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DUMÊMEAUTEURchezlemêmeéditeur

Etsic'étaitvrai...,2000Oùes-tu?,2001

Septjourspouruneéternité...,2003LaProchaineFois,2004

Vousrevoir,2005Mesamis,mesamours,2006LesEnfantsdelaliberté,2007

Toutesceschosesqu'onnes'estpasdites,2008LePremierJour,2009LaPremièreNuit,2009LeVoleurd'ombres,2010

L'ÉtrangeVoyagedeMonsieurDaldry,2011Sic'étaitàrefaire,2012

Unsentimentplusfortquelapeur,2013Uneautreidéedubonheur,2014

Retrouveztoutel'actualitédeMarcLevy

www.marclevy.info

www.facebook.com/marc.levy.fanpage

©Versilio,Paris,2015www.versilio.com

Encouverture:©EmmyLouVirginia/©PECPhoto/GettyImagesISBNnumérique:9782361321260

ÀmonpèreÀmesenfantsÀmafemme

Unjour,j'iraivivreenthéorie,parcequ'enthéorietoutsepassebien...

1.

Lapluieavaitrincélestoitsetlesfaçades,lesvoituresetlesbus,lestrottoirset les piétons, la pluie n'avait cesséde tomber surLondres depuis le début duprintemps.Miasortaitd'unrendez-vouschezsonagent.Crestonétaitdelavieilleécole,deceuxquiénoncenttoujourslavérité,mais

avecdistinction.Portantsonélégancejusquedansleverbe,ilétaitrespecté,souventcitédans

les dîners pour ses remarques cinglantes,mais jamais blessantes.Mia était saprotégée,cequi,dansl'universcrueletsouventgoujatducinéma,valait touteslesprérogativesdumonde.Ce jour-là, il était allé voir en projection privée le nouveau filmdeMia, et

comme il lui interdisait de l'accompagner dans ces circonstances, elle l'avaitattenduàsonbureau.Creston,aprèsavoirôtésonimperméable,s'était installédanssonfauteuilet

n'avaitpasprolongélesuspense.–De l'action,unzestederomantisme,unscénarioadroitement ficeléautour

d'uneintriguequinetientpaslaroute,maisquis'ensouciedenosjours?...Çaferauntabac,avait-ilassuré.MiaconnaissaittropCrestonpoursavoirqu'ils'entiendraitlà.Elle était magnifique, avait-il enchaîné, un peu trop souvent dénudée, il

faudraitêtrevigilant laprochainefoisetnepasmontrersonderrière toutes lestrois scènes, il yveillerait, pour lebiende sa carrière, on catalogue si vite lesgens.–Avouez-moifranchementcequevousenavezpensé,Creston.–Tujouesàlaperfection,ettonrôleétantcequ'ilest,cen'étaitpasunemince

affaire. Cela dit, on ne peut pas éternellement tourner des films où lespersonnages traversent l'automne entre deux trahisons, trois adultères et unetassedethé.C'estunfilmd'action,lacamérabougebeaucoup,lespersonnagesaussi...queveux-tuajouterd'autre?

–Lavérité,Creston!–C'est unemerde,ma chérie, une bellemerde qui fera son plein d'entrées,

puisquetonmariet toiypartagezl'affiche.Ensoi,c'estunévénement, leseul,d'ailleurs. La presse raffolera de votre complicité à l'écran, elle aimera encoreplus que tu lui voles la vedette, et ce n'est pas un compliment, mais uneévidence.–Auquotidien,c'estluilavedette,réponditMiad'unsourirepâle.Crestonfrottasabarbe,gestequichezluiendisaitlong.–Commentseportevotrecouple?–Ilneseporteplusvraiment.–Attention,Mia,pasdebêtises.–Quellesbêtises?–Tum'asparfaitementcompris.Celavasimalqueça?–Letournagenenousapasrapprochés.–Voilàexactementcequejeneveuxpasentendre,dumoinsjusqu'àlasortie

ensalle.L'avenirduchef-d'œuvrereposesurvotrebinôme,àl'écrancommeàlaville.–Vousavezdesscénariospourmoi?–J'enaiquelques-uns.–Creston,j'aimeraispartiràl'étranger,loindeLondresetdesagrisaille,jouer

unrôleintelligent,sensible,entendredeschosesquimetouchent,quimefassentrire,partagerunpeudetendresse,mêmedansuntoutpetitfilm.–Etmoi,j'aimeraisquemavieilleJaguarnetombejamaisenpanne,maisle

mécanicienquis'enoccupem'appelleparmonprénom,c'esttedire.Jemesuisbattupourteconstruireunecarrière,tuasunpublicimmenseenAngleterre,desfans qui paieraient pour t'entendre réciter l'annuaire, tu commences à êtreappréciée un peu partout sur le continent, tes cachets sont indécents par lestempsquicourentetsicefilmobtientlesuccèsquejesuppose,tuserasbientôtl'actrice la plus cotée de ta génération.Alors, un peu de patience, je t'en prie.Noussommesd'accord?Dansquelquessemaines lespropositionsaméricainestomberontcommecettepluie.Tuvasentrerdanslacourdesgrandes.–Desgrandesconnesquisourientalorsqu'ellessonttristes?Crestonseredressasursonfauteuilettoussota.–Celles-là, et d'autres qui sont heureuses. S'il te plaît, je ne veux plus voir

cettetêtechagrine,Mia,ajouta-t-ilenhaussantleton.Lesinterviewsdevraientvousrapprocher, tonmariet toi.Vousallezdevoir tellementsourirependant lapromotionquevousfinirezparvousprendreaujeu.

Miafitunpasverslabibliothèque,ouvritlecoffretàcigarettesquisetrouvaitsuruneétagèreetenpritune.–Tusaisquejedétestequel'onfumedansmonbureau.–Alors,pourquoigardercetteboîte?–Pourlescasd'urgence.MiafixaCrestonetserassit,lacigaretteéteinteauborddeslèvres.–Jepensequejesuiscocue.–D'une façon ou d'une autre, qui ne l'est pas de nos jours ? répondit-il en

consultantsoncourrier.–Çan'ariendedrôle.Crestonabandonnasalecture.– Cocue comment ? reprit-il. Je veux dire occasionnellement ou tout le

temps?–Çachangequelquechose?–Ettoi,tunel'asjamaistrompé...?–Non.Enfin, une fois, un baiser.Mon partenaire embrassait bien et j'avais

besoin qu'on m'embrasse. C'était pour la véracité de la scène, ce n'est pasvraimenttromper,n'est-cepas?–C'est l'intentionquicompte.Dansquelfilm? interrogeaCrestonenlevant

unsourcil.Miaregardaparlafenêtreetsonagentsoupira.–Bon, admettonsqu'il te trompe.Quelle importance si vousnevous aimez

plus?–C'estluiquinem'aimeplus,moi,jel'aime.Creston ouvrit son tiroir, sortit un cendrier et craqua une allumette. Mia

inspiraunelongueboufféeetilsedemandasic'étaitlafuméequiluipiquaitlesyeux,maisilsegardadeluiposerlaquestion.– Il était la star, et toi, une débutante. Il a joué au Pygmalion, et l'élève a

dépassélemaître.Cenedoitpasêtrefacileauquotidienpoursonego.Attentionàtacendre,jetiensbeaucoupàmontapis.–Neditespasça,cen'estpasvrai.–Biensûrquesi.Jenedispasqu'iln'estpasbonacteur,mais...–Maisquoi?–Cen'estpas lemoment,nousenreparleronsplus tard, j'aid'autresrendez-

vous.Creston fit le tourde sonbureau,ôtadélicatement lacigarettedesmainsde

Miaetl'écrasadanslecendrier.Illasaisitparl'épauleetl'entraînaverslaporte.

–Bientôt,tujouerasoùtuvoudras,àNewYork,àLosAngeles,àRome.Enattendant, ne fais pas d'idiotie. Unmois, c'est tout ce que je te demande, tonavenirendépend.Tumelepromets?

*

EnsortantdechezCreston,MiaavaitrejointOxfordStreetentaxi.Quandelleavaituncoupdeblues,etelleenavaiteuplusd'uncesdernièressemaines,elleallaitsepromenersurcetteartèrecommerçanteetpleinedevie.Parcourant lesalléesd'ungrandmagasin,elleavaitessayédejoindreDavid,

tombantdirectementsurmessagerie.Àquois'occupait-ilencettefind'après-midi?Oùétait-ildepuisdeuxjours?

Deux jours et deux nuits sans autre nouvelle qu'un message laissé sur lerépondeurdeleurappartement.Unmessagelaconiqueexpliquantqu'ilpartaitseressourcer à la campagne, qu'elle ne devait pas s'inquiéter. Elle faisait tout lecontraire.Deretourchezelle,Mias'étaitdécidéeàsereprendreenmain.LorsqueDavid

rentrerait,ilétaithorsdequestiondemontrerunquelconquedésarroi.Demeurerdigne,maîtredesoi,nepasluipermettred'envisageruninstantqu'elleauraitpusemorfondreensonabsence,etsurtoutneposeraucunequestion.Répondant à l'appel d'une copine qui l'avait suppliée de l'accompagner à

l'inaugurationd'unrestaurant,Miaavaitdécidédesefairebelle.Elleaussiétaitcapable de rendreDavid jaloux.Et puismieux valait être entourée d'inconnusquechezsoiàbroyerdunoir.

Lerestaurantétaitimmense,lamusiquetropforte,lasallebondée,impossible

deparleràquiconqueoudefaireunpassanssefrotterauxautres.Quipouvaitprendreduplaisirdanscegenredesoirée?pensa-t-elleens'apprêtantàaffrontercettemaréehumaine.Les flashscrépitèrentdans l'entrée.Voilàpourquoisacopine tenait tantàsa

compagnie.L'espoirdefigurerdanslespagespeopled'unmagazine.Sensationdecélébritéfugace.Bonsang,David,pourquoimelaisses-tutraînerseuledansdesendroitspareils?Jeteleferaipayeraucentuple«MonsieurJ'ai-besoin-de-me-ressourcer».Son téléphone sonna, un appel masqué, à cette heure, c'était sûrement lui.

Commentl'entendredanscebrouhaha.Sij'étaistireurd'élite,jedescendraisleDJ,songea-t-elle.Elle balaya l'horizon du regard, elle était à mi-chemin entre l'entrée et les

cuisines.Lafoulel'entraînaitverscelles-ci,maiselledécidad'avanceràcontre-courant.Elledécrochaethurla:–Nequittepas!Pourquelqu'unquis'étaitjurédenerienlaisserparaître,tu

commencesbien,mavieille.Se frayer un chemin, pousser la pimbêche perchée sur hauts talons et le

balourdquilacourtise.Écraserlespiedsdecettegrandeperchesquelettiquequise tortille telle une anguille, contourner le bellâtre qui la scrute comme uneproie, tuvas temarrer,monvieux, ellea l'aird'avoirde laconversation.Plusquedixpasjusqu'àlaporte.–Resteenligne,David!Maistais-toi,idiote.Supplierlevideurduregardpourqu'ill'aideàsortird'ici.Enfin dehors, l'air frais, le calme relatif de la rue. S'éloigner des gens

agglutinésquiattendentpourpénétrerdanscetenfer.–David?–Oùes-tu?–Dansunesoirée...Commentpeut-ilavoirletoupetdeposercettequestion?–Tut'amuses,monamour?–Hypocrite!Oui,c'estassezjoyeux...Oùes-tualléechercheruntrucpareil!–Ettoi,abruti,tuesoù...depuisdeuxjours?–Enrouteverslamaison.Turentresbientôt?–Jesuisdansuntaxi...Trouveruntaxi,viteuntaxi.–Jecroyaisquetuétaisàunesoirée?–J'ensortaisquandtum'asappelée.–Tu arriveras doncprobablement avantmoi, si tu es fatiguée, nem'attends

pas, il y a des embouteillages, même à cette heure-ci. Londres est vraimentdevenueimpossible!C'est toi qui es devenu impossible, comment oses-tu me dire de ne pas

t'attendre?Celafaitdeuxjoursquejenefaisqueça,t'attendre.–Jelaisseraiunelumièredanslachambre.–Merveilleux,jet'embrasse,àtoutàl'heure.Untrottoirmoiré,descouplessousdesparapluies......etmoi,seulecommeuneimbécile.Demain, filmoupas, jechangedevie.

Non,pasdemain,cesoir!

2.

Paris,lesurlendemain.–Pourquoi est-ce toujours la dernière clé du trousseau qui ouvre la porte ?

protestaMia.– Parce que la vie est mal faite, sans quoi la cage d'escalier ne serait pas

plongéedans lenoir, réponditDaisyenéclairant laserruredumieuxqu'elle lepouvaitavecsontéléphoneportable.–Jeneveuxplusjamaisaimerl'idéedequelqu'un,jeveuxuneréalitéquime

corresponde;jeveuxduprésent,seulementduprésent.–Etmoiunfuturmoinsincertain,soupiraDaisy.Enattendant,situn'yarrives

pas,rends-moimesclés,jen'aipresqueplusdebatterie.La dernière clé du trousseau fut, de fait, la bonne. En entrant dans

l'appartement,Daisyappuyasurl'interrupteur,sansrésultat.–L'immeubleentiersembleprivédelumière.–C'esttoutemaviequil'est,renchéritMia.–N'exagéronsrien.–Jenesaispasvivredanslemensonge,repritMiad'untonquiappelaitàla

compassion,maisDaisylaconnaissaitdepuistroplongtempspourentrerdanscepetitjeu.– Ne raconte pas n'importe quoi, tu es une actrice talentueuse, donc une

menteuse professionnelle... Je dois avoir des bougies quelque part, je devraispouvoirmettrelamaindessussilabatteriedemoniPhone...L'écrandutéléphones'éteignit.–Etsijeleurdisaisàtousd'allersefairefoutre?chuchotaMia.–Çanetetraverseraitpasl'espritdem'aiderunpeu?–Si,maisonn'yvoitvraimentrien.–Jesuisrassuréequetut'enrendescompte!Daisyavançaàtâtons.Samaineffleuralatable.Enlacontournantelleheurta

unechaise, râla,etatteignit leplande travail, justederrière.Toujoursà tâtons,

elles'approchade lagazinière, s'emparadesallumettesposéessur l'étagère, fittournerleboutond'unbrûleuretenflammalegaz.Unhalobleutééclairal'endroitoùellesetrouvait.Mias'assitàlatable.Daisyfouillalestiroirsunàun.Lesbougiesaromatiséesn'avaientpasdroitde

citéchezelle.Sapassionpourlagastronomieavaitdesexigences,riennedevaittroubler l'odeur d'un mets. Là où certains placardent sur la porte de leurrestaurant«Lamaisonn'acceptepaslescartesdecrédit»elleauraitvolontiersinscrit«Lamiennerefusel'accèsauxpersonnestropparfumées».Elle trouva les chandelles et les alluma. La clarté projetée par les flammes

sortitlapiècedel'obscurité.L'appartementdeDaisyserésumaitpourainsidireàsacuisine.Elleenétaitla

pièceàvivre,plusgrandeàelleseulequelesdeuxpetiteschambresattenantesséparéesparunesalledebains.Surlasurfacedetravails'élevaient,depotsenterre cuite serrés les uns contre les autres, des plants de thym, de laurier, deromarin, d'aneth, d'origan, demonarde et de piment d'Espelette. Cette cuisineétait le laboratoire de Daisy, son ivresse et son exutoire. Elle y élaborait sesrecettesavantd'enfaireprofiterlaclientèledesonpetitrestaurantperchésurlabutteMontmartreàdeuxpasdechezelle.Daisy n'avait pas fait ses classes dans une grande école, sonmétier, elle le

tenait de son clan et de sa terre natale, la Provence. Enfant, tandis que sescamaradesjouaientàl'ombredespinsetdesoliviers,elle,observaitsamère,etapprenaitàreproduiresesgestes.Dans le jardinquibordait leurmaison,elleavaitapprisà trier lesherbes,et

derrièrelefourneau,àlesaccommoder.Cuisinerétaitsavie.–Tuasfaim?demanda-t-elleàMia.–Oui,peut-être.Enfin,jenesaispas.Daisysortitduréfrigérateuruneassiettedegirolles,unbouquetdepersilplat

etarrachaunetêted'ailduchapeletquipendaitàsadroite.–L'ailestnécessaire?questionnaMia.– Tu comptes embrasser quelqu'un ce soir ? rétorqua Daisy en hachant le

persilaucouteau.Tumeracontescequis'estpassépendantquejecuisine?Miainspiraàfond.–Ilnes'estrienpassé.–Tusurgisàlafermeturedemonbistrotunsacdevoyageàlamain,avecla

mine de quelqu'un dont le monde se serait écroulé ; tu n'as pas cessé de teplaindredepuis.J'endéduisquetun'espasvenuemerendrevisiteparcequejete

manquais.–Monmondes'estvraimentécroulé.Daisyinterrompitsapréparation.– S'il te plaît, Mia ! Je suis prête à tout entendre, mais sans soupirs ni

jérémiades,iln'yapasdecamérasici.–Tuferaisunexcellentmetteurenscène!lâchaMia.–Peut-être.Jet'écoute.EtpendantqueDaisys'affairaitencuisine,Miasemitàtable.

*

Au moment où le courant fut rétabli, les deux amies sursautèrent. Daisyappuya sur le variateur pour tamiser l'éclairage, puis elle ouvrit les voletsélectriques,découvrantlavuequis'offraitsurParisdepuissonappartement.Mias'avançaàlafenêtre.–Tuasdescigarettes?–Surlatablebasse,jenesaispasquilesaoubliéeslà.–Tudois avoir beaucoupd'amants pour ignorer lequel oublie ses cigarettes

cheztoi?–Situtiensàfumer,vasurlaterrasse!–Tuviensavecmoi?–Ai-jelechoixsijeveuxconnaîtrelasuite?

*

– Et tu as laissé la lumière dans la chambre ? questionna Daisy en leurresservantduvin.–Oui,maispasdansledressing.Là,j'ailaissétraîneruntabouretpourqu'ilse

cogne.–Parcequevousavezundressing?interrogeaDaisy.Etensuite?–J'ai faitsemblantdedormir. Ils'estdéshabillédans lasalledebains, ilest

restélongtempssousladouche,etpuisilestvenusecoucheretaéteintlalampe.J'aiattenduqu'ilmemurmurequelquesmotsetm'embrasse.Iln'avaitpasdûseressourcersuffisamment,ils'estendormi.–Bon,tuveuxmonavis?Jevaisteledonnerdetoutefaçon.Tuesmariéeà

unsalaud.Lavraiequestion,etelleestassezsimple,estdesavoirsisesqualitésrendentsesdéfautsaimables.Non,lavraiequestionestdesavoirpourquoituesamoureusedeluis'ilterendsimalheureuse.Àmoinsquetunesoisamoureusedeluiprécisémentparcequ'ilterendmalheureuse.

–Ilm'arenduetrèsheureuse,audébut.– Je l'espère ! Si les débuts étaient moches, les princes charmants

disparaîtraientdela littératureet lescomédiesromantiquesseraientclasséesaurayonfilmsd'horreur.Nemedévisagepascommeça,Mia.Situveuxsavoirs'ilte trompe c'est à lui qu'il faut poser la question, pas à moi. Et repose cettecigarette,tufumestrop,c'estdutabac,pasdel'amour.DeslarmesruisselèrentsurlesjouesdeMia.Daisyvints'asseoirprèsd'ellepourlaprendredanssesbras.–Pleuretouttonsaoul,pleuresiçat'apaise.Leschagrinsd'amourfontunmal

dechien,maislevraimalheur,c'estquandlavieestundésert.Mia s'était juré de rester digne en toute circonstance,mais auprès deDaisy,

c'étaitdifférent.Uneamitiétellequelaleur,quiduredepuisaussilongtemps,estunefraternitéqu'onachoisie.–Pourquoiparles-tudedésert?reprit-elleens'essuyantlesjoues.–C'esttafaçondemedemanderenfincommentjevais?–Toiaussi,tutesensseule?Tucroisqu'onseraheureusesunjour?– J'ai l'impression que tu l'as pas mal été ces dernières années. Tu es une

actriceconnueet reconnue, tuempochesenunfilmceque jemettraisunevieentièreàgagner,etencore...ettuesmariée.Tuasvulejournaldusoir...onn'apasledroitdeseplaindre.–Pourquoi,qu'est-ilarrivé?–Aucuneidée,maiss'ilyavaiteuunebonnenouvelle,lesgensseraientdans

lesruespourfêterl'événement.Ellesétaientcomment,mesgirolles?–Tacuisineestlemeilleurantidépresseurdumonde.–Pourquoicrois-tuquej'aivouludevenirchef!Maintenant,aulit!Demain,

je téléphonerai à ton crétin demari, je lui annoncerai que tu es au courant detout,qu'ilatrahilafemmelaplusgénialequisoit,etquetulequittes,nonpourun autre, mais à cause de lui. Quand j'aurai raccroché, c'est lui qui seramalheureux.–Tunevaspasfaireça?–Non,c'esttoiquileferas.–Mêmesij'enaienvie,jenepeuxpas.–Pourquoi?Tuveuxtecomplairedansunmélodrameàdeuxballes?–Parcequenouspartageonsl'affiched'unfilmàgrosbudgetquisortdansun

mois.Jesuiscontraintedejoueraussilacomédieàlaville,unmagnifiquerôledefemmecomblée,lebonheurparfait.SionapprenaitlavéritésurDavidetmoi,quicroiraitànotrecoupleà l'écran?Lesproducteursneme lepardonneraient

pas,monagentnonplus.Etpuis jeveuxbienêtreunecocue lucide,maispasêtrehumiliéeenpublic.–Quandmême,ilfautêtreunesacréegarcepourréussiràjouerunrôlepareil.–Pourquoipenses-tuquejesuislà,jeneseraijamaiscapabledeleteniraussi

longtemps.Tudoismeplanquercheztoi.–Combiendetemps?–Tantquetumesupporteras.

3.

Arrivéportede laChapelle, lecabrioletSaabcoupa trois filesendiagonale,ignorantlesappelsdepharesdesconducteurs,etabandonnalepériphériquepours'engagersurl'autorouteA1endirectiondeRoissy-Charles-de-Gaulle.–Pourquoiest-ce toujoursmoiquivais lechercherà l'aéroport?Trenteans

d'amitiéetjejureraiqu'ilnem'ajamaisrendulapareille.Jesuistropgentil,voilàleproblème!Sansmoi,ilsneseraientmêmepasensemble.Unpetitmerci,çanevousdéchaussepas lesdents,maisnon, rien !marmonnaPaulense regardantdans le rétroviseur. Bon, d'accord, je suis le parrain de Jo, mais qui d'autreauraient-ilspuchoisir?Pilguez?Jamaisdelavie,etpuissafemmeestdéjàlamarraine.C'estbiencequejedis,jerendstoutletempsservice,jepassemavieàrendreservice.Jenedispasqueçanemeréjouitpas,maisçameferaitaussiplaisirqu'ons'occupeunpeudemoi.Lauren,parexemple,quandjevivaisàSanFrancisco, est-ce qu'ellem'aurait présenté à une interne ? Ce n'est pas ce quimanquedanssonhôpital,desexternesnonplus,d'ailleurs.Ehbiennon,jamais!Cela étant, elles ont des horaires impossibles. Si ce type derrièremoime faitencoreunappeldephares,jepile!Ilfautquej'arrêtedeparlertoutseul,Arthuravait de bonnes raisons, mais je vais vraiment passer pour un fou. Enmêmetemps, avec qui parler ?Avec les personnages demes romans ?Non, je doisarrêter, ça fait vieux.Les vieux parlent tout seuls.Enfin, quand ils sont seuls,sinon,ilsseparlententreeux,ouàleursenfants.Est-cequej'auraidesenfantsunjour?Moiaussijevaisvieillir.Ilseregardaànouveaudanslerétroviseur.La Saab s'immobilisa devant la borne automatique, Paul récupéra le ticket.

«Merci»,dit-ilenrefermantlavitre.LevolAF83 était affiché à l'heure sur le grandpanneaudes arrivées.Paul

trépignaitd'impatience.Lespremierspassagers commencèrent à sortir, unepetite grappe seulement,

probablementlespremièreclasse.

*

Aprèsavoirpubliésonpremierroman,Paulavaitdécidédemettresacarrièred'architecteentreparenthèses.Écrireluiavaitoffertunelibertéinsoupçonnable.Riendans sadémarchen'avait étéprémédité. Il avait simplementprisplaisir ànoircirdespages,prèsdetroiscentslorsqu'ilavaittapélemot«fin».Chaquesoir, il se sentait happé par son récit, ne sortait presque plus et dînait le plussouventdevantsonordinateur.La nuit, Paul rejoignait un monde imaginaire où il se sentait heureux en

compagnie de personnages devenus des amis. Sous sa plume, tout devenaitpossible.Unefoissontexteachevé,ill'avaitabandonnésursonbureau.Savieavaitbasculéquelquessemainesplustard,lorsd'unrepasoùArthuret

Lauren s'étaient invités chez lui. Au cours de la soirée, Lauren avait reçu unappeld'unadministrateurdel'hôpital.ElleavaitdemandéàPauldes'isolerdanssonbureau,leslaissant,Arthuretlui,discuterdanslesalon.Barbéeparlesproposdesoninterlocuteur,Laurenavaitrepérélemanuscritet

avaitcommencéd'en tourner lespages,captivéeaupointdeperdre le fildesaconversation.LorsqueleprofesseurKraussavaitenfinraccroché,Laurenavaitcontinuésa

lecture.Unebonneheure s'était écoulée avantquePaulglissa la têtedans sonbureauafindevérifiersitoutallaitbienetlasurprenne,unsourireauxlèvres.–Jetedérange?avait-illancé,lafaisantsursauter.–C'estformidable,tusais!–Tunecroispasquetuauraispumedemanderlapermissionavant?–Jepeuxl'emporterpourlefinir?–Lesgensnormauxnerépondentpasàunequestionparuneautrequestion!–C'estpourtantcequetuviensdefaire.Jepeux?–Çateplaîtvraiment?avaitenchaînéPaul,dubitatif.–Oui,vraiment,avaitrépliquéLaurenenregroupantlesfeuillets.Puiselleavaitprislemanuscritetétaitretournéeausalon,passantdevantPaul

sansajouterunmot.–Tum'asentendudireoui?avait-ilpoursuivienlarejoignant.Etilluiavaitchuchotéàl'oreilledenepasenparleràArthur.–Ouiàquoi?s'étaitinquiétécedernierenselevant.–Jenesaisplus,luiavaitréponduLauren.Onyva?Et avant que Paul n'ait eu le temps de réagir,Arthur et Lauren, déjà sur le

palier,l'avaientremerciépourcettesoirée.

*

D'autres voyageurs sortaient, en plus grand nombre, cette fois. Une bonnetrentaine,maistoujourspasceuxqu'ilétaitvenuchercher.–Qu'est-cequ'ilsfabriquent!Ilspassentl'aspirateurdansl'avion?Qu'est-ce

quim'aréellementmanquédepuisquejesuisàParis?LamaisondeCarmel...Ceque j'aimaisyaller leweek-end,êtreen leurcompagnie,descendreassisteraucoucherdusoleilsurlaplage.Bientôtseptans.Oùontfilécesannées?Cesonteuxquimemanquentleplus.Lesappelsvidéo,c'estmieuxquerien,maisprendrequelqu'unqu'onaimedanssesbras,sentirsaprésence,c'estautrechose.Tiens, il faudra que je parle àLauren demesmigraines à répétition, c'est sondomaine. Non, elle voudra me prescrire des examens, ce sont juste desmigraines,c'estridicule,touslesgensquiontmalàlatêten'ontpasunetumeuraucerveau.Enfin,jeverrai.Bon,ilsvontfinirparsortir?

*

Green Street était déserte. Après avoir garé le break Ford dans le parking,Arthur avait ouvert la portière de Lauren et ils avaient grimpé les marchesjusqu'au dernier étage de la petite maison victorienne où ils vivaient. Raresétaient les couples qui avaient partagé le même appartement avant de serencontrer,maiscela,c'estuneautrehistoire...Arthur devait achever des esquisses pour un client important. Il s'excusa

auprèsdeLaurenetl'embrassaavantdes'installeràsatabled'architecte.LaurennetardapasàseglissersouslesdrapsetsereplongeadanslemanuscritdePaul.Àplusieurs reprises,Arthur crut l'entendre rirede l'autre côtéde la cloison.

Chaquefois,ilregardaitsamontreetreprenaitsoncrayon.Plustarddanslanuit,percevant cette fois des sanglots, il se leva, ouvrit doucement la porte de lachambreetdécouvritsafemme,assisedansleurlit,enpleinelecture.–Qu'est-cequetuas?questionna-t-il,inquiet.–Rien,répondit-elleenrefermantlemanuscrit.Elleattrapaunmouchoirenpapiersurlatabledenuit,etseredressa.–Jepeuxsavoircequiterendtriste?–Jenesuispastriste.–Çaseprésentemalpourl'undetespatients?–Non,c'estplutôtexcellentpourlui.–Etçatefaitpleurer?–Tuvienstecoucher?–Pasavantquetum'aiesexpliquépourquoitunedorspas.

–J'ignoresij'enailedroit.ArthursecampadevantLauren,décidéàluiextorquerdesaveux.–C'estPaul,finit-elleparlâcher.–Ilestmalade?–Non,ilaécrit...–Ilaécritquoi?–Jedoisluidemandersapermissionavantde...–Pauletmoin'avonsaucunsecretl'unpourl'autre.–Ilsembleraitquesi.N'insistepas,viens,ilesttard.Lelendemainsoir,PaulreçutunappeldeLaurenàl'agence.–J'aiàteparler,jeterminemonservicedansunedemi-heure,retrouve-moià

lacafétériaenfacedel'hôpital.Perplexe, Paul enfila sa veste et quitta son bureau. Il croisa Arthur devant

l'ascenseur.–Oùvas-tu?–Cherchermafemmeàsontravail.–Jepeuxt'accompagner?–Tuesmalade,Paul?–Jet'expliqueraienroute,dépêche-toi,cequetupeuxêtrelent!Lorsque Lauren apparut sur le parking de l'hôpital, Paul se précipita à sa

rencontre et l'accapara.Arthur lesobservaun instant avantde sedécider à lesrejoindre.–Onseretrouveàlamaison,luidit-elle.Pauletmoidevonsdiscuter.IlslaissèrentArthurenplanetentrèrentdanslacafétéria.–Tuasfinidelire?s'enquitPaulaprèsavoircongédiélaserveuse.–Oui,hiersoir.–Ettuasaimé?–Beaucoup.J'aireconnupasmaldechosesmeconcernant.–Jesais,j'auraispeut-êtredûtedemandertonaccord.–Tuauraispu.–Detoutefaçon,personned'autrequetoineliracettehistoire.–C'estprécisémentdeceladontjevoulaisdiscuteravectoi.Tudoisl'envoyer

àunéditeur,tuseraspublié,j'ensuiscertaine.Paul ne voulait pas en entendre parler. D'abord il n'imaginait pas un seul

instant que son manuscrit puisse retenir l'attention d'une maison d'édition, etquandbienmême,ilneserésolvaitpasàl'idéequ'unétrangerlisecequ'ilavait

écrit.Lauren usa de tous les arguments possibles, mais Paul campa sur ses

positions.Enlequittant,Laurenluidemandal'autorisationdepartagerlesecretavecArthur,etPaulfitcommes'iln'avaitrienentendu.Deretourchezelle,elleconfialemanuscritàArthur.–Tiens,luidit-elle,onendiscuteraquandtul'auraslu.CefutautourdeLaurend'entendreArthurrireàplusieursreprises,guettant

dans le calme qui suivait l'émotion qui le gagnait à la lecture de certainspassages.Illarejoignitdanslesalontroisheuresplustard.–Alors?–C'esttrèsinspirédenotrehistoire,maisj'aibeaucoupaimé.–Jeluiaiconseillédel'envoyeràunéditeur,maisilneveutrienentendre.–Jepeuxlecomprendre.Fairepublier le récitdePauldevintuneobsessionpour la jeunedoctoresse.

Dèsqu'ellelecroisait,oudiscutaitavecluiautéléphone,elleluiposaitlamêmequestion.Avait-il envoyésonmanuscrit.Chaque fois,Paul lui répondaitpar lanégative,lapriantdeneplusinsister.

Un dimanche, en fin d'après-midi, le portable de Paul sonna.Ce n'était pas

Lauren,maisunéditeurdeSimonandSchuster.–Trèsdrôle,Arthur,avaitlâchéPauld'unevoixagacée.Surpris,soninterlocuteurrétorquaqu'ilvenaitd'acheverlalectured'unroman

quiluiavaitbeaucouppluetsouhaitaitenrencontrerl'auteur.Le quiproquo dura, Paul enchaînait les plaisanteries. D'abord amusé, puis

excédé,l'éditeurluisuggéradeluirendrevisitedèslelendemainàsonbureau,ilauraitainsilapreuvequ'ilnes'agissaitpasd'uneblague.Ledoutes'installadansl'espritdePaul.–Commentavez-vousobtenumonmanuscrit?–Unamimel'aremisdevotrepart.Et après lui avoir communiqué le lieu du rendez-vous, l'homme raccrocha.

Paulfitlescentpasdanssonappartement.Netenantplusenplace,ilsautadanssaSaabettraversalavillejusqu'auSanFranciscoMemorialHospital.Aux urgences, il demanda à voir Lauren sur-le-champ. L'infirmière lui fit

remarquer qu'il n'avait pas l'airmalade. Paul lui jeta unœil noir, les urgencesn'étaientpas toujoursd'ordremédicaldans lavie. Il luidonnaitdeuxsecondespourlabiperavantdeprovoquerunesclandre.L'infirmièrefitunsigneàl'agentdesécurité.Lepirefutévitéquand,voyantPaul,Laurenvintàsarencontre.

–Qu'est-cequetufichesici?–Tuasunamiéditeur?–Non,rétorqua-t-elleenfixantleboutdeseschaussures.–Arthuraunamiéditeur?–Nonplus,murmura-t-elle.–C'estencoreunedevosplaisanteries?–Pascettefois.–Qu'est-cequetuasfait?–Riendemal,ladécisiont'appartienttoujours.–Tuvasm'expliquer?–Undemesconfrèresaunamiéditeur,jeluiaiconfiélemanuscritpouravoir

unavisindépendant.–Tun'avaispasledroit.–End'autrestemps,tuasaussiagipourmoisansmonautorisation,ettuvois,

aujourd'huijet'ensuisreconnaissante.J'aiprovoquéunpeuledestin,etalors?Jetelerépète,ladécisiont'appartient.–Quelledécision?–Departageravecd'autrescequetuasécrit.Tun'espasHemingway,mais

tonhistoirepeutapporterunpeudebonheurauxgensquilaliront.Parlestempsquicourent,cen'estdéjàpasmal.Maintenant,j'aidutravail.Elleseretournaavantdefranchirlesportesdesurgences.–Surtout,nemeremerciepas.–Teremercierdequoi?–Vaàcerendez-vous,Paul,nesoispastêtu.Aufait,jen'aiencoreriendità

Arthur.Paulalla rencontrercetéditeurquiavaitappréciéson roman,et succombaà

ses propositions. Chaque fois qu'il l'entendait prononcer lemot « roman », ilavaitunmalfouàétablirlelienavecl'histoirequiavaitcomblésesnuitsàuneépoqueoùsavien'étaitpastrèsheureuse.Leromanfutpubliésixmoisplustard.Lelendemaindelasortieenlibrairie,

Paulseretrouvadansl'ascenseurdesesbureauxencompagniededeuxcollèguesarchitectes qui avaient son livre en main. Ils le félicitèrent et Paul, tétanisé,attendit qu'ils soient sortis pour rappuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Ilpartit s'installer dans le café où il prenait son petit déjeuner chaquematin.Laserveusevoulutqu'illuisignel'exemplairequ'elleavaitacheté.LamaindePaultrembla en ledédicaçant. Il régla lanote, rentra chez lui et semit à relire son

roman.Àchaquepagequ'iltournait,ils'enfonçaitunpeuplusdanssonfauteuil,souhaitants'yfondrepourneplusjamaisavoiràsortir.Ilavaitlivrédanscerécitunepartdelui,desonenfance,desesrêves,desesespoirs,deseséchecs.Sanss'en rendre compte, sans supposer qu'un jour des inconnus le liraient. Plusterribleencore,desgensqu'ilcôtoyait,aveclesquels il travaillait.Paul,dont labonhomie et les éclats de voixmasquaient une pudeurmaladive, demeura lesyeuxgrandsouverts et les brasballants, n'ayant pluspour seul souhait quededevenir,àl'imagedesonpersonnage,invisible.Luivintl'idéederachetertouslesexemplairesencirculation.Ilsejetasurle

téléphone,maisavantqu'ilaitpuparleràsonéditeurdeceprojet,cedernierlefélicitadel'articleparulematinmêmedansleSanFranciscoChronicle.Certes,lacritiquel'écorchaitunpeu,c'étaitdebonneguerre,pourtantdansl'ensemblelepapierferaitunebellepublicité.Paulluiraccrochaaunezetseruasurlepremierkiosque à journaux.L'article soulignait les erreurs d'unpremier roman, et pirepourPaul,félicitaitsonauteurdenepasavoircraintd'êtretaxédesensiblerie.Àuneépoqueoùlecynismeprimaitsurl'intelligence,ilfallaitpeut-êtrevoiriciunacte de résistance assez courageux, avait conclu le journaliste. Paul se sentitmourir. Pas d'unemort subite, ce qui l'aurait franchement soulagé,mais d'unelenteetsuffocanteagonie.Son portable ne cessait de sonner, des numéros inconnus apparaissaient sur

l'écran,chaquefois, il rejetait l'appel.Ilfinitparôter labatterieetdisparutdesécransradar.Ilneserenditpasaucocktailorganiséparsonéditeur,nemitpluslespiedsaubureaudelasemaine,restantchezlui.Unsoir,lelivreurdepizzasluiprésentaunexemplaireàluidédicacer,ajoutantqu'ilavaitreconnusaphotoau journal télévisé de la veille. Après cet incident qui se reproduisit avec lacaissière de l'épicerie, Paul hiberna. Jusqu'à ce qu'Arthur vienne frapper à saporte et le déloger de force de sa tanière. Au contraire de Paul, Arthur seréjouissaitpourlui,etilapportaitdebonnesnouvelles.L'originalité de son récit avait capté l'attention des médias. Maureen,

l'assistantedel'agence,avaitpréparéunerevuedepresseavecamour.Laplupartdeleursclientsavaientdéjàlulelivreetavaienttéléphonépourleféliciter.Unproducteurde filmsavaitcherchéà le joindreaubureauet,Arthuravait

gardé le meilleur pour la fin, le libraire du Barnes & Noble où il avait seshabitudesluiavaitindiquéqueleromansevendaitcommedespetitspains.LesuccèsdemeuraitcontenudanslaSiliconValley,maisàcetrain-là,ils'étendraitbientôtàtoutlepays,lelibraireenétaitconvaincu...ÀlaterrassedurestaurantoùilavaittraînéPaul,Arthurluifitremarquerqu'il

étaittempsdeseraser,deprendreunpeuplussoindesonapparence,derappelersonéditeurquiavaitlaissévingtmessagesaubureau,etsurtoutd'embrassercebonheurquelavieluioffrait,aulieudetirercettetêted'enterrement.Paul resta silencieuxun longmoment, prit une grande inspiration et songea

qu'un malaise en public aggraverait son cas. Lorsqu'une femme qui l'avaitreconnu interrompit leur déjeuner pour lui demander si son roman étaitautobiographique,cefutlecoupdegrâce.D'un tonsolennel,PauldéclaraàArthurqu'aprèsavoirbeaucoupréfléchiau

coursdecettesemaine,illuiconfiaitlecabinet.Àsontourdes'offriruneannéesabbatique.–Pourfairequoi?interrogeaArthur,secoué.Disparaître, pensaPaul.Pour s'épargnerune leçondemorale, il invoquaun

prétexte imparable : Écrire un deuxième roman, enfin essayer. Que pouvaitopposerArthuràcela?–Sic'estvraimentcequetusouhaites.Jen'aipasoubliéquelorsquej'allais

mal,jesuispartivivrequelquetempsàParis,ettuasprisnosaffairesenmain.Oùcomptes-tuterendre?Paulquin'enavaitaucuneidéeréponditsansréfléchir:–ÀParis.Tum'as tantvanté lesmerveillesde laVille lumière,sesbistrots,

sesponts,sesquartierspleinsdevieetsesParisiennes...quisait,avecunpeudechance,cetteravissantefleuristedonttumevantaisaussilescharmesserapeut-êtreencorelà?–Peut-être,rétorquaArthurlaconique,maistoutn'étaitpasaussimerveilleux

quejetelelaissaisentendre.– Parce que, à cette époque, tu n'étais pas aumieux de ta forme.Moi, j'ai

seulementbesoindechangerd'air...pourstimulermacréativité,tucomprends.–Sic'estpourstimulertacréativité!Etquandcomptes-tupartir?–Organisonsundînerchezvouscesoir,oninviteraPilguezetsafemme,la

bandeseraaucompletpourlesadieuxetzou,dèsdemain,àmoilaFranceetlabellevie!LeprojetdePaulattristaitArthurauplushautpoint, ilauraitvouluobjecter

que cette décision était précipitée, qu'il serait préférable pour l'agence qu'ilpatientequelquesmoisavantdemettresonplanàexécution,maissonsensdel'amitié prit le dessus. Si une telle chance s'offrait à lui, Paul ferait tout pourl'aider,illeluiavaitprouvéparlepassé.Quantauboulot,ils'arrangerait.AprèsavoirsaluéArthur,Paulrentrachezlui,dansunétatd'effroi total.Où

avait-ildénichéunetelleidée?S'installeràParis,etseul!

Arpentant sonappartement, il semit à chercherdes arguments en faveurdecetteéchappatoire,folleetimprobable.SiArthurl'avaitfait,pourquoipaslui.Ledeuxième argument, qui supplanta le premier, concernait les Parisiennes, letroisièmeétaitquefinalement,ilpourraitessayerd'écrireunautreroman...qu'ilnepublieraitpas...ouuniquementàl'étranger.Desortequ'illuisoitpossiblederevenir à San Francisco, dès que les choses se seraient tassées. Au boutdu compte, ces arguments ne firent plus qu'un : écrivain... américain...célibataire...àParis!

EtàParis,oùilvivaitmaintenantdepuisseptans,Paulavaitécritcinqautres

romans.Lasd'aventuresavecdesParisiennesdontleschangementsd'humeurluisemblaientimpossiblesàcomprendre,iloptapourlecélibat,àmoinsquecenefûtlecélibatquioptâtpourlui.Sescinqromansnerencontrèrentpaslesuccèsqu'ilavaitfiniparespérer,du

moins,pasenEuropeniauxÉtats-Unis,maispouruneraisonqu'ilignorait,seslivresfaisaientuntabacenAsie,plusparticulièrementenCorée.Depuis quelques années, Paul entretenait une liaison amoureuse avec sa

traductricecoréenne.Deuxfoisl'an,Kyongvenaitluirendrevisite,unesemaine,jamais davantage. Il était bien plus épris qu'il ne voulait le reconnaître. Seulproblème,faceàelle,ilnesavaitjamaistrouverlemotjuste.Kyongaimait lessilences,Paul lesavaitenhorreur.Ilsedemandaitsouvent

s'iln'avaitpaspris laplumepour les effacer, telsdesblancsque l'on recouvred'encre. Kyong et lui passaient ensemble quatorze journées et demie par an,allées et venues à l'aéroport comprises. Quand Kyong était là, il la regardaitpendantdesheures,sansdiscernersielleétaitvraimentbelleouseulementàsesyeux.Sonvisageétait si singulieret son regardsipénétrant lorsqu'ils faisaientl'amour, qu'il lui arrivait de se demander s'il ne couchait pas avec uneextraterrestre.Ils se voyaient peu, mais avaient leurs habitudes. Lors de ses escapades

parisiennes,elleaimaitfréquenterlecinémadelarueApollinaire,commesilasalleavaitplusd'importancequelefilmqu'onyprojetait,traverserlapasserelledesArts,mangeruneglacechezBerthillonmêmeaucreuxdel'hiver.Elleaimaitlirelesjournauxfrançais,traînerdansleslibrairies,sepromenerdansleMarais,parcourirlesvoiespiétonnesduquartierdesHallesetremonteràpiedlaruedeBelleville,alorsqu'ilauraitétéplussimpledeladescendre.ElleaimaitprendrelethéauxbeauxjoursdanslejardindumuséedelaVieromantique,rueChaptal,visiterlacollectionCamondo,ruedeMonceau,quePaulluioffredesfleurseten

fassedesbouquetsenrentrantchezlui.Elleaimaitchoisirdesfromagessurl'étalde Vannaut, un maître affineur qui tenait boutique en bas de chez Paul, elleaimaitqu'il la regardeet ladésire,elleaimaitmoinsses livres,mais ilsétaientlelienquilesavaitunis.Kyong occupait aussi l'esprit de Paul, quand elle n'était pas là, plus encore

peut-être.Pourquoiétait-ellesiattachanteàsesyeux,pourquoiluimanquait-elleautant?Dès qu'il avait achevé un manuscrit, elle débarquait chez lui. Ignorant la

fatigue qui accable toute personne normale ayant voyagé onze heures, elleresplendissait de fraîcheur. Après un déjeuner frugal, invariablement composéd'œufs mayo, d'une tartine et d'un panaché – ce qui était peut-être en soi unremède miracle contre le décalage horaire, idée à soumettre un jour à lascience–, déjeunerqu'elle souhaitait tout aussi invariablementprendredans lemêmecafé,à l'anglede laruedeBretagneetde la rueCharlot– il faudraitserenseignersurlaprovenancedespoulesquipondaientlesœufsmayoducaféLeMarché,aucasoùilfermeunjour–,ilsmontaientdansl'appartementdePaul.Kyong se douchait, avant de s'installer à sa table d'écriture pour le lire. Pauls'asseyait au pied du lit, face à elle, et l'observait. Perte de temps notoirepuisqu'elledemeuraitimpassiblependantsalecture.Illuisemblaitalorsquesonappréciationduromanallaitdéciderounonqu'ellelerejoigne.Danssoncas,le«etplussiaffinités»luiparaissaitdépendred'un«sij'aiaiméteschapitres».Pourcetteraison,plusqu'uncommentaireexplicitedelatraductriceàlaquelleildevait une partie substantielle de ses revenus, Paul vivant de ses royaltiescoréennes,ilguettaitlemomentoùelles'abandonneraitàleurintimité.Ilaimaitécrire,résideràl'étranger,ilaimaitlesvisitesbisannuellesdeKyong

et si le reste de l'année, une certaine solitude n'avait été la rançon de cetteexistence,ilauraittrouvésanouvelleviepresqueparfaite.

*

Lesportesvitréess'ouvrirentetPaul,soulagé,soupira.Arthur poussait un chariot à bagages pendant que Lauren faisait de grands

signes.

4.

Miaouvrit les yeux et s'étira. Il lui fallut quelques instants pour se resituer,géographiquement et sentimentalement. Elle sortit du lit, ouvrit la porte de lachambreetcherchaDaisy.L'appartementétaitvide.Unpetit déjeuner l'attendait sur le comptoir de la cuisine, accompagnéd'un

motposésurunevieilleassietteenfaïence.«Tuavaisbesoindesommeil,rejoins-moiaurestaurantquandtulepourras.»Miaallumalabouilloireélectriqueetavançajusqu'àlafenêtre.Dejour,lavue

était encore plus surprenante. Elle s'interrogea sur la manière d'occuper sajournée,etcellesquisuivraient.Elleregardal'heureàlapenduledufourettentad'imaginercequeDavidpouvaitbienfaire,s'ilétaitseulouprofitaitpleinementde son absence. Avait-elle eu raison de lui laisser le champ libre, d'espérerqu'elle finirait par luimanquer ?N'aurait-il pasmieux valu occuper le terrainpourtenterdelereconquérir?Quidétenaitlesclésdecegenred'énigme?Mianesavaitpascequ'ellevoulait,maisellesavaitcequ'ellenevoulaitplus.

Ledoute,l'attente,lesilence.Ellevoulaitdesprojetsimpossibles,maisquivousdonnentenviedevous lever lematin, retrouver l'appétitdevivreetneplus seréveillerl'estomacnoué.Lecielétaitvoilé,maisilnepleuvaitpas,c'étaitunbondébut.Ellen'iraitpas

rejoindreDaisy,ellepréféraitsepromenerdans lesruesdeMontmartre,chinerdanslesboutiquesetpourquoipassefairecroquerleportraitparuncaricaturistede la butte. C'était kitsch à souhait, mais c'était justement ce dont elle avaitenvie. Ici, au contraire de l'Angleterre, les gens ne la reconnaîtraient pas.Elleallaitprofiterdecettelibertépourfairecequiluipasseraitparlatête.Ellefouilladanssonsacdevoyage,cherchaunetenueetneputrésisteràla

curiosité d'explorer l'appartement de sa meilleure amie. Elle observa labibliothèquepeinteenblancetdontlesétagèrespliaientsouslepoidsdeslivres.Miachapardaunecigarettedanslepaquetoubliésurlatablebasse,cherchantlemoindreindicequirévéleraitl'identitédesonpropriétaire.Quelgenred'homme

était-il,était-ceunamiouunamantdeDaisy,sonpetitamipeut-être?LaseuleidéequeDaisypartagesavieavecquelqu'unravivaledésird'appelerDavid,deremonter le temps, avant ce tournage où une actrice de second rôle lui avaittournélatête;cen'étaitprobablementpaslapremièrefois,maissoussesyeux,l'expérience avait été cruelle à vivre. Sur la terrasse, elle alluma sa cigarettequ'elleregardaseconsumerentresesdoigts.Elleentradansleloftets'installaaubureaudeDaisy.Sonordinateurportable

étaitouvert,l'écranverrouillé.Elle prit son téléphone et commença une conversation par texto avec son

amie:–Quelesttonmotdepasse?J'aibesoindeliremesmails.–Tunepeuxpaslesliresurtonsmartphone?–Pasquandjesuisàl'étranger.–Radine!–C'estlemotdepasse?–Tulefaisexprès?–Benquoi?–Jetravaille.Ciboulette.–????–C'estmonmotdepasse.–Jetravailleciboulette?–Ciboulette,idiote!–C'estnul,commemotdepasse.–Non,etnefouillepasdansmesdossiers.–Cen'estpasmongenre.–C'esttoutàfaittongenre.Miareposaletéléphoneettapalesésame.Elleseconnectaàsaboîtemailet

nevitqu'unmessagedeCrestonquiluidemandaitoùelleétaitetpourquoielle

nerépondaitpasautéléphone.Unmagazinedemodeluiproposaitunreportagechezelle,ilavaitbesoindesonaccordauplusvite.Elleécrivit:

CherCreston,Jesuispartiequelquetemps,etjecomptesurvotrediscrétionpourneledireàpersonne,quandje

dispersonne,celaveutdirepersonne.Pourapprendre le rôlequevousmecontraignezà jouer, j'aibesoind'êtreseule,sansdirectivesd'unmetteurenscène,d'unphotographe,d'unedevosassistantes,oudevous-même.Désobéirestunechosequejen'aiguèreeuleloisirdefairedepuisdeuxans.Jeneposeraipaspourunmagazinedemode,carjen'enaipasenvie.Parmilalistedesrésolutionsquej'aiprises hier soir à bord de l'Eurostar, la première était de ne plusme soumettre. J'ai besoin demeprouver que j'en suis capable, quelques jours au moins. Il fait beau à Paris, je vais aller mepromener... je vous donnerai bientôt demes nouvelles et je serai discrète en toutes circonstances,soyeztranquille.

Bienàvous.Mia

Elleserelutetappuyasurlatouche«envoi».Unpetitongletenhautdel'écranéveillasacuriosité,ellecliquadessus.Elle

écarquillalesyeuxendécouvrantlapaged'accueild'unsitederencontre.Elle s'était engagée à ne pas fouiller dans les dossiers deDaisy,mais, en y

repensant,cen'étaitpasunepromesseexplicitementformulée,etpuisDaisyn'ensauraitrien.Elleconsultalesprofilsdeshommessélectionnésparsonamie,éclataderire

enlisantcertainsmessages,enrepéradeuxquiluiparurentintéressants.Tandisqu'un rayonde soleil entrait dans l'appartement, elle jugeaqu'il était tempsdequittercemondevirtuelqu'elle trouvaitdérangeantpourallerse frotteràceluiqui l'attendait dehors. Elle éteignit l'ordinateur et emprunta un manteau légeraccrochédansl'entrée.Ensortantdel'immeuble,elleremontalarueverslaplaceduTertre,s'arrêta

devantunegalerie,etcontinuasonchemin.Uncoupledetouristeslaregarda,lafemmelamontradudoigtetellel'entenditdireàsonmari:«Jet'assurequec'estelle,valeluidemander!»Mia accéléra le pas et entra dans le premier café venu.Le couple se planta

devantlavitrine,MiasecollaaucomptoiretcommandaunquartVittel,lesyeuxrivés sur le miroir du bar où se reflétait la rue. Elle attendit que le coupleindélicatselasse,payaetpartit.Arrivée place duTertre, elle observait les caricaturistes au travail quand un

jeunehommel'aborda.Ilavaitunsourirebienveillantetassezbellealluredanssonjeanetsaveste.–VousêtesMelissaBarlow,n'est-cepas?J'aivutousvosfilms,déclara-t-il

dansunanglaisparfait.MelissaBarlowétaitlenomdescènedeMiaGrinberg.–VoustournezunfilmàParisouvousêtesenvacances?poursuivit-il.Mialuisourit.–Jenesuispasici,maisàLondres.Vousavezcrumevoir,maiscen'estpas

moi,justeunefemmequimeressemble.–Jevousdemandepardon?rétorqua-t-il,circonspect.–C'estmoiquivousdemandepardon,cequejedisnedoitavoiraucunsens

pourvous,maispourmoi,si.Nem'envoulezpassijevousaidéçu.– Comment Melissa Barlow pourrait-elle me décevoir, puisqu'elle est en

Angleterre?Lejeunehommelasaluarespectueusement,fitquelquespasetseretourna.–Siparleplusgranddesbonheursvouslacroisiezunjourdanslesruesde

Londres, lemondeest si petit, pourriez-vous lui confierdemapart qu'elle estuneformidableactrice?–Jen'ymanqueraipas.Jesuiscertainequecelaluiferatrèsplaisir.Mialevits'éloigner.–Aurevoir,murmura-t-elle.Ellecherchases lunettesdesoleildanssonsac,marchaunpeuet repéraun

salon de coiffure. Elle pensa que Creston lui passerait certainement un savonmagistral et cette seule idée lui donna encore plus envie demettre son plan àexécution. Elle poussa la porte, s'installa sur un fauteuil et ressortit une heureplustard,bruneauxcheveuxcourts.

Résolueàtestersonstratagème,elles'assitsurlesmarchesduSacré-Cœuret

attendit.Lorsqu'uncardetouristesimmatriculéenGrande-Bretagnes'arrêtasurleparvis,Miasejoignitauxpassagersquiendescendaient,demandal'heureauguide en faisant face au groupe qu'il accompagnait. Soixante personnes et pasune pour la reconnaître. Elle bénit ce coiffeur qui lui avait offert un nouveauvisage. Elle était enfin une simple Anglaise en visite à Paris, une femmeanonyme.

*

Paulavait faitdeux fois le tourdupâtédemaisonset finitpar se rangerendoublefile.Ilseretournaverssesdeuxpassagers,ungrandsourireauxlèvres.–Alors,pastropdépaysés?–Partafaçondeconduire,non,réponditArthur.

