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Du CM2 à la sixième : quelques pistes pour une transition plus efficace Marie-Hélène Salin Deux anecdotes de grand-mère en guise d’introduction Claire, très bonne élève de 6 ème , me mon- tre son cahier de mathématiques où j’ob- serve que le professeur a traité la multi- plication des décimaux, puisqu’elle doit effectuer 5 opérations pour le prochain cours. « C’est facile, me dit-elle, j’avais appris au CM2. » Je l’interroge : « est- ce que tu peux me donner un exemple de problème où la solution se calcule à l’aide d’une multiplication comme celle- là ? ». Et là, elle sèche totalement. Le lendemain, je lui propose le problème suivant : ta mère achète 1,350 kg de poisson à 11,60 euro le kg, combien va-t- elle payer ? 1 Pas un instant, elle ne pense à la multiplication mais elle me dit : « si c’était 1,5 kg, je saurais, parce que cela fait le prix d’un kg plus celui d’un demi-kg, là ce sera moins cher mais je ne sais pas comment le calculer. » Nous étions en vacances (à la Toussaint), pas en cours où ce problème aurait pu constituer un « problème de recherche », je l’ai donc aidée à développer son idée pour effectuer le calcul en s’appuyant sur les propriétés de la proportionnalité, et elle a été toute surprise et contente de constater que le résultat était bien celui obtenu en effectuant le produit 1,350 x 11,60. J’observe Paul, en train de faire un exer- cice de géométrie, pris sur son manuel. La consigne commence par « reproduis la figure », il s’agit de 3 cercles d’1 cm de rayon, coupés par une droite dans 3 cas différents. Il faut associer à chaque figure une des 3 descriptions écrites, déjà formulées en dessous. Et Paul s’échine à tracer au compas, sur son cahier, de tels cercles, en maugréant : « pourquoi ils les ont fait si petits ? ». Il n’a pas com- pris que le terme « reproduire » ne ren- voyait pas à la même signification en CM2 et dans certains exercices de 6ème (mais pas dans tous !). Ces deux observations portent sur des élèves, mais c’est la difficulté de l’ensei- gnement en 6 ème que je veux pointer en les rapportant : le professeur de Claire a dû penser que le sens de la multiplication des décimaux n’était pas à reprendre puisque les élèves savaient déjà faire les opérations 2 . Celui de Paul ne pouvait pas imaginer ce type de difficulté : pour lui, il est évident que la taille des cercles ne joue aucun rôle dans l’exercice ! Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le fait que les programmes du cycle 3 et ceux de 6 ème portent sur prati- quement les mêmes objets mathéma- tiques ne simplifie pas le travail du pro- fesseur. Les commentaires des évalua- tions nationales de 6 ème portent souvent la mention : « cette notion est en cours d’acquisition », ce qui renvoie à la visée du programme : « consolider, enrichir et structurer les acquis de l’école pri- maire ». Oui mais comment, puisqu’il ne s’agit pas de refaire tout le travail effec- APMEP - PLOT n° 13 2 1 Notons qu’elle n’a jamais vu un adulte faire ce calcul manuellement, ni même à la machine puisque les balances donnent le prix automatiquement ! 2 Point qui n’est plus au programme du cycle 3 depuis 1995, mais que beau- coup d’enseignants de CM2 continuent de présenter à leurs élèves, pour les « avancer » pour la 6 ème . Marie-Hélène Salin, maître de conférences en Mathématiques à l’IUFM d’Aquitaine, est élue au comité de l’ARDM (Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques) et auteur d’ouvrages consacrés à la didactique des mathéma- tiques accessibles à tous. Le CDrom « apprentissages mathématiques en maternelle » (Hatier 2005), conçu avec Joël Briand et Martine Loubet, propose des situations (illustrées d’extraits de vidéo) à mener avec des élèves de maternelle et nous montre, à nous professeurs du secondaire, comment se construisent les savoirs mathématiques dès la première année de maternelle. Sa connaissance approfondie de l’enseignement des mathématiques des cycles 1, 2 et 3 permet à Marie-Hélène Salin de nous livrer une analyse fine des difficultés de la transition CM2-sixième, pas toujours perçues par les enseignants de mathématiques que nous sommes. Son analyse, transposable à toutes les transitions de même type (troisième-seconde, voire terminale-univer- sité), montre comment une similitude apparente des contenus, masquant des différences essentielles dans l’esprit des enseigne- ments, est à la racine des difficultés des élèves.

