appelle ainsi naturellement à se rassembler pour chanter et réciter lePañcaߥla sous le drapeau bleau (10f7), emblème du règne victorieux deBåbåsåh„b!:

Le parfum des bâtonnets d’encens dans le temple de BouddhaBåbåsåh„b Ambedkar prend refuge dans Bouddha. (10c17)

Bouddha, Bouddha, dites-vous, qui donc l’a vu!?Båbåsåh„b Mahåråj a montré Bouddha en photo. (10c20)

Le temple de Bouddha, qu’il est beauPour l’amour de Båbåsåh„b des photos mises dans chaque maison.(10c21)

Le Pañcaߥla, norme de toute rectitude (ßila) dont il faut se convaincre l’espritd’en observer les Huit Règles (10f5), purifie l’être. Le nouveau culte est une viedans la force et la clarté de l’esprit, une voie de refonte mentale et non un rite!:

Mon septième chant est dédié au drapeau à cinq couleurs (les CinqPréceptes)

9 Ne sont pris en considération ici que les chants où le bouddhisme est mentionné dans son rapport à

Ambedkar, je ne dirai rien des autres chants relatifs au seul Bouddha et au bouddhisme présentés en

annexe dans le document «!Corpus des chants sur Bouddha!».

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Le dhamma de Bouddha est enseigné à soixante-dix millions de gens.(10c2)

Mon quatrième chant, pour le grand livre auspicieuxMe purifiant l’esprit, il me délivre de la colère et du désir. (10f6) [37592]

On ne s’étonnera plus que le motif de la purification de l’être soit autant unprédicat de Båbå et du nom de Bh¥m (2ai5!; 7a7!; 7b7!; 8d1) que de Bouddha.

Mère Ramå applique du kumku semblable à des grains de bléLa forme de Bh¥mråyå est pure comme celle d’un dieu. (2ai5)

Lee nouveau dharma lancé pour tout le pays, pour le monde, par Bh¥m Bouddha,dissipe l’ignoranced’une société déchue exposée à la merci de tout, habituée à serésigner au nom de la naissance, du karma et de la pollution du supérieur et del’inférieur, et à vivre dans la honte (1n19-26).

Les deux chants suivants appellent deux remarques. Le premier a déjà été citépour souligner la réforme profonde de l’esprit réalisée par Ambedkar!: il fautnoter que le chant ne dissocie pas cette refonte de l’esprit de celle de toutl’être, et que cette refonte articule ce qu’elle a de radical avec le symbolismed’une purification du corps. La deuxième remarque est que ce schème de lapurification s’exprime avec le signifiant du Gange (six occurrences),«!représentation préfabriquée!» s’il en est, dont l’eau p別 forme avec le nomde Bh¥m une rime forcée!:

En disant «!Båbå ! Båbå !!» mon corps s’était purifiéMon Bh¥m a transformé l’intelligence du peuple dalit. (1n17)

L’eau du Gange est pure (p別)Tous doivent dire le chant de Bh¥m#: «!Vive Bh¥m ! Vive Bh¥m !!» (8d1)

Comment ne pas citer à cet égard cet autre chant si surréaliste qui me sembleindiquer très fortement la volonté consciente d’appropriation de lareprésentation du Gange pour dire l’œuvre de refonte réalisée par Ambedkar,refonte qui porte désormais sur tout l’ordre social et politique!:

Dans le bureau de Delhi l’océan du Gange se tient deboutDire «!Vive Bh¥m !!» c’est faire régner le décorum. (1di18)

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Monument élevé sur la plage de Dadar au lieu de la crémation d'Ambedkar, le 6décembre 1956. En haut à droite apparaissent le Bouddha et Ambedkar.

Bh¥m, dieu d’homme dans la clarté du Seigneur Bouddha

Les chanteuses s’invitent les unes les autres à rendre hommage (ov嬈„) à Bh¥mdans une pratique rituelle qui consiste, en allant rencontrer Bouddha(11a1,!!11a43), éventuellement appelé dieu Gautam, qui se tient debout dans sontemple sous une arche d’or (11a4), à vénérer Bh¥m et en chercher la protection!:

Bouddha, toi, le béni, étends ton ombre sur nousJe vénère ta personne, Bh¥mråyå, accours!! (11a57)

En allant et venant, je remplis la lampe d’huileC’est la lecture du chapitre de Bouddha, de dieu Bh¥mråyå. (11a51)

