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Cours de droit judiciaire privé L3 - 22/02/2022 INTRODUCTION Pour introduire la matière, et mieux sonder ses richesses et son intérêt partons d’une question simple. Qu’est ce que la procédure ? Qu’est ce que le droit judiciaire privé ? Qu’est-ce que la procédure ? Et quelles sont ses caractéristiques ? C’est la première question qui sera envisagée… Ce sera l’occasion de mieux distinguer les termes de procédure civile, de droit judiciaire privé, et de droit processuel. Envisager la procédure suppose enfin dans une approche introductive de s’interroger sur ses sources… et sur ses lignes d’évolution actuelles, soit sur sa physionomie actuelle et ce vers quoi elle tend dans une approche plus dynamique. Section 1 : Procédure civile, droit judiciaire, et droit processuel : approche notionnelle de la procédure Savoir de quoi l’on parle, suppose de s’arrêter un instant sur le terme de procédure. Il est issu de celui très parlant de « procedere » : soit en latin, avancer, aller de l’avant…. Ou aboutir ! Cette étymologie aide à mieux cerner la procédure, le droit judiciaire. § 1 - La définition de la procédure civile. L’étymologie traduit un double sens de la procédure. Un droit qui permet d’aller de l’avant un processus, d’une part, un droit qui permet d’aboutir, de sanctionner les droits substantiels d’autre part. 1. Un processus Avancer…. Cela inclut un mouvement une marche à suivre. Un processusqui va de la demande en justice jusqu’au jugement, en y incluant son exécution. - Soit la démarche à suivre du plaideur , pour accéder au juge, c’est toute la question de l’accès au juge et même, sous l’influence de la CEDH, on dit aujourd’hui du droit au juge … Un droit d’action, devant quel juge ? Y a-t-il un recours ouvert ? Comment faire exécuter la décision rendue ? La procédure le procès suppose un organe juridictionnel, le juge et débouche sur un acte juridictionnel le jugement. La procédure renvoie alors à l’ensemble des règles relatives à l’organisation juridictionnelle, à la compétence juridictionnelle et aux procédures juridictionnelles. - C’est aussi, plus prosaïquement, et c’est sans doute ce qui vous est venu à l’esprit, la démarche suivie pour saisir le juge, puis celle suivie par le juge par le tribunal, celle qu’il doit respecter pour rendre un procès conforme aux garanties du procès équitable… Ce 1

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Cours de droit judiciaire privé

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Cours de droit judiciaire privé L3 - 21/04/2023

INTRODUCTION

Pour introduire la matière, et mieux sonder ses richesses et son intérêt partons d’une question simple. Qu’est ce que la procédure ? Qu’est ce que le droit judiciaire privé ?

Qu’est-ce que la procédure ? Et quelles sont ses caractéristiques ? C’est la première question qui sera envisagée… Ce sera l’occasion de mieux distinguer les termes de procédure civile, de droit judiciaire privé, et de droit processuel.

Envisager la procédure suppose enfin dans une approche introductive de s’interroger sur ses sources… et sur ses lignes d’évolution actuelles, soit sur sa physionomie actuelle et ce vers quoi elle tend dans une approche plus dynamique.

Section 1 : Procédure civile, droit judiciaire, et droit processuel : approche notionnelle de la procédure

Savoir de quoi l’on parle, suppose de s’arrêter un instant sur le terme de procédure. Il est issu de celui très parlant de « procedere » : soit en latin, avancer, aller de l’avant…. Ou aboutir ! Cette étymologie aide à mieux cerner la procédure, le droit judiciaire.

§ 1 - La définition de la procédure civile.

L’étymologie traduit un double sens de la procédure. Un droit qui permet d’aller de l’avant un processus, d’une part, un droit qui permet d’aboutir, de sanctionner les droits substantiels d’autre part.

1. Un processus Avancer…. Cela inclut un mouvement une marche à suivre. Un processus… qui va de la

demande en justice jusqu’au jugement, en y incluant son exécution.- Soit la démarche à suivre du plaideur, pour accéder au juge, c’est toute la question de l’accès au juge et même, sous l’influence de la CEDH, on dit aujourd’hui du droit au juge… Un droit d’action, devant quel juge ? Y a-t-il un recours ouvert ? Comment faire exécuter la décision rendue ?

La procédure le procès suppose un organe juridictionnel, le juge et débouche sur un acte juridictionnel le jugement. La procédure renvoie alors à l’ensemble des règles relatives à l’organisation juridictionnelle, à la compétence juridictionnelle et aux procédures juridictionnelles.- C’est aussi, plus prosaïquement, et c’est sans doute ce qui vous est venu à l’esprit, la démarche suivie pour saisir le juge, puis celle suivie par le juge par le tribunal, celle qu’il doit respecter pour rendre un procès conforme aux garanties du procès équitable… Ce processus peut dès lors revêtir une certaine durée, voire certaines lenteurs ; sachant que la précipitation ne doit pas non plus être de mise et n’est sans doute pas la meilleure garante des droits du justiciable…

La procédure revêt alors cette double dimension : elle renvoie alors à un droit fondamental, l’accès à la justice, et aussi, à une série de formalités qu’implique l’action en justice comme tout recours – qu’il soit ou non juridictionnel (les recours administratifs gracieux, hiérarchiques relèvent aussi d’un certain formalisme). Ce formalisme ne doit d’ailleurs pas nécessairement être vu sous un angle péjoratif si l’on a à l’esprit que la forme est la sœur jumelle de la liberté  ! Elle renvoie enfin à la démarche propre du juge lorsqu’il tranche un litige.

2. Un droit sanctionnateur

Mais mener à bien aboutir, cela montre aussi, et c’est le second aspect, que la procédure est un droit réalisateur qui permet de mener à bien l’exercice des droits (droit de propriété, droit de créance, droit de la personnalité) y compris en cas de résistance du sujet passif du droit substantiel.

La procédure c’est la réalisation contentieuse des droits. L’action en justice c’est l’aboutissement des droits, la manière d’en obtenir l’exécution forcée. Le procès c’est la sanction (on dit parfois la rançon) des droits : et ce à un double titre que la jurisprudence de la CEDH a mis en lumière…

- La CEDH n’est pas insensible à cette dimension, puisqu’elle a dégagé le droit au juge (l’accès au juge) dans un arrêt Golder du 21 février 1975, comme la manière d’assurer la protection

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effective des droits (substantiels) garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, en soulignant que sans ce droit au juge, ces droits fondamentaux resteraient lettre morte - théorique - et que donc le droit au juge en était le complément indissociable, implicitement mais nécessairement associé.

-La Cour européenne des droits l’homme a ensuite consacré pleinement cette dimension de la procédure civile, puisque depuis un arrêt du 17 mars 1997 Hornsby c. Grèce, elle affirme que l’exécution du jugement fait partie intégrante du procès, faute de quoi le droit au juge serait illusoire. Ainsi, l’exécution du jugement en vertu de cet arrêt est comprise dans le délai raisonnable1, et l’absence d’exécution dans les délais requis engage la responsabilité de l’Etat, de même que le caractère excessif de la durée d’exécution. L’exécution du jugement relève ainsi des exigences de l’article 6§1 de la CEDH et des garanties du droit au juge et du procès équitable pour assurer une protection effective des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (dont par exemple le droit de propriété, le droit de la protection de la vie privé du domicile et de la vie familiale…), et s’apprécie selon les mêmes critères que la durée de la procédure2. On reconnaît là le souci d’effectivité et le pragmatisme de la CEDH.

Et le législateur n’est pas insensible à cette dimension comme en témoigne l’intitulé d’une loi toute récente : la toute récente du 22 décembre 2010 n° 2010-1609, relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires…

- Cette idée se traduit de manière imagée par une formule : la procédure est au service des droits substantiels – dits déterminateurs, selon la formule empruntée à Oudot et à Roger Nerson - c’est un droit serviteur ou sanctionnateur. Au service des droits substantiels, de la justice, des justiciables, puisqu’il en assure la sanction effective …La procédure donc n’est pas sans lien avec le fond du droit  : elle en est solidaire tout en étant indépendante de celui-ci… On ne fait pas de la procédure dans l’abstrait pour son seul plaisir mais pour défendre un droit substantiel…Admettre sans réserve l’accès à la preuve génétique dont la fiabilité est aujourd’hui quasi irréfutable, peut conduire à terme à menacer la filiation par la possession d’état. Ainsi un arrêt récent est il venu rappeler que si l’expertise est de droit en matière de filiation (Civ. 1, 8 mars 2000, Bull. I n° 103) il n’en va pas de même lorsqu’il est question de possession d’état (Civ. 1, 16 juin 2011, n° 08-20475, JCP 2011 1397 p. 2495, En matière de constatation de possession d'état, il ne peut y avoir lieu à prescription d'une expertise biologique). Ainsi si l’expertise est la reine des preuves elle ne saurait contredire une possession d’état.Il y a des droits déterminateurs qui fixent les règles de conduite sociale, et qui en définissant les droits et obligations de chacun, définissent les droits subjectifs (les droits substantiels le droit civil, commercial, social), et des droits sanctionnateurs (le droit de la procédure civile, mais l’on pourrait appliquer la distinction tout aussi bien à la matière pénale)… La procédure commerciale doit ainsi être au service du droit commercial, rapide simple et souple, sûre ; la procédure prud’homale pour favoriser la conciliation doit promouvoir la comparution et le dialogue.La seule fonction des droits de la seconde catégorie est d’assurer la sanction des règles des droits déterminateurs… L’action est un droit subjectif processuel3 qui s’ajoute au droit subjectif substantiel (Motulsky)…

Et le droit judiciaire ne peut être correctement appliqué et maîtrisé dans l’ignorance des droits substantiels en cause… D’où son enseignement plus tardif. Il y a une intime association entre le fond et la procédure d’où l’étude en M2 du contentieux familial, contentieux des affaires….

C’est sur ce double aspect de la procédure que l’on insistera cette année plus que sur l’aspect institutionnel de la justice et de ses institutions vu en 1° année (organisation judiciaire)…

1 CEDH 3 février 2009, Proc. 2009 n° 81, Même lorsqu’une procédure est régie par le principe dispositif qui consiste à donner aux parties de pouvoirs d’initiative et d’impulsion, il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.2 CEDH 9 juin 2009, Procédures 2009 n° 229.3 Du moins si l’on retient la présentation de Motulsky

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L’importance de la procédure n’est plus à démontrer : elle est d’ailleurs intégrée désormais à part entière dans les programmes des examens des professions judiciaires l’ENM ou l’EFB tant il est vain de considérer que de bons magistrats peuvent se contenter de bien maîtriser le droit substantiel civil ou pénal …

§ 2 - Les caractères de la procédure civile

Trois caractères permettent de la distinguer : la matière renvoie à un droit très largement impératif et formaliste dont l’unité n’est qu’apparente… C’est aussi un droit hétérogène très largement forgé par la pratique…

1. Impératif

La procédure est très largement impérative, parce qu’elle renvoie à l’organisation du service public de la justice et que l’égalité des justiciables implique des « règles du jeu » communes à tous et qui s’imposent aux sujets de droit. Elles sont de ce fait en général d’application immédiate, y compris aux instances en cours sauf dispositions contraires4… C’est notamment ce que vient de rappeler la Cour d’appel de Paris à propos des lois organisant la prescription extinctive5.

Toutefois, toutes les règles ne font pas intervenir directement l’ordre public ou pas tout à fait au même degré. Parfois, il s’agit seulement d’un ordre public protecteur (du justiciable), parfois, ce sera un ordre public absolu (organisation du service public de la justice).

Ainsi, traditionnellement les règles relatives à l’exercice des actions et à l’organisation judiciaire (l’organisation des juridictions et la répartition du contentieux entre elles) se rattachent plus directement à l’ordre public.

Les règles de procédure relatives à l’instance sont plus délicates à classer, et selon leur finalité, leur esprit, l’on déterminera si elles sont ou non d’ordre public.

Une certaine place est laissée à la convention des parties (calendrier de procédure…)

2. Formaliste

* La procédure présente un caractère formaliste même si ce n’est pas son aspect le plus attrayant. La forme, l’esprit de chicane, évoquent alors les gravures de Daumier, les figures de plaideurs mesquins des romans de Balzac. Mais il apparaît de plus en plus que ce formalisme (mécanismes des conclusions récapitulatives) est mis au service d’une meilleure justice plus efficace, plus coopérative qui fait de l’avocat l’auxiliaire du juge en rationalisant le travail de ce dernier. Une nouvelle étape vient en ce sens d’être franchie par le décret du 9 décembre 2009 n° 2009-1524 qui oblige les avocats à récapituler les prétentions sous forme de dispositif, sous peine de quoi, le juge n’est pas tenu de statuer (art. 954 cpc), ce qui permettra au juge de reprendre cela pour rédiger plus rapidement sa décision, sans on le verra qu’il puisse s’affranchir d’une véritable motivation de sa décision par une pratique du « copier coller »…

* Ce caractère formaliste peut d’ailleurs être atténué au plan des sanctions, le non respect de certaines formes n’entraîne pas nécessairement la nullité, ou la nullité doit être subordonnée à un grief, voire, elle doit être soulevée au seuil de l’instance in limine litis…

La présence d’avocats, de spécialistes du droit se justifie alors pleinement dans les contentieux plus formalistes, plus techniques.

* Le formalisme d’ailleurs n’est pas le seul apanage de la procédure. En droit des obligations il est exploité pour protéger la partie faible au rapport juridique, en droit de la consommation, en droit du travail, ou même lorsque l’un des contractants met en œuvre une prérogative unilatérale (un pouvoir) (clause pénale, clause résolutoire) : où une mise en demeure préalable lui est imposée en vue

4 C'est-à-dire qu’elles ont vocation à s’appliquer aux procès en cours pour tous les actes de procédure ultérieurs. Ce principe est parfois mis de côté notamment si la loi nouvelle modifie les conditions de recevabilité d’un recours en réduisant les délais de la loi ancienne, elle ne s’appliquera pas aux jugements déjà rendus qui resteront soumis à la loi ancienne.5 CA Paris pôle 5, ch. 5-7,5 mai 2011 n° 2010/17460, Pratique anticoncurrentielle : prescription décennale. Les lois qui organisent les prescriptions extinctives sont des lois de procédure. Comme telles, elles ont vocation à s'appliquer immédiatement aux faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur, ainsi que le rappelle, en matière pénale, l'article 112-2 du code pénal.

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de préserver les droits du débiteur… C’est ce que l’on appelle la procéduralisation du droit des contrats.

3. Hétérogène

Notons encore que le terme de procédure civile serait trompeur s’il donnait à croire que la procédure civile est une et monolithique.

* En effet, même devant les juridictions civiles, la procédure civile se singularise suivant les juridictions concernées. A côté de la procédure civile, au sens étroit, qui renverrait à la procédure devant les juridictions de droit commun, il faut envisager la procédure suivie devant les juridictions d’exception, soit la procédure commerciale (devant le TC) la procédure prud’homale (devant le CPH), mais aussi, la procédure orale – récemment retouchée par le décret du 1° octobre 2010 - et la procédure écrite, la procédure de référé, ou le contentieux du provisoire, et la procédure sur requête, contentieux qui permet d’obtenir rapidement certaines mesures de preuve, voire certaines injonctions de faire de payer…. Elles sont toutes comprises dans une acception large du terme de procédure civile, mais conservent des spécificités. Bien sûr on s’attachera surtout aux traits communs de ces procédures entre elles, sans s’interdire de souligner certaines spécificités de chacune d’elles.

* Et à côté de ces règles écrites, certaines règles sont issues de la pratique , ou d’ailleurs des pratiques distinctes d’une ressort à l’autre, ce qui renforce encore la complexité de ce droit.

* Cette impression d’hétérogénéité s’accentue avec l’importance croissante des sources européennes et communautaires, dont les solutions ne sont pas toujours évidentes à harmoniser avec le droit national…. Ce qui donne parfois une impression de patchwork.

§3 – La distinction des termes.

Les manuels de procédure civile s’intitulent soit ainsi, soit droit judiciaire, ou droit judiciaire privé. Plus récemment, sont apparus des manuels de droit processuel (notamment un ouvrage collectif dirigé par S. Guinchard et un précis d’E. Jeuland à la LGDJ). A quoi renvoient ces termes.

A - Droit judiciaire privé

La procédure civile correspond à l'intitulé le plus classique de la matière. Mais la procédure étant vue comme une discipline aride et complexe, apanage de plaideurs mesquins - si la forme est sœur jumelle de la liberté : elle est parfois cousine de la mauvaise foi – certains préfèrent parler de droit judiciaire…

* Cette expression tente de mettre en évidence la double appartenance de la procédure au droit public et privé parce qu’elle renvoie à l’organisation du service public de la justice – de ce point de vue, les règles d'organisation judiciaire s'apparentent plus directement à du droit public - et aussi à la défense des intérêts privés des personnes physiques et morales que sont les justiciables – et de ce point de vue, la réglementation de l'action touche de plus près au droit privé : ce sont des intérêts privés qui sont en cause ce qui explique que l’ordre public soit considéré comme relatif souvent, et que l’on laisse une certaine place au contrat dans l’organisation des procédures.

* Elle traduit aussi que la procédure n’est pas seulement formaliste, elle n’est pas seulement l’œuvre des praticiens : elle procède d’une réflexion plus générale sur la théorie du procès et sur la manière de concilier les libertés du justiciable et l’organisation du service public de la justice. Derrière les règles de forme, les contraintes procédurales, se cachent des enjeux supérieurs et il faut veiller à respecter le juste équilibre entre les droits des parties au procès, entre certains principes qui peuvent entrer en contradiction les uns avec les autres (célérité/ garanties du justiciable). Derrière les principes directeurs se profile la question de la place respective des parties et du juge dans l’instance. Mais aussi pour reprendre des idées développées par des enseignants de cette université comment la justice peut elle restaurer les lien sociaux… La procédure se veut aussi un droit d’appaisement.

Comme l’enjeu sera de faire ressortir ces enjeux théoriques, ces principes fondateurs, c’est ce terme que L. Cadiet retient après R. Perrot pour désigner son manuel de procédure que l’on pourra préférer…

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* L'arbitrage, ce faisant, relève du droit judiciaire. De même que les techniques de médiation et de conciliation. Sont aussi intégrées à la matière les voies d'exécution que l'on nomme plus volontiers d'ailleurs les procédures civiles d'exécution.

Le droit judiciaire est ainsi défini par Loïc Cadiet dans son précis comme l'ensemble des règles relatives aux juridictions civiles et à la procédure civile. Il règle ainsi la question de savoir qui est le juge apte à trancher le litige et celle de savoir comment le procès est engagé et comment se déroule la procédure ?

Récemment, c’est encore à un autre terme que les auteurs de manuel et la doctrine ont pris l’habitude de se référer : celui de droit processuel qui quant à lui est plus spécifique et qui dépasse le clivage entre les notions de droit judiciaire privé – applicable devant les tribunaux civils -, de contentieux administratif - – applicable devant les juridictions de cet ordre- et de procédure pénale - devant les tribunaux répressifs.

B - Droit processuel

Le terme de droit processuel est aussi fréquemment évoqué depuis le début des années 1960… Il renvoie aux droits fondamentaux sous-jacents au travers des contraintes procédurales.

Le terme de droit processuel renvoie alors à une sorte de droit commun du procès que l’on retrouve tant dans le procès administratif que pénal ou civil (au sens large incluant commercial et social)… Voire dans les instances arbitrales (cf. D. 13 janvier 2011 qui étend à l’instance arbitrale l’application de certains principes directeurs), ou dans les recours ouverts devant certaines AAI   ! Droit commun qui a notamment été dégagé par les rédacteurs du Code de procédure civil lorsqu’ils ont défini des principes directeurs au début de ce code. Principes directeurs auxquels il faudrait sans doute ajouter les garanties du procès équitables issues des textes européens.

En effet ce terme de droit processuel invite aussi à une approche de droit comparé pour dégager ce droit commun universel du procès (pensons par exemple à l’exigence du contradictoire consubstantielle à l’acte de juger) : que l’on vérifie par la confrontation des différents droits nationaux. Peut-être au fond une occurrence de ce que l’on appelle le droit naturel…

Sans négliger les nuances existant entre les différents contentieux, leurs spécificités irréductibles, celles existant entre les différents systèmes juridiques (si l’on adopte la lunette comparatiste)  : le droit processuel s’efforce d’en dégager des notions générales (impartialité, publicité, notion de procès oral/ écrit), procédure accusatoire et inquisitoire… qui traduisent une certaine philosophie commune du procès, de la justice, propres à l’organisation juridictionnelle française, voire propre à l’organisation juridictionnelle universelle. Certains aspects de droit processuel ont également pu être envisagés en 1° année en institutions juridictionnelles.

Sous l’influence d’auteurs français et étrangers émerge ainsi à travers le droit processuel une science de la procédure.

Les apports du droit constitutionnel, mais aussi, du droit international et surtout européen, ne sont pas pour rien dans l’émergence de cette réflexion et de cette discipline. Au plan international ou européen, les clivages nationaux entre ces procédures ne sont pas toujours connus, ne serait-ce que parce que la juridiction administrative est une spécificité bien française ! Progressivement, se crée donc un fonds commun européen qui aide les procédures des différents Etats à se rapprocher au moins sur certaines garanties essentielles en préservant les spécificités procédurales nationales pourvu qu’elles se conforment à ces exigences communes de bonne justice… Il s’agit ici de dégager des principes universels issus des traditions constitutionnelles des différents Etats membres, une forme de droit naturel… Ainsi, le droit de la procédure peut donner à espérer que l’émergence de l’Union européenne ne se fasse pas seulement sur des valeurs économiques mais aussi sur des valeurs politiques et humanistes grâce au Conseil de l’Europe et à la Cour européenne des droits de l’homme.

La notion de droit processuel invite ainsi à un retour « aux fondamentaux »… aux sources du droit judiciaire qu’il convient désormais d’envisager.

Section 2 : Les sources du droit judiciaire et ses lignes d’évolution : approche dynamique de la procédure.

Evolution des sources en droit judiciaire.

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A priori, la procédure (soit la conduite du procès devant une juridiction étatique) devrait être d’origine purement nationale. D’ailleurs, en droit international privé, assez classiquement, il est acquis que le juge applique en procédure la loi de son for même si le litige présente un caractère international. Même dans les Etats fédéraux, la procédure reste assez naturellement de la compétence des états fédérés. La souveraineté de l'Etat se manifeste au travers de la procédure – soit la conduite du procès devant une juridiction étatique – elle se manifeste au travers de l'activité de ses juges, activité régalienne s'il en est.

L’on serait alors tenté de réduire les sources de la procédure à des sources purement nationales. - Et l’on songe en premier lieux aux codes – au pluriel - dédiés à la procédure. Soit le Code de procédure civile qui a perdu son qualificatif de nouveau, 30 ans après son édiction (  ! ), auquel il ne faut pas oublier d’adjoindre le Code de l’organisation judiciaire, et plus récemment le Code des procédures civiles d’exécution édicté en 2012 qui consacre le principe de l’exécution en nature des obligations (art. 111-1 cpce) longtemps discuté et qui intègre à un ocde de procédure l’instution si fréquemment pratiquée de l’astreinte art. 131-1 à 131-4 cpce 2013). Et l’on peut déplorer à cet égard la dualité de ces deux codes alors que l’idée de départ, dans les années 70, consistait à faire un grand code de la procédure.- Signalons également, parmi ces sources nationales, la présence de sources constitutionnelles et de principes généraux, qui tout en étant internes, traduisent que la procédure met en jeu des droits fondamentaux de valeur supra législative (cf. notion de droit processuel dégagée supra). Elles sont et seront encore sans doute davantage des sources d’évolution du droit judicaire privé, avec l’essor des questions prioritaires de constitutionnalité…

Mais aujourd’hui force est d’admettre l’important rôle des sources supra législatives internationales ou européennes. Ces autres sources extérieures du moins au départ au Code, ont profondément renouvelé notre procédure civile.

Toutes ces sources supra législatives, celles émanant des instances européennes, comme celles émanant de la jurisprudence constitutionnelle, s’imposent au juge judiciaire qui doit faire application des conventions internationales dûment ratifiées, comme du droit communautaire et qui doit respecter tant le jurisprudence de la CEDH que celle du Conseil constitutionnel.

Le respect de cette hiérarchie des normes par les autorités publiques et les juges permet alors d’assurer le respect des droits et libertés fondamentaux dans le droit du procès. Et l’attraction de la procédure civile par les droits fondamentaux est l’un des traits les plus marquants de l’évolution de la procédure sur ces 20 dernières années.

Comme notre procédure s’internationalise indéniablement, après avoir envisagé les sources nationales, seront étudiées les sources internationales et européennes !

§ 1 – Les sources nationales

Assez classiquement ces sources nationales renvoient à la Constitution et à la répartition des pouvoirs entre législatif et réglementaire qu’elle institue, aux codes – au pluriel !- qui régissent la matière, à la jurisprudence et au rôle de la pratique et de la doctrine.

A - Les Codes de procédure

1. La première grande expérience de codification de la procédure en droit français remonte à l'Ancien Régime. Il s'agit de la grande ordonnance royale de Colbert datant de 1667 sur la procédure civile. Louis XIV avait bien conscience que la justice est un attribut essentiel de la souveraineté.

Après la Révolution, ce sont essentiellement les règles d'organisation judiciaire qui sont modifiées: en tous cas, plus directement que celles relatives à la procédure.

Ainsi, le Code napoléonien de procédure de 1806 a repris des dispositions de l'ordonnance de 1667, mais s'est aussi inspiré de la pratique du Châtelet de Paris. Et si beaucoup de règles étaient

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inspirées de celles de l'Ancien droit, certaines innovations relatives notamment à la publicité et à la motivation des jugements6 méritent d’être signalées.

Le 19° s. n’est pas marqué par des évolutions notables du Code de procédure, mis à part l'instauration de l'assistance juridique en 1851. Pourtant, dès 1850, la nécessité d'une réforme des règles de procédure était proclamée.

Ce n’est cependant que le 1° janvier 1976 qu’est entré en vigueur un nouveau Code de procédure civile, mis en chantier à l'initiative de Jean Foyer. Ce code a été élaboré progressivement à partir des travaux d'une commission de réforme instituée en 1969. La partie relative à l'arbitrage sera élaborée plus tard en 1981. Ce nouveau Code de procédure civile avait conservé certaines dispositions de l'ancien Code de 1806, d'où le maintien de l'appellation de nouveau Code de procédure civile, plus de trente ans après son édiction. Pourtant, une loi du 20 décembre 2007 a ordonné l'abrogation des articles de l'ancien code de procédure civile, et changé la dénomination de ce code, qui perd désormais son qualificatif de nouveau...

Tout le monde s’accorde pour louer ce code doctrinal, édifié notamment par le doyen Cornu et par J. Foyer, sous l'inspiration de Motulsky, décédé en 1971.

- Sa première, partie qui dégage les principes directeurs du procès a en particulier été particulièrement remarquée.

- La rationalité de son plan a par ailleurs été saluée : il va du droit commun livre 1 aux droits spéciaux (livre 2, 3 et 4), qui favorise la mise en lumière d’un droit commun du procès.

- Le style clair et simple de ses termes si rare aujourd’hui a été loué. Y figurent également des définitions. On reconnaît ici l’œuvre du doyen Cornu, spécialiste de linguistique juridique.Ce nouveau Code met fortement l'accent sur l'office du juge sans pour autant abandonner le

principe dispositif : il en résulte un souci constant de favoriser le dialogue entre les parties et le juge... Dialogue qui commence dès la mise en état que ce nouveau Code de procédure institue officiellement, phase préliminaire qui a depuis lors gagné en importance en ce qu’elle permet de rationaliser ensuite l’ensemble de l’activité du juge et de gagner du temps. Dialogue qui se traduit par le souci de favoriser la conciliation, y compris sous l'égide du juge, à n'importe quel stade du procès.

Il a permis de dégager un fonds commun procédural du droit privé relatif au rôle des parties et du juge, aux moyens de défense, aux acte et délais de procédure, à la preuve et aux voies de recours.

On pourrait, depuis lors, déplorer les défigurations progressives dont ce texte a pu faire l'objet, compte tenu des multiples réformes ultérieures, la justice est en chantier permanent - pensons à la récente refonte de la carte judiciaire qui a fait grand bruit... Cette rénovation est une nécessité, face à une justice en crise, face à l'accroissement de la demande judiciaire, et face à l'avènement des nouvelles technologies, mais cette instabilité ne fait pas gagner de cohérence à la matière. Faute de moyens financiers supplémentaires, la réflexion doit se concentrer sur une rationalisation du travail judiciaire.

Une importante réforme du Code de procédure civile avait été envisagée en 1995 avec le rapport remis au Garde des Sceaux : elle n’a pas vu le jour mais s’imposerait sans doute pour éviter une perte de la cohérence d’ensemble du fait de l’action conjuguée du législateur, du pouvoir réglementaire et de la jurisprudence. Signalons néanmoins qu’une réforme de la 1° instance et surtout de l’appel a été entreprise en 2009.

2. En plus de ces dispositions de l'ancien Code de procédure aujourd'hui intégrées au Code de procédure, pour être exhaustif sur les règles de la procédure civile, il faut également se référer au Code de l'organisation judiciaire, sachant que cette organisation judiciaire a connu d'importants bouleversements avec l'avènement de la V° République.

La codification de 1978 sur l'organisation judiciaire a fait l'objet de critiques abondantes si bien que le Code de l'organisation judiciaire a récemment été refondu par une ordonnance du 8 juin 2006 dans sa partie législative. La nouvelle partie réglementaire du Code de l’organisation judiciaire le COJ résulte quant à elle d’un décret du 2 juin 2008 (D. 2008-522, D. 2008 p. 1542 et Procédures 2008 alerte 26). Il a été pris le partie de faire de ce Code un code suiveur, bon nombre de ses dispositions ayant rejoint d'autres codes parfois substantiels, pour ce qui est des tribunaux de commerce par 6 Elle date de la déclaration des 16 et 24 août 1790 confirmée par la Constitution du 5 fructidor an III qui sanctionnait par une nullité les textes qui en sont dépourvus

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exemple, les textes ont été replacés dans le Code de commerce, ou pour les conseils de prud'hommes, dans le Code du travail. Il est regrettable que l'occasion n'ait pas été saisie de réunir les deux codes.

Et sans doute aussi dans une conception large de droit judiciaire, le Code des procédures civiles d’exécution édicté en 2012, même si dans le contenu de ce cours il ne sera pas abordé.

3. Il faut y ajouter désormais le code des procédures d’exécution, entré en vigueur au 1° juin 2012, sans doute le dernier né des codes français, qui a permis de codifier un certain nombre de dispositions issues des lois de 1991 sur le juge de l’exécution, les procédures civiles d’exécution, sur l’astreinte7… Car il s’agit d’une codification à droit constant et non d’un grand code !

Le code a d’ailleurs été rédigé en deux parties :

- l'ordonnance no 2011-1895 du 19 décembre 2011 relative à la partie législative du code des procédures civiles d'exécution qui entre en vigueur le 1er juin 2012, et,- le Décret no 2012-783 du 30 mai 2012 relatif à la partie réglementaire du code des procédures civiles d'exécution qui entre en vigueur en grande partie le même jour.

Le pluriel est donc de mise…

4. Sachant qu’au surplus certains textes régissant les statuts des différents corps de la justice ne sont au demeurant toujours pas codifiés. Il en va de même de ceux relatifs à l'aide juridique (loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique).

B - La répartition des pouvoirs entre législatif et règlementaire

D’après l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, la loi fixe les règles relatives :- à la création de nouveaux ordres de juridictions, - au statut des magistrats- on y ajoute aussi fréquemment les principes fondamentaux du procès.Le reste relève en vertu de l’article 37 de la Constitution du pouvoir réglementaire. C’est admettre

directement le rôle considérable du pouvoir réglementaire en matière procédurale, notamment, sur toutes les questions de compétence et de procédure civile stricto sensu.

Cela peut paraître étonnant : compte tenu du caractère protecteur du formalisme, « Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté " (Jhering, L’esprit du droit romain 1887)?

Il faut pourtant reconnaître que cette répartition des compétences a permis de réformer plus facilement et d’adapter plus facilement les règles du procès aux besoins d’une société qui change de plus en plus vite…. Ce n’est donc pas une mauvaise chose….

D’ailleurs, dans les débats actuels sur la codification, il apparaît que le Code de procédure civile actuel - longtemps baptisé NCPC - a été adopté par un décret en date du 5 décembre 1975 n° 75-1123 et que c'est ce mode d'adoption qui lui a permis de garder sa cohérence d’organisation (sans les risques suscités par la multiplication d’amendements parlementaires) - justement parce qu’il relevait essentiellement du pouvoir réglementaire. Son adoption s’est faite relativement rapidement, puisque les travaux ont commencé en 1971 1972.

De ce fait aussi, les adaptations du Code de procédure civile –voire ses déformations, ont par la suite, été facilitées, la Chancellerie pouvant ainsi plus facilement se montrer à l'écoute des magistrats et des justiciables. Cela explique en contrepoint une certaine instabilité des textes de procédure civile et une modification des grands équilibres du cpc depuis son édiction.

Cela explique aussi le faible rôle des QPC en matière de procédure, puisque les décrets quant à eux ne peuvent faire l’objet d’une QPC. En revanche les décrets relèvent du contrôle de conventionalité, qui sans aboutir à l’abrogation, permet d’écarter un texte de procédure qui ne garantirait pas les règles du procès équitable…

S’agissant de la création de nouveaux ordres de juridictions, le Conseil constitutionnel adopte une vision extensive de cette notion, estimant par exemple que toute modification substantielle de la

7 Il s'agit d'une codification à droit constant, de différents textes dont la Loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution et le Décret no 92-755 du 31 juillet 1992 Instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution

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composition ou de la compétence d’une juridiction ou de son statut est une création (DC 9 février 1965, D. 1967 p. 405 et DC 20 juillet 1977, D. 1978 p. 701). Ainsi, c’est une loi qui a institué le juge des enfants, le juge aux affaires familiales ou le Juge de l’exécution.

Précisons également que les limites de la compétence entre ordre administratif et ordre judiciaire relèvent de la loi ainsi que la procédure pénale qui touche plus directement la liberté des individus. De la sorte, bascule dans le domaine législatif la procédure pénale, alors que les procédures administratives et civiles relèvent du pouvoir réglementaire.

C - La jurisprudence.

1. La jurisprudence constitutionnelle et administrative

Dans le cadre de sa mission de contrôle de la constitutionnalité a priori des lois, le Conseil constitutionnel a découvert différents principes fondamentaux que doit respecter le Parlement et qui forment un véritable droit processuel constitutionnel. Ces principes sont fondés tant sur la Constitution, que sur les éléments du « Bloc de constitutionnalité ». Y figurent, par exemple, le droit d'exercer un recours effectif devant une juge, le principe d’indépendance des juridictions qui exclut toute immixtion des pouvoirs législatif et réglementaire dans la fonction juridictionnelle, l'égalité devant la justice, le respect des droits de la défense.

Ainsi, on assistait déjà avant 2010 à une certaine constitutionnalisation de la procédure civile, qui s'inscrivait dans un contexte plus général de constitutionnalisation du droit.

Ce contrôle de la constitutionnalité des textes procéduraux devrait pendre toute son ampleur et permettre d’éliminer peu à peu les textes anciens qui ne respectaient pas ces grands principes fondamentaux avec l’essor constaté du contrôle de constitutionnalité, puisque l'exception d’inconstitutionnalité est désormais consacrée…

Signalons également que la légalité et la constitutionnalité des décrets est quant à elle soumise au Conseil d'Etat qui a pu lui aussi dégager des principes fondamentaux de procédure par sa jurisprudence, dans cette matière réglementaire par excellence. Ainsi, le Conseil d'Etat s'est dès 1976, fait le garant du respect du contradictoire, interdisant au juge de relever d'office un moyen sans avoir soumis la question au débat contradictoire des parties.

Ajoutons également que au delà du contrôle en amont de la légalité et de la constitutionalité des textes s’exerce désormais a posteriori, par voie d’exception et peut-être déféré par les juridictions judiciaires après un filtre des juridictions suprêmes, en l’occurrence de la Cour de cassation, une compétence exclusive étant ici ménagée au Conseil constitutionnel.

L’incidence de la QPC en droit judiciaire s’est déjà fait sentir allant parfois jusqu’à consacrer l’abrogation de certaines juridictions dont les textes institutifs ne garantissent pas les principes constitutionnels. Certaines de ces QPC seront envisagées au fil des développements, car elles traduisent un illustration plus ponctuelle de certains aspects de la théorie de l’action ou de la juridiction qui seront principalement envisagés ici, mais d’ores et déjà on peut illustrer leur incidence, au travers d’une décision récente relative à l’indépendance et l’impartialité des Tribunaux de commerce mise en cause à l’occasion d’une QPC en 2012. Sans tabou8, comme la Cour de cassation a eu à l’occasion de le faire pour la juridiction prud’homale, à l’occasion d’un contrôle de conventionalité9, le Conseil constitutionnel vient d’écarter le grief tiré d’un défaut d’indépendance et d’impartialité des Tribunaux de commerce, composés eux aussi de juges élus par leurs pairs 10. Le sort de la juridiction consulaire est plus heureux que celui des Tribunaux maritimes, autre juridiction commerciale, mais à composition échevinale cette fois. Le défaut d’indépendance de la juridiction maritime, dénoncé quelques mois plus tôt, à raison de sa composition et de ses liens trop ténus avec l’administration, a conduit à l’abrogation du texte fixant leur composition, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité11. S’agissant des Tribunaux de commerce, ce ne sont pas les liens avec

8 F-X. Lucas, Tribunaux de commerce, une QPC désogbligeante, LEDEN 2012 4 n° 63. 9 Soc. 19 décembre 2003, n° 02-41429, Bull. V n° 321, et reprenant l’attendu de principe de cet arrêt Civ. 2, 20 octobre 2005 n°03-19979, Bull. II n° 271.10 QPC 4 mai 2012 2012-241, D. 2012 p. 1626, JCPE J. Vallansan n°23 p. 32, JCP G2012 n° 20 p. 986 n. C. Bléry, Rev. Lamy droit des affaires n° 72 p. 17, GP 2012 n° 252 p. 34 n. S. Amrani Mekki11 Cons. const., 2 juill. 2010, n° 2010-10 QPC, Rev. Transports n° 9 2010 alerte 82

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l’exécutif qui soulèvent des difficultés, mais plutôt les liens avec les justiciables, puisque ce sont des juges élus parmi les commerçants et qui de ce fait risquent d’être soumis à des pressions peu propices à l’exercice souverain de la fonction juridictionnelle. L’angle neuf du respect des garanties constitutionnelles reflète les potentialités offertes par la question prioritaire de constitutionnalité. L’institution, l’un des piliers de l’autonomie du droit commercial, risquait d’être ébranlée, puisque d’autres juridictions d’exception n’ont pas été épargnées, sur ce terrain de l’indépendance. Sans passer par la technique des réserves de constitutionnalité, la décision du Conseil invite à dépasser l’affirmation de l’indépendance et de l’impartialité, comme une donnée acquise une fois pour toutes (cf. considérant 32). Une impulsion est ainsi donnée au futur législateur, puisque la décision souligne qu’« il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives aux conditions d'accès au mandat de juges des tribunaux de commerce afin de renforcer les exigences de capacités nécessaires à l'exercice de ces fonctions juridictionnelles », en valorisant au passage « l’expérience professionnelle dans le domaine économique et commercial » de ces juges non professionnels adaptée à la compétence particulière des tribunaux de commerce, spécialisés en matière commerciale. Impulsion à laquelle la Chancellerie n’est pas restée insensible, puisqu’elle réfléchit déjà à une réforme de ces tribunaux12. L’introduction de l’échevinage, pourtant préconisée par le rapport de l’Assemblée Nationale et par le récent rapport Marshall sur la justice du XXI° siècle pour renforcer l’indépendance et l’impartialité de la juridiction, ne serait cependant plus de première nécessité… Impulsion suivie aussitôt d’effet puisqu’un rapport d’information de l’assemblée nationale du 24 avril 2013, sur le rôle de la justice en matière commerciale, présenté par Mme C. UNTERMAIER ET M. M. BONNOT, propose de réformer le mode d’élection des juges consulaires, de renforcer la déontologie et la formation de ces juges. Un autre a été rendu par la commission du club des juristes cet été sur le sujet.

