du trottoir à la métropole, les échelles de l'habiter
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essai de master 1 Arts Plastiques spécialité esthétique et histoire des arts plastiques contemporainsTRANSCRIPT
DU TROTTOIR A LA METROPOLE,
LES ECHELLES DE L'HABITER.
Projet de détermination - Mai 2013
Université Paris 8 Master 1 ARTS PLASTIQUES spécialité Esthétique et Histoire des Arts Plastiques
Héloïse CHAIGNE - s12317318 Directeur de recherche : Philippe NYS
SOMMAIRE
Introduction 3
I. Habiter / l'appropriation de la ville 6 i. Qui possède qui ? – La relation amoureuse ville/sujet 6
ii. Habitudes et tourisme – habiter et visiter 9 iii. La condition nomade 11
II. Habiter / l'expérience physique – la marche 14
i. Le corps comme mesure, la marche comme expérience, le trajet comme lecture 15 ii. Face à la démesure : les postures du marcheur 17
iii. La marche comme résistance 19s
III. Habiter / la représentation de la ville 22 i. L'exhaustivité ou lister la ville 23
ii. La métonymie ou le génie du lieu 25 iii. La ville au pluriel 27
Conclusion 30
Bibliographie 33
Bibliographie prévisionnelle 35
2
J'aime marcher dans Paris. Parfois pendant tout un après-midi, sans but précis, pas
vraiment au hasard, ni à l'aventure, mais en essayant de me laisser porter. Parfois en
prenant le premier autobus qui s'arrête (on ne peut plus prendre les autobus au vol). Ou bien
en préparant soigneusement, systématiquement, un itinéraire. Si j'en avais le temps,
j'aimerais concevoir et résoudre des problèmes analogues à celui des ponts de Königsberg,
ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, n'emprunterait que
des rues commençant par la lettre C.1
1 PEREC Georges, Espèces d'espaces, Paris, Éditions Galilée, 1974, p. 87
3
Introduction
« J'aime ma ville, mais je ne saurais dire exactement ce que j'y aime. »2 Comme Perec
le dit, nous aimons notre ville. Le sujet ici est la manière dont on habite la ville, dont on l'aime,
dont on la perçoit. Il est bien questions de goût (par le verbe aimer), de subjectivité (par
l'emploi de la première personne), d'appropriation et d'habitation (par le possessif), de
représentation (par le doute). Nous voulons poser ici la question de l’expérience individuelle de
l’homme dans la ville.
Aujourd'hui, le phénomène d'expansion urbaine a amené une grande variété de
formulations : on parle de métropoles, de mégalopoles, de villes-monstres, de villes-mondes,
etc. Les transformations industrielles nous ont entrainés vers les villes modernes, pratiquées et
décrites par Benjamin, Simmel, Kracauer, etc. On a vu apparaître la figure du flâneur, le
passage de la promenade à une dérive dans un monde consumériste. Aujourd'hui, post
industrialisation, les transports se sont accélérés et sont presque tous à grande vitesse, les
réseaux aériens se sont développés jusqu’à nous rendre accessible les lieux les plus
inaccessibles, les nouveaux modes de communications nous permettent de consulter des
données cartographiques et de transmettre immédiatement des informations, et tout cela à
distance. Nous avons presque le don d’ubiquité. Notre milieu est désormais un réseau, et induit
de nouvelles formes de vie, dont la circulation et la communication sont les vecteurs. On parle
même de la fin de la ville. Les villes comme Berlin ou Paris, « capitales de la modernité » pour
paraphraser Benjamin, ont tendance aujourd'hui à se normaliser pour la première ou à se
muséifier pour la seconde. Si Berlin a su étendre ses limites administratives pour englober son
grand Berlin, les qualités d'avant-garde et de dynamisme qui l'ont rendues célèbres semblent
s'être ralenties. Paris, première ville visitée du monde, reste enfermée dans ses limites du
périphérique, et ne semble plus attirer autant.3 Les villes qui représentent le dynamisme,
l'effervescence, le « là-où-cela-se-passe » ont dépassé les frontières européennes : proche de
nous on pense à Tel-Aviv, qui représente le nouveau Berlin, plus loin on pense aux métropoles
sud américaines ou asiatiques : Shanghai, New Delhi, Rio de Janeiro, ou encore Johannesburg.
Toutes ces villes ont atteint des tailles qui nous dépassent. A l'heure du débat global/local, où
nous avons conquis presque tout l'espace à notre disposition, où l'on critique la croissance
exponentielle, où l'on valorise la production locale, tout en chérissant la communication 2 Ibid. p. 87 3 Voir l'intervention de Julia Nyikos lors de la journée d'étude MESURES DE PARIS, GRAPHIES,
GRAPHIQUES du samedi 27 octobre 2012, Université Paris 8 / École Nationale Supérieure d'Architecture La Villette
4
illimitée, l'amour des grandes villes ne fléchit pas. Si pour Régine Robin, « cet amour des très
grandes villes a toujours rencontré de l'hostilité, de l'incompréhension, de l'ironie, voire de la
consternation »4, il nous semble être tout de même relativement reconnu et admis. Et
compréhensible, car selon les termes de Walter Benjamin, la ville est « la réalisation du rêve
ancien de l’humanité : le labyrinthe ».5
Qu'en est-il alors de notre pratique urbaine, de notre habitation, dans des « villes » qui
ne font que s'agrandir, se développer jusqu'à atteindre des échelles inhumaines, dans des
labyrinthes urbains ? Quand Italo Calvino écrit Les Villes invisibles, il se demande : « Que
représente la ville pour nous, aujourd'hui ? Je pense avoir écrit une sorte de dernier poème
d'amour aux villes, au moment où il devient de plus en plus difficile de les vivre comme des
villes. Nous nous approchons peut-être d'un moment de la crise de la vie urbaine, et Les Villes
invisibles sont un rêve qui naît au cœur des villes invivables. »6
C'est cette question de la perception, du goût et de l'habitabilité de nos villes « invivables »
aujourd'hui que je cherche à interroger. Face à des tailles inhumaines, face à des ruptures
d'échelles brutales entre notre condition de piéton et l'immensité urbaine, comment vit-on la
ville ? Comment habite-t-on la ville ? Car en effet, le terme habiter semble à la fois trop intime
et trop vaste. On peut penser au départ qu'habiter fait référence à l'intérieur, un appartement qui
est un repli, un endroit privé. Pourtant on parle tout autant d'habiter un bâtiment qu'une rue, un
quartier, une ville, etc. Comment alors associer une notion qui sous-entend du privé, de
l'intime, à un espace public, extérieur voire étranger, et ce jusqu'aux échelles difficilement
concevables par l'esprit humain de nos villes contemporaines ? « En effet, nous voyons
intuitivement que l'habitat représente une certaine réalité physique saisissable empiriquement.
Et pourtant, en analysant l'habitat comme "substantif", comme "chose" - pour déterminer
l'extension de ce concept - où faut-il s'arrêter ? À l'appartement urbain d'un grand ensemble ; à
l'immeuble dont il fait partie ; à l'immeuble avec ses dépendances (par exemple avec un garage)
; à l'immeuble plus son « groupe » social et commercial ; à l’« ensemble » tout entier ; au
complexe ou à la région urbaine dont il fait partie ? »7 Si cela implique des échelles différentes
de la notion d'habiter, cela implique-t-il pour autant des manières différentes d'habiter ?
De Radkowski nous invite à ne pas réduire la question à une simple définition, mais plutôt à la
poser différemment. Si l'on s'intéresse tout d'abord au terme, habiter vient du latin habitare
« avoir souvent, fréquenter ». En découlent à la fois l'idée de « logement », « domicile » (par le 4 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p. 21 5 BENJAMIN, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre des passages, Paris, Le Cerf, 1997, p. 448 6 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p.6 7 DE RADKOWSKI Georges-Hubert, Anthropologie de l’habiter: vers le nomadisme, PUF, 2002, p.23
5
latin habitatio), mais aussi l'idée de « demeure du corps, de l'âme » habitaculum. Il semble
alors évident qu'habiter n'est pas seulement loger, et ne se réduit pas à l'habitation ou même
l'habitat. Pour De Radkowski, habiter regroupe toute une série de fonction : se réunir, dormir,
manger, se reposer, être en famille, et ne peut se réduire à « s'abriter ». Pour lui, la définition de
l'habiter a plus à voir avec la notion de lieu et de localisation : lorsque l'on dit « j'habite à
Paris », on se localise. « Or "localiser" un sujet signifie déterminer son lieu et "être localisé", la
possession par le sujet d'un lieu déterminé (sans lequel il n'y a pas de localisation possible : on
ne localise pas un météore, mais uniquement sa trajectoire). Autrement dit, "localiser", c'est
établir un rapport entre un sujet donné et un certain lieu […] et "être localisé", c'est soutenir
un tel rapport. »8 Et ce rapport entre le sujet et le lieu peut se définir de deux manières : d'une
part un rapport où le sujet serait membre ou représentant d'une ethnie, où habitat deviendrait le
« pays », d'autre part un rapport où le sujet est l'individu, et le lieu la « résidence » ou
« l'habitation ». Le premier fait référence à une condition nomade, le second à une sédentarité.
Nous retiendrons ici qu'habiter constitue en fait un « lieu de présence », que l'on a tendance à
chosifier, n'y voyant qu'un caractère spatial et non temporel. De Radkowski nous montre
cependant en quoi « habiter », en tant que « lieu de présence » donc, n'est pas une notion fixée
spatialement, mais bien mouvante, se déplaçant avec nous. Dans la lignée de De Radkowki,
nous nous demandons si l'espace-réseau, « dans lequel habiter ne veut plus dire résider, mais
circuler »9, nous entraîne vers un retour au nomadisme. Dans des villes à trop grande échelle,
dont la structure nous échappe, comment habite-t-on ? Notre première question concernera la
notion d'appropriation : possédons-nous la ville ? Ensuite, nous nous demanderons si habiter
une ville signifie-t-il y avoir des habitudes ? Quelle est la place de l'étrange ou de l'étranger ? Et
finalement, nous poserons la question de la sédentarité.
Nous nous intéresserons ensuite à l'expérience physique de la ville, à travers la pratique de la
marche, en abordant les notions de mesure, et de lecture de la ville. Nous tenterons de
comprendre la nature du rapport de l’individu à la foule, à travers la figure du flâneur. Puis
nous tenterons de montrer que la marche est une forme de résistance.