La vénération reprend les gestes communs du respect, de l’écoute de lalecture des Ecritures, de la récitation du Refuge de Bouddha, et bien sûr lesrituels d’hommage de l’årat¥ et du darßan. Ce qui est significatif est que cesgestes et ces paroles de glorification ou de demande s’adressent, d’un mêmemouvement, à Bouddha et à Bh¥m associés dans la même pensée et la mêmeprière!:

Amies, offrons des fleurs à Bh¥mVous, récitez Le Refuge de Bouddha. (11a48)

Ô mes sœurs, allons rencontrer BouddhaEmportons des fleurs dans le giron pour l’årat¥ à Bh¥m. (11a1)

Mon deuxième chant est pour Båbå AmbedkarPour prendre le darßan du Seigneur Gautam Bouddha. (10c25)

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Le rituel de l’årat¥ est le rite d’hommage traditionnel déjà décrit plus haut. Ilconsiste à balancer en cercle devant quelqu’un (ov嬈„), ici Bh¥m ou Ambedkar,un plateau contenant des fleurs (11a1, 2, 32, 47, 48), des lampes à huileallumées (11a51), de l’encens et du camphre qui brûle (11a20, 24, 26, 30, 42),des poudres colorées de curcuma et de kumku (11a39, 50, 55), des pop corns(11a11), des bananes (11a14), des bouquets et des guirlandes de fleurs (11a9,23, 32-36), de jasmin (11a22, 54), comme dans le plateau d’offrandes denourriture (naiv„dya) que les fidèles d’une divinité hindoue ont coutume delui présenter en diverses occasions festives. Les chanteuses maintiennent lerite mais c’est Bh¥m qu’elles honorent désormais (11a30)!:

Femmes, prenons des pop corns pour l’årat¥Allons rendre hommage (pratiquer l’årat¥) à Bh¥m. (11a11)

On ne s’étonnnera donc pas de la continuité des simples gestes rituels,profanes et religieux, du balancement de la lumière (årat¥), de la salutation(namaskår) respectueuse!: Je joins les mains deux fois, je te salue, Bh¥mråyå(11a28), de la contemplation confiante (darßan)!: Jasmins, fleurs, que mon giron sefait pesant, mes frères sont partis prendre le darßan de Bh¥m (11a29), Les dalitviennent en foule prendre le darßan de Bh¥m (11a53), du partage de prasåd danstoute mon allée (11a39, 50, 55). L’essentiel est la ferme conviction que c’est Bh¥met lui seul entre tous qui désormais est l’or à ma gorge (11a27, 25), la lampeimmortelle à l’instar d’un dieu, (9b21).

La renommée de ma caste dans les dix directionsJe fais l’årat¥ avec du camphre, je rend hommage à la murti de Bh¥m.(11a20, 24)

Si le fidèle hindou pivote sur ses pieds et fait un tour complet sur lui-mêmepour embrasser dans son geste de louange toutes les directions de l’univers,c’est à la renommée de la caste dans les dix directions que pense la chanteuseMahår se réappropriant le même geste dorénavant en l’honneur de Bh¥m.

Quand il s’adresse aux dieux, le rite s’accompagne souvent du chantd’acclamations et d’hymnes à la gloire des haut-faits de ces dieux.L’hommage peut s’accompagner de l’offrande de fleurs ou de guirlandes quisont mises sur la mËrti, statuette, image ou photo alter-ego du dieu ou dupersonnage vénéré. Le rite d’hommage peut consister simplement en cetteoffrande de quelques fleurs. C’est cette forme simple du rite que reprennentici le plus souvent les chanteuses qui disent fleurir et orner de guirlandes lesmËrti d’Ambedkar et de Bouddha (11a11, 32, 33, 34, 35, 36).

Mères et femmes, allons dans le champ du jardinierMettons au cou de Bh¥m une guirlande de fleurs de kusumbå. (11a10)[36290]

Allons, mes sœurs, allons dans le temple de BouddhaPour l’hommage à Bh¥m il faut prendre des fleurs fraîches. (11a2)

C’est le même simple geste à la maison que dans le temple du hameau oudans les lieux de pélerinage!: Frère Bh¥m ! Attends un peu!! Je te fais l’årat¥ (11a7,31).