Voir N. Jacquinot et A. Mangiavillano, Droit constitutionnel (QPC) en droit jud D. 2013 p. 1585

Pour le reste l’emprise de la QPC sur le Code de procédure civile est limitée dans la mesure où les dispositions du cpc sont pour beaucoup d’ordre réglementaire et n’entrent pas dans le champ de l’article 61-1 de la Constitution de sorte que le QPC exercée à leur encontre serait jugée irrecevable (cf. Civ. 2, 31 mai 2012 n° 12-40030). L’illégalité de ces dispositions réglementaires relève alors d’une question préjudicielle devant le juge administratif et non devant le Conseil Constitutionalité, (le texte n’étant pas alors abrogé pour autant, alors qu’en cas d’inconstitutionnalité, la procédure de question prioritaire d’inconstitutionnalité aboutit, au terme d’un délai qui ne devrait pas dépasser 12 mois, à une abrogation de la disposition attaquée à compter de la publication de la décision du Conseil, ou de la date qu’elle fixe).

Il a néanmoins conduit à condamner la pratique es auto-saisines en droit des procédures collectives dans une décision remarquée du 7 décembre 2012, une autre question de ce type ayant encore récemment été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Ce contrôle de constitutionnalité s’ajoute et se combine au demeurant avec le contrôle de conventionalité (même si le contrôle de constitutionnalité a été qualifié de prioritaire pour régir l’articulation des deux) mais cette fois le contrôle de conventionalité n’est pas exercée par le Conseil constitutionnel qui a refuse de le faire mais directement par les juridictions judiciaire.

2. La jurisprudence judiciaire

En dehors même du contrôle de conventionalité, qui peut être l’occasion pour le juge d’affirmer par exemple dans des décisions récents l’importance de l’accès au juge pour le salarié partie faible, la jurisprudence judiciaire constitue aussi une source importante notamment en procédure civile, puisque le juge est directement aux prises des contraintes pratiques qui apparaissent . C’est en particulier à la 2° chambre civile de la Cour de cassation qu’il revient plus particulièrement

Sur l’inconstitutionnalité de la composition des commissions départementales d'aide sociale, Cons. const., déc. 25 mars 2011, n° 2010-110 QPC, Droit administratif 2011 n° 6 com. n° 55 J. Boudon.12 Les échos 18 oct. 2012, Tribunaux de commerce : réformer sans stigmatiser, par JC Magendie. Le président de la Conférence nationale des juges consulaires souligne aussi que les juges que l’institution est prête à évoluer, ce que confirment les rapports du Conseil National des tribunaux de commerce cf. Rev. Lamy droit des affaires n° 72 p. 17.

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d’interpréter les lois de procédure, mais toutes les autres chambres, inévitablement connaissent des questions procédurales, si bien qu’ici comme ailleurs il peut y avoir des divergences de jurisprudence. La 1° chambre civile est plus particulièrement compétente pour les litiges internationaux et l’arbitrage.

Au titre des grands arrêts de la jurisprudence processuelle, en lien avec la matière de ce cours signalons plus particulièrement deux arrêts rendus en Assemblée plénière, signe s’il en est que le droit judiciaire est au cœur du travail du juge : l'arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 qui se prononce sur la définition et les contours de l'autorité de la chose jugée. Il redéfinit les frontières de l’autorité de la chose jugée en les élargissant et qui oblige les parties à invoquer l’ensemble des moyens de droit et de fait nécessaires au soutien de leur prétention faute de quoi, si elles poursuivent la même fin, elles ne seraient plus recevables à le faire dans le contexte d’un autre procès – que l'on étudiera plus précisément -, et le non moins remarqué et controversé arrêt d'AP du 21 décembre 2007, statuant sur l'office du juge qui énonce que celui-ci n’a pas l’obligation de relever d’office un moyen de droit... Sachant que déjà certaines incertitudes de ces deux jurisprudences respectives conduisent certains à appeler de leurs vœux une nouvelle intervention de cette formation solennelle.

Ces innovations jurisprudentielles sont d’ailleurs parfois consacrées par la suite dans les textes, c’est le cas du principe de concentration des moyens qui découle de la nouvelle définition de l’autorité de chose jugée puisque le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 réformant la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile consacre dans le Code de procédure civile, ce principe posé par la jurisprudence en 1° instance se trouve étendu à l’appel. La possibilité de présenter des demandes complémentaires ou accessoires reste ouverte par l’article 564 cpc, mais à condition de respecter un impératif de délai : l’appelant à peine de caducité de la déclaration d’appel dispose en effet d’un délai de trois mois pour conclure, sanction qui pourra être relevée d’office par ordonnance du conseiller de la mise en état (art. 908 cpc)…. C’est donc un principe de concentration revisité, envisagé sous un aspect plus temporel.

Ces arrêts ont suscité d’abondants commentaires et des appréciations réservées, en ce que, combinés l’un avec l’autre ils redéfinissent les rôles respectifs des parties et du juge en déchargeant ce dernier, et en chargeant les premières, assistées, certes, de leurs conseils… Ces évolutions jurisprudentielles critiquées et critiquables, en ce qu’elles vident l’office du juge – dire le droit - d’une grande partie de son contenu, traduisent le souci de rationaliser la procédure, et d’accélérer le processus judiciaire, à moyens financiers quasi constants, ou en tous cas réduits, crise oblige… L’autorité de la chose jugée joue alors un rôle de police des procédures selon les termes du doyen Wiederkehr (note JCP 2007 II 10070 sous cet arrêt). Elle est instrumentalisée comme moyen de sanction d’un principe de loyauté…

Derrière ces arrêts et derrière l’autorité de ce qui a été jugé ou plutôt comme le soulignent ironiquement certains, de ce qui n’a pas été jugé se profilent des enjeux de société considérables, notamment quant à la prise en compte des intérêts du justiciable 13. Certains résument la position actuelle de la jurisprudence à une sorte de déni de justice…

Cette manière de voir l’office du juge en retrait paraît au demeurant en décalage avec la conception assez exigeante de l’office du juge de la CEDH notamment à propos des délais raisonnables (CEDH 3 février 2009, Proc. 2009 n° 81 précité et sa définition du principe dispositif) ou encore de celle de la CJUE sur le relevé d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle dans un contrat conclu avec un consommateur - qui est une obligation et non une simple faculté pour le juge communautaire, en matière de clause abusive, et « si le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet » (CJUE 4 juin 2009, Pannon, LEDC 2009 n° 8 p. 6, voir aussi CJUE 6 octobre 2009, LEDC 2009 n° 12 p. 7 ; et plus récemment encore, allant jusqu’à imposer au juge national de prendre d’office des mesures d’instruction afin d’obtenir les éléments nécessaires pour apprécier l’abus (cf. CJUE 9 novembre 2010 n° C-137/08, LEDC 2011 n° 031 n. Sauphanor14) et plus

13 Cf. S. Guinchard, « L’autorité de la chose qui n’a pas été jugée à l’épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour le juge de changer le fondement juridique des demandes », Mélanges Wiederkehr D. 2009 p. ?14 La jurisprudence Pannon était encore confirmée récemment et rejoint d’ailleurs dans ces derniers développe-ments certaines exigences du droit français quant au respect du contradictoire (cf. CJUE 21 février 2013 n° C-472/11. L’arrêt rappelle que la directive du 5 avril 1993, relative aux clauses abusives

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récemment encore, sur le pouvoir (faculté) de relever d’office la sanction de la violation d’une obligation d’information (CJUE 17 décembre 2009, LEDC 2010 n° 2 p. 6).

Pourtant, un arrêt récent de la CEDH vient d’affirmer qu’il n’existe pas d’atteinte au droit au procès équitable si la Cour de cassation applique immédiatement un revirement de jurisprudence survenu avant la formation du pourvoi et connu des parties, et en conséquence si l’irrecevabilité de la demande est consacrée pour non respect du principe de concentration des moyens, le demandeur n’ayant pas concentré tous ses moyens devant la juridiction pénale pour obtenir réparation de son préjudice (CEDH 26 mai 2011, n° 23228, Procédures 2011 n° 229, JCP 2011 1397 p. 2493 obs. Y-M. Serinet). Certes, la conventionalité du principe de concentration des moyens n’était pas directement en cause, la question étant plutôt orientée vers celle de l’application immédiate des revirements de jurisprudence, toutefois, il convient de noter que la CEDH parle explicitement de concentration des moyens et non de concentration des demandes…

La CEDH avait d’ailleurs auparavant reconnu la conventionalité du principe de l’unicité d’instance prud’homale, dont s’est inspiré la jurisprudence Cesareo. Dans son raisonnement, elle intègre les impératifs de bonne administration de la justice et de loyauté procédurale (CEDH 23 octobre 2007, n° 17779/04 Beauseigneur c/ France).

Ce dernier exemple et les évolutions qui interviendront certainement à l’avenir sur ces questions traduisent les interactions des jurisprudences entre elles.

Notons néanmoins, qu’il n'existe pas de recueil des grands arrêts de la procédure française. Pourtant un tel ouvrage trouverait assurément sa place puisqu’en 2011 la Cour de Cassation a encore rendu plusieurs arrêts en formation plénière sur la loyauté des preuves devant l’AMF15, sur la qualification procédurale de la nullité invoquée par voie d’exception16… Ce sont souvent des questions pratiques, qui renvoient à des enjeux quotidiens pour les tribunaux comme la question de la portée probatoire de l’expertise amiable et de l’expertise judiciaire irrégulièrement élaborée17.

D - La pratique et la doctrine

1. La procédure est souvent présentée comme une pratique – certains diraient un art ! – faite de procédé et de formalités. La pratique judiciaire – qui se distingue de la jurisprudence - renvoie à l’ensemble des usages locaux, variables d’une juridiction à l’autre - : on parle parfois d’usage du palais. Ces pratiques manifestent une mise en œuvre adaptée aux exigences locales des règles du Code de procédure civile. Ainsi, la mise en état n'est pas pratiquée de manière uniforme sur tout le territoire. C’est une forme de coutume…

La pratique est à l’origine de dispositifs consacrés ultérieurement par le législateur (ainsi en est-il, par exemple, du référé, inspiré de la pratique du Châtelet de Paris, et consacré ultérieurement par les textes, comme le recours aux amici curiae, ou encore en matière commerciale des pratiques de RA. Ainsi, la radiation conventionnelle du rôle à la demande des parties est une pratique consacrée par la jurisprudence puis par les textes qui l'ont qualifié de retrait – conventionnel – du rôle (cf. Décret du 28 décembre 1998). Parfois, ce sont les magistrats eux-mêmes qui suggèrent les innovations...

dans les contrats de consommation, doit être interprétée comme imposant au juge natio-nal de relever d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle, sans qu’il soit tenu, d'attendre que le consommateur demande que la clause soit annulée. Toutefois, il sou-ligne le principe du contradictoire impose, en règle générale, au juge qui a constaté d'of-fice le caractère abusif d'une clause contractuelle d'en informer les parties au litige et de leur donner la possibilité d'en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure. Le juge doit, également afin de porter une appréciation la clause tenir compte de toutes les autres clauses du contrat.

15 AP 7 janvier 2011, n° 09-14316, JCP 2011 666 obs. YM Serinet qui étend l’application des règles relatives à la loyauté de la preuve au contentieux devant l’AMF qui ne relève pourtant pas de toutes les dispositions du cpc.16 AP 22 avril 2011 LEDC juin 2011 n° 6 p. 3 n. G. Guerlin, D. 2011 p. 1870 n. O Deshayes et YM Laithier, JCP 2011 715 n. Y-M. Serinet.17 Ch. Mixte 28 septembre 2012, n° 11-18710 (n° 271 P+B+R+I), Dalloz 2012 p. 2317 et Ch. Mixte 28 septembre 2012, n° 11-11381 (n° 270 P+B+R+I), Dalloz 2012 p. 2317, Procédures 2012 n° 321 n. R. Perrot, JCP G 2012 1200 n. Amrani Mekki

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La procédure présente certes des aspects théoriques mais est avant tout un droit de praticiens, fait en grande partie par eux et pour eux, pour remédier à des difficultés pratiques que révèlent l’expérience des procès, et qui évoluent ainsi au gré des difficultés qui surgissent à l’usage.

Ces difficultés ont suscitent une réflexion sur les procédures orales dont le rapport Guinchard, rendu en juin 2008, se fait le relais, parce que le statut de l’écrit, y est encore ambigu, et que leur régime est source d’insécurité juridique.

Les frontières entre l’écrit et l’oral sont par ailleurs mises à mal par l’avènement des nouvelles technologies, ce ne sont à proprement parler ni tout à fait des écrits ni tout à fait de l’oral mais de l’oral formalisé ou matérialisé, ou encore, d’écrit oralisé qui a suscité des aménagements par un décret d’octobre 2010… Où classer le recours à la visioconférence ? Le SMS n’est ni tout à fait de l’oral ni tout à fait de l’écrit)… Le procès devrait permettre de retisser des liens et le recours aux nouvelles technologies ne le favorise pas toujours…

Et le recours aux nouvelles technologies pose alors de nouvelles questions : faut il les généraliser comme source d’accélération de modernisation du droit du procès. Ne faut-il pas laisser une certaine place au principe de présence dans certains contentieux. La procédure doit aussi favoriser l’apaisement, créer de nouveaux liens, ce qui n’est pas nécessairement favorisé par le recours systématique aux nouvelles technologies ?

2. Parmi les grands noms de la doctrine l'on ne peut pas ne pas évoquer celui d'Henri Motulsky grand concepteur du nouveau Code de procédure civile, celui du doyen Cornu récemment décédé qui a été la plume de ce code. Mais il faudrait également citer Tissier Vizioz et Morel, ainsi que Henri Solus et P. Hébraud et bien sûr J. Foyer. Cette doctrine a su inspirer des réformes importantes de la procédure civile et mérite, à ce titre, son statut d'autorité pour reprendre le vocabulaire du doyen Cornu, sinon de source du droit...

§ 2 – Les sources internationales

Ces sources internationales exercent une emprise croissante sur notre droit national, et plus généralement, l’internationalisation des rapports de droits se traduit par de nouveaux enjeux procéduraux et des phénomènes de compétition entre les ordres juridiques et de forum shopping qui se sont illustrés l’an dernier avec l’affaire Vivendi. Des actionnaires français ont engagé une action devant les Tribunaux américains, en vue notamment de bénéficier des mécanismes de class action américain et des facilités de preuve qu’offrent les mécanismes de discovery. Et si la Cour d’appel de Paris en la matière a jugé qu’il n’y avait pas là abus de forum shopping, la Cour Suprême américaine s’est montrée quant à elle nettement plus réservée sur l’admission de ce type de recours devant les juridictions américaines18. Récemment ce type de problème s’est à nouveau posé en droit social…

Envisager les sources internationales, au sens large, suppose dans le contexte de l’intégration communautaire, de distinguer les sources internationales stricto sensu et les sources européennes et communautaires.

I - Les sources internationales stricto sensu

Il existe différentes conventions internationales, notamment relatives à la compétence des juridictions pour les litiges internationaux ou encore à la reconnaissance et à l’exécution des jugements étrangers qui peuvent être bilatérales ou multilatérales.

Trois seulement seront ici spécialement signalées.

1. Le Pacte des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 qui consacre le droit à un procès équitable (art. 14§1).

2. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, soit la convention de New York du 26 janvier 1990, qui évoque la possibilité pour l’enfant de s’exprimer devant le tribunal : celle-ci a été reconnue comme directement applicable devant les tribunaux français. En effet, toute la 18 CA Paris 28 avril 2010, RJCom 2010 n° 4 p. 338, Joly 2010 § 104 n. Couret et Dondero, GP 28 29 mai 2010 p. 11, D. 2010 AJ p. 1224). Et CS juin 24 juin 2010 Morrison c/ National Australia Bank

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difficulté pour des traités est de savoir s’ils sont directement exécutoires, self executing devant les juridictions nationales…. Les traités mettent avant tout des obligations à la charge des Etats qui en sont les signataires, et n’ont pas vocation a priori à s’appliquer entre les particuliers…

3. Signalons également la DUDH du 10 décembre 1948 (art. 10 et 11), qui comporte également des éléments relatifs à la procédure et qui fixe un certain nombre de principes directeurs… La DUDH a d’ailleurs directement inspiré le Pacte des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966.

4. Evoquons de la soft law enfin, puisque le récent rapport du Conseil d’Etat invite le juriste à mieux la prendre en considération : les règles transnationales de procédure civile applicables au litige du commerce international de l’American Law institute19 adoptés en avril 2004 soit les principes Unidroit qui sont le pendant des principes Unidroit en droit des obligations. Ils constituent la pâle ébauche d’un droit procédural transnational.

L’importance des sources internationales – stricto sensu - est toutefois moindre par rapport aux sources européennes.

II – Les sources européennes

L'essor des sources supralégislatives, en droit procédural, se traduit incontestablement par un 'européanisation' de la procédure. A cet égard, il faut distinguer le droit communautaire et européen : leur importance respective est en effet en voie d’évolution…

A - Le droit processuel communautaire

La procédure est restée, au plan communautaire, l’un des socles de la territorialité du droit, et l’une des manifestations de la souveraineté des Etats, au nom du principe de subsidiarité. Pourtant, la multiplication des relations juridiques dans l’Europe des 27 a conduit à poser certaines règles d’harmonisation des procédures, même s’il n’existe pas à proprement parler de droit procédural communautaire abouti – tout au plus les prémisses d'un droit processuel. Ce droit s’applique pour l’heure essentiellement aux litiges intracommunautaires.

1. Les premiers traités institutifs de l’UE avaient, quant à eux, au départ une visée davantage économique et ne s’étaient pas à proprement parler intéressés à la procédure ou à l’organisation judiciaire sauf à évoquer l’instauration d’une Cour de Justice pour interpréter le droit communautaire et mettre en place un renvoi préjudiciel devant la CJUE pour garantir une interprétation uniforme des traités institutifs. Le tournant est amorcé avec le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997.

La Constitution européenne a été l’occasion de relancer les bases de principes procéduraux communs largement inspirés d’ailleurs de la Convention européenne des droits de l’homme. La Charte des droits fondamentaux de l’UE intégrée au traité de Lisbonne, et entrée en vigueur en même temps que celui-ci, organise à son article 47 « le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ». Les points communs de cette disposition avec l’article 6§1 de la CESDH sont évidents, mais il ne restreint pas expressément ce droit aux seules obligations de caractère civil. Or, cette charte a désormais même valeur que le traités de l’Union (TFUE).

Or s’agissant des traités fondateurs, ils comportent d’autres dispositions relatives à la justice, notamment dans un TITRE V intitulé l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Le TFUE dans son article 4 refondu consacre l’Union européenne comme un espace de liberté, de sécurité et de justice. Et précisément cet espace est consacré comme un domaine de compétence partagée entre les Etats et l’UE ce qui marque une évolution par rapport aux textes originaires.

Ajoutons que l’article 67 (ex-article 61 TCE et ex-article 29 TUE énonce que « l'Union consti-tue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des diffé -rents systèmes et traditions juridiques des États membres » (…).

Et l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’UE TFUE précise que l’Union européenne développe une coopération judicaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur un principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extra judiciaires.19 Pr Frederique Ferrand rept la France.

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2. Signalons également que la jurisprudence de la CJUE a apporté sa contribution dans l’élaboration d’un droit procédural communautaire permettant, en particulier, au justiciable, par l’intermédiaire du droit à un recours juridictionnel effectif, de faire respecter les droits qu’ils tiennent des règles communautaires.

* La J de la CJUE a ainsi consacré des principes généraux du droit communautaire découlant des traditions constitutionnelles des Etats membres et consacrés par la Conventions européenne des droits de l’homme important ainsi dans l’UE la valeur obligatoire des garanties procédurales découlant notamment de l’article 6§1 de la CEDH. L’article 6.3 du TFUE reprend «  ces principes généraux ».

* Signalons également le principe de non discrimination consacré par la CJUE, et auquel elle donne une portée procédurale indéniable, puisqu’il conduit notamment à imposer directement aux Etat de simplifier les formalités de reconnaissance et d’exécution réciproques des décisions judiciaires et des sentences arbitrales.

* Signalons enfin que la jurisprudence communautaire interfère avec la controverse française sur le rôle du juge dans l’application du droit et sur son pouvoir de relever d’office un moyen de droit en vertu de l’article 12 cpc, en droit de la consommation (arrêt Pannon et ses suites…), arrêts déjà évoqués.

3. Enfin au titre du droit dérivé, différents règlements relatifs à la coopération judicaire ont été adoptés depuis le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 entré en vigueur le 1° mai 1999 - qui a transféré le domaine de la coopération judiciaire dans le 3° pilier. Signalons toutefois que ces règlements ne s’appliquent pas au RU en Irlande et au Danemark qui n’ont pas adhéré au titre IV du traité CE qui institue cette coopération judiciaire… - Ainsi, ont été adopté un règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. - Un autre du 29 mai 2000 également relatif aux signification et notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extra judiciaires en matière civile et commerciale qui a depuis été abrogé et remplacé par le règlement du 13 novembre 2007, entré en vigueur le 13 novembre 2008. - Il faut également évoquer le règlement dit Bruxelles I du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civiles et commerciales qui remplace la convention de Bruxelles de 1968 et qui devrait faire l’objet d’une révision d’ici peu puisqu’il a fait l’objet d’un livre vert, le 21 avril 2009 20. Et le règlement dit Bruxelles II du 27 novembre 2003 entré en vigueur le 1° mars 2005 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières en matière matrimoniale et parentale, Il vient d’être refondu dans le règlement du 12 décembre 2012 ( n° 1215/ 2012) dont il sera question dans ce cours qui en modifie les grands équilibres.- Il faudrait y ajouter le règlement du 28 mai 2001 n° 1206-2001 relatif à la preuve, - Et le règlement du 21 avril 2001 entré en vigueur le 21 octobre 2005 créant un titre exécutoire européen. - Un règlement du 12 décembre 2006 entré en vigueur le 12 décembre 2008, a en outre récemment créé une procédure d’injonction de payer européenne. - Un autre règlement adopté le 11 juillet 2007 crée une procédure européenne applicable aux petits litiges ne dépassant pas 2000 euros. Ces deux règlements ont d’ailleurs donné lieu à un récent décret du n° 2008-1346 du 17 décembre 2008 relatif aux procédures d’injonction de payer de règlement des petits litiges.- Enfin le 18 décembre 2008 était adopté un règlement relatif aux obligations alimentaires.- Et aussi le règlement du 4 juillet 2012 sur le reconnaissance et l’exécution des décisions et acte authentiques en matière de successions créant également un certificat successoral européen.- Ajoutons que la Commission vient d’adopter le 21 mai 2013 un règlement et une directive (Règle-ment n° 524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation accompagné d’une direc-tive n° 2013/11 du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation). La directive devra être transposée au plus tard le 9 juillet 2015 et le règlement s’appliquera dans les six mois qui suivront cette transposition, soit le 9 janvier 2016.

20 Sur ce point cf. D 2011 p. 81 C. NOURISSAT, Révision du règlement « Bruxelles I » : à vos claviers, Procédures 2009 repère n° 6.

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Sont aussi à l’étude une proposition de règlement sur le droit applicable et la compétence en matière matrimoniale dite Rome III.

Il se forme de la sorte progressivement un droit judiciaire européen plus ou moins cohérent qui n’est plus un droit international classique fondé sur la souveraineté des Etats. Ce n’est pas non plus un droit procédural uniforme, c’est un espace judiciaire européen.

Le juge national doit parfois appliquer directement ces règlements dans la mesure où le litige fait intervenir des ressortissants de plusieurs Etats de la communauté et où ils sont des litiges transfrontaliers.

4. Au titre du droit dérivé l’on pourra s’étonner que les directives, outils particulièrement prisés en matière de coopération et d’harmonisation, parce qu’elles sont plus respectueuses des diversités des législations nationales ne soient pas aussi nombreuses que les règlements. Pourtant là encore, il en existe plusieurs en matière procédurale : elles traduisent encore la prégnance du droit communautaire.

La France a ainsi transposé la directive n° 2003/8/CE du 27 janvier 2003 relative à l’aide judiciaire accordée dans les affaires transfrontalières (loi du 4 juillet 2005 n° 2005-750) en matière civile et commerciale (soit celles où l’une des parties est domiciliée dans un Etat membre qui n’est pas celui de la juridiction saisie)21.

Et cette aide doit viser indistinctement et sans discrimination les ressortissants nationaux et les ressortissants de l’UE (art. 4 de la directive) pour que pour ces derniers et pour la résolution des litiges transfrontaliers il n’y ait pas un frein supplémentaire (matériel) à l’accès au juge (notamment les coûts de traduction et de notification qui peuvent être accrus, les frais de déplacement).

Mais de ce point de vue la législation française va plus loin que le texte européen dans la mesure ou l’aide « juridique », et non plus seulement judiciaire, dépasse le seul cadre du procès pour s’étendre depuis 1998 aux négociations transactionnelles, et plus récemment, à la conclusion d’une convention de procédure participative alors que la directive n’oblige pas les Etats à assumer par l’aide juridique les coût d’une médiation extrajudiciaire. En effet, la directive ne se proposait que d’adopter un standard de protection minimum commun au nom du respect de la subsidiarité. Notons d’ailleurs de ce point de vue que le Conseil d’Etat compte tenu des restrictions budgétaires se montrait réticent au financement par l’aide juridique des médiations extrajudicaires.

Plus récemment, la directive du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile ( n° L 136 JOUE 24 mai 2008, Dir. Parl. Cons. N° 2008/52, Proc. Nov. 2008 Eude p. 9 C. Nourissat), fournit un cadre clair et souple à la médiation dans le cadre de litiges transfrontaliers, qu’elle soit judiciaire ou extrajudiciaire, en définissant ce processus et en consacrant certaines garanties dans la mise en œuvre de ces procédures alternatives mais en participant, néanmoins, ce faisant, à leur institutionnalisation22. Parmi ces règles communes signalons celle de l’impartialité, de la confidentialité, et de la compétence du tiers, qui devraient inciter à l’adoption de codes de bonne conduite, celle de la suspension des délais de prescription, récemment consacrée par la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription dans son article 2238 c. civ. et par la loi instituant une convention de procédure participative avec l’assistance d’un avocat, celle de la nécessité de mettre en place des procédures d’exécution forcée des accords de médiation qui existe déjà en France depuis plusieurs

21 L. Cadiet, E. Jeuland, et S. Amrani Mekki, Droit processuel civil de l’UE, Lexis Nexis 2011 n° 817. Le nouveau dispositif transposé en droit interne permet donc à un justiciable résident en France de bénéficier de l’aide judiciaire pour un litige qui a lieu dans un autre Etat membre, ou à un justiciable résidant dans un autre pays de l’UE de bénéficier de cette aide pour régler un litige transfrontalier devant les juridictions françaises.22 Le but en affirmant clairement un droit au juge est de mettre en place un cadre juridique prévisible… notamment pour les litiges transfrontaliers. Rien n’empêche les E de les transposer pour les litiges internes…. Exclusion de son domaine des droits qui ne sont pas disponibles… Vigilance appelée des E membres pour veiller à préserver le droit substantiel d’un risque de prescription… Et de ce point de vue l’article 2238 c. Civ  ; réalise une mise en conformité quasi immédiate…Confidentialité également consacrée.Souci de garantir une bonne articulation entre les procédures judiciaires et la médiation…L’édiction de codes de bonne conduite de la médiation est encouragée par ce texte…Procédure visant à rendre exécutoire l’accord mise en place.Dispositif veillant à préserver la confidentialité….Délai de transposition 21 mai 2011…

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années (voir notamment l’article 1441-4 cpc)23. En filigrane, la directive insiste également sur le caractère volontaire du recours à la médiation24 : ce qui transparaît notamment au regard de la définition qu’elle en donne. Elle insiste aussi sur le fait que la médiation ne doit pas être un obstacle à l’accès effectif au juge (et ce ni d’un point de vue temporel ni d’un point de vue financier en augmentant les coûts (l’extension du bénéficie de l’aide juridique évitant ce biais) ni en laissant les droit se prescrire ni même en faisant perdre la possibilité d’obtenir des mesures conservatoires ou d’instruction, soit une approche très pragmatique25).

Ainsi, nombre des règles et principes qu'elle prévoit étaient déjà à l'œuvre en droit français avant son adoption, mais le législateur français a jugé bon de la transposer en droit français tout récemment dans une ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, et le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012, notamment en ce qu’elle précise les principes qui gouvernent la médiation extrajudiciaire, qui jusque là n’était pas encadrée et en ce qu’elle définit la médiation (le législateur s’est d’ailleurs borné sur ce point à reprendre la définition européenne en énonçant que la médiation s’entend « de tout processus structuré, qu’elle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ». Sont en particulier réservés, les droits indisponibles qui ne sauraient faire l’objet d’une médiation. Le souci d’efficacité d’impartialité et de confidentialité apparaissent nettement.

S’y ajoute désormais la directive n° 2013/11 du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation). La directive devra être transposée au plus tard le 9 juillet 2015 en cours de transposition. Elle intervient pour que les Etats se dotent d’organes de qualité pour le règlement extrajudiciaire des litiges. L’idée étant que ces organes soient sollicités sur une base volontaire avec des mesures incitatives pour que les professionnels y recourent.

Il apparaît alors que la réglementation communautaire en matière de procédure est particulièrement vivace et foisonnante ces derniers temps… Elle jette les bases d’une harmonisation indirecte des procédures puisque pour l’heure bon nombre de ces règles n’ont vocation à s’appliquer qu’aux litiges transfrontaliers, mais qui sont de plus en plus fréquents, il faut le reconnaître, compte tenu de l’ampleur des échanges commerciaux constatés entre les Etats et de la mobilité des personnes au sein de l’Union européenne.

Ce droit communautaire n'est en effet plus du droit international procédural classique fondé sur la souveraineté des Etats. C'est une voie nouvelle encore tâtonnante parce que ces normes minimales de procédure ne conviennent pas à tous les Etats. Un équilibre matériel doit au demeurant être trouvé entre les règles matérielles de procédure et les règles de droit international privé de compétence et de résolution des conflits de loi et des effets des jugements.

B - Le droit processuel issu du Conseil de l’Europe

Paradoxalement, le rôle du Conseil de l’Europe en matière procédurale et notamment dans l’édification de garanties communes du droit du procès plus ancien, a été encore plus poussé. Il est d’autant plus marquant qu’il dépasse les strictes frontières des communautés européennes pour s’appliquer à 47 Etats membre, de Brest à Vladivostock…, la grande Europe. Et pour ce qui est de l’Union européenne, l’article 6.2 du TFUE consacre l’adhésion de l’UE au Conseil de l’Europe, et tous les Etats membres de l’UE sont nécessairement membres du Conseil de l’Europe. Et la CJUE se réfère fréquemment à la jurisprudence de son homologue européenne strasbourgeoise, qu’elle a récemment intégrée à la Charte des droits fondamentaux.

23 Notons que le choix opéré par les auteurs de cette directive lui donne un contenu limité à de grands principes, ce qui est une bonne chose, afin d’éviter une trop grande rigidité (procéduralisation) de ces modes alternatifs de règlement des litiges appréciés justement pour leur souplesse.24 Ce qui n’exclut pas des incitations à la médiation, voire des processus de médiation obligatoires à condition que l’accès au juge ne soit pas entravé de manière excessive.25 En vertu d’un arrêt du 18 mars 2010 Rosalbla Alassini de la CJUE ( C-317/08 et 320/08) la procédure de médiation ou de conciliation n’entrave pas de manière excessive l’accès au juge : si la procédure de conciliation n’entraine pas de retard substantiel, si elle suspend la prescription, si des mesures peuvent être prescrites en cas d’urgence, et si la voie électronique ne constitue pas l’unique moyen d’accès à la conciliation et à condition qu’elle génère des frais peu importants.

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C’est en effet la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui est le ferment de la garantie des droits fondamentaux et, dans leurs aspects procéduraux, des garanties du procès équitable, lesquels permettent d’assurer une protection efficace des droits substantiels consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Or l’application effective de la CESDH et de l’article 6 qui intéresse plus directement la procédure civile - est garantie par le contrôle étroit opéré par la Cour CEDH, devant laquelle de simples particuliers peuvent intenter des recours contre l’Etat pour faire condamner les Etats qui y contreviendraient - et notamment, qui ne mettraient pas en place un service public de la justice garantissant le respect du droit au procès équitable26. Elle intègre le droit fondamental d'accès au juge et le droit à un procès équitable au titre des principes généraux du droit communautaire qui découlent des traditions constitutionnelles communes des différents Etats membres.

A la différence des règlements et directives communautaires, fait particulièrement notable, l’application de la convention européenne ne suppose pas d’élément d’extranéité. Elle s’applique y compris aux litiges purement nationaux, ce qui lui donne là encore une portée considérable.

Les droits procéduraux internes et le droit processuel ont connu de grandes évolutions, ces dernières années, sous l’impulsion de la jurisprudence de la CEDH et des potentialités ouvertes par l’article 6§1, qui a mis a mal des institutions procédurales parfois ancestrales. L’emprise directe de ces dispositions se traduit par les références quotidiennes que l’on retrouve, y compris dans les décisions du juge national, à ces dispositions, appliquées au travers du contrôle de conventionalité notamment. La Cour de cassation a, par exemple, sur ce seul fondement, considéré que la liste des cas de récusation d'un juge n'était plus limitative – comme cela était jugé jusque là – mais bien énonciative. Les visas des arrêts se réfèrent d’ailleurs parfois seulement à cet article 6§1 un récent arrêt qui au visa de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, énonce que la faculté de consultation du dossier au greffe, prévue par les dispositions de l'article 164 du décret du 27 décembre 1985 dans sa rédaction issue du décret du 21 octobre 1994, ne dispense pas le greffe de communiquer à la partie qui le demande le rapport communiqué au ministère public, qui permet de transcender le contradictoire pour imposer plus largement le respect de l’égalité des armes et des droits de la défense (Com. 10 janvier 2012, n° 10-24426, D. 2011 p. 216).

Certains vont d’ailleurs jusqu’à souligner que le rôle aujourd’hui joué par la CEDH et l’application directe des dispositions de la CESDH par les juges nationaux tant le juge judiciaire que le juge administratif depuis les arrêts Jacques Vabre et Nicolo, et l’autorité de ses décisions sur les juridictions nationales vident en partie de sa substance et de son intérêt la consécration d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori ouvert aux citoyens depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Il faut toutefois souligner que l’efficacitié de ce contrôle de constitutionnalité est plus importante quant au résultat, puisque la disposition non conforme à la Constitution est abrogée alors qu’elle seulement privée d’effet dans le litige en cause dans le contrôle de conventionalité. Il faut cependant souligner que son efficacité est moindre dans la mesure où il n’aboutit pas nécessairement à l’abrogation des dispositions en cause à la différence du contrôle de constitutionnalité.

Au nom de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme un certain nombre d’obligations positives ont été mises à la charge des Etats, comme par exemple, celle d'instaurer un système d'aide juridictionnelle. Ces garanties positives et concrètes sont selon la Cour inhérentes aux droits abstraitement proclamés par la CESDH.

L’on peut ainsi dégager deux ordres de principes que la Cour européenne a érigé en normes fondamentales qui doivent régir les institutions judiciaires. Il s’agit de principes d’organisation juridictionnelle, qui nous intéressent plus indirectement, dans le cadre de ce cours, mais aussi de principes de fonctionnement des juridictions.

* Parmi les principes d’organisation juridictionnelle.Chronologiquement, c’est le droit au juge que la jurisprudence a dégagé en premier, à travers

le célèbre arrêt Golder de la CEDH du 21 février 1975 qu’elle n’a cessé de réaffirmer par la suite. Ce droit au juge découle nécessairement de la Convention européenne dans son entier, car il est le seul

26 Droit de recours individuel consacré par la France en 1981.

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moyen de garantir l’effectivité des droits qu’elle entend protéger notamment. Comme il garantit cette effectivité des droits, ce droit au juge existe tout naturellement dans un Etat de droit, (lui-même soumis au droit).

Le droit au juge, dans la jurisprudence européenne, ne renvoie pas seulement au droit d’accès au juge mais aussi au droit à l’exécution des décisions de justice (cf. arrêt Hornsby 1998).

Compte tenu de l'importance attachée au droit au juge, la Cour de cassation consultée lors de la phase d'élaboration de la loi relative à la prescription avait émis les plus vives réserves sur la possibilité d'instaurer un délai butoir de 20 ans à compter de la naissance des droits tels qu'il résulte de l'actuel article 2332 du Code civil au regard de l'article 6§1 de la CEDH. Les juridictions judiciaires pourraient d'ailleurs, par le biais du contrôle de conventionalité qu'elles sont en mesure d'exercer, être tentées de rendre ineffective cette disposition. C’est aussi cette place prééminente du droit au juge qui permet à certains de mettre en doute la conventionalité des évolutions jurisprudentielles récentes sur l’office du juge et sur les nouveaux contours de l’autorité de la chose jugée.

Ce droit d’accès au juge est fréquemment invoqué en droit du travail où la tendance depuis 2008 est à une réduction des délais de prescription.

L’impartialité constitue un autre principe d’organisation, cette fois directement évoqué dans les termes de l’article 6§1 de la CEDH. Et la Cour européenne lui donne une signification particulière, puisque l’impartialité qu’elle défend est une impartialité qui doit se donner à voir. Il ne faut pas que l’organisation du procès du tribunal laisse subsister un doute sur sa partialité sur d’éventuels préjugés qu’ils pourraient avoir. Elle garantit qu’il pose un regard neuf. Elle est ainsi appréciée de manière très largement objective27.

* Parmi les principes de fonctionnement des juridictions, citons, à titre principal,Le principe de respect des droits de la défense et de l’« égalité des armes ». L’accès au

prétoire pour être efficace suppose comme le soulignent les termes de l’article 6§1 que chacun puisse voir sa cause entendue dans de bonnes conditions. Soit avec l’aide d’un conseiller ou d’un représentant, ce qui implique de mettre en place un système d’aide juridique, de permettre au justiciable étranger notamment en matière pénale de suivre les débats, ou encore de respecter des exigences de publicité et de donner les moyens d’un véritable respect du contradictoire.

L’exigence de respect d’un délai raisonnable, qui conduit à de fréquentes condamnations des Etats et de l’Etat français notamment, compte tenu de l’encombrement et parfois de l’inertie des Tribunaux. C'est au nom de cette exigence de délai raisonnable que différentes réformes de la procédure récente ont été adoptées, en vue de rationaliser le travail du juge, faisant de l'avocat un véritable auxiliaire de justice qui facilite le travail du juge en rédigeant des conclusions récapitulatives qui lui évitent de se replonger dans les différents jeux de conclusions antérieures 28... Et cette exigence est prise en compte dans toutes les réformes récentes, et notamment pour la mise en place de la question de la constitutionnalité des lois par voie d’exception. C’est aussi au nom de cette exigence que la Cour de cassation a pu justifier l’instauration du principe de concentration des moyens en 1° instance.

27 - Ainsi, elle impose par exemple d’éviter qu’une même personne enquête, poursuive (mène l’instruction) et juge par la suite, en matière pénale, ou en dehors de la matière pénale toutes les fois qu’un juge a déjà eu à connaître du dossier à un autre titre. - Elle conduit aussi à jeter un regard suspicieux sur les cas d’auto-saisine du tribunal, parce qu’elle peut conduire le justiciable à penser que la juridiction est déjà influencée dans un sens défavorable à son égard. C’est ainsi que la loi de réforme sur les faillites du 26 juillet 2005 a supprimé les possibilité d’auto-saisine du Tribunal jugées contraires à la CESDH pour les remplacer par des saisines par le Ministère public.- De la même manière, soulèvent des doutes le fait de permettre à que coexistent dans un Tribunal une fonction consultative et une fonction juridictionnelle.Cette impartialité implique aussi une certaine indépendance du juge notamment vis-à-vis de l’administration (statutaire, institutionnelle).28 Civ. 3, 7 janvier 2009, p. n° 07-19753, JCP 2009 II 10039, « S'il n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties, le juge qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date » faute de quoi la cassation est inexorable, censure pour violation des articles 455 cpc et 954 al  2 cpc. Il y a ici atteinte au principe dispositif et un risque que le juge ne statue infra patita. Et voir antérieurement (cf. Ch. Mixte 6 avril 2007, p. n° 05-16375 et 06-16914, JCP 2008 II 10102 n. E. Putman). L’erreur du juge qui ne viserait pas les dernières conclusions ne peut être rectifiée par la procédure en rectification d’erreur matérielle.