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Du CM2 à la sixième : quelques pistes pourune transition plus efficace

Marie-Hélène Salin

Deux anecdotes de grand-mère enguise d’introduction

Claire, très bonne élève de 6ème, me mon-

tre son cahier de mathématiques où j’ob-

serve que le professeur a traité la multi-

plication des décimaux, puisqu’elle doit

effectuer 5 opérations pour le prochain

cours. « C’est facile, me dit-elle, j’avais

appris au CM2. » Je l’interroge : « est-

ce que tu peux me donner un exemple de

problème où la solution se calcule à

l’aide d’une multiplication comme celle-

là ? ». Et là, elle sèche totalement. Le

lendemain, je lui propose le problème

suivant : ta mère achète 1,350 kg de

poisson à 11,60 euro le kg, combien va-t-

elle payer ?1 Pas un instant, elle ne

pense à la multiplication mais elle me

dit : « si c’était 1,5 kg, je saurais, parce

que cela fait le prix d’un kg plus celui

d’un demi-kg, là ce sera moins cher mais

je ne sais pas comment le calculer. »

Nous étions en vacances (à la Toussaint),

pas en cours où ce problème aurait pu

constituer un « problème de recherche »,

je l’ai donc aidée à développer son idée

pour effectuer le calcul en s’appuyant sur

les propriétés de la proportionnalité, et

elle a été toute surprise et contente de

constater que le résultat était bien celui

obtenu en effectuant le produit 1,350 x11,60.

J’observe Paul, en train de faire un exer-

cice de géométrie, pris sur son manuel.

La consigne commence par « reproduis

la figure », il s’agit de 3 cercles d’1 cm

de rayon, coupés par une droite dans 3

cas différents. Il faut associer à chaque

figure une des 3 descriptions écrites, déjà

formulées en dessous. Et Paul s’échine à

tracer au compas, sur son cahier, de tels

cercles, en maugréant : « pourquoi ils

les ont fait si petits ? ». Il n’a pas com-

pris que le terme « reproduire » ne ren-

voyait pas à la même signification en

CM2 et dans certains exercices de 6ème

(mais pas dans tous !).

Ces deux observations portent sur desélèves, mais c’est la difficulté de l’ensei-gnement en 6ème que je veux pointer enles rapportant : le professeur de Claire adû penser que le sens de la multiplicationdes décimaux n’était pas à reprendrepuisque les élèves savaient déjà faire lesopérations2. Celui de Paul ne pouvait pasimaginer ce type de difficulté : pour lui,il est évident que la taille des cercles nejoue aucun rôle dans l’exercice ! Contrairement à ce que l’on pourraitcroire, le fait que les programmes ducycle 3 et ceux de 6ème portent sur prati-quement les mêmes objets mathéma-tiques ne simplifie pas le travail du pro-fesseur. Les commentaires des évalua-tions nationales de 6ème portent souventla mention : « cette notion est en coursd’acquisition », ce qui renvoie à la viséedu programme : « consolider, enrichir etstructurer les acquis de l’école pri-maire ». Oui mais comment, puisqu’il nes’agit pas de refaire tout le travail effec-

APMEP - PLOT n° 132

1Notons qu’elle n’a jamais

vu un adulte faire ce calcul

manuellement, ni même à la

machine puisque les

balances donnent le prix

automatiquement !

2 Point qui n’est plus au

programme du cycle 3

depuis 1995, mais que beau-

coup d’enseignants de CM2

continuent de présenter à

leurs élèves, pour les «

avancer » pour la 6ème.

Marie-Hélène Salin, maître de conférences en Mathématiques à l’IUFM d’Aquitaine, est élue au comité de l’ARDM

(Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques) et auteur d’ouvrages consacrés à la didactique des mathéma-

tiques accessibles à tous. Le CDrom « apprentissages mathématiques en maternelle » (Hatier 2005), conçu avec Joël Briand et

Martine Loubet, propose des situations (illustrées d’extraits de vidéo) à mener avec des élèves de maternelle et nous montre, à

nous professeurs du secondaire, comment se construisent les savoirs mathématiques dès la première année de maternelle.