Le mouture est terminée, je remplis le plateau de farineJe suis allée rendre hommage à la mËrti de Bh¥m Bouddha. (11a3)

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La mouture est terminée, la chaîne est fixée au manchonPrenons des guirlandes et allons rencontrer Bh¥m. (11a9)

Des chanteuses emploient même le terme de pujå à la forme verbale, je fais lapujå, et comme substantif, pour dénoter leur acte de vénération cultuelle etnon le rituel plus spécifique qui porte ce nom accompli par un prêtre hindouau profit de son commanditaire.

Pour mon quatrième chant je fais la pujå aux quatre lieux saintsBh¥m, roi des dalit, je fais l’årat¥, attends un peu. (11a41)

Dans la ville de Delhi, le plateau est rempli de fleursMettons-nous en rang, frères, pour la pujå (culte) de Bouddha. (11a47)

Le rite de l’årat¥ se poursuit par celui du darßan, concentration de l’attention,les mains jointes, sur la mËrti!: C’est mon deuxième chant, je joins les mains deuxfois, je te salue, Bh¥mråyå (11a28).

«!Bh¥m ! Bh¥m !!» disons-nous, Bh¥m est l’or à ma gorgeJe prends le darßan de Bh¥m en joignant les mains. (11a27, 25)

Mères et femmes, il faut prendre du lait dans des coupellesLes dalit viennent en foule prendre le darßan de Bh¥m. (11a53)

Après le rite, les participants échangent le prasåd :

J’écraserai du curcuma d’or en poudre de kumkuJe distribuerai le prasåd de Båbå à toute mon allée. (11a39, 50, 55) [43150]

Deux traits caractérisent les vers dans lesquels les chanteuses s’invitent àrendre un culte rituel à Bh¥m à l’instar d’un dieu, fût-ce un dieu d’homme.

Premièrement, Bh¥m est inséparable de Bouddha dans les rites de gratitude, delouange, de vénération et même, fût-ce dans une moindre mesure, de laprière. Le premier trait caractéristique de la pratique cultuelle des chanteusesest d’associer inséparablement dans leur dévotion la vénération de Bh¥m oufrère Bh¥m et l’adoration de dieu Bouddha (11a3, 44!; 11a38), sans toutefois lesconfondre ou les assimiler l’un à l’autre indistinctement.

Le matin au lever, je fais «!Vive Bh¥m !!»Gautam Bouddha est l’or de ma vie. (11a44)

Femme, quelle grande renommée se fit Båbåsåh„bDans la résidence (vihåra) de Bouddha il a sa mËrti en or. (11a46)

On pourrait souligner que dans les deux chants ci-dessus le signe de l’oropère le recouvement voire la fusion de plusieurs plans de réalité!: l’illustrepersonne historique de Båbåsåh„b, l’acclamation du héros libérateur Bh¥m, samËrti, Gautam Bouddha dans son temple, et la vie de la chanteuse. Il a poureffet de permettre aux chanteuses d’embrasser d’un seul regard, comme dansun fondu-enchaîné, Båbåsåh„b et Gautam Bouddha, et de faire des deux à lafois le cœur de sa vie. La mËrti de Båbåsåh„b est en or!: on se rappelle, eu égardà Ambedkar, la valeur d’alter-ego et la fonction de maintien d’une intimeproximité de ce signifiant. Quant à Gautam Bouddha, l’acclamation de Bh¥men fait l’or de ma vie!: l’or prend, eu égard au Seigneur Bouddha, la valeurd’une vérité existentielle. La polyvalence du signe en fait la force et la richessede sens.

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Les deux chants suivants ne permettent pas plus de distinguer entrel’hommage à Bouddha et à Bh¥m!; leurs noms sont mêrme accolés à n’en fairequ’un dans le deuxième chant comme si une seule mËrti les représentait!:

Venez, mes sœurs, allons dans le temple de BouddhaPour l’hommage (ov嬈„) à Bh¥m il faut prendre des fleurs fraîches. (11a1,2)

La mouture est terminée, je recueille la farine dans le grand plateauJe vais vénérer (faire l’årat¥ à) la mËrti de Bh¥m et Bouddha. (11a3)

Il est très fréquent que les chanteuses, d’une part, emploient indifféremmentle nom de Bouddha pour celui de Bh¥m, comme si elle les confondaient. Ellesne les confondent point mais les voient dans le prolongement l’un de l’autre.D’autre part, cette fusion de Bh¥m et de Bouddha dans l’imaginaire participede ce procès de style surréaliste aux associations fantaisistes toujoursempreintes de grande familiarité!:

L’urne en or a une base en argentBain de dieu Bouddha sous le drapeau bleu. (11a58, 59)

Sur les marches de Delhi Ramå frotte et bat sa lessiveGautam Bouddha est un bébé, il faut veiller sur le royaume. (2eii6)

Ces associations ludiques ne sont point insensées. Des correspondancessémantiques enchaînent les signifiants qui s’interprètent les uns les autres àplaisir.