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Et la CEDH a récemment précisé que, même lorsqu’une procédure est régie par le principe dispositif, qui consiste à donner aux parties de pouvoirs d’initiative et d’impulsion, il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (CEDH 3 février 2009, Proc. 2009 n° 81). Cette manière de définir le principe dispositif peut surprendre, en ce sens qu’elle place tout de même les parties en retrait, et renforce même dans ce cas l’office du juge.

Et la Cour de cassation elle-même fait application des critères dégagés par la CEDH pour apprécier le caractère raisonnable de la durée des procédures judiciaires29…

Récemment l’adage contra non valentem a été  consacré par la CEDH (CEDH, ch. 2e sect., 7 juillet 2009, Stagno c/ Belgique, RDC 2010 n° 1, p. 201 obs. J-P Marguénaud) qui énonce que « L'application rigide du délai de prescription à des justiciables dans l'impossibilité d'agir contre une compagnie d'assurance pendant leur minorité constitue une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6,§ 1, de la CEDH. Or cet adage vient d’être consacré par les textes au terme de la réforme du droit de la prescription opérée le 17 juin 2008.

Ces avancées procédurales ne sont pas toujours des révolutions en droit français certaines de ces garanties dégagées de le convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme existaient déjà toutes sous une forme ou sous une autre en droit français, avant même que la Convention européenne des droits de l’Homme ne soit adoptée. L’aide juridictionnelle existait là encore en France avant que cette exigence ne soit posée au plan européen (1851).

De la même manière, on n’a pas attendu la convention européenne des droits de l’homme pour poser des exigences d’impartialité et d’indépendance et pour, par exemple, mettre en place des procédures de récusation des juges article 341 cpc.

Et le respect des droits de la défense était aussi consacré par notre organisation juridictionnelle au travers des principes directeur du procès, et en particulier, le principe du contradictoire dans le procès civil (article 16 du CPC) ou le principe de publicité.

Mais sous l’influence européenne ces principes sont revus repensés remodelés parfois tout simplement précisés ou prolongés.

Qui plus est, ces garanties cohabitent les unes avec les autres et à certains égards peuvent être amenées à se contredire, de sorte qu’il faut composer avec les unes et les autres. C’est d’ailleurs ce qui ressort nettement de la jurisprudence de la Cour de cassation. Un arrêt récent énonçait ainsi que les obligations positives pesant sur les autorités publiques en vertu de l’art. 8 CESDH exigent que le processus décisionnel débouchant sur une adoption soit équitable, que le jugement de rejet d’une demande d’adoption soit motivé et prononcé dans un délai raisonnable (CEDH 27 avril 2010, n° 16318/07 Proc. 2010 n° 231). Ainsi, l’exigence de célérité ne saurait suffire, du moins dans cette matière, à dispenser de l’exigence de motivation.

La motivation est donc une exigence du procès équitable, ce qui n’apparaît pas directement à la lettre de l’article 6§1 CESDH, elle permet de vérifier que la cause a bien été entendue au sens de cette disposition, et que le tribunal a apprécié les moyens contradictoires de manière impartiale ; elle garantit également les droits de la défense en ce qu’elle offre, ce faisant, des possibilités de recours, en permettant de contrôler que le juge a correctement appliqué la loi….

Plus généralement (et à plus long terme) c’est un instrument de légitimation de la norme qui permet sa meilleure acceptation et son exécution plus spontanée.

Pour éviter des censures répétées par la CEDH qui font désordre – il s’agit ici de droits de l’homme, de droits fondamentaux - les Etats sont donc conduits à s’attaquer aux causes des dysfonctionnements ainsi mis en lumière, et réformer leurs institutions judiciaires. Et bien souvent, la portée pratique des arrêts dépasse le seul Etat en cause !

Ajoutons que l’adhésion de l’UE à la CEDH devrait se faire dans les années à venir, mais le processus sera long. Cela permettra peut être de résoudre certains problèmes que les relations entre droit processuel communautaire et droit processuel du Conseil de l’Europe risquent de poser. Des divergences sont déjà apparues sur l’interprétation de notions communes (celle de domicile, ou

29 Civ. 1 4 novembre 2010, p. n° 09-69555 et 09 69776

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différence d’approche sur la procédure devant le TPI jugée conforme par la CJUE aux garanties du procès équitable et pas par la CESDH…).

Signalons la mise en place le 18 septembre 2002, au sein du Conseil de l’Europe, de la CEPEJ, soit une commission européenne pour l’efficacité de la justice chargée de promouvoir une connaissance précise des systèmes judiciaires et des différents outils existant afin de cibler les difficultés existantes et d’améliorer l’efficacité et le fonctionnement de la justice des Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle met au point des grilles d’évaluation des différents systèmes judiciaires, rédige des rapports et procède à des auditions… Le CEPEJ à l’origine a été créé pour permettre d’intégrer les pays de l’ex bloc soviétique dans l’UE avec à la clef surtout la mise en place d’une justice indépendante, garante de l’Etat de droit. Les bonnes pratiques du CEPEJ ont ensuite été proposées au bloc de l’Ouest, pour souligner les défauts et orienter les réformes. Et justement ces grilles d’évaluation et l’optique de modernisation managériale qu’elles impliquent nous orientent vers les défis actuels de la justice.

Les statistiques du CEPEJ sont des données très instructives : celles qui ont été rendues publiques fin 2012 et qui s’appuient sur des données chiffrées de 2011 font ainsi ressortir que le budget annuel pour les tribunaux, le ministère public et l’aide judiciaire ne représente en France que 0,2% du PIB alors que la moyenne européenne est à 0,35% en Allemagne 0,33% et en Espagne 0,4%. L’aide judiciaire est en France ( 5,6 € /hab.) également en dessous de la moyenne ( 6,8 €/hab.), mais comparativement elle est distribuée sur un plus grand nombre d’affaires que dans d’autres pays.

Enfin on compte en France 10,7 juges professionnels pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de près du double dans le reste de l’Europe 21,3 pour 100 000 habitants. Nous sommes aussi sous dotés en nombre d’avocats par habitants 79,6 pour 100 000 habitants alors que la moyenne européenne est à 127,1 avocat pour 100 000 habitants. En revanche nous dépassons largement la moyenne européenne en nombre de notaires par habitants (14, 1 en France contre 7,3 pour 100 000 habitants dans le reste de l’Europe.

Ces chiffres donnent certainement un avant gout des défis actuels de la justice, encore soumise à des contraintes budgétaires fortes, et la perspective de réduction des déficits publics ne permettra vraisemblablement pas de changer la donne.

Section 3 : Les défis actuels du droit judiciaire privé

Vers un nouveau management de la justice ?

Les perspectives d’évolution de la justice en France, dans un contexte de réduction des moyens d’Etat et des déficits budgétaires sont naturellement orientées, comme l’ensemble des politiques publiques actuelles vers la recherche d’économie, d’efficacité et d’efficience. Sachant qu’en la matière plus qu’ailleurs, compte tenu des enjeux, le quantitatif ne doit pas céder au qualitatif. Or, le qualitatif suppose du temps, des précautions pour garantir l’indépendance des juges qui méritent une certaine circonspection à l’égard des systèmes de rémunérations et de prime exclusivement basés sur la productivité.

Ce « new public management », comme on l’appelle parfois, - que certains font remonter à la LOLF phénomène assez symptomatique - suscite des réactions des réserves, son approche est basée sur l’efficacité sur les chiffres et les données statistiques, sous l’influence des nouveaux modes d’évaluation des systèmes juridiques qui mettent en compétition les différents ordres juridiques (cf. rapports « Doing business » de la banque mondiale30). Elle n’est pas sans lien non plus avec l’avènement des nouvelles technologies, et traduit l’importation d’outils gestionnaire dans l’administration des services publics, outils empruntés au monde de l’entreprise. Peu à peu, avec prudence, elles font leur entrée dans le monde du procès, bouleversant la vie des acteurs de la procédure au quotidien, elles appellent certains ajustements. Cette nouvelle approche de la justice se

30 A. Raynouard et A-J. Kerhuel, L’évaluation des systèmes juridiques au cœur de la tourmente, D. 2010 p. 2928.

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traduit également, crise de la justice oblige, ou peut être compte tenu des évolutions rapides de nos sociétés de plus en plus procédurières, par un état de réforme permanente de la procédure. Ainsi, seront envisagées d’une part, les téléprocédures, et d’autre part, les réformes actuelles, récentes ou à venir.

En retour, les acteurs de la justice (avocat magistrat) soulignent la nécessité d’une approche en termes de qualité pour faire le pendant d’une logique d’efficacité et le recours aux nouvelles technologies comme les réformes récentes traduisent cette recherche d’efficacité, elles inviteront à réfléchir aux perspectives de réformes qui s’ouvrent31.

§1 – Le recours aux nouvelles technologie par la procédure actuelle32.

Un récent rapport remis au ministre de la justice souligne qu’il est inenvisageable aujourd’hui de réfléchir à l’office du juge sans aborder l’incidence des nouvelles technologies sur l’évolution de ses missions et de ses méthodes de travail (Rapport Delmas Goyon p. 120). C’est l’occasion dès lors de faire un état des lieux notamment sur le recours à la communication électronique devant les juridictions et sur les perspectives qu’offre le recours aux nouvelles technologies.

1°) Le contexte   : une mise en place contrastée aiguillonnée par le contexte européen et la recherche d’efficacité

Le recours aux nouvelles technologies dans le procès permet un échange dématérialisé de données entre les autorités publiques, ici le service public de la justice, et les usagers, soit les justiciables ou les personnes qui les représentent. Les documents, voire les actes de procédure, peuvent sous certaines conditions et garanties circuler sous forme électronique dans des conditions différentes au demeurant suivant les juridictions. Elles permettent d’engager des recours par voie électronique, d’échanger des mémoires ou des pièces par ce biais. Voire d’effectuer des mises en demeure ou des demandes d’exécution.

Le décret n° 2005-1675 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile consacre le recours à la communication électronique dès janvier 2009 (cf. Art. 748-1 cpc à 748-6 cpc), ce qui permet désormais aux juridictions de tenir leur répertoire général, leur dossier et leur registre sous la forme électronique (art. 729-1 cpc). Ce recours avait même été autorisé de manière anticipée devant la Cour de cassation, qui a donc joué en la matière un rôle pionnier. Des ajustements se sont avérés nécessaires notamment pour consacrer la signature électronique de ces actes de procédure dématérialisés et l’identification de leur auteur (cf. Décret du 29 avril 2010 n° 2010-434).

Le recours à la visioconférence pour la tenue des audiences a même fait son entrée au Code de procédure civile (cf. art. L111-12 du COJ), mais il est encore sous-employé comme le fait ressortir le rapport Delmas Goyon qui préconise la réécriture de ce texte (notamment pour l’expertise ou les témoins éloignés géographiquement, voire pour des plaidoiries à distance dans les affaires relevant de la représentation obligatoire), ce qui traduit directement que le recours aux nouvelles technologies ne se résume pas aux communications électroniques.

Et prochainement sous l’influence du droit européen le règlement des litiges en ligne de consommation devrait voir le jour. Certaines procédures européennes sont d’ailleurs très largement dématérialisées.

Les nouvelles technologies affectent en effet l’intégralité du travail du juge (qui a également recours à des bases de données, des forums de discussion notamment sur l’application de nouveaux textes qui suscitent des difficultés d’interprétation), du greffe ou celui des auxiliaires de justice… Des tentatives de dématérialisation de l’expertise ont même été lancées devant la Cour d’appel de Bordeaux! Et si elles relevaient au départ d’expériences ponctuelles, elles se généralisent… Au point de que le décret du 28 décembre 2012 n° 2012-1515 prévoit que dans un futur proche le jugement pourra être établi sur un support électronique (art. 456 cpc), selon des procédés garantissant l’intégrité de sa

31 Sur ces questions voir Jeuland 2012 droit processuel p. 109 à 139….32 S. DERLANGE ET A. ERRARA, L’essor des téléprocédures judiciaires en France et à l’étranger, JCP 2008 I 224, G. SABATER, Nouvelles technologies et système judiciaire, JCP 2008 I 223 et V. LAMANDA et D. LE PRADO, une gestion plus dynamique des pourvois, JCP 2009 I 115.Voir aussi JCP 2010 E barreau et dématérialisation des procédures «  on ne va pas faire une justice virtuelle.

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Sans aller jusque là, la procédure française permet dans une certaine mesure cette échange dématérialisées de données pièces actes de procédure à des conditions d’ailleurs un peu différentes selon le degré de la juridiction dans la hiérarchie judiciaire.

Ces téléprocédures réalisent ainsi, si elles sont assorties de certaines garanties, un gain de productivité de l’ensemble du service public de la justice, et améliorent partant, le service rendu aux usagers, la célérité et l’efficacité de la justice... Elles facilitent notamment l’accès au dossier. Les téléprocédures ne renvoient pas à une justice virtuelle, elles traduisent simplement la manière dont les nouvelles technologies peuvent rationnaliser le travail judiciaire dans le respect des garanties du justiciable (confidentialité – authentification sûre – respect de l’intégrité du contenu des messages) et accélérer le processus de décision, à condition bien sûr que certaines précautions soient prises (d’où une mise en place relativement prudente et lente et le maintien pour l’heure en 1° instance des échanges non dématérialisés.

Avec ces téléprocédures, le droit procédural a dû intégrer de nouvelle difficultés, se référant parfois à des notions de droit civil comme celle de « cause étrangère », notamment en cas de dysfonctionnement pour prolonger les délais ou autoriser le recours à une version papier, notion inconnue jusque là des processualistes et à laquelle aucune définition propre n’a été apportée (art. 748-7 cpc et 930-1 cpc pour la procédure d’appel33). Elle sert alors à modifier les charges pesant sur les parties et les auxiliaires de justice, dans le cadre du lien d’instance (on n’est pas dans un rapport d’obligation), soit un effet conservatoire de la force majeure… Mais elle pourrait indirectement servir à écarter dans ces contextes la responsabilité des auxiliaires de justice et retrouverait alors son aspect libératoire plus classique... La force majeure permet alors selon les cas de prolonger les délais permettant de réaliser l’acte (art. 748-7 cpc) ou encore de recourir à l’équivalent papier (art. 930-1 cpc) de ce point de vue et sans doute à tort les sanctions ne sont pas encore pour l’heure harmonisées.

Le Ministère de la Justice présente ces téléprocédures dans le contexte de refonte de la carte judiciaire comme une nouvelle justice de proximité : internet abolit les distances de sorte que le ressort géographique des tribunaux peut désormais être conçu comme plus large. Ces téléprocédures peuvent ainsi favoriser une nouvelle justice de proximité. Il ne faut pourtant pas se laisser leurrer et le recours aux nouvelles technologies peut aussi créer de nouvelles distances entre le juge et le justiciable, notamment si les visioconférences venaient à se substituer à tout contact direct entre le juge et le justiciable…

Les choix stratégiques et technologiques effectués par la France et les pays voisins de ce point de vue ne sont pas nécessairement les mêmes. De même, les choix réalisés dans l’ordre administratif et l’ordre judiciaire diffèrent. Toujours est-il qu’en France, le chantier est engagé… Même s’il a tendance à prendre du retard sur les prévisions initiales !

Des progrès restent à effectuer et notamment le rapport Marshall remis au Gard des Sceaux le 16 décembre 2013 préconise la mise en place d’un guichet universel de greffe en vue de favoriser l’accès à la justice, celui-ci leur permettrait de suivre une grande partie de la procédure.

Par ailleurs, le rapport Delams Goyon incite également à anticiper sur les évolutions des nouvelles technologies dans la mesure où cela conditionne les investissements pertinents dans ce domaine. Il est proposé à cet effet de créer un centre de veille et de recherche sur ces questions, soit une cellule dédiée au Ministère de la Justice…

2°) Le droit positif français de la communication électronique   : une situation contrastée La France, sans doute aiguillonnée par les textes européens qui s’y réfèrent systématiquement,

s’est résolument engagée dans cette voie notamment depuis le décret du 28 décembre 2005 qui intègre un titre dédié à la communication par voie électronique, au Code de procédure civile, en en faisant ainsi un instrument de droit commun avec une liste large des pièces et actes pouvant être transmis par ce biais. Le texte fondateur en la matière est assurément l’article 748-1 cpc, texte de droit commun, qui introduit une faculté nouvelle en laissant subsister les « procédures papier ». Il dispose que « les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre  ». Et si le domaine 33 S. Grayot, La cause étrangère et l’usage des nouvelles technologies dans le procès civil, Proc. 2013 chron n° 2.

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envisagé couvre tous les actes du procès il faut lire cet article en le confrontant à l’article 748-6 cpc car un arrêté du garde des Sceaux doit garantir la fiabilité et l’identification des parties ainsi que l’intégrité des documents, la fiabilité des échanges et la date certaine.

L'article 748-2 cpc soumet la communication par voie électronique à la condition du consentement exprès à son usage par le destinataire des envois, remises et notifications – à moins que l'usage de cette voie ne soit imposé par des dispositions spéciales. Ce texte a suscité une difficulté  : la jurisprudence des cours d'appel s'est divisée sur le point de savoir si l'adhésion au réseau privé virtuel des avocats (RPVA) valait, ou non, consentement exprès à la communication électronique. La Cour de cassation a récemment rendu un avis dans lequel elle a clairement pris positon : « l’adhésion d’un avocat au “réseau privé virtuel avocat” (RPVA) emporte nécessairement consentement de sa part à recevoir la notification d’actes de procédure par la voie électronique34 » et les règlement intérieurs de différents barreaux ont aussi prévu des dispositions en ce sens. Désormais, donc, un tel consentement exprès n’est plus nécessaire pour les notifications entre avocats, bien que non mentionnées à l’article 930-1 dès lors que les avocats sont inscrits au RPVA.

Cela génère pour conforter la sécurité du système un accusé de réception comme le prévoit l’article L748-3 cpc. Des garanties particulières de fiabilité et d’identification sont en outre prévues à l’article L 748-6 cpc.

Le recours à la voie électronique est nettement plus avancé au stade de l’appel35 où il s’impose en vertu de l’arrêté du 30 mars 2011 et art. 930-1 cpc si la procédure est soumise à représentation obligatoire puisque la déclaration d’appel et les constitution d’avocat se font désormais obligatoirement par voie électronique. Par comparaison avec l’article 748-1 cpc on notera que le texte est à l’indicatif et ne l’énonce pas comme une simple faculté et la sanction est lourde puisqu’il s’agit d’une fin de non recevoir « sous peine d’irrecevabilité » énonce le texte), là ou pour le reste le recours à cette voie est facultatif, notamment devant le TGI (cf. article 748-2 cpc précise pour l’heure que l’usage de la communication électronique doit en principe, pour l’heure, être accepté par son destinataire, sous réserve de ce que des dispositions spéciales n’imposent le recours à ce mode de communication. Mais depuis 2009 l’article 748-1 ajoute « sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication. »). Cela traduit sans doute qu’on en est arrivé à un stade intermédiaire.

Ainsi la procédure avec représentation obligatoire en appel est dématérialisée, dans les rapports des acteurs avec la juridiction. L’enjeu est important en appel parce que les pièces et moyens qui n’ont pas été communiqués dans les temps ne seront pas recevables en appel du moins.

Pour l’injonction de payer la procédure est en train peu à peu de se dématérialiser complètement…

Et le procédé se généralise pour la protection juridique des majeurs devant le TI. Devant les juridictions d’exception la voie électronique n’a été introduite que plus tardivement

par l’arrêté du 28 aout 2012.Une étape supplémentaire vers la voie de l’informatisation vient d’être atteinte avec le décret

du 11 mai 2009 n ° 2009-528 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatise dénommé Cassiopée dans les procédures d’assistance éducative ainsi que dans les procédures civiles et commerciales enregistrées dans les parquets.

La situation est donc contrastée…

Techniquement, le système judiciaire repose essentiellement sur deux réseaux virtuels. Il existe ainsi un système E. Barreau auquel les avocats peuvent s’abonner qui réalise une interconnexion entre le réseau privé virtuel justice (RPVJ) des Tribunaux de grande instance et le réseau privé virtuel avocats (RPVA). Les avocats se connectent par un portail internet et accèdent ainsi à leur affaire en instance, pouvant ainsi échanger des actes de procédure. Cela évite de nombreux déplacements de l’avocat au Tribunal pendant la phase de mise en état du dossier, les échanges se faisant par voie électronique dans un premier temps au stade de la mise en état. Le système E. Barreau

34 Cass. avis, 9 sept. 2013, n° 13-70.005 ; JCP G 2013, 1225 obs. Y-M Serinet, act. 979, obs. C. Bléry35 Un récent décret du 28 décembre 2010 (n° 2010-1647) apporte à nouveau des précisions sur les conditions et modalités de la communication électronique devant les Cours d’appel.

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permet aussi de consulter le calendrier de procédure. Le système de communication est ainsi conçu comme sécurisé en ce sens où il la communication procédurale ne se fait qu’entre professionnels du droit…

La mise en œuvre d’e barreau a reposé sur une démarche partenariale conjointe du barreau et de l’administration : des conventions ont été signées en ce sens entre les partenaires le 28 septembre 2007 relayées par des conventions au niveau local entre chaque TGI et son propre barreau en juillet 2008. Un certain nombre de TGI ont commencé à déployer leur système de communication électronique dès janvier 2009.

Le TGI dispose d’un système qui lui est propre qui est celui de l’E.GreffeLe ministère de la justice a mis en place des formations adaptées pour les magistrats et les

greffes pour que le système soit opérationnel.D’autres travaux sont en cours pour améliorer le système et réaliser des chaînes

dématérialisées plus complètes. L’idée serait notamment d’en ouvrir l’accès au justiciable pour communiquer par exemple avec le greffe. Une plate forme de communication entre les tribunaux et les huissiers de justice est également envisagée.

Le système de téléprocédures en matière administrative repose sur un outil de communication intitulé Sagace qui met en ligne le déroulement de l’instruction au moyen d’un code délivré lors de l’enregistrement de la requête. La juridiction administrative a été en avance sur les juridictions judiciaires pour la mise en place de ces téléprocédures et a commencé par expérimenter certains systèmes sur les procédures fiscales au niveau du Conseil d’Etat. Les parties peuvent, via Sagace, consulter l’historique de leur dossier.

La procédure est sécurisée parce que chaque avocat dispose d’un identifiant et d’un mot de passe. A partir de n’importe quel ordinateur relié à Internet l’avocat peut alors accéder à son dossier. La formation des recours comme l’échange des mémoires se font par internet.

Les nouvelles technologies de la communication et de l'information poursuivent leur expansion inexorable au sein des procédures juridictionnelles, des institutions et des professions judiciaires. En témoignent le décret n° 2012-366 du 15 mars 2012 relatif à la signification des actes d'huissier de justice par voie électronique et aux notifications internationales36 et l'arrêté du 18 avril 2012 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel (Journal Officiel 10 Mai 2012). Une convention a également été signée entre la Chambre nationale des huissiers de justice et le ministère de la Justice sur la dématérialisation en première instance (CNHJ, communiqué ,19 déc. 2011 : D. 2012, p. 108).

Toutefois le processus n’est pas achevé.

3°) Bilan contrasté

Il rencontre outre les difficultés juridiques dont certaines ont été évoquées des obstacles financiers, techniques et culturels. Il suppose une démarche partenariale des conventions locales passées entre le barreau et chaque juridiction et le décret de 2005 a officialisé ce type de conventions (cf. Art. 748-1 cpc). Notons toutefois qu’au 1° janvier 2010 137 des 180 TGI avaient conclu de telles conventions locales. Mais le contenu de ces conventions diffère d’un barreau à l’autre et l’on peut s’interroger sur leur valeur juridique et leur opposabilité, voire sur les risques de contrariété avec la loi ou le décret ? Il suppose que les juridictions, les greffes soient mieux pourvues en équipements informatiques ce qui est loin d’être le cas comme les 4° journées de procédures civiles devant la Cour de cassation le révélaient encore le 6 décembre 2013.

Force est d’admettre qu’il existe encore aujourd’hui pour une fraction de la population une fracture numérique qui rend l’accès numérique plus complexe pour certains que les voies plus traditionnelles. Il y a encore notamment dans certains barreaux et devant certaines juridictions un

36 Journal Officiel 17 Mars 2012 ; JCP G 2012, act. 349 ; Procédures 2012, alerte 14 ; D. 2012, p. 823, obs. L. Dargent ;V. T. Ghera, Le décret n° 2012-366 du 15 mars 2012 – Entre équilibre et modernité, la sécurité juridique au coeur de la communication électronique judiciaire : Rev. huissiers 2012, p. 114

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hiatus entre le code et la pratique, et de manière générale la visio-conférence est bien peu utilisée... De sorte qu’on peut s’interroger sur sa systématisation et sa généralisation, sachant toutefois que le système actuel qui fait coexister la procédure papier et les téléprocédures le recours à ces dernières n’étant que facultatif - fait perdre une par de son efficacité à la révolution amorcée… Une phase intermédiaire pourrait consister à ne systématiser le recours à la voie électronique que pour certaines procédures notamment celles avec représentation obligatoire. Le tout n’est pas d’arriver à un délai raisonnable encore faut-il garantir une certaine qualité de la justice.

Le recours à ces télé procédures pourrait assez rapidement modifier la structuration des écritures : la disparition du support papier au profit de l’écran modifie le rapport aux écritures et impose une plus grande lisibilité de celles-ci et leur caractère plus synthétique.

Et il faut que le recours à ces téléprocédures se fasse dans le respect des garanties du procès équitables et des garanties d’un égal accès au juge.

On a pu faire remarquer que ce recours à la voie électronique systématisé conduit nécessairement à une professionnalisation de la procédure d’appel : cela ne peut être imposé qu’aux professionnels qui sont présumés équipés et qui ont seuls accès pour l’heure aux réseaux sécurisés. Cela seul garantit le respect de l’égalité devant la justice…

La démarche se veut assurément progressive. - D’une part parce qu’il faut que se mettent en place des systèmes hautement sécurisés (intégrité

des messages garantie, authentification des acteurs – de la qualité d’avocat par exemple  ; fixation d’une date certaine d’envoi ; et préservation de la confidentialité) (art. 749-6 cpc).

- D’autre part parce que les télé-procédures constituent une révolution culturelle qui suppose que chacun des acteurs de la chaîne judiciaire modifie ses méthodes de travail.

La CEDH prend en compte l’avènement de ces téléprocédures, dès lors qu’elle affirme que si le Code de procédure organise une possibilité de formation de la demande en justice par voie électronique, il y a violation du droit d’accès au tribunal, lorsque la juridiction, saisie d’un très grand nombre de demandes gravées sur DVD, refuse de les enregistrer en prétextant un manque d’équipement technique (cf. CEDH, 16 juin 2009 n° 54252/07 SA Lawyer Partner c/ Slovaquie, Procédures n° 358). De quoi conduire les gouvernants à être précautionneux dans l’introduction des nouvelles technologies en procédure civile…

On aura également l’occasion de voir à la fin de ce cours que le recours à ces moyens de communication dématérialisé est pleinement intégré dans les textes de droit communautaire ju-diciaire, notamment pour les notifications transfrontalières, et qu’il est même favorisé par l’avè-nement des procédures relatives aux petits litiges, ou encore, la procédure européenne d’injonc-tion de payer (transmission des actes par voie électronique et recours à la vidéoconférence y sont en-visagés), largement automatisées au moins dans leur première phase. Les autorités européennes voient dans les nouvelles technologies un moyen de surmonter les lourdeurs particulières attachées aux li-tiges transfrontaliers. Et l’Union Européenne s’est engagée à soutenir les actions entreprises par les Etats pour favoriser le recours aux nouvelles technologies afin de favoriser l’interopérabilité des sys -tèmes nationaux.

Il existe au demeurant un portail européen « e-justice ». Et le recours au nouvelles technologies est favorisé y compris pour le règlement extrajudiciaire des litiges le REL puisqu’un règlement récent (n° 524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation le règlement s’appliquera le 9 janvier 2016), crée une plateforme européenne unique en ligne (plateforme RLL) à laquelle les cyber-consommateurs pourront s’adresser, son usage étant réservé aux achats faits par internet dans un autre Etat membre, pour éviter une fracture numérique, et de fait une entrave pour les consommateurs moins familiers à ces systèmes de communication : le RLL devrait apporter une solution extrajudiciaire aux litiges dans un délai de 30 jours et son accès sera gratuit dans toutes les langues officielles de l’UE. Cette plateforme électronique sera reliée aux organes nationaux créés à cet effet (cf. http://europa.eu/consumer-adr). Il s’agit là d’un champ d’action prioritaire du Parlement et du Conseil

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pour 2012, sachant que les systèmes devraient être effectivement opératoires en 2014 : il est destiné à faire en sorte que les achats en ligne se fassent en toute confiance ( et l’on voit bien la perspective de marché propre au droit de l’UE qui se profile derrière...

Et pour la première fois il est prévu que sa portée ne se limite pas aux litiges transfrontière pour assurer une égalité entre les consommateurs. Avant le recours au RLL les consommateurs devront être incités à un contact direct avec le professionnel en cause… La plate-forme est un site interactif offrant un guichet unique aux consommateurs et aux entrepreneurs, pour résoudre leurs litiges qu’ils résultent de contrats de vente ou de contrats de services: la plateforme de RLL sera développée par la Commis-sion européenne (art. 5), la plateforme sera ensuite reliée aux organes nationaux de REL créés et noti-fiés à la Commission conformé- ment aux dispositions de la directive relative au REL. Un formulaire permettant de déposer une plainte et traduit aux intéressés est à leur disposition traduit en différentes langues. La plate-forme permet alors de transmettre les plaintes aux intéressés. Le but est notamment d’assurer la confidentialité des données tant pour respecter le principe de confidentialité énoncée à la directive favorisant le règlement amiable des litiges de 2008 que pour assurer la confidentialité des données personnelles. Et les professionnels devront alors dans leurs contrats électroniques insérer un lien vers cette plateforme. Un premier bilan de ce texte sera établi au 9 juillet 2018.

Pour conclure il faut néanmoins souligner que si les nouvelles technologies apportent une aide précieuse, elles ne pourront pas indéfiniment induire plus de rapidité, d’efficacité, et d’économie, sans risques de répercussions sur la qualité de la justice rendue37.

Elles traduisent - les textes étant récents - que la justice est en réforme permanente.

§2 – Les réformes actuelles de la justice

Un récent rapport sur l’office du juge remis en juin dernier au ministre de la justice soulignait que la justice ces trente dernières années que pendant deux siècle auparavant ce qui nécessite certainement une réflexion sur l’office du juge aujourd’hui.

Envisageons d’abord les réformes récentes et elles sont légion même si l’on en reste à la perspective purement nationale pour ensuite nous attacher aux perspectives de réformes de la seule procédure civile. La justice, la procédure, est en perpétuel chantier avec pour toile de fond un souci d’accroître son efficacité. Le mouvement est plus ancien qu’il n’y paraît puisque dès 1935 P. Hébraud écrivait que « toute réforme de la procédure consiste aujourd’hui à accélérer la marche du procès » et ce mouvement a été conforté sous l’influence du droit européen. Avec à l’esprit cette exigence qu’une efficacité accrue ne doit pas se faire au détriment de l’exigence de qualité de la justice.

L’actualité extrêmement riche elle sera abordée en 4 points.

1°) La réforme de la carte judiciaire et la nouvelle répartition du contentieux

La réforme de la carte judiciaire (cf. décrets du 15 février 2008 et du 6 mars 2008) qui redéfinit la compétence territoriale des juridictions françaises, sans doute menée quelque peu brutalement, et était de l’avis de tous le préalable nécessaire à toute réforme sérieuse du système judiciaire. Elle avait déjà été entamée antérieurement pour les Tribunaux de commerce.

Elle a vraisemblablement marqué la première étape d’une réforme de la réparation du contentieux, apparue nécessaire pour apaiser le mécontentement judiciaire suscité par sa mise en place qui a rendu nécessaire la mise en place de commission de réflexions et de rapport pour offrir de nouvelles perspectives ( rapport Guinchard notamment). Plusieurs textes en sont issus et contribuent à clarifier la répartition du contentieux, aisni qu’à simplifier l’organisation judiciaire38.

37 E. COSTA, Des chiffres sans les lettres, AJDA 2010 p. 1623. 38 * Ainsi en est-il de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 « de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures » qui emporte diverses modifications du droit judiciaire comme l’instauration d’un bloc de compétence plus large et plus cohérent en matière familiale et qui assouplit les options de compétence en matière de droit de la consommation, comme le préconisait le rapport Guinchard.

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La dernière étape de cette rationalisation est passée par la suppression de la juridiction de proximité (art. 223-1 COJ) compétence étant donnée de façon exclusive aux TI pour les actions patrimoniales (personnelles) inférieures à 10 000 euros ou pour les demandes indéterminées qui ont pour origine une créance d’un montant inférieur à 10 000 euros. La question était âprement débattue pour éviter de surencombré les juridictions d’instance déjà submergées par leur rôle accru en matière de protection juridique des majeurs depuis la réforme de 2007, de sorte que le Sénat était contre cette suppression. Cette suppression du juge de proximité décidée par la loi du 13 décembre 2011 a cependant été reportée au 1° janvier 2015 : la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 ayant reporté au 1er janvier 2015, l’entrée en vigueur de cette première loi face à l’engorgement des juridictions d’instance.

Une étude d’impact de cette réforme de la carte judiciaire a récemment été sollicité par le Ministère de la Justice qui conduit à souligner l’impact de la suppression de certains TGI sur l’accès effectif au juge... Le manque d’accessibilité au juge qui toucherait de surcroît les populations moins favorisées. Est évoqué également un allongement des délais de traitement39. En revanche il est souligné que la rationalisation de la carte a permis une mutualisation des moyens et une amélioration des conditions de travail ainsi qu’une concentration des compétences favorisant un travail collectif des magistrats. Le rapport préconise dans certains endroits la mise en place de chambres détachées voire, le rétablissement de quelques TGI.

2°) La QPC

Parmi les réformes d’envergure les plus récentes signalons l’introduction, le 1° mars 2010, d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception (article 61-1 de la Constitution, réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008)40. Elle constitue une innovation majeure, de nature à modifier substantiellement les procès et procédures en France : elle a ainsi pu être qualifiée de véritable « big bang juridictionnel 41  », elle connaît au demeurant un vif succès42.

* Notons également, plus récemment encore, le décret du 29 décembre 2009 n°2009-1693 applicable aux actions introduites dès le 1° janvier 2010 qui opère une clarification des compétences en matière civile, notamment entre le TI et le TGI et qui précise certaines compétences du JEX qui s’inspire, comme le précédent texte, des préconisations du rapport Guinchard.* Et plus récemment encore la loi du 13 décembre 2011 n° 2011-1862 de répartition du contentieux et d’allègement des procédures qui a des implications sur la répartition des compétences dans différents contentieux met en œuvre d’autres préconisations du rapport Guinchard (parfois modifiées)…Cette loi renforce un double mouvement de clarification du contentieux et de cohérence dans la répartition de celui-ci en rapprochant par exemple le contentieux douanier et fiscal attribués tous deux aux TGI alors que le premier relevait du TI parce qu’ils ont souvent des connexions fortes, ce qui permet alors de gagner en temps et en efficacité. Mais aussi et dans le même esprit d’efficacité la concentration de certains contentieux techniques devant certaines grandes juridictions (grand TGI pour le contentieux en matière de propriété industrielle et intellectuelle).39 Rapport du 19 février 2013, D. 2013 p. 51540 Loi n° 2009-1523 et pour des commentaires cf. B. Matthieu, JCP 2009 n° 52 et RLDA 2010 n° 45 p. 51, promulguée le 10 décembre 2009, après avoir été examinée par le Conseil Constitutionnel. La modification de la Constitution a été complétée en 2009 par une loi organique, précisant les modalités de ce qui a été intitulé la « question prioritaire » de constitutionnalité, la QPCDeux décrets du 16 février 2010 fixent les règles procédurales relatives à la question prioritaire de constitutionnalité  : l’un prévoit le juge compétent pour statuer sur la demande de question prioritaire de constitutionnalité et les modalités du contradictoire (D. 2010-148), et l’autre assure la continuité de l’aide juridictionnelle octroyée si la question de constitutionnalité est transmise au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation puis au Conseil constitutionnel (D. 2010-149)41 D. Rousseau RDP 2009 p. 631.42 Puisque dès la fin de la première année on dénombrait 2000 QPC posées devant les juges du fond en 1 an. Dans le rapport de l’Assemblée Nationale, il est constaté que cette QPC a eu un vif succès – sur les 4 premiers mois plus de 500 questions ont été posées aux TA et CAA et 100 directement devant le CE- t a d’emblée été largement utilisée, même si un certain nombre de questions n’ont pas été résolues et si un certain nombre d’ajustements se sont avérés nécessaires (comme la suppression de la formation spéciale de la Cour de cassation en vue de juger de la transmission nécessaire de la question au Conseil cf. Décret 2010-1216 du 15 octobre 2010). Une décision sur deux aboutit à consacrer la constitutionnalité. Un tassement progressif des demandes serait aujourd’hui constaté…

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Depuis le 1° mars 2010, dans le cadre de toutes les procédures nouvelles et en cours, le justiciable peuvent donc devant les juridictions de droit commun soulever l’inconstitutionnalité d’une loi par voie d’exception. Ce contrôle a posteriori coexiste avec la voie d’action, avant la promulgation de la loi43. Ce nouveau recours a immédiatement été mis en œuvre par les justiciables, les premières questions de constitutionnalité ont en effet été envisagées par le Conseil constitutionnel, quelques jours après cette entrée en vigueur.

L’affirmation du caractère prioritaire de la question de constitutionnalité a été posée par les députés pour résoudre l’enjeu majeur de l’articulation de ce contrôle de constitutionnalité avec le contrôle de conventionalité. La complexité du contrôle de constitutionnalité, tel qu’envisagé - avec son système de double filtre et le renvoi, le cas échéant au Conseil Constitutionnel, auquel revient seul en définitive, la décision de se prononcer sur l’inconstitutionnalité – et la lenteur qu’elle induit, avait en effet fait craindre que les parties privilégient systématiquement, chaque fois que cela est possible, les modalités plus souples du contrôle de conventionalité. Les justiciables peuvent en effet depuis l’arrêt Jacques Vabre invoquer devant les juridictions civiles de droit commun qui statuent directement dessus, sans ralentir la procédure, le fait qu’une loi ne respecte pas les engagements internationaux de la France…44. Or, nombre de ces conventions internationales garantissent des droits fondamentaux que l’on retrouve dans le bloc de constitutionnalité.

Ce caractère prioritaire est conçu comme une traduction de la suprématie de la Constitution dans la hiérarchie des normes. Au demeurant, il a semblé logique au plan procédural que le moyen aux effets les plus radicaux soit privilégié.

Le système du double filtre par la juridiction saisie puis par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation devrait éviter que cette QPC et son carctère prioritaire soient utilisés à des fins purement dilatoires.

Le Conseil Constitutionnel avec cette réforme change de nature   : il intervient dans des litiges en cours et accède alors au rang de véritable juridiction de sorte que le règlement du Conseil Constitutionnel a été modifié le 4 février 2010 par une décision en vue d’assurer le respect des garanties du procès équitable devant le Conseil, et notamment le respect du contradictoire et de l’exigence de publicité qui constituaient des défauts majeurs imputés à cette juridiction45.

En cas d’inconstitutionnalité la procédure de question prioritaire d’inconstitutionnalité aboutit, au terme d’un délai qui ne devrait pas dépasser 12 mois, à une abrogation de la disposition attaquée à compter de la publication de la décision du Conseil, ou de la date qu’elle fixe, ce qui donne à cette procédure une efficacité redoutable notamment comparée au contrôle de conventionalité.

