e boris taslitzky graves menaces sur la paix

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Ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 349 - Octobre 2017 - 35 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisé- mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. L a société française est l’objet d’un « choc », celui des ordonnances réfor- mant le Code du travail. Il s’agit, car à coup sûr ce n’est là qu’un premier pas, de vider ce code de sa substance relative aux garanties dont disposent les salariés, elles-mêmes fruits de décennies de luttes pour les conquérir. Il s’agit, au fond, d’instituer pour le plus grand profit du patronat et, parmi celui-ci, de la frac- tion la plus liée au capital financier, la concur- rence de chaque salarié contre tous les autres salariés. Cependant, le pouvoir macronien n’est pas au bout de ses peines sur ce chemin. D’une part, sa très brusque et rapide chute de popularité dans les sondages est un signe de faiblesse politique. D’autre part, au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs journées de pro- testation et d’action sont déjà programmées par des forces politiques ou syndicales. Par ailleurs, à l’occasion de la préparation du budget, une refonte importante de la fiscalité se profile à l’horizon, sur laquelle nous reve- nons en page 4. Celle-ci est profondément marquée par une aggravation des inégalités. Au fond, la question qui est posée est celle de savoir de quelle politique notre société fran- çaise a besoin. Plutôt qu’une flexibilité de l’emploi source de précarité, qu’un abaissement de charges socia- les sans efficacité sur le niveau de l’emploi, il faut libérer l’économie des pressions que le capital financier exerce sur elle par l’applica- tion de normes de rentabilité insensées tant elles sont exorbitantes. Plutôt que de réduire le rôle des instances représentatives des salariés dans les entrepri- ses, il faut instituer une véritable démocratie sociale dans les lieux où l’on produit la richesse. Plutôt que la nomination d’une « personnalité écologique », il faut un ambitieux programme de développement des énergies renouvelables. Plutôt qu’un recours systématique aux mar- chés et au secteur privé , embourbés dans leur logique de rentabilité financière, il faut insti- tuer une logique de service public au profit du plus grand nombre concernant, notamment, la santé, la culture et l’éducation. Plutôt qu’une soumission au diktat européen en matière de déficit budgétaire, il faut refon- der l’Europe pour la rendre plus solidaire, plus sociale et plus démocratique. Plutôt que d’envoyer les troupes françaises guerroyer tous azimuts à travers le monde, il faut une véritable politique de coopération et de paix entre les nations qui composent ce monde. Et qu’on ne vienne pas nous dire que la poli- tique du gouvernement a été approuvée par une majorité de Français lors des dernières élections. Car il faut rappeler que c’est moins du quart de l’électorat qui, par son vote au pre- mier tour de la présidentielle, a approuvé le programme d’Emmanuel Macron. Dans ces conditions, il n’est d’autre voie que l’engage- ment dans le mouvement social pour contre- carrer cette politique néfaste aux intérêts de ceux qui ne vivent que de leur travail. Aucun doute : tous les lecteurs de la PNM auront à cœur d’y contribuer. < 18/09/2017 Jacques Lewkowicz Graves menaces sur la paix Lire en p.4 Lire en p.8 Boris Taslitzky au MAHJ Boris Taslitzky A guit your ! ! א גוט יורà l’occasion de Roch Hachana, la PNM présente ses meilleurs vœux à ses lecteurs.

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Page 1: e Boris Taslitzky Graves menaces sur la paix

Ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas

ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 349 - Octobre 2017 - 35e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisé-mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

La société française est l’objet d’un« choc », celui des ordonnances réfor-mant le Code du travail. Il s’agit, car à

coup sûr ce n’est là qu’un premier pas, de viderce code de sa substance relative aux garantiesdont disposent les salariés, elles-mêmes fruitsde décennies de luttes pour les conquérir. Il s’agit, au fond, d’instituer pour le plus grandprofit du patronat et, parmi celui-ci, de la frac-tion la plus liée au capital financier, la concur-rence de chaque salarié contre tous les autressalariés. Cependant, le pouvoir macronien n’est pas aubout de ses peines sur ce chemin. D’une part,sa très brusque et rapide chute de popularitédans les sondages est un signe de faiblessepolitique. D’autre part, au moment où nousécrivons ces lignes, plusieurs journées de pro-testation et d’action sont déjà programméespar des forces politiques ou syndicales.Par ailleurs, à l’occasion de la préparation dubudget, une refonte importante de la fiscalitése profile à l’horizon, sur laquelle nous reve-nons en page 4.

Celle-ci est profondément marquée par uneaggravation des inégalités.Au fond, la question qui est posée est celle desavoir de quelle politique notre société fran-çaise a besoin. Plutôt qu’une flexibilité de l’emploi source deprécarité, qu’un abaissement de charges socia-les sans efficacité sur le niveau de l’emploi, ilfaut libérer l’économie des pressions que lecapital financier exerce sur elle par l’applica-tion de normes de rentabilité insensées tantelles sont exorbitantes. Plutôt que de réduire le rôle des instancesreprésentatives des salariés dans les entrepri-ses, il faut instituer une véritable démocratiesociale dans les lieux où l’on produit larichesse. Plutôt que la nomination d’une « personnalitéécologique », il faut un ambitieux programmede développement des énergies renouvelables. Plutôt qu’un recours systématique aux mar-chés et au secteur privé , embourbés dans leurlogique de rentabilité financière, il faut insti-tuer une logique de service public au profit du

plus grand nombre concernant, notamment, la santé, la culture et l’éducation. Plutôt qu’une soumission au diktat européenen matière de déficit budgétaire, il faut refon-der l’Europe pour la rendre plus solidaire, plussociale et plus démocratique. Plutôt que d’envoyer les troupes françaisesguerroyer tous azimuts à travers le monde, il faut une véritable politique de coopération etde paix entre les nations qui composent cemonde.Et qu’on ne vienne pas nous dire que la poli-tique du gouvernement a été approuvée parune majorité de Français lors des dernièresélections. Car il faut rappeler que c’est moinsdu quart de l’électorat qui, par son vote au pre-mier tour de la présidentielle, a approuvé leprogramme d’Emmanuel Macron. Dans cesconditions, il n’est d’autre voie que l’engage-ment dans le mouvement social pour contre-carrer cette politique néfaste aux intérêts deceux qui ne vivent que de leur travail. Aucun doute : tous les lecteurs de la PNMauront à cœur d’y contribuer. < 18/09/2017

Jacques Lewkowicz

Graves menaces sur la paix

Lire en p.4

Lire en p.8 Boris Taslitzky au MAHJ

Boris Taslitzky

A guit your ! ! א גוט יורà l’occasion de Roch Hachana,

la PNM présente ses meilleurs vœuxà ses lecteurs.

Page 2: e Boris Taslitzky Graves menaces sur la paix

Félicitations

Paula Paumond, née Goldfingernous a quittés le 21 septembre 2017 à l’âge de 80 ans.

Il y a quelques années, nous nous étions réjouis de l’amélioration de lasanté de notre amie. La maladie aura eu raison de la combativité, de l’al-

lant, de l’humour de cette femme de conviction. Paulette, une habituée du« 14 » et de la « rue juive » ne manquait pas l’occasion d’honorer lamémoire de ses parents, Elie et Gitla Goldfinger. Nous transmettons nos plussincères condoléances à son fils Fabrice ainsi qu’à ses proches. < PNM

2 Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017L a

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– I S S N : 0 7 5 7 - 2 3 5

LA P R E S S E NO U V E L LE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934Editions :

1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1940 à 1944)

1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l’U.J.R.EN° de commission paritaire 061 9 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédacteur en chefBernard Frederick

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,Nicole Mokobodzki, Roland Wlos

Administration - AbonnementsSecrétaire de rédaction

Tauba AlmanRédaction – Administration

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Tel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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Le 29 août, la maire de Paris, AnneHidalgo, a inauguré dans le 12e

arrondissement, à l’intersection duboulevard Poniatowski, de l’avenuede la Porte de Charenton et de la rueFerdinand-de-Béhagle, la nouvellePlace Lise et Artur London, en pré-sence notamment de Catherine Vieu-Charier, adjointe à la Maire de Paris,chargée de la mémoire et du mondecombattant, correspondant Défense,de Catherine Baratti-Elbaz, maire du12e arrondissement et de GérardLondon. Militants communistes, engagés tousles deux dans les Brigades Internatio-

nales en Espagne, résistants de la pre-mière heure, Artur London est arrêté en1940, Lise London, en 1942.Ils sont déportés, lui à Mauthausen,elle à Ravensbrück puis à Buchen-wald.Artur, né dans une famille juive, futl’un des dirigeants de la Résistancede la MOI. Après la guerre, de retour enTchécoslovaquie, son pays d’ori-gine, il fut injustement condamné*puis libéré sur l’intervention duPCF. Lise était une marraine de MRJ-MOI. <