–Tu lui as déjà raconté cette soirée où j'ai passé deux heures recroquevillésousunetabled'opérationàcausedelui?dit-ilens'adressantàLauren.–Vingtfois,rétorquaArthur,pourquoi?–Pourrien,voici lesclés,c'estaudernierétage,montezvosvalises, jevais

garerlavoitureauparking.LaurenetArthuravaientprispossessiondeleurchambreetdéfaisaientleurs

bagages.–C'estdommagequevousn'ayezpasemmenéJo,soupiraPaulenentrant.–C'estunlongvoyagepourunenfantdesonâge,expliquaLauren,ilestchez

samarraineetjecroisqueçaluiplaîtbeaucoup.–Ilauraitétébeaucoupplusheureuxchezsonparrain.–Nousrêvionsdevacancesenamoureux,intervintArthur.–Peut-être,maisilyalongtempsquevousêtesamoureux,alorsquemoi,je

nevoispassouventmonfilleul.–ReviensvivreàSanFrancisco,tuleverrastouslesjours.–Vousvoulezmangerquelque chose ?Oùai-je rangéce cake ?marmonna

Pauleninspectantsesplacardsdecuisine.Jesuiscertaind'avoirachetéuncake.LaurenetArthuréchangèrentunregard.Illeurservitducaféetdétaillaleprogrammequ'ilavaitétabli.Lesoleilétantaurendez-vous,lapremièrejournéeseraitconsacréeàlavisite

des lieux cultes parisiens, tour Eiffel,Arc de Triomphe, île de laCité, Sacré-Cœuret,siletempsvenaitàleurmanquer,ilscontinueraientlelendemain.–Enamoureux...,rappelaArthur.–Bienentendu,repritPaul,unpeugêné.Laurenavaitbesoinde se reposeravantd'entreprendreun telmarathon.Les

deuxcompèresdevaientavoirpleindechosesàseraconteretellelesinvitaitàdéjeunersanselle.Paulseproposad'emmenerArthurdansuncaféàquelquespasdechezlui,à

midi,laterrasseétaitenpleinsoleil.Arthurenfilaunechemisepropreetlesuivit.Attablés, les deux amis s'observèrent unmoment sans rien dire. Comme si

chacunguettaitceluidesdeuxquiparleraitlepremier.–Tuesheureux,ici?finitparlâcherArthur.–Oui,enfin,jecrois.–Tucrois?–Quipeutêtrecertaind'êtreheureux?

–C'estprobablementunephrased'écrivain,mais là,c'estmoiqui tepose laquestion.–Queveux-tuquejeteréponde?–Lavérité.– J'aime mon métier, même si j'ai toujours la sensation d'être parfois un

usurpateur,jen'aiécritquesixromanstusais.Ilparaîtquebeaucoupd'écrivainsressententcela,enfin,c'estcequem'ontconfiédesconfrères.–Tuenfréquentesbeaucoup?– Je me suis inscrit à un club d'écriture pas loin d'ici, j'y vais un soir par

semaine,nouspapotons,parlonsdenosblocages,etpuisnousallonsacheverlasoiréedansunebrasserie.C'estdrôle,enm'entendantteraconterça,jetrouveçasinistre.–Jenetecontrediraipas.–Ettoi,commentvas-tu?Lecabinetprospère?–Nousparlionsdetoi.–J'écris,c'estmaseuleoccupationenréalité.Jeparticipeàquelquessalonsdu

livre.Parfois,jefaisdessignaturesenlibrairie.L'andernierjemesuisrenduenAllemagneetenItalieoùmeslivressevendentunpeu.Jevaisdansunesalledesportdeuxfoisparsemaine,j'aihorreurdeça,maisaveccequejemange,c'estindispensable,etsinonj'écris,maisjemerépète,non?–Çam'al'airtrèsjoyeux,sifflaArthurd'untonironique.–Necroispasça, jesuisheureuxlanuit.J'yrejoinsmespersonnages,alors

oui,laviedevientjoyeuse.–Tuasquelqu'un?–Ouietnon.Ellen'estpassouventlà,pourtoutavouerjamais,maisjepense

àellesanscesse,tuasconnucela,n'est-cepas?–Quiest-ce?–Matraductricecoréenne,çat'épate,non?s'exclamaPaul,faussementjovial.

Ehoui,ilparaîtquejesuispopulaireenCorée.Jen'yaijamaismislespieds,tusaiscombienj'aihorreurdel'avion,jenemesuistoujourspasremisduvolquim'aamenéici.–C'étaitilyaseptans!–C'étaithier,onzeheuresdeturbulences.Uncalvaire.–Ilfaudrapourtantqueturepartesunjour.–Passûr,j'aiobtenumonpermisdeséjour.Oualorsparbateau.–Etcettetraductrice?–C'estunefemmeformidable,mêmesijelaconnaispeu,finalement.D'année

enannée,jemesuisattachéàelle.Lesrelationsàdistancenesontpasfaciles.–Tum'asl'airbienseul,Paul.–Cen'estpastoiquim'asdéclaréunjourquelasolitudeétaituneformede

compagnie?Bon,assezparlédemoi!Etvous?Montre-moidesphotosdeJo,ildoitavoirtellementgrandi.Unefemmeravissante,s'assitàunetablevoisinedelaleur.Paulneluiprêta

aucuneattention,cequiinquiétaArthur.–Nemeregardepasainsi,repritPaul;desaventures,j'enaiconnuplusquetu

nel'imagines,etpuisilyaeuKyong.Avecelle,c'estdifférent,j'ail'impressiond'êtremoi-même,deneplusjouerunrôle,jenemesenspasobligédeséduire.Elle a appris àme connaître dansmes bouquins, ce qui est un comble, car jecroisqu'ellenelesaimepas.–Personnenelaforceàtetraduire.–Elleenrajoutepeut-êtreunpeupourmefaireenrager,oupourmepousserà

progresser.–Maisenattendanttuvisseul!–Tuvaspenserquejepassemontempsàteparaphraser,maisquiadit:on

peutaimerquelqu'unetêtreseul.–Masituationétaitunpeuparticulière,tuenconviendras.–Lamienneaussi.–Toiquiécris,tudevraisrédigerlalistedeschosesquiterendraientheureux.–Maisjesuisheureux,bonsang!–Tum'enastoutl'air.–Merde,Arthur,necommencepasàm'analyser,j'aihorreurdeça,etpuistu

nesaisriendemavie.– Nous nous connaissons depuis l'adolescence, je n'ai pas besoin d'une

explicationdetextepourdevinercommenttuvas.Tutesouviensdecequedisaitmamère?–Elledisaitbeaucoupdechoses.Àpropos,j'aimeraismeservirdelamaison

de Carmel comme décor de mon prochain roman. Je ne m'y suis plus rendudepuisfortlongtemps.–Àquilafaute!–Cequimemanqueàencrever,repritPaul,cesontnosviréesauGhirardeli,

nosbaladesjusqu'àlapointedufort,nossoirées,nosengueuladesaubureau,lafaçonquenousavionsdenousprojeterdansl'aveniràchaqueconversationpouraboutirnullepart...nousdeux.–J'aicroiséOnega.

–Ellet'aparlédemoi?–Oui,jeluiaiconfiéquetuvivaisàParis.–Toujoursmariée?–Elleneportaitpasd'alliance.–Ellen'avait qu'àpasmequitter.Tu sais, ajoutaPaul en souriant, elle était

jalousedenotreamitié.

*

Mia observa les caricaturistes de la place du Tertre et trouva sympathique,voire plutôt bel homme, celui qui portait un pantalon de toile, une chemiseblancheetunevesteentweed.Elles'installasurlachaiseplianteenfacedeluietluidemandad'êtreleplusfidèlepossible.– « Le seul amour fidèle est l'amour-propre », disait Guitry, lança le

caricaturistedesavoixrauque.–Ilavaitbienraison.–Malheureuseenamour?–Pourquoimeposez-vouscettequestion?– Parce que vous êtes seule et que vous sortez de chez le coiffeur. On dit

souvent«nouvellecoupe,nouvellevie».Mialefixa,interloquée.–Vousvousexprimeztoujourspardescitations?–Celafaitvingt-cinqansquejecroquedesportraits,j'aiapprisàlirepasmal

de choses dansun regard.Levôtre est joli, intéressant, cependant, l'égayer unpeune lui ferait pas demal.Assez parlé, si vous voulez quemon crayon soitfidèleaumodèle,nebougezpas.Miaseredressa.–EnvacancesàParis?poursuivitlecaricaturisteentaillantsonfusain.–Ouietnon, jepassequelques jourschezuneamie,elle tientun restaurant

danslequartier.–Jedoislaconnaître,Montmartreestunvillage.–LaClamada.– Ah, votre amie est la petite Provençale ! C'est une fille courageuse. Sa

cuisine est inventive et pas chère. Contrairement à certains elle n'a pas étédraguer les touristes. Je vais de temps à autre déjeuner chez elle, elle a ducaractère.Miaobservalesmainsducaricaturisteetremarquasonalliance.–Vousavezdéjàdésiréuneautrefemmequelavôtre?

–Peut-être,letempsd'unregard,ouplutôtceluidesavoiràquelpointj'aimaislamienne.–Vousn'êtesplusensemble?–Si.–Alorspourquoil'imparfait?–Arrêtezdeparler,jesuisentraindedessinervotrebouche.Mialaissal'artisteàsatâche.Laséanceduraunpeupluslongtempsqu'ellene

l'avaitimaginé.Quandl'hommeeutachevésontravail,ill'invitaàvenirvoirlerésultat sur son chevalet. Mia sourit en découvrant un visage qu'elle nereconnaissaitpas.–Jeressemblevraimentàça?– Aujourd'hui, oui, dit le caricaturiste. J'espère que bientôt vous sourirez

commesurcedessin.Il sortit son téléphone de sa poche, prit une photo d'elle qu'il compara au

dessin.–C'estvraimentréussi,félicitaMia.Vouspourriezexécuterunportraitàpartir

d'unephotocommecelle-ci?–Jesuppose,sielleestnette.– Je vous en apporterai une de Daisy, je suis sûre qu'elle serait heureuse

d'avoirlesien,vousavezunjolicoupdecrayon.Lecaricaturistesepenchapourfouillerdansl'undescartonsàdessinsposés

contresonchevalet.IlenretiraunefeuilleCansonetlatenditàMia.–Elleestravissante,votreamierestauratrice,dit-il.Ellepassechaquematin

devantmoi.Jevousl'offre.Mia observa le visage deDaisy.Ce n'était pas une caricature,mais un vrai

portrait,reproduisantsonexpressionavecadresseetsensibilité.–Jevouslaisselemienenéchange,dit-elle,avantdesaluerlecaricaturiste.

*

Paul avaitmené la visite au pas de charge.Avec un culot dont il était seulcapable, ilavaitcoupé lafilequis'allongeaitaupiedde la tourEiffel,gagnantainsi une bonneheure sur le programme.Audernier étage, il eut le vertige ets'accrochaaugarde-corps,demeurantàbonnedistancedesbalustrades.IllaissaArthur et Lauren admirer la vue sans lui, jurant qu'il la connaissait par cœur.Après une descente en ascenseur les yeux fermés, il retrouva sa dignité etconduisitsesamisaujardindesTuileries.Lauren,envoyantdesenfants tourner sur lecarrousel, ressentit l'impérieuse

nécessitédetéléphoneràNathaliapourentendrelavoixdesonfils.ElleinvitaArthuràlarejoindresurlebancoùelles'étaitassise.Paulenprofitapouralleracheterdesfriandises.Laurenl'observadeloinpendantqu'ArthurdiscutaitavecJo.Sanslequitterdesyeux,ellerepritlecombiné,submergeasonpetitgarçonde

motsd'amour,luipromitdeluirapporteruncadeaudeParisetfutpresquedéçuedeconstaterqu'elleneluimanquaitpasplusquecela.Ils'amusaitbeaucoupchezsamarraine.Elle le couvrit de baisers et garda l'appareil collé à l'oreille alors que Paul

revenait,enayanttouteslespeinesdumondeàtenirtroisbarbesàpapadansuneseulemain.–Commentl'as-tutrouvé?chuchota-t-elle.–C'estàmoiquetuparlesouàJo?demandaArthur.–Joaraccroché.–Alorspourquoifais-tusemblantdetéléphoner?–PourquePaulsetienneàdistance.–Bien,jecroisqu'ilestheureux,réponditArthur.–Tunesaispasmentir.–Cen'estpasunreproche,j'espère?–Justeunconstat.Tuasremarquéqu'ilmarmonnesanscesse?–Ilesttrèsseuletilneveutpassel'avouer.–Iln'apersonnedanssavie?–J'aivécuquatreansàParisenétantcélibataire.–Maistuétaistrèsamoureuxdemoi.Ettun'aspaseuunepetitehistoireavec

uneravissantefleuriste?interrogeaLauren.–Luiaussiseraitamoureux.EllevitenCorée.Ilpensemêmes'installeravec

elle.Seslivresauraientunsuccèsénorme,là-bas.–EnCorée?–Oui,mêmesijepensequecen'estpasvraietquesonprojetestabsurde.–Pourquoi,s'ilaimevraimentcettefemme?–Jen'aipasl'impressionqu'ellel'aimeautantquelui.Ilaunepeurpaniquede

l'avion,s'ilpart,ilrisquedenejamaisrevenir.Tulevoisvivreseul,enCorée?ParisestsuffisammentloindeSanFranciscocommeça.–Tun'aspasledroitdel'enempêcher,sic'estcequ'ilsouhaite.–J'ailedroitd'essayerdeleconvaincre.–NousparlonsdumêmePaul?Paul,quienavaitassezdepatienter,arrivaverseuxd'unpasdécidé.

–Jepeuxparleràmonfilleul?–Ilvientderaccrocher,répliquaLauren,confuse.Ellerangeasonportableetluiadressaungrandsourire.–Qu'est-cequevouscomplotiez,touslesdeux?–Absolumentrien,réponditArthur.–Nevousinquiétezpas,jenevaispasvouscollerpendanttoutvotreséjour.

J'aienviedeprofiterdevous,maisjevouslaisseraitranquillestrèsvite.– Mais nous aussi, nous avons envie de profiter de toi, sinon, pourquoi

serions-nousvenusàParis?Paulrestasongeur,lesproposdeLaurenavaientdusens.–J'aivraimentcruquevouscomplotiez.Dequoiparliez-vousalors?–D'unrestaurantoùj'aimeraisvousemmenertouslesdeuxcesoir, j'yavais

meshabitudes quand je vivais àParis.À conditionque tu nous laisses rentrernousreposer,nousn'enpouvonsplusdejouerlestouristes,avouaArthur.Paul accepta l'invitation. Les trois amis empruntèrent l'allée de Castiglione

jusqu'àlaruedeRivoli.– Il y aune stationde taxispas loin,ditPaul en s'engageant sur lepassage

piéton.LefeuviraauvertetArthuretLaurenn'eurentpasletempsdelesuivre.Le flot de la circulation les séparait. Un autobus passa devant eux. Lauren

remarqualepanneaupublicitairesursonflanc:« Vous pourriez rencontrer la femme de votre vie dans ce bus, sauf si elle

prendlemétro»......annonçaitunsitederencontressurInternet.LaurendonnauncoupdecoudeàArthuretilssuivirentlebusdesyeux,avant

deseregardertousdeux.–Tun'ypensespas?chuchotaArthur.–Jedoutequ'ilnousentendedel'autrecôtédel'avenue.–Jamaisilnes'inscrirasurcegenredesite.–Qui a dit que c'était à lui de le faire ? lâcha-t-elle, goguenarde.Quand le

destinabesoind'unpetitcoupdepouce,l'amitiéexigequ'onluitendelamain...çaneterappellerien?EtelletraversasansattendreArthur.

*

Miamitlapairedelunettesenécailleachetéechezunantiquaireaucoursdel'après-midi.Aveccesverresépais,ellenevoyaitpasgrand-chose.Ellepoussala

portedurestaurant.Depuislasallecomble,parunegrandefenêtreouvertedanslemur,lesclients

attabléspouvaient voirDaisyœuvrer en cuisine.Son cuistot paraissait neplussavoiroùdonnerde la tête.Daisyemportadesassiettesetdisparut.Uneportes'ouvritetelleréapparut,sedirigeantversunetabledequatrepersonnes.Ellelesservitet repartit aussivite, frôlantMiasans luiprêterattention. Justeavantderentrerdanssacuisine,ellereculadetroispas.–Jesuisdésolée,annonça-t-elle,noussommescomplets.Mia,queseslunettesfaisaientloucher,insista.–Mêmepasunepetiteplace?Jepeuxattendre,dit-elleendéguisantsavoix.Daisyfituntourd'horizon,lamouedépitée.– Les gens, là-bas, ont demandé l'addition, mais bavards comme ils sont...

Vousêtesseule?Siuneplaceaucomptoirvousconvient,suggéra-t-elleenluidésignantlecoinbar.Miaacceptaetallas'installersuruntabouret.ElleattenditquelquesminutesavantqueDaisynerevienne,passederrièrele

comptoir,mettesoncouvertetseretournepourattraperunverreàpiedaccrochéà un rack.Elle lui tendit unmenu et annonça qu'elle n'avait plus de coquillesSaint-Jacques.Lamaisonneservaitquedesproduitsfrais,elleavaittoutvendu.–C'estdommage, jesuisvenueexprèsdeLondrespourvoscoquillesSaint-

Jacques.Daisylascruta,dubitative,avantdesursauter.– La vache ! s'exclama-t-elle. Heureusement que je n'avais pas les mains

pleines,j'auraistoutlâché.Tuesdingue!–Tunem'avaispasreconnue?–Jenet'avaispasvraimentregardée,maisqu'est-cequit'apris?–Tun'aimespas?–Jen'aipas le temps,maserveusem'a laisséeenplan,cen'étaitpas lesoir

pourça.Situasfaim,jetepréparequelquechose,sinon...–Tuasbesoind'uncoupdemain?–MelissaBarlow,serveuse,etpuisquoiencore?–JenevoisqueMia,ici,etparlemoinsfort!Daisylatoisadepiedencap.–Tusauraisteniruneassiettesanslarenverser?– J'ai joué un rôle de serveuse, et tu connaismon sens de la perfection, je

m'étaisentraînée.Daisyhésita.Elleentenditlasonnettequefaisaittintersonaide-cuisinier,les

clientss'impatientaient,ilavaitbesoinderenforts.–Ôtecesbesiclesridiculesetsuis-moi!Mial'accompagnajusqu'auxcuisines.Daisyluipassauntablieretluimontra

sixassiettesquiattendaientsousleslampesàréchauffer.–C'estpourla8.–La8?questionnaMia.–Àdroitedel'entrée,latableavecletypequiparlefort,soisaimableaveclui,

c'estunrégulier.–Unrégulier,repritMiaenprenantlesassiettes.–Pasplusdequatreàlafoispourtonpremiertourdesalle,s'ilteplaît.–Àvosordres,réponditMiaens'emparantdesplats.Elleaccomplitsamissionetrevintaussitôtcherchercequ'ilrestaitàservir.Libéréeduservice,Daisy redonnaàsacuisine le rythmequiconvenait.Les

préparations achevées, la sonnette tintait, etMia se précipitait. Quand elle neservait pas, elle débarrassait, collectait les additions, et revenait prendre sesinstructionssousl'œilamusédeDaisy.Vers23heures,lerestaurantcommençaàsevider.–Uneurocinquantedepourboire,c'estcequem'alaisséton«régulier».–Jen'aipasditqu'ilétaitgénéreux!–Etilm'aregardéeenattendantquejeleremercie.–Cequetuasfait,j'espère?–Etpuisquoiencore!–Jepeuxsavoirquandt'estvenuecetteétrangeidéedechangerdetête?–Dès que j'ai su que tu aurais besoin d'une remplaçante. Donc, tu n'aimes

pas!–Cen'estplustoi,jedoism'yhabituer.–Tunevasplusvoirmesfilmsdepuislongtemps,maisj'aieudestêtespires

quecelle-là.–Jetravailletroppouralleraucinéma,nem'enveuxpas.Tupeuxallerservir

cesdesserts?J'aimeraisbeaucouppouvoirfermeretallermecoucher.Miatintsonrôleàlaperfectionjusqu'auboutdelasoirée,gagnantenestime

auprèsd'uneamiequil'auraitcruebienincapabled'unetelleprouesse.Àminuit, les derniers clients quittèrent l'établissement.Daisy et son cuistot

rangèrentlescuisinestandisqueMiaremettaitlasalleenordre.Lerideaubaissé,ellespartirentàpiedàtraverslesruesdeMontmartre.–C'estcommeçatouslessoirs?demandaMia.

–Sixjoursparsemaine.C'estépuisant,maisjen'échangeraismonmétierpouraucunautre. J'aide lachance, je suischezmoi,mêmesi les finsdemoissontterrifiantes.–C'étaitpleinàcraquer.–C'étaitunbonsoir.–Àquoioccupes-tutesdimanches?–Jedors.–Ettaviesentimentale?–Tuveuxquejelametteoù,maviesentimentale,entremachambrefroideet

macuisine?–Tun'asrencontrépersonnedepuisquetuasmontécerestaurant?– J'ai connu quelques hommes, mais pas un n'a résisté à mes horaires. Tu

partages ta vie avec quelqu'un qui exerce le même métier que toi. Combiend'hommestoléreraienttesabsencesquandtuparsentournage?–Jenepartageplusgrand-chose.Leurspasrésonnaientdanslesruesdésertes.–Peut-êtrequenousfinironsvieillesfillestouteslesdeux,ditDaisy.–Toipeut-être,pasmoi.–Salope!–J'aimeraisbien.–Quit'enempêche?–Ettoi,quit'enempêche?D'ailleurs,oùlesas-turencontrés,ceshommes?

Desclients?– Je ne mélange jamais amour et travail, répondit Daisy. Sauf une fois. Il

venait très souvent, trop souvent, alors j'ai fini par comprendre au bout d'unmomentquecen'étaitpasquepourmacuisine.–Commentétait-il?questionnaMia,intriguée.–Pasmal,pasmaldutout,même.Elles arrivèrent au bas de l'immeuble, Daisy composa le code et alluma la

lumièreavantdegrimperl'escalier.–Pasmalcomment?–Ducharme.–Maisencore?–Queveux-tusavoir?–Tout!Commentilt'aséduite,tapremièrenuitaveclui,combiendetempsa

durévotrehistoireetcommentelles'estfinie.–Situleveuxbien,nousattendronsd'êtreaudernierétage.

Enentrantdansl'appartement,Daisyselaissatomberdanssoncanapé.– Je suis exténuée, tu nous préparerais un thé ? Il paraît que c'est la seule

chosequelesAnglaissaventfairedansunecuisine.Mia fit un bras d'honneur et passa derrière le comptoir. Elle remplit la

bouilloireetattenditqueDaisytiennesapromesse.–C'étaitunsoirdedébutjuillet,l'andernier.Lerestaurantétaitpresquevide,

j'étaissurlepointd'éteindremesfourneauxquandilestentré.J'aihésité,etpuisqueveux-tu,devoirprofessionneloblige.J'ailibérémoncuistotetmaserveuse.Pourunclient, jepouvaismedébrouillerseule.Je luiaiprésenté lemenu, ilasaisimamainetm'ademandédechoisircequejevoulais,ilétaitreconnaissantquejesoisrestéepourlui.Etmoi,commeunecrétine,j'aitrouvécelacharmant.–Pourquoicommeunecrétine?–Jemesuis installéeen facede luipendantqu'ildînait, j'aimêmegrignoté

quelque chose avec lui. Il était drôle, plein d'entrain. Il a tenu à m'aider àdébarrasser, ça m'amusait, je l'ai laissé faire. Quand nous avons fermé lerestaurant, il m'a proposé de boire un verre. J'ai dit oui. Nous avons marchéjusqu'à la terrasse d'un café. Nous y avons refait le monde, et c'était un jolimonde.Ilétaitpassionnédecuisine,etilnebluffaitpas.Autantt'avouerquej'aicruaumiracle.Ilm'araccompagnéejusqu'enbasdechezmoi,iln'apasessayédemonter,nousavonsjusteéchangéunbaiser.J'avaisrencontrél'hommeparfait.Onnesequittaitplus,ilvenaitmerejoindreenfindesoirée,m'aidaitàfairelafermeture,jepassaismesdimanchesaveclui,enfin,jusqu'àlafindel'été,après,ilm'aditqu'ilnepouvaitpluscontinuer.–Pourquoi?–Parcequesafemmeetsesenfantsétaient rentrésdevacances.Je teserais

reconnaissantedet'abstenirdetoutcommentaire.Maintenant,jevaisprendreunbainetdormir,conclutDaisyavantderefermerlaportedesachambre.

*

En sortant de chez L'Ami Louis, Lauren s'arrêta pour admirer les vieillesfaçadesdelarueduVertbois.–TusuccombesauxcharmesdeParis?demandaPaul.–Àceuxdurepasgargantuesquequenousvenonsd'avaler,sansaucundoute,

dit-elle.Un taxi les reconduisit.Une fois chez lui, Paul salua ses amis et s'enferma

danssonbureaupourécrire.Laurens'installadanslelit,etcommençaàpianotersursonMac.Arthursortit

dixminutesplustarddelasalledebainsetsefaufilasouslesdraps.–Tulistesmailsàcetteheure-ci?s'étonna-t-il.Elleposa l'ordinateursursesgenouxetpendantqu'Arthurdécouvrait,ébahi,

cequ'ellevenaitd'entreprendre,ellesemitàrireàgorgedéployée.Ils'obligeaàrelirelespremièreslignesdutexterédigéparLauren:Romancier,célibataire,épicurientravaillantsouventlesoir,aimantl'humour,

lavieetlehasard...–Jecroisquetuasbutropdevincesoir.Et en refermant l'écran, il appuya sans le vouloir sur la touche qui validait

l'inscriptiondePaulsurlesitederencontres.–Ilnenouspardonneraitjamaisdeluijoueruntourpareil.–Alors,tuvasdevoirluiprésentertesexcusesauplusvite,carj'aibienpeur

quelepetitbipquenousavonsentendu...Arthurrouvritprécipitammentl'ordinateur,effondréparsabévue.– Ne fais pas cette tête, nous seuls avons accès à ce compte, et l'idée de

chamboulersonquotidienn'estpaspourmedéplaire.–Jenem'yrisqueraispasaveclui,répliquaArthur.– Veux-tu que je te rappelle ce qu'il a risqué pour nous ? répondit-elle en

éteignantlalumière.Arthur demeura un longmoment les yeux grands ouverts dans le noir. Lui

revinrentenmémoiremilleetunsouvenirsdefollesescapadesetcoupstordus.Paul était allé jusqu'à risquer la prison pour lui. Arthur devait son bonheurd'aujourd'huiauculotdontsonamiavaitfaitpreuve.Parisluirappelaitdesheurestristes,desannéesdegrandesolitude.Paulvivait

celaàsontour,etArthursavaitcombiencettesolitudepouvaitpeser.Maisilyavait forcément d'autres moyens pour l'en sortir que de passer par un site derencontres.–Dors,luimurmuraLauren,nousverronsbiensiquelquechosed'intéressant

seproduit.Arthurseblottitcontresafemmeets'endormit.

*

Elle s'était retournéecent foisdans son lit sans rencontrer le sommeil, avaitressassé ses dernières semaines sans y trouver la moindre joie. La journéeécouléeavaitétédeloinlameilleurequ'elleaitpasséedepuislongtemps,mêmesilemanquedel'autrenel'avaitpasquittée.Elleserhabilla,etsortitdel'appartementsansbruit.

Dehors,uncrachinavaitmouillélepavédesruesnoires.ElleremontalaButtejusqu'àlaplaceduTertre.Lecaricaturisterangeaitsonchevalet.Ilrelevalatêtepourlavoirprendreplacesurunbanc.–Peinedenuit?lança-t-ilens'asseyantprèsdeMia.–Insomnie,reprit-elle.–Jeconnaisça,jen'arrivejamaisàfermerl'œilavant2heuresdumatin.–Etvotrefemme,ellevousattendtouslessoirs?–J'espèrequ'ellem'attendtoutcourt,répondit-ildesavoixrauque.–Jenecomprendspas.–Vousavezremissonportraitàvotreamie?–L'occasionnes'estpasencoreprésentée,jeleluidonneraidemain.– Puis-je solliciter une faveur ? Ne lui dites pas qu'il vient de moi. J'aime

déjeuner chez elle et je ne sais pas pourquoi,mais jeme sentirai gêné si ellel'apprenait.–Pourquoi?–Parcequec'estunpeuintrusifdedessinerlevisagedequelqu'unsanslelui

avoirdemandé.–Maisvousl'avezdessinéquandmême.– J'aime la voir passer lematin devantmon chevalet, alors j'ai eu envie de

saisircevisagequimemetdebonnehumeur.–Jepourraisposermatêtesurvotreépaule,sanslemoindremalentendu?–Allez-y,monépauleestsourde.Ensembleetensilence,ilscontemplèrentlaluneàpeinevoiléedanslecielde

Paris.À2heuresdumatin,lecaricaturistetoussota.–Jenedormaispas,ditMia.–Moinonplus.Miaseredressa.–Ilestpeut-êtretempsdesedireaurevoir,suggéra-t-elle.–Bonsoir,ditlecaricaturisteenselevant.IlsseséparèrentsurlaplaceduTertre.

5.

Daisyaimaitsepromenerdanslesruescalmesàl'heureoùlesoleilcrèvelaligned'horizon.Lepavésentaitlematinfrais.Elles'arrêtaplaceduTertre,fixaunbancvideetsecoualatêteavantdepoursuivresonchemin.

Mias'éveillauneheureplustard.Ellesepréparaunthéets'installafaceàla

baievitrée.Elleportalatasseàseslèvreset,intriguéeparl'ordinateurdesonamie,s'assit

aubureau.Premièregorgée.Elleaccédaàsaboîtemail,parcourutsanslesliretousceux

qui la rappelaient à ses obligations professionnelles. Deuxième gorgée. Netrouvantpascequ'elleespérait,ellerefermal'écran.Troisième gorgée. Elle se retourna pour observer la rue en contrebas et

repensaàsaviréenocturne.Quatrième gorgée. Elle rouvrit l'écran et la page d'accueil du site de

rencontres.Cinquièmegorgée.Mialutattentivementlesinstructionspourcréerunprofil.Sixièmegorgée.Elleposasatasseetsemitàl'ouvrage.

CréationduprofilÊtes-vousprêteàvousengagerdansunerelation?C'estmonsouhait,pasdutout,laissonsfairele

hasard.Oui,laissons-lefaire.

Votrestatutmarital:jamaismariée,séparée,divorcée,veuve,mariée.Séparée.

Avez-vousdesenfants?Non.

Votre personnalité : attentionnée, aventureuse, calme, conciliante, drôle, exigeante, fière,

généreuse,réservée,sensible,sociable,spontanée,timide,fiable,autre.Toutça.

Vousnepouvezfairequ'unseulchoix.Conciliante.

Couleurdevosyeux.Nousaurionstoutpourêtreheureux,maisaveclacouleurdevosyeux,çanevapasêtrepossible.«Aveugle»meconviendraitlemieux.

Votresilhouette:normale,sportive,mince,quelqueskilosentrop,ronde,trapue.Ondiraitunformulairepourunefoireàbestiaux.Normale.

Votretaille.Encentimètres,aucuneidée.Disons175,après,çafaitgirafe.

Votrenationalité.Britannique : mauvaise idée, depuis Waterloo les Français ne nous ont pas à la bonne.

Américaine : ils ont aussi plein de préjugés sur les Américains. Macédonienne... ça fait salade.Mexicaine,jeneparlepasl'espagnol.Micronésienne,c'estjoli,maisaucuneidéedel'endroitoùsesituelaMicronésie.Moldave,trèssexy,maisnepoussonspaslebouchon.Mozambicaine,exotique,maisaveclaminequej'aiencemoment,çanetientpaslaroute.Irlandaise,mamèremetuesielleapprend ça. Islandaise, ils vont s'attendre à ce que je fredonne du Björk à longueur de journée.Lettone,çarimebien,maisjen'auraipasletempsdememettreauletton,celadit,çapourraitêtredrôle de s'inventer un accent et de parler une langue imaginaire, d'autant que la probabilité derencontrerunLettonestassezfaible.Thaïlandaise,nerêvonspas.Néo-Zélandaise,avecmonaccent,çapeutcoller!

Votreorigineethnique.LaSecondeGuerremondialeneleurapassuffi?Qu'est-cequec'estquecegenredequestion?

Votrevisionetvosvaleurs:religion.Parcequ'iln'yaque la religionquidéfinissevotrevisionet vosvaleurs?Agnostique, ça leur

apprendra!

Votrevisiondumariage.Floue!

Voulez-vousdesenfants?Jepréférerais rencontrerunhommequiauraenvied'unenfantdemoi,etnond'unenfant tout

court.

Votreniveaud'études.Triplemerdouille!Mensongepourmensonge,bac+5...non,jevaistombersurdestypeshyper

savantsquivontm'ennuyeràmourir,bac+2,c'estdanslamoyenne.

Votreprofession.Actrice, mais on ne va pas jouer avec le feu. Agent d'assurances, non, de voyages, non plus,

hospitalier, encore moins, militaire, toujours pas, kiné, ils vont me demander de les masser,musicienne,jechantefaux,restaurateur...commeDaisy,trèsbonneidée.

Décrivezvotremétier.Jecuisine...

Assezgonflépourquelqu'unquinesaitpasfaireuneomelette,maisonestlàpours'amuser.

Vosactivitéssportives:natation,randonnée,jogging,billardetfléchettes...Fléchettesc'estunsport?

...Yoga,sportsdecombat,golfetvoile,bowling,football,boxe...Ilyavraimentdesfemmesquirépondent«boxe»?

Vousfumez?Occasionnellement.Mieuxvautêtresincèrepournepastombersurunayatollahdelacigarette.

Vosanimauxdecompagnie.Monfuturex-mari.

Voscentresd'intérêt:musique,sport,cuisine,shopping...Shopping, ça transpire l'intelligence, bricolage, si j'avais choisi boxe ça irait bien ensemble,

danse, ils vont s'attendre à une fille avec un corps de ballerine, ne créons pas de déception,écriture...c'estbienl'écriture,lalectureaussi,cinéma,non,surtoutpas,ilnemanqueraitplusquejetombesuruncinéphile,expositionsmusées,çadépend,animaux,pasenviedepassermesweek-endsdansdeszoos,jeuxvidéo,pêcheetchasse,berk,loisirscréatifs,aucuneidéedecequeçaveutdire...

Vossorties.Cinéma...Oui,maisnon.

Restaurant.Oui.

Soiréesentreamis.Pastoutdesuite.

Famille.Lemoinspossible.

Bar/Pub.Çaoui.

Discothèque.Çanon.

Événementssportifs.Surtoutpas.

Vosgoûtsenmatièredemusiqueetdecinéma.Maisc'estuneinquisition!

CequevousrecherchezchezunhommeSatailleetsasilhouette:normale,sportive,mince,quelqueskilosentrop.Jemefichedesasilhouette!

Sonstatutmarital:jamaismarié,veuf,célibataire.Lestrois.

Iladesenfants.Çaleregarde.

Ilveutdesenfants.Onaletemps.

Sapersonnalité.Enfin!

Attentionné,aventureux,calme,conciliant,drôle,généreux,réservé,sensible,sociable,spontané,

fiable.Tout!

Décrivez-vous

Mia,lesdoigtssurleclavier,futincapabledetaperlemoindremot.Ellerevintsurlapaged'accueil,entralepseudodeDaisy,sonmotdepasseetlutsonprofil.

Jeunefemmeaimantlavie,etrire,maisayantdeshorairesdifficiles,chefcuisinière,passionnée

parsonmétier...Ellefituncopier-collerduprofildesonamie,etvalidasoninscription.Daisyouvritlaportedel'appartement.Miarabattitl'écrandel'ordinateuretse

levad'unbond.–Quefaisais-tu?–Rien,jelisaismoncourrier.Oùétais-tu,ilesttôt?–Ilest9heures,etjereviensdumarché.Habille-toi,j'aibesoind'uncoupde

mainaurestaurant.Miacompritàsontonqu'iln'yavaitpasmatièreàdiscuter.Aprèsavoirdéchargé lescageotsde la camionnette,Daisy sollicita l'aidede

sonamiepourenfairel'inventaire.EllenotaitsesachatsdanssoncarnettandisqueMia,obéissantauxordres,rangeaitlesdenrées.–Tu ne serais pas en train dem'exploiter un peu, dit-elle en se frottant les

reins.– Je fais ça toute seule tous les jours,ma vieille, pour une fois que j'ai de

l'aide.Tuesressortiehiersoir?–Jen'arrivaispasàdormir.–Revienstravaillercesoiraurestaurant,turetrouverasvitelesommeil,crois-

moi.

Mia entrait dans la chambre froide, portant un carton d'aubergines quandDaisylarappelaàl'ordre.– Pour que les légumes conservent leur goût, on les laisse à température

ambiante.–J'enaimarre!–Lespoissons,eux,vontdansleréfrigérateur.–JemedemandesiCateBlanchett rangeraitdespoissonsdans lefrigod'un

restaurant?–LejouroùtuaurasunOscar,nousenreparlerons.Miasortitunemottedebeurre,attrapaunebaguettedanslapanetièreets'assit

surlecomptoir.Daisyemportalerestedesvictuaillesetterminadelesdisposerenbonneplace.–Jesuisaccidentellementtombéesurundrôledetrucenlisantmesmails,dit

Mia,labouchepleine.–Queltruc?–Unsitederencontres.–Accidentellement?–Jurécraché,affirmaMiaenlevantlamaindroite.–Jet'avaisditdenepasfouillerdansmesdossiers.–Tuasdéjàrencontrédeshommesdecettefaçon?–Neprendspascetairoffusqué,jecroisvoirmamère!Cen'estpasunsite

pornoquejesache.–Non,maisquandmême!–Quandmêmequoi ? Il t'arrivedeprendre le busou lemétro, demarcher

danslesrues?Lesgenspassentplusdetempslesyeuxrivéssurleursportablesqu'àregardercequisepasseautourd'eux.Leseulmoyend'attirerl'attentiondenosjours,c'estensouriantsurunécrandesmartphone,cen'estpasdemafaute,maisc'estainsi.–Tunem'aspasrépondu,insistaMia.Çamarcheréellement?–Jenesuispasactrice,jen'aipasd'agent,pasdefans,jenefoulepaslestapis

rougesetiln'yapasdephotosdemoiencouverturedesmagazines.Depuismacuisine, jen'aipas leprofil idéalde la femmedésirable.Alorsoui, jeme suisinscritesurunsite,etoui,j'airencontrédeshommesparcebiais.–Deshommesbien?–Ça,c'estplusrare,maisInternetn'yestpourrien.–Commenttuasfait?–Faitquoi?

–Parexemple,lepremierrendez-vous,commentçasepasse?–Delamêmefaçonques'ilt'avaitabordéedansuncafé,saufquetuensais

unpeuplussurlui.–Oudecequ'ilabienvoulutedire.–Situapprendsàdécrypterunprofil,tuparviensassezviteàfairelapartdes

choses.–Etcommentonapprendàdécrypterunprofil?–Enquoiçat'intéresse?Miaréfléchitàlaquestion.–Àl'occasion,pourunrôle,dit-elled'untonévasif.–Pourunrôle,évidemment,marmonnaDaisy.Ellesoupiraetvints'asseoiràcôtédeMia.– Le pseudo en raconte déjà pas mal sur la personnalité de l'individu.

«Maman, je te présenteDoudou21, qui est beaucoup plus gentil queRoro lamalicequetuavaispourtantadoré».Misterbig,élégantnon?ElBello,onsenttoutdesuitelamodestie...J'aiétécontactéeparundénomméGaspacho2000.TutevoisembrasserunGaspacho?Miapartitdansunéclatderire.–Ensuite,ilyacequ'ilsdisentd'euxettun'imaginespascequel'onpeutlire

entrelesfautesd'orthographe,c'estsouventpathétique.–Àcepoint?–Moncuistotn'arrivequedansuneheure,rentrons,jevaistemontrer.Deretouràl'appartement,Daisyseconnectasurlesitederencontresetfitune

démonstrationàMia.–Regardecequ'écritcelui-là:Bonjour, es-tu belle et drôle ? Si oui, je suis là pour toi, drôle aussi, mais

charmeuretpassionné...Ehbiennon,Hervé51,désolée,jesuismocheettriste...Mais franchement, où est-ce qu'ils vont chercher des trucs pareils ? Là,poursuivit-elle,encliquantsurunecase,cesontceuxquisontvenusvisitertonprofil.Une nouvelle fenêtre s'ouvrit, Daisy fit défiler les fiches des candidats au

bonheur.–Celui-cisedéfinitcommeétantcalme,onveutbienlecroire,ondiraitqu'ila

fumé trois pétards avant de se prendre enphoto et dansun cybercafé enplus,c'esttrèsrassurant.Etlui:Jecherchequelqu'unpourmeposer...çasedispensedetoutcommentaire,non?

Ellepassaàlafichesuivante.–Ilal'airpasmal,ditMia.Jamaismarié,aventureux,cadre,aimelamusique,

alleraurestaurant...–Tuvastropvite,ilfautprêterattentionàtoutcequ'ilaécrit,réponditDaisy

enpointantune ligne :Je teparieunpaquetdeSchoko-bonsque tu lirasmonannoncejusqu'aubout.GardesurtouttesSchoko-bons,Dandy26.–Etlà,qu'est-cequec'est?enchaînaMia.–Ledossierdesprofils sélectionnéspar lesite.Enfonctiondeceque tuas

dévoilédetoi,desalgorithmesdecompatibilitéproposentdesrencontres.C'estlaversioninformatiséeduhasard.–Montre-moi!D'autres profils s'affichèrent, dont certains provoquèrent de grands éclats de

rire.Mias'arrêtasurl'und'entreeux.–Attends,celui-ciestintéressant,regarde!Miasepenchasurl'écran.–Mouais.–Qu'est-cequinevapasaveclui?–Romancier...–Etalors,cen'estpasundéfaut.–Encorefaudrait-ilsavoircequ'ilapublié.Lestypesquiprétendentécrireet

ensontencoreàtaperlapremièrepagedeleurromanenpassantleursjournéesdans un café, ceux qui ont suivi dix cours de comédie et se croient sortis del'Actor's Studio ou ceux qui grattent une guitare et se prennent pour Lennon,recherchenttouslabonnepoireaucrochetdelaquelleilspourrontvivrependantqu'ilsréfléchissentàleurcarrièred'artiste...etilssontnombreux.–Tuvoislemalpartout, jetetrouvetrèsdure,etpourtagouvernej'aisuivi

descoursdecomédie.–Peut-être,maismoij'aifréquentéquelques-unsdecesloustics.Quoique,je

leconcède,tonécrivainal'airsympathiquesurcettephoto,avecsestroisbarbesàpapadanslamain...Ildoitavoirtroisenfants!–Ouilesttrèsgourmand!– Tout ça ne visant qu'à préparer un rôle hypothétique, je retourne au

restaurant.Jedoispréparerleservicedemidi.–Attendsencoreune seconde.Lapetite enveloppeet lapetitebulle sous la

photo,àquoiservent-elles?– L'une contient le courrier qu'il t'envoie, l'autre, si elle est verte, t'invite à

converserdirectementaveclui.Maisnet'amusepasàcela,surtoutdepuismon

ordinateur.Làaussi,ilyadescodesetdesusagesàrespecter.–Lesquels?–S'iltedonnerendez-vousdansuncafélesoir,c'estqu'ilespèrecoucheravec

toietdînerensuite.Dansunrestaurant,c'estmeilleursigne,mais il fautsavoirtrèsviteoù il habite.Àmoinsde cinqcentsmètresdu lieuoùvousvous êtesretrouvés,celaenditlongsursesintentions.S'ilneprendpasd'entrée,c'estunradin,s'ilcommandepourtoi,unsuperradin,s'ilneparlequedeluipendantlepremierquartd'heure,prends tes jambesà toncou,s'ilparledesonexdans lapremièredemi-heure, ilestenconvalescence,mêmepunition,s'il teposepleinde questions sur ton passé, c'est un jaloux, s'il te questionne sur tes projets àcourtterme,ilveutsavoirsitucoucherasavecluilesoirmême.S'ilconsultesonportable,ilestsurplusieurscoupsàlafois.S'ilteparledesonmaldevivre,ilcherchesamère,s'iltefaitremarquerqu'ilacommandéuntrèsgrandvin,c'estunfrimeur,s'ilveutpartagerl'addition,tuestombéesurunvraigentleman,ets'ilaoubliésacartedecrédit,unpique-assiette.–Etnous,qu'est-cequenousdevonsfaire,direounepasdire?–Nous?–Toi!–Mia,j'aidutravail,NOUSenreparleronsplustard.Daisyselevaets'éloigna.–Pasdeconneriesavecmonordinateur,hein,cen'estpasunjeu.–L'idéenem'avaitpaseffleurél'esprit.–Finalement,tumensmal.Laportedel'appartementsereferma.

6.

Sonéditeur luiavait téléphonéausautdu litpour l'entretenird'unenouvelleimportante.Refusantd'endireplus,ilexigeaitdelevoirauplusvite.GaetanoCristonelin'avaitjamaisproposéàPauldeprendreunpetitdéjeuner

aveclui,etencoremoinsqu'ilsserencontrentavant10heuresdumatin.Gaetano était un éditeur aussi rare qu'original.Unhomme érudit, passionné

par son métier et qui, bien qu'italien, avait jeté son dévolu sur les lettresfrançaises.À la fin de son adolescence, si tant est qu'elle eût pris fin un jour,alors qu'il était en vacances à Menton, la lecture de La Promesse de l'aube,dénichéedanslabibliothèquedelamaisonquelouaitsamère,avaitdécidéducoursde savie.Gaetano entretenait des rapportsplusque conflictuels avec samère et ce roman avait été pour lui commeune planche de salut. La dernièrepage tournée, tout fut clair pour lui, sauf sa vue, troublée des larmes qu'avaitprovoquéeslasupercherieaimantedelamèredeGary.Gaetanoconsacreraitsonexistence à la lecture et il n'habiterait nullepart ailleursqu'enFrance.Étrangeclin d'œil du destin, les cendres deRomainGary furent dispersées des annéesplustard,àl'endroitmêmeoùGaetanotombaitamoureuxdeslivres.Luiyvoyaitunsigneindéfectibledelajustessedeseschoix.Entré comme stagiaire dans une maison d'édition parisienne, il vécut

fastueusement,carsouslacouped'unefemmericheetdedixanssonaînée.Elleavait fait de lui son amant. De nombreuses conquêtes lui succédèrent, toutesaussifortunées,maisd'unécartd'âgemoindreaufuretàmesurequepassaientles années.Gaetanoplaisait aux femmes, son éruditionn'y était pas étrangère,mais peut-être également le fait qu'il ressemblait de façon troublante àMastroianni, cequi, l'onenconviendra, étaitunatoutconsidérabledans laviesexuelle d'un jeune homme. Original et érudit, donc, et il fallait beaucoupd'originalité et de talent pour être italien et publier en France un auteuraméricain.Entre autres singularités, si Gaetano lisait en français avec la même acuité

d'espritquedanssalanguenatale,s'ilétaitcapablederepérerunecoquilleisoléedans unmanuscrit de cinq cents pages, à l'oral, il avait unmal fou à ne pasmélangerlesmots,parfoismêmeàs'interdired'eninventer.D'aprèssonanalyste,c'étaitenfaitlefruitd'uncerveaupensantplusvitequelaparole,cequeGaetanoavaitaccueillicommeuneLégiond'honneurdécernéeparDieu.

À 9 h 30,GaetanoCristoneli attendait Paul, auxDeuxMagots, devant une

assiettedecroissants.–Riendegrave?s'inquiétaPaulenprenantplace.Leserveurluiapportauncafécommandéparsonéditeur.–C'est-à-dire,moncherami,ditGaetanoenouvrantgrandlesbras,quej'aieu

cematinàl'aubeunappeltoutàfaitextraordinaire.Gaetanoavaitajoutétantdeoà«extraordinaire»,quePauleut le tempsde

boiresonespressoavantqu'ilaitachevédeprononcerlemot.–Vousenvoulezpeut-êtreunautre?ajoutal'éditeur,étonné.Voussavezque

chez nous, le café se boit en deux, voire trois gorgées, même le ristretto. Lemeilleurestaufonddelatasse,maisrevenonsàcequivousconcerne,moncherPaolo.–Paul.– C'est ce que je viens de dire. Donc, nous avons reçu ce matin un appel

fooooooooooormidable.–J'ensuisheureuxpourvous.–Nousavonsvendu,enfin,ilsontvendutroiscentmilleexemplairesdevotre

romansurlestribulationsd'unAméricainàParis.C'estre-mar-quable!–EnFrance?–Ahnon,ici,nousensommesàseptcentcinquanteexemplaires,maisc'est

toutaussimagestique.–EnItalie?–Vunosscores,ilsn'ontpasencorevoululepublier,maisnevousinquiétez

pas,cesimbécilesfinirontparchangerd'avis.–EnAllemagne,alors?Gaetanorestasilencieux.–L'Espagne?–Lemarchéespagnolsubitlacrisedepleinfouet.–Alorsoù?–Ehbien,àSéoul,enfinenCorée,voussavez,justeendessousdelaChine.

Votre succès là-bas ne cesse de grandir. Vous vous rendez compte, trois cent

milleexemplaires,c'estabsolumentdétonant.Nousallonsimprimerunbandeauicipourinformerleslecteurs,etleslibrairesnaturellement.–Parcequevouspensezquecelachangeraladonne?–Non,maisçanepeutpasfairedemal.–Vousauriezpum'annoncercelaautéléphone.–J'auraispueneffet,maisc'estqu'ilyaautrechosedetoutàfaitrapatant,et

là,jevoulaisvousvoirenpersonne.–J'aieuleprixdeFlorecoréen?–Maisnon!LecafédeFloreaouvertenCorée?Commec'estoriginal.–UnbonpapierdansleEllecoréen?– Peut-être,mais je ne lis pas le coréen, de sorte que je ne peux pas vous

renseigner.–Bon,Gaetano,quelleestcetteautrenouvellerapatante?–VousêtesinvitéauSalondulivredeSéoul.–EnCorée?–Ehoui,enfin,oùvoulez-vousqueSéoulsetrouve?–Àtreizeheuresd'aviond'ici?–N'exagérezpas,àpeinedouze.–C'esttrèsgentil,maisçanevapasêtrepossible.–Etpourquoicela?rétorquaGaetanoenagitantànouveaulesbras.Paulsedemandasicequil'effrayaitleplusétaitl'avionoul'idéederetrouver

Kyong sur son territoire. Ils ne s'étaient jamais vus ailleurs qu'à Paris où ilsavaientleursrepères.Queferait-ildansunpaysdontilneparlaitpaslalangue,neconnaissaitrienauxusages,commentréagirait-ellefaceàsonignorance?Uneautreraisonétaitqueleprojetd'allerunjourvivrelà-basavecellefaisait

figure d'ultime refuge. Refuge ou peut-être chimère, mais c'était justement cequ'ilnesouhaitaitpaséclaircir.Fallait-ilconfrontersesrêvesàlaréalité,aurisquedelesvoiranéantis?–Kyongestunocéandansmavieetmoiunhommequiapeurdenager,c'est

grotesque,n'est-cepas?–Ah,non,pasdutout,c'estunetrèsjoliephrase,mêmesijen'aiaucuneidée

de ce qu'elle signifie. Vous pourriez commencer un roman ainsi. C'est trèsintrigant,onaimmédiatementenviededécouvrirlasuite.–Jenesuispassûrqu'ellesoitdemoi,jel'aipeut-êtreluequelquepart.–Ah,danscecas!Revenonsànoschersamiscoréens, j'aipuvousobtenir

uneécopremium.Delaplacepourlesjambesetunsiègeinclinable.–Justement,enavion,cesontlesinclinaisonsquejedéteste.

– Qui aime ça, je vous pose la question ?Mais c'est quand même le seulmoyendes'yrendre.–Jen'iraipas.–Moncherauteur,etvoussavezcombienvousm'êtescheraveclesavances

quejevousverse,cenesontpasdevosroyaltieseuropéennesquenousallonsvivre.Sivousvoulezquejepublievotreprochainchef-d'œuvre, ilfautm'aiderunpeu.–EnallantenCorée?– En allant à la rencontre des lecteurs qui vous lisent. Vous serez accueilli

commeunestar,ceseramaginifique.–Maginifiqueourapatant,çaneseditpas!–Maissi,puisquejeviensdeledire!–Jenevoisqu'unseulmoyen,soupiraPaul.Jeprendsunsomnifèredansle

salond'attente, vousmepoussez en fauteuil roulant jusqu'àmon siège et vousmeréveillezàl'aéroportdeSéoul.– Je ne crois pas que les éco premium aient accès au salon d'attente, et de

toutefaçon,jenepeuxpasveniravecvous.–Vousvoulezm'yenvoyerseul?–J'aidesrendez-vousàcesdates-là.–Quellesdates?–Danstroissemaines,vousaveztoutàfaitletempsdevouspréparer.–Impossible,répliquaPaulenopinantdelatête.Bienque les tablesvoisines fussent inoccupées,Gaetanosepenchaversson

auteuretsemitàchuchoter.–Votreavenirsejouelà-bas.SivousconfirmezvotretriompheenCorée,c'est

toutel'Asiequenousseronsenmesured'intéresseràvosécrits.PensezauJapon,à la Chine, et si nous nous débrouillons correctement, nous pourrions mêmeconvaincre votre éditeur américain de surfer sur la vague. Une fois que vousaurezvraimentpercéauxÉtats-Unis,vousferezuntabacenFrance,lescritiquesvousadoreront.–Maisj'aipercéauxÉtats-Unis!–Avecvotrepremierroman,cependant,depuis...– Je réside en France ! Pourquoi devrais-je passer par l'Asie et l'Amérique

pourqu'onlisemeslivresàNoirmoutierouàCaen?–Entrevousetmoi, jen'enaipas lamoindre idée,pourtantc'estainsi.Nul

n'estprophèteensonpays,etencoremoinsunétranger.Paulpritsatêteentrelesmains.IlsongeaauvisagedeKyong,souriantàson

arrivée à l'aéroport, se vit avancer vers elle avec la désinvolture du voyageuraccompli. Il imagina son appartement, sa chambre, son lit, se remémora lesgestes qu'elle faisait en se dévêtant, l'odeur de sa peau, rêvant à quelquestendressesentreeux.Etd'uncoupd'unseul,levisagedeKyongserecouvritducalot d'une hôtesse de l'air annonçant des turbulences pendant la durée duparcours.Ilrouvritlesyeuxetfrissonna.–Toutvabien?demandasonéditeur.–Oui,grommelaPaul. Jevaisy réfléchir. Jevousdonneraima réponsedès

quepossible.–Voicivotrebillet, lâchaGaetanoen lui tendantuneenveloppe.Etpuisqui

sait si là-bas, vous ne trouverez pas matière à un formidable roman. Vousrencontrerezdeslecteursparcentaines,ilsvousdirontcombienilsontadorévoslivres, ce sera une expérience encore plus époustiflante que la sortie de votrepremierroman.–Monéditeurfrançaisest italien, jesuisunécrivainaméricainvenuvivreà

ParisetmonprincipallectoratsetrouveenCorée.Qu'est-cequirendmaviesicompliquée?–Vous,mon cher. Prenez cet avion et ne faites pas l'enfant gâté.Tousmes

auteursrêveraientd'êtreàvotreplace.Gaetanoréglal'additionetlaissaPaulseulàlatable.