Sa connaissance approfondie de l’enseignement des mathématiques des cycles 1, 2 et 3 permet à Marie-Hélène Salin de nous

livrer une analyse fine des difficultés de la transition CM2-sixième, pas toujours perçues par les enseignants de mathématiques

que nous sommes. Son analyse, transposable à toutes les transitions de même type (troisième-seconde, voire terminale-univer-

sité), montre comment une similitude apparente des contenus, masquant des différences essentielles dans l’esprit des enseigne-

ments, est à la racine des difficultés des élèves.

La parole à Marie-Hélène Salin

tué à l’école primaire3 ? Par ailleurs, uneautre visée du programme est de : « pré-parer à l’acquisition des méthodes et desmodes de pensée caractéristiques desmathématiques (résolution de problèmes,raison-nement) », oui, mais les activitésqui y concourent portent sur des objetsqui, pour la plupart, ont déjà été présentésà l’école primaire. Comment faire entrerles élèves dans ce nouveau rapport auxmathématiques ? Et comment articulerces deux visées avec la troisième :« développer la capacité à utiliser lesoutils mathématiques dans différentsdomaines (vie courante, autres disci-plines) » ?L’objet de ces deux articles n’est pas derépondre à ces questions, comme s’endoute le lecteur, mais de l’alerter sur cer-tains choix pédagogiques, qui déconcer-tent un nombre non négligeable d’élèvesmoyens à l’arrivée en 6ème, parce quetrop souvent ils n’arrivent pas à compren-dre le sens de ce que le professeur leurenseigne. Le risque est qu’ils se mettent àadopter un ou plusieurs des comporte-ments bien connus : le blocage, le « n’im-porte quoi », ou, pour les élèves les plusdociles, une attitude basée sur la convic-tion qu’en mathématiques, il faut surtout« apprendre » et réciter pour réussir,même si on n’a pas compris. Les ques-tions ne se posent pas de la mêmemanière quand il s’agit de consolider lesacquis de l’école primaire, quand il s’agitde les enrichir, et enfin quand il s’agitd’introduire aux modes de pensée carac-téristiques des mathématiques. C’estpourquoi ce texte comprend trois parties,les deux premières publiées dans cenuméro, la troisième dans PLOT n° 14.

I) Consolider les acquis de l’écoleprimaireLes connaissances mathématiques dontdispose un élève entrant en 6ème sont lerésultat d’une longue histoire, jalonnéepar des étapes inscrites dans les pro-grammes. Pour certaines notions, l’insti-tution considère que cette histoire, sansêtre terminée, est arrivée à un point oùl’état « moyen » des connaissances des

élèves est suffisamment avancé et stabi-lisé pour que le statut d’objet mathéma-tique, tel qu’il est défini dans le savoirmathématique visé à la fin de l’école pri-maire soit considéré comme atteint. Dansle domaine numérique, par exemple, laconnaissance des nombres entiersenglobe leur rôle d’outil dans diversessituations et une part importante deconnaissances sur les nombres eux-mêmes : systèmes d’écritures, ordre,techniques opératoires, rapports entrecertains nombres, etc. A l’entrée en 6ème,beaucoup de ces connaissances, en parti-culier celles portant sur les algorithmes(sauf celui de la division) sont supposéessuffisamment maîtrisées pour que le pro-fesseur de 6ème n’ait pas à réorganisertout un enseignement à leur propos. Mais, pour d’autres notions, cette « his-toire » n’est pas suffisamment avancéepour que l’on puisse considérer que cettenotion soit maîtrisée et il faut « consoli-der4 les acquis » la concernant, c’est-à-dire que le professeur n’a pas à repartir dezéro mais à faire vivre aux élèves une his-toire qui leur permette de revenir surleurs connaissances, de les enracinergrâce à de nouvelles expériences, de lesstructurer, etc. Prenons l’exemple des nombres déci-maux, enseignés à partir du CM1, pourlesquels les résultats des évaluationsnationales attestent bien que l’enseigne-ment n’est pas terminé. Pour comprendreles questions que pose cette « consolida-tion » aux professeurs, je crois qu’il estnécessaire de résumer les différentesétapes par lesquelles passent les élèvesdans les deux années précédant la 6ème. Actuellement, l’écriture à virgule estintroduite comme une nouvelle écriturepour les fractions décimales. Mais le tra-vail sur celles-ci est précédé, le plus sou-vent5, par l’introduction de fractions dedénominateur simple, par exemple dansle contexte présenté ci-après6, qui per-met, dès le départ, de donner du sens auxfractions supérieures à 1. La consigne évoque la situation qui biensûr est présentée de manière détaillée auxélèves. La bande unité donnée aux élèves

