développement durable un potager sur le toit? l’idée germe

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20 Genève Tribune de Genève | Vendredi 13 février 2015 Contrôle qualité PUBLICITÉ Les funambules du SEVE assurent le spectacle en taillant les platanes La campagne de taille hivernale bat son plein. Les jardiniers au travail dans les arbres sont des grimpeurs chevronnés. Récit Il y a les tailleurs, les ramasseurs et les «sauterellistes». Les quoi? Les gars qui disposent au pied des arbres une échelle mobile appelée justement sauterelle. Employés du Service des espaces verts (SEVE), ces gars-là sont des artis- tes. Leur outil de travail exige un pied ferme et une main sûre. Cha- que jour de cette semaine, on peut les suivre en activité dans l’espace public. Spectacle pour tous. Avant- hier, sur le quai Turrettini, sous un soleil de rêve. Hier sur la place Isaac-Mercier. Les arbres sont des platanes. Ils subissent sans bron- cher leur taille annuelle. Au sol, les chutes des pousses négociées à la scie japonaise. Entre une tonne et 2,8 tonnes par jour. «Il s’agit pour nous d’entrete- nir la forme architecturée des branches qui font une boule res- semblant un peu au crâne d’un chat», explique Philippe Basting, le chef de secteur arbres au SEVE. D’où l’expression, pour qualifier ces boursouflures à l’extrémité des charpentières, de taille en tête de chat. Sur Isaac-Mercier, les chats ont plutôt des allures de hi- boux, car les sept platanes concer- nés atteignent une hauteur im- pressionnante, rivalisant avec le 4e étage des proches immeubles. De la famille des grandes es- sences comme le cèdre ou le sé- quoia; bref «de beaux arbres à grimper». Nicolas Parcineau aime cela, grimper dans les arbres de mi-novembre à mi-mars, passer de l’équipe tonte à l’équipe taille. «Le reste de l’année, je conduis une tondeuse papillon dans les parcs et le long des quais. Le bou- lot actuel est plus sportif. Bon pour le corps, bon pour la tête, même si certains chantiers de taille sont directement exposés au bruit de la circulation.» Et le sauterelliste, il en pense quoi? Plaisir partagé et réponse aimable qui ferait le début d’un joli portrait. L’homme s’appelle Yves Jaquier, trente ans de jardi- nage municipal. «Un matin, je suis resté bloqué au beau milieu d’une grande branche qui partait à plat, témoigne-t-il. Vertige paralysant: j’ai arrêté la taille, j’ai commencé la sauterelle, qui monte quand même à sept bons mètres…» De ce chantier itinérant, il faut encore Taille en tête de chat pour les platanes de la place Isaac-Mercier, assurée par les jardiniers virtuoses du SEVE. OLIVIER VOGELSANG savoir ceci: tout est taillé à la scie manuelle et au sécateur électri- que. On ajoutera avec M. Basting que «chaque outil est désinfecté avant d’opérer sur l’arbre suivant, afin d’éviter tout risque de conta- mination du chancre coloré, la maladie vasculaire du platane». Les déchets sont ainsi brûlés. Pas question d’en faire des copeaux. Thierry Mertenat Découvrez nos images sur www.arbres.tdg.ch A Paris, un restaurateur propose dans son menu une production locale qu’il fait pousser en toiture. Développement durable Un potager sur le toit? L’idée germe Un privé a entrepris les démarches afin de créer un jardin sur son immeuble. Une première à Genève Théo Allegrezza Parmi les requêtes en autorisation de construire de la fastidieuse Feuille d’avis officielle (FAO), une attire l’attention: «Création d’un potager sur un immeuble exis- tant.» Un propriétaire souhaite aménager sur le toit de son im- meuble de la rue des Bains un jardin afin d’y cultiver des légu- mes, des herbes ou encore des épices. «On va voir ce qu’on arrive à faire pousser sur les toits de Ge- nève», s’enthousiasme Antoine Hubert. Végétaliser les toits, le concept est courant depuis les années 70 à New York, Tokyo, Paris… Plus près, à Bâle, un quart des toits sont verts. Mais pas à Genève. «A notre connaissance, il ne me sem- ble pas qu’il existe de potagers urbains dans le canton», croit sa- voir Sébastien Beuchat, directeur du paysage à l’Etat de Genève. «Des acteurs y réfléchissent. Les plans sont là, mais ils sont en at- tente d’autorisation puis de réali- sation», précise-t-il. L’idée germe dans la tête d’An- toine Hubert lors d’un voyage à New York. Il observe que de nom- breux bistrots proposent dans leur menu une production locale qu’ils font pousser dans des pota- gers installés en toiture. Pourquoi ne pas faire pareil à Genève? Cela tombe bien, l’homme d’affaires a repris le Café des Bains en 2012 et a aménagé depuis un patio à l’ar- rière de l’immeuble. «C’est une démarche originale qui nous per- mettrait de nous distinguer. Le but, c’est de dire: «La salade qu’on vous sert, on l’a coupée nous-mê- mes ce matin.» Le toit, lieu de rencontre En juin dernier, une motion si- gnée par l’ensemble des partis du Grand Conseil, à l’exception nota- ble des Verts et du PLR, deman- dait au Conseil d’Etat de promou- voir la végétalisation des toits. Partant du constat que le terri- toire disponible devient toujours plus exigu, le texte recommande l’implantation en toiture non seu- lement de potagers, mais aussi de jardins familiaux. «Les toits pour- raient devenir de véritables lieux de rencontre entre les habitants d’un immeuble», s’emballe la dé- putée UDC Christina Meissner. Mais la motion est restée lettre morte, noyée sous les projets de lois. «Mais je reviendrai bientôt à la charge», promet l’élue. Antoine Hubert n’a pas encore décidé si son potager, qui pourrait s’étendre sur une surface avoisi- nant 100 mètres carrés, sera ac- cessible à tous les résidents de l’immeuble. «Il y a notamment des problèmes liés à la sécurité», s’excuse-t-il. A la Direction du paysage, on assure être prêt à sou- tenir financièrement ou techni- quement les démarches visant à créer des potagers ou des jardins urbains. «Derrière le potager, il y a des contacts sociaux, la question de l’appartenance à un quartier, estime Sébastien Beuchat. Dans une ville qui se densifie chaque jour un peu plus, les toits consti- tuent une bonne opportunité de recréer des espaces de vie com- mune.» La jungle des autorisations Avec leur capacité d’absorber la chaleur et de protéger les maté- riaux d’étanchéité, les toitures vé- gétalisées ont en outre des vertus écologiques évidentes. Mais alors pourquoi à Genève tous les toits restent-ils désespérément gris? Sébastien Beuchat reconnaît qu’il existe des écueils, tels que la cas- cade d’autorisations diverses et variées qu’il faut obtenir ou le coût – de 35 à 100 francs le mètre carré – d’une telle opération. Un coût qui décourage par exemple les maraîchers genevois d’investir dans ces espaces surélevés, jugés pas viables économiquement. «Cent mètres carrés pour sa pro- duction personnelle, c’est facile à trouver. Mais un hectare, c’est tout de suite plus compliqué», ad- met Sébastien Beuchat. Enfin, un potager requiert l’installation d’une couche de terre d’au moins 20 centimètres et tous les toits n’ont pas la capacité de soutenir une telle charge. On saura dans les prochains mois si l’immeuble de la rue des Bains en fait partie. «Derrière le potager, il y a des contacts sociaux, la question de l’appartenance à un quartier» Sébastien Beuchat Directeur du paysage à l’Etat de Genève PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