*

ArthuretLauren le retrouvèrent sur leparvisde l'égliseSaint-Germain-des-Prés,unedemi-heureaprèsqu'illeseutappelés.–Qu'est-cequ'ilyadesiurgent?interrogeaArthur.–J'aienfinlapreuvequeledestinadel'humour,réponditPaul,laminegrave.IlentenditLaurenpoufferderrièresondosetseretourna.Ellepritunairtrès

concerné.–J'aiditquelquechosededrôle?–Non,j'attendaislasuite.–Àmoinsqu'ilnesoitcruel,enchaînaPaul,résigné.EtLaurenpouffadeplusbelle.–Tupourraissignaleràtafemmequ'ellem'agace,grognaPaulensetournant

versArthur.Il s'éloigna vers le square et se posa sur un banc. Arthur et Lauren le

rejoignirent,s'asseyantchacunàcôtédelui.–C'estsigrave?demandaLauren.

–Ensoi,non,concéda-t-il.Etilfitlerécitdesaconversationavecsonéditeur.ArthuretLaurenéchangèrentunregardpar-dessussonépaule.–Situnelesenspas,n'yvapas,ditArthur.–Ehbien,jenelesenspas,maisalorspasdutout.–Donc,c'estuneaffaireréglée,conclutArthur.–Certainementpas!s'exclamaLauren.–Ahbon?renchérirentlesdeuxhommesenchœur.–Àquoi penses-tu quand tu veux te faire plaisir ?Àunevirée à la laverie

automatique, à une assiette de fromages avec un verre de vin devant la télé ?C'est ça, la vie d'un grand écrivain ? s'emporta Lauren. Comment peux-turenoncer sansmême avoir essayé ? Tu prends plaisir à te décevoir, c'est plusfacileainsi?Àmoinsquequelquechosedeplusimportantnet'arrived'icilà,tuvasmonterdanscet avion.Tu tedonnerasenfin lemoyende savoir ceque turessensréellementpourcettefemmeetcequ'elleéprouvepourtoi.Aumoins,situreviensseul,tun'auraspasàfaireledeuild'unerelationquin'enétaitpasune.– Et toi, tu viendras me consoler dans ma laverie avec un sandwich au

reblochon?ditPaulenricanant.–Tuveuxlavérité,Paul?enchaînaLauren.Arthuraencoreplus la trouille

quetoiquetuparteslà-bas,parcequeladistancequis'estinstalléeentrevousluipèseplusquen'importequoi,parcequetuluimanques,tunousmanques.Maiscomme c'est ton ami, il va te conseiller d'y aller. S'il y a une chance que tonbonheursetrouvesurcetteroute,tudoislasaisir.Paul se tourna versArthur qui,manifestement à contrecœur, acquiesça d'un

mouvementdetête.– Trois centmille exemplaires d'un seul demes romans, c'est quandmême

quelque chose, n'est-ce pas ? siffla Paul en lorgnant deux pigeons quil'observaientd'undrôled'air.Rapatant!commediraitmonéditeur.

*

Elleétaitassisesurunbanc,lesyeuxrivéssurl'écrandesontéléphonedepuisqu'ilavaitsonnéunedemi-heureplustôt.Ellen'avaitpasprisl'appel.Lecaricaturisteabandonnasachaiseetvints'asseoirprèsd'elle.–Cequiestimportant,c'estdeprendreunedécision,affirma-t-il.–Quelledécision?–Cellequivouspermettradevivreauprésentau lieudevousdemanderde

quoiseraconstituél'avenir.

–Ah,oui, jevois...vosgrandes théories ! Jesaisquevoussouhaitezm'êtreagréable, et c'est trèsgénéreuxdevotrepart,maiscen'estpas lemoment. J'aibesoinderéfléchir.–Sijevousinformaisquedansuneheurevotrecœurs'arrêteraitdebattreet,

jevousenprie,prenezcequejevousdistrèsausérieux,queferiez-vous?–Vousêtesvoyant?–Répondezàmaquestion !ordonna lecaricaturisted'un tonautoritairequi

terrifiaMia.– Je téléphonerais à David pour lui dire que c'est un sale con, qu'il a tout

gâché,queplusrienneseracommeavant,quejeneveuxpluslerevoir,mêmesijel'aimeetquejevoulaisqu'ilsacheçaavantquejenemeure.–Vous voyez, enchaîna le caricaturiste d'une voix adoucie, ce n'était pas si

difficile.Appelez-le,répétez-luiexactementcequevousvenezd'exprimer,saufladernièrephrase...parcequejen'aiaucundondevoyance.Etsurcesmots,lecaricaturisteretournaàsonchevalet.Mialuicourutaprès.– Et s'il changeait, s'il redevenait l'homme que j'ai connu quand nous nous

sommesrencontrés?–Vousallezcontinueràlefuiretàsouffrirensilence?Jusqu'àquand?–Jel'ignore.–Celavousplaît,devousmettreenscène,n'est-cepas?–Qu'est-cequevousentendezparlà?–Vousm'aveztrèsbiencompris,etneparlezpassifort,vousallezrepousser

mesclients.–Iln'yapersonneàpartnous!hurlaMia.Lecaricaturistebalayalaplaceduregard.Iln'yavaitpasgrandmonde.Ilfit

signeàMiadeserapprocher.–Cetypenevousméritepas!chuchota-t-il.–Qu'est-cequevousensavez,jesuispeut-êtreinvivable.–Pourquoi les filles tombent-elles raidesamoureusesd'hommesqui les font

souffrir et traitent avec indifférence ceuxqui seraient prêts à leurdécrocher lalune?–Ah,jevois...parcequevous,vousêtesdugenreamiPierrot.–Non,maisparcequemafemmeétaitcommevousquandjel'airencontrée.

Éperdued'unbellâtrequi lui tordait lecœur.Parcequ'il luiaurafalludeuxanspourlecomprendreetcesdeuxannéesperduesmerendentencorefouderage,carnousaurionspulesvivreensemble.–Etalors,cen'estpassigrave,deuxans.Quelleimportance,puisquel'histoire

s'estbienfinie.–Posez-lui la question, vousn'avezqu'à descendre la rueLepic, elle est au

cimetièredeMontmartre,c'estjusteenbasdelaButte.–Pardon?–Unebelle journée,commecelle-ci, jusqu'aumomentoùuncamionnousa

coupélaroute,nousétionsàmoto.–Jesuisdésolée,murmuraMiaenbaissantlesyeux.–Nelesoyezpas,cen'estpasvousquiconduisiez.Miahochalatête,reculaetrepartitverssonbanc.–Mademoiselle!–Oui,dit-elleenseretournant.–Chaquejournéecompte.Elle descendit une ruelle en escalier, s'assit sur une marche, composa le

numérodeDavidetobtintsamessagerie.– C'est fini, David, je ne veux plus te revoir parce que... qu'est-ce que je

t'aime...merde,c'étaittellementmieuxsurlebanc,lesmotsvenaienttoutseuls...Cesilenceestgrotesque,tut'eslancée,enchaîneidiote...parcequetumerendsmalheureuse, tu as tout gâché, et je voulais que tu le saches avant que...maisqu'est-cequejet'aime...Elle raccrocha, se demanda si on pouvait effacer un message à distance,

inspiraungrandcoupetrappela.– Bientôt je rencontrerai un Pierrot, ce que je raconte n'a aucun sens...

Seigneur, je n'ai pas dit ça à voix haute ?... Un homme qui aura envie dedécrocherlalunepourmoietjenenousferaipasperdreuneminuteàcausedemes sentiments pour toi.D'ailleurs, je vais les effacer, comme tu effaceras cemessage...arrête,là,tudevienspathétique...nemerappellepas...oualorsdanslescinqminutespourmedirequetuaschangéetquetuarrivesparlepremiertrain... non, par pitié ne me rappelle pas... Nous nous reverrons à l'avant-première,chacun jouerason rôle,après tout,c'estnotremétier...ça,c'estbien,professionnelle et déterminée. Stop, n'ajoute rien, c'était parfait... bon, je vaisraccrochermaintenant, totalement inutiled'avoirajouté ça...Aurevoir,David.C'étaitMia...

Elleattenditdixminutes,avantdeserésigneràrangersontéléphonedansla

pochedesonimperméable.Le restaurant était situé à quelques rues.En chemin, et le cœur lourd, il lui

semblaquesespass'allégeaient.

*

–Le jouroù jepourraim'offrirunséjouràLondres,necomptepassurmoipourperdremontempssurunplateaudetournage,lançaDaisyenvoyantentrerMia.Qu'est-cequetufichesici?tuferaismieuxd'allertepromener!–Tuasbesoind'uneserveuse,àmidi?Sansluirépondre,Miaserenditencuisine,Daisyluiôtadesmainsletablier

qu'ellenouaitautourdesataille.–Tuveuxqu'onparle?–Pasmaintenant.Daisyrepritplacederrièresesfourneauxet tendit lesassiettesàMia.Ilétait

inutiledeluiindiquercommentaccomplirsatâche,uneseuletableétaitoccupée.

*

Aprèsledéjeuner,PaullaissaArthuretLaurenflânerdansParis.Ilfaisaitunelecture dans une librairie du IXe en début de soirée et avait refusé de leurindiquerlaquelledepeurqu'ilsviennentlesurprendre.Il leurconfiaundoubledesclésdesonappartementetleurdonnarendez-vouslelendemain.Arthur conduisit Lauren dans le quartier où il avait vécu et lui montra en

chemin la fenêtrede sonancienstudio. Ilsprirentuncafédans lebistrotoù ilavaitsisouventpenséàelleavantquelavienelesréunisse.Leurpromenadesepoursuivitlelongdesberges.Enfin,ilsrentrèrentchezPaul.Lauren, épuisée, s'endormit sans manger. Arthur l'observa un moment, et

empruntasonordinateur.Aprèsavoirlusoncourrier,ilréfléchitlonguementauxpropos que Paul et Lauren avaient échangés dans le petit square de Saint-Germain-des-Prés.Sansnuldoute,lebonheurdesonamid'enfancecomptaitplusquen'importe

quoid'autre,sansnuldoute,ilétaitprêt,pourlui,àtouslessacrifices,ycomprisdelevoirpartirauboutdumonde.MaiscetteKyongn'étaitcertainementpaslaseule à être capable de le rendre heureux. Une rencontre imprévue contre unocéan,voilàquivalaitpeut-êtrelapeined'enappeleràlachance.Luirevintenmémoire l'histoire d'un vieillard entrant un jour dans une église pour blâmerDieudenel'avoirjamaisaidéàgagnerauLoto,paslemoindrepetitgainalorsqu'il était sur le point de fêter ses quatre-vingt-dix-sept ans, quand, surgissantd'unraidelumièrecéleste,lavoixdeDieuluirépondit:«Achèteaumoinsunefoisunbilletetnousenreparlerons.»

Cequisuivitfutprobablementlaplusgrossefacétiequ'ArthuraitjouéeàPaulentrenteannéesd'amitiéindéfectible,maisellenefutguidéequepardebonnesintentions.

7.

Daisyn'avaitaucuneidéedel'heureàlaquelleelles'étaitendormie,maiselleétaitcertainequelajournéeseraitlongue.Elleessayadesesouvenirdecequ'ilrestaitdanslachambrefroidedurestaurant,pourestimers'il luifallaitallerounon faire lemarché et décida que dans son état, seul un rabe de sommeil luipermettraitdesurvivre.À10heures,ellerouvritunœil,juraausautdulit,juraenselavant,juraens'habillant.Ellejuraittoujoursenquittantsonappartementet lesvoisins l'entendirentencorejurer tandisqu'elleremontait larueàcloche-piedtoutenenfilantseschaussures.Laveilleausoir,Miaavaitétéintarissable.ElleavaitretracésonhistoireavecDavid,depuislejourdeleurrencontrejusqu'àl'appeltéléphoniquequiyavaitmisunterme.Mias'éveillasouscettepluiedejuronsetn'osaapparaîtrequ'unefoisl'orage

passé.Elletraînadansl'appartement,allumal'ordinateur,renonçaàliresesmails,le

fit quandmêmeetdécouvrituncourrieldeCreston.Courrieldesplus simplesquilasuppliaitdeluidonnerdesesnouvelles.Par jeu et uniquement par jeu, elle se rendit sur le site de rencontres. N'y

voyant riend'amusant, juste avantde sedéconnecter, elle consulta cedrôlededossieroùlesmathématiquessuppléaientauhasard.Lafiched'unseulcandidatapparutetMiafutpresquecertained'avoirdéjàvusonvisage.L'avait-elledéjàcroisé dans le quartier ? Il ne s'était affublé d'aucun pseudonyme vulgaire ouprétendumentdrôle.Elle se surprit à trouver sonvisage agréable et fut encoreplus étonnée de voir clignoter la petite enveloppe sous sa photographie. Lemessagequi luiétaitdestinéne ressemblaiten rienàceuxqu'elleavaitpu lirequandDaisyl'avaitinitiée.Letexte,simpleetcourtois,lafitmêmesourire.

J'étaisunarchitectevivantàSanFrancisco,j'aieulafolleidéed'écrireunromanquifutpublié.Je

suisaméricain,nuln'estparfait,vivantdésormaisàParis.Jecontinued'écrire.Jenem'étais jamaisinscrit surunsitede rencontreset j'ignore toutdecequ'il fautdireounepasdire.Vousêteschefcuisinière,c'estun jolimétier,nousavonsencommundepassernos joursetnosnuitsà l'ouvragepourpartagerlefruitdenotretravail.Qu'est-cequinouspousseàcela, jen'ensaisrien,maisquel

bonheurd'essayerdereleverceparifoud'œuvrersansrelâchepourleplaisirdesautres.Jenesaispasnon plus quelle sorte d'audace m'incite à vous écrire, ni si vous me répondrez. Pourquoi lespersonnagesderomansauraientplusdecouragequenous?Pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?Est-ce leur libertéquiestà la sourcede leuraccomplissement?Cesoir, j'iraidînerchezUma, un restaurant rue du 29 Juillet. J'ai lu que le chef y préparait une daurade cuite au four etparfuméed'herbesduboutdumondeauxsaveursinouïes,etpuisj'aimebienlaruedu29Juillet,ilyfait souvent beau. Si l'expérience culinaire vous tente, vous êtes mon invitée, en tout bien touthonneur.

Cordialement.Paul

Mia referma le courrier, comme s'il lui avait brûlé les yeux qu'elle gardait

pourtant rivés sur l'écran.Elle se retint,presque frappéed'interdit,maisneputrésisterlongtempsaudésirdelerelire.Sisamèreapprenaitunjourqu'elleavaitneserait-cequesongéàserendreàuneblinddate,ellelacrucifierait,etCrestonsejoindraitàellepourastiquerlesclous.Pourquoilespersonnagesderomanauraientplusdecouragequenous?Combienderôlesavait-elleinterprétésenrêvantàlalibertéqu'ilsluioffraient.

CombiendefoisDavidluiavait-ilrappeléquelepublicnes'éprenaitpasd'ellemaisdesonpersonnage,ajoutantquesi lesgens la fréquentaientdans lavraievie,ilsdéchanteraient.Pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?Elle imprima la lettre et la plia en quatre. Chaque fois qu'elle viendrait à

douterouàmanquerdecouragepourdireoufairecedontelleavaitenvie,elleréciteraitceslignes.Est-celeurlibertéquiestàlasourcedeleuraccomplissement?Cethommeavaitraison...etpourquoipas!Sesdoigtsseposèrentsurleclavier.

CherPaulJ'aibeaucoupaimévotrelettre.Moinonplus,jen'avaisjamais,jusqu'àcesderniersjours,visité

cegenredesite.Jecroismêmequejemeseraismoquéed'uneamiesiellem'avaitconfiéavoirparcebiaisacceptédedîneravecuninconnu.Vousaveztouchédudoigtquelquechosedesivrai.Est-celaliberté que s'accordent les personnages de fiction qui nous fait tant rêver, ou la façon dont cettelibertélestransforme,pourquoiosent-ilstoutetnoussipeudechoses?(Pardonpourlarépétition,jenesuispasécrivain.)

Àdéfautdelescôtoyerdanslaréalité, jeseraisheureusedediscuteravecl'undeceuxqui leurdonnentvie.Vousdevezprendreunplaisirfouàleurfaireaccomplirtoutcequebonvoussemble.Àmoins que de temps à autre, ce ne soient eux qui vous imposent leur loi ?Vous êtes sans douteoccupé,autants'entretenirdeceladevivevoix.

Àcesoir,entoutbientouthonneur.MiaPS:Jesuisanglaise,etloind'êtreparfaite.

*

–Alorslà,tum'asscotchée!s'exclamaLauren.Elleattenditqueleserveurs'éloigne,butsalimonaded'untraitets'essuyala

bouchedureversdelamain.–Malettren'étaitpasmaltournée,n'est-cepas?– Suffisamment pour qu'elle y réponde. Tu es vraiment prêt à tout pour

l'empêcherdepartirenCorée,maistuastort.–C'esttoiquiesàl'initiativedecepetitjeu.–Maisc'étaitavantlerendez-vousavecsonéditeur...–Qu'ilyailleàsonSalondulivre,cequejeveux,c'estqu'ilenrevienne.–...avantqu'ilnousparledel'autreraisondecevoyage.–Raisondeplus!–Etcommentcomptes-tuleconvaincredeserendredanscerestaurant?–C'estlàquej'aibesoindetoi.–Tuastoujoursbesoindemoi.– Je vais inventer un dîner avec une cliente importante et lui demander de

venirenrenfort.–Iln'exerceplusdepuisseptans,enquoipourrait-ilt'êtreutile?–Lalangue,peut-être?–Tuparleslefrançaisaussibienquelui,sicen'estmieux.–Paris,ilconnaîtbienleterrain.–Etpourquelprojet?–Bonnequestion,autantnepasêtreprisaudépourvuquandilmelaposera.–Tun'asqu'àdirequec'estunrestaurant.–Pasassezimportantpourintéressernotreagenceàunetelledistance.–Untrèsgrandrestaurant?–Non,maispourquoipasuneenseigneaméricainequis'implanteraitàParis.–C'estcrédible?–Jesais!LeSimbadauraitdécidéd'ouvririci,c'estsonrestaurantpréféréà

SanFrancisco.–Etquelseramonrôledanscettehistoire?–Sijevaisseulaufront,ilrisqued'avoirdesdoutes,ouderefuser,maissitu

insistes,alorspourtoi,ilacceptera.–Unvraicouptorduetunesérieuseingérencedanssavie.–Peut-être,maisc'estpoursonbien,etenmatièred'ingérence, j'aiducrédit

avecvousdeux,situvoisàquoijefaisallusion.–Tunevaspasnousreprocherdet'avoirsauvélavie?

–Ehbien,moiaussi,jevaisluisauverlavie,iln'auraaucuneraisondemelereprocher.–Ohsi,àlasecondeoùilserendracomptequetul'asmenéenbateau.Etle

restedelasoiréeseraunenfer.Qu'est-cequ'onsediraàtable?–Nous,rien,puisquenousn'yseronspas!–Tucomptesl'envoyerdînerseulavecuneinconnuequiaacceptéunrendez-

vous sur un site de rencontres, quand lui croira parler architecture avec unecliente?Laurenéclataderire.–J'aimeraistellementvoirça,dit-elle.–Moiaussi,maisnepoussonspaslebouchon.– Ça nemarchera jamais, ils comprendront avant que les entrées ne soient

servies.– Peut-être.Mais s'il y avait une chance que ça fonctionne,même infime ?

Combiendefoisas-tutentél'impossibleaublocopératoire,làoùtoutlemondetepressaitderenoncer?– N'essaie pas de me prendre par les sentiments. J'ignore si ce que nous

sommesentraindefaireestdégueulasseouhilarant.–Probablementlesdeux!Saufsiçafonctionne.Laurendemandal'additionauserveur.–Oùva-t-on?repritArthur.–Boucler nos valises et chercher un hôtel, je crains que demain il ne nous

metteàlaporte.– Très bonne idée. Levons le camp dès ce soir, je t'emmène visiter la

Normandie.

*

Paultrouvaunpeucavalierqu'Arthuraitréservésoussonnom,ettrèsagaçantd'êtrelepremierarrivé.Laserveusel'installaàunetabledequatreoùseulementdeux couverts étaient dressés. Il en fit la remarque à la jeune femme quis'éclipsa.Miaarrivapresqueàl'heure,ellesaluaPaulets'assitsurlabanquetteenface

delui.–Jecroyaisquetouslesécrivainsétaientvieux,dit-elleensouriant.–Jesupposequeceuxquinemeurentpasjeunesfinissentparledevenir.–C'étaitunerépliquedeHollyGolightly.–BreakfastatTiffany's.

–Undemesfilmspréférés.–TrumanCapote,jelevénèreetledéteste,lâchaPaul.–Pourquoicela?–Autantdetalentpourunseulhomme,ilyadequoivousrendrejaloux.Il

auraitpupartagerunpeuaveclesautres,vousnetrouvezpas?–Si,peut-être.–Jesuisdésolé,iln'estjamaisenretard.–Cinqminutes,cen'estpasêtreenretardpourunefemme,réponditMia.–Jeneparlaispasdevous, jeneme le seraispaspermis. Jenesaispasce

qu'ilsfont,ilsdevraientêtrelà.–Sivousledites...–Pardonnez-moi,jenemesuispasprésenté,Pauletvousvousdevezêtre...–Mia,forcément.– Je préfère les attendre pour commencer les discussions, ce qui ne nous

empêchepasdeparlerd'autrechose.Vousavezunaccent,vousêtesanglaise?–C'estindéniable.Jevousl'avaisécritenpost-scriptum.–Ah,ilnemel'apasdit!Etmoi,américain,maisnouspouvonscontinuerà

converserdanslalanguedeMolière,lesFrançaisonthorreurqu'onparleanglaischezeux.–Alorsparlonsfrançais.–Loindemoil'idéedevouseffrayerendisantcela, lesFrançaisadorentles

restaurantsétrangers.Etc'estuneexcellenteidéed'enouvrirunàParis.–Macuisineestplutôtprovençale,répliquaMiaenchaussantlessouliersde

Daisy.–Vousnecomptezpasresterfidèleàl'original?–Vousn'imaginezpascombienjesuisattachéeàlafidélité.Maisonpeutêtre

fidèleetoriginaleàlafois.–Jesupposequeoui,réponditPaul,perplexe.–Qu'est-cequevousécrivez?–Ilvousenaparlé?Iln'auraitpasdû.Desromans,maiscelanem'empêche

pasdecontinuerd'exercer.–L'architecture,c'estbiencela?– Sinon, que ferais-je ici ? répondit Paul, suscitant un certain trouble chez

Mia.Qu'est-cequ'ilvousaracontéd'autre?–Ilparledeluiàlatroisièmepersonne,ilfallaitqueçatombesurmoi!–Vousdisiezquelquechose,maisjen'aipasentendu,repritPaul.–Rien,désolée,celam'arriveparfois,jeparletouteseule.

Paulluiadressaunlargesourire.–Jepeuxvousfaireuneconfidence?–Sivousytenez.–Moiaussi,ilparaîtquejeparletoutseul,ilsmel'ontfaitremarquer.Demon

côté,jepeuxvousassurerquejenemanqueraipasdeleurfaireremarquerleurretard.Jesuisvraimentconfus.–Pasautantquemoi,affirmaMia.– Quel manque de professionnalisme, je vous assure que cela ne leur

ressemblepas.–Etilestfouenplus...maisqu'est-cequejefaislà?–Elleradote,c'esteffrayant,jevaistuerArthuretledécouperenmorceaux,

jesuistropbon,çameperdra.Maisqu'est-cequ'ilsfont,bonsang?–Vousaussi,vousvenezdemurmurer,ditMia.–Non,jenecroispas,vousenrevanche...– Ce n'était peut-être pas une bonne idée, comme je vous l'ai dit, c'est la

premièrefoisetc'estbienplusgênantquejenelepensais.–C'estvotrepremier séjouràParis?Vousvousexprimezvraimentbienen

français,oùl'avez-vousappris?– Je ne parlais pas de ça. Ce n'est pas du tout mon premier séjour, ma

meilleure amie est française, nous nous sommes connues enfants, elle venaitdansma familleapprendre l'anglais, etpuisce futmon tourd'allerpassermesvacanceschezelle,enProvence.–D'oùlacuisineprovençale?–Voilà.Unsilences'installa,quelquesminutesàpeine,maisquileursemblèrentune

éternité.Laserveuserevintaveclesmenus.– Si ça continue, nous allons commander sans eux, s'exclama Paul, ça leur

apprendra.–Jecroisquejen'aiplustrèsfaim,ditMiaenreposantlacarte.–C'estdommage,lacuisineestdélicieuse,j'ailudetrèsbonnescritiquessur

cetendroit.–Unedauradecuiteaufeuavecdesherbesduboutdumonde,vousmel'avez

écrit.–Quandvousai-jeécritcela?demandaPaulenécarquillantlesyeux.–Vousprenezdesmédicaments?–Non,pourquoi,etvous?–Jecomprends,soupiraMia,c'estunnuméropourmefairerireouessayerde

medétendre,maisnevousdonnezpascettepeine,parcequecelanemarchepasetcelam'effraieplutôt.Maintenantque j'aicompris,çavaaller,mais s'ilvousplaît,arrêtez.–Jen'essayaispasdevousfairerire...Enquoivousai-jefaitpeur?–Bon, ce type est totalement barré.On ne va pas le contrarier, au pire je

commandeuneentréeetdansunquartd'heure,jesuispartie.Vousavezraison,nelesattendonsplus,ilsn'avaientqu'àêtrelà.–Parfait!Commandons,etensuite,vousmeparlerezdevotreprojet.–Quelprojet?–Votrerestaurant!–Jevousl'aidit,cuisineduSud,niçoisepourêtreprécise.–Ah,Nice,quej'aimecetteville,j'yaiétéinvitéàl'occasionduSalondulivre

en juin dernier, il faisait une chaleur terrible, mais les gens étaient trèsaccueillants.Enfin,lesquelques-unsàêtrevenusmefairesignerleurslivres,pastrèsnombreuxpourêtrehonnête.–Vousavezécritcombienderomans?–Six,encomptantlepremier,biensûr.–Pourquoinel'auriez-vouspascompté?– Pour rien, enfin si, je ne savais pas que j'étais en train de l'écrire en

l'écrivant.– Il commence à me faire sérieusement chier avec sa conversation débile.

Vouspensiezêtreentraindefairequoi,alors,despâtéssurlaplage?–Elleesttotalementidioteouellemeprendpourunimbécile?Non,cequeje

voulaisdire,c'estquejen'imaginaispasqu'ilseraitpublié,jen'avaismêmepasentêtedel'envoyeràunéditeur.–Maisilaétépublié?– Oui, Lauren l'a envoyé à ma place, sans m'en demander la permission

d'ailleurs,cequiestuncomble,maisbon,jenepeuxpasleluireprocher.Mêmesijel'aiplutôtmalvécuaudébut,c'estàellequejedoisdevivreici.–Jepeuxvousposerunequestionquirisquedevousparaîtreindiscrète?–Allez-y,jenesuispasobligéderépondre.–Vousvivezloind'ici?–DansleIIIearrondissement.–C'estàplusdecinqcentsmètresdecerestaurant?–NoussommesdansleIerarrondissement,c'esteneffetassezloin,pourquoi?–Pourrien.–Etvous?

–ÀMontmartre.–C'estuntrèsbeauquartier.Bon,cettefoisc'estdécidé,oncommande.Paulappelalaserveuse.–Vapourladaurade?proposaPaulenregardantMia.–C'esttrèslongàcuire,unedaurade?s'enquit-elleauprèsdelaserveuse.Celle-cifitnondelatêteets'enalla.PaulsepenchaversMia,l'airgoguenard.–Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeconcernepasmaissivouscomptez

ouvrirun restaurantdepoissons,vousdevriezvous renseigner sur le tempsdecuissond'unedaurade,reprit-ilenricanant.Cettefois, lesilenceduraunpeuplus longtemps.PaulobservaitMiaetMia

observaitPaul.–Ainsi,vousaimezSanFrancisco,vousyavezvécu?questionnaPaul.–Non,jem'ysuisrendueplusieursfoisdanslecadredemontravail,c'esten

effetunetrèsbelleville,lalumièreyestmagnifique.–Jecroisavoirdeviné!VousavezfaitvosclasseschezSimbadetvousavez

décidéd'importerleurconceptici.–QuiestceSimbad?–Jevaisletuer,jevaislestuertouslesdeux,marmonnaPaul,cettefoishélas

defaçonsuffisammentaudiblepourqueMial'entende.Franchement,etpardondevousdireçaàvous,maisilauraitpuaumoinsêtreprécis.–Cedoublemeurtre,c'étaitausensfiguré,n'est-cepas?–Elleestsotteàsebuter.Qu'est-cequejefaislà,maisqu'est-cequejefaislà

aulieud'êtrechezmoi?Jevousrassure,jen'ail'intentiond'assassinerpersonne,mais avouez que c'est un comble ! Je passe pour qui en face de vous ? Unincompétentquineconnaîtmêmepassondossier?–Parcequejesuisundossier?–Vous le faites exprès ? Pas vous en tant que personne,mais ce qui nous

amèneicitouslesdeux.–Bien,ditMiad'untonfermeenposantsesdeuxmainssurlatable,jepense

que nous nous sommes dit l'essentiel et comme je n'ai pas faim... je crève defaim...vouspourrezdégustercettedauradesansmoi.– Jevousenprie, réponditPaul, confus. J'ai étémaladroit, jevousprésente

encoremesexcuses.Àmadécharge,ilyasilongtempsquejen'aiplusfaitcegenredechoses, ilfautcroirequej'aiperdulamain.Jeluiavaisditquejen'yarriveraispas,j'auraisdûrefuser,etluin'auraitjamaisdûmelaisserseulcommeça,cen'estvraimentpashonnêtedesapart,deleurpartàtouslesdeux.– Vous vivez avec des fantômes ou ces gens dont vous parlez existent

vraiment?–Une timbrée ! Jepasse la soiréeavecuneAnglaisequidébloque, iln'ya

qu'àmoiqu'arrivecegenredechoses.–Vousmurmuriezencore...–Jepensaisàmonex-associé,Arthur,etàsafemmeLauren.Vouscomptiez

bienluiconfierlaconceptiondevotrenouveaurestaurant?–Jenecroispas,répondit-elled'untoncirconspect.– Je peux le comprendre... Je voulais dire, avant ce rendez-vous

catastrophique.–Nonplus.–Maisalors,qu'est-cequevousfaiteslà?–Jusqu'àprésent,j'avaisencoreundoute,maismaintenant,c'estunecertitude,

vousêtesfou.Daisym'avaitprévenue,j'auraisdûl'écouter.–Charmant!JenevoispascommentvotreDaisyauraitpupenserquejesuis

fou,car jeneconnaispasdeDaisy,enfinsi,une,maisc'étaituneambulance1.Oubliez ce que je viens de dire, c'est une trop longue histoire. Qui est cetteDaisy?Paulmarquaunepause,Mian'attendaitplusquelaserveusepourpartir.Ensa

présence,ceténergumènen'oseraitpaslasuivre.Unefoisdébarrasséedelui,ellerentreraitàMontmartre,seprécipiteraitsur l'ordinateur,effaceraitsonprofildece site demalheur et tout rentrerait dans l'ordre. Ensuite, elle irait dîner à LaClamada,parcequ'ellemouraitdefaim.–Pourquoipensez-vousquejesuisfou?interrogeaPaul.–Écoutez,çanemarcherapas,c'étaitunjeu,jeleregrette.Paulpoussaunlongsoupirdesoulagement.– Évidemment ! J'aurais dûm'en douter. Vousme faitesmarcher depuis le

début, vous étiez de mèche ! Alors là, bravo, dit-il en applaudissant. Je suistombédans lepanneau. Ilssontcachésquelquepart,c'estça?Bon, faites-leursigne,jesaisêtrebeaujoueur,vousm'aveztousbieneu.Paul fit un large sourire et se retourna pour scruter la salle à la recherche

d'Arthur et de Lauren, tandis que Mia semblait consternée. Elle se demandacombien de temps elle devrait encore patienter avant que n'arrive ce satanépoisson.–Vousêtesvraimentécrivain?–Oui,dit-ilenluifaisantànouveauface.–Ceci explique peut-être cela. Les personnages qui prennent possession de

l'auteuretfinissentparentrerdanssavie.Jenevousenblâmepas,ilyamême

unpeudepoésiedanscettefoliedouce.D'ailleurs,cequevousm'avezécritétaitcharmant.Maintenant, si vous le voulez bien, je vais vous laisser avec eux etrentrerchezmoi.–Qu'est-cequejevousaiencoreécrit?Miasortitlafeuilledepapierdesapoche,ladépliaetlatenditàPaul.–Vousêtesbienl'auteurdeceslignes?PaullutattentivementletexteetregardaMiaperplexe.–Jereconnaisavoirbeaucoupdepointscommunsaveclui,jepourraismême

avoir rédigéàquelquesmotsprèsceque jeviensde lire,mais jepenseque laplaisanterieaassezduré.–JeneplaisantepasetjeneconnaisnivotreArthurnisafemme!–Jecrainsalorsqu'ilnes'agissed'unecoïncidencetroublante.Aprèstout, je

nesuispasleseulécrivainàParis.Jesupposequevotrerendez-voussetrouvequelquepartdanscettesalle,etmoi,j'aidûmetromperd'endroit,réponditPauld'untonsarcastique.–Maissurlafiche,c'étaitbienvotrephoto!–Quellefiche?–Çasuffit,jevousenprie,c'estassezpéniblecommeça.Cellequevousavez

publiéesurlesitederencontres.–Jen'aijamaisétésurunsitederencontres,qu'est-cequevousmeracontez?

La seule explication possible est que nous ayons chacun rendez-vous avecquelqu'und'autre.–Regardezautourdevous,jenevoispasvotresosie!–Nousnoussommespeut-êtretouslesdeuxtrompésd'adresse?ditPaulense

rendantcomptedel'absurditédecequ'ilvenaitdesuggérer.–Àmoinsquel'hommeavecquij'avaisrendez-vous,nem'ayantpastrouvéeà

songoût,sesoitmoquédemoi,enprétendantêtrequelqu'und'autre?–Impossible,ilfaudraitêtreaveuglepouragirainsi.– Vous êtes courtois, j'avais aimé la franchise de vos mots, vos paroles

auraientpul'êtreaussi.Miaseleva,Paull'imitaetluiattrapalamain.–Rasseyez-vous,jevousenprie.Ildoityavoiruneexplicationlogiqueàtout

cela. J'ignore les raisons de cet imbroglio... ou alors... non, je ne peux pasimaginerqu'ilsaientmontéuncoupaussitordu.–Vosamisinvisibles?–Vousnesauriezpassibiendire,Laurenaunesortededonpourserendre

invisible, àmoinsquecene soitune fatalitéqui lapoursuive.Etcroyez-le, ce

n'estpaslapremièrefoisquej'enferailesfrais.–Puisquevousledites!Maintenant,jevaispartiretvous,promettez-moide

nepasmesuivre.–Pourquoivoussuivrais-je?Mia haussa les épaules. Elle s'apprêtait à quitter la table quand la serveuse

apparut.Ladauradeétaitsublimeetl'estomacdeMiasemitàgargouillersifortquelaserveusesouritenposantleplatdevanteux.–Ilétaittempsquej'arrive!Bonappétit,dit-elleenseretirant.Paulpréparalesfiletsetendisposadeuxdansl'assiettedeMia.Sontéléphone

avaitreçuunmessage,qu'ilmitunpetitmomentàlire.–Cette fois, je vous présente toutesmes excuses, et le plus sincèrement du

monde,déclara-t-ilenleposantsurlatable.–Jelesacceptevolontiers,maisaussitôtcerepasterminé,jem'enirai.–Vousnevoulezpassavoirpourquoijem'excuse?–Pasvraiment,maissivousytenez.–Je reconnaisvousavoirprisepourunefolle, j'aimaintenant lapreuveque

vousnel'êtespas.–Voilàquimeréjouit,bienqu'encequivousconcerne...PaultenditsontéléphoneàMia.MonPaul,Nousavonsvouluprovoquerunpeuledestinet,tul'aurasdeviné,noust'avonsjouéunsacrétour.

J'espèrequetupassesnéanmoinsunebonnesoirée.Jedoist'avouerquelanôtrefutundouxmélangedeculpabilitéetdefousrires.N'espèrepastevengerenrentrantcheztoicarnoussommespartisàHonfleur en fin d'après-midi. Je t'écris d'ailleurs du restaurant où nous dînons. Le poisson estexcellent,leportunvraidécordecartepostalequiaenchantéLauren,etl'aubergeoùnousdormonscesoiral'airtoutaussicharmante.Nousrentreronsdansdeuxjours,peut-êtreplus,selonletempsqu'iltefaudrapournouspardonner.Tudoisfulminer,maisdansquelquesannées,nousrironsdeboncœurensembleenyrepensant,etquisait?SicetteMiadevenaitlafemmedetavie,tunousseraiséternellementreconnaissant.

Ensouvenirdetouteslesblaguesquetum'asfaites,nousvoilàquittes,enfinpresque...Noust'embrassons,ArthuretLaurenMiaabandonnaletéléphonesurlatable,etbutsonverredevind'untrait,ce

quinemanquapasd'étonnerPaul,maisiln'enétaitplusàunesurpriseprès.–Bien,reprit-elle,leboncôtédeschoses,c'estqu'aumoins,jenedînepasen

compagnied'undétraqué.–Etlemauvais?rétorquaPaul.– Vos amis ont un humour des plus douteux, surtout pour les victimes

collatéralesdeleursplaisanteries,toutçaestassezhumiliantpourmoi.

–Si jepeuxmepermettre,celuidenousdeuxquipassepourunvraicrétin,c'estmoi!–Vousaumoins,vousnevousêtespasinscritsurunsitederencontres.Jeme

senspathétique.–J'yaiparfoissongé,confiaPaul.Jevousassurequec'estvrai,jenedispas

celaparcourtoisie,j'auraistrèsbienpulefaire.–Maisvousnel'avezpasfait.–C'estl'intentionquicompte,non?PaulremplitleverredeMiaetluiproposadeporteruntoast.–Etjepeuxsavoiràquoivousvouleztrinquer?–À un dîner que ni vous nimoi ne pourrons jamais raconter. C'est en soi

suffisamment original. J'ai une proposition à vous faire, en tout bien touthonneur.– Si c'est un dessert, je ne suis pas contre, confidence pour confidence, je

meursdefaimetcepoissonétaitassezléger.–Undessertaussi!–Vousaviezautrechoseentête?–Pourriez-vousmeremontrer la lettreque j'auraispuvousécrire, j'aimerais

enrelireunpassage.Mialaluiconfia.– Voilà, c'est exactement cela ! Prouvons-nous que nous sommes plus

courageuxquedespersonnagesdefiction,aumoinsayonsceluidenepasquittercettetableenayantlesentimentd'avoirétéhumiliésl'unetl'autre.Gommonscequivientdesepasser,toutcequenousnoussommesditjusque-là.C'estfacile,ilsuffitpourcelad'appuyersurunetoucheduclavieretletextes'efface.Récrivonslascèneensembleàpartirdumomentoùvousêtesentréedanscerestaurant.Miasouritàl'énoncédelapropositiondePaul.–Vousêtesvraimentécrivain!–Joliephrasepourundébutdechapitre,nouspourrionsenchaîneravecvotre

citationdeTrumanCapote.–Jecroyaisquetouslesécrivainsétaientvieux,répéta-t-elle.–Jesupposequeceuxquinemeurentpasjeunesfinissentparledevenir.–C'étaitunerépliquedeHollyGolightly.–BreakfastatTiffany's.–Undemesfilmspréférés.–TrumanCapote,jelevénèreetledéteste.–Pourquoicela?

–Autantdetalentpourunseulhomme,ilyadequoivousrendrejaloux.Ilauraitpupartagerunpeuaveclesautres,non?–Si,peut-être.–Vousavezaimélecourrierquejevousaiécrit?–Jeluiaitrouvédesqualités,suffisammentpourêtreicicesoir.– J'ai passé des heures devant mon écran pour accoucher de ces quelques

lignes.–Etmoi,sûrementtoutautantpourvousrépondre.–J'auraigrandplaisiràrelirelemessagequevousm'avezlaissé.Ainsi,vous

avezunrestaurantdecuisineprovençale?C'estoriginalpouruneAnglaise.– J'ai passé tousmes étés enProvence, les souvenirs d'enfance forment nos

goûtsetnosenvies,enfinjelecrois.Etvous,oùavez-vousgrandi?–ÀSanFrancisco.–Commentunécrivainaméricaindevient-ilparisien?–C'estunelonguehistoire,jen'aimepasparlerdemoi,c'estennuyeux.–Moinonplus,jen'aimepasbeaucoupparlerdemoi.–Alorsnousrisquonsd'êtreconfrontésausyndromedelapageblanche.–Vousvoulezquenousdécrivionsleslieux?Combiendepagescelapourrait

donner.–Deux-troisdétailssuffisentàplanterledécor,l'ambianceàlarigueur,mais

aprèslelecteurs'ennuie.–Jecroyaisqu'iln'yavaitaucunerecettepourécrire?–Cen'étaitpas l'écrivainmais le lecteurquiparlait.Vousaimezles longues

descriptions,vous?–Non, je vous l'accorde, elles sont souvent fastidieuses.Alors qu'écrivons-

nousensuite?Quefontlesdeuxprotagonistesdecedîner?–Ilscommandentundessert?–Unseul?–Deux,jevousrappellequec'estunpremierdîner,ilfautmaintenirentreeux

unecertaineréserve.–Entantquecoauteur,permettez-moidesoulignerqu'elleaimeraitbeaucoup

qu'illaresservedevin.– Très bonne idée, il aurait d'ailleurs dû s'en préoccuper avant qu'elle le

suggère.–Non,elleauraitpupenserqu'ildésiraitl'enivrer.–J'oubliaisqu'elleestanglaise.–Àpartcela,qu'est-cequevousnesupportezpaschezunefemme?

–Sijepeuxmepermettre,pourquoinepastournerlaquestiondefaçonpluspositive;parexemple,qu'est-cequevousappréciezchezunefemme?– Jene suispasd'accord, çan'estpas lamêmechose, etpuis si laquestion

étaitposéeainsi,onpourraitcroirequ'elleestdanslaséduction.–Çasediscute,mais jevous l'accorde. Je répondrai : lemensonge.Mais si

l'onavaitemployémaformulation,j'auraisdit:lafranchise.Mialeregardalonguementavantdelâcher:–Jen'aipasenviedecoucheravecvous.–Jevousdemandepardon?–C'étaitfranc,non?–Brutal,maisfranc.Etvous,qu'est-cequevousappréciezchezunhomme?–Lasincérité.–Jen'avaispasl'intentiondecoucheravecvous.–Vousmetrouvezmoche?–Vousêtesravissante,dois-jeendéduirequevousmetrouvezlaid?–Non,vousêtesgauche,vousl'assumez,c'estassezrareetplutôttouchant.Je

ne suis pas venue à ce dîner en rêvant à un nouveau départ dans la vie,maisplutôtpourtireruntraitsurlepassé.–Moi,c'estlapeurdel'avionquim'aamenéici.–Jenevoispaslerapport.–C'étaituneellipse,unesorted'énigmequevouscomprendrezdansunautre

chapitre.–Parcequ'ilyaurad'autreschapitres?–Puisquenoussavonsl'unetl'autrequenousn'avonspasenviedepartagerle

mêmelit,riennenousinterditd'essayerd'êtreamis.–C'esttrèsoriginal.D'ordinaire,lespersonnagesfontcegenrededéclaration

aumomentdelarupture,«restonsamis».–Jepensemêmequec'estformidablementoriginal!s'exclamaPaul.–Enlevez«formidablement».–Pourquoicela?–Lesadverbessontinélégants.Jeleurpréfèrelesadjectifs,maisjamaisplus

d'undanslamêmephrase.«C'estmêmetrèsoriginal»,seraitplusjoli,non?Enanglais,nousdirions,c'estassezoriginal,non?Cequiestencoreplusdélicat.–Soit,jerecommence...Puisquejenesuispasvotregenred'homme,croyez-

vousquejepuisseêtrevotregenred'ami?–ÀlaconditionquevotrevrainomnesoitpasGaspacho2000.–Nemeditespasquec'estlepseudonymedontilsm'ontaffublé?

–Non,ditMiaenriant,jevousfaisaismarcher.C'estquelquechosequel'onpeutsepermettreentreamis,n'est-cepas?–Jecrois,répliquaPaul.–Sijedevaislirel'undevoslivres,lequelmeconseilleriez-vous?–Celuid'unautreauteur.–Répondezàmaquestion.–Celuidontlerésumévousdonneraitenviederencontrerlespersonnages.–Jecommenceraisparlepremier.–Surtoutpascelui-là.–Pourquoi?– Parce que c'est le premier.Voudriez-vous que les gens qui viennent dans

votrerestaurantvousjugentsurletoutpremierplatquevousavezcuisiné?–Onnedoitjamaisjugerunami,onapprendjusteàleconnaîtredemieuxen

mieux.Laserveuseleurapportadeuxdesserts.–Éclairà la lucumaetaukalamansi,et tarteauxfiguesaccompagnéed'une

glaceaufromageblanc.Cadeauduchef,annonça-t-elle.Etelles'éclipsaaussivitequ'elleétaitarrivée.–Vousavezuneidéedecequesontlalucumaetlekalamansi?– L'un est un fruit péruvien, expliqua Paul, l'autre un agrume, entre la

tangerineetlekumquat.–Là,vousm'impressionnez!–C'estvousquidevriezlesavoir,vousêteschef,non?–Ehbien,jel'ignorais.–Jel'ailuenvousattendanttoutàl'heure,c'estinscritsurlemenu.Mialevalesyeuxauciel.–Vousauriezpuêtreactrice,repritPaul.–Pourquoidites-vouscela?–Parcequevotrevisageesttrèsexpressifquandvousparlez.–Vousaimezlecinéma?–Oui,maisjen'yvaisjamais.C'estterrible,jen'aipasvuunfilmdepuisque

jesuisàParis.J'écrislesoir,etpuislecinéma,seul,cen'estpasagréable.– Moi, j'aime aller seule au cinéma, me fondre au milieu des spectateurs,

observerlasalle.–Vousêtesseuledepuislongtemps?–Hier.–En effet, c'est assez récent.Donc, vous n'étiez pas célibataire quandvous

vousêtesinscritesurcesite?–Jecroyaisquecettepartiedutexteavaitétéjetéeàlacorbeille?Etpuisje

voulaisdire,officiellement.J'étaisseuledepuisplusieursmois.Etvous?– Non, enfin pas officiellement. La femme que j'aime vit à l'autre bout du

monde, jene saisd'ailleursplusvraiment cequenouspartageons.Donc, pourrépondreàvotrequestion,jesuisseuldepuissadernièrevisite,ilyasixmois.–Vousneluirendezjamaisvisite?–J'aipeurdel'avion.–L'amourdonnedesailes,non?–Unpeuconvenu,sivousmelepermettez.–Quefait-elledanslavie?–Elleesttraductrice,elleestmêmematraductrice,bienqu'encedomaineje

doutequ'ellemesoitfidèle.Etvotrecompagnon,quelmétierfait-il?–Chef,commemoi,enfin,encequileconcerneplutôtsous-chef.–Voustravailliezensemble?–Çanousestarrivé.Trèsmauvaiseidée.–Pourquoi?–Ilafiniparcoucheraveclafillequiétaitàlaplonge.–Quelmanquedetact!–Vousaveztoujoursétéfidèleàvotretraductrice?Laserveuseapportal'addition.Pauls'enempara.–Non,nousdevonspartager,protestaMia,c'estundînerd'amis.–Vousavezeuvotrecompted'indélicatesses,etnem'enveuillezpas,jesuis

gaucheetvieuxjeu.

*

PaulaccompagnaMiajusqu'àlastationdetaxis.–J'espèrequecettesoiréen'aurapasétésipéniblequecela.–Jepeuxvousposerunequestion?réponditMia.–Vousvenezdelefaire.–Vouscroyezqu'unefemmeetunhommepeuventdeveniramissansqu'ily

aitentreeuxlamoindreambiguïté?–Sil'unesortàpeined'unehistoireetquelecœurdel'autreestpris,jepense

queoui...Entoutcas,racontersavieàuneinconnuesanscraindred'êtrejugéestagréable.Ellebaissalesyeuxetajouta:–Jecroisqu'encemoment,j'auraisbienbesoind'unami.

–Jevousproposeunechose,ditPaul.Sid'iciquelquesjoursnousavonsenviede nous revoir, entre amis, contactons-nous. Mais seulement si l'envie est là.Aucuneobligation.–D'accord, lâchaMia, enmontant à borddu taxi.Vousvoulezque je vous

déposequelquepart?–Ma voiture est garée près d'ici, j'aurais pu vous proposer lamême chose,

maisjecroisqu'ilesttroptard.–Alors,peut-êtreàbientôt,conclutMiaenrefermantlaportière.

*

–RuePoulbot,àMontmartre,ditMiaauchauffeur.Paul regarda le taxi s'éloigner. Il remonta la rue du 29 Juillet, la nuit était

claire,sonhumeurjoyeuseetsavoitureàlafourrière.

*

–D'accord,lasoirées'estmieuxterminéequ'ellen'avaitcommencé,maistutetiensàtesrésolutions.AussitôtrentréechezDaisy,tueffacestonprofiletfinilesrencontresavecdesinconnus.Aumoins,celateserviradeleçon.–Çafaitvingtansquejefaiscemétier,pasbesoindemarmonnerl'itinéraire,

mademoiselle,ditlechauffeur.–D'accord,iln'étaitpasfou,maisilauraittrèsbienpul'être.Qu'est-cequetu

auraisfaitdanscecas?Etsiquelqu'unt'avaitreconnuedanscerestaurant?Nedramatisepas,personnen'auraitputereconnaître...Nejamaisracontercequis'estpassécesoir,pasmêmeàDaisy...surtoutpasàDaisy,ellemetuerait...àpersonne... voilà, ce sera ton secret à toi, une histoire que tu révéleras à tespetits-enfantsquandtuserasunevieillegrand-mère,maisalorstrèsvieille.

*

– Pourquoi n'y a-t-il jamais de taxi dans cette ville ? ronchonnait Paul enparcourantlaruedeRivoli.Queldîner!J'aivraimentpenséqu'elleétaitdingue,enfin,ilfallaitl'êtreunpeupourallersurunsitederencontres...Àcesujet,ilyenadeuxquiontdûfranchementsemarrercesoir,etilsdoiventencorerigolerdansleuraubergeàHonfleur,maisattendez,àmontourderigoleràvosdépens.Situpensesqu'onestquittes,monvieux,c'estquetumeconnaismoinsbienquetune lecrois.Jesaisque lavengeanceestunplatquisemangefroid,moi, jevaisladégustertiède.Nonmaisdequoijememêle,parcequevouspensezquej'aibesoindevouspourrencontrerquelqu'un?Jerencontrequijeveux,quand

je veux ! Vousm'avez pris pour qui ?Elle était quandmême un peu timbrée,non?Enfin,nesoyonspasinjuste,jedisçaparcequejesuisencolère,maisellen'y est pour rien. De toute façon, elle ne me rappellera jamais et je ne larappellerai pas. Après ce qui s'est passé, ce serait tellement gênant. Et mavoiture...lesrouesavantmordaientàpeinesurlepassagepiéton.Ilsnousfontvraiment chier dans cette ville.Ah tout demême, il était temps... Taxi ! hurlaPaulenagitantlebras.

*

Elle se fit déposer à l'angle de la rue Poulbot, régla la course et entra dansl'immeuble.–Detoutefaçon,jen'aipassonnuméroetiln'apaslemien,murmura-t-elle

enmontant l'escalier... il nemanquerait plus que celaqu'il aitmon téléphone,pensa Mia en cherchant ses clés dans son sac. Sa main rencontra un objetinconnu,ellelesortit:Merde,j'aisontéléphone!Enentrantdansl'appartement,elletrouvaDaisyassiseàlatabledelacuisine,

unstyloenmain.–Tuesdéjàlà?demandaMia.–Ilestquandmêmeminuitetdemi,réponditDaisy,lesyeuxrivésàuncahier.

Ilétaitdrôlementlong,tonfilm.– Oui... enfin non, j'ai raté la séance de 20 heures, alors j'ai assisté à la

suivante.–C'étaitbien,aumoins?–Unpeuétrangeaudébut,mieuxensuite.–Qu'est-cequeçaracontait?–Undîneravecdesgensquineseconnaissentpas.–Tuesalléevoirunfilmsuédois?–Qu'est-cequetufais?–Mescomptes.Tuasl'airbizarre,poursuivitDaisyenrelevantlatête.Miaévitadecroisersonregard,elles'éclipsaenbâillantverssachambre.

*

Unefoischezlui,Pauls'installaàsonbureauetallumasonordinateurpoursemettre au travail. Il découvrit un post-it collé sur l'écran et reconnut l'écritured'Arthurquiavaiteuladélicatessedeluicommuniquerl'identifiantetlemotdepassequ'ilavaitutiliséspourl'inscriresurlesitederencontres.

1.DansleromanEtsic'étaitvrai...,ArthuretPaultransportentLaureninaniméedeSanFranciscoàCarmelàbordd'unevieilleambulancebaptiséeDaisy.

8.

Aprèslepetitdéjeuner,Paulserenditcomptequ'ilavaitégarésontéléphoneportable.Ilretournalespochesdesonveston,soulevalesnombreuxpapiersquiencombraient son bureau, parcourut du regard les étagères de sa bibliothèque,vérifiaqu'iln'étaitpasdanslasalledebainsettentadeseremémorerladernièrefoisqu'ils'enétaitservi.Ilsesouvintd'avoirfaitlirelemessaged'ArthuràMia.Ilenétaitmaintenantcertain,ill'avaitoubliésurlatabledurestaurant.Furieux,il téléphona chez Uma et tomba sur le répondeur. L'établissement n'était pasencoreouvert.Silaserveusel'avaittrouvé,ellel'avaitpeut-êtreemportéavecelle,aprèstout,

il lui avait laissé un généreux pourboire... il composa son propre numéro, onn'étaitjamaisàl'abrid'uncoupdebol.

*

MiaprenaitsonpetitdéjeunerencompagniedeDaisyquandlavoixdeGloriaGaynorentonna«IWillSurvive»prèsdelabaievitrée.L'uneetl'autreprirentunairétonné.–Jecroisqueçavientducanapé,lâchaDaisy,d'untondétaché.–Tuasuncanapémusical,commec'estétrange?–Ondiraitplutôtquetonsacfaitsesvocalisesmatinales.Miaécarquilla lesyeuxet seprécipitavers l'objetdudélit.Elleplongeait la

mainàl'intérieurdusacquandlavoixs'interrompit.– Gloria a un coup de pompe ? ironisa nonchalamment Daisy depuis la

cuisine.Lachansonrepritdeplusbelle.–Ahnon,enchaîna-t-elle,elleseréservaitpourunbis.SacréeGloria,ellesait

commentchaufferunesalle!Cettefois,Miaattrapaletéléphoneàtempsetdécrocha.–Oui,murmura-t-elle.Non, jenesuispaslaserveuse...oui,c'estmoi, jene

pensais pas que vous rappelleriez si tôt... j'ai bien compris, je vous faisaismarcher... Oui, je peux... où ça ?... Je n'en ai aucune idée... devant le palaisGarnierà13heures...c'estentendu,àtoutàl'heure...oui,aurevoir...biensûr,jevousenprie...aurevoir.Miaremitletéléphonedanssonsacetretournaàtable.Daisyluiresservitune

tassedethéetlafixaduregard.–L'ouvreuraussiétaitsuédois?–Quoi?–GloriaGaynor,c'étaitqui?– Quelqu'un qui a oublié son téléphone au cinéma, je l'ai trouvé et il m'a

appeléepourquejeleluirende.–Vous êtes drôlement civilisés, lesAnglais... tu vas aller au palaisGarnier

pourrestituersonportableàuninconnu!–Cesontdeschosesquise font,non?Sic'était lemien, jeseraisheureuse

quequelqu'undecourtoisl'aittrouvé.–Etlaserveuse?–Quelleserveuse?–Passons,jepréfèreneriensavoirplutôtquedepenserquetumeprendspour

uneidiote.–D'accord,concédaMiaquicherchaitcommentsesortirdecemauvaispas.