Enfin, nous regarderons du côté des représentations de la ville, à travers la question de la
description : nous verrons l’usage de l’exhaustivité, repris régulièrement tant par les artistes
marcheurs que par les écrivains, comme si appréhender la ville nécessitait de la comprendre –
au sens d’englober - toute entière. Puis nous verrons comment cette portraitisation de la ville
tend vers la recherche d’un génie du lieu. Enfin nous verrons en quoi la ville de l’individu, la
8 Ibid. p. 28 9 Ibid. p.146
6
ville subjective, se conjugue au pluriel, et qu’on ne peut parler d’une ville sans faire référence à
ses semblables ou ses concurrentes.
Habiter / l'appropriation de la ville
Nous avons beau vivre et habiter dans des villes qui nous semblent trop grandes et nous
rebutent, nous parlons toujours de la ville au possessif. En premier lieu, la question que nous
souhaiterions poser est : comment fait-on sienne une ville ? Comment une ville, si démesurée et
inaccessible soit-elle, devient-elle notre ville ? Quelles sont les pratiques qui transforment une
ville en un chez-soi ? Car nous voulons tout d’abord montrer comment nous nous approprions
la ville, et tenter de comprendre la nature de notre relation. Dans un premier temps, nous nous
demanderons dans quel sens va notre relation à la ville. Si nous utilisons toujours le possessif
pour parler du lieu que nous habitons, on peut s’interroger sur le rapport de force entre
l’habitant et sa ville, et les influences réciproques qui se jouent. Puis nous rapprocherons l'idée
d'habiter à l'idée d'habitude. Qu’est ce qui fait que l’on peut dire d’un lieu qu’on y habite ? A
partir de quand, et par quels moyens nous approprions-nous un lieu ? Enfin, nous verrons
comment l'homme semble avoir besoin toujours d'une comparaison, d'un autre lieu pour
« estranger » la ville. Car si l’homme élit un lieu de prédilection, il l’élit parmi d’autres.
i. Qui possède qui ? La relation amoureuse ville/sujet
« Une ville est toujours celle de quelqu'un » écrit Marcel Roncayolo. Qui ne cherche pas
sa ville ? On définit souvent le rapport de la ville à l'homme comme un rapport de possession :
ma ville. En effet ; « quel fondateur d'empire militaire, religieux, économique ou idéologique
n'a pas songé, ne serait-ce qu'un instant, à bâtir une ville à sa gloire, et à celle de son destin qu'il
considère nécessairement comme fabuleux ? [...] Chaque nouvel État veut « sa » ville, afin de
s'affirmer aux yeux du monde entier et de rompre avec le passé. »10 La ville est a priori une
projection de nous-mêmes, un lieu que l'on croit ou veut posséder, et qui nous représente. 10 PAQUOT Thierry, Les faiseurs de villes, 1850-1950, textes rassemblés par T. Paquot, Gollion, Infolio, 2010.
7
Cependant ce rapport précédemment constaté se transforme assez rapidement en
approfondissant. D'un objet inerte possédé, la ville devient personnifiée et on en parle comme
d'une entité indispensable à notre survie. Une ville qu'on aime, avec laquelle on entretient une
relation presque amoureuse. Comme chez Julien Gracq, qui d'emblée avec La forme d'une ville
exprime la relation d'influence des deux partenaires. « Ce n'était pas là seulement une ville où
j'avais grandi, c'était une ville où, contre elle, selon elle, mais toujours avec elle, je m'étais
formé. »11 Il présente la ville comme ayant presque une conscience propre, qui se cache et joue
avec lui. « Au surplus, je ne prétends en rien faire le portrait véridique d'une ville qui, au
travers de son prisme, n'a jamais laissé la lumière filtrer pour moi intacte. Je ne fais état, je l'ai
dit, que de sa présence en moi : la seule, de toutes les villes que j'ai connues, qui ne relève en
aucune titre de la vérification. »12 Sa formulation nous fait penser à une relation affective, où la
ville serait l'élue de son cœur, choisie comme compagne éternelle. En tant que citoyen,
habitant, n'étant qu'indirectement un « faiseur »13 de ville, il parle de la forme comme
subjective d'abord (celle qu'il perçoit) mais aussi changeante. Non pas un contour, mais une
tension dynamique qui agit tant sur lui que lui sur elle. « Je ne cherche pas ici à faire le portrait
d'une ville. Je voudrais seulement essayer de montrer – avec toute la part de gaucherie,
d'inexactitudes et de fiction que comporte un tel retour en arrière, – comment elle m'a
formé. »14 C'est la forme de la ville, mais la forme formante de la ville, qui vient le transformer,
le construire. Les rôles sont échangés, l'homme n'est plus le bâtisseur de la ville, c'est la ville
qui modèle l'homme. Comme pour Régine Robin qui va même jusqu'à parler d'un devenir-ville
dans sa conclusion :
« Qu'est ce que tu faisais à Berlin ?
Qu'est ce tu voulais que je fasse, je berlinais, je me berlindébinais, je me berlinbobinais je
m'emberlinais, quoi! »15 C'est finalement l'appropriation première de l'habiter : si l'on fait sien
un lieu, on en devient un habitant. Et habiter Berlin par exemple revient à devenir Berlinois.
Alors qui influence qui ? On habite la ville, mais c'est elle qui nous qualifie, qui nous
détermine, qui nous définit.
Et pour aller plus loin, on pourrait même parler d'une assimilation, d'une équivalence, entre la
ville et l'homme. « L'être constitue une dernière forme possible de possession. Si je m'identifie
à l'objet, il ne m'est plus étranger ; je deviens sa substance. Ainsi le roi d'Angleterre était 11 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p.197 12 Ibid., p.144 13 Terme choisi et expliqué par Thierry Paquot dans l’introduction des faiseurs de villes, 1850-1950, textes
rassemblés par T. Paquot, Gollion, Infolio, 2010, 509 p. 14 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p.7. 15 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p.
8
l'Angleterre, le duc de Bourgogne était la Bourgogne. [...] L'homme peut consentir à se
déposséder de lui-même et à s'abolir dans la ville. »16 J'habite Berlin, je suis Berlin, et non pas
j’habite Berlin, Berlin m’appartient. Je suis le lieu, et non pas j’ai le lieu.
Progressivement, la ville qui était d'abord un lieu de représentation de soi (d'un pouvoir, d'une
identité, d'une croyance) devient le lieu qui nous influence, voire qui nous constitue. Et cela
peut aller plus loin : « si huit heures par jour tu travailles comme tailleur d'agates, d'onyx, de
chrysoprases, ta peine qui donne forme au désir prend du désir sa forme, et tu crois jouir de
toute Anastasie alors que tu en es seulement l'esclave. »17 Dans Les Villes invisibles, Italo
Calvino imagine cette ville – Anastasie – dans laquelle nous projetons tous nos désirs ; tout y
est bénéfice, plaisir, jouissance, mais en apparence seulement. Car pour que pour ces désirs
existent, il faut les produire, et la ville se sert de l'homme désirant pour les fabriquer. La ville
en devient « trompeuse » mais aussi « maléfique » et « bénéfique » selon les points de vue.
Mikel Dufrenne fait un constat similaire : « Lorsque Sansot écrit : "Pour distinguer
sérieusement deux lieux réels, ne faut-il pas d'abord chercher ce qui les distingue
imaginairement, se demander de quels prolongements oniriques ils sont capables", il se garde
de dire que l'imaginaire est le fait de la subjectivité : il est au contraire le fait du réel, et ce sont
les images de la ville, on oserait dire ses fantasmes, qui s'animent dans les rêves des hommes.
Ainsi les citadins sont-ils vraiment à l'image de leur ville. »18
La production de la ville est aussi questionné par Pierre Sansot dans son introduction à
Poétique de la ville : « Que produit-elle ? Non point des légumes ou des céréales, mais des
monuments, des personnages, des actes de tendresse ou de désespoir à son image – selon un
rapport de convenance (semblable à celui de l'œuvre et de son auteur) et pas seulement de
causalité. Vient un moment où nous devenons l'une de ses créations. »19
Pour Régine Robin, dont le point du vue est celui d'une « habitante » qui raconte ses villes, le
rapport est partagé : « J'habite une mégapole depuis ma naissance et depuis ma naissance la
ville m'habite ; depuis ma naissance la ville me dévore et je dévore la ville. [...] La ville comme
autobiographie. »20 Lorsqu'elle parle d'autobiographie, continue-t-elle à parler de la ville
comme un objet dans laquelle on la trouve, une ville qui serait alors toujours une représentation
d'elle-même ? À cette question Mikel Dufrenne répond que : « Ce n'est pas de déterminisme
qu'il s'agit, mais de réciprocité et de connivence : les hommes produisent leur ville comme la
16 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p.374 17 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p.18. 18 DUFRENNE Mikel, préface de SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p.12 19 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p.8. 20 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p.28
9
ville produit ses hommes, sans qu'aucun des partenaires puissent se targuer d'une initiative ou
d'une priorité. »21
On voit ainsi que le rapport de possession est plus compliqué qu’il n’y paraît : d'un objet
possédé la ville est devenue un milieu influent. Mais ne faudrait-il pas retourner encore une fois
la question, comme le dit Roncayolo - urbaniste et géographe - et repenser la place de l'habitant
dans sa ville : « Est-on en droit de réintroduire un rapport personnel entre l'habitant (ou le
visiteur) et ce phénomène qui le dépasse largement ? Non l'habitant quelconque, moyen, mais
vous, lui ou moi ? D'inverser la réflexion, car c'est d'ordinaire l'empreinte du milieu sur
l'individu qui est décrite plutôt que le rôle du sujet dans la pratique et la reconnaissance de sa
ville. »22
Quelles seraient cette pratique et cette reconnaissance de la ville ? Peut-on définir la pratique
habituelle, quotidienne de l’individu, comme ce qui lui fait habiter une ville et en parler au
possessif ?
ii. Habitudes et tourisme – habiter et visiter
Habiter, habitudes. Le rapprochement semble évident. On a vu qu'habiter allait bien au
delà du simple logement, mais se construisait à partir d'un lieu de présence. Quel est ce lieu de
présence ? Aurait-il des limites spatiales ? Si l'on va chercher l'étymologie d'habiter dans le
Dictionnaire Historique de la Langue Française, on constate bien une relation entre habiter et
habitude, mais indirecte. En effet, habitude vient du latin habitudo, « manière d'être »,
« embonpoint », lui même venant de habitus (maintien, tenue), lui même venant du latin habere
(se tenir, tenir, mais aussi occuper, posséder, avoir), tandis que habiter vient du latin habitare,
« avoir souvent, occuper ». On voit bien « les voies parallèles du maintien (manière d'être) et de
l'occupation (être là) ».23 À partir du XVe siècle, le mot prend le sens de « relation de tous les
jours avec quelqu'un, fréquentation ordinaire », progressivement, habitude devient une
« manière d'être, disposition acquise par la répétition ».