APMEP - PLOT n° 13 3

3 Les textes officiels four-

nissent depuis peu une

information détaillée sur

l’enseignement à l’école

primaire : une circulaire de

9 pages est sortie en 2004

sur l’articulation cycle

3/6ème, résumant les diffé-

rentes étapes que devraient

avoir franchi les élèves à

l’issue du CM2 ainsi que ce

qui est attendu de nouveau

en 6ème. Dans les pro-

grammes de 6ème, appliqués

depuis la rentrée 2005, la

référence aux notions

enseignées en cycle 3 est

explicite, destinée à per-

mettre aux professeurs d’al-

ler y voir dans le document

d’application, très détaillé,

4 Consolider : dans la défi-

nition du Robert, trois

verbes expriment bien ce

qui est en jeu : « renfor-

cer, stabiliser, enraciner. »

5 C’est-à-dire selon les pro-

grammes et dans la plupart

des manuels récents, ce qui

ne veut pas dire que tous les

enseignants fassent ainsi.

6Manuel Cap-maths CM1

(2003) éditions Hatier, p. 77

La parole à Marie-Hélène Salin

est en papier, facilement pliable. Lesbandes A, B et C, sont vertes ; les bandesD, E, F sont bleues. Leurs longueurs ontété choisies pour que les bandes puissenteffectivement être mesurées en demi ouen quart d’unités : A l’issue de la séance, après que lesélèves ont mis à l’épreuve l’efficacité deleur mesurage7, plusieurs formes possi-bles de l’écriture de la longueur d’unebande sont officialisées, par exemplepour A :

Une fois cette écriture fractionnaire intro-duite, les élèves sont conduits à la fairefonctionner, soit pour donner la mesured’une longueur, soit pour tracer un seg-ment de longueur donnée par une écriturede cette forme. Puis une série de nou-veaux problèmes est posée, comme deprévoir le résultat de la comparaison deslongueurs de deux segments d’aprèsl’écriture de leurs mesures (faisant inter-venir une même division de l’unité),avant de vérifier le résultat par tracé dessegments correspondants ; comme deprévoir si une longueur est inférieure ousupérieure à l’unité, ou d’encadrer une

longueur fractionnaire comme

u entre deux multiples del’unité successifs. Cette

activité conduit les élèves à tra-vailler sur les écritures et nonplus sur les segments, et à déga-ger certaines stratégies, qui nesont pas formalisées. D’autressupports, comme les aires desurfaces polygonales simples,permettent un réinvestissementde ces connaissances. Ce travailest repris pour des longueursexprimées par des fractionsdécimales, et aboutit à l’établis-sement de relations entre mil-lièmes, centièmes, dixièmes etunités, et à différentes décom-positions des fractions déci-males :

Parallèlement, le repérage de ces lon-gueurs sur une ligne graduée permetl’abandon du marquage de l’unité, et lepassage, un peu forcé, des grandeurs auxnombres, dont l’écriture à virgule estalors enseignée aux élèves. C’est sur ces connaissances que s’ap-puient les élèves pour l’élaboration (et/ou la compréhension) de la technique decomparaison des nombres décimaux etpour celle des techniques opératoires(addition, soustraction, multiplication parun entier), en référence à des opérationssur les grandeurs bien connues des élèvesquand leurs mesures sont exprimées pardes entiers (par exemple longueur d’unebande constituée par mise bout à bout dedeux bandes dont on connaît la lon-gueur). C’est peu à peu, par l’explorationde problèmes divers, portant sur desgrandeurs différentes, faisant intervenirdes unités différentes, des nombres detailles différentes, que se constitue pourles élèves, le sens des nombres décimaux,qui à l’issue du CM2, n’est pas encorecelui qui est visé en fin de 5ème puisque,

17

3

APMEP - PLOT n° 134

u uou u+ 12

3

2

7 car ils ne communiquent

que la mesure, pas le nom de

la bande

234

1002

34

100

23

10

4

100

u u u

u u u

= +

= + + .