Le filmétait ennuyeux, je suis sortie de la salle,monvoisinde fauteuil aussi,nousnoussommescroiséssurletrottoiretnousavonsprisunverreàlaterrassed'uncafé.Ilestpartienoubliantsontéléphone, jel'airécupéréet jevaisleluirendre.Tusaistoutmaintenant,tuescontente?–Ilétaitcomment,cevoisindefauteuil?–Rien,enfinjeveuxdirequelconque,sympathique.–Quelconqueetsympathique!–Arrête,Daisy,nousavonsprisunverre,riendeplus.–C'estmarrantquetunem'aiespasracontéçaenrentranthiersoir,laveilletu

étaisbeaucoupplusbavarde.– Jem'étais ennuyée àmourir, j'avais envie deprendreunverre, neva rien

imaginer de plus car il n'y a rien à imaginer. Je lui remets son portable et ças'arrêtelà.–Puisquetuledis.Tuviendraismedonneruncoupdemainaurestaurant,ce

soir?–Oui,pourquoipas?–Tuavaispeut-êtreenviederetourneraucinéma.

Mia se leva, déposa son assiette dans le lave-vaisselle et partit se doucher,sansajouterunmot.

*

PaulattendaitsurleparvisdupalaisGarnieraumilieudelafoule.Ilreconnutson visage parmi ceux qui sortaient de la bouche de métro. Elle portait deslunettesdesoleil,unfoulardsurlatêteetsonsacàmainàl'avant-bras.Illuifitunsigne,elleluiréponditd'unsouriretimideetvintverslui.–Neme demandez pas pourquoi, je n'en sais rien, lâcha-t-elle en guise de

bonjour.–Pourquoiquoi?répliquaPaul.–Justement,jen'ensaisrien,jesupposequ'iladûglisser.–Ilesttroptôtpourimaginerquevousayezbu.–Attendezuneseconde,poursuivit-elleenplongeantlamaindanssonsac.Ellefouillaenvain, levaune jambepour leposersursongenouetcontinua

sesrecherchesdansunéquilibreprécaire.–Unflamantrose?Avecunairdereproche,ellesortittriomphalementletéléphone.–Jenesuispasunevoleuse,j'ignorecommentilaatterridansmonsac.–L'idéenem'avaitpaseffleurél'esprit.–Noussommesd'accordquecerendez-vousnecomptepas.–Necomptepaspourquoi?–Vousnem'avezpasappeléeparcequevousenaviezenvieetjenesuispas

venue vous rejoindre parce que j'en avais envie, votre téléphone, est la seuleraisondecerendez-vous.–D'accord,çanecomptepas.Vousmelerendezmaintenant?Elleluitenditl'appareil.–Pourquoil'Opéra?PaulseretournaverslepalaisGarnier.–C'estledécordemonprochainroman.–Jevois.–Jedoutequevousvoyiezgrand-chose,l'histoiresedérouleprincipalementà

l'intérieur.–Si,si,jevois.–Cequevousêtestêtue!Vousyêtesdéjàallée,aumoins?–Etvous?–Desdizainesdefois,ycomprisquandilestferméaupublic.

–Frimeur!–Pasdutout,jemesuisliéd'amitiéavecledirecteur.–Etquesepasse-t-ildanscetOpéra?–Vousvoyezbienquevousnevoyezrien.Monhéroïneestunecantatricequi

aperdulavoixetvienthantercelieu.–Ah!–Quoi«Ah»?–Rien.–Vousn'allezpaspartirenmelaissanticiavecun«Ah»etun«Rien»!–Qu'est-cequevousvoulezquejefasse?–Aucuneidée,maisilfauttrouverquelquechose.–Onpourraitadmirerlafaçadeensemblependantquelquesminutes?–Allez-y,moquez-vous!C'estfragile, l'écriture,vousn'imaginezpasàquel

point.Votre«Ah»peutmecollertroisjoursdepageblanche.–Mon«Ah»auraituntelpouvoir?Jevousassurequec'étaitun«Ah»très

anodin.–Vouscroyezqu'unequatrièmedecouvertureestanodine?Elleapouvoirde

vieoudemortsurledestindulivre.–Qu'est-cequ'unequatrièmedecouverture?–Lerésuméimpriméaudos...delacouverture.–Rassurez-moi,cequevousm'avezracontén'étaitpaslerésumé?– De mieux en mieux, on est au moins à une semaine de page blanche

maintenant!–Ilvaudraitmieuxquejemetaise,alors!–Troptard,lemalestfait.–Vousmefaitesmarcher.–Pas du tout !Onpense que c'est unmétier facile, et par certains côtés, il

l'est.Pasdecontrainteshoraires,pasdesupérieurhiérarchique,pasdestructure,mais justement, travailler sans structure revient à naviguer sur une barque aumilieu de l'océan. La moindre vague que l'on n'a pas vue venir et plouf, ondessale. Demandez à un acteur si quelqu'un qui tousse pendant unereprésentationrisquedeluifaireperdrelefildesontexte.Vousnepouvezpascomprendre.– Non, probablement pas, réponditMia d'un ton cassant. Vousm'en voyez

désolée,jenevoulaispasquemon«Ah»vousdésarçonneàcepoint.–Pardon,jesuisdemauvaispoil.Jen'aipasponduuneligneenrentranthier,

etj'aipourtantveilléjusquetarddanslanuit.

–Àcausedenotredîner?–Cen'estpascequejevoulaissous-entendre.MiaobservaPaulattentivement.–Ilyatropdemondeici,s'exclama-t-elle.EtcommePaulsemblaitperplexe,ellelepritparlamainetl'entraînaversles

marchesdupalaisGarnier.–Asseyez-vous là,ordonna-t-elle, avantde s'installerdeuxmarchesderrière

lui.Qu'est-cequiluiarrive,àvotrehéroïne?–Celavousintéressevraiment?–Puisquejevousledemande.–Personnenecomprendd'oùprovientsoninfirmité,ellenesouffred'aucune

maladie. Ruinée par des traitements sans effets, elle vit recluse dans sonappartement. Parce que l'Opéra était toute sa vie, et qu'elle n'amême plus lesmoyensd'yaccéderenspectatrice,ellesefaitembauchercommeouvreuse.Ceuxquijadispayaientunefortunepourvenirl'entendrechantersontlesmêmesàluidonnerdésormaisunpourboire lorsqu'elle les installeà leurplace.Un jour,uncritiquemusical,troubléparsonvisage,estconvaincudel'avoirreconnue.–Jolirôle.C'estprometteur.Etensuite?–Lasuite,jenel'aipasencoreécrite.–Çafinitbien?–Commentvoulez-vousquejelesache.–Ah,soyonsclairs,çafinitbien!–Arrêtezavecvos«Ah»,jen'aiencoreriendécidé.–Voustrouvezqu'iln'yapasassezdedramesdanslavraievie,quelesgens

nesontpassuffisammentaccablésdemalheurs,demensonges,delâchetésetdemesquineries, vous voulez en rajouter ? Perdre leur temps à leur raconter deshistoiresquifinissentmal?–Lesromanssedoiventdecolleràunecertaineréalité,aurisquedeparaître

fleurbleue.–Mais on leur dit merde, à ceux qui n'aiment pas les histoires heureuses,

qu'ilsaillentpataugerdans leursinistrose, ilsnousfontdéjàassezsuercommeça,onnevapasenplusleurlaisserlemotdelafin.–C'estunpointdevue.–Non,c'estunequestiondebonsensetdecourage.Àquoicelasertdejouer,

d'écrire, de peindre ou de sculpter, de prendre de tels risques si ce n'est pourapporterdubonheurauxautres?Àfairepleurerdansleschaumières,parcequec'estplusvalorisant?Voussavezcequ'il fautpourdécrocherunOscardenos

jours?Avoirperdusesbrasousesjambes,sonpèreousamère,lesquatreseraitencore mieux. Une bonne dose de misère, de sordide, de bassesses à vousarracher des larmes et on crie au génie, mais faire rire et rêver n'est pasconsidéré.J'enaiassezdel'hégémonieculturelledumarasme.Alorsvotreromanfinirabien,unpointc'esttout!–C'estentendu,réponditPaultimidement.Troublédelavoirémue,ilnevoulaitenaucuncaslacontrarier.–Etellevaretrouversavoix,n'est-cepas?repritMia.–Nousverrons.–Ilvaudraitmieux,sinonjenel'achèteraipas.–Jevousl'offrirai.–Jeneleliraipas.–D'accord,jevaistravaillerdanscesens-là.– Je compte sur vous. Maintenant, allons prendre un café et vous me

raconterezcequevafairececritiquequandill'aurareconnue.D'ailleurs,c'estunchictypeouunsalaud?EtavantquePauln'aiteu le tempsderépondre,ellecontinuaavec lamême

fougue.–Cequiseraitformidable,c'estqu'ilsoitunsalaudaudébutetqu'ildevienne

untypebiengrâceàelle,etelle,retrouveraitsavoixgrâceàlui.Ceneseraitpasunemerveilleuseidée?PaultiraunstylodesapocheetletenditàMia.–Enroutepourcecafé,vousécrirezmonromanet,pendantce temps, j'irai

cuisinerunebouillabaisse.–Vousn'auriezpasmauvaiscaractère,parhasard?–Jenecroispasnon.–Parcequejen'aipasdutoutenviedeprendreuncaféavecquelqu'unquia

mauvaiscaractère.–Puisquejevousaffirmequecen'estpaslecas.–D'accord,maisçanecomptetoujourspas.–Ilsdoivents'amuser,dansvotrecuisine,avecunchefcommevous.–C'étaituncomplimentouunsarcasme?–Attention,vousallezvousfaireécraser,s'exclama-t-ilen laretenantpar le

brastandisqu'elles'élançaitsurlachaussée.OnestàParisici,pasàLondres,lesvoituresviennentdel'autrecôté.

Ilss'installèrentàlaterrasseduCafédelaPaix.

–J'aifaim,déclaraMia.Paulluitenditlemenu.–Votrerestaurantestferméàl'heuredudéjeuner?–Non.–Quis'enoccupe?–Monassociée,réponditMiaenbaissantlesyeux.– C'est pratique d'avoir une associée, dans mon métier, hélas, ce serait

difficile.–Votretraductricel'estunpeuàsafaçon.– Elle n'écrit pas mes romans quand je m'absente. Pourquoi avoir quitté

l'AngleterreetêtrevenueenFrance?–Jen'aieuqu'àtraverserlaManche,pasunocéan.Etvous?–J'aiposélaquestionenpremier.–Uneenvied'ailleurs,jesuppose,unbesoindechangerdevie.– À cause de votre ex-petit ami ? Votre arrivée ne date pas d'hier tout de

même?– Je préférerais ne pas en parler, expliquez-moi plutôt pourquoi vous avez

quittéSanFrancisco.–Aprèsavoircommandé.Moiaussi,j'aifaim,finalement.Dès que le serveur les laissa, Paul lui fit le récit de l'épisode qui suivit la

publicationdesonpremierroman,illuiparladecettepetitenotoriétéquil'avaitmisàrudeépreuve.–Vousavezététerrasséparlacélébrité?questionnaMia,amusée.–N'exagéronsrien,unécrivainneconnaîtrajamaiscelled'unchanteurderock

oud'unestardecinéma,maismoi,jenejouaispasunrôle,c'étaientmestripesque j'avais couchées sur le papier, façon de parler bien sûr, et je suis d'unepudeurmaladive,c'estainsi.Aucollège,jeprenaismadoucheencaleçon,c'estvousdire.– Votre photo est en première page du journal et le lendemain, le même

journal sert à emballer des Fishs & Chips. Voilà à quoi peut se résumer lanotoriété,ditMia.–VousavezservibeaucoupdeFish&Chips?–C'est redevenu trèsà lamode, rétorqua-t-elleensouriant.C'est idiot,vous

m'enavezdonnéenvie.–Lemaldupays?–Non,dececôté-là,aucunmal.–Ilvousafaitsouffriràcepoint?

–Jesuistombéedehaut,j'étaislaseuleànepasvoircequicrevaitl'écran.–Quelécran?–C'estaussiunefaçondeparler.–L'amourrendaveugle.–Jesupposeque,dansmoncas,cettebanalitéaffligeanteaduvrai.Qu'est-ce

qui vous retient vraiment d'aller rejoindre votre traductrice ?Un écrivain peuttravaillern'importeoù,n'est-cepas?– Je ne sais pas si elle le souhaite. Si elle en avait eu l'envie, ellem'aurait

envoyéunsignal.–Passûr.Vouscommuniquezbeaucoup?–NousSkyponsunefoisparweek-end,etéchangeonsdesmailsdetempsà

autre. Je ne connais qu'un petit bout de son appartement, celui qui se dévoiledansl'écrandemonordinateur,lereste,jel'imagine.– À vingt ans, je m'étais amourachée d'un New-Yorkais, je crois que la

distance décuplait mes sentiments pour lui. L'impossibilité de se voir, de setoucher, tout relevait du domaine de l'imaginaire. Un jour, j'ai rassemblémeséconomiesetj'aiprisl'avion.J'aipassél'unedesplusbellessemainesdemavie.Je suis rentrée enivrée par ce voyage, pleine d'espoir et décidée à trouver unmoyenderetournervivrelà-bas.–Vousavezréussi?–Non, dès que je l'ai informé de ce projet, tout a changé. Ses appels sont

devenusplusdistants,notrerelations'estétioléeàl'approchedel'hiver.J'aimisuntempsfouàl'oublier,maisjen'aijamaisregrettéd'avoirvécucetteaventure.–C'estpeut-êtrepourcelaquejeresteici...letempsfouàoublier.–Donclapeurdel'avionn'yestpourrien?–Ah si, il faut un bon prétexte pour se voiler la face. Et vous, quel est le

vôtre?Miarepoussasonassiette,butsonverred'eaud'untraitetlereposa.–Quelprétextepourrait-ontrouverànotreprochainerencontre?demanda-t-

elle,lesourireauxlèvres.–Ilenfautun?– Sauf si vous acceptez d'être le premier des deux à avoir envie d'appeler

l'autre.– Non, non, non, c'est trop facile. Aucune loi ne stipule qu'en amitié les

hommesaientà faire lepremierpas, je trouved'ailleursqu'aunomde l'égalitédessexes,celadevraitêtreauxfemmesdes'encharger.–Jenepartagepasdutoutvotreavis.

–Évidemment,puisqueçanevousarrangepas.Ilsrestèrentquelquesinstantssilencieux,observantlespassants.–Çavousamuseraitdevisiterl'Opérapendantlesheuresdefermeture?reprit

Paul.–C'estvraiqu'ilyaunlacsouterrain?–Etdesruchessurletoit.–Jecroisquej'aimeraisbeaucoupça.–Trèsbien, jem'enoccupe, jevousappelleraipourvousdirequandcesera

possible.–Ilfaudraitd'abordquejevousdonnemonnuméro.Paulpritsonstyloetouvritsoncarnet.–Jevousécoute?–Vousnemel'avezpasdemandé.Etnemeregardezpascommeça,c'estbien

qu'enamitiéonmetteaussilesformes.–Puis-jevousdemandervotrenumérodetéléphone?soupiraPaul.Mias'emparadesonstyloetgriffonnasurunepageducarnet.Pauls'étonna.–Vousavezgardévotreligneanglaise?–Oui,avoua-t-elle,confuse.–Vousreconnaîtrezquevousêtescompliquées.–Moi,oulesfemmesengénéral?–Lesfemmesengénéral,grommelaPaul.–Vousvousennuierieztellementsinousnel'étionspas.Cettefois,c'estmoi

quipaieetnediscutezpas.–Çam'étonneraitquelegarçonaccepte.Jedéjeuneiciunjoursurdeux.Ilest

auxordresavecmoi,etpuispourpeuquevotrecartedecréditsoitanglaiseelleaussi...Miafutbienobligéed'accepter.–Alors,àbientôt,luidit-elleenluitendantlamain.–Àbientôt,réponditPaul.Illaregardadisparaîtredanslabouchedemétro.

9.

ArthurattendaitPaulsurlepalier.–J'aipeurd'avoirégarétondoubledeclés,dit-il.– De mieux en mieux, répondit Paul en ouvrant la porte. C'était bien,

Honfleur?–Charmant.Paulentradansl'appartementsansajouterunmot.–Tum'enveuxàcepoint?Cen'étaitqu'uneplaisanterie.–Oùesttafemme?– Elle est allée rendre visite à un confrère qui fait un stage à l'Hôpital

américain.–Vousavezquelquechosedeprévu,cesoir?demandaPaulenpréparantun

café.–Tunevaspasenparler,c'estçatavengeance?–Situcroisquej'aidutempsàperdre,monvieux,grandisunpeu.–C'étaitsicatastrophiquequeça?–Tuveuxdirependantlademi-heureoùcettefemmeacrudîneravecunfou

ouquandj'aiprisconscienceduridiculedanslequeltum'avaisplongé?–Elleavaitl'airsympathique,vousauriezpupasserunebonnesoirée.Paulserapprochad'Arthuretluimitdeforceunetassedecafédanslesmains.–Commentaurait-ellepupasserunebonnesoiréealorsquelemeilleuramide

l'hommeavecquielledînaits'estmoquéd'ellecommeaucunhommen'aledroitdesemoquerd'unefemme.–Ellet'aplu!soufflaArthur.Maisoui,pourquetuprennessadéfense,c'est

qu'ellet'aplu!Ilapplaudit,sedirigeaverslebureaudePaulets'installasursachaise.–Surtout,faiscommecheztoi.–Bon,tutevengeras,jenesaisencoreniquandnicomment,maisjesaisque

jelepaieraicher.Maintenant,mettonsceladecôtéetraconte-moi.

–Jen'airienàteraconter,lafarceadurédixminutes.Tucroyaisqu'ilfaudraitcombien de temps à deux personnes douées d'une intelligence normale pourcomprendrequ'onleuravaitjouéuntourodieux?Jemesuisexcuséentonnom,jeluiaiexpliquéquemonmeilleuramiétaittrèsgentilmaisparfaitementidiotetnousnoussommessalués.Jenemesouviensmêmeplusdesonprénom.–C'esttout?–Oui,c'esttout!–Bon,riendegrave,enfait.–Non,riendegrave,maistuasraisonsurunpoint,jemevengerai.

*

Ensortantdumétro,Miasedirigeaversune librairie.Elle flâna le longdestableset,netrouvantpascequ'ellecherchait,elleinterrogealelibraire.Ilpianotasursonordinateurets'approchad'unrayonnage.–Jecroisenavoirunenstock,assura-t-ilensemettantsurlapointedespieds.

Tenez,levoilà,c'estleseultitrequej'aidelui.–Vouspourriezmecommanderlesautres?– Oui, bien sûr. Mais j'ai aussi d'autres écrivains à vous proposer si vous

aimezlire.–Pourquoi?Cetauteurn'estpaspourlesgensquiaimentlire?–Si,maisdisonsqu'ilyapluslittéraire.–Vousavezdéjàluundesesromans?–Hélas,jenepeuxpastoutlire,ditlelibraire.–Commentpouvez-vousdoncjugersonécriture?Lelibrairelatoisaetretournaderrièresoncomptoir.–Vousvoulezquejevousencommanded'autres?enchaîna-t-ilenencaissant

l'ouvragequ'elleemportait.–Non,réponditMia,jevaiscommencerparcelui-cietcommanderlesautres

dansunelibrairiemoinslittéraire.–Jenevoulaispasêtredésobligeant,c'estunauteuraméricain,c'estsouvent

moinsbienquandc'esttraduit.–Jesuistraductrice,ditMia,poingssurleshanches.Lelibrairerestaquelquessecondesbouchebée.–Bien,alorsàceniveaudemaladresse,jevousfaisuneremise!Miamarchaitdanslarueenfeuilletantleroman,elleleretournapourlirele

résuméetsouritenvoyantlaphotodePaul.C'étaitlapremièrefoisqu'elletenaitentresesmainsun livreécritparquelqu'unqu'elleconnaissait,mêmesielle le

connaissait à peine. Elle repensa à son échange demots avec le libraire et sedemandaquellemouchel'avaitpiquéepourqu'elleluitiennetêtedelasorte.Çaneluiressemblaitpas,maiselleétaitheureused'avoirexprimécequ'ellepensait.Quelquechoseenelleétaitentraindechanger,elleaimaitcettevoixintérieurequilapoussaitàs'affirmer.EllehélauntaxietprialechauffeurdeladéposerruedeRivoli,devantlalibrairieanglaise.Elle en ressortit quelquesminutes plus tard, avec le premier roman dePaul

dans son édition originale américaine. Elle en commença la lecture durant letrajetversMontmartre,lapoursuivitenremontantlarueLepicets'installasurunbancdelaplaceduTertrepourlapoursuivreencore.Lecaricaturisteétaitderrièresonchevalet,illuiadressaunsourirequ'ellene

vitpas.

*

Elle se présenta au restaurant en fin d'après-midi. Daisy était déjà à sesfourneaux. Elle confia ses casseroles à Robert, son cuistot, et entraînaMia àl'écart,prèsdubar.–Jesaisquetun'aspasleCVpourcegenred'emploi,maismaserveusene

reviendrapasetilvamefalloirquelquesjoursavantdelaremplacer.Tut'enestrèsbiensortiel'autresoir,jesaisquec'estbeaucouptedemander,mais...–Oui,acquiesçaMiaavantqu'ellen'aitfinisaphrase.–Tuacceptes?–Jeviensdeteledire.–EtCateBlanchettnevapasrâler?–Ellen'aurapasledroitàlaparole,d'ailleurs,sij'étaiselle,j'investiraisdans

un restaurant. Tu as des problèmes d'argent,moi pas, on pourrait rafraîchir lasalle,embaucheruneserveusefiablequetupaieraisassezpourqu'ellelereste...–Masalleesttrèsbiencommeelleest, interrompitDaisy.Pourl'instant, j'ai

justebesoind'uncoupdemain.–Tun'espasobligéederépondremaintenant,réfléchisàmaproposition.–C'étaitcomment,l'Opéra?–Jeluiairendusontéléphoneetjesuisrepartie.–Riend'autre?–Rien.–Ilesthomosexuel?–Jeneleluiaipasdemandé.–TutraversesParispourluirendresontéléphoneetilsecontented'unmerci

etd'unaurevoir?Ilétaitpeut-êtrevraimentsuédois,maisalorstrèsaunorddelaSuède.–Tuvoislemalpartout.–Quit'alaisséeentendrequejepensaisàmal?Mia s'abstint de répondre, elle passa son tablier et commença à mettre le

couvert.

*

Paulavaitdînéencompagnied'ArthuretdeLaurendansunbistrotdelaruedeBourgogne.Levin avait coulé et la plaisanteriedont il avait été la victimeremisée au rang des souvenirs. Le lendemain, ses amis partiraient visiter laProvence,etilsouhaitaitprofiterdeleurprésence.–Jecroisqu'ellearaison,lâchaPaultandisqu'ilsarrivaientsurl'esplanadedes

Invalides.–Qui?demandaLauren.–Monéditeur.–Jecroyaisquec'étaitunhomme?objectaArthur.–Biensûrquec'estunhomme,poursuivitPaul.–Etenquoia-t-ilraison?repritLauren.–JedoismerendreenCoréeetenavoirlecœurnet.Cettepeurdel'avionest

ridicule.–TupourraissurfersurcebelélandecouragepourrentreràSanFrancisco,

suggéraArthur.– Laisse-le tranquille, intervint Lauren, s'il veut aller à Séoul, on doit l'y

encourager.ArthurpritPaulparl'épaule.– Si ton bonheur est là-bas, ce ne seront pas une dizaine de milliers de

kilomètresenplusquinouséloigneront.–Loindemoil'idéequetusoisnulengéographie,maisas-tudéjàsongéque,

parl'Ouest,nousnousrapprocherons.Neleconfieàpersonne,maislaTerreestronde!

De retour à l'appartement, Paul s'installa sans inspiration à son ordinateur.

Vers1heuredumatin,ilécrivituncourriel.

Kyong,J'auraisdûterejoindredepuislongtempssanstedemandertonavis.Jepenseàtoienmelevant,

toutau longde la journée, tard lesoir,sansque jamaiscespenséesnes'annoncent. Ilmesuffitde

fermerlesyeuxpourtevoirapparaître.Tueslà,penchéeàmonbureau,tumelisetmetraduisenmêmetempsenpensée,sansriendire.Tusaisquejet'observeetnelaisserienvoir.Unécrivainetunetraductricequienlacentlesilence,oncroiraitunescènesortied'unfilmdesMarxBrothers.

Siseulementlesmauxducœurétaientcontagieux,tum'aimeraisautantquejet'aime.Lorsquenossentimentsneressemblentàrien,onal'espoirqu'ilsprennentformeengrandissant.

Lesmienssontdevenusadultes,maisilss'acharnentàneressembleràrien.Onpeuttoutfaireavecdesmots,ycomprisécriredebelleshistoires,pourquoiest-cesicompliquédanslavie?

Jevaisvenir,paspourceSalondulivre,maisverstoi,etsituleveuxbien,nousferonsquelquespas ensemble, tum'apprendras à connaître ta ville, tes amis, ou bien jememettrai simplement àécrireetcettefois,ceseratoiquimeregarderas.

Àtrèsvite,mêmesiquandonespèrel'autre,letempssemblevieilliretmarcheràpaslents.Paul

Enterminantcettelettre,ilsongeaqueKyongétaitdéjàlevée.Àquelmoment

de sa journée lirait-elle les mots qu'il venait de lui envoyer ? Cette questionchassalesommeilloindanssanuit.

*

Arthur avait posé l'ordinateur sur ses genoux. Il se connecta au site derencontres,entraidentifiantetmotdepasse,etaccédaàlafichequ'ilavaitcrééedansleseulbutdel'effacer.Unepetiteenveloppeclignotaitsouslaphotodesonmeilleur ami. Arthur se tourna vers Lauren, elle dormait. Il hésita, deuxsecondes,peut-êtreunpeumoins,etcliquasurl'enveloppe.

CherPaulNousavionsparlédutéléphone,maispasdesmails,donc,ilsnecomptentpas.Voustrouvereznéanmoinslemienàlafindecepetitmotcarsinouspouvionscommuniquerpar

unautremoyenquecesite,ceseraituneagréablefaçondenepasavoiràseremémorerdesminuteshumiliantes.

Jevoulaisvousremercierpourcedéjeunerimprévu,vousdiredenesurtoutpasvoussoucierdemon«Ah». J'ai repenséàvotrehistoireetvousm'avezdonnéenvied'enconnaître la suite,alorsoubliezlespagesblanches,ouplutôt,noircissez-lesauplusvite.

Jeme réjouis à l'idée devisiter cetOpéra, surtout auxheures où il est interdit aux autres.Lesinterditsontdupiquant.

Lasoiréeaurestaurantfutéprouvante,beaucoupdemonde,presquetrop,maisc'estlarançondusuccès,macuisineestirrésistible.

Jevoussouhaiteunebonnenuit.Àbientôt,Mia

*

–Jepeuxrécupérermonordinateur?demandaDaisyenpassantlatêteparlaportedelachambredeMia.–Jeviensdefinir.

–Àquiécrivais-tu?Jet'aientenduepianotercommeuneforcenée.–J'aidumalavecvosclaviersfrançais,leslettresnesontpasàlamêmeplace.–Àqui?insistaDaisyens'asseyantaupieddulit.–ÀCreston,jeluidonnaisdemesnouvelles.–Etlesnouvellessontbonnes?–J'aimebienmavieparisienne,etmêmemonboulotaurestaurant.–Iln'yavaitpasgrandmonde,cesoir,siçacontinuejevaisêtreobligéede

mettrelaclésouslaporte.Miaposal'ordinateurpouraccordertoutesonattentionàDaisy.–C'estjusteunemauvaisepasse,lesgensn'ontpasd'argent,lacrisenedurera

paséternellement.–Moinonplus,jen'aipasd'argent,etàcetrain,monrestaurantnonplusne

durerapaséternellement.–Situneveuxpasdemoicommeassociée,laisse-moiaumoinst'enprêter.–Mercimaisnon.Jesuissanslesou,maisj'aimadignité.Daisys'allongeaàcôtédeMia.Quelquechosesousl'oreillerlagênait,elley

passalamainetensortitunlivre.Elleleretournapourlirelerésumé.–Pourquoicevisagenem'est-ilpasétranger?déclara-t-elleenregardant la

photodel'auteur.–C'estunAméricaintrèscélèbre.–Jen'aijamaisletempsdelire.Pourtant,satêtenem'estpasinconnue.Ilest

peut-êtrevenuaurestaurant.–Quisait?réponditMiaenpiquantunfard.–Tul'asachetéaujourd'hui?Çaparledequoi?–Jenel'aipasencorecommencé.–Tul'asachetésanssavoirdequoiçaparle?–Lelibrairemel'arecommandé.–Bon,jetelaisseàtalecture,jevaismecoucher,jesuisanéantie.Daisyselevaetsedirigeaverslaporte.–Lelivre?réclamatimidementMia.Daisyl'avaitgardé,elleregardaencoreunefoislaphotoetlelançasurlelit.–Àdemain.Ellerefermalaportepourlarouvrirpresqueaussitôt.–Tuasl'airbizarre.–Bizarrecomment?–Jenesaispas.C'estl'inconnudutéléphonequit'aoffertcebouquin?–Tuvoisbienquecen'estpasécritensuédoisdunorddelaSuède!

DaisyobservaMiaavantdequittersachambre.–Jet'assurequetuesbizarre,l'entendit-ellegrommelerderrièrelaporte.

10.

Le réveille-matin retentit,Lauren s'étirade tout son longet seblottit contreArthur.–Biendormi?questionna-t-elleenl'embrassant.–Onnepeutmieux.–Qu'est-cequitemetdesibonnehumeur?–Ilfautquejetemontrequelquechose,dit-ilamuséenseredressant.Ilrécupéral'ordinateursouslelitetl'ouvrit.–Pourundînerquin'aduréquedixminutes,celamesembleplutôtpasmal

commelettre!Laurenlevalesyeuxauciel.– Ils ont sympathisé, tantmieux, parce que ta blague était du plusmauvais

goût.Nevapasentirerdesconclusionshâtives.–Jemecontentedelireetdeconstater,c'esttout.–Ilestamoureuxdesatraductricecoréenneetjedoutequecetteinconnuey

changequoiquecesoit,nimêmequ'elleenaitl'intention.–Enattendant,jevaisimprimerçaetleplacerenévidencesursonbureau.–Pourquoifaire?–Luimontrerquejenesuispasstupide.Laurenrelutletexte.–Ellejouesurlacordedel'amitié.–Qu'est-cequetuensais?–Parcequejesuisunefemme,etquec'estécritnoirsurblanc,Lesmailsne

comptent pas, traduit en langage féminin : Je ne suis pas dans la séduction.Ensuite,elleseréfèreàcedîneroùelles'étaitrenduepourrencontrerquelqu'un.LafaçondontelleenparlemontrequePauln'estpascethomme-là.–Et,Lesinterditsontdupiquant,cen'estpasaguicheur,ça?–Tuverrais l'étéendécembrepourquePaulnequittepasParis.Si tuveux

monavis,cettefemmesortd'unehistoire.Ellecherchevraimentunamietrien

deplus.–Tuauraisdûchoisirpsychoaulieudeneurochirurgie!–Jenerelèveraipascettepetitevanneàdeuxballes,maisimaginonsqu'ily

aituneonced'ambiguïtédanssonmessage,situsouhaitesquePauls'intéresseàelle,neluienparlepas.–Tucrois?–Parmoments,j'ail'impressiondeconnaîtretonmeilleuramimieuxquetoi,

entoutcas,lafaçondontilfonctionne!Surcesmots,Laurenpartitpréparerunpetitdéjeuner.Enentrantdanslesalon,elleaperçutPaulquidormaitsurlecanapé.Àsavue,

ilbâillaetsereleva.–Tun'aspasréussiàatteindretonlit?–J'ai travaillétard,jevoulaisfaireunepausemaisj'aibienl'impressionque

manuityestpassée.–Tutravaillestoujoursaussitard,monPaul?–Souvent,oui.–Tuasuneminedepapiermâché.Ilfautquetuteménagesunpeu.–C'estlatoubibquiparle?–C'esttonamie.Pendant que Lauren lui servait un café, Paul consulta ses mails, même s'il

savaitqueKyongneluirépondaitjamaisdansl'instant.L'airdépité,ilretournadanssachambre.Arthurentradanslapièce.Laurenluifitsignedes'approcher.–Quoi?chuchota-t-il.–Nousdevrionspeut-êtreretardernotredépart.–Qu'est-cequ'ila?–Demande-moiplutôtcequ'iln'apas:lemoral.–Ilavaitl'airplutôtenforme,hiersoir.–C'étaithiersoir.–Monmoral va très bien, cria Paul depuis sa chambre, et je vous entends

aussi très bien, ajouta-t-il en les rejoignant. Arthur et Lauren restèrent unmomentsilencieux.–Pourquoineviendrais-tupasavecnousquelquesjoursdansleSud?proposa

Arthur.–Parcequej'écrisunroman.Ilmerestetroissemainesavantmondépart.Je

veuxavoiraumoinscentpagesàdonneràlireàKyong,etsurtoutquecespages

luiplaisent,etquecettefois,elleensoitfière.–Sorsdetesbouquinsetentredanslavie,rencontredesgens,autresquetes

copainsécrivains.–Jerencontrepleindelecteursdurantmessignatures.–Etàpart«Bonjourmadame»,«Mercimonsieur»,«Aurevoirmadame»,

tuleurdisquoi?Tuleurtéléphonesquandtutesensseul?protestaArthur.–Non,pour ça, je t'ai, toi,même si le décalagehorairen'aidepas toujours.

Cessezdevousinquiéteràmonsujet,àvousentendre,jefiniraisparcroirequej'aiunproblème.Jen'enaipas.J'aimemavieetmontravail,j'aimepassermesnuitsdansmeshistoires, jem'ysensbien,commetoi,Lauren,tuaimesparfoispasserlestiennesaublocopératoire.–Moi,beaucoupmoins,soupiraArthur.–Maisc'estsafaçondevivreettun'essaiespasdel'enéloigner,parcequetu

l'aimes telle qu'elle est, lui répondit Paul, nous ne sommes pas si différents.Profitezdecevoyageenamoureux, et simonpériplecoréenmeguéritdemaphobiedesavions,jeviendraivousvoiràl'automneàSanFrancisco.Tiens,çaseraitunjolititrepourunroman«UnautomneàSanFrancisco».–Encoreplusbeausituenétaislepersonnageprincipal.ArthuretLaurenpréparèrent leursvalises.Paul lesaccompagnaà lagareet

quandletraindisparutduquai,quoiqu'ilaitpuleurraconter,lasolitudepesasursesépaules.Ildemeuraquelques instants à l'endroitmêmeoù il avaitdit au revoir à ses

amis,puisilfitdemi-tour,mainsdanslespoches.Il récupéra sa voiture au parking et découvrit un petit mot sur le siège

passager.Si tu t'installes à Séoul, c'estmoi qui viendrais te voir à l'automne, je te le

promets.UnAutomneàSéoulpourraitaussidevenirunjolititre.Tuvasmemanquer,monvieux.Arthur.Ilrelutlepetitmotdeuxfois,leglissadanssonportefeuille.Ilcherchacommentégayersamatinéeetdécidad'allerà l'Opéra.Ilavaitun

serviceàdemanderaudirecteur.

*

Mia était assise sur son banc, place du Tertre. Le caricaturiste l'observait.Quand il la vit ouvrir son sac pour prendre un mouchoir, il abandonna sonchevaletetvints'asseoiràcôtéd'elle.–Unmauvaisjour?dit-il.–Non,unbonlivre.–Ilestsitristequecela?–Jusque-là,ilétaitplutôtdrôle,maislepersonnageprincipalreçoitunelettre

desamèreaprèssamort.Jesuisridicule,maissesmotsm'onttouchée.–Iln'yarienderidiculeàexprimercequel'onressent.Vousavezperduvotre

mère?– Elle est tout ce qu'il y a de plus vivante,mais j'aurais aimé qu'ellem'en

écriveunecommecelle-ci.–Elleleferapeut-êtreunjour.–Vunosrelations,çam'étonnerait.–Vousavezdesenfants?–Non.–Alorsattendezd'êtremèreàvotre tour,vousverrezvotreenfancesousun

autreangleetleregardquevousportezsurvotremèrechangeradutoutautout.–Jenevoisvraimentpascomment.–Lesparentsparfaitsn'existentpas,lesenfantsparfaitsnonplus.Jedoisvous

quitter,untouristerôdeautourdemesdessins.Aufait,qu'apensévotreamiedesonportrait?– Jene le lui ai pas encoredonné, pardonnez-moi, j'ai oublié, je le ferai ce

soir.–Ilestrestédesmoisdansmescartons,riennepresse.Lecaricaturisteretournaàsonchevalet.

*

Paulsefaufilaparl'entréedesartistes.Desmanutentionnairescharriaientdesélémentsdedécor.Illescontourna,grimpal'escalieretallafrapperàlaportedudirecteur.–Nousavionsrendez-vous?– Non, je n'en ai que pour une minute, juste une petite faveur à vous

demander.–Encoreune?–Oui,maiscettefoisvraimenttoutepetite.Paul l'informa de sa requête, le directeur refusa. Il avait fait une exception

pourluietpourluiseul.L'Opéraservantdedécoràsonroman,iltenaitàcequeleschosessoientdécrites tellesqu'ellesétaientetnoncommeonles imaginait.Lespartiesinterditesaupublicdevaientlerester.–Jecomprends,ditPaul,maisc'estmonassistante.–L'était-ellequandvousêtesentrédansmonbureau?–Évidemment,jenel'aipasembauchéeentrelaporteetcefauteuil.–Vousaviezdit«uneamie»!–Uneamieassistante,lesdeuxnesontpasincompatibles.Ledirecteurregardaleplafondpourréfléchir.–Non,jesuisdésolé,n'insistezpas.–Nevenezpasmereprocherd'avoirmaldécritvotreOpéra, jenepeuxpas

êtresurtouslesfronts.– Vous n'avez qu'à prendre plus de temps pour vos recherches.Maintenant

laissez-moi,j'aidutravail.Paul repartit, bien décidé à ne pas en rester là. Une promesse était une

promesse et il avait bravé dans sa vie des interdits beaucoup plus complexes.Ilserenditauguichet,achetadeuxplacespourlareprésentationdusoirets'enallamûrirsonplan.Dèsqu'ilfutsurleparvis,ilcomposalenumérodeMia,seravisaetchoisitde

luienvoyeruntexto:Notre visite à l'Opéra aura lieu ce soir. Prenez un pull, un imperméable et, surtout, pas de

chaussuresàtalons,bienquejenevousaiepasvueenporterjusque-là.Vouscomprendrezsurplace,jenevousendispasplus,c'estunesurprise.

20h30surlacinquièmemarche.PaulPS:LesSMSnecomptentpas.LeportabledeMiavibra,ellelutlemessageetsourit,puisellesesouvintde

lapromessefaiteàDaisyetsonsourires'effaça.

*

GaetanoCristoneliattendaitPaulàlaterrasseducaféBonaparte.–Vousêtesenretard!–Contrairement auvôtre,monbureaun'est pas juste à côté, jeme suis fait

surprendreparlesembouteillages.–Cequiauraitdûvoussurprendre,c'estqu'iln'yenaitpas.Vousm'avezparlé

dequelquechosed'urgentautéléphone,vousavezunproblème?– C'est unemode, en cemoment, de penser que j'ai des problèmes ?Vous

n'allezpasvousymettrevousaussi.–Alors,quevouliez-vousm'annoncer?–J'acceptedemerendreàceSalondulivreauboutdumonde.– Voilà une excellente nouvelle. De toute façon, vous n'aviez pas d'autre

choix.–Ona toujours le choix et je peux encore changerd'avis.À cepropos, j'ai

quelquechoseàvousdemanderd'assezpersonnel.Sijedécidaisdepasserunanou deux à Séoul, accepteriez-vous de me faire une petite avance, de quoim'installer?JeneveuxpasmeséparerdemonappartementàParisavantd'êtresûr.–Sûrdequoi?–Deresterlà-bas,justement.– Pourquoi iriez-vous vous vivre en Corée, vous ne parlez même pas la

langue?– C'est une difficulté à laquelle je n'avais pas songé. Je suppose qu'il me

faudral'apprendre.–Vousallezvousmettreaucoréen?–Nanniganaiepalkarakeulparajmdoultaiganomoudjoa?–Qu'est-cequec'estquececharabia?–Çasignifie«J'aimebienquandtumesuceslesorteils»,encoréen.–Çayest,vousêtesdevenufou,vousdébloquezcomplètement!–Jenevousdemandepasuneconsultationpsychanalytique,maisuneavance

surmesdroitsd'auteur.–Vousêtessérieux?–Vousm'avezbienditquemonsuccèslà-basrebondiraitauxÉtats-Unis,puis

enEurope.Sijevousaibiencompris,jeprendsl'avionetnousfaisonsfortune.Alors,selonvotreraisonnement,cen'estpasunepetiteavancequivousposeraunproblème.–J'aiémisunehypothèse...l'avenirlaconfirmeraoupas.PuisCristonelipritunairpensif,avantdepoursuivre:–Enmêmetemps,sivousannonciezauxmédiascoréensvouloiradopterleur

pays,cela seraitduplusbeleffet.Sivotreéditeurvousa sous lamain, il seraplusenclinàmettrelesbouchéesdoublespourpromouvoirvosouvrages.–Cecietcela,soupiraPaul.Alors,c'estd'accord?– À une condition ! Quoi qu'il arrive là-bas, je demeure votre éditeur

principal,jeneveuxpasentendreparlerd'uncontratsignédirectemententrelesCoréensetvous,noussommesbienclairs!C'estmoiquivousaiportéàboutde

bras,jusqueici!–Oui,enfin,onnepeutpasdirequevousm'ayezportétrèshaut.–Quelleingratitude!Vouslavoulezoupas,cetteavance?Pauls'entintlà.Ilgriffonnasurlaservietteenpapierlasommequ'ilespérait

soutireràCristoneli.Celui-cilevalesyeuxauciel,barralenombreetledivisaendeux.Ilsseserrèrentlamain,cequidanscemilieuvalaitbienuncontrat.–Jevousremettraiunchèqueenvousaccompagnantàl'aéroport,histoirede

m'assurerquevousprenezl'avion.PaullaissalesoinàCristonelideréglerl'addition.

*

De retour chez elle après le service du déjeuner, Daisy découvrit Mia enpeignoirdebain, allongéesur lecanapé,uneboîtedeKleenexenmainetuneserviettehumidesurlesyeux.–Çanevapas?–Unemigraineophtalmique,j'ailatêtequivaexploser,réponditMia.–Tuveuxquej'appelleunmédecin?– Inutile, j'ai déjà connu ça, ça dure en général une dizaine d'heures et ça

passe.–Etçat'aprisquand?–Aumilieudel'après-midi.Daisyregardatouràtoursamontreetsonamie.–Bon,tunepeuxpastravaillerdanscetétat.Onoublielerestaurantpource

soir,tum'aiderasdemain.–Maisnon,protestaMia,j'yarriverai.Etayantprononcécesmots,ellepritsatêteentresesmainsetpoussaunpetit

gémissement.–Aveccettemine?Tuferaisfuirlesclients!Vat'allongerdanstachambre.–Non,jevaisvenir,renchéritMiatoujoursallongée,lebrasballantlelongdu

canapé,jenepeuxpastelaissertomber.–Robert se débrouillera en cuisine pendant que j'assurerai le service, ce ne

serapaslapremièrefois.Filetereposer,c'estunordre.MiaattrapalaboîtedeKleenexetpartit,laserviettesurlesyeux,àtâtonsvers

sachambre.ElleenressortitdèsqueDaisyeutquittél'appartement.Ellecollasonoreilleà

la porte d'entrée pour entendre les bruits de pas s'amenuiser dans la caged'escalier.Puisellefonçaàlabaievitrée,etlasuivitduregardjusqu'àcequ'elledisparaisseaucoindelarue.Elleseprécipitadanslasalledebains,lavasonvisageàl'eaufraîchepourle

débarrasserdutalcqu'elles'étaitappliquéetfitdemêmeavecletraitdecrayonsursapaupièreinférieure.S'ilyavaitunechoseutilequ'elleavaitapprisedanssonmétier,c'étaitàseservirdumaquillagepoursoutenirsonjeu.Elles'étonna,encherchantun imperméabledans lapenderiedeDaisy,den'éprouveraucuneculpabilité. Elle se sentait même d'une humeur joyeuse, et cela faisait troplongtempsqu'ellen'avaitpasvécucelapournepasenprofiterpleinement.Elleoptapourunepairedebasketsets'interrogeasoudainsurlesraisonsd'un

telaccoutrementpourunesoiréeàl'Opéra.EnAngleterre,onyallaitplutôttrophabilléquepasassez.Elle se détailla dans lemiroir, se trouva un petit côtéAudreyHepburn qui

n'étaitpaspourluidéplaire,hésitaàajouterdeslunettesdesoleilàlapanoplie,lesjetadanssonsacets'enalla.Elleentrebâillalaportecochère,s'assuraquelavoieétaitlibreetmarchad'un

paspresséversletaxigarésurletrottoird'enface.

*

PaulattendaitsurlacinquièmemarchedupalaisGarnier.–Ondiraitl'inspecteurClouzot,dit-ilenaccueillantMiaquiavançaitverslui.– Un vrai gentleman ! Vous m'aviez dit de porter un imperméable et des

chaussuresplates.Paull'examina.–Vousêtesravissante,suivez-moi.Ils se joignirent aupublicqui entrait dans l'Opéra.Après avoir traverséune

enfiladedevestibules,Mias'arrêtaenadmirationdevant legrandescalier.Elleinsistapours'approcherdubassindelaPythie.–Qu'est-cequ'elleestbelle!s'exclama-t-elle.–Charmante,maisdépêchons-nousmaintenant,suppliaPaul.–J'ail'airgrotesquevêtueainsiaumilieudetantdebeauté,j'auraidûmettre

unerobe.–Surtoutpas!Allons-y.– Je ne comprendspas, vous deviezme faire visiter cet endroit pendant les

heuresdefermeture...nousallonsassisteràlareprésentation?–Vouscomprendrezplustard.

Arrivésàl'entresol,ilsempruntèrentlagaleriedel'orchestre.– Qu'est-ce qu'on joue ce soir ? s'enquit Mia tandis qu'ils approchaient de

l'entréedelasalle.–Aucuneidée.Bonjour,dit-ilenpassantdevantdeuxstatues.–Quisaluez-vous?chuchotaMia.–BachetHaydn,jelesécouteenécrivant,c'estlamoindredeschoses,non?– Je peux savoir où nous allons ? reprit Mia alors que Paul continuait

d'avancer.–Nousasseoirànosplaces.En guise de places, l'ouvreuse les installa sur des strapontins. Paul offrit le

premieràMiaetseposasurceluiderrièreelle.L'assise était dure, on ne voyait que le côté droit de la scène. Voilà qui

détonnaitaveclessoirsd'avant-premièreoùMiasiégeaitaumeilleurrang.Pourtant,iln'avaitpasl'airradin,pensa-t-ellealorsquelerideauselevait.Paullaissapasserlesdixpremièresminutes.Miasetortillaitsursonfauteuil,

enquêted'unsemblantdeconfort.Illuitapotal'épaule.–Jesuisdésoléesijebougetoutletemps,maisj'aimalauxfesses,chuchota-

t-elle.Paulseretintderireetsepenchaàsonoreille.–Vousprésenterezmessincèresexcusesàvotrepostérieur,suivez-moi,ony

va.Ilmarchacourbé jusqu'à la sortiede secoursqui se situait justedevant eux.

Mialeregardainterloquée.Ouilestvraimentfou...–Vousvenez!murmuraPaul,toujourspliéendeuxdevantlaporte.Miaobéit,secourbantelleaussipourrejoindrePaul.Ilpoussadoucementlaporteetl'entraînadansuncouloir.–Onvaresterlongtempsàjouerauxcanards?demandaMia.–Jouezàcequevousvoulez,maisensilence.Paul s'engagea dans le corridor, saisissant Mia par la main. Et plus ils

progressaientdanscedédale,pluselles'interrogeait.Au bout d'une autre coursive, ils gagnèrent un escalier en colimaçon. Paul

invita Mia à s'y engager la première, au cas où elle trébucherait, tout en luisuggérantd'éviterdelefaire.–Oùsommes-nous?soufflaMiaquicommençaitàseprendreaujeu.–Nousallonsempruntercettepasserelledevantvous.Jevousensupplie,pas

debruit,nousallonspasserau-dessusdelascène.Cettefois,j'ouvrelamarche.

Paul se signa et, comme Mia s'en étonnait, il lui confia dans le creux del'oreillequ'ilavaitlevertige.QuandPaularrivadel'autrecôté,ilseretournaetlavit,arrêtéeaumilieudela

passerelle,lesyeuxrivéssurlasalle.Illuisemblaentrevoirsonvisaged'enfant;mêmesonimperméablesemblaitsoudaintropgrand.Ellen'étaitpluslafemmequ'il avait retrouvée sur les marches du palais Garnier, mais une petite fillesuspenduedanslesairs,émerveilléeparunspectacleféerique.Ilattenditquelquesinstantsetserisquaàémettreunpetittoussotementpour

attirersonattention.Mialuifitungrandsourireetlerejoignit.–C'étaitincroyable,chuchota-t-elle.–Jesais,etvousn'avezencorerienvu.Il lui reprit la main et l'emmena vers une porte qui s'ouvrait sur un autre

escalier.–Nousallonsvoirlelac?–VousêtesquandmêmebizarresenAngleterre.Vouscroyezqu'ilsontmisle

lacaudernierétage?–Nousaurionstrèsbienpuredescendrecesmarches!– Eh bien non, nous allons les monter. Le lac n'existe pas, ce n'est qu'un

réservoird'eaudansuncuvelageenbéton,sinonj'auraisemportémespalmesetmontuba.–L'imperméable,c'étaitpourquoi,alors?demandaMia,agacée.–Vousverrez!Alorsqu'ilsmontaientunvieil escalierenbois, ilsentendirentun roulement

terrifiant.Mias'arrêta,tétanisée.–Cesontlesmécanismesdudécor,nevousinquiétezpas,larassuraPaul.IlsavaientatteintledernierpalierquandPaulappuyasurlabarred'ouverture

d'uneporteenferetinvitaMiaàlafranchir.Elle avança sur le zinc des toits de l'Opéra Garnier, découvrant une vue

magistraledeParis.EllejuraenanglaisetsetournaversPaul.–Vouspouvezyaller,c'estsansdanger,luiassura-t-il.–Vousnevenezpas?–Si,si,j'arrive.–Pourquoim'avoirconduiteicisivousavezlevertige?–Parcequevous,vousn'ensouffrezpas.Cepanoramaestuniqueaumonde.

Continuez,jevousattendslà.Emplissezvosyeux,ceuxquionteulachancede

découvrir ainsi la Ville des lumières se comptent sur les doigts d'une main,disonsdequelquesmains.Avancez,neratezrienduspectacle.Unsoird'hiver,devant la cheminée d'un vieuxmanoir anglais, vous raconterez à vos arrière-petits-lords l'histoire d'un autre soir où vous admiriez Paris depuis les toits del'Opéra.Vousserezsiâgéequevousaurezoubliémonprénom,maisvousvoussouviendrezd'avoireuunamiàParis.MiaobservaPaulquisecramponnaitàlapoignéedelaporte.Elleavançasur

les toits. Depuis sa position, elle distinguait l'église de la Madeleine, la tourEiffeldontlefaisceausillonnaitleciel,uncielqueMiaobservaitaveclesyeuxd'uneenfantquicomptelesétoiles,convaincuequ'elleréussiraàlesdénombrer.PuissonregardseportaverslestoursduquartierdeBeaugrenelle.Combiendegensdînaient,riaientoupleuraientderrièrecesfenêtresàpeineplusgrandesqueles étoiles scintillant dans le firmament ? Se retournant, elle aperçut le Sacré-Cœur perché sur la colline deMontmartre et elle eut une pensée pour Daisy.Paristoutentiers'offraitàelleetellen'avaitjamaisrienvud'aussibeau.–Vousnepouvezpasraterça.–Jenepeuxvraimentpas.Elle revint vers lui, enleva son foulard et le lui noua sur les yeux. Puis, le

prenant par la main, elle le guida sur le zinc. Paul progressait comme unéquilibriste,maisilselaissafaire.– C'est égoïste, dit-elle en lui rendant la vue, mais comment pourrais-je

raconter ce moment à mes petits-lords sans l'avoir partagé avec mon amiparisien.PauletMias'assirentsurlefaîtage,etadmirèrentlaville.Unepluiefinesemitàtomber.Miaôtasonimperméableetleposasurleurs

épaules.–Vouspenseztoujoursàtout?– Ça m'arrive. Vous me ramenez maintenant ? dit-il en lui montrant son

foulard.

*

Aubas de l'escalier, ils furent accueillis par deux agents de sécurité qui lesescortèrent jusqu'au bureau du directeur où trois gardiens de la paix lesattendaient.– Je sais, j'ai enfreint votre interdiction, mais nous n'avons fait de mal à

personne,ditPaulaudirecteur.–Vousconnaissezcemonsieur?interrogeal'agentMoulard.

–Non,plusmaintenant,vouspouvezlesembarquer.L'agent Moulard fit signe à ses collègues qui sortirent deux paires de

menottes.–Cen'estpeut-êtrepasnécessairedepousser lebouchon jusque-là,protesta

Paul.– Je crois que si, ajouta le directeur, ces individus m'ont tout l'air d'être

incontrôlables.Miatenditsespoignetsaupolicier,ellejetauncoupd'œilàsamontre,etprit

peurenvoyantl'heure.

*

L'inspecteurdepolicerecueillitleurdéposition.Paulreconnutlesfaitsquiluiétaientreprochés,ens'enattribuantl'entièreresponsabilitéetenminimisantleurgravité. Il promit sur tous les saints de ne plus recommencer si on les laissaitsortir.Ilsn'allaientquandmêmepaspasserlanuitauposte?L'inspecteursoupira.–Vousêtesdesressortissantsétrangers.Tantquejen'auraipaspujoindrevos

consulats respectifsetvérifiervos identités, ilm'est impossibledevous laissersortir.– J'ai une carte de séjour, je l'ai oubliée chez moi, mais je suis résident

français,juraPaul.–Ça,c'estvousquiledites.–Monassociéevametuer,murmuraMia.–Quelqu'unvousmenace,mademoiselle?questionnal'inspecteur.–Non,c'étaitunefaçondeparler.–Alors,surveillezvotrevocabulaire,noussommesdansuncommissariat.–Pourquoivoustuerait-elle?demandaPaulensepenchantversMia.–Qu'est-cequejeviensdedire?repritl'inspecteur.–C'estbon,onn'estpasàl'école!Apparemment,cettesituationplongemon

amie dans un embarras professionnel inextricable, vous pourriez faire preuved'unpeudesouplesse.– Il fallait y songer avant de commettre une effraction dans un bâtiment

public.–Ahmais nous n'avons commis aucune effraction, toutes les portes étaient

ouvertes,ycompriscelledonnantsurletoit.–Parcequeselonvous,vousypromenern'enestpasune?Vous trouveriez

normalquejeviennefairelamêmechosedansvotrepays?