21 DUFRENNE Mikel, préface de SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p.12 22 RONCAYOLO Marcel, De la ville et du citadin, Marseille, Éd. Parenthèses, 2003, p.53 23 REY Alain [dir.], Dictionnaire Historique de la Langue Française, 2010.
10
Plus que l’étymologie de l’habitude, c’est plutôt la différence entre les termes de terrain et de
territoire qui nous semble être en jeu ici. Si le territoire est emprunté (1278, terretoire), avec
adaptation du suffixe, au latin classique territorium «étendue sur laquelle vit un groupe
humain» et, en latin chrétien, «pays, paysage», dérivé de terra ( —› terre) et dont une forme
altérée est terroir, le terrain est issu (v. 1155) du latin terrarium, neutre substantivé de l’adjectif
terrenus «formé de terre», «qui a rapport à la terre», de terra ( —› terre). Le territoire est le
terrain où la présence de l’homme constitue peut-être cet habiter que l’on cherche. Ici nous
voudrions faire l'hypothèse que le lieu habité, c'est celui de nos habitudes, c’est-à-dire notre
territoire. Nous considérons alors que la ville est un terrain, que le lieu de l’habiter, c'est celui
de nos trajets quotidiens, de notre rapport familier avec les lieux, celui de notre présence. Le
café où l'on est un habitué, le marché ou le supermarché où l'on va faire ses courses, le lieu de
notre travail, bref, tous ces lieux que l'on fréquente avec régularité. « Habiter une ville, c'est y
tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours très généralement articulés
autour de quelques axes directeurs », écrit Julien Gracq dès la première page de La forme d'une
ville. Pour habiter une ville, il faudrait instaurer une relation régulière avec elle. « [...] ce sont
les relations que vivent les habitants avec leur habitat qui créent l’habitat proprement dit. « Le
tourisme est non seulement fait de rites et de cérémonies collectives. […] qui manifestent son
tribalisme, mais il présuppose encore […] un imaginaire de l’espace. […] Il transporte aussi
avec lui une vision du monde, une façon de voir, un code de perception à partir duquel il
interprète les espaces.» (Jean-Didier Urbain, L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Paris :
Payot, 1991, p.145.) [...] Dans un premier temps, le protagoniste définit des lieux qui sont
comme des repères pour lui ou pour la société à laquelle il appartient. Dans un deuxième temps,
ses lieux [celui du héros ndlr.] sont mis en images et en récit et vêtu [sic] d’une substance qui
leur donne du sens. Cette deuxième phase est une phase identificatoire. Le héros, à travers le
rapport qui le lie aux lieux de sa vie, tisse les premiers éléments d’une spatialité qui l’unit à un
espace plus vaste auquel appartiennent ces lieux. La troisième et dernière phase fixe des
limites, fluctuantes et temporaires. Ces limites définissent un territoire balisé par les différents
lieux déjà décrits. »24 Ainsi habiter s'opposerait à visiter, et le tourisme serait l’antonyme de
l’habiter. Pourtant, on se garde bien de faire d’une ville notre ville simplement lors d’une
visite : « Deux jours peuvent suffire pour que l'on commence à s'acclimater. [...] on commence
à prendre possession de la ville. Cela ne veut pas dire que l'on commence à l'habiter. » L’idée
de visite et de tourisme devient assez péjorative, étant corrélée à une vision superficielle de la
ville. Comme Julien Gracq, « On en vient à rêver quelquefois, à notre époque où le must 24 http://lta.hypotheses.org/235 , sur Mon voyage dans la maison de Florie Saint-Val, 9 avril 2012, Christophe Meunier
11
architectural, en toute ville qu'il visite, est imposé d'avance au touriste par les media, d'un autre
mode d'approche, plus fonctionnel, plus naturel et moins superstitieux, où on ne visiterait les
cathédrales que parce qu'on va à la messe, les vieilles demeures que parce qu'on y a des
amis. »25
Au delà de cet aspect négatif de la visite touristique d’une ville, nous pensons qu’il est
cependant très important de pratiquer les villes de ces deux manières. Car, par comparaison,
visiter une ville peut faire ressortir la nôtre. « Dans chaque ville de l'empire, chaque édifice est
différent et a une place particulière : mais à peine l'étranger arrive-t-il dans la ville inconnue et
jette-il un regard sur cette pomme de pin de pagodes, de mansardes et de granges, suivant les
capricieux dessins des canaux, des jardins et des tas d'immondices, que tout aussitôt il y
reconnaît les palais des princes, les temples des grands-prêtres, l'auberge, la prison, les bas-
fonds. Ainsi - dit-on - se confirme l'hypothèse selon laquelle tout homme a dans sa tête une
ville qui n'est faite que de différences, une ville sans forme ni figures, et les villes particulières
la remplissent. »26
Cette reconnaissance des villes les unes par rapport aux autres nous semblent fréquemment
utilisée. Le voyage, la différence, et ainsi le tourisme, seraient-ils alors nécessaire à
l’appropriation d’un lieu, par contraste ?
iii. La condition nomade
Cette nécessité de comparaison, nous la retrouvons de manière très frappante chez
certains auteurs. C’est avec une implacable régularité que, pour parler d'une ville, ils en
décrivent d'autres. Quand Julien Gracq nous explique en quoi Nantes est sa ville, il commence
par nous expliquer en quoi Angers ne l'est pas. Avant même de parler de Nantes, il nous parle
d’une autre ville : « Je ne peux dire pourquoi Nantes est restée ma ville sans éclaircir d'abord
les raisons qui font qu'Angers ne l'a jamais été. »27 S'en suit tout un chapitre consacré à la
25 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 11 26 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p. 43 27 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 11.
12
description d'Angers. Par la suite, il comparera Nantes à Amsterdam, à Madrid, à Rome28, et
fera de nombreuses références à d’autres villes parcourues. De manière similaire, dans Les
Villes invisibles, quand Kublai Khan se rend compte que Marco Polo ne lui parle jamais de
Venise, sa ville natale, celle qu'il habite, il s'étonne et lui pose la question, et Marco Polo lui
répond :
« - Chaque fois que je fais la description d'une ville, je dis quelque chose de Venise.
- Quand je t'interroge sur d'autres villes, je veux t'entendre parler d'elles. Et de Venise, quand je
t'interroge sur Venise.
- Pour distinguer les qualités des autres, je dois partir d'une première ville qui reste implicite.
Pour moi, c'est Venise.
- Alors tu devrais commencer tous tes récits de voyage par leur point de départ, en décrivant
Venise telle qu'elle est, et tout entière, sans rien omettre de ce que tu te rappelles.
[...]
- Les images de la mémoire, une fois fixées par les paroles, s'effacent, constata Polo. Peut-être,
Venise, ai-je peur de la perdre toute en une fois, si j'en parle. Ou peut-être, parlant d'autres
villes, l'ai-je déjà perdue, peu à peu. »29
Marco Polo ne veut pas parler directement de Venise, mais il sait qu’à chaque évocation d’une
autre ville, il parle toujours de la sienne, indirectement. On peut le comprendre comme si sa
ville était présente dans toutes les autres, mais aussi comme si Marco Polo – voyageur
professionnel – la transportait avec lui. Pour Régine Robin, c'est encore différent. Elle a élut
plusieurs lieux d’habitation : Londres, New York, Los Angeles, Tokyo, Paris, Berlin. Mais l'un
n'existe pas sans les autres. « Il faut que je sois là où je ne suis pas ».30 Dès qu'elle se trouve
dans un endroit, c'est l'appel du lointain qui sonne. Elle imagine une sorte de lieu abstrait, où
elle serait partout en même temps, comme si ces villes ne formaient ensemble qu'un seul lieu,
celui du chez-soi. Si l'attachement de Marco Polo se rapproche de celui de Gracq, leurs
manières de référer à leur ville sont bien différentes. Marco Polo la tait pour ne pas la perdre,
pour la conserver en mémoire, mais sait que dès qu'il parle d'une autre ville, il parle un peu de
sa Venise. Gracq a besoin, au contraire, pour mieux expliquer son Nantes, de parler d'autres
villes. Robin ne peut imaginer une seule ville comme le lieu de l'habitation, le chez-soi est par
nature multiple chez elle.
28 Ibid. pages 68, 117 et 113. 29 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p 105. 30 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p. 10.
13
C'est comme s'il fallait aborder le différent, l'autre, l'étranger, pour mieux parler de son propre
lieu, ou, dans le cas de Robin, pour constituer son propre lieu. Ou du moins, c'est comme si un
lieu ne pouvait être décrit que par rapport à un autre. Ainsi, habiter un lieu et l'élire comme le
chez-soi nécessite l'expérience d'autres lieux. On peut se demander alors s'il existe un habitat
unique, ou plutôt des habiter(s) et un chez-soi.