Des sacs de sucre sont répandus sur le chemin de DelhiFemme, le Seigneur Bouddha a tenu une réunion la nuit. (10c30)

Des fenêtres en verre à la voiture de Båbåsåh„bOù est le dieu Bouddha!? On le cherche en vain. (12b30)

Les livres sacrés bouddhistes sont placés à l’ombre du drapeau bleu (11b10). Lareconnaissance que l’on a envers Ambedkar pour avoir ramené le dharma deBouddha sur la terre de Bhårat s’exprime de façon amusante dans un chantqui demande à dieu Bouddha dont on célèbre la liturgie de louange (vandan)de ne pas manquer d’aller en informer Bh¥m :

Louange!! Dieu Bouddha, nous assurons votre serviceIl faut que vous en donniez le message à notre Bh¥m. (10d10)

Le deuxième trait est que cette pratique cultuelle d’hommage à Bh¥m (11a19)maintient dans le temps une forme rituelle d’accueil et de respect public dontAmbedkar était l’objet de son vivant10.

La voiture de Båbåsåh„b arrive de quelque partDes åråt¥ lui sont faites sur le chemin. (1eiv20)

10 Kamble (1991), p.92-3.

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Des groupes de femmes Mahår, dans leur plus bel attirail et non sans quelqueappréhension, pratiquaient régulièrement ce rituel coutumier d’hommage àl’adresse d’Ambedkar. Le geste exprimait dans l’allégresse le respect et lesattentes de la communauté. La forme symbolique de l’årat¥ maintient dans lavénération d’aujourd’hui l’attachement et la confiance que signifiaient hier cesrites d’accueil!:

Ô femmes, mettez vos ornements de nezBåbå vient à Nagpur, Ramå fait l’årat¥. (11a13)

Femme!! Prenez les pop corns pour célébrer l’årat¥Båbå part à Nagpur, Ramå s’incline à ses pieds. (2fii1)

Le rite était généralement précédé de la pose d’une guirlande de fleurs autourdu cou du visiteur, ou simplement de l’offrande d’un bouquet de fleurs!:

Mères et femmes, allons dans les champs du jardinierPosons une guirlande de fleurs de kusumbå à la nuque de Bh¥m. (11a10)

Femme, on a une guirlande de jasmins pour une roupieDieu-Bh¥m, penche-toi!! Mes bras n’atteignent pas ton cou. (11a22)

Je fais «!Bh¥m ! Bh¥m !!» Bh¥m est dans le champ du bassin d’eauDes fleurs de jasmin au cou de Bh¥m. (11a54)

Le rite comportait ensuite traditionnellement, après le balancement de lalumière, le rite d’imposition au front d’un point coloré avec une pincée depoudre du plateau. Le rite se perpétue désormais devant sa photo à la maisonou dans un lieu de culte commun!:

La mouture est terminée, la chaine est fixée au manchon (de la meule)Emportons des guirlandes, allons rencontrer Bh¥m. (11a9)

La mouture est finie, je remplis le plateau de farineBouquet et guirlande de fleurs au cou du grand leader. (11a23)

Ma mouture est terminée, il ne reste que quelques grainsJe prends des bouquets pour le Docteur Båbåsåh„b. (11a35)

A vrai dire, le rite d’accueil profane était une pratique d’hommage qui imitaitdéjà elle-même les rites cultuels, simples et quotidiens — darßan et årat¥ — dela piété hindoue vénérant et suppliant ses dieux à la maison ou au temple. Leschanteuses retrouvent naturellement pour leur libérateur les gestes qu’ellesavaient hier pour leurs dieux domestiques hindous aussitôt après la mouturedu matin, ou devant sa statue dans le temple!:

J’ai tressé une guirlande de fleurs fraîchesMon Båbåsåh„b est le roi des dalit. (11a32)

Tresse une guirlande de fleurs fraîches huit jeudis de suiteDocteur Båbåsåh„b est le roi des dalit. (11a33)

Célébrations d’attestation collectives

La même continuité rituelle s’observe dans deux formes collectives decélébration.