–Silecœurvousendit,inspecteur,moi,çanemedérangeabsolumentpas.Jepeuxmêmevousrecommanderdeux-troisendroitsoùlavueestsublime.– Bon, soupira le policier, mettez-moi ces deux zozos en cellule et faites

passerlecomiqueenpremier.– Attendez ! supplia Paul. Si un citoyen français venait témoigner demon

identité,vousenapportaitlapreuve,vousnouspermettriezdepartir?–S'ilvientdansl'heure,jepeuxyréfléchir,au-delà,jeterminemonserviceet

vousdevrezattendredemainmatin.–Jepeuxtéléphoner?L'inspecteurretournal'appareilposésursonbureauetl'avançaversPaul.

*

–Vousn'êtespassérieux?–Bensi.–Àcetteheure?–Onnechoisitpaslemomentdanscegenredecirconstances.–Etjepeuxsavoirpourquoi?– Écoutez-moi, Cristoneli, parce que le temps presse. Vous foncez à votre

bureau, vous y prenez une copie de tous mes papiers et vous arrivez aucommissariatduIXedansmoinsd'uneheure,sinon,jesignemonprochainlivreavecTchiungChanVoo.–QuiestceTchiungChanVoo?–Jen'enaiaucuneidée,maisildoitbienyenavoirquis'appellecommeça

chezmonéditeurcoréen!hurlaPaul.Cristoneliluiraccrochaaunez.–Ilvavenir?demandaMiad'unevoixsuppliante.–Toutestpossibleaveclui,réponditPaulcirconspectenreposantlecombiné

sursonsocle.–Bien,repritl'inspecteurenselevant,sicemonsieursurlequelvoushurliez

estassezstupidepourvousrendreservice,vousdormirezchezvous,danslecascontraire,nousavonsdescouvertures.LaFranceestunpayscivilisé.PauletMiafurentescortésverslescellules.Parcourtoisie,onleurévitacelle

oùdeuxpochardsdégrisaient.La porte se referma sur eux.Mia s'assit sur le banc et prit sa tête entre ses

mains.–Ellenemelepardonnerajamais.– Nous n'avons quand même pas écrasé une petite vieille. Pourquoi vous

inquiéter?Ellen'aaucunmoyend'apprendrequenoussommesici.–Nous partageons lemême appartement, quand elle rentrera du restaurant,

elleverrabienquejen'ysuispas,etdemainmatinnonplus.– À votre âge, vous avez le droit de découcher, non ? Elle est juste votre

associéeou...?–Ouquoi?–Non,rien.–Jemesuis inventéunemigrainepournepastravaillercesoiralorsqu'elle

avaitbesoindemoi.–Jereconnaisquec'estmoche.–Mercideremuerlecouteaudanslaplaie.Pauls'assitàcôtéd'elleetgardalesilence.–Uneidée,maiscen'estqu'uneidée,finit-ilpardéclarer.L'interpellation,les

menottesetlecommissariat,cen'estpeut-êtrepaslapeinederaconterçaàvospetits-lords.– Vous plaisantez, c'est sans aucun doute la partie de la soirée qu'ils

préféreront.Grannyquiapassélanuitauposte!Ilsentendirentuntourdeclédanslaserrure.Laportedeleurcellules'ouvritet

unpolicierleurordonnadesortir.Illesconduisitjusqu'aubureaudel'inspecteuroùCristoneli,aprèsavoirprésentéunephotocopiedelacartedeséjourdePaul,signaitunchèquepourréglerl'amende.–Parfait,ditl'inspecteur.Vouspouvezrepartiraveclui.Se retournant, Cristoneli découvrit la présence de Mia et fustigea Paul du

regard.–Comment ça, reprit-il outré à l'inspecteur, pour ce prix-là, je ne peux pas

avoirlesdeux?–Madamen'apassespapiers!–Madameestmanièce!assuraCristoneli,jel'affirmesurl'honneur.–Vous êtes italien et votre nièce anglaise ?Dites-moi, c'est l'internationale

chezvous!– Je suis naturalisé français,monsieur l'inspecteur ! ripostaCristoneli, et en

effet, dans ma famille, nous sommes européens depuis trois générations,métèquesouavant-gardistes,selonvotreouvertured'esprit.–Fichez-moitouslecamp,etvous,mademoiselle,jeveuxvousrevoirdemain

après-midiavecvotrepasseport,c'estclair?Miaacquiesçadelatête.

*

À l'extérieur du commissariat, Mia remercia Cristoneli qui la saluarespectueusement.– C'était un plaisir, mademoiselle. C'est étrange, mais j'ai l'impression que

nousnoussommesdéjàrencontrés,votrevisagem'estfamilier.– J'en doute, répondit Mia en rougissant. Peut-être quelqu'un qui me

ressemble?–Probablement,pourtant,j'auraisjuré...–Pathétique!soufflaPaul.–Qu'est-cequevousavez,vous?ditCristonelienluifaisantface.–C'estaveccesvieuxtrucséculésquevousabordezlesfemmes?«Jesuis

sûrquenousnoussommesdéjàvusquelquepart»,répéta-t-ilenesquissantunemimiquedisgracieuse.Lamentable!–Vous êtes totalement abruti,mon cher, j'étais parfaitement sincère, je suis

certaind'avoirdéjàcroisémademoiselle.–Ehbien,ons'enfiche,noussommespressés,lecarrossedeMademoiselleva

bientôtsetransformerencitrouille,nouséchangeronsdescivilitésunautresoir.–Merciquandmême!grommelaCristoneli.–Celavadesoi,mercibeaucoup,etmaintenantaurevoir.–Ilvaégalementdesoiquecetteamendeseradéduitedevotreavance...

*

– Vous avez l'air de former un vieux couple, lâcha Mia, amusée, lorsqueCristoneliremontaàborddesoncoupé.– C'est surtout lui qui est vieux. Dépêchons-nous. À quelle heure votre

associéerentredurestaurant?–Engénéralentre23h30etminuit.–Celanouslaissevingtminutesaupireetcinquanteaumieux,venez!IlentraînaMiadansunecoursefollejusqu'àsavoiture.Aprèsluiavoirouvertlaportièreetordonnédebouclersaceinture,ildémarra

entrombe.–Oùhabitez-vous?–RuePoulbot,àMontmartre.Et la Saab traversa Paris à vive allure. Paul emprunta les couloirs de bus,

zigzagua entre les taxis, se fit copieusement insulter par unmotard qu'il avaitfrôléplacedeClichy,pardespiétonspourêtrepasséà l'orangeplusquefoncérueCaulaincourtetbifurquarueJoseph-de-Maistresurleschapeauxderoues.

–Nous avons eu notre compte avec la police ce soir, vous devriez lever lepied,suggéraMia.–Etsinousarrivonsaprèsleretourdevotreassociée?–OK...foncez!Lavoitures'élançadanslarueLepic.RueNorvins,Miasetassasursonsiège.–Lerestaurantestlà?–Nousvenonsdepasserdevant,chuchota-t-elle.DerniervirageruePoulbot.Miamontraunimmeubledudoigt.Paulpila.–Dépêchez-vous,dit-il,onsediraaurevoiruneautrefois.Ils échangèrent un regard et Mia se précipita vers la porte cochère. Paul

attenditqu'elle soit entrée, il attenditmêmeunpeuplus longtemps,observa lafaçadedel'immeubleetsouritenvoyantlesfenêtresdudernierétages'allumerbrièvementavantdes'éteindre.Ilétaitsurlepointdedémarrerquandilaperçutune femme remonter la rue et entrer dans l'immeuble. Il klaxonna à troisreprises,etseremitenroute.

*

Daisyentradansl'appartement,éreintée,lesalonétaitplongédansl'obscurité.Elle alluma la lumière et se vautra directement sur son canapé. Son regard seporta vers la table basse, puis sur un livre. Elle s'en empara et examina ànouveaulaphotodel'auteur.ElleallagratteràlaportedelachambredeMiaetl'entrouvrit.Miafitsemblantdeseréveiller.–Commenttesens-tu?–Mieux,jeseraid'attaquedemain.–Tum'envoisravie.–Cen'étaitpastropduraurestaurantcesoir?–Ilyaeudumonde,malgrélapluie.–Ilabeaucoupplu?–Ilfautcroire.Etdansl'appartement,ilapluaussi?–Maisnon,quelleidée,pourquoi?–Pourrien.Daisyrefermalaportesansautrecommentaire.

*

Paulgarasavoitureetmontachezlui.Ils'installaàsonbureaupourattaquerunnouveauchapitreoùsacantatricemuettes'aventuraitsurlestoitsdel'Opéra,

quandl'écrandesonportables'illumina.–Mes petits Lords se joignent à moi pour vous dire que leur future grand-mère a passé une

merveilleusesoirée.–Vousêtesrentréeàtemps?–Àdeuxminutesprès,j'étaiscuite.–J'aiklaxonnépourvousprévenir.–J'aientendu.–Votreroommaten'ariensuspecté?–Jecroisqu'elleavumonimperméablequidépassaitdelacouette.–Vousdormezenimperméable?–Paseuletempsdel'enlever.–Jesuisvraimentdésolépourlecommissariat...–Onpartagel'amende?J'ytiens.–Non,vousêtesmoninvitée.–Vousm'emmenezvisiterlescatacombeslasemaineprochaine?–Çacompteouçanecomptepas?–Çanecomptepas.–Jenevoispaspourquoi.–Parceque!–Eneffet,c'estunetrèsbonneraison.–Alors,c'estd'accord?–VousnepréféreriezpasuneexpoauGrandPalais,ilyamoinsdemorts.–Quelleexpo?–Attendezjeregarde.–J'attends.

–LesTudors.–Jen'enpeuxplusdesTudors...–Lemuséed'Orsay?–LejardinduLuxembourg?–D'accord.–Voustravaillez?–J'essaie.–Alors,jevouslaisse.Après-demain,quinzeheures?–Devantl'entrée,rueGuynemer.L'écran s'éteignit et Paul retourna à l'écriture de son roman. La cantatrice

avançaitsurletoitquandl'écrans'illuminaànouveau.–Jemeursdefaim.–Moiaussi.–Maismoi,jesuiscoincéedansmachambre.–Enlevezvotreimperettentezunedescenteendoucedanslefrigo.–Bonneidée...Maintenant,jevouslaissevraimenttravailler.–Merci.Paulposaletéléphonesursonbureau.Sonregardnecessaitdesedétourner

del'écranpouryrevenir.Déçu,illerangeadansuntiroirqu'ilgardanéanmoinsentrouvert.

*

Miasedéshabilla sansbruit, elle enfilaunpeignoirdebainet entrebâilla laportedesachambre.Daisy,allongéesur lecanapédusalon, lisait leromandePaul. Mia regagna son lit et passa l'heure suivante à écouter son estomacgargouiller.

11.

Ilsesentaitcoupabledenepasavoirécritsuffisammentcesderniersjours.Etlasoiréen'avaitrienarrangé.Ilvoulaitretravaillersespremierschapitres,qu'ilsplaisent à Kyong, même si elle ne lui avait toujours pas répondu, ce qui lepréoccupaitbeaucoup.Il tira les rideaux pour plonger la pièce dans le noir, alluma sa lampe de

bureauets'assitderrièresonécran.La journée fut prolifique, dix pages, cinq cafés, deux litres d'eau et trois

paquetsdechipsenseptheures.Maintenant, il avait faim, une faim de loup et il pensa qu'il était temps

d'abandonnersontravailpourserendreaucaféenbasdechezlui.Cen'étaitpasla meilleure table de l'arrondissement mais au moins il ne dînerait pas seul.Lorsqu'il s'installaitaucomptoir, lecafetier lui faisait toujours laconversation.C'était lui qui l'informait des nouvelles du quartier. Quel voisin était mort ouavaitdivorcé,quelautreavaitemménagé,quelcommerceavaitouvertoufermé,les changements de temps, mais aussi les scandales politiques, tous lesbruissementsde laville etde lavie luiparvenaientpar lavoixdeMoustache,puisquec'estainsiquePaulappelaitsoncafetier.Deretourchezlui,ilouvritsesrideauxpourvoirtomberlesoiretrallumason

écran.Ilconsultasaboîtemail,n'ydécouvritaucunenouvelledeKyongmaisunautremessage.

CherPaul,J'espèrequetoutvabien.NotreséjourdansleSudétaitmagique,jemedemandeencorepourquoi

j'aivécuquatreansàParisaulieudem'installerenProvence.Entrelagentillessedesgens,labeautédespaysages,lesmarchésàcielouvertetletempsqu'ilfait...bref,tudevraispeut-êtreysonger.Lebonheursetrouvesouventplusprèsdenousqu'onnel'imagine.

Tu nous as beaucoup manqué. Nous sommes pour quelques jours en Italie, où nous venonsd'arriver.Portofinoestl'unedesplusjoliesvillesquejeconnaisse,toutelaLigurieestravissante.

Nous avons décidé de nous rendre ensuite àRome et de là nous rentrerons directement à SanFrancisco.

Jet'appelleraidèsnotreretouràlamaison.Donne-moidetesnouvelles,quoideneufdanstavie?Laurent'embrasse,moiaussi.Arthur

Lemail avait été envoyéquelquesminutes auparavant, il supposaqu'Arthur

étaitencoreconnectéetréponditsansattendre.

Chèrevieillebranche,Raviquevotreséjoursedérouleaumieux.Vousdevriezleprolonger,surtoutquejesuistombé

par leplusgranddeshasardssurunsitede locations immobilièresdecourtesdurées. J'aivoulu letestercaronm'enavaitditleplusgrandbien,etvotreappartementyafaitsensation.

Jemesuisoccupédetout.Voslocataires,quej'aitriéssurlevolet,uncouplecharmantavecleursquatreenfants,yresteront jusqu'à lafindumois.Leloyerseraversédirectementsur lecomptedel'agence,iltesuffiradepasserchercherlechèque.Voilàqui,jel'espère,contribueraàfinancervotrevoyageenItalie.

Etmaintenant,noussommesquittes!Sinon,riendeparticulierdansmavie,puisquecelat'intéresse,saufquej'écrisbeaucoupetquela

datedemondépartpourSéoulserapprocheàgrandspas.EmbrasseLaurenpourmoi.Paul

Apparutaussitôtàl'écran:

Tun'aspasfaitça?!!!Savourantsavengeance,PaulhésitaàfairemarinerArthur,maissachantque

celui-cileharcèlerait,ilpréféraluirépondreavantdeseremettreautravail.

Arthur,Si je n'avais pas eu peur quemon filleul passe plus de temps qu'il n'en faut chez samarraine,

j'auraisosésanshésiter,maisjesuistropbon,çameperdra.Celaétant,tuneperdsrienpourattendre.Jet'embrasse.Paul

Surce,ilselaissahapperparlanuitqu'ilconsacratoutentièreàl'écritured'un

nouveauchapitre.

*

–Commentl'as-turencontré?–Qui?–Lui,réponditDaisyenfaisantglisserlelivresurlecomptoirdubar.–Tunemecroiraispas.–Quandtuasdébarquéchezmoiavectonbaluchon,quandtum'asdemandé

de t'héberger, quand tu as pleuré toute une nuit dansmes bras sur le sort queDavidt'avaitréservé,enluidonnanttouslestorts,est-cequejet'aicrue?–Surtonsitederencontres,avouaMiaenbaissantlesyeux.– Je savais bien que j'avais vu son visage quelque part, pestaDaisy. Tu as

vraimentundecesculots!–Cen'estpascequetucrois,jetelejure.–Jet'enprie,nejurepas,c'estsacré.DaisypassadevantMiaetallapréparerlasalleàmanger.–Laisse,ditMiaenlarejoignant,c'estàmoidem'occuperdeça,tuasassez

detravailencuisine.–Jevaissurtoutfairecequejeveuxdansmonrestaurant.–Jesuisvirée?–Tuesamoureuse?–Maispasdutout,protestaMia,véhémente,c'estjusteunami.–Unamicomment?–Quelqu'unavecquijeparle,sanslamoindreambiguïté.–Detoncôtéoudusien?–Desdeux,nousnoussommesmisd'accorddèslepremierdîner.–Parcequevousavezdînéensemble?Quand?Lesoiroùtudormaisavec

tonimperméableparcequetuavaisunemigraineophtalmique?–Non,cesoir-là,nousétionsàl'Opéra.–Demieuxenmieux!–Quandjet'airacontéquej'étaisaucinéma.–LeSuédois!Etduranttoutcetemps,tum'asmenti?–C'esttoiquiasditqu'ilétaitsuédois.–Etleportable?–Ça,c'étaitvrai,ill'avaitoublié.–Ettamigraine?–Passagère...–Jevois!– Ce n'est qu'un ami, Daisy, que je pourrais d'ailleurs te présenter, je suis

certainequevousvousplairiez.–Etpuisquoiencore!–Iltravaillelanuit,commetoi,ilestunpeugauchemaistrèsdrôle,comme

toi,ilestaméricain,ilvitàParisetilestseul,commetoi.–Etilneteplaîtpasàtoi?–Presqueseul.

– Oublie-moi, veux-tu, j'ai eu mon compte de plans foireux avec des fauxcélibataires.Bon,tumetslecouvertouturepeinsleplafond?Mianesefitpasprierets'emparad'unepiled'assiettesqu'elledisposasurles

tables.Daisyentradanssacuisineetcommençad'éplucherdeslégumes.–Tudevraisaumoinslerencontrer,ditMia.–Non!–Maispourquoi?–D'abordparce que ça nemarche jamais commeça, ensuite parce qu'il est

«presque»seul,etsurtoutparcequ'ilteplaîtplusquetunel'avoues.MiaseretournaversDaisy,mainscampéessurleshanches.–Jesaisquandmêmecequejeressens!–Ahoui?Depuisquand?TutraversesParispourluirendresontéléphone,tu

menscommeunecollégienne,tuvasàl'Opéra...–Non,pasàl'Opéra,surl'Opéra!–Pardon?–Nousn'avonspasassistéàunereprésentation,ilm'aemmenéesurlestoits,

voirParisdenuit.–Soittuesvraimentingénue,soittutemensàtoi-même,danslesdeuxcas,

gardetonécrivainetfiche-moilapaix.Miafronçalessourcilsetdemeurasongeuse.–Auboulot,lesclientsnevontplustarder!criaDaisy.

*

À 2 heures du matin, Paul trébuchait encore sur la dernière ligne de sonparagraphe.Ilétaitpréférabled'enrester làpourcesoir.IlconsultaencoreunefoissaboîtemailettrouvaenfinuneréponsedeKyongqu'ilimprima.Ilaimaitdécouvrir ses mots couchés sur du papier, cela la rendait moins virtuelle. Ilattrapalafeuilledanslebacdel'imprimanteetattenditd'êtresoussesdrapspourlalire.Quelquesinstantsplustard,iléteignitetenserrasonoreiller.

*

À3heuresdumatin,Miafutréveilléeparlesvibrationsdesontéléphone.Ellel'attrapasurlatabledenuit.LeprénomdeDavidclignotaitsurl'écran.Son cœur se mit à battre la chamade. Elle le reposa en bonne place, se

rallongeaetenserrasonoreiller.

12.

MiaseprésentaenretarddevantlesgrillesduLuxembourg.EllecherchaPauletpritsontéléphonepourluienvoyerunmessage.

–Oùêtes-vous?–Surunbanc.–Quelbanc?–J'aimisunciréjaunepourquevousmereconnaissiez.–Pourdevrai?–Non!Paulselevaenlavoyantarriveretluifitunsignedelamain.–Tiens,aujourd'hui,c'estvousquiavezmisunimperméable,dit-elle,pourtant

ilnepleutpas.–Çaresteàvoir,répondit-ilensemettantàmarcher,mainsdansledos.Mialesuivit.–Lanuitétaittouteenpagesblanches?–Non,j'aimêmefiniunchapitre,j'encommenceraiunautrecesoir.– Vous voulez faire une partie ? proposa-t-elle en désignant les joueurs de

pétanque.–Voussavezjouer?–Çanedoitpasêtretrèscompliqué.–Si,c'esttrèscompliqué,toutestcompliquédanslavie.–Vousêtesdemauvaisehumeur?–Sijegagne,vousmepréparezàdîner!–Etsivousperdez?– Ce serait malhonnête de vous le laisser espérer... je suis devenu

professionnelàcejeuidiot.

– Je vais quandmême tenterma chance, répliquaMia en avançant vers leboulodrome.Elle demanda à deux joueurs qui conversaient sur des chaises s'ils

accepteraientdeleurprêterleurmatérielet,devantleurréticence,ellesepenchaversleplusâgépourluichuchoterquelquesmotsàl'oreille.L'hommesemitàsourireetluimontraleterrainoùdormaientboulesetcochonnet.–Onyva?dit-elleàPaul.Paul commença la première mène et lança le cochonnet. Il attendit qu'il

s'immobilise,sepenchaenbalançantlebrasettira.Sabouledécrivitunarcdecercleenl'airavantderoulersurleterrainetdes'arrêtercontrelebut.–Difficiledefaireplusprès,siffla-t-il.Àvous.Mia se mit en position sous l'œil amusé des deux grands-pères qui

s'intéressaientàlapartie.Saboules'élevamoinshautquecelledePauletvintseplacerquelquescentimètresderrièreelle.–Pasmal,maisinsuffisant,seréjouitPaul.Ilappuyasondeuxièmelancerd'unlégermouvementderotationdupoignet.

Laboulecontourna lentement lesdeuxqui se trouvaient sur lapiste etvint secolleraubut.–Etvoilà,exultaPaul,triomphal.Mia semit en position, plissa les yeux, et pointa. Les deux boules de Paul

furentpropulséesauloin,tandisquecellesdeMiasemblaientépouserlesformesducochonnet.–Ohleputaindecarreau!crial'undesdeuxpapystandisquel'autreéclatait

derire.–Etvoilà,déclaraMia.Paullaregarda,abasourdi,ets'éloigna.Miasalualesdeuxhommesquil'applaudissaientetcourutversPaul.–C'estpasbeaud'êtremauvaisjoueur!dit-elleenlerejoignant.–Parcequevous allezme faire croire que c'était la première fois quevous

jouiez?–TousmesétésenProvence...vousn'écoutezjamaislesfemmesquandelles

vousparlent.–Si,jevousécoutais,protestaPaul.J'avaislatêteunpeuàl'enverscesoir-là,

aurisquedevousrappelerlescirconstancesdenotrerencontre.–Qu'est-cequinevapas?Paulsortitunefeuilledepapieretlaluitendit.–Jel'aireçuhiersoir,grommela-t-il.

Mias'arrêtapourlire.

CherPaul,Jesuisheureuseque tuviennesàSéoul,mêmesinousn'auronspas le loisirdeprofiter l'unde

l'autre autant que je l'aurais souhaité. Le Salon du livre me contraint à des obligationsprofessionnelles auxquelles je ne peux déroger. Tu seras agréablement surpris de l'accueil que teréserveront tes lecteurs et bien plus sollicité que moi. Tu es célèbre ici, les gens t'attendentimpatiemment.Prépare-toiàdonnerbeaucoupde tapersonne.Demoncôté, jeme libéreraiautantquepossibleetteferaivisitermaville...sitonéditeurnousenaccordeletemps.

J'auraisaiméterecevoirchezmoi,maiscelaestimpossible.Mafamillevitdansmonimmeubleetmon père est très strict. Qu'un homme dorme chez sa fille serait un manquement aux règles debienséancequ'ilnetoléreraitpas.Jedevinetadéceptionetlapartage,maistudoiscomprendrequelesmœursetusagesnesontpascheznouslesmêmesqu'àParis.

Jemeréjouisdetevoirbientôt.Faisbonvoyage.Tatraductricepréférée.Kyong

–C'estunpeufroid,concédaMiaenluirendantlafeuilledepapier.–Glacial,oui!– Ilne faut rienexagéreret savoir lireentre les lignes. Jevoisbeaucoupde

pudeurdanssonmessage.–QuandellevientàParis,cen'estpaslapudeurquilacaractérise.–Maislà,vousserezchezelle,cen'estpaslamêmechose.–Vousqui êtesune femme,vousdevez savoirmieuxquemoi lire entre les

lignes.Ellem'aimeouellenem'aimepas?–Jesuissûrequ'ellevousaime.–Pourquoinel'écrit-ellepas,c'estsidifficileàavouer?–Quandonestpudique,oui.–Quandvousaimezunhomme,vousneleluiditespas?–Pasforcément.–Qu'est-cequivousenempêche?–Lapeur,réponditMia.–Lapeurdequoi?–Lapeurdefairepeur.–Qu'est-cequec'estcompliquétoutça!Alorsquefaut-ilfaire,direounepas

dire,quandonaimequelqu'un.–Ilfautattendreunpeu.–Attendrequoi,qu'ilsoittroptard?–Qu'ilnesoitpastroptôt.–Etcommentsait-onquelemomentestvenuderévélerlavérité?

–Quandonsesentrassuré,jesuppose.–Vousvousêtesdéjàsentierassurée?–Oui,çam'estarrivé.–Etvousluiavezconfiéquevousl'aimiez.–Aussi.–Etlui,ilvousaditqu'ilvousaimait?–Oui.LevisagedeMias'assombritetPauls'enaperçut.–Vousvenezdevoussépareretmoijeviensremuervotrechagrinavecmes

grossabots,c'étaitégoïstedemapart.– Non, c'était plutôt touchant. Si tous les hommes avaient le courage de

montrerqu'euxaussisaventêtrefragiles,celachangeraittellementdechoses.–Vouscroyezquejedoisluirépondre?–Jecroisquevousallezbientôtlarevoiretquandvousserezavecelle,elle

succomberaàvotrecharme.–Vousvousmoquezdemoi,n'est-cepas?Jesais,jesuisridicule.–Paslemoinsdumonde,vousêtessincère,nechangezsurtoutpas.–UnegaufreauNutella,çavousplairait?–Pourquoipas,soupiraMia.Paull'entraînaverslabuvette.Ilyachetadeuxgaufresetoffritlapremièreà

Mia.– S'il revenait, dit-il la bouche pleine, s'il vous demandait pardon, vous lui

donneriezunesecondechance?–Jen'ensaisrien.–Ilnevousapasrappeléedepuis...–Non,l'interrompitMia.–Bon, là-bas, lebassinoù lesenfants fontnaviguerdespetitsvoiliersmais

nousn'avonspasd'enfant,dececôté-ci,lespromenadesàdosd'âne...çanevoustentepas?–Pasvraiment,non.–Parfait,desânesj'envoisassezcommeça.Danscettedirection,lestennis,

nousnejouonspasautennis,jecroisqu'onafaitletour!Allons-y,j'enaimarredecejardinetdecescouplesquisebécotent.MiasuivitPaulverslaportedeVaugirard.IlsdescendirentlarueBonaparte,

longèrentlaplaceSaint-Sulpiceoùsetenaitunebrocante.Ilsensillonnèrentlesalléesets'arrêtèrentdevantunstand.–Elleestjolie,repritMia,enregardantunemontreancienne.

–Oui,mais jesuis tropsuperstitieuxpourporterunobjetayantappartenuàquelqu'un.Oualors,ilfaudraitquejesachesicettepersonneétaitheureuse.Nevous fichezpasdemoi,mais je crois à lamémoiredesobjets. Ils émettentdebonnesoudemauvaisesondes.–Vraiment?–Ilyaquelquesannées,j'avaisachetédansunebrocantecommecelle-ciun

presse-papiersencristal.Levendeurm'avaitassuréqu'ildataitduXIXesiècle.Jenel'aipascruuninstant,maisilyavaitunvisagedefemmegravéàl'intérieurque je trouvais joli. Du jour où j'en ai fait l'acquisition, je n'ai eu que desemmerdes.–Quelgenred'emmerdes?–Çavousvabiendediredesgrosmotsdetempsentemps.–Commentça?–Jenesaispas,avecvotreaccent,çavousdonneunpetitcôtésexy.Oùen

étais-je?–Àvosemmerdes.– Franchement, ça vous va bien ! Ça a commencé par une fuite d'eau, le

lendemainmonordinateuresttombéenpanne,lesurlendemainmavoitureétaitàlafourrière,leweek-endunegrippecarabinée,lelundi,monvoisindudessousa faitun infarctus, etpuisdèsque jeposaisune tasse surmonbureauprèsdupresse-papiers,jelarenversais.Unjour,l'anses'estmêmecassée,j'aibienfaillim'ébouillanter lescuisses.C'estd'ailleurs làque j'aicommencéàsuspectersespouvoirsmaléfiques.Moiquivousparlaisdusyndromedelapageblanche,cefut blanc, du blanc et rien que du blanc, comme si j'écrivais sur les flancs duKilimandjaro. Je me suis aussi pris les pieds dans le tapis, cassé le nez enatterrissant ventre à terre, vousm'auriez vu, pissant le sang, la tête en arrière,hurlantdansmonappartement.Après,jemesuisévanoui.Heureusement,l'undemescollèguesécrivainsadesdonsdevoyance.Touteslesdeuxsemaines,jedîneavecdesconfrèresdansunbistrot,onseracontenoshistoires.Jevaiscesserd'yallerd'ailleurs,cesdînerssontsinistres.Medécouvrantavecmonpansementsurlenez,ils'estinquiétédemonsort,jeluiairacontécequim'arrivaitdepuisquej'avaisachetécepresse-papiers.Ilafermélesyeuxetm'ademandésiunvisageétaitincrustédansleverre.–Vousneleluiaviezpasprécisé?–Peut-être,jenem'ensouvienspas.Bref,ilm'asuggérédem'endébarrasser

auplusvite,maisenveillantànesurtoutpas lecasser,pournepas libérer lespuissancesmaléfiques,cequicoulaitdesource,évidemment.

–Vousl'avezmisàlapoubelle?questionnaMiaenserrantleslèvres.–Mieuxqueça.Jel'aiemballédansungroschiffonetbienficelé.J'airepris

mavoiture,j'airouléjusqu'aupontdel'Almaetplouf,danslaSeine.Mianeputsecontenirpluslongtempsetéclataderire.–Surtoutnechangezpas,dit-elle,lesyeuxhumides.Jevousadore.Paullaregarda,interloqué,etseremitenmarche.–C'estunemanie,chezvous,devousmoquerdemoi.– Je vous jure que non... Et vos ennuis ont cessé quand vous avez noyé ce

presse-papiers?–Ehbienoui,figurez-vous.Toutestrentrédansl'ordre.Miaritdeplusbelleets'accrochaàsonbrasquandPaulaccéléralepas.Ils passèrent devant une librairie spécialisée enmanuscrits anciens.Dans la

vitrinetrônaientunelettredeVictorHugoetunpoèmedeRimbaudgriffonnésurunefeuilledecahier.Mialesregarda,émue.–Unpoèmeouunebellelettrenepeuventpasportermalheur,n'est-cepas?–Non,jenepensepas,repritPaul.Ellepoussalaportedumagasin.–C'estsibeaudetenirentresesmainsunelettred'unécrivainillustre,c'estun

peucommeentrerdanssonintimité,devenirsonconfident.Dansunsiècle,desgens comme nous s'émerveilleront en découvrant celles que vous adressiez àvotretraductrice.Elleseradevenuevotrefemmeetceslettresaurontmarquéledébutd'unecorrespondanceprécieuse.–Jenesuispasunécrivainillustre,jeneleseraijamais.–Jenepartagepasvotreavis.–Vousavezluundemesromans?–Deux.Etleslettresdelamèredanslepremierm'ontfaitpleurer.–C'estvrai?–Jenepeuxpascracher ici,ceseraitduplusmauvaiseffet, ilvafalloirme

croiresurparole.–Jesuisdésolédevousavoirfaitpleurer.– Vous n'en avez pas l'air, c'est la première fois que je vous vois sourire

aujourd'hui.– J'avoue être content, pas que vous ayez pleuré... si, un peu quandmême.

Pourfêterça,jevousemmènedégusterunepâtisseriechezLadurée.C'estàdeuxpasetsivousn'avezjamaisgoûtéleursmacaronsvousn'avezpasencoreconnulavoluptéabsolue.Enfin,peut-êtrequevoussi,puisquevousêteschef.

–D'accord,maisensuiteilfaudraquejeretourneaurestaurant,macuisinenesauraitêtrevoluptueusesijenesuispasàmesfourneaux.Ilsprirentplaceàunetabled'angleetcommandèrentunchocolatchaudpour

Mia,uncafépourPauletunassortimentdemacarons.Laserveuse,enpréparantleurplateau,ne lesquittaitpasdesyeux ;PauletMia lasurprirenten traindechuchoteravecsacollèguetoutenlesregardant.Merde,ellem'areconnue.Oùsontlestoilettes?Non,paslestoilettes,elleva

luiparlerenmonabsence.Sielleraconteàquiquecesoitm'avoirvue iciencompagnied'unhomme,Crestonme tue.Luiaffirmerqu'ellemeconfondavecquelqu'und'autre,etêtreconvaincante,c'estlaseulechoseàfaire.Laserveuserevintquelquesinstantplustardet,disposantlestasses,demanda

d'unevoixtimide:–Excusez-moi,maisc'estfoucequevousressemblezà...– Je ne ressemble à personne, rétorqua Paul d'un ton autoritaire, je ne suis

personne!Fortgênée,lajeunefemmes'éloignaaprèss'êtreexcusée.Mia,dontlevisages'étaitempourpré,mitseslunettesdesoleiletseretourna

versPaul.–Jesuisdésolé,s'excusa-t-il,celam'arrivedetempsàautre.–Jecomprends,réponditMiadontlecœurbattaitàcentàl'heure.Iln'yapas

qu'àSéoulquevousêtescélèbre.–Danscequartier,peut-êtreunpeu,maispasau-delà.Croyez-moi, jepeux

passer deux heures dans une Fnac sans qu'un libraire me reconnaisse, et tantmieuxd'ailleurs.C'estunelectrice,jen'auraispasdûréagirainsi,jesuistimide,jevousl'aidit,non?–Tonegovientdemesauver lavie !Cen'estpasgrave.Laprochaine fois,

apportez-luiundevoslivresdédicacés,çaluiferasûrementplaisir.–C'estuneexcellenteidée.–Aufait,oùenestvotrecantatrice?–Lecritiquel'asuivieenbasdechezelle.Ill'aabordée,sansluirévélerses

soupçons. Il se présente comme écrivain, prétend qu'elle ressemble aupersonnagedesonroman.Jecroisqu'ilcommenceàéprouverdessentimentsquiletroublent.–Etelle?– Je l'ignore, il est trop tôt pour le dire. Elle ne lui avoue pas qu'elle a

remarquésaprésencedepuis longtemps,elleapeur,etenmêmetemps,ellesesentmoinsseule.

–Qu'est-cequ'ellevadécider?–Defuirjepense,pourpréserversonsecret.Ellenepeutêtresincèreaveclui

et lui mentir sur sa véritable identité. J'imaginais faire intervenir son ancienimprésario.Qu'enpensez-vous?–Jenesaispas,ilfaudraitd'abordquejeliseavantdevousdonnerunavis.–Çavousplairaitdedécouvrirmespremierschapitres?–Sivouslesouhaitez,j'enseraistrèsheureuse.–Jen'aijamaisdonnéàlireundemesmanuscritsavantqu'ilnesoitterminé,

saufàKyong.Maisvotreopinionpourraitbeaucoupcompter.–Parfait,quandvousvoussentirezprêt,jeseraivotrepremièrelectrice,etje

vousprometsd'êtrefrancheavecvous.–Demoncôté,j'aimeraisvenirunsoirgoûteràvotrecuisine.–Non,jen'ytienspas.Unchefn'estjamaistrèsfréquentableenpleinservice.

Beaucoupd'agitation,desueur...nem'envoulezpas,maisvraimentjenepréfèrepas.–Jecomprends,ditPaul.Ils se séparèrent devant la station de métro Saint-Germain-des-Prés. Paul

passaenbasdechezsonéditeuretcrutl'apercevoiràlafenêtredesonbureau.Ilcontinuasoncheminetrentrachezlui.Ilconsacralasoiréeàsonmanuscrit,tentantd'imaginercequ'allaitdevenirsa

cantatricedéchue.Plus il avançaitdans sonhistoire etplus elle empruntait lesexpressions deMia, sa façon demarcher, de répondre à une question par uneautrequestion, son sourire fragilequandelle était émue, ses éclatsde rire, sesregardsabsents,sonélégancediscrète.Ilsemitaulitalorsquelejourselevait.

*

Paulfutréveilléparunappeldesonéditeurendébutd'après-midi.Cristonelil'attendait à son bureau. En chemin, il s'arrêta pour s'acheter un croissant, lemangeaauvolantdesaSaabetarrivaavecseulementunedemi-heurederetard.Cristonelil'accueillitàbrasouvertsetPaulredoutauncoupfourré.–J'aideuxbonnesnouvelles,s'exclamal'éditeur,toutàfaitrapatantes.–Commencezparlamauvaise!Cristonelil'observa,étonné.–J'aireçuunmessagedesCoréens,vousêtesinvitéaujournaldusoirquisera

suivid'unegrandeémissionlittéraire.–Etlabonne?

–Maisenfin,jeviensdevousladonner!– J'ai un trac à défaillir quand je fais une signature où il y a plus de vingt

personnes,commentvoulez-vousquejepasseàlatélé?Vousavezenviequejetournedel'œilendirect?–Vousneserezquetouslesdeuxsurleplateau,aucuneraisond'avoirletrac.–Touslesdeux?–Murakamiestl'invitéprincipal.Vousrendez-vouscomptedelachanceque

vousavez?– De mieux en mieux, je serai à l'antenne avec Murakami. Avant de

m'évanouir,jevaispeut-êtrevomirsurleschaussuresduprésentateur,ceseraduplusbeleffet.–Trèsbonneidée,celaferaitprobablementvendredestonnesdelivresdèsle

lendemain.–Vousentendezcequejevousdis?Jesuisincapabledepasseràlatélé,je

vaissuffoquer,jesuffoquedéjà,jevaismourirenCoréedevantdesmillionsdetéléspectateurs,vousaurezétécompliced'unmeurtre.– Arrêtez votre cinéma, vous n'aurez qu'à prendre un bon cognac avant

d'entrerenscèneettoutirabien.–Bourréàl'antenne,jevaisêtrerapatant!–Fumezunpetittruc.–J'aifuméunpetittrucunefoisdansmavieetpendantdeuxjours,j'aivudes

nidsdevachesauplafonddemachambre.– Écoutez, mon cher Paul, vous prendrez sur vous et tout se déroulera à

merveille.–Vousaviezditdeuxnouvelles,quelleétaitl'autre?–Enraisondeceprogrammedepressequinecessedeseremplir,votredépart

estavancé.Paul partit sans saluer son éditeur.Avant de quitter les lieux, il emporta un

exemplairedesondernierromanquitraînaitsurunetabledansl'entrée.Il descendit la rue Bonaparte et s'arrêta devant la vitrine de la librairie de

livresanciens.Ilentraàl'intérieuretenressortitunquartd'heureplustardaprèsavoir âprement négocié un petit bristol rédigé de la main de Jane Austen,payableentroismensualités.Poursuivantsonchemin,ilfithaltedanslapâtisserie,repéralaserveuseetlui

demandasonprénom.–Isabelle,répondit-elle,étonnée.

Paulouvritl'exemplairedesonromanetécrivitsurlapremièrepage.ÀIsabelle,fidèlelectrice,avecmesremerciementsetmesexcusespourhier.Bienamicalement.PaulBartonIlluitenditl'ouvrage,ellelutladédicacesansrienycomprendre.La politesse prenant le dessus, elle le remercia, abandonna le livre sur le

comptoiretrepritsontravail.

*

Ileutenvied'appelerArthur,mais ilnesavaitplussisonamiétaitencoreàRomeoudéjàdansl'avionquileramenaitenCalifornie.RueJacob, ilauraitaimétrouverunmagasinoùpouvoiracheterunfrèreou

unesœur,àdéfautenlouerunquelquesheures.Ilsevoyaitdéjàseuldanssonappartement, enproie àunecrisedepanique. Il récupéra savoiturequ'il avaitgaréedevantl'hôtelBelAmi,ritjauneenregardantlefrontispice,etfonçaversMontmartre.

*

–Pourunefoisquej'aidelachance,marmonna-t-ilendénichantuneplacedestationnementrueNorvins.Ilsegaraetremontalarueàpied.–Ellem'a interditdevenirdînerdans son restaurantmaispasde lui rendre

visite.C'estdélicatou indélicat ? Je risquede ladéranger, enmême temps, jen'enaipaspourlongtemps,jeluidonnesonpetitcadeau,lespremierschapitresdemonroman,etjem'envais.Non,paslespagesduromanaveclecadeau,ellepourrait croire que les deux intentions sont liées. J'entre, je le lui offre et jeressors.Oui,c'estbiencommeça,c'estmêmeparfaitcommeça.Paul rebroussa chemin, rangea son manuscrit dans le coffre de la Saab et

garda sur lui la belle enveloppe enrubannéequi contenait le petitmot de JaneAusten.Quelquesinstantsplustard,ilpassadevantLaClamada,jetaunœilàtravers

lavitrineets'immobilisanet.Mia,vêtued'ungrandtablierparme,dressaitlecouvert.Daisy, que l'on apercevait dans sa cuisine au fond de la salle, semblait lui

donnerdesordres.Paulobservalascèneetpressalepas,dissimulantsonvisagederrièresamain.

Dèsqu'ileutdépassélerestaurant,ilaccéléraencore,jusqu'àlaplaceduTertre.

–Pourquoicemensonge,quelleimportancequ'ellesoitserveuseoupatronned'un restaurant ? Et on raille l'ego des hommes... alors là ! Qu'est-ce qu'ellepensait?Quejenevoudraispasêtreamiavecuneserveuse?Ellem'aprispourqui ? D'accord, je n'ai pas été très aimable avec celle de Ladurée, mais sonbobard avait commencé bien avant. Je t'en ficherais des « ma cuisine estvoluptueuse » ! En même temps, ce n'est pas très très grave. En d'autrescirconstances,jemesuisaussifaitpasserpourunautre.Réfléchissons,soitjelaconfonds...ceseraitjouissifmaisméchant,soitjenedisrienetjeluitendsuneperchepourqu'elleavouelavérité.Ceseraitplusélégant.

Ils'installasurunbanc,pritsonportableetenvoyauntextoàMia.–Toutvabien?Miasentitvibrersontéléphonedanslapochedesontablier.Lanuitdernière,

Davidluiavaitadressétroismessages,lasuppliantdelerappeler.Jusque-là,elleavait tenubon,ellen'allaitpascraquermaintenant.Ellearrangealesserviettes,enlorgnantdanslapochekangouroudesontablier.–Turegardessitonnombrilesttoujourslà?demandaDaisy.–Non!–Davidinsisteencore?–Jepense.–Coupeceportableoulissonmessage,tuvasmecasserdelavaisselle.Miasortitsontéléphoneet,souriant,pianotasurleclavier.–Oui,etvous?–Vousauriezunpetitmomentàmeconsacrer?–Jesuisencuisine.–Jen'enauraipaspourlongtemps.–Jeveuxbienvousappeler,maispuisquec'estvousquimeledemandez,n'espérezpasqueçacompte!–Jesuissurunbanc,placeduTertre,sansmoncirécettefois.–Toutvabien?–Oui.Vousvenez?–Donnez-moicinqminutes.

Daisy,uneloucheàlamain,observaitMia.–Tum'excuses,lançaMia.J'aiunecourseàfaire.Tun'asbesoinderien?–Sicen'estdequelqu'unpours'occuperdelasalle,non!– Le couvert est mis et la salle est vide. Je reviens dans un quart d'heure,

réponditMiaenôtantsontablier.Elleseregardadanslemiroirau-dessusdubar,arrangeasacoiffure,pritson

sacetchaussaseslunettesdesoleil.–TumerapportesdesKrisprolls,ditDaisy.Miahaussalesépaules.–Jevaisjustefaireunepetitecourse.Elleaccéléra lepas,passadevant lecaricaturistesans lesalueretchercha le

bancoùPaulétaitassis.–Qu'est-cequevousfaitesici?s'enquit-elleens'asseyantprèsdelui.–J'étaisvenuvousapportermespremierschapitresetcommejesuisunidiot

fini,jelesaioubliéschezmoi.J'auraistrouvébêtederepartirsansvousvoir.–C'estgentil.–Vousn'avezpasl'airdansvotreassiette...sansmauvaisjeudemots.–Jen'aipasbeaucoupdormi.J'aifaituncauchemar,cettenuit.–Uncauchemar,c'estunrêvequiamalvieilli.Mialeregardalonguement.–Pourquoimefixez-vouscommeça?repritPaul.–Pour avoir dit cela, j'aurais envie de vous embrasser maintenant... Pour

rien.–Unangepassa.–Puisquevousavezoubliévoschapitres,donnez-moiaumoinsdesnouvelles

denotrecantatrice.–Ellevabien.Enfaitnon,elleaunproblème.–Grave?– Elle aimerait se lier d'amitié avec le critique. Il est vrai qu'il redouble

d'attentionsàsonégard.–Qu'est-cequil'enempêche?– Peut-être le fait de ne pas lui avoir révélé la vérité à son sujet. Peut-être

qu'ellen'assumepaslefaitd'êtreunesimpleouvreuse.–Quelleimportance?–Jemeledemande,justement.

–Cegenredepréjugéestdépassé.–Depuisquand?–S'ilenestencorelà,ilnelaméritepas.–Jesuisbiend'accordavecvous.–Non,çanetientpaslaroute.Vousdevezluitrouverunautreproblème.–Lecritiquen'aplusdedoutesursavéritableidentité.–Maisellel'ignore.–Certes,maiscommentpeut-elleêtresincèreaveclui,sielleluiment?MiafixaPaulduregardetfitglisserseslunettesdesoleilsurleboutdeson

nez.–Vousveniezd'oùquandvousm'avezappelée?–DeSaint-Germain,pourquoi?–Vousavezoffertvotrelivreàlaserveused'hier?–C'estdrôlequevousmeposiezcettequestion,parcequelaréponseestoui.Miasentitsoncœurs'emballer.–Quevousa-t-elledit?–Àpeineunmerciduboutdeslèvres.Elledoitêtrerancunière.–Riend'autre?–Non,ilyavaitbeaucoupdemonde,elleareprissontravail,etjesuisreparti

demoncôté.Miaremitseslunettes,soulagée.– Je ne vais pas pouvoir rester longtemps, dit-elle. Vous vouliez me dire

quelque chose de particulier ?Vous non plus, vous n'avez pas l'air dans votreassiette.–JemesuisrenduàSaint-Germainparcequemonéditeurm'avaitconvoqué.

MonvoyageenCoréeestavancé.–C'estuneexcellentenouvelle,vousreverrezvotreamieplustôt.– Lamauvaise nouvelle c'est ce quim'amène à avancer ce voyage. Je suis

invitéàuneémissiondetélévision.–C'estformidable!–Cequiestformidable,c'estquejefaisdelatachycardiedepuisqu'ilmel'a

appris.Qu'est-cequejevaisbienpouvoirdireouraconterdanscetteémission,c'estterrifiant!–Faceauxcaméras,cenesontpaslesmotsquicomptentmaisleurmusique.

Vosproposn'aurontquepeud'importancedumomentquevous souriez ; et sivousavezletrac,lestéléspectateurstrouverontcelacharmant.–Vousyconnaissezquoi,encaméras?Vousn'avezjamaisétésurunplateau

detélé.Bon,alors!–Non,eneffet,répliquaMiaentoussotant,etsicelam'arrivaitjeseraisaussi

terroriséequevous.Jeparlaisentantquespectatrice.–Tenez, dit Paul en sortant de sa poche l'enveloppe enrubannée, c'est pour

vous.–Qu'est-cequec'est?–Ouvrez,vousverrez.Attention,c'estfragile.Miapritlepetitmotcontenudansl'enveloppeetlelut.– « Trois livres de carottes, une livre de farine, un paquet de sucre, une

douzaine d'œufs, une pinte de lait... », récitaMia.C'est très gentil dem'offrircela,vousvoulezquejefassevoscourses?–Regardezlasignatureenbas,soupiraPaul.–JaneAusten!s'exclamaMia.–Enpersonne ! Je reconnaisquecen'estpas saprose laplus illustre,mais

vousvouliezquelquechosed'intime.Lesgens illustresdoivent senourrir, euxaussi.Sansréfléchir,MiaposaunbaisersurlajouedePaul.–C'estsidélicatdevotrepart,jenesaispasquoidire.–Neditesrien.Miatenaitlapetiteficheentresesmains,caressantl'encreduboutdel'index.–Onnesaitjamais,repritPaul,cettenotevousinspirerapeut-êtreunerecette.

J'aiimaginéquevouspourriezl'encadreretl'accrocherdansvotrecuisine.D'unecertaine façon, Jane Austen sera auprès de vous quand vous êtes à vosfourneaux.–Onnem'avaitjamaisrienoffertdepareil.–Cen'estqu'unpetitmorceaudeBristol.–Rédigéetsignédelamaind'unedesplusgrandesécrivainesanglaises.–Celavousplaîtvraiment?–Jenem'ensépareraijamais!–J'ensuisheureux.Filez,vousavezprobablementquelquechosesurlefeu,je

nevoudraispasqueleplatdujoursoittropcuitàcausedemoi.–Vousm'avezfaitunemerveilleusesurprise.–Noussommesd'accordquecettevisiteétaitimprévue?–Oui,pourquoi?–Donc,çanecomptepas!–Non,çanecomptepas.MiaselevaetembrassaànouveauPaulsurlajoueavantderepartir.

Lecaricaturisten'avaitrienperdudelascène.Pauletluilavirentdescendrelarue.

*

QuandellearrivadevantLaClamada,sontéléphonevibraencore.–Votrerestaurantestferméledimanche?–Oui.–Voussavezcequimeferaitplaisir?–Non.–Découvrirvotrecuisine.Miasemorditlalèvre.–Nouspourrionsdéjeunerchezvous,entoutbientouthonneur.MiaregardaDaisyàtraverslavitrine.–Macolocataireseralà.–Vouscuisinerezpourtrois.Ellepoussalaportedurestaurant.–Alorsàdimanche,vousconnaissezl'adresse,c'estaudernierétage.–Àdimanche.–Merci,signéMiaAusten☺–Tuastrouvécequetucherchais?questionnaDaisyensortantdesacuisine.–Ilfautquejeteparle.–Enfin!

*

DaisyrefusacatégoriquementdeparticiperauprojetdeMia.–Tunepeuxpasme laisser tomber,etmoi jenepeuxpas le recevoirseule

cheztoi.–Etpourquoipas?

–Ceseraitambigu.–Parcequelà,çanel'estpas?–Non,iln'arienditoufaitquipuisseprêteràconfusion.–Jeneparlaispasdeluimaisdetoi.–Jetelerépète,entrenous,c'estledébutd'uneamitié.Jenesuispasguérie

deDavid.–Tun'avaispasbesoindemelepréciser,ilsuffitderegardertatêtequandton

portablevibre.Iln'empêchequetujouesàunjeudangereux.– Je ne joue pas, je vis. Il est drôle, il ne cherche pas à me séduire. Il a

quelqu'un,elleestloin,nousnefaisonsriendemal,nousluttonschacuncontrenotresolitude.–Ehbien,demainmidi,vousallezcontinuerdeluttersansmoi.–Jenesaismêmepasprépareruneomelette!–Ilsuffitdecasserdesœufsetdebattreavecunpeudecrème.–Paslapeined'êtreméchante,jetedemandaisunservice,riendeplus.–Jenesuispasméchante,jeneveuxpasêtrecompliced'unfiasco.–Pourquoituvoistoujourstoutennoir?–Jenepeuxpascroirequecesoittoiquimedisesça.Tucomptesluirévéler

un jour la vérité à ton ami ? Tu t'identifies à ton rôle de serveuse au pointd'oublierquitues?Queferas-tuquandtonfilmsortiraensalle,quandtuserasenpromotion?–PaulpartbientôtenCorée,ilvaprobablements'yinstaller.Lemomentvenu,

jeluiécriraietluiavouerailavérité.Entre-temps,ilauraretrouvésatraductriceetilseraheureux.–Tuvoislaviecommeunscénario.–Trèsbien,jevaisannuler.–Tunevasrienannuler,ceseraitgrossier.Tuvasjouertonrôlejusqu'aubout,

aurisquedet'enmordrelesdoigts.–Pourquoitumefaisça?– Parce que ! râla Daisy avant d'aller accueillir des clients qui venaient

d'entrer.

13.

Mia venait de jeter à la poubelle sa troisième omelette. La première avaitbrûlé,ladeuxièmeétaitpâteuse,latroisièmeressemblaitvaguementàdesœufsbrouillés.La table, elle, était plaisante. Trois couverts étaient dressés –Mia préférant

annoncerun fauxbonddeDaisy à la dernièreminutequededevoir expliquersonabsence–,unbouquetdefleursdisposéaucentreainsiqu'unecorbeilledeviennoiseries.Aumoins, ilyauraitquelquechosedecomestible.Sonportablevibra,elleselavalesmainsetlesavant-brasmaculésdejaunesd'œufs,rouvritleréfrigérateur pour la dixième fois et pria pour que Paul lui annonce qu'il nepouvaitpasvenir.

–Jesuisenbas.–Montez.Ellejetaunultimecoupd'œilàlapièceetcourutouvrirlafenêtre.Lemanche

en bakélite d'une casserole où elle avait voulu tiédir une compote de pommesachetéeàl'épicerieavaitprisuncoupdechaud,dégageantuneodeurâcre.Onsonna.Paulentra,unpetitpaquetàlamain.–C'estadorable,qu'est-cequec'est?questionnaMia.–Unebougieparfumée.–Onva l'allumer immédiatement,dit-elle, avecunepenséevenimeusepour

Daisy.–Bonneidée.Çaneserapasduluxe,ondiraitqu'elleacuisinéungratinde

pneus.–Vousdisiezquelquechose?–Non,jetrouvaisl'appartementcharmantetquellevuesublime.Elleestmal

àl'aise,jen'auraispasdûm'inviter.Jepourraisluiproposerd'allers'installeràlaterrassed'unrestaurant,ilfaituntempsmagnifique.Non,elles'estdonnéun

maldechien,ceseraitencorepire.– On va commencer par les croissants. Voilà, très bonne idée, je vais le

bourrerdecroissantsetdepetitspainsauchocolat jusqu'àcequ'ilexplose,etaprèsjepasserail'aspirateur.– C'est votre seul jour de congé et je vous force à faire la cuisine, c'est

maladroit, jen'auraispasdûm'imposerainsi.Quediriez-vousd'uneterrasseausoleil?–Siçavoustente...Dieuexiste!Pardon,Seigneur,d'avoirparfoisdoutéde

toi,demain,c'estpromis,j'iraiallumerunciergeàl'église.– Enfin, je vous propose ça mais vous vous êtes donné du mal et je ne

voudraispasparaîtreindélicat,c'étaitmêmepournepasl'êtrequejevousoffraisdesortir.–Dixcierges!Vingt,situveux!–Vraiment,soyezàl'aise,c'estcommevousvoulez.– C'est vrai qu'il fait beau aujourd'hui, j'aurais dû installer la table sur le

balcon...Maistuesconneouquoideproposerça?–Vousvoulezquejemettelecouvertdehors?–Àquelleterrassedecafépensiez-vous?s'enquitMiad'unevoixfébrile.–Aucuneenparticulier.Jemeursdefaim.–Tuattrapestonsacavantqu'ilnechanged'avis,tuluidisquec'estuneidée

génialeettucoursdansl'escalier.Laportede l'appartements'ouvrit. Ils se retournèrent tousdeux.Daisyentra

avecdeuxgrandscabas.–Tuauraispuaumoinsenprendreun,dit-elleenlesposantsurlecomptoir.Ellesortittroisgrandsplatsrecouvertsdepapieraluminium.– Bonjour, je suis Daisy, l'associée de Mia, et vous, vous êtes l'écrivain

suédois?–Oui,maisnon...américain.–C'estcequejevoulaisdire.–Qu'est-cequec'est?demandaPaulenlorgnantlecomptoir.– Le brunch !Mon associée est un cordon-bleu,mais pour le service, c'est

toujoursmoiquim'ycolle,mêmeledimanche,jetrouveceladétestable.–Tu charries, protestaMia, ce n'était pas tout à fait cuit, il fallait bien que

quelqu'unmettelatable.DaisypassadevantMiaenluimarchantsurlespieds.– Voyons ce que tu nous as préparé, reprit Daisy en ôtant les feuilles

d'aluminium.Unepissaladière,unetourtedeblettes,etdespetitsfarcis.Siona

faimaprèscela,iln'yauraplusqu'àchangerdecuisinière!–Çasenttrèsbon,complimentaPaulens'adressantàMia.Daisysemitàrenifler,unefois,deuxfois,àlatroisièmeelleavançaversla

table,repéralabougieparfumée,fitunegrimaceensoufflantsurlaflamme,etallalajeterdirectementdanslapoubelle,sansmanquerdesourireenvoyantsoncontenu.–Ehbiença,c'estfait,déclaraPaul,unpeusurpris.D'ungestecomplice,Mialuilaissaentendrequesonassociéeavaitparfoisdes

comportementsbizarres.Échangequin'échappapasàDaisy.–Onpasseàtable!ordonna-t-elleavecuntonpince-sans-rire.