La parole à Marie-Hélène Salinpour la plupart d’entre eux, comme lemontre l’anecdote de l’introduction, si lamultiplication par un entier renvoie à duconnu, celle par un nombre décimal nerenvoie pas à un savoir déjà formalisé.C’est ce que confirment aussi les difficul-tés rencontrées par les élèves plus âgésdans les problèmes faisant intervenir ladivision par un décimal inférieur à 1.C’est peu à peu, aussi, que les connais-sances sur les décimaux peuvent êtredécontextualisées, et que ces derniersvont prendre le statut de nombres, donton peut approfondir la connaissanceindépendamment des situations dans les-quelles on les utilise. L’ensemble de cettedémarche nécessite un temps long et cer-tains des résultats de l’évaluation dedébut de 6ème montrent bien que l’appro-priation des décimaux est encore inache-vée pour presque 50 % des élèves8.

La difficulté, pour le professeur de 6ème

est double : - d’une part, un nombre non négligeabled’élèves a déjà des connaissances quipeuvent faire illusion, si le professeur duCM2 a privilégié le travail sur la descrip-tion des écritures (repérage du chiffre desdixièmes, recours permanent au tableaude numération, etc) et les algorithmes decalcul, au détriment de celui sur le sens ;- d’autre part, le professeur n’a aucunmoyen a priori, de savoir où en sont sesdifférents élèves, dans leur cheminementvers l’appropriation des nombres déci-maux, puisque par la position institution-nelle de la classe de 6ème, il ne connaîtpas la progression ni les situations utili-sées au CM1 et au CM2. Il peut avoir uneidée, par l’examen des évaluations de6ème ou d’autres tests, de « ce quireste » des savoirs enseignés mais pas desconnaissances intermédiaires, pas encoreassurées, que l’élève a pu se forger, maisqui ne se traduisent pas par une maîtrisedes épreuves « normalisées »9.

La question principale, à laquelle il estrépondu différemment suivant lesmanuels de 2005, est alors : faut-il ounon, revenir avec les élèves sur la signifi-

cation de l’écriture à virgule, en terme defraction décimale, et même introduireune ou plusieurs situations qui puisse lesrenvoyer à la propriété qui, pour eux, ajustifié le sens de ces fractions, c’est-à-dire par exemple, le fait que grâce auxécritures fractionnaire ou à virgule, onpeut communiquer la mesure d’un seg-ment de longueur comprise entre deuxentiers. La réponse à la question dépend,bien sûr, du niveau de la classe. Pour quelques-unes, il est sans doute pos-sible de suivre la voie de certainsmanuels qui, en dépit des instructions,n’hésitent pas à faire porter tout le travailconcernant les décimaux sur les algo-rithmes, en formulant des règles unique-ment en terme d’actions sur les écritures(par exemple, pour multiplier par 100, ondéplace la virgule de 2 crans à droite),sans revenir aux raisons qui justifient cesrègles.Pour la majorité des autres classes, parcontre, je crois qu’il est très utile, tantpour le professeur que pour les élèves,que ceux-ci soient confrontés à des pro-blèmes comme le suivant :

Le professeur distribue à chaque

élève une unité (une bande de papier

quadrillé à petits carreaux (20 petits

carreaux )) et une autre bande, unie,

dans laquelle il leur demande de

découper un morceau long de 2,35

unités. Il dit : « moi, j’ai fait un

modèle ; quand vous aurez fini, nous

comparerons vos bandes et la

mienne. Ceux qui auront réussi nous

expliqueront comment ils ont fait et

pourquoi, et on essaiera de compren-

dre ensemble d’où viennent les

erreurs de ceux qui auront fait une

bande de longueurs différentes. »

On pourrait croire que puisque les élèvesde 6ème savent utiliser un mètre déroulantpour mesurer une longueur de 2,35 m,l’activité ci-dessus devrait leur paraîtrefacile. Mais cela n’est vrai que pour ceuxqui pensent à reconstruire, avec l’unitéqui leur est fournie, les longueurs corres-pondant à 1/10 et à 5/100 d’unité.

APMEP - PLOT n° 13 5

8 L’évaluation 2005 est

riche en informations car

elle comporte de nombreux

items sur les décimaux.