* Artur et Lise London, L'aveu : dansl'engrenage du procès de Prague,Gallimard, rééd.1986, 640 p., 11,90 €

C’est peu de dire que la familleSteinberg nous est chère. L’UJRE a

eu l’honneur d’avoir pour présidentLucien Steinberg dont tous nos lecteursconnaissent la contribution à l’histoire dela Résistance juive. Son épouse Hélènequi nous quittait il y a peu a joué un rôled’animation appréciable en faisant vivresa librairie, notre voisine, La Balustrade.C’est dire qu’Henriette a de qui tenir.Aussi avons-nous appris avec un peu defierté sa promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur. Distinction qui lui aété remise le 22 septembre par le secrétaire général du Secours populaire français,Julien Lauprêtre. Henriette est en effet Secrétaire nationale et Secrétaire générale duConseil d’administration de cette association dont nous rappelons le mot d’ordremagnifique que lui trouva Jean Cocteau, « Tout ce qui est humain est nôtre ». Le nouvel officier, qui est aussi notre abonnée, a droit aux chaleureuses félicitationsde la PNM. <

Un appel à collaboration

La PNM recherche des collaboratrices / collaborateurs bénévoles pourrejoindre son équipe de rédaction.

Vous maîtrisez le français, vous avez de l’intérêt pour la politique, la viesociale, l’histoire, la langue et la culture yiddish, les arts, le cinéma, le théâtre.Vous avez des disponibilités pour réaliser des interviews de personnalités,artistes, chercheurs...Vous ou l’un de vos proches peuvent être d’une grande aide à la PNM.N’hésitez pas à nous contacter ([email protected]) <

Place Lise et Artur London à Paris

CARNET

Mémoire

L’UJRE invite sesadhérents à partici-

per à l'Assemblée Générale qui setiendra le samedi 21 octobre, à 15h,au 14 rue de paradis, Paris 10°.La vie de toute association est ponc-tuée par son Assemblée générale :réunion des adhérents, cet incontour-nable moment de rencontre et dedébat, essentiel pour la vie de l'asso-ciation, leur permet d'être informés sursa gestion annuelle, de se prononcersur les activités passées, de définir etorienter celles à venir. Comme tou-jours, notre réunion se terminera par letraditionnel pot de l'amitié. Nous vousespérons nombreux ! <Rappel Ne peuvent participer auxvotes que les adhérents à jour de leurcotisation

AssembléeGénérale

Chers lecteurs, nous avions annoncé dans notre derniernuméro que le film Brooklyn yiddish sortirait ce 13/09. Sa sortie a finalementété repoussée au 25/10. Occasion pour nous de vous annoncer qu’il vient deremporter au Festival du cinéma américain de Deauville le Prix du Jury.Raison de plus d’aller le voir, c’est un bon film ! <

Erratum

Roland Rappaport est mort en juin à l’âge de 83 ans.

Issu d’une famille juive polonaise qui a échappé à l’ex-termination, il a passé à plusieurs reprises des vacances

dans les colonies de la Commission Centrale de l’Enfanceauprès de l’UJRE, qu’il évoquait avec joie et émotion. Avocat au barreau de Paris depuis 1956, cofondateur du Syndicat des avocatsde France, il fut, tout jeune, membre du collectif d’avocats constitué par leParti communiste français pour défendre les militants du FLN et du Particommuniste algérien. Il fut l’un des avocats de Maurice Audin et contribuaavec d’autres à faire parvenir en France le manuscrit de La question d’HenriAlleg. Il plaida également au procès Barbie pour faire entendre la voix desenfants d’Izieu. Parrain de MRJ-MOI, il lui accorda, peu de temps avant samort, un entretien filmé passionnant sur la notion de crime contre l’humanité.Ce document sera accessible dans le parcours libre du Musée virtuel de MRJ-MOI. Roland Rappaport restera pour nous une figure inoubliable. < PNM

Un monument à la mémoire des 11 450 enfants juifs dépor-tés de France a été érigé au cimetière du Père Lachaise.

à l’invitation* de la maire de Paris, Anne Hidalgo, de Catherine Vieu-Charier,son adjointe chargée de la mémoire et du monde combattant, correspondantDéfense, de Frédérique Calandra, maire du 20e arrondissement et d’HenriPanczer, président du Conseil National pour la Mémoire des Enfants JuifsDéportés, son inauguration aura lieu au cours d’une cérémonie leJeudi 12 octobre 2017 à 14h30 dans le carré de la Déportation, à coté dumur des Fédérés. Entrée par la rue des Rondeaux – Métro Gambetta.

* Inscription impérative avant le 10 octobre 2017 à [email protected]

Page 3: e Boris Taslitzky Graves menaces sur la paix

pratique prise dans l’intérêt d’une cause commune. »L’ambition du Royaume-Uni va au-delà de laguerre. Obsédé par la sécurité de son système colo-nial, il redoute la concurrence de la France. Le pro-jet sioniste lui paraît d’autant plus intéressant queWeizmann le présente habilement : « Une Palestinejuive serait une sauvegarde pour l’Angleterre, par-ticulièrement en ce qui concerne le canal de Suez. »Les espoirs que placent les sionistes dans le mandatbritannique ne seront pas déçus. Entre 1917 et 1948,le Yichouv (la communauté juive de Palestine avantla création d’Israël) passe de 10 % à 30 % de lapopulation, sa superficie agricole est multipliée par3, le nombre de ses colonies par 10 et sa productionindustrielle par 50.Le calcul est moins bon du côté britannique.Londres a sous-estimé la résistance des Arabes, quimultiplient les révoltes. Après celles de 1920 et de1929 éclate, en 1936, une véritable insurrection quidurera près de trois ans. L’ayant réprimée durement,Londres en tire les leçons.à défaut du (premier) partage de la Palestine refusépar les intéressés, Sa Majesté, inquiète d’un possibleretournement d’alliances des pays arabes, fait volte-face. Le Livre blanc du 17 mai 1939 réduit l’immi-gration juive et les achats de terre, et promet doncd’ici à dix ans l’indépendance à une Palestine majo-ritairement arabe.

29 novembre 1947 : le plan de partage de l’ONU

La Seconde Guerre mondiale et le génocide nazibouleversent cette perspective.Jusque-là minoritaire parmi les communautés jui-ves, le mouvement sioniste organise l’immigrationillégale vers la Palestine car des centaines demilliers de survivants ne peuvent pas ou ne veulentpas rentrer chez eux et se voient refuser toute immi-gration vers les États-Unis.Il a aussi acquis une légitimation tragique aux yeuxde consciences occidentales travaillées par la culpa-bilité et qui ignorent tout des Arabes palestiniens.David Ben Gourion, qui le sait, déclare devant lacommission d’enquête des Nations unies : « Quiveut et peut garantir que ce qui nous est arrivé enEurope ne se reproduira pas ? (...) Il n’y a qu’unesauvegarde : une patrie et un État. »Londres va passer la main sous les pressions conju-guées du mouvement sioniste, qui recourt au terro-risme, de l’opinion britannique, qui veut sortir d’unbourbier ruineux, et enfin du Kremlin et de laMaison-Blanche, qui entendent écarter lesBritanniques du Proche-Orient.Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale desNations Unies adopte donc la résolution 181, quicrée un État juif sur 56 % de la Palestine (dont lesJuifs représentent à l’époque 32 % de la populationet détiennent 7 % des terres), un État arabe sur les44 % restants et un régime international pourJérusalem.D’abord judéo-palestinienne, puis israélo-arabe, laguerre qui éclate aussitôt tourne à l’avantage desforces juives, financées par les États-Unis et arméespar l’URSS. L’État juif augmente d’un tiers son ter-ritoire, l’État arabe est mort-né et 800 000 Arabesont dû prendre le chemin de l’exil.