*

Paul souhaitait savoir comment elles étaient devenues amies.Mia se mit àraconter le premier voyage en Angleterre de Daisy. Daisy l'interrompit pourraconterceluideMiaenProvence,lapeurqu'elleavaitdescigales.Elledécrivitleursescapadesnocturnes,leursmilleetuncoupspendables.Paull'écoutad'uneoreilledistante,pensantsanscesseàsonadolescenceavecArthur,àlapensionoùilss'étaientconnus,àlamaisondeCarmel.Aumomentducafé,Pauldutrépondreàsontourauxmultiplesquestionsde

Daisy. Pourquoi vivait-il à Paris, qu'est-ce qui lui avait donné envie d'écrire,quelsétaientsesmaîtresàpenseretsourcesd'inspiration,safaçondetravailler.Paul se prêta au jeu et lui répondit de bonne grâce. Le déjeuner fila sans lemoindresilence,saufpourMiaquisetaisaitetlesobservait.Elleselevapourdébarrasserlesassiettesetpassaderrièrelecomptoir.Unpeu

plustard,Paulcherchaàattirersonattention,maiselledemeuraconcentréesurlavaisselle.Endébutd'après-midi,iltirasarévérence,lesremerciatoutesdeuxdel'avoir

accueilli et félicitaMia pour cet excellent repas. Il ne s'était pas régalé ainsidepuis longtemps. En partant, il promit à Daisy de mettre la Provence àl'honneur dans l'un de ses chapitres. C'est elle qui le raccompagna jusqu'aupalier.Miaessuyaitlesplats,ellelesaluadelamain.Illevalesyeuxauciel,etpartit.Daisyrefermalaporteetattendituninstant.–Ilestbeaucoupmieuxenvraiquesurlaphotodulivre,dit-elleenbâillant.

Jevaisfaireunesieste,jesuiscrevée.C'étaitbon,n'est-cepas?Entoutcas,ilaeul'aird'appréciermacuisine...enfin,tacuisine.Sur cesmots,Daisy entra dans sa chambre,Mia dans la sienne et les deux

amiesneseparlèrentplusdelajournée.

*

Allongéesursonlit,MiapritsonportableetreluttouslesmessagesdeDavid.Endébutdesoirée,elleenfilaunjean,unpull-overlégeretclaqualaporteen

sortant.

*

Letaxiladéposaplacedel'Alma.Elles'installaàlaterrassed'unebrasserie,commandaunecoupedechampagne roséqu'ellebutd'un trait, unœil sur sonportable. Elle demandait au garçon de lui en servir une autre quand l'écrans'illumina.Cettefoispasdetextomaisunappel.Ellehésitaavantdedécrocher.–Qu'est-cequec'étaitquecedéjeuner?questionnaPaul.–Unbrunchniçois!–D'accord,jouonsauximbéciles.–Jemedemandequiétaitl'imbécile!–Oùêtes-vous?–Àl'Alma.–Quefaites-vousàl'Alma?–Jecontemplelepont.–Ahbon?Maispourquoi?–Parcequejel'aime,j'ailedroit?–Etd'oùlecontemplez-vous?–DepuislaterrassedeChezFrancis.–J'arrive.Paularrivaquatrecoupesdechampagneplustard.Ilabandonnasavoitureen

doublefileetrejoignitMia.–Vousavezbiendigéré?questionna-t-elle.–Jememoquequevousnesachiezpascuisineretencoreplusquevoussoyez

serveuseoupatronne,maiscequejen'acceptepas,c'estquevousayezmontécestratagèmepourmeprésentervotreamie.Miaaccusalecoup.–Ellet'aplu,oupas?–Onsetutoie,maintenant?–Non,onsevouvoie,c'estplusapproprié,n'est-cepas?–Daisyestravissante,pétillanteetfincordon-bleu,concédaPaulenélevantla

voix,mais c'est àmoi seul de décider qui je veux ou ne veux pas rencontrer.J'interdisàmesvieuxamisd'interférerdansmavieprivée,alorstoi,enfinvous.–Vousvoulezlarevoir?renchéritMiaenparlantencoreplusfortquePaul.Ettandisqu'ilssedisputaient,leursvisagesserapprochaientpeuàpeu,tantet

sibienqueleurslèvressefrôlèrent.Ilsenrestèrenttousdeuxmuets,stupéfaitsavantdesereprendre.–J'aidétestécemomentchezvous,ditPauld'unevoixcalme.–Moiaussi.–Nousétionsloin.–Oui,nousl'étions.–Cettenuit, j'écriraiunescènededisputeetderéconciliation.J'aimatièreà

noircirdespagesetdespages.–Alorscedéjeunern'étaitpastotalementinutile.Sivousvoulezmonavis,ce

seraitbienqu'ils'excuseetluidisequ'ilavaittort.Pauls'emparaduverredeMiaetlevidad'untrait.–Vousavezassezbucommeçaetj'avaissoif.Nemeregardezpasaveccetair

desaintenitouche,vosyeuxbrillentetvoustrahissent.Jevousreconduis.–Non,jevaisrentrerentaxi.Paulpritl'additionsurlatable.–Ahoui,sixcoupestoutdemême!–Mêmepasbourrée!–Cessezdemecontrediretoutletemps.Jevousraccompagne,c'estunordre.IlentraînaMiaverslavoiture.Ellechancelaunpeusurletrottoir,ill'installa

danslaSaabavantdesemettreauvolant.Ils roulèrent en silence jusqu'à la rue Poulbot. Paul se rangea devant

l'immeubleetdescendit.–Çavaaller?s'inquiéta-t-ilenluiouvrantlaportière.–C'estunpeutendulà-haut,maisnousavonsdéjàeudesmots,çapassera.–Jeparlaisdelamontéed'escalier.–J'aibuunpeudechampagne,jenesuispasuneivrogne!–JequitteParisàlafindelasemaine,annonça-t-ilenbaissantlesyeux.–Déjà?– Je vous avais dit quemon départ était avancé, vous n'écoutez jamais les

hommesquandilsvousparlent.Mialuibalançauncoupdecoude.–Onnepeutpasenresteràcedéjeuner,repritPaul.–Quand,àlafindelasemaine?

–Vendredimatin.–Àquelleheure?–Monaviondécolleà13h30.Nousaurionspudînerensembleavant,mais

voustravaillez...–Laveilledudépart,ceseraitunpeutriste.Mercredi,alors?–Oui,mercredi,ceseraitbien.Quelrestaurantvousferaitplaisir?–Chezvous,20heures.MiaembrassaPaulsurlajoue,poussalaportecochère,seretourna,luisourit

etdisparutdansl'immeuble.

*

L'appartement était plongé dans le noir. Mia jura en se cognant contre unfauteuil,évitalatablebassedejustesse,entradansunplacardpourenressortiraussitôt et réussit enfin à gagner sa chambre. Elle se glissa dans ses draps ets'endormit.Paulaussi,enrentrantchezlui,ouvritunplacard.Ilhésitaentredeuxvalises,

choisitlapluspetiteetlaposaaupieddesonlit.Durantunegrandepartiedelanuit,ilcherchasesmotsdevantsonordinateur.Vers3heuresdumatin,ilenvoyaunmailàKyong,luirappelantlenumérodesonvoletsonheured'arrivée.Puis,ilallasecoucher.

*

Daisyétaitassiseàlatabledupetitdéjeuner.QuandMiasortitdesachambre,elleluiservitunthéetl'encourageaàvenirs'asseoirenfaced'elle.–Qu'est-cequit'apris,hier?–J'allaisteposerlamêmequestion.–Tuveuxsavoirpourquoi je suisvenueà tonsecours,pourquoi j'aicuisiné

tout mon dimanche matin pour que tu puisses être, une fois de plus, lamerveilleuse,l'extraordinaireMia,cellequiréussittout?–Jet'enprie,nesoispashypocrite,tufaisaisunnumérodeséductioncomme

jet'airarementvueenjouer.–Venantd'uneactriceaussi talentueuse, jeprendscelapouruncompliment.

Etpuistunevoulaispasmeleprésenter?–Si,maispaspourquetufassestonaguicheuse.J'avaisvraimentl'impression

d'êtredetrop.–Jemedemandesiàforcedetournerdansdesfilms,tunefinispasparcroire

quec'estlemondequitourneautourdetoi.

–C'est ça, prends-le sur ce ton. Tu as raison, de toute façon tu as toujoursraison.–Aumoins,j'avaisraisonsurunechose.Tuesloind'êtreaussiinnocenteque

tuleprétendsdanscepetitjeu.Ettuyasprisgoût.–Tum'emmerdes,Daisy.–Toiaussi,tum'emmerdes,Mia.–D'accord,ons'emmerdemutuellement,jevaisbouclermonsac,j'iraidormir

àl'hôtel.–Quandvas-tutedécideràgrandir?–Lorsquejeseraiaussivieillequetoi!–Davidm'atéléphoné.–Quoi?–Jesuisplusvieillequetoidetroismois,maisc'esttoiquiessourde.–Ilt'aappeléequand?–HiermatinpendantquejepréparaisunetourteauxblettespourtonSuédois.–Arrêteavecça!Qu'est-cequ'iltevoulait?– Que je te convainque de répondre à ses messages et de lui donner une

chance.–Qu'est-cequetuluiasrépondu?– Que je n'étais pas le facteur. Qu'il t'avait fait beaucoup de mal, et qu'il

faudraitqu'ilsoittrèscréatifpourtereconquérir.–Pourquoidevrais-jeluidonneruneautrechance?–Parcequ'ilesttonmari.«JenesuispasguériedeDavid»,cesontbientes

motslorsquetut'épanchaissurmonépaulel'autresoir,n'est-cepas?D'accord,David a eu une aventure, une passade, mais c'est toi qu'il aime.Mia, tu doisremettre de l'ordre dans tes idées. Le jour où tu as débarqué chez moi, tuprétendaisvouloirunprésentrienqu'àtoi.Tul'aseuceprésent.Seulement,dansquelquesjours,tonamiaméricainpartiraretrouversacopineenCoréeettoi,tuferas quoi ? Serveuse dans un bistrot àMontmartre pour continuer de fuir tavie?Combiendetemps?–JeneveuxpasrentreràLondres,pasmaintenant,jenemesenspasprête.– Soit,mais réfléchis bien. Si tu veux sauver ton couple, n'attends pas que

David tourne la page. Prends garde, la solitude et toi n'avez jamais fait bonménage. Je te connais depuis trop longtemps pour que tu me prétendes lecontraire.Quetusouffresparlafauted'unautre,çajen'ypeuxrien,maisjeneveuxpastevoirsouffrirpartafauteàtoi.Jesuistonamieetsijemetaisais,jem'ensentiraisresponsable.

–Allonsouvrirlerestaurant,tut'installerasencuisineetmoijemettrailasalleenordre.Nousparleronsdenosvacances,onpourraitpartirquelques joursenGrèce,touteslesdeux,enseptembre...– Septembre est encore loin, en attendant, profitons de ces deux dernières

journéessanssedisputer.–Cesdeuxdernièresjournées?–J'aiembauchéuneserveuse,ellecommencemercredi.–Pourquoituasfaitça?–Pourtoi.

14.

L'avant-veilledesondépart,Pauls'étaitcouchéversminuitetavaitmissonréveil.À9heures,ilsortitdechezlui,s'arrêtaprendreuncafé,saluaMoustacheet partit faire son marché. Première escale chez le primeur dont l'étalagerayonnaitdecouleurs.Ilfilaensuitechezsonboucher,fithalteàlapoissonnerie,puischezlefromager,pourterminersonpéripleàlapâtisserie.Parvenuenbasdesonimmeuble,ilfitdemi-tour,directionlecaviste.Ilychoisitdeuxbouteillesd'ungrandbordeaux,vérifiasalistedecoursesetrentraenfinchezlui.Ilconsacralerestedesontempsencuisine,mitlecouvertvers16heures,prit

unbainà17,s'habillaà18ets'installadanssoncanapé,essayantderelired'unœilsesdernierschapitres,l'autreétantoccupéàsurveillersamontre.

*

Mia s'était octroyé une grassematinée.La veille, elle avait fêté son dernierserviceensalleavecDaisyd'unsoupercopieusementarrosé.Fortéméchées,lesdeuxamiesétaientpartieschercherlegrandairplaceduTertrepourtenterdesedégriser.Assisessurunbanc,ellesyavaient refait lemondesansarrivernullepart.MiaavaitnéanmoinsréussiàarracheràDaisylapromessequ'ellefermeraitLaClamadaauxderniersjoursdeseptembre,pourlespasseravecelleenGrèce.Àmidi,Miaallasepromener,remontaplaceduTertreetsalualecaricaturiste.

Ellepetit-déjeunaà la terrassed'uncafé,etse renditchez lecoiffeur.Puiselles'arrêtadansunmagasinetenressortitavecunejolierobeprintanière.Ellerentraàl'appartementvers17heuresetsefitcoulerungrandbain.

*

À19h30,Paulvérifialatempératuredufour,fitrissolerlesécrevisses,hachale bouquet d'herbes fraîches avant de lesmélanger à sa salade, para ses côtesd'agneaud'unecroûtedeparmesan,retournavérifierqu'ilnemanquaitriensurlatable,débouchalevinpourlelaissers'aérer,retournalireausalon,revintquinze

minutes plus tard en cuisine pour enfourner le carré d'agneau, repartit vers lesalon, jeta unœil à la fenêtre, se regarda dans lemiroir, remit les pans de sachemisedanssonpantalon,lesressortitaussitôt,abaissalatempératuredufour,jetaunnouveaucoupd'œilàlafenêtre,sepenchantcettefoispourmieuxvoirlarue, décida d'aérer la pièce, sortit le carré d'agneau du four, se rassit dans lecanapé, vérifia l'heure à samontre, envoya un premier SMS, reprit sa lecture,envoya un deuxième SMS à 21 heures, souffla les bougies du chandelier à21h30etenvoyauntroisièmeSMSà22heures.

*

–Pourquoisurveilles-tusansarrêttonportable?–Pourrien,c'estunehabitude.–Mia,regarde-moidanslesyeux,j'aitraversélaManchepourteretrouver.–Jeteregardedanslesyeux,David.–Oùallais-tuquandj'aisonnéchezDaisy?–Nullepart.–Tuétaismaquillée,coiffée,d'ailleurs,qu'est-cequit'aprisdetecouperles

cheveuxcommeça?–L'enviedechangerdetête.–Tunem'aspasrépondu,tuavaisrendez-vousavecquelqu'un?–J'allaissautermonamant,sic'estcequetuveuxm'entendredire.Etlà,nous

serionsquittes.–Jesuisvenupourqu'onseréconcilie.–Tul'asrevue?–Non,jetelerépète,jesuisseulàLondresdepuistondépartetjen'aipensé

qu'àtoi.Jet'aienvoyédesdizainesdemessages,tunem'asjamaisrépondu,alorsmevoilà...Jet'aime,j'aifaituneconnerie,jenemelepardonnepas.–Maistuvoudraisquemoi,jetepardonne.– Je voudrais que tu donnes une seconde chance à notre mariage, que tu

comprennesquecetécartétaitsansconséquences.–Pourtoi,peut-être.–J'étaismaldansmapeau,cetournagenousavaitmisàrudeépreuve,tuétais

inaccessible.J'aiétéfaibleetjeseraisprêtàtoutpourquetumepardonnes.Jeneteferaiplusjamaissouffrir,tuasmaparole.Situacceptaisdetireruntraitsurcetteerreur,d'oubliersonexistence...–Poserledoigtsurlatouched'unclavieretregarderlepassés'effacercomme

lespagesd'unmanuscrit...,murmuraMia.

–Qu'est-cequeturacontes?–Rien.DavidsaisitlamaindeMiaetl'embrassa.Ellel'observa,lagorgenouée.Pourquoi me fais-tu cet effet, pourquoi ne suis-je plus moi-même en ta

présence?–Àquoipenses-tu?–Ànous.–Tuveuxbiennousdonnercettechance.Tutesouviensdecethôtel?Nousy

avionsdormilorsdenotrepremièreescapadeàParis,onvenaitdeserencontrer.MiaexaminalasuiteréservéeparDavid.LesecrétaireLouisXVI,sachaise

Lyreetlabergèrequimeublaientlepetitsalon,etdanslachambre,legrandlitàlapolonaisesurmontédesondais.–Àl'époque,nousdormionsdansunepetitechambre.–Nousavonsfaitduchemindepuis,poursuivitDavidenlaprenantdansses

bras.Demain,nouspourrionsànouveaujouerlestouristes,nousremonterionslaSeineenbateau-mouche,nousirionsmêmemangerdesglacessurl'îledelaCité,jenemesouviensplusdunomdecetendroit,maistuavaisadoré.–C'étaitsurl'îleSaint-Louis.–Alorsvapourl'îleSaint-Louis.Jet'enprie,Mia,resteavecmoicesoir.–Jen'aiprisaucunesaffaires.David entraînaMia vers la penderie. Sur les cintres, pendaient trois robes,

deuxjupes,deuxhauts,deuxpantalonsdetoile,deuxpull-oversenV.Ilouvritlestiroirsoùétaientrangéesquatreparuresdelingerie.Puisill'emmenaverslasalledebainsauxmarbresrutilants.Surlavasqueétaientposéesunetroussedemaquillageetunebrosseàdents.– Je suis arrivé cematin par le premier avion et j'ai consacréma journée à

fairedushoppingenpensantàtoi.–Jesuisfatiguée,allonsnouscoucher,dit-elle.–Tun'aspas touché tonassietteau restaurant, tuveuxque je tecommande

quelquechoseauprèsduroomservice?–Non,jen'aipasfaim,jeveuxjustedormir,etréfléchir.–C'esttoutréfléchi,conclutDavidenlaprenantdanssesbras.Nousrestons

ensemblecettenuitetdemainnousrepartonsdezéro.Mia le repoussa doucement vers la chambre et referma à clé la porte de la

salledebains.Elle ouvrit les robinets, prit son portable et fit défiler les messages qu'elle

avaitreçusaucoursdelasoirée.

–Toutestprêt,dépêche-toi.–Qu'est-cequetufais?çavaêtretropcuit.–Situesretenueaurestaurant,cen'estpasgrave,jecomprends.Dis-moijustequetoutvabien.EllerelisaitpourlatroisièmefoiscederniermessagedePaulquandl'appareil

vibradanslecreuxdesamain.–Jevaisécrire.Jecoupemonportable.Onseparlerademain,oupas.Ilétaitpresqueminuit,Miaéteignitsontéléphone,ôtasesvêtementsetentra

dansladouche.

*

Paul dévala les escaliers, poussa la porte cochère et inspira l'air du soir àpleinspoumons.Moustachebaissaitlerideaudeferdesoncafé.Ilentenditdespasetseretourna.–Qu'est-cequevousfaiteslà,monsieurPaul,àtraînersurletrottoircomme

uneâmeenpeine?–Jepromènemonchien.–Vousavezunchien,maintenant?Ilestoù,ilestparticourirlagueuse?–Vousavezfaim,Moustache?–J'aitoujoursunpetitcreux,maislà,macuisineestfermée.–Paslamienne.Venez.Enentrantdansl'appartementdePaul,Moustaches'étonnad'ydécouvrirune

table nappée d'un coton blanc, où trônait un chandelier au centre d'un couvertélégammentdressé.–Saladeprintanièreauxécrevisses,carréd'agneauencroûtedeparmesanet

unsaint-honoréendessert...ah,j'oubliais,untrèsbeauplateaudefromagesetunSargetdeGruaud-Larose2009pouraccompagnerletout,çavousira?demandaPaul.– Faudrait être difficile,mais ôtez-moi d'un doute, ce dîner aux chandelles,

c'estpaspourmoiquevousl'avezpréparé,monsieurPaul?Parceque...–Non,Moustache,cen'étaitpaspourvous,d'ailleurs lecarréd'agneausera

tropcuit.–Jecomprends,réponditMoustacheendépliantsaserviette.Lesdeuxhommessoupèrentjusquetarddanslanuit.Moustacheparladeson

Auvergne natale qu'il avait quittée à vingt ans pour devenir louchébem. Ilracontasonmariage,sondivorce,l'acquisitiondesonpremiercaféàlaBastilleavant que les Bobos n'envahissent l'arrondissement – il n'aurait jamais dû levendre –, puis du suivant à Belleville avant que les mêmes Bobos ne s'yinstallent,etsondéménagementdansunquartierdontledevenirnefaisaitaucundoute.Paulneracontarien,ilécoutasoninvité,perdudanssespensées.À2heuresdumatin,Moustache tira sa révérence en félicitantPaul pour la

qualitédesacuisine.Surlepasdelaporte,illuitapotal'épauleetsoupira.–Vousêtesunchic type,monsieurPaul.J'ai jamais luvos livres, la lecture,

c'est pasmon truc,mais les gens du quartierm'en ont dit le plus grand bien.Quandvousreviendrezdelà-bas,jevousemmèneraidînerdansunendroitoùseretrouventlestravailleursdelanuit.Celistrobemn'estpasdanslesguides,maissonlatronpucheestunsacrécuistot,vousm'endirezdesnouvelles.Paulluiconfiaundoubledesesclésenluiavouantqu'ilnesavaitpasquandil

reviendrait.Moustacheglissaletrousseaudanssapocheetsortitsansunmot.

15.

Il faisait frais ce jeudi-là. Naviguant sur la Seine, David évoqua quelquesanecdotesde leurpremier séjour àParis.Mais revenir sur lagrèvene fait paspourautantremonterlamarée.Ilspartagèrentuneglacesurl'îleSaint-Louis,etretournèrentàl'hôtel.Ilsyfirentl'amourettraînèrentunpeuaulit.En milieu d'après-midi, David appela le concierge afin qu'il réserve deux

places pour la meilleure pièce de théâtre du moment, ainsi que deux billetsd'avion pour Londres le lendemain. En raccrochant, il annonça à Mia que lemoment était venu de rentrer chez eux. Il lui proposa de l'accompagner pourrécupérersesaffairesàMontmartre.Mia répondit qu'ellepréférerait préparer savalise seule.Elle irait embrasser

Daisyavantdelerejoindre.Elleluipromitd'êtreàl'heureetquittalasuite.La voiture de maître la déposa rue Poulbot. Mia pria le chauffeur de bien

vouloirl'attendre.Ellemontaàl'appartement,laissantsamainglisserlentementsurlarambardedel'escalier.Savalisebouclée,ellesortitduplacard leportraitdeDaisy,avantdequitter

l'appartement.

*

Paul imprima ses chapitres, rangea les feuillets dans un dossier qu'il glissadanssavalise.Il vida le contenu du réfrigérateur, ferma les volets et vérifia les robinets.

Enfin,ilfitletourdesonappartement,descenditlespoubellesetpartitrejoindresonéditeur.

*

En quittant Montmartre, Mia demanda au chauffeur de la conduire rue deBretagne.

–Vouspouvezvousarrêterlàuninstant?dit-elledevantlenuméro38.Elle baissa la vitre et y passa la tête. Les volets du quatrième étage étaient

clos.Quand la voiture redémarra, elle prit son portable pour relire le message

qu'elleavaitreçuenfindematinée.Mia,Jesuisencolèremaisjeneveuxpasquetulesaches.Cettenuit,j'aipoussémacantatricesousunbus,ellen'avaitqu'àfaireattentionentraversant.J'aiappelélerestaurant,Daisym'aditqu'ilnet'étaitrienarrivédegrave,c'estl'essentiel.Jecomprendstonsilence,c'estpeut-êtremieuxainsi,lesaurevoirn'ontaucunsens.Mercipourcesmomentsprécieux.Prendssoindetoi,mêmesicettephrasen'aaucunsens.PaulEnarrivantà l'hôtel,Mias'inventaunemigraine.Davidprévint leconcierge

delibérerlesplacesdethéâtreetfitmonterleurrepasdanslasuite.

*

À 23 heures, Daisy salua ses derniers clients. En rentrant dans sonappartement elle découvrit un portrait d'elle accompagné d'un petitmot sur lecomptoirdelacuisine.

MaDaisy,JereparsenAngleterre.Jen'aipaseulecouragedepasseraurestaurant.Jesuisjalousedeta

nouvelleserveuse.Lavérité,c'estqu'entevoyant,j'auraisprobablementchangéd'avis.Cesjournéesquetum'asoffertesàParism'ontdessinéunenouvellevie,uneviequejem'étaismiseàaimer.Maisj'aientendutesconseils,alors,jeretourneàlamienneettelaisseàlatienne.JetetéléphoneraideLondresd'iciquelquesjours,quandj'auraireprismesmarques.J'ignoresi

tusavaisqueDavidallaitvenirmechercher,tuasbienfaitdenepasm'enavertir.Jenesauraijamaiscommentteremercierd'êtremonamie,d'êtretoujourslàquandj'aibesoinde

toi,demetenirtête,deprendrelerisquequel'onsefâcheneserait-cequ'unsoir,pournejamaismementir.Moi,jet'aimenti,tusaisàquelsujet,etjem'enexcuse.Cedessindetoi,c'estuncaricaturistedelaplacequil'aréalisé.Tulereconnaîtrasfacilement,il

estassezbelhomme,presqueaussibeauqueleregardqu'ilportesurtoi.Tumemanquesdéjà.Tonamiequit'aimecommeunesœur.MiaPS:N'oubliepastapromesse.Finseptembre,laGrèceseraànousetànousseules.Jem'occupe

detout.Daisy se précipita sur son téléphone. N'arrivant pas à joindreMia, elle lui

textaunmessage.J'espèrequejevaistemanquerautantquetumemanques.Manouvelleserveuseestunecruche,

elleadupoilsouslesbrasetacassédeuxassiettes.Tuasintérêtàmetéléphonertrèsvite.Sois folle, mais pas au point d'écoutermes conseils. Je t'en supplie, ne le fais jamais. Sauf en

cuisine,tameilleureamieestnulleentoutetparticulièrementencequiconcernelavie.Moiaussijet'aimecommeunesœur.

*

Le chauffeur emprunta la bretelle quimenait vers l'aéroport. Il se rangea lelongdutrottoir.Davidouvritlaportière,ettenditlamainàMia.Elleallaitsortirdelavoiturequandlesportesduterminals'ouvrirent.Miaavaitsuffisammentdemétier pour reconnaître des paparazzi, surtout quand ces derniers ne prenaientmêmepas lapeinedesecacher.Elleen repéradeuxplantésdevant lesbornesd'enregistrement.Salaud!Quid'autrequetoipouvaitlesavoirprévenus?TavisiteàParis,ton

numéro de charme, c'était pour qu'on nous voie ensemble. Sur le bateau-mouche, tu te serais trahi,maisà l'aéroport, c'est le hasard, bien sûr.Etmoi,commeuneconne,jet'aicru...–Tuviens?s'impatientaDavid.–Attends-moi à l'intérieur, je voudrais appelerDaisy, un truc de fille à lui

dire.–Jem'occupedesvalises?–Non,vas-y,lechauffeurs'enchargera,onterejointdanscinqminutes.–D'accord,jevaisacheterdesjournaux,maisnetardepas.Dès que David s'éloigna, Mia referma la portière et se pencha vers le

chauffeur.–Quelestvotreprénom?–Maurice,madame.–Maurice,vousconnaissezbiencetaéroport?–J'yconduisdespassagersenmoyennequatreàsixfoisparjour.–Voussavezd'oùpartentlesvolspourl'Asie?–Duterminal2E.–AlorsMaurice,levoldeSéouldécolledansquarante-cinqminutes,sivous

m'yamenezdanslescinqminutes,vousaurezunénormepourboire,promit-elleenfouillantsonsac.Lechauffeurdémarrasurleschapeauxderoues.–Vousacceptezlescartesdecrédit?repritMiaconfuse.Jen'aipasdeliquide

surmoi.–Vousallezleprendre,cetavion?–Jevaisessayer.

–Oubliezlepourboire,dit-ilenslalomantentreuntaxietunbus.Jetrouvecetypeimbuvable.Lavoiture roula à touteberzingue et, troisminutesplus tard, elle se rangea

devantleterminal2E.Lechauffeurseprécipitapourouvrirlecoffre,ensortitlavalisedeMiaetla

posasurletrottoir.–Qu'est-cequejefaisdelasienne?–Vousvenezd'hériterd'unecollectiondepullsencachemire,etdechemises

ensoie.Merci,Maurice.Miaattrapasonbagageetsehâtaverslazoned'enregistrement.Ilnerestaitqu'uneseulehôtessederrièrelescomptoirs.–Bonjour,jedoispartiràSéoul,c'esturgent.L'hôtesseesquissaunemouedubitative.–J'étaisentraindefermerlevoletjecrainsquetoutsoitcomplet.–Jesuisprêteàvoyagerdanslestoilettess'illefaut.–Pendantonzeheures? renchérit l'hôtesseen relevant la tête. Jepeuxvous

mettresurlevoldedemain.–S'ilvousplaît,imploraMiaenôtantseslunettes.L'hôtessel'observaetsonvisages'éclaira.–Vousêtes...?–Oui,jesuis!Vouspouvezm'obtenirunsiège?–Vousauriezdûmeledireplustôt,ilm'enresteunenpremière,maisc'estdu

pleintarif.Miaposasacartedecréditsurlecomptoir.–Quelledatepourleretour?s'enquitl'hôtesse.–Jen'enaiaucuneidée.–Ilm'enfautune.–Danshuitjours,oudansdix,ouquinze...–Huit,dixouquinze?–Quinze!S'ilvousplaît,dépêchez-vous.L'hôtessesemitàtaperàtoutevitessesursonclavier.–Votrevalise!Ilesttroptardpourl'enregistrer...Mias'agenouillapourouvrirsonbagage,pritsatroussedetoiletteetquelques

affairesqu'ellefourradanssonsac.–Jevousoffrelereste!– Mais non, je ne peux pas, dit l'hôtesse en se penchant par-dessus son

comptoir.–Maissi,vouspouvez.–Dansquelhôteldescendez-vous?–Jen'ensaisrien.L'hôtesse, qui n'en était plus à une surprise près, tendit à Mia sa carte

d'embarquement.–Maintenantcourez,jeprévienslechefdepasserellederetarderlafermeture

desportes.Mia prit son billet, ôta ses escarpins et se précipita vers la sécurité, ses

chaussuresàlamain.Elle arrivahorsd'haleinedans la coursive, repéra laporte, hurlapourqu'on

l'attendeetneralentitlepasqu'unefoislapasserellegagnée.Avant d'entrer dans l'avion, elle essaya de retrouver un semblant de

contenanceettenditsacarted'embarquementaustewardquil'accueillitavecungrandsourire.–C'étaitmoinsune,vousêtesassiseau2A,dit-ilenluidésignantsonsiège.Miapassadevantlefauteuilsanss'yarrêteretremontalatravée.Lestewardeutbeaul'appeler,ellepoursuivitsonchemin.Elles'arrêtadevantunerangée,tenditsacarted'embarquementàunpassager

etluiannonçaqu'ilvenaitd'êtresurclasséenpremière.L'hommeneselefitpasdiredeuxfoisetcédasaplace.Mia ouvrit le compartiment à bagages, réussit à y loger son sac entre deux

valisescabinesets'abandonnasursonsiègeenpoussantungrandsoupir.Paulnerelevapaslatêtedujournalqu'ilfeuilletait.Le steward annonça aumicro la fermeture des portes.Les passagers étaient

priésdebouclerleurceintureetdecouperleursappareilsélectroniques.Paulrangeasonmagazinedanslapochettedevantluietfermalesyeux.–Onenparleouonsefaitlagueulependantonzeheures?lâchaMia.–Pourl'instant,onsetaitetonmeurt.Unsuppositoiredetroiscentstonnesva

essayerdequitterleplancherdesvaches,etquoiqu'ondise,c'estcontrenature.Alors jusqu'à ce qu'il soit en haut, on respire, on se calme, et on ne fait riend'autre.–D'accord,réponditMia.–Lebilletenpremière,çavousacoûtécombien?–Jecroyaisqu'onsetaisait?–Vousn'auriezpasunanesthésiantsurvous?–Non.

–UnValium?–Nonplus.– Une batte de baseball, alors ? Si vous pouviez avoir l'obligeance de

m'assommeretdenemeranimerqu'unefoisarrivés.–Calmez-vous,toutvabiensepasser.–Vousêtespilote?–Donnez-moivotremain.–Jenepréfèrepas,elleestmoite.MiaposalasiennesurlepoignetdePaul.–Qu'est-cequevousaviezpréparéàdîner?–Vouspouveztoujourscourirpourlesavoir!–Vousnemedemandezpaspourquoijenesuispasvenue?–Non.C'estnormal,cebruit?–Cesontlesréacteurs.–Etc'estnormalqu'ilsfassentautantdebruit?–Sivousvoulezqu'ondécolle,oui.–Alors,est-cequ'ilsfontassezdebruit?–Ilsfontexactementlebruitqu'ilfaut.–Leboum-boumquej'entends,c'estquoi?–Votrecœur.

*

L'avion s'éleva dans les airs. Peu après le décollage quelques turbulencessecouèrentlacarlingue.Paulserralesdents,sonfrontruisselait.–Vousn'avezaucuneraisond'avoirpeur,lerassuraMia.–Iln'estpasnécessaired'avoirdesraisonspouravoirpeur,réponditPaul.IlregrettaitdenepasavoirgoûtéaupetitcadeauqueCristoneliluiavaitoffert

enl'accompagnantàl'aéroport.Untabacàpriserdesacompositionquil'aurait,selon lui, soulagé de toute inquiétude pendant quelques heures. Paul,hypocondriaque au point d'hésiter à prendre de l'aspirine quand il avait unemigraine de crainte de faire une hémorragie, avait choisi de ne pas rajouterd'angoisseàsesangoisses.L'appareil atteignit son altitude de croisière et le personnel navigant

commençaàcirculerdanslesallées.–Ilssesontdétachés,c'estbonsigne!S'ilsselèvent,c'estquetoutvabien,

non?–Toutvabiendepuisledécollageettoutirabienjusqu'àl'atterrissage,maissi

vous restez cramponné aux accoudoirs pendant onze heures, je crains qu'il nefailleutiliserdesforcepsàl'arrivéepourvouslibérer.Paulexaminasesmainsblanchiesetdesserralesdoigts.L'hôtesse leurproposadesboissons,Mia s'étonnaquePaul se contented'un

verred'eau.–J'aientendudirequel'alcoolnefaisaitpasbonménageavecl'altitude.Miaoptapourunedoublerasadedegin.–Cen'estpeut-êtrepasvraipourlesAnglais,remarquaPaulenlaregardant

vidersonverred'untrait.Miafermalesyeuxetinspiraprofondément.Paull'observaitensilence.– Jecroyaisquenousavionsdécidédenepasenparler, enchaîna-t-elle, les

yeuxtoujoursclos.Paulrepritlalecturedesonmagazine.–J'aibeaucouptravaillécesdeuxdernièresnuits.Macantatriceavécuplein

d'aventures. Figurez-vous que son ex a refait surface et elle, évidemment, areplongé. Maintenant, reste à savoir si là, ça compte ou pas, poursuivit-il entournantnonchalammentunepage.D'ailleurs,jeneveuxpaslesavoir,çanemeregarde pas, j'avais juste envie de poser la question, c'est fait, maintenant,parlonsd'autrechose.–Qu'est-cequivousainspiréunetelleidée?–Jesuisromancier,quevoulez-vous,jegamberge.Paulrefermasonmagazine.– C'est de la voir malheureuse qui me chagrine. Je ne sais pas pourquoi,

pourtantc'estainsi.Lestewardlesinterrompitpourleurproposerunplateau-repas.Paulrefusale

sienetannonçaqueMian'avaitpasfaim.Ellevoulutprotester,maislestewardavançaitdéjàverslerangsuivant.–Enfin,dequoijememêle,jesuisaffamée!s'écria-t-elle.–Ah,maismoiaussi jemeursdefaim.Seulement,cespetitesbarquettesne

sont pas faites pour nous nourrir mais pour nous distraire, le jeu consiste àessayerdedevinercequ'ellescontiennent.Pauldéfit saceinturepourattrapersonsacdans lecompartimentàbagages.

Aussitôtrevenuàsaplace,ilensortitdixpetitesboîteshermétiques,etlesposasurlatablettedeMia.–Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle.–Çavousintéressedesavoircequej'aipréparé,cettefois?Miasoulevalescouverclesetdécouvritquatrepetitssandwichsdepaindemie

ausaumonfumé,deuxtranchesdeterrinedelégumes,deuxpetitsblocsdefoiegras,deuxsaladesdepommesde terreaux truffesnoireset,dans lesdernièresboîtes,deuxéclairsaucafé.ElleregardaPaul,étonnée.–Ehbienoui,pendantquejefaisaismavalise,j'aisongéquequitteàmourir

enl'airautantquecesoitenbeauté.–Etvousmangeztoujourspourdeux?–Jen'allaispasfestoyerpendantquemonvoisindesiège lorgneraitsurson

plateau-repasauborddusuicide,çam'auraitgâchéleplaisir.–Vouspensezvraimentàtout.–Seulementàl'essentiel,maisçam'occupedéjàbeaucoup.–Votretraductricevousattendàl'aéroport?–Jel'espère,réponditPaul,pourquoi?– Pour rien, enfin si... nous n'aurons qu'à prétendre que je suis votre

accompagnatrice,détachéeparvotremaisond'édition.–Non,nousn'auronsqu'àdirequenoussommesamis.–Sivousvoulez.– Et puisque nous sommes amis, si vousm'expliquiez ce que vous faites à

borddecetavionaulieud'êtredansvotrerestaurant.–Ilestdrôlementbon,cefoiegras,vousl'avezachetéoù?–Jevousprieraisdenepasmepiquermesrépliques.–J'avaisbesoindem'éloigner.–Dequoi?–Demoi.–Ilestdoncrevenu?–Disonsqu'elleaplongé,maiselleatrèsvitemanquéd'air,réponditMia.–Jesuiscontentquevoussoyezlà.–C'estvrai?–Non,jedisaisçapourêtrepoli.– Moi aussi, je suis contente d'être là. Depuis le temps que je rêvais de

découvrirSéoul.–Vraiment?–Non,jedisaisçapourêtrepolie.Àlafindurepas,Paulrangealesbarquettesdanslesacetseleva.–Vousallezoù?–Fairelavaisselle.–Vousplaisantez?

– Absolument pas, je ne vais pas leur laisser mes Tupperware, j'en auraibesoinauretour.–VousnecomptezplusvousinstallerenCorée?–Nousverronsbien.Ils consultèrent le programme des divertissements. Mia opta pour une

comédieromantiqueetPaulpourunthriller.Dixminutesplustard,Paulsuivaitle film qui défilait sur l'écran de Mia et Mia celui sur l'écran de Paul. Ilséchangèrentd'abordunregard,puisleursécouteurs,etenfinleursiège.

*

Paulfinitpars'endormiretMiaveillaàcequ'onne leréveillepasdurant ladescente.Ilrouvritlesyeuxlorsquelesrouesdel'appareiltouchèrentlesoletseraidittandisquelepiloteinversaitlapousséedesréacteurs.Mialerassura,soncauchemartouchaitàsafin,dansquelquesinstantsilsdébarqueraient.

*

Aprèslecontrôledespasseports,Paulrécupérasavalisesurletapisàbagagesetlaposasurunchariot.–Lavôtren'estpasencoresortie?s'inquiéta-t-il.–Jen'aiqueça,dit-elleenmontrantlabesacequ'elleportaitàl'épaule.Paul s'abstint de tout commentaire. Il contemplait les portes coulissantes

devant lui, essayant de réfléchir à la façon dont il se comporterait en lesfranchissant.

Un groupe d'une trentaine de lecteurs avait déployé une banderole où était

inscrit:«BienvenuePaulBarton».Miamitseslunettesnoires.–Aller jusqu'à recruterdes figurants, jedois reconnaîtrequ'ilsont l'artet la

manièrederecevoir,sifflaPaulàMiaenscrutantcesvisages,àlarecherchedeKyong.Iljetaunœilpar-dessussonépaule,Miaavaitdisparu.Ilcrutlavoirfranchir

leportillonetsefondredanslafoulequiattendaitlespassagers.Legroupeseprécipitaverslui,carnetsetstylosenmain,lesuppliantdesigner

desautographes.D'abordgêné,Paulsepliadebonnegrâceaujeudessignaturesjusqu'àcequesonéditeurcoréenviennedissipercepetitmondeetluitendeunemainchaleureuse.

–BienvenueàSéoul,monsieurBarton,c'estunhonneurdevousrecevoir.–Toutl'honneurestpourmoi,répliquaPaulencontinuantdescruterlafoule.

Ilnefallaitpas.–Ilnefallaitpasquoi?questionnal'éditeur.–Cesgens...–Nousavonsessayédelescontenir,maisvousêtestrèspopulaireicietvous

étiezattendu.Ilspatiententdepuisplusdetroisheures,voussavez.–Maispourquoi?– Pour vous voir, bien sûr, précisa l'éditeur. Allons-y, une voiture va nous

conduirejusqu'àvotrehôtel,vousdevezêtreépuiséaprèscelongvoyage.Mialesrejoignitàl'extérieurduterminal.–Madameestavecvous?s'enquitl'éditeur.Miaseprésenta.–MademoiselleGrinberg,jesuisl'assistantedeM.Barton.–Enchanté,mademoiselle,réponditl'éditeur,M.Cristonelinenousavaitpas

informédevotreprésence.– Le bureau de M. Barton s'est occupé directement de mon voyage, ceci

expliquecela.Paul en resta coi. L'éditeur les invita à prendre place dans la berline. Il

s'installaà l'avant,MiaetPaulà l'arrière,aprèsqu'ileut jetéundernier regardversletrottoir.Lavoituredémarraetsedirigeaverslecentreville.Paul,l'airabsent,observaitlepaysagedebanlieuedéfilerderrièrelavitre.– Ce soir, nous dînerons en petit comité, déclara l'éditeur. Quelques

collaborateursdelamaison,dontnotredirecteurdumarketing,MlleBak,votreattachéedepresse, ledirecteurde la librairie,oùvous ferezvos signatures, sejoindrontànous.Nevousinquiétezpas,celanedurerapastroplongtemps.Vousaurez besoin de repos, les journées à venir seront chargées. Voici votreprogramme, annonça-t-il en tendant une enveloppe à Mia. MademoiselleGrinberg,vousêteslogéedanslemêmeétablissementqueM.Barton?–Absolument,réponditMiaenregardantPaul.Paulneprêtaitaucuneattentionàlaconversation.Kyongn'étaitpasvenueà

l'aéroport. Il pensa que la présence de son patron l'en avait probablementempêchée.Mialuitapotalegenoupourlerappeleràl'ordre.– Paul, intervint-elle, votre éditeur vous demande si vous avez fait bon

voyage.

–Jesuppose.Jesuisrestéentrelesailesettouts'estbienpassé.–Nous comptons beaucoup sur cette émissionde télévision à laquelle vous

participerezdemain.Autreévénementconsidérable,l'ambassadeurorganiseuneréception lundienvotrehonneur.Yont étéconviésquelques journalistesainsiquedesmembreséminentsdelafacultédeSéoul.Jepréviendrailesecrétariatdel'ambassadeurdelaprésencedevotrecollaboratrice.–N'enfaitesrien,ditMia,M.Bartonpeuts'yrendresansmoi.–C'esthorsdequestion,nousseronsravisdevouscompterparminous,n'est-

cepas,monsieurBarton?Paul, le visage collé à la vitre, ne répondit pas. Comment Kyong se

comporterait-elle audîner ?Devait-il adopterunecertaine réserveà sonégardpournepasl'indisposerdevantsonemployeur?Mialuidonnauncoupdecoudediscret.–Oui?questionnaPaul.Devinantlafatiguequisemblaitaccablersonauteur,l'éditeurgardalesilence

jusqu'àl'hôtel.Lavoitureserangeasousl'auvent.Unejeunefemmevintàleurrencontre.– Mlle Bak vous assistera pour vos formalités d'enregistrement et vous

accompagnera au restaurant où je vous retrouverai ce soir. De mon côté, j'aiencore beaucoup à faire avant l'inauguration du Salon. D'ici là, reprenez desforces,jevoussalueetvousdisàtoutàl'heure.L'éditeurremontaàborddelavoiturequis'éloigna.MlleBakpriaPauletMiadebienvouloirluiremettreleurspasseportsetdela

suivrejusqu'àlaréception.Unchasseurs'emparadubagagedePaul.LeréceptionnisterougitenvoyantPaul.–C'estungrandhonneur,monsieurBarton.J'ailutousvoslivres,chuchota-t-

il.–C'esttrèsgentilàvous,réponditPaul.– Mademoiselle Grinberg, je ne trouve pas votre réservation, reprit-il, l'air

contrit,auriez-vousvotreconfirmation?–Non,jenel'aipas,ditMia.Le réceptionniste se remit à chercher dans l'ordinateur, plus gêné encore

lorsqueMlleBakluifitremarquerqueM.Bartonavaiteffectuéunlongvoyageetqu'illeurfaisaitperdredutemps.Paulrecouvrasesespritsetsepenchasurlecomptoir.–Ilyaprobablementuneerreur,dit-il,celaarriveàtoutlemonde;donnez-

nousuneautrechambre.–MaismonsieurBarton, l'hôtel est plein, je peux essayer auprès d'un autre

établissement, hélas avec le Salon du livre, je crains fort que tous n'affichentcomplet.Miaregardaitailleurs.–Bien,repritPaulsuruntonjovial,cen'estpasgrave.MlleGrinbergetmoi

travaillonsensembledepuistantd'années,unechambreàdeuxlitsferal'affaire.–Jen'enaiplusaucune,nousvousavionssurclassédansunesuite,maiselle

necomprendqu'unlit,trèsgranddureste,unKingSize!MlleBakétaitàdeuxdoigtsdedéfaillir.Paull'attiraàl'écart.–Vousavezdéjàprisl'avion,mademoiselleBak?–Non,jamaismonsieurBarton,pourquoi?–Parcequemoisi,etcroyez-moi,aprèsavoirpasséonzeheuresàdixmille

mètres d'altitude, séparé des nuages par une simple cloison et un petit hublot,plusrienencebasmondenepeutm'inquiéter.Nousallonspartagercettesuite,vousn'endirezrienàvotrepatron,niàpersonned'ailleurs,vousveillerezàcequecejeunehommeoubliejusqu'àlaprésencedeMlleGrinberg,etceciresteranotrepetitsecret.MlleBakdéglutitetsonvisagesemblaretrouversescouleurs.– Deux clés, dit Paul au réceptionniste en revenant vers lui. On y va,

mademoiselleGrinberg?ordonnaPaul,ironique,ensetournantversMia.Pasunmotnefutéchangédansl'ascenseur,nidanslelongcouloirquimenait

àlachambre,ettoujoursrienjusqu'àcequelechasseuraitdéposélavalisedePauletsesoitretiré.–Jesuisdésolée,ditMia,jen'avaispaspenséuneseconde...Paul s'allongea sur le canapé, ses jambes dépassaient de l'accoudoir à partir

desgenoux.–Çanevapasêtrepossible,soupira-t-ilenseredressant.Ilprituncoussin,leposasurlamoquetteets'allongea.–Çanonplus,enchaîna-t-il,ensefrottantlebasdudos.Ilouvritlapenderie,sehissasurlapointedespieds,attrapadeuxpolochonset

lesjuxtaposapourséparerlelitendeux.–Gaucheoudroite?demanda-t-il.– Il doit bien y avoir dans tout Séoul un Bed and Breakfast qui ait une

chambrelibre?s'exclamaMia–Bien sûr, et vous allez faire les petites annonces en coréen ?Nous allons

justeétablirquelquesrègles.Vousprendrezlasalledebainsenpremierlematin

etmoienpremier lesoir.Pour lechoixdesprogrammesde télévision, jevouslaisse la télécommande,mais pas de sport.Avant de dormir, vousmettrez desbouchons dans vos oreilles, je ne ronfle pas, mais au cas où, je tiens à madignité. Si d'aventure je parlais dansmon sommeil, rien de ce qui sera dit nepourra être retenucontremoi.Sousces conditions, je croisquenouspourronsnous accommoder de cette situation. J'ai assez demotifs de stress comme çapournepasenrajouter.Etpuisquelleidéevousaprisderaconterquevousétiezmonassistante?Franchement,j'aiunetêteàavoiruneassistante?–Jenecroispasqu'ilyaitdetêteparticulièrepouravoiruneassistante.–Vousenavezdéjàeu?Non?Bon!Vousavezaumoinsunebrosseàdents

dansvotresacparcequeça,jenepartagepas.Ledentifricejeveuxbien,maispaslabrosse,grommelaPaulenarpentantlachambre.–Nesoyezpassinerveux,vouslaverrezaudîner.– Devant quinze personnes ! Ce voyage commence sous les meilleurs

auspices. Jevaisdevoir appeleruneamiepar sonnomde famille et la femmeque j'aime en lui servant du Mlle Kyong. Rapatant comme dirait monmerveilleuxéditeur.–Merci,rétorquaMiaens'allongeantsurlelit.–Dequoi?–Votreamie...celametouchebeaucoup.Elleavaitplacésesmainssoussanuqueetfixaitleplafond.Paull'observa.–Vousavezchoisidedormircôtégauche?Miaenjambalescoussins,sautaàplusieursreprisessurlapartiedroitedulit

avantderevenirdel'autrecôté.–Finalement,jepréfèreàgauche.–Vousn'étiezpasobligéededéfoncertoutlelit.–Non,maisçamefaisaitplaisir.Puisquec'estl'après-midi,ontirelasallede

bainsàlacourtepaille?Paul haussa les épaules, pour lui signifier qu'elle pouvait en disposer. Il en

profitapourdéfairesavaliseet rangersesvêtementsdans lapenderie,cachantcaleçonsetchaussettessousunepiledechemises.Mia réapparut une demi-heure plus tard, en peignoir, une serviette nouée

autourdelatête.–Vouscomptiezlescarrelagesdeladouche?ironisaPaul.Enentrantdanssonbain,ilentenditMialuiparlerdepuislachambre.– Départ de l'hôtel à 11 heures, inauguration à midi, signature dédicace à

13heures,pausedéjeunerde14h15à14h30,signaturedédicacede14h30à

17 heures, retour à l'hôtel, redépart pour les studios de télévision à 18 h 30,maquillageà19heures,enplateauà19h30,findel'émissionà21heures,dîneret fin...Quand je pense que je me plains de mes plannings quand je fais lapromotiond'unfilm.–Qu'est-cequevousracontez?criaPaul.–Enbonneassistante,jevouslisaisvotreemploidutempsdedemain.Paulbondithorsdelasalledebains,emmitouflédansdesserviettes.Miaéclataderire.–Jenevoispascequ'ilyadedrôle!–Vousavezl'aird'unfakir.–Ai-jeentenduunquartd'heurepourdéjeuner?Ilsm'ontprispourqui?–Pourunecélébrité.L'accueilàl'aéroportétaitimpressionnant,sansparlerdu

réceptionniste,jesuistrèsfièredevous.–Ilyavaitplusdemondequim'attendaitàlasortiedecetavionquelorsque

jefaisdessignaturesenlibrairie;jesuiscertainquecesgensétaientpayéspourêtrelà.–Nesoyezpassimodesteet,jevousensupplie,allezvoushabiller,lepagne

nevousavantagepas.Paulouvritlaportedudressingetseregardadanslemiroir.– Je ne suis pas d'accord, ça me va plutôt bien, je devrais peut-être faire

l'émissiondanscettetenue.Çayest,j'ailetrac.Mia s'approcha de Paul, détailla le contenu de la penderie, décrocha un

pantalongris,unevestenoireetpritunechemiseblanchesurl'étagère.–Tenez,dit-elleenlesluitendant,voussereztrèsbiencommeça.–Vousêtessûrequelableueneseraitpasmieux?–Non,pasavecvotremine,ilestpréférablequelachemisesoitpluspâleque

votre visage ; après une ou deux nuits de repos nous verrons si le bleu vousconvient.Elle ouvrit son sac et constata que le peu de tenues qu'elle avait emportées

étaientfroissées.– Je vais rester là et commander un repas dans la chambre, soupira-t-elle,

abandonnanttoutparterre.– De combien de temps disposons-nous, mademoiselle Grinberg, avant ce

dîner?interrogeaPaulenempruntantuntonprécieux.–Deuxheures,monsieurBarton,etneprenezpasgoûtàcepetitjeucarvous

pourriezavoirmadémissionavantdel'avoircommencé.–Habillez-vousetjevousprieraisd'êtreunpeuplusrespectueuseenversvotre

employeur.–Oùallons-nous?–VisiterSéoul, c'est la seule chosequimevienneà l'esprit pournous tenir

éveillésjusqu'àcefoutudîner.Ils redescendirentdans lehall.En lesvoyant sortirde l'ascenseur,MlleBak

bonditetsemitaugarde-à-vous.Paul lui expliqua à l'oreille ce qu'il avait en tête. Elle s'inclina et ouvrit le

chemin.Mias'étonnadedevoirparcouriràpiedunboulevardquineprésentaitaucun

attrait touristique et son étonnement redoubla quand Mlle Bak entra dans uncentrecommercial.Paul,docile,suivaitleguideets'engageasurlesescalators.–Jepeuxsavoircequ'onfaitici?demandaMia.–Non,réponditPaul.Au troisième étage, Mlle Bak désigna une vitrine. Elle resta à l'entrée du

magasinetpriaPauldefaireappelàelles'ilavaitbesoindesesservices.Pauls'aventuraàl'intérieur,Mialuiemboîtalepas.– Offrir une robe à Kyong est une attention délicate, mais elle aurait

certainementpréféréqu'elleviennedeParis.–Jesais,jen'yavaispaspensé!–Nousallons tenterde réparercetteerreur,vousconnaissez sa tailleou ses

mensurations?–Sensiblementidentiquesauxvôtres.–Ahoui?Jel'imaginaispluspetitequemoi,etunpeugrosseaussi.Miafituntourd'horizonetsedirigeaversunrayonnage.–Tenez,cettejupeesttrèsjolie,cepantalonaussi,cehautestravissant,celui-

làégalement,cestroispullssontparfaits,etcetterobedusoir,duplusbeleffet.–Vousavezétécostumièredansuneautrevie?questionnaPaul,étonnéparla

rapiditéaveclaquelleMiaavaitsélectionnécesvêtements.–Non,répliqua-t-elle,j'aisimplementdugoût.Pauls'emparadetoutes lespiècesqueMiaavaitchoisiesavantdesediriger

versunecabined'essayage.–Siçanevousdérangepas...,reprit-ilentirantlerideau.– Que ne ferait pas une bonne assistante ! lâcha Mia en s'emparant des

vêtements.Elle entradans la cabine referma le rideaupour le rouvrir quelques instants

plus tard vêtue d'un premier ensemble. Elle pivota sur elle-même jouant aumannequin,lesourireforcé.