Ce désir de Régine Robin d'aller voir ailleurs peut se comprendre comme une nouvelle forme
de nomadisme. À propos de la sédentarité, De Radkowski nous dit que l'homme sédentaire est
l'homme « fixé au sol comme une plante : par sa racine. Du sol lui vient son existence. »31
L'objet du sédentaire est le lieu, accessible grâce au chemin. Le nomade, par contre, se
détermine par son projet : « non par ce que nous sommes, mais par ce que nous devenons ; non
par ce que nous savons, mais par ce que nous cherchons ; non par ce que nous avons, mais ce
dont nous manquons, nous désirons. »32 Ce désir (ou cette insatisfaction ?) de l'homme
contemporain pourrait s'apparenter (et le cas de Régine Robin nous semble exemplaire) à une
nouvelle forme de nomadisme. Le rapport à la ville a changé. L'espace de l'habitation, l'espace
résidentiel se base aujourd'hui, pour De Radkowski, non plus sur un rapport à la subsistance,
mais sur un rapport à la productivité. Autrefois les lieux de travail se choisissaient en fonction
du logement, tandis qu'aujourd'hui, dans un espace-réseau, le logement devient un
« branchement »33 sur le réseau. Roncayolo va également dans ce sens : « Le nomadisme
culturel n'est pas seulement passage, transit, coup d'œil, il est aussi apprentissage de codes, de
conduites. À vivre un peu et provisoirement à New York ou Rome, on devient un peu new-
yorkais ou romain. Et, on le sait, il n'y a pas plus parisien que « un Américain à Paris ». Le
territoire n'a pas disparu, il a – du moins pour certains d'entre nous – éclaté. »34
Au delà de cette condition nomade, Régine Robin parle aussi de « paysages familiers et
étranges à la fois ». Si les villes ont besoin d'être comparées, d'être confrontées à une forme
étrangère, cela peut-être par une forme extérieure, mais aussi peut-être à l'intérieur même de la
ville. Nous verrons en quoi la pratique de la ville peut-être une forme d'estrangement. Plus
spécifiquement, dans les pratiques étudiées nous nous arrêterons sur la marche, pratiquée par
des artistes marcheurs mais aussi de manière quotidienne par « vous, lui ou moi », comme le
disait Roncayolo35.
31 DE RADKOWSKI Georges-Hubert, Anthropologie de l’habiter: vers le nomadisme, PUF, 2002, p. 152. 32 Ibid. p. 157. 33 Ibid. p.146. 34 RONCAYOLO Marcel, De la ville et du citadin, Marseille, Éd. Parenthèses, 2003 35 RONCAYOLO Marcel, De la ville et du citadin, Marseille, Éd. Parenthèses, 2003, p.53
14
Habiter / l'expérience physique – la marche
Quelle meilleure manière de connaître une ville, de connaître un lieu que d’aller s’y
promener ? Dans des villes à l’échelle inhumaine, peut-on encore marcher ? Dans des villes
dont la forme, dont la structure n’est plus dirigée vers le piéton, dans des villes dé-
pédestralisée, peut-on encore marcher ? De manière surprenante, dans un monde global, où
nous avons l’impression d’être connectés à grande échelle, où nos déplacements sont mondiaux
et à grande vitesse, où d’énormes infrastructures routières entourent nos villes, on observe une
recrudescence des pratiques de marches et des politiques locales pour le pédestre. En France on
a vu récemment (et c’est toujours en cours) des projets qui rendent les centres-villes totalement
piétonniers. En parallèle, de nombreuses dérives et de promenades urbaines voient le jour.
Beaucoup d'associations, d'agences d'urbanisme ou d'architecture proposent des promenades
accompagnées thématisées, par exemple Smartcity, à la Cité U à Paris, ou EXPLO, qui
organise des « balades exploratoires » entre Nantes et St Nazaire pour « stimuler l’imagination
à propos du devenir de la métropole. »36 Aujourd’hui, on cherche à retrouver une pensée de la
ville à échelle humaine, soit en pratiquant soi-même ces villes, soit en utilisant la marche
comme un mode de rencontre et de débat citoyen.
La marche est l’expérience de la ville, le corps comme sensation comme première activation de
l’espace nous permet d’expérimenter ces nouvelles villes, mais aussi considérer qu’elles sont
toujours de l’ordre de l’espace réel et praticable. Car « D'abord, la ville comme le monde nous
est donnée comme inachevée. Être au monde ce n'est pas s'inscrire dans un ensemble, mais
naître à une réalité ouverte, à un horizon qui, par principe, recule quand je m'en approche. De
là, le rôle essentiel des trajets qui ne sont pas une forme de dilettantisme, mais la seule façon
d'appréhender la ville. »37
36 Interview personnelle d’EXPLO - Tibo Labat et Matthieu Picot, 2011. Information également sur
http://explo2010.wordpress.com/ 37 SANSOT Pierre, Rêveries dans la ville, Paris, Carnets Nord, 2008, p. 211
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i. Le corps comme mesure, la marche comme expérience, le trajet comme
lecture
Que cela soit par habitude ou par curiosité, nous marchons dans la ville. Habiter la ville,
c’est aussi l’habiter avec son corps, physiquement : « L’homme concerné par une ville
l'affronte de plein fouet. […] Il faut qu'il habite charnellement, il faut qu'il vive en sa présence,
il a besoin d'elle, c'est-à-dire de son haleine, de son visage, de son ciel, de sa rumeur. »38 La
marche est un moyen de se confronter à la ville, pour vivre l’espace, expérimenter l’espace. Il
s’agit de comprendre les rapports d’échelle en mettant directement son corps en confrontation
avec la ville trop grande. « Disons plutôt qu'une ville s'exprime selon une organisation formelle
qu'il nous faut reconnaître et reconstruire pour notre propre compte, quitte à se heurter parfois à
certaines villes qui ne se laissent pas construire. Une telle synthèse s'élabore au plus organique
de nous-mêmes : il faut qu'une ville entre dans nos talons, dans nos jambes et elle recoupe
d'autre codes partiels, comme la manière familière de nommer les monuments, les plats en
honneur, les moyens de transport. »39
C’est le moyen de connaître sa ville : ses changements, ses limites, sa taille et de tenter de
l’englober ou d’en mesurer son amplitude par notre corps. « "Est-ce que c'est toujours
Londres?" demande à Ian Sinclair un Français qui a l'air complètement perdu dans le quartier
de Hackney. Sinclair lui répond : "Vous saurez ce qu'est Londres après y avoir marché au
moins une heure." »40
Car notre premier moyen de mesure est le corps. Les premières mesures d’arpentages étaient
bien celles de notre corps : pieds, coudes, pouces, etc. La marche est donc à la fois le moment
de l’expérience spatiale, et le moment de la mesure. Sansot parle effectivement
d’appropriation quant à l’expérience corporelle de la ville : « Seulement l'appropriation me
semble mettre d'avantage d'accent sur une sorte de transsubstantiation : l'objet qui m'était
étranger se met à devenir un élément de ma sphère propre. (…) Je ne peux m'approprier une
réalité qu'en m'exposant, qu'en m'engageant moi-même, qu'en ouvrant une relation à la seconde
personne qui n'intervient pas toujours dans le travail et qui peut en entraver l'efficacité. De là le
38 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 369 39 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 364 40 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p.330
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rôle de ce qu'il y a en nous de plus chaud, de plus remuant, de plus sensibilisé : notre corps. »41
Marcher dans la ville, c’est aussi la connaître. On pourrait dire, comme Thierry Paquot, que
marcher dans la ville c’est la lire. « Le piéton en marchant lit sa ville, et interprète en temps
réel le texte qu'il parcourt ; il devient Hermès, le messager des dieux qui dialogue avec les
étrangers (d'où l'« herméneutique », l’interprétation). » Lorsque la discipline de la sémiologie
urbaine apparaît, Roland Barthes, en 1967, prononce à Naples une conférence intitulée
« Sémiologie et urbanisme » : « La ville exprime sans cesses des "significations", comme
n'importe quel espace habité (écoumène), .... Mais chaque ville, explique-t-il, n'est pas toujours
aisée à déchiffrer, car les "signifiés" (les significations) se bousculent et les "signifiants" (les
sons, les images) se dédoublent. Il conclut sa conférence par un appel : "Car la ville est un
poème, comme on l'a souvent dit, et comme Victor Hugo l'a exprimé mieux que quiconque,
mais ce n'est pas un poème classique, un poème bien centré sur son objet. C'est un poème qui
déploie le signifiant, et c'est ce déploiement que finalement la sémiologie de la ville devrait
essayer de saisir et de faire chanter."… Le bâti constitue la phrase, et le non-bâti la ponctuation,
cette respiration indispensable à la lecture. Nous considérons volontiers que les villes se prêtent
à être déchiffrées, épelées lettre après lettre. » Paquot cite ensuite Henri Michaux (Tranches de
savoir, aphorismes dans L'Espace du dedans - 1966) : « On ne voit pas les virgules entre les
maisons, ce qui en rend la lecture si difficile et les rues si lassantes à parcourir. La phrase dans
les villes est interminable. Mais elle fascine, et les campagnes sont désertées des laboureurs
autrefois courageux qui maintenant veulent rendre compte par eux-mêmes du texte
admirablement retors, dont tout le monde parle, si peu aisé à suivre, le plus souvent
impossible. »
Ainsi, au delà de l’expérience physique comme un corps à corps homme/urbain, c’est aussi la
notion de trajet qui est en jeu. Comme un moyen de lire la ville, comprendre l’espace de la ville
et de le traduire, le parcours nous faire lire les phrases de la ville. Le tra-jet est bien ce qui va à
travers, comme le confirme son étymologie latine empruntée à l’italien tragetto (traversée, mais
aussi sentier).
41 SANSOT Pierre, Rêveries dans la ville, Paris, Carnets Nord, 2008, p. 187
17
ii. Face à la démesure : les postures du marcheur
Le marcheur dans les métropoles est confronté à la démesure spatiale, à laquelle il fait
face physiquement, mais aussi à la démesure d’une ville habitée : la foule. Nous nous sommes
intéressés à l’expérience individuelle de la ville. Mais quelles sont les positions de l’individu
marcheur face au foisonnement humain qu’il rencontre ? Le rapport à la foule, aux autres
habitants de la grande ville est primordial, et c’est la question de l’individualité qui est en
transparence. Face à la grande ville, perd-on notre individualité ? Le goût de la grande ville
vient d’un goût pour la foule. Certains aiment l’anonymat pour s’y cacher, d’autres pour s’y
reconnaître, d’autres encore pour trouver leur place. Ainsi Régine Robin veut « être une
anonyme dans les villes, une ombre, une passante. Je veux me laisser surprendre et ne pas avoir
de souvenirs à chaque carrefour, à chaque station de métro, à chaque arrêt d'autobus. »42
Ce besoin de la foule, c’est celui de l’animation de la grande ville, du dynamisme, de
l’ébullition. Le marcheur dans la grande ville évolue parmi la foule. Benjamin citant Edmond
Jaloux (Le dernier flâneur) écrit : « Dickens...ne pouvait pas vivre à Lausanne parce qu'il lui
fallait pour composer ses romans l'immense labyrinthe des rues de Londres où il rôdait sans
arrêt... Thomas de Quincey... Baudelaire nous dit qu'il était "une espèce de péripatéticien, un
philosophe de la rue, méditant sans cesse à travers le tourbillon de la grande cité. »43 Puis il cite
Baudelaire (L'Art Romantique, p. 64 65, Le peintre de la vie moderne) : « Pour le parfait
flâneur... c'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans l'ondoyant..;
Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi; voir le monde, être au centre du
monde et rester caché au monde (...) ».