Autre aspect très intimement lié aux exigences de droit judicaire dans cette réforme. Seules les dispositions relatives aux droit et libertés fondamentaux pourront être invoquées à l’occasion de cette question prioritaire, et non, par exemple, la question de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et réglementaire. En effet, sur ce point, le justiciable n’aurait pas intérêt à agir.

Et il a été prévu que la question prioritaire de constitutionnalité ne pourrait être relevée d’office.

Mais l’on notera alors que cela permet de déclarer inconstitutionnelles des dispositions parfois très anciennes.

La nouvelle procédure de question préjudicielle est marquée par de forts enjeux de pouvoir.

43 Toutes les lois même celles antérieures à 1958 sont concernées… Contrairement à ce qu’avaient envisagé les premiers projets.44 Il est d’ores et déjà prévu qu’une disposition jugée anticonstitutionnelle en vertu de cette procédure sera abrogée à compter de la décision du Conseil constitutionnel statuant sur l’inconstitutionnalité, voire à une date ultérieure fixée par la décision. Le Conseil détermine les conditions et limite dans lesquelles les effets que la disposition produit sont susceptibles d’être remis en cause. C’est donc un pouvoir d’abrogation immédiat tempéré par les exigences de sécurité juridique….Délai de 6 à 9 mois envisagé de la procédure avant une réponse du Conseil constitutionnel.45 Cette question du respect du contradictoire a à cet effet été spécialement envisagée par le RI à propos des griefs soulevés d’office. Une procédure de récusation des membres du Conseil a également été envisagée en vue d’assurer le respect de l’exigence d’impartialité : elle pourrait par exemple viser un ancien parlementaire qui a assuré la promotion du texte législatif lors de son édiction ! Ce règlement intérieur précise donc la procédure suivie par le Conseil dans le contexte de l’examen des questions prioritaires de constitutionnalité véritable « procès de constitutionnalité » selon les termes mêmes de JL Debré

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- D’ailleurs, l’Assemblée Nationale qui s’est livrée récemment à un rapport d’évaluation de la QPC ne s’y est pas trompée – on conçoit aisément l’irritation des parlementaires à voir leur travail ainsi mis sur la sellette... - Enjeu de pouvoir pour les juridictions suprêmes aussi. La Cour de cassation craignait, de son côté, de perdre la maîtrise du contrôle du respect des droits fondamentaux et de l’interprétation de la loi, d’être comme mise sous tutelle. Tout comme le Conseil d’Etat d’ailleurs, mais celui-ci a plus directement joué le jeu de la réforme, alors que la Cour de cassation refusait de se soumettre au mécanisme de la QPC lorsque l’inconstitutionnalité invoquée résultait non de la lettre du texte mais « de l’interprétation qu’en donne la jurisprudence ». Dans une interprétation stricte des termes de l’article 61-1, elle ne relève pas de ce contrôle – ce n’est pas stricto sensu une disposition législative (voir notamment différentes QPC du 19 mai 2010). Cette défense du pouvoir d’interprétation de la loi de la Haute juridiction judiciaire si elle peut sembler naturelle au premier abord, et si elle répond au souci de cantonner la QPC à de justes limites et d’éviter une dérive contentieuse, traduit une sanctuarisation de la jurisprudence peu conforme à l’habituelle hiérarchie des normes kelsenienne ! L’interprétation d’un texte en ressort détachée du texte lui-même, elle ne fait pas corps avec lui… Leurs sorts sont dissociés au nom d’une lecture formelle de l’article 61-1 de la Constitution. On est bien loin ici de la présentation traditionnelle qui refuse à la jurisprudence d’être une vraie source du droit – et qui serait tout au plus une autorité - puisqu’elle ne tire son autorité que de la loi elle-même – la loi interprétée avec laquelle elle fait corps (selon Roubier ou Boulanger) ! Et ce, alors même que dans d’autres décisions, la même Cour s’abrite derrière l’absence d’effet créateur de la jurisprudence pour récuser l’effet rétroactif de ses revirements de jurisprudence46. Ces considérations et critiques ont d’ailleurs semble-t-il quelques mois plus tard conduit la Cour de cassation à infléchir sa position et à transmettre au Conseil Constitutionnel une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article 365 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence (Cass. QPC 8 juillet 2010, AJ fam 2010 390, RTDCiv. 2010 p. 544). Et le Conseil à cette occasion a pris le contrepied de la position retenue par la Cour de cassation en énonçant qu’ « en posant une QPC, tout justiciable a le droit de contester la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (cf. Cons. Constit. 6 oct. 2010). Cela devait obliger la Cour de cassation à infléchir sa position ce qu’elle a fait explicitement dans une décision où elle admet que la portée que donne à une disposition législative précise, la jurisprudence d’une des juridiction suprêmes, peut faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité (Civ. 1, 27 septembre 2011, n° 11-13488, JCP 2011 1197 F. Chenédé et déjà en ce sens Civ. 3, 30 novembre 2010, n° 10-16828, Crim. 29 janvier 2011, n° 10-85159, et Civ. 2, 10 mars 2011, n° 10-40075, mais moins explicite)…- Enjeu de pouvoir entre les juridictions nationales et internationales également puisque la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas manqué de juger inconventionnelle une disposition jugée constitutionnelle par le Conseil (cf. Crim. 19 octobre 2010, n° 10-86051) et a rappelé avec force l’autorité de chose interprétée des décisions de la CEDH. Et les réticences de la Cour de cassation a fait preuve d'une certaine allergie à l’égard du nouveau dispositif de contrôle se sont traduites le 16 avril 2010, par une question préjudicielle tenant à la compatibilité du caractère prioritaire de la question de constitutionnalité avec les exigences découlant de la primauté du droit communautaire posée à la CJUE 47. Le juge communautaire a affirmé à plusieurs reprises que le juge national doit accorder une priorité au mécanisme de question préjudicielle sur la mise en œuvre des règles du droit interne des Etats membres ce qui concerne aussi les règles applicables au contrôle de constitutionnalité (cf. CJUE 22 juin 201048 arrêt Melki et Abideli et CJUE 5 oct. 2010 aff. Elchinov JCP 2010 n° 1061 et encore récemment CJUE 15 janvier 2013, JCP 2013 665). C’est en ce sens que doit être interprété l’article 267 TFUE. Autrement dit la CJUE admet la procédure française à condition qu’elle ne supprime pas la possibilité de faire application du droit de l’UE.

46 N. Molfessis, La jurisprudence supra constitutionem, JCP 2010 1039.47 B. Mathieu, « La Cour de cassation tente de faire invalider la question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de Luxembourg », JCP 2010.464 ; P. Sargos, « QPC, La parole à la Cour de cassation », D. 2010.1336 ; A. Levade, « Renvoi préjudiciel versus Question prioritaire de constitutionnalité : La Cour de cassation cherche le conflit ! », D. 2010.125448 CJUE, gr. ch., 22 juin 2010, aff. C-188/10, C-189/10.

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3°) La promotion des MARL et la déjudiciarisationSous l’influence des différents rapports et encore récemment des rapports sur la justice du

XXI° siècle qui viennent d’être remis au Garde des sceaux (voir auparavant le rapport Guinchard et ceux de M. Magendie, mais aussi un rapport du Conseil d’Etat, Développer la médiation dans le cadre de l’UE49), l’heure est à la promotion des MARL50.

Il y a quelques jours le ministre de la justice parlait encore de déjudiciariser le divorce. Proposition pourtant réfutée par le rapport de 2008 rendu par S. Guinchard et qui contrairement à ce qui a pu être dit ne résulte pas du rapport Delmas Goyon qui propose certaines déjudiciarisations en matière de surendettement en matière de tutelle des majeures de PACS et d’état civil .

Ainsi avec le décret du 20 janvier 2012 est créé dans le Code de procédure civile de 1976 un nouveau livre consacré à la résolution amiable des différends (art. 1528 à 1568) qui en plus d’autres articles plus précis relatifs à la conciliation et à la médiation judiciaire qui figuraient déjà dans le code et qui ont été complétés fixe des principes en matière de conciliation et de médiation extra judiciaire. De partout surgissent des textes qui prônent ou imposent le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, les baptisant alternativement « conciliation », « médiation », voire « arbitrage », ce qui montre à la fois que l'engouement pour les ADR ne ralentit pas et que les approximations conceptuelles continuent, elles aussi, de prospérer. Nouvelle panacée, ces ADR procèdent de plusieurs sources, d'inégale valeur.

Soulignons d’ailleurs que ce mouvement transcende les frontières nationales puisque les autorités européennes aussi promeuvent les MARL, comme en témoignent deux textes de transpositions  de la directive n° 2008/52 du 21 mai 2008 : une ordonnance le 16 novembre 2011 (n° 2011-1540), et un décret du 20 janvier 2012 (n°2012-66).

Ainsi, le décret n° 2010-1165 du 1 octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (JO 3 oct., p. 17986 ; JCP 2010. Actu. 1044, obs. C. Bléry) transposant une partie du rapport « Guinchard » de 2008, ce décret, entré en vigueur le 1 décembre 2010, procède à un renforcement et une généralisation de la conciliation en modifiant substantiellement le Code de procédure civile. Désormais, les dispositions sur la conciliation judiciaire, notamment le principe de la conciliation déléguée à un conciliateur de justice, qui opère cette mission sous le contrôle du juge (cf. art. 129-4 cpc), lequel en contrôle la durée de celle-ci (cf. art. 129-4 cpc) s'appliqueront à toutes les juridictions, y compris aux juridictions d’exception … C’est une manière de redonner de la vigueur à l’institution des conciliateurs de justice instaurée en 1978 avec une garantie de confidentialité des propos tenus devant lui (cf. art. 129-3 cpc). Les conciliateurs de justice ont ceci de particulier par rapport aux médiateurs dont on parlera plus tard qu’ils exercent leur mission bénévolement, là où les médiateurs judicaires sont rémunérés par les parties (art. 131-6 cpc et 131-13 cpc) – aspect à souligner en période de restriction budgétaire ! – et qu’ils peuvent intervenir et être saisis en dehors de toute procédure judiciaire ce qui renvoie alors à la catégorie des « médiations51 » extrajudiciaires. Les prérogatives des conciliateurs de justice sont mieux définies et la procédure de conciliation est mieux encadrée. Avec une telle réforme, la conciliation est placée au

49 La Documentation française 2010 qui recense notamment les instances de médiation en France.50 C'est parfois la loi qui les promeut. Ce fut d'abord le cas de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (JO 6 janv., p. 327 ; JCP 2010. 209, obs. N. Nevejans) qui autorise la conclusion de transactions valant réparation intégrale du préjudice et rendant toute nouvelle action irrecevable. Ce fut ensuite le cas de l'importante loi n° 2010-737 du 1 juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (JO 2 juill., p. 12001 ; LPA 2010, n° 208, obs. J.-P. Tricoit ; JCP 2010. Doct. 858, obs. S. Piedelièvre), accompagnée de son décret n° 2010-1221 du 18 octobre 2010 (JO 19 oct., p. 18667 ; JCP 2010. Actu. 1048) qui crée la Commission de la médiation de la consommation, auprès de l'Institut national de la consommation. Au terme du nouvel article L. 534-7 du code de la consommation, qui entrera en vigueur le 1 mars 2011, cette Commission sera « chargée d'émettre des avis et de proposer des mesures de toute nature pour évaluer, améliorer et diffuser les pratiques de médiation non judiciaires en matière de consommation », et notamment, ajoute le nouvel article L. 331-6, « de concilier les parties en vue de l'élaboration d'un plan conventionnel de redressement approuvé par le débiteur et ses principaux créanciers ». Ce fut enfin le cas de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 sur la régulation bancaire et financière (JO 23 oct., p. 18984 ; JCP 2010. Actu. 1053, obs. G. Berthelot, et 1072, obs. P. Roussel-Galle), dont l'article 57 insère de nouveaux articles L. 628-1 et suivants dans le code de commerce, lui aussi applicable à compter du 1 mars 2011, qui imposent une conciliation préalable obligatoire pour les créanciers financiers.

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cœur du procès judiciaire, et en transforme même la philosophie car le contentieux n'est plus perçu que comme l'échec de la conciliation, devenue voie normale de résolution des litiges.

Signalons également que le décret du 1° octobre 2010 n°2010-1165 (cf. JCP 2010 1044 n. C Bléry), relatif à la conciliation et aux procédures orales devant le juge civil entre en vigueur le 1° décembre 2010 opère un début de rapprochement appelé des vœux du P Perrot entre les procédures devant les juridictions d’exception civiles, et notamment des procédures orales et du statut de l’écrit dans celles-ci – lesquelles constituaient les grandes oubliées des réformes récentes. Le rôle de l’écrit dans ces procédures y est ainsi consacré et il est même prévu que peut être mise en place une mise en état… Les débats oraux ne peuvent que s’enrichir à être préparés : la procédure orale s’organise ! Une procédure même orale ne peut souvent se passer des écritures. Et l’art. 446-1 cpc al. 2 met fin au primat de l’oral souvent décrié. Et si la voie écrite est choisie on lui applique l’obligation de conclusions récapitulatives (art. 446-2 cpc al. 2). Et il est même parfois possible d’envisager un échange d’écrit sans comparution ce qui est pour le moins paradoxal, dans une procédure orale -art. 446-1 cpc : elle n’est donc plus une obligation mais une faculté ! C’est au juge que revient en définitive le choix de la procédure adaptée écrite ou orale… La sécurité de ces procédures s’en trouve renforcée.

Ajoutons aussi, la loi du 22 décembre 2010 n° 2010-1609 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires… Elle consacre une procédure participative de négociation pour améliorer l’offre des processus de résolution amiable des différends, désormais envisagée aux articles 2062 et suivants du Code qui consacrent la convention de procédure participative, par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de différend, soit une nouvelle forme de CDD organisant un processus de résolution des litiges extrajudiciaire (art. 2062 c. civ.). Signe que mêmes les procédures de conciliation extrajudiciaire s’institutionnalisent aujourd’hui. Ces dispositions ont été complétées par des dispositions réglementaires (les art. 1542 à 1568 cpc issus du décret du 20 janvier 2012), car ce contrat a une visée plutôt procédurale. En effet cette convention organise une sorte de médiation extrajudiciaire, sous la houlette d’un avocat ou plutôt d’ailleurs des avocats chacun assurant la défense de son client, ce qui justifie peut être d’avoir exclu les notaires moins partisans. Cela garantit au moins une négociation avec un égal accès au droit de part et d’autre. Et d’ailleurs, la loi elle-même énonce qu’en cas d’échec de la convention, si les parties ne parviennent pas à un accord, elles sont dispensées de la conciliation ou médiation préalable éventuellement prévue (art. 2066 c. civ.).Mais les ambiguités de ce contrat ne sont pas levées, s’agit-il du modèle du droit collaboratif qui l’a inspiré, ou d’un autre modèle de droit participatif instaurant une sorte de pré-instance. Les contours de la confidentialité et la soumission de la procédure à la contradiction seraient différentes selon le modèle retenu. Or le droit français en admettant que l’avocat participe à la phase judiciaire subséquente, en cas d’échec des négociations modifie de ce point de vue de façon subséquente les choses.

Celle-ci ne peut porter que sur les droits dont les parties ont la libre disposition (art. 2064 c. civ.), mais elle s’étend aux procédures de divorces, pour lesquelles cet outil supplémentaire de négociation a été jugée utile – d’ailleurs c’est en matière familial que le pacte collaboratif est principalement utilisé par les Etats qui y ont recours, notamment en Amérique du Nord. L’assistance ainsi envisagée, dont les modalités sont au demeurant assez floues dans les textes en vigueur, est réservée aux avocats (art. 2067 c. civ. et 4 de la loi de 1971 ( n° 71-1130 du 31 décembre 1971), ce qui peut laisser songeur à l’heure où l’on réfléchit à l’instauration d’une grande profession du droit  : le notaire n’aurait il pu également jouer un tel rôle ? Sont également exclus de son champ, les litiges en droit du travail, l’objectif étant sans doute ici de préserver les mécanismes de conciliation devant le Conseil de Prud’hommes (devant le bureau de conciliation) où le rôle des conseillers prud’homaux est justement d’aider les parties et de les informer sur la consistance de leurs droits pour parvenir à une solution équilibrée préservant notamment les droits de la partie faible qu’est le salarié. Cette conciliation acquiert alors une dimension d’ordre public.

51 Cette conciliation déléguée est en fait un procédé de médiation au sens où le législateur a défini la médiation dans l’ord. du 16 nov. 2011 (art. 21 de la loi du 8 février 1995) qui reprend la définition communautaire de la directive.

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Cette convention fait naître une fin de non recevoir, tant qu’elle est en cours soit sans doute au maximum pour la durée envisagée (art. 2065 c. civ.)… Néanmoins cette nouvelle fin de non recevoir conventionnelle ne joue pleinement que si les parties exécutent leurs engagements au terme de la convention participative, dans le cas contraire, elles sont en mesure de saisir les tribunaux.

Et il est ajouté que cette procédure participative suspend la prescription pour la durée à compter de la conclusion de ladite convention, ce qui donne l’occasion de modifier l’art. 2238 du Code civil instauré en 2008. La conclusion de cette convention de procédure participative laisse subsister néanmoins la possibilité de demander des mesures conservatoires ou provisoires, en cas d’urgence, lesquelles favorisent sans doute le processus de résolution.

La rétribution de cette procédure relève du processus d’aide juridictionnelle, ce qui est assez logique puisque depuis 1998 les pourparlers transactionnels peuvent être pris en charge à ce titre. Cette procédure avait été suggérée là encore par le rapport Guinchard.

Il s’agit tout au plus d’un contrat-cadre, qui encadre le processus de négociation, puisque la loi énonce que le terme de cette convention intervient lorsque les parties parviennent à ‘un accord réglant tout ou partie de leur différend », lequel à dessein n’est pas qualifié. Il pourrait donc s’agir souvent d’une transaction. Mais pas toujours puisque la convention de procédure participative peut en fait intervenir dans un domaine où les transactions sont impossibles faute pour les droits d’être disponibles lorsqu’il s’agit de rechercher une solution consensuelle en matière de divorce ou de séparation de corps ((art. 2067 c. civ. – convention qu’il sera du reste bien difficile de qualifier  ! - ), et parce qu’il existe aujourd’hui des conventions d’indemnisation amiables qui ne sont pas des transactions même si elles s’en inspirent. La convention de procédure participative serait alors une sorte de contrat cadre organisant les négociations, ou un avant-contrat conclu dans le but de parvenir à cet accord transaction ou non un contrat emportant directement résolution du litige.

Plus récemment encore, c’est la procédure d’arbitrage qui était réformée pour moderniser et renforcer l’efficacité du dispositif français applicable au plan interne et à l’international depuis 1981, lequel a servi de modèle de référence à différentes réformes nationales de pays étrangers mais aussi à des textes internationaux et qui situaient le droit français comme l’un des plus favorables à l’arbitrage au monde. Le nouveau décret date du 13 janvier 2011 (n° 2011-48, D. 2011 p. 175) consacre un certain nombre d’évolution jurisprudentielles survenues qui rendaient le droit de l’arbitrage moins accessible et moins lisible, ce qui favorisait une plus grande insécurité pour les parties qui choisissaient d’y recourir. La réforme en rendant pleinement au droit français son attractivité permet notamment de consacrer le rôle du juge d’appui, qui témoigne de ce que le recours aux MARL n’est pas conçu en opposition ou en concurrence totale avec la justice étatique. Ce juge intervient ainsi pour aider à la mise en place du tribunal arbitral et régler la question d’une éventuelle récusation, voire pour obtenir des preuves détenues par des tiers : c’est un autre juge, en revanche, qui interviendra pour contrôler le contenu de la sentence ou lui donner force exécutoire. Elle renforce aussi les pouvoirs de l’arbitre qui peut procéder à des mesures provisoires ou conservatoires. Un certain nombre d’évolutions jurisprudentielles sont ainsi confirmées, comme la consécration de l’estoppel ou le statut de l’arbitre. Les modes de signification des sentences sont en outre assouplis et l’absence d’effet suspensif des recours consacré.

On signalera aussi l’avènement du Défenseur des droits par la loi du 29 mars 2011, qui reprend notamment les attributions du Médiateur de la République. Même si c’est une autorité non juridictionnelle elle participe de cet esprit de promotion des MARL caractéristique de l’époque contemporaine. Il peut à la fois engager des actions de communication ou d’information, mais aussi rechercher des solutions amiables et proposer par exemple des transactions, voire dans certains cas en matière de discrimination saisir l’autorité compétente pénale ou disciplinaire. En revanche il ne peut interférer dans une procédure juridictionnelle.

Signalons enfin, la toute récente ordonnance du 16 novembre 2011 : elle transpose la directive du 21 mai 2008 en droit français, en définissant pour la première fois la médiation, elle reprend sur ce point celle de la directive et précise un certain nombre de principes directeurs de la médiation, communs aux médiations judiciaires et extra-judiciaires, nationales et transfrontières et ce pour éviter les discriminations a rebours. L’innovation est surtout marquante pour la médiation

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extrajudiciaire, jusque là non réglementée. Elle insiste en particulier sur le caractère volontaire du recours à ce processus, le principe de compétence et d’impartialité du médiateur, est aussi envisagé le principe de confidentialité et ses exceptions, et la possibilité d’assortir l’accord de la force exécutoire pour faire de la médiation une alternative crédible et efficace. Le but est à travers cette loi d’harmoniser les régimes de médiation interne et communautaire pour que la réglementation des litiges transfrontaliers trouve un écho plus large et ne soit pas à part.

Parallèlement à ce mouvement de promotion des MARL une orientation vers une déjudiciarisation se dessine aussi clairement dans les projet de réforme de la justice, elle participe d’une même idée de recentrement et de réflexion par voie de conséquence sur le rôle du juge….

Déjudiciarisation qui refait surface s’agissant de l’injonction de payer de la procédure de divorce, elle a été abandonnée dans le second cas après une réflexion menée par la commission Guinchard mais elle est de nouveau évoquée ; et elle n’est plus nécessairement à l’ordre du jour pour les procédures d’injonction de payer notamment françaises qui s’automatisent. En revanche, l’idée a refait surface en droit du travail où la judiciarisation excessive des rapports de travail a été présenté comme un frein au plein emploi, une des entraves du systèmes social français qui réduit notre compétitivité.

En droit du travail, la déjudiciarisation a commencé par la consécration de la rupture conventionnelle nouvelle technique contractuelle qui se veut plus sûre et où un contrôle en amont de la liberté du consentement du salarié permet de réduire à un an le délai de contestation de la rupture, évitant ce faisant un contentieux à rallonge alors que le contrat garantit à l’intéressé des indemnités de rupture et la possibilité de bénéficier des assurances chômage. Elle s’est poursuivie avec l’ANI du 11 janvier 2013 qui contestant le frein à l’emploi que constitue le contentieux pléthorique du licenciement propose différentes mesures dont la réduction des délais pour agir… Réduction d’ailleurs réduite pour mieux garantir la protection de l’accès au juge dans le projet de transposition de l’ANI par le gouvernement…. Avec une procédure de conciliation devant le bureau de conciliation « formatée »…

Le juge judiciaire semble toutefois faire de la résistance en droit du travail ou l’accès au juge a été réaffirmé par différents arrêts en 2013 notamment pour éviter que le pouvoir disciplinaire et le pouvoir de licencier ne soient instrumentalisés pour dissuader le salarié d’agir. La période du procès se trouve ainsi sanctuarisée et l’usage du licenciement s’il n’est pas prohibé pendant cette période devient plus suspect.

4°) La réforme de l’appelL’actualité nous conduit aussi à envisager en particulier la réforme de la procédure d’appel

puisqu’un récent décret du 28 décembre 2010 (n° 2010-1647) procède déjà à la réforme de la réforme intervenue un an plus tôt par le décret du 9 décembre 2009 (n° 2009-1524), inspirée du rapport, remis par JC Magendie le 25 juin 2008 est intitulé célérité et qualité de la justice en appel. Le texte renforce les prérogatives du conseiller de la mise en état et diffère la mise en place de l’appel par voie électronique, elle maintient certaines spécificités de la procédure d’appel que les avocats devront rapidement intégrer compte tenu de l’autre réforme relative à l’appel la fusion des professions d’avoués et d’avocats.

La loi du 25 janvier 2011 n° 2011-9452 emporte en effet une telle fusion, envisagée depuis plusieurs décennies, et qui avait soulevé pas mal de débats et été précédées de différents rapports (rapport Darrois de 2009, et rapport Attali de 2008), qui est entrée en vigueur le 1° janvier 2012, au terme d’une année de transition. La représentation des parties devant la Cour d’appel reste obligatoire, mais sera assurée par un avocat exerçant dans le ressort de la Cour d’appel, là où les avoués en avaient jusque là le monopole (compte tenu des spécificités de la procédure d’appel). Des mesures d’indemnisation sont mises en place pour les anciens avoués et leurs salariés qui devront se reconvertir.

Cette réforme répond au souci plus général de rationaliser le système judiciaire, de le rendre plus lisible, alors que la dualité de ces professions était inconnue des autres pays de l’Union européenne. Elle devrait en outre contribuer à un abaissement du coût des procédures.

52 Plusieurs décrets ont été pris en application de la loi.

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Seule la représentation devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation demeure spécifique, elle est assurée par des officiers ministériels titulaires d’une charge et d’un monopole en la matière, ce qui est plus justifié compte tenu des spécificités réelles de la procédure et du contentieux de cassation.

Or quoiqu’elle ait encore été récemment réformée la perspective d’une réforme de la porcédure est d’actualité à l’heure des premiers bilans. Elle est directement envisagée par l’un des rapports sur le juge du XXI ° siècle remis récemment au Garde des Sceaux.

§3 – Les perspectives de réforme de la justice

Il faut bien sûr les envisager au plan national et européen même s’ils se recoupent en partie….

1°) Les perspectives de réforme communautaires

Tous les 5 ans le Conseil et la Commission publient un plan d’action qui trace le fil de l’action prioritaire de ces institutions. Et le programme de Stockholm fixe comme objectif de promouvoir la citoyenneté européenne et les droits fondamentaux, pour la période 2010 1015.

Les champs d’actions actuels des autorités de l’UE en droit judiciaire concernent principalement les recours collectifs notamment pour les consommateurs pour lesquels une vaste consultation a été lancée par la Commission auprès des Etats au printemps dernier (la Commission européenne avait publié un livre vert sur envisageant notamment une action de groupe pour les consommateurs propre aux litiges intracommunautaires en 2009) et le règlement extrajudiciaire des litiges, sur lequel elle a aussi lancé une vaste consultation des Etats au même moment.

Un projet de règlement est également examiné portant sur la création d’une ordonnance européenne de saisie conservatoire, en vue de faciliter le recouvrement des créances transfrontières, ce serait une nouvelle procédure uniforme, sachant que l’OESC pourrait être obtenue avant l’obtention d’un titre exécutoire si cela paraît nécessaire, en montrant que la créance semble bien fondée (cf. JCP 20111 I 1397 p. 2495), ou encore après l’obtention d’un titre exécutoire.… Ce serait la première procédure de droit processuel de l’exécution.

2°) Les perspectives de réforme nationalesEt les perspectives nationales font écho au projet européen puisque la réforme des actions de

groupe devait voir le jour cet automne avec un projet dont les grands axes ont été mis en place en mai dernier…. Ce projet de loi consommation qui comporte différents aspects procéduraux au-delà de cette seule question qui concentre l’attention médiatique notamment sur le relevé d’office des moyens de droit a été examiné et voté en deuxième lecture le 16 décembre 2013 et repasse devant le Sénat fin janvier de sorte que le processus a pris quelque retard mais semble bien avancé.

La nouvelle action de groupe telle qu’elle est issue du projet de loi Hamon du 2 mai 2013 l’envisage et pour laquelle l’articulation avec le droit des affaires et plus particulièrement avec le droit de la concurrence est d’emblée envisagée. Dans ces contours elle rejoint donc plus directement la problématique du contentieux des affaires, dans la mesure où elle peut servir à faire sanctionner une pratique anticoncurrentielle, sur le mode du « follow on », c’est-à-dire que l’action de groupe ne peut être mise en œuvre que si le professionnel a été sanctionné sur le terrain des pratiques anticoncurrentielles, par une décision de l’autorité de la concurrence, ce qui en diminue la portée voire, de l’avis de certains, ce qui rendrait le nouvel outil d’un intérêt plus théorique que pratique parce que la condamnation sur le fondement de l’action de groupe et l’indemnisation en sont retardés d’autant, voire seraient impossible le projet n’ayant prévu aucun mécanisme de suspension de la prescription de sorte que l’action en indemnisation risque d’être prescrite le temps qu’il y ait condamnation par l’autorité de la concurrence (Art. L 423-11 c. conso.). Peut- être alors pourrait on utiliser la nouvelle cause de suspension de la prescription tirée de l’impossibilité d’agir (l’obstacle est ici de nature juridique, il vient de la « loi » visée à cette disposition). Si elle n’était pas prescrite, l’action s’en trouverait facilitée dans la mesure où les manquements du professionnel seront réputés établis (Art. L 423-12 c. conso.). La suspension de la prescription n’est prévue que pour l’action en indemnisation, consécutive à la condamnation de principe à indemniser (Art. L 423-13 c. conso.). Il n’en demeure pas moins qu’elle devrait intervenir dans les cinq ans de la condamnation (Art. L 423-11 c. conso.).

D’autres éléments limitent par ailleurs considérablement la portée de cette action de groupe, puisque celle-ci ne peut être portée que par une association de consommateur agréée, représentative au

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niveau national, et ne concerne que les préjudices matériels «  à l’exclusion de ceux résultant d’un dommage corporel », (toujours plus délicate à évaluer et supposant une personnalisation peut propice à une évaluation globale prévisible), elle ne peut en outre être portée que devant les juridictions civiles (Art. L 423-1 c. conso.). Elle renvoie à un préjudice causés à plusieurs consommateurs placés dans une situation identique ou similaires et causés par un même professionnel.

A l’image du modèle préconisé par le doyen Serge Guinchard, l’indemnisation opère en deux temps. D’abord une condamnation judiciaire de principe - elle est partant l’occasion de vérifier que les conditions d’une action de groupe sont réunies et que les différents verrouillages textuels sont bien respectés. Elle permet aussi au juge de définir le groupe ((Art. L 423-3 c. conso.) en fixant les critères de rattachement, quitte à ce que es intéressés individuellement fasse connaître leur intention de se détacher du groupe… Puis dans un second temps et selon différentes modalités une fois ce principe de responsabilité acquis, seront envisagées les actions individuelles en indemnisation. C’est la phase dite de liquidation des préjudices.

Or, l’autre élément qui nous intéresse ici consiste dans le fait que cette liquidation des préjudices peut prendre les contours d’une action judiciaire classique, en tranchant les différends qui peuvent naître à cette occasion (Art. L 423-7 c. conso.), ou ceux d’une sorte de médiation collective (Art. L 423-9 s. c. conso.).

La difficulté est alors de s’assurer que les intérêts individuels de chaque intéressé ayant subi un préjudice est bien respecté, le droit d’action étant un droit personnel dont l’exercice est libre.

C’est pourquoi la loi prévoit des mécanismes d’information des intéressés par des mesures de publicité. Et en outre, il envisage une homologation de l’accord collectif de médiation, car il dépasse les seuls intérêts des signataires et le juge doit en particulier s’assurer qu’il «  est conforme aux intérêts des consommateurs susceptibles d’y appartenir » (Art. L 423-10 c. conso.) et l’on touche ici du doigt toutes les subtilités qu’impose la médiation collective et les risques qu’elle comporte.

Dans la mesure où le système reste encré sur un mécanisme d’opt in, il faut sans doute en déduire que l’intéressé pouvait par avance s’exclure du groupe et de la médiation collective et conserver son droit individuel d’action en réparation mais de ce point de vue le texte n’est pas très clair sur le caractère contraignant de l’accord lié alors que les transactions ont en principe un effet relatifs et où elles supposent une renonciation libre et éclairée au droit d’action. L’article L. 423-14 c. conso. semble étendre la portée de l’accord qui aurait autorité de chose jugée à l’égard des membres du groupe (sans doute le groupe tel que défini au départ par le juge), l’art L 423-16 c. conso. ajoute que l’action serait atteinte d’irrecevabilité si elle vise les mêmes faits et les mêmes manquements reprochés et si on le combine avec l’art. L 431-15 le même préjudice (entrant dans le champ d’application de l’action de groupe)…

Il resterait peut être toutefois possible à l’intéressé de faire valoir qu’il ne relève pas du groupe en question, ou que relevant du groupe, il est dans une situation particulière et que l’accord ainsi conclu le serait en fraude à ses droits. Mais peut-il le faire après homologation ou doit-il le faire à l’occasion de l’homologation ? Là encore, le texte manque de précision.

Comme pour compenser l’extension de l’autorité et de la portée de l’accord à tous les membres du groupe l’art. L 423-15 c. conso. prend soin de préciser que l’adhésion au groupe ne fait pas obstacle au droit d’agir selon les voies de droit commun pour obtenir la réparation des préjudices individuels n’entrant pas dans son champ d’application. Ce qui est une manière de circonscrire la portée de la renonciation au droit d’action qu’elle emporte et partant l’atteinte à l’accès au juge (droit fondamental) dont la disposition reconnaît indirectement qu’il est atteint.

Si elle n’est donc pas très précise sur la portée de l’accord et les moyens pour les membres du groupe de se soustraire éventuellement à l’accord qu’il jugeraient défavorable, il est néanmoins précisé que l’association requérante est libre de participer ou non «  peut participer à une médiation » (Art. L 423-9 c. conso.).

Plus largement, le ministère de la Justice, a lancé une vaste réflexion sur la Justice du XXI° siècle qui s’est traduite par la remise de plusieurs rapports en décembre 2013 précédé par un rapport de réflexion sur l’office du juge aujourd’hui remis en juillet dernier et dans lequel ils s’inscrivent, ce rapport proposait de recentrer sur ses missions essentielles et donc de déjudiciariser certains contentieux et favoriser les modes alternatifs de règlements des litiges comme dans plusieurs

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pays européens mais selon des voies propres à la France qui n’a pas choisi d’imposer un préalable obligatoire de conciliation devant les juridictions comme en Italie ou en GB.

Un rapport Marshall a par la suite été remis le 16 décembre 2013 qui a trait à l’organisation judiciaire il ambitionne de rendre la justice plus accessible au justiciable et de renforcer l’accès au droit pour les justiciables afin d’en faire de véritables acteurs du procès. Il voudrait instaurer une plus grande proximité. Il préconise en premier lieu, dans un souci de qualité de la justice, de réorganiser autours de pôle de compétence plus cohérents l’ensemble des juridictions civiles, autour de 6 tribunaux spécialisés, pour certaines contentieux, dont un de proximité, le but étant d’atteindre la taille critique attendue des juridictions ; il ajoute notamment une proposition d’introduction de l’échevinage en 1° instance pour les juridictions sociales et commerciales (proposition n° 19), à contre courant des réformes programmées pour la justice commerciale notamment, mais en proposant de façon originale de commencer par l’introduire en appel ce qui pourrait permettre de vaincre certaines réticences ou a priori. Il insiste donc également sur la qualité de la justice et sur la nécessité pour les magistrats de collaborer avec les acteurs de la société civile que sont les attachés de justice (avocats) les juges citoyens, les conciliateurs.

Un rapport Delmas Goyon remis le 9 décembre 2013 a trait quant à lui au juge du XXIè siècle. Il part du constat que notre système judiciaire est trop complexe, les procédures trop longues et les coûts trop élevés. Il propose de favoriser les solutions négociées du litige de développer l’usage des nouvelles technologies (notamment le règlement des litiges en ligne) ce qui va dans le sens d’une déjudiciarisation. Il propose aussi de permettre, trait plus original, le passage de l’oral à l’écrit et vice-versa. Il préconise d’utiliser davantage les référentiels qui peuvent faciliter le travail du juge sans le dispenser d’exercer son office et qui donnent des repères au justiciable. Il suggère de davantage promouvoir le travail en équipe des magistrats entre eux et avec les personnels judiciaires en vue d’une meilleure concertation. Enfin il est préconisé malgré une réforme récente de redonner un sens à l’appel. Soit au total 67 propositions d’améliorations….

Il a fait parler de lui tout récemment en ce qu’il envisage la déjudiciarisation et notamment celle du divorce piste envisagée il y a 5 ans et rejetée par le rapport de S. Guinchard de façon argumentée alors même que ce rapport ne la fait pas figurer dans les cas de déjudiciarisation préconisés.…

Un rapport Nadal remis le 28 novembre 2013 sur le ministère public.Un rapport de l’IHEJ remis en juillet 2013 sur l’office du juge.

Ces réformes, la déjudiciarisation53 envisagée par certains, suscitent des réactions du monde judiciaire et en particulier dans un rapport récent les syndicats de magistrats (USM) n’ont pas manqué de souligner, dans un livre blanc sur l’état de la justice 2010 que la France figure en bas des classe-ments internationaux pour le nombre de magistrats rapportés à la population ( Classement de la France 39° sur 45 par le CEPEJ). Or ce sont des suppressions de postes de magistrats qui sont prévues et non des créations. Il y est également souligné que la part du budget consacré à la justice classe la France en 37° position sur 43 dans les classements du CEPEJ), et ce même si cette part de budget est en hausse en 2011 (+ 4,15%) cette augmentation est à mettre en lien avec une augmentation constante du nombre des recours, et avec les augmentations plus importantes pratiquées par les Etats voisins….

Au terme de cette introduction, il apparaît que la procédure civile, le droit judicaire privé qui est la branche du droit qui organise la résolution des litiges d’intérêt privé par les juridictions civiles renvoie donc à un processus… qui va de la demande en justice jusqu’au jugement, en y incluant son exécution.

La procédure englobe donc la théorie de l’action, soit la définition du droit d’agir, mais aussi la théorie de la juridiction, soit la détermination des organes dotés du pouvoir de juger et de leurs compétences d’attribution et territoriale. Elle renvoie également la théorie de l’instance, soit l’étude du lien procédural unissant les parties au procès, lien générateur de droit et d'obligations entre les parties et le juge qui est étudié plus précisément dans le cours de droit judiciaire de Master II.

53 cf. Amrani Mekki, la déjudiciarisation, GP 4 et 5 juin 2008 n° 157 p. 2.

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Ainsi, nous nous concentrons plus spécialement sur l’accès au juge qui passe par le droit d’action et l’instauration de tribunaux aux compétences définies : soit le droit au juge, et le droit au juge compétent, c’est-à-dire, la théorie de l'action et de la juridiction.

Le terme de théorie est employé à dessein ici pour mieux souligner que ces règles sont essentiellement au service d’un idéal démocratique, à savoir, la consécration d’un droit effectif au juge qui est un instrument de réalisation des droits subjectifs. La procédure est devenue un instrument de réalisation de ce droit fondamental d’accès au juge, sous l’impulsion du droit international et constitutionnel, soit des sources supra législatives… Compte tenu de ce qu’on a pu dire sur la procédure civile au sein de l’UE, l’on envisagera également, en particulier, le droit du procès transfrontalier, appelé à occuper une place grandissante. C'est ainsi déboucher sur une démarche plus prospective, sur ce que pourrait devenir une procédure plus harmonisée à l'échelle communautaire.

Intégrer la partie sur la reconnaissance et l’exécution via Bruxelles I dans la partie sur la juridiction et le statut particulier du juge européen par rapport aux autres juges…

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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE.

L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec 2013, 8° édition.S. Guinchard, F. Ferrand et C. Chainais, Procédure civile, Droit interne et droit communautaire, Précis Dalloz 2012, 31° édition.S. Guinchard, F. Ferrand et C. Chainais, Procédure civile, Hypercours Dalloz 2013, 3° édition.J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Domat Montchrestien 2012, 5° édition par T. Le Bars.G. Couchez et X. Lagarde, Procédure civile, Armand Colin 2014, 17° édition.P. Julien et N. Fricero Droit judiciaire privé, Manuel LGDJ, 3 ° édition 2009G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, 3° édition 1996S. Guinchard, et alii, Droit processuel, Droit fondamentaux du procès, Précis Dalloz, 7° édition, 2013.E. Jeuland, Droit processuel, Une science de la reconstruction du lien social, Domat Montchrestien 2012, 2° édition.