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La première est la fête annuelle, le 14 avril, du Jayant¥ d’Ambedkar,l’anniversaire de sa naissance. J’ai mentionné cette pratique annuelle auchapitre 4 comme une des stratégies de la mémoire et du deuil. Il faut surtoutcomprendre qu’elle s’inscrit dans un cadre de communication symbolique denature cultuelle qui en détermine l’effet de signifiance. Elle se célèbre sur lemodèle d’autres fêtes du calendrier et de la croyance hindous qu’elle seréapproprie comme formes socio-linguistiques pour les investir d’un nouveaucontenu. C’est Bh¥m désormais qu’on acclame et qu’on vient rencontrer!:

Mères et femmes prenez des tasses de laitC’est Bh¥m råja, acclamez-le!: «!Vive Bh¥m!!!» (1o2)

D’où viennent ces fleurs de jasmin dans ma véranda!?C’est le quatorze du mois d’avril, je suis allée rencontrer Bh¥m. (1o7)

Elle prend ainsi diverses connotations. Plus encore qu’une commémoration, lacélébration est une fête, une liturgie (sana), c’est même la plus grande de toutesles fêtes (1o3, 17)!:

Jayant¥ est la plus grande de toutes les fêtesIl faut aller loin chercher la sœur. (1o17)

A cette occasion en effet, le frère ira loin s’il le faut chercher sa sœur mariée etrésidant dans sa belle famillle pour la ramener à la maison-mère c o m m eauparavant lors de la grande fête familiale hindoue de Divali (1o5, 17, 18).Comme pour les fêtes en l’honneur des divinités hindoues, elle commenceratôt le matin par faire le ménage, balayer, tapisser les sols à la bouse de vache,les décorer de dessins géométriques tracés à la main avec de la poudrecolorée!:

J’irai à la maison-mère, je referai les sols, je décoreraiJe saluerai et louerai le drapeau bleu. (1o22)

C’est un jour enveloppé d’une atmosphère divine, divya, illuminé de la clartédes astres (1o9) comme celui de la conception de Bh¥m!:

Superbe divin Jayant¥, célébrez donc la fêteBandes de musiciens, jeux de l„zim, crions des acclamations. (1o16)

Diverses festivités collectives marquent l’événément. On fait venir destroupes de musiciens pour jouer (1o6, 13). Des groupes de jeunes pratiquentun mouvement d’ensemble, l„zim (1o16), exercice physique rythmé au son detambourins que les jeunes battent en cadence de la main. Ce jeu marquehabituellement d’importantes cérémonies publiques, telles les assembléesannuelles du village autour de ses dieux protecteurs!; il fait l’honneur deséquipes qui se sont le mieux entraînées. Les jeunes s’aspergent de poudre decouleur ou d’eau colorée d(1o1, 15) dans les rues et sur la place du village,comme lors de certaines festivités hindoues, en particulier la fête de ho¬¥ quimarque l’arrivée du printemps.

Mon sari blanc, la poudre rouge l’a tout colorié en rougeHier c’était Bh¥m Jayant¥, l’anniversaire de sa naissance. (1o1)

Surtout, se substituant aux images, aux masques et aux statues des dieux devillage, de caste ou de lignages, c’est le portrait de Bh¥m qui prend la tête de laprocession (1o13)!:

Portez en procession au village, le portrait de Bh¥mC’est Jayant¥, célébrez-en le programme. (1o20)

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On défile avec assurance et fierté dans les rues du hameau en criant à pleinspoumons «!Vive Bh¥m!!!» (1o2). Cette acclamation est une proclamation quidoit retentir aux oreilles de tous comme une déclaration d’identitécommunautaire. C’est en Bh¥md„v, dieu Bh¥m que désormais s’identifie lepeuple dalit.

De nouveaux mâts (gu"¥) remplacent ceux du jour du Nouvel An hindou où ilssont élevés au-dessus des maisons surmontés d’une cruche, de feuillages vertset d’une pièce de tissu. L’ère nouvelle s’ouvre désormais sous le signe dudrapeau bleu et des préceptes de Bouddha!:

Hissez drapeaux bleus et Pancaߥl aux mâtsA Bh¥m Nagar appliquez de la poudre de bois de santal bleu. (1o19)

Une autre pratique collective mérite d’être soulignée dans ce contexte. C’estcelle pour des «!Mahila Mandal!», des «!cercles de femmes!» de caste Mahår,au village ou dans des quartiers en zone périphérique de grandes villes, de seréunir dans «!le temple!» de Bh¥m ou de Bouddha, certains chaque jour ou unefois la semaine, d’autres selon un rythme ou dans des circonstances de leurchoix.