Mais dans le nombre, qu’en est-il de notre expérience individuelle ? Peut-être que le marcheur
se met à la fois à l’écart de la foule, s’y confrontant directement sans pourtant en faire partie.
« Le flâneur se tient encore sur le seuil, celui de la grande ville comme celui de la classe
bourgeoise. Aucune des deux ne l'a encore subjugué. Il n'est chez lui ni dans l'une ni dans
l'autre. Il se cherche un asile dans la foule. »44 Par ailleurs, le flâneur cherche peut-être à
intégrer la foule, mais sans pourtant nier son individualité : « Distinction remarquable entre le
flâneur et le badaud : "N'allons pas toutefois confondre le flâneur avec le badaud : il y a une
nuance... Le simple flâneur... est toujours en pleine possession de son individualité. Celle du
42 ROBIN, Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p. 23 43 BENJAMIN, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre des passages, Paris, Le Cerf, 1997. 44 BENJAMIN, Walter, Paris, capitale du 19e siècle [in] Oeuvres. Tome 3 ; traduit de l'allemand par Maurice de
Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Gallimard, 2000, p. 58
18
badaud disparaît, au contraire, absorbée par le monde extérieur... qui le frappe jusqu'à
l'enivrement et l'extase. Le badaud, sous l'influence du spectacle, devient un être impersonnel;
ce n'est plus un homme : il est public, il est foule. Nature à part, âme ardente et naïve, portée à
la rêverie... le vrai badaud est digne de l'admiration de tous les cœurs droits et sincères. » 45
Le marcheur dans la ville est aussi celui qui trace son chemin : « Or, le marcheur est
simultanément celui qui donne un profil à son chemin, ouvre ou trace une voie, et celui qui
adapte ce trajet à un contexte, le construit en fonction des accidents et des contraintes de
parcours, des évènements scandant la progression de ses déplacements, et qui invente un
rythme au gré des vicissitudes de la flânerie. »46 Pour Sansot, « les trajets, sans être inscrits
objectivement dans les murs d'une ville, peuvent comporter des traces visibles. Nous n'avons
pas alors à décrire un itinéraire géographique déterminé mais plutôt à préciser la qualité du
sillage : en l'occurrence un remous d'inquiétude, une odeur de mort et de bête de proie. »47 Plus
précisément, la marche en ville est intéressante selon lui sous l’angle de la figure du
légionnaire : « nous croyons possible de montrer l'importance d'une marche en ville comme
celle du légionnaire. Alors même que la ville se refuserait à nous faire signe et à privilégier
d'elle-même des parcours, certains hommes auraient encore la possibilité d'y faire leur trace.
Ce sillon dans la terre urbaine nous paraît d'autant plus remarquable que tous nos pas semblent
se mêler et s'annuler dans une ville. » Le marcheur peut marquer en quelques sortes son
territoire, s’imprimant sur la ville. Mais ce qui est intéressant dans cette figure, c’est la manière
dont le légionnaire inscrit son trajet grâce aux autres : « les hommes de la rue collaborent à
cette nouvelle redistribution de l'espace [la redistribution d’un fond et d’une forme, ndlr] : les
uns parce qu'ils semblent posséder assez d'autorité pour inscrire leurs traces sur le sol de la cité,
les autres parce qu'ils veulent bien s'écarter sur le passage des premiers et leur aider, par cet
effacement, à creuser leurs sillons. »48
Pour Sansot, « Leur passage aura le don de bouleverser la tonalité de l'environnement urbain.
On se met presque à percevoir celui-ci comme une terre sauvage, où seuls seraient en sécurité
ceux qui seraient prêts à braver la mort, une terre où l'on reconnaîtrait, à des odeurs diverses,
les diverses espèces qui y parquent et qui la traversent. »49
C’est cette action du marcheur sur la ville qui nous intéressera maintenant, le marcheur n’étant 45 BENJAMIN, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre des passages, Paris, Le Cerf, 1997, citant
FOURNEL Victor , Ce qu'on voit dans les rues de Paris, Paris 1858, p 263 (L'odyssée d'un flâneur dans les rues de Paris)
46 DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXe siècle, Paris, Éd. du Regard, 2002.
47 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 208 48 Ibid., p. 217 49 Ibid. p. 215
19
pas seulement celui qui subit la ville et la perçoit, mais aussi celui qui impose sa place et
marque sa présence.
iii. La marche comme résistance
Que signifie marcher dans une ville inhumaine ? L’acte de marcher alors que l’on sait
que la ville n’est pas faite pour les piétons peut être comprise comme un acte de résistance à la
forme inhumaine de la ville. La marche semble le moyen de résister à cette transformation de
l’espace en réseau. C’est la notion de déplacement qui nous intéresse ici : le déplacement peut-
être vu comme l’action de se déplacer, de se mouvoir, mais aussi comme le dé-placement, soit,
par antonymie, le fait de n’être pas à sa place. L’acte de marcher dans la mégalopole peut donc
avoir à faire avec l’idée que l’on se place dans des lieux qui ne sont pas les nôtres. En cela, le
cas du laboratoire Stalker est exemplaire : principalement concentrées sur les
« zones intermédiaires » de la ville (terrains vagues, friches, franges ville-campagne, etc.), les
marches et dérives du groupe interrogent les lieux « officiels » ou « légaux » de la ville.
L’identité de ces lieux étant floues, ils ne sont pas considérés comme urbains, et Stalker vient
non pas leur donner un sens, mais les révéler par leur déplacement. « Il s'agit donc, pour les
arpenteurs du laboratoire Stalker, de construire leur propre fluidité en s'abandonnant aux
devenirs à l'œuvre dans le territoire, de se déplacer. Les rythmes de la déambulation, la marche
et ce qu'elle implique elle-même de souplesse, de labilité, le corps en circulation, sont des
moyens importants de désobjectivisation du décor urbain, de transformation de la ville en une
expérience vécue plutôt qu'en un objet, en un spectacle contemplé ou subi. Cette approche est
l'exacte héritière de la dérive situationniste et de son projet de mise en mouvement de contexte
urbain. »50
Ces expériences sont en droite lignée de la théorie de la dérive de Guy Debord, qu’il expose en
1956 dans la revue Les lèvres nues : « : Techniques du passage hâtif à travers des ambiances
variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d'effets de nature
psycho-géographique, et à l'affirmation d'un comportement ludique-constructif, ce qui l'oppose
50 DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXe siècle, Paris,
Éd. du Regard, 2002.
20
en tout point aux notions classiques de voyage et de promenade. » La psychogéographie est par
ailleurs définie dans la revue Internationale Situationniste n°1 – juin 1958 – telle que : « Étude
des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement
sur le comportement affectif des individus. » Pour Thierry Paquot : « La dérive situationniste
est un acte de prise de possession de la ville en ce qu'elle la détourne de ses fonctions et usages
imposés par l'urbanisme. »51 C’est ce détournement qui nous semble être le moyen de résister à
la ville. Introduire dans la ville des pratiques inhabituelles, afonctionnelles, permet d’envisager
la ville sous un nouvel angle, et d’en révéler les possibilités. Les fonctions a priori de la ville
n’empêchent pas d’autres pratiques. La ville pour la voiture, fonctionnelle pour un déplacement
routière, n’empêche pas pour autant la marche. Elle n’est pas destinée à la marche, mais ne
l’empêche pas non plus. Par ailleurs, la marche pour nous est également la possibilité d’un
dépaysement. C’est, comme le dit Davila : la « réactivation des sens capable de renouveler le
regard posé sur la ville construite, et sa mémoire refoulée, capable de dépayser le piéton.
Autant de procédures de déplacement qui sont des processus d'estrangement de la ville, dans la
ville, et qui visent à en faire le lieu privilégié d'une sensation non automatisée, non mécanisée,
du donné. »52
Car nous croyons que « Dans notre monde uniformisé, c'est sur place et en profondeur qu'il faut
aller ; le dépaysement et la surprise, l'exotisme le plus saisissant, sont tout près. »53 Cette
uniformisation des paysages, Marco Polo la décrit à Kublai Khan dans Les Villes invisibles :
« En voyageant on s'aperçoit que les différences se perdent : chaque ville en arrive à ressembler
à toutes les villes, les lieux les plus divers échangent forme, ordre, distances ; une informe
poussière envahit les continents. Ton atlas garde intact les différences : cet assortiment de
qualités qui sont comme les lettres d'un nom. »54
Mais l’on peut encore être dépaysé, ou estrangé - pour reprendre Davila - : « parce que le passé
du voyageur change selon l'itinéraire parcouru, et nous ne disons pas le passé proche auquel
chaque jour qui passe ajoute un autre jour, mais le passé le plus lointain. Quand il arrive dans
une nouvelle ville, le voyageur retrouve une part de son passé dont il ne savait plus qu'il la
possédait. L'étrangeté de ce que tu n'es plus ou ne possèdes plus t'attend au passage dans les
lieux étrangers et jamais possédés. »55
51 PAQUOT Thierry, Des corps urbains, sensibilités entre béton et bitume, Paris, Autrement, 2006, p. 89 52 DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXe siècle, Paris, Éd. du Regard, 2002. 53 Halévy Daniel, Pays parisiens, Paris, 1932, p.153 [in] BENJAMIN, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre des passages, Paris, Le Cerf, 1997. 54 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p. 160 55 Ibid. p. 37
21
Et on le retrouve chez Benjamin encore, qui nous dit : « Avec Baudelaire, Paris devient pour la
première fois un objet de la poésie lyrique. Cette poésie n'est pas un art local, le regard que
l'allégoriste pose sur la ville est au contraire le regard du dépaysé. C'est le regard du flâneur,
dont le mode de vie couvre encore d'un éclat apaisant la désolation à laquelle sera bientôt voué
l'habitant des grandes villes. »56
Mais la marche a cette limite qu’elle est une expérience, et individuelle qui plus est. Que reste-
il de ces expériences ? Comment les conserver, les matérialiser ? Comment ce chemin parcouru
tant par la voix que par le pied est-il retranscrit ? Car les marches, si elles sont des expériences
sensibles indéniables, sont de l’ordre de la performance et ne sont que rarement retranscrites.