Et sur le droit judiciaire européen signalons :N. Fricero, L’espace judiciaire européen en matière civile et commerciale, Carrés, Gualino 2011.L. Cadiet, E. Jeuland, S. Amrani Mekki (sous la dir. de), Droit processuel de l’Union européenne, LexisNexis 2011.

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PLAN.INTRODUCTION

Section 1 : Procédure civile, droit judiciaire, et droit processuel : la procédure dans une approche notionnelle

§ 1 - La définition de la procédure civile.1. Un processus2. Un droit sanctionnateur§ 2 - Les caractères de la procédure civile1. Impérative2. Formaliste3. Hétérogène§3 – La distinction des termes.

A - Droit judiciaire privéB - Droit processuel

Section 2 : Les sources du droit judiciaire : la procédure dans une approche dynamique§ 1 – Les sources nationales

A - Les Codes de procédureB - La répartition des pouvoirs entre législatif et règlementaireC - La jurisprudence.

1. La jurisprudence constitutionnelle et administrative2. La jurisprudence judiciaire

D - La pratique et la doctrine§ 2 – Les sources internationales

I - Les sources internationales stricto sensuII – Les sources européennes

A - Le droit processuel de l’Union EuropééenneB - Le droit processuel issu du Conseil de l’Europe

Section 3 : Les défis actuels de la procédure civile et du droit judiciaire§1 – Le recours aux nouvelles technologies par la procédure.§2 - Les réformes permanentes de la justiceVers un nouveau management de la justice1.La réforme de la carte judiciaire et de la répartition du contentieux2. La QPC 3. La promotion des Modes Alternatifs de Règlement des Lititges (MARL) e4. La réforme de l’appel

1° PARTIE :L’action le droit d’accès au juge étatique.

Section 1 : L’existence du droit d’agir§ I - L’intérêt, condition générale de l’existence du droit d’agir

A - La notion d’intérêt à agirB - Les caractères requis de l’intérêt à agir

§ 2 - La qualité, condition supplémentaire de l’existence du droit d’agir requise par la loiA- Les hypothèses légales de distinction de l’intérêt et de la qualité

1. La qualité ou la restriction du cercle des personnes habilitées à agir.2. La qualité ou l’élargissement du cercle des personnes habilitées à agir.

B- La distinction de la qualité et du pouvoirSection 2 : La disparition du droit d’agir

§1 – La prescription.I – La modernisation du droit de la prescriptionII - Une simplification partielle

§2 - L’autorité de la chose jugée.I - Le fondement et les implications de l’autorité de la chose jugée

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II - L’évolution de la définition de l’autorité de la chose jugée§3 – Le désistement d’action et l’acquiescement.

I – Le désistement d’actionII – L’acquiescement

Chapitre 2 : Les conditions d’exercice ou de mise en œuvre de l’actionSection 1 : La validité de la demande

§1 – La capacité ou les hypothèses de représentation en justice.§ 2– Le pouvoir ou les formes de représentation en justice.

A - La représentation ad agendum :B - La représentation ad litem :

Section 2 : Les modalités de la demande§1 - Les différentes formes de demande

A- Les demandesB - Les moyens de défense

1. Les défenses au fonda - Définition :b - Régime :2. Les exceptions de procédure (art. 73 et 74 cpc et 112 s. cpc)a - Définition  :b - Régime  :

* Le principe* Les exceptions

3. Les fins de non recevoir (article 122 s. cpc).a - Définition  :b - Régime  :§ 2 - Les effets de la demande1.La demande, condition nécessaire de la saisine du juge.2.La demande et son effet interruptif de prescription3.La demande opère mise en demeure

Section 3 : L’effectivité du droit d’agir§ 1 - Effectivité au sens juridique§2 - Effectivité au plan matériel1. Les mécanismes d’aide juridictionnelle en France.2. Les restrictions à l’octroi de l’aide juridictionnelle et le droit au procès équitable.3. Le relais de l’assurance de protection juridique.§ 3 - Les caractéristiques du droit d’agir

I - Les caractéristiques propres du droit d’agir : un droit facultatif et libre.1.Un droit dont l’exercice est facultatif et libre2. Les sanctions de l’exercice abusif ou dilatoire de l’action.a – Les dommages-intérêtsb- L’amende civile

II - Les caractéristiques inhérentes au droit substantiel en cause.A – Les classifications fondées sur la nature du droit litigieux1. La distinction principale entre actions personnelles et actions réelles2. La catégorie particulière des actions mixtes…B – Les classifications fondées sur l’objet du droit litigieux1. La distinction générale des actions mobilières ou immobilières2. La distinction spéciale des actions (immobilières) pétitoires et possessoires§ 4 - Aménagement et transmission de l’action

I - L’aménagement conventionnel de l’actionA - Les clauses prévoyant le principe et les modalités du processus de résolution du litige.

1°/ La clause de médiation ou de conciliation obligatoire2°/ La clause compromissoire

B - Les clauses prévoyant une forme de réparation d’un manquement contractuel.II - La transmission de l’action

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2° PARTIE :La juridiction ou le droit au juge étatique compétent.

Chapitre 1 : La spécificité de l'activité judiciaireSection 1 : L'activité juridictionnelle

§1 - Les critères de l’acte juridictionnel,1°/ Critères formels ou organiques2°/ Critères matériels3°/ Critères tirés de la qualité de tiers du juge§2 - La dualité de l’acte juridictionnel,

A – Les décisions contentieuses1°/ Définition2°/ Diversité

B – Les décisions gracieuses1°/ Définition2°/ Diversité§3 - Les attributs caractéristiques de l’acte juridictionnel

A - L’autorité de la chose jugée attribut propre de la fonction juridictionnelle1°/ Sa portée2°/ Sa localisation

B - Les autres attributs du jugement qui en confortent l’efficacité.Section 2 : L'activité non juridictionnelle

§1 - Les actes relatifs à l’administration de la justice§2 - Les actes relatifs à la solution du litige

Chapitre 2 : Les principes de répartition des compétences entre les juridictionsSection 1 : Les critères de compétence interneSous section- 1 : Les règles de compétence matérielle

§ 1 – L’attribution de la compétence en raison de la valeur du litige.A - L’évaluation du litige en présence d’une seule demande.B - L’évaluation du litige en présence d’une pluralité de demandeurs.

§ 2 - L’attribution de la compétence en raison de la nature du litige.A – Les compétences des juridictions de droit communB – Les compétences des juridictions d’exception1°/ Les Tribunaux d’instance2°/ Le juge de proximité3°/ Le Tribunal de commerce4°/ Le Conseil de Prud’hommes

Sous- section- 2 : Les règles de compétence territoriale§ 1 - La règle de principe : la compétence du Tribunal du domicile du défendeur.§ 2 - Les dérogations ou aménagement à la règle de principe.

Sous-section 3 : Compétence et pouvoir du juge en matière de référé et d’ordonnance sur requête.

A-Les ordonnances de référé.B-Les ordonnances sur requête

Section 2 : Les critères de compétence internationale§1 - Les règles de compétence internationale générales

A - Les règles ordinaires de compétence internationale1. Les règles de compétence internationale élaborées à partir des critères de compétence

territoriale interne.2. Les règles de compétence internationale élaborées en dehors de critères de compétence

internes.B - Les règles dérogatoires de compétence internationale.

1. Domaine d’application :2. Régime :

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§2 - Les règles de compétence internationale spécialesA - Les règles de compétence communautaires,

1°/ Le règlement dit Bruxelles I2°/ Les règlements spéciauxa - Le règlement dit Bruxelles IIb - Le règlement en matière de procédure d'insolvabilité du 29 mai 2000c - Le règlement en matière d’obligation alimentaire du 18 décembre 2008

B - Les conventions internationales qui envisagent la question de la compétence internationale,

Chapitre 3 : Le régime de la répartition des compétences entre les juridictionsSection 1 : Les extensions de compétence

§ 1 – La prorogation légale de compétence.A – Les moyens de défenseB – Les demandes incidentesC – Les incidents d'instance et la question des frais de justice

§ 2 – La prorogation conventionnelle de compétence.A - La validité exceptionnelle des accords portant sur la compétence dans l'ordre interne.B – L'admission plus compréhensive des accords de compétence dans l'ordre international.

1. Les règles de prorogation de compétence dans l’ordre international.1.1. Les conditions de validité des accords de compétence internationale.1. 2. L’ efficacité des accords de compétence internationale.2. Les règles de prorogation de compétence dans l’ordre communautaire.

Section 2 : Les incidents de compétence§1 - Le règlement des exceptions d'incompétence

I - Les techniques de déclenchement de vérification des compétences.A – Le déclinatoire de compétence.1°/ Une exception préalable.2°/ Une exception motivée.B – L’incompétence relevée d’office par le juge.

II - Le rôle de la juridiction de 1° degréIII – Les recours ouverts contre la décision d'incompétence de première instance.

1°) Les procédures de contredit et d’appel2°) Les sanctions auxquelles s’expose celui qui invoquerait témérairement une incompétence.3°) Les possibilités de désistement

IV – Le règlement du problème de compétence et la poursuite de l’instance au fond.§ 2 - Le règlement des exceptions de litispendance et de connexité

I – La litispendance.1°/ La litispendance en droit interne.2°/ La litispendance en droit international et communautaire.

II – La connexité.1°/ La connexité en droit interne.2°/ La connexité en droit international et communautaire.

3° PARTIE : L’avènement d’un droit du procès transfrontalier au sein de l’UE…

Chapitre 1 : Les significations et notifications transfrontalièresSection 1 : Les mécanismes de notifications mis en place par le règlement du 29 mai 2000 et celui du 13 novembre 2007

§1 - les acteurs du processus de transmission§2 - Les formes de la notification§3 - Les incidents de notification

Section 2 : Les améliorations apportées par le règlement du 13 novembre 2007 entré en vigueur le 13 novembre 2008.

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Chapitre 2 : La coopération judiciaire dans l’obtention des preuves civilesSection 1 : La collaboration directe de juge à juge.Section 2 : L’exécution directe par la juridiction requérante.

Chapitre 3 : La reconnaissance et l'exécution des jugements dans l'Europe communautaire.Section 1: La reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale : le règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I.

§1 - Le cadre de la reconnaissance ou de la déclaration constatant la force exécutoire.§2 - Procédure et voies de recours.§3 - Effets de la décision constatant la force exécutoire.

Section 2: La reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : le règlement du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis.

A. Le principe est là encore celui de la reconnaissance sans qu’il soit nécessaire de recourir à une quelconque procédure,B. La déclaration de la force exécutoire

Section 3 : Le titre exécutoire européen.§1 – Le champ d'application circonscrit du titre exécutoire européen.

A - Les actes pouvant bénéficier de la certification.B - La notion de créance incontestée.

§2 - Les conditions de la certification.§3 – Les effets de la certification en tant que titre exécutoire européen.

Chapitre 4 : Les procédures spécifiques harmonisées.Section 1 : La procédure européenne d’injonction de payer

§1 - Le domaine spécifique d’application de cette procédure.§2 – Les modalités de cette procédure§3 – L’exécution de la décision.

Section 2 : La procédure européenne pour les petits litiges.§1 - Le domaine spécifique d’application de cette procédure.§2 – Les modalités de cette procédure§3 – L’exécution de la décision.

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1° PARTIE :L’action le droit d’accès au juge étatique.

Définition de l’action et présentation de la théorie de l’action.Les auteurs du Code de procédure civile ont voulu faire œuvre doctrinale , en proposant des

définitions et en dégageant non seulement des règles pratiques qui organisent l’action, mais plus généralement une certaine théorie de l’action, qui est le fruit d’une longue évolution de la pensée processuelle. Celle-ci figure au titre II du Code de procédure civile qui est consacré à l’action, et qui succède au titre I relatif aux principes directeurs du procès, intitulé dispositions liminaires, faisant ainsi de ce Code plus qu’un outil de praticiens.

Introduire cette notion fondamentale dans le Code de procédure civile – « Il n’y a pas de procès sans action » en vertu de ce code - et plus généralement, introduire la théorie de l’action suppose de s’attarder sur les termes de l’article 30 du Code de procédure civile.

Il énonce, à titre de définition que : « L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci

afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention ».

Cette définition appelle deux remarques :

* D’emblée, la définition de l’action est bilatéralisée : elle est envisagée tant du côté du demandeur que de celui du défendeur qui l’un et l’autre devront montrer que les conditions d’existence de l’action sont réunies sur leurs têtes respectives, de part et d’autre. Cette bilatéralisation est évocatrice. De fait, plus généralement, le défendeur soulèvera l’inexistence du droit d’action, de sorte que l’examen porte le plus souvent sur l’existence de ces conditions en la personne du demandeur.

Pourtant, de l’avis de certains, cette bilatéralisation ne serait pas nécessaire : il suffit de se fonder sur les droits de la défense pour admettre que l’adversaire a le droit de discuter le bien fondé de l’action.

* Telle qu’elle vient d’être définie, l’action ne se confond ni avec le droit substantiel, dont elle poursuit la défense, « le fond », ni avec la demande en justice qui traduit sa mise en œuvre mais qui présente une certaine autonomie vis-à-vis d’elle puisque cette demande pourra être déclarée irrecevable, le droit d’action étant en fait éteint… D’ailleurs, les demandes sont envisagées un peu plus loin dans le cpc, au titre IV, avec l’instance, après un titre III consacré à la compétence que nous envisagerons en 2° partie…* Distinction de l’action et du droit substantiel

« Le droit d'être entendu sur le fond d’une prétention… » c’est dire que l’action ce n’est pas le droit, ni même « le droit en mis en mouvement54 ». Or cette distinction qui nous est peut être évidente, est relativement récente.

Longtemps, l’action a été présentée « comme le droit à l’état de guerre, au lieu d’être à l’état de paix » - Demolombe. Garsonnet ne voyait pas dans l’action « autre chose que le droit lui-même ». Cette conception des choses est héritée du droit romain, de la procédure formulaire : la formule délivrée par le prêteur crée le droit en donnant l’action. Il n’y a de droit que là où une action est accordée. La doctrine du XIX° en exacerbant le droit subjectif a entretenu cette confusion.

L’assimilation était au fond critiquable. - Il existe en effet des droits (substantiels) sans action en justice c’est le cas du droit de créance

qui résulterait d’une obligation naturelle. Il est susceptible d’exécution spontanée et ne pourra pas faire l’objet de restitution – sur le fondement de la répétition de l’indu – s’il était exercé de son propre chef par le débiteur (voir par exemple, Civ. 1, 4 janvier 2005, JCP 2005 II 10159 note M. Mekki).

54 Demolombe ou le droit à l’état d’action par opposition à l’état de repos…

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- Il existe des actions en justice indépendantes de tout droit (subjectif), ainsi en est-il de l’action du ministère publique, comme partie principale. Celui-ci poursuit la défense judiciaire de l’ordre public, mais ne poursuit nullement la défense d’un droit subjectif.

- Et sous l’angle pur du droit judiciaire, cette assimilation est illogique. Il arrive en effet que certaines demandes soient recevables – ce qui signifie que le droit d’action existe et que le litige sera examiné au fond – mais mal fondées- la prétendue prérogative substantielle alléguée n’existe pas.

Cela a conduit la doctrine moderne sous l’influence de Vizioz et de Motulsky dont les travaux ont inspiré le Code de procédure civile à distinguer nettement les deux. Le droit d’action est un droit subjectif d’ordre processuel qui vient se surajouter à la prérogative substantielle – au droit subjectif au fond.

La doctrine publiciste n’est pas étrangère à cette conception, parce que le contentieux objectif celui du recours pour excès de pouvoir ne s’explique que si l’on admet qu’il existe un droit d’action détaché de la prérogative substantielle. Or, le recours administratif devait pour être distingué du recours hiérarchique, accéder au rang de véritable action en justice, synonyme d’un Etat de droit, un Etat soumis au droit. L’objectif des REP est de veiller à la légalité et non pas de trancher un litige portant sur des droits subjectifs… Et dans les procès administratif l’examen du litige se fait bien en 2 temps, celui de la recevabilité et de la régularité de la demande et celui de l’examen au fond.

La doctrine italienne a également consacré ses réflexions à la nature de l’action en justice… Chiovenda mettait ainsi en évidence que le procès doit être distingué de son objet ou de son contenu. Le pouvoir de déclencher l’activité juridictionnelle – l’action- est donc distinct de la matière sur laquelle ce pouvoir s’exerce.

Le Code de procédure civile consacre cette vision des choses, admettant qu’une action puisse être recevable et mal fondée… En reconnaissant également que l’examen de l’existence du droit d’action, soit la recevabilité de l’action, n’est pas subordonnée à un examen au fond du litige, puisqu’elle lui est préalable, chronologiquement parlant. L’examen de l’existence du droit d’action se fait au regard d’autres critères, celui de la prescription éventuelle, de l’existence d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, entre les mêmes parties et portant sur le même objet, ou de l’existence d’une qualité ou d’un intérêt à agir.

D’ailleurs, plutôt que de parler de droit subjectif processuel, certains préfèrent parler de pouvoir légal permettant de s’adresser aux institutions juridictionnelles, tant il est vrai qu’il est difficile d’envisager un sujet passif à ce droit (il existe des procédures sans défendeur, telles les procédures sur requête, et le juge serait difficilement concevable comme sujet passif tant il occupe dans le procès un rôle et un statut particulier).

A l’inverse, il ne faut pas exagérer la distinction entre le droit subjectif processuel ou le pouvoir d’agir en justice et le droit substantiel. Car les deux entretiennent des liens étroits : un droit substantiel sans action reste souvent platonique sinon théorique… D’où l’importance du droit au juge consacrée par la CEDH, notamment dans l’arrêt Golder de 1975, déjà évoqué. C’est un aspect sur lequel on reviendra. Mais il suffit ici de noter que : - Les classifications dont l’action fait l’objet, sont souvent commandées par la nature de la matière litigieuse.- La valeur reconnue au droit d’agir, prérogative processuelle, est étroitement dépendante de celle du droit subjectif en cause.- Et devant les juridictions civiles du moins, l’action est étroitement dépendante de la lésion d’un droit subjectif. C’est donc le droit subjectif qui est directement le fondement le support des prétentions et de l’action. Seul le ministère public se voit reconnaître en matière civile un droit d’action dans l’intérêt de la loi…. La subordination de l’existence du droit d’action à un intérêt à agir exprime cette nécessité élémentaire de l’atteinte à un droit substantiel au travers de l’article 31 cpc.

Les liens entre droit d’action et droit substantiel sont donc plus complexes qu’il n’y paraît   : ce qui se traduit par le régime hybride des fins de non recevoir.

* Distinction de l’action et de la demandeLe Code de procédure distingue aussi l’action de sa mise en œuvre au travers de la demande.

L’action est le droit ou le pouvoir de saisir le juge, là où la demande est la manière dont s’exerce ce

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droit, sa mise en œuvre procédurale. Cet acte de procédure prendra la forme d’une assignation d’une demande, d’une requête ou d’une requête conjointe.

L’indépendance du droit d’action par rapport à la demande se traduit de différentes manières.Ainsi, le cpc admet qu’il advienne que le droit d’action existe – l’action est recevable - mais

que la demande soit irrégulière parce que les formes requises quant à la saisine du juge ne sont pas respectées.

La demande préexiste nécessairement à l’examen de la recevabilité de l’action. Et en sens inverse, elle aura existé même si la demande est jugée irrecevable.

De même, la mise en œuvre du droit d’action peut se concrétiser autrement que dans une demande en justice. Le titulaire du droit d’action peut en effet renoncer purement et simplement à l’invoquer ou renoncer à l’utiliser devant les tribunaux étatiques pour le mettre en œuvre devant les juridictions arbitrales ou pour en disposer par voie conventionnelle en signant une transaction (contrat spécial régi aux article 2044 s. du C. Civ.) qui, comme le jugement, traduira un épuisement du droit d’action au travers d’une fin de non recevoir.

Valeur du droit d’agir.

Sous l’influence conjuguée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de l’applicabilité directe de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, l’importance et la valeur attachée au droit d’action en justice ont été récemment mises en valeur. Ainsi, le droit d’agir été consacré comme droit fondamental comme un droit de l’homme.

L’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, en particulier, au travers de l’article 6§1 a ainsi conduit a consacrer le droit à ce que sa cause soit entendue comme un droit, une liberté fondamentale qui s’impose aux véritables démocraties. Et le justiciable a droit à ce que l’Etat remplisse ses obligations en ce sens, soit des obligations positives garantissant un droit effectif à un procès équitable.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel a donné quant à elle une valeur constitutionnelle au droit d’agir, ce qui le situe dès lors au sommet de la hiérarchie des normes. Ainsi, une décision du 9 avril 1996, se fonde sur l’article 16 de la DDHC du 2 août 1789, selon lequel toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée n’a point de constitution, pour considérer qu’en principe, il ne doit pas être apporté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Le droit au juge est donc constitutionnellement consacré, parce qu’il garantit l’effectivité des droits. L’octroi d’une réelle possibilité de recourir, d’accéder au juge devient alors la condition de la constitutionnalité de l’ensemble du système juridique ; et plus la prérogative en cause est fondamentale, plus ce droit d’agir mérite d’être protégé.

Notons également que la DUDH du 10 décembre 1948 et le Pacte international relatif aux droits civils et politique du 19 décembre 1966 et ratifié par la France en 1981 consacrent l’une et l’autre (art. 8 DUDH et ART 2§2 et 2§3 du PIRDCP) un droit à un recours effectif devant les tribunaux nationaux contre les actes violant ces droits fondamentaux.

Ainsi, le droit d’action est inhérent à la notion d’Etat de droit….Il s’inscrit dans une liberté publique plus large que l’Etat garantir soit la liberté d’accès à la justice.

Sous cette double influence conjuguée et grâce à la consécration de sa valeur de droit fondamental, la théorie de l’action a pu dès lors récemment être renouvelée….

Sa valeur de droit fondamental, n’exclut pas que ce droit d’agir soit soumis à certaines conditions, restrictions. Pour agir en justice : il faut remplir plusieurs conditions. Avoir un intérêt à agir et qualité à agir, - conditions auxquelles renvoie l’article 31 cpc - à exciper d’un droit, il faudrait en outre le faire dans les délais requis et avoir la capacité de le faire, au travers d’une demande en justice.

Certaines de ces conditions ont ainsi trait à la personne du sujet qui agit et à l’objet des prétentions et aux conditions d’existence de l’action d’autres ont trait aux conditions de mise en œuvre des actions, à son exercice.

Avant de regarder si une demande est fondée en droit le juge doit examiner au préalable si elle est recevable, c'est-à-dire si le droit d’action existe et a été correctement mis en œuvre.

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Il s’agit donc d’abord d’examiner les conditions générales d’existence et de mise en œuvre de l’action, sachant que les conditions d’ouverture de l’action et de recevabilité de la demande sont multiples et variées, elles varient suivant l’objet de la demande, en particulier, et suivant la situation concrète.

- Ainsi, la réconciliation des époux est une fin de non recevoir propre à l’action en divorce. - De même, la convocation du dirigeant de la personne morale, poursuivi en paiement des dettes

sociales, pour être entendu personnellement par le tribunal, est un préalable obligatoire aux débats ; l'omission de cet acte, qui fait obstacle à toute condamnation, constitue une fin de non-recevoir, propre au droit des faillites et à la responsabilité des dirigeants sociaux dans ce contexte Com. 28 octobre 2008, (n° 07-16.056, (R L DAff., n° 33, déc. 2008, Actualités, n° 1972, p. 13-14, note Audrey Faussurie et n° 07-13.133, D. 2008 AJ p. 2865, note A. Lienhard).

- Enfin, les actions tendant à obtenir, la résolution, la révocation, la rescision, l’annulation d’une vente portant sur un immeuble doivent nécessairement faire l’objet d’une publicité auprès du registre des hypothèques, à défaut de quoi ces demandes en vertu de l’article 30 5 du décret du 4 janvier 1955 relatif à la publicité foncière les frappe d’irrecevabilité.

Parmi les conditions générales qui nous intéressent plus directement ici, l’on distinguera celles tenant à l’existence du droit d’agir (chapitre 1), de celle tenant à ses conditions de mise en œuvre (chapitre 2).

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Chapitre 1 : Les conditions d’existence du droit d’agir

Quand le droit d’agir naît-il ? Quand disparaît-il ?

Sans doute faut-il commencer par rappeler, même si le Code de procédure ne le spécifie pas, que le droit d’agir en justice est un attribut essentiel de la personnalité juridique. Dès lors, ne peuvent pretendre agir valablement que les personnes physiques ou morales – et ce sont pour les groupements que la question se pose plus spécialement – dotés de la personnalité juridique. A côté des attributs dits “substantiels” aptitude à être sujet passif et actif d’obligation et d’être doté d’un patrimoine, figure l’aptitude à agir en justice, versant processuel, ou judiciaire de la personnalité morale55.

Serait irrecevable, la pretention formulae par une partie dépourvue du droit d’agir, s’agissant d’une demande formulée par un groupement non personnifié56. Ainsi une indivision ne peut agir en tant que telle en justice et ce sont les indivisaires qui tous doivent formuler la demande quitte à se donner mandat pour que la demande, ou les actes de procédure, soient réguliers et opposables à tous.

Il est vrai que les choses ont parfois été déformée par la jurisprudence qui a consacré la théorie de la réalité de la personnalité morale (pour les comité d’établissement en 1954) et qui a découvert qu’ils étaient dotes de la personnalité morale parce qu’ils étaitent suffisamment organisés pour exprimer une volonté proper, afin de leur donner accès au prétoire pour defendre des droits, sans nécessairement chercher à les doter d’un patrimoine57.

- Pour la personne morale cette personnalité apparaît au jour que la loi fixe en général après l’accomplissement de certaines formalités légales d’enregistrement ou immatriculation (au RCS par exemple, ou dépôt des statuts à la préfecture de police pour les associations (la déclaration). Et les groupements de fait ne peuvent ester en justice, leur action serait entachée d’un vice de fond…Ils ne peuvent pas davantage être attraits en justice.

- Pour la personne physique la question est moins problématique. Cependant la jurisprudence récente a eu l’occasion de préciser qu’une personne décédée avant l’introduction de l’instance ne peut plus agir de ce fait puisque sa personnalité juridique a pris fin et un pourvoi qui serait formé par un conseil qui n’aurait pas été avisé du décès serait « déclaré » nous dit l’arrêt comme « non avenu ». Cela n’empêche pas ses héritiers de former en tant que successeurs un pourvoi recevable à sa place si l’action leur est transmissible (cf. Civ. 3, 28 octobre 2009, Proc. 2009 n° 386). Si elle décède en cours d’instance en revanche on verra que si une transmission de l’action est possible, une interruption d’instance aura lieu après notification du décès à la partie adverse.

Le Code de procédure reste muet sur ces questions parce qu’elles sont régies par le Code civil, ou plus généralement par les codes spécifiques (c.com. pour les sociétés et le RCS). Reste alors à s’interroger sur les conditions propres d’existence et de disparition du droit d’action qui elles relèvent strictement du droit judiciaire ?

En effet, à quelque niveau que l’on se situe, quel que soit le titre au nom duquel une personne agit comme partie au procès, le droit d’agir est la condition de toute action.

Toute personne qui agit, tant comme demandeur que comme défendeur, voire comme tiers intervenant au procès (329 et 330 cpc), doit avoir intérêt et qualité pour agir en justice, pour invoquer en justice la sanction du droit substantiel lésé… Toute personne engagée à un titre quelconque dans l’instance doit de ce seul fait se soumettre aux conditions générales d’ouverture des actions en justice.

Une personne peut ainsi avoir perdu l’intérêt de faire appel alors que l’existence de son droit d’action a été consacrée en première instance, simplement parce qu’elle a obtenu gain de cause en appel, parce que l’appel est avant tout une voie de réformation58. Ainsi dans une espèce tranchée en

55 E. Savaux, La personnalité morale en procédure civile, RTDCiv. 1995 p. 156 Civ. 2, 15 janvier 1992, Dr. Soc. 1992 n° 45.57 E. Savaux, La personnalité morale en procédure civile, RTDCiv. 1995 p. 1 58 La Cour de cassation précisait ainsi récemment que l’appelant « ayant obtenu, devant le premier juge, satisfaction sur l'intégralité de ses demandes (en l’occurrence une demande de divorce par consentement mutuel) et que son appel n'ayant pour finalité que de présenter une demande de prestation compensatoire non

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2013 une demande de divorce par consentement mutuel avait été formée et le divorce avait effectivement été prononcé, l’appel n'ayant pour finalité que de présenter une demande de prestation compensatoire non formée en première instance n’était pas recevable faute d’intérêt . La personne n’avait pas intérêt à agir en appel. La chose n’ayant pas été jugée en première instance : elle aurait intérêt à formuler une action en 1° instance.

Ce sont là des conditions générales d’ouverture des actions qui sont aussi requises pour l’exercice d’un appel (546 cpc) ou d’un pourvoi en cassation (609 cpc), voire pour d’autres formes de recours telles l’opposition (571 cpc) la tierce opposition (583 cpc) ou le recours en révision (593 cpc). Sachant que pour certains types d’actions, on l’a dit s’y ajoute parfois des conditions spécifiques, parce qu’elles mettent en cause les dirigeants sociaux ou la société , parce que sont en cause des droits immobiliers publiés.

La difficulté vient de ce que « intérêt » et « qualité » sont des notions voisines, qui entretiennent l’une avec l’autre des liens étroits. D’ailleurs, la jurisprudence ne les distingue pas toujours avec la netteté attendue. Toutes les deux sont d’ailleurs liées au droit substantiel invoqué, lésé. L’intérêt à se prévaloir de ce droit doit être légitime…. Et la qualité traduit le lien étroit unissant le droit violé et l’action.

Ces conditions sont même si proches qu’à lire l’article 31 du cpc, il semble en fait qu’une seule des deux soit tout à fait généralement requise.

« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

L’intérêt y apparaît au fond comme la seule exigence générale, la qualité n’est requise comme par accident, plus exceptionnellement, là où la loi pose une condition supplémentaire pour accorder le droit d’agir à certaines personnes.

A ces conditions d’existence de l’action s’ajoutent celles qui tiennent à ce que le droit d’action ne doit pas avoir disparu : il ne doit pas être épuisé par le fait d’une action en justice antérieure ou d’une transaction, où il aurait d’ores et déjà été mis en œuvre, le litige ayant été définitivement tranché. Il ne doit pas davantage avoir disparu par l’effet de l’écoulement du temps de la prescription ou de l’épuisement des délais de recours. Ainsi, le droit d’action qui existait initialement pourrait venir à s’éteindre c’est donc à l’existence (section 1) puis à sa disparition (section 2) que l’on s’attachera ici.

Section 1 : L’existence du droit d’agir

Elles sont on l’a dit au nombre de deux : intérêt et qualité, mais la notion d’intérêt est placée par le Code de procédure civile au premier plan (art. 31), et mérite logiquement d’être examinée en premier.

Et ces conditions sont applicables y compris si le litige revêt une dimension internationale. La cour de cassation a ainsi rappelé récemment que les principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises s'appliquent à toutes instances introduites en France, quelle que soit la loi gouvernant le fond du litige ou la loi en vertu de laquelle le demandeur indique agir pour le compte d'autrui. Il en résultait alors en l’espèce que la société de droit allemand, titulaire d'un mandat général pour agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandantes, était irrecevable à agir en France, contre une société française, en application de l'article 31 du code de procédure civile, faute de justifier d'un mandat spécial de chacun de ses mandants. (Civ.1, 14 avril 2010 n° 08-70.229 (n° 404 FS-P+B+I), Dalloz 2010 p. 1087).

formée en première instance, la Cour d’appel en a exactement déduit qu'e l’appelant était, en application du texte précité, privé du droit d'appel » et que son appel était irrecevable faute d’intérêt à agir (cf. Civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-22341, Proc. 2013 n° 331)

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§ I - L’intérêt, condition générale de l’existence du droit d’agir

Malgré la valeur fondamentale reconnue au droit d’agir en justice, la jurisprudence de la CEDH reconnaît qu’il peut être soumis à certaines restrictions, à condition qu’il ne soit pas atteint dans sa substance… En effet, sa nature de droit fondamental s’oppose à ce que des atteintes substantielles, ou des restrictions trop fortes y soient apportées. Ainsi, une décision du 13 août 1993 ne reconnaît le droit d’agir qu’aux seules personnes intéressées.

Et la notion d’intérêt renvoie alors à des adages aussi célèbres que parlants  : « Pas d’intérêt, pas d’action » ou « l’intérêt est la mesure des actions ».

Assez logiquement, ce n’est pas la preuve de l’existence du droit subjectif lésé ou la preuve de la violation du droit subjectif lui-même qui est requise pour ouvrir la voie du prétoire. De tels éléments sont justement le résultat attendu du procès de l’instance engagée. On attend seulement à ce stade du plaideur qui prétend agir qu’il justifie d’un avantage que pourra lui procurer l’action. Le procès doit être utile au plaideur… Les juridictions n’ont pas vocation à trancher des débats purement théoriques ou académiques.

Cette notion d’intérêt - d’avantage - est assez délicate à appréhender de sorte que pour la préciser après l’avoir envisagé en soi on analysera les qualificatifs qui permettent de mieux la préciser. L’intérêt doit ainsi être positif et concret ; il doit en outre être juridique ou légitime, il doit enfin être né et actuel.

A - La notion d’intérêt à agir en soi

L’intérêt à agir renvoie à l’idée que toute personne dont la situation juridique peut être affectée par la règle de droit peut agir… Mais seules ces personnes affectées par la mise en œuvre de la règle de droit litigieuse le peuvent.

Ainsi, la Cour de cassation a pu récemment préciser le régime procédural de l’action de l’art. 215 c. civ. « Si l'article 215 du code civil désigne l'époux dont le consentement n'a pas été donné comme ayant seul qualité pour exercer l'action en nullité de l'acte de disposition, par son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cet époux doit justifier d'un intérêt actuel à demander l'annulation de l'acte ». Dès lors, si à la date de l’assignation l’épouse ne résidait plus dans l'immeuble litigieux qu'elle avait quitté depuis plus d’un an, au cours de l'instance en divorce, les juges du fond ont souverainement estimé que celle-ci n'avait plus d'intérêt à agir en nullité de l'acte d'affectation hypothécaire et a déclaré à bon droit sa demande irrecevable59. Il s’agit en effet de protéger le logement de la famille, or ici le local a perdu cette qualité60.

De la même manière lorsqu’un acte est accompli par un seul des époux, alors qu’il requiert le consentement des deux conjoints, l’exception de nullité peut être opposée par celui des époux qui n’a pas donné son consentement, sans que l’époux à l’origine de l’acte ou le cocontractant puisse invoquer un risque de conflit d’intérêt entre les membres du couple (Civ. 1, 31 mars 2010, n° 08-19469, RDC 2010 p. 1354 obs. Serinet). Ils n’y ont pas intérêt, ils ne sont pas les personnes protégées par ce texte et cette action. En revanche, l’effet de la nullité se produira si elle est recevable et si les conditions sont réunies erga omnes…

L’intérêt visé à l’article 31 cpc se compose de deux éléments à suivre MM. Cornu et Foyer, la réalité d’un mal (un trouble), et la possibilité d’un remède. Le jugement, l’aboutissement de l’action serait de nature à faire cesser ce trouble. Et ces auteurs d’affirmer qu’il n’y a pas d’intérêt si le demandeur «  se plaint sans avoir mal, ou que la décision sollicitée si elle était obtenue, ne serait pas un remède à son mal » ( Cornu et Foyer, Procédure civile § 78 et §80). Ainsi serait irrecevable l’action en révocation du testament rédigé par un époux et exercée par son épouse si cette nullité ne rétablissait de toutes façons pas cette épouse dans ses droits successoraux…

Assez logiquement, ce n’est pas la preuve de l’existence du droit subjectif lésé ou la preuve de la violation du droit subjectif lui-même qui est requise pour ouvrir la voie du prétoire. De tels éléments sont justement le résultat attendu du procès de l’instance engagée. Il suffit d’invoquer

59 Civ. 1, 3 mars 2010, n° 08-13500, D. 2010 p. 1608, RDC 2010 p. 1354 obs. Serinet60 Cette position peut soulever des objections dans la mesure où précisément, c’est au moment de la séparation que le logement doit être protégé…

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l’atteinte portée à un droit subjectif substantiel – et l’action sera justement l’occasion de vérifier la titularité, l’existence de ce droit, si du moins celle-ci n’apparaît pas d’emblée fantaisiste. Et si l’action est jugée irrecevable faute d’intérêt l’existence du droit ne sera pas même vérifiée…

L’intérêt à agir s’apprécie en amont, et se distingue ainsi du préjudice dont il serait demandé réparation. Partons d’un exemple concret, une action en responsabilité civile : l’examen de la réalité du préjudice, de ses caractères (moral, économique, préjudice licite ?), relève du fond du droit, et non des dispositions procédurales ; il n’est examiné que dans un second temps par le juge. Au fond on pourrait dire qu’au stade de l’examen de la recevabilité on examine si un dommage (un mal) a vraisemblablement été subi, tandis qu’on examinera au moment de l’examen au fond si un préjudice légalement admissible – soit un dommage pris en compte par le droit – est caractérisé.

Les règles de procédure, quant à elles – celles qui ont trait à la recevabilité en particulier – déterminent si le procès a bien une utilité.

La preuve d’un intérêt à agir doit alors nettement se distinguer de celle de la violation du droit subjectif en cause, qu’il s’agisse d’un droit de propriété ou de créance, voire d’un droit de la personnalité.

Ainsi, la Cour de cassation rappelait-elle le 5 février 1997 (Civ. 5 février 1997 ; Proc. 1997 n° 82) que l’existence d’un droit invoqué par le plaideur n’est pas une condition de la recevabilité de sa demande.

La difficulté vient de ce que n’est pas toujours invoquée la violation d’un droit subjectif mais parfois celle d’une liberté – le droit à une concurrence loyale, il n’y a pas là de droit subjectif à une concurrence loyale -, on est plus proche ici d’un contentieux objectif. Il en va de même chaque fois que la violation de la légalité est directement invoquée en matière civile, sans renvoyer à un droit subjectif précis (action pour exiger le respect d’un règlement de copropriété exercée par un copropriétaire ou action pour demander l’annulation d’une résolution d’assemblée générale)… L’intérêt à agir résiderait alors dans le règlement de copropriété.

On notera également que l’intérêt à faire appel est spécifique et différent de celui qui ouvre la recevabilité de l’action en 1° instance, dans la mesure où l’appel met en œuvre un second degré de juridiction : il suppose que les parties à la procédure d’appel et notamment l’appelant ait intérêt à obtenir la réformation de la décision rendue en 1° instance en tout ou en partie, ou bien son annulation, ce qui suppose que l’appelant ait succombé en tout ou en partie dans ses prétentions, et qu’il n’ait pas renoncé à l’appel (cf. Civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-22341, Proc. 2013 n° 331). Si la solution se justifie pleinement dans une vision de l’appel comme voie de réformation, l’affirmation est plus discutable dans la mesure où l’appel est devenu voie d’achèvement du litige. Ajoutons à cela que la demande initiale devant les premiers juges était une demande de divorce par consentement mutuel, soit typiquement une hypothèse où il n’y a ni gagnant ni perdant du procès… Mais ici l’appel n’avait d’autre but que de formuler une demande nouvelle ce qui est méconnaître le sens de l’appel dans le cpc.

Les caractères requis de l’intérêt permettent de le cerner plus précisément, par la négative pour dire quand il n’existe pas, l’une de ces conditions faisant défaut.

B - Les caractères requis de l’intérêt à agir

L’intérêt doit ainsi être personnel, positif et concret ; il doit en outre être juridique ou légitime, il doit enfin être né et actuel.

* personnel, positif et concret d’abord,Soulignons à ce titre que l’intérêt moral (l’atteinte à l’honneur à la réputation, à la dignité) –

mérite une égale protection à celle de l’intérêt pécuniaire… Et il est admis qu’il puisse être porté atteinte y compris à la réputation d’une personne morale (cf. Civ. 2, 5 mars 1993, RTDciv. 1993 p. 559).