Juin 1967 : la guerre des Six-JoursJusqu’en 1967, le reste de la Palestine était demeurédans des mains arabes : la Cisjordanie et Jérusalem-Est annexées par la Jordanie, la bande de Gaza occu-pée par l’Égypte. Avec la guerre des Six-Jours,Israël s’en empare.Au début, il les présente comme une carte à jouerdans les négociations. Mais lorsque, le 22 novembre1967, la résolution 242 du Conseil de sécurité prônel’échange des territoires contre la paix, c’est troptard : Israël a annexé Jérusalem-Est dès juillet 1967 ;et le plan Allon a lancé la colonisation de laCisjordanie. D’abord présentée comme sécuritaire,celle-ci va bientôt s’accélérer.

17 mai 1977 : victoire de la droiteLa droite, conduite par Menahem Begin, remportepour la première fois les élections. Elle intensifie lacolonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie,annexe le Golan et multiplie les opérations militai-res contre le Liban.Mais elle sait aussi faire preuve de diplomatie : elleprofite du voyage d’Anouar Al-Sadate à Jérusalempour entraîner l’Égypte dans une paix séparée. Enéchange du Sinaï, secondaire pour Israël, Beginobtiendra quelque chose d’essentiel pour lui : la finde tout risque de guerre sur plusieurs fronts.Un mois et demi après la normalisation égypto-israélienne, Tsahal se lance dans une nouvelleguerre : contre le Liban.

7 décembre 1987 : le déclenchementde la première Intifada

C’est un accident de la circulation à Gaza qui pro-voque la première Intifada, un mouvement popu-laire durable, massif et non armé, dont les effets sefont sentir :• sur l’opinion israélienne, dont une majorité, com-prenant que le statu quo n’est pas durable, se prépareà une paix de compromis ;• sur la stratégie de la Jordanie, dont le roi, Hussein,renonce à récupérer la Cisjordanie ;• sur l’opinion internationale, choquée par le specta-cle d’une puissante armée réprimant des jeunes nelançant – à l’époque – que des pierres ;• sur l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)ainsi transformée en interlocuteur incontournable.à Alger, en novembre 1988, le Conseil nationalpalestinien donne un débouché au mouvement : ilproclame l’indépendance de la Palestine, reconnaîtles résolutions de l’ONU fondant le droit à l’exis-tence d’Israël et condamne explicitement touteforme de terrorisme. C’est le début d’un « processusde paix » qui mènera, en 1993, aux accords d’Oslo.La suite est connue… <* Journaliste et historien, co-directeur avec Bertrand Badie deL’État du monde 2018. En quête d’alternatives, La Découverte.

C’est une curiosité : six dates essentielles duconflit israélo-palestinien se terminent en 7 etpermettent un survol de cette histoire tragique.

29-31 août 1897 : à Bâle, le premierCongrès sioniste mondial « s’efforce d’ob-tenir pour le peuple juif en Palestine un foyerreconnu publiquement et garanti juridiquement. »

Et pourtant, Theodor Herzl, comme la plupart desintellectuels juifs, croit d’abord à l’assimilation desJuifs. Mais il devient correspondant de presse àParis lorsqu’éclate l’affaire Dreyfus : il y voit, aprèsles pogroms de Russie, le signe que les Juifs s’avè-rent inassimilables, même par cette France qui, lapremière, les émancipa.« À Bâle, écrit-il dans son Journal, j’ai créé l’Étatjuif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, unrire universel serait la réponse. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde com-prendra. » Cinquante ans plus tard, l’État d’Israëlverra le jour…Sa vie durant, il rencontrera des personnalités sus-ceptibles d’appuyer son projet : le sultan turc, lesministres du Tsar, le Kaiser, etc. Toutefois sa préfé-rence va au Royaume-Uni. Herzl meurt en 1904sans avoir obtenu le soutien britannique, mais sonsuccesseur Haïm Weizmann réussit treize ans plustard.

2 novembre 1917 : la Déclaration Balfour

Ce jour-là, le secrétaire au Foreign Office, LordArthur Balfour, écrit que son gouvernement « envi-sage favorablement l’établissement en Palestined’un Foyer national pour le peuple juif et emploieratous ses efforts pour faciliter la réalisation de cetobjectif, étant clairement entendu que rien ne serafait qui puisse porter atteinte aux droits civils et reli-gieux des collectivités non-juives existant enPalestine, ou aux droits et statut politiques dont lesJuifs jouissent dans tout autre pays ».Cette déclaration bafoue deux engagements duRoyaume-Uni : d’abord la promesse faite au chérifHussein comme à Ibn Saoud de « reconnaître et sou-tenir l’indépendance des Arabes » ; ensuite lesaccords Sykes-Picot avec Paris, qui internationali-sent la Palestine sans y prévoir de Foyer nationaljuif. Résumé d’Arthur Koestler : « Une nation asolennellement promis à une seconde le territoired’une troisième. »Alors ministre de l’Armement, Winston Churchillexpliquera : « Les Juifs ont œuvré pour le succès dela Grande-Bretagne (…). La Déclaration Balfour nedoit donc pas être regardée comme une promessefaite pour des motifs sentimentaux, c’était une mesure

3Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017

Proche-Orient

Israël-Palestine : six dates en « 7 » par Dominique Vidal*

Centenaire de la déclaration Balfour

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Social

4 Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017

La politique fiscale de l’Étatconsiste à déterminer quellescatégories sociales verront le

poids de l’impôt s’alléger ou s’alourdir.La présidence Macron envisage denombreuses modifications de la fisca-lité, dont il semble difficile, de saisir, apriori, quel sera l’effet final tant ellesmélangent des mesures dont le sens estcontradictoire.Dans une très utile étude, l’OFCE [1] aprocédé à une évaluation de leursconséquences [2]. Sont envisagées : lasuppression de la taxe d’habitation pourles ménages à l’exception des 20 %disposant des meilleurs revenus, laréduction de la fiscalité sur les revenusdu capital à une taxe unique de 30 %(sans prendre en compte l’ensemble desrevenus), la restriction de l’impôt sur lafortune à un impôt sur l’immobilier,l’exonération de cotisations sociales dessalariés sur les heures supplémentaires,la hausse de la CSG, la baisse des coti-sations sociales santé et chômage dessalariés, la hausse du prix du tabac, la

baisse à 25 % du taux d’imposition surle bénéfice des sociétés, la poursuite duCICE en baisse de cotisations socialespatronales, la suppression des cotisa-tions sur les salaires au SMIC, l’exoné-ration des cotisations sociales patrona-les sur les heures supplémentaires. Pourdéterminer l’impact de ces différentesmesures, on partage l’ensemble desménages en dix segments (appelés déci-les) dont les effectifs sont égaux maisdont les revenus sont rangés par ordrecroissant. On peut ainsi évaluer l’impactdes mesures fiscales envisagées surchaque décile et donc sur chaque niveaude revenu.Tous calculs faits quant aux conséquen-ces des changements envisagés, il appa-raît une diminution des prélèvementsobligatoires – impôts et cotisationssociales. Mais, on observe surtout que46 % de cette baisse bénéficieront aux10 % des ménages les plus riches. Maismême parmi ceux-ci, c’est le 1 % leplus riche qui en profitera le plus. Il s’a-git donc bien de prendre aux pauvres

pour donner aux riches.Comment justifier ce qui apparaît auxyeux de chacun comme une injusticesociale ? Les propagandistes du libéra-lisme ont inventé un gadget idéologiqueà cet effet. Il s’agit de la théorie du ruis-sellement. Selon celle-ci, il est de l’inté-rêt de tous d’améliorer le sort des plusriches. En effet, ces derniers consom-ment et investissent plus que les pauv-res. En conséquence, ils favorisent lacroissance de l’économie. Et cette crois-sance bénéficie à tous en créant desemplois. Les plus pauvres verraient,ainsi, « ruisseler » vers eux, le supplé-ment de revenu accordé aux plus richespar les baisses d’impôt dont ils bénéfi-cient.Le problème avec cette théorie, c’estqu’elle a été expérimentée, notammentaux USA depuis la présidence deReagan (années 1980) et qu’elle n’a pasdu tout donné les résultats attendus maisplutôt l’inverse. Les riches se sont bienenrichis, mais les plus pauvres ont vuleurs emplois précarisés, tandis que le

revenu médian (celui qui partage l’en-semble des contribuables en deux par-ties égales lorsqu’on les range par ordrecroissant) est resté absolument stablesur toute la période jusqu’à nos jours,tandis que pourtant, l’économie améri-caine a crû fortement dans son ensem-ble et a produit des richesses supplé-mentaires sous l’effet du développe-ment technologique [3].Il est vrai que le président Macron faitdes efforts pour rétablir la justicesociale. Ainsi, pour compenser la baissedes allocations logement de 5 euros a-t-il demandé aux propriétaires de loge-ment d’opérer sur les loyers qu’ils per-çoivent une baisse identique : naïveté ouhypocrisie ? <[1] Office français de conjoncture écono-mique, Laboratoire de recherche en économiede Sciences Po[2]https://www.ofce.sciencespo.fr/pdf/pbrief/2017/pbrief25.pdf[3] Voir Daniel Cohen : https://www.france-culture.fr/emissions/linvite-des-matins-2eme-partie/travail-des-ordonnances-capitales