Considérées comme un projet en soi, elles tiennent de l’expérience individuelle ; et ce qu’il en
reste est d’une nature éphémère et vaporeuse. Les traces de ces performances, quand on choisit
d’en garder une trace, sont souvent visuelles (photographies, vidéos, dessins), matérielles
(récoltes) ou textuelles (descriptions, narrations). Pour Calvino, c’est la carte, et même l’atlas,
qui est le lieu de mémoire : « Le catalogue des formes est infini : aussi longtemps que chaque
forme n'aura pas trouvé sa ville, de nouvelles villes continueront de naître. Là où les formes
épuisent leurs variations et se défont, commence la fin des villes. Sur les dernières planches de
l'atlas, se diluent des réticules sans commencement ni fin, des villes qui ont la forme de Los
Angeles, la forme de Kyoto-Osaka, qui n'ont pas de forme. »57 Pour lui, comme on l’a vu
auparavant, la parole permet de comparer, mais pas de conserver. Pourtant il y a pour nous un
lien évident entre la marche et la parole. « C'est avec le plus grand sérieux que je me demande
combien de semelles, combien de peaux de boeuf, combien de sandales Alighieri a pu user au
cours de son labeur poétique, tandis qu'il courait les sentiers de chèvres de l'Italie. L'Enfer et
surtout le Purgatoire sont une célébration de la marche de l'homme, de la mesure, et du rythme
des pas, du pied et de sa forme. Le pas, associé au souffle et imprégné de pensée, est pour
Dante le principe de la prosodie. »58 C’est ce dernier point sur lequel nous aimerions nous
arrêter, en revenant sur l’affinité entre parole et marche.
56 BENJAMIN, Walter, Oeuvres. Tome 3 ; traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Gallimard, 2000, p. 58 57 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p. 161 58 MANDELSTAM Ossip , Conversations sur Dante (traduit du russe par Louis Martinez) [in] CHATWIN Bruce, trad. de l'anglais par CHABERT Jacques, Le Chant des pistes, Grasset, 1988, p. 252
22
Habiter / la représentation de la ville
Comment parle-t-on de sa ville ? Quels sont nos moyens de nous représenter et
d'englober la ville ? Après avoir pratiqué la ville, après l'avoir arpentée et maintenant que l’on
en connaît tous ses recoins, que nous reste−t−il ? Comment conservons-nous la ville ? C'est à la
description que nous nous intéresserons ici ; et plus précisément la question de la topographie
de la ville. Car la topographie est un terme emprunté (v. 1489, écrit topografie) au grec
topographia, de topo- et graphia-( —› graphie), « description d’un lieu, d’un pays ». Le mot,
devenu relativement usuel, désigne la description ou la carte détaillée d’un lieu, et, dans la
rhétorique traditionnelle, la figure consistant en la description détaillée d’un lieu (1765). Le
sens cartographique précis et technique de «représentation de la configuration des terrains»
(1845) est devenu le plus courant.59 Que ce soit chez Jules Romains, Raymond Queneau, Julien
Gracq, Honoré de Balzac, les descriptions de villes pour capturer l'âme du lieu sont fréquentes.
Et parallèlement, on peut constater que l'écriture vient comme un moyen presque indispensable
de la pratique de la marche. Chaque lieu peut être décrit comme un être vivant (et la
comparaison de la ville à un être organique n'est pas nouvelle), ayant une conscience, des
émotions, des désirs. Pour Olivier Mongin, une des manières de parler de la ville (en parallèle à
la vision du marcheur et celle du gestionnaire), est « souvent subjective et poétique. On en parle
en tant qu'expérience individuelle. Tout grand écrivain est aujourd'hui un écrivain de la
ville. »60 C'est cette expérience littéraire ou du moins racontée, écrite, de la ville qui nous
intéresse ici. À partir de narrations, de romans, nous pouvons voir différentes manières de
décrire la ville. Pierre Sansot en fait sa méthode dans Poétique de la ville, et Mikel Dufrenne en
dit : « Certes elle [la ville, ndlr] ne dispose pas d'un langage, d'une batterie de signifiants
linguistiques ; mais elle est elle-même ce signifiant, et qui porte en lui son signifié : elle
s'exprime ; et quelqu'un qui a appris à parler et à écrire exprime à son tour cette expressivité.
Sans doute faut-il que Pierre Sansot ait choisi pour cela une méthode, la plus simple et la plus
difficile à pratiquer : la description […] »61
59 REY Alain [dir.], Dictionnaire historique de la langue française, 2010. 60 MONGIN Olivier, De la ville et du citadin, Marseille, Éd. Parenthèses, 2003, p. 38 61 DUFRENNE Mikel [in] SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 12
23
i. L'exhaustivité ou lister la ville
La difficulté à habiter une grande ville, une métropole, vient de son échelle inhumaine,
trop grande pour nous. On a vu qu'on trouvait encore des moyens de pratiquer la ville et d'en
faire une expérience physique, qui nous permettent de l'appréhender à son échelle, de
rencontrer notre échelle à la sienne. Mais qu'en garde-t-on ? Comment englobe-t-on cette
immensité ? Nous commencerons en citant cette méthode que nous propose Perec dans Espèces
d'espaces, et qu'il met directement en pratique dans Tentatives d'épuisement d'un lieu parisien :
« D'abord, faire l'inventaire de ce que l’on voit. Recenser ce dont l'on est sûr. Etablir des
distinctions élémentaires : par exemple entre ce qui est la ville et ce qui n'est pas la ville. »
Cette méthode, elle peut être le moyen d'enregistrer la ville. À propos de Iain Sinclair, Régine
Robin dit : « Après avoir traqué les graffitis, les tags, les lieux obscurs ou oubliés de Londres,
après avoir traversé la ville en y traçant un V, Ian Sinclair pense avoir trouvé le nouveau
flâneur. Il est, dit-il, cette créature têtue moins intéressée aux textures, aux conversations
philosophiques qu'à la nécessité maniaque de tout noter : "Les cabines téléphoniques, les plans
que la mousse dessine dans les sépulcres victoriens, les cartes de visites déchirées des
prostituées, les panneaux signalant l'annulation d'événements qui devaient se tenir à York Hall,
les visites aux maisons d'écrivains morts, les moules de bronze des mémoriaux de guerre, les
chiens en plâtre, les tapis où trainent des taches de bière, les amas de préservatif… ». Et de
même à propos de Stuart London, artiste britannique féru de marche, « Cela ne va
manifestement pas lui suffire de parcourir toutes les rues de Londres, il va falloir,
parallèlement, prendre des notes, tenir un journal, consigner les détails, remplir des carnets et,
ensuite, reporter sur le disque dur de son ordinateur ces notes quotidiennes de ce qu'il aura fait,
vu et pensé. Il s'agit d'écrire un texte capable d'englober la ville, d'être à sa dimension ! »62. Il
faut, en plus de marcher, garder une trace des moindres détails de la ville, mêmes les choses
insignifiantes. L'amas de notes prendra-t-elle à la fin la taille de la ville ? Quel espace
recouvrira-t-il ? Il prend forme comme une récolte, une collection qui permet de « réunir la
ville dans ses détails » (Davila). Cette collection décrite, elle serait pour Davila « une vision
détaillée de la ville qui implique que sa signification profonde soit déposée dans ce qui est
fragmentaire, brisé, broyé, en charpie, échoué, que le contexte urbain ne se donne dans toute sa
singularité qu'à partir du moment où il est en morceaux, dans ses traits – jets, pointes, saillies –
en apparence les plus dérisoires et supposés négligeables, dont on s'aperçoit, pourtant, qu'ils
peuvent cristalliser le rythme de la ville, le révéler, dont on se rend compte qu'ils en traduisent 62 ROBIN Régine, Mégapolis, les derniers pas du flâneur, Stock, Paris, 2009, p.350
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les humeurs. » Elle permet de constituer un portrait de la ville par la liste. Il y a donc d'abord ce
désir, présents chez les artistes marcheurs, et chez certains écrivains – on pense notamment à
François Bon – de décrire l'espace de manière exhaustive, comme si donner toutes ces
informations était nécessaires à l'appropriation. Mais on peut penser que, pareillement que la
marche, la note, l'écriture, l'accumulation, la collection est une manière de faire rentrer la ville
en soi.
De manière plus classique, les villes sont portraitisées par les auteurs littéraires par un
recensement plus conventionnel, qui tient plus de la liste. Chez Gracq, par exemple, on trouve
l'énumération des rues votives p. 87 « rue Crébillon, rue Voltaire, rue Jean-Jacques Rousseau,
rue Grétry, rue Piron, rue Regnard, rue Rameau, rue Le Kain, rue Racine, rue Corneille, rue
Molière, rue La Fontaine, rue Scribe, rue Boileau, rue Gresset, rue Marivaux, rue Le Sage »,
puis p. 204 « pont de Pirmil - rue Kervégan - marché de la Petite-Hollande - quai de la Fosse-
cours St-Pierre - Port-Communeau - pont Moran - quai d'Orléans - place Royale - passage
Pommeray - rue Crébillon - rue du Calvaire - place Graslin - marché de Talensac - rue Félibien
- Ste Anne - St Similien - St Nicolas - St Clément - place Bretagne - place Viarme - rue du
Marchix - rue Monselet - rue des Dervallières - place Canclaux. » De la même manière, quand
Queneau ou Romains décrivent Paris, ils décrivent des séries de lieux, et le sommaire constitue
finalement le déroulé des lieux choisis :
rue Volta, les sirènes de Sébastopol, place de la Bastille, parvis Notre-Dame, square de la
Trinité, rue Pierre-Labrousse, Boulevard Haussmann, rue de Rivoli, la rue Galilée, boulevard
Diderot, Concorde, hôtel Hilton, devant Saint-Sulpice, square Louvois, rue de l'ancienne
comédie, rue Linné, boulevard de Clichy, jardin du Luxembourg, Bataclan, rue Flatters, porte
de Saint-Cloud, quai Saint-Bernard, mon beau Paris, en partant de Dunkerque, rue Paul-
Verlaine, rue Pierre-Corneille, pour Courir les rues et rue Laferrière, rue Soufflot, rue du
Havre, rue Royale, rue Montmartre, les passages, place de l'Europe, place de la Trinité, place
de l'étoile, place de la Bastille, place des Vosges, le square de Clung, le parc de Montmartre, le
square Parmentier, pour Puissances de Paris.
Car finalement, comme le dit Davila « Collectionner, c'est stocker du temps et faire qu'une
chronologie soit bien plus qu'un écoulement, qu'un défilé de secondes, en tentant d'insérer dans
le flux de ce qui passe des pétrifications d'éphémère ». La ville n'est en effet pas un objet fixe et
inerte, mais bien un corps organique en mouvement, et la marche est un déroulement de la ville
dans le temps. La collection fonctionne comme un daguerréotype, qui prendrait en notes les
moindres détails, même ceux imperceptibles à l'œil nu.
On en arrive presque à vouloir dessiner un atlas parisien de ces lieux choisis par ces auteurs, y
25
voir apparaître des motifs, des régularités ou des écarts. Peut-être dans ces répétitions trouvera-
t-on une image de Paris. Cette possibilité d’une représentation localisée de la ville, nous allons
voir comment elle prend forme.
ii. La métonymie ou le génie du lieu
Dans ces collections, dans ces inventaires de la ville, on s'arrête parfois sur un élément.
À force de prendre des notes et de chercher l'identité de la ville, on peut sélectionner un
caractère représentatif, qui nous paraîtra identifier la ville. Ainsi, on garde des souvenirs précis
d'un lieu que l'on a habité, et la grande ville perd sa taille inhumaine en étant réduite à une
image qui en elle-même contient tout ce qu'on a arpenté, habiter.
Au premier degré, il peut s'agir de repères, de lieux phares qui nous semblent dire la ville en
eux mêmes. « Qui revoit dans sa mémoire une ville qu'il a visitée, que ce soit en touriste ou en
pèlerin d'art, il s'attache d'habitude à quelques repères, aussi nettement distincts que la masse
bâtie que sont pour un marin les amers sur lesquels il se guide en approchant d'un port, et ces
repères sont presque toujours des monuments. »63 On peut prendre ainsi l'exemple de Paris chez
Sansot, qui va au delà d'un simple élément du paysage de la ville La tour Eiffel est le moyen
d'appréhender Paris par sa capacité à englober « l'amplitude » de la ville tout d'abord. Point
haut, elle nous laisse croire que notre regard circulaire – panoramique – possède la ville. De
plus, elle apparaît presque comme un élément sacré, que l'on ne vient pas visiter mais presque
« péleriner ». Sans logique géographique, elle n'a aucune continuité physique avec le sol sur
lequel elle s'appuie. Pourtant, elle représente l'histoire de Paris, en reliant cette prouesse
industrielle « à la vie urbaine, à l'épopée urbaine » qui est lié à « l'industrie, le capitalisme, une
certaine démocratie, l'esprit d'entreprise, l'occidentalisation du monde »64, ou, pour paraphraser
une nouvelle fois Benjamin, Paris capitale de la modernité. Pour Sansot, la tour Eiffel est la
« signature » de la ville. Elle « joue un rôle d'intercesseur » entre le touriste – le visiteur – et la
ville. C'est une position de légende, de mythe, qu'a le monument. Comme le dit Sansot, il s'agit
presque d'un rite magique d'introduction à la ville. Le lieu est une amplification de la ville.
63 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 106 64 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 574
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Pour Régine Robin, il s'agit plutôt de moments, d'images fixées qui représentent une ville, de
manière poétique et personnelle : « Ni archéologie, ni hiéroglyphes, la vie comme une
déambulation urbaine. Une image pour chaque ville comme un immense collage. Budapest
c'est une longue marche dans les feuilles mortes sur l'île Marguerite, Prague un bruit de
tramway brinquebalant dans une banlieue triste, Vienne, une odeur de café dans une ruelle,
Berlin, le silence autour de la synagogue reconstruite de l'Oranienburger Strasse. » Elle
continue ainsi en évoquant Venise, Buenos Aires, le Village à New York. La ville est ainsi
cristallisée dans un lieu, un lieu que l'on a pratiqué et qui nous émeut, ou un lieu qui préfigure
la ville, comme une métonymie. Quand Marco Polo raconte les villes à Kublai Khan, il ne
connaît pas la langue du Khan lors de leurs premières rencontres, et est obligé de raconter les
villes par gestes, par mimes. Petit à petit, il apprend la langue et « Ses récits étaient maintenant
les plus précis et minutieux que le Grand Khan pût désirer et il n'y avait question ou curiosité à
laquelle il ne répondît. Et cependant tout renseignement sur un endroit quelconque faisait
revenir à l'esprit de l'empereur ce premier geste ou objet par quoi l'endroit en question avait
été désigné par Marco. »65
Cette représentation d’un ensemble en un objet se trouve aussi chez Perec : « On garde souvent
de ces villes à peine effleurées le souvenir d'un charme indéfinissable : le souvenir même de
notre indécision, de nos pas hésitants, de notre regard qui ne savait vers quoi se tourner et que
presque rien suffisait à émouvoir : une rue presque vide plantée de gros platanes (étaient-ce des
platanes,) à Belgrade, une façade de céramique à Sarrebrück, les pentes dans les rues
d'Edimbourg, la largeur du Rhin, à Bâle, et la corde - le nom exact serait la traille - guidant le
bac qui le traverse... »66
On perçoit un élément, et il nous semble déterminant. Cette vision « révélatrice » du lieu lui
implique une personnalité propre. Constitué lui-même d'une histoire, d'une structure, d'une
géographie, certains éléments sont représentatifs de toutes ces conditions. La structure et le
développement d'une ville en diront long sur son histoire, la topographie et la géologie
expliqueront ce développement, les matériaux, l'économie révéleront cette géographie. L'intérêt
pour le micro, l'attention très patiente au lieu permet de déchiffrer ces paysages. Comprendre le
site chronologiquement et archéologiquement, structurellement peut s'apparenter une fois de
plus à une enquête. Mais il s'agit ici de trouver l'esprit du lieu, le genius loci.
Dans mon travail de marche à Los Angeles, dans le cadre de mon mémoire de troisième année
(2011) de l'ENSP, j'ai arpenté Los Angeles la ville en long (nord-sud) et en large (est-ouest) à
65 CALVINO Italo, Les Villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p. 31 66 PEREC Georges, Espèces d'espaces, Paris, Éditions Galilée, 1974, p.88
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pied. Il s'agissait de réfléchir à la pratique de la marche, de l'exploration urbaine ; à la fois par
une expérience sensorielle propre et par une série de lecture et d'interviews. Los Angeles était
le lieu emblématique de la « non-marche », il fallait aller voir si l'on pouvait marcher partout.
Comme le dit Baudrillard, « Dans cette métropologe centrifuge, si tu descends de ta voiture,
dès l'instant où tu te mets à marcher, tu es une menace pour l'ordre public, comme les chiens
errants sur les routes. » Là-bas, l'expérience avait consisté en une récolte sans limite de sons,
d'images, et de notes, qui progressivement m'avait amené à centrer mon travail autour des
trottoirs, comme un élément identitaire de la ville, qui en disait long sur la pratique de la
marche. Pour moi, le visage de Los Angeles se trouvait dans ses trottoirs. Ils me semblaient
révéler la pratique de la marche tout d'abord, par leurs failles et mauvais entretien, et du même
coup ils insinuaient plus largement une certaine conception de ce que peut être un espace
public. C'était pour moi comme si, comme l’écrit Davila « tout se passe comme si les lapsus du
contexte urbain, ses failles et ses bavures seules, pouvaient en dresser l’identité la plus précise,
le portrait le moins discordant. Tout se passe comme si le détail recueillait la vérité criante des
rues. »67 Le trottoir, dans le cas de Los Angeles, mais tout autre détail (les façades, dans le cas
de mon travail sur Berlin) devient le caractère représentatif de la ville. Dans ma pratique du
paysage, et plus spécifiquement de marche, aller sur site et en faire ressortir un caractère est
inévitable.
Mais cette vision métonymique de la ville est toujours sujette à la question de l’individualité.
On a vu auparavant qu’on pouvait se demander si le croisement des géographies de Romains et
de Queneau pouvait créer un portrait de Paris. Ce que cela nous dit, c’est la diversité de ces
géographies, en ce qu’elles sont subjectives. Et c’est peut-être finalement cette diversité de
visions, cette pluralité de géographies personnelles qui constitue une ville.
iii. La ville au pluriel
« La ville possède-t-elle le même degré d'unité que le vase de cristal ou que l'arbre de la
forêt ? Elle comporte un grand nombre de quartiers différents. Disons, toutefois, qu'une ville
doit posséder un minimum d'unité sans lequel elle éclate et ne mérite plus le nom de cité. 67 DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXe siècle, Paris,
Éd. du Regard, 2002, 191 p.
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Ajoutons encore que cette variété dans l'unité peut être plus ou moins importantes selon les
cas. »68 La ville est peut-être un tout, mais plus qu'un tout elle est surtout un ensemble. La
notion de variété nous intéresse en ce qu'elle évoque la possibilité d'une subjectivité. La Nantes
de Julien Gracq est-elle la même que la mienne ? Ayant vécu moi-même à Nantes pendant 17
ans, à la suite de ma lecture de La forme d'une ville, j'ai fait l’expérience de l’arpentage de
Nantes avec ma mère, qui elle, y avait vécu une trentaine d'année. Il était extrêmement
intéressant de poursuivre la lecture de la vision de la ville de Gracq en la confrontant à la
mienne et à celle de ma mère. Trois moments de la ville et trois lectures, qui nous permettaient,
en ricochet, de percevoir cette forme mouvante, cette évolution de la ville. Il était flagrant de
voir les changements, mais aussi de voir que les lieux de Julien Gracq m'étaient pour certains
inconnus alors qu'ils existaient encore. J'en étais sûre : la Nantes de Julien Gracq n'était pas ma
Nantes. Nos visions sont différentes. Très concrètement, nos visions sont différentes en ce que
nous sommes différents physiquement, mais aussi socialement, historiquement, etc. La
diversité de perceptions vient de ce que nous sommes divers, et du fait que nous ne regardons
pas de la même manière, ni les mêmes choses. Car, comme le dit Sansot : « Très précisément,
l'enfant, par l'effet de sa taille, observe mieux le sol, les retombées de la ville sur sa terre
natale, ce que les hommes négligent et qui parle d'eux à leur insu, parce qu'ils "l'ont laissé
échapper" malgré eux. La vision d'adulte est, en un sens, décevante : faite pour la "devanture",
elle néglige le sol et aussi les façades, les toits, puisque notre regard s'élève rarement au-dessus
du rez-de-chaussée. » 69 Nous sommes différents physiquement, et socialement, et nos trajets
n'ont pas les mêmes fonctions. Nous aurons chacun notre manière d'arpenter la ville.