Une personne ne peut agir en justice que si elle est lésée dans ses intérêts propres, et si le résultat de l’action lui profite personnellement. Dès lors aucune difficutlés sir les prétentions invoquées sont d’ordre patrimonial.

- En revanche il ne serait pas possible d’attribuer à une personne le droit d’agir pour défendre l’intérêt général, cela empiéterait sur les prérogatives propres du Ministère public qui est justement chargé quant à lui de la défense de l’intérêt général et de l’ordre public.

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C’est en particulier pour les personnes morales que la notion d’intérêt personnel est plus délicate à cerner. Plusieurs types d’intérêts se cristallisent autour de ces personnes morales. Leurs intérêts patrimoniaux propres, mais aussi d’autres intérêts incarnant l’objet qu’elles se sont fixé d’atteindre, et qui peuvent renvoyer pour partie à l’intérêt général – en tous cas à défaut d’être un intérêt général, c’est au moins un intérêt collectif… Pour éviter que ces personnes morales ne se substituent au rôle du Ministère public, et compte tenu d’une défiance traditionnelle de l’ordre juridique français envers les personnes morales, la jurisprudence imposait traditionnellement aux personnes morales qui agissaient en justice de rapporter la preuve d’un intérêt personnel à agir notamment lorsque ne sont pas nécessairement en cause des intérêts patrimoniaux. Et les choses de ce point de vue on le verra évoluent peu à peu.

- De même, un individu n’est pas censé agir en justice pour défendre les intérêts d’autrui, sauf à en avoir valablement reçu de mandat, parce que « En France, nul ne plaide par Procureur », et qu’au demeurant, le jugement n’a entre les parties que l’autorité relative de la chose jugée…

Ainsi, en droit français, à la différence de ce qui existe dans certains systèmes juridiques anglo saxons, il n’y a pas place pour les class actions. C’est-à-dire qu’un particulier, personne physique ou morale, ne peut représenter un ensemble inorganisé de personnes qui seraient placées dans la même situation, par exemple, parce qu’elles seraient victimes d’un même dommage de masse (contamination par l’amiante, par le virus du SIDA à la suite d’une transfusion sanguine), en dehors des mécanismes classiques du mandat personnel qui peut s’avérer lourd et délicat à mettre en œuvre. Et récemment c’est par les mécanismes du mandat et par l’intermédiaire d’une association ad hoc (l’AFER), que sont passés de petits épargnants, pour obtenir une indemnisation de sommes détournées par les dirigeants de la société à qui ces sommes ont été remises. Les lourdeurs des dossiers papiers et des mécanismes du mandat ont été une forte incitation à faire avancer le mécanisme de l’e-justice pour que les dossiers des victimes puissent être déposés sous la forme d’un disque dur externe et éviter un encombrement du greffe61 !

L’action de groupe, traduction française de la notion de class action, se définit alors comme une action introduite par un représentant, pour le compte de toute une catégorie de personnes, ayant des droits identiques ou similaires, et aboutissant au prononcé d’un jugement ayant autorité de la chose jugée à l’égard de tous les membres de la classe ou du groupe. Cela permet de soumettre à un traitement unique des prétentions qui par leur cause ou leur objet et par la personne du défendeur présentent les caractéristiques d’un litige type. Aux Etats-Unis une telle action est exercée, sans recours à un mandat d’agir en justice, mais sur autorisation judiciaire préalable, pour le compte d’un groupe potentiel correspondant à l’ensemble indéfini et ouvert de personnes qui du fait des circonstances se trouvent placées dans des situations comparables.

Seule est admise, pour l’heure, en France la technique des ligues de défense, qui emprunte directement au mandat, technique que l’on désigne par l’« opting in », car le représenté a fait connaître son intention d’être représenté, a donné mandat avant la mise en œuvre de l’action commune…..

En revanche, pour l’heure il n’existe pas de class action avec « opting out », soit une personne qui agit au nom d’un groupe inorganisé d’individus, victimes d’un même sinistre, ou lésées de la même façon, tant que les individus concernés et informés n’ont pas fait connaître leur intention de s’exclure de cette action commune, et de ne pas être concernés par le jugement rendu.

Et c’est principalement cette idée de l’intérêt personnel à agir sur lequel l’action de groupe achoppe qui suppose pour contourner l’obstacle que le législateur habilité spécialement certaines personnes qu’il choisit (comme pour les actions de substitution qui seront envisagées après) à qui il donne qualité pour représenter les intérêts d’autrui….

Différents projets d’action de groupe ont pu être avancés avec des ambitions, des profils différents62. Ces projets présentent un certain nombre de caractéristiques communes.

61 PY Gauthier, La somme des mandats en droit civil et processuel français, D. 2012 p. 208.62 Le Président Chirac, en 2005, avait fait connaître sa volonté d’introduire en droit français d’une action de groupe. Et le projet, depuis cette date, a plusieurs fois été relancé, sans pour autant aboutir… Encore récemment en 2010 une proposition de loi sur le recours collectif était proposée au Sénat par Mme Bricq et M. Yung le 9 février 2010 (proposition enregistrée le 13 avril 2006 n° 322) puis un rapport paraissait en ce sens rendu par un groupe de travail du Sénat en mai 2010 – on aurait pu aussi citer le rapport Attali de 2008 sur la libération de la croissance ou encore, le rapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires à laquelle il ferait un juste contrepoids civil…. Pourtant les pouvoirs publics semblent toujours hostiles à l’introduction d’une telle action en

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- Ils reposent en général sur un système d’opt in qui suppose à un moment donné que les intéressés se fédèrent à l’action pour que le jugement rendu leur soit opposable et les lie. - Il serait vraisemblablement statué en deux temps : un premier jugement statuant sur la recevabilité de l’action de groupe et le principe de responsabilité commun à tous, puis des jugements particuliers, évaluant au cas par cas les préjudices afin de préserver le caractère intégral du droit à réparation (cf. Projet Hamon L 423-3 c. conso). - Il n’en demeure pas moins que son champ d’application prête à controverse, certains voulant lui donner une portée générale en droit commun procédural d’autres une portée plus étroite. - Elle continue au demeurant de susciter un certain nombre de réserves de principe – quant à la portée de l’autorité de chose jugée notamment, et les dérives procédurières qu’elle est susceptible de générer surtout si elles est combinée avec des dommages-intérêts punitifs en réalité. Comment constituer le groupe ? Comment évaluer les préjudices individuels et gérer les sommes non réclamées ? Quelle place laisser au règlement transactionnel ?

En 2013, un projet de loi dit Hamon a proposé de mettre en place un recours collectif, uniquement pour les préjudices matériels subis par les consommateurs et à l’exclusion des préjudices matériels qui seraient la conséquence d’un préjudice corporel. Ce projet à l’heure actuelle a été adopté en 2° lecture par l’Assemblée Nationale et passera en seconde lecture devant le Sénat fin janvier (n° 244 enregistré le 18 déc. 2013), il pourrait donc être adopté d’ici peu.

Compte tenu de l’objet circonscrit de cette action, néanmoins, on peut dire que l’exigence de l’intérêt personnel est maintenue…

Pourquoi ces choix : pourquoi la consommations ? C’est un domaine où les contentieux de masse existent indéniablement et où la faiblesse des enjeux financiers en cause dissuade parfois d’agir, ce recours collectif est donc pour le Ministère une avancée démocratique…. Du fait de ce choix, les textes modifiés sont intégrés au Code de la consommation (art. L 423-1 c. conso.) et non au cpc.

Pourquoi les associations de consommateur et pas un panel élargi des « porteurs » de l’action de groupe. Pour assurer un premier filtre, mais cela crée aussi le mécontentement de certains avocats : l’action est ainsi réservée aux associations de consommateurs agréées jouissant d’une certaine expérience. Les pouvoirs de ce représentant ne sont pas encore pour l’heure clairement définis : peut-il se désister acquiescer, accepter un accord négocié ? Par ailleurs, le financement de l’action de groupe par les associations de groupe suscite des interrogations, compte tenu de la lourdeur de la charge qu’elles sont susceptibles de représenter. Les associations de consommateur auront-elles les reins assez solides ? Comment parviendront-elles à répondre de leur responsabilité devant les consommateurs qui se plaindraient ultérieurement de la façon dont l’action a été menée. D’ailleurs les associations joueront un rôle dans la première pahse mais seront sans doute en retrait par la suite, dans la phase de liquidation du préjudice qui pourra être confié à un tiers (pourquoi pas un avocat ?).

Pourquoi les seuls préjudices matériels ? Parce que c’est une manière de la lancer ? Parce qu’ils se prêtent mieux à ce type d’action dit-on : les préjudices corporels appellent une individualisation plus grande et le principe de réparation intégrale n’y a sans doute pas la même portée, l’indemnisation est plus subtile et ses montants moins prévisibles. Avec le préjudicie corporel il y a en outre toujours un risque d’aggravation. D’ailleurs ne sont visées que les actions devant les juridictions civiles.

Beaucoup d’incertitudes subsistent notamment sur la phase de liquidation des préjudices individuels, de sorte qu’on est encore un peu de flou, le projet manquant à certains égards de précision. Les navettes ont conduit à adjoindre au texte une disposition en vertu de laquelle le juge qui a statué sur la responsabilité tranche les difficultés qui s’élèveraient à l’occasion de le phase de liquidation (cf. art. L L423-6 c. conso.).

Un aspect du projet laisse sceptique et pourrait rendre la réforme vaine en tous cas si les agissements matérialisent des pratiques anti-concurrentielles. En effet, l’action de groupe, est limitée

droit français, en avançant notamment des arguments tenant à la crise économique.Et plus récemment encore début 2011 dans le cadre de la réforme des AAI et de l’instauration d’un défenseur des droits, l’Assemblée Nationale envisageait qu’il puisse exercer un tel recours collectif (cf. D. 2011 p. 243). Enfin en 2013, un projet Hamon propose de mettre en place un recours collectif, uniquement pour les préjudices matériels subis par les consommateurs et à l’exclusion des préjudices matériels qui seraient la conséquence d’un préjudice corporel.

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aux hypothèses ou l’agissement a déjà été sanctionné par l’Autorité de la concurrence (art. L423-10 c. conso. Mécanisme connu sous le non du follow on). Il en résulte que l’action en indemnisation risque d’être le plus souvent prescrite (aucun mécanisme de suspension de la prescription n’ayant été prévu), au jour où le l’association de consommateur pourra effectivement agir, aspect auquel la récente reformulation de l’article L 423-11 a tenté de remédier…

Les autorités communautaires, elles aussi, s’intéressent à ce projet d’action de groupe et ont envisagé un livre vert là-dessus.

Mais si les class actions permettent de réparer efficacement certains dommages de masse, notamment lorsque le préjudice est diffus, et qu’ils renvoient à une multitude de préjudices de faibles montants, alors que le comportement du professionnel est blâmable – d’un point de vue moral concurrentiel, écologique - justement parce qu’un raisonnement calculateur il a pu miser sur le fait qu’il ne serait pas attaqué en justice…, les illustrations de ces dommages de masse peuvent se rencontrer aussi bien en matière d’environnement qu’en matière boursière ou concurrentielles ou en droit du travail (accident du travail amiante). On comprend alors que le projet de loi actuel ait pu décevoir, sauf à y voir un premier essai pilote…. Une domaine plus large permettrait davantage de moralisation de la vie des affaires de protection de certains intérêts supérieurs – pensons à la protection de l’environnement, à certaines atteintes à la concurrence – mais cet instrument se heurte à certaines résistances du patronat français et de certaines personnes qui redoutent que son introduction bouleverse le droit procédural français et n’accroisse massivement un contentieux déjà pléthorique.

* juridique ou légitime ensuite, L’article 31 cpc a repris cette notion controversée d’« intérêt légitime ». Certains préfèreraient

parler de la notion d’intérêt juridiquement protégé voire d’intérêt juridique. En effet, les tribunaux n’ont vocation à trancher que les litiges : soit les différends d’origine

juridique, pas les querelles d’amoureux ni même les débats de théoriciens ! Les litiges sont les différends qui naissent de l’existence ou de l’exercice des droits …

- Qui plus est, la notion d’intérêt légitime a eu tendance à revêtir en jurisprudence, une coloration morale irritante. Cette condition a ainsi permis de porter un jugement de valeur sur le recours fait à la justice : un contrôle de la moralité des procès. La demande était parfois jugée irrecevable parce que le demandeur était fautivement à l’origine de la situation, voire, parce que sa prétention était jugée blâmable. Il s’agissait, ce faisant, de se dérober au débat de fond, en écartant, en amont, la recevabilité de la prétention. Ainsi, jusqu’en 1970, était écartée comme irrecevable, faute d’intérêt légitime, l’action de la concubine engagée à la suite d’un accident parce que celle-ci avait été privée de l’appui financier de son concubin décédé lors de l’accident. Et l’ensemble de la doctrine a salué depuis lors l’abandon de cette jurisprudence dont les prémisses reposaient sur un jugement de valeur contestable, et dépassé par l’évolution des valeurs de la société…

- Certains lui reprochent encore, écartant toute coloration moralisante et en s’en tenant à une approche juridique – d’introduire une confusion entre l’examen de la recevabilité de l’action et celui du bien fondé de la prétention. Pour apprécier la légitimité de la demande il faut en passer par un examen de l’objet de la prétention, soit une sorte de pré-jugement au fond… alors que la notion d’intérêt juridique aurait pu bel et bien être sollicité.

En toute hypothèse, la recevabilité des demandes est de plus en plus rarement écartée sur ce fondement. Notamment depuis un arrêt du 24 janvier 2002 (Bull. II n° 5),  où la Cour de cassation a préféré considérer que l’action en justice intentée par la victime d’un accident de la circulation était recevable, mais que le préjudice dont il était demandé réparation était illicite et n’ouvrait partant pas droit à réparation s’agissant de rémunération d’un travail fait au noir (non déclaré) seules les heures de travail déclarées étant prises en compte pour obtenir réparation. La demande a donc passé le stade de la recevabilité et a été rejetée au stade de l’examen au fond…

Et plus récemment, la jurisprudence a pu écarter également la demande en réparation pour règlement d’une dette de jeu formée contre un établissement de jeu qui n'avait pas empêché le joueur, sur lequel pesait une interdiction de fréquenter les salles de jeu, de pénétrer dans l'établissement, le préjudice subi s'appréciant au regard de l'impossibilité de percevoir les gains, le contrat de jeu étant nul. (Cf. Civ. 2, 22 février 2007, pourvoi n ° 06-10131 et Civ. 2, 19 juin 2008, pourvoi n ° 07-15341). La source du refus d’indemnisation ne réside pas dans un jugement de valeur de l’individu mais dans l’objet de sa demande…. L’avantage dont elle demande la compensation est-il licite ?...

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Un distributeur ne peut pas davantage demander la réparation de la perte d’une prime dont le caractère anti concurrentiel a été établi (cf. Com. 29 janvier 2002, pourvoi n° 00-11433). Il a aussi été jugé que, la perte du bénéfice espéré d’une procédure abusive ne constitue pas un préjudice indemnisable (cf. Civ. 1, 23 novembre 2004 pourvoi n ° 03-15090 et 03-16565, JCP 2005 II 10058 et D. 2005 p. 2857)….

Et récemment, il a été jugé que le droit de la responsabilité ne permettait d’obtenir réparation de la perte d’un avantage ou de revenus dont le bénéfice aurait caractérisé une illicéité car il s’agissait d’une construction d’un établissement commercial de bar restaurant édifié sur la base d’un permis de construire illégal. Sa destruction par le concessionnaire était dés lors légitime, et la personne publique concessionnaire ne pouvait se plaindre de la perte des revenus qui y étaient attachés. On aurait pu ici aussi bien considérer qu’il n’y avait pas davantage de faute à rétablir la légalité et à détruire un établissement illicitement construit (cf. Crim. 4 novembre 2008, p. 08-82591, JCP 2009 I 123 n Stoffel Munck n° 1). Le préjudice a bien une coloration strictement juridique.

L’exigence du préjudice licite qui tend peu à peu à s’imposer, sert essentiellement à éviter que par le biais de la responsabilité civile ne soient rétablis des avantages dont l’ordre public prohibe l’obtention. D’ailleurs, l'avant-projet de réforme du droit des obligations a souhaité maintenir la condition de licéité du préjudice réparable, en posant expressément l’exigence de la lésion d'un « intérêt licite » (art. 1343)63. Gageons qu’il en ira de même du futur projet de réforme de la responsabilité civile qui sera porté par le gouvernement. Ces avancées des textes de droit substantiel rendraient de facto obsolète la référence à la notion d’intérêt légitime. Elles apporteraient davantage de rigueur dans la démarche des juges. Elles sont davantage conformes à l’importance reconnue au droit au juge, à l’accès à la justice, comme droit fondamental. L’examen de la recevabilité de l’action doit se faire sans préjuger du fond.

* né et actuel enfin.Celui qui agit doit pouvoir justifier d’un intérêt à agir au jour où il agit car le juge a

pour mission de trancher des litiges déjà nés et non des litiges potentiels (en puissance) : il faut attendre ; les tribunaux déjà engorgés ne peuvent être encombrées de guerres procédurales préventives... Ainsi, les parties au procès doivent l’une et l’autre exciper d’un intérêt né et actuel.

C’est une condition d’existence du droit d’action qui s’apprécie dès lors, au jour où celui qui s’en prétend titulaire entend l’exercer soit quand il introduit sa demande.

- On peut opposer à l’intérêt né et actuel l’intérêt passé. Ainsi, la chose demandée en justice peut ne plus être actuelle, parce qu’elle est prescrite ou forclose, ou parce qu’elle a déjà été jugée…

- L’intérêt né et actuel s’oppose aussi à la simple expectative soit un intérêt hypothétique futur : ce que l’on désigne à travers la notion d’actions préventives. De telles actions préventives – au cas où… - qui aboutissent à instrumentaliser la justice et favorisent les comportements procéduriers sont exclues en droit français : elles seraient frappées d’irrecevabilité…

L’action est purement préventive si le demandeur n’est pas en mesure de prouver que la demande en justice lui procure un intérêt d’ores et déjà avéré… Ainsi, on ne saurait solliciter du juge de se prononcer sur la validité d’un congé – par exemple d’un congé pour vendre à propos d’un bail - avant la prise d’effet de celui-ci (cf. Civ. 3, 8 février 2006, JCP 2006 IV 1475 et Civ. 3, 8 décembre 1999, B. III n° 231). Les juridictions ne sont pas des chambres de consultation juridique…

En revanche, il a été jugé que même en dehors de tout litige, un emprunteur (ou plus exactement l’héritier de celui-ci) peut avoir intérêt à faire constater la prescription de la créance, et ce, afin de connaître la consistance du patrimoine hérité et l'étendue des droits dont il pouvait disposer compte tenu des hypothèques garantissant cette créance (Civ. 1, 9 juin 2011, n° 10-10348, Procédures 2011 n° 255) et d’évaluer l’actif successoral afin de décider d’accepter ou non la succession.

* les actions provocatoires et interrogatoires.

63 Cf. aussi L'existence de l'enfant qu'elle a conçu ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice juridiquement réparable, même si la naissance est survenue après une intervention pratiquée sans succès en vue de l'interruption de la grossesse ; que l'arrêt attaqué relève que l'enfant était parfaitement constitué, Civ. 1, 25 juin 1991, pourvoi: 89-18617, Bull. I n° 213.

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Sont purement préventives, et donc irrecevables, les actions provocatoires et interrogatoires.Les actions provocatoires ont pour but de forcer le titulaire d’un droit à en justifier, sous peine

d’être privé du bénéfice de la prérogative.Les actions interrogatoires ont quant à elle pour objet de forcer le titulaire d’une option à

choisir entre les termes de l’alternative qui lui est offerte, à exercer son option pendant le délai de l’option qui lui est ouverte, le privant partant de la liberté qui caractérise une telle prérogative juridique… Par exemple, constituerait une action interrogatoire celle qui obligerait l’héritier à dire s’il accepte ou refuse une succession avant l’expiration du délai qui lui est reconnu par la pour faire ce choix…

La frontière entre les deux est très ténue… car dans les deux cas il s’agir d’essayer de priver le titulaire de la possibilité de se prévaloir à l’avenir d’une prérogative, d’une alternative, alors que l’exercice de cette prérogative est libre et facultatif…

Il n’est possible d’admettre de telles actions interrogatoires que de manière tout à fait exceptionnelle pour des intérêts propres attachés à telle ou telle matière . Ainsi en droit des sociétés il est admis à l’article 1844-12 et L. 235-6 du Code de commerce que l’on puisse mettre en demeure le titulaire de l’action en nullité d’exercer cette action ou de régulariser la cause de nullité, lorsque cela est possible, dans un délai de 6 mois, à peine de forclusion, parce que le droit positif veut rendre les cas de nullité d’acte ou de délibération ou les nullités de société tout à fait exceptionnels. Il en va de même en matière de brevet d’invention (cf. art. L. 615-9 du CPI) ou de faux en écriture (art. 300 cpc). L’exception ne se justifie alors que parce que l’action en nullité ultérieure serait susceptible de provoquer un préjudice supérieur encore que cette entorse au principe de la nécessité d’un intérêt né et actuel…

* les actions déclaratoiresLes actions déclaratoires, quant à elles, ont pour but de faire constater par le juge l’existence

ou l’étendue d’une situation juridique…. De ce point de vue, elles dérogent à une des conditions de l’action, et ne sont donc qu’exceptionnellement admises, là où la loi les consacre. On en trouve des illustrations en matière de nationalité (article 29-3 et 29-4 c. civ.) ou de société (art. 233-5 c. com. pour l’action visant à faire constater l’existence d’un contrôle). On peut aussi citer, à titre d’exemple, l’action en reconnaissance d’un jugement étranger. L’action en désaveu préventif de paternité légitime est aussi une action déclaratoire.

Il n’existe pas encore de litige, ni même d’intérêt né et actuel, mais la personne peut en l’occurrence avoir intérêt à faire établir sa situation juridique : car d’elles dépendent les règles de droit qui lui sont applicables. Cet éclaircissement est aussi source d’une plus grande sécurité juridique pour les tiers… Mais ici l’intérêt étant plus diffus : il doit être consacré par la loi.

* les actions conservatoiresIl faut toutefois distinguer les actions préventives de certaines actions conservatoires qui,

quant à elles, sont admises, quoiqu’elles renvoient à un intérêt futur qui trouve des germes dans une situation actuelle.

L’intérêt futur n’est pas un intérêt purement éventuel purement hypothétique. Ex 1. : Ainsi la seule menace suffisamment effective d’un trouble de la jouissance permet de

mettre en œuvre une action possessoire en dénonciation de nouvel œuvre soit une action réelle immobilière dont il sera fait état.

Ex 2. : De même, il est parfois possible d’agir en référé pour obtenir des mesures conservatoires qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent (pour éviter qu’un droit ou un bien dépérissent, disparaisse) notamment sur le fondement de l’article 809 du cpc qui vise particulièrement cette hypothèse. Sur ce fondement il est ainsi possible d’empêcher la diffusion d’une revue qui comporterait un litige ou des photos portant effectivement atteinte à la vie privée d’un individu par exemple.

Ex 3. : Et dernier exemple d’action conservatoire, couramment usitée et consacrée par le Code civil mais qui ne méconnaît pas directement cette exigence d’un intérêt né et actuel, la possibilité de solliciter par avance une mesure d’instruction dite in futurum que le Code de procédure dans sont article 145 consacre. Si l’on se reporte aux termes de ce texte il apparaît que l’on peut obtenir du juge « s’il existe un motif légitime, avant tout procès, la preuve dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Et à travers cette exigence de motif légitime justement la jurisprudence laisse transparaître qu’il doit exister dans la situation actuelle en germe les termes d’un litige plausible qui rendent

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nécessaire de préserver les éléments de preuve qui pourraient sinon disparaître dans la perspective d’un litige futur64.

Le motif légitime d'une mesure d'instruction avant tout procès s'apprécie au jour où le juge y a fait droit. C'est donc à cette date que doit se placer une cour d'appel pour statuer sur la rétractation d'une ordonnance prescrivant de telles mesures.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, des mesures d'instruction peuvent être pres-crites lorsqu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige. L'arrêt rendu le 12 juillet 2012 par la deuxième chambre civile …[Lire la suite] Civ. 2e, 12 juill. 2012, F-P+B, n° 11-18.399

Une mesure d’instruction in futurum ne peut toutefois être octroyée au titre de l’article 145 CPC pour un litige purement potentiel. (cf. Civ. 3, 8 avril 2010, p. n° 09-10226, JCP 2010 1191 n° 12, et antérieurement, Civ. 3, 16 avril 2008, p. n° 07-15486, JCP 2008 I 206 n° 11, Proc. 2009 n° 174). Il en résulte que le bailleur ne saurait envisager de demander une mesure d’expertise in futurum en vue d’évaluer le montant de l’indemnité d’éviction, une fois la rupture acquise… Avant le droit serait potentiel, et la demande de mesure d’instruction irrecevable. La pertinence et le motif légitime de recourir à une mesure d’instruction in futurum s’apprécient par référence à un futur procès et à un litige et elle s’apprécie au jour où le juge statue. Et non au terme d’une option substantielle qui nécessité un arbitrage ou un bilan coût avantage… Ce serait une instrumentalisation de la justice pour arbitrer sur des choix personnels. Il faut au moins qu’il existe un germe de litige !

Dans toutes ces situations donc la probabilité du trouble est suffisamment grande pour rendre l’intérêt à agir certain né et actuel, même si cet intérêt est futur. Il n’y a pas à proprement parler d’action préventive qui reposerait sur un intérêt éventuel. Ce sont des actions ordinaires et non extraordinaires comme celle évoquées à propos de la nullité en droit des sociétés ou des brevets…

Et la Cour de cassation vient tout récemment de rappeler qu’« une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l’expertise de gestion prévue par l’article L. 225-231 du code de commerce ». Ce qui traduit bien la volonté de la Cour de cassation de ne pas cantonner ce mécanisme comme s’il s’agissait d’une action exceptionnelle. C’est une action procédurale de droit commun toujours disponible.

§ 2 - La qualité, condition supplémentaire de l’existence du droit d’agir requise par la loi

Celui qui agit à titre personnel se contentera, le plus souvent, d’avoir à justifier d’un intérêt à agir sans qu’il lui soit demandé davantage de justifier de sa qualité à agir… Les termes mêmes de l’article 31 du CPC font nettement ressortir que la qualité n’est requise que par accident, dans les seules « hypothèses où la loi le prévoit ». Mieux cerner cette notion de qualité suppose alors de la distinguer de celle d’intérêt et de celle de pouvoir.

A- Les hypothèses légales de distinction de l’intérêt et de la qualité

Dans la majorité des cas, la notion de qualité et d’intérêt se confondent - le seul intérêt confère qualité pour agir. On dit alors qu’il s’agit d’actions banales.

Parfois, au-delà de l’intérêt, le plaideur qu’il soit demandeur ou défendeur devra justifier d’un titre spécial l’habilitant à agir, soit que la loi restreigne le droit d’agir à certaines personnes dûment qualifiées, soit qu’elle l’étende au contraire plus largement, à des personnes qui au-delà de la stricte exigence d’un intérêt direct et personnel pourraient défendre un intérêt qui les dépasse et qui ne serait pas directement personnel et rejoint l’intérêt général voire l’intérêt d’autrui. Ces hypothèses renvoient au contraire à des actions attitrées.

1. La qualité ou la restriction du cercle des personnes habilitées à agir.

64 La mesure d’instruction in futurum peut être sollicité en référé ou par voie d’ordonnance sur requête mais concernant cette dernière voie, il vient d’être précisé que le recours y est plus précisément encadré pour préserver le respect du contradictoire cf. Civ. 2, 7 mai 2008, Bull. II, n° 104, p 07-14858, D. 2009 p. 143. «  Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur requête sur le fondement des articles 145 et 875 du code de procédure civile qu'à la double condition qu'il soit justifié de l'urgence de la mesure sollicitée et de l'existence de circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction ».

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La loi réserve parfois l’action ou la défense à certaines personnes, alors même que d’autres pourraient prétendre avoir un intérêt direct et personnel à agir. C’est ce que prévoit l’article 31 cpc en énonçant « sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ».

Trois séries d’exemples évocateurs, en droit de la famille, en droit des contrats, et en droit des affaires, à partir du droit des procédures collectives, suffiront à l’illustrer.

En droit de la famille, les actions réservées à certains « intéressés » sont nombreuses. Ainsi, l’action en divorce est réservée aux seuls époux ; les enfants les voisins lassés des querelles perpétuelles seraient irrecevables à agir faute de qualité. Il a même été jugé récemment que l’intervention en appel du mandataire liquidateur de la société propriétaire du domicile conjugal n’est pas recevable65. Si les hypothèses d’action attitrées sont fréquentes dans cette matière, c’est dans le but de préserver la paix des familles et des ménages (action en nullité du mariage en désaveu ou en recherche de paternité – action en contestation ou en constatation de la possession d’état art. 334 et 335 c. civ., action en recherche de paternité réservée à l’enfant art. 327 cpc).

De la même manière, en droit des contrats, l’article 1165 du Code civil réserve la qualité à agir aux seules parties au contrat c’est ainsi que pour invoquer la responsabilité contractuelle, il faut être partie au contrat – ou s’être fait transmettre cette qualité. Il en irait de même pour les actions tendant à sanctionner l’inexécution (action en exécution forcée, action en résolution du contrat) voire pour les actions en nullité – quoique l’on puisse ici réserver certains cas de nullité absolue, par exemple pour non-respect du droit de la concurrence, du fait du contrat qui peuvent être exercées par des concurrents qui ne seraient pas directement partie à l’acte anticoncurrentiel attaqué.

Et la Cour de cassation vient ainsi de juger, dans le prolongement, que l’action en restitution consécutive à l’anéantissement du contrat (contrat à l’envers) ayant une nature contractuelle « le béné-ficiaire d'une promesse synallagmatique de vente a seul qualité pour agir en restitution du dépôt de ga-rantie versé en exécution du contrat », serait-ce par un tiers (Cf . Civ. 3, 29 mai 2013, n° 12-10070, M. Y c/ Mme Z, PB).

L’action oblique est aussi une action contractuelle attitrée qui n’est pas réservée cette fois aux parties mais à certains créanciers, comme par voie d’élargissement au premier cercle qui résulte des incidences procédurales de l’article 1165 c. civ., pour préserver leur droit de gage général (de l’inertie d’un débiteur peu prompt à recouvrer ses créances). En effet, en vertu de l’article 1166 c. civ., le créancier, qui justifie de cette qualité, peut exercer les droits de son débiteur contre le sous-débiteur, sans avoir à justifier d’un mandat et sans qu’il s’agisse à proprement parler d’une représentation. Il ne suffira pas en effet de prouver l’inaction du débiteur, le créancier qui agit devra en outre justifier de la mise en péril de son droit de créancier, soit un intérêt personnel à agir…

On pourrait multiplier les exemples et souligner ainsi qu’en droit des affaires l’exercice de l’action en comblement de passif est réservé à certaines personnes… Ou, exemple encore plus parlant, souligner que le droit des procédures collectives restreint parfois le cercle des personnes habilités à agir en empêchant le débiteur dessaisi d’agir, notamment en matière de liquidation judiciaire. Ainsi pour la liquidation judiciaire l’article L. 641-9 c. com. qui énonce que « le jugement qui ouvre la liquidation emporte dessaisissement du débiteur de plein droit à partir de sa date ». Cette mesure s’analyse « comme une incapacité de protection » de l’avis de certains : il s’agit d’une mesure de défiance à l’égard du débiteur, une mesure de protection de son patrimoine, du droit de gage général de ses créanciers (d’ailleurs la sanction de ce dessaisissement est une inopposabilité dont seul le liquidateur peut se prévaloir (CE  21 juin 2000, RTDCom. 2000 p. 1020 obs. JL Vallens Et plus récemment Com 13 avril 2010, Droit des sociétés Janv. 2011 n° 16, RJDA 2011 n° 173, Com. 14 décembre 2010 n° 10-10792, Droit des sociétés Janv. 2011 n° 59. Elle renvoie donc aussi à la dimension collective de la procédure et à sa finalité particulière dans le cadre d’une liquidation où tout espoir de redressement a disparu…

Il s’ensuit que le débiteur est « représenté » par le liquidateur pour tous les actes exigés par son activité professionnelle, ce qui interdit au débiteur de passer des contrats, et en particulier, de vendre ses biens, bien sûr, de procéder à un paiement d’un créancier antérieur, mais cela inclut aussi

65 cf. Civ. 1, 4 juin 2007, B I n° 216, D. 2007 p. 1794, RTDCiv. 2007 p. 551 qui rappelle que « Seuls les époux ont qualité pour intenter une action en divorce ou y défendre »

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l’exercice des actions en justice, par exemple, une action en responsabilité (dès lors qu’elle ne vise pas à sanctionner une atteinte personnelle du débiteur à ses droits, mais qu’elle poursuit la sanction d’une atteinte à ses droits patrimoniaux (Com. 12 juillet 2004, B. IV n° 154, D. 2004 p. 2157, Rev. Proc Coll. 2006 p. 56 obs. Lebel, également Com. 6 février 2001, B IV n° 30, D. 2001AJ 859 obs. Lienhard, RTDCom. 2001 p. 770 n. JL Vallens jugeant que l’action en responsabilité exercée contre le liquidateur est de nature patrimoniale et ne peut être exercée par le débiteur seul avant la clôture des opérations de liquidation, il doit donc recourir à un mandataire ad hoc), qui seront désormais exercées par le seul liquidateur.

Le débiteur a donc perdu sa qualité pour agir en justice, alors même qu’il y avait intérêt et qu’il n’est pas à proprement parlé frappé d’une incapacité : le liquidateur est seul habilité à agir et pour exercer les voies de recours dans les délais requis, la loi lui attribue cette qualité spécifiquement pour défendre les intérêts de la procédure.

L’action en paiement du montant non libéré du capital social d’une SA fait ainsi partie des droits et actions du débiteur concernant son patrimoine que le liquidateur exerce en application de l’article L 641-9 c. com. (Com. 26 mai 1999, B. IV n° 109, D. 2000 Som. 97 obs. Honorat). De même le liquidateur peut exercer l’action en partage de l’indivision sur le fondement de l’article 815 c. civ. (Com. 3 décembre 2003, Bull. IV n° 189, D 2004 AJ p. 141 obs. Lienhard), car le dessaisissement du débiteur s’étend à l’exercice de ses droits patrimoniaux dans l’indivision dont il est membre (Com. 21 janvier 2003, RJDA 2003 n° 625).

En raison de ce monopole et compte tenu de la finalité de la représentation ainsi instituée, la Cour de cassation a pu juger qu’aucun créancier ne peut exercer pendant la durée de la liquidation les droits et actions du créancier par la voie oblique selon la Cour de cassation (cf. Com. 3 avril 2001, Bull. IV n ° 71D. 2001 AJ 1728, RTDCom. 2001 p. 771 obs. JL Vallens, RTDCiv. 2001 p. 882 obs Mestre et Fages). Sachant qu’il est aussi possible de demander le remplacement du liquidateur (cf. art. L 641-1 c.com.).

Pourtant, compte tenu de son caractère dérogatoire, ce dessaisissement et le domaine pour lequel la qualité pour agir est réservée à ce mandataire est étroitement délimité.

- Le débiteur conserve bien entendu le droit de faire des actes conservatoires, comme effectuer une mise en demeure ou exercer une action en justice conservatoire (pour l’exercice d’un appel à titre de mesure conservatoire (Com. 6 février 2001, B IV n° 30, CA Paris 12 juillet 1988, D. 1989 Somm. 10 obs. Derrida) étant entendu que cet appel devra être repris par le liquidateur, ou un mandataire ad hoc qui s’y associera).

- Il conserve aussi l’exercice d’actions personnelles qui ne sont pas visées par le dessaisissement et ce cette fois parce quel les intérêts personnels du créanciers l’emportent sur ceux des créanciers plus indirectement visés :telles les actions d’état (ainsi seuls les époux ont qualité pour agir en divorce et pour y défendre, de sorte que l’intervention à l’instance du liquidateur de la société propriétaire de l’immeuble ayant constitué le domicile conjugal est irrecevable (Civ. 1, 4 juin 2007, D. 2007 AJ 1794, Act. Proc. Coll. n° 154, obs Leprovaux), ou encore l’action en séparation de biens (Cf. Civ. 1, 3 mai 2000, JCPE 2000 n. J. Casey), ou l’action visant à faire homologuer un changement de régime matrimonial. l’option successorale échappe également au dessaisissement, car c’est un droit attaché à la personne (Com. 3 mai 2006, n° 04-10115, D. 2006, AJ 1368) (de même une personne en liquidation peut assez logiquement relever seul appel d’une décision ayant prononcé son expulsion des lieux où elle loge avec sa famille (CA Paris 22 février 1995, RJDA 1995 n° 899 ; ou demander seule en justice des délais pour libérer le logement familial dont elle est expulsée (Rouen 3 avril 2001, RJDA 2002. fait plus discutable il a été jugé que l’action tendant à être autorisé à disposer d’un bien comportant une clause d’inaliénabilité est une action personnelle qui n’est pas exercée par le liquidateur (Com. 29 mai 2001, Bull. I n° 150, RTDCiv. 2001 p. 882 obs. Mestre et Fages, Com. 9 novembre 2004, D. 2004 AJ 3068 et D. 2005 p. 295 n. Le Corre, Civ. 1, 4 juillet 2004, D. 2006, Bull. I n° 344, Act. Proc. Coll. 2006 n° 183 contra Paris 3 juillet 1998, RJCom 1999 n° 1528 p. 205, autorisant le liquidateur à demander main levée de l’inaliénabilité, Com. 29 mai 2001, Bull. I n° 150, RTDCiv. 2001 p. 882 contra CA Paris 3 juillet 1998, RJCOm. 1999 n° 1528 p. 205 obs. J-L. Vallansan et vérif Com. 4 janvier 2000, RJDA 2000 453). En

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réalité il n’y a pas de contradiction dans la mesure où dans la première hypothèse, l’inaliénabilité envisagée dans la donation reposait sur des considérations morales et familiales, et l’action pouvait dès lors être considérée comme attachée à la personne du donataire (Com. 29 mai 2001, Bull. I n° 150, RTDCiv. 2001 p. 882 obs. Mestre et Fages). Ou que l’action intentée par un salarié contre son employeur, à l’occasion d’un contrat de travail est exclusivement attachée à sa personne et ne nécessite pas une mise en cause du liquidateur (Soc. 31 janvier 2001, Bull. V n° 29, Act Proc. Coll. 2001 n° 80 obs. Saintourens, D. 2001 2404 obs. Lacamp Leplae ), de même la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié (cf. Soc. 12 juillet 2004, Bull. V n° 217, D. 2004 AJ 2157, Rev. Proc. Coll. 2006 p. 56 n. Lebel). Il a été jugé que si le débiteur peut continuer à exercer l’action en diffamation, introduite avant

sa mise en liquidation, à raison de son caractère personnel, les organes de la procédure collective sont recevables à prétendre que dans la mesure où cette action tend également à obtenir une réparation matérielle, les condamnations pécuniaires qui viendraient à être prononcées en sa faveur resteront acquises à la liquidation judiciaire (CA Paris 16 octobre 2000, D. 2001 à. 1167 n. Ravanas. De même le caractère personnel attaché aux sanctions pécuniaires prononcées par la COB implique que leur contestation soit réservée à la personne qui en fait l’objet, même si elle se trouve en liquidation judiciaire. Un créancier ne peut se substituer à cette personne, pas plus d’ailleurs que le liquidateur par exception à la règle du dessaisissement de l’article L 641-9 c. com ; (Com. 11 juillet 2006, Bull. IV n° 169, D. 2006 AJ 2036 obs. Lienhard, Rev. Proc. Coll. 2006 p. 358 obs. Lebel).