9 Ainsi, le professeur de

Claire, dans la situation sco-

laire ordinaire, a peu de

chances de s’apercevoir

qu’elle et certainement d’au-

tres élèves, disposent de

connaissances qui pour-

raient lui servir de points

d’appui pour la présentation

d’un des sens de la multipli-

cation des nombres déci-

maux

La parole à Marie-Hélène SalinC’est en s’appuyant sur l’analyse desproductions effectives des élèves quepeuvent être rappelés le partage de l’unitéen dixièmes, puis en dixièmes dedixième, l’écriture sous forme fraction-naire du nombre 2,35, la recherche del’écriture de la longueur en centièmes,etc. Suivant les difficultés rencontréespar les élèves, le professeur peut y passerplus ou moins de temps, faire refaire ounon le même travail avec d’autres don-nées, poursuivre par le repérage de pointssur l’axe gradué, faire redécouvrir lesrelations comme :

L’objectif est qu’il puisse disposer dequelques situations de référence, sur les-quelles, avec la classe ou seulement aveccertains élèves, il puisse revenir, dans descas délicats. Prenons l’exercice classique suivant :« supprime les zéros inutiles du nombre50,080 ». Il suffit à certains des élèvesqui suppriment le zéro des dixièmes dedécomposer le nombre en fractions déci-males pour s’apercevoir de leur erreur,mais d’autres ont besoin d’aller jusqu’àplacer 50,8 et 50,08 sur un axe graduépour se rendre compte qu’il ne s’agit pasdu même nombre. Si le travail évoquéprécédemment n’a pas été fait, le profes-seur ne peut que rappeler les règles ens’appuyant sur le tableau de numérationet le vocabulaire : dixième, centième,etc, alors que certains élèves ont encorebesoin de confronter leurs prévisions et lerésultat de leurs actions sur ces quantitéspour que les notions correspondantespuissent être convenablement « enraci-nées ». D’autres situations, en lien par exempleavec la représentation de données sur unaxe gradué, peuvent permettre ce retoursur ce qui a été travaillé l’année précé-dente et servir de point d’appui pour lesapprentissages ultérieurs.Cette question de « comment reprendreun enseignement sur une notion large-ment travaillée à l’école primaire ? » est

particulièrement délicate quand ce travaila déjà abouti à l’élaboration d’algo-rithmes ou à l’établissement de formulescomme pour les mesures d’aires et depérimètres, certains enseignants de CM2anticipant les apprentissages de 6ème.Plutôt qu’à des séances de révision for-melle, le recours à quelques situations oùles élèves ont à s’interroger sur le sensdes notions en jeu est plus à même defavoriser la transition.

II) Enrichir les acquis de l’écoleprimaireLe terme « enrichir » renvoie, il mesemble, aux enseignements concernantdes notions, qui ne sont pas nouvelles,mais dont certains aspects n’ont pas ététravaillés à l’école primaire. C’est le casdu calcul de l’aire de rectangles dont lesdimensions sont décimales, de la multi-plication des décimaux, de la notion dequotient de deux entiers, de la divisiondécimale, de la notion de volume, parexemple. C’est aussi le cas d’une partiedu programme de géométrie, qui seraabordé dans le prochain article. Comment introduire le nouveau ? Làaussi, la question du sens se pose : si leproduit de deux décimaux a été repoussédu CM2 à la sixième depuis 1996, cen’est pas à cause de la difficulté de latechnique opératoire, mais à cause de laconstruction du sens de l’opération,comme en témoigne l’anecdote de l’in-troduction. Il en est de même pour le cal-cul de l’aire d’un rectangle de dimen-sions décimales, qui peut constituer unvrai « problème de recherche » pour lesélèves de 6ème : prenons l’exemple d’unrectangle de 5,3 cm sur 6,8 cm : le travailde découpage du rectangle suivant lesparties entières et décimales, puis du cal-cul de l’aire du morceau rectangulaire dedimensions inférieures à 1, exprimée encm2, c’est-à-dire avec une unité plusgrande que la surface à mesurer, pose desdifficultés importantes aux élèves. Leurdépassement enrichit la compréhensionqu’ils peuvent développer du conceptd’aire et de son expression sous forme de

APMEP - PLOT n° 136

101

100

1

10

1

10

10

100× = =ou etc, .