–Parfait,ditPaul,onessaielasuivante.Mias'exécutaàcontrecœur.Devantl'airperplexedePaul,Miafitdemi-touretréapparutvêtued'unautre

pull. Il alladécrocherune robenoirequi luiplaisait beaucoupet lapassapar-dessuslerideau.–Unpeutropmoulante,non?s'enquitMia.–Essayez-la,nousverronsbien.–Elleestmagnifique,avouaMiaenressortantdelacabine.–Jesais,j'aidugoût.Nouvelessai,Paultrouvalatenueparfaite.PendantqueMiaserhabillait,ilse

rendit à lacaisse régler sesachatset retrouvaMlleBakà l'entréedumagasin.Miaressortitdelacabineetlesobservaauloin.–Maisilseprendpourqui?Unepetitepoignéedefansàl'aéroportetçalui

monteàlatête.Situveuxjoueràlastar,tunesaispasàquituasaffaire,mongrand,ruminait-elleenlesrejoignant.–Onrentreàl'hôtel?–Unmerci,çavousarracheraitlalangue?–Merci,ditPaulenempruntantlesescalators.–Vousespérezfairesuccombervotretraductriceavecdeuxrobes?lâchaMia.–Etunejupe,troispulls,deuxpantalonsetdeuxhauts.–UnetourEiffelminiatureauraitsuffi,entoutcas,ça luiauraitprouvéque

vousn'aviezpaspenséàelleauderniermoment.Ilsregagnèrentleurchambresanss'êtreadressélaparole.Pauls'allongeaàla

droitedulit,lesmainsderrièrelanuque.–Voschaussures!s'exclamaMia.–Ellesnefrôlentmêmepaslacouette.–Ôtez-lesquandmême.–Àquelleheureviennent-ilsnouschercher?–Vousn'avezqu'àvousleveretconsultervotrefeuillederoute.–C'estmarrantquevousemployiezceterme,c'estcommeçaqu'onnommeun

planningdepromo.–Etçavousétonnequ'uneserveuseaitduvocabulaire!–C'estmoiquisuiscenséêtrenerveux,pasvous.–Moi,moi,moi, il n'y a que vous depuis que nous sommes arrivés. Soyez

nerveuxtoutseuletallezdînertoutseul,aussi.Detoutefaçon,jen'airienàmemettre.–Vousn'avezquel'embarrasduchoix,touscespaquetssontpourvous.Vous

avez vraiment imaginé que je comptais séduire Kyong en la couvrant decadeaux?C'estd'unvulgaire,vousm'avezprispourqui?–PourDavid...C'esttrèsgentildevotrepart,maisiln'enestpasquestion,il

n'yaaucuneraison...–Si,etvousvenezdelanommer,vosaffairessontrestéesàParis.Vousn'allez

pasporterlesmêmesvêtementspendanttoutleséjour.–J'iraim'enacheterdemain.–Vousavezdéjà faitune folieaveccebilletd'avion.C'était lamoindredes

chosesquejevousaideàmontour,vousm'aveztenulamain,unemainmoite,vousm'avezsoutenudanslavoiturefaceàcetéditeurquinecessaitdeparler,etsivousn'étiezpaslà, jeseraisenmiettesaumilieudecettesuitesinistre,danscethôtelsinistre,etdanscettevilleauboutdumonde.Alors,entoutbientouthonneur, nous allons suspendre ces vêtements dans la penderie, et je vousproposederéserverlarobenoirepourlasoiréechezl'ambassadeur.–Jetiensàvousrembourser,vousenavezeupourunefortune.–Moinon,Cristonelienrevanche...Jeluiaisoutiréuneavanceastronomique

avantd'acceptercevoyage.Miaemportaundessacsverslasalledebains.–Jevouslaisserangerlereste,jedoismepréparer.Lorsqu'elleenressortit,unedemi-heureplus tard,Paul la trouvaencoreplus

bellequelorsdesessayages,etelleétaitpourtantàpeinemaquillée.–Alors?dit-elle.–Renversante!...Pasmal,çavousvatrèsbien.–Lajupen'estpastropcourte?...Commentça,pasmal?–Vousêtessublime!...Non,jepensequ'elleestàlabonnetaille.–Tu sais combien d'hommes se damneraient pour être avecmoi dans cette

suite,ettoitumetrouvesjuste«pasmal»?...Etlehaut,pastropdécolleté?–Uncentimètredeplusetvousdéclencheriezuneémeutedanslerestaurant...

Non, juste ce qu'il faut, vraiment je vous assure, cette tenue vous vaparfaitement.–Attendsdevoirlatêtequeferatatraductriceenmevoyantettum'endiras

des«pasmal»...Puisquevousledites,jevousfaisconfiance.–Qu'est-cequit'arrive,monvieux?–Vousdisiezquelquechose?–Non,rien.Paullevalepouceetseretirapourallersepréparer.

*

En entrant dans le restaurant, Paul sentit les battements de son cœurs'accélérer.Avantdequitterl'hôtel,Mialuiavaitprodiguéquelquesconseilssurle comportement à adopter en de telles circonstances.Ne rien faire qui puisseindisposer Kyong devant ses employeurs, la laisser agir et attendre le bonmomentpour semanifester.S'ils étaient assis côte à côte, à défaut depouvoireffleurersamain,unfrôlementdegenouxseraitsuffisantpourlarassurer.Et au cas où il ne pourrait l'approcher sans éveiller de soupçons,Paul avait

confiéunpetitmotàMiapourqu'elleleremetteàKyongàlafindurepas.Quand tous les convives eurent pris place autour de la table, Paul et Mia

échangèrentunregard,Kyongn'avaitpasétéinvitée.Paul était célébré, les toasts en sonhonneur se succédaient.Ledirecteur du

marketingdesamaisond'éditioncoréenneenvisageaitderegroupersesouvragesau sein d'une collection destinée aux étudiants. Il voulut savoir si Paulaccepteraitd'yajouterunepréfaceoùilexpliqueraitpourquoiilavaitvouésonœuvre à une cause si difficile. Paul se demanda s'il se foutait de lui, maisl'anglaisdesoninterlocuteurétantloind'êtreparfait,ilpréféranerienrépondre.Lechefdelapublicitéluiprésentalacouverturedesondernierroman,montrantfièrement le bandeau qui mentionnait en caractères rouges :500 000 exemplaires. Chiffre tout à fait exemplaire pour un auteur étranger,ajouta l'éditeur. Le directeur de la librairie confirma qu'il ne s'écoulait pas unjoursansqu'onneleluiréclamel'ouvrageplusieursfois.MlleBakattenditsontour pour communiquer la liste des interviews auxquelles Paul devrait sesoumettre.Lejournaltéléviséavaitnégociéuneexclusivitéjusqu'àsonpassage,mais aussitôt libéréde cetteobligation, il aurait un entretien avec lequotidienChosun, un autre avec le magazine Elle coréen, une heure d'antenne sur lesondesdelaradioKBS,untête-à-têteavecunjournalistedeMovieWeeketunerencontre plus délicate avec le quotidienHankyoreh, connu pour ses positionsnonconservatricesetseulorganedepresseàsoutenirlapolitiqued'ouverturedugouvernement avec la Corée du Nord. Quand Paul demanda pourquoi leHankyoreh souhaitait l'interviewer, toute la tablée ritdeboncœur.Pauln'avaitpas lecœuràrireetsonhébétudecontrastaitavecl'entraindesesvoisins.Miavintàsarescousse,etposatouteunesériedequestionssurSéoul,letempsqu'ilyfaisaitaucoursdessaisons,leslieuxàvisiter,elleentamauneconversationsurlecinémacoréenavecl'éditeurdePaulquifutimpressionnéparsonéruditionenlamatière. Elle profita de ce rapprochement pour lui suggérer à l'oreille qu'il

seraitbond'écourterlasoirée,M.Bartonétantépuisé.Deretouràl'hôtel,Paulalladirectementsecoucher.Ilajustalepolochonqui

leséparaitdeMiaetéteignitsalampedechevetavantqu'ellenesoitsortiedelasalledebains.Mias'installasouslesdrapsetattenditquelquesinstants.–Vousdormez?–Non,j'attendaisquevousmeposiezlaquestionpourdormir.–Ellevousappellerademain,j'ensuiscertaine.–Commentpourriez-vousl'être,ellenem'amêmepasdéposéunmessageà

l'hôtel.–Ellevousavaitprévenudanssonmailqu'elleseraitdébordée.Ilarriveque

votretravailvousaccapareaupointquevousnepuissiezrienfaired'autre.Paulseredressaetpassalatêteau-dessusdupolochon.–Unpetitmessage,c'est tropdemander?Elleaéténomméeministrede la

Culture?Etpuispourquoiluicherchez-vousdesexcuses?– Parce que ça me chagrine de vous voir malheureux et je ne sais pas

pourquoi,pourtantc'estcommeça,réponditMiaenseredressantelleaussi.–Çadevientunemaniechezvousdemepiquermesrépliques.–Taisez-vous.Dans le silence, leurs visages se rapprochèrent et ce qui suivit fut d'une

tendresseinfinie.

*

–Vousnem'avezpasembrasséparpitié?interrogeaPaul.–Vousavezdéjàprisunegiflejusteaprèsunbaiser?–Non,pasencore.Miaposaseslèvressurlessiennesetluisouhaitabonnenuit.Puiselleajusta

lepolochonetéteignitsalampedechevet.–Çacomptaitoupas?demandaPauldanslenoir.–Dormez!réponditMia.

16.

Mias'amusaitbeaucoupàjouerlaparfaiteassistante,exagérantàoutrancesafaçond'appelerPaul«monsieurBarton»chaquefoisqu'elles'adressaitàlui.Et,chaquefois,Paulluilançaitunregardincendiaire.Durantl'inaugurationduSalon,tandisquelesflashscrépitaient,ellesetinten

retrait.LaséancededédicacemarquauneétapedanslaviedePaul.Troiscentspersonnesformaientunefilequis'étiraitbienau-delàdesportesde

la librairie. En découvrant l'ampleur de cet accueil, Mia songea à sa proprecarrièreetàCrestonqu'elleauraitdûappelerdepuislongtemps.Ildevaitsefaireunsangd'encre.Ellecherchaquelmensongeinventerpournepasluirévéleroùelleétait.Desoncôté,Paul,assisderrièreunbureau,continuaitd'enchaînerbonjourset

sourires,aveclaplusgrandedifficultéàorthographieroumêmecomprendrelenomdeslecteursquiseprésentaientàlui.Lelibrairesepenchaàsonoreillepourluiprésentersesexcuses.Ilétaitregrettablequesatraductricesoitsouffranteetn'aitpuvenir.–Kyongestmalade?luichuchotaPaul.–Non,c'estvotretraductricequiestmalade.–C'estcequejeviensdedire.–VotretraductriceseprénommeEun-Jeong.Unebousculadesoudainemituntermeàleurconversation,l'agentdesécurité

éconduisit quelques fans et ordonna au public de reformer une file devantl'estrade.

LapausedéjeunerfutprolongéesurordredeMia.M.Bartonavaitbesoinde

souffler. Paul fut escorté vers la cafétéria de l'établissement qui lui avait étéentièrement réservée. Il passa son temps à chercher des yeux le libraire, sansrésultat.–Vousavezl'airsoucieux?demandaMia.

–Jen'aipasl'habitudequ'ilyaitautantdemonde,j'ailetracetjesuisépuisé.–Onleseraitàmoins.Vousn'avezpastouchéàvotreassiette.Mangez,vous

aurezbesoindeforcepourlesecondround.C'estmerveilleuxcequivousarrive,voslecteurssontsiheureuxdevousvoir,c'estbouleversant,émouvant,n'est-cepas?Jesais,c'estfatigant,maisfaitesuneffortetsouriezunpeuplus.C'estlaplusbelledesrécompensesqued'êtreaimédesonpublic.Celadonneunsensànotretravail,ànotreexistence,àtoutcequ'onoffreauxautres.Quelplusgrandbonheurquedepartagercettejoieaveceux?–Vousenavezfaitbeaucoupdesignaturesdansvotrevie?–Cen'estpascequejevoulaisdire.–Entoutcas,moi,jen'enavaisjamaisconnudepareilleàcelle-ci.–Vousdevrezvousyhabituer.–Jenepensepas,cen'estpasmontruc.Jen'aipasquittélaCaliforniepour

vivreçaà l'étranger.Jenedispasquecenesoitpasplaisantet jesuis touché,maisjen'aipasl'étoffed'unestar.–Cetteétoffevouscolleraviteàlapeau,etvousyprendrezgoût,croyez-moi.–Jesuispersuadéducontraire,réponditPauld'untonrenfrogné.–Toujourssansnouvelles?demandaMiasuruntondétaché.–Toujours.–Ellevousendonnerabientôt.Paulrelevalatête.–Àproposd'hiersoir...–Ilesttempsderejoindrevotrepublicquis'impatiente,l'interrompitMiaen

selevant.Les agents de sécurité raccompagnèrent Paul à sa table de signature. Mia

demeuraàlacafétéria.Dèsqu'ellerouvrit,unejeunefanseprécipitaetchapardaleverredanslequelPaulavaitbu.Tuasl'airsidésarméfaceàcesuccès,tuasl'airsisincèrequandtuaffirmes

nepasvouloirdelacélébrité,etilfallaitquetumerencontres,moi...peut-êtrequenousnesommespascompatibles...,pensaMia.

*

Peuàpeu, la librairie sevidait.Ledernier lecteur fit un énième selfie avecPaulquiluioffritsonultimesouriredelajournée.Ilétaitexténuéeteutpresquedumalàseleverdesachaise.–C'estlarançondelagloire,ditlelibraireenvenantleremercier.Mial'attendaitprèsdelasortieencompagniedeMlleBak.

–QuiestcetteMmeJonquedontvousm'avezparlétoutàl'heure?demandaPaul.–Eun-Jeong,corrigea le libraire.Jevous l'aidéjàdit,elle traduitvos livres,

vousluidevezunpeudevotresuccès.Jenel'aijamaisrencontrée,maisondoitluireconnaîtreuneplumeremarquable.–Kyong !ma traductrice seprénommeKyong, je saisceque jedis toutde

même,protestaPaul.– On vous aura mal orthographié son prénom en anglais, notre langue est

pleine de subtilités,mais je vous assure qu'elle se prénommeEun-Jeong, c'estd'ailleursécritsurlacouverturedechacundevoslivres,encoréenbiensûr.Jeregrettequ'ellen'aitpuêtreprésenteaujourd'hui,elleauraitétéfièred'êtreàvoscôtés.–Qu'est-cequ'ellea?–Unemauvaisegrippe,jecrois.Ilesttempsdepartir,votrejournéeestloin

d'êtrefinieetvotreéditeurm'envoudraitdevousretenirpluslongtemps.

*

Unelimousinelesramenaàl'hôtel.MlleBaks'étaitinstalléeàl'avant.PaulnepipaitmotetMias'eninquiéta.–Vousallezm'expliquercequ'ilya,chuchotaMia.Paul appuya sur un bouton et la vitre qui les séparait du chauffeur et de

MlleBakremonta.–Ça,voyez-vous,jepourraisyprendregoût.–Paul!–Elleestmalade,unesalegrippeàcequ'ilparaît.– En soi, c'est plutôt une bonne nouvelle. Enfin, pas pour elle, mais cela

expliquesadésertionetsonsilence.Réfléchissons,unesalegrippedurequoi?Huitjoursauplus?Quandest-elletombéemalade?–Commentvoulez-vousquejelesache?–Vousauriezpuvousen inquiéter,vousvousêtesbien inquiétéd'ellepour

savoirqu'elleétaitsouffrante.– Pas du tout, c'est le libraire qui m'en a informé, elle aurait dû être là

aujourd'hui.–Etquevousa-t-ilditd'autre?–Rien,absolumentrien.–Alorssoyonsoptimistesetespéronsqued'iciquelquesjoursellesoitremise

surpieds...Elleapeut-êtredesgrandspieds,d'ailleurs,despiedsimmenses...

–Vousmurmurez!–Jenemurmurejamais,lemurmurem'estétranger.Miasetournaverslavitreetregardalepaysage.–OubliezvotreKyong,aumoinsjusqu'àcesoir...oubliez-latoutcourt,même.

Vousavezuneémissionimportantequivousattendetilfautvousconcentrer.–Jeneveuxpasyaller,j'enaimarre,jeveuxrentreràl'hôtel,commanderun

plateau-repasetmecoucher!– Et moi donc... Ne faites pas l'enfant, votre carrière est en jeu, soyez

professionneletprenezsurvous.–Onavaitditjoueràl'assistante,pasautyran.–Parcequevouscroyezquejejoue?s'offusquaMiaenluifaisantface.–Pardon,c'estcetrac,jeraconten'importequoi,jeferaismieuxdemetaire.–Voussavezcequ'adéclaréunjourSarahBernhardtàunejeuneactricequi

sevantaitdenepasconnaîtreletrac?«Net'inquiètepasmapetite, ilviendraavecletalent.»–Jedoisprendreçapouruncompliment?–Prenez-lecommevousvoudrez.Nousarrivonsàl'hôtel,unbainvousferale

plusgrandbien.Ensuite,vousvouschangerezetvousnepenserezplusqu'àvospersonnages, à vos amis, à des choses qui vous rassurent. Ce trac, vous nepourrezpasl'ignorer,maisvouspouvezlesurmonter.Dèsquevousentrerezenscène,ildisparaîtra.– Et comment savez-vous tout ça ? souffla Paul avec la voix d'un homme

perdu.–Jelesais,c'esttout.Ayezconfianceenmoi.

*

Paulseprélassaunlongmomentdansl'eaumoussante.Ilenfilalecostumeetla chemise blanche choisis parMia. Les caméras avaient horreur du bleu, luiavait-elle confié, ajoutant aussitôt qu'en bleu, les hommes avaient moins deprestanceàlatélévision.Toutlemondesavaitcela.Ellecommandaunecollationvers18heures.Paul se forçaàmanger.Elle lui fit ensuiteapprendreparcœurune courte introduction destinée à remercier ses lecteurs coréens, à leur direcombien il était sensible à leur accueil, que Séoul était une ville magnifique,mêmes'iln'avaitpasencoreeuletempsdelavisiteretqu'ilétaitheureuxd'êtrelà.Paulrécitasaleçon,lesyeuxrivéssurlapenduledelatélévisionquiégrenaitles minutes. Et plus les minutes s'écoulaient, plus l'angoisse qui l'étreignaitgrandissait,jusqu'àluitordreleventre.

*

Respectantleplanning,ilsétaientàborddelalimousineà18h30pile.Àmi-chemin,Paul cognabrusquement à lavitrede séparation et supplia le

chauffeurdes'arrêter.Il se précipita au-dehors de la voiture pour régurgiter sa collation. Mia le

soutint par les épaules et quand les spasmes se calmèrent, elle lui tendit unmouchoiretunchewing-gum.– Rapatant, lança Paul en se redressant. Mains moites dans l'avion et

vomissuressurletrottoir,leparfaitsuperhéros.Vousaveztirélegroslotpourvoussortirdevotrequotidien.–Laseulechosequicompteestquevotrecostumenesoitpas taché.Çava

mieux?–Jenemesuisjamaissentiaussibien!–Vousn'avezpasperduvotrehumour,c'estl'essentiel.Onyva?–Oui,ilnefaudraitsurtoutpasarriverenretardàl'abattoir.–Regardez-moidanslesyeux...j'aiditdanslesyeux!Est-cequevotremère

suitlatélévisioncoréenne?–Elleestmorte.–Désolée.Votresœur?–Jesuisfilsunique.–Vousavezdesamiscoréens?–Non,pasquejesache.– Parfait !VotreKyong est clouée au lit avec une grippe, et quand on a la

grippe, la lueurd'uneveilleuse suffit à amplifiervotremigraine.Aucun risquequ'elleregardelatélécesoir,nipersonned'autrequevousaimezouconnaissez.Alors, on n'en a rien à faire de cette émission, et on se contrefiche que voussoyezbrillantounul,voussereztraduitenplus!–Alorspourquoionyva?–Pourleshow,pourvoslecteurs,pourquevousracontiezçaunjourdansun

de vos livres. Pensez, en entrant sur le plateau, que vous êtes l'un de vospersonnages,tâchezdeleurressembleretvousserezparfait.PaulobservalonguementMia.–Etvous,vousmeregarderez?–Non!–Menteuse.–Crachezcechewing-gum,noussommesarrivés.

*

MiarestaauprèsdePauldurantlemaquillage,intervenantdeuxfoispourquelamaquilleusenemasquepassespetitesridulesautourdesyeux.Lorsquelerégisseurvintlechercher,ellelessuivitdanslescoulisseset,juste

avantqu'iln'entresurleplateau,elleluiprodiguasondernierconseil.–N'oubliezpas,cen'estpascequevousditesquicomptera leplus,mais la

façondontvous ledirez.Àla télé, lamusicalitéprimesur lesmots,croyez-enunefandetalk-show.Lesrampesdeprojecteurss'illuminèrent,lerégisseurpoussaPauletilavança

surlascène,ébloui.Le présentateur l'invita à prendre place dans le fauteuil face à lui, un

techniciens'approchapourluiposeruneoreillette.LamanipulationchatouillaitPaul,etcommeilgigotaitenrigolant,l'opérateurdusons'yrepritàtroisfois.– C'est gagné, soupiraMia depuis les coulisses, en le voyant retrouver des

couleurs.Paulentendit lavoixde son interprète seprésenterà luidans l'oreillette.La

traductionseraitsimultanée,illepriadefairedesphrasescourtes,séparéesd'untempsdepause.Paulacquiesçadelatête,signequeleprésentateursurleplateaupritpourunbonjour,sesentantobligédeluiretournersonsalut.–Onvabientôtcommencer,chuchotal'interprètedepuislarégie,vousneme

voyezpas,maismoi,jevousvoissurmonécrandecontrôle.–D'accord,acquiesçaPaul,lecœurbattant.–Neme répondezpasàmoi,monsieurBarton,maisuniquementàM.Tae-

Hoon, suivez ses lèvres et n'écoutez que ma voix. Les téléspectateursn'entendrontpaslavôtre.–QuiestM.Tae-Hoon?–Leprésentateur.–D'accord.–C'estvotrepremièretélé?NouveauhochementdetêteimmédiatementcopiéparTae-Hoon.–Noussommesàl'antenne,maintenant.PaulseconcentrasurlevisagedeTae-Hoon.– Bonsoir, nous sommes heureux d'accueillir sur notre plateau l'écrivain

américain Paul Barton. À notre grand regret, M. Murakami, souffrant d'unegrippe, ne sera pas présent ce soir. Nous lui souhaitons un promptrétablissement.–Normal,touslesgensimportantspourmoiattrapentlagrippeencemoment,

netraduisezpasças'ilvousplaît,enchaînaPaul.Miaôtal'oreillettedontelles'étaitéquipéeetquittalescoulisses.Ellesollicita

lerégisseurpourqu'onl'accompagnejusqu'àlalogedeM.Barton.– Monsieur Barton, reprit le présentateur après un temps d'hésitation, vos

livresrencontrentungrandsuccèscheznous.Pouvez-vousnousexpliquercequivousapousséàembrasserlacausedupeupledelaCoréeduNord?–Jevousdemandepardon?–Vousn'avezpascomprismatraduction?s'enquitlavoixdansl'oreillette.–Si, j'ai trèsbiencompris la traduction,maispas laquestionqu'onvientde

meposer.Leprésentateurtoussotaetpoursuivit.–Votredernierouvrageestbouleversant,vousydécrivezlavied'unefamille

souslejougdeladictature,tentantdesurvivreàlarépressionorchestréeparlerégime de Kim Jong-un, et tout cela avec une justesse surprenante pour unécrivainétranger.Commentvousêtes-vousdocumenté?– Je pense que nous avons un problème,murmuraPaul à l'intention de son

interprète.–Quelproblème?–Jen'aipaseuleloisirdelireledernierMurakami,maisjepensequevotre

M.Tae-Hoonsetromped'auteur,netraduisezpascelanonplus.–Jen'enavaispasl'intentionetjenecomprendspascequevousmedites.– Je n'ai jamais rien écrit sur la dictature nord-coréenne, bon sang ! souffla

Paulenconservantunsouriredefaçade.Leprésentateurnerecevantaucunretourdesondanssonoreillettes'épongea

lefrontetannonçaqu'ilyavaitunpetitincidenttechniquequiseraitviterésolu,ils'enexcusa.–Cen'estnilelieunilemomentdefairedesplaisanteries,monsieurBarton,

reprit l'interprète, nous sommes en direct. Je vous supplie de répondre auxquestionsavecplusdesérieux,monposteestenjeu,vousallezmefairevirersivouscontinuezàvouscomporterde la sorte. Jedois enclenchermonmicroetdirequelquechoseàM.Tae-Hoon.–Ehbien,commencezparluidirebonjourdemapartetprévenez-ledeson

erreur,c'estlaseulechoseàfaire.–Jesuisundevosfidèleslecteursetjenepeuxm'expliquervotreattitude.–J'aicompris,c'estpourlacaméracachée!–Lacaméraestjusteenfacedevous...vousavezbu?Paulfixal'objectifau-dessusduquelclignotaitunedioderouge.M.Tae-Hoon

semblaitperdrepatience.– Je remercie mes lecteurs coréens, enchaîna Paul, et je tiens à leur dire

combienjesuissensibleàleuraccueil.Séoulestunevillemagnifique,mêmesijen'aipasencoreeuletempsdelavisiter.Jesuisheureuxd'êtrelà.Paul entendit le soupir de soulagement de son interprète qui traduisit ses

parolessansattendre.–Merveilleux,repritTae-Hoon,jecroisquenousavonsrésoluceproblèmede

son.Jevaisdoncreposermesdeuxpremièresquestionsànotreauteurqui,cettefois,vanousrépondre.Etpendantqueleprésentateurparlait,Paulmurmuraàsoninterprète:–Commejenecomprendsrienàcequ'ilmedit,etquevousêtesunlecteur

fidèle de mon œuvre, je vais vous réciter la recette du pot-au-feu de monboucherparisienetvous,vous répondrezauxquestionsdeM.Tae-Hoonàmaplace.– Il m'est impossible de faire une chose pareille, chuchota l'interprète dans

l'oreillette.–Vous tenezàvotre joboupas? Ilparaîtqu'à la télé, lamusicalitécompte

plusquelesmots,nevousinquiétezpas,jevaism'efforcerdesourire.Et l'émission se déroula ainsi.L'interprète traduisait àPaul les questions du

présentateur,pendantquecederniers'acharnaitàl'interrogersurdeslivresqu'iln'avaitpasécritsetdontlesujettournaitobsessionnellementsurlaconditiondescitoyensdelaCoréeduNord,Paul,sansjamaissedépartird'unsourire,disaitcequiluipassaitparlatête,neformulantquedesphrasescourtesenmarquantunepause à chaque fois. L'interprète, à défaut de pouvoir traduire des proposintelligibles,devintl'auteurd'unsoir,répondantbrillammentàlaplacedePaul.Lecauchemardurasoixanteminutes,maisonn'yvitquedufeu.Ensortantduplateau,PaulcherchaMia.Lerégisseurleguidajusqu'àlaloge.–Vousétiezformidable,assura-t-elle.–Sansaucundoute,mercid'avoirtenuvotrepromesse.–Laquelle?–Denepasregarderl'émission.–Délicieuse,votrepetiteremarquesurlagrippe,etdésoléepourMurakami,je

saisquevousvousfaisiezunejoiedelerencontrer.–Jenepensaispascequejedisais.–On rentre ? Il n'y a pas que vous que cette journée ait épuisé, dit-elle en

quittantlaloge,demainjerendsmontablier.

Paulseprécipitaderrièreelleetlaretintparlebras.–Jen'enpensaispasunmot.–Maisvousl'avezditquandmême.–Eh bien, j'ai dit une connerie, et croyez-moi, ce soir, c'en était une parmi

d'autres.–Vousavezsûrementétéexcellent.–Sij'aisurvécu,c'estàvousquejeledois.Dufondducœur,merci,etcene

sontpasdesparolesenl'air.–Derien.Miaselibéradesonempriseetmarchad'unpasdécidéjusqu'àlasortie.

*

De retour à l'hôtel,Mia s'endormit sans tarder.De l'autre côté dupolochon,Paul,lesyeuxgrandsouverts,cherchaituneexplicationauxdeuxanomaliesquiavaient marqué sa journée. N'en trouvant aucune, il s'inquiéta de ce que lelendemainluiréserverait.

17.

Mia fut réveillée par un grincement de porte. Elle ouvrit les yeux. Paul,poussaitunetableroulante.Ils'approchadulitetluisouhaitabonjour.–Café,orangepressée,corbeilledeviennoiseries,œufsàlacoqueetcéréales,

Madameestservie,dit-ilenremplissantsatasse.Mias'assitetarrangealesoreillersdanssondos.–Quemevauttantd'attentiondesibonmatin?– J'ai viré mon assistante hier, alors il faut bien que je m'occupe de tout,

réponditPaul.–Commec'estétrange,j'avaisentendudirequ'elleavaitdémissionné.–Siellel'afait,nosintentionssesontcroisées,jepréfèredeloinperdreune

collaboratriceetretrouveruneamie.Sucre?–Un,s'ilvousplaît.–Et puisque jem'assiste tout seul, j'ai pris quelques initiatives pendant que

vous dormiez. Les rendez-vous de la journée sont annulés. Notre seuleobligation sera cette réception chez l'ambassadeur, pour le reste, nous avonsquartierlibre.Séoulestànousjusqu'àcesoiretnousallonsenprofiter.–Vousavezannulétousvosrendez-vous?–Reportésàdemain,j'aiprétenduquejecouvaisquelquechose.Jen'allaispas

laisserlemonopoledelagrippeàMurakami,questiondestanding.Miaregardalejournalpliésurlatabledupetitdéjeuneretl'attrapad'ungeste

vif.–Votrephotoestenpremièrepage!–Oui,pastrèsavantageused'ailleurs, jemetrouvemocheet j'ai l'aird'avoir

troiskilosdeplus.–Non,vousêtesbien.Vousavezappelévotreattachéedepressepourqu'elle

voustraduisel'article?Unephotoenpremièrepage,c'esttrèsimportant.–Jereconnaisqu'encoréen,difficiledesavoirs'ilsdisentdubienoudumal,

mais àmon avis, le journaliste qui a pondu ce papier a dû y faire l'éloge du

dernierromandeMurakami.–Vousn'auriezpasuneobsessionmurakamienneplutôtquelagrippe?Vous

venezdeleciterdeuxfoisenquelquesminutes.–Paslemoinsdumonde,etenmêmetemps,aprèscequis'estpasséhiersoir,

j'enauraisledroit.–Ques'est-ilpassé?– J'ai vécu le moment le plus ubuesque de ma vie. Il m'est arrivé souvent

d'êtreinterviewépardesjournalistesquin'avaientpasouvertmonlivre,maisparquelqu'unquialuceluid'unautre,ça,c'étaitunegrandepremière.–Dequoiparlez-vous?–Dufiascod'hier!Cetabrutinecessaitdemeposerdesquestionsdestinées

à...Jeneprononcepassonnom,vousm'accuseriezencoredefaireunefixette,mais vous avez compris de qui je parle. Grand moment de solitude sur ceplateau, faceauprésentateur.Qu'est-cequivousaconduitàvous intéresserausort du peuple nord-coréen ? Par quelles sources avez-vous obtenu tantd'informations sur la vie des gens opprimés par le régime de Kim Jong-un ?Pourquoi un tel engagement politique ? Pensez-vous que les jours de cettedictaturesoientcomptés?Selonvous,KimJong-unest-ilundirigeantdefaçademisenplaceparunsystèmeoligarchiqueouest-ilréellementauxcommandes?Est-ce que vos personnages sont inspirés de la réalité ou les avez-vousinventés?...etcetera,etcetera.– Vous n'êtes pas sérieux ? demanda Mia, hésitant entre amusement et

compassion.– J'ai posé lamême question à l'interprète quime parlait dans cette foutue

oreillette.Çagratte terriblement,ces trucs-là.Pourtoutvousavouer, j'aimêmecruàunecaméracachée.Commeilsnereculentdevantrien,j'aipenséquec'étaitcequ'ilyavaitdepluslogiqueetquejen'allaispasmelaisserprendreaupiègeaussi facilement.Au bout de vingtminutes, j'ai commencé à trouver le tempslongetlaplaisanterieunpeulourde.Saufquecen'enétaitpasune.Cesabrutissesont trompésd'auteuretdebouquin,et l'interprèteavait la trouillede leseninformer.– C'est dément, répliqua Mia en mettant la main devant sa bouche pour

masquersonenviederire.–Nevousprivezsurtoutpas,moquezvousdemapommeentouteliberté,je

suislepremieràlefairedepuisquenoussommesrentréshiersoir.Iln'yaqu'àmoiquecegenredechosearrive.–Maiscommentont-ilspucommettreunetelleerreur?

–Silaconnerieavaitdeslimites,çasesauraitdepuislongtemps.Bon,onnevapaspasserlajournéelà-dessus,enchaînaPaulenôtantlejournaldesmainsdeMiapourlejeterauboutdelapièce.Prenezvotrepetitdéjeuneretpartonsnouspromener.–Vousêtessûrqueçava?–Maisoui,çavatrèsbien,j'aifaitfigured'imbéciledevantdescentainesde

milliersdetéléspectateurs, jesupposequecertainsd'entreeuxontdûavertir lachaîne,c'estcequidoitêtreécritdanscetarticle.Àcepropos,sinouscroisonsdes gens dans la rue qui rigolent à mon passage, restons dignes et agissonscommesiderienn'était.–Jesuisvraimentdésolée,Paul.–Nelesoyezpas,etn'enparlonsplus.Vousmel'avezditvous-même,onse

fichedecetteémission,etpuisletempsestmagnifique!PaulconvainquitMiadequitter l'hôtelpar lesparkings,aucasoùMlleBak

feraitleguetdanslehall.Ilvoulaitpassercettejournéeensaseulecompagnieetnesurtoutpass'embarrasserd'unguide.Le matin, ils visitèrent le palais de Changgyeonggung. En franchissant la

portedeHonghwamun,Pauls'amusaàessayerdeprononcerlesnomsdeslieuxet ses exagérations gutturales amusèrent beaucoup Mia. Depuis le pontOkcheonggyo,elleadmiralebassinetlabeautédecepalaischargéd'histoire.– Là, c'est Myeongjeongjeon, le bureau du Roi, dit Paul en désignant un

bâtiment, il fut inauguré en 1418. Toutes les maisons que vous voyez sonttournées vers le sud, car les sanctuaires des anciens rois sont au sud.Myeongjeongjeon fait face à l'est, afin de ne pas respecter la traditionconfucéenne.–C'estKyongquivousaappristoutcela?–Laissez-laoùelleest,j'aijustepiquéunebrochureenachetantnosbillets,je

l'aiparcourupendantquevousobserviezl'étang,jevoulaisvousimpressionner.Vousaimeriezvoirlejardinbotanique?

*

Ils quittèrent le palais pour se rendre dans le quartier d'Insa-dong. Ils enarpentèrent les galeries d'art, s'arrêtèrent pour déguster un pajeon, une crêpecoréenne très prisée, et passèrent le reste de l'après-midi à chiner chez lesantiquaires.MiasouhaitaitoffriruncadeauàDaisy,ellehésitaitentreunevieilleboîteàépicesetunravissantcollier.PaulconseillaàMiad'opterpourlecollier,

signifiadiscrètementàl'antiquaired'emballerlaboîteàépicesetsetournaverssonamie.–Vousl'offrirezàDaisydemapart,déclara-t-ilenlaluiconfiant.Ilsrentrèrentjusteàtempspoursepréparer.MlleBakattendaittoujoursdans

le hall de l'hôtel. En la voyant,Mia poussa Paul derrière une colonne. Ils sefaufilèrent jusqu'à la suivante, puis la suivante et profitèrent du passage d'ungroometdesonchariotàbagagespouratteindrelesascenseurs,incognito.

À 19 heures,Mia enfilait sa robe et Paul se sentit très fier de la lui avoir

achetée.– Si vousme dites encore « pasmal », je ne bouge pas de cette chambre,

annonçaMiaenseregardantdanslemiroir.–Bon,jemetais.–Paul!–Vousêtes...–Non,neditesrien!l'interrompitMia.–...magnifique.–Çava,j'acceptelecompliment.Lalimousinelesdéposadevantlarésidencedel'ambassadeurdesÉtats-Unis

unedemi-heureplustard.L'ambassadeurattendait ses invitésdans levestibule.PauletMiaétaient les

premiersarrivés.– Monsieur Barton, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir à la

résidence,commençal'ambassadeur.–Toutl'honneurestpourmoi,réponditPaul,enprésentantMia.L'ambassadeursepenchapourluibaiserlamain.–Quefaites-vousdanslavie,mademoiselle?demanda-t-il.–MiatientunrestaurantàParis,répliquaPaulàsaplace.L'ambassadeurlesaccompagnajusqu'augrandsalon.–Jen'aipasencoreeuleloisirdelirevotredernierouvrage,luiconfia-t-ilà

l'oreille. Je pratique un peu le coréen, mais pas suffisamment, hélas, pourpouvoir apprécier une lecture. En revanche, vous avez fait pleurer moncompagnonàchaudeslarmes.Depuisunesemaine,ilnemeparlequedevous,vousl'avezbouleversé.UnepartiedesafamillevitenCoréeduNordet ilm'aconfié que votre récit était d'une justesse irréprochable. Comme j'envie votre

libertéd'écrivain.Vousaumoins,vouspouvezexprimersansréservecequenosobligations diplomatiques nous contraignent à taire. Mais, permettez-moi devousledire,vousavezportédansceroman,quedis-je,cedocument,lapenséedel'Amérique!Paul,dubitatif,observalonguementl'ambassadeur.–Vouspourriezm'endireunpeuplus?suggéra-t-iltoutenretenue.– Mon compagnon est coréen, je le répète, et... tiens, le voilà ! Il sera

beaucouppluséloquentquemoi.Jevousabandonneensacompagnie,ilrêvedes'entretenir avec vous. Pendant ce temps, je vais accueillir nos autres invités.Pourm'aider dans cette tâche, je kidnappe votre ravissante amie. Vous n'avezrienàcraindreavecmoi,ajoutal'ambassadeurgoguenard.MialançaunregardsuppliantàPaul,envain,l'hôtedeslieuxl'entraînaitdéjà.Pauleutàpeineletempsdereprendresesespritsqu'unhommeàl'allurefine

etd'unerareéléganceleserraitdanssesbrasetposaitsatêtesursonépaule.–Merci,merci,merci,dit-il.Jesuissiémudevousrencontrer.– Moi aussi, répondit Paul en essayant de se libérer de son étreinte. Mais

mercidequoi?–Detout!D'êtrequivousêtes,devosmots,devousêtreintéresséausortdes

miens. Qui s'en soucie de nos jours ? Vous n'imaginez pas ce que vousreprésentezàmesyeux.–Non, en effet, je n'imagine rien.Vous n'avez pasmonté un collectif pour

vousfoutretousdemagueule?demandaPaul.–Jenecomprendspas?–Moinonplus,jenecomprendspas!rétorqua-t-il,exaspéré.Lesdeuxhommessejaugèrent.– J'espèrequecen'estpas le couplequenous formonsavecHenriquivous

choque,monsieurBarton?Nousnousaimonsd'unamoursincèredepuisdixans,nous avons même adopté un enfant, un petit garçon que nous chérissonstendrement.–Jevousenprie!J'aigrandiàSanFranciscoetjesuisdémocrate.Aimezqui

vous voulez, dumoment que vous êtes aimé en retour, j'en suis ravi. Je vousparledevospropossurmonlivre.–J'aiditquelquechosequivousablessé?Sic'estlecas,jem'enexcuse,votre

romancomptetantpourmoi.–Monroman?Monromanàmoi?Celuiquej'aiécrit?–Évidemmentlevôtre,réponditl'hommeenmontrantl'ouvragequ'iltenaiten

main.

SiPaulnesavaitdécrypterlescaractèreshangul,ilétaitcapabledereconnaîtresaphotoaudosdelacouverturequeluiavaitprésentéesonéditeurl'avant-veille.Face à l'incompréhensionmanifeste de son interlocuteur, Paul fut envahi d'undoute, et ce doute, en grandissant, devint vertigineux, jusqu'à lui donnerl'impressionquelesolsedérobaitsoussespieds.– Vous accepteriez de me le dédicacer ? supplia le compagnon de

l'ambassadeur.JemeprénommeShin.Paullepritparlebras.–Mon cher Shin, y aurait-il, près d'ici, une pièce où nous pourrions nous

entretenirquelquesinstants,seulàseul.ShinconduisitPaulàtraversuncouloiretl'invitaàentrerdansunbureau.–Icinousseronstranquilles,assura-t-ilendésignantunfauteuilàPaul.Paulinspiralonguement,cherchantsesmots.–Vousmaîtrisezparfaitementl'anglaisetparlezcourammentlecoréen?–Biensûr,jesuiscoréen,réponditShinens'asseyantdanslefauteuilenface

dePaul.–Trèsbien,etdoncvousavezlumonlivre?–Deuxfoistantilm'abouleversé,j'enrelisd'ailleurschaquesoirunpassage

avantdem'endormir.–Encoremieux.Shin,j'aiunpetitserviceàvousdemander.–Toutcequevousvoudrez.–Nevousinquiétezpas,vraimenttoutpetit.–Quepuis-jefairepourvous,monsieurBarton?–Meracontermonlivre.–Excusez-moi?–Vousm'avezparfaitementcompris.Sivousne savezpascommentvousy

prendre,résumez-moilespremierschapitres,pourcommencer.–Vousêtessûr?Maispourquoi?– Il est impossible pour un écrivain de juger de la fidélité d'une traduction

dans une langue qu'il ne connaît pas ; vous êtes bilingue, l'exercice sera doncaisépourvous.

Shin se plia à la requête de Paul. Il lui raconta son roman, chapitre après

chapitre.Danslepremier,Paulfit laconnaissanced'uneenfantayantgrandienCorée

du Nord. Sa famille vivait dans une misère indescriptible, ainsi que tous les

habitants de son village. La dictature, imposée par une dynastie cruelle,contraignait une population entière à l'esclavage. Les jours de repos étaientconsacrésaucultedesdirigeants.L'écoleàlaquellepeud'enfantsavaientdroit,laplupartdevanttravaillerdansleschamps,n'étaitqu'unoutildepropagandeoùles cerveaux immaculés apprenaient à apparenter leurs tortionnaires à desdivinitéssuprêmes.Dans le deuxième chapitre, Paul rencontra le père de la narratrice. Un

professeurdelettres.Lesoir,ilenseignaitencachettelalittératureanglaiseàsesmeilleursélèves, imposant ledifficileetpérilleuxexercicede leurapprendreàpenserpar eux-mêmes, tentantde leur inculquer lesvertusmerveilleusesde laliberté.Au chapitre trois, le père de la narratrice était dénoncé aux autorités par la

mère d'un de ses protégés. Après avoir été torturé, il était exécuté devant lessiens.Soncorpstraînéparuncheval,commeceuxdechacundesesélèvesquiavaientsubilemêmesort.Seulceluidontlesparentsl'avaienttrahiéchappaitàlamort,pourêtreinternédansuncampetcondamnéauxtravauxforcésjusqu'àlafindesesjours.Au chapitre suivant, l'héroïne du roman racontait comment son frère, parce

qu'ilavaitvoléquelquesgrainsdemaïs,avaitétébattuetenfermédansunecageoùilétaitimpossibledesetenirdeboutoucouché.Sestortionnairesluiavaientbrûlélapeau.Unanplustard,satante,ayantaccidentellementendommagéunemachine à coudre, se voyait infliger par son employeur le supplice d'avoir lesdeuxpoucessectionnés.Auchapitresix,l'héroïneavaitdix-septans.Lesoirdesonanniversaire,elle

quittaitlessiensets'enfuyait.Traversantvalléesetrivièresàpied,secachantlejouretmarchantlanuit,nesenourrissantquederacinesetd'herbesfolles,elleavait réussià tromper lavigilancedespoliciersquipatrouillaient le longde lafrontièreetgagnaitlaCoréeduSud,terrederésilience.Shin fitunepause,voyantque l'auteurdu romandont il faisait le récit était

aussibouleversésinonplusquelui-même.Paul trouvasoudainsapropreproseinsignifiante.–Lasuite,racontez-moilasuite,suppliaPaul.–Maisvouslaconnaissez!réponditShin.–Continuez,jevousenprie,insista-t-ild'unevoiximplorante.–VotrehéroïneestrecueillieàSéoulparunvieilamidesonpère,lui-même

transfugedurégime.Ils'occuped'ellecommedesaproprefilleetpourvoitàsonéducation.Aprèslafaculté,elleobtientuntravailetconsacresontempslibreà

animerdesréseauxd'informationsurlasituationdesescompatriotes.–Quelgenredetravail?–D'abordassistante,elleestpromueaurangdecorrectricedansunemaison

d'éditionetendeviendraéditriceenchef.–Poursuivez,ditPaulenserrantlesdents.–L'argentqu'ellegagnesertàpayerdespasseurs,àfinancerdesmouvements

d'oppositionqui,depuisl'étranger,ontpourmissiondesensibiliserlespoliticiensoccidentaux et de les pousser à agir enfin contre le régime de Kim Jong-un.Deuxfoisl'an,ellevoyagepourallerlesrencontrersecrètement.Safamilleresteprisonnièred'unedictatureimpitoyable,sil'onvenaitàfairelelienavecelle,samère,sonfrèreetsurtoutl'hommequ'elleaimeenpayeraientleprix.–Jecroisenavoirassezentendu,interrompitPaul,enbaissantlesyeux.–MonsieurBarton,toutvabien?–Jen'ensaisrien.–Puis-jevousaider?demandaShinenluitendantunmouchoir.– Mon héroïne, enchaîna Paul en s'essuyant les yeux, elle se prénomme

Kyong,n'est-cepas?–Oui,réponditlecompagnondel'ambassadeur.

*

PaulretrouvaMiadanslegrandsalon.Endécouvrantsonteintblafardetsaminedéfaite,ellereposasacoupedechampagne,s'excusaauprèsdel'invitéaveclequelelleconversaitetavançaverslui.–Qu'ya-t-il?questionna-t-elle,inquiète.–Vouscroyezqu'ilexisteunesortiedesecoursdanscetterésidence,oupeut-

êtremêmedanslavieengénéral.–Vousêtespâlecommeunlinge.–J'aibesoind'unverred'alcool,quelquechosedetrèsfort.Miaattrapaunmartiniauvolsurleplateaud'unmaîtred'hôteletleluitendit.

Paullevidad'untrait.–Mettons-nousàl'écartetvousalleztoutm'expliquer.– Pas maintenant, répliqua Paul, la mâchoire crispée. Je risquerais de

m'écrouleretjecrainsquel'ambassadeurnecommencesondiscours.

*

Au cours du repas, Paul ne pouvait s'empêcher de penser à une famille quicrevaitdefaimàseulementquelquescentainesdekilomètresdecesalonoùl'on

servaitàprofusionpetits-fourset toastsaufoiegras.Deuxmondesséparésparunefrontière...Lesienavaitcesséd'existeruneheureplustôt.Mialecherchaitduregard,maisPaulnelavoyaitpas.Quandilquitta la table,Mialesuivit. Ilremercial'ambassadeurets'excusadelafatiguequil'obligeaitàpartir.Shin les raccompagna jusqu'à laporte. Il serra longuement lamaindePaul,

sur leperronde larésidenceetdans lesouriredouxet tristequ'il luiadressait,Paulfutcertainqu'ilavaittoutcompris.

–Qu'est-ilarrivéàKyongpourquevoussoyezdansunétatpareil?demanda

Miadèsquelalimousinedémarra.–C'estàKyongetàmoiqu'ilestarrivéquelquechose.MonsuccèsenCorée

n'ajamaisexisté,pasplusquemesromansetKyongn'étaitpasquetraductrice.DevantlaminestupéfaitedeMia,Paulpoursuivit.– Elle s'est servie de mon nom, elle n'a d'ailleurs gardé que ça, sur la

couverture demes livres. Et sous ces couvertures, elle publiait ses textes, sonhistoire, ses combats. Le présentateur d'hier n'était pas un incompétent,l'interprètenonplus, il faudraque jepenseà leurprésentermesexcuses.Si levéritable sujet de mes romans coréens n'était pas aussi dramatique, tout celaseraitunegigantesquefarce.Etdirequedepuisdesannéesjevisdesroyaltiesdelivres que je n'ai pas écrits. Vous avez bien fait de démissionner, vous aurieztravaillépourunimposteur.Maseuleexcuseestd'avoirtoutignoréjusque-là.Miaprialechauffeurdestopperlavoiture.–Venez,dit-elleàPaul,vousavezbesoind'airfrais.Ilsmarchèrentcôteàcôteetensilence,jusqu'àcePaulseremetteàparler.–Jedevrais lahaïr,mais sa trahisonestadmirable.Sielleavaitpublié sous

sonnom,elleauraitcondamnélessiens.–Quecomptez-vousfaire?–Jen'ensaisrien,jedoisréfléchir,jen'aicesséd'ysongerduranttoutledîner.

Jouerlejeu,jesuppose,tantquejesuisici.Sinon,jerisquedelacompromettre.DeretouràParis, je luienverraisonargentet jedénonceraimoncontrat.C'estCristoneliquivaêtrecontent,jelevoisdéjà,effondréauxDeuxMagots.Etpuisjechercheraidequoivivre.– Rien ne vous y oblige. Cet argent, c'est celui de la maison d'édition

coréenne,ilsontdûengagnerbeaucoupavecvoslivres.–Paslesmiens,ceuxdeKyong.–Sivousagissezainsi,vousserezobligéd'endonnerlesraisons.– Nous verrons. En tout cas, je comprends mieux maintenant celle de sa

disparition. Il faut que je la retrouve et que nous ayons une explication, je nepeuxpasrepartirsansl'avoirvue.–Vousl'aimez,n'est-cepas?Pauls'arrêtaethaussalesépaules.–Rentrons,j'aifroid.Quelleétrangesoirée,n'est-cepas?

*

Dansl'ascenseurquilesmenaitversl'étagedeleursuite,MiasecampafaceàPaul.Ellepassadélicatementlamainsursonvisageetlegifla.Paulsortitdesatorpeur.Mialeplaquaverslefonddelacabineetl'embrassa.

Lebaiserduraitencorequandlesportesserouvrirentetduraitencoredansle

couloir, tant et si bien qu'ils avançaient, dos collé au mur, de porte en portejusqu'àcequ'ilsatteignentleurchambre.

Lebaisersepoursuivittandisqu'ilssedéshabillaientetsepoursuivaittoujours

lorsqu'ilsbasculèrentsurlelit.Miachuchota:–Çanecomptepas,plusriennecompte,seulementleprésent.Etleursbaisersreprirent.Surleursjoues,bouchesetnuques,sursontorseet

sesseins,sursonventreetseshanches,sursesjambesetsescuisses,surleurspeaux mêlées. À l'étreinte furieuse se mêlaient aussi leurs souffles exaltés,jusqu'àcequelesforcesleurmanquentetqu'ilss'endormentdanslamoiteurdesdraps.

18.

PauletMiafurenttirésdulitparlasonneriedutéléphone.– Fuck ! cria-t-il en regardant la pendule de la télévision qui affichait

10heures.Mlle Bak était confuse, mais le premier entretien de la journée aurait dû

commencerdepuisunedemi-heure...Paulramassasoncaleçonaupieddesrideaux....lejournalisteduquotidienChosunl'attendait...Ilattrapasonpantalonsurlefauteuil,etl'enfilaenprogressantàcloche-pied

verslacommode....dansunsalonetilcommençaitàtrouverletempslong.La chemise était déchirée,Mia se rua vers la penderie et lui en lança une

propre....saconsœurd'Ellecoréenvenaitd'arriver...–Elleestbleue!chuchotaPaul....etilfaudraitpartiràtempspourrejoindrelesstudiosdelaradioKBS...–Pourlapresseçairatrèsbien!murmuraMia....MlleBakavaitréussiàdécalerletête-à-têteaveclechroniqueurdeMovie

WeekaprèslarencontreaveclequotidienHankyoreh...Paulboutonnaitsachemise....celuiquiétaitconnupoursoutenirlapolitiqued'ouverturedugouvernement

aveclaCoréeduNord.Mialadéboutonnaitetremettaitlesboutonsdanslesbonnesboutonnières....etpuis,ilyauraitunerencontreenpublic...–Oùsontmeschaussures?–Unesouslacommode,l'autredansl'entrée!...avecdesétudiantssurlagrandescèneduSalondulivre.MlleBak avait réussi à énoncer le programmede cette longue journée sans

avoirjamaisreprissonsouffle.

–Calmez-vous,jesuisdéjàdansl'ascenseur!–Menteur,file,jeterejoinstoutàl'heure.–Où?–Justeavantquetupartesàlaradio.Laportedelasuitesereferma.Onentenditunfracasterribledanslecouloiret

lavoixdePaulquijuraitàtout-va.Mia passa la tête et découvrit une table roulante en travers du couloir, son

contenurenverséausol.–Sérieusement?dit-elleenvoyantPaulserelever.–Toutvabien,jenesuispastaché,etjenemesuispresquepasfaitmal.–File!ordonna-t-elle.Deretourdanslachambre,elleavançaàlafenêtreetcontemplalavillesous

un ciel gris. Elle saisit son portable dans son sac et l'alluma.Treizemessagesapparurent sur l'écran. Huit de Creston, quatre de David et un de Daisy.Mialança le téléphonesur le lit et commandaunpetitdéjeuner,prévenant le roomservicequ'ilyavaitunpeudeménageàfairedanslecouloir.

*

Depuislehall,MlleBakmenaPaulaupasdechargeversunesalleattenante.–Uncafé?supplia-t-il.– Ilvousattendsurvotre table,monsieurBarton,vousnem'envoudrezpas

s'ilesttiède.–Quelquechoseàmanger?–Vousnepourrezpasparlerlabouchepleine,ceseraitinconvenant!Ellelefitentrerdanslapièce.Pauls'excusaauprèsdujournaliste.L'entretien

commença.Il ressentit un étrange sentiment en s'appropriant l'histoire de Kyong. Plus

étrange encore, les souliers qu'il venait de chausser le portaient comme desbottes demille lieues. Il répondait à chaque question avec une aisance qui lesurprenaitlui-même,émaillaitsonrécitderéflexionsprofondesetsincères,tantet si bien que son interlocuteur ne put s'empêcher de lui dire combien cetterencontrel'avaittouché.EtilenfutdemêmeaveclajournalisteduElleCorée.Paul se soumit ensuite à une séance de photos, obéissant au photographe quil'avait déjà mitraillé pendant l'interview. On lui demanda de s'asseoir sur unetable,decroiserlesbras,delesdécroiser,demettrelamainsouslementon,desourire,deneplussourire,deregarderenl'air,àdroite,àgauche.MlleBakle

tirad'affaireenannonçantqued'autresrendez-vouslesattendaient.L'attachéedepresselepressaitverslalimousine,quandPaulluiéchappaetse

ruaverslaréception.–Appelezmachambre,s'ilvousplaît,demanda-t-ilauconcierge.–MonsieurBarton,Mademoiselle a laissé unmessage pour vous.Elle s'est

rendormieaprèsvotredépartet...Paulsepenchasurlecomptoiretpointadudoigtlestandardtéléphonique.–Maintenant,appelez-lamaintenant!MlleBaktrépignaitetMianedécrochaittoujourspas.–Mademoiselleestdanssonbain,reprit leconcierge,ellevousrejoindraun

peu plus tard au Salon du livre. Je dois lui communiquer l'horaire de votreconférence.L'attachée de presse lui promit de faire le nécessaire. Elle enverrait une

voiturecherchersacollaboratrice,ettoussotaenprononçantcemot.Paul reposa le combiné sur le socle et suivitMlleBak, lamort dans l'âme.