- Il conserve enfin le pouvoir d’exercer seul des droits propres, comme par exemple le droit propre de demander la clôture de sa liquidation judiciaire (Com. 5 mars 2002, Bull. IV n° 47, D. 2002 AJ 1422), ou le droit propre d’exercer seul sa défense dans une action en responsabilité dirigée par le liquidateur contre lui (Com. 8 juillet 2003, Bull. IV n° 123, D. 2004 Somm. 56 n. F-X Lucas Act. Proc Coll. 2003 n° 213, Dr Soc. 2004 n° 80 n. Legros). Il a également toujours un droit propre à faire valoir que les règles du dessaisissement (leurs limites) ont été violées, à condition qu’il agisse contre le liquidateur (Com. 2 avril 1996, Bull. IV n° 102). Ces droits propres sont notamment caractérisés chaque fois qu’il existe un risque de conflit d’intérêt avec le liquidateur…

- Par exception l’article L 641-9 al. 2 permet au débiteur de se constituer partie civile dans le but de dénoncer une infraction (crime ou délit) (et sur l’irrecevabilité d’une constitution de partie civile du mandataire liquidateur d’une société victime de contrefaçon de marque Crim. 31 janvier 2006, Bull. Crim. N° 29, D. 2006 AJ 982 obs. Lienhard, Act. Proc. Coll. 2006 n° 83 obs. Alleaume), dont il serait victime, et depuis la loi du 26 juillet 2005, le législateur a limité la restriction antérieure qui imposait qu’il limite son action à l’action publique sans solliciter les réparations civiles, sachant que les dommages intérêt n’échapperont pas au dessaisissement, sauf s’ils constituent la réparation d’un préjudice corporel. Cela tient à la nature particulière de la constitution de partie civile et à la volonté de donner à la dénonciation de l’illicite toute sa portée.Cela rapproche cette mesure d’une incapacité laquelle n’est jamais tout à fait générale et laisse

à l’intéressé l’exercice d’actions à caractère personnel et conservatoires). Et poursuivant le même mouvement que la réforme du droit des incapacités il a aussi été ajouté par la loi du 26 juillet 2005 que le débiteur peut également accomplir seul les actes et exercer les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l’administrateur, lorsqu’il a été désigné, si le jugement a circonscrit ses pouvoirs, ce qui est une manière supplémentaire de préserver des droits propres du débiteur soumis à la procédure. Ces précisions étaient sans doute utiles compte tenu de la valeur attachée au droit de propriété et au droit au juge en particulier pour éviter une condamnation de la CEDH comparable à celle de 2007.

L’existence potentielle d’un conflit d’intérêt justifie plus généralement un « droit propre » d’agir en justice du débiteur (passant théoriquement par la désignation d’un mandataire ad hoc, en ca s de risque de conflit d’intérêt avec le liquidateur). Il en résulte que le débiteur soumis à la procédure collective et dessaisi jouit en définitive d’une autonomie procédurale relativement importante. Mais la ligne de partage entre les pouvoirs qui lui sont reconnus et les autres est souvent floue.

Ce sont alors ces limites raisonnables assignées au dessaisissement, et le contexte particulier de la liquidation qui ont conduit à affirmer la Constitutionnalité du

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dessaisissement de l’article L 641-9 c. com. sans qu’il soit besoin de saisir le Conseil Constitutionnel, (cf. Com., 18 décembre 2012, n° 12-40.076 (n° 1293 FS-D-QPC) « Que les dispositions contestées, qui dessaisissent le débiteur en liquidation judiciaire de l’administration et de la disposition de ses biens et, selon l’interprétation qu’en donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ouvrent au liquidateur une action en inopposabilité des actes juridiques accomplis en violation du dessaisissement n’entraînent pas une privation de propriété ; que les restrictions aux conditions d’exercice du droit de propriété qui peuvent en résulter poursuivent un but d’intérêt général, dès lors qu’elles tendent à permettre le désintéressement des créanciers du débiteur selon l’ordre prévu par la loi, et ne portent pas une atteinte disproportionnée à ce droit, notamment à celui du tiers devenu propriétaire en vertu d’un acte passé au mépris de la règle du dessaisissement précitée ; que la question posée ne présente donc pas de caractère sérieux au regard du droit de propriété que la Constitution garantit ». Et si la Cour de cassation se prononce sur les atteintes au droit de propriété le raisonnement semble assez facilement transposable sur les atteintes au droit au juge. (Voir aussi, Com. 25 oct. 2011, n° 10-21.146, Bull. civ. IV, n° 170 ; D. 2011. Actu. 2724, obs. A. Lienhard, et 2012. Jur. 479, note C. Albiges)

Concrètement, le débiteur est donc privé de son droit d’agir alors qu’il pourrait y avoir intérêt. Et les actions en cours lors de l’ouverture de la procédure collectives sont interrompues et reprises par le liquidateur. Un arrêt en 1991 a même précisé que l’instance était interrompue par le jugement de liquidation, et qu’elle devait être reprise par le débiteur ou à son encontre faute de quoi la décision prise serait réputée non avenue (Civ. 2. 6 mars 1991, Bull. II n° 81, D. 1992 Somm. p. 88 obs. Derrida).

Et les significations faites par le débiteur dessaisi sont nulles et ne peuvent faire courir le délai d’appel contre le destinataire de l’acte (Com. 28 juin 1994, RJDA 1995 n° 73), elles ne peuvent être faire que par le liquidateur. Il en irait de même d’ailleurs de tous les actes de poursuite exercés contre le débiteur seul (Com. 1° octobre 2002, RDBF 2003 p. 105 n. F-X. Lucas).

Le liquidateur doit toujours être appelé à l’instance même si l’action est exercée par l’épouse du commerçant contre son époux afin d’obtenir une pension alimentaire (Com. 20 janvier 1987, Bull. IV n° 24).

En cela la procédure de liquidation se distingue

- de celle de sauvegarde, où il n’y aucun dessaisissement du débiteur, l’administration de l’entreprise restant assurée par ses dirigeants (art. L622-1 c. com.), si des administrateurs sont nommés ils n’ont qu’une mission de surveillance ou d’assistance

- ou de celle du redressement judiciaire pour lequel le législateur a conçu une formule souple permettant une adaptation à chaque cas d’espèce susceptible d’évoluer au gré des circonstances) la mission des administrateurs y est fixée par le Tribunal et est plus ou moins étendue pouvant se limiter à l’assistance (et non la simple surveillance comme dans le cas précédent) ou s’étendre à l’administration et opérant de ce fait un dessaisissement plus ou moins étendu suivant les termes du jugement (art. L. 631-12 et R 622-1 c. com cf. JJJ 3). Et l’appel formé par le débiteur sans l’assistance de l’administrateur désigné pour accomplir les actes de gestion ne peut être régularisé que par l’intervention de l’administrateur avant l’expiration du délai pour former ce recours, que la signification du jugement à ce destinataire a fait courir (Com. 12 juin 2001, Bull. IV n° 117, RTDCom. 2001 p. 775 N. JL Vallens, D. 2001 AJ 2301 obs. Lienhard).

Malgré le dessaisissement il a été jugé que le débiteur dispose d’un droit propre d’exercer un recours contre la décision modifiant la mission de l’administrateur (Com. 17 juillet 2001, Bull. IV n° 149, D. 2001 AJ 2677 obs. Lienhard, JCPE 2002 n° 3 p. 126 n. Cabrillac, Dr des sociétés 2002 n° 8 n. Legros, RJCom. 2002 p. 185). Effet du jugement arrêtant le plan sur les pouvoirs du débiteur L 626-25 c. com.).

Au travers de l’exigence de qualité on observe ainsi parfois que le droit processuel rejoint les objectifs que s’est assigné le droit substantiel. Ainsi il est acquis en droit substantiel en vue de protéger les tiers et pour renforcer la sécurité juridique si utile à la vie des affaires que les cas

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de nullité sont conçus de façon restrictive tant s’agissant des nullités de société que des nullités de délibérations sociales art. 1844-10 c. civ. Voir aussi les articles 235-1 c. com. pour les SA et pour les SARL.

Or se fondant sans doute sur la nature contractuelle de la société, un courant jurisprudentiel restreint la recevabilité de l’action en nullité des délibérations sociales comme si la qualité à agir était réservée - comme en droit des contrats - aux seuls contractants, soit en l’occurrence les associés investis du droit de vote. La titularité du droit d’agir serait ainsi intimement liée à celle d’associé.

Ainsi, comme le rappelait encore récemment la Cour d’appel de Paris serait irrecevable l’action en nullité, engagée par le gérant non associé d’une SARL, et dirigée contre la délibération l’ayant révoqué, (cf. C. App. Paris 15 février 2008, B. Joly 2008) . Et cet arrêt n’est que le prolongement de plusieurs autres, qui tel celui-ci, semblent lier l’intérêt à agir à la qualité d’associé, retreignant le cercle des personnes à agir à certaines personnes spécialement qualifiées66.

L’intérêt à agir des organes sociaux pourrait se justifier, compte tenu de leur place particulière dans la société qui les conduit à défendre directement l’intérêt social dans l’exercice de leur fonction - en théorie du moins… Pourtant, la jurisprudence se montre réservée sur la recevabilité de l’action en nullité des délibérations sociales engagée par le commissaire aux comptes, ou par le comité d’entreprise ce qui pourrait s’expliquer par la nature de leurs fonctions et la volonté d’éviter leur immixtion dans la gestion attentatoire à la liberté d’entreprendre.

Si la cause de nullité renvoie à un intérêt plus général, voire à l’intérêt social, dans l’hypothèse d’un abus de majorité ou d’une fraude, il serait davantage concevable d’envisager que la simple preuve d’un intérêt à agir pourrait suffire, quitte à l’accorder aux organes sociaux ou à certains d’entre eux67. Ce serait alors le signe d’une approche plus institutionnelle de la société. Reste alors à savoir si sont recevables les seules actions du gérant, du dirigeant en son nom, ou si seules celles exercées au nom de la société sont recevables. Pourquoi le gérant non associé ne le ferait-il pas ?

Ajoutons qu’en matière de société, d’autres causes d’irrecevabilité, indépendantes de la qualité sont prévues par les textes voire découvertes par la jurisprudence. L’article L 223-27 c. com prévoit ainsi que l’action en nullité est irrecevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés. C’était le cas ici, la délibération de révocation ayant été prise par les deux seuls coassociés de cette société familiale. Et ce indépendamment du débat sur la qualité pour agir.

La question revêt en l’occurrence en droit des sociétés malgré son importance pratique indéniable un certain flou…

Le titre qui habilite à agir est alors tantôt celui d’époux ou de contractant, tantôt celui de mandataire judiciaire (avec le jugement d’habilitation qui définit l’étendue plus ou moins importante de ce mandataire judiciaire)… Ces deux exemples parlants montrent alors clairement que la qualité n’est au fond que la traduction en termes processuel d’un enjeu de droit substantiel. C’est un élément du débat de fond auquel le législateur donne un caractère procédural artificiellement comme pour éviter une discussion devant les tribunaux jugée inopportune - l’exemple du divorce l’illustre.

Lorsqu’elle est requise, cette qualité doit exister tant chez le demandeur que chez le défendeur, voire chez l’intervenant (ex. ci-dessus) : cela résulte d’ailleurs de l’article 32 cpc. Ainsi, serait irrecevable pour défaut de qualité du défendeur une action intentée contre le courtier d’assurance

66 Com. 7 octobre 1997 Joly 1997, n° 1 2 p. 1053, et Com. 17 décembre 2002, B. IV n° 200, p. n° 98-21918, Joly 2003 n° 3 p. 307 n. Paul Le Cannu, D. 2003 p. 206 obs. Lienhard qui vise directement art. 31 CPC ; certes l’arrêt reprend directement le visa de celui rendu le 17 janvier 1989 mais il précisant que seuls les associés sont recevables à agir en nullité des délibérations sociales en cas de défaut de convocation à l’exclusion du gérant non associé comme en l’espèce.67 cf. Com. 17 décembre 2002, B. IV n° 200, p. n° 98-21918, Joly 2003 n° 3 p. 307 n. Paul Le Cannu, D. 2003 p. 206 obs. Lienhard, l’arrêt vise directement art. 31 CPC. L’arrêt reprend directement le visa d’un arrêt du 17 janvier 1989. En précisant que seuls les associés sont recevables à agir en nullité des délibérations sociales. La restriction de la recevabilité est ici envisagée pour les seules actions en nullité relatives aux règles de convocation des assemblées générales et au défaut de pouvoir… Ce qui donne à penser qu’un gérant non associé pourrait peut être invoquer un abus de majorité (cf. Com. 21 janvier 1997, B. IV n° 26, Joly 1997 p. 312 n. Paul Le Cannu).

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au lieu de l’être contre la société d’assurance (cf. Civ. 1, 9 mai 2001, B. I n° 128 voir aussi YM Serinet, La qualité à agir du défendeur, RTDCiv. 2003 p. 203), ou l’action intentée contre le gérant à titre individuel alors qu’elle aurait dû être dirigée contre l’a société (Com. 3 novembre 2004, B IV n° 190), ou encore serait irrecevable la demande afférente à un bien commun adressée à un seul des époux (Cf. Civ. 2 21 sept. 2000, Bull. II n° 132).

Sans qualité du demandeur ou du défendeur, le jugement serait au fond inutile, il ne lierait pas le titulaire ou le sujet passif du droit litigieux…. Le danger alors comme cette première action n’a pas interrompu la prescription puisqu’elle est irrecevable serait que l’action e intentée par la suite contre l’assureur seul tenu à garantie, ayant seul qualité comme cocontractant au contrat d’assurance soit prescrite.

Ainsi, on peut légitimement se demander si seul le fiduciaire peut exercer les droits et actions attachés au patrimoine fiduciaire ou si les fiduciants pourraient dans certains cas agir en justifiant d’un intérêt personnel notamment si le transfert de propriété n’est que temporaire, la loi n’ayant pas posé ici de restrictions réservant le seul droit d’agir au fiduciaire….

Cf. Civ. 1, 2 avril 2008, D. 2008 AJ 1146 et JCP 2008 I 144.

2. La qualité ou l’élargissement du cercle des personnes habilitées à agir.Il y a alors qualité sans intérêt direct et personnel à agir : en ce sens le cercle des personnes

habilitées à agir se trouve élargi. L’article 31 cpc in fine l’évoque lorsqu’il énonce «  sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux personnes qu’elle qualifie pour défendre un intérêt déterminé ». Là encore, la qualité se distingue de l’intérêt à agir et les personnes qui prétendent agir pour la défense d’un intérêt qui ne leur est pas directement personnel devront alors justifier de l’intérêt déterminé dont il s’agit d’assurer la défense et du titre qui les autorise à poursuivre la défense de cet intérêt (association habilitée de défense de l’environnement par exemple).

Ainsi, la profession de médecin - l’ordre des médecins - entendrait agir non pas pour défendre son patrimoine propre ou son image propre mais pour réagir contre l’exercice illégal de la médecine par un individu qui selon lui lèse la profession dans son ensemble soit un intérêt collectif. Une association prétendrait agir contre l’auteur d’un préjudice écologique qui porte atteinte à l’intérêt général ou contre une publicité qui promeut un alcool…L’intérêt général ou du moins collectif est en cause au-delà d’un intérêt personnel : il faut alors une habilitation spéciale de la loi.

La défense de l’intérêt général : le rôle du ministère public devant les juridictions civiles.Notons que même en matière civile, le ministère public est habilité à agir en justice alors

qu’il n’a pas d’intérêt direct et personnel pour agir dans l’intérêt général (voir pas exemple les nombreuses hypothèses consacrées par la loi du 26 juillet 2005 en droit des procédures collectives, consacrant le droit d’agir du ministère public pour faire annuler un acte passé par l’administrateur ou le liquidateur qui dépasse la gestion courante et qui n’a pas été autorisé, acte qui renvoie aux nullités de la période suspecte). Ce faisant, le ministère représente les intérêts de la société civile toute entière et permet de préserver l’ordre public en particulier, l’ordre public dit absolu ou l’ordre public de direction. Au-delà il ne serait pas légitime que l’Etat s’immisce dans les rapports entre particuliers. C’est pourquoi les articles 422 du cpc soulignent que le Ministère public n’agit d’office que dans les cas spécifiés par la loi ou lorsqu’il est porté atteinte à l’ordre public… Il en va différemment en matière pénale où le statut du ministère public est tout autre. En matière civile le domaine propre des actions du Ministère public est celui du droit des sociétés et du droit de la famille en général (changement d’état civil…) (cf. aff sur la nullité du mariage).

Le rôle du Ministère public s’exerce tant devant les juridictions de droit commun où il est directement présent que devant les juridictions d’exception. On insiste notamment sur le rôle qu’il peut jouer devant le Tribunal de commerce pour améliorer le fonctionnement de cette juridiction controversée, notamment dans le contexte particulier des procédures de faillite...

Le ministère public peut agir comme partie principale par voie d’action ou de défense. Il peut également agir comme partie jointe soit dans ce dernier cas en vue de faire connaître son avis sur une affaire déterminée dont il a communication (article 424 cpc).

Ce faisant, le ministère public a un statut particulier, propre, qui ne saurait être concurrencé par celui des particuliers qui prétendraient défendre un intérêt qui dépasse leur strict intérêt personnel. Cette position de principe, initialement consacrée par la jurisprudence et par

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la loi, se veut délibérément restrictive… Elle se résume dans l’adage, « En France, Nul ne plaide par procureur ». Il faut pour agir au nom d’autrui justifier d’un pouvoir spécial ce qui exclut les actions qui seraient fondées sur la défense d’un intérêt collectif hormis l’hypothèse d’un mandat explicite et préalable parfois donné à certaines associations dites ligue de défense (des riverains de tel ou tel site)…

Ce principe est désormais écorné par les hypothèses multiples où la loi consacre la qualité pour agir de certaines personnes morales particulières qui aux côtés du Ministère public et comme pour conforter et rendre plus effectif la défense de certains intérêts supérieurs peuvent défendre ce faisant un intérêt général ou collectif. Il s’agit plus exactement d’un intérêt collectif et pas exactement de l’intérêt général dans la mesure où ces personnes se voient reconnaître la possibilité de défendre l’intérêt, ou les intérêts, d’une catégorie de personnes qu’elles sont habilitées à représenter compte tenu de leur objet notamment si ce sont des personnes morales.

Le principe qui est en train de fléchir est qu’il faut à chaque fois une habilitation de la loi. Et la loi pose en outre un certain nombre de conditions propres à chacun de ces cas qui illustrent l’exigence d’un titre particulier habilitant à agir caractéristique de la notion de qualité qu’elle confère alors à certaines personnes morales voire à des personnes physiques plus exceptionnellement.

Distinguons les cas où une action collective est conférée à une personne morale (syndicat ou ordre professionnel) de ceux où elle est accordée à une association ou à une personne physique. Il est des cas en effet où la loi au-delà des mécanismes du mandat autorise un individu à agir pour défendre les intérêts d’un autre.

1° L’action collective des syndicats et des ordres professionnels pour la défense des intérêts professionnels.

* Très largement la loi – suivant en cela des initiatives jurisprudentielles antérieures68 - consacre une qualité pour agir des syndicats pour la défense « des intérêts collectifs de la profession qu’ils représentent » à travers l’article L 2132-3 - ex 411-11 - c. travail, soit un intérêt collectif au-delà de la défense de leurs seuls intérêts personnels (patrimoniaux et extra patrimoniaux (atteinte à l’honneur)).

Cette qualité à agir leur est reconnue tant devant les juridictions civiles que pénales puisque l’article énonce que le syndicat peut même exercer tous les droits réservés à la partie civile.

S’il faut qu’il y ait atteinte à un intérêt collectif de la profession, il n’est pas requis en revanche, que la victime directe, par exemple, de l’infraction, le salarié, soit adhérent du syndicat . En revanche, il faudra se prévaloir d’un dommage matériel ou moral pour la profession.

Cet intérêt collectif, au demeurant, ne se confond pas avec l’intérêt individuel de ses adhérents ni même avec l’intérêt général. D’ailleurs, il peut y avoir atteinte à l’intérêt collectif, sans atteinte à un intérêt individuel d’un salarié, par exemple.

En revanche si un même fait générateur peut causer un dommage à un individu et à l’intérêt collectif de la profession, ainsi qu’à la société toute entière, il serait envisageable de voir intervenir à une même procédure le Ministère public, le syndicat et le salarié lésé…

Aujourd’hui, et cela n’a pas toujours été le cas la recevabilité de l’action des syndicats employeurs et salariés est admise dans les mêmes termes.

Plus récemment, l’article L 2132-3 c. travail, a été sollicité pour ouvrir plus largement l’action des syndicats, en exécution forcée (Soc. 3 mai 2007, D. 2007 p. 536 voir aussi Soc. 11 juin 2013, n° 12-12818, D. 2013 p. 155569) ou en nullité des conventions collectives.

68 Chb réunies du 5 avril 1913a reconnu largement aux syndicats le droit de se porter partie civile relativement aux faits portant un intérêt direct ou indirect aux intérêts de la profession. Formule reprise dans une loi du 12 mars 1920.69 Soc., 11 juin 2013, n° 12-12.818, FS-P+B, Syndicat Sud PTT 13 c/ SA La Poste : Proc. Oct. 2013 n° 292. Les syndicats professionnels sont recevables à demander, sur le fondement général de la défense de l'intérêt collectif de la profession (C. trav., art. L. 2132-3), l'exécution d'un accord collectif de travail, dès lors que son inapplica-tion cause nécessairement un préjudice collectif. La Cour de cassation confirme ici son interprétation très exten-sive de l'action en justice des syndicats (Cass. soc., 3 mai 2007 : JCP S 2007, 1918, note R. Vatinet). Il importe peu que l'accord collectif ne soit pas étendu ou que l'article L. 2262-11 réserve une action spécifique en exécu-tion aux seuls syndicats « liés » par l'accord.

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En revanche, les syndicats n’ont pas qualité pour demander l’annulation de convention de rupture conventionnelle auxquelles ils ne sont pas partie, une telle action ne pouvant être exercée que par les salariés concernés (Soc. 9 mars 2011, n° 10-11851, JCPS 2011 1200). Il serait aussi concevable que le salarié donne mandat (ad litem) au syndicat pour le défendre mais on passe alors par un mandat préalable d’agir… C’est autre chose.

Il ressort de ces développements que la recevabilité de l’action des syndicats est très largement admise, et que les textes ont été interprétés de manière compréhensive de ce point de vue par les tribunaux laissant ainsi se développer pleinement la mission juridictionnelle des syndicats, plus, en tous cas, que celles de leurs homologues, dans les professions libérales… C’est un moyen d’action autre que la négociation collective ou la grève que les syndicats savent mettre à profit au soutien des salariés.

Certains appellent désormais de leur vœu la consécration d’un véritable droit d’agir des comités d’entreprise pour la défense des intérêts des salariés, ce qui faute d’habilitation à agir aussi générale n’est pas le cas.

* Les ordres professionnels ordre des avocats ordre des médecins jouissent aussi d’une certaine faveur et se sont vu reconnaître le droit d’agir pour la défense des intérêts communs de la profession, soit un intérêt collectif qui renvoie à leur objet, mais leur statut est plus en retrait que celui des syndicats.

Il n’existe pas, pour eux, de textes général les habilitant à agir, comparable à L 2131-3 c. travail. Les textes sont épars : la jurisprudence les sollicite dans la mesure du possible. Il en va ainsi du statut de l’ordre des notaires, régi par une ordonnance du 2 novembre 1945 (art. 5) – cf. Crim 4 novembre 1991 - de celui de l’ordre des vétérinaires - – cf. Crim 28 mars 1991. De même pour les médecins il existe à l’article L4121-2 du Code de la santé publique (dans sa version issue de la loi du 4 mars 2002) qui reprenant les termes de l’ancien article donne à l'ordre des médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes pour mission de veiller « au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, de l'art dentaire, ou de la profession de sage-femme et à l'observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l'article L. 4127-1 ». Il y est précisé que « l’ordre assure la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale, de la profession de chirurgien-dentiste ou de celle de sage-femme ». Il s’agit là d’un texte que la jurisprudence a largement sollicité.

Sans ces textes, et hors de leur support, en revanche, il est arrivé que certaines actions de l’ordre des avocats, des huissiers soient considérées comme irrecevables, la loi ne les habilitant pas à agir.

Une évolution devrait désormais de faire sentir compte tenu de l’évolution jurisprudentielle qui s’est affirmée pour l’action des associations en défense d’un intérêt collectif qu’elle se sont assignées de défendre dans leur objet statutaire.

Là encore, la jurisprudence souligne nettement que toute infraction contre un membre de l’ordre ne cause pas nécessairement un préjudice à la profession.

Les ordres ne jouissent donc pas tout à fait de la même faveur que les syndicats. Pourquoi cette différence de traitement ? Elle tient sans doute à la différence de rédaction des textes, dans une première approche formelle (alors que l’habilitation spéciale doit être clairement posée). Elle renvoie aussi, à une perspective plus historique et politique, les ordres professionnels ont pour beaucoup été créés sous Vichy et traduisent une corporatisme de mauvais alloi… Ils ne disposent pas de ce fait d’un régime général unique aussi lisible que celui des syndicats.

Ces considérations laissent toutefois un peu perplexes à l’heure où la représentativité des syndicats est souvent mise en doute (ils réunissent peu d’adhérents en France,) alors que les ordres réunissent au contraire tous les membres d’une profession.

De manière générale, les intérêts professionnels peuvent assez largement être défendus par certaines personnes morales. Il n’en allait pas toujours ainsi d’autres intérêts collectifs que certaines associations se donnent pour mission de défendre et qui renvoient à leur objet, quoique sur cette question la jurisprudence soit en voie d’évoluer comme en témoignent des arrêts récents...

2° L’action collective des associations pour la défense des autres intérêts collectifs.

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A la différence des syndicats, les associations font traditionnellement l’objet d’une certaine défiance des pouvoirs publics. Les pouvoirs publics ont toujours craints ne s’érigent en défenseur de l’intérêt général. Ainsi, le législateur ne les a au départ que rarement habilitées à défendre en justice les intérêts collectifs qu’elles se sont donné pour objet de défendre. Et ce, même s’il renvoie à leur objet statutaire, si le préjudice est seulement collectif et indépendant de la lésion d’un intérêt personnel.

Cette solution était clairement affirmée en jurisprudence, de longue date, depuis un arrêt de chambres réunies rendu le 15 janvier 1923, qui faisait référence. Elle a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle au point que quelques années plus tard certains auteurs n’hésitent plus à affirmer que l’action en justice en défense d’un intérêt collectif entrant dans l’objet social, n’est pas devenue une action banale (cf. N Fricero D. 2011 p. 271).

La frilosité de départ du législateur et de la jurisprudence venait de ce que l’action pour la défense de ces intérêts collectifs de ces « grandes causes », se distingue assez difficilement de la défense de l’intérêt général. Une grande cause n’est pas une entité aussi indentifiable qu’une profession défendue par un syndicat ou un ordre professionnel. Et la délégation qui n’est pas inconcevable du pouvoir d’assurer la défense d’intérêts collectifs, qui sont des parcelles de l’intérêt général, devait de ce fait être strictement encadrée. L’arrêt des chambres réunies exigeait donc pour admettre la recevabilité de ces actions avant 2007 que des textes spéciaux la prévoient au cas par cas. Ces textes qui s’étaient multipliés au fil du temps posaient en général certaines conditions pour attribuer ce titre : parfois, une habilitation spéciale des associations qui en sont investies, parfois, une certaine ancienneté de celles-ci. Parfois, l’action de l’association reste encore subordonnée à l’accord des victimes des agissements en cause. La reconnaissance d’utilité publique de l’association n’emportait pas, à elle seule, le pouvoir d’agir pour la défense de ces intérêts . Parfois, le pouvoir d’agir était consacré devant les seules juridictions pénales ou devant les seules juridictions civiles, parfois les deux… Cela rendait les solutions assez complexes et peu lisibles, il faut le reconnaître.

Il faut nettement distinguer la défense de ces intérêts collectifs, de la situation particulière des ligues de défense, qui renvoient plus largement aux mécanismes du mandant et à la défense d’une conjonction d’intérêts individuels communs. En effet il arrive que certaines associations aient un objet plus limité : elles ne sont constituées pour rassembler des personnes dont les intérêts individuels sont atteints et qui trouvent dans le principe d’un rapprochement associatif, le moyen d’en assurer une meilleur défense. Ce sont les ligues de défense.

a - La recevabilité de l’action des ligues de défenseLa recevabilité de ces actions suscite des difficultés en France – tenant au principe selon

lequel « en France, nul ne plaide par procureur », elle est largement écartée devant le juge répressif. En revanche, le juge civil l’admet assez largement en considérant qu’il est fait application des mécanismes du mandat. La défense en justice des intérêts individuels des membres du groupement en cause doit cependant être inscrite dans l’objet de celle-ci. La CEDH (CEDH 10 juillet 2001, Association et ligue pour la protection des acheteurs automobiles) et la CJUE (CJCE 24 mars 1993, CIFRS et Al. d’abord hostiles s’orientent vers l’admission de ce type d’action.

Ces ligues de défense ne font quant à elles qu’utiliser la technique du mandat et de ce fait ce n’est pas la notion de qualité pour agir qui est en cause stricto sensu… Mais l’explication du mandat n’est pas pleinement satisfaisante dès lors que les arrêts admettent que le sociétaire et l’association puissent agir concomitamment.

Au demeurant, il ne s’agit pas avec les ligues de défense de défendre un intérêt général, mais une série d’intérêts individuels identiques (de riverains, voisins, en cas de trouble de voisinage), et la concurrence, avec l’action du Ministère public est moins nette de ce fait.

b - La recevabilité de l’action des associations en défense d’un intérêt collectif

S’agissant de la défense des intérêts collectifs proprement dits, au-delà d’un mandat spécial, et du sujet particulier des ligues de défense un double mouvement tant législatif que jurisprudentiel traduit que le principe s’est désormais inversé, avant même que les discussions sur l’admission d’une véritable action de groupe n’aient abouti.

- Constatons d’une part, et c’est le premier mouvement, chronologiquement parlant que les habilitations législatives conférant à des associations le pouvoir de défendre des intérêts

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collectifs se sont multipliées ces dernières années, au point qu’une liste exhaustive en serait difficile à dresser.

L’illustration la plus connue est celle de l’article L 421-1 du Code de la consommation.« Les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des

intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ». Cette action est à distinguer nettement de l’action en représentation conjointe qui repose sur les mécanismes du mandat (préalable et obligatoire (cf. infra art. L 422-1 c. conso.)

Elles peuvent également agir, en vertu de l’article L 421-6 c. conso pour faire supprimer une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 c. conso.70, action créée pour privilégier la prévention sur la répression. Cette action de l’association existe indépendamment de l’action individuelle du consom-mateur et peut a priori être exercée en même temps qu’elle, si l’on veut être efficace. En revanche, la Cour de cassation en a réduit la portée en considérant que, compte tenu de sa portée préventive, cette action dérogatoire ne peut pas viser les contrats déjà conclus… ce qui laisse un peu songeur compte tenu de l’élargissement des actions des associations et dans la perspective d’une class action (Civ. 1, 1° février 2005, n° 03-16905, JCP 2005 I n° 141 15), elle ne viserait donc que celles existant dans les projets de contrats, ou modèles de contrats encore proposés au consommateur, preuve qui incombe tout naturellement à l’association de consommateur auteur de l’action aux contours circonscrits parce que dérogatoire( Cf. Action d’UFC que Choisir en suppression de 16 clauses abusives (cf. CA Ver -sailles 4 février 2004, D. 2004 p. 635 N. V Avena Robert). On est encore loin d’une class action à la française.

La Cour de cassation vient de préciser que l'action préventive en suppression de clauses abu-sives ouverte aux associations agréées de défense des consommateurs a vocation à s'appliquer aux mo-dèles-types de contrats destinés aux consommateurs et rédigés par des professionnels en vue d'une uti -lisation généralisée, et qu’elle est recevable même si l’éditeur du modèle type n’est pas partie au contrat Civ. 1, 3 février 2011, n° 08-14.402, D. 2011 p. 510, LEDC mars 2011 n° 3 p. 1 n° 39). Il s’agit ici d’un revirement par rapport à une décision contestée, rendue 12 ans plus tôt, où l’action d’une association contre l’éditeur de modèle de contrat avait été rejetée comme irrecevable (Civ. 1, 4 mai 1999, n° 97-14187)… Ce qui traduit une certaine faveur désormais envers ces actions.

D’ailleurs cette action en suppression des clauses abusives est aussi ouverte aux agents de la DGCCRF, devant les juridictions civiles et administratives, depuis une ordonnance du 1 septembre 2005 (cf. art. L. 141-4 c. conso. ), mais la procédure est semble-t-il peu utilisée pour l’heure… La DGCCRF dispose aussi depuis la une loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 (cf. art. L. 141-1 c. conso. ) d’un pouvoir d’enjoindre aux professionnels la suppression des clauses abusives.

La formulation s’inspire de celle reconnue aux syndicats.Et la CJUE vient de préciser le caractère très particulier de cette action au regard de l’autorité

de chose jugée…. Cette action en cessation intentée dans l’intérêt public nous précise la CJUE (CJUE, 26 avr. 2012, n° C-472/10, Office national pour la protection des consommateurs (NFH) c/ Invitel, LEDC 2012 n° 90 n. Bernheim), si elle aboutit à déclarer nulle une clause abusive a effet erga omnes, et vaut donc y compris pour les consommateurs n’ayant pas été partie à la procédure pour le passé et pour l’avenir, sachant que pour la CJUE le juge national a le devoir de relever d’office le caractère abusif d’une clause depuis l’arrêt Panon, sachant que son travail est ici facilité !

On aurait également pu citer les actions des associations de lutte contre le tabagisme ou l’al-coolisme en vue de défendre cette grande cause de santé publique ou les actions que les associations de protection de l’environnement peuvent exercer pour défendre cette cause (article L. 252-3 du code rural). Les associations de défense de la famille ou de la jeunesse, les associations de défense des au-teurs ou des travailleurs handicapés qui au fil du temps ont pu être habilitées par le législateur.

70 Les associations mentionnées à l'article L. 421-1 et les organismes justifiant de leur inscription sur la liste publiée au Journal officiel des Communautés européennes en application de l'article 4 de la directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des consommateurs peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er de la directive précitée. Le juge peut à ce titre ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur.

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A l’heure actuelle, un toilettage des textes permettrait d’harmoniser les conditions d’ac-tion. Car les habilitations ont chacune des conditions un domaine variable (juridiction civiles seulement ou civiles et pénales). La consécration plus générale d’une class action permettrait à une as-sociation de défendre les intérêts personnels d’autrui plus largement et de donner un cadre commun et de rationnaliser ces actions éparses.

- Mais cette unification pourrait en partie venir de la jurisprudence puisqu’un mouvement d’assouplissement jurisprudentiel s’est produit, dans un second temps. La Cour de cassation elle-même, ne veille plus aussi scrupuleusement au respect de la règle issue de l’arrêt des chambres réunies exigeant une habilitation légale préalable. Certains arrêts récents passent d’ailleurs délibérément cette exigence sous silence, ce qui révèle que son opinion en la matière a évolué.Un arrêt du 26 septembre 2007 (Civ. 2, B. II n° 155 p. n° 04-20636, D. 2007 p. 2760 et D.

2008 p. 2895, JCP 2008 II 10020, RTDCiv. 2008 p. 305) a d’abord admis « qu'une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social »71, D’autres arrêts plus explicites, (Civ. 1, 18 septembre 2008, D. 2008 p. 2437, pourvoi n° 06-22038, JCP 2009 I 123 n. Stoffel Munck n° 3) énoncent qu’ « une association, même hors habilitation législative, peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs qui entrent dans son objet social »72.

La solution a été confirmée à plusieurs reprises depuis, tant pour des associations spécialisées dans la protection de l’environnement que récemment pour des associations de protection des consommateurs (cf. Civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12678, D. 2010 p. 886), ce qui compense, en particulier, les difficultés à intégrer en droit français une class action à part entière.

Peu importe, à cet égard, qu’elle soit ou non agréée, et que le préjudice collectif allégué résulte de la commission d’une infraction pénale ou d’une simple faute civile (voir encore plus récemment (Civ. 3, 9 juin 2010, pourvoi n° 09-11738, D. 2010 p. 2615), l’atteinte aux intérêts que l’objet social lui donne de défendre devient alors le critère de recevabilité de l’action.

Le principe de spécialité des personnes morales retrouve sa raison d’être alors qu’il ne limite plus toujours autant la capacité de la personne morale en général, pour effectuer des actes juridiques dans la vie civile…Et comme dans d’autres circonstances cet objet social est interprété de manière compréhensive ainsi une association de lutte contre le cancer peut exercer une action civile en défense d'intérêts collectifs pour publicité en faveur du tabac, la lutte contre le cancer impliquant nécessairement la lutte contre le tabagisme (Crim. 23 avr. 2013, FS-P+B, n° 12-83.244).

Il semble aujourd’hui possible d’affirmer que la lettre de l’arrêt des chambres réunies est dépassée et que la condition de recevabilité de l’action de l’association en défense de l’intérêt collectif devient celle de l’objet et du principe de spécialité.

Néanmoins cette évolution ne touche pour l’heure que les juridictions civiles, et non la chambre criminelle, toujours restée en retrait sur ces questions. Et notamment, sur la recevabilité de l’action des ligues de défense (cf. Crim. 8 janvier 2008, pourvoi 07-80404 et Crim. 12 septembre 2006, pourvoi n° 05-86958). On notera que ces arrêts visent le plus souvent des associations de défenses de l’environnement, lesquelles ont un rôle fondamental à jouer pour assurer l’efficacité des dispositions légales ou réglementaires en ce domaine…

Et les seules actions dont la recevabilité est admise et qui ont permis aux associations d’obtenir gain de cause sont pour l’heure des actions en indemnisation, et non par exemple des ac-tions en cessation de l’illicite. Ce qui confirme qu’il s’agit bien d’une forme de peine privée.

Et même devant le juge civil, encore faut-il que les autres conditions de fond de l’action en responsabilité soient réunies pour qu’elle prospère. En particulier, prouver un préjudice. Pourtant, là aussi, une évolution se dessine en droit positif visant à reconnaître qu’il pourrait y avoir un préjudice collectif, du simple fait de la violation répétée de certaines obligations, par exemple, en

71 Une association agréée ayant pour objet statutaire la protection de l'environnement est fondée à demander la démolition d'une construction édifiée, en vertu d'un permis de construire déclaré illégal par la juridiction administrative, dans une zone inconstructible protégée pour la qualité de son environnement, sur des parcelles classées en espaces boisés à conserver, cette violation de la règle d'urbanisme, en portant atteinte à la vocation et à l'activité au plan départemental de l'association, lui causant un préjudice personnel et direct.72 Il s’agissait cette fois de l’AFM qui s’est émue des conditions d’accueil et des dysfonctionnements d’un établissement accueillant des myopathes.

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droit de la consommation, voire en droit de la concurrence (cf. Civ. 1, 13 novembre 2008, pourvoi n° 07-15000, JCP 2009 I 123 n Stoffel Munck n° 2). Jusque là, dans ce type de litiges, la Cour de cassation s’en remettait à l’appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond, qui souvent retenaient que l’association ne rapportait pas la preuve d’un préjudice direct, juridiquement réparable. La censure dans l’arrêt du 13 novembre 2008 montre que désormais elle n’entend plus s’en tenir là… En droit de l’environnement, dans un arrêt récent pour admettre ce type d’action elle passait par la notion de préjudice moral, admettant que « Les associations agréées ayant pour objet la lutte contre les pollutions et nuisances ont intérêt à agir en réparation du préjudice moral indirect causé par le non-respect des dispositions d'un arrêté préfectoral, pris au titre de la réglementation des installations classées, de nature à créer un risque de pollution majeure pour l'environnement, indépendamment du fait que l'infraction en cause ait cessé à la date de l'assignation » (cf. Civ. 3e, 8 juin 2011 (n° 10-15.500, D. 2011. 1691, obs. G. Forest ; B. Grimonprez, Envir. 2011. Comm. 96 Recueil Dalloz 2011 p. 2635, Béatrice Parance). « N'est-il pas surprenant d'identifier un préjudice moral dans la violation de la réglementation environnementale, alors même que celle-ci a cessé et qu'aucun dommage environnemental ne s'est réalisé ? Quelle est alors l'étoffe, la consistance d'un tel préjudice ? Comment comprendre de telles solutions jurisprudentielles qui font des associations de protection de l'environnement le bras armé du respect de la législation environnementale ? ».