Prendre aux pauvres pour donner aux richespar Jacques Lewkowicz

On ne peut plus l’ignorer : degraves menaces pèsent sur lapaix ; partout l’on entend des

bruits de bottes ; la course aux arme-ments est relancée ; la disséminationdes armes de destruction massive meten danger la planète.L’escalade verbale entre la Corée duNord et les États-Unis peut à toutmoment déboucher sur une conflagra-tion mondiale. Si les essais de missileset de bombes atomiques réalisés enCorée du Nord doivent être condamnésavec la plus grande fermeté, ils ne sau-raient être le prétexte à l’aventure mili-taire que Trump déclare préparer. Or,chacun le sait : toute attaque contre

Pyongyang sera considérée par la Chineet la Russie comme une attaque contreleur pays. D’autant plus que la politiquede l’Otan d’encerclement de la Russie– dont la France hélas ! est partie pre-nante – attise les tensions. à ses frontières et avec la participationde l’armée américaine, des manœuvresont lieu en Ukraine alors que ce paysn’est pas (encore !?) membre de l’Otan.D’autres exercices ont lieu en Suèdevisant explicitement la Russie. Moscouréplique par d’autres manœuvres enBiélorussie aux limites de la Pologne.Au Proche-Orient, la guerre continuede faire rage en Syrie, en Irak, auYémen, ainsi que le jeu trouble des

Occidentaux à l’égard des terroristesde Daech et autres. Trump multiplie les décisionsirresponsables. Les États-Unis, acculéspar leur perte d’influence sur la marchedu monde, menacés par la dé-dollarisa-tion des échanges que Chine et Russieengagent avec d’autres États, notam-ment l’Iran et les Brics, créent un cli-mat de peur et de tensions qui leur per-met de justifier des augmentationscolossales de leur budget militaire,source de profits pour le complexemilitaro-industriel : 600 milliards dedollars en 2018 (+ 54 milliards). Face à cette situation, l’adoption, le 7juillet dernier à l’ONU d’un traité surl’interdiction des armes nucléairesmontre que les solutions politiques sontpossibles et que rien n’est irréversible.Mais comme le disait Jean Jaurès, « lecapitalisme porte en lui la guerrecomme une nuée porte l’orage ». Lamême logique porte les mêmes effets.Ainsi, l’Élysée s’oppose-t-il au textevoté à l’ONU, au prétexte de moderni-ser la force de frappe nucléaire. Alorsqu’il impose l’austérité aux Français, àleurs services publics et à leurs com-munes, le gouvernement prévoit dedoubler le montant des crédits annuelsconsacrés aux armes nucléaires quidevraient passer de 3,5 à 6 milliardspar an d’ici à 2020). L’objectif est derenouveler en totalité la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins(SNLE) dont le dernier exemplaire a

été livré en 2010. Le budget militaireglobal de la France doit passer lui ausside 31,6 milliards en 2016 à 41milliards d’euros dès 2020, pour attein-dre les 2 % du PIB exigés par l’Otan.Une convergence mondiale de forcespour la paix n’a jamais été aussi néces-saire ; aussi urgente. Elle se réalise peuà peu. En France, un collectif « Enmarche pour la paix » s’est constituérassemblant plus de 120 organisationsdiverses qui agissent pour les droitshumains, contre le racisme et la xéno-phobie, pour l’égalité hommes-fem-mes, pour la diminution des dépensesd’armement, pour l’éducation à lapaix, pour faire face à l’urgence clima-tique. Cinquante-trois de ces organisa-tions ont publié « Le livre blanc pour lapaix ». Le collectif En marche pour lapaix souligne « qu’aucune de nos diffé-rences de convictions, d’appartenanceou de sensibilités philosophiques, poli-tiques, religieuses, syndicales ou aut-res ne doit faire obstacle à l’expressionde notre volonté commune de vivre enpaix dans un monde de solidarité, dejustice et de fraternité».C’est à l’appel de ce collectif de 120organisations, que, dans le cadre de laJournée internationale de la paix, ontété organisées partout en France, lesamedi 23 septembre, des marchespour la paix pour exprimer la volontécommune qui a présidé à « la vaguemondiale pour la paix », lancée le 6août 2017 à Hiroshima. < Ch. N.

La politique de l’OTAN et des Américains attise les tensionsen Europe, au Proche-orient et en Asie

Paix Graves menaces sur la paix

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Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017 5Histoire

sins qu’il envoie à la célèbre revuesatirique allemande Simplicissimus.La vie parisienne l’exalte, notammentles milieux artistiques. Séduit untemps par les Fauves et les Cubistes,

il n’adhère finalement à aucun groupeou mouvement. Comme Modigliani,il veut faire cavalier seul et travaillerà sa manière. Bientôt la chance luisourit : en 1907, l’année où il rencon-tre sa future épouse, Hermine David,il expose à Berlin, dans la galerie PaulCassirer. Il s’installe rue Gabriellepuis rue Joseph-Bara et prend un ate-lier à Montparnasse, à côté de celui deVan Dongen. Il commence alors à fré-quenter les cafés du carrefour Vavin.On le voit parfois à La Rotonde maisle plus souvent à la terrasse du Dôme: ses confrères et ses amis le qualifientde Dômier ad hoc ! Il fait partie dés-ormais de la faune pittoresque maistalentueuse des artistes étrangers quihantent ces lieux et vont constituerl’essentiel de ce qu’on appellera l’É-cole de Paris.

Las, celui que l’on nomme le Princede Montmartre, le Magicien du Réel,doit s’exiler en 1914, la guerre ayantfait de sa Bulgarie natale un pays hos-

tile. Il abandonne tout, y compris samaîtresse, un modèle qu’il partageaitavec Matisse. Il gagne la Belgique,avec le peintre tchèque Georges Kars,puis Londres et New York. Aux États-Unis, où il avait exposé dans le cadrede l’exposition internationale d’Artmoderne de 1912, il jouit d’une cer-taine notoriété. En 1915, il épouseHermine et prend la nationalité améri-caine. Il se lie d’amitié avec le photo-graphe et galeriste Alfred Stieglitz. Ilvoyage au Texas, en Floride, à Cuba.De retour à Paris, il change sans cessede logement, d’atelier, de maîtresse,et continue à voyager. Mais il restefidèle aux thèmes qui ont caractérisésa peinture dès le début : les nuits,mondaines ou non, les parties fines, lavie dans les clubs et les cafés.

L’érotisme le passionne et le purita-nisme qui règne y compris dans lesmilieux cultivés et d’avant-garde lescandalise. Pascin voit le mondecomme un bordel luxuriant (et forcé-ment luxurieux !), avec beaucoup debeauté et beaucoup de laideur, l’unen’allant pas sans l’autre. Sa peinture,son dessin, ne sont pas simples àdéfinir, c’est quelque chose entre une

interprétation très libre du baroque(par l’amour du nombre des figures)et une très lointaine réminiscence etde James Ensor, mais en moins gro-tesque, et de Toulouse-Lautrec. Il apassionnément aimé décrire le vice etune sorte de décadence, le désir leplus extrême et le plus interlope. Iln’en est pas moins un magicien del’art car ses compositions sont desmerveilles où la lascivité et les mau-vaises mœurs vont de pair avec lascience de l’expression des corps etde l’agencement des scènes, toujoursavec un déséquilibre recherché. Cecitoyen américain né Bulgare est unefigure emblématique du Paris de l’en-tre-deux-guerres. Y compris par letragique. Quand il met volontaire-ment fin à sacourte vie,en 1930, iln’a que 45ans. <* L’Œil dePascin, GalerieAlain Le Gail-lard, Le Mino-taure, Paris, jus-qu’au 28/10.Catalogue parMaria Tyl.

Julius Mordecai Pincas est né en1885 à Vidin, une petite localitébulgare, dans famille sépharade

de onze enfants. Sa mère est d’ori-gine italienne, son père d’origineespagnole. Adolescent désespéré dene pouvoir s’adonner à sa passion,l’art, Pascin se lance dans une vie dedébauche. En 1901, au grand dam desa famille installée à Bucarest, il fré-quente une courtisane. Son destin estscellé : il ne cessera plus de fréquen-ter les mauvais lieux ni de peindre. Il va étudier à Vienne et à Budapest,en 1902, puis à Berlin et à Munich, en1903. Et c’est enfin Paris où il arriveen 1905 la veille de Noël. Il loge àMontparnasse, au Grand Hôtel desÉcoles, rue Delambre, avant degagner Montmartre où il habitera àl’hôtel Beauséjour, rue Lepic. Lemoment est-il venu de franciser sonnom ? Une anagramme fait l’affaire :adieu Pincas, vive Pascin ! Il vit, demieux en mieux, du revenu des des-

Pascin, peintre emblématique de l’École de Paris entre les deux guerres

par Gérard-Georges Lemaire

Octobre 1937, exécution à Minsk de Moïche KulbakLa mort d’un poète romantique

par Bernard Frederickpoète romantique. Pendant la Première Guerre mon-diale, il vivait à Kovno (Kaunas) où il commença àécrire en hébreu. Il fit ses débuts en yiddish en 1916avec un poème qui sera mis en musique et deviendratrès populaire. En 1918, Kulbak s’installa une pre-mière fois à Minsk, où il enseigna et écrivit de la poé-sie. Puis il déménagea à Wilno où, en 1920, il a publiéson premier livre, Shirim (Poèmes), qui a confirmé saplace de poète dans la tradition romantique yiddish deDovid Eynhorn. Plus tard, à Berlin, où il demeura trois ans, Kulbak sefamiliarise avec les courants contemporains de la litté-rature européenne, en particulier avec l’expression-nisme qui devait avoir une influence significative surson travail ultérieur. Il a contribué aux périodiques yid-dish à Berlin, en Pologne, et surtout dans Di Tsukunftde New-York, qui publia son épique Raysn(Biélorussie en yiddish) et son drame Yankev Frank.Le Tsukunft était plutôt bundiste. Ça ne faisait pas dupoète un « élément socialement dangereux ». A Wilno, où il revient en 1923, Kulbak sera présidentdu nouveau Pen Club Yiddish. Au cours de cettepériode, il a écrit les longs poèmes Vilne (1926), despoèmes lyriques et son deuxième roman important,Montig (Lundi -1926).Comme tous les romantiques, Kulbak fait de la natureune manière de panthéisme. Dans Raysn, par exemple,il met en scène une famille en relation intime avec lanature, mélange les sources stylistiques des chansons

folkloriques yiddish et slaves avec des allusionsbibliques. Mais, Montig, à l’opposé, sous-titré « Unpetit roman », dépeint la ferveur révolutionnaire après1917 dans une ville juive sans nom. S’y lit uncontraste ambigu entre la tendance déclarée à la passi-vité chez le protagoniste, un professeur d’hébreu, unintellectuel « sans racines », et l’atmosphère d’activitérévolutionnaire et de combativité autour de lui. Le principal roman de sa période soviétique,Zelmenyaner est l’une des œuvres les plus importan-tes de la prose yiddish soviétique. Kulbak y racontel’histoire d’une famille juive à Minsk, sur deux géné-rations, face aux changements qui s’opèrent en Unionsoviétique. Le roman parut en 1935. Il n’avait pas pluaux autorités… <

À lire• Le Messie Fils d’Ephraïm (roman, trad. CaroleKsiazenicer-Matheron), ImprimerieNationale - Actes Sud, Paris, 1995,196 p., 24,80 €

• Les Zelminiens (roman, trad. RégineRobin), Seuil, Paris, 1988, 332 p.,35,80 €. Aussi dans l’ouvrage deRachel Ertel, Ed. Royaumes Juifs(Trésors de la littérature yiddish), Vol.II, Robert Laffont, Paris, 2009

• Lundi (trad. Bernard Vaisbrot),L’Âge d’homme, Lausanne, 1982

Poète yiddish, romancier etdramaturge, né à Smorgonprès de Vilna, en 1896,

Moïche Kulbak est une des victi-mes des purges staliniennes de laterrible année 1937. Il est arrêté àMinsk (Biélorussie) en septembreet exécuté le 29 octobre. Pour quelle raison ? En ce temps là, à l’époque de laIejovschina, du nom de Iéjov, le chef du NKVD (lapolice politique), il n’y avait pas besoin de raison.L’ordre opérationnel n° 00447 du 31 juillet 1937,ordonnait de réprimer les « éléments antisoviétiques etsocialement dangereux ». Kulbak était-il un « élémentantisoviétique » ? C’est de lui-même, qu’il avait en 1928 quitté Wilno(Vilna), annexée en 1922 à la Pologne, pour s’installerà Minsk, capitale de la Biélorussie soviétique. Lacroissance des institutions culturelles yiddish enUnion soviétique, d’une part, et l’atmosphère enPologne pour les Juifs d’autre part. le poussèrent àfaire ce choix. à Minsk, Kulbak avait écrit le longpoème Disner Tshayld-Harold (1933), deux drames,Boytre (1936) et Benyomin Magidov et surtout unroman Zelmenyaner, sur le sort d’une famille juive tra-ditionnelle dans les nouvelles conditions de l’Unionsoviétique (1931 -1935). Rien qui ne pouvait fâcher lacensure. Rien qui puisse relever de l’antisoviétisme.Alors était-il « socialement dangereux » ? C’était un

Jules Pascin - 1930

Art

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l’argent ? Ils n’en sont pas à une compromission près.D’ailleurs « compromission » semble le mot clé de cechantage. Il s’agit maintenant de « convaincre » lechancelier Schuschnigg. La scène qui décrit lemoment de la compromission, au cours de laquelle lepetit dictateur autrichien affolé livre l’Autriche, nousplonge dans une atmosphère de cauchemar, de folie.On est à la fois dans le tragique – Schuschnigg, blêmeet mort de peur va signer la fin de l’Autriche, les pos-tes importants seront occupés par des nazis – et dans legrotesque puisqu’au même moment se déroule le car-naval de Vienne et que l’on danse et chante dans lesrues : « les dates les plus joyeuses chevauchent ainsi lesrendez-vous sinistres de l’Histoire. » Le grotesque dansce même chapitre, c’est aussi l’évocation inattendue deLouis Soutter (1871-1942), peintre, dessinateurméconnu enfermé dans un asile et qui, lorsque sesmains ne lui obéirent plus, peignit avec ses doigts sespetits bonshommes noirs tordus, « pantins hideux etterribles » comme un présage sinistre.Reste la compromission, l’inertie de l’Europe. Cettefois, la scène se passe lors d’un dîner mondain àLondres. Ribbentrop fait durer le repas par le récit deses prouesses pour que l’annonce de l’invasion del’Autriche soit retardée. Le ton du récit se fait moinsironique et c’est un accusateur qui parle dans l’interro-gation qui se répète, de rappels en rappels, « et on ne

savait pas ». On ne savait pas l’annexion de la Sarre,on ne savait pas le bombardement de Guernica … Sixmois après l’Anschluss, à Munich, la France etl’Angleterre, Daladier et Chamberlain, « entre deuxrangées de soldats nazis », sont acclamés par les salutsnazis d’une foule en délire. Fin.En fait, ce n’est pas un cours d’histoire pour classe de1e, la littérature est passée par là dans un mélange deréel et de théâtral qui nous fait entrer dans les coulissesde l’Histoire. De façon métaphorique, le magasin hol-lywoodien des accessoires du cinéma entasse objets,costumes, toutes époques confondues, défroques del’Histoire.Les derniers chapitres ne sont plus que tristesse, hor-reurs et réalité. Les suicides, les Juifs traînés dans lesrues, contraints de se mettre à genoux pour nettoyer lestrottoirs, le sourire des passants qui regardent… Il yaura les camps dont certains de nos vingt-quatre baronsont tiré force profit. Ils sont toujours là, mais sousforme de choses, ils s’appellent BASF, Bayer, Opel, ilssont nos voitures, nos machines à laver… la pile denotre montre, notre quotidien.Le récit s’achève, presque brechtien : « on ne tombejamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombetoujours de la même manière, dans un mélange deridicule et d’effroi ». <Éric Vuillard, L’Ordre du Jour, Éd. Actes Sud, 2017, 160 p., 16 €

Déjà, le point de vue, trèsaffirmé, est celui d’unnarrateur (l’auteur lui-

même), glacial, sarcastique qui,dès le premier chapitre, avanceses pions : 20 février 1933 : les« barons de l’industrie alle-

mande » sont convoqués par Hitler. Dans la brume del’hiver, on les devine descendant de leurs berlines noi-res, complètement déshumanisés, sans visages, dési-gnés par des objets, les habits de leur fonction, « vingt-quatre pardessus… vingt-quatre paires d’épaules rem-bourrées de laine…, vingt-quatre pantalons à pinces,vingt-quatre chapeaux de feutre qu’ils enlèvent deleurs crânes chauves. Leurs noms n’apparaissent queplus tard et nous les reconnaissons, les Krupp, lesOpel, les Siemens. Le spectacle mis en scène par lenarrateur commence. Goering d’abord, puis l’acteurprincipal, Hitler, peut facilement les convaincre : sesmots sont façonnés pour eux. Ne s’agit-il pas d’en finiravec la menace communiste, les syndicats, de « per-mettre à chaque patron d’être un führer dans sonentreprise ». Les élections approchent. Pour que leparti nazi triomphe, que son armée soit la plus puis-sante, il faut de l’argent. Ce n’est pas le peuple quiporte Hitler au pouvoir, c’est l’argent, ce sont les pos-sédants. Précieuse obole, voilà les patrons rassurés,

Littérature

6 Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017

L’Ordre du Jour d’Éric Vuillardpar Jeanne Lafon Galili

La question que me suggère ce récit serait : qu’est-ce qui fait qu’un moment historique – ici l’avènement d’Hitler, les quelquesjours qui précédèrent l’invasion de l’Autriche – devient, investi par l’écrivain, son imagination, ce pouvoir des mots, une fictionvraie et par sa lecture, une autre façon, passionnante, d’être confronté à l’Histoire.

dehors, et dont il va dénouer les fils pour se retrouver àdécouvert, sans filet de protection sous la lumière cruedes projecteurs.Dovadé se raconte, nous raconte, et ce sont des instantspoignants et pathétiques du spectacle, avec cependantdes moments de douceur.Il raconte comment le principal souci de l’enfant était defaire rire sa mère,comment celle-ci lui avait raconté que, fillette, pendantla Shoah, elle avait été cachée dans un wagon et sauvée,oui, sauvée par deux cheminots polonais mais aussi vio-lée quotidiennement par l’un et l’autre pendant six moiset puis jetée hors du wagon comme un sac après qu’ilseurent abusé d’elle à satiété et s’en furent lassés, comment…comment sa mère lui chantait une chanson yiddish,« J’ai oublié cette berceuse yiddish. Elle me la chantaitquand je ne réussissais pas à m’endormir, ou quand j’é-tais malade. Elle me prenait dans ses bras et me ber-çait : Ay lou-lou, shlof mayn kind, shlof mayn tayere,mayn shepsele, makh tsou di klayne oygelekh....... »Et puis, dans le désordre de la narration on revient auprésent, à une autre réalité, une autre douloureuse his-toire, celle de l’occupation par Israël des Territoires,celle de la haine et de la violence. Deux soldats enten-dent par haut-parleur l’ordre de couvre-feu pour lesArabes. Ces derniers n’ont que cinq minutes pour ren-trer chez eux. L’un des soldats aperçoit un Arabe, le viseavec son fusil et le tue. Son ami lui demande les raisonsde son geste, et l’autre répond qu’il l’a tué parce quecelui-ci n’aurait de toute façon pas pu rentrer chez lui àtemps.C’est là l’un des traits d’humour noir, grinçant, de

David Grossman, un humour qui dérange, qui ques-tionne. L’auteur fait partie du camp de la paix, militepour la fin des violences entre les deux peuples israélienet palestinien, pour un traitement juste de la questionpalestinienne. Sujet douloureux pour l’écrivain qui aperdu son fils, tué lors du conflit israélo-libanais en2006. Depuis longtemps, la mort le hante, la violence lehante, l’indifférence le hante.« Quand on enlève son armure on peut facilement pas-ser d’homme à femme, de jeune à vieux, d’Israélien àPalestinien et on se rend compte que l’on peut faire unbrassage de toutes ces identités », déclare-t-il.Le passage du livre à la lecture mise en espace dans lecadre de l’enregistrement radiophonique en public,réalisé par Blandine Masson, est une grande réussite. Lechoix des deux principaux comédiens-lecteurs, JérômeKircher (Dovalé) et Wajdi Mouawad (Avishaï Lazar)est révélateur du désir de rapprochement des peuples encette période de grande intolérance, de susciter un dia-logue entre eux, de le créer et le prolonger à travers lalittérature, la création artistique… <

[1] Enregistrement en public de l’adaptationradiophonique du roman Un cheval entre dansun bar, traduit de l’hébreu par Nicolas Weill etpublié au Seuil, avec Jérôme Kircher (Dovalé),Wajdi Mouawad (Avishaï Lazar) et les acteursdu Groupe 43 de l’école du TNS. MusiqueSylvain Cartigny, Joseph Dahan et ColinRusseil. Adaptation et réalisation : BlandineMasson. à réécouter sur https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=436ccd04-a90a-4f08-955a-4ef2ddaee74a

[2] cf. article de Jeanne Lafon Galili consacré au roman in PNM n°331

Ce qui nous vient d’Israël, en la personne de l’écrivain David Grossman, est essentiel. Danscette œuvre majeure qu’est Un cheval entre

dans un bar [2], l’écrivain nous confronte à une dureréalité en s’appuyant sur un humour féroce pour unedescente aux enfers.L’histoire : dans un bar d’une ville d’Israël, Netanya, unhumoriste, Dovadé, fait son show en prenant à partie lepublic jusqu’à l’injurier, l’entraîne dans une sorte deronde infernale à travers des plaisanteries douteuses,entre autres sur la Shoah, pour ensuite évoquer dans unerage et un désespoir croissants son passé d’enfant soli-taire et traumatisé. Il a convié pour ce show son amid’enfance, le juge Avishaï Lazar, qui sera témoin decette mise à nu.Nous sommes le public au théâtre de la Colline et res-tons cloués à nos fauteuils tandis que sur la scène unautre public déçu, voire écœuré abandonne peu à peu ceclown plein d’agressivité et d’amertume à ses turpitu-des, à ses cauchemars. Nous rions et sommes pétrifiéspar les paroles de Dovadé qui va s’enfoncer et nousenfoncer dans les méandres d’un passé tortueux et tor-turé et du présent d’un pays déchiré par le conflitisraélo-palestinien.Dovadé, l’enfant devenu l’adulte de 58 ans, l’adulte de58 ans redevenu l’enfant, avec ses plaintes, sa fureur, satristesse, son désespoir, sa solitude, prisonnier de la toiled’araignée qu’il a tissée lui-même pour se protéger du

Un cheval entre dans un bar de David GrossmanCréation radiophonique lecture concert [1]

vue parBéatrice CourraudLes 8, 9 et 10 septembre 2017, La Colline – théâtre national – a proposé, avec France Culture et le Festival Lettresd’Israël, trois jours consacrés à l’auteur David Grossman, lauréat du Man Booker International Prize 2017.

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L’acteur-cinéasteMathieu Amalric

joue Yves Zand, réali-sateur filmant le per-sonnage de Brigitte,une actrice qui doitinterpréter le rôle de lachanteuse Barbara,Jeanne Balibar incar-nant les personnagesde Brigitte et deBarbara ! Le film donne le vertigepar ses jeux multiplessur les rôles, lieux etactions. Sommes-nous avec Brigittesur le tournage du film de Zand, sur lascène d’un music-hall avec Barbara ouavec Jeanne Balibar ? Le film, multi-pliant illusion et confusion, crée unevérité sur la chanteuse et sur les ques-tions qui se posent à la création par lefilm dans le film : un ensemble, fruitdu regard et de l’imagination deMathieu Amalric et du jeu d’une pro-digieuse comédienne, Jeanne Balibar.

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017 7

Spectacle inclassable d’une grandetenue, Libertés ! part de petits riens

qui se transforment à l’aune de l’absurdeet du jeu de mots, de la poésie,en grandes pensées philoso-phiques, sur soi, sur le monde.Le seul en scène commence parune chanson de Moustaki sur laliberté. Un gars gentiment, faus-sement déglingué, lunaire, désarticulésort de nulle part, d’une malle, d’un coind’enfance, et nous raconte des histoiresgrosses comme l’Univers. Poésie,Histoire, philosophie, politique, société,ode à l’amour fusent à travers des histoi-res de guingois. Les mots se tordent,détonnent, pour donner des sens pluriels.Avec Gauthier Fourcade, auteur etacteur, les paroles ne s’envolent pas, saufquand elles ouvrent vers le firmament,qu’elles scintillent comme des étoiles.Les mots se font concrets, concrets, plu-riels, empruntant les doubles sens etmême les sens interdits. Les mots tra-quent des vérités, des interrogations, ilss’entrechoquent pour mieux rebondir.Libertés ! est un voyage au cœur de situa-tions concrètes, imagées, qui bousculentle politique, la vie à deux, l’Europe, lesmultinationales, la religion, la psychana-lyse… La liberté c’est peut-être la possi-bilité de faire des choix mais peut-onfaire des choix sans se contraindre ?Devoir faire des choix n’est-ce pas alorsune absence de liberté ? Et si la liberté

c’était justement aller jusqu’au bout desoi et savoir se poser des questions ? Est-on vraiment libre dans une démocratie ?

Et qu’en est-il quand ce sont lesmultinationales qui ont pris lepouvoir ? « Nous ne sommes passeulement nos actes, mais aussinos rêves ». Il y a aussi la magiede l’amour, de la créativité.

Un spectacle qui sent bon les cheminsde traverse, la poésie, la créativité, toutce qui ne va pas de soi. Un spectacle trèsprofond. Nous ne pouvons pas tout vousdire, il faut y aller pour le voir. GauthierFourcade est un ovni de la scène théâ-trale. Seul en scène, des dizaines de per-sonnages imaginaires l’entourent. Tousvivent à 180 à l’heure. L’énergumène,haut de taille, à la voix forte, vive etposée à la fois, prend une dimensionphénoménale sur le plateau.Inventif et unique, il l’est dans son écri-ture comme dans son jeu théâtral.N’oublions pas le metteur en scèneWilliam Mesguich qui a réglé au cou-teau la mise en scène, la mise en espaceet en jeu. Il a su apporter une esthétiquenouvelle et le côté Diogène du person-nage. On applaudit, on rit, et on en rede-mande. <* La Manufacture des Abbesses, 7 rue VéronParis 18° jusqu’au 5 novembre (J, V, S 21h,D 17h), rés. en ligne (http://www.manufactu-redesabbesses.com/reservations/liberte-avec-un-point-dexclamation/) ou par tel.(01 42 33 42 03)

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

Libertés ! de Gauthier Fourcade

Cinéma La chronique de Laura Laufer

« C’est un film surBarbara ou sur vous ? »lance Brigitte à Zand,question qui se retourneaussi sur Jeanne Balibar etMathieu Amalric, ici enbelle complicité – n’ou-blions pas qu’ils vécurentensemble. Loin du fauxsemblant du biopic, l’ima-gination ouvre à la vraievie de Barbara : la petitefille juive cachée durant laguerre, la victime de l’in-ceste, la chanteuse qui se

produit au cabaret de L’Écluse, celle quichante dans les prisons pour les maladesdu Sida, la bonne cuisinière et la divaavec ses gestes, ses caprices, ses colères.Dans l’époque qui a vu aussi Brassens etBrel, cette Barbara vit concrète. Ce filmne ressemble à aucun autre et invente uneforme troublante. Il invite le spectateur àrêver, dans cette aventure entre fiction,réel, passé, présent, cette Barbaramythique et vraie. <

Le jeune Karl Marx de Raoul Peck avec August Diehl, Stefan Konarske

On pouvait espérerqu’un cinéaste

intéressé par la figuredu jeune Marx trans-mettrait, à l’instar del’auteur du Manifestedu parti communiste,le désir de changer lemonde. Pour cela, il aurait fallu que dans cefilm le monde existe et que Marx etEngels entretiennent avec lui unerelation vivante. Ce biopic, ni pire, ni meilleur qu’unautre, est typique d’un film acadé-mique et naturaliste. Entièrement placésous le signe de la vraisemblance, onn’y trouve pas de grosse erreur dechronologie sur les faits et la vie pri-vée : Engels, fils de bonne famille de labourgeoisie industrielle insurgé contreson père ; Marx et Jenny souvent victi-mes d’expulsions pour loyer impayéou raisons politiques : de quoi nourrirl’émotion du spectateur. Mais Marx et Engels ne dépassentguère ici les figures de deux jeunesgens bohèmes, au demeurant sympa-thiques, qui écrivent ou palabrent dansles chambres ou les salons en chapeauou tête nue, en redingote ou en robe dechambre. Les acteurs ne sont pas mau-vais – le choix de A. Diehl pour le rôlede Karl Marx était judicieux –, maistous figurent plus qu’ils ne jouent.

Avec « Pasteur »,Sacha Guitry,amène le specta-teur à croire auxbienfaits desdécouvertes deson héros. Avec« Les Raisins dela colère », JohnFord convainc de

la nécessité de lutter pour changer lemonde.Dans plus d’un western, l’action dupersonnage impose la loi contre labarbarie et les meilleurs filmsd’espionnage antinazis montrent lavoie de la résistance.La modernité au cinéma, à traversl’aventure singulière d’une action oud’une pensée, a pu offrir au specta-teur de se situer, de penser l’Hommedans l’Histoire et le Monde : ainsi« Descartes », « Pascal » ou « LeMessie » de Roberto Rossellini, quin’a pu tourner son « Karl Marx »auquel il a tant travaillé avant demourir. Alexander Kluge, avec sonfilm-fleuve « Le Capital » inspiré duprojet d’Eisenstein, sur le texte deKarl Marx, a fait œuvre de poésie etde pensée, rejoignant un processusactif qui fonctionne à la lecture deMarx. La vision du film « Le JeuneKarl Marx » n’engendre ni passion,ni réflexion. C’est triste. <

René Loyon a remis à l’honneurl’auteur italien Ruzante en por-

tant à la scène son texte « Les nocesde Betìa ». Peu monté, c’est pourtantun texte qui se prête à une grandethéâtralité, puise ses racines dans lapaysannerie, contient la réflexiond’une société sur elle-même. Letalent d’écriture de Ruzante dont lathéâtralité du texte est servie à mer-veille par le metteur en scène RenéLoyon et par des comédiens aguerris,dégage d’une simple intrigue amou-reuse, un apport philosophique etsociétal monumental.

Angelo Beolco dit Ruzante (1502-1542), contemporain de Shakespeare,vit dans la campagne de Padoue dansune famille proche de la paysannerie.Les noces de Betìa est sa deuxièmepièce, une pièce de jeunesse qu’ilécrit en vers et en padouan, dialectedérivé de la langue vénitienne. La tra-duction en vers irréguliers de ClaudePerrus [2] s’inspire du parler de

Rabelais, met l’accent sur le gro-tesque, le familier, et le carnava-lesque. L’espace scénique est quasinu. Tout repose sur le jeu dramatiqueet corporel des acteurs qui prend unedimension exemplaire. Du théâtrehaut de gamme comme on n’en faitplus beaucoup. On vous le recom-mande. <[1] Vu au Théâtre de l’Épée de Bois(Cartoucherie). Jusqu’au 15 octobre, du jeudiau dimanche. Rés : 06 61 96 62 52

[2] Les noces de Betìa de Ruzante trad. deClaude Perrus, éditions Circé.

Les noces de Betìa [1]

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Barbara de Mathieu Amalric avec Jeanne Balibar, Mathieu Amalric, Aurore Clément

Jeanne Balibar, Mathieu Amalric© Waiting For Cinéma 2017 / Roger Arpajou

Les Noces de Betìa, mise en scène René Loyon© Nathalie Hernieux

Page 8: e Boris Taslitzky Graves menaces sur la paix

Boris Taslitzky : cet artiste antifasciste de la pre-mière heure, nos lecteurs le connaissent bien [1].

Dès 1946 Aragon réunissait en un premier album,indispensable à l’histoire et à la connaissance de ladéportation les Cent onze dessins faits à Buchenwald.Boris, le MAHJ, qui lui a consacré en 2006 l’expo-

sition « Buchenwald : l’arme du dessin », le met cette fois-cià l’honneur avec l’exposition « Si je vais en enfer, j’y ferai descroquis ! » grâce à la donation d’Évelyne Taslitzky. Boris, enfin, Patrick Balkany, l’ancien maire de Levallois-Perret, a lui aussi mis son œuvre à l’ordre du jour quand en 2015il a décidé de démolir la crèche Louise Michel, magnifiquementornée de fresques qui, dédiées à « Louise Michel et aux enfantsde Nouméa », offraient aux enfants de Levallois des imagesd’une fraîcheur paradisiaque [2]. Où l’on voit que, dans unesociété malade du profit, le prix du m² immobilier menace d’ê-tre mortel pour l’art. Car des lits de crèche, il n’y en a pas detrop, à Levallois, où l’on compte 850 demandes insatisfaites ! L’action du Comité Boris [3] et des Levalloisiens a dans un pre-mier temps empêché la destruction d’œuvres dont la perteserait irréparable sur les plans artistique, historique et mémoriel.

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a été saisi,n’a pas encore tranché. La demande de classement des œu-vres au titre des Monuments historiques est en cours. Ce 13 septembre, la municipalité a fait apposer à côté du per-mis initial un permis modificatif où il n’est pas fait état desœuvres de Boris Taslitzky. Les Levalloisiens vont devoirdéposer un nouveau recours et donc encourir des frais supplé-mentaires. Nous recourons donc une nouvelle fois à votre générosité [4]et vous invitons à faire connaître notre cause. L’engagementest plus impératif que jamais ! Soyons encore une fois solidai-res, apportons notre soutien : pour l’art, pour l’enfance,contre la spéculation< PNM

[1] cf. entretien « Taslitzky, témoin de l’avenir» recueilli par Hélène Amblard etpublié dans les PNM n° 332 à 335 (décembre 2015 à avril 2016). [2] Crèche Louise Michel, 13 rue Vergniaud, Levallois-Perret - Panneaux : 9m x 3m avec un retour de 2m x 3m pour l'un, 5m x 3m pour un autreet 3m x 2,25 pour les trois plus petits.[3] cf. PNM n° 328 Hors série (Appel de l’UJRE – Son œuvre doit être sauvée)[4] http://comiteboris.wordpress.com/2015/11/25/soutien-financier ouchèque rédigé à l’ordre de UJRE/PNM – soutien au Comité Boris àadresser à l’UJRE/PNM (Comité Boris) – 14 rue de Paradis – 75010 Paris

Exposition

8 Presse Nouvelle Magazine n°349 - Octobre 2017

Boris Taslitzky au MAHJ(Chronique du quotidien à Buchenwald)

En 2016, la fille du peintre Boris Taslitzky, Évelyne Taslitzky, faisait donation au Musée d’art et d’histoire duJudaïsme (MAHJ) d’un ensemble d’œuvres de son père comprenant deux tableaux datant de 1927, un autoportraità l’âge de seize ans et un portrait de sa mère, assassinée à Auschwitz, et dix dessins réalisés à Buchenwald, de 1944 à1945. Le Musée en organise l’exposition du 27 septembre 2017 au 22 avril 2018. à voir impérativement !

Fils de Smerko Taslitzky, un ingé-nieur, et d’Anna Riback, coutu-rière et fille de rabbin, tous deux

immigrés de Russie, Boris naît à Parisen 1911. à quinze ans, il fréquente déjàles académies de Montparnasse, puisl’École nationale des beaux-arts deParis. Son atelier devient vite un lieu derencontre où se retrouvent des écrivainscomme George Besson, FrancisJourdain, Louis Aragon et les peintresGromaire, Lurçat, Gimond, Giacometti,Picasso…La mort de son père, tué au front en1915, lui inspire une haine de la guerre.En 1933, il rejoint l’Association desécrivains et artistes révolutionnaires(AEAR) qui s’élève contre la montéedu fascisme. Il sera le secrétaire généralde sa section des Peintres et Sculpteurs.Deux ans plus tard, en 1935, il adhèreau Parti communiste. Le Front popu-laire le mobilise.

En 1936, lors de la présentation deQuatorze Juillet, une pièce de RomainRolland, il participe à l’exposition qui

réunit notamment Picasso, Léger,Matisse, Braque, Jean Lurçat, Henri

Laurens et Pignon dansle hall du théâtre del’Alhambra. En 1937,il dessine pour le jour-nal progressiste Cesoir d’Aragon et Jean-Richard Bloch. Ildevient en 1938, secré-taire général desPeintres et Sculpteursde la Maison de laCulture de Paris.Arrive la guerre.Mobilisé, BorisTaslitzky est fait pri-

sonnier en juin 1940. Il s’évade en août,rentre à Paris et s’engage dans laRésistance au sein du Front national de

lutte pour la libération et l’indépen-dance de la France. Arrêté en novem-bre 1941, condamné à deux ans d’incar-cération, il connaît les prisons de Riomet de Mauzac avant d’être interné aucentre de Saint-Sulpice-la-Pointe en1943. Francis Crémieux, un grand jour-naliste et écrivain racontait : « Un jourde novembre 1943, nous avons vu arri-ver à Saint-Sulpice un grand garçonaux cheveux noirs filés de blanc. […] Ilavait un nom très difficile à prononcer ;on ne l’appelait que par son prénom. Ilétait peintre, dessinateur, on ne savaitpas très bien. Tout de suite, on luidemanda de peindre des décors de théâ-tre […] avec de la peinture à l’eau,arrachée aux griffes de l’administrationdu camp, sur de la toile depaillasse… ».C’est ainsi que Boris Taslitzky peint unensemble de fresques gigantesque dansles baraquements du camp. Au début del’année 1945, Aragon le qualifiera de« Maître de Saint-Sulpice » dans larevue de sensibilité communisteRegards : « Extraordinaires fresquesénormes [elles mesurent cinq mètres delong sur trois mètres de haut NDR]. Lespersonnages en sont presque deux foisgrandeur nature. Calmement, devantles G.M.R., les miliciens, les Boches,celui que nous appellerons donc leMaître de Saint-Sulpice les peignitcomme un défi, incompréhensiblementsupporté par les geôliers ». Le 31 juillet 1944, Boris est déporté àBuchenwald. Il y rejoint la Résistanceintérieure et participera à l’insurrectionde 1945. Mais surtout, il se fait témoinde l’univers concentrationnaire nazi en

réalisant, clandestinement, près de deuxcents croquis et dessins, et cinq aquarel-les. Aragon en tirera, en 1946, un albumintitulé Cent dessins faits àBuchenwald. L’album sera réédité en1978 par l’Association Buchenwald-Dora, l’ensemble très largement enrichiest paru ensuite en avril 2009 chez BiroÉditeur. Le Musée d’Art et d’Histoire duJudaïsme a consacré à ce témoignagegraphique une exposition en 2006.Après la guerre, Boris Taslitzky, dont lamère a été assassinée à Auschwitz, s’en-gage dans la lutte anticolonialiste,consacrant une série de dessins et depeintures à l’Algérie et à son peuplesous tutelle française. Ils seront présen-tés à la galerie parisienne André Weil enjanvier 1953.« Si je vais en enfer, disait-il, j’y feraides croquis. D’ailleurs, j’ai l’expé-rience, j’y suis déjà allé et j’y ai dessiné ! ». < BF

* Faites entrer l’infini, n° 17, juin 1994

Les 5 ans de Drancy

Le Mémorial de la Shoah deDrancy a cinq ans. à cette occa-

sion, une exposition « Drancy, auseuil de l’enfer, dessins de GeorgesHoran-Koiransky »* y est organiséeen partenariat avec le département dela Seine-Saint-Denis, du 17 septem-bre 2017 au 15 avril 2018. <*http://drancy.memorialdelashoah.org

* Georges Horan fut un témoin bien particu-lier du plus grand camp de transit des Juifs enFrance : Drancy. Tout au long de son interne-ment, il a su observer et croquer le quotidiende « la cité de la Muette ... »

À voir

Le vous informe - Retour sur l’affaire de la crèche de Levallois