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20 Genève Tribune de Genève | Vendredi 13 février 2015

Contrôle qualitéGE200.CH_Programme_III_TDG_143_220mm.indd 2 10.02.15 16:07

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Les funambules du SEVE assurentle spectacle en taillant les platanes

La campagne de taille hivernale bat son plein. Les jardiniers au travail dans les arbres sont des grimpeurs chevronnés. Récit

Il y a les tailleurs, les ramasseurset les «sauterellistes». Les quoi?Les gars qui disposent au pied desarbres une échelle mobile appeléejustement sauterelle. Employésdu Service des espaces verts(SEVE), ces gars-là sont des artis-tes. Leur outil de travail exige unpied ferme et une main sûre. Cha-que jour de cette semaine, onpeut les suivre en activité dansl’espace public.

Spectacle pour tous. Avant-hier, sur le quai Turrettini, sousun soleil de rêve. Hier sur la placeIsaac-Mercier. Les arbres sont desplatanes. Ils subissent sans bron-cher leur taille annuelle. Au sol,les chutes des pousses négociées àla scie japonaise. Entre une tonneet 2,8 tonnes par jour.

«Il s’agit pour nous d’entrete-nir la forme architecturée desbranches qui font une boule res-semblant un peu au crâne d’unchat», explique Philippe Basting,le chef de secteur arbres au SEVE.D’où l’expression, pour qualifierces boursouflures à l’extrémitédes charpentières, de taille en têtede chat. Sur Isaac-Mercier, les chats ont plutôt des allures de hi-boux, car les sept platanes concer-nés atteignent une hauteur im-pressionnante, rivalisant avec le4e étage des proches immeubles.

De la famille des grandes es-sences comme le cèdre ou le sé-quoia; bref «de beaux arbres àgrimper». Nicolas Parcineau aimecela, grimper dans les arbres demi-novembre à mi-mars, passerde l’équipe tonte à l’équipe taille.«Le reste de l’année, je conduisune tondeuse papillon dans lesparcs et le long des quais. Le bou-lot actuel est plus sportif. Bon

pour le corps, bon pour la tête,même si certains chantiers detaille sont directement exposés aubruit de la circulation.»