Ton amitié et la mienne, feuilles de bétel (à partager)Allons, amies, à la demeure de Bh¥m, allons bavarder dans le temple.(11c1)

Ce temple (trente-six occurrences) est vingt-neuf fois appelé mand¥r et sept foisd„ˬa comme lorsqu’il s’agit de l’édifice qui abrite une divinité hindoue!; sixfois vihåra, selon le terme spécifique des lieux cultuels bouddhistes et quatrefois le vå"å ou la «!demeure de Bh¥m!» ou de Bouddha, terme qui désigne uneimposante construction en pierres de taille de paysans aisés (4a2, 4!; 11b5!;11c1).

Il en va ici du «!temple!» comme d’autres termes qui ressortissent au domainede pratiques rituelles religieuses, tels årat¥, prasåd, dhamma, d„v, pujå, etc. Ilsprennent dans le discours des chanteuses des valeurs historiques, sociales,politiques, libératrices, matérielles etc., «!mondaines!» ou «!terrestres!». Cestermes ne perdent pas leur connotation «!prévue et préparée!» qui ressortit àl’ordre traditionnel du sacré. Mais, bien loin de se réduire à en répéter lasignifiance «!extra-mondaine!», ils s’approprient la fonction de valorisationtranscendante qui qualifie ces «!possibilités préconçues!» au profit de réalitésde ce monde qui sont, comme on l’a vu, celles de la personne, de l’œuvre etdu message d’Ambedkar.

La voiture de Bh¥m est partie comme un coup de ventComme Bh¥m apparaît grand dans notre temple!! (1L33)

Plusieurs des chanteuses rencontrées nous ont dit leur plaisir d’être membresd’un «!Cercle de femmes!» appelé du nom de Yashodhara, l’épouse deBouddha, Ramåbå¥, l’épouse d’Ambedkar, ou de Sujata. Leur Cercle se réunitdans le vihåra construit dans la plupart des villages avec des cotisations de lacommunauté. Quand des bouddhistes émigrent vers des quartierspériphériques urbains, ils mettent un point d’honneur à y construire ces«!demeures de Bh¥m et de Bouddha!» en se cotisant. Le lieu devient un lieu deréunion, un signe de reconnaissance publique pour la communauté, et uneraison de fierté!:

Le temple du Bouddha, qu’il est beau!!

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Pour l’amour de Båbåsåh„b des photos mises dans chaque maison.(10c21)

On s’y assemble évidemment pour lire des écritures bouddhistes après avoirvénéré la mËrti!:

Allons, mes sœurs, allons dans le temple de BouddhaPour l’hommage à Bh¥m il faut prendre des fleurs fraîches. (11a2)

Mais c’est aussi un lieu où l’on a plaisir à se retrouver entre amies. Deschanteuses nous ont dit y avoir organisé des concours de chants de la meuleou d’autres sortes de compositions poétiques portant sur Ambedkar etBouddha. Kalavati Bandhare nous dit par exemple qu’à Bopodi, à lapériphérie de Pune, leur Cercle de femmes a organisé un concours de chantsde la meule sur Ambedkar avec un prix décerné à une femme. De nouveauxdistiques se composent aussi spontanément dans ce contexte. Les chantsautres que les distiques reçus des anciennes sont évidemment toujours denouvelles compositions. Ils sont habituellement publiés sous forme de petitslivrets comme nous en avons vu à Solapur, Nanded, Bopodi.

Le vihåra peut être aménagé de façon a servir de résidence à un moinebouddhiste dont la communauté assure la subsistance. Dans un tel cas, lemoine résident anime chaque jour des réunions où il lit les écritures et prêchele dhamma. Des chambres d’hôtes peuvent aussi être aménagées pour desmoines de passage. Le vihåra s’avère un espace social essentiel pour la vie dela communauté. Lorque la communauté s’agrandit, comme c’est le cas danscertains bidonvilles en périphérie de grandes villes, comme à Bopodi, on peutcompter cinq ou six vihåra dans le proche voisinage.

Dans ce bungalow, harmonium, tabla pour des cantiquesMËrti de Bh¥m, mËrti de Bouddha pour obtenir la connaissance. (11c3)

La prière et la consécration cultuelle de l’être

Cette vénération pour dieu Bh¥m , dieu d’homme, roi des dal i t, tendspontanément à prendre la forme d’une prière de demande adresséeconjointement à la nouvelle divinité, Bouddha (10c4), et à dieu Bh¥m, devenu ledieu par excellence, dieu des dieux, le seul qu’il suffise d’invoquer désormais.Dans le troisième chant ci-dessous, le drapeau bleu devient celui de Bouddha,comme par recouvrement et indistinction des deux entités sacrées, Bouddhaet Bh¥m :

Mon septième chant pour les sept océansChez les dalit, le dieu de leur choix c’est Ambedkar. (11b1)

Femme, Bh¥m est pour moi le dieu des dieuxAlors, moi, pourquoi invoquerais-je un autre nom!? (11b13)

Le Seigneur Bouddha a exaucé mon frèreIl a mis son drapeau bleu dans ma cour. (11b12)

Les formes et les intentions de la prière à Bh¥m sont les mêmes que celles de laprière à tout autre dieu!: Le matin au lever, je joins les mains devant Bh¥m (11b7),Ô Bh¥m des dalit, roi des pauvres, exauce mon vœu!! (11b2, 6, 11), Je suis aux piedsde Bh¥m, tous les leaders sont aux pieds de Bh¥m (11b8)!:

Bh¥m, je te parle, je t’appelle mon père

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Gratifie à profusion la population dalit. (11b9)

Pour l’eau du puits, posez une plaque de protectionDu garçon de mon sein Bh¥m råja assure la garde. (11b3)

L’attribut significatif de la figure de dieu Bh¥m devient ici la miséricorde!:Femme, Bh¥m, mon dieu, est le plus miséricordieux (dayå¬å, bhågyavån) de tous!:

J’ai fait de mon corps un escabeau et de mon âme un piédestalFemme, Bh¥m mon dieu est le plus miséricordieux de tous. (11a17)

On peut d’ailleurs entendre cet attribut divin en directe continuité avec lesdeux titres déjà rencontrés pour qualifier la relation d’intime proximité qui lieà Bh¥m, à Ambedkar ou à Båbåsåh„b, ceux de frère (8fi1!; 1j3!; 1h7!; 5b16!;12b12!; 15/2)!: Bh¥m est venu avec plaisir en frère dans ma maison de faible (5a1!; 2!;5b1), Je fais l’årat¥, frère Bh¥m, attends un instant (11a, 7, 8), Mon Bh¥m est le frèrede Bhårat (1o12), et d’ami (2fiii1, 2!; 4b6!; 9b5!; 12b11, 13, 28!; 13b5!; 10aii3!;8c11)!: Sa grâce est telle!! Bh¥m l’ami!! Bh¥m råja qui me plaît!! (12a6)

Båbå Bh¥mråo Ambedkar, océan de connaissance, de miséricorde (dayå)Mon Bh¥m råjå a opéré le relèvement des dalit. (1a35)

Disons «!Bh¥m ! Bh¥m !!» Bh¥m est l’ami du mondeBh¥m est saint (pavitra). (7a9)

On ne s’étonnera plus, pour finir, qu’un tout autre symbolisme cultuel viennedans six rares chants (11a5, 12, 15-18) se substituer à l’hommage rendu auhéros historique à travers l’årat¥. Il se présente sous deux formes stéréotypéesqui constituent la première ligne de plusieurs distiques!: J’ai fait de mon corps(c’est-à-dire!: j’ai fait de mon être) une planchette (cultuelle) et de mon âme unemèche (de lampe à huile), et j’ai fait de mon corps une planchette et de mon âme unbain ou un piédestal, ou encore j’ai fait de mon corps une salle de bain!:

Tente de la d¥k!å, je fais de mon corps une salle de bainJe donne un bain à Bh¥m avec de l’eau du Gange. (11a5)

J’ai fait de mon corps une planchette et de mon âme un bainJe donne de l’eau pour son bain à mon Bh¥m le miséricordieux. (11a16)

La planchette cultuelle est celle sur laquelle s’installe l’officiant du culte pouraccomplir ses rites, les mèches sont celles des lampes à huile des pratiquescultuelles telle celle de l’årat¥, et le bain est celui donné aux idoles desdivinités en particulier dans le service cultuel dont elles sont l’objetquotidiennement à la maison ou au temple. Rien n’est plus beau et plusapproprié à cet égard que d’administrer à la divinité un bain avec l’eau sacréedu Gange. Quand une chanteuse dit!: Je donne à Bh¥m son bain, je verse un doigtd’eau, (11a5), ou Je donne de l’eau à mon Bh¥m le miséricordieux pour son bain(11a16), elle se met apparemment dans le role de l’officiant. En fait l’intentionne semble pas d’identification sociale à l’officiant ni d’usurpation de fonctionrituelle.

Ces conduites de service liturgique sont symboliques d’une autre intentiondéjà rencontrée avec les stratégies de la présence au service du maintien d’uneintime proximité. Le motif semble ici le même!: sous le schème d’une conduitede service cultuel, il s’agit d’un désir de fusion dans l’être divin qui n’est plusici frère Bh¥m mais le miséricordieux Bh¥m (1a68), un terme de connotationdéfinitivement religieuse.

Page 20: E H RAUT DU HAMMA DE · des haut-parleurs de la sonorisation. Voitures sur voitures !! Que de voitures !! Pour quelle d´k! !? Pour la d´k! de B b s hãb Nagpur. (10ai9) Ecoutez

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La visée, en fin de compte, est de faire de sa vie même une offrande delouange à Bh¥m par identification aux instruments qui servent à la pratiquecultuelle, à la complète satisfaction non plus de la chanteuse mais de Bh¥m. Lavénération d’un dieu d’homme dans le prolongement de pratiquesd’hommage social et le maintien de son intense présence par la mémoire et unimaginaire affectivement chargé, tendent à culminer, à la faveur d’unsymbolisme de service cultuel signifiant d’une offrance de tout l’être, dansune fusion liturgique avec le dieu, pour le plaisir de celui-ci, en comblant lesvisées de sa miséricorde!:

J’ai fait de mon corps une planchette et de mon âme une mècheArat¥ de ma vie (litt. les 5 souffles) à Bh¥m le miséricordieux. (11a12)

J’ai fait de mon corps une planchette et de mon âme une tabletteFemme, Bh¥m, mon dieu, est de tous le plus miséricordieux. (11a17)

La miséricorde est une initiative divine unilatérale de proximité qui n’attenden réponse pour être elle-même comblée qu’une attitude d’entièreconsécration de l’être objet de cette prédilection.

Au terme, le roi qui s’est conquis un peuple à lui en libérant le dalit de ladéchéance et en assurant dans la même foulée le relèvement du monde,devient le Père, celui qui rend aux êtres leur forme humaine!: Mon Bh¥m bien-aimé, viens, toi, viens donc, père, vite (5a5)!! Bh¥m råja est mon père, Ramåbå¥ est mamère (3ei4).

Bh¥m, je te parle, je t’appelle mon pèreGratifie à profusion la population dalit. (11b9)

Bh¥m est mon père, Ramåbå¥ est ma mèreQuand je prends ces deux noms, la mère-terre tremble. (1a24)

Le frère ou l’ami (deux termes qui se recouvrent dans la chaîne parlée)devient par l’ampleur de son œuvre un dieu authentique et de plein droit, undieux des dieux. La gratuité inattendue et imméritée de son initiativemiséricordieuse, l’immensité de la peine qu’il se donna en sacrifiant ses forcesà son entreprise, la nature surtout de la tâche accomplie qui n’est rien moinsqu’une refonte du dharma, investissent finalement pour se dire la catégoriereligieuse de miséricorde.

Bh¥m est un dieu de plein droit. Bh¥m est devenu immortel et surpasse tous lesautres dieux. Comment imaginer qu’on puisse se lamenter!: «!Il est mort!! Il estmort!!!» et crier au désespoir devant le vide!? Il faut vraiment n’y avoir riencompris pour parler ainsi. Il faut être faible d’esprit et ne point vouloir oupouvoir laisser travailler sa mémoire sur le souvenir de l’homme et del’œuvre pour en comprendre la nature et la portée. Celles-ci sont bien, quandon y réfléchit, sans commune mesure avec ce que le «!faiseur!» du monde deshommes et des dieux avait pu originairement réussir à créer.

La bibliographie de cet essai est intégrée à celle de l’ouvrage.