Il y a là un préjudice bien abstrait et bien étrange, qui semble en tout cas bien difficile à évaluer. Il ressemble fort à une peine privée et pourrait traduire une admission par la petite porte de dommages intérêts punitifs en droit privée puisque le préjudice, l’atteinte d’ordre collectif résulte de la répétition des illicéités… Les paramètres pour guider l’évaluation bien loin du principe de réparation intégrale semblent être la « quantité d’illicéités », voire la gravité de celles-ci.

Peut-être faudrait-il réfléchir plus globalement sur la class action, ses conditions de mise en œuvre… voire l’admission de DI punitifs. Mais on passe là de la procédure au fond, et il faut donc abandonner ce débat passionnant mais qui nous éloigne sur ces derniers aspects de notre sujet, ou qui montre qu’il y a plus souvent un lien plus étroit qu’il n’y paraît, entre droit processuel et droit substan-tiel, et qu’en desserrant les vannes du droit processuel on en vient insensiblement à desserrer celle du droit substantiel. De nouveau, avec ce critère un peu lâche, n’est-on pas en train de confondre les conditions d’existence du droit d’action avec la condition du préjudice qui elle est une condition de fond examinée au stade de celle du bien fondé…

Enfin, dans un arrêt du 1° juillet 2009 la Cour de cassation constate qu’une Cour d’appel ayant relevé qu'aux termes de ses statuts l'association avait pour but de concourir à la protection de la nature et qu'elle était représentée en justice par son président, la cour d'appel, pouvait retenir qu'elle agissait au titre de son objet social. Elle se prévalait, en l’occurrence du défrichement illégal de plus d'une centaine d'hectares sur la plaine des Maures, zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type I, d'intérêt communautaire pour les oiseaux et inventoriée au titre de Natura 2000 et réclamait réparation d'un préjudice collectif résultant de ces agissements, a décidé à bon droit que l'action, intentée par le président au nom de l'association, était recevable (Civ. 3, 1 juillet 2009 de pourvoi n° 07-21954 JCP 2009 I n° 47p. 453).

L’évolution viendra peut-être de l’Union européenne où une réflexion sur les recours collectifs est nettement engagée et pourrait conduire à faire évoluer les choses en France malgré les réticences que l’action de groupe continue de susciter en France, sachant et cela complexifie le débat que ses effets néfastes sont aussi parfois dénoncés dans des systèmes où elle a pu être consacrés. Il ne faut pas méconnaître les risques attachés à une judiciarisation des rapports sociaux…

3°) L’action «   collective   » des personnes physiques .Parfois des personnes physiques, investies d’une mission particulière, sont spécialement

habilitées par la loi pour défendre un intérêt collectif. Ainsi l’article L. 622-20 c. com. précise que « le mandataire judiciaire désigné par le Tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers » alors même que ceux-ci ne sont pas regroupés en une masse organisée, dotée de la personnalité juridique.  Le représentant des créanciers et à sa suite le liquidateur est titulaire

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du droit d’agir : c’est en sa personne que sont appréciées les conditions d’existence de l’action. C’est pour rendre la procédure collective efficace que ce droit d’agir exclusif lui est ainsi conféré73.

D’ailleurs la loi du 26 juillet 2005 a renforcé l’efficacité du système en prévoyant en cas de carence du mandataire judiciaire, la qualité subsidiaire des créanciers contrôleurs pour agir, dans les mêmes termes que le mandataire judiciaire pour la défense des intérêts collectifs des créanciers.

Il y a là une action propre de ces mandataires que la loi consacre. C’est en leur personne que les conditions de l’action sont appréciées et le mandataire agit ici dans l’intérêt collectif de la procédure. Les sommes sont d’ailleurs recueillies dans le patrimoine de l’entreprise.

* Autre exemple d’action collective exercée par une personne physique : l’action ut singuli, en droit des sociétés. La technique de l’action sociale ut singuli est d’origine prétorienne et relativement ancienne. Elle a été consacrée par le législateur en 186774, puis par la loi du 24 juillet 1966 qui a conféré l’exercice de cette action sociale aux associés de SA et de SARL75. La loi du 5 janvier 1988 en a étendu à son tour le domaine à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, par une disposition générale, figurant à l’article 1843-5 c. civ. Sans recourir formellement aux mécanismes du mandat, elle permet à un actionnaire d’agir, à la place des représentants de la société, en cas d’inertie de ceux-ci, et de défendre ainsi les intérêts de la société et de l’ensemble des associés. L’habilitation à agir qui ne découle pas d’un mandat est donc légale, elle renvoie à une action attitrée.

L’action ut universi est celle engagée par les représentants de la société, lesquels ont en principe le monopole de son exercice, en tant que représentants légaux de celle-ci, pour obtenir réparation des préjudices subis par la personne morale, ceux que l’on qualifie de préjudices sociaux. Il faut éviter un activisme judiciaire des associés source de paralysie de la vie sociale.

En effet, de même qu’il ne faut pas confondre la personne morale et les personnes physiques membres de celui-ci ; de même il ne faut pas davantage confondre le droit d’action de la personne morale et celui de ses membres en réparation d’un préjudice individuel qui leur est personnel.

A priori, les membres du groupement ne peuvent agir en justice pour obtenir réparation d’un préjudice subi par le groupement en tant que personne morale : ils n’ont pas d’intérêt personnel à agir (ils ne l’auraient que par ricochet et ce n’est pas suffisant). Ce n’est que par dérogation que la loi peut attribuer à un membre du groupement le droit d’exercer l’action de la PM c’est le cas de l’action ut singuli, on dit aussi l’action sociale parce qu’elle poursuit la réparation du préjudice subi par la société, en suppléant à l’inertie - éventuelle et en tous cas probable - des organes sociaux.

L’action sociale peut être exercée par un associé, ou par plusieurs d’entre eux conjointement : on parle alors d’action ut plures…. L’action ut plures est quant à elle soumise à des conditions plus restrictives (cf. art. L. 225-120 c. com. et R. 225-169 c. com. S'ils représentent au moins le vingtième du capital social pour les SA, et L223-22 et son décret d’application pour les SARL Art. R. 223-31, S'ils représentent au moins le dixième du capital social) et suppose la réunion d’un pourcentage

73 Et à l’expiration de ses fonctions le mandataire judicaire perd sa qualité pour agir (cf. Com. 5 avril 1994, Bull. IV n° 14074 l’article 17 de la loi du 24 juillet 186775 cf. auj. art. 225-252 c. com. Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les

actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs   (L. no 2001-420 du 15 mai 2001)  «ou le directeur général». Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués. — [L. no 66-537 du 24 juill. 1966, art. 245]. — V. art. R. 225-169 et R.

225-170 et 223-22 al. 3 c. com (Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés

peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée, ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice de cette action.Aucune décision de l'assemblée ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat. — [L. no 66-537 du

24 juill. 1966, art. 52]).

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minimum du capital - alors que l’action individuelle n’est soumise à aucun minimum. Dans les sociétés civiles, en revanche, cette action ut plures n’est pas subordonnée à un seuil minimum de capital…

L’immixtion de l’associé – dans les affaires « judicaires » de la société a été admise dans un cas précis. Là où est en cause la responsabilité des dirigeants et où, par hypothèse, il peut y avoir inertie de leur part à agir… C’est une dérogation précise au principe. L’associé s’érige alors en véritable organe de la société, là où la loi l’admet. C’est sans doute ici une prérogative propre attachée à sa qualité d’associé.

Ces actions dites sociales se distinguent nettement de l’action exercée là encore par l’associé en réparation d’un préjudice individuel qu’il subirait personnellement du fait de la faute d’un dirigeant, et qui peut être exercée devant les tribunaux civils, voire devant les tribunaux répressifs, par le biais de l’action civile, lorsque le fait dommageable reçoit une qualification pénale. Cette action s’avère difficile à mettre en œuvre, car elle suppose la démonstration d’un intérêt personnel et donc d’un préjudice individuel, distinct du préjudice éprouvé par la société. Or, bien souvent, les préjudices subis par la personne morale rejaillissent sur les associés comme par ricochet, et de tels préjudices ne seront pas, en fait, considérés comme des préjudices individuels distincts.

Un actionnaire peut en revanche, exercer l'action sociale même s'il demande par ailleurs la réparation de son préjudice personnel (Cass. crim. 3 nov. 1980, Bull. Joly 1980.698).

Il apparaît alors souhaitable compte tenu de l’acception relativement stricte de ce préjudice personnel distinct76 que le droit français se dote de davantage de moyens pour traiter les préjudices atteignant une catégorie d’associés. Notons toutefois que l’associé à la différence du tiers n’a pas à prouver la faute détachable, c’est la clarification apportée récemment par un arrêt rendu le 9 mars 201077…

Par cette action, le où les associés deviennent en quelque sorte organes occasionnels de celle-ci mais elle a alors un domaine étroit, ce qui expliquerait qu’elle soit rarement exercée, et justifierait alors la mise en place d’une action de groupe digne de ce nom...

Le domaine étroit de cette action de substitution se traduit au travers des titulaires de l’action au travers des personnes morales visées par elle, des actions en responsabilité visées et du préjudice ainsi réparé mais aussi en fonction de la subsidiarité proclamée de cette action et de l’imputation des frais de procédures qui sont autant de frein à sa qualification d’action de groupe.

Titulaires de l’action  : les associés qui peuvent l’exercer individuellement ou à plusieurs, mais aussi par voie d’élargissement les associations d’actionnaires de sociétés cotées régulière-ment déclarées à l’AMF et les associations d’investisseurs agréées.

En revanche, cette action doit être refusée à l'actionnaire qui, étant par ailleurs administrateur, n'a fait, au moment où sont intervenus les agissements qu'il dénonce, aucune observation (CA Paris, 11 mai 1982, Gaz. Pal. 1982.2, somm. 319).Là encore, dans le contexte d’une action de groupe, les personnes susceptibles d’exercer l’action de classe sont en général définies de manière plus large et leur habilitation est souvent judiciaire.

Les groupements visés   : dans les seules sociétés et pas les syndicats et associations78 ni synd de copro, ni GIE.

Une action de groupe digne de ce nom pourrait avoir une vocation beaucoup plus large… Cette action renvoie à une habilitation légale c’est une dérogation à l’exigence d’un mandat pour agir en justice et au monopole des organes de représentation des PM qui doit dès lors s’interpréter restrictivement.

L’objet de l’action pour les actions en responsabilité contre l’administrateur ou le direc-teur général dans les SA, contre les gérants dans les SARL et autres sociétés.

L’article 225-252 et 223-22 et 1843-5 c.civ. délimitent précisément pour l’heure cette action et son objet. Il s’agit d’intenter l’action en responsabilité contre l’administrateur ou le directeur général dans les SA, contre les gérants dans les SARL et autres sociétés.Ne sont par conséquent pas visées les actions contre les mbs du conseil de surv.79

76 Com.9 mars 2010 n° 08-21.547 (n° 294 FS-P+B), Dalloz 2010 p. 761 pour un arrêt qui l’admet les fausses informations émises par les dirigeants ayant incité ces actionnaires à investir dans les titres émis par la société. Et, Civ. 3, 22 septembre 2009, D. 2009 AJ 234277 Com.9 mars 2010 n° 08-21.547 (n° 294 FS-P+B), Dalloz 2010 p. 7678 Sur le refus d’admettre une action de type ut singuli dans les associations (cf. Civ. 1 13 février 1979, D. 1981 J p. 205)

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L’immixtion de l’associé – dans les affaires « judicaires » de la société a été admise dans un cas précis. Là où est en cause la responsabilité des dirigeants, et où, par hypothèse, il peut y avoir inertie de leur part à agir… Ne sont donc pas visées les autres actions en réparation.Il vient d’ailleurs d’être jugé que les dispositions de l'article L. 225-252 du Code de commerce n'autorisent les actionnaires à exercer l'action sociale en responsabilité qu'à l'encontre des administrateurs ou du directeur général. Toute action ut singuli engagée par les actionnaires à l’encontre des tiers est par conséquent irrecevable Com., 19 mars 2013, n° 12-14.213, BJS, mai 2013, p. 316, note J.-F. Barbièri.Et cet objet détermine le délai de prescription applicable. L'action en responsabilité (sociale ou individuelle) contre les administrateurs se prescrit en effet par trois ans à compter du fait dommageable ou, si celui-ci a été dissimulé, de sa révélation80. Si le fait est qualifié crime, l'action se prescrit par dix ans (art. L. 225-254 in fine).

Le préjudice réparé. Le préjudice social est seul visé. Il s’agit d’obtenir réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle les DI sont alloués, la réparation des préjudices indivi-duels procède d’une autre action qui peut être mise en œuvre dans le même temps.

C’est la raison pour laquelle la société doit être régulièrement mise en cause, en la personne de ses représentants légaux, à peine d’irrecevabilité81.Certaines actions de substitution permettent d’exercer les droits individuels des salariés, en droit du travail, notamment, en matière de discrimination, de licenciement économique… Ici l’action ne vise à réparer que le préjudice social.Or, ce préjudice social est interprété largement, ce qui permet d’indemniser largement la personne morale et d’assurer la réparation du préjudice collectif. Mais par contrecoup, les préjudices individuels sont définis de manière très restrictive, on en prendra pour preuve un exemple récent issu de la jurisprudence (cf. Civ. 3, 22 septembre 2009, D. 2009 AJ 2342) posant le principe d’un refus d’indemniser le préjudice des associés d’une SCI du fait de l’insuffisance des bénéfices distribués, lequel ne se distingue pas de celui qui atteint la société toute entière dont il n’est que le corollaire.

Le frein des frais de procédure et leur caractère dissuasif

Non seulement la société est seule bénéficiaire du produit de l’action mais en plus l’actionnaire qui agit ut singuli doit assumer la charge des frais de procédure ce qui est largement dissuasif de fait d’utiliser cette arme.Cela éloigne encore notre action de l’action de groupe car souvent sont mis en place des mécanismes de prise en charge des frais de dossiers.

Il s’agit bien aujourd’hui d’une action de substitution qui n’a plus un caractère subsidiaire et qui est détachée des mécanismes du mandat. En effet, comme l’évoquent certains arrêts sans que la jurisprudence aille d’ailleurs toujours au bout de cette logique il existe d’un droit propre de l’associé à défendre l’intérêt d’autrui – en l’occurrence l’intérêt social -, pour des raisons de pure opportunité, par volonté expresse de la loi. Et la jurisprudence de ce fait hésite à reconnaître une telle action en matière de copropriété. Ce caractère affirmé par la jurisprudence de droit propre de l’associé se manifeste :

- en ce qu’il peut interjeter appel, alors que la société qui était intervenue à l’instance par l’action sociale ut universi ne le fait pas82, ce qui accrédite l’idée d’un droit propre, l’asso-cié pouvant pallier l’inertie de la société.

- en ce que, plus récemment encore, et dans le prolongement de cet arrêt, il a été admis que si l’action ut universi était effectivement exercée mais risquait de l’être mal – en l’occur-

79 (Civ. 3, 6 novembre 1991 JCP Ent. 1992 II 246. Le décret de 1967 envisageait cette action ut singuli contre les membres du Conseil de Surv mais le décret ne peut prévaloir sur la lettre de la loi qui est ici d’interprétation stricte.80 C. com., art. L. 225-254 ; V. Cass. com. 21 oct. 1974, Rev. sociétés 1975.113, note B. Bouloc ; 2 mai 1983, ibid. 1984.775, note P. Didier ; 3 juill. 1984, ibid. 1985.422, note B. Bouloc ; 23 oct. 1990, Bull. civ. IV, no 255, Bull. Joly 1990.1037, note M. Jeantin, Rev. sociétés 1991.538, note Y. Chaput  ; V. égal. CA Paris, 25 févr. 1991, D. 1991, IR 98  81 Com. 5 nov. 1991, Dr Soc. 1992 comm. N° 17 et Crim. 6 oct. 1980, Rev. Soc. 1981 p. 133 n. B. Bouloc.82 Crim. 12 déc. 2000 D. 2001 p. 1031 Douai 29 avr 1997 JCP 1997 II 22919 obs Daigre (arrêt cassé)

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rence, des anciens dirigeants de la société, à l’œuvre au moment des agissements fautifs, occupaient encore des responsabilités importantes au sein de celle-ci – l’action ut singuli pouvait être mise en œuvre en parallèle - ou en concurrence, disent certains. Dans ce cas, la réparation intégrale du préjudice ne sera sans doute assurée pleinement et correctement par l’action sociale83. Cette prise de position jurisprudentielle récente, que certains appe-laient de leurs vœux accrédite, là encore, l’existence d’un droit propre et écorne sensible-ment le principe de subsidiarité.

* De même, et dans un autre registre, en droit de la concurrence un arrêt récent a mis en évidence un droit d’action propre que la loi confère au Ministre de l’Economie. En vertu de l’article L 442-6 III c. com., le ministre de l’Economie est en mesure d’utiliser des sanctions civiles pour assurer la police du marché, alors même que le ministère public est déjà habilité par les textes à exercer ces actions (cf. L 442-6 III c. com). Il peut ainsi dans un souci d’efficacité, saisir une juridiction aux fins de « voir ordonner la cessation des pratiques » mais encore de «  faire constater la nullité des clauses et contrats illicites, demander la restitution de l’indu et le prononcé d’une amende civile » (Com. 8 juillet 2008, pourvoi n° 07 16 761 et 07-13350, JCP 2008 I 218 n° 18, et réaffirmant ce caractère autonome cf. Com. 16 déc. 2008, 08-13162 JCP 2009 I 138 n° 13).

Ce droit d’action ne contrevient pas aux exigences du droit au procès équitable. Il s’agit même d’un droit d’action autonome et non d’une action de substitution ou de représentation. C’est une action autonome de protection du marché et de la concurrence, attribuée dans l’intérêt général. Ainsi elle n’est pas soumise au consentement ou à la présence des contractants. C’est un moyen supplémentaire d’assurer le respect du droit de la concurrence, que semble-t-il le ministère exerce de plus en plus souvent. Et la Cour d’appel de Versailles a ainsi précisé récemment que, le ministre de l’Economie lorsqu’il agit sur le fondement de l’article L 442-6 III c. com. ne demande nullement l’exécution de la décision de justice à son profit, mais au profit des fournisseurs. Elle en déduit en l’espèce que la restitution des sommes aux fournisseurs est seule à même de garantir l’exécution de la décision judiciaire (cf. CA 29 octobre 2009, CCC 2010 n° 44).

La conformité de droit d’action autonome du ministre aux garanties du procès équitable et aux exigences de la Constitution française a récemment une nouvelle fois fait l’objet d’une QPC qui a été rejetée par une décision du DC du 13 mai 2011 (n° 10-10889, D. 2011 p. 1340) que sous réserve que les parties au contrat aient été informées du déclenchement de l’action par le ministre, ce droit d’action du Ministre est conforme à la constitution, ce que ne précise pas il est vrai le libellé actuel de l’article 442-3 c. com. Il faut en effet noter que l’action du ministre qui est autonome n’empêche à aucun moment aux victimes d’agir elles-mêmes ou de se joindre à l’action du ministre, ni même d’appeler le cocontractant en la cause.

Et le droit d’action autonome du Ministre de l’économie et des finances vient aussi tout récemment d’être déclaré conforme aux garanties du procès équitable par la CEDH CEDH le 17 janvier 2012, Galec c/ France n° 14819/08, JCP 2012 690 n° 11 obs. E. Jeuland), la Cour relevant que le ministre agit ici avant tout en défense de l’ordre public économique qui n’est pas limité aux intérêts immédiats des parties. Il est souligné que le ministre ne se substitue pas aux fournisseurs intéressés dans la mesure où ceux-ci bénéficient d’un droit de recours autonome.

Ces contestations traduisent que ce type d’action du ministre est de plus en plus souvent utilisé pour agir contre les pratiques anticoncurrentielles, plus que le droit d’action du ministère public. (Com. 8 juillet 2008, pourvoi n° 07 16 761 et 07-13350, JCP 2008 I 218 n° 18, et réaffirmant ce caractère autonome cf. Com. 16 déc. 2008, 08-13162 JCP 2009 I 138 n° 13).

Une ambigüité subsiste sur la nature de cette action. S’agit-il d’une action de substitution dans la mesure où elle permet de recouvrer des dommages-intérêts (il s’agit alors d’agir dans l’intérêt des victimes de pratiques anticoncurrentielles) ? Ou s’agit-il plutôt comme certains arrêts le donnent à penser d’une forme de démembrement de l’action du Parquet que l’on retrouve au fond dans les

83 Crim., 16 décembre 2009, pourvoi n° 09-88.305, F-P+F, D. 2010 p. 381 et obs. C. Mascala D. 2010 p. 1663, Salomon, Renaud, 01/04/2010, n°4 , Page(s)  33 -34

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hypothèses où une AAI défend les intérêts d’une catégorie de personnes (action de la COB pour la défense des intérêts des épargnants (art. L . 621-17 c.mon. fin.) ? Le texte prévoit en effet que cette action permet de sanctionner le comportement anticoncurrentiel par une amende civile ou par la nullité des actes anticoncurrentiels (cf. C. Rougeau-Mauger, Réflexion sur la nature juridique de l’action en justice du ministre de l’économie, RTDCom. 2011 n° 4. L’auteur souligne que ces considérations appellent sans doute un certain nombre d’aménagement de ce droit d’action dans la mesure où suivant la nature retenue de cette action certains aménagements s’imposent notamment pour respecter les droits fondamentaux des victimes si c’est une action de substitution ou pour respecter les garanties du procès équitable si c’est une procédure de sanction).

Et la Cour de cassation vient de préciser que ce type d’action du ministre relève des règles et du régime procédural de la responsabilité (du point de vue des options de compétence) (cf. Com. 18 octobre 2011, n° 10-28005, D. 2011 p. 2652).

Cette action fait du Ministre de l’Economie une véritable partie à l’instance qui est en mesure d’exercer les voies de recours (cf. Com. 4 décembre 2012, pourvoi n° 11-21473).

Pas plus que la défense de l’intérêt collectif ou général, les associations et autres personnes morales ne peuvent hors habilitation spéciale prétendre à défendre les intérêts d’autrui, et en particulier des personnes physiques.

4°) L’action d’un groupement en défense des intérêts d’un particulier.

La loi accorde parfois qualité à des groupements pour défendre les intérêts particuliers. L’exemple le plus connu est celui des syndicats professionnels, habilités par divers textes du Code du travail à exercer l’action individuelle des salariés victimes d’une inégalité professionnelle (cf. L. 1144-2 ct), licencié économique (L1235-8 ct) ou encore les salariés sous contrat de travail temporaire ou CDD. Or, il ne s’agit pas d’un phénomène de représentation faute de mandat du salarié. Celui-ci doit seulement être informé de la demande et peut s’opposer à cette action et ce, dans le but de respecter sa liberté constitutionnelle d’agir ou non en justice, le salarié est donc libre de préférer exercer l’action lui-même ou de s’en abstenir, mais faute d’opposition de sa part le syndicat est habilité par la loi à agir. C’est ce que l’on appelle les actions de substitution qui vient au secours de salariés se trouvant en situation d’infériorité ou de précarité. L’action de substitution a été étendue à la lutte contre les dis -criminations (art. 1134-2 c. trav.).

Récemment, cette qualité propre d’une association pour la défense des intérêts d’autrui a de nouveau été consacrée en matière de lutte contre les discriminations par le décret du 20 août 2008 qui introduit au Code de procédure civile un article 1263-1 cpc pour les actions en justice qui naissent de la loi du 27 mai 2008, relative à la lutte contre les discriminations. Là aussi, l’intéressé doit en être in-formé et peut s’opposer à cette action : mais c’est l’association qui exerce elle-même l’action et les voies de recours, l’intéressé pouvant néanmoins à tout moment intervenir à l’instance ou y mettre fin. Seule conditions l’association doit être déclarée depuis au mois 5 ans.

Signalons enfin dans cette rubrique ou une personne exerce l’action d’autrui le statut original de l’action oblique qui permet à une personne, qui justice d’une créance antérieure d’exercer les droits et action de son propre débiteur en cas de négligence de celui-ci en vertu de l’article 1166 du Code civil. Notons que cette analyse est contestée : certains considèrent que le créancier n’a pas ici de droit d’action propre et ne fait qu’exercer le droit d’action de son débiteur, il agirait au nom et pour le compte de son titulaire par une sorte de représentation légale…

B- La distinction de la qualité et du pouvoir

La dernière hypothèse évoquée de l’action de substitution, ainsi que le statut des actions menées par les ligues de défense, nous permettent de distinguer la notion de qualité de celle de pouvoir. Par abus de langage on dit parfois qu’une personne a qualité pour agir au nom d’une autre alors qu’il s’agit d’une simple hypothèse de pouvoir…

Par exemple, s’agissant de l’action exercée par les représentants d’une personne morale être désincarné pour défendre ses intérêts (ses représentants légaux statutaires, conventionnels, judiciairement désignés si elle est en redressement judicaire), c’est de pouvoir et non de qualité qu’il s’agit.

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La qualité renvoie en effet à la titularité du droit d’agir, tandis que le pouvoir renvoie, une fois cette titularité acquise, à sa mise en œuvre, par un autre, au nom et pour le compte du titulaire du droit d’agir.

Et la distinction entre ces qualifications de qualité et de pouvoir a son intérêt, puisque la sanction du défaut de pouvoir et celle du défaut de qualité ne sont pas les mêmes et n’obéissent pas au même régime, la première relevant des exceptions de procédure et des irrégularités de fond (absence de pouvoir) ou de forme des actes de procédures, suivant les cars, (l’action est irrégulière, irrégulièrement menée, mais elle pourrait l’être ultérieurement correctement dans le cadre d’une seconde demande), la seconde, des fins de non recevoir (l’action est irrecevable) – soit l’absence de droit d’action - que le Code de procédure civile s’est justement attaché à distinguer (article 117 et 122 cpc).

Et le mandat pour agir en justice en particulier s’il est conventionnel obéit à différentes contraintes formelles que l’on aura l’occasion de rappeler plus tard.

Parfois, le législateur lui-même se trompe et emploie le terme de qualité là où en fait, il ne s’agit que d’une simple question de pouvoir, et de mise en œuvre du droit d’action (non une condition d’existence), par exemple lorsque l’ancien article 340-2 du C. Civil disant que la mère a « qualité » pour représenter en justice son enfant mineur alors qu’il s’agit d’une simple hypothèse de pouvoir….cette erreur de rédaction ayant d’ailleurs été reproduite dans l’actuel article 338 du Code civil de la loi du 4 juillet 2005. La jurisprudence se montre elle-même parfois ambiguë mélangeant dans une même phrase ces termes de qualité et de pouvoir.

Certaines hypothèses sont d’ailleurs parfois ambiguës, et l’on peut alors légitimement s’interroger sur la qualification appropriée.

A partir d’hypothèses en apparence voisines il est possible de mieux faire la différence semble entre ces actions et de faire ressortir les enjeux de cette distinction.

Partons ainsi des actions en justice des associations de consommateur et de celles des syndicats pour mieux comprendre la différence.

Les actions en justice des associations de consommateur, l’action en représentation conjointe (L 422-1 et R422-1 c. conso.) et l’action en défense de l’intérêt collectif des consommateur de l’article L 421-6 c. conso.Les associations de consommateur dont le droit d’action en justice est consacré et délimité au

Code de la consommation ont a leur disposition deux sortes d’actions. Des actions en défense de l’intérêt collectif des consommateurs pour lesquelles elles bénéficient d’une véritable habilitation à agir en justice d’un titre leur conférant qualité à agir, celles que l’on a évoqué et qui renvoient à l’article L 421-1 et L 421-6 c. conso.

Elles peuvent aussi en vertu de l’article L 422-1 et R422-1 c. conso. exercer ce que le code appelle les actions en représentation conjointe en vue de défendre des intérêts individuels des consommateurs, il s’agit alors de véritables mandat préalable d’agir au nom d’autrui, comme le nom de représentation conjointe l’indique : il faudra donc respecter les règles et formes contraignantes de ce type de mandat. A défaut l’association agirait sans pouvoir.

Article L. 422-1 c. conso. (loi du 26 juillet 1993) : « Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs ».

Il y a bien ainsi une représentation à l’action (mandat, pouvoir) dans l’hypothèse d’une action en représentation conjointe qu’une association de consommateurs exercée pour défendre les intérêts de consommateurs lésés au travers des textes actuels des art. L 422-1 et R 422-1 du Code de la consommation. Ce texte évoque d’ailleurs expressément le terme de mandat énonçant que l’association est mandatée par l’association…

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Cette action en représentation conjointe n’est pas vraiment une class action elle est à mi-chemin entre l’action de défense regroupée – soit la jurisprudence des ligues de défense évoquée - et l’action en défense des grandes causes. Elle peut néanmoins en vertu des textes donner lieu à constitution de partie civile devant les juridictions répressives.

Elle est réservée aux seules associations de consommateurs représentatives au niveau national, et permet en vertu d’un mandat préalable écrit reçu par l’association, que cette dernière obtienne la réparation du préjudice individuel de ses membres (ce n’est pas la lutte pour la légalité à proprement parler).

Le consommateur qui aurait donné mandat pourrait le retirer… en cas d’inertie de l’association notamment.

C’est une représentation à l’action soit une manière de mettre en œuvre le droit d’action qui peut tout au plus être sanctionnée par une exception de procédure – si le mandat n’a pas été donné cela affecte la validité de l’acte introductif d’instance cela n’exclut pas l’existence du droit d’action. Le titulaire de l’action reste le consommateur.

Il faut donc clairement distinguer cette action en représentation conjointe des art. L 422-1 et R 422-1 c. conso., de l’action exercée dans l’intérêt collectif des consommateurs, qui tend à sanctionner le préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs de l’art. L 421-1 c. conso. évoquée plus haut. Elles figurent d’ailleurs l’une et l’autre dans deux chapitres distincts du Titre II consacrés aux actions en justice des associations de consommateurs au sein du livre du code de la consommation dédié à ces associations justement.

On le voit la mise en œuvre de l’action pour la masse des victimes n’est pas tellement facilitée et la gestion de ces actions reste lourdes ce qui explique leurs rares utilisation. Cette action en représentation conjointe n’a pas du tout eu le succès escompté d’où la volonté de certains de mettre en œuvre une vraie class action…- L’une des raisons vient de la nécessité de réunir des mandats préalables et formels avant l’action. - L’autre vient de la difficulté qu’il y a à réunir de tels mandats puisque les textes interdisent de recourir à l’appel télévisé ou radiophonique, ou à l’affichage, aux tracts et aux lettres personnalisées (art. L 422-1 al. 2 : « Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur » . Or loin de saisir l’occasion d’assouplir cette exigence la Cour de cassation vient d’ajouter que cette action en représentation conjointe n’autorise nullement les associations de consommateurs à solliciter des mandats d’agir en justice par internet, de tels mandats seraient irréguliers et invalideraient la demande en justice ainsi engagée qui seraient frappée de nullité elle et tous les actes subséquent engagées par un mandataire dépourvu de pouvoirs régulier, laquelle le serait irrégulièrement faute d’un mandat valable (Civ 1, 26 mai 2011, n° 10-15576, D. 2011 n. X Delpech, et p. 1885 n. N. Dupont, l’action de l’association de consommateur était engagée contre un des grands opérateurs de téléphonie, pour représenter une série de consommateurs alors que cet opérateur avait fait l’objet d’une condamnation par l’Autorité de la Concurrence). Il en résulte que la liste des interdictions posées par la loi, à l’article L 422-1 al. 2 c. conso n’est pas limitative (prohibition de la sollicitation du public). Une fois de plus, cela atteste des conditions restrictives de mise en œuvre de ces actions en représentation conjointes et la nécessite d’une véritable action de groupe pour la réparation des petits dommages collectifs nés à l’occasion de la vie courante (il s’agissait en l’occurrence d’une action engagée par des consommateurs contre un opérateur de téléphonie mobile.

Pareillement, la défense des intérêts des investisseurs en valeurs mobilières ou en produits financiers peut être assurée par certaines associations tant devant les juridictions civiles que pénales par le biais d’une action en représentation conjointe comparable (art. L 452-2 à 4 C. mon. et fin). …

Il en va différemment, en revanche, pour l’action de substitution d’un syndicat qui s’apparent à une illustration ponctuelle d’une forme d’action de groupe tout comme l’action ut singuli déjà vue ou l’action de l’article L 421-6 c. conso.

Les actions en représentation des intérêt du salarié par un syndicat distinction avec l’action de substitution.Par l’action de substitution un syndicat qui peut exercer certaines actions délimitées par la

loi ( là où le salarié en position de faiblesse risque de ne pas faire valoir ses droits individuels) au lieu

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et place d’un salarié défaillant, sans que celui-ci ait eu à lui conférer un quelconque mandat (article L. 1247-1 c. trav. Ancien art. L. 122-3-16). Il s’agit alors d’un droit d’action propre, la jurisprudence dit autonome, et l’on peut alors véritablement parler de qualité et non de simple pouvoir dans la mesure où la loi habilite spécialement le syndicat à exercer l’action du salarié, sans doute parce qu’en secondant les intérêts des salariés comme le souligne Foyer et Cornu, les syndicats remplissent aussi leur propre vocation.

* Un arrêt récent est d’ailleurs venu préciser le statut particulier de cette action de substitution et son articulation avec l’action en justice individuelle du salarié.

Un syndicat avait engagé une action de substitution (en requalification d’un CDD en CDI), le salarié avait manifesté, comme les textes lui en réservent le droit son opposition à cette action, le syndicat s’était désisté de son action aux Prud’hommes. Or par la suite, le salarié envisage d’agir individuellement, bien entendu l’employeur a tenté de faire valoir qu’il avait renoncé à son action (par son opposition) et qu’en toute hypothèse la règle de l’unicité de l’instance prud’homale interdisait que le débat sur la requalification ne soit de nouveau portée devant une juridiction.

Or la Cour de cassation écarte toute renonciation au droit d’agir en justice ainsi que l’argument tiré de la règle de l’unicité de l’instance. Les deux actions sont en effet différentes (Soc. 12 février 2008, pourvoi n° 06-45397, JCP. 2009 I 128 n° 7), et la règle de l'unicité de l'instance ne pourrait pas davantage être opposée à l'intéressé « alors qu'il n'a pas été partie à la première instance »… Unicté d’instance qui est elle-même une règle sur la sellette84.

* La solution ne fait que confirmer celle rendue quelques années plus tôt qui avait clairement énoncé en 2000 que « l'action que peut exercer une organisation syndicale en vertu de l'article L. 122-3-16 du Code du travail est une action de substitution qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés ; que dès lors le syndicat n'est pas tenu d'indiquer dans la déclaration de pourvoi les nom, prénoms, profession et domicile des salariés en faveur desquels il agit  » (cf. Soc. 1 février 2000 pourvoi n° pourvoi: 98-46201).

Et dans le cadre de cette action ultérieure du salarié il serait concevable au demeurant que le syndicat agisse lui aussi cette fois sur le fondement de l’article L. 411-1 du Code du travail pour assurer la défense des intérêts collectifs de la profession (Soc. 12 février 2008, pourvoi n° 06-45397, JCP. 2009 I 128 n° 7).

L’action ut singuli et le mandat spécial pour agir en justice au nom de la société.De même l’action ut singuli mérite à l’heure actuelle d’être considérée comme une action

de substitution détachée du mécanisme du mandat et qui n’a plus vraiment un caractère subsidiaire notamment dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. En cela, elle est plus proche des mécanismes d’action de groupe, les associés se substituant à la personne morale et étant habilités par la loi en ce sens, en vertu d’un droit propre : loi qui leur donne qualité pour agir par dérogation aux règles classiques de l’intérêt à agir… Et elle se distingue du mandat pour agir au nom de la personne morale (mandat ad hoc ou mandat de déclarer la créance)…

Ainsi comme l’évoquent certains arrêts sans que la jurisprudence aille d’ailleurs toujours au bout de cette logique il existe d’un droit propre de l’associé à défendre l’intérêt d’autrui – en l’occurrence l’intérêt social -, pour des raisons de pure opportunité, par volonté expresse de la loi. Et la jurisprudence de ce fait hésite à reconnaître une telle action en matière de copropriété. Ce caractère affirmé par la jurisprudence quoique de manière moins nette qu’en droit du travail comme droit propre de l’associé se manifeste :

- en ce qu’il peut interjeter appel, alors que la société qui était intervenue à l’instance par l’action sociale ut universi ne le fait pas85, ce qui accrédite l’idée d’un droit propre, l’asso-cié pouvant pallier l’inertie de la société.

- en ce que, plus récemment encore, et dans le prolongement de cet arrêt, il a été admis que si l’action ut universi était effectivement exercée mais risquait de l’être mal – en l’occur-rence, des anciens dirigeants de la société, à l’œuvre au moment des agissements fautifs, occupaient encore des responsabilités importantes au sein de celle-ci – l’action ut singuli pouvait être mise en œuvre en parallèle - ou en concurrence, disent certains. Dans ce cas,

84 A. Chevillard, Conseils de prud'hommes et procédure prud'homale : Quelles réformes ? Droit Social 2010 n° 9-10 p. 9185 Crim. 12 déc. 2000 D. 2001 p. 1031 Douai 29 avr 1997 JCP 1997 II 22919 obs Daigre (arrêt cassé)

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la réparation intégrale du préjudice ne sera sans doute assurée pleinement et correctement par l’action sociale86. Cette prise de position jurisprudentielle récente, que certains appe-laient de leurs vœux accrédite, là encore, l’existence d’un droit propre et écorne sensible-ment le principe de subsidiarité.

On notera d’ailleurs que d’autres arrêts évoquent le droit propre de l’associé à exercer l’action ut singuli, sans pour autant y attacher alors des conséquences favorables pour l’associé, puisqu’il est refusé de nommer un administrateur ad hoc en vue d’exercer l’action ut singuli pour en faire supporter les frais à la société87.

La différence est là entre représentation et action de substitution. Il n’y a pas exactement mandat parce que le substituant est certes en mesure d’exercer l’action envers une tierce personne, mais elle ne fait pas disparaître le lien, le droit d’action, entre le substitué (salarié ou ici société) et la tierce personne. Le substitué conserve la maîtrise de l’action et peut s’exclure du groupe… Le substituant exerce un droit propre, que lui confère directement la loi sans passer par le détour d’un mandat. C’est en lui qu’on apprécie directement les conditions de l’action (qualité…).

Cette action ut singuli instituée par la loi comporte d’ailleurs une dimension d’ordre public, dans la mesure où « est réputée non écrite toute clause des statuts qui subordonnerait l’exercice de cette action sociale à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée ou qui comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action ». Il est ajouté à l’article 1843-5 qu’aucune décision de l’AG ne peut avoir pour effet de renoncer à ce droit d’action, les statuts ou un pacte extra statutaire ne sauraient davantage le faire… Aucune décision de l’assemblée ne peut couvrir la responsabilité des dirigeants.

Son domaine est néanmoins circonscrit aux seules actions en responsabilité contrat les dirigeants sociaux. Et un certain élargissement de son domaine et de ses conditions éviterait d’avoir à instituer en droit des sociétés une action de groupe…

Ces actions de substitution « à la française » ont pu être présentées comme des illustrations ponctuelles de phénomènes d’action de groupe… Elles sont des alternatives ponctuelles à celles-ci compte tenu des réticences à admettre le principe d’une action de groupe. Il existe donc ici et là des illustrations particulières d’application ponctuelle de formes d’action de groupe sans que cette action ait pour leur une portée procédurale générale. Certaines de ces illustration ont un domaine large, d’autres dispositifs sont plus ponctuels… Et si l’action de groupe au domaine élargi ne voyait pas le jour, l’une des options pourrait consister à élargir ces dispositifs en les adaptant matière par matière.

Au terme de cette analyse il apparaît qu’une même personne peut agir dans le cadre d’une même action en des qualités différentes, d’où la nécessité de bien identifier le nombre des parties et leur qualité respective…Un mandataire social pourrait ainsi agir en tant que représentant de la société pour défendre la société mais aussi en tant qu’associé titulaire de parts sociales. Les parents ou enfants d’une personne décédée peuvent exercer l’action du défunt en exerçant l’action successorale – soit l’action qu’aurait exercé le défunt contre l’auteur du délit- mais aussi demander la réparation de leur préjudice propre comme proche de la victime (victime par ricