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Dumêmeauteur

Mémédanslesorties,MichelLafon,2015

AurélieValognes

NOSADORABLESBELLES-FILLES

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproductionréservéspourtouspays.

©ÉditionsMichelLafon,2016

ISBN:978-2-7499-2923-1

118,avenueAchille-Peretti–CS7002492521Neuilly-sur-SeineCedex

www.michel-lafon.com

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

ÀJulesetGaspard,Etàmesfuturesadorablesbelles-filles…

Onditqu’uncouplesurtroisdivorceàcausedeleursbeaux-parents.

Maiscombiendebeaux-parentss’écharpentàcausedeleurbelle-fille?

–1–JoyeuxNoëlFélix!

Jacques avait toujours été du genre à dépasser les limites.Alors, le soir du réveillon, quand safemme et lui se retrouvèrent dans la salle de bains pour se préparer,Martine trouva important derappeleràsonmariqu’ilnes’agissaitpasd’unNoëlcommelesautres. Il fallaitêtre irréprochable,l’équilibredelafamilleendépendait.

–Tutetiensbiencesoir,s’ilteplaît.Pasdedisputesaveclesenfants,pasderemarquesdéplacéesà tesbelles-filles. Ilne faudraitpas fairepeur à lanouvelle, insistaMartine laboucheentrouverte,remettantunecouchedemascara.

Elleseregardaitdanslemiroir,vérifiantsisanouvellerobel’avantageaitounon.Avecsonmariàcôtéd’elle,lerefletrenvoyaitl’imaged’uncouplequiavaitététrèsbeauetdontlesseulesmarquesdutempsétaientlescheveuxpoivreetseldeJacques,etquelquesridesd’expressionsurleursvisages,tracesdefatigue,depetitssoucisetdefousriresenfamille.

–Sicelle-làpouvaitêtre labonnepourNicolas,enchaîna-t-elle.Elles’appellecomment,déjà?Jeanne, c’est ça ?Çame stresse de devoir retenir un nouveauprénomà chaque fois ! J’ai peur degaffer.Etpuis,sionpouvaitarrêterdefairepeindreunnouveaubolchaqueannée,ongagneraitdelaplacedanslesplacards.Mais,tum’écoutesaumoins,Jacques?

–Tuessûredujaune?demandacelui-ciengrimaçantdevantlacouleurflashydelarobedesonépouse.

–Tun’yconnaisrienenmode!coupaMartineenjetantunregarddédaigneuxàsonmari.Absorbé à faire rentrer son ventre dans sa nouvelle chemise ajustée, le père de famille était

ailleurs.S’ilyavaitunechosequi lui tenaitàcœur,c’était le respectdes traditions.Et la tradition,dans la famille Le Guennec, c’était le chevreuil à Noël. La responsabilité de la cuisson à bassetempérature avait toujours été celle de Jacques mais, comme à chaque réveillon, cela le rendaitirascible.Ilnefallaitsurtoutpasquelaviandesoittropcuite,souspeinedegâchersasoirée,etparconséquentcelledetoutlemonde.Lestressavaitcommencéchezleboucherquandilavaitdûchoisirentredeuxpièces,l’unetroppetite,l’autretropgrosse.Puiscelaavaitcontinuéaveclechoixduvinpourlasauce.Etdepuisprèsd’uneheure,ilscrutaitsamontreetdemandait,inquiet,àMartine:

–Mais tunepensespasquecelavaêtre tropcuitsi je laisse lechevreuilquatreheuresdans lefour?

Safemme,d’unepatienceextrêmedepuisprèsdequaranteans,réponditcalmementàsonmariquis’énervaitdésormaisàcaused’unépiindomptable.

–Tudevraist’installerdanslacuisinepourtepréparer.Tuseraisplussereinetmoiaussi!Tunetesouvienspasdel’annéedernière?Lacuissonétaitparfaite,non?Donc,vulepoidsduchevreuil,

quatreheuresdecuissonceseratrèsbien!Tuastasonde,detoutefaçon!Peux-tum’aideràremontermafermetureÉclairdans ledos,s’il teplaît?demandaMartineavantdechantonnerenyaourtunechansond’amourqu’elleappréciaitbeaucoup.Onlyyouuuuu!

Sans l’aider, Jacques quitta précipitamment la salle de bains et dévala les escaliers pour allervérifier le four.Quand il remonta, il semblait contrarié, ceque sa femme ignora superbement.Ellecomptaitpasserunebonnesoirée,etcedèsàprésent.

Elle remettait sa frange brune en place. Sa coupe de cheveux au carré, la même depuis desdécennies,luidonnaitunpetitairespiègle,surtoutavecsonnezretrousséetsesyeuxronds.Aveclesannées,elleressemblaitdeplusenplusàcetteactriceaméricaine,SallyField,quiavaittenulerôledelamèredefamilledansMadameDoubtfire.

D’unemainassurée,elleappliquaaugrospinceauunpeudeblushrose,puisredessinaseslèvresqu’elletrouvaittropfines.Unemoitiédebouchefaite,ellesetournaverssonmari.

– Je suis inquiète quandmême. Il n’est vraiment pas facile, notreNicolas. Il a toujours eu uncaractèredecochon.Jenesaispasdequiilpeuttenirça,poursuivit-elleenregardantJacquesducoindel’œil.Peut-êtrequ’ilauraitdûattendreencoreunpeuavantdenouslaprésenter?Avoiràsupporterlefilsetlepèreenmêmetemps,çavaluifaireunchocàJeanne.Tum’écoutes?Arrêtedestresserpour ton chevreuil. Si tu cesses d’ouvrir le four toutes les dixminutes, il sera fondant comme tul’aimes.Zippe-moi,plutôt!

–J’aimequandtumeparlescommecela,plaisantaJacquesenremontantlafermetureÉclairdelarobe.Tuestrèsbellecesoir!dit-ilenentraînantsafemmedansunevalseimprovisée.

–Vraiment?Moi,j’ail’impressionquetoutdégringoleetqu’onnevoitquemonventre!rétorquaMartineens’arrêtantpours’observerànouveaudanslemiroir.

Jacquespritsonépousepar lamainet ladétailladespiedsà la tête.Elleétaitpetite,menue,etavaitgardéuncorpsfermequebeaucoupdefemmesdeplusdesoixanteansluienviaient.

–N’importequoi,chérie.Tuesmagnifique,iln’yaquetoipourtetrouverdesdéfauts!Ettusenssi bon… ajouta Jacques en enfouissant son nez dans sa nuque. Ce sont des collants ou des bas ?interrogea-t-ilenluicaressantlacuisse.

–Ohpasmaintenant!J’aimeraisbien,maisonvaêtreenretard!Ilsdébarquentdansmoinsd’uneheureetonn’estpasprêts.Ilfautencorecacherlescadeauxdespetits-enfantsavantqu’ilsn’arrivent.J’aihâtedelesvoir:ilsontsûrementencoregrandi!

– J’ai envie de t’enlever cette robe… insista Jacques en embrassant le cou de sa compagnelangoureusement,jusqu’àlafairegloussercommeunegamine.

– Et moi, j’ai envie que tu sois irréprochable avec tes fils, que tu fasses la conversationaimablementàtesbelles-fillesetquetunerestespasaccrochéàtonportable.OK?dit-elledesonairleplusinflexible.Etsic’estlecas,cesoir,aprèsledîner…

–Prenonsdéjàunpetitapéritif…proposaJacquesavecsonsourirelepluscharmeur.Lecouples’éclipsadanslachambre,d’oùretentirentdesrires,desbruitsdechaussuresjetéesau

soletdes«attentionàmescheveux».Letempssesuspenditjusqu’àcequelasonnettedelaportetinte.

–Déjà?Maisilssontenavance!s’exclamaMartineenvoyant20h10auradio-réveil.Merd…!–Faisattentionauxgrosmots.Aveclespetitsquifontlapolice,çavaencorenouscoûtertrente

euroslasoirée!Dehorsoudedans,lachemise?–Dehors,sinonçateboudine.Tuasvumachaussuregauche?Elleestoù?–Çameboudine?Tuessympa,toi!

MartineetJacquesdévalèrent lesescaliers jusqu’à laported’entrée.Recoiffés,défroisséset lesjouesrouges,ilsprirentunegrandeinspirationetfirentundernierpointd’équipe.

–Bon,onrécapitule:cesoir,pasderemarquesdésagréablesàtesbelles-filles,pasdeportable,ettufaisattentionàtoncholestérol.Tuneteserspasdeuxfois,entendu?

– OK, patronne ! acquiesça Jacques en embrassant sa femme sur la bouche. Et c’est parti !Adviennequepourra!

–2–Leschiensnefontpasdeschats

Derrièrelaporte,uneseulepetitesilhouette,toutefluette.Antoinette.–Maman?Maisqu’est-cequetufaisdéjàlà?demandaJacques.Onn’avaitpasdit21heures?

Attends,donne-moitonmanteau.Cachéesoussonchapeauqu’elleréservaitauxgrandesoccasions,lavieilledamesemblaitnager

danssonmanteaud’hiver.Àsespieds,deuxénormessacsremplisdepaquetsemballésavecsoin.–Débarrasse-moiplutôtdescadeauxdespetits.Ilssontdeplusenpluslourdslesjouets,denos

jours.Maistuesresplendissante,Martine,ajoutalanonagénaireenembrassantsabelle-fille.Lejaunetevatrèsbien.

–C’esttrèsaimable,Antoinette.Commentallez-vous?demandaMartineenprenantlemanteaudelavieilledame.

–Neparlonspasdeschosesquifâchent,veux-tu?C’estunenouvellerobequetuporteslà?–Effectivement,elleestneuve.Mercid’avoirremarqué,Antoinette,réponditMartineenjetantun

coupd’œilréprobateuràsonmari.– Jeme permets d’entrer, sinon on va tous attraper lamort à rester dans les courants d’air, fit

remarquerlavieilledame.Antoinette avança dans la grandemaison familiale où son fils Jacques habitait depuis plus de

trente-cinqansavecsafemme,etoùleurstroisgarçonsavaientvécuuneenfanceheureuseavantdequitterlenidfamilialquelquesannéesplustôt.LavieilledamerésidaitdepuistoujoursàDinan,surlacôtenorddelaBretagne,etavaitétéraviequesonfilsdécidedevenirhabitertoutprèsdelamaisonqu’elleoccupaitdésormaisseuledepuisplusdedixans.

C’étaitunetrèsgrandeetbellebâtissebourgeoisedudébutduXXesiècle,dontJacques,ingénieurde chantier, avait dirigé la rénovation. Sur trois niveaux, la maison avait l’allure typique de laBretagneNordavecsespierresdepays,sespetitsvoletsblancsetsonjardinverdoyantaufondduquelJacquesavaitinstalléunpotageroùchaqueplantquigrandissaitlerendaittrèsfier.Quatrechambresetunpetitbureauavaientétéaménagésauxétagessupérieurspouraccueilliravecaisanceunefamillenombreuse.Aurez-de-chaussée,ungrandsalonaveccheminéeetunecuisinetoutéquipée.L’uniquepetitesalledebainsavaitétélongtempslethéâtredebataillesd’eaudanslabaignoireetdecoupsdecoudeau-dessusdel’évier.

Cettemaisonavait bienvécu :malgré l’absenced’enfantsdésormais, elle avait gardé sonâme,avecsesodeursdeparquetciréetdefeudebois,avecsesmursquelquepeudéfraîchisethabillésdephotosdefamille,tracesnostalgiquesdecetteviepassée.Onyvoyaitdetrèsjeunesenfantsquel’onretrouvaitplus âgés surd’autres.Avec son sourireparfait, onpouvaitdevinerque l’aîné,Matthieu,

avait été un bon élève, un gentil garçon obéissant. Le cadet, Alexandre, semblait être le farceur,toujoursàfaireleguignolavecdesgrimacesimprobablesquiauraientpugâcherlaphotoparfaitesiNicolas,lepetitdernier,n’affichaitconstammentunairboudeur,lesbrascroisésensignedeterriblecolère.

Lestroisfils,malgréleurscaractèressidifférents,avaienttoujoursétésoudés,etcen’étaitpasparhasard si aujourd’hui ils habitaient tous en région parisienne. Ils avaient besoin de pouvoir se voirrégulièrement.

L’odeuralléchantequiemplissaitlamaisonréveillal’estomacd’Antoinette.–Allons dans la cuisine,Martine. Je vais te donner un coup demain. Jacques, rends-toi utile,

veux-tu,et jette lesbouteillesenverreque j’aiapportéesetquisont restéesdansmoncoffre.Jenesaispaspourquelleobscureraisonlesramasseursduverrenesontpaspasséschezmoicettesemaine.Jevaisalleràlamairieaprès-demainpourleurremonterlesbretelles.Cen’estpaslapremièrefoisqu’ilsmefontcegenred’entourloupe!

Enentrantdanslacuisine,elleseprécipitasurlefourpourvérifierlacuissonduchevreuil.Ellenefitaucuneremarque,cequisignifiaitquelabêterôtissaitcommeellel’avaitenseignéàsonfils.

Martineinstallasabelle-mèreàlatabledelacuisineavecunpetitverredesauternestandisque,commechaqueannée,ellepréparaitdestoastsaufoiegras.

– Profitons de l’absence de Jacques. Comment va-t-il ? demanda la vieille dame, inquiète, enattaquantsonverredeliquoreux.

Martinereposalepainauxfiguesqu’elleétaitentraindetrancheretsepenchaverssabelle-mèrepourrépondreàvoixbasse:

–Ehbien,sivousluidemandez,ilvousdiraquetoutvatrèsbien,qu’ilestdébordé,quelesgarsduchantierpassentleurtempsàlesolliciter.Enréalité,sespatronsl’ontmisenretraiteanticipéeetilsontchoisiunpetitjeune,uningénieuràpeinesortidel’école,pourleremplacer.Iln’aquasimentplusrienàfaire.

– Placardisé à soixante-deux ans, le pauvre ! Il ne nous fait pas un « burnoute », aumoins ?s’exclamaAntoinette.

MartinevérifiaparlafenêtrequeJacquesétaitencoreloinetrepritsespréparatifs:–Unburn-out?Jenesaispas,maisentoutcasilnedortpasbienetresteaccrochéàsonportable

enespérantquesescollèguesl’appellentpourluidirequ’ilsontbesoindelui.–Ilamaigrinon?–Oui,cinqkilos.– Que veux-tu, compatit Antoinette. Et toi, comment te sens-tu ? Tu fais bien attention à te

ménager?Ettatension?Si lasantédeMartineavait toujoursétéfragile,depuisquelquesannéeselledevait faireencore

plusattentionànepassesurmener.Elleperdaitfréquemmentconnaissanceets’étaitfêlédeuxcôtesquelquesmois plus tôt en s’effondrant à la caisse de la librairie où elle travaillait, à la suite d’unmalaise. Si toute la famille avait pris l’habitude de taquiner Jacques avec son cholestérol, ilss’inquiétaientdésormaissérieusementpourMartine,quicontinuaitdesechargerdetoutàlamaison.

–Çava.Jelèvelepiedàlalibrairie.Jevaispartiràlaretraiteàlafindel’annéeprochaine,c’estdéjàrégléavecmoncollègue.J’espèrejusteque,d’icilà,Jacquesauraacceptédepasserleflambeau.Ilestdeplusenplusirritableetçadevientdifficiledelesupportertouslesjours.

– Plus irritable que d’habitude, c’est possible ça ? Ça promet pour ce soir ! En parlant decontrariété,vousêtesaucourantqueLauravientdînercesoirfinalement?Tonfilst’aprévenue?

Leurdeuxièmefils,Alexandre,étaitencoupledepuisprèsdetroisansavecLaura.IlshabitaientàParis et, l’année précédente, ils avaient réveillonné à Dinan, chez Martine et Jacques, dans uneambianceplutôthouleuse.IlavaitétéconvenuquecetteannéeLauranesejoindraitpasàeux.

–Quoi !?!Mais jen’étaispasaucourant !Alexandrenem’apasprévenue,s’agaçaMartineensaisissantsonportableetendécouvrantunmessagenonlu.Etmerd…!Ellenemangejamaisrien!

– Surveille ton langage, Martine, la réprimanda Antoinette. Tes petits-enfants sont devenusintransigeantsaveclesgrosmots!Alors?C’estbiença?Lauravientdînercesoir?

– Oui, mais je l’apprends à l’instant et je n’ai aucun cadeau pour elle !Ma belle-fille vamedétester…

–Oh,etàpropos,tonautrebelle-fille,Stéphanie…–Quoi?Qu’est-cequ’ilyaencore?–Rien,elleestànouveauenceinte,maisellefaitsemblantquenon,saufqu’ellen’avalevraiment

rien.Bref,tuavaisprévuquoipourledîner?–Foiegras,saumonfumé,huîtresetchevreuil…Lacatastrophe!Mesdeuxbelles-fillesvontme

haïr,affirmaMartine,paniquée.Cedînern’étaitvraimentpasoptimalpourune femmeenceinte.MaiscommentMartineaurait-

ellepudeviner?Matthieu,sonfilsaîné,exagéraitdenepasl’avoirprévenue.Elleessuyasesmainspleinesdefoiegrassursontablier,ouvrittouslesplacardsdesacuisineetsoupira,désemparée:

–Antoinette,vouscroyezquej’ai le tempsd’allerauMonoprix?Iln’estque20h35,si jemedépêche…

Martinen’eutpasletempsdeterminersaphrasequedéjàretentissaitl’Interphoneduportail.–Etm…mince!lâchaMartine,sentantlestressmonter.

–3–Àlabonnefranquette!

S’efforçantdereprendreunevoixenjouée,Martinerépondit:–Oui?Quiest-ce?–C’estmoi,tuouvres?demandapeuaimablementsonépoux,revenudelabenneàordures.Martinepoussaunoufdesoulagement.Enfilantsonmanteaupar-dessussontablier,ellesedécida

àabandonnersabelle-mèrepourfilerausupermarché.Quandellecroisasonmaridansl’allée,elleluiexposarapidementlasituation.Jacquesl’arrêtanet:

–C’estridicule,tunevaspasyallermaintenant.Ilssontdéjàlà.Entraindesegarer.–Ohnon!Bon,qu’est-cequ’onleurfaitàmangerànosdeuxbelles-filles?–Tuasprévuquoipourlespetits?demandaJacques.– Neme dis pas qu’en plus j’ai oublié de prévoir pour mes petits-fils ? Oh le stress ! gémit

Martineentrottantverslamaison.Antoinettetiralesdeuxépouxdanslacuisineetleurservitàchacununverredevin.–Tenez,buvez,çairamieux!Martine tremblaitde toutsoncorpsetsoncœurbattait lachamade.Aumoins,cepetitverrede

sauternes laréchauffait.Beaucoupplusserein,Jacques,aprèss’être lavélesmains,contrôlaaveclasondelatempératureàcœurdesonchevreuil.Ilsourit.

–Maismoi,çavatrèsbien,maman.C’estMartinequifaittoutuncirquepourtroisfoisrien.Onvabientrouverdesnoixdecajouetdesaspergesenboîtepournosbelles-filles,etçaseratrèsbien.Nosplacardsdébordent.Espéronsjustequecenesoitpaspérimé.

– Des asperges en boîte pour le réveillon ? Elles vont vraiment nous détester. Tu n’as pas duCanigou,pendantquetuyes?

Martinegrimpasurunechaiseenboiset,soutenueparsonmari,sortitdeuxbocauxd’unplacard.–TiensJacques,toiquiasdesyeux.Tupeuxmelireladatequiestinscritesurcetteconserve?Ilsaisitseslunettesdevuedanslapochedesachemiseetlesplaçasursonnez:–2008.Maisçasepérimevraimentlecaviard’aubergines?Luiquinevoyaitaucunproblèmeàdégusterdesyaourtspérimésdepuisplusdedeuxmoisaurait

avalé lesdeuxconservessur-le-champsiMartinenelesavaitpasdéjàexpédiéesà lapoubelle.Elleavaitdenouveaulatêteaufonddesplacards.

Antoinette,sonverrevideetsonintérêtdécroissantpourlaconversation,lançaunautresujet.Elleétaitdécidéeàprêcherlefauxpoursavoirlevrai:

–Cen’estpasquevosdiscussionsnem’intéressentpas,mais...Alors,toi,Jacques,commentçasepasseautravail?Ilyaunenouvelleéquipesurleschantiersquetusurveilles?

–Moi,c’estsimple:jesuisdé-bor-dé!Mesgarspassentleurtempsàm’appeler.Ondiraitqu’ilsnesontpascapablesdesedébrouillersansmoi.C’estlimitesij’aipuavoirdeuxjourspourNoël.Etpuis,ilsm’ontcolléunnouveauàformer,pastrèsfute-fute.Maisbon,vautmieuxçaquel’inverse!

Lavieilledameesquissaunemoueboudeuse.Sonfilsavaithéritéd’unefiertéexcessiveetétaitpassémaître dans l’art de dissimuler toute information qui ne lemettait pas à son avantage. Ellen’insistapasetsemitàraclerdudoigtlaterrinedanslaquellesabelle-filleavaitpréparélefoiegrasdusoir.

Jacques,unœilsurlefouretlesmainssurlesfessesdesafemmepourl’aideràtenirenéquilibresursachaise,sursautaquandlegrille-painéjectauntoastquepluspersonnen’attendait.Antoinette,plusrapidequelesautres,secontorsionnasouslatablepourl’attraper.

–Ilnefautpasêtrecardiaquechezvous!commenta-t-elle.–Bon,maisqu’est-cequ’ils font ? s’impatienta Jacques. Ils étaientdéjàdans la rue, il y adix

minutes : il ne leur faut pas trois jours pour arriver jusqu’à lamaison, quandmême ! Tu trouvesquelquechose,Martine?

–Riendutout.Çamedéprime!–Laissetomber.Ilsn’avaientqu’àprévenir.Etpourlegibier,donc,jelaissecombiendetemps?–Tuasmislaminuterie,non?Alors,jusqu’àcequeçasonne!réponditMartine,exaspérée.Aumêmeinstantretentitlasonneriedelaporte.Lestroiscomparsestressaillirentdanslacuisine.

Jacqueslâchaun«Ahenfin,cen’estpastroptôt!»ironique.

–4–Onnechoisitpassa(belle-)famille

Derrièrelafenêtredelacuisine,lestroisfils,collésserrés,faisaientdesgrimacesetdesdessinséquivoquessurlavitregelée.Martine,descenduedesachaise,leursouriaittoutenmurmurant,sansremuerleslèvres,àl’intentiondesonmari:

– Le cadeau de Laura ! Jacques, file à l’étage, regarde parmi ceux que l’on n’a pas encoreattribués.Prendsn’importelequeletredescendsauplusvite,s’ilteplaît.

–Net’inquiètepas,j’avaisprévuquelquechosepourelle.Jecomptaisluidonneruneprochainefois.Jelemetssouslesapinetjevousrejoins.

– Bon, on va leur ouvrir ou ils passent le réveillon à claquer des dents dehors ? demandaAntoinetteenclaudiquantverslaported’entrée.J’aibienfaitd’arriverenavance,moi…

Sur leseuil, ilsétaienthuit,grelottantsmaissouriants.LesLeGuennecaugrandcomplet.Toutd’abord, la petite famille deMatthieu, avec sa compagne Stéphanie et leurs deux enfants, Paul etJules, cinq et trois ans. Alexandre, venu contre toute attente avec Laura. Et enfin, Nicolas, quiprésentaitpourlapremièrefoissanouvellepetiteamie,Jeanne.

Celafaisaitplusieursmoisquelestroisfilsn’avaientpasétéréunis,etlesvoirensemble,devantleurmaisond’enfance,serra lecœurdeMartine.Lesgarçonsembrassèrent tendrement leurmèreetleurgrand-mère,puisdonnèrentuneaccoladeàleurpère,encoreessoufflédesacourseàl’étage.

Cachéederrièreunbouquetdefleurs,lanouvellearrivée,Jeanne,fitunebisetimideàsesbeaux-parents. La jeune trentenaire était belle, rousse, et très souriante. Quand elle offrit les fleurs, enremerciantpour l’invitation, sesbeaux-parentsdécouvrirentun accentmarseillais chantant.Nicolastenditunebouteilleàsesparents:

–ChoisipourvousparnotresommelièreJeanne.J’aidûdévoilerunpeulemenumais jepensequececruvousplaira.

Nicolasentradans lacuisinepourydéposer labouteille. Il s’apprêtaitàcarafer levinquand ilremarqual’effluvearomatiséquiembaumaitlapièce:

–Hum,çasentdélicieusementbon,maman.Çamedonnefaim!Est-cequejepeuxt’aideràquoiquecesoit?

–Nonmerci,monsieur lecuisinier. Je te rappelleque tuesde reposaujourd’hui.Profitede tesfrères.Etpuis,j’aifinidetoutefaçon.Passonsausalon.

Jacques,quisesentaitfloué,précisa:– Je te fais remarquer que ce que tu sens,mon fils, c’est un fumet de chevreuil, annonça-t-il,

espérantrecueillirleslaurierspourledînerqu’ilavaitcuisiné.Etpourlemoment,jesuisassezfier:ilsembleparfaitementtendre.Tum’endirasdesnouvelles!

Nicolasétaitchefdansungrandrestaurantparisien.Passionnéettalentueux,ilyavaitgraviavecsuccès les échelons, pour la plus grande fierté de ses parents. Son emploi du temps laissait peudeplaceàuneviesocialedéveloppée,notammentàcausedesweek-endsoùiltravaillait.C’étaitdoncàson travailqu’ilavait rencontréJeanne.Labelle rousseétait lasommelièredurestaurantet,depuisprèsdedixmois,ilsfilaientleparfaitamour.

Dansleséjour,AntoinettefaisaitdiversionauprèsdePauletJules,sesdeuxarrière-petits-enfants,pendant que tous s’efforçaient de cacher les cadeaux dans la pièce du fond. Jacques, Martine etNicolaslesrejoignirentdanslesalon.

–Bon,vouscouchezlespetits,qu’oncommencelesfestivités?lançaJacques.Tousseretournèrentvers luipourvérifiers’ilplaisantaitounon.Mais ilsemblaitextrêmement

sérieux.Martinepritleschosesenmain.–Attends,répliqua-t-elle.Lesenfantsviennentàpeined’arriver.Ilsvontprendrel’apéritifavec

nous?Çateva,Stéphanie?–Oui,sicelanevousdérangepas,ilspeuventresterjouerunpeu,dit-elleavecunregardappuyé

endirectiondesonbeau-père.C’estNoël,toutdemême!Etquandonpasseàtable,jelescouche.Ilsontdéjàdîné,detoutefaçon.

–Trèsbien,maisc’estmoiquim’occupedugibier,ajoutaJacques,etjenevoudraispasqu’ilsoittropcuit.Jevousmetsunpeudemusique?

Il se leva et chercha, dans son importante collection, le disque idéal pour le dîner.Après avoirlongtempshésité, ilpoussaunrâledecontentementet revints’asseoiravecses invités.Lanouvellevenue, Jeanne, esquissa un sourire en reconnaissant dès les premières notes la voix du chanteur.Nicolasl’avaitprévenue:ilsrisquaientd’avoirdroitàMichelSardouàunmomentdonnédelasoirée.Maisdèsl’apéritif,ellenel’auraitpasparié.Jacquesétaitdoncunvraifan!

Lamaîtressedemaisonvirevoltaitautourdesesconvivesenleshouspillant:–Asseyez-vous, vous n’allez pas rester debout toute la soirée quandmême. Zou ! Champagne

pourtoutlemonde?Àmoinsquenotresommelièresuggèreautrechosepourcommencer?–Duchampagne,ceseraparfait.Voulez-vousque je le serve,que jem’occupeduvincesoir?

proposaJeanne.–Surtoutpas,malheureuse!intervintsonbeau-frèreMatthieuensouriant,c’estchassegardéeici.

D’ailleurstuasintérêtàaimerlesvinslégers.Pournepasdirelapiquette!–Commentça,lapiquette?rétorquaJacques.J’avaisprévudevousservirmonpetitLabelRouge

de2005quej’aidénichéchezmoncaviste,maissivousfaiteslafinebouche,jeleboiraitoutseul,nevousinquiétezpas!

–Doncneufcoupes,c’estcela?poursuivitMartineentendantlabouteilleàAlexandrepourqu’ilserve.

–Paspourmoi,prévintStéphanie.–Ah!Uneannonce!Quelquechoseànousdire?latitillaAlexandreenfaisantsauterlebouchon

du champagne. Vous savez, Matthieu et Stéphanie, qu’à partir de trois enfants, vous allez devoirchangerdevoiture.

–JeposeuneoptionsurvotreGolf,ditleplusrapidementpossibleNicolas,commes’ils’agissaitd’uneventeauxenchères.

–Maispourquoiilsenferaientuntroisième?coupaAntoinette.Ilssontbienlesdeuxpremiers!–Pasd’annoncedenotrepart,intervintMatthieu,enrevanchejevoudraiscomplimentermaman

pourlabellechemiseneuvequ’ellearéussiàfairemettreàpapa.Etleschaussures!Tuaspresque

l’airclasse,papa.C’estpourtanouvellebelle-fille,Jeanne,quetuasfaituneffort?JenemesouvienspasqueStéphanieetLauraaienteudroitàdetelségards…

–C’est lemoinsqu’onpuissedire, commentaAntoinette,pluseffrayantqu’autrechosepour lanouvellevenue…

–Bon,heu,c’estmafêteouquoi?Cequejeconstatesurtout,c’estqu’onparle,onparle,maisonnemangepasbeaucoup!Qu’est-cequetuasprévupourl’apéritif,Martine?Ilestdéjà21h20!dit-ilentapotantlecadrandesamontre.

Martinejetaunœilnoiràsonmari:–Jeteremerciedemeproposertonaide!Tuverras,c’estdanslefrigo.Etsitupeuxfairegriller

lestoastsaussi,tuserasbienaimable!Jacquesselevaengrommelantpourrejoindrelacuisine.Ilyétaitdepuisbiencinqlonguesminutes,onentendaitdesbruitsdeplacards,degrille-painet

des«aïe,çabrûle»àrépétition,maistoujourspasdetoastsenvue.Finalementunhurlementretentit:«Martiiiiine!C’estoùdanslefrigo,jenetrouvepas!»

–Excusez-moi,jereviens,fit-elleenfilantverssonmari.Provenantdelacuisine,un«etmerde…»s’invitaalorsdanslesalon.Antoinette,installéedans

sonfauteuil,s’empressadepréciserpourJeanne:– Jem’excuseparavancepour lemanquedebonnesmanièresdemon fils. Jen’aipasapprisà

Jacquesàparlercommecela…AntoinettesetournaalorsversStéphanieetchuchota:– À moi, vous pouvez le dire. Stéphanie, tu es enceinte ou non ? Je connais les précautions

habituelles,attendretroismois,toutça,maisquisaitsidanstroismoisjeseraiencoredecemonde!–Bien tenté,maisnon ! réponditStéphanie, agacée.Ona ledroit denepasboirede temps en

tempssansêtretoutdesuitesoupçonnéed’êtreenceinte,enfin!Sivousvouleztoutsavoir,onaeudesamisàdînerhiersoiretj’aiunpeutropbu.C’esttout!

–Tuaslagueuledebois!résumaNicolas.Bravo,lamèredefamille!–Maislaissez-ladonctranquille,intervintMartine,revenantdelacuisine,leplateaudetoastsau

foiegras entre lesmains.Faitesunpeudeplace sur la tablebasse, s’il vousplaît.Moi, à l’âgedeStéphanieetLaura,j’avaisdéjàtroisenfants.Ceseraitdoncnormalsielleétaitànouveauenceinte,maischacunsonrythme.Quiveutdelaconfituredefigues?

Jacques,ànouveauinstallésurlecanapé,louchasurlepotquiluipassasouslenez.–Paspourtoichéri,onlimitelesexcèscesoir.–Maman,arrêtedemettrelapressionàtesbelles-filles,repritMatthieu.Tuétaisenceintedemoi

alorsquetuterminaistesétudes.Personneneferaitçaaujourd’hui.Quandonaunvraimétier,onfaittoutpourlegarder.

–Quellepression?Jesuisdéjàgrand-mèrededeuxadorablesamours.QuePauletJulesaientunpetit frèreouunpetit cousin,celan’aaucuneespèced’importance,ditMartineencaressant la têteblondedeJules.Maisj’espèrequandmêmeavoirunepetite-filleunjour!Vousn’êtespasd’accord,Antoinette?

StéphaniejetaunregardnoiràMatthieu,quilança:–Allez,surce,portonsuntoastàladernièrearrivéedanscettefamilledefous,Jeanne,etànous

tous,réunispourceréveillon!Santé!Lesverress’entrechoquaientquandlepatriarcheseleva.– Jacques, où vas-tu comme ça ? râlaMartine en voyant sonmari s’échapper alors que tout le

mondeétaitprêtàcommencer les festivités.Peux-tu laisser tongibieruneminuteetvenir t’asseoir

pourtrinqueravecnous?Toutlemondeprendradeshuîtres?Stéphanie?Deretouravecunplateauenargentdanslesmains,Jacquesprécisafièrement:–CesontdeshuîtresdeCancale!–Et?demandasabelle-filleLaura.–Ehbien,ellessontcenséesêtremeilleurescar…hésitaMartine.Onva laissernotreexperten

gastronomie nous expliquer. Alexandre ? Heu,Matthieu ? Heu, merde, je vais finir par y arriver,Nicolas!Nedit-onpasquecellesdeCancalesontlesmeilleures?

–Mamie,deuxeuros!ditPaulsansreleverlatêtedesoncircuitdevoiture.–Non,uneuro,moncœur,jen’aiditqu’un«mauvaismot».Tuneveuxpasplutôtreprendreun

bretzel?tentalagrand-mère,essayantdecorrompresonpetit-filsavecungâteauapéritif.–Aveclegrosmotdepapydanslacuisinetoutàl’heure,çafaitdeuxeurosentout!Etjepréfère

reprendreunetranchedepâtédeNoël.–Dufoiegras?demandaJacquesaupetitbonhommequiacquiesçatoutdesuite.–Ilaquelâgedéjà,celui-là?Cinqans,c’estça?fitAlexandre.Çapromet!–Donc,pourvousrépondresurleshuîtres,continuaNicolas…–Ons’enfiche,non?l’interrompitLaura.–Jedisaisdonc,poursuivitlejeunecuisinierenpiquantunehuîtreavecsafourchette,quec’est

surtoutuneaffairedegoût.Certainslesaimentplusiodées,d’autrespluscharnues,avecunemâcheplusoumoins…

–Jecroisquejevaisvomir,ditStéphanie.Onchangedediscussion,s’ilvousplaît?– Surtout qu’on a eu exactement la même l’année dernière ! commenta Antoinette en

engloutissantbruyammentunehuître.Après que les premiers verres furent vidés et les coquilles d’huîtres entassées sur le plateau,

Jacquesselevaetannonça:– Vu que le gibier sera prêt dans une heure, je propose qu’on passe à table pour l’entrée.

Stéphanie,tucouchestespetits?Onleurdonneranoscadeauxdemain.–Vousvoulezdire«lescadeauxduPèreNoël»!repritlabelle-fille.Matthieu,tupeuxt’occuper

decouchernosenfants?Mercimoncœur.–Attendez !LePèreNoël !?Maismoi je l’aidécommandécetteannée !Vousm’avezditque

PauletJulesn’avaientpasétésuffisammentsages…plaisantaJacques.Instantanément,Julesfonditenlarmes.Stéphanieselevaaussitôtetditàsoncompagnon:–FinalementMatthieu,jemechargedelescoucher.J’aibesoind’unepause!Martinefusillasonmariduregard,quipritunairahuri:–Çavaencoreêtredemafaute!

–5–Onnefaitpasd’omelettesanscasserd’œufs

Affaléaufondducanapé, lachaleurde l’âtreréchauffantsonvisagedéjàempourprépar levin,Jacques était satisfait : il avait réussi à terminer le repas sans faire de boulettes avec la nouvellevenue.Pascommeauréveillonde2008.

CeNoël-là,Stéphanien’avait rienmangénibuaudîner,nonparcequ’elleétaitenceintedesonpremierenfant,maisparcequesonbeau-père l’avaitpassablementénervée.Arrivéeenavance,elleavaitproposéd’allerchercherAntoinette,quirevenaitd’unvoyageparletraindefind’après-midi.Lajeune femmeavait garé la voiture de ses beaux-parents juste devant la gare et avait retrouvé assezfacilementlavieilledameparmilesdernierspassagersdescendus.

Commeilétaitencoretôt,ellesavaientimproviséunepetitebaladedansleparc,brasdessusbrasdessous,sedécidantàrentreraumomentoùlalumièredéclinait.

Stéphanievoulait laisserunpeude tempsauxgarçons,pourqu’ilsse retrouvententreeux,sansfemme. Elle n’aimait pas particulièrement les heures qui précédaient le réveillon chez lesLeGuennec:unmachismeambiantrégnait,lestroisfilsetleurpèrejouaientàlaconsolecommedesados,riaientgrassementdevantdesbêtisiersdiffusantenboucledeschutestoujoursplusidiotes,ouencore se disputaient à propos de football, tout cela sans penser un instant à aider les femmes quis’affairaientencuisine.

Stéphanie était la seule belle-fille qui avait eu le privilège de venir deux années de suite. Elleaimait à penser que son compagnon, Matthieu, était le plus stable des trois frères. À d’autresmoments,ellesedisaitplutôtqu’elleétaitsurtoutlaplusstupidedesbelles-fillesdenepasavoirpristoutdesuitelapoudred’escampette,unefoisqu’elleeutmieuxcernélafamilleoùelleavaitmislespieds.

Il faut accorder à Jacques que, les boulettes, il n’est pas le seul à en commettre.Cette fois-là,c’étaitellequiavaitfaitfort.Trèsfortmême.Ellenefaisaitpaslafièrequandelleavaitdûappelersonbeau-pèredepuislegarage.

Une erreur, cela arrive à tout le monde. C’était sa première dans la famille Le Guennec, elleespéraitaussiqueceseraitladernière,maisc’étaitmoinssûr.

Effectivement,elleauraitpulireplusattentivementl’indicationprèsdubouchonduréservoirsurlavoituredesonbeau-père.Mais,àsadécharge,onperdunpeulatêtequandonestenceinte.Donc,oui,c’estvrai:diesel,cen’estpasessence.Maismêmes’iln’yavaitpaseumortd’homme,elleavaitvraiment cru sa dernière heure arrivée, surtout en voyant la tête paniquée deMartine, en tablier etdécoiffée,lorsqu’elleétaitvenuelesrécupéreraugarage.

En franchissant le seuil de la maison familiale ce Noël-là, la tension était électrique. Dans lesalon,lesgarçonsétaientdebout,silencieux.Jacquess’étaitenfermédanslacuisineethurlait.

–Maisilfautêtredébile,c’estécrit!Oualorsanalphabète!Qu’ellemedisecequ’ellepréfère…Martine était entrée dans la cuisine pour calmer son mari. Il était encore temps de sauver le

réveillon.On entendait pourtant une petite voix chuchoter encore, sans pouvoir distinguer tous lesmots:

–Rendreservice,rendreservice?Quandonveutrendreservice, lamoindredeschosesc’estdevraiment rendreservice.Qui luiademandédefaire leplein?Je l’avais faitavant-hier !Qu’onmeredemandeunjourdeprêtermavoiture...Neuve,enplus.Etmêmepasencorerodée.Tropbon,tropcon!

–Calme-toiJacques.TuvaseffrayerStéphanie.Allez,çasuffit,personnen’aeud’accident,onvapasseràtableetoubliertoutça.

–Oublier ?Mais çava encore êtreunehistoire à troismille euros !Et qui vadevoir fairedesheures sup’ ? Sûrement pasmademoiselle Stéphanie ! Ce n’est pas avec son petit travail pépère àl’assurancequ’ellevasetueràlatâche.Ça,pourfairelestrente-cinqheures,ilyadumonde,maispourallumersoncerveau,etlirecequiestécritengros,iln’yapluspersonne.Maiselleestvraimentdébile,maparole!

Stéphanie,d’abordliquéfiéedevantlaportedelacuisine,avaittournélestalons,décidantqu’ilssepasseraient tousde la présenced’unedébile à leur réveillon.Àcommencerpar son compagnon,Matthieu,incapabledeprendresadéfenseetdecalmersonpère.

–6–Œilpourœil,dentpourdent!

Alorsque ledînerpesait sur l’estomacdeJeanne,quiavaitcommis l’erreurdedébutantedeseresservirenchevreuiltantellel’avaittrouvésucculent,elleperçutl’excitationquienvahissaitlapièceaumomentoùminuitapprochait.Aupremiercoupdel’horloge,unepiledecadeauxsurlesgenoux,chacuns’empressad’enleverlesemballages.

La tradition familiale voulait qu’on les ouvre tous enmême temps sans dévoiler qui en était àl’origine. Ce qui permettait d’offrir des cadeaux à «message ». Ainsi, l’abonnement aumagazineNotre Temps qu’avait souscrit Stéphanie pour Jacques – alors qu’à l’époque, il n’avait même pasencoresoixanteans–étaitpassécommeunelettreàlaposte.Jacquesétaitmêmeplutôtravi,louantlesarticles«defondtrèsintéressantssurdessujetsquimeconcernentvraiment».

QuandStéphanie découvrit son premier cadeau, un ouvrage sur le rottweiler, elle eut un rictus.Aussitôtelleseditqu’ellenes’abstiendraitplus,parmauvaiseconscience,d’offriràsonbeau-pèrelepetit livre sur le blaireau, qu’elle avait déjà acheté.Après tout, c’était Jacques qui avait ouvert leshostilitésquatreansauparavantenluiréservantl’ouvrageDel’avoine…audiesel!,référencelourdeàsabêtisepasséepourlaquelleelleauraitespéréfaireprofilbas.

Sabelle-sœurLauradéballaitaumêmemomentsonderniercadeau.Lefameuxprésentajoutéinextremisaupieddusapin.Unlivreégalement,àmessageaussi,ensouvenirduprécédentNoël,Noël2014.

Àceréveillon,Jacquesavaitcuisiné.Duchevreuil.Ils’étaitmisenquatrepourtoutfinirdanslestemps. Il était stressé, avait stressé tout lemonde, s’était sali, en avaitmis plein la cuisine et sontablierétaitmaculédesang.QuandLaura,lanouvellebelle-fille,étaitarrivée,elleavaitétéaccueillieparunsourirechaleureuxetsincère.Qui,malheureusement,n’étaitpasrestélongtempssurlevisagedeJacques.

Information importante qu’Alexandre, le compagnon de Laura, aurait pu relayer : la dernièrevenueétaitvégétarienne.Et,pourcouronnerletout,ellenejuraitqueparlebio.AugranddésespoirdeJacquesquis’étaitsurpassé,lanouvellebelle-fillen’avaitdoncrienavalédudîner.Nichevreuil,nifoiegras.Elleavaitjustedonnédanslasoupeàlagrimace.

Ladiscussionavaitreprisdeplusbellesursonactivitéprofessionnelle,quiintriguaitlepatriarche.–Mais,çarapportel’humanitaire?Parcequec’estbienbeaudevouloirsauverlemonde,maisil

s’agitsurtoutd’êtreindépendantfinancièrement!Onvientàpeined’arrêterdesponsoriserAlexandre,qui,semble-t-il,afinipar«setrouver»aveclaphotographie,avaitditJacquesenponctuantleverbedeguillemetsmanuels.Ilfautespérerqu’Emmaüspaiemieuxquelaphoto!

–NousavonsdesbesoinsmodestesavecAlexandre,etonysubvientsansproblème.Sijenemetrompe,nousnevousavonsjamaisdemandéd’argent,n’est-cepas?avaitconclulajeunefemmeensetournantverssoncompagnon.

Devantlemalaisequis’étaitinstalléentrelebeau-pèreetlecouple,MartineavaitlancéunautresujettoutenfoudroyantJacquesduregard:

–Etdonc,vousavezadoptéunchat?–Oui, un siamois.Vous le verrez la prochaine fois que vous nous rendrez visite à Paris, avait

réponduLaurad’untonenjoué.–Avecplaisir.Etquandallez-vousprendreuntéléphonefixe?avaitpoursuiviMartine.–Mais,pourquoifaire?Onadéjànosportables!Etpuis,onn’estpassouventcheznous.–C’estquandmêmepluspratiquequandonessaiedevousjoindre.Aucasoùonpasseraitdansle

quartierunjouretqu’onvoudraitvousfaireuncoucou,parexemple…–Enfin,maintenantilyapeudechancesqu’onviennevousvoirsouvent,avaitcoupéJacques.Ce

n’estpasquejen’aimepaslesanimaux,maisjesuisterriblementallergiqueauxchats.– Comme moi ! Ce n’est pas que je n’aime pas les légumes, c’est que je suis terriblement

allergiqueauxpesticides.Auxsulfitesdanslevinaussi,d’ailleurs.Çamedémangelenez,jusqu’àendevenirinsupportable,avaitconcluLaura.

C’estàcemomentquelamoutardeétaitmontéeaunezdeJacques.Lauraavaitjugébondepasserle reste de la soirée en cuisine, à laver tous les fruits et légumes – malheureusement pas bio –,s’accordant une assiette de réveillon triste à pleurer. Elle avait enfoncé le clou en faisant toute lavaisselle,afindepasserlemoinsdetempspossibledanslasalled’interrogatoire.

SoiréeasseztranquilledoncpourlavégétarienneencomparaisonavecleréveillondeStéphanie,dumoinsjusqu’àcequelehurlementstridentdeJacquesretentisse,alorsquechacunsemettaitaulit.

–Ah!Oh!Aaaah!C’estglacééééééééé!Jerêve,JoséBovéapristoutel’eauchaudepourseslégumes.Jesuissûrqu’ellel’afaitexprès!

–Chuuuut, Jacques, on va t’entendre.Tuprendras ta douchedemainmatin, quand la chaudièrefonctionneradenouveau,avaittemporiséMartine.

– Et je fais comment pour rincer le shampooing ?Nonmais franchement, elle n’aurait pas puutiliserdel’eaufroide!

Le lendemain matin, Laura avait filé à Paris avant même le lever de son beau-père. Martinen’auraitsudiresielleétaitsoulagéeoudéçue,nisisabelle-filleretenteraitunjourl’expérienced’unréveillondeNoëlaveceux.

–7–Àchaquepotsoncouvercle!

Martineétait satisfaite.Tout s’étaitbienpasséavec lanouvellevenue.Elleavaitvraimentbienfait demettre Jacques en garde. Il s’était abstenu de lancer ses petites remarques.Etmême quandJeanneavaitaffirméqu’ellesoutenaitl’équipedefootballdeMarseilleplutôtquel’équiperennaise,elle n’avait pas entendu son « tout lemonde fait des erreurs ».Avec Stéphanie et Laura aussi lesapparencesavaientétésauves.Enfin,presque…

Dansleurchambre,àpeineétaient-ilscouchésqueLauras’assitdanslelit,rallumalalumièreetditàAlexandre:

–Tum’expliques?–Quoi?Qu’est-cequej’aifaitencore?demandaAlexandre,perplexe.–Bah,lecadeaudetonpère!C’estunmessageouquoi?–Quelcadeau?–LebouquinsurMonsanto.–Maisnon,tuesparano!–En tout cas, ilme cherche !Àme refaire du chevreuil et du foie gras !Si je pouvais, jeme

forceraisàtoutingurgiterpourpouvoirtoutdégobillersursachemisetropserrée.–Arrête,tuvoislemalpartout,machérie.Àl’étagedudessous,JacquesetMartines’installaientenfinaulit,aprèsunejournéeépuisante:–Tuexagèresquandmême,Jacques.TuyesalléunpeufortavecStéphanie.– Il faut bien que quelqu’un lui dise, non ? Elle aboie sur tout le monde, tout le temps. Et

maintenant, sous prétexte qu’elle est enceinte et frustrée, c’est pire que d’habitude. Et puis, lerottweileradesbonscôtésquandmême...

–Oui,mais tu auraispu éviterde lui prendre encoreun livre : elleva croireque celavientdemoi…EttuasoffertquoiàLaura,finalement?Tunem’aspasdit.

–Unlivresurlesbienfaitsdespesticides.–Çapasse.EtJeanne,elleaeudroitàsonpetit livredebienvenue?Elleestsympathique,tout

comptefait!–Jeanne?Non,justeunCD,pasencoredecadeaupersonnalisé,çasemérite!ditJacquesavecun

sourirecomplice.Etpourquoi«toutcomptefait»?–Bah,avecsescolères, il faut lesupporternotreNicolas.Onauraitputombersurunefolle,ça

n’auraitpasétélapremièrefois,d’ailleurs.Maisils’estbiencomportécesoir.SiseulementJeannepouvaitêtrelabonne!Enpluselleestjolie.Unerousse,çanouschange!soupiraMartine.

– En revanche, son accent marseillais, j’ai vraiment du mal, commenta Jacques. Ça doit lahandicaper dans son métier de sommelière, en plus. Comment peut-elle être crédible pourrecommanderunbordeauxavecl’accentduRoussillon?

–Laissesonaccenttranquilleetcouche-toi.Onaencoreunematinéeàpasseraveceux,ilfautquetusoisirréprochable!

Dehors,dansle jardin,JeanneetNicolasprofitaientenfind’unmomentderépit.Partageantunecigarette,ilssuivaientlevoldeschauves-souris.

–Tuleursdirasquejedétestelire,suppliaJeanne.StéphanieetLauraonteudeslivresvraimentpourris : sérieusementNicolas, si je peux éviter de passer les lendemains de réveillon sur eBay àrevendremescadeauxdeNoël, jepréfère ! J’espèreque tamèrenesevexerapas.Elleest libraire,non?

–8–Tourneseptfoistalanguedanstabouche!

Lanuitavaitétédifficile.Lamaisonn’étantpassigrande,nitrèsbieninsonorisée,PauletJulesavaientréveillétoutlemonde,malgréeux,endemandanttouteslesheuressic’étaitmaintenantquel’on pouvait ouvrir les cadeaux. À 7 h 30, Stéphanie, Antoinette, Martine, Laura et Jeanne seretrouvèrentdoncautourdelatable,enpyjama,àboireleurcafé,enregardantlesdeuxgarçons,toutemmitouflés,joueravecleurnouvelhélicoptèretéléguidédanslejardin.

Pourchacune,lanuitavaitétéagitéeetladigestioncompliquée.Laura,quinevoulaitincriminerpersonnepoursonestomacfragilisé,faisaitdutridanslesplacardsavecl’aidedeMartine,quil’avaitautoriséeà jeter lesboîtesdeconservepérimées. Jeanne,grossedormeuseen tempsnormal et loind’êtredumatin, essayait de réveiller doucement son cerveau en faisant lesmots croisés duMondemais, à la douzième rature, elle se rabattit sur leSudoku.Stéphanie, en véritablemère poule, étaitcollée à son Babyphone pour suivre la discussion des petits qui jouaient dans le jardin. SeuleAntoinettesemblaitenpleineforme,àchantonnerlachansondeMichelSardouMarie-Jeannetoutenétantplongéedanssalecture.

–Moi, je ne lis plus queLePoint. Les hommes politiques, de droite comme de gauche, ils enprennentpourleurgrade!Etçafaitdubiendetempsentemps!Etvous,quelisez-vouspourvoustenirinformées?

Lestroisbelles-fillesseregardèrentencoinetéchangèrentunsourirecomplice,unpeugêné.Detouteévidence,lapolitiquen’étaitpasleurtassedethé.Ellesesquivèrentlaquestion,quandsoudainun chien pénétra dans le jardin et se mit à sautiller aux pieds des garçons pour s’emparer del’hélicoptère.

–TataLaura!Ilyaunchienquipuequiveutnouspiquernotrehélico.Viensvite!Laurasortitets’approchaduchien.–Commenttut’appelles,monbeau?C’estvraiquetunesenspastrèsbon.Elle le caressa, regarda à l’intérieur de ses oreilles et constata qu’en plus de ne pas avoir de

collier,iln’étaitpastatoué.Laurarepassaunetêtedanslamaisonetinformaqu’elleallaitfaireletourdupâtédemaisonspourtenterdetrouverlespropriétairesdel’animal.

Troisheuresplus tard, la jeune femmerevintenfin,mais toujoursavec lechien, tenuen laisse.Cettefoisilportaituncollier.

–Tuenasmisdutemps,chérie!Tuasretrouvésonpropriétaire?luidemandaAlexandre.–Non.Missionimpossible.Touslesvoisinssontpartisenvacances.C’estunevéritablegalèrede

trouverunvétérinairedegardele25décembre.Etçam’acoûtédeuxbras.Maisaumoins,maintenant,ilestvaccinéetadesmaîtres.Etunnom.JevousprésenteJack!

Le reste de la famille les ayant rejoints, tous se tournèrent vers le patriarche, qui, commeAntoinette qui chantonnait toujours, ne semblait pas avoir fait le rapprochement avec son propreprénom.

–Mais,vousallezgardercechien?Siçasetrouvequelqu’unlecherche,repritNicolas.Enplus,ilestloind’êtrebeau.C’estunbâtard,non?

–J’ajouteraiquec’estminusculechezvous.Etvousavezdéjàunchat!Ilsvontsefairelaguerre!commentaJacques,aussitôtsanctionnéparleregardnoirdeLaura.

–C’estquoi,tata,unbâtard?demandaPaul.Ungrosmot?–Noncen’estpasungrosmot,etluicen’estpasunbâtard.C’estunjackrussel,moncœur.Un

chien de race. Vous pouvez vous abstenir de faire des remarques désobligeantes : c’est décidé, onl’emmènecheznous,àParis.Levétérinaireaconfirméqu’ilétaitenbonnesantéetqu’ilpouvaitvivreenappartementavecunautrelocataire.Alorsontentel’aventure.Etpuis,j’ailaissémescoordonnéesauvétérinaire,aucasoùsesancienspropriétaireslechercheraient.

–Bon,onyvaLaura?lapressaAlexandre.Ilfautpartirmaintenant,sionveutêtreàl’heurepourdéjeunercheztesgrands-parents.Onavraimenttropmangéhiersoir…Jen’aipasdutoutfaim,moi.

–Onvayaller aussi, annonçaNicolas.C’était très sympa.Merci encorepour tout,maman.Tunousasrégalés,commed’habitude.Jetetiensaucourantsionvientauskienfévrier.Normalement,oui.Papa,àbientôt?

–ToietMariepartezdéjà?demandaJacques.Tout lemonde se figea. Jeanne écarquilla les yeux,Martine baissa la tête en fixant ses pieds,

pendant que Jacques rembobinait mentalement les derniers mots qu’il avait prononcés.Marie…Personne n’osait plus parler. Le silence le plus gênant du monde, propre à figurer dans le LivreGuinnessdesrecords…

Nicolasfinitparbriserlaglace:–Oui,Jeanneetmoi,ondoitfiler.Allez,saluttoutlemonde!Ilsn’avaientpasencorefranchileportailquedéjàleshurlementsdelajeunefemmesefaisaient

entendre.–Marie?Jecroyaisqu’ellen’étaitqu’une«amie»!Tul’asprésentéeàtesparentsaussi?Mais

tuenasramenéescombienici?Dis-moisijedoisprendreunnuméro,Nicolas…–Arrête, Jeanne, c’est ridicule, ce n’est pas du tout ça. À tous les coups, c’est à cause de la

chansonqu’onaécoutéetoutelasoiréehieretils’estmélangélespinceaux.Iln’estplustoutjeune,tusais!

–Netefouspasdemoi,Nico.Dansdeuxsecondes,tuvasm’annoncerquetonpèreaAlzheimer.Nemetouchepas.Allez,tiens,prendstonbilletdetrain,etlaisse-moitranquille.

Danslejardin,Matthieuapplaudissaitsonpère.–Bravopapa,tuasfaittrèsfort!Celle-là,jel’attendaisplutôtdelapartdemaman,maislà,tu

t’essurpassé.Onyavaitvraimentcru…Qu’unefoisaumoins,tupourraisnepasfairedeboulettes.Mais, non.Même quand il ne reste plus qu’à faire la bise et dire au revoir, tu arrives à tout fairecapoter.C’estdommage,elleavaitl’airsympa,Jeanne.

Unbruitsefitentendreprovenantdutoit.JacqueslevalatêteetdécouvritStéphanie,lamèredesesdeuxpetits-fils,entraindesecouerlarambardedelafenêtredupremierétage.

–Çabranle,Jacques!Çabranle!Cen’estpassécurisécettebarrière.Ellevaresterdanslamaindequelqu’un,oupire…

Jacqueslevalesyeuxauciel.Toujoursàimaginerdesdrames,celle-là…

– Nous, à l’assurance, on a eu un cas similaire. Résultat de la négligence : un enfant a finitétraplégique!Jesaisquevousavezrénovécettemaisonavecvotreéquipe,maisparfoisc’estbienaussidefaireappelàdevraisprofessionnels.Vousvoulezquejefassevenirunartisanouvousvoulezleréparervous-même?Entoutcas,moi,jenefaisplusdormirmesenfantsdanscettechambre.Avantdepartir,jevaisfaireletourdel’étageetjevousdirais’ilyad’autresfenêtresàsécuriser.

Stéphanierentralatêteàl’intérieur.DevantlesourirenarquoisdeMatthieu,Jacquessoupira:–Arrêtederire,abruti,etvaaidertafemmeenceinteaveclesvalises.Etsipossible,avantqu’elle

ne démonte toutes les fenêtres. Je ne sais pas ce qu’elle fabrique,mais tes enfants vontmourir dechaudcouvertscommeçasivousnepartezpasdanslaminute!conclut-ilensetournantverslesdeuxboutsdechou,raidescommedesBibendums,engoncésdansleursépaissesdoudounes.

–Jeteprécisequ’ellen’estpasenceinte!Aucasoùiltetiendraitàcœurdenepasvexeruneautredetesbelles-filles,papa…conclutMatthieu.

–9–Enfintranquilles!

Allongéscôteàcôtesurlestransatsdujardin,chaudementemmitouflésetlunettesnoiressurlenez,JacquesetMartineprofitaientd’unrayondesoleil.

–Ah!Enfin,tranquilles!lâchaJacques.–Onlesaimebeaucoup, tous,surtout lespetits,déclaraMartine,maisçafaitdubienquandils

partent.Jesuisépuisée.Jesuisvraimentcontented’avoirencorequelques joursdevacances.Tuneveuxpasallermefairechaufferdel’eaupourunthé?

–MaisonnedéjeunepasMartine?Ilestpresque14heures…–Jenemesenspasbien,etjen’aipasfaimdutout.Sers-toiunetranchedeviandefroide.Ilreste

aussidusaumonetdufoiegras.Maisneprendspaslestrois.Jet’aivuteresservirdeuxfoishier!Situpouvaiséviterdemourirdixansavantmoi,çam’arrangerait.Jenepasseraipasmaretraitetouteseule.

Jacques revint de la cuisine avec une assiette de viande froide accompagnée de moutarde deMeauxetdequelquesmorceauxdepain.

–Sinon,onreparledetagaffe?lançaMartine.–Oh,çava!Tutetrompestoutletempsdeprénompourtesfils,idemquandtumeparlesdetes

belles-filles.–Oui,maisçanem’arrivejamaisdevantelles!–Ehbien,ilyaundébutàtout!EtsiJeannerésisteàcetteépreuve,c’estqu’elleestfaitepour

notrefamille.Cardesboulettes,ilyenaurad’autres.Etçachangeraitd’enavoirunequinesoitpassusceptible,pourunefois.OnnepeutrireniavecStéphanie,niavecLaura!Ellessevexentpourunrien.

– Pour un rien ? Avec ce que tu leur as déjà dit, tu peux comprendre qu’elles soient sur ladéfensiveavectoi.

Martine regarda son mari engloutir ses deux tranches de viande en quatre bouchées, puiss’enfoncerdanssontransat,pourdigérer.

–Onfaitquoipourlenouvelan,Jacques?TuasregardépourledîneràSaint-Malodontjet’aiparlé?Jeréserve?Etpuis,ilyauneexpositiondepeinture.J’aimeraisbienallerleurproposermestoiles,pouruneprochainefois.Houhou,tum’écoutes?

JacquesvenaitdeprendreLeMondeets’apprêtaitàfaire,commechaquejour,sesmotscroisés.Ildécouvritalorsquequelqu’uns’yétaitdéjàattaqué,etavectrèspeuderéussite.

–Oui,oui,mais jenesaispasencore, rétorqua-t-il,absent. Jenesaispasquiacommencémesmotscroisés,maisc’estnifait,niàfaire.Ilyadesfautespartout!Etc’esttoutraturé.Jenepeuxpas

reprendre ça ! « Du vieux avec du neuf », on a mis : « cougar ». C’est trop court ! C’est«nonagénaire».Grrr!Tumeparlais,Martine?

–Lenouvelan?Saint-Malo?Jeconfirme?–Attendsavantderéserver.Tusaisquelesgarsduchantiertravaillentpendantlesfêtes.Ilsvont

sûrementavoirbesoindemoi.Ilsn’ontpasarrêtédem’appelerdepuisunesemaine.Ilssontperdussansmoi,etlepetitjeune,ilnesaitpassefairerespecter.

– Jacques, tudevrais lever lepied.C’est cequ’ils t’ontdemandéd’ailleurs,non?Tuesàcrandepuisquelquetemps.Dansunan,tuesàlaretraite.Ilfautqu’ilsapprennentàsedébrouillersanstoi.Et toi,sanseux…C’estmoiquiaibesoinde toi !J’aimeraisque l’onfasseplusdechoses tous lesdeux.

–Maisonauratoutletempsaprès!remarquaJacques.–Oui,maisçafiletropvite.Çamefaitpeur,onneprofitepasassezdesmomentsquel’onpasse

ensembleetavecnotrefamille,ilfautlefairetantqu’onestenbonnesanté.–Attends,onvientdelesavoirtousàlamaison,là.Laisse-nousletempsdenousenremettre!–Jesuissérieuse,Jacques.Jeneveuxplusqu’onsedisputeaveceux.Ilssonttropimportantspour

nous.Pourmoi,entoutcas.–Pourmoiaussi,chérie!Pourmoiaussi.Tonthédoitêtreprêt.Jevaistelechercher.Jacquesrevintavecunetassefumanteetluifitunbaisersurlefront.–Tusais,continuaMartineenbuvantunegorgéedubreuvagebouillant,depuislamortdepapa,

j’aisouventl’impressiond’êtrecommecespersonnagesdebandedessinéequicourentau-dessusduvide,etnetombentquelorsqu’ilss’aperçoiventqu’ilyaungouffresouseux.Etjenepeuxrienfairepouréchapperàcettechutefatale.

–Maisqu’est-cequetubaragouines,Martine.Tuasdeshallucinations?J’aiencoreconfondulasaugeavectesfeuillesdethé?

–10–Volerdanslesplumes!

Avachis dans leur canapé, devant la télévision, Martine et Jacques observaient des pseudo-célébritésqui s’embrassaientpour se souhaiterunebonneannée.Comme tous lesans, ilsn’avaientfinalementrienfaitdespécialpourleréveillon.«Unefêtecommercialepourpigeons»,avaitrésuméJacquespour s’éviter cette corvée.Et comme tous les ans, leurs téléphonesportablesn’allaientpastarderàbiperquandilsrecevraientlesSMSdeleursfils.

Martineselevaetdébarrassalatablebasseduplateau-repas.Quandellerevint,ellesepostaentreJacquesetletéléviseur,etdemanda:

–Alors,c’estquoitabonnerésolutionpourlanouvelleannée?–Écarte-toi,s’ilteplaît.Jen’yaipasréfléchi,detoutefaçon,lesbonnesrésolutions,c’estpour

lesploucs.Onn’ajamaisprisdebonnesrésolutions,pourquoicettequestion?–Moi, j’enaiunepourtoi.Plusieurs,même.D’abord, j’aimeraisquetuprennessoindetoi.En

commençantparvraimentfaireattentionàtoncholestérol,etparlâchertonBlackBerry.Etaussi,çanousferaitvraimentdubiendeprendredesvacancesrienquetouslesdeux,plutôtquedepartirauskiavectoutlemondeenfévrier.J’adoreraisalleraucarnavaldeVenise.Qu’enpenses-tu?

–Rienque ça ?Mais tu saisbienque celanedépendpasdemoi ! Ils peuventm’appelerd’unmomentàl’autrepouruneinspectionsurunchantier.Viensterasseoir:ilsvontannoncerlenuméroundubêtisierdel’année!

–Maisj’enairienàfiche,moi,dececlassementdébile!–Tutegâchesvraimentlespetitsplaisirsdelavie,Martine!– Tu peux parler ! Tu n’asmême pas voulu regarder lemariage deKate etWilliam.Alors, le

carnavaldeVenise?Onréserve?–Jenepeuxpas.Ilsontbesoindemoi!– Jacques, arrête de vouloir te prouver que tu restes indispensable, arrête de travailler sans

compter tesheures.Cen’estpasunecompétition, tun’auraspasdemédailleà la fin.Tu t’imposestout seulun rythme infernal, et çame fait peur.Tuas remarquécomme tu asmaigri ?Tu te rendscomptequetunedorsplusetquetuesdevenucynique?

–Pasplusqued’habitude,si?plaisantaJacques.– Je suis sérieuse. Il faut que tu fasses ton deuil, que tu cesses de tementir : elle est finie la

périodede«JacquesleMagnifique»,l’ingénieurenchefquifoutaitlafrousseàtoutlemondesurleschantiers.Maintenant,tudoispenseràtoi,àtaretraite.

Jacquessecoualatêtepoursignifieràsafemmequ’elleracontaitvraimentn’importequoi,maisMartinepoursuivit:

–Jem’inquiètepourtoi,sincèrement.Tuprendstasantéàlalégère.Enplus,partiscommenouslesommes,tum’aurasbientôtbrouilléeavecnosfils,nosbelles-fillesetjenepourraiplusvoirmespetits-enfants.Cen’estvraimentpascequej’aientêtepourmesvieuxjours.

– C’est bon ? Tu as fini ? Tu es pénible en 2016, Martine ! Qu’est-ce que tu as ? C’est laménopausequirefaitdessiennes?Tusaisbienquecen’estpassifacilepourmoidem’absenter.Entoutcas,pourfévrier,c’estdéjàsûrquejenepourraipaspartir.Onresteralà.

Àboutdenerfs,Martinesedirigeaverslacuisineenemportantlabouteilledevinàmoitiébue,puisellerevintsursespas:

–Tunepeuxpas,outuneveuxpas?J’enaimarrequetuneveuillesjamaisrienfaire!Tumefreines!Quandallons-nousprofiterdel’argentquel’onmetdecôté?Quandonseramorts?Parfoisj’ai l’impressionqu’onestdéjàmorts.Onreste toujourscheznous,à rien faire, sansprojets.Tuesaccrochéàtamaisoncommeunemouleàsonrocher.Etmêmepourenprendresoin,carelletombeenruine, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, tu rechignes. Tu as remarqué que le thermomètre nedépassepasles16°C?Celamedéprimed’avancedepassermaretraitedanscetrou:ongèle,yapasdelumière,ons’emmerde,onn’entendqueletic-tacdel’horloge,quandtunemetspaslatéléenfondsonorepournepasavoiràmefairelaconversation.

–C’estbon,tuasfini?Etpuis,situasfroid,enfileunpull.Jesuisbien,moi.–Maisj’aidéjàdeuxpulls!Tuasmislamainprèsdelafenêtre:onsentl’airpasser.Et,cen’est

pasavec tacheminée«déco»qu’onvase réchauffer.Qu’est-cequ’il fautpourque tu tedécidesàinstaller du double vitrage ? Que j’attrape une pneumonie ? Tu ne fais tellement pas attention aumonde qui t’entoure ! Tu ne sais même pas que j’ai dû m’absenter de mon travail pour aller enurgenceàl’hôpitallasemainedernière.HeureusementquemoncollègueDanielétaitlàpourmoi,lui!

Jacquesdécouvrit,atterré,cetteinformation.IltentadeprendreMartinedanssesbrasmaisellelerepoussa:

–Etpourrépondreàtaquestion:non,j’enaipasfiniaveclesbonnesrésolutions.J’aimeraisaussiquetucommencesàprendreunpeusoindemoi.

Jacques ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel tout en attrapant le portable qui venait debiper.LavoixdeMartinesefitplusaiguëencore:

–C’estça,vas-y,sautesurlapremièreoccasiondem’abandonner!–C’esttontéléphone,Martine.C’estmamèrequit’appelle.Martinesaisitl’appareiletpritunegrandeinspirationpourparaîtrelepluscalmepossible.–BonsoirAntoinette.Oui,toutvabien.Bonneannéeàvous!Non,riendespécial,etvous?Hum.

Ehbien,vousenavezde lachance,celaavait l’aird’être trèssympa,dit-elle, regardantfroidementsonmari.Siquoi?SionpeutvousemmenerdimancheprochainchezMatthieupour lagalettedesRois?

EllesetournaversJacquesetlefusilladuregard.–Oui,j’yvaisbiensûr,nonaucunproblèmepourvousprendreavecmoi.Non,Jacquesneviendra

pas.Iladutravail.Vers10h30.Entendu,àdimancheAntoinette.Quandelleraccrocha,ellesemitàpleurer:–Mêmetamèreestinvitéecheztonfils,alorsquenous,non!Àforcedevexertesbelles-filles,

toutlemondenoustourneledos.J’enparlaisaufutur,maisc’estdéjàlecas!Lepire,c’estquejemesens coupable d’aller chez mon fils sans y être conviée. Mais, je te préviens, tes erreurs nem’empêcherontpasdeprofiterdemespetits-enfants.Etnepensemêmepasàt’imposer!

Alorsqu’ellepartaitsecoucher,Martines’arrêtaenbasdesescaliersethurla:–Etmêmetamèreafaituntruccesoir!Tuesvraimentunvieuxcroûton,Jacques.Bonnenuit!

–11–Envoiture,Simone!

Danslavoiture,Martineculpabilisaitd’avoirappelésonfilspours’inviteràlagalettedesRois.Même si Matthieu l’avait rassurée et lui avait dit qu’elle était la bienvenue, elle ne pouvaits’empêcherdepenserlecontraire.Detoutefaçon,elleavaittoujourspeurdedérangerquandelleserendaitchezsonfilsetStéphanie.L’impressiond’entrertelleuneintrusedansleurantre.

Ils étaient ensemble depuis onze ans et avaient leurs habitudes. C’était sûrement ce que l’onappelle un couple de la nouvelle génération,maisMartine avait parfois l’impression queMatthieuétait tropgentil, etqueStéphanieenprofitaitpouren faire lemoinspossible.C’était leurmodedefonctionnement,etcen’étaitsurtoutpasàelled’émettreunjugement–onluidemanderaitsûrementdebalayerdevantsaported’abord.

StéphanieetMatthieus’étaientrencontrésdans lecadrede leur travail.Elle travaillaitpourunecompagnied’assurancesetluicommeagentimmobilier.IlsavaienttrouvéuntrèsbelappartementàBoulogne-Billancourt en banlieue sud-ouest de Paris. Suffisamment loin de leurs beaux-parentsrespectifspourn’avoiràleurrendrevisiteaveclespetits-enfantsquedurantlesvacancesscolaires.

AntoinetteparlaittouteseuledepuisdéjàquelquesminutesquandMartineréalisaqu’elleluiavaitposéunequestion.

– C’est vraiment dommage que Jacques n’ait pas laissé son travail pour venir avec nous !remarquaAntoinette.D’ailleurs,quitravailleledimanchedenosjours?C’estlégal,ça,Martine?

–Jenesaispas.J’espèrequeoui,sinonjevaiscommenceràm’inquiéter,comptetenudunombredeweek-endsoùilm’aditqu’iltravaillait,ajoutaMartineenriantjaune.

–Ilyauraquialors,aujourd’hui?JeanneetNicolas?Ilssonttoujoursensemble,cesdeux-là?–Pourêtretoutàfaithonnête,jen’ensaispasplusquevous.Souvent,même,vousêtesdavantage

aucourantquemoi!QuandellesarrivèrentàBoulogne-Billancourt,ilfaisaitunfroidpolaire.Elless’arrêtèrentdansun

bistropourgrignoterunsandwichavantdeseprésenterà14heureschezStéphanieetMatthieu, lesbras chargésd’unebellebruyèred’hiver toute rosepour lamaisonetd’unebouteilledecidrepouraccompagnerlagalette.

Quand Matthieu leur ouvrit, il les embrassa tendrement et semblait sincèrement ravi de leurprésence.Stéphanie,quiavaitprisdel’ampleur,étaitassisedanslecanapé,etdiscutaitavecLauraquiétaitdéjàarrivée.OnentendaitJean-JacquesGoldmanenfondsonore,etplusloinrésonnait lavoixd’Alexandre, qui jouait au capitaine Crochet avec ses neveux. Matthieu prit la plante et, aidé deMartine,sechargeadefairedelaplacesurlebarséparantlacuisinedusalon.IlleurappritqueJeanne

etNicolas,bienqu’apparemmenttoujoursensemble,travaillaient,etnepourraientdoncsejoindreàeux.

Martinesedirigead’unpasfaussementassuréverssesdeuxbelles-filles.–Bonjourlesfilles.Commentvas-tuStéphanie?Non,netelèvepas,j’arrive.–Jemesenstrèsfatiguée.Larepriseaétédureàl’assurance.Etvous?–Moi, trèsbien.Beaucoupdepluie ces joursderniers, j’espère que cela va se refroidir unpeu

avantnotresemaineauski.Lesdeuxbelles-fillessejetèrentunregardencoin,alorsqueMatthieuproposaitunthéchaudaux

nouvellesarrivées.–Jepeuxvousproposerduthécitron,àlamenthe,thévertouthénoir.Jen’aimalheureusement

plusdethéauxfruitsrouges.Qu’est-cequivousferaitplaisir?–Unthécitronpourmoi,réponditMartine.–Pourmoiégalement,poursuivirentenchœurAntoinetteetLaura.–Iln’yaplusdethéauxfruitsrouges?demandaStéphanie,déçue.J’enavaistrèsenvie.Tantpis,

jeneprendrairienalors.QuandMatthieurevintavecleplateauchargédetassesfumantes,ilavaitunsourirevictorieux.–Chérie, neme demande pas comment j’ai fait,mais j’ai retrouvé un sachet de thé aux fruits

rouges.Voicitatasse.Faisattention,elleesttrèschaude.Stéphanie allait le remercier quand elle huma le parfum citronné qui émanait des autresmugs.

EllefitunemouequeMatthieuneconnaissaitquetropbienetreprit:–Enfait,leurthéaucitronmetentebienfinalement…–OK,nebougepas,Stéph.Jevaist’enfaireunetasse,proposaMatthieu,repartantencuisine.Quandilrejoignitsesinvitées,ilposalatasseetunetrèsgrandegalettesurlatable,puishurlaen

directiondelachambredufondens’asseyantenfin:–Paul?Jules?VenezdirebonjouràmamieetAntoinette!Lagaletteestprête…Quiveutlaplus

grossepart?Lesdeuxpetitsgarçonsdéboulèrent aussitôt–déjà incapablesdemarcher calmement en temps

normal,ilsbattaienttouslesrecordsquandils’agissaitdegâteau!–Bonjourmamie!BonjourAntoinette!lançaPaul.Onpeutavoirdelagalette,maintenant?–Uneseconde,Paul,réponditsonpère.Jules,onabesoindetoipourladistributiondesparts.Tu

doisallersouslatableetdirelenomdechaquepersonne,uneparune.OK?–OK,fitJulesenrampantpoursefaufilersouslatablebasse.–Alors,elleestpourqui,lapremièrepart?demandaMatthieu.–PourZules!réponditlejeunegarçonensortantdesouslatablepoursaisirsonassiette.–Attends,ilfautquetudiseslesprénomsdetoutlemondeavantdepouvoircommenceràmanger

tapart.Etcelle-ci,elleestpourqui?–Saispas,moi…Zules!Biendécidéeànepasattendrequesonarrière-petit-filsaitterminédefairedessiennes,Antoinette

seservitunepartaprèsavoirvérifiéquelafèves’ytrouvait,sousl’œilébahideStéphanie.Matthieu,qui connaissait bien sa grand-mère et savait que chaque année elle répétait : « C’est peut-êtremadernièregalette,autantque jesois la reine !», rassuraaussitôt sacompagne, lui faisantsignequ’ilavaitanticipéleproblèmeetmistroisfèvesdanslagalette.

– Et la dernière part pour mamie, donc. Qu’est-ce qu’on disait avant les galettes ? demandaMatthieu,reprenantleurconversation.Ahoui,lesvacancesauski!

Stéphaniesefigeaaussitôt.

–Maman,onabienréfléchiet,pournous,cen’estpeut-êtrepaslemomentidéalpourallerauski,continuaMatthieuprudemment.

–Maispourquoi?Jenecomprendspas,vousétiezsienthousiastesàNoël.Qu’est-cequiachangédepuis?

–J’ailafève!s’exclamafièrementAntoinetteensortantunobjetdesabouche.Jules et Paul étaient consternés et à deux doigts de fondre en larmes, quand Stéphanie leur

rappela:–Mais celaneveutpasdirequ’il n’y apasune fèvedansvotrepart…Faites très attentionen

mangeant:croquezdespetitsbouts!–C’estpasvrai,àl’écoleilsontditqu’ilyavaittoujoursuneseulefève.C’estpasjuste:c’est

toujoursAntoinettequil’a,gémitPaul.Jesuissûrequ’elletriche!–HeuPaul,onn’accusepascommeça,etpuis,cen’estpasvrai,danslesgrandesgalettesilya

deuxfèves.Etparfois,danslestrèsgrandesgalettes,commelanôtre,ilpeutmêmeyenavoirtrois!assuraStéphanieenjetantunœilàsoncompagnon.

–Et donc, pourquoi vous ne voulez plus venir au ski ? relançaMartine. Il s’est passé quelquechosedont jenesuispasaucourant?Jevousvoiséchangerdespetitsregards, là.C’estàcausedemoi?

Lesilencesefit,pasforcémentrassurantpourMartine.Ellehasardaalorsun:–C’estàcausedeJacques?Parcequesic’estça,sachezqu’ilneviendrapascetteannée.C’est

sûràcentpourcent:ilvatravailler.D’uncoup,latensionserelâchaetStéphaniepritlaparole:–Cen’estpasseulementàcausedeJacques,non.Jesuisfatiguée,etjenesuispassûred’avoir

envie de skier, nimême dem’occuper des petits au chalet pendant une semaine. Je préférerais leslaisseràmamère,enGironde.

–Oui,maisonpeutyrepenser,ajoutaMatthieu.Onn’estjamaismotivéspourallerauskimais,unefoisqu’onyest,onest toujoursravis,non?Onte tientaucourant,maman.Tuenpensesquoi,Alexandre?

–Moi,j’aitoujoursétépartant.C’étaitvousquifaisiezmachinearrière.Ilfautjusteespérerqu’ilnousresteassezdevacancesàLauraetmoi.

–Entoutcas,moij’yserai,conclutAntoinette,labouchepleine.Etsinon,labouteilledecidre?On la boit cette année ou on attend la galette de l’année prochaine ? Nous n’allons pas tarder àrejoindrenotrehôtel,n’est-cepasMartine?Cen’estpasquejem’ennuie,maisjenevoudraispasyallertroptard.Sinonjerisquedelouper«Questionspourunchampion»…

–12–Ilnefautpaspoussermémédanslesorties

QuandJacquesavaitvusafemmerevenirdesonescapadeparisiennelelundi,ilavaitàpeinelevélesyeuxdesonjournaletdemandé:

–Alors,c’étaitbien?Quatrecentskilomètrespourunepartdefrangipane…Jesuisbiencontentdem’êtreépargnéça!avait-ilconclu,énervantunpeuplusencoresonépouse.

Martinel’avaitignoré,puisluiavaitrappelélesrèglesdujeu:–C’estlimite,Jacques.C’estlimite!Sij’étaistoi,jeferaisprofilbas.Carjeteconfirmequec’est

biendetafautesinousn’étionspasinvitésceweek-end,etc’estaussiàcausedetoiquelesenfantsneveulentplusallerauskiavecnous.

–Maisilspeuventyaller!Moi,detoutefaçon,çamebarbeleski!Tuleurasdit?–Tunevoispasquecen’estpasça,leproblème?Lesvacancesauski,c’estl’arbrequicachela

forêt. Ils en sont à ne plus vouloir venir pourPâques, ni auxvacances d’été, et encoremoins pourNoël.Etjelescomprends!

–Maistuexagèrestoujours.Quandilsvontréalisercombiencoûtentdesvacancesenlocation,ilsreviendrontfrapperànotreporte.

Faceàcemurd’incompréhension,Martinen’avaitqu’uneenvie:partirdechezelleenclaquantlaporte. Mais elle se rendait bien compte que son mari n’avait toujours pas saisi la gravité de lasituation.Elleajoutaalors:

– Je vais te résumer les choses. Il semble que tu aies dumal à intégrer les informations, alorsécoute-moibien,jenemerépéteraipas.Enfévrier,lesenfantsvontauski,sanstoi.C’estréglé.Moi,je t’aiditque j’avaisenviedepartiravec toienamoureuxet j’attends toujoursque tuorganisesneserait-cequ’unweek-end.Tumesuis?

–Oui,maisjet’aidéjàditqu’avecletravail…–Chut!Jecontinue.Doncça, tuascompris.Ensuite,pourPâques, jevaisramperetm’excuser

platementpournousdeuxs’illefaut,maisjevaismedébrouillerpourquelesenfantsviennentpasserquelques jours cheznous.Ce sera tadernière chancedebien te comporter avec eux.Et tadernièrechancedemeprouverquetufaisleseffortsquejet’aidemandésaunouvelan.

–Cesonttesbelles-fillesquit’ontmontélatête?demandaJacques.–Arrêtedechercherdescoupables.Ellesn’ontrienàvoiravecça.Jeteparledetoietmoi. J’ai

l’impressiondenepasexister,d’êtrelecentredel’invisibilitéavectoi.Tunevoismêmepasquandtudépasses les bornes, quand tu dis des choses blessantes. Tout faire en fonction de toi, c’est fini,Jacques!

Il la regardait s’agiter, avec l’impression de visionner un vieux filmmuet deChaplin.Dans sabulle,ilavaitfermélesécoutillesetneprêtaitquepeud’attentionàcequesafemmeessayait,dansunflotdeparolesininterrompu,deluidire.

–Quandj’observemesbelles-filles,j’envieleurliberté.Moiaussij’aimeraisprendreunchiensuruncoupdetête,pouvoirt’envoyerbaladerquandtuasfaim,ouboireunverredeplussansmefairereprendre parce que, peut-être, je vais dire des sottises. J’aimerais ne plus avoir à demanderl’autorisation.Etsurtout,avoirledroitdeneplusêtreparfaite.

–ArrêteMartine,tuesridicule.Tucaricatures,là!–Moi, jeveuxprofiterdemaretraite,etceseraavecousans toi.Onn’estpasobligésde finir

notre vie ensemble, Jacques. Et je préfère savoir dès maintenant si je dois planifier les chosesdifféremment,tantqu’ilmeresteassezdetempspourrefairemavie.

–Ah,parcequec’estdecelaqu’ils’agit?Tuasquelqu’und’autre?Daniel?Lecollèguequitetourneautour?

–Écoute-moi,Jacques.Là,j’aiatteintmalimite.Etilfautquetucomprennesqueçanepeutpascontinuerainsi.J’aibesoind’air.J’étouffe.J’enaiassezqu’onmedictecequejedoisfaire.D’abordpapaetmaman,puistoi.Çasuffit.Àpartirdemaintenant,jedécidecequimefaitplaisir,àmoi.Libreàtoidem’accompagneroupas,celanechangerapasmadécision.Tusaiscommentmefaireplaisirpourfévrier.Situestropstupidepouragir,jepartiraisanstoi.Etd’icilà,réfléchisbienàcommenttuveuxpassertesdernièresannées.Tudépassesuneseulefoisencorelesbornes,etjem’envais.Onnepourrapasdirequejenet’aipasprévenu,Jacques!

AprèsqueMartineeutquittélapièce,Jacquesessayadeserepasserlesinformations,maisseulunacouphènerésonnaàsesoreilles,unlongbipsynthétiquetelceluiémitparunélectrocardiogrammelorsd’unarrêtcardiaque.

–13–Çasentlesapin!

Jacquesn’auraitjamaispenséqueMartinemettraitsesmenacesàexécution.Mêmequandilavaitvulagrossevaliseprèsdelaported’entrée.Detouteévidence,ilavaitloupéquelquechose.Elleavaitditavoirbesoindeprendrelelargepourfairelepointmais,finalement,ellen’avaitpaseuenviedepartirseuleetavaitdécidéderejoindresesfilsauski.

Detoutefaçon,Jacques,leski,cen’étaitpaspourlui.Songenoufinissaittoujoursparsebloquer.Doncsic’étaitpourfairedesmotscroisés,ilétaitaussibiendanssonfauteuil,tranquille,toutseul,quedanslesalonduchaletoùonétaitlesunssurlesautres.

Cependant, ilsentaitque lasituationétaiten trainde luiéchapper,etquandMartineappelasontaxi pour la gare, il espérait encore qu’elle le supplie de l’accompagner.Mais elle ne pipamot et,quand le véhicule arriva, elle enfila son manteau sans lui jeter un regard. Ce fut à ce momentseulementqu’ilcéda,certaindeluifaireplaisir:

–D’accord,tugagnes.Donne-moidixminutes,letempsquejefassemavalise,etjeviensavectoi.

Martineneluilaissapasletempsdebougerunorteil.Elles’approchadelui,plantasesyeuxlesplusnoirsdanslessiensetditlepluscalmementpossible,ledoigtpointéverslui:

–Turesteslà.Net’avisesurtoutpasdedébarquerparsurpriseauski.Tun’espaslebienvenu.Unconseil:profitedecemomentpourréfléchiràcedontjet’aiparlé.

Sur ce,Martine claqua la porte derrière elle, faisant trembler toutes les fenêtres et rambardesbranlantesdelamaison.

Jacquesauraitbienrétorquéquelechaletétaitàluietqu’ilétaitdonclibredes’yinviterquandillesouhaitait,maisquelquechosel’avaitretenuetils’étaittu.Laraison,peut-être?Toutdemême,ilétaitdécidé: il l’appelleraitlesoir,poursavoirsielleétaitbienarrivéeetvérifiersielleluifaisaittoujourslatêteounon.

Ellevoulaitpartirseule,ilnes’yétaitpasopposé.SiMartineétaitpleinededoutes,enquoicelaleconcernait-il ?Etpourquoi se sentait-il coupable?Elleavaitmêmeadmisque, s’ilne l’écoutaitplus,àsadécharge,cela faisait longtempsqu’ellenes’écoutaitpluselle-mêmenonplus.Elleavaitconcluavecuneréflexionphilosophiquedugenre:«Jenesauraisdirecequimemanque,maisjemerendscomptemaintenantquel’importantcen’estpasd’avoirlesbonnesréponsesmaisdeseposerlesbonnesquestions.»

Etlesgarçonsnel’avaientpasaidésurcecoup-là.«Mamanaraison.Laisse-laprendredurecul.Etsiellefinitparfairesacrisedelasoixantaineetqu’elleveutuntatouage,conseille-luiplutôtdesefairerefairelesseins!»

Plongéedans l’obscuritéd’une journéequi s’annonçait sans soleil, lamaisonétaitdevenue trèssilencieuse.Jacquesn’étaitpasd’humeuràécouterdelamusique,pasmêmeMichelSardou.Ildécidaalorsdefairesesmotscroisésmaisnetrouvaaucunmot.C’estvraiqued’habitudec’étaitMartinequil’aidaitàdébloquer la situation. Jacques reposa le journaletprit le romanpolicierqu’elle luiavaitconseilléquelquessemainesplustôt.Lalecturedelaquatrièmedecouvertureledécouragea.

–Ç’al’airchiantàmourir!lâcha-t-il.Jacquestournaenronddelonguesheures.Ilpleuvait.Pasletempsidéalpourarpenterlesplages

armédesondétecteurdemétalàlarecherched’untrésorperdu,sapassiondepuisdesannées.Danslacuisine,ilnetrouvariendetrèsappétissant.Lefrigonecontenaitquedesrestes.Martine

ne luiavaitmêmepas fait lescoursespour la semaine. Il retournas’asseoir leventrecreux.Et s’ill’appelaitmaintenant?Elledevaitêtrearrivéeàcetteheure.

Avantdecomposerlenuméro,ildécidad’allumerlaradio.Celaluiferaitunfondsonore.Sinon,ellepourraitcroirequ’ildéprimaitsanselle.

Toutàcoupluivintl’idéedusiècle:maisoui,Antoinette!Ilallaitproposeràsamèredevenirpasserquelquesjourschezlui!Ellesesentiraitmoinsseule,commeça.

Lavieilledameréponditaussitôt:–Oui,j’écoute?–Allômaman,c’estJacques.–Jet’entendstrèsmal.Onestaurestaurantaveclespetits.TuveuxquejetepasseMartine?–Euh…oui,maistuesoù,maman?Jacquesn’avaitpasdutoutprévudeparleràsafemme.Ilsentitsoncœurs’accéléreretsesmains

devenirmoites.C’étaitridicule,pourquoicestress?Instinctivement,ilaugmentalesondelaradio.–Allô?…Mais,c’estqui,Antoinette…?demandalavoixfamilièredeMartine.–Martine?C’estJacques.Tuesbienarrivéeauchalet?–Jacques?Jenet’entendspasbiendutout.Lamusiqueesttrèsfortedansnotrerestaurant.Tout

vabien?Tunetesenspastropseul?–Non,ne t’inquiètepas.Lesgarsm’ont appelé. Ils avaientbesoindemoi sur le chantierde la

médiathèque.Làondéjeuneencoupdevent.D’ailleurs, ilsmefontsigne: il fautquej’yretourne.Bon,jesuiscontentquetonvoyagesesoitbienpassé.Ons’appellecesoir?

–Oui,onessaie.Bonnejournéeetnet’acharnepasautravail.Repose-toi,tuenasbesoin.Jacques raccrocha, etmême s’il eut l’impression queMartine ne lui en voulait plus, il ne put

s’empêcherdelâcher«Maisquelcrétin,jefais»ens’observantdanslemiroir,plusseulquejamais,aveclaradioquihurlaitderrièrelui.

–14–Quandlechatn’estpaslà,lessourisdansent!

Jacquesétaitplantéàcôtédesontéléphone.Elleexagèrequandmême,ilestpresque22heures.S’ilavaitdûtravaillerlelendemain,ilseraitdéjàaulit.N’ytenantplus,iltéléphonaàsafemme.

–Bah,tunem’appellespas?Tuasvul’heure?attaqua-t-il.–BonsoirJacques.Onvientàpeinederentrer,expliquaMartine.–Àcetteheure-ci?Ehbien!Quandlechatn’estpaslà…–JetepasseStéphanie.Elleaquelquechoseàtedire…Stéphanie,c’estJacques!–Allô,Jacques?Vousallezbien?Vousnevoussentezpastropseul?demandalajeunefemme.–Tuvoulaismedirequelquechose?coupaJacques.–Oui,avecMatthieu,onvoulaitvousannoncerunebonnenouvelle.Jesuisenceinte!–Ah,ça…dit Jacquesd’unevoixdéçue.Ahoui !C’estunesupernouvelle, félicitations.Donc

vousallezchangerdevoiture?–Euh,onn’yapasencoreréfléchi.Elleesttrèsbien,notrevoiture.–Moijesuistoujoursintéressépourvousrachetervotrevoiture!hurlaNicolasdanslefond.–Vousvoulezquejevouspassevospetits-enfants?demandaStéphanie.–Ilsnesontpasencorecouchésàcetteheure-là?Pasétonnantqu’ilssoientpénibleslajournéesi

onlesfaitveillertardlesoir!Moi,àmonépoque…–Jacques,jevousarrêtetoutdesuite:c’estexceptionnel.Onfêtel’anniversairedeJeanne.–Jeanneestlà,finalement?Souhaite-luiunbonanniversairedemapart,veux-tu?–Attendez,jevousmetssurhaut-parleur.Voilà,c’estbon!–Salut,lesjeunes.Alors,ilyaquidevotrecôté?–Bah,toutlemonde,saufvous!IlmanqueaussiLauraetAlexandre,ilsn’ontpaspuselibérer.–Ahça,cen’estpasfautedelesavoirprévenus…Prendredesanimaux,c’estuneconnerie,après

onestbloquéspendantlesvacances!– Non, je crois tout simplement qu’ils n’avaient plus assez de jours de congé. Et vous alors,

commentsepasseletravail?demandaJeanne.–BonjourJeanne,bonanniversaire!Toutvabiendemoncôté.Ettoialors,tonpremierjourdeski

enfamille:tuarrivesàsuivrelerythme?–Jeneskiepas,doncçavasuper.JesuisrestéeauchaletavecAntoinette.–Quelleidée!Allerauskipournepasskier…–Sij’aibiencomprisc’estcequevousfaiteschaqueannée…Etvousavezregardélematchce

soir ? Même à dix contre onze, il semblerait que Marseille soit indubitablement meilleure queRennes…

Étonnamment,quandJeanneparlaitdefootball,elles’emballaitetsonaccentmarseillaisreprenaitledessus.

–Enfin,matchnul:iln’yapasdequoifanfaronner!–Alorspapa,tuescontentdelabonnenouvelle?relançaMatthieuenarrière-plan.–Quellenouvelle?Ahoui...lagrossesse.Trèscontent,jel’aidéjàditàStéphanied’ailleurs.Vous

allezpouvoirformeruneéquipedefootmaintenant!EtStéphanie,tuvasarrêterdetravailler?–Jenesuispassûred’avoirbiencompris,Jacques.Çacoupeparmoment.Oui, jevaisprendre

moncongématernitéetensuitejereprendraimontravailàl’assurance.–Maispourquoi?–Jacques,c’estMartine,Stéphaniefaitcequ’elleveut,çaneteregardepas!D’ailleurs,àpropos

deStéphanie,tuasfaitvenirlesouvrierspourlesrambardes?–Ahoui,lesrambardes!Leurplanningétaitcompletcettesemaine,maisjelesrelanceavantles

vacancesdePâques.Attends,jenecomprendspas,Stéphanie,tucomptesvraimentretravailleraprèstontroisièmeenfant?Tonmarigagnepourtantassez…

–Bonnenuit,Jacques!conclutAntoinette,quis’étaitemparéedutéléphonedeMartine.Qu’est-cequ’ilestdésagréable,parfois,celui-là…

Àl’autreboutdufil,Jacquesrestapantois,tentantdesepersuaderquelacommunicationavaitétémalencontreusement interrompue. Pour autant, il jugea que la discussion ne valait pas la peine derappeler.

–15–Rentrerdanslemoule

Delafenêtredesachambre,Jeanneobservait l’horizon.Devantelle, lamontagnesedessinaitàtraverslabrume.Depuislechalet,onavaitunevueplongeantesurlavallée.Letempssemblaits’êtrearrêtésurcepaysagesitranquille.Malgrél’humeurlégèredetoutelafamillelorsdesonanniversairela veille, Jeanne avaitmal dormi. Elle avait fait bonne figure,mais les accrochages réguliers avecNicolas laminaientdeplusenplus.Elleétaitassailliededouteset réalisaitqu’ellenepourraitpascontinuerainsilongtemps.

Lajeunefemmefaisaitdesonmieuxavecsoncompagnon,maiségalementavecsabelle-famille,pour les séduire. Rentrer dans lemoule, ne pas faire de vagues. Elle tenait à semontrer sous sonmeilleur jour et faisait des efforts avec tout lemonde.Sesbeaux-frères, sesbelles-sœurs, sa belle-mère etAntoinette.Avec tous, elle contrôlait ce qu’elle disait. Sauf avec les infatigables bouts dechou,avecquielleretombaitavecplaisirenenfance,sansavoiràjouerunrôle.

Mais elle ne pouvait s’empêcher de douter de tout. Jeanne, qui avait tendance à manquer deconfianceenelle, imaginaitparfoislepire.Sabelle-mère,Martine,pensait-t-ellequesonfilsauraitputrouvermieux?Sepourrait-ilqu’elleregretteunedesex-petitesamiesdeNicolas?

Jeanne doutait également de son compagnon. Pourquoi Nicolas ne la soutenait-il pas plus ?Pourquoi la critiquait-il autant, pourquoi la reprenait-il chaque fois qu’elle faisait, selon lui, unebourde ? Pourquoi lui lançait-il des regards noirs dès qu’elle commençait à se sentir à l’aise et àplaisanter?Pourquoi larepoussait-ilquandellevoulait leprendredanssesbras,ousimplement luitenir la main ? Pourquoi lui demandait-il d’atténuer son accent ? Il faisait partie d’elle. Il luidemandaitdes’améliorer,d’êtrequelqu’und’autre,alorsqu’àelleilneluiseraitjamaisvenuàl’idéedeluidemanderdechanger.Mêmepourlacigarette,c’étaitluiquil’avaitpervertie,alorsqu’elleavaitarrêté de fumer depuis deux ans. Ce queNicolas semblait oublier chaque fois qu’il lui reprochait,devantsabelle-famille,detropfumer...

Jeannetrouvaitpesantd’avoirconstammentquelqu’unsurledos,quiluidisait«faitcommececi,pascommecela».Elleavaitparfoisl’impressionquec’étaitduharcèlementmoral.Ellen’avaitpasbesoind’unpère,etencoremoinsd’uncompagnonperversnarcissique.

Jeanne ne comprenait plus rien. Bientôt, Nicolas lui demanderait de lire le Goncourt. Et elledevraits’exécuterpourfaireplaisiràtoutlemonde.Ahnon!Toutsaufça!

Ilsétaientpourtantencoreunjeunecouple.Ilsnedevraientpasavoiràfairetantd’efforts.Iln’yavait même pas de morceaux à recoller dans leur histoire qui commençait à peine. Pourquois’accrochaient-ilsquand,detouteévidence,celanemarchaitpas?

ToutcommeNicolas, Jeannesavaitqu’ellen’avaitpasuncaractère facile.Vivant seuleavec samère,elleavaitapprisàsecomporterenadultedèssonplusjeuneâge,àtenirtêtemêmeauxanciens,quand elle savait qu’elle avait raison. Forte, indépendante, cette véritable tornade rousse étaitdevenue,engrandissant,unvéritablegarçonmanqué.Avecl’adolescence,soncaractèrenes’étaitpasarrangé, et cette grande gueule féministe s’autorisait à dire tout ce qu’elle pensait, comme elle lepensait,c’estpourquoicertainslaqualifiaientdemadameSans-GêneoudemademoiselleEffrontée.MaisJeannenesavaitpasfaireautrementet,jusqu’àprésent,elles’enétaitmoquée.Cependant,celaluiavaitdéjàcoûtédeuxrelationsamoureusessérieuseset,àtrenteanspassés,elleserendaitcomptede l’importancedemettrede l’eaudanssonvin.AvecNicolasetsabelle-famille,elleavaitsurtoutbesoind’air.

–16–Piècesrapportées

Aprèsunelonguedouchebrûlantepourchassersesmauvaisdémons,Jeannes’habillachaudement,enfilaunbonnetduqueldépassaitsesbeauxcheveuxrouxetrejoignitAntoinetteausalon.

–Antoinette, ça vous tenterait de faire une petite balade avecmoi ? Ensuite on irait boire unchocolatchaudenbasdespistes.

–Merveilleuseidée!Jepasseauxlieuxd’aisanceetnouspourronsnousmettreenroute.Bras dessus, bras dessous, Jeanne et Antoinette s’engagèrent sur le chemin déneigé. La vieille

damesemblaitaussilégèrequesesarrière-petits-enfants.–Alors,dites-moi,Jeanne.Qu’est-cequecelafaitd’atterrirdansunefamilledefous?–Chacunasonpetitcaractère,maisvousêtesloind’êtreunefamilledefous.Çava,celasepasse

bien,enfinjeprésume.Êtreunepiècerapportée,commeondit,n’estjamaisévident.Jemedébrouillecomment,selonvous?

–Jevousaiobservéeetjepensequevousvousensortezcommeunchef!Ilestcompliqué,notreNicolas,sansparlerdeJacquesetsessautesd’humeur.Mais,sijepeuxvousdonnerunconseilpourmieuxvousintégrer,sortezvitedecettephasedanslaquellevousvoustrouvez,celleoùvousoscillezentredouteetséduction.Passezdirectementàlaphasetrois.

–Dequellesphasesparlez-vous?Etqu’est-cequec’est,laphasetrois?–Asseyons-nousuninstant,etjevousracontetout.Voussavez,ilyaplusieursmillénaires,jesuis

passéeparlàaussi!réponditAntoinetteenriant.Aubasdespistes,ausoleil,lesdeuxfemmesprirentplacesurunbancenpierre.Côteàcôte,elles

observaientlesskieursdébutantsquitentaientd’apprivoiserletire-fesses.–Commevousleditessijustement,êtreunepiècerapportéeexigedetrouveruncertainéquilibre.

Un équilibre intérieur,mais également avecNicolas et les autresmembres de la famille.Avant devousdétaillerlesquatrephases,laissez-moipartagerunemétaphorequel’onm’aracontéeilyafortlongtemps.VousvoulezunMonchéri?proposaAntoinetteensortantunepoignéedespetitschocolatsrougesdesapoche.

–Euh,nonmerci,déclinaJeanne,quicomprenaitmieuxpourquoilaboîteachetéelaveilleétaitdéjàpresquevide.

–Reprenons.Quandon semet en couple, chacunvient avec un sac à dos plein de pierres.Lespierresreprésententnotrepasséetconditionnentquinoussommesaujourd’hui.Pourcertains,lesacàdosestpluslourdàporterquepourd’autres.Nousn’avonspastousvéculesmêmeschoses,nieulamêmerelationavecnotrepère,notremère,nosfrèresetsœurs.

Lespapiersdechocolats’amassaientsurlesgenouxdelavieilledame,quienouvraunnouveauetl’avalad’uncoup,avantdereprendre:

–PourNicolasparexemple,sonsacàdosserapeut-êtreremplid’expériencesamoureusesratéesalorsqu’ilsemblesifacilepouruncouplededurer,sil’onseréfèreaumodèledeJacquesetMartine.Maisilsepeutque,pourlui,lecouplequeformentsesparentssoittoutsaufunexempleàsuivre.

Jeannefronçalessourcils.Ellesedemandaitcombiendepierres–etd’ex–setrouvaientdanslesacàdosdeNicolas.

–Vous,Jeanne,m’avezditquevousn’aviezjamaisconnuvotrepère.Lefaitdenepasavoireud’exempledecoupleunisurladuréepeutreprésenterunedifficultésupplémentairepourcréervotrepropremodèle.Maiscequ’ilyadebeauenamour,c’estqu’ilyaautantdecouplesquedefaçonsdes’aimer.

–C’est très juste,cettehistoiredesacàdos.Et,pourreprendrevotremétaphore, je trouvemespierresparfoistrèslourdes.Etjen’avaispasconsciencequeNicolasavaitaussilessiennesàporter.Jedevraisêtrepluspatienteaveclui.

–Alors,cen’estpasdu toutceque jeviensdevousdire ! rouspétaAntoinette.Écoutezmieux,Jeanne !Nicolas, il fautnous le secouer !Oui, il a sespierres,mais il lesamisesdecôté,etellesfinissentparsemettreentrevousdeux.Enplus,l’intégrationdansvotre famillesembleassezfacilepourlui,àpartirdumomentoùilsecomporteengentlemanavecvotremère.Sortezdelaphaseun,Jeanne.Sortez-envite!

–Maisqu’est-cequec’estquecettehistoiredephases,alors?–Ahoui,jenevousaipasexpliqué…Ilyaquatrephasesdansleprocessusd’intégration.Antoinettefitunepause,réfléchituninstant,etgobaunautrechocolatavantdepoursuivre:– Phase un : la séduction de la belle-famille, systématiquement accompagnée de remises en

questionpersonnellestrèsfortes.Unpeucommeunchiotauchenilquiveutêtrechoisietfaitlamouela plus attendrissante possible.Mais intérieurement, il tremble. Il vient avec son passé, sa gueulecassée et il est plein d’espérances quant à sa nouvelle famille d’accueil.Mais il n’a qu’une peur :décevoiretêtreabandonnéànouveau.

Phasedeux:l’intégration,pureetsimple,desrèglesdelafamille.Onfaitdeseffortspourrentrerdanslemoule,onprendsursoi,onmarcheaupas.

Phase trois :mapréférée, larébellion !Çapasseouçacasse,maisaumoinsonest fixé.Notrevraienatureressurgitenfin.Onnepeutplusfairesemblant.Laphasetroisn’estpassupposéeêtreunbut.Pourtant,si jepeuxmepermettre,jepensequeStéphanie,aprèsplusdedixansencoupleavecMatthieu,estencorecoincéedanscettephase.Laura,jen’enparlemêmepas.Jevousrecommanderaisdepasserdirectementdelaphasedeséductionàlarébellion.Ainsi,vousserezplusàmêmedevousinstalleraprèsenphasequatre.

–Etcettephasequatre,c’estlarupturealors?–Non,laphasequatre,c’estlecompromis.Ons’acceptetelsquel’onest,avecnosqualitésetnos

défauts,avecnoshumeurs,nosfragilités.Etsurtoutavecnosdifférencesdecultureoudegénération.Iln’yaplusd’agressivité,mêmepassous-jacente,puisqu’elleestdéjàsortieenphasetrois.Alors,onvaleboirecechocolatchaud,j’aisoifmoi!

Jeanneaidalavieilledameàsereleverdubancetellessedirigèrentsilencieusementverslesalondethé.

–Vousêtesbienpensive,Jeanne.Jevousaifaitpeuravecmoncharabiadevieilledame?Dites-le-moisivouspensezquemonhistoiredephasesn’aaucunsens.

–Cen’estpasça.Toutesvosexplicationsmesemblentpertinentesmais…

–MaisvousvousdemandezcommentsecouerconcrètementlecocotierdeNicolassansrisquerdeleperdre?Laphasetroisest toujoursrisquéeendébutderelation, jenevouslecachepas.Nicolaspeutvousprendrepourunecasse-bonbons.

Jeanneplantasesyeuxdansceuxdelavieilledame.Elleespéraitytrouverunesolution.–Mais Jeanne, lavraiequestionest combiende tempspensez-vous,vous, être capable de faire

tousceseffortssansexploser?Laphasequatreestsympa.Jevousraconteraiunjourcommentcelas’est passé avec ma belle-mère, une vraie peau de vache, comme celle de Cendrillon. Et puis, jepourraiaussivousracontercommentonenest arrivéesànotre relationapaiséeavecMartine.Et sivouslesouhaitez,Jeanne,jepeuxmêmevousaideraveclecocotierdeNicolas.L’expérienceaparfoisdubonpournepasseprendretouteslesnoixdecocoenmêmetempssurlatête…UnMonchéri?

–17–Pourlemeilleuretpourlepire

Aprèsavoirdînéetjouéunebonnepartiedelasoiréeaveclespetits,Martinesedétendaitsurlebalcon du chalet. Il faisait frais mais, avec une bonne doudoune, la vue valait vraiment quelquesfrissons.Del’intérieur,hésitante,Jeanneobservaitsabelle-mère.

AvantdetoutmettreàplatavecNicolas,JeannevoulaitdécouvrirdeuxoutroischosesauprèsdeMartine:quiétaitvraimentNicolas,commentétaitJacquesplusjeune,etsurtout,comments’étaientpasséssesdébutsàelle,avecsabelle-mèreAntoinette.

Ellefinitparsedécider,allas’asseoiràcôtédeMartineetsortitunecigarettedupaquetquisetrouvaitsurlatable:

–Celavousdérangesijefume?–Absolumentpas!C’estJacques,l’ayatollahdutabac.Moi,sijepouvais,jefumeraisunepetite

cigarettedetempsentemps,commevous,lesjeunes.–Donc,auxyeuxdeJacques,si jevousenproposeune,c’enest finidemoi?plaisantaJeanne

tandisqueMartineprenaitunecigarettedanslepaquet.ÇafaitcombiendetempsqueJacquesetvousêtesensemble?

–J’aipresqueenviedeterépondredepuistoujours!Entoutcas,jenemesouvienspasdemavieavantlui.Ons’estmariésj’avaisvingt-troisans,tuvois,çanemerajeunitpas!

–Commentças’estpassépourvous,àl’époque,l’intégrationdanssafamille,avecAntoinette?– J’ai eude lachance.Ellen’apasété lamarâtrequ’elle-mêmeavait eue.Unevraievipère, la

grand-mèredeJacques.Hortense…–Ahoui?–Hortense était très froide.Un exemple quim’amarquée : elle n’adressait pas la parole à sa

belle-filleenpublic,ellepassaitparsonfils.C’étaitpeut-êtredûàl’époque,maisquandmême!–Oui,quandmême…– Ce n’est pas tout, reprit Martine. Elle était maladivement maniaque et attendait le même

fanatismedelapartdesabelle-fille.Cen’étaitpaslecasd’Antoinette,quiducoupsevoyaitqualifiéede souillon incapablede tenir son foyer, cequi pourHortense revenait àmanquerde respect à sonmari. À chaque visite, c’était l’inspection générale, et immanquablement Antoinette essuyait despiques et des remontrances.Quant au grand-père de Jacques, c’était une vraie tombe. Il ne parlaitjamais. Antoinette m’a raconté que, lors des dîners, elle pouvait réellement entendre les mouchesvoler.Cen’estpascheznousquecelaarriverait!plaisantaMartineentirantuneboufféedecigarette.

Ellerecrachalafuméeavantdereprendre:

–Etaccroche-toibien,laseulefoisoùsonbeau-pèreluiaadressélaparole,ç’aétépourluidire:«UnefemmesilencieuseestundondeDieu!»Çanes’inventepascegenredechose.Moi,j’aieuénormémentdechanceavecAntoinette.

Jeanne réalisaalorsquenepas s’entendreavec sabelle-mèrepouvaitvraimentempoisonneruncouple. Même si ses relations n’étaient pas idylliques avec Nicolas, au moins, Martine ne secomportaitpasenmarâtreavecelle.

Cettedernièrecontinuaitderaconteràquelpointlabelle-mèred’Antoinetteétaitinsupportable.–D’ailleurs,Antoinettem’adéjàditqu’avecsonmariilsauraienteuplusd’unenfantsisabelle-

mère les avait laissés en paix ! Ses beaux-parents téléphonaient des dizaines de fois par jour, soi-disantpouravoirdesnouvelles,maisc’étaitpourpouvoirs’inviterchezeux.Etquandilsrestaient,cen’étaitpasquequelquesjours,eux,maisdessemaines!Alorsquemoi,quandjepasseunaprès-midichezStéphanie, sapremièrequestion,c’est :«Quandest-cequevous repartez,déjà?»,poursuivitMartine en éclatant de rire. Et puis, les beaux-parents, il fallait les servir comme des pachas, ilscritiquaient tout, tout le tempsàseplaindrequ’ilss’ennuyaient,qu’ilsn’aimaientpas laville.S’ilsachetaientlepain,ilsl’inscrivaientcommedettedanssoncahierdecomptes.LapauvreAntoinette!Onnechoisitpassafamille,maisonnechoisitpasnonplussabelle-famille.Justesonamoureux…

Labelle-mèredeJeanneavait terminésacigarettedepuis longtemps.Elle jeta lemégotdans laboîtedeconservequifaisaitofficedecendrieretseretourna.

– Où est Nicolas, d’ailleurs ? demanda-t-elle en scrutant l’intérieur de la maison. Je voulaist’offrir ton cadeau d’anniversaire, avec un peu de retard. Mais nous n’avons pas besoin de lui !Attends-moi,jereviens.

JeannevitMartinereveniravecunpetitpaquetrectangulaire.–C’estunepetitebêtise.Jemesuisdit:«Unsautoir,c’estjoli,maispeut-êtrequeJeanneaura

besoind’occupationcettesemaine.»Puisquetuneskiespas.J’espèrequetunel’aspasdéjà…Jeanne sentit son rythme cardiaque s’accélérer et pria intérieurement pour ne pas découvrir ce

qu’elle redoutait le plus : un livre. Elle savait parfaitement comment occuper ses vacances à lamontagnesansdevoirlire.Quandelleeutdéballélecadeau,ellesedemandasiladéceptionpouvaitseliresursonvisage:

–Oh, leGoncourt !Euh, non, je ne l’ai pas encore lu, celui-là.MerciMartine.Vraiment, il nefallaitpas!

–18–Trouverchaussureàsonpied

DansleTVGduretour,latêteappuyéecontrelafenêtre,Martineregardaitdéfilerlepaysagegelé.Cesquelques jours passés en famille, sans Jacques, l’avaient transformée.Désormais elle redoutaitpresquederetournerauprèsdesonmari.

Pourlapremièrefois,elles’étaitautoriséeànerienplanifier,ànepasêtreresponsabledugroupe.Mêmeàfaire la fofolle.Elles’était laisséeporterparsesenviesdumomentetavaitpro-fi-té.Toutsimplement.

Êtrepresqueexclusivemententrefillesluiavaitaussiouvertdenouvellesperspectives.Personnepour râler, pour pointer du doigt la pendule en faisant remarquer qu’il était presque midi. Aucontraire:elleavaitvuNicolasauxfourneauxpendantqueJeannesirotaitunvinchaud,etMatthieudonner le bain aux petits pendant que Stéphanie lisait le journal. Martine ne s’était même pasprécipitée pour faire les courses ou aller chercher les croissants, préférant rester aux côtésd’Antoinetteàpapotertandisquelesjeuness’activaient.

Pendantcesquelquesjours,l’atmosphères’étaitdétendue.SiMartinecraignaitaudépartdenepasêtre labienvenue, trèsviteelles’étaitrenduecomptequetousétaientravisdel’avoirauprèsd’eux,pourmieuxenprofitersansJacques.

Ses fils ne l’avaient pas vue rire autant depuis des années et n’auraient pu penser qu’elle étaitcapable de tricher auUno.Ses belles-filles s’étaient laissées aller à quelques confidences etmêmeStéphanie, d’habitude si distante, lui avait demandé conseil concernant les manuels de lecture àprivilégierpourPaul.

Martine,elle-même,s’étaitredécouverte.Elleavaitadoréarpenterlespistesrougesaveclesplusaguerris. Elle avait profité librement de la cigarette que Jeanne lui avait proposée et s’étaitmêmelaisséetenterparunpetitcoupdegnôlesurlespistes.Riendetrèssérieux,maiselleneseleseraitjamaisautoriséavecsonépoux.

Tout cela la rendait nostalgique. Pourquoi s’empêchait-elle de suivre ses envies ? Était-cevraimentsonmariquiluidictait inconsciemmentsesfaitsetgestes,ouellequis’imposaitde jouerl’épouseparfaite?

Martine tournait et retournait ces questions dans sa tête depuis des heures, quand soudain elleremarqua que le jeune homme assis en face d’elle dans le train la dévisageait. Elle sortit alorsdiscrètementsonmiroirdepochedesonsac,maisellen’avaitpasdetracedesandwichauthonsurlajouenideboutdesaladecoincéentrelesdents.

Gênéeparleregardappuyédececompagnondevoyage,ellesortitunmagazineettentadecachersonvisagequis’empourprait.Quelquescoupsd’œil jetésau-dessusdel’articlesurl’ostéoporose,et

ellerougitdeplusbelle.Lejeunehommeétaittoutàfaitcharmant.Etilcontinuaitdelafixer.Sisesbelles-fillesneluiavaientpasparléde«cougar»etde«milf»quelquesjoursplustôt,ellen’auraitmêmepasprêtéattentionàcetrentenaire.

Elleréfléchitdelonguesminutesàlameilleuremanièredepasserlesdeuxprochainesheuressansengager la discussion, sans paraître grossière, ni en donnant de faux espoirs. Mais elle se faisaitcertainementdesfilms.Ellesedécidaàallerauxtoilettespuis,plutôtquederetourners’asseoirenfacedujeunehomme,filaauwagon-bar,etdécouvritavecsurprisequ’ils’ytrouvaitaussi.

Martine se sentit encore plusmal à l’aise qu’auparavant. Il allait penser que c’était elle qui lesuivait!Cefutluiquibrisafinalementlaglace:

–Jevoisquenousavionstouslesdeuxbesoind’uncafé.Puis-jevousl’offrir?Plusembarrasséequejamais,lajeunegrand-mèrejouanerveusementavecsonalliance,avantde

répondre:–Euh,jeneboispasdecafé…–Unthé,alors?Elle ne sut comment décliner une seconde fois, et s’assit alors sur le tabouret à côté du jeune

homme.Ils’appelaitRémy,étaitenseignantenbiologieetpassionnépar lesnaturesmortes. Ilavaitune

petiteamiedanslesAlpesetallaitrendrevisiteàsesparentsenBretagne.Enplusd’êtrebelhomme,ilétaittrèsdrôle.

Contretouteattente,lesdeuxheuresdetrajetquirestaientfilèrent.Alors qu’ils regagnaient leur place dans le compartiment, Martine se sentit stupide d’avoir

imaginé qu’un garçon aussi jeune et charmant puisse la courtiser. Elle allait presque confesser samépriselorsqueletrainentraengaredeRennes,oùelledevaitdescendrepoursonchangement.EllerécupérasavaliseetsaluaRémy,quandcelui-ciluipritlamain.

–Martine,attendez.Jevousaimenti.Jen’aipasdepetiteamiedanslesAlpes,nideparentsenBretagne.J’yhabite.Jenevoulaispasvouseffrayer,alorsj’aitoutinventé.Pardonnez-moi.Leresteestvrai.Sivousavezenviequel’onserevoiepouruneexpositionouautrechose,jevouslaissemonnuméro.J’aiadorécemomentpasséavecvous,j’aimêmepriépourqu’ilnes’arrêtejamais!

Martine rougit comme une adolescente, bafouilla et descendit du train en trombe alors que lesignalsonoreretentissait.

Quelletristesse!pensa-t-elle.Qu’est-cequ’unbeaugarçoncommeluipouvaitbienattendred’unesexagénairecommeelle.Jepourraisêtresamère…

Letrainredémarrait,emportantlecharmantRémy,quandellesesouvintqu’elletenaitleboutdepapiersurlequelilavaitécritsonnumérodeportable.Ellesedirigeaversunepoubellemaissefigea.Cepetitboutdepapierétaitlapreuvequ’elleétaitencoredésirable.Cedontellen’étaitpluscertainedepuislongtempsdéjà.Celanepouvaitpasfairedemalàsonegodelegarderaufonddelapochedesonimperméable,telunsouvenirqu’ellepourraitcaresserchaquefoisqu’elledouteraitànouveau.

LeTERarrivaàl’heureàDinan.Et,commeelles’yattendait,Jacquesn’étaitpassurlequai.Dansletaxi,ellepritunedécision:ilfallaitqu’ellechangeleschoses.Illefallaitpourelle,pourréussiràsereconstruire.Elleallaitdésormaissuivresesenvies,êtrepluslibreet,surtout,neplusdépendredeJacques.

–19–C’estdanslesvieuxpotsquel’onfaitlesmeilleuresconfitures

Si traditionnellement Jacques adoraitPâques, surtout pour les chocolats, cette année il avait unpressentiment. L’impression que ça n’allait pas se passer comme sur des roulettes, malgré lespromessesfaitesàMartine.

Eteneffet,celacommençaitmal.Lesentrepreneurs,quiauraientdûpasserlasemaineprécédentepourfixer lesrambardes,avaientannulé.Débordés.D’autrespriorités.EtJacquesétaitprêtàparierqueceseraitlapremièrechosequeStéphanieremarqueraitàsaprochainevisite.

Ensuite,lamétéoannoncéeétaitcatastrophique,recorddefroidetpluiesansdiscontinuer.Cequin’auraitpasétésigravesiLauran’avaitpasprévud’amenersonchien.Pourprévenirsesallergies,JacquesétaitpasséàlapharmacieacheterunstockdeZyrtecetavaitfaitlepleindemouchoirs.

LaseulenotepositiveétaitMartine.Depuissonretourdesvacancesdefévrier,elleneluiadressaitquasimentpluslaparole,maisellepeignaitànouveauetallaitvoirdesexpositionstouteseule,sanschercheràluiimposercettetorture.Siellenedînaitpresqueplusàlamaison–etnepensaitd’ailleurspasnonplusàremplirlefrigo–,aumoinselleneluifaisaitplusaucunreproche.Etiln’yavaitplusdedispute.

Cependant,ilrestaitauxaguets,surtoutconcernantlecollèguedeMartine,Daniel.Avecsonairdenepasytoucher,ilneluiplaisaitpasdutout.AlorsJacquesrôdait:ilfaisaitrégulièrementdesvisitessurprisesàlalibrairie,avecdesfleursparfois,avecuncafé,oupourinviterMartineàdéjeuner.Danielallaitvoirdequelboisilsechauffait!

Toutcela,pourtant,passaitbienau-dessusdelatêtedesafemme.LeseffortsdeJacquesétaientnotables, mais c’était elle qui était en pleine révolution. Elle s’imposait chaque jour de découvrirquelquechosedenouveau.Pourlapremièrefoisdesavie,elles’étaitfaitchouchouterdansuninstitutdebeauté, s’autorisantunepédicure–difficileàapprécier,chaqueeffleurementdéclenchantun fourire.Elleavaitaussisuiviuncoursdecuisinepourapprendreàpréparerdessushis.Elleavaitfaitungrandménagedeprintempsdanssesarmoires–elleavaitdonnétroisgrossacsàLaurapourqu’ellelesapporteàEmmaüs.Cerisesurlegâteau,elleavaitprisrendez-vousavecuntatoueur.Elleenrêvaitdepuistoujours,elleallaitenfinavoirsonpetittatouagediscretsurlehautdupied.Pourlapremièrefois,ellesepasseraitdedemanderl’autorisationàsonmari,etsegarderaitlepluslongtempspossibledeluimontrer.Sonpetitsecretàelle.Pourelle.Deuxmots,simples,carpediem,poursesouvenirdevivrepleinementetdeprofiterdesesprocheschaquejour.Toutleresteétaitdevenufutile.

Ilyavait toutdemêmeunechosesur laquelleMartinerestait intransigeante : lecomportementirréprochabledeJacquesavecsesbelles-fillesàPâques.Ilavaitànouveauétébriefé,et lasanction

avait été explicitée : Jacques ne serait pas le bienvenu dans sa propremaison cet été s’il posait lemoindresouci.Lepatriarcheavaitlapression...

–20–Casse-bonbons

LesvacancesdePâquesétaientenfinlà.Martinenetenaitpasenplaceet,quandelleentenditlebruitd’unevoiturequiralentissait,elles’empressad’enfilersoncirépouralleraccueillirsesenfants.Jacquessemontraitmoinsenthousiaste.Ilaideraitàdécharger«quandlapluietorrentielleseseraitcalmée»...Enplus,ilétaitcertainquelespremiersarrivésseraientStéphanie,Matthieuettouteleursmala,alorsilprofitaitdesesderniersinstantsdecalme,aufonddesonfauteuil.

–BonjourJacques!–Ah…Stéphanie!Déjàlà?Vousavezfaitvite…Waouh,tonventreesténorme!Jecroyaisque

c’étaitpourdébutseptembre?–Oui fin août,début septembre, c’estquePaul et Julesontdéjà faitde laplace, là-dedans.Ce

voyagem’aépuisée…–Assieds-toi.Tuveuxboirequelquechose?proposaJacques,assezfierdesesefforts.–Oui,c’estgentil, jeveuxbienunsiropdepamplemousse,ditStéphanieense laissant tomber

danslefauteuildeJacques.Alorsquesonbeau-pères’affairaitencuisine,netrouvantquedesjusd’orangeetd’ananas,elle

luicria:–Ilnefaitpasunpeufroidici?Onallumeunfeu?– Jen’entendspas. Je reviens tout de suite avec tonverre.Un feu, en avril, grommela Jacques

entresesdents.Onauratoutvu!IlcherchapartoutlacachettedeMartinepourlessiropsetfinitparmettrelamainsurunfondde

Teisseireaupamplemousse.Nivu,niconnu, il lecoupaauSchweppesAgrum’.Quelquesbullesnepourraientpasluifairedemal.

–LesiropdeMadame!…Stéphanie?Oùes-tu?demandaJacquesrevenuausalon.–Salutpapa,ditMatthieu.Çatedérangeraitdevenirnousaideràdécharger,plutôtquederester

auchaud?Enfin…auchaud…ilfaitunfroiddecanardici!Ilterestedesbûchessèches?– Les rambardes n’ont pas encore été réparées ? Jacques ?... questionna Stéphanie du premier

étage.Etm…!–Lesentrepreneurssontpassésmaisilsn’avaientpaslematérieladapté.Ilsonttoutcommandéet

doiventrevenircettesemaine.Saufsi tupréfèresqu’ilsviennentaprès lesvacances:celarisquedefairedubruit.Commetuveux,Stéphanie.

–J’auraissurtoutpréféréquecesoitfait !Maisqu’ilsviennentcettesemaine, tantquecen’estpaspendantlasiestedespetits…

–Papa?Tuattendsqu’onaitfinidetoutporterpournousaider,ouquoi?râlaMatthieu,quienétaitàsontroisièmealler-retour.

–Minutepapillon,j’arrive!Jecherchemesbottes.Dis-donc,tuasmaigritoi?Ellenetenourritpastafemme?Heureusementquetamèreafaitdescoursespourquarante.D’ailleurs,j’aifaim,moi!Onpasseàtablebientôt,Martine?

–21–Reprendsdescarottes,çarendaimable

Ilsétaienttousarrivés.NicolasetJeanneenmêmetempsqu’AlexandreetLaura.Celaenfaisaitdumonde.Lalonguetabledecuisineétaitdresséepourdix.Lesdeuxjeunesgarçonsétaientdéjàassiset engloutissaient les pâtes à la bolognaise de leur grand-mère. Posté à un angle, le jack russel deLauraguettaitlamoindreopportunitédegrappillerunpeudenourriture.

–Àtabletoutlemonde!criaMartine.C’estprêtetçavarefroidir.–Onneprendpasl’apéro?Pourfêterlesvacances?proposaJacques.– Pas midi et soir, papa, lui rappela Nicolas. N’est-ce pas, maman ? Jeanne, tu termines ta

cigarette,onpasseàtable!–Fumeravantdemanger…Onauratoutvu!Çatuelegoûtetçavafinirparêtreunhandicap

danssonmétier,insistaJacquesenobservantsabelle-fille,dehorssouslecrachinbreton.–Àsadécharge,toutlemondefumeaurestaurant.Mais,ilpuecechien!remarquaNicolas.–Ah,merci!fitJacques.C’estunevraieinfection,jesuisd’accord.SitupouvaisledireàLaura

pourqu’ellelefassesortirdelacuisine,tunoussauverais.Sic’estmoiquiledemande,jevaisencoremefaireenvoyerbalader.

Stéphanieentradanslacuisineetmitlesmainssursabouche.–C’estquoicetteodeur?Ondiraitquequelqu’unavomi!– On soupçonne le chien, avança Jacques, content, pour une fois, de trouver en Stéphanie une

alliéepotentielle.–Detoutefaçon,cen’estpashygiénique,unchiendansunecuisine,enchaînaNicolas.–Laura,ilpuetonchien!lançaStéphanie.Tunel’asjamaislavéouquoi?J’aienviedevomir.Je

suisdésolée,maisilnerestepasdanslacuisine.Allez,oust,Jack!ordonna-t-elleenlepoussantdupied.

Laura saisit l’animalpar le collier et le fit sortir à contrecœurde la cuisine.Quandelle revint,Jacquesluidemanda:

–Pourquoi«Jack»déjà?–Etpourquoipas?Vousêtescontent:j’aimislechiendanslapiècedufond...– Moi, je n’ai rien dit ! se défendit Jacques. À table, tout le monde ! On va encore manger

froidsinon.–Necriepas,papa,onesttouslà,fitobserverMatthieu.–Eh bien asseyez-vous, si vous êtes prêts. Il n’y a pas de plan de table, on n’est pas chez les

Rothschild.Voilà, on va commencer àmanger et les petits ont déjà fini ! remarqua Jacques, irrité.

Servez-vous en asperges ! Mais où est passée Martine maintenant, il ne manque plus qu’elle.Martiiiiiiiiiiiiiiiiine!

–Jesuislà,cen’estpaslapeinedecrier.J’étaisalléechercherlabouteilledevin.Jeanne,tunousexpliquescequetuasapporté?

–Alors c’est un petit vin italien, un chianti, cépage sangiovese principalement. Il ira très bienaveclasaucetomate.

–MerciJeanne.Stéphanie,jenet’enproposepas?tentaJacques.–Nonmerci,ceseraitavecplaisir,maisjen’aivraimentpasledroit.–Vousavezvu!continuaJacques,àunelettreprès,chianti,ças’écritcommechiante…Tuasvu,

Stéphanie?–Pourquoivousmeditesçaàmoi?Sansmêmerépondre,ilsetournaverssonautrebru:–Laura?Ilsembleêtresanssulfites.Tuenveux?Tuneprendspasd’asperges?Ellessontbio

pourtant.MartineestalléelesacheterchezBiocoopspécialementpourtoi.–Non,merci,jen’aimepaslesasperges,précisaLaura.–Maisqu’est-ceque tu aimes, comme fruits et légumes ?Que l’on sacheunebonne fois pour

toutes...Si jemesouviensbien, tun’aimespas labetterave, lekiwi,etmaintenant lesasperges.Cen’estpasunpeucontraignantquandonestvégétarienne?

–Cen’estpastoutàfaitça.Lekiwi,jesuisallergique.–Moi, j’ai entendudirequ’ilyavaitdesallergiescroiséesentre lekiwiet le latex,dit Jeanne.

C’estvrai,Laura?Lauradevinttouterouge.NicolasdonnaungrandcoupdepiedsouslatableàJeanne.–SiLauraétaitallergiqueaulatex,çaferaitlongtempsqu’onauraitdespetits-enfants,plaisanta

Jacques.–Maisvousavezdéjàdespetits-enfants!ripostaStéphanie.–Non,jeveuxdire…Bon,onl’ouvrecettebouteille,ouonnefaitquelaregarder?–Oui,onabiencomprisceque tuvoulaisdire.LaisseLaura tranquille, imploraMartineense

levant.C’estplusquelimite,Jacques!Laura,veux-tudesradisouduconcombredujardinàlaplacedes asperges ? Je te les prépare, cela prend deux secondes. Tu vas manger quelque chose quandmême?

Jacques,occupéàsuceret resucersonpainpleindevinaigrette,essuyaleregardréprobateurdeMartine.

–Tumepasseslepainquiestdevanttoi,Jeanne?demanda-t-ilpourredresserlecap.–Pardon,jen’aipasentendu.Lequoi?Lepaing?questionnaJeannedesonaccentchantant.–Cheznous,onditle«pain»,ditJacquesencorrigeantl’accentméridionaldesabelle-fille.–Etchezmoiondit«s’ilvousplaît»!rétorquaJeanne.–Quelqu’unveutfinirlestroisdernièresasperges?proposaMartinepourcoupercourt.–Sipersonnen’enveut,jemedévoue,ditStéphanie.–Tuessûre?demandaMatthieuenfaisantlesgrosyeuxsurleventrerebondidesonépouse,qui

lefusilladuregardensaisissanttoutdemêmeleplat.Lesilencesefit.CefutlemomentquePauletJuleschoisirentpoursortirdetableetallerjouerau

salon,trouvantsansintérêtlaconversationdesadultes,auvudupeudegrosmotsprononcés.–Allez,donnez-moivosassiettes,lesjeunes,quejevousservelespâtes!repritMartine.–Nousaussionadespâtes?interrogeaJacquesenfaisantunemouedéçue,tendanttoutdemême

sonassiette.

–Jenesaispas,tuaspréparéautrechose?Allez,j’aidit«tendez-moivosassiettes,lesjeunes»,précisaMartineenrepoussantl’assiettedesonmari.Laura?

–Euh,oui.Ilyajustedelatomateouaussidelaviandedansvotrebolognaise?s’inquiétaLaura.Exaspérée,Martinelâchabrusquementlalouchedansleplat,éclaboussantlachemisedeJacques.–Martiiiiiiiiine!Maisquellecloche!Jesuiscouvertdesaucetomate.Cen’estpasvrai!–T’avaisqu’àmettretaserviettebiencommeilfaut,jeteferaisdire!C’était la petite voix enfantine de Paul, qui depuis le salon, rappelait les règles de base à son

grand-père,déclenchantmalgréluilefouriredestroisbelles-sœurs.

–22–Rendresontablier

Martine était furieuse. Après le déjeuner, Jacques avait eu droit à un débriefing salé. Laura,StéphanieetJeanne,ellesaussi,avaientreprochéàleurscompagnonsleurmanquedesoutien.Fuyantles remontrances féminines, les fils et le père s’étaient retrouvés pour passer un peu de tempsensemble,àjoueraupokeretàlaconsole.

Erreurquede laisser troisbelles-fillesénervéescomploterensemble…Sur lemuretauboutdujardin,alorsquelesoleildéclinaitdéjà,Stéphanie,LauraetJeannevidaient leursac.Lejackrusseljouaitprèsd’elles,bondissantautourdestrouslaissésparlestaupes.

Très rapidement, elles réalisèrent qu’elles en étaient arrivées au même point. Soit les choseschangeaient radicalementetdèsàprésent, soitelles faisaient leursvalisesetne remettaientpas lespiedsdesitôtdansleurbelle-famille…

–Jesuisentraindemefairemangerpardespetitesbêtes,remarquaLaura,irritée.Tumepassestonantimoustiques,Jeanne?

–Jeveuxbien,maisiln’estpasbio…–Là,ons’enfiche.C’est lecadetdemessoucis.Jesuisen trainde leurservird’apéro,etàce

rythmejevaisavoirlesjambescouvertesdepiqûres.–Enparlantd’apéro,j’aiunedecesfaims,moi,repritStéphanie.–Moiaussi,j’aienvied’unhamburgerdeMcDo,révélaLaura,pensive…–Attends,tun’espasvégétarienne,toi?–Si,maiscen’estpasparcequ’onestaurégimequ’onn’apasledroitdelirelemenu…– Moi, je rêve de rillettes ! Depuis des mois. Mais ce n’est pas recommandé quand on est

enceinte…Etcen’estmêmepasscientifiquementprouvé!Qu’est-cequ’ilnefautpasfairepourêtrelamamanparfaite…

– Pour ce que cela change au final… Regarde nos parents ! Ils ne modifiaient en rien leurshabitudes.Moi,jenesuivraipastouscestrucsquandjeseraienceinte.C’estsûr!conclutJeanne.J’aiuneenviedemojito!JecommenceàenavoirrasleboldespetitsvinsdeJacques!Quediriez-vousd’allerenvilles’ensifflerquelques-unsetdéciderdecequ’onfaitàproposdenoshommes?Ilfautqu’onmetteMartineetAntoinettedenotrecôté…

Ledeuxièmejourdesvacances,lorsdel’apéritifdusoir,lesfemmesavaientdoncuneannonceàfaire.

–Cematin,nousavonsprisunegrandedécisionaveclesfilles,commençaMartine.Àpartirdecesoir,nousallonsmettreenplacelesjoursrosesetlesjoursbleus.

–Euh, pardonMartine,mais on n’avait pas donné ces noms-là, la reprit Stéphanie. Jeme batssuffisammentavecl’écoleetsesthéoriessexistespournepaslesretrouverquandjesuisenvacances.Disonsseulementlesjoursfillesetlesjoursgarçons.

– Si tu veux. Donc je disais : nous avons bien réfléchi et, à partir demaintenant, nous allonsmettreenplace,etcedèscesoir,lesjoursfillesetlesjoursgarçons.

–Attends,Stéphanie,jen’aipascompris.C’estquoileproblèmeavecleroseetlebleu?demandaLaura.

–Le problèmeme semble évident !On commence par accepter de représenter toutes les fillesavecdu roseet lesgarçonsavecdubleu, et aprèsonoffreunaspirateurouunedînette àNoël auxpetitesfillesetuneconsoleavecdesjeuxdeguerreoudescostumesdesuper-hérosauxgarçons.Etdevinezcequisepassetrenteansaprès?

–Tunecroispasquetuexagères,Stéphanie?fitJacques.–Pastantqueça,chéri,carjustementcequ’onvoulaitvousdireavectesbelles-filles…continua

Martine.–Maisjenevoispaslerapportaveclesexismeàl’école,Stéphanie,coupaAlexandre.–Lerapport,jevaistel’expliquer.Tucommencesavecleroseetlebleu,ensuitetudécouvresque

tesfilslisentdeshistoiresdanslesquellesilestditquelesfillesnedoiventjouerqu’aveclesfillesetquelesgarçonsdoiventresterentreeux.Avecdesrépliquesdugenre:«Oh,ungarçons’esttrompé,iljouedanslegroupedesfilles.»Histoirequelamaîtressedonnedeuxfoisàlirelesoirà tonfilsetleçonquel’oncollebienenévidencesurlecahierdevie.

–Jesuisdésolé,maisjenevoistoujourspasleproblème,continuaAlexandre.C’estplutôtbien,qu’ilyaitdespersonnespourexpliquer lescodessociauxdès leplus jeuneâge.C’estquandmêmebizarre si ton filsne jouequ’avecdes filles, non? Je suisplutôtd’accordavec lamaîtresse sur cecoup-là.

–Bon,onpeut savoirquelles sont lesnouvelles règles filles/garçons?Jemeursdesoifetmoncoteaux-du-layonseréchauffe,fitremarquerJacquessonverredevinàlamain.

– Pour faire simple, reprit Jeanne, aujourd’hui ce sont nous, les filles, qui avons tout fait, hieraussi d’ailleurs.Mais lesvacancesall inclusive s’arrêtent aujourd’hui.Demain, vous vous occupezdescourses,dudéjeuneretdudînerdetoutlemonde,petitsetgrands.Etaprès-demain,c’estànotretour.Unjoursurdeux,ensomme.

– Je ne vois pas pourquoi vous avez besoin d’imposer des règles. On n’est pas dans « SuperNanny».Ilsuffitdedemanderetonvousfileuncoupdemain,fitremarquerMatthieu.

– Justement, ce n’est pas ça que l’on veut.On ne veut pas être d’astreinte tous les jours et nerecevoirqu’uneaideponctuelle.Onveutsesentirenvacancesnousaussi,aumoinsunjoursurdeux,sicen’estpastropdemander.

–HélesFemen,vousavezfini?ironisaNicolas,aussitôtrabrouéd’unregardassassindeJeanne.– Tant qu’elles nousmontrent leurs seins un jour sur deux, çame va ! surenchérit Alexandre,

provoquantunmalaisepalpable.–Jevousrappellequ’Antoinettefaitpartiedugroupedesfilles…précisaLaurapourchangerde

sujet.

–23–Chercheruneaiguilledansunebottedefoin

Malgré un démarrage difficile, dans l’ensemble, la semaine de vacances s’était plutôt biendéroulée.Ilsavaienttoussurmontélessoiréesfilles(«Quireprendradupisse-mémé?»)etgarçons(«Cematchestdécisifpourlasaison!»).

Tous avaient survécu donc, sauf le nez de Jacques. Le père de famille avait beau être sousantihistaminiques,iln’yavaitpasàdire,ilétaitallergiqueàJack.Etlehuisclosquis’imposaitencasdepluiene l’aidaitpas, carLaura refusait catégoriquementdemettre sonchiendehors.Martineneprenaitpasposition,maisJacquessavaitqu’ilfaudraittranchersilesenfantssedécidaientàrevenirpasserdesvacanceschezeux.Ilnesurvivraitpasàunenouvellecohabitationforcéeaveccecabot.

HeureusementilyavaiteuuneaccalmiedanslasemaineetJacquesavaitpusortirdanslejardin.Sonpotagerseportaitàmerveille.Ilavaitemmenélespetitsavecluiet,àsongranddésespoir,PauletJules n’avaient même pas été capables de différencier les courgettes des concombres. Ah, cesParisiens!Enrevanche,ilsavaientétébienplusrapidesqueluietAntoinettepourdénicherlesœufsdePâques,etilsn’avaientpasrechignépourallerchercherceuxquiétaientdissimulésdanslesorties,cachette qui avait fortement déplu à Stéphanie. Mais le séjour touchait à sa fin et Jacques s’enréjouissait.

Danssonfauteuil,prèsdufeudecheminée,ilétaitenpleinedigestionquandStéphanieletiradesarêverie:

– Jacques, ils devaient passer quand exactement les ouvriers ? Parce que là, c’est trop tard.Regardez!Larambardem’estcarrémentrestéedanslamain.

Stéphanietenaitunboutdeferraille.–Maistuastirédessuscommeunebruteouquoi?!– Pas du tout, je me penchais simplement afin de fermer les volets pour la sieste des petits.

J’auraispupasserpar-dessusbord,Jacques.Ilfautqu’ontrouveunesolution.–Ceque je tepropose, c’estque tu laisses lesvolets fermés après la sieste, de toute façon les

enfantsnejouentjamaisdansleurchambre,iln’yaqu’àvoirtouslesLegoéparpillésdanslamaison.Jem’enoccuperaiaprèsvotredépart.

–Pendantquevousyêtes,allezvoirvotreportailaussi.Ilclaquemaisnes’enclencheplus.C’estmortel, ça, avec la routequipasseet lesenfants.Heureusementqu’ilpleut, etque JulesetPaulnejouentpasdehors.

–Tiens,jepenseàquelquechose:çateferaitplaisirsijeleurconstruisaisunecabanepourcetété?

–Jacques,cequimeferaitvraimentplaisir,c’estquevousvousoccupiezd’aborddeleursécurité.Quandceserafait,onenreparlera,d’accord?VousavezvuMatthieu?Jelecherchepartout.

–Ildoitêtredanslasalletéléavecsesfrères.–Encore?Maisilsyontpassétoutelajournéed’hier.Matthieuuuu!Jacquesse recalabienau fonddesonfauteuilet ilpiquaitdéjàdunezquandquelquechose lui

tombadessus.Lejackrusselavaitbondipourgoberunemoucheetatterrisursesgenoux.Lechienenprofitapourramasserlepetit-beurreLutombédansunrecoindufauteuilavantdes’enfuiraussivitequ’ilétaitvenu.

–Argh!hurlaJacquesenseréveillant.Vadanstoncoin,toi.A…a…a…aaaatchoum!Stéphanierevintausalon:–Jacques,ilsnesontpasdanslasalletélé.Vousnesavezvraimentpasoùilssetrouvent?–Aucune idée…Ahsi, toutà l’heure ilsm’ontditqu’ils iraientbien faireun touraucasino,à

Dinard.Ilsontdûsedécideràyaller.Tuneveuxpast’asseoirettedétendreunpeu?Profitedelasiestedespetitspourtereposeraussi,Stéphanie!

–Non, je vais aller voir si la voiture est encore devant lamaison. Il est culotté deme laissercommeça,àm’occuperdesenfants,sansm’avertirenplus…

Lajeunefemmeenfilaunevesteetpritunpetitgâteauavantdesortir.Quandellerevint,elleétaitfurieuse.

–Ilsembleraitquecesmessieurssoientpartisavecnotrevoiture,etsansleursportables.Ilsvontm’entendre !Enattendant, jevais allerm’allongerunmoment,vousavez raison.Où sontLauraetJeanne?

–EllesfontlescoursesavecMartinepourcesoir,jecrois…Jacquesseréinstallapourlatroisièmefoisdanssonfauteuil,etdécidadeselaisserglisserversun

sommeil sans rêves.Une idée lui traversa l’esprit furtivement : il aurait pu proposer àMartine del’accompagnerpourlesdernièrescoursesdesvacances,maisbon…iln’yavaitpaspensé.Espéronsqu’elle non plus. Il se félicita d’avoir eu l’idée de la cabane avec Stéphanie, pour la calmer. Elles’étaitmontréeintraitableavecsonhistoirederambardesetdeportail.Allez,plusqu’undodoetaurevoirtoutlemonde.Ontientlebonbout!songea-t-il.

–24–Lafauteàpasdechance

QuandMartineetsesdeuxbelles-fillesrevinrentdescourses,ellesétaientétonnammentjoyeuses.Jacquess’approchadelacuisineetlesentenditrireàgorgedéployée.

–Etquand il t’adit :«Virginmojito, jenesavaispasqueçaexistaitunmojitoCoca!»Quelnaze,celui-là,conclutJeanne.

–Çavalesfilles?C’étaitbienlescourses?demandaJacques.–Qu’avez-vousfaitdemonchien,Jacques?interrogeaLaura.–Moi,strictementrien,pourtantcen’estpasl’enviequimemanquedelemettredehors.J’aile

nezetlagorgequimedémangent,c’esthorrible!–Faites-vousprescriredesmédicamentsplusforts,luiconseillaLaura.–Bahoui,etpourquoipasduProzac!–Tiens,jemedemandesijen’entendspaslespetits.Ilsontdûseréveillerdeleursieste.Jacques,

oùestStéphanie?demandaMartine.–Maisjenesaispas,moi,oùsontlesgens!Pourquoitoutlemondemeledemande?Elledort,

probablement.–Mercipourtonaide,c’estvraimenttrèsaimable.Jevaisdoncallerleschercheravantqu’ilsne

réveillentleurmère.Situpeuxrangerlescoursesdanslefrigo,aumoins…,ditMartineenmontant.Elleredescenditquelquesminutesplustardtenantlesdeuxpetitsparlamain.–Dis-moiJacques,c’estunecatastrophe!Iln’yaplusdegarde-corpsdutoutdanslachambredes

petits.J’aiouvertlesvoletsetlesgarçonsauraientpresquepubasculer.IlfautquetufassesquelquechoseavantqueStéphanienes’enaperçoive!

–Troptard,elleadéjàappelélaDDASS!Jevaismontervoir,net’inquiètepas.Etquepenses-tu,toi,deconstruireunecabaneaufonddujardinpourlespetits,cetété?

–Mmm…Jepensequ’ilspréféreraienttousunepiscine…Jacquesgrommelaengrimpantàl’étage.Quandilentenditarriversesfils,ilredescenditaussitôt:–Ah,vousrevoilà!C’étaitbienlecasino?Vousavezperducombien?–Mais,onn’estpasallésaucasino!Onestallésboireunebièreauport,réponditAlexandre.–Jacques,jesuissérieuse.Oùestmonchien?repritLauraJel’aicherchépartoutetjenelevois

nullepart.–Maisilétaitlàiln’yamêmepasuneheure,àmesauterdessusetàmepiquermongâteau!Ilne

doitpasêtreloin.– Jacques, si jepeuxmepermettre, leportailn’étaitpas ferméquandonest rentrées…précisa

Jeanne.

–Quoi!?s’exclamaLaura.– Je vous avais dit que vos rambardes et votre portail étaient défectueux, conclut Stéphanie,

apparemmentréveilléedesasieste.–Attends,Laura,cen’estsûrementrien,larassuraMartine.Onvatouss’ymettre.Jacknepeut

pasêtrebienloin.Ilétaitencorelàilyaquelquesminutes.–Jevaismettreunpeudemusiquepourdétendrel’atmosphère,proposaJacquesenactionnantla

chaînehi-fi.Mais,oùestmonCD?Quil’aenlevé?PourmettreGoldman,enplus!–Cen’estpaslemomentdenouschaufferlesoreillesavectamusique.Viensplutôtréparertes

erreursetchercherlechienavecnous,luilançaMartine.–Mes erreurs ? J’ai le dos large !Ce n’est pasmoi qui suis sorti et ai laissé la porte ouverte

derrièremoi,suivezmonregard…dit-ilentournantlatêteversStéphanie.–Jacques,vraiment,ons’encontrefichedesavoiràquiincombelafaute,repritMartine.– Enfin, tout cela ne serait pas arrivé si on avait laissé le chien attaché dehors, comme je le

proposaisdepuisledébut!–Stop!s’énervaMartine.Tudépassesvraiment lesbornes.Arrêteavectesrèglescastratrices!

Les«onfaitceci»,«ondevraitfairecela»…J’ail’impressiondevivreavecHitlerparfois!–Moi,Hitler!?Ilvafalloirqu’elles’excuse,tamère!protesta-t-ilenprenantMatthieuàpartie.

MoiHitler?Elledevientvraimentfolle,lapauvre…–Fous-leurlapaix!Fous-nouslapaix!Merde,alors!explosaMartine.–Mamie,elleaditungrosmot,crialepetitJules.

–25–Soupeàlagrimace

Unesemaineétaitpassée.Jacquesétaitserein.Pourlui,ilétaitévidentqu’ilsallaientretrouverlechien.Certes,celaavaitétéunpeulong,etLauraetAlexandreavaientdûrentreràParissanslui.Maisl’importantétaitqu’ilsoitsainetsauf,cequiarrangeraitsérieusementsesaffairesavecsabelle-fille.

Si Jacquesavait trouvé lemoyende sauver lesmeublesavecLauraen retrouvant lechien, rienn’étaitmoinssûravecMartine.Ellene luiadressaitplus laparoledepuisunesemaine.Elleprenaitmême des somnifères pour ne pas l’entendre se coucher. Elle n’acceptait plus ses invitations àdéjeuneret,àlaplace,allaitmangeravecDaniel.

Pour l’amadouer,Jacquesdécidadefairevibrer lacordesensible : lesenfants.Cemauditchienallaitluifourniruneaideprécieuse.

–AllôLaura?C’estJacques.–Bonjour.–NousavonsretrouvéJack!Pastrèsloindelamaison,ilétaitdanslejardind’undesvoisins!Il

estenpleineforme.Jepeuxfairel’aller-retourpourteleramener,sicelat’arrange.–Oui,s’ilvousplaît.Demain?–Euh,demain,ilyalesentrepreneurspourlesrambardes,doncplutôtaprès-demain.–Ehbien,danscecas,venezceweek-endavecMartine.–D’accord,avecplaisir,réponditJacquesens’efforçantdeprendreuntonréjoui.Àsamedialors.–Oui,etn’oubliezpasdedemanderàvosentrepreneursdefaireégalementréparerleportail.Quandsafemmerentradutravail,JacquesluiannonçaqueLauralesavaitinvitéspourleweek-

endàParis.Martinehochalatêteetluiditsimplement:–Tupenserasàprésentertesexcusespourlechien,jesuissûrequetuasoubliédelefaire.Bonne

nuit!

Dans la voiture qui roulait vers Paris, avec le chien à l’arrière, Jacques sentait son nez qui ledémangeait.Ilavaitpourtantdéjàavaléuncomprimé.

–Martine,tuasprismesmédicamentscontrelesallergies?–Oui,Jacques,répondit-elle,exaspérée.Dansmonsac.Maistupourraisypensertoutseul,non?

Tuenveuxun?–Non, je leprendrai juste avantdemonter chez eux. Je tepréviens, avec le chatpar-dessus le

marché,j’ail’impressionquejevaismourir.J’espèrequetunotesleseffortsquejefaisenallantchezAlexandreetLaurapouressayerderecollerlesmorceaux.

Martinelefusilladuregard.

–OK.Jenedisplusrien,serepritJacques,seconcentrantsurlaroute.Bouchecousue,patronne!Jacquesn’aimaitvraimentpaspartirdechez lui.Encoremoinspourallercampersur lecanapé

d’unde ses fils. Il avaitpassé l’âge,mais si c’était cela leprixàpayerpour se réconcilieravecsabelle-filleetsafemme,ils’yrésignait.Ilavaitsespetiteshabitudes,saviepépère.Celan’avaitaucunrapportavecson travail, ilavaitmêmeoubliédeprendresonBlackBerrycette fois,cequeMartines’étaitabstenuedeluifaireremarquer.

Là,onluiimposaitunetripletorture:l’éloignement,lechienetlechat,etsurtout…Laura!Detoutessesbelles-filles,elleétaitsûrementlaplussusceptible.Leweek-endderéconciliationpouvaitêtre à double tranchant. Quelle que soit la discussion, elle voyait le mal partout et le prenait demanièrepersonnelle.Et,cerisesurlegâteau,elleétaitrancunière,cequipromettaitpourlesannéesàvenirsiàtrente-deuxansellesebraquaitdéjàaussifacilement.Ilnefallaitvraimentpasseloupersurcecoup-là.AlorsJacquesavaitfaitlalistedetouslessujetsàéviteretselesrepassaitmentalement:nourriture, politique, argent, animaux. Souvent il se demandait comment son fils faisait pour vivreavecunechieuseàprincipescommeelle.Déjàplusdetroisansqu’ilsétaientensemble.Maisl’amourrendaveugle,dit-on…

Unefoisqu’ilsfurentarrivés,Jacquestournavingtminutesavantdetrouveruneplacelivraisonoùgarerlavoiture.MartinepritlechienetJacquessechargeadubonsaïqu’ilavaitachetépoursefairepardonner.Pasdemessagesubliminalcettefois.Unvéritableexploitpourlui!

Devantlaportedeleurshôtes,Jacquesgobauncomprimécontrelesallergiesetpritunegrandeinspiration.Lesuppliceallaitcommencer.Sansparlerdudînerdelégumes…

–BonsoirAlexandre,bonsoirLaura.EtrevoiciJack!annonçaMartine.–SalutLaura,salutAlex.Tenez, j’aiunpetitquelquechosepourvous.Pourm’excuser,précisa

Jacquesenleurtendantlebonsaï.Etj’aifaitréparerleportail,ajouta-t-ilfièrement,commes’ilavaitgrimpél’Himalaya.

–Tantmieux!Asseyez-voussur lecanapé.Alors, sicelavous tente,voici leprogrammedecesoir:apéritifmaintenant,puisthéâtre,etenfin,dîneràlamaison.

–Lethéâtre!C’estunemagnifiquesurprise.OnadoreavecJacques!Oniraitbientouslesmois,mais iln’yapasgrand-chosedepassionnantprèsdecheznous.Mercibeaucoup,Laura,pourcetteattention.

–Ça, c’est vrai !Autant jen’aimepas l’opéra, autant je suis friandde théâtre.Onvavoir unepièceclassiqueoudeboulevard?soupiraJacquesenbâillant.

–Deboulevard.Tout lemonde endit dubien, j’espèreque ce sera à la hauteur des critiques !ajoutaAlexandre.

Laurarevintdelacuisineavecunplateaudeverrines.–Faitesdelaplace.Voicilesamuse-bouches.Ilyadeuxtypesdeverrines:roquette/chèvrefrais

etaubergine/mozzarellafaçonlasagnesvégétariennes.Désespéré, Jacques jetaun regardencoinàMartinequi lui fit immédiatement lesgrosyeux. Il

détestaitlaroquetteetplusencorelesaubergines.Mêmesamère,Antoinette,n’avaitjamaispuluienfaireavaler.

–Ç’al’airvraimentdélicieux,Laura,lacomplimentaMartine.–Jevousconseilledecommencerparcelleaufromagedechèvre,quiestplusfraîche.Surlecanapétrèsbas,Martinedonnauncoupdecoudeàsonmariquis’exécutaetpritunemini-

cuilleréeduboutdeslèvres,avantdelancerunregardinterrogateuràsafemme.Ilavalaunedeuxièmebouchée demanière plus assurée, puis en engloutit une dernière en prenant bien soin de racler lesparoisdelaverrine.

– Pour être honnête, Laura, je déteste la roquette, mais là… J’ai trouvé ça délicieux. Mescompliments!Situenasuneentrop,jesuispreneur.Surtoutquejenetienspastropàl’aubergine.

–C’estquevousêtesdifficileaveclesfruitsetleslégumes,ironisaLaura.Vousfaitescommentpour votre régime anticholestérol ? Je suis désolée,mais je n’en ai pas préparé plus.En revanche,goûtezcelleà l’aubergine,àmoinsquevousnesoyezvraimentallergique,etdites-moicequivousdéplaît.

Jacquesfuitleregarddesafemmequilefixait,déglutitavecdifficultéetplongeasacuillèredanslaverrine. Il tournait autourde l’aubergine, creusait pour essayer deneprendreque lamozzarella,mais,commedansleslasagnes,lesdeuxingrédientssemblaientindissociables.Ilfinitparavalerunepetitebouchéeetselaissasurprendreparlegoûtcaramélisédumélange.Uneautrecuilleréeet,déjà,lecontenudelaverrineavaitdisparudanssonestomac.

–Pourquelqu’unquin’aimepaslesaubergines,vousnevousêtespasfaitprier!Alors,qu’est-cequevousenavezpensé?demandaLaura.

– Eh bien, d’habitude je n’aime vraiment pas les aubergines, je déteste même.Mais là, aussisurprenant que cela puisse paraître, c’était vraiment très bon. Si quelqu’un ne finit pas, je suispreneur!Etjenedispasçaparpolitesse,vousmeconnaissezassezpourlesavoir,conclutJacquesavecunnouveaubâillement.

–Oui,Jacques,onvousconnaît!lançaLaurasuruntonquesonbeau-pèren’étaitpascertaindevouloirinterpréter.Onterminenosverresetonyva?

DeretourchezAlexandreetLaura,aprèsleursoiréethéâtre,alorsqu’ilsétaientallongésdansleClic-Clacdusalon,Martineinvectivasonmariàvoixbasse:

–Vraiment,tuesintenable!Tumefaishonte,Jacques!Tul’asfaitexprèsouquoi?Lauranetelepardonnerajamais.Uneffort,unsoir,ettoi,tut’endorsauthéâtre!

Jacques,honteux,n’osaitpasregardersafemme.– On n’entendait que tes ronflements. Tu nous as vraiment ridiculisés. Tout le monde se

retournait!Tun’asmêmepasbesoindeluidirequeçanet’apasplu.Elleacompristouteseule.–MaisjetelejureMartine,jenesaispascequis’estpassé!J’aiessayédeluttermaisj’étaistrop

fatigué.Sûrementàcausedutrajetenvoiture.Avecl’allergiepar-dessuslemarché,jesuisvraimentfrustré:sincèrementj’adorelespiècesduthéâtreÉdouard-VIIetjesuissûrquecelle-làétaitgéniale.Maisjenepeuxmêmepasenjuger,jen’aivuqueledébut!

–Tun’asvuquelescinqpremièresminutes,tuveuxdire!Jetrouvequeçaressemblaitfortementàquelqu’unquiavaitdécidéqu’ilpasseraitunemauvaisesoiréeetquiavaitprisunsomnifèrepourl’écourter!Danslavoiture,auretour,tudormaiscarrémentsurmesgenoux!Aumoins,lechatnet’apasposédeproblèmed’allergiescesoir.

– Tu plaisantes ?Mes éternuements m’ont réveillé. Ils sont de moins en moins efficaces, cescomprimés.Lauraapeut-êtreraison,jedevraisessayerquelquechosedeplusfort.Tiens,redonne-moitonsac.Ilfautquejeprenneundeuxièmecachet,sinonjenevaisjamaismerendormir.

–Tusaisbienquelesecondnefaitpasplusd’effet!Faisattentionavecl’automédication.Jacques saisit le sac àmaindeMartine et en sortit laboîtedemédicaments. Il allait avalerun

compriméquandsafemmes’écria:–Maisqu’est-cequetufais?–Commentça?Çasevoit!Jereprendsunmédoc.–Maisc’estmonStilnox,ça!–Quoi?Maisnon,c’estmonZyrtec,lecompriméestblanc,regarde!

–Lisunpeucequiestécritdessus!S-T-I-L-N-O-X.–Attends,jen’aipasmeslunettes.– Mais quel abruti ! Si tu confonds ton antihistaminique avec mes somnifères, je comprends

mieuxpourquoituétaisdanscetétatcesoir…conclutMartine,désabusée.–C’estde tafaute! Ilsontexactement lamêmetête!Qu’est-ceque tuasbesoinde lesmettre

ensemble?Ettupeuxmerappelerpourquoituprendsdespilulespourdormirenvoyage?– Dans deux minutes, toute cette histoire va être de ma faute ! Fais attention, Jacques, c’est

limite!Ettusaistrèsbienpourquoij’aibesoindemescachets:jenefermepasl’œildelanuitquandjenedorspasà lamaison.Bon,aumoinsonauneexplicationpourLaura. Je te rappellequenousétionsvenuspourfaireoubliertabouletteavecJack,paspourcréerunnouvelincidentdiplomatique!Encoreraté!

–26–Onn’attrapepaslesmouchesavecduvinaigre

PerdupourperduavecLaura,Jacquesadoptaunenouvellestratégie:sefocalisersurlabelle-filleavecquiilétaitplusfacile–apriori–demarquerdespoints.Stéphanie.Safaiblesse:lafatiguedueàsagrossesse.

Maintenant que les rambardes étaient fixées, le portail sécurisé, et la cabane pour les enfantscommandée,JacquesproposaàStéphaniede luiconfier lespetitspendantdeuxsemainesen juillet,avant leurs vacances communes. Elle pourrait ainsi se reposer un peu avant l’arrivée du petittroisième,prévupourlafinaoût.Uneruseautantdestinéeàrecollerlesmorceauxavecsabelle-fillequ’àsefairepardonnerparsafemme.

C’estavecsoulagementetempressementqueStéphanieacceptalapropositiondeJacques,toutensongeanttoutdemêmequ’ilseraitbonqueMartinesoitlàpoursurveillersonbeau-père.

Legrand-pèreavaithâtedepouvoir«remettrelesdeuxpetitsàniveau»,commeildisait.Ilavaitbeaucoup à leur apprendre, il voulait notamment leur montrer comment s’occuper d’un potager,comment reconnaître les différentes espèces d’arbres, et les emmener à la plage à la recherche detrésors.

Les enfants arrivèrent enfin pour ces vacances privées chez leurs grands-parents. Quand leursparentsn’étaientpaslà,PauletJulesétaientvraimentadorables,curieux,sagesettrèscâlinsavecleurpapy.Jacquesn’auraitjamaispenséquepasserdutempsavecsespetits-filspourraitl’amuserautant.Ils restaient des après-midi entiers aux abords de la cabane, qu’il pleuve ou qu’il vente, Jacquesdehors, les petits chevaliers à l’intérieur occupés à sauver une princesse (la poupée manchote), àcacheruntrésor(despiècesenchocolat)ouencoreàchanterduMichelSardou.

DameMartineobservaitde loin les troismousquetairesqui riaientensemble.Ellepréparaitdesgrenadinesetdescookiesauxpetitshéros,etajoutaitparfoisdespetits-beurreLupourlepapy.Lejeucontinuaitavec le«baindespirates», le« festindes rois»et l’histoiredusoiravec«CopaindesBois»,pendantlaquelleonrévisaitlesalimentsdesurviequel’onpouvaittrouverenforêtoudansunpotager.

Pourunefois,Martineavaitelleaussil’impressiond’êtreenvacances.Satension,d’habitudesifaible,étaittrèsbonne.MêmeJacquesétaitméconnaissable:lasiestedespetitsétaitmaintenanttroplonguepour lui. Il n’avaitqu’uneenvie, l’écourterpour retourner jouer aveceux.Alorspendant cetempsilredoublaitd’imagination:ilfinissaitdefignolerlacabane,aufonddujardin,ilfabriquaitunthéâtreenboispourGuignol,créaitdesénigmespourunechasseau trésordans le jardinouencoreravitaillaitlecoffre-fortdelacabaneenbonbonsacidulés.

Jacquesnepensapasuneseulefoisautravail,etquandonl’appelapourluidemanderdepassersurunchantier,ils’étonnalui-mêmeenrépondantqu’iln’étaitpasdisponibleetqu’ilsn’avaientqu’àyenvoyerlenouvelingénieur.Martineespéraitquecerevirementdurerait,maisellen’ycroyaitpasvraiment.

LaveilledujouroùdevaientarriverlesparentsdeJulesetPaul,JacquesetMartines’accordèrentpourdirequelebontempsétaitprobablementfini,etqueleursdeuxadorablespetits-filsallaientbienleurmanquerlorsqu’ilsallaientlaisserplaceàdeuxgarçonscapricieux.

La famille au grand complet débarquait pour dix jours. SiMartine n’avait pas eu à surveillerJacques pendant les deux semaines avec les enfants, elle l’encouragea à poursuivre sur la mêmelignée, sans omettre de le féliciter pour sa bonne humeur. Dix petits jours, pendant lesquels il luifaudraitêtrecourtois,serviable,aidant,divertissantavecsestroisbelles-filles.EtavecMartine.Dixmalheureuxjours.

–27–Quiaimebienchâtiebien

C’était prévisible : la tension était subitement montée d’un cran à l’arrivée de Matthieu etStéphanie. Jules et Paul n’étaient pas moins sages, mais Jacques et Martine devaient essuyer lesremarquesacerbesdeStéphanie.Despiquesàsonmariquin’enfaisaitpasassez,descommentairessurlefrigodesabelle-mèrequinecontenaitrienqu’ellepuissemanger…Dèslespremièresheures,Martine montra des signes de fatigue. Jacques prit les choses en main et en toucha deux mots àMatthieu.

– Tes enfants ont été de vrais anges pendant deux semaines. On serait ravis de les garder ànouveau l’année prochaine, si vous avez besoin.En revanche, il va falloir nous donner un coup demainpendantcesdixjours.Tamèrefaitdesbaissesdetensionetjeneveuxpasqu’onlaregardetouss’épuiser à la tâche, entre les courses, les repas et les enfants. Et surtout, pas de remarquesdésobligeantes,nidetapart,nidecelledeStéphanie.

–J’aisaisilemessage.J’aiuneidéepourmieuxrépartirlestâches,attendonsl’arrivéedesautresce soir pour en discuter. En ce qui concerne Stéphanie, j’essaie de la gérer, mais elle est trèssusceptibleencemoment.Leshormones,ilfautcroire…

Lajournéefutlongue.Lafemmeenceinterâlaitpourunrien,denepaspouvoirresterlongtempsassise,denepaspouvoirsebaladerlelongdelaplageàcausedesonnerfsciatiqueetdesonbesoinconstantd’allerauxtoilettes,denepaspouvoirgoûterlacôtedebœufbiensaignanteoulevin,denepaspouvoirmonterl’escaliersansfaireunepause,desonmaldetête,desesligamentsquitiraientauniveaudeshanches,de la fêtequi s’organisaitdans sonventredèsqu’elle s’assoupissait.Bref, elleétaitd’unehumeurdechien,ettoutlemondesetenaitaugarde-à-vous,prêtàluitendreuncoussinpoursoulagersonfessier,àcarbonisersatranchedebœuf,àmontercoucherlespetits,àluimasserlebasdudosouluifairecoulerunbainchaud.Bref,pasdetoutrepos,cettetoutepremièrejournéedevacances!

Quand, à 19 heures, Laura, Alexandre, Jeanne et Nicolas se garèrent, Martine et Jacques selancèrent un regard entendu. C’était maintenant que tout commençait vraiment. Maintenant qu’ilfallaitfaireledosrond.

Une fois les bises échangées,Martine préparait les coupes de champagne pour l’apéritif quandsoudainellevacilla.Alexandrelasoutintjusteàtempspourl’empêcherdetomber,etJacquesbonditducanapé,récupérantauvolleplateauaveclesverres.

–Assieds-toi,Martine.Jevaistechercherdel’eau.Nebougepas,luiintima-t-ilgentiment.–Jevaisbien, je t’assure, j’ai juste la têtequi tourne.Dansquelquessecondes, tout sera rentré

dansl’ordre.

–Ouimaman, bien sûr, enchaînaMatthieu, jusqu’à ta prochaine chute de tension.Cen’est pasparcequ’onpassedesvacancesdanstamaisonquetudoistoutfaire.Jevaistedirequelquechosequivatesurprendremais,aussiagréablesoit-ildesefairechouchouterparpapaetmaman,noussommesgrandsmaintenant,nouspouvonsprendrelerelais.Etsurtout,tuestoiaussienvacances,mêmesitusemblesl’oublier.Avecpapa,onaeuuneidée,sivousêtesd’accord,onvatousmettrelamainàlapâtependantcesvacances.

Stéphanieécarquillalesyeuxets’enfonçaplusprofondémentdanslecanapé.ElleauraitaiméqueMatthieul’informeavantdecetteidéedevolontariatcollectif.Elleécoutalasuiteavecinquiétude:

–Onvatousaideràfairelescourses,préparerlesdéjeuners,lesdînersetlavaisselle,expliqua-t-il.

Prisesoudainementd’uneboufféedechaleur,Stéphanieattrapaunmagazineets’éventa.–Etpourrendreleschosesencoreplusamusantes,onvalefaireenbinôme,ontireraleséquipes

au sort. J’ai déjà tout préparé, poursuivitMatthieu enmontrant un bout de papier sur lequel étaitinscrit«Jacques».Stéphanieeutuneremontéegastrique.

–Sivousêtesd’accord,onexclutmamanetStéphanie,enchaînal’aînédelafratrie.Ilrestedoncsixpersonnes,pourtroiséquipes.

–Superidée!fitAlexandre,enthousiaste.–Alléluia!soupiraStéphanie,soulagéed’êtreexemptée.– Je peux m’occuper des repas du midi, proposa Nicolas. Ce ne sera pas tous les jours des

déjeunersétoilésmaisjeferaiensortequecesoitbon.Çavousva?–Mais,enfin!Vousn’allezpasvousmettreencuisinependantvosvacances,rétorquaMartine,

outrée.Jacques,jenesuispasd’accord.Jemesuistoujoursoccupéedesrepas,iln’yapasderaisonpourquecelachange.

–Maman,nousnesommesplusdesbébésmaisdevéritablesgoinfres!Etsurtout,noussommesdesadultesresponsables,enfinpresquetous,ironisaMatthieuenfaisantunclind’œilàsonpère.Queceuxquisontd’accordpourunepréparationdesdînersenbinômeetdesdéjeunersparNicolaslèventlamain!

Jeanne,Nicolas, Stéphanie, Laura,Alexandre etMatthieu hissèrent le bras. Jacques aurait bienvoululesimiter,maisMartinel’enempêchait!

–Donc,celafaitsix«pour».Loiadoptéeàlamajorité.Désolé,maman...Etmaintenant,lapartielaplussympa:letirageausortdeséquipes.Jem’excuseparavancepourceluiquitomberaavecpapa.Bonnechance!

– Tu es sympa... Sache qu’il y a tout de même deux ou trois plats que je maîtrise, rétorquaJacques.Etduniveau«MasterChef»!

–Onnedemandequ’àvoir,Jacques,etàdégustersurtout!ajoutaLauraavecungrandsourire.–Pourlamaininnocente,prenonslaplusjeune.Jeanne?Vas-y,piocheunbillet,luiditMatthieu.–Alors,suspense…Lepremierbinômeestcomposéde…Stéphanie!–Maisjecroyaisquejeneparticipaispasmoi?demandacettedernière,paniquée.–Oui,pardon,j’aioubliéderetirertonpapieretceluidemaman,s’excusaMatthieu.Fauxdépart,

onrecommence…– Alors, roulements de tambour… Le premier binôme est composé de… Jacques ! annonça

Jeanne.–Çapromet!Onvabienmangerdemainsoir.PrévoyezunMcDoavant,titillaAlexandre.–Arrêtez,celadépenddeceluioucelleavecquiiltombe!ditJeanne.

– Je te remercie pour ton soutien, Jeanne, répondit l’intéressé,même si j’aurais préféré que tudisesquelquechosecomme«laissons-luilebénéficedudoute».

–Cen’estpascequej’aidit?Bref,ledeuxièmemembredubinôme,est…Jeanne!Moi?!OnestensembleJacques!

–Ouf,onestsauvés!Imaginez,s’ilétaittombéavecLaura,lançaMatthieu.–Hé, je ne vous permets pas ! Je cuisine très bien.Alexandre est le seul d’entre vous, à part

Jacquesbiensûr,quin’apasquelapeausurlesos,jevousfaisremarquer.Etpuis,JacquesetMartineont adoré les verrines végétariennes que je leur ai faites la dernière fois… à défaut d’apprécier lethéâtre,ajoutaLauraenfixantJacques.

–Allez,ledeuxièmebinôme,repritJeannepouréviteruneénièmediscussionsurcesujetépineux.Alexandre…etLaura!

– Ah non, pas les couples ensemble. C’est interdit. Pioche un autre papier, on remettra Lauraaprès.

–Alors,Alexandreet…Nicolas.–Super!ditAlexandre,jetombeaveclemeilleur.Onvatoutdéchirer.Çavaêtreencoremieux

que«MasterChef»!–Donc,plusdesurprisepourledernierbinôme:LauraetMatthieu.–Parfait, jesuisravi,ditMatthieuàsabelle-sœur.J’aidéjàuneidéedeplat,onenparleaprès.

Donc le premier binôme prépare le dîner demain, le deuxième le soir suivant, le troisième le soird’aprèsetainsidesuite.EtungrandmerciàNicolasquis’occuperadetouslesdéjeuners.

– Je suis désoléemaismoi, ça neme va pas du tout, repritMartine. Je ne vais pas vous fairecuisinerchezmoi,etpendantvosvacancesquiplusest.Jen’endormiraispasdelanuit!

–AupiretuprendrasduStilnox,plaisantaAlexandre.–Notredécisionestprise,maman.Pointbarre,conclutMatthieu.– Bon, si je ne parviens pas à vous faire changer d’avis, je veux au moins faire le dîner du

quatrièmesoir.–Vendu!Maisavecl’aidedetoutlemondepourlescoursesetlavaisselle,luiconcédaMatthieu.Stéphanie s’enfonça dans le canapé. Elle était heureuse d’échapper à cette épreuve, elle qui ne

cuisinait jamaisetqui surtoutne se sentaitpasau toppour resterdeboutà respirerdeseffluvesdenourriture, les nausées ne l’ayant jamais quittée depuis le début de sa grossesse.Dix jours avec sabelle-famille étaitdéjàunegageure, alors autant éviter les corvées supplémentaires.Elle enprofitapourrappelerunerègleessentielle:

–Si jepeux justemepermettreundétailpourceuxqui font lescourses :pensezàprendredeschosesquejepeuxmanger,doncpasdelaitcru,pasdecharcuterie,pasdecoquillage,pasdeviandesnidepoissonscrus,etpasdebonbonspourmesenfants!

Lauras’engouffradanslabrèche:–J’enprofitepourvousrappelerquejesuisallergiqueaukiwiet…–Etaulatex,oui…Donconneprendpasdecapotes,entendu!conclutNicolas.Laurafusillasonbeau-frèreduregardetpoursuivit:–Jedisaisdonc,jeneveuxpasvousempêcherdemangerdelaviandependantdixjours,maisce

seraitsympasivouspouviezprépareruneassietteàpartpourvotrevégétariennepréférée…Toutlemondeseregardaet,intérieurement,poussaunoufdesoulagement.– On fera pareil pour toi, Stéphanie, une assiette à part, conclut Nicolas. On a bien noté les

requêtes.Çavaêtresimple,toutça…

Stéphaniefitunemoueboudeuse.Elleauraitpréféréquesabelle-famillelasoutiennedavantage,en nemangeant pas devant elle tout ce qui lui était interdit.Mais bon, tant qu’ils pensaient à luiacheterdufromagepasteurisé,ellesurvivrait...ElleseconsolaensaisissantledernierApéricube.

–28–Est-cequejetedemandesitagrand-mèrefaitduvélo?

Surlatablebassedusalon,lesplatsàgâteauxapéritifétaientvides,ainsiquelescoupes.Aprèsledîner, ilsavaientregagnélesalonpourpasserunmoment tousensemble,enfamille.Jeanneselevapourallerfumeràl’extérieur.Seule.Surlecanapé,Lauraseretournaetattrapaunalbumphotodanslabibliothèque.

–OhmonDieu,unephotocollector!Jacques,ilfautqu’onparle:vousavezeuunemoustache?!OndiraitTomSelleckdansMagnum!Etcecostumeblanc!

–Ouic’étaitpournotremariage.Quandjevousdisaisqu’àuneépoqueJacquesavaitétéhippie!rappelaMartine.

–Jenesuispassûrquecesoitunlookhippiemais,situasencoretoncostume,onpeutorganiserunesoiréeàthème!plaisantaNicolas.

–«Bendisdonc…tuviensplusauxsoirées?»,continuaAlexandreenimitantlavoixd’OmarSydansle«SAVdesémissions».

–Arrêtezdevousmoquer,lesjeunes,rétorquaJacques.Quel’undevoussemarie,déjà,etonenreparlera!

–Antoinetten’estpassurlaphoto?s’étonnaStéphanie.–Disonsqu’onétaitunpeurebellesetqu’ons’estpassésdenosprochespour lacérémonie.Ce

quemafamilleamoyennementapprécié,commentaMartine.Latraditionrestelatradition.Jeannerevintdesapausenicotine,s’installasurlecanapéetcommençaàfeuilleterl’albumphoto

déposésurlatablebasse.– Humm, quelle infection Jeanne ! Ça sent la clope ! pesta Jacques. Tu connais le tabagisme

passif?Ettusaisquetuteflingueslenez?Jeannecontinuaàcompulser l’albumet remarqua immédiatementundétailquiavait échappéà

toutlemonde:–Jerêve!Alorsça,c’estlameilleure!Jacques,vousfumiez!?Vousremontezlesbretellesde

toutlemondeaveclacigarette,maisvousavezétéfumeur!–Pasdutout!Jen’aijamaisfumédemavie!Oùvas-tuchercherça?–Jen’inventerien.Regardezlaphoto,là…dit-elleencollantsondoigtsurlapreuveirréfutable

ducrimedeJacques.–Ah,ça!Maiscelan’arienàvoir.C’estunepipe!–Commentça«rienàvoir»?Celarestedelanicotine.C’estmêmepirepourl’entourage!– Bon, on a fini de critiquermamoustache,mon costard ouma pipe : on peut passer à autre

chose?

–Avecplaisir,cherpartenairedecrime.Jesuissimplementraviedevoirquemêmele«GrandJacques»aeusesmomentsdefaiblesse…continuadetaquinerJeanne,souslesyeuxécarquillésdeNicolas.

–UnpetitScrabble?proposaMartine.– Si on fait un Scrabble, moi, je vais me coucher, prévint Alexandre, aussitôt soutenu par

StéphanieetNicolas.–UnUno,alors?–D’accord,maispasdetrichecettefois,Martine!intervintStéphanie.Onsuitlesvraiesrègles,

paslesrèglesLeGuennec!–Celam’étonneraitquemafemmetriche,répliquaJacques.–Vousne l’avezpasvueauskienfévrier ! Ilya tellementdechosesquivousétonneraient,si

voussaviez,Jacques.D’ailleurs,ellevousamontrésonpetittatouage?demandaJeanne.–Bon,onjoueouonseracontenosvies?coupaAlexandre.Le vin du dîner aidant, l’ambiance était détendue. Jeanne et Laura préparèrent des mojitos,

pendantquelesgarçonsinstallaientlatablepourjouer.Aprèsdeuxheuresdejeupassionnées,decris,decartescachéessous la table,etdebelles-filleshystériquesàchaqueLeGuennecprisen flagrantdélitdetriche,lescouplesregagnèrentleurschambres,oùlesdébriefingsnocturnescommencèrent.

–Qu’est-cequec’estquecettehistoiredetatouage,Martine!?demandaJacques,interloqué.Jen’aipasvouluenfaireunehistoiredevantlesenfants,maistuauraispum’avertirquandmême.J’ail’aird’unidiot,àêtreledernieràl’apprendre!

–Maisc’estun toutpetit tatouagede riendu tout.Celanevautpas lapeined’en faire toutunplat!Tuveuxlevoir?proposaMartineenenlevantsesmi-bas.

Effectivement,elleavaitchoisilasobriété.Letatouage,telunlien,décoraitlachevillefinedelasexagénaire.

–Çava.C’estmignon.Çameplaîtbien.J’ail’impressiond’êtreavecunepetitejeunetteunpeurebelle…ditJacquesenenlaçanttendrementsafemme.Çam’émoustille,même.Tuaimeraisquejem’enfasseun?Uneancresurlebiceps?ajouta-t-ilpourplaisanter.

–Quellehorreur!gloussaMartineenembrassantsonépoux.Danslachambrevoisine,StéphanieprévenaitMatthieu:–Sidemaintonpèrefaitencoresonnerletéléphonepournoustirerdulità9heures,jefaismes

valisesetjevaism’installerchezAntoinette.–Mais tuesparano,cen’estpas lui !C’estunhasardsi le téléphonesonne.Celadoitêtredes

démarcheursquiattendent9heurespourcommenceràtravailler.–Tuesvraimenttropindulgent,monpauvre.Etjeneveuxplustevoirtrichercommeça!C’est

quoicette«éducationLeGuennec»?!Aïe!Tonfilsmetorture…Ilappuiesurmavessie.Etvoilà,j’aiencoreenviedefairepipi.Vivementqueçasetermine!

Dans la chambre suivante, Laura et Alexandre venaient de fairemonter en cachette leur chienJack,quis’étaitdéjàinstalléconfortablementsurlelit.

–Est-ce que demain on peut faire un truc qui sorte de l’ordinaire ?Cet été, je veux éviter lesjournéesennuyeusesàrépétition:barbecue,siestedespetits,plageetapérosaucisson.Tuneveuxpasqu’onailleàDinard,enamoureux?Ilyapeut-êtreuneexpo.Enplus,demainnousnesommespasdecorvéederepas.

–Pourquoipas,temporisaAlexandre.Maismoij’aimebienalleràlaplage,etfairedesphotosdespetitsquijouent.Etdemain,ilsontprévugrandbeautemps!Ilfautqu’onprofitedelaplage.

–Mercipourlesoutien!Tuesdéprimant.Allez,bonnenuit,conclutLauraenluitournantledos.

Dans la dernière chambre, la plus petite, au bout du couloir, la discussion était houleuse entreJeanneetNicolas.

– Je te dis juste « fais attention ». Ce n’est pas ton pote, c’est mon père. Je trouve que tu lerembarresetlecharriesunpeutrop,c’esttout!disaitlejeunechef.

–Nonmaisjerêve!Ilsecomporteenvraimacho,critiqueouvertementmonaccentetn’estpasnonplusirréprochableniveaunicotine,etjedevraismetaire!protestaJeanne.

–Cen’estpasqueça.«Salutpartenaire…»Tutecroisaucollègeouquoi?–Bon, il faudrait savoir ! Je suis censée faire quoi, quand je suis dans ta famille ?Me taire ?

Nicolas,sérieusement?–Allez,arrêtons-nouslà.Tucomprendstoutdetravers.Viensdansmesbras.–Danstesrêves,Nico.Jefaismacorvéedecuisinedemainetjeparschezmamèrepourlafindes

vacances.–C’estça!Rentrechezmaman!luilançaNicolasenquittantlachambre,énervé.IlcroisaStéphaniequisortaitdestoilettesetluihurla:–Vraimentadorables,lesbelles-filles!Vousfaitesunebellebrochettedechieuses!

–29–Pasdumatin!

Jacques était d’unehumeur radieuse. Il avait unepêched’enfer pour sa journée aux fourneaux.Dèsleréveil,ilétaitsortiacheterdesviennoiseriespourtoutlemondeetdupainfrais.Mais,à8h45,personnen’étaitlevé.Mêmelespetitsdormaientencoreàpoingsfermés.

Ilsesaisitalorsdesonportableetcomposalenumérodelamaison.Lasonnerieretentitàtouslesétages,aussitôtsuivied’un:«Onestréveillé,onatrèsfaimnous!»dePauletJules,etd’un:«Jevaisletuer…»,prononcéparStéphanieetaccompagnéd’unviolentclaquementdeporte.

Martinedéboulaaussitôtdanslacuisine:–Nemedispasquec’esttoi!?–Dequoi?fitJacquesenprenantunairinnocent.Lepainesttoutchaud,machérie.Etjet’aipris

unchaussonauxpommes.Tusensbon.C’estunnouveauparfum?Jeannedescendaitlesescaliers,avecsatêtedesmauvaisjours.–Houlà!Envoilàunequin’apasbiendormi,remarqualepatriarche.–Pasassezsurtout!précisalajeunefemmeenapercevantsonrefletdanslemiroirdel’entrée.

Vousmelaissezquinzeminutes,letempsdeprendreuncaféetunedouche,etensuiteonvafairelescourses?

–Entendu«binôme»!J’aiunedecesformes,çavaêtreEyeoftheTigeraujourd’hui!Aaaargh!hurla-t-ilàsabelle-filleenserrantlespoingstelunboxeur.

Bizarrement, les autres attendirent le départ de Jacques avant de descendre prendre leur petitdéjeuner, au calme. Laura proposa à Martine de l’accompagner à Dinard voir une exposition, cequ’elles’empressad’accepter,finalementheureusedenepasavoiràdéclinercommeellel’auraitfaitencorequelquessemainesauparavant,étantd’astreintepourlesdéjeunersetlesdîners.

–30–Unpanierdecrabes

C’étaituntempsparfaitpourprofiterdelaplage.Commesouventenfindematinée,ilyavaitduventetl’airétaitunpeufrisquet,maisilnepleuvaitpas.JulesetPaulétaientdéjàenmaillotdebainetattendaientleursonclespourallersebaigner.AlexandreetNicolas,frileux,auraientpréféréjouerauxraquettesmais«cen’étaitpastouslesjoursqu’ilsavaientlachanced’êtreenfamille»,commeleleuravaitfaitremarquerMatthieu.

–Chéri,metsdelacrèmesolaireauxpetits,s’ilteplaît,luidemandaStéphanie.Etn’oubliepasdet’enmettresurlevisage.Sinon,tuvasencoreavoirleneztoutrouge.

Elles’étaitdéjàenduited’unepremièrecouchedecrèmeavantdepartirdelamaison,maiselles’étaitretartinéegénéreusementavantdepasserletubeàsonmari.Elledevaitfaireattentioncar,aveclagrossesse,lesoleilpouvaitlaisserdestachesindélébilessursonvisage.

Alorsquelesgarçonsdescendaientsebaigner,Stéphanie,ledoigtenl’air,cherchaitàdéterminerladirectionduventpourplanter leparasolaumeilleurendroit.Ellecomptait s’yabriteretneplusbouger.Ellesortitensuitesacapeline,seslunettesdesoleil,sesmotscroisés,ets’installasurlepetitfauteuildeplageempruntéàAntoinette.

Lamarée était basse. Les garçons atteignaient seulement le bord de l’eau. Elle distinguait lesminusculessilhouettesdesesfilsetcellesdestroisfrères.

Enfintranquille!songea-t-elle.Iln’yavaitpasunbruit.Peudetouristesétaientsurlaplagecematin-là,àcauseduvent.Installée

danssonpetitcoin,Stéphanieétaitauxanges.Devraiesvacances!Auloin,lessilhouettessemblaienthésiteravantd’entrerdansl’eau.Lamerdevaitêtreplusfroide

qued’habitude.LepetitJuless’amusaitàsauteràpiedsjointsdedanspourarroserlesgrands,raidescommedespiquets,alorsquesongrandfrère,Paul,plustéméraire,donnaitdegrandscoupsdansl’eaupouréclaboussercomplètementsesoncles.

Ça vamal finir cette histoire, Paul. Tu vas te retrouver à l’eau, pensa Stéphanie, observant lascènedeloin,avantdesereplongerdanssesdéfinitions.Pourlapremièrefoisdepuisdessemaines,etpeut-êtreavantlongtemps,elleprofitaitdusilence.

–Merci,lâcha-t-elleàvoixhaute.Ç’avait étéunepériodedifficilepour elle avec sesdeuxgarçons enbas âge.Dans le fond, elle

appréhendait l’arrivée d’un petit troisième. Un garçon de plus, plein de vitalité, dans la familleLeGuennec. Elle redoutait également la fatigue, les disputes avecMatthieu, les chamailleries desgarçons. Sans parler de sa propre mère qui allait s’installer chez eux les premiers temps,officiellementpouraider,maissurtoutpourluitapersurlesnerfsavecsesconseilsultrasécuritaireset

complètementdépassés.Nepasypenser,continueràse faireservirdans la familledeMatthieu,etprofiterdechaquemomentdecalme.

–Houhou!Stéphanie!Onestlà!La jeunemamansouleva leborddesonchapeauetplissa lesyeux.Cen’étaitpeut-êtrepaselle

qu’on appelait. Des Stéphanie, il y en avait eu une ribambelle dans les années 1970-1980.ParticulièrementenBretagne.

–Houhou!Stéphanie!Parici!C’estnous!Illuisemblaitreconnaîtreunevoixfamilière,quiavaitlepouvoirdel’irriter.Non,paslui…JacquesétaitentraindedescendresurlaplageavecJeanne.Ilsavaientdéjàterminélescourses.Il

s’assitàcôtédeStéphanie,dépliaénergiquementsaserviette,faisantvolerdusablepartout,ycomprissursabelle-fille.Jeannes’assitàmêmelesableetregardaNicolasauloinquisebaignait.

–SijepeuxmepermettreStéphanie,commençaJacques,avecceventquitourne,ilnevajamaistenir,tonparasol.Toiquifaistoujoursattentionàlasécurité,tuvaséborgnerquelqu’un.

–Ilestbiencalé,là.J’aimisunegrossepierreetjeletiensaveclepied.Jacques gesticulait dans tous les sens pour attirer l’attention des cinq baigneurs frigorifiés qui

remontaientverseux.–Tufaisquoi?sehasardalegrand-père.–Desmotscroisés.–Tuveuxquejet’aide?–Non,çavaaller.J’avancebien.Jevousdiraisijesèche.Jacques se rapprochaet lutpar-dessus sonépaule. Ilpoussaun«Mmm…»dedoutequi fit se

dresser lespoilsde sabelle-fille. Il se retourna sur sa serviette, râla à caused’unepierre restée endessousetquiluirentraitdansledos,puisserassitbrutalement.

–Jeanne?Çateditd’allergoûterl’eau?–OK.–Stéphanie,tuviensavecnousfaireunebaladelelongdelaplage?–Nonmerci,Jacques,jevaisresterlàtranquillement.Jegardelesaffairesdetoutlemonde.–Allez viens, insista-t-il, on va voir si lamer est bonne et on revient.Ça te ferait du bien de

marcherunpeu.Stéphaniebouillonnaitmais se retintde faire lemoindre commentaire.Elle avait déjà enviede

fairepipi,alorssiellesemettaitàmarcher,ellenerépondaitplusderien.–Vraiment, c’est gentil,mais sans façon.N’insistez pas.Allez-y avec Jeanne.Ou attendez les

petitspourallerchercherdescrabesdanslesrochersaveceux.Regardez,ilsreviennentencourant,ditStéphanieenselevantpourtendreleursserviettesàsestroishommes.

C’estàcemomentqueleparasols’envola,entournantsurlui-même,prèsàembrocherlepremierqui semettrait sur sonpassage.Maispersonnenebougea lepetitdoigtpour le rattraper.Seuleunevoixsefitentendre:

–Etvoilà!Jevousl’avaisbienditqu’ilallaits’envoler!Stéphaniefoudroyasonbeau-pèreduregard.EtJeannesemitàcourirpourrécupérer leparasol

quipoursuivaitsacoursedangereuse.Quandlesbaigneurssefurentréchauffés,Stéphanierelançasonidée:–Quiveutalleravecpapychercherdescrabesdanslesrochers?Lesdeuxboutsdechoulevèrentlamaincommeàl’écoleets’emparèrentdesseaux.– Les enfants, vous mettez vos Méduse. Jacques, vous voulez emprunter les chaussures de

Matthieu?Çaseratoujoursmieuxqued’yallernupieds.Vousrisquezdevousblesser.

–Mais non, j’ai l’habitude !Allez lesmoussaillons, c’est parti ! dit Jacques en commençant àescaladermaladroitementlesrochers.

Uneheureplus tard,Stéphanieseréveilladesasiesteausonde laballeencaoutchouccognantcontrelesraquettes,quineparvenaitpasàcouvrird’étrangesrâlespeuvirils.MatthieuetAlexandrefrappaientdanslaballedetoutesleursforcespoursefairecourirlepluspossible.Lesyeuxfermés,oncroyaitassisteràunmatchentreMonicaSelesetMariaSharapova.

QuandMatthieumarqualepointultime,ilvintembrasserStéphanie,fiercommeArtaban.L’aînéconservaitsontitreetiln’étaitpasprèsdeselancerdansunenouvellepartiepourleremettreenjeu.Stéphanieobservasonhommequisoufflaitcommeunbœuf.

–Jet’avaisditdemettredelacrèmesolaire.Tuasleneztoutrougemaintenant!Ondiraittonpère quand il a bu un verre de trop.À propos, ils ne sont toujours pas revenus de leur chasse auxcrabes?

–Si,maisilssontallésdirectementaupostedesecours.–Quoi?fitlajeunemère,àlafoisinquièteetagacée.– Rien de grave. Papa s’est légèrement entaillé le pied mais, tu le connais, il croit qu’on va

l’amputer.IlademandéàNicolasetJeannedelesoutenirpourparcourircentmètres.Ridicule!Tiens,quandonparleduloup…

Clopin-clopant,Jacqueslesrejoignait.Sonvisagelaissaittransparaîtreunedouleurinsoutenable,ouunjeud’acteurvraimenttrèsbon.OnauraitditRamboquirevenaitdelaguerreduVietnam.PauletJules,sautillant,seprécipitèrentpourraconterlesmalheursdeleurpapyendétail.

–Papy,ilaunpansementaveclareinedesNeigesdessus!Regardemaman,ditPaul.–Ahoui,çavousvabien,Jacques!Alors,vousavezpuattraperquelquescrabesquandmême?

demandaStéphanieàsesenfants.Montrez-moivosseaux.–Zusteun,confessaJules.Papyesttombétoutdesuite.–Ouimaisuntrèsgros,précisacedernier,unpeuvexé.Onvaselepartageraudîner.–Qu’est-cequevousvoulezfaired’unseulcrabe?demandaJeanne.Onadéjàprévuunbonrepas

pourcesoir.Relâchons-leplutôt.Lapauvrebête…JesuissûrequeLauraseraitd’accordavecmoi.–Onnevapaslerelâcher,coupaJacques,souhaitantquesonentailleaupiedaitaumoinsservià

quelquechose.Regarde,ilesténorme!Ettuasvusespinces?JacquespassaleseauàAlexandre,quisaisitlecrabepourl’examinerdeplusprès,leretournant

danstouslessens.–C’estunefemelleouunmâle?S’ilyaducorail,çapeutvaloirlecoupdelegarder.–J’aidéjàregardé,c’estunmâle.Repose-le,enplustuneletienspascommeilfaut,Alexandre.

Sij’étaistoi,jenejoueraispasaveccettebestiole.Uncri retentitpresqueaussitôt.Alexandre se tenait ledoigt.Lecrabe,qu’il avait lâché sous le

coupdeladouleur,s’échappaitsouslerocherleplusproche.–Jetel’avaisbiendit!s’exclamaJacques.C’estmalin,maintenantils’estenfui.Allez,onrentre

déjeuner!C’estl’heurede«MasterChef»…

–31–Cherchermidià14heures

Comme on pouvait s’y attendre, le déjeuner de Nicolas avait été excellent. Simple maissavoureux:langoustinesetmayonnaisemaisonenentrée,barencroûtedeselensuite,saladedefruitsfraisendessertavecsaglacevanilleetsessablésbretons.Plusremarquableencore:ladiscussionàtable avait été légère. Pas de remarques acerbes, ni de prises de bec.Une petite révolution pour lafamilleLeGuennec!Jacques,quiseraitencuisinelesoirmême,s’étaitabstenudetoutcommentaire,redoutantunretourdebâton.

Après ce succulent déjeuner, le binôme Jacques/Jeanne devait désormais relever le défi etcommencerlapréparationdudîner.Pourleurlaisserlatranquilliténécessaire,Martineproposa:

–Quivientfaireunebaladedigestive?Laura,Alexandre,onvavoirlabruyèreavecJack?Etonpoussera jusqu’à lamaisonnette du bout : ils ont des petites poules toutesmignonnes. Je vais leurrendrevisitepresquetouslesjours.Celamerappellechezmagrand-mère.Parfois,jem’yarrêtedesheurespourlespeindre.Venez,Jackvaapprécier,j’ensuissûre!Stéphanie,Matthieu,Nicolas?Vousvousjoignezànous?

–Nous, on retourne à la plage, annonça Stéphanie.Rejoignez-nous après.On peut prendre vosaffairesdebainsivousvoulez.

Jeanne et Jacques pouvaient enfin s’affairer sereinement en cuisine. Au menu : verrinesvégétariennesenentrée, filetmignonaubarbecuepuisque le temps lepermettait, accompagnéd’ungratin dauphinois, et pêches rôties au chocolat chaud avec sa glace vanille. Pas trop compliqué, ilsuffisait justedebien s’organiser.Lespêches étaient sur le feu, et lespommesde terregratinaientdanslefour.Iln’yauraitplusqu’àdresseretréchaufferauderniermoment.

Alorsqu’ilsgarnissaientlesverrinesensilencedepuisprèsdedixminutes,Jacquesbrisalaglace:–Tuesunevraierousse?sehasarda-t-il.Décontenancée,Jeannerépliqua:–Euh,oui…–EttuastoujoursvécuàMarseilleavantdevenirtravailleràParis?–Oui.– Et comment t’es venue cette passion pour le vin ?Marseille, ce n’est pas la région la plus

évidentepourfairenaîtreunevocationdesommelier,jesuppose…Jeannefronçalessourcils.Ellenesavaitpassisonbeau-pères’intéressaitvraimentàelle,ousi

c’était unemanière dedire que la cité phocéenne était plus une référence enmatière de truanderiequ’enmatièred’œnologie.

Commeellenerépondaitpas,ilenchaîna:

–C’estpeut-êtreunepassionquet’atransmisetonpère?– Je n’ai jamais connumon père. Il a abandonnémamère quand elle lui a appris qu’elle était

enceinte.–Ahpardon,jenesavaispas...Excuse-moi.–Cen’estrien.Ilnem’ajamaismanqué.Lapassionduvinm’estvenueasseztard.Jesavaisque

jevoulaistravaillerdanslarestauration,maisjenem’imaginaispasensalle,nimêmeencuisineoùl’onestcoupéducontactaveclaclientèle.C’estaprèsmaformationenhôtellerieclassiquequej’aichoisicettespécialisation.Etvoilà!Vousavezfiniaveccesverrines?Jevaisfairedelaplacedanslefrigo.

JeanneetJacquesfaisaientunpeumieuxconnaissancedepuisprèsd’uneheurequandcedernierposaunequestionindiscrète:

–Etçasepassebienlaviesouslemêmetoit,avecNicolas?Labelle-fillelâchaalorsunebombe:–Non,c’estfini.Onterminelesvacancesensemblemais,onlesaitdéjà,celanemarchepas.Je

déménageraiàlarentrée.–Quoi?!Cen’estpaspossible.Tuplaisantes.Dis-moiquec’estuneblague!–Vousmedemandez,jevousréponds.–Mais vous vous entendez si bien. Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est dema faute ? s’inquiéta

JacquesquisesouvenaitdesremontrancesdeMartine.–Celan’arienàvoiravecvous.Lepire,c’estqu’ilnes’estrienpassédeparticulier.C’estjuste

quecelanefonctionnepas.Malgrénoseffortsetlefaitquel’ons’aime,celanesuffitpas.Onestunjeune couple, il n’y a pas demorceaux à essayer de recoller.Alors, lemieux, c’est de s’arrêter là,avantquel’onsefassedumal.

–Pasaupointde se séparerquandmême,continua Jacques.Sion s’était séparésà lapremièretensionavecMartine,onauraittenudeuxjours!Peut-êtremêmemoins,encequilaconcerne…

–Maisilyatoujoursdestensionsentrenous.Onn’arrivepasàsedireleschosessimplement.Onnesaitques’aboyerdessus.Cen’estpasçauncouple!

–Pourtantvoussembleztoujoursproches.TumepassesleChavroux,s’ilteplaît?Jeannetenditlefromageàsonbeau-pèreetretournaàsesaubergines.–Jecroisquenousn’avonspaslamêmeconceptionducouple,luietmoi.Etlefaitdetravailler

ensemblen’aidepas. Il installeunedistanceentrenousau restaurant,qui est tout à faitnécessaire,maisillagardedanslavieprivée.

– Je dois t’avouer que je suis surpris. Je vous trouve très câlins au contraire et, si je peuxmepermettre,jen’aijamaisvuNicolascommeça.

–Ilrepoussemesgestesdetendressedèsqu’onestenpublic,quecesoitenfamilleouavecsesamis.Jenesaispluscommentmecomporteraveclui.Jemedisquec’estparceque,parmisesamis,iladesexqu’ilneveutpasvexeroudefuturesconquêtes.Jedeviensparano!Çamerongeetluinevoitrien.

–Maisc’estcomplètementstupide,si jepuisdire!Onneseséparepasquandons’aime,alorsqu’il suffit de se parler. Moi, je n’ai jamais été pour, mais peut-être que vous pourriez voir unconseillerconjugal?

–Jesuisfatiguée,Jacques.Etjenecroispasquecelapuissemarcher,surtouts’iln’yenaqu’unquifaitdesefforts.Vousvoulezgoûterl’auberginecrue?Vousaimeriezpeut-être.

–Nonmerci.Maisonnepeutpasdirequ’onestfatiguéàtrenteans!C’estquoi,cettegénérationquibaisselesbrasàlamoindredifficulté!IlfautparleràNicolas,lesecouer.Tuluiasdéjàrévéléce

queturessentais?Ilaréponduquoi?–Ilesquivelesujetetditnepascomprendrepourquoijenesuisjamaissatisfaite,alorsqu’ilfait

plein d’efforts. Il me reproche de le critiquer tout le temps et de ne jamais dire ce que je veuxvraiment. Si vous voulezmon avis, il n’y aura jamais assez de place dans le frigopour toutes nosverrines!Onavraimentexagérésurlesquantités:onavudeuxfoistropgrand.

–Ça,jepensequec’estunproblèmeféminin.Martineestpareille.Jeparledufaitdenejamaisdireexplicitementcequevousvoulez.Elleattenddemoideschosesqu’ellenedemandejamais.Et,biensûr,ellefaitlatêtequandc’esttroptard,quej’ailoupélecoche.Etçafaitplusdequaranteansqueçadure!Ellepourraitm’aiguillerunpeu,quandmême.Avecle temps, j’aiapprisà interpréterchaque « ça serait bien si… » ou les « ça fait longtemps que… »,mais j’en laisse encore passerbeaucoup.Nousn’avonspaslaradioprogramméesurlamêmefréquence,nousleshommes.

–Etçavamieux,maintenant,avecMartine?Depuisfévrier,jeveuxdire?Vousêtesrepassésenvitessedecroisière,non?

–Pasvraiment…Jesuis«àl’essai»encemoment.Mêmeaprèstantd’annéesdemariage,rienn’estjamaisacquis!Leschoseschangent,lesgensaussi,etilfautpouvoirprouverquel’amourresteaussi fort. Par exemple, j’ai vécu plus de soixante ans en étant persuadé que je n’aimais pas laroquette. Eh bienmaintenant j’adore ça ! J’enmangerais à chaque repas si je le pouvais, dit-il enremplissantsaverrinederoquetteetchèvrefrais.

Jeanneleregardad’unaircirconspect.–Bon,d’accord,cen’estpaslemeilleurexemple,reprit-il.Maiscequej’essaiedetedire,c’est

quelesgenschangent,mêmelesplustêtus.Ilsontjustebesoinparfoisd’unélectrochoc,conclut-ilenavalantunefeuillederoquette.

–Neleprenezpasmal,maisjeretrouvebeaucoupdevousenNicolas,et jesuis loind’avoir lapatiencedeMartine.Ilmebridetrop,meditquoifaire,commes’ilétaitmonpère,alorsquejen’enaipaseuetquejen’enaijamaiseubesoin.Jacques?Jevousaiperdu…Vousêtesvexé?Vousneditesplusrien.

Jacquesavait lesdeuxmainssur lagorgeet lesyeuxexorbités.Sarespirations’entrecoupait. Ilétaitentraindes’étouffer.

Quandilessayadeparler,seulunfiletdevoixrauquesortitdesabouche.Jeannepaniqua,maisessayadeseressaisirtoutdesuite:

–Çavaaller,Jacques!Prenez-ceverred’eau.Allez-y,buvez.Celasemblaempirer.Elleattrapasonportableetréalisaqu’elleneconnaissaitpaslenumérodes

urgences :112?118?115?Elle fonçasur le téléphone fixeetcomposa le18.Elleactiva lehaut-parleuretretournaauprèsdesonbeau-père.Elletentadelefairerecracherenappuyantdetoutessesforces avec ses poings sur son thorax. Jacques était maintenant écarlate, les veines de son couapparentes. Quand les secours répondirent et lui demandèrent de confirmer son adresse, nouveaumoment de panique : elle ne la connaissait pas.Elle courut dans l’entrée et trouva, parmiracle, lecourrierdujour.

–Jacques,tenezbon.VousnepouvezpasfaireçaàMartine!Tenez-bon,lessecoursarriventdansquelquesminutes.Restezavecmoi,jelesentends.Jacques?Non,nelâchezpasmaintenant!

–32–Ilnemanquaitplusqueça!

Jeanne patientait depuis de longuesminutes dans un couloir de l’hôpital de Saint-Brieuc. Elleregardait lesmédecins entrer en trombe dans la salle où Jacques avait été emmené. S’ilmourait àcausedesonmanquederéactivité,ellenepourraitjamaisselepardonner.Elleavaitpourtantsuividescours de secourisme. Pourquoi n’avait-elle pas été capable d’expulser cette maudite feuille deroquette?

Elleavaitlanausée.Ellecherchalestoilettesduregard,oulepotd’uneplanteverte,puiscourutsoudainementau-dehorspourprendre l’air.Elle tremblaitde toutsoncorps,nesachantsielleallaittomber dans les pommes ou vomir. Elle était secouée de spasmes, et la seule idée de fumer unecigarette la dégoûtait. Il fallait qu’elle se reprenne, qu’elle soit forte, qu’elle retourne à l’intérieurpourpouvoirintercepterlepremiermédecin.Poursavoir.

Même si elle n’était là que depuis quelques minutes, cette attente lui était insupportable. Lespompiersavaientfaittrèsvite,parchanceilsn’étaientpastrèsloinquandelleavaitappelé.Maisellesavaitquedanscegenrede situationchaquesecondecomptait :unmanqued’irrigationducerveaupouvaitlaisserdesséquellesàvie.Non,pasça.Nepaspenseraupire.

LorsqueJeanneentra,laportes’ouvritsoudainsurunhommeenblousevertequisedirigeaverselle:

–C’estvousquiaccompagnezM.LeGuennec?Vousêtessafille?–Non…Heu,oui,c’estmoi.Commentva-t-il,demanda-t-elled’unevoixtremblante.Sesyeuxs’emplirentaussitôtdelarmes.Ellelesavait,ellen’étaitpasprêteàentendrelepire.–Nousavonspulibérerla trachéedevotrepèreetnousl’avonsplacésousrespirateur.Ilesten

étatdechoc.Pourlemoment,nousnesavonspassisoncerveauaétécorrectementirriguéounon.Ilfaut attendre les résultats de l’IRM.Restez ici, je reviens dès que j’en sais plus.Essayez de restercalme.Vousavezfaittoutcequ’ilfallait.

–Maisj’auraispeut-êtreputenterunetrachéo?Jen’yaipaspensé.–Etheureusementpourvotrepère!Laplupartdestrachéosnesontpasfaitescorrectementetles

dommagessontplusgrandsquelemalinitial.Lemédecin n’avait pas été très rassurant, ni très explicite. Jacques était sous respirateur,mais

vivant.Elledevaits’accrocheràcela.Elleserenditcomptequ’ellen’avaitpasencorepenséàappelerlafamilleetsemitàpleurernerveusement.Commentpourrait-ellepassercecoupdefilavecautantd’incertitude?Elledécidad’attendre, le tempsd’avoir les résultatsde l’IRM.C’étaitégoïste,maispourl’instantellenesauraitpasquoileurdire.Ilfautquecelafinissebien.

Alors qu’elle était dans tous ses états, sa poche semit à vibrer. Son téléphone. Non, pas ça !L’écran affichait «NICOLAS ». Elle n’aurait jamais le courage de lui annoncer la nouvelle,maispouvait-ellevraimentignorersonappel?

Ellefermalesyeuxetdécrocha.Descrisretentirentàl’autreboutdufil.–Jeanne,maisqu’est-cequis’estpassé?C’estunecatastrophe!–Attends,jepeuxtoutt’expliquer.–Mais,vousêtesoù,avecpapa?Qu’est-cequis’estpassé?–Nicolas,ilfautquetuviennestoutdesuite.C’estàcausedelafeuillederoquette!–Jenecomprendsrien.Jenet’entendspas.Oùes-tu?Tun’espasàl’intérieuraumoins?–Àl’intérieurdequoi?–Delamaison,Jeanne.Ilyalefeu!

–33–Jen’aimepaslesmédecins!Jemesoigneparlemépris

Quandlerestedelafamilledébarquaàl’hôpital,ilsétaientméconnaissables.Couvertsdesuie,lesyeuxcerclésdenoir,des traînéesde larmesséchéessur levisage.Voir lamaisonseconsumersousleursregardsimpuissantslesavaitcomplètementébranlés.Jeannes’avançaversMartinepourtenterdelarassurer.

–Jacquesestsousrespirateur.Lemédecinvaarriverd’uninstantàl’autrepournousdonnerdesnouvelles.Venezvousasseoir.

–Non,jeveuxvoirlemédecin.Jeveuxvoirlemédecin,toutdesuite!hurlaMartine,hystérique.–Jevaisvoirsijeletrouve.Nebougezpas!Jereviens.Jeannesemitàcourir,ellen’avaitaucuneidéed’oùsetrouvaitlemédecin,maisilfallaitqu’elle

fuie. Qu’elle échappe à la détresse de Martine, à sa culpabilité grandissante, et à sa propreimpuissance.Ellesedirigeaverslaportebattanteparlaquelleavaitdisparulepraticien.Elleregardaàtraverslafenêtrehublotdechaqueporte,maisnedistinguapersonne.

Toutàcoup,enfin,ellereconnutlevisagedeJacques.Ellelevit,allongédansunechambre,seul.Avecunmasqueàoxygène.Sapoitrinesesoulevaitavecrégularité,maissesyeuxrestaientclos.

–Quefaites-vouslà?demandaunevoixautoritairederrièreelle.C’étaitledocteurquis’étaitadresséàelleplustôt.– Je vous cherchais.Toute la famille est arrivée et je ne sais pas quoi leur dire.Avez-vous les

résultatsdel’IRM?Dites-moiqu’ilvaseréveiller!Qu’ilvas’enremettre!Sansséquelles!S’ilvousplaît!implora-t-elleenélevantlavoix.

Lemédecinl’éloignadelachambreetlareconduisit,tranquillementmaisfermement,del’autrecôtédelaportebattante.Jeanneessayaderetenirleslarmesquidébordaientdesesyeux.

En découvrant la tribu rassemblée, couverte de suie, lemédecin eut d’abord unmouvement derecul,puisinterrogeadesavoixgrave:

–VousêteslafamilledeM.LeGuennec?Martines’avança:–Oui,noussommessafamille.Jesuissafemme.Commentva-t-il,docteur?–Votremarinousa faitune trèsgrosse frayeur,mais ilvas’en remettre. Il s’est réveillé ilya

vingtminutesetademandéàvousvoir.Ilétaittoutàfaitlucideetsesouvenaitdel’accident.Pourlemoment,ildortànouveau.Lesrésultatssontbons,lecerveauaétéépargné.Quelqueshésitationsdeplusavantd’appelerlessecours,etlepronosticn’auraitpasétélemême.Vouspouvezremerciervotrefille,ajouta-t-ilenregardantJeannequiétaitauborddel’évanouissement.Etlespompiers!

Àcederniermot,tousrepensèrentàl’autredramequis’étaitproduitetaucombatdespompierscontrelesflammes.Maislamaisonpouvaitattendre.

–34–Laversonlingesaleenfamille

Aucund’entre euxn’avait enviede s’éloigner.Telunbloc solidaire, ils attendaient le réveildeJacques.Cemomentfatidiqueoùilspourraientvérifier,deleurspropresyeux,qu’ilétaitréellementsainetsauf.Plusdedeuxheuress’étaientécoulées.Ilfaisaitnuitdésormais,etleurstenuesdeplageparaissaientplusque jamais inappropriées.La faimcommençaitégalementà les tenailler.Ledouteaussi.Personnen’osaitaborderlesujetmaisoùallaient-ilsdormircettenuit?D’icipeulepersonneldel’hôpitallesreconduiraitverslasortie.

–FamilleLeGuennec?Vouspouvezm’accompagner,M.LeGuennecestréveillé.Toute la troupe suivit docilement lemédecin et s’agglutina devant une porte quand le docteur

précisa:–Vousavezcinqminutesmaximum,etpasplusdedeuxàl’intérieurenmêmetemps.Ils se regardèrent. Tous voulaient entrer, mais naturellement, ils adressèrent un regard

encourageantàMartine.–Vas-yd’abord,maman,ditMatthieu.Quandellepoussa laporte,ellesentit les larmesmonter.Non,pasça.Jesuis forte.Jen’aipas

craquéjusqu’àprésent,alorspasmaintenant.Sonmaritournalatêteverselle,etMartinesejetasurlelit,leserrantdanssesbrasdetoutesses

forces.Ilavaitencoresonmasqueàoxygènequ’iltentaalorsd’enlever.Martineluifitnondelatêtepuisleregardadroitdanslesyeux:

–Delaroquette!?Vraiment?Jem’étaispresquefaiteàl’idéequetonamourdusaucissonetdufromagetecauseraitdusouci,maislaroquette!Toiettesnouvelleslubiesdejeune!

Jacquesluilançaunregardtendre.–Et tusaisquelemédecinnousaditque,chezlespersonnesâgées, laroquettefaisaitdevrais

ravages.Ehoui,tufaispartiedutroisièmeâge,monpauvrepetitchéri!LapoitrinedeJacquestressauta.Ilriait.–Jen’aipasvoulupenseraupire,maisjetepréviens:net’aviseplusjamaisdemefaireunepeur

pareille. Je suis sensible,moi ! Et je compte bien passermes dernières années avec toi, que tu leveuillesounon.

Jacquesprit lamaindesonépouseet laserra fort.De l’autremain, ilenlevasonmasqueetditdoucement:

–Moiaussi,chérie,moiaussi,j’ycomptebien!Derrièrelaporte,lesenfantsattendaientqueMartinesortedelachambre,quandAlexandreeutle

couragedeposerlaquestionquifâche:

–Etquisecharged’annonceràpapaquelamaisonqu’ilareconstruitedesesmainsestréduiteencendres?

ToussetournèrentversJeanne,quienchaîna:–Detoutefaçon,entantquebelle-fille,j’aidroitàaumoinsuneboulette,non?Doncça,c’est

fait!Oùsontmesbelles-sœursd’ailleurs?–Lauraestdehors,entraindepromenerJack.EtStéphanie?Maisoùest-elle?

–35–Leridiculenetuepas

Matthieuaussi avaitdisparu.Lespetitsgarçons,pas inquietspourun soude l’absencede leursparents,avaientdéjàtrouvéoùpasserlanuit.

–Nous,onsaitoùonvadormir!déclaraPaul.–Ahoui.Etoù,moncœur?demandaJeanne.–Bahdans la cabanedepapy !Enplus, il y apleindevêtementsqu’onpourramettre comme

pyjamas.Etsurtout,ilyadesbonbons.QuandMartineressortit, lescinqminutesétaientécouléesdepuislongtemps.Ellesetournavers

Jeanne:–Jacquesveutteparler.–Çatombebien,tuvoulaisluiannoncerquelquechose,non?ironisaAlexandre.Martineavaitbesoind’êtreunpeuseule.Elles’écartadugroupeets’adossaaumur.Sesjambes

flageolaient. Les mains dans les poches de son imperméable, elle y sentit un bout de papier et,soudain, tout lui revint enmémoire : le jeune homme duTGV, ses doutes, ses colères, son besoind’amourdelapartd’unmarisouventàcôtédelaplaque.Maisaussitôt,etplusfortequetout,cefutsapeurquirevintlafouetter,commeuneclaque,quandelleavaitcruperdreJacques.Pourtoujours.

Elleessuyaleslarmesquicoulaientsursesjouesetqu’elleneparvenaitplusàretenir.Lentement,elles’éloignaunpeuplus,jusqu’àunepoubelle.Elleyabandonnalepapierquimaintenantluibrûlaitpresquelesdoigts.Sansunregret.Sansunregardenarrière.Ellen’avaitplusbesoindecenumérodeportable.Ellen’avaitplusbesoindel’attentiond’unjeuneinconnurencontréparhasarddansuntrain.Elleavaitbesoindesonmariàsescôtés.Pourtoujours.

Jeanne était surprise que son beau-père ait voulu la voir. Elle. Le stress l’envahit à nouveau.Pourvuqu’ilneluireprochepasd’avoiréchouéàévacuerlafeuillederoquette!Elleentralentementdanslachambreets’assitsurlachaiseprèsdulit.Jacquesenlevaànouveausonmasque:

–Onn’apasfininotrediscussion,Jeanne.Jeviensdemefairetrèspeur.Tusaisqu’onesttoutàfaitconscientquandons’étouffe?Etdestonnesdechosesstupidesvouspassentparlatête.Comme:«Merde,çayest,jesuisentraindemourir.C’estaujourd’hui.Etàcaused’unefeuillederoquette.Tiens bon ! Ne donne pas une raison supplémentaire à ta famille de se moquer de toi à tonenterrement.Quitteàmourir,autantquecesoitenhéros!»Surlecoup,c’estcettepeurduridiculequim’afaitlutter.Etpuis,seulementaprès,onpenseàcequiestvraimentimportant:lafamille.SiNicolasn’estpaslebon,continueàcherchertonbonheur.Tuesjeune,tuastoutelaviedevanttoi.OnteregretterasincèrementetNicolasauradesremords,maistantpispourlui.

Jeanne resta silencieuse. Cette discussion ne correspondait pas du tout à son état d’esprit. Saprobableruptureétaitlecadetdesessoucis.Jacquessemblas’enrendrecompte:

–Ahoui,biensûr,tunet’attendaispasàçamais,tuvois,jesaislireentreleslignes,parfois.Jenesuispashonnêteavectoi.Quandjeluttaisenmedisantqueleridiculenetuepas,c’esttoiquim’asleplusaidé.Tuaseulesbonsréflexes.Tum’assauvélavie,Jeanne.Et,commeonditdanslesfilms,j’aiunedetteenverstoi.Jeteprometsd’êtremoinspénibleàl’avenir.

–Alors je vais en profiter...Vous venez de le dire : vous avez une dette enversmoi. J’ai bienquelque chose en tête. Vous vous souvenez de la fois où Stéphanie a confondu le diesel avecl’essence?VousvoussouvenezdelafoisoùLauravousainitiéàlaroquette?Moi,pourmapart,enpartantavecvouspourl’hôpital,ilsepeut,jedisbienilsepeut,quej’aielaissélagazinièreetlefourallumés.Etilsepeutquelefeusesoit,unpeu,propagédanslamaison.Unpeu…beaucoup…

Jacquescherchafébrilementlemasqueàoxygèneetlerepositionna.–Bon,pourledireclairement:lamaisonabrûlé.Disonsquemaintenantonestquitte?

–36–Jamaisdeuxsanstrois

Quand Jeanne ressortit de la chambre de Jacques, elle n’était pas très fière d’avoir utilisé sesbelles-sœurspoursedisculper.Maisbon,àlaguerrecommeàlaguerre.Elles’apprêtaitmaintenantàleurdonnerdesnouvellesde Jacques,mais constataque tout lemondeavait l’air surexcité.Cequiétaitplutôtinapproprié,aprèsl’horriblejournéequ’ilsvenaientdepasser.

–Qu’est-cequisepasse?J’ailoupéquelquechose?demandaJeanne.–Oui, une bonnenouvelle.Une très bonnenouvellemême, dans cette journée de fous ! ajouta

Alexandre.–Dites-moi!Qu’est-cequec’est?–Viensavecnous!fitMartineenluiprenantlamainpourl’emmenerdansundédaledecouloirs

etd’escaliers.Soudain,ilss’arrêtèrentdevantuneporte.Antoinetteétaitlàaussi.Jeanneentradanslachambre.Ellenefutpascertainedereconnaîtrelajeunefemmeallongéedansunlitquiluitournaitledos.–Stéphanie?!–BonjourJeanne,surprise!La jeune femme rousse remarqua alors une couveuse avec un tout petit bébé à l’intérieur, qui

semblaitdormiràpoingsfermés.–Quoi!Ilestdéjàné?demandaJeanne.–Elleestdéjànée!Etellevabien.Lesévénementsontunpeuprécipitéleschoses,maisc’estune

merveilleusesurpriseaprèscettejournéehorrible.Jeanne,jeteprésenteBertille!Malgré son mois d’avance, le bébé, presque rondouillet, semblait en parfaite santé. Même la

mamanétaitpluscalmequ’àsonhabitude.Danslecouloir,Antoinetteregroupaitsestroupes:–C’estbon,onesttouslà?Alorsonyva.Mamaisonestgrande,maisonadupainsurlaplanche

avectousleslitsàfairesionneveutpassecoucheràminuit!Laura qui venait de se joindre au groupe informa la vieille dame d’un petit changement de

dernièreminute:–Antoinette,onvousrejointplustardavecJeanne.AlexetNicolasvontfairenoschambres.Alex

vousattenddéjàdehorsaveclechien.Laura poussa Jeanne dans la chambre de Stéphanie d’un air énigmatique. Leur belle-sœur,

surprise,lesaccueillitavecungrandsourire.–Stéphanie,onavaitunedernièrepetitechosepourtoiavantdetelaisser.J’espèrequetuasfaim

etsoif…

La jeunemère se redressa subitement sur son lit : un large sourire illuminait son visage. Ellen’osaitespérervoirsortirdusacdeLauracedontellerêvaitdepuisdesmois…

–Tin-tin!!!fitLauraenprésentantuneénormetranchederillettesd’oieàsabelle-sœur.Etpourlesaccompagner…Desmojitos!Etpasvirgincettefois…

Jeanneétalauneserviettede toiletteenguisedenappesur le lit,puis tranchadesmorceauxdepain pour toutes les trois pendant que Laura versait les mojitos, achetés dans le bar en face del’hôpital,dansdesgobeletsenplastique.Cen’étaitpaslegrandluxe,maisquec’étaitbon!Lestroisbelles-sœursraclaientlesrillettestrèsgrassesàmêmelepapierducharcutier.

–Unrégal!commentaLaura.–J’aienviedepleurer,fitremarquerStéphanie.Etcen’estmêmepasdûàlachutedeshormones!

Tropbon!!!Mercilesfilles.Dufondducœur.Labouchepleine,Jeannequilesobservaitleurdemandasoudain:– Mais vous avez droit aux rillettes-mojitos toutes les deux ? La végétarienne et la maman

parfaite?–Tais-toilabelle-sœuretressers-nous!!!

–37–Onn’estpaschezmémé!

Alorsquepetitsetgrandsavaientaidéàfaireleschambresauplusvitepours’endormirtoutaussirapidement, Jeanne n’avait pas trouvé le sommeil. Elle avait gambergé dans son lit, puis s’étaitrésolueàserelever,allants’asseoirdehorssurlesmarchesdelaterrasse,pourcontemplerleciel.ÀMarseilleetParis,ellen’avaitjamaisvuunenuitaussiétoilée.Elleguettaitlesétoilesfilantesmais,àforcede fixer les astres scintillants, ellene savaitplus si c’étaient sesyeuxqui reliaient lespointsbrillantsentreeux,ousielleétaitvraimentautoriséeàfaireunvœu.

Detoutefaçon,ellen’étaitplustrèssûredecequ’ellesouhaitaitréellement.Quelquesheuresplustôt, elle aurait donné cher pour sauver la vie de Jacques ou remonter le temps afin d’épargner lamaison.Maismaintenant ne restaient que sesproblèmesde couple, qui lui semblaient bien futiles.Elleauraitvouluquequelqu’unluiapporteunscénariopoursavoircommenttoutcelaallaitfinir.

Dansl’herbedevantelle,elleattrapaunedesmargueritesquifleurissaientlejardind’Antoinetteetcommençaàl’effeuiller.Mêmes’enremettreauhasardpourprendreunedécisionnesemblaitpascomplètementstupide.

M’aime-t-il?Unpeu,beaucoup,passionnément,àlafolie…Pasdutout!Devant le résultat négatif, elle se saisit d’une autre fleur : même résultat. Jeanne décida de

changerdequestion.Jacquesm’enveut-il?Unpeu,beaucoup,pasdutout,unpeu…Beaucoup!Autredemande:Combiendefoisparanvais-jedevoirfairedeseffortsavecmabelle-famille?Un

peu,beaucoup,passisouvent,pasdutout,unpeu…Beaucoup!–Qu’est-cequi sepasse, tunedorspas?demandaNicolas, toutensommeillé,visiblementmal

réveillé. Jeanne tressaillit, ayant l’impression d’être prise sur le fait : des pétales de marguerites’étalaienttoutautourd’elle.Ilvints’asseoiràsescôtésetenramassaun.

–C’étaitunegrossejournée.J’aidumalàfairelevidedansmatête.–Situt’inquiètespourlamaisonoupourpapa,tunedevraispas.Tuasfaittoutcequ’ilyavaità

faire.Lemédecinl’adit:danscescas-là,chaquesecondecompte,etunesecondeperdueàéteindrelefourauraitpuluiêtrefatale.Leschosesmatériellesdeviennentfutilesfaceàcequicomptevraiment.

–Etqu’est-cequicomptevraiment,pourtoi?Jenesuispascertainedelesavoir.Nicolastâtonnasapochedepyjama,àlarecherche,infructueuse,d’unpaquetdecigarettes.Ilprit

unegrandeinspirationetregardaJeanne,ensilence,luicaressantlajoue.–Non,Nicolas, jeveuxdesmots.Jeveuxentendrecequetudésires.Cequiest importantàtes

yeux.Etpasd’échappatoire.Pascesoir.–Jenecherchepasàfuirlaquestion.Jecherchelesmotsjustes.Encuisine,onatendanceàdire

leschosescash,voireàaboyer.Etjusque-là,c’étaitd’ailleursunpeunotrefaçondecommuniquerà

nousaussi.Jeanneseraidit.Cen’étaitpaslediscoursauquelelles’attendait.Soudainanxieuse,ellesesaisit

d’unenouvellemarguerite,qu’ellemartyrisasanss’enrendrecompte.–Quand je regardemesparents, surtoutaprèscequi s’estpasséaujourd’hui, je suis fierd’eux.

Impressionné,même.Quaranteansensemble,ettoujoursamoureux.Commentont-ilsfaitpournepass’entretuer?

–Belleconceptiondel’amour!fitremarquerJeanne.–Non…Laisse-moifinir.J’essaiedemettredesmots,mesmots,surcequejeressens,etqueje

n’aijamaisexprimé.Lajeunefemmedétournaleregardetfixaànouveauleciel.Ellesentaitquelasuiten’allaitpas

luiplaire.–Laviedemesparentsnem’ajamaisfaitrêver.Monpèreatoujoursétéleroi,etj’aitoujourseu

l’impressionquemamèren’étaitpassiheureusequeça.C’estpeut-êtreambitieux,maismoi,jeveuxpouvoirêtresûrquemafemmeseracombléeavecmoi.Etjesaisaussiquecen’estpasgagnécarjesuisunvraicon,avecun lourdhéritage,quiplusest. Jepourrais faireplusd’efforts,mais jecrois,naïvementpeut-être,qu’uncouple,àsesdébuts,nedevraitpasavoirbesoind’enfaire.L’amour,c’estcensémarchertoutseulquandonatrouvélabonnepersonne…

LesyeuxdeJeannes’embuaientetellesentaitsagorgeseserrer.Ellecontinuaitdefixerlecielmaisnediscernaitplusrienderrièreunvoiledelarmes.

–Qu’enpenses-tu,Jeanne?Bahtiens!C’estbienlemomentdemefaireparler.Demerenvoyerlaballe,sansavoirriendit

d’encourageant.Unbonmoyendemelaisserdécider,àsaplacedenotredestin.–Jetelaisseterminer,Nicolas,réussit-ellesimplementàdire.Dans le noir, il chercha le regard de Jeanne, qui semblait l’éviter. Il avait l’impression de

s’embourberàchaqueparolemaisvoulaitêtresincèrejusqu’aubout.– Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas exactement ce que cela veut dire, « la bonne

personne».J’imagine:unepersonnedontonestfollementamoureux,unepersonnequel’onregardediscrètementensedisant«J’aimeraisqu’ellesoitlamèredemesenfants»,unepersonneavecquionritdesmêmeschoses,mêmecinquanteansplustard.Unepersonneavecquionpeutêtresoi-même,sans avoir à jouer un rôle. Une personne avec qui on sent que c’est une évidence. Une évidencepartagée.

– Et tu penses que ça existe ? interrogea Jeanne, le regard toujours au loin, regrettant déjà saquestion,parcequ’ellesavaitqu’ellen’étaitpasprêteàentendretouteslesréponses.

–Oui.Pastoi?Jeanneallaitexploser.Elleseretintdeparler,elleauraitaiméqu’illuidéclaresonamour,enfin!–C’estunetrèsbelledéfinitiondel’âmesœur.Est-cequ’ellecollepournous?Est-cequenous

sommes lecoupledont tu rêves?Suis-je« labonne»?J’aibesoindesavoir,d’entendreceque tupensesdenous!

Jeanne savait quedésormais, il y aurait un avant et un après.Quelles que soient les paroles deNicolas,elleseraitfixéesurleuravenircommun.

– J’aime la vie avec toi. J’aime nos fous rires, nos regards qui se croisent au restaurant, nosdisputesaussi.Jemesensvivant, jesensqu’avectoi jem’améliore, jedeviensceluiquej’aimeraisêtre.Moinssanguin,plusposé.Mais j’aipeur. J’aipeurdenepasêtreà lahauteur.Toutsemblesiévident avec toi, si facile. J’ai souvent l’impression d’être un vrai nul. De ne pas avoir compriscommentterépondresanstebraquer,commenttefaireplaisir.Jen’osepastoujourstedireleschoses.

Tum’impressionnes !Alorsqueçadevraitêtremoi, lemecde lamaison ! J’auraisbesoinque, toiaussi,tupercestacarapace,quetusoisplustendre,plussincère.Etquetumedisesquetum’aimes.Tunemeledisjamais,alorsjefinisparendouter.Etilfautaussiquetumedisescequeturessens,quandtuleressens.Jesensparfoisquequelquechoseterongedel’intérieuretquetumelereproches.Maistunemedisrien!Etoui,jepensequetueslabonne.Non,jesaisquetueslabonne.

Jeannelaissaéchapperunsourire.Ellen’arrivaitpasàregarderNicolasdanslesyeuxmaiselleluipritlamain.

–Etregarde-moi,àlafin!Tuasledroitdepleurer,parfois,Jeanne.Cen’estpasgravedemontrersessentiments.Arrêted’essayerd’êtrelaplusforte,laplusparfaite.Regarde-moi!Moi,çafaittroisminutesquejetedistoutçaenpleurantettoitut’évertuesàresterdemarbre!

JeanneseblottitdanslesbrasdeNicolaset,latêtesursonépaule,laissaseslarmesinondersoncou. Elle le serra fort, comme elle ne s’était jamais agrippée à personne, comme si sa vie endépendait.

–38–Lavéritésortdelabouchedesenfants

Jacquessortitdel’hôpitalauboutdecinqjours.Àpeinedehors,ilvoulutallerconstaterparlui-mêmel’ampleurdudésastre.Ilsavaitquecelaallaitluifaireunchoc,maisilétaitaussiconscientquelamaisoncalcinéeavaitétéleprixàpayerpourêtreencoreenvie.Unmincetribut,aprèstout,pourpouvoircontinueràprofiterdesesproches.EtdeMartine.

Ilsl’avaienttousaccompagné.Depuislaruedéjà,lesdégâtssemblaientimpressionnants.Lemurlongeant la route était complètement noir, et les rares fenêtres qui n’avaient pas explosé étaientmangéesparlasuie.

–Leportailatenu,constata-t-il,amer.RegardeLaura,mesréparationsétaientsolides.Onn’aplusqu’àallervoirsilesrambardessonttoujourslà,Stéphanie!

Le toit s’était effondré. Les fenêtres avaient volé en éclats et les fameuses rambardes étaientcarbonisées.

Martineéclataensanglots.–Onatoutperdu,Jacques.Tout!Lesphotosdefamille, lesaffairesdesenfants,noslivres, tes

trésors.Tout!–Maisnon,mamie.Ilrestelacabane,regarde!s’exclamaPaulenpointantdudoigt lefonddu

jardin.–Etlepotazerestpleindefruits!ajoutaJulesencourantpouralleryfaireunerazzia.Jacquess’approchadelamaison,ilfallaitqu’ilaillevoiràl’intérieur.Cen’étaitpeut-êtrepassi

terrible.– Vous ne pouvez pas entrer, le prévint Laura. Les pompiers l’ont interdit. Il y a un risque

d’effondrement.–Maisjustement,ilrestepeut-êtredeschosesàsauver.LespeinturesdeMartine…–Les pompiers vont repasser sécuriser les lieux. Selon eux, il y a peu de chance qu’on puisse

retournerhabiterencesmurs.Ilsparlaientplutôtdetoutraserpourreconstruire,poursuivitLaura.Lepèredefamillesecoualatêteets’éloigna.Ilprenaitconsciencedecequetoutcelasignifiait.

C’enétaitfinidesamaison,cellequ’ilavaitaménagéedesespropresmainsetdontilétaitsifier.Ilallait falloir tirerun trait sur lepassé, sur lesmarques faitesparMartine lorsqu’ellemesurait leursenfants,lestracesnoiressurlesmursfaitesparlesvalisesquandonlesavaitmontéesàl’étage,lesrayuressurlatablequ’avaientlaisséeslesenfantsencoupantlesaucisson.Touscespetitsdétails,cesdéfauts qui l’exaspéraient tant, et qui pourtant aujourd’hui représentaient les traces de leur vie defamilleheureuse.Envolés,partisenfumée.Pourtoujours.Nerestaientqueleurssouvenirs.

Jacques ferma les yeux. Il voulait inscrire tous ces moments dans sa mémoire, le plusprofondémentpossible.IlregardaJulesetPaul,etsourit.

–Alors,lesgarçons,commentvouslavoulez,lanouvellemaison?IlvafalloirprévoiruneplacepourBertille,peut-êtremêmeconstruireunecabaneplusgrande!

Lesjeunesgarçons,labouchebarbouilléedemûres,répondirentenchœur:–Oh,oui!Unecabanegrandejusqu’auciel,papy!–OK, c’est entendu,dit Jacques en faisantminedeprendreuncrayonau-dessusde sonoreille

pournoter.Etpourtoi,Laura?OnconstruitunebellenichedehorspourJack?VoirepourJacketsesfutursamis?

Laurasouritensigned’acquiescement.–Ettoi,Jeanne?Qu’est-cequiteferaitplaisir?Un instant, ils se regardèrent en silence. Leur discussion avait été interrompue sur sa rupture

probableavecNicolas.Jacquesnesavaitpascequis’étaitpasséentreeuxdepuis.–J’auraisbesoind’unegrandecaveàvinpourtouteslesbonnesbouteillesquejevousapporterai

chaqueannée,répondit-elle toutenseblottissantdanslesbrasdeNicolas.Etd’unécrangéantpourregarderavecvouslesmatchsdefootoùMarseilles’imposeroyalementfaceàRennes!

–Et toi,Martine?Dequoias-tuenvie? J’avaisdéjànoté ledoublevitrageet lacheminéequichauffevraiment,maissituasd’autresdésirsjesuisàtadisposition.Unjardind’hiverlumineuxpourpeindre?

Martineallaitrépondre,maislespectacledelamaisonréduiteencendresétaitsidésolantqu’ellesentitsesjambesflageoler.Déjàattentifàsagrand-mère,Paulproposa:

–Viens,mamie,jevaisteprêtermachaisedanslacabane.Moi,jenesuispasfatigué.

–39–Faitescommechezvous!Pastropquandmême…

Martine et Jacques étaient assis sur les petits tabourets de la cabane. Ils avaient promis auxenfantsquiétaientpartispréparerlerepaschezAntoinettedelesrejoindresouspeu.

–Elleestconfortabletacabane,dit-elleenprenantunecouverturepourseréchauffer.IlsvontêtrebienJules,PauletBertillel’étéprochain.

–Tuasnotéquejen’aifaitaucuneremarquesurleprénomdelapetite.Mêmesijenesuispasfan,j’aitenumalangue,pourunefois.Le«Jacquesnouveau»estarrivé!Unpetitgoûtdebanane…

Martinesouritàcetteréférenceaubeaujolais,maissonmariperçutquelecœurn’yétaitpas.–Qu’est-cequinevapas,chérie?LesyeuxdeMartines’emplirentdelarmes.Illuiprittendrementlamain.D’unevoixtremblante,

elleparvintàarticuler:–C’estdur.Trente-cinqans,Jacques.Trente-cinqansdeviedanscettemaison.Jerevoisencorele

momentoùjesuisentréedanslacuisinepourt’annoncerquej’étaisenceinted’Alexandre.Jerevoisquandpapaestvenuunétéetqu’iln’apasarrêtédecritiquertaconstruction.Jeterevoisaussi,touslesjoursàimagineravecacharnementlamaisonparfaite,pournous,pourtafamille.Onaétéheureuxici.Jesaisquejenedevraispenserqu’aufaitquej’auraisputeperdre,maisunepartiedenousvientquandmêmededisparaître.Etçamefaitmal.

–Martine,c’estunnouveaudépart.Unpeucontraintetforcé,certes,etmoiaussiçamefaitpeur.Maisçaneseraquedupositif.Onvareconstruireunegrandeetbellemaison!Oùtuaurastoujourschaud,oùtuauraspleind’espacepourpeindreetpournospetits-enfants.Onvaleurfaireungrenier,commeceluiquetuavaisquandtuétaispetite.Etdeschambresplusgrandesetmieuxinsonorisées,enespérantquecelanousapportedesdizainesdepetits-enfantsenplus!

Martineritdeboncœuràcetteidée.–Etonmettrauneénormebibliothèque,commetuenastoujoursrêvé!Etpuis,ilfallaitvraiment

fairede la place à nosbelles-filles.Commentpouvaient-elles entrer dans la famille alors qu’il n’yavaitpasassezd’espace?Turêvaisd’unebellemaisonpourtaretraite,tuvasl’avoir!

–Oui,faisonsça.Ellevaêtrebelle,notrenouvellemaison.Martinesourit.C’estvraiqu’ilsétaienttousàl’étroit,dansleurschambresexiguësetmalisolées.–Jeveuxquetusoisépanouie.Quetuaiespleindeplacepourtesnouvellestoiles.Etsituveux

qu’onprenneunâne,desmoutonsoumêmeunchatpour teservirdemodèles,on lefera!Si tuasenvie d’ouvrir une chambre d’hôtes, toi qui as toujours rêvé d’avoir une maison accueillante oùpartagerunebonnetable,jetesoutiendrai.Jem’occuperaidupotageretj’emmènerainosinvitésfaireletourdelarégion.

Martinenes’attendaitpasàautantd’enthousiasmechezsonmari,surtoutaprèslespectacledelamaisonenruine.Touscesbeauxprojets,ellen’osaitpasycroire.Cequi importaitmaintenantétaitqu’ensembleilsgardentautourd’euxunefamilleheureuseetsoudée.