La parole à Marie-Hélène Salinmesure-produit10. La confrontation à ceproblème peut être aussi un moyen pourinitier un travail sur le sens du produit dedeux décimaux. Le travail sur le volume peut semblerplus nouveau puisque le terme mêmen’est pas cité dans le programme du cycle3, où est abordée la notion de « conte-nance », en relation avec les unitésusuelles : le litre et ses dérivés, qui inter-viennent dans les problèmes « de la viecourante ». Au cycle 3, la résolution dece genre de problèmes est précédée d’ac-tivités faisant intervenir des récipients, duliquide ou du sable, ayant pour but d’ai-der les élèves à construire la notion de« contenance », à comprendre commenton peut mesurer une contenance à l’aided’une unité, par transvasements succes-sifs du liquide contenu dans le récipient,à se représenter le litre comme la conte-nance d’un cube creux dont l’arête inté-rieure mesure 10 cm, à construirequelques ordres de grandeurs pour lasuite mL, cL, dL, L, daL, etc. Le passage du terme de « contenance »ou de « capacité » à celui de « volume »,n’est pas facile, pour plusieurs raisons : - la complexité du langage courant. Pourles élèves de 6ème, ce mot renvoie sûre-ment tout autant au volume de la télé qu’àcelui de l’eau contenue dans la bassine, sice n’est aux deux volumes de leur ency-clopédie. Un travail sur ce mot est doncnécessaire.- une fois ces trois significations distin-guées, il s’agit d’aider les élèves à com-prendre les liens entre une contenance,concept utilisé pour mesurer une quantitéde fluide, et un volume, concept utilisépour mesurer une « quantité d’espace »occupée par un corps. Des recherches11

ont montré les difficultés que rencon-traient les élèves pour conceptualiser lanotion de volume d’un objet plein, pourdifférencier aire latérale et volume. Deplus, quand on parle d’objets réels, celase complique encore : quand je parle duvolume d’une casserole, est-ce de sacontenance ou de tout l’espace qu’elleoccupe, une fois pleine, ou de l’espace

occupé par le matériau qui la constitue (ycompris le manche) ? - enfin, la contenance est une grandeurunidimensionnelle, avec un systèmed’unités qui fonctionne comme celui deslongueurs, alors que le volume est unegrandeur tridimensionnelle, avec des uni-tés exprimées à l’aide des unités de lon-gueur, mais dont le fonctionnement estbien différent, d’où la difficulté desconversions.Le travail d’appropriation n’est qu’amor-cé en sixième, sur le cas bien particulierdu parallélépipède rectangle, pour lequelil est possible de relier la conception enterme de contenance à celle de quantitéd’espace mesurée à l’aide d’unités« cubes ». Certains manuels ont recoursà l’évocation d’un aquarium12, que l’onpeut remplir d’eau mais aussi de cubes-unités, semblant faciles à dénombrer, cequi fournit la formule du volume, commele montrent les dessins en perspective desmanuels. Or les élèves de 6ème, même enfin d’année scolaire, ont besoin d’êtreconfrontés à des problèmes mettant enjeu l’espace et ses trois dimensions. Unmatériel bon marché est disponible dansce cas : une boîte de sucre en morceaux.Le professeur apporte une boîte incom-plète, les élèves observent le pavage : surla longueur de la boîte, il y a 15 sucres,sur la largeur 3, sur la hauteur 3 aussi.Les élèves doivent prévoir combien il y ade sucres quand la boîte est pleine. Laquestion a l’air très facile… Essayez avecvos sixièmes : vous verrez que l’idée dedécouper en couches et de dénombrer lessucres de chaque couche à l’aide d’unproduit n’est pas si évidente, ce quiexplique peut-être que la formule s’ou-blie si vite…

APMEP - PLOT n° 13 7

10 Voici ce qu’écrivait en

1992, les auteurs d’EVAPM

3-4 : « le concept de volume

est loin d’être maîtrisé par

les élèves de troisième et

c’est bien la raison pour

laquelle il ne faut pas négli-

ger cet apprentissage (lon-

gueurs, aires, volumes, au

long des 4 années de col-

lège, sans le réduire à des

applications de formules. ».

Je ne sais pas si la situation

s’est améliorée depuis !

12 Pour d’autres, la question

contenance-volume est tota-

lement ignorée.

11Le numéro 4.1 (1983) de

la revue Recherches en

didactique des mathéma-

tiques est consacré à ce

thème.

La suite de cet article paraîtra dansPLOT n° 14