Soudain,ilfitdemi-tour,plongealamaindanslacoupedefriandisesposéesurlecomptoiretenremplitsespoches.

L'heure qu'il passa dans les studios de laKBS lui parut durer une éternité,

mais il gagna en assurance durant l'interview. Ses réponses étaient pluséloquentes, l'émotion qu'il suscitait en racontant la vie des personnages duroman,plusperceptiblechezsesinterlocuteurs.MêmeMlleBakversasapetitelarme.–Vous avez été parfait, le rassura-t-elle en sortant de l'immeuble, avant de

l'inviteràentrerdanslalimousine.On l'escorta, depuis l'entrée du Palais des Congrès jusqu'à l'estrade devant

laquelledeuxcentschaisesétaientoccupéesparlesétudiantsvenusl'écouter.Quand l'animateur présenta Paul à son public, la standingovation qu'on lui

réservaleplongeadansunprofonddésarroi.IlguettaitMia,sesyeuxvoguantderangéeenrangéequand lespremièresquestionsde l'assistance le rappelèrentàsonrôle.Paul joua ce rôle avec une ferveur devenue presquemilitante. Il dénonçait,

incriminait,accablaitlesmonstresdurégimetotalitaire,condamnaitl'inertiedesdémocraties.Ilfutapplaudiàplusieursreprises.Unefièvreoratoirel'entraînaitdansdesélansincontrôlables,quand,soudain,

ils'interrompitaumilieud'unephrase.Sonregardvenaitdecroiserceluid'Eun-Jeong,aliasKyong.Assiseaudernierrang,elleluiadressaunsourirequiluifit

perdrelefildesapensée.Enretraitderrièreunecolonne,Miasouriaitaussi,tendreetpaisible.EllenequittapasPauldesyeux,s'émutquandlepublicl'acclamaetleperdit

devuelorsquelesétudiantsseprécipitèrentpourobtenirsasignature.Pour l'avoir vécue à de nombreuses reprises, elle devinait l'euphorie qu'il

devaitressentiraumilieudecettefoule.Kyongfutladernièreàs'approcherdel'estrade.

*

– Mia n'est toujours pas arrivée ? s'enquit Paul auprès de Mlle Bak quil'attendaitdevantlaportedupetitsalonoùils'étaitretranché.– Votre collaboratrice a assisté à la conférence, répondit-elle en désignant

l'endroitoùs'étaittenueMia,maiselleasouhaitéqu'onlaraccompagneàl'hôtel.–Quand?– Ilyaunpeuplusd'uneheure jecrois,pendantquevousvousentreteniez

avecMlleEun-Jeong.Cettefois,cefutPaulquimenasonattachéedepresseaupasdechargeversla

limousine.Il se rua à travers le hall de l'hôtel, courut vers les ascenseurs, puis dans le

couloir,s'arrêtanetdevantlasuitepourarrangersesvêtements,remettreunpeud'ordredanssescheveux,etouvritlaporte.–Mia?Ilavançajusqu'àlasalledebains.LabrosseàdentsdeMian'étaitplusdansle

verre,nisatroussedetoilettesurlavasque.Paulretournadanslachambreettrouvaunmotposésurlepolochon.

Paul,Mercid'avoirétélà,mercidetonhumeurjoyeuse,detesmomentsdefolie,decevoyageimprévu

quicommençaparunepromenadesurlestoitsdeParis.Mercid'avoirréussi l'improbableparidemefairerireetdem'avoiroffertdenouveauxsouvenirs.Nosroutesseséparentcesoir,cesquelquesjoursentacompagniefurentunenchantement.Jecomprendsledilemmeauqueltudoisteconfronteretcequeturessens.Vivreuneautrevieque

lasienne,aimerl'idéedubonheuraulieudel'embrasser,neplussavoirquionest.Maistoi,tun'esenriencoupabledecetteusurpation,etmoi, jenesaisquelconseil tedonner.Puisque tu l'aimes,puisquesatrahisonestmagnifiquepournepasdirehéroïque,tudoisluipardonner.C'estpeut-êtrecela,finalement,aimervraiment.Apprendreàpardonner,sansréserveetsurtoutsansregrets.Poserson doigt sur la touche d'un clavier, effacer les pages grises pour tout récrire en couleur.Mieuxencore,sebattrepourquetoutfinissebien.Prendssoinde toi,mêmesicettephraseneveutpasdiregrand-chose,sinonquenosmoments

complicesmemanqueront.Je suis impatiente de lire ce qu'il adviendra de notre cantatrice. Dépêche-toi de publier son

histoire.Quetaviesoitbelle,tulemérites.Tonamie,MiaPS:Pourhieretcequiestàvenir,net'inquiètepas,çanecomptepas.

– Tu n'as rien compris, c'est elle qui ne compte plus, murmura Paul en

refermantlemot.Ilsehâtadanslecouloiretregagnalaréception.–Quandest-ellepartie?supplia-t-il,haletant,leconcierge.–Jenesauraisvousledireprécisément,réponditcelui-ci.Mademoisellenous

ademandéunevoiture.–Pouralleroù?–Àl'aéroport.–Quelvol?–Jel'ignore,monsieur.Nousnenoussommespasoccupésdelaréservation.Paul se tourna vers les portes vitrées. Sous l'auvent,Mlle Bak s'apprêtait à

monterdanslalimousine.Ilseruadehors,l'écartaetpritsaplace.–Àl'aéroport,lesdépartsinternationaux,vousaurezleplusbeaupourboirede

votreviesivousfoncez.Le chauffeur démarra en trombe et Mlle Bak qui cognait à la vitre vit la

limousines'éloignersurl'avenue.C'estmoiquiteferailasurprised'arriverdansl'avion,etsitonvoisinneveut

pasmecédersonsiège,jelebâillonneraietlecolleraidanslecoffreàbagages.Je n'aurai plus peur,même pendant le décollage, nous nous contenterons desplateaux-repas, je te laisserai lemien si tu as très faim. Nous regarderons lemême film et cette fois ça comptera. Cela comptera bien plus que tous lesromansquejen'aipasécrits.

Le chauffeur se faufilait dans la circulation,mais plus la voiture s'enfonçait

danslabanlieueetpluslavoierapideétaitencombrée.–C'estlapireheure,dit-il.Jepeuxtenterunautreitinérairemaisc'estquitte

oudouble.Paullepriadefaireaumieux.Ballottéà l'arrièrede la limousine, il répétaitcequ'il raconteraitàMiaenla

retrouvant : les résolutions qu'il avait prises, ce qu'il avait dit à Kyong, quis'appelait en réalité Eun-Jeong, et qui, bien plus qu'une traductrice, était savéritableéditricecoréenne.

*

Quatre-vingt-dixminutesplustard,Paulpayasondûauchauffeur.Il entra dans le terminal et regarda le tableau des départs. Aucun vol pour

Parisn'yétaitaffiché.Aucomptoird'AirFrance,l'hôtessel'informaqu'ilavaitdécollétrenteminutes

plustôt.Ilrestaitencoreunsiègedelibresurceluidulendemain.

19.

Dèsquelesroueseurenttouchélapiste,PaulrallumasonportableettentadejoindreMia. Il tombaà trois reprises sur saboîtevocaleet raccrocha.Cequ'ilavaitàluidire,illeluidiraitdevivevoix.

UntaxiledéposaruedeBretagne.Ilrécupéralesclésdesonappartementau

caféduMarché,abandonnasavalisechez luietnepritni le tempsde liresoncourrier, ni celui de rappeler Cristoneli qui lui avait pourtant laissé plusieursmessages.Douché, vêtu de propre, il roula vers Montmartre, se gara rue Norvins et

marchajusqu'àLaClamada.Enlevoyant,Daisyabandonnasesfourneauxetvintàsarencontre.–Oùest-elle?questionnaPaul.– Asseyez-vous, il faut qu'on parle, répondit Daisy en passant derrière le

comptoirdubar.–Elleestchezvous?–Vousvoulezuncafé?Ouunverredevin?–JepréféreraisallervoirMiamaintenant.–Ellen'estpasà lamaisonet jene saispasoùelle se trouve.Enfin, si, en

Angleterre,jesuppose.Elleyestrepartielasemainedernière,maisjen'aiplusaucunenouvelled'elledepuis.Paulregardapar-dessusl'épauledeDaisy.Ellesuivitleregardquiseposasur

unevieilleboîteàépices,prèsdupercolateur.–D'accord,lâcha-t-elle.Miaestvenuehiermatin,maisencoupdevent.C'est

vraimentvousquim'avezfaitcecadeau?Paulacquiesçad'unsignedetête.–Elleestbelle,çametouchebeaucoup.Jepeuxvousdemandercequ'ilyaeu

entrevousdeux?–Non,réponditPaul.Daisyn'insistapasetluiservituncafé.

– Sa vie est plus compliquée qu'il n'y paraît ; elle aussi est souvent pluscompliquéequ'elleneveutl'admettre.Maisjel'aimetellequ'elleest.Elleestmameilleureamie,elleaenfinpris ladécisiond'être raisonnable,et il fautqu'elles'ytienne.Puisquevousaussiêtessonami,laissez-latranquille.–ElleestrepartievivreàLondresouvivreavecsonex?–Bon,j'aidumondeetmacuisinenetournepastouteseule.Venezmevoirce

soir,après22heures,ceserapluscalme.Jevousferaiàdîner,etnousparlerons.J'ailuundevosromansvoussavez,etjemesuisrégalée.–Lequel?–Lepremier,jecrois,Miamel'avaitoffert.Paul saluaDaisy et quitta le restaurant.Cristoneli avait encore cherché à le

joindre.IlfitrouteversSaint-Germain-des-Prés.

*

Cristonelisortitdesonbureaupourl'accueilliràbrasouverts.–MaStar ! s'exclama-t-il en le serrantcontre lui.Alors,quiavait raisonde

vouspousseràentreprendrecevoyage?–Vousm'étouffez,Gaetano!Cristonelireculad'unpasetrajustalavestedePaul.– Mon confrère coréen m'a envoyé un mail, avec toutes les coupures de

presse,etilyenaunsacrépaquetage!Ellesnesontpastraduites,maisilparaîtquelescritiquessontfaramineuses,vousavezfaitunvéritablebar-tabac.–Ilfautqu'ondiscute,grommelaPaul.–Évidemmentqu'ilfautqu'ondiscute...pasd'unenouvelleavance,j'espère?

Quelsacrécachottier,repritCristoneli,jovial,enluitapantsurl'épaule.–Cen'estpascequevouscroyez,enfin,c'estpluscompliquéquecela.–Maiscen'estjamaissimpleaveclesfemmes,etquandjedislesfemmes,je

parledecellesquel'oncroisechaquejour.Là,jedoisreconnaîtrequevous,vousn'yêtespasalléavecledosdelafourchette!–Onditdelacuillère!–Jenevoispasladifférence,enfinsivousytenez,jenevouscontrarieraipas

aujourd'hui.Venez,allonsprendreunverreetfêterça...SacréPaul!–Vous avez peut-être déjà assez bu, non ?Vousm'avez l'air d'être dans un

drôled'état.–C'estmoi qui suis dans undrôle d'état ?Vousplaisantez ?C'est vous qui

devezêtredanstousvosétats!Etonleseraitàmoindre...SacréPaul!–Vouscommencezàm'agaceravecvos«sacréPaul»!Eun-Jeongvousadit

quoi,aujuste?–Eunqui?–Monéditricecoréenne,dequivoulez-vousquejevousparle?–Dites-moimonpetitPaul,quandmeslèvresbougent,vousentendezlessons

qui sortent demabouche ou vous avez perdu l'ouïe dans cet avion ? Il paraîtqu'avecladécompression,cesontdeschosesquiseproduisent.Moi,j'aihorreurdel'avion,jeleprendslemoinspossible,d'ailleurs.QuandjevaisàMilan,c'estentrain,unpeulong,certes,maisaumoinsonn'apasàpasserunscanneravantdemonteràbord.Bon,onsel'offrecepetitverre?SacréPaul!

Ils s'installèrentàune tabledesDeuxMagots.Paul remarqua ledossierque

Cristoneliavaitposésurlabanquette.– Si c'est le contrat pour mon prochain roman, il faut d'abord que je vous

parle.–Nousnesommesplussouscontrat?Tiensdonc,j'étaiscertainducontraire.

Jemedemandevraiment ceque fichemonassistante.Etpuisvousn'allezpasprofiter de cette situation, depuis le temps que je vous soutiens ! Vous meraconterezlesujetdevotreprochainchef-d'œuvreunautrejour,pourl'instant,jeveux tous les détails et vous comptez surmadiscrétion, je suis une sépulture,motifetbouchecousue!chuchotaCristonelienposantsonindexsurseslèvres.–Vousavezfumé?demandaPaul,décontenancé.–Maisnon,enfin!–VousavezparléàEun-Jeong,ouiounon?–Pourquoil'aurais-jefait?Jevousl'aidit,j'ailusonmailetmesuisréjouide

l'accueilquivousaétéréservéàSéoul.Jevousl'avaisprédit,n'est-cepas?Leschiffres sont excellents, je vais contacter des maisons d'édition chinoises,informervotreéditeuraméricain,etnoussuivronsmonplanàlalettre.–Sil'onsuitvotreplanàlalettre,jepeuxsavoircequivousmetdansuntel

étatd'excitation?CristoneliconsidéraPaulaveclaplusgrandeattention.–Jecroyaisêtrevotreamietquevousm'auriezaccordévotreconfiance,jene

vouscachepasmadéceptiondel'avoirapprisainsi,commetoutlemonde.– Je ne comprends pas un mot de ce que vous me racontez, et vous

commencez sérieusement àm'agacer,mais je vaismettre ça sur le compte dudécalagehoraire,grommelaPaul.Cristonelisemitàfredonnerunairdebelcantoavantdeposerledossiersur

la table. Il l'entrouvrit, poursuivit sa chansonnette, le referma et le rentrouvrit,

jusqu'àcequePaul,auborddugaz,leluiarrachedesmains.Envoyantlescouverturesdesmagazinespeoplequisetrouvaientàl'intérieur,

ilécarquillalesyeuxetvintàmanquerd'air.–Jesavaisbienquejel'avaisdéjàvuequelquepartlorsquejesuisvenuvous

chercheraucommissariat,murmuraCristoneli.MelissaBarlow,rienqueça!Jesuisépoustiflé!DesphotosdeMiaetPauls'étalaientencouverturecommedanslespremières

pages.Desphotosd'euxmarchantcôteàcôte,entrantdansl'hôtel,danslehall,devant les ascenseurs, d'autres photos de lui penché au-dessus d'un caniveautandisqueMialesoutenait,d'autresencoreoùonlevoyait tenir laported'unelimousineoùMiaprenaitplace.Etchaquefois,deslégendesquiracontaientlafolleidylledeMelissaBarlow.DansledeuxièmemagazinequePaulfeuilletaitlesmainstremblantes,onpouvaitliresousunephotodeMiaauSalondulivre:Àquelquesjoursdelasortiedufilmdontellepartagel'afficheavecsonmari,

Melissa Barlow joue une tout autre comédie romantique en compagnie del'écrivainaméricainPaulBarton.

–Unpeuintrusif,jeleconcède,maispourlesventes,c'estplusquerapatant!

SacréPaul!Ehbien,vousfaitesunedecestêtes?s'étonnaCristoneli.Pauleutunhaut-le-cœuretseruaàl'extérieurducafé.Quelquesinstantsplustard,pliéendeuxsurle trottoir, ilvitapparaîtredans

sonchampdevisionunmouchoirquis'agitait.Cristonelisetenaitderrièrelui,lebrastendu.–C'estimmonde,etquandjepensequec'estmoiqu'onaccused'avoirbu!Pauls'essuyalaboucheetCristonelil'accompagnajusqu'àunbanc.–Çanevapas?–Si,vousvoyezbien,jen'aijamaisétéaussienforme.–Cesontcesphotosquivousmettentdanscetétat?Vousdeviezbienvous

douter que cela finirait par arriver. Vous fréquentez une étoile montante duseptièmeart,qu'escomptiez-vous?–Vousavezdéjàeul'impressionquelemondedisparaissaitsousvospieds?–Ohoui,réponditsonéditeur.Àlamortdemamèrepourcommencer,ensuite

quandma première femmem'a quitté et enfin quand jeme suis séparé demadeuxièmeépouse.Latroisième,c'étaitdifférent,nousavonsrompud'uncommunaccord.–Ehbienvousvoyez,quandon tombeau fonddugouffre, il faut faire très

attention,parcequ'endessous ilyenaunautre,encoreplusprofond,et jeme

demandeoùças'arrête.

*

Paulrentrachezluietdormitjusqu'ausoir.Vers20heures,ilsemitàsatabledetravail.Ilconsultasesmails,nelutquelesintitulésetéteignitsonordinateur.Unpeuplustard,ilappelauntaxietsefitdéposeràMontmartre.Ilétaitpresque23heuresquandilentraàLaClamada.Daisydébarrassaitles

couvertsdesderniersconvivesquivenaientdequittersonétablissement.–Jepensaisquevousneviendriezplus.Vousavezfaim?–Jen'ensaisrien.–Laissez-moitentermachance.Elle le laissa choisir une table et gagna sa cuisine pour en revenir quelques

instants plus tard, une assiette en main. Elle s'installa en face de Paul et luiordonna de goûter à son plat du jour. Ils parleraient quand il aurait le ventreplein.Elleluiservitunverredevinetleregardadîner.–Voussaviez,jesuppose?demanda-t-il.–Qu'ellen'étaitpasserveuse?Jevousaiditquesavieétaitpluscompliquée

qu'iln'yparaissait.– Et vous, vous êtes vraiment chef ou vous travaillez pour les services

secrets?Vouspouveztoutmedire,jenesuisplusàunesurpriseprès.–Vousn'êtespasécrivainpourrien,ritDaisydeboncœur.Aucoursdelasoirée,elleluiracontasavieetPaulseréjouitdel'entendrelui

confierànouveausessouvenirsd'adolescenceencompagniedeMia.Àminuit,ilraccompagnaDaisyjusqu'aubasdesonimmeuble.Paulrelevala

têtepourobserverlesfenêtres.– Si elle vous donne de ses nouvelles, promettez-moi de lui demander de

m'appeler.–Non,jenevousleprometspas.–Jevousjurequejenesuispasunsaletype.– Justement, c'est pour ça que je ne veux rien vous promettre.Croyez-moi,

vousn'êtespasfaitsl'unpourl'autre.–Maisc'estl'amiequimemanque.–Vousmentezaussimalqu'elle.Lespremiersjourssontlesplusdurs,après

cela s'adoucit. Il y aura toujours une table pour vous dans mon restaurant, àn'importequelleheure.Bonsoir,Paul.Daisypoussalaportecochèreetdisparut.

*

Trois semaines s'écoulèrent, durant lesquelles Paul ne cessa d'écrire. Il nequittait pas sa table de travail, sauf pour aller déjeuner chezMoustache, et ledimanchebruncheravecDaisy.Unsoir,surlecoupde20heures,ilreçutunappeldeCristoneli.–Vousécriviez?–Non.–Vousregardezlatélévision?poursuivitsonéditeur.–Nonplus.–Parfait,continuezcommecela.–Vousm'appeliezjustepourconnaîtremonemploidutemps?– Pas du tout, je voulais prendre de vos nouvelles, savoir si votre roman

avançait.–J'aiabandonnéleprécédentpourenécrireunautre.–Formidable.–Ilseratrèsdifférent.–Ahbon?Ilfaudram'enraconterlesujet.–Jenecroispasqueçavousplaira.–Taratata,vousditesçapourégayermacuriosité.–Non,jelepensevraiment.–Unthriller,cettefois?–Nousendiscuteronsd'iciquelquessemaines...–Unpolar?–Quandj'auraiterminélepremierjet.–Unromanérotique!–Gaetano,vousaviezquelquechosedeparticulieràmedire?–Non...Vousallezbien?–Oui,jevaisbien,trèsbienmême.Puisquemavievouspassionne,j'aifaitun

peudeménagecematin,puisj'aidéjeunéaucaféenbasdechezmoi,j'ailuunebonnepartiedel'après-midi,cesoir,jemesuisréchaufféunplatdelentillesquiesten trainde refroidir, etensuite, j'écriraiavantd'allermecoucher,vousêtesrassuré?–Leslentilles,c'estunpeulourd,lesoir,non?–Bonnenuit,Gaetano.Paulraccrochaensecouantlatêteetseremitàsonordinateur.Enattaquantun

nouveauparagraphe,ilrepensaàlaconversationdesonéditeurquin'avaitaucunsens.

Pris d'un doute, il attrapa la télécommande de la télévision. Il tomba sur lejournal télévisédeTF1,passasurceluideFrance2,continuadezapper,revintenarrièreets'arrêtadenouveausurlachaînepublique.Labandeannonced'unfilmyétaitdiffusée.Paul vit une femme, en robe du soir, embrasser son partenaire.L'homme la

prenaitdanssesbrasetlaposaitsurunlitavantdeladévêtir.Ilembrassaitsesseins,ellegémissait.Gros plan sur les visages des acteurs... arrêt sur image et retour en plateau,

aveclesdeuxcomédiens,cettefoisenchairetenos.– L'Étrange Voyage d'Alice sort en salle demain. Nous lui souhaitons un

énorme succès, mais l'événement le plus attendu de ce film est de vous yretrouverensemble,à l'écrancommeà laville,si jepuisdire.MelissaBarlow,David Babkins, merci d'avoir accepté notre invitation ce soir, annonça leprésentateur.Lacaméralescadratousdeux,côteàcôte.–Mercidenousaccueillir,monsieurDelahousse,répondirent-ilsenchœur.– J'aimerais savoir, comme bon nombre de nos téléspectateurs, si c'est un

exercicefacileouaucontrairedifficilequed'avoirpourpartenairesonconjoint?MialaissalaparoleàDavidquiexpliquaqueceladépendaitdesscènes.–Évidemment,dit-il,chaquefoisqueMelissafaisaitunecascade,jetremblais

pour elle, et réciproquement, bien sûr. Ne croyez pas que les scènes intimessoientplus aisées à jouer, certesnousnous connaissonsmieuxquequiconque,mais la présence des techniciens est troublante. Nous n'avons pas l'habitudequ'ils entrent dans notre chambre à coucher, ajouta-t-il en riant de son motd'humour.– Monsieur Babkins, puisque vous parlez d'intimité, permettez-moi de

m'adresseràMelissaBarlowetdel'interrogersurlesphotosparuesrécemmentdans des magazines people. À vous voir tous deux ce soir, devons-nous enconclurequetoutcelan'étaitquemauvaisepresseetragots?Quiestpourvouscetécrivain,uncertainPaulBarton,sijenem'abuse?–Unami,réponditMia,laconique.Unamitrèscher.–Dontvousappréciezleslivres?–Leslivresetl'amitiéquinouslie.Lerestenecomptepas.Pauléteignitlatélévisionavantquelatélécommandeneluitombedesmains.Dans l'heure qui suivit, il fut incapable d'écrire une ligne. Vers minuit, il

décrochasontéléphone.

*

Laberlineauxvitres teintéesentradans leparkingde l'hôtel.Davidposa lamainsurlapoignéedelaportièreetseretournaversMia.–Tuescertainequec'estcequetusouhaites?–Aurevoir,David.–Pourquoinepasessayerdenousréconcilier.Tuaseutarevanche,etonne

peutpasdirequetoi,tuaiesdonnédansladiscrétion.–Jenecherchaispasàmecacher.Maismaintenantques'achèvecettesordide

comédiedubonheur,c'estceque jevaisfaire,ycomprisdemoi-même.Jemesenssale,etc'estunsentimentpirequed'êtreseule.Unedernièrechose,signelespapiersqueCrestont'aenvoyés,situneveuxpasquejemecontredisedanslapresseetrévèlequituesvraiment.Davidlacontemplaavecméprisetsortitenclaquantlaportière.Le chauffeur demanda à Mia où elle souhaitait se rendre. Elle le pria

d'emprunterl'autorouteduSud.PuisellepritsonportablepourappelerCreston.–Jesuisdésolé,Mia,j'auraisdûêtrelàpourvotrederniersoirdepromotion,

mais avec cette sciatique, je peux à peine marcher. Vous devez vous sentirlibérée?–Delui,devousaussi,pourlereste,jenediraispascela,non.–J'aiagidemonmieuxpourvousprotéger,maisvousm'avezrendulatâche

impossible.–Jesais,Creston,jenevousenveuxpas,cequiestfaitestfait.–Oùallez-vous?–EnSuède,depuisletempsqueDaisym'enparle.– Couvrez-vous, le froid est mordant là-bas. Vous me donnerez de vos

nouvelles,j'ycompte.–Plustard,Creston,paspourl'instant.– Reposez-vous, reprenez des forces. Dans quelques semaines, tout cela

appartiendraaupassé.Unmerveilleuxavenirvousattend.– Si l'on pouvait appuyer sur une touche et effacer nos erreurs, ce serait

formidable, n'est-ce pas ? Mais cela n'existe que dans les livres. Au revoirCreston,guérissezvite.Miaraccrocha.Elleouvritlavitreetjetasonportable.

20.

–Qu'est-cequetuasfaitaprèsavoirvucetteémission?–J'aitournéenronddansmonappartementetàminuit,n'enpouvantplus,je

t'aiappelé.Jenepensaispasquetusonneraisàmaportelelendemain,maisjesuissiheureuxdetevoir.–Jesuisvenuauplusvite.Autrefois,tuasfaitpareilpourmoi.–Oui,maisjen'avaiseuqu'àtraverserlaville.–Tuasunesalemine.–TuesseulouLaurenestcachéedansleplacard?–Prépare-moiuncaféaulieudediren'importequoi.Arthur demeura dix jours auprès de Paul, au cours desquels leur amitié fit

renaîtreunsemblantdebonheur.Lematin, ils s'attablaientchezMoustacheetdiscutaient.L'après-midi, ils se

promenaient dans Paris. Paul achetait toutes sortes de choses inutiles, desustensilesdecuisine,desbibelots,desvêtementsqu'ilneporteraitpas,deslivresqu'ilneliraitjamaisetdescadeauxpoursonfilleul.Arthuressayaitderefrénersesardeurs,envain.Deuxsoirsdesuite,ilsdînèrentàLaClamada.Arthurtrouvalacuisinedélicieuse,etDaisypleinedecharme.Au cours d'un de ces repas, Paul lui expliqua le projet, insolite et fou, qui

l'accaparaitentièrement.Arthurl'avertitdesdangersauxquelsils'exposait.Paulen imaginait bien les conséquences,mais c'était pour lui le seulmoyen de seréconcilieravecsonmétieretavecsaconscience.– Le jour où Eun-Jeong et moi nous sommes revus au Salon du livre,

expliqua-t-il,noussommesrestésunlongmomentsansrienpouvoirnousdire.Etpuisellea tenuàse justifier.Cequ'elleavait faitnem'avaitportéetnemeporterait aucun préjudice. J'avais, grâce à elle, goûté à la célébrité, perçu desroyalties et elle, s'était servie de mon nom pour raconter son histoire. Unehistoirequineseraitjamaisluepar-delàlesfrontières,parcequepersonne,iciou

là, ne s'intéresse au sort de son peuple. Finalement, chacun avait trouvé soncompte. Pourtant, l'idée d'avoir vécu de son travailm'était insupportable. Plusimportantquel'argent, jedoist'avouerquesoncourageetsadéterminationmefascinaient.Ellem'avoua tout.La façondontelleavaitprofitédesesséjoursàParispourrendrevisiteàsesréseaux.Ellem'ajuréavoiréprouvédessentimentssincères pour moi, bien qu'elle aime un autre homme, prisonnier du régimequ'ellecombat.Tudoispenserque j'auraisdû la remettreà saplace,maiselleétaitmagnifique.Etsurtout,pourlapremièrefoisdepuisdesmois,jemesentaislibre.Jenel'aimaisplus.Cenefutnidelarevoirnicequej'avaisdécouvertquimel'afaitcomprendre,uniquementMia.Tupeuxtemoquerdemoi,maisd'unecertaine façon je t'ai rejoint, nous avons tous les deux eu un talent fou pourséduire des fantômes. Pardon, ce n'est pas très gentil, ce que je viens dire.Lauren,elle,n'yétaitpourrien.Quandnousnoussommesditadieu,jemesuisjuréderécrirel'histoiredeKyong,pourlarévéleraumonde,peut-êtreaussipourmeprouverquej'étaiscapabledelaracontermieuxqu'elle.Monéditeurn'ensaitencorerien,etj'imaginelatêtequ'ilferaenlisantmonmanuscrit.Jemebattrais'illefautpourqu'illepublie.–Tucomptesluiavouerlavérité?–Non, ni à lui ni à personne. Tu es le seul dans la confidence.N'en parle

mêmepasàLauren.Àlafindurepas,Daisysejoignitàeux.Ilstrinquèrentàlavie,àl'amitiéetà

lapromessedesbonheursàvenir.ArthurrentraàSanFrancisco.Paulleraccompagnaàl'aéroportetluijurade

lafaçonlaplussolennelle,maintenantqu'iln'avaitpresquepluspeurenavion,qu'ilviendraitvoirsonfilleul,dèsqu'ilauraitfinid'écrire.Arthurlequitta,rassuré.Paulétaitenverveetplusriennecomptaitqueson

roman.

*

Pauls'yattelasansrelâche.Lesseulsmomentsderépitqu'ils'accordait,illespassaitencompagniedeMoustache,etdetempsàautreàLaClamada.

Un soir, tandis qu'il discutait avec Daisy sur un banc, un caricaturiste

s'approchaavecundessin.Paull'observalonguement,onyvoyaituncouplededos,surcemêmebanc.–Ildatedel'étédernier.C'estvous,àdroite,déclaralecaricaturiste.Lesfêtes

approchent,c'estmoncadeau.Paul remarquaqu'en s'enallant, le caricaturiste effleura lamaindeDaisyet

qu'elleluisouritmalicieusement.

*

Deuxmoisplustard,alorsqu'ilétaitentrainderédigerlesdernièreslignesdesonroman,Paul reçut tard lesoirunappeldeDaisy.Elle lepressadevenir larejoindreauplusvite.Paulavaitdécelédanssavoixuneexcitationqui lui laissaitentendrequ'elle

avaiteudesnouvellesdeMia.Il prit le métro, par peur des embouteillages, et remonta la rue Lepic en

courant. Il passa devant LeMoulin de la Galette, le souffle court et le corpsbrûlantalorsqu'ilfaisaitunfroiddeloup.IlentraàLaClamada,lespoumonsenfeu,exultant,certainqu'elleseraitlà.IlnedécouvritqueDaisy,derrièresoncomptoir.–Qu'est-cequ'ilya?s'enquit-ilens'asseyantsuruntabouret.Daisycontinuad'essuyersesverres.–Jenevaispastedirequejeluiaiparlérécemment,parcequeceneserait

pasvrai.–Jenecomprendspas.– Si tu te tais, je pourrai te raconter ce que je sais.Mais avant, je vais te

préparerunpetitcocktail,untrucquirequinque.Daisyprenaitsontemps.Elleattendaitqu'ilaitbu.Lebreuvageétaitassezfort

pourquePaulressenteunesorted'ivresseinstantanée.–C'estdusérieux,toussota-t-il.– C'est un alcool que l'on donnait aux montagnards égarés dans les Alpes

quandon les retrouvaitdans lanuit.Quelquechosequi les arrachait à lamortpourlesrejeterdanslesbrasdelavie.–Qu'est-cequetusais,Daisy?–Pasgrand-chose,maistoutdemême...Ellesedirigeaverssontiroir-caisseetensortituneenveloppeenpapierkraft

qu'elleposasurlecomptoir.Pauls'apprêtaitàs'enemparerquandelleluisaisitlamain.–Attends,ilfautquejeteparleavant.TusaisquiestCreston?Paulsesouvenaitd'avoirentenduMiaprononcersonnomàSéoul,parlantde

lui comme d'un ami proche, sans jamais, bien sûr, révéler son vrai rôle. Il enavaitmêmeéprouvéunepetitepointedejalousie.

– C'est son agent, enfin il l'était, reprit-elle. Nous avons quelque chose encommun, lui et moi, ça doit rester un secret, au cas où, un jour, les chosesfinissentpars'arranger.–Quelleschoses?–Tais-toietlaisse-moifinir.Tuvois,depuisqu'elleadisparu,nouspartageons

levidequ'alaissésonabsence.Audébut,jecroyaisquec'étaitpoursesfinancesqu'ilétaitenpeine,maisc'étaitavant.–Avantquoi?–Ilestvenuhiersoir.C'esttoujoursassezdrôledefinirparmettreunvisage

sur un nom. Je ne l'imaginais absolument pas comme ça. Je croyais qu'ilressemblait à un de ces vieux machins anglais avec un chapeau melon et unparapluie,mais les clichés nous tueront.Bref,Creston est tout le contraire, lacinquantaine,unevraiebellegueuleavecunepoignéedemainàvousbriserlesphalanges. J'aime leshommesquiont lamain franche, çaenditbeaucoup sureux.Toiaussi,tuascettequalité,çam'avaitimmédiatementplu.Donc,hiersoir,iladînéseulàunetable.Ilaattendud'avoirréglél'addition,etquelasallesoitvidepours'adresseràmoi.C'étaitélégantdesapart,sij'avaissu,jenel'auraisjamaislaissépayer.D'ailleurs,c'estmoiquisuisalléeverslui,peut-êtrequesanscela,ilseraitpartisansmêmeseprésenter.Commeilétaitmondernierclient,jemesuisapprochéepourluidemanders'ilavaitbienmangé.Aprèsunmomentdesilence,ilm'adéclaré:«VoscoquillesSaint-Jacquessontexcellentes,onm'enavaitditleplusgrandbien,etjecomprendsmaintenantpourquoielleaimaittantcetendroit.»Ilm'atenducetteenveloppe,etenl'ouvrantj'aicomprisquiilétait.Luiaussi est sansnouvellesdeMiadepuisdesmois.Ellene l'aappeléqu'unefois,elledésiraitqu'ilvendesonappartementettoutcequ'ilcontenait,sansluirévéler où elle se trouvait. Creston avait vu les camions de déménagementemporter ses affaires et m'a confié s'être rendu en salle des ventes pour lesracheter.Chaquefoisquelemarteauducommissaire-priseurretombait,c'estluiquiavaitenchéri.Elleétaitsaprotégée.Ilnesupportaitpasl'idéequ'unétrangers'asseyeàsonbureau,oudormedanssonlit.LesmeublesetbibelotsdeMiasontdansungarde-meubledelabanlieuedeLondres.–Qu'est-cequ'ilyadanscetteenveloppe?insistaPaul,fébrile.–Soispatient. Il était àParispourpasserune soiréedansunendroitqu'elle

aimait. Je ne peux pas le lui reprocher ; si tu savais le nombre de fois où j'airegardéla tableoùnousdînions,ousonbancplaceduTertre.Jevaismêmeteconfierautrechose,notretable,jeneladonneàdesclientsquelorsquelasalleest archipleine. Il m'est même arrivé de refuser du monde en la laissant

inoccupée, parce que chaque soir depuis son départ, je rêve qu'elle franchissecetteporteetmedemandesij'aidescoquillesSaint-Jacquesaumenu.Paul n'attendit pas plus longtemps la permission de Daisy et décacheta

l'enveloppe.Ellecontenaittroisphotos.Ellesavaientétéprisesdeloin,probablementdepuislaterrassedurestaurant

quilongeleCarrouselduLouvre.Onyvoyaitdesgensfairelaqueuedevantlapyramide.Daisypointadudoigtunvisageparmid'autres.–Elle sait changerde tête aupointd'êtreméconnaissable, cen'estpas à toi

quejevaisl'apprendre,maisCrestonn'aaucundoute:cettefemmeaumilieudelafoule,c'estelle.Lecœurtremblant,Paulsepenchasurlaphoto.Daisyavaitraison,personne

nel'auraitreconnue,maistousdeuxsavaientqu'ils'agissaitbiendeMia.Paulressentitungrandsoulagement.Àcausedesfossettesqu'ilvoyaitsurses

joues.QuandilsétaientàSéoul,illesavaitvuesapparaître,chaquefoisqu'elleétait joyeuse. IlquestionnaDaisysur lamanièredontCrestonavaitobtenucesphotos.– Creston a des accointances chez les paparazzi, il lui était arrivé de leur

racheter des négatifs à un prix plus élevé que ce qu'ils auraient obtenu desjournaux.PourSéoul,c'était troptard, iln'avaitrienpucontrôler.Bref, ilavaitinformé tous ceux qu'il connaissait, et il en connaissait quelques-uns, qu'ilpaierait leprix fortpourunephotodeMia,oùqu'elleaitétéprisedumomentqu'ellesoitdatée.Etpourtant,celles-ciluiavaientétéenvoyéesgracieusement.Pauls'apprêtaitàdemanderàDaisys'ilpouvaitenavoirune,quandelleleslui

offrit.–Elleadûrefairesavie,ditPaul.–Tu lavoisaccompagnéesurcettephoto?Non.Doncpourquoi te fairedu

mal?–Parcequecequifaitleplussouffrir,c'estl'espoir.–Andouille,c'estdeneplusenavoirquirendmalheureux.ElleétaitàPariset

elle n'est pas venue me voir. Crois-moi, elle était seule, en train de sereconstruire.Jelesais,parcequ'elleestcommemasœur.Crestonavaitreçucesphotosunesemaineplustôt.C'estcequil'adécidéàpartirsursestraces.Avantdedébarquerchezmoi,ilavaitpassédeuxjoursàsepromenerdansParis,avecla folle idéeque lehasard joueraitensa faveur,qu'il lacroiseraitaumilieudedeuxmillionsd'habitants.LesAnglais sont fous !Mais nous, nousvivons ici,alorsquisait...avecunpeudechance...–Quinousprouvequ'elleyestencore?

–Fie-toiàtoninstinct,situl'aimesvraiment,tusaisoùellerespire.

*

Daisy avait dit vrai. Paul ignorait si c'était le fruit de son imagination ousimplementcetespoir,auquelilrefusaitdes'accrocher,maisilluiarrivadanslessemainesquisuivirentdesentirleparfumdeMiaaudétourd'unerue,commesisespasavaientprécédé lessiens,desongerqu'il l'avaitmanquéedepeu. Il luiarrivamêmedepresserlepassuruntrottoir,convaincudelacroiserauprochaincarrefour. Il lui arriva également d'interpeller des passantes sans nom, demarcherdanslanuit,dereleverlatêteversdesfenêtreséclairéesenimaginantqu'ellevivaitderrière.

*

Son roman fut publié. Enfin, l'histoire de Kyong qu'il avait entièrementrécrite. C'était la première fois qu'il s'aventurait hors du registre de la fiction.Chaquesoirdevantsafeuille,iln'avaitcessédes'interroger.Enétait-cedevenuune sous sa plume ? Avait-il trop embelli ou dramatisé son récit ? Il étaitconscientd'avoirdonnéchair et âmeauxpersonnagesd'Eun-Jeong.Làoùelles'étaitcontentéed'énoncerleursvicissitudes,aussitragiquesqu'ellessoient,Paulavaitracontéleursvies,dépeintleurssouffrancesetleursémois.Ilavaitfaitcequedoitfaireunécrivainquandils'empared'unehistoirequ'iln'apasinventée.Lapresseaussis'emparadulivre.Dèssasortie,cefutuntourbillondontPaul

necompritpaslescauses.Peut-êtreétait-ilsimplementdansl'airdutemps.En cette époque où chacun voulait encore croire aux vertus des libertés

individuelles,fermant lesyeuxsur l'étauquiseresserraitderrière lesfrontièresdel'Est,surl'emprisegrandissantededictateursabritésderrièrelapuissancedeséconomies sur lesquelles ils avaient fait main basse, ce récit dénonçant unedictatureincontestabletombaitàpointnommé,etprovoquaituncertainéveildesconsciences. Paul acceptait cette idée d'autant plus sereinement qu'il ne s'enattribuait pas le crédit.Lemérite revenait entièrement, à ses yeux, au couraged'Eun-Jeong.Les critiques étaient dithyrambiques, les propositions d'interviews se

succédaientsurlebureaudeCristoneli,Paullesrefusaittoutes.Trèsvite,cefutautourdeslibrairesdefairel'élogedesontexte.Paulvoyait

pourlapremièrefoissonlivreprendreplacesurlestablesdesmeilleuresventes,illedécouvritmêmedanslestemplesautodéclarésdelapenséeàlamode.Puislemurmured'unprixlittérairecommençaàbruisserdanslescouloirsde

samaisond'édition.Cristoneli l'invitait de plus en plus souvent à déjeuner. Il lui parlait de

mondanitésparisiennes,ouvraitsonagendaenmoleskineetprenaitunairgraveendressantl'inventairedescocktailsetsoiréesoùilétaitimportantquePaulsemontre.Illesmanquatous,etcessamêmed'écoutersonrépondeur.Touscesbruitsautourdeluirésonnaientcommedansunappartementvide.Sixsemainesavaientpassélorsqu'il retrouvaCristoneli,cettefoisaucaféde

Flore.Onleregardait, ileutdroitàunflorilègedesourires,admiratifsouhaineux,

maiscesoir-là,Cristoneliavaitcommandéduchampagneavantdeluiannoncerqu'unetrentained'éditeursétrangersavaientacquislesdroitsdesonroman.Quelleironie,l'histoiredesatraductriceallaitêtretraduiteentrentelangues.

Paul ne put s'empêcher, alors que Cristoneli trinquait à ce triomphe, de sedemandercequ'Eun-Jeongenpenserait.Iln'avaitplusjamaiscommuniquéavecelle.

C'étaitunsoirdefêteetPaulavaitl'espritailleurs.Pourtant,ilallaitdevoirs'y

préparer,carlafêtenefaisaitquecommencer.

21.

Un jourd'automne,Paul futdérangéversmidipar la sonnerie incessantedesontéléphone.Deguerrelasse,ilfinitpardécrocher.CristonelibégayaitetPaull'entenditvaguementprononcer:–LaMédi...–Quoi?–LeMédit...–Laméditation?demandaPaul.–Maisnon,enfin,pourquoivoudriez-vousquejemédite?Dépêchez-vous,La

Méditerranée,toutlemondevousattend!– Bon, Gaetano, vous êtes très gentil, mais qu'est-ce que vous voulez que

j'aillefairesurlaMéditerranée?– Paul, taisez-vous et écoutez-moi avec attention, je vous prie. Vous avez

obtenu le prix Médicis étranger, la presse vous attend au restaurantLaMéditerranée,placedel'Odéon.Untaxiestenbasdechezvous,est-ceclair?hurlaCristoneli.Àpartirdecemoment,plusriennesemblaclairdansl'espritdePauloùles

penséessebousculaient.–Merde!grommela-t-il.–Commentça,merde?–Merde,merdeetmerde.–Mais c'est fini d'être grossier, oui ? Qu'est-ce qui vous prend deme dire

merdecommeça?–Cen'estpasàvousquejeledisaismaisàmoi.–Iln'empêchequevousêtesgrossier.–Cen'estpaspossible,lâchaPaul,empêchez-les.–Dequoi?–Demedonnercetterécompense,jenepeuxpasl'accepter.–Paul,permettez-moidevousdirequevouscommencezsérieusementàme

courir sur l'artichaut.Onne refusepas leMédicis, alors, vousmontezdans cetaxietdépêchez-vous,sinon,c'estmoiquivaisvousdiremerde.Tiens,d'ailleursjevousledis,merde,merdeetmerde!Ilsvontannoncerlesnomsdeslauréatsdansquinzeminutes,jesuisdéjàsurplace,c'estuntriomphe,monami!Paul raccrocha et sentit venir une crise de tachycardie monumentale. Il

s'allongea sur son parquet, bras en croix et commença une série d'exercicesrespiratoires.Letéléphonesonnaencore,etencore.Etilenfutainsijusqu'àcequeletaxile

déposeplacedel'Odéon.Cristonelil'attendaitdevantlerestaurant,lesflashscrépitèrentetPauleutune

impressiondedéjà-vuquiluiglaçalesang.Pourtoutdiscours,ilbafouillaunmerci,relevalatêteavecunsouriredestiné

auxphotographeschaquefoisquesonéditeurluidonnaituncoupdecoude,etneréponditquasimentàaucunequestion,toutdumoinspasdefaçonintelligible.À15heures,tandisqueCristoneliseprécipitaitàsonbureaupourdonnerles

consignesderéimpressionetvaliderlebandeauquiseraitposésurlacouverture,Paulrentrachezluiets'yenferma.

Daisy l'appela en fin d'après-midi pour le féliciter, elle avait entendu la

nouvelle à la radio en coupant des radis et le remercia : elle s'était entaillé ledoigtàcausedelui.Elleajoutaqu'ilavait intérêtàvenirfêtersonsuccèsàLaClamadadèsquepossible,s'ilnevoulaitpasfigurersursalistenoire.À20heures, il faisait toujours les centpasdans son appartement, attendant

qu'Arthurlerappelle.C'estLaurenquilefit.ArthurétaitauNouveau-Mexiqueavecdesclients.Ils

eurentunelongueconversation,etàdistance,avantqu'uneurgencenelaforceàraccrocher,ellel'aidaàtrouverlemoyendesecalmer.Paul s'assit face à son écran et ouvrit le fichier d'un manuscrit qu'il avait

délaissédepuislongtemps.Laurenavaiteutraisondelepousseràrenoueravecsacantatrice,elleluiapportatrèsviteleréconfortdontilavaitbesoin.Quelques feuillets plus tard, Paul sentit l'étau autour de sa poitrine se

desserrer, et il passa le reste de la nuit à écrire, avec une merveilleuseinsouciance.

Aupetitmatin,Paulpritunedécisionetsepromitdes'ytenir,quelqu'ensoit

leprixàpayer.Sonmeilleuramiseraitheureux.Letempsétaitvenuderentrer

aupays.

*

Le lendemain, Paul se rendit chez son éditeur. Il écoutait Cristoneli d'uneoreilledistraite,secontentantderefuser touteslespropositionsd'interviewquecedernierluisoumettait.Cristoneli s'efforçait de demeurer calme. À vingt reprises, il avait entendu

Paulluidirenon.Tantetsibienquelorsqu'illuilâchaun«oui»,iln'yprêtapasattention et continua de lui citer les noms des journalistes qui souhaitaient luiparler.–Jeviensdevousdireoui,soupiraPaul.–Ahbon,maisàquoi?– « La Grande Bibliothèque », ce sera la seule émission à laquelle je

participerai.– D'accord, répondit Cristoneli au bord de la dépression. Je les préviens

immédiatement,l'émissionalieudemainsoir,endirect.

*

Pauloccupasadernièrejournéeàmettredel'ordredanssesaffaires.Àmidi,ilpartitdéjeunerchezDaisy.Aumomentdeseséparer,ilstombèrentdanslesbrasl'undel'autreetDaisyeuttouteslespeinesdumondeàretenirseslarmes.En fin d'après-midi, il fit ses adieux àMoustache et lui confia ses clés. Le

cafetierluipromitdesurveillersondéménagementcommes'ils'agissaitdusien.À20heures,Cristonelipassaleprendre.Paulmitsavalisedanslecoffredu

taxietilssedirigèrentverslesstudiosdeFranceTélévisions.Paulrestasilencieuxdurantlemaquillage,ildemandasimplementàcequ'on

ne cache pas ses petites ridules autour des yeux. Lorsque le régisseur vint lechercher,ilpriaCristonelidel'attendredanssaloge.Ilpourraitsuivrel'émissionsurl'écrandetélévisionquis'ytrouvait.FrançoisDutertre, l'animateur, l'accueillit dans les coulisses et luimontra le

fauteuilsurlequelildevaitprendreplaceparmiquatreautresromanciers.Paulsaluasesconfrères,etinspiraprofondément.Quelquesinstantsplustard,

ledirectdébutait.–Bonsoiràtous,bienvenuesurleplateaude«LaGrandeBibliothèque».Ce

soir,ilseraquestiondeprixlittéraires,maisaussidelittératureétrangère,etnouscommencerons cette émission en compagnie d'un auteur inconnu du grand

public,entoutcasill'étaitenFranceencorehier,jusqu'àcequeluisoitattribuéleprixMédicisduromanétranger.PaulBarton,mercid'êtreparminous.À l'écran, défila un portrait de Paul.Une voix off évoquait sa carrière, son

passéd'architecte,parlaitdesonchoixdevenirvivreenFrance.Onprésentasessixromanset,àlafindececourtreportage,FrançoisDutertres'adressaàlui.–PaulBarton,c'estunromantrèsdifférentdevosprécédentsécritsquivousa

valuceMédicis,unromanpoignant,surprenant,bouleversant,édifiant,pourrais-jedire.Unromanindispensable.Dutertreenpoursuivitl'éloge,avantdedemanderàPaulcequil'avaitincitéà

écrirecerécit.Paulfixalacaméra.–Jenel'aipasécrit.Jemesuiscontentédeletraduire.FrançoisDutertreécarquillalesyeux,retenantsarespiration.–Ai-jebienentendu?Vousn'avezpasécritceroman?–Non,cettehistoire,vraiedelapremièreàladernièreligne,nem'appartient

pas.C'estunefemmequienestl'auteur.Illuiétaitimpossibledelapubliersoussonnom.Sesparents,safamille,etsurtoutl'hommequ'elleaimeviventenCoréeduNord,ilsenauraientpayéleprixdeleurvie.Pourcetteraison,jenerévéleraijamaissonidentité,maisjenepeuxm'appropriersontravail.– Jenecomprendspas, s'exclamaDutertre,vous l'avezpourtantpublié sous

votrenom?–J'aiservideprête-nom,d'uncommunaccord.LavraieKyongn'avaitqu'un

seulrêve,quel'histoiredessienssoitconnueduplusgrandnombre,quelesgenssoientenfinsensiblesausortquileurestréservé.Iln'yapasdepétroleenCoréedu Nord, alors le monde occidental ne fait que peu de cas d'une des plusépouvantablesdictaturesqui soient. J'aipasséde longsmoisàm'imprégnerdeson texte, à donner vie à ses personnages, pourtant, je vous le répète, cettehistoireluiappartientetc'estàelle,etàelleseulequerevientleprixquim'aétéremishier.Jesuisvenucesoirdansvotreémissionpourdirelavérité,pourvousdireégalementquesiunjourlerégimequiopprimecettepopulationtombe,jerévéleraisonnomdèsqu'ellem'autoriseraà lefaire.Quantauxdroitsd'auteur,qu'elle m'avait offerts, je les ai cédés à Amnesty International et à différentsmouvementsd'oppositionàcerégimeabominable.Jeprésentemesexcuses lesplus sincères à mon éditeur, qui ignorait tout jusqu'à ce soir, ainsi qu'auxmembresdujuryduMédicis.Maisaprèstout,c'estunromanqu'ilsontcouronnébienplusquel'auteurdont lenomapparaîtsur lacouverture.Et laseulechosequi compte, c'est le témoignagequ'il nous livre.À tous ceuxqui suivent cette

émission,jevoussuppliedelelire,aunomdelalibertéetdel'espoir.Mercietpardon.Paulseleva,serralamaindeDutertreetdesautresinvitésavantdequitterle

plateau.

*

Cristoneli l'attendaitdans lescoulisses. Ilsmarchèrentcôteàcôteensilencejusqu'àcequ'ilsarriventdanslehall.Quandilsfurentseuls,CristoneliregardaPauletluitenditlamain.– Je suis très fier d'être votre éditeur,même si j'ai une envie folle de vous

étrangler.C'estuntrèsbeaulivre,etiln'yapasdegrandlivrepubliéàl'étrangersansl'œuvred'ungrandtraducteur.Jecomprendsmieuxvotredécisiondepartirquelque temps pour San Francisco. Sachez que j'attendrai avec impatience lasuitedesaventuresdevotrecantatrice.J'aibeaucoupaimélespremierschapitresquevousm'avezautoriséàlireetj'aihâtedelepublier.–MerciGaetano,maisriennevousyoblige.Jecrainsd'avoirperducesoir

l'ensembledemeslecteurs.–Jecroisquec'esttoutlecontraire.Seull'avenirnousledira.

22.

Paul et son éditeur descendirent ensemble lesmarches.Quand ils arrivèrentsur le trottoirdésert,un jeunehommesortitde l'ombreet s'approchad'eux,unpapierenmain.–Vousvoyez,vousavezencoreaumoinsunfan,ditCristoneli.–C'estpeut-êtreunagentdeKimJong-unquiestvenumedescendre,ricana

Paul.Plaisanteriequin'arrachapasunsourireàsonéditeur.–C'estpourvous,ditlejeunehommeentendantunepetiteenveloppeàPaul.Illadécachetaetdécouvritunepetitenoteétrange,surlaquelleétaitécritàla

main:Troislivresdecarottes,unelivredefarine,unpaquetdesucre,unedouzaine

d'œufsetunepintedelait.–Quivousl'aremis?demandaPaulaujeunehomme.Cedernierdésignaunesilhouettesurletrottoird'enfaceavantdes'enaller.Unefemmetraversalarueetvintàsarencontre.–Jen'aipastenumapromesse,ditMia,j'airegardél'émission.–Tunem'avaisrienpromis,réponditPaul.–Tusaispourquoijesuistombéesiviteamoureusedetoi?–Non,jen'enaiaucuneidée.–Parcequetuesincapabledefairesemblant.–Etc'estunequalité?–C'enestunemerveilleuse.–Tunepeuxpasimaginercequetum'asmanqué,Mia.Tum'asmanquéàen

crever.–Pourdevrai?–Jesuisincapabledefairesemblant,non?–Tuvoudraisbiennerienajouterd'autreetm'embrasser?–Oui.

Ilss'enlacèrentdanslarue.Cristoneli attendit quelques instants, jeta un coup d'œil à sa montre et

s'approchaentoussotant.–Puisquevousnesemblezpaspressés,vousneverriezpasd'inconvénientà

cequejevousempruntevotretaxi?Lemienestenretard,vousn'aurezqu'àleprendre.Cristonelisedébarrassadelavalisequ'ilavaitàlamainetlatenditàPaul.Il salua respectueusement Mia, referma la portière, baissa la vitre et cria

«SacréPaul»tandisquelavoituredémarrait.–Oùvas-tu?repritMia.–DormiràRoissy,jeparsàl'aubeàSanFrancisco.–Pourlongtemps?–Oui.–Jepourraitetéléphoner?–Non,maissituleveuxbien,onpeutpoussermonvoisindesiège.J'aides

merveillesàdégusterdanscettevalise.PaulposasonbagageetembrassaMia.Leurbaiserdurajusqu'àcequ'untaxilesfassesursauterd'uncoupdeklaxon.IlfitentrerMialapremièreets'installaàsescôtés.Avantd'indiquer leurdestinationauchauffeur, il se tournaversellepour lui

poserunequestion:–Etmaintenant,çacompteouçanecomptepas?–Oui,çacompte.

Mercià

Pauline,LouisetGeorges.Raymond,DanièleetLorraine.SusannaLea.EmmanuelleHardouin.CécileBoyer-Runge,AntoineCaro.Élisabeth Villeneuve, Caroline Babulle, Arié Sberro, Sylvie Bardeau, Lydie

Leroy,JoëlRenaudat,CélineChiflet,Anne-MarieLenfant,toutesleséquipesdesÉditionsRobertLaffont.PaulineNormand,Marie-ÈveProvost.LéonardAnthony,SébastienCanot,DanielleMelconian,NajaBaldwin,Mark

Kessler,StéphanieCharrier,JulienSaltetdeSabletd'Estières,AlineGrond.KatrinHodapp,LauraMamelok,KerryGlencorse,JuliaWagner.BrigitteetSarahForissier.

www.marclevy.infowww.laffont.fr

www.versilio.com

TABLEDumêmeauteur

Titre

Copyright

Dédicace

Exergue

Chapitre1

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Table

Remerciements