« L'industriel passe sur l'asphalte en appréciant sa qualité; le vieillard le recherche avec soin, le
suit aussi longtemps qu'il peut, y fait avec bonheur résonner sa canne, et se rappelle avec
orgueil qu'il a vu poser les premiers trottoirs; le poète... y marche indifférent et pensif en
mâchonnant des vers; le boursier y passe en calculant les chances de la dernière hausse des
farines; et l'étourdi y glisse ». 70 Et on lit de même chez Calvino, quand il décrit la ville de
Despina : « On atteint Despina de deux manières : par bateau ou à dos de chameau. La ville se
présente différemment selon qu'on y vient par terre ou par mer. »71 Le marin, pour qui Despina
représente le port, y voit deux collines qui forment des bosses, et il imagine un chameau,
portant des outres, des besaces de victuailles, et il fantasme cette ville comme celle qui
l'emmène vers l'oasis. Le chamelier, lui, y voit l'horizon de la mer, et imagine la ville comme
68 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p. 248 69 SANSOT Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot & Rivages, 2004, p.209 70 MARTIN Alexis "Physiologie de l'asphalte" [in] BENJAMIN Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le livre
des passages, Paris, Le Cerf, 1997 71 CALVINO Italo, Les villes invisibles, trad. de l'italien par Jean Thibaudeau, Paris : Ed. du Seuil, 1996, p. 24.
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un bateau, qui va le transporter et lui faire respirer l'air maritime. Et Calvino de conclure :
« Toute ville reçoit sa forme du désert auquel il s'oppose ; et c'est ainsi que le chamelier et le
marin voient Despina, la ville des confins entre deux déserts. »72
La ville a donc plusieurs possibilités de perception, et même plusieurs visages. Pour Thierry
Paquot, le singulier est même absurde : « Quand je dis "ville", cela n'a guère de sens, il
convient de toujours manier le pluriel, non seulement parce qu'aucune ville ne ressemble à une
autre, mais aussi parce que n'importe quelle ville est multiple. Une ville en cache toujours une
autre ! Celle du jour n'est pas celle de la nuit, celle de cinq heures du matin n'est pas celle de six
heures du soir, celle du lundi n'est pas celle du dimanche, celle de l'automne n'est pas celle du
printemps. Toute ville a mille vêtements dans sa garde-robe et se travestit en permanence,
jouant de son charme. »73 La description de Paris chez Jules Romains nous présente la ville
comme vivante. Les différentes rues, places, quartiers ont différents visages. Et ces multiples
visages sont eux-mêmes changeants, selon le temps qui passe, comme pour la rue Montmartre
décrite « en soi », puis à huit heures et demi du matin, puis à midi, puis à midi et demi, puis
encore à trois heures et enfin à dix heures du soir.74
Finalement, représenter la ville revient à représenter sa ville, en se défaisant d'une volonté
d'objectivité. Et dans la Poétique d'une ville, « ce que Sansot entend justifier, c'est une
approche "objectale" de la ville. Objectale, et non objective : car l'objectivité est réductrice, elle
est le propre d'un appareil conceptuel qui détermine arbitrairement son champ d'investigation,
qui substitue l'objet de connaissance à l'objet réel. » La réalité d'une ville, ce qui fait qu'elle
nous émeut et nous inspire des sentiments, c'est notre expérience sensible et subjective
individuelle.
Ce que nous retiendrons, c’est la pratique de l’espace lié à sa toponymie. La pratique de la
marche nous permet de faire rentrer la ville « dans nos talons » mais la description nous permet
peut-être de la garder en mémoire. Pour « C'est la toponymie, ordonnée comme une litanie, ce
sont les enchaînements sonores auxquels procède à partir d'elle la mémoire, qui dessinent sans
doute le plus expressivement sur notre écran intérieur l'idée que nous nous faisons, loin d'elle,
d'une ville. »75 Comme pour les Aborigènes du Chant des pistes, on pourrait penser que
nommer les choses qui constituent la ville nous permet de nous la représenter. Et dans certains
cas, peut-être que les deux pratiques sont concomitantes.
« "Parfois, dit-elle, je demande à Alex de me nommer une plante et il me répond "Pas de nom", 72 Ibid. p. 25. 73 PAQUOT Thierry, Des corps urbains, sensibilités entre béton et bitume, Paris, Autrement, 2006, 134 p. 74 ROMAIN Jules, Puissances de Paris, Gallimard, 2000. 75 GRACQ Julien, La forme d'une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 204
30
ce qui veut dire : "Cette plante ne pousse pas dans mon pays."
Elle recherchait alors un informateur qui, durant son enfance, avait vécu dans un lieu où l'on
trouvait cette plante et découvrait finalement que cette plante portait bien un nom.
Le "cœur sec" de l'Australie, dit-elle, était un puzzle de microclimats, de sols aux minéraux
divers, de plantes et d'animaux différents. Un homme élevé dans une partie du désert
connaissait sa flore et sa faune sur le bout du doigt. Il savait où quelle plante attirait le gibier. Il
connaissait son eau. Il savait où trouver des tubercules sous terre. En d'autres termes, c'est en
nommant toutes les "choses" dans son territoire qu'il pouvait espérer survivre.
"Mais si vous l'emmenez les yeux bandés dans un autre pays, dit-elle, il pourrait se perdre et
mourir de faim.
- Parce qu'il aurait perdu ses points de repère ?
- Oui.
- Vous dites donc que l'homme "fait" son territoire en nommant les "choses" qui s'y trouvent.
- C'est exactement cela!" Son visage s'illumina.
"Ainsi la base nécessaire à un langage universel peut n'avoir jamais existé ?
Oui. Oui." »76
Conclusion
Nous avons vu les différentes manières d’habiter l’inhabitables. Il nous semble tout
d’abord que malgré un conflit d’échelle frappant – des villes trop grandes pour nous – notre
amour de la ville ne disparaît pas. Pourtant, on peut constater, en contraste d’une fidélité
affective à un lieu, une forme de nomadisme contemporain. Si on a pu penser qu’habiter
nécessitait une durée, des pratiques quotidiennes des lieux, et non pas une visite touristique, ce
qui renforce l’idée d’une sélection d’un lieu, le désir d’« aller voir ailleurs » semble inévitable.
Et, si les villes aujourd’hui nous paraissent trop grandes et déconnectées de nos pratiques
quotidiennes, il reste des possibilités de confronter les échelles. Cela nous semble possible par 76 CHATWIN Bruce, trad. de l'anglais par CHABERT Jacques, Le Chant des pistes, Grasset, 1988, p. 252
31
des actes de résistances comme la marche, qui permet tout d’abord de mesurer par le corps et
d’envisager la ville comme une expérience sensorielle et poétique. Et à notre goût pour les
mégalopoles s’ajoute le plaisir de la confrontation à la foule, pour ressentir sa propre taille, par
l’anonymat ou par la trace d’un passage individuel et distinct. Dans cette quête de
compréhension de la ville, on a vu des recherches exhaustives de qualification et de
recensement. Tout prendre en note, tout décrire devient un moyen d’englober la ville dans ses
moindres détails et de tenter de l’enfermer et de la saisir toute entière. Cette posture est presque
contradictoire en un sens : pour comprendre le macroscopique, on est obligé de s’intéresser au
microscopique, et c’est dans les détails et morceaux accumulés que l’on tente de contenir la
ville. Bien que la ville ne soit pas prévue pour ce genre de pratiques, elles n’en sont pas moins
possibles, et de fait, pas moins intéressantes, pour le caractère politique qu’elles offrent.
Plusieurs recherches restent à mener. Pour commencer, il semble nécessaire
d’approfondir l’acception philosophique du terme habiter. Il semble indispensable d’aller voir
du côté de Heidegger ou de Bachelard pour les questions d’être-au-monde et de
phénoménologie. Nous souhaitons également interroger plus précisément la géographie : si elle
est personnelle et constitue un rapport individuel à l’espace, ne peut-on pas tenter des
expériences de croisements de point du vue ? Nous pensons, en plus de la psycho géographie
évoquée précédemment, à la géographie littéraire, sujet déjà largement travaillé mais qui nous
semble intéressant ici pour la question du génie du lieu. En croisant les regards de différents
auteurs sur une même ville, à quelle cartographie arriverions-nous ? Nous souhaiterions
également entamer des expériences de cartographie sur la question du tourisme : en prenant par
exemple la ville de Paris, dessiner le Paris pointé par les guides, et observer les blancs qui en
sortent. Quel serait le Paris « à ne pas voir » ? Et comment le mettre en relation avec le Paris du
quotidien, voire le Paris non programmé ? Nous pensons au Livre blanc de Philippe Vasset par
exemple. Dans la lignée des pratiques de marche, il serait intéressant de développer la notion de
protocole. Que ce soit dans ma propre pratique ou dans celles d’artistes marcheurs ou enfin
comme nous le suggère Perec, nous organisons nos marches, nos parcours et nos descriptions
avec des protocoles. Dans mon cas, un des critères du protocole se rapprochait de la dérive :
l’entorse. Ayant préparé des trajets et cartographié au préalable la marche, l’entorse, le droit au
détour – souvent décidé sur le moment, en fonction d’un désir ponctuel, d’une curiosité -
étaient autorisés.
Enfin, il semble intéressant de s’intéresser de plus près à la corrélation entre le trajet et la
parole : d’une part à travers la question de la mémoire, évoquée précédemment avec Italo
Calvino entre autres. Les atlas semblent donc être un sujet d’étude à envisager, avec Les
32
Chroniques de Nuremberg et Le devisement du monde. D’autre part autour du sujet des lignes
et des traces, avec Tim Ingold et Bruce Chatwin, en nous intéressant aux autres formes
d’appropriation des territoires, en revenant à la question du nomadisme.
33
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