–D’accord,Jacques.Onenreparlera.Allez,viens.OnretournechezAntoinette,donneruncoupdemain.

–Non,attends.Tusaiscequ’onvafaireplutôt?ditJacques,excité.J’aiunesuperidée!–Encore?Tuasuneidéeàlaminute!Çam’effraieplusqu’autrechose…avouaMartine.Jacquesselevaprécipitamment,secognalatêteauplafondtropbasdelacabaneetpritlamainde

safemme.–Onvapartirenvacances,tousensemble!C’esttoiquiavaisraison.Ilfautseremonterlemoral

et,surtout,àquoiçasertd’avoirdesrêvespleinlatêteetunPELpleinàcraquer,sionn’utilisepasl’unpourréaliserlesautres?

–Mais,Jacques,onauraassezd’argentsionveutconstruirenotregrandemaison?–Ilfautbienqueçaserveàquelquechose,d’avoirunebelle-filledanslesassurances!Alors,tu

veuxpartiroù?ÀVenise?

–40–Maissi,ilpasseparleradiateur,lePèreNoël!

Souslesapin,unelettre.CherPèreNoël,

Cetteannée,moi, j’aiétésage.Trèssage,même.J’espèreque tu te tromperaspasetmettrasmonprénomsur la listedesgentilsenfants.Et il fautque tu tesouviennesque,moi,jeveuxlebeauvélovert,celuiquej’aivudanslemagasinàcôtéduSuperU.Paslecircuitdevoitures.Çac’estpourJules.Bertille,onsaitpas,elleapasdit.

Papyditque,commetuestrèsvieux,tuaspeut-êtreAlzheimer.Alorsjemetsaussil’adresseoùtupeuxmedéposerlevélopourNoël.C’estplussûr,commeça.Cetteannée,c’étaitlapremièrefoisquej’allaisvoirl’autremer.CelleduSud,commeditJeanne.C’estjoliaussi.Maisilfaittropchaud,etrésultat,ilyapasde

neige.Onétaitavecpapyetmamieparcequeleurmaisonacramé.Lesgensparlaienttousunelanguebizarre,maislamaisonétaitsuper.Etlapiscine,géniale!Onabeaucouprigoléetpersonnen’afiniàl’hôpital,mêmequandpapyacuisiné.

Tusais,d’ailleurspapyaétéplutôtsagecetteannée.Ilapresquepasditdegrosmots,etmamieellechantonnetoutletempsmaintenant.Mêmemaman,ellerigolequandpapyfaituneblague!Alorssituveuxfaireplaisiràpapy,jecroisqu’ilseraitcontentd’avoirlamêmepiscinequecelledesvacancesdanssonjardin.Si,si,c’estluiquimel’adit.EtJulesetBertilleétaientd’accord.

Voilà.Jesaispas tropquoi teraconterd’autre.Tudoisavoir froid, toute l’annéeaupôleNord, toutseulavectes lutins.Tudevraisvenirvoir lamamandeJeanneàMarseille.Ellen’apasdemari.Elleesttrèsgentilleetcuisinetrèsbien.Etquandellerigole,ondiraitunphoque!Sinon,ilyaAntoinette.Maisjepensequ’elleesttropvieillepourtoi,carellem’aditunefoisqu’elleavaitvécuaveclesdinosaures.

JetefaisdesbisousPèreNoël.J’espèrequetuvasvraimentpouvoirpasserparleradiateur(ilyapasdecheminéeicichezAntoinette).Mamieal’airdedirequec’estpossiblemaisJulesaessayéetçaapasmarché.

PaulP.-S.:J’aimeraisbienquetuenvoiesquelqueslutinspourréparerlamaisondepapyetmamie.Ilssontpasrapideslesancienscollèguesdepapy,etmoi,j’aimeraisbienprofiterdelapiscineetdormirdanslegrenieravecJulesetBertillecetété.MerciparavancePèreNoël.

–41–LaDerdesDer

Dehors, derrière la porte d’entrée, Jacques et Martine, dans leurs beaux vêtements de fête,sautillaientdanslefroidenriantcommedeuxgamins.Pourunefois,ilsnerecevaientpaspourNoëletilsn’avaientpasbesoindeconduirepourrentrer,alorsilsavaientdéjàcommencéàfestoyer.

C’est Antoinette qui ouvrit. Elle leur tendit aussitôt les poubelles à mettre à la benne. On nechange pas une équipe qui gagne… Quand ils furent enfin autorisés à pénétrer dans la maisonsurchauffée de la vieille dame, ils se rendirent compte qu’ils étaient les derniers arrivés. Toute lafamilleétaitdéjàassisedanslesalon.Tousplusélégantslesunsquelesautres:costumespourcesmessieurs, jolies robes pour ces dames.Antoinette, elle, portait un chemisier de soie en couleur etavaitsamiseenplisdesgrandsjours.QuandlavieilledamedécouvritsonfilsetMartinedébarrassésdeleursmanteaux,ellesifflad’étonnement:

–Sijepeuxmepermettre,vousêtesmagnifiquestouslesdeux.J’ail’impressiondevousrevoiràvotrepremierrendez-vous!Martine:cetteroberouge,quellemerveille!Parcontre,tuasoubliédelazipperjusqu’enhaut,fitremarquerAntoinetteensaisissantlabouteilledeproseccoqueJacquesavaitrapportéedeleurvoyage.

–Merd…Euh,zut!En rougissant,Martine jeta un regard complice à Jacques, qui, d’unemain experte, remonta la

fermetureÉclair.L’ambiance musicale était inédite pour un Noël chez les Le Guennec : Michel Sardou,

constammentimposéparJacques,avaitétéremplacéparJulienClerc,quiavaittoujoursravilecœurd’AntoinetteetMartine.Fais-moiuneplacerésonnaitdanslamaison.

–Oùsontmespetitscœurspréférés?demandalajeunegrand-mère,remarquantquepersonnenelareprenaitsursongrosmot.

–Ilssontentraindedémonterleradiateurdugrenier,pourmieuxlaisserpasserlePèreNoël…ditStéphanieenrapprochantsonoreilleduBabyphone.

– Super ! Jacques, allons chercher les cadeaux, tant que les petits ne peuvent pas nous voir.Attendez-nouspourtrinquer!

LedînerprévuparAntoinette était gargantuesque.Pasmoinsde septplats !Foiegras, saumonfumé,huîtres,boudinblanc, chevreuil, fromages,bûche.Unvéritablemarathonculinaire.L’arrière-grand-mèreavaitvugrand,enrevancheellen’avaitpaspenséauxrequêtesdestroisbelles-filles.

Si cette année Stéphanie n’avait pas d’exigence particulière, Laura, l’expérience aidant, avaitapportésonproprerepasdefête:macaronauconfitd’oignonsetpaind’épice,ballotinschèvre,mieletfigues,mini-feuilletésàlamoussedecèpes,crèmebrûléeauparmesanetsorbetcitronvert.Après

avoir fini de sortir de son sac tous ses Tupperware, la jeune femme aidaAntoinette à apporter lesflûtesausalon.

–Mince,jet’aicomplètementoubliée,Laura!avouaAntoinette.– QuandAlexandrem’a parlé de foie gras, chevreuil et boudin, jeme suis dit qu’il était plus

prudentdeveniravecmespropresprovisions…répliquaLauraenretournants’asseoirausalon.–Enparlantdeboudin,vousavezvulesdernièresélectionsdeMissFrance?rebonditAlexandre.–Maistueshorrible!Onnetepermetpas!s’offusquaStéphanie.Qu’est-cequetudoispenserde

moiquin’aipasencoreperdutousleskilosdelagrossessealors!–Quetuesunemèredefamilleépanouie!répliqualejeunehommeenluiadressantunsourire

desplussincère.Tandisquelesflûtess’entrechoquaientsurleplateau,Jacquesposalasempiternellequestion:–Combiendeverresdeprosecco?Non,attendez,plussimple:quineprendpasdeprosecco?Il

estsanssulfites,Laura.Onaeudumalàledénichercelui-là,tutesouviensMartine?–Oui,jevaisenprendreunpeu.–Pourtoutlemonde,alors?Doncneufflûtes.JacquescommençaàverserlevinquandJeanneproposadel’aider.Ravi,iltenditlabouteilleàsa

belle-fille,quipritlarelèvemaissegardaderemplirunecoupe.OnallaittrinquerquandMatthieufitlescomptes:

–Attendez,àquiestcettecoupevide?Quelqu’unn’arienàboire?Jeanne!Unesommelièrequineboitpas:c’estsuspect,çanon?

–Uneannonce,peut-être?demandaAlexandre.JeanneetNicolaséchangèrentunregardcompliceetunsouriregêné,puislajeunefemmeselança

enfaisantunclind’œildiscretàJacques:–Onapenséque,pourl’étéprochain,danslanouvellemaison,ilyauraitassezdeplacepourun

invitésurprise…Toute lafamillepoussauncride joieà l’unissonetse levapour l’embrasser.Jacques,bienque

mispréalablementdanslaconfidenceparsabelle-fille,avaitleslarmesauxyeux.–SituveuxJeanne,onpeutpartagerlerepasquej’aiapporté,proposaLaura.J’avaisprévularge,

aucasoùJacquesauraiteuenviedegoûter,dit-elleavecunclind’œilpoursonbeau-père.Jen’airienfaitavecdelaroquette,promisjuré!

Antoinetteréalisaitquecetteannoncededernièreminute,puisqu’onnel’avaitpasmiseauparfumavant,contrairementàd’habitude,compromettaitsesplans:

–Cettemanied’êtreenceintepourNoël!Pourquoifairesimple,quandonpeutfairecompliqué.– Ne vous inquiétez pas, Laura m’a gentiment proposé de partager son repas végétarien. Je

prendrai tout de même du boudin et un micro bout de foie gras. Et que font mes petits neveuxpréféréslà-haut?Ilssonttrèssages!

–Oui,jeleuraimisleDVDdeLaReinedesNeiges,réponditStéphanie.–Mais,cen’estpasundessinanimédefilles,ça?demandaAlexandre.–Pasdu tout !En toutcas,cetteannéeMichelSardouvaêtresupplantéparLibérée,délivrée !

Moiçafaitdeuxmoisquejemeréveilleaveccettechansondanslatête.Mescollèguesprétendentquejelafredonnemêmeàl’assurance.Entoutcas,onesttranquillejusqu’àlafindurepas…

À minuit moins cinq, ils étaient tous en food coma. Il restait la moitié de la bûche, quicommençait à s’effondrer dans son plat.Les petits, qui n’avaient pas du tout sommeil, faisaient lecompteàrebours.JacquesetMartineavaienthâtequeleurfamilledécouvrelessurprisesqu’ilsleur

avaient réservées.Sipour leurspetits-enfants ils avaient suivi à la lettre lesvœuxenvoyésauPèreNoël, Jacques etMartine avaient euplus dedifficultés à trouver des cadeauxpour les plus grands,surtoutpourleursbelles-filles.Ilssedemandaientencorepourquoiilsavaientdécidédeneplusfairedecadeauxàmessage.D’autantqu’ilsn’avaientaucunecertitudequ’ellesferaientdemême…

Paulavaitdistribuélespaquets.Chacunavaitsapetitepilesurlesgenoux.Quandlapendulesonnaminuit, tous se ruèrent dessus tels des gamins et déchirèrent frénétiquement les emballages. Lespetits-enfants et Antoinette découvrirent avec soulagement que le PèreNoël n’avait pas cherché àinnoveretavaitsuivi les recommandationsà la lettre : respectivementunvélovert,uncircuitpourpetitesvoituresetuneboîtedechocolatsMonchéri,taillemaxi,qu’ilfaudraitéviterdemangerseuleetd’uncoup,souspeined’êtrepompette!

Lestroisbelles-fillesselancèrentunregardd’encouragementavantdes’attaqueràleurscadeauxrespectifs.Jeanneouvritunpaquetrectangulaire,qu’ellesuspectaitdecontenirunénièmelivre,maisfutsoulagéededécouvriràlaplaceunravissantras-du-cou.

–Lapierreappartenaitàmafamille.Elleétaitsertiesurunebaguemaisl’anneauétaitminuscule.Jel’aifaitmonterencollier.Ilteplaît?

–Martine ! Vous ne pouviez pas me faire plus plaisir. J’adore les bijoux, s’exclama-t-elle enmettantleras-du-coupar-dessuslesautoirqu’elleportait.

StéphanieetLaura,quinesesouvenaientpasavoirdéjàreçuuncadeauaussiluxueux,scrutèrentavecunpeuplusd’intérêtlespaquetsrectangulairesqu’ellesavaientsurlesgenoux.

Lauraouvritprudemmentlesienquiavaitlamêmecouleurémeraudeetydécouvritégalementuncollier, une lanière de cuir orange. Pas tout à fait dumême standing que celui en or qu’avait reçuJeanne.Devantlatêtecirconspectedesabelle-fille,Martineprécisa:

–TuaurascomprisquecepaquetvientdeJacques…Laurafitunemoueboudeuseetregarda,perplexe,sonbeau-père.Jacqueséclataderire:–Laura!Tunevoispasquececollierestpourtonchien,Jack!Pourtoi,ilyal’autrepetitpaquet

vertendessous.Lauraarrachal’emballageetdécouvrituneboîtemarronetturquoise,commecelledeschocolats

JeffdeBruges.Ellequin’étaitpasunegrandefandesucreriess’efforçadenepasparaîtretropdéçue.Detouteévidence,sesbeaux-parentspréféraientlanouvellebelle-fille,unpeumoinscasse-bonbonsqu’elle.Elleouvritlaboîte,décidéeàpartagerseschocolats,histoired’êtrecertainedelaterminerauplus vite,mais à l’intérieur elle découvrit un tout autre présent que ce à quoi elle s’attendait : unbracelet.

–Waouh ! Il estmagnifique. Simple,mais sublime. Et pas du tout tape-à-l’œil : je pourrai lemettrechezEmmaüssansavoirpeurd’êtrecataloguée«gauchecaviar»!Merciàvousdeux.C’estleplusbeaudescadeauxdeNoël.

Laurase levaetétreignit sonbeau-pèrecommeellene l’avait jamais faitauparavant.Elleétaitsincèrementtouchée.

LesregardssetournèrentalorsversStéphaniequiregardaitsonpaquetvert,pluspetitqueceluidesesdeuxbelles-sœurs.Elletiradoucementsurlerubanettrouvaunetoutepetiteboîtecarréedecuirbleu.Quandellesoulevalecouvercleapparurentderavissantesbouclesd’oreillesensaphir.

Sesdeuxbelles-sœursseprécipitèrentau-dessusdelaboîteets’exclamèrent:–KateMiddletonalesmêmes!Ellessontsublimes.Stéphanieôta lesperlesqu’elleportaitetmit lespendentifsbleus. Ils luiallaientàmerveilleet

faisaientressortirsesyeuxclairs.

Lestroisbelles-sœurs,côteàcôte,offrirentàleursbeaux-parentsunsourirequ’ilsneleuravaientjamaisvu.

–Çasuffit, ladilapidationdel’héritage!plaisantaNicolas.Etarrêtezdesourirebêtement!OndiraitquevousposezpourlecatalogueduManègeàbijoux!

–Onprofite,fitLaura.OnnesaitpassilePèreNoëlnousgâteraautantchaqueannée!Etvouslesgarçons,vousavezeuquoi?

Lestroisfrèrestiraientunetêted’enterrement.Surlesgenouxdescadets,deslivres.Choisisparleurpère.Etàmessage…Nicolas,lejeunechefetfuturpapa,avaiteudroitàunlivredeFrançoiseDolto.PourunefoisJacquesn’avaitpasété ledernieràdécouvrir lagrossessed’unedesesbelles-filles.AlexandreavaiteudroitauPetittraitécontrelesexismeordinaire,deBrigitteGrésy.Ilauraitainsi tout le loisir de poursuivre ses discussions avec sa belle-sœur Stéphanie.Matthieu repartiraitchezlui,nonpasavecunlivre,maisaveclescostumes,entailleadulte,d’ElsaetAnnadeLaReinedesNeiges.Savirilitéallaitenprendreuncoup!

Contentsdeleurblague,JacquesetMartineregardaientdésormaislescadeauxquilesattendaient.Quellesurprisecachaient-ils?

LepremierpaquetqueJacquesouvritétaitdeLaura:unlivredecuisinevégétarienne,agrémentéd’uneficherécapitulativedesalimentsqu’ellenemangeaitpas.Onyretrouvaitbeaucoupdeproduitsenplusdesasperges,kiwisetbetteraves.

– Jacques, jeme suis permis demettre un Post-it avecmes annotations personnelles sur deuxrecettes que vous aviez beaucoup aimées : celle des verrines chèvre-roquette et celle des lasagnesvégétariennesallaparmigiana.

–MercibeaucoupLaura, s’exclamaJacques. Jenem’attendaispasàcela,merci ! J’espèrequelorsduprochaintirageausortnousseronsdanslamêmeéquipe:tupourrasm’apprendredenouvellesrecettes.

–Vouspouvez aussi venir plus souventnous rendrevisite àParis. J’ai investi dansuneboîte àpharmacie:vousn’aurezplusbesoindeprendreleStilnoxdevotrefemme,ditLauraenriant.

Jacques saisit un autre paquet. C’était un CD de la nouvelle génération de chanteurs quireprenaientlestubesdeMichelSardou.

– De notre part à tous. Un autre compromis : vos chansons préférées, mais pour nous moinsd’overdosedeMonsieurMichelSardou,expliquaStéphanie.Etdemapartàmoi,celui-ci,dit-elleentendantunautrepaquet.

Jacquesouvrit l’emballageetdécouvritun45 toursgribouillé. Il s’agissaitde la toutepremièreéditionde1973du tubedeMichelSardouLesVieuxMariés.Cette chanson racontait l’amour d’uncouplequivieillitensembleetessuiequelquestempêtes,maiscontinuedes’aimercommeaupremierjour.Jacquesnevoulaitpaslemontrer,maisilétaitému.Stéphanie,quin’avaitpasenviedelevoirpleurercommeuneMadeleine,repritlaparole:

–J’aitrouvéce45tourset,lemêmejour,vousnedevinerezjamaisquiestpasséàl’assurance:MichelSardou!Ilvenaitsigneruncontratpoursescordesvocales.Niune,nideux,jeluiaidemandéunautographe.Audébut,ilm’aenvoyéepaître,maisquandjeluiaiditquenousétionsnormands,ils’estexécutésansrechigner.

–Mais,onn’estpasnormands,onestbretons,etfiersdel’être!répliqualepatriarche.Tantpispourl’autographe,jenelaisseraipaslesNormandsmeprendremafierté.IlsontdéjàLeMont-Saint-Michel.Ilsn’aurontpaslesLeGuennec!

–Ouiehbienjen’aipastrouvéd’autreidée!s’excusaStéphanie.Michel,ilauncaractèrebientrempé,unpeucommelevôtre,ajouta-t-elleenriant.

Tous se tournèrent alorsvers Jeanne.Si pour le permisde conduire elle avait stressé, elle étaitencoreplusangoisséeàl’idéed’offrirsoncadeau.

–Jacques,c’estunepetitebêtise,maisvoici,dit-elleenluitendantuneenveloppe.Àl’intérieur,deuxbillets.PourlematchdefootballRennes-Marseille.–C’estdrôle,maisjem’attendaisàcegenred’attentiondetapart.Tumepermetsdoncdet’offrir

quelquechosequiteserafortutilepourlematch?–UnK-Way?fitNicolas,ironique.–Presque!Etmonfilsjeterappellequ’enBretagneilnepleutquesurlescons!Ouvre,Jeanne.

Tesdeuxbelles-sœursenontdéjàun…Jeannepritlepaquet.Dedans,untissunoiretrouge.Unmaillotdel’équiperennaise.– Merci Jacques, il ne fallait pas : maintenant j’ai l’excuse parfaite pour vous offrir le

complémentauxbilletspourlematch,ditJeanneentendantunpaquetsimilaireàceluiqu’ellevenaitd’ouvrir.

Jacquesdécouvritavecamusementqu’ils’agissaitégalementd’unmaillotdefootball.Maisbleuet blanc, celui de l’équipemarseillaise. Le dos était floqué :Notre Jacques, toujours droit au but.Jacquesenfilalemaillotmarseillaisetdemanda:

–Etalors,tonfils,Jeanne,ilsupporteraRennesouMarseille?

ÉPILOGUE

C’était inespéré, mais les entrepreneurs y étaient parvenus. J-1 avant les grandes vacances, lanouvellemaisondeJacquesetMartineàDinanétaitenfinprête.Aprèspresqueunandetravaux.LedernierchantierdeJacques,avantsaretraite.

De l’extérieur, la maison reconstruite avait de l’allure. Plus grande et avec toujours ce cachetbreton unique. De magnifiques pierres, des huisseries blanches immaculées, un petit chemin decaillouxquilongeaitdenouveauxarbresfruitierset,pouraccéderàl’entréedelamaison,unetonnellerecouverted’uneglycineviolettedontleparfumaccueillaitdefaçonchaleureuselesinvités.

Surlepasdelaporte,lesnouveauxpropriétairesn’osaientmêmepaspénétreràl’intérieur.Biensûr,ilsavaientsuivilaprogressiondestravaux,maislà,c’étaitbeletbienterminé.Jacquesavaitsuivile chantier de loin, c’était son successeur qui avait tout supervisé : l’électricité, les arrivées d’eau,l’insonorisation,lesdernièresnormesdesécurité.JacquesavaitégalementreçudenombreuxconseilsdeStéphanie.

Martine,elle,avaitdessinélacuisineouverteetlatable–«laplusgrandepossible!».Aveclesrallonges, ils tiendraient facilement à vingt. Elle s’était occupée aussi de son jardin d’hiver pourpouvoirpeindrequelquesoitletemps.Ledoublevitrageetlacheminée,c’étaitdéjàréglé.

Alexandreavaitinsistépouravoirlespoignéesdeporteetlesinterrupteurslesplusbeaux.«Lesfinitions, c’est important », répétait-il à son père alors que le toit et lesmurs n’étaientmême pasencoreposés.

Lesautresavaientétémoinsexigeants.Enfin…LauratenaitàavoirunenichedeluxechaufféepourJack(ettrèsgrande,quatremètressurtrois).

Nicolas voulait des cabines de douche mais Matthieu, des baignoires. Jeanne, une cave à vingigantesque.EtAntoinette,unechambreattitréeavecsalledebainsattenante,aurez-de-chaussée.

PourJulesetPaul,c’étaitplusfacilecarilsavaientététrèsexplicites:undortoirmais«avecdesvolets qui ferment mieux qu’avant », un grenier « grand comme ça » et avec « un vrai trésor depirates»,desnouveauxKapla(maisdecouleurcettefois),unebalançoirepourBertille,etlamêmepiscine que lors des dernières grandes vacances, avec « le grand crocodile gonflable qui flottededans».Etaussi,plusdefraisiersetframboisiers,parceque«Julesmangetoujourstout,etaprèsiln’yenapluspourlesautres».

Quand Jacques etMartine avaientpénétrédans leurnouveauchez-eux, ils étaient émus.Et trèsfiers du résultat. Le porte-manteau à patères avec le prénom de chaquemembre de la famille, lesphotosd’Alexandreaccrochéesauxmurs,oùseulunœilavertipouvaitreconnaîtrelessilhouettesdespetits-enfantsdedossurlaplage.Unebibliothèquenoireavecd’épaissesétagèrespouraccueillirdestonnesdelivres,etégalement lafaïence.Pasn’importequellefaïence:desbolsbretonsnominatifs

étaient fièrementdisposés lesuns à côtédes autres.Unevraiepetite famille !Lagrandecheminéedégageait une chaleurdouillette.Les lits gigantesques avec leurs couettes chaudes appelaient à desgrassesmatinées,bienau-delàde9heuresdumatin!Oui,ilsavaientbientravaillé,etMartinesavaitqu’ilssesentiraientbiendanscettemaison.Poursaretraitequicommençait.ElleavaitdéjàpassélerelaisàDaniel,soncollègue,quiétaittristedevoirpartirsonalliée,maiselleavaitpromisdepasserrégulièrementdéjeuneraveclui.SiJacquess’étaitunpeuplusrenseigné,ilseseraitrenducomptequelegentillibrairepréféraitlacompagniedeshommesetnevoyaitenMartinequ’uneamie.

La nouvelle maison serait parfaite pour leurs moments passés à deux, en amoureux, maiségalementquandleurgrandefamilleviendraitdurantlesvacances.

Quandlesenfantset lespetits-enfantsentrèrent,Martineidentifiasubitementcequimanquaitàcettemaisonpourfinirdeluidonneruneâme.Desvoixfamilières.Desriresd’enfantsquelesmurspourraientabsorberetretransmettreàJacquesetMartinepourleursfuturssouvenirs.

–C’estmagnifique, Jacques !dit Jeanne, frappéepar la luminosité.Ceblanc, cet espace.C’estimmense!Rienàvoiravecavant,sijepeuxmepermettre.

Avecsonénormeventredefemmeenceinte,ellefitunepausesurlecanapéfaceaufeu,pendantquelesautress’empressaientdevisiterchaquepièceetdemonterauxétagesdécouvrirleschambres.

–Ah,cettechambre,çadoitêtrecelledeJeanneetNicolas.Ilyaunlandau.Ettuasvulatailledelanôtre,Alexandre!C’estplusgrandquenotresalonàParis!s’exclamaLaura.

MêmeAntoinetteétaitlà.Danssachambreaurez-de-chaussée,lavieilledamenecachaitpassonenthousiasme:

–Oh,j’aimêmemabouilloire!C’estadorable,Martine.Ceseraparfaitpourmonthéde4heuresdumatin.Commeça, je n’incommoderai pas tout lemonde.Et une douche avec une poignée pours’accrocher!C’estmieuxquechezmoi!Tuesvraimentunebelle-filleadorable,Martine!Méfie-toi,un jour je vais finir par vouloirm’installer avec vous… Je plaisante ! Je n’aurais jamais assez decouragepoursupportermonfilsauquotidien!conclut-elleenriant.

Alorsquechacuncomparaitets’installait,JacquespritMartineparlamain:–Viens,j’aiunesurprisepourtoi.C’estparlà.Étonnée,Martine le suivit au fond du jardin. Au passage, Jacques lança un petit-beurre Lu au

chienJackqui,danssanichedeluxe,bondissaitentoussens,excitéparsanouvelledemeure.Arrivéaumilieudujardin,Jacquessefitencoreplusmystérieux:–Assieds-toi,etfermelesyeux.EllepritplacesurundesnouveauxtransatsetentenditJacquesauloinquirouspétait:–Argh!Allez,venez,faitespasvosmijaurées!Martine,toujourslesyeuxfermés,entenditsonmaris’asseoirsurletransatàcôtéd’elle.–Vas-y,tupeuxregarder!Martineouvritlentementlesyeuxetcherchalasurprise.Ellenevitd’abordrien,puisentenditun

bruitbiencaractéristique:descaquètements.Là, juste devant elle, trois petites poules se baladaient en picorant, tranquillement, comme de

vieilles copines. Il y avait la blanche toute dodue, constamment sur ses gardes : elle courait dèsqu’elleétaitàdécouvert.Puislabrune,toutemaigre.Etenfin,lapetiterousse,viveettrèsbavarde.

–Etbiensûr,ellesbossent.Regarde,déjàdeuxœufscematin!Toiquiadoreslespetitsdéjeunersanglais.Surtout,jemesuisditqu’ellesferaientdeparfaitsmodèlespourtesfuturespeintures.

–Mais,ellessontadorables!Jesuistoutémue.J’aimespetitespoules!MerciJacques.J’avaistoujoursrêvéd’avoirdespoules,commechezmagrand-mère.Jesuissiheureuse!Regarde-les,ellesontl’airdeseplairecheznous,dansnotregrandefamille.Attends,Jacques…Tuneremarquesrien?

–Quoi?–Mais elles ne te font penser à personne, ces petites poules ? Regarde bien : il y a la poule

blanchequijoueunpeulamamanaveclesdeuxautres,lapetitepouleroussedynamiqueetlagrandebrune toutemince, qui a l’air de rechigner face à ce ver de terre. Jacques ? Jacques ! Tu l’as faitexprèsouquoi?

Jacques,desonregardtaquin,observaMartineensouriant.Ilritàgorgedéployée:–Jenevoispasdutoutdequoituparles,sedéfendit-ilavecunrirecoquin.Tuasl’esprittrèsmal

placé!Sitesbelles-fillessavaientquetulescomparesàdespoules...Attention,c’estlimite,chérie!Trèslimite!

FIN

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ETPOURFINIR…

Sil’histoiredelatribuLeGuennecs’arrêteici,ilestfortprobablequ’unbonnombred’entrenouspasseront les prochaines vacances en famille, avec des amis, ou peut-être même avec leur belle-famille.Lavieencommunautépeutêtrefacilepourcertains,ravisderetrouverdesprochesqu’ilsnevoient malheureusement pas aussi souvent qu’ils le souhaiteraient, pour partager de bons repaspréparés avec amour, vivre des moments simples faits de fous rires et de détente. Et passer desvacancesquifilenttoujourstropvite.

Pour d’autres, ces instants vécus à plusieurs peuvent être plus difficiles à appréhender, parfoisteintésdetensionset,aufinal,loind’êtredetoutrepos.Àl’opposédecequel’onrecherchequandonpartpourquelquesjoursdevacances!

Àsapetiteéchelle,c’estlerôlequej’aiessayédedonneràNosadorablesbelles-filles.Celametenait à cœur d’écrire une histoire sur l’intégration dans une nouvelle famille, où il est loin d’êtrefaciledetrouversaplacedupremiercoup.Si le tonseveut léger, j’aiapprisques’accepter telquel’onestpoursefaireaccepterenretourestloind’êtrechosefacile.

En décrivant les choses comme cela, je vais donner l’impression d’avoir vécu des momentshorriblesavecmabelle-famille,quejesalue(etquidécouvreceslignesenmêmetantquevous,cherlecteur,etquis’estmontréestresséedèsladécouvertedutitreduroman).Etpourtantiln’enestrien!Jefaispartiedeschanceusesquiécoutentceshistoiresdemarâtresensedisantqu’ellessontvraiment«bientombées».Lesinterrogations,parcequ’ilyenatoujours,sesontpasséesenmoi,maisjamaisàcaused’unefamilled’adoptionirascible.Aucontraire…

L’académicienErikOrsennaracontait,ilyaencorepeu,quesonpèredisaitqu’«avoirunécrivaindansunefamilleétaitunemalédiction».Lepatriarcheétaiteneffettrèsinquietàchaquesortied’unnouveauromandesonfilsetluidemandait:«Jesuisencoredanstonprochainbouquin?»Dequoidevenirparanoïaque!

Jedédiecelivreàmescourageuxbeaux-parents,quiontlachanceincroyabled’avoirpasmoinsde quatre adorables belles-filles, dont deux romancières qui utilisent allègrement ces momentsfamiliauxpourenrichirleurshistoires!IlesticicrucialdepréciserqueNosadorablesbelles-fillesestuneœuvredefiction…À99%.

Jedédieaussicespagesàmesdélicieusesbelles-sœurs,Cécile,SophieetCharlotte.L’unionfaitlaforce!Hâtedevousretrouverpournosvacancesbretonnes!Avecnotrebelle-famillequis’agranditencore…

J’aiécritcesecondromanenceintedemondeuxièmepetitgarçonet,àl’instantoùjerédigecesdernières lignes, j’attends avec impatience (et le ventre très arrondi) le moment de le rencontrer.Quandvousfinirezcelivre,lepetitGaspardseraleroidemesnuitsetmonpetitJulesdetroisanset

demi celui demes jours. Une nouvelle aventure pourmoi, quim’inspire déjà pourmon troisièmeroman.Lesrelationsfamiliales,ànouveau,plusresserréessurdespersonnagesatypiquesettoujoursdélurés,mêlantémotionsetrires.Jenevousendévoilepaspluspourlemoment.Rendez-vousl’annéeprochaine,silecœurvousendit…

Enfin, je voudrais vous remercier, vous, ma deuxième famille. Vous qui m’avez suivie dansl’incroyable aventure Mémé dans les orties, depuis le succès d’autoédition boosté grâce à vospremierscommentairesdithyrambiques.AuxbloggeurssinombreuxàrelayerleurcoupdecœurpourFerdinandetauxlibrairesquiontcruàlamagiequipeutparfoisarriverautourd’unpremierroman,dufondducœur:MERCI.

Aujourd’hui,Mémédanslesortiesadépasséles200000lecteursetsefaitunesecondejeunesseavec la sortie en Livre de Poche en France, commençant en parallèle son périple multilingue auxquatrecoinsdumonde.Ilnesepassepasunejournéesansquej’aielachanceincroyablederecevoirunmessagedevotrepart,pourmeracontervoscrampesdefessesànepasvouloir lâcher le romanavantdel’avoirfini,ouencoreàvousfaireréprimanderduregarddanslemétroàforcederiretropbruyamment.Jesuistouchéed’apprendrequemesromanspassentd’uncôtédulitàl’autre,séduisantàlafoisMadameetMonsieur;etqu’ilssetransmettentégalementd’unegénérationàl’autre.Jevousremercie de me donner cette force, cette envie insatiable d’écrire, qui m’encourage : vous êtestoujours présents à mes côtés, sur la chaise vide du café que je vous réserve, à chaque ligne quej’écris. Si l’écriture est un acte solitaire, parfois difficile, je vous sais près demoi et celame faitavancer.

MERCIàvous,infiniment.Àtrèsbientôtpouruneprochaine«rencontre»littéraire,etd’ici-là,prenezsoindevous!

Etpourfinir…Mespenséesvont àmonéditeurMichelLafon, à ses équipeset àFlorianLafani.Mercipoury

avoircruenpremieretdem’accompagnerdanscetteformidableaventured’unevie.Mes espérances vont versmes deux fils que je veux voir grandir aussi longtemps que possible

pouravoirlachancederencontrermesadorablesfuturesbelles-fillesetleurtribudepetitsBretons.Et enfin,mon cœur reste à celui quime soutient depuis près dedouze ans.Et particulièrement

dans cette folie qu’est l’écriture. Olivier… Une très bonne amie m’a rappelé une chanson danslaquelleilestditquepourréussirsavieilfallait«planterunarbre,avoirunfilsetécrireunlivre»…Olivier,pensonsànotrearbre!

Sincèrement,AurélieValognes