Et le sauterelliste, il en pensequoi? Plaisir partagé et réponseaimable qui ferait le début d’unjoli portrait. L’homme s’appelleYves Jaquier, trente ans de jardi-nage municipal. «Un matin, je suisresté bloqué au beau milieu d’unegrande branche qui partait à plat,témoigne-t-il. Vertige paralysant:j’ai arrêté la taille, j’ai commencéla sauterelle, qui monte quandmême à sept bons mètres…» De cechantier itinérant, il faut encore

Taille en tête de chat pour les platanes de la place Isaac-Mercier, assurée par les jardiniers virtuoses du SEVE. OLIVIER VOGELSANG

savoir ceci: tout est taillé à la sciemanuelle et au sécateur électri-que. On ajoutera avec M. Bastingque «chaque outil est désinfectéavant d’opérer sur l’arbre suivant,afin d’éviter tout risque de conta-mination du chancre coloré, lamaladie vasculaire du platane».Les déchets sont ainsi brûlés. Pasquestion d’en faire des copeaux.Thierry Mertenat

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A Paris, un restaurateur propose dans son menu une production locale qu’il fait pousser en toiture.

Développement durable

Un potager sur le toit? L’idée germeUn privé a entrepris les démarches afin de créer un jardin sur son immeuble. Une première à Genève

Théo Allegrezza

Parmi les requêtes en autorisationde construire de la fastidieuseFeuille d’avis officielle (FAO), uneattire l’attention: «Création d’unpotager sur un immeuble exis-tant.» Un propriétaire souhaite aménager sur le toit de son im-meuble de la rue des Bains unjardin afin d’y cultiver des légu-mes, des herbes ou encore desépices. «On va voir ce qu’on arriveà faire pousser sur les toits de Ge-nève», s’enthousiasme AntoineHubert.

Végétaliser les toits, le conceptest courant depuis les années 70 àNew York, Tokyo, Paris… Plusprès, à Bâle, un quart des toitssont verts. Mais pas à Genève. «Anotre connaissance, il ne me sem-ble pas qu’il existe de potagersurbains dans le canton», croit sa-voir Sébastien Beuchat, directeurdu paysage à l’Etat de Genève.«Des acteurs y réfléchissent. Lesplans sont là, mais ils sont en at-tente d’autorisation puis de réali-sation», précise-t-il.

L’idée germe dans la tête d’An-toine Hubert lors d’un voyage àNew York. Il observe que de nom-breux bistrots proposent dans leur menu une production localequ’ils font pousser dans des pota-gers installés en toiture. Pourquoine pas faire pareil à Genève? Celatombe bien, l’homme d’affaires arepris le Café des Bains en 2012 eta aménagé depuis un patio à l’ar-rière de l’immeuble. «C’est unedémarche originale qui nous per-mettrait de nous distinguer. Lebut, c’est de dire: «La salade qu’onvous sert, on l’a coupée nous-mê-mes ce matin.»

Le toit, lieu de rencontreEn juin dernier, une motion si-gnée par l’ensemble des partis duGrand Conseil, à l’exception nota-ble des Verts et du PLR, deman-dait au Conseil d’Etat de promou-voir la végétalisation des toits. Partant du constat que le terri-toire disponible devient toujoursplus exigu, le texte recommandel’implantation en toiture non seu-lement de potagers, mais aussi dejardins familiaux. «Les toits pour-raient devenir de véritables lieuxde rencontre entre les habitantsd’un immeuble», s’emballe la dé-putée UDC Christina Meissner.Mais la motion est restée lettremorte, noyée sous les projets delois. «Mais je reviendrai bientôt àla charge», promet l’élue.

Antoine Hubert n’a pas encore

décidé si son potager, qui pourraits’étendre sur une surface avoisi-nant 100 mètres carrés, sera ac-cessible à tous les résidents de l’immeuble. «Il y a notammentdes problèmes liés à la sécurité»,s’excuse-t-il. A la Direction dupaysage, on assure être prêt à sou-tenir financièrement ou techni-

quement les démarches visant àcréer des potagers ou des jardinsurbains. «Derrière le potager, il ya des contacts sociaux, la questionde l’appartenance à un quartier,estime Sébastien Beuchat. Dansune ville qui se densifie chaquejour un peu plus, les toits consti-tuent une bonne opportunité de

recréer des espaces de vie com-mune.»

La jungle des autorisationsAvec leur capacité d’absorber lachaleur et de protéger les maté-riaux d’étanchéité, les toitures vé-gétalisées ont en outre des vertusécologiques évidentes. Mais alors

pourquoi à Genève tous les toitsrestent-ils désespérément gris?Sébastien Beuchat reconnaît qu’ilexiste des écueils, tels que la cas-cade d’autorisations diverses etvariées qu’il faut obtenir ou le

coût – de 35 à 100 francs le mètrecarré – d’une telle opération. Uncoût qui décourage par exempleles maraîchers genevois d’investirdans ces espaces surélevés, jugéspas viables économiquement.«Cent mètres carrés pour sa pro-duction personnelle, c’est facile àtrouver. Mais un hectare, c’esttout de suite plus compliqué», ad-met Sébastien Beuchat. Enfin, unpotager requiert l’installationd’une couche de terre d’au moins20 centimètres et tous les toitsn’ont pas la capacité de soutenirune telle charge. On saura dans lesprochains mois si l’immeuble dela rue des Bains en fait partie.

«Derrière le potager, il y a des contacts sociaux, la question de l’appartenance à un quartier»Sébastien BeuchatDirecteur du paysage à l’Etat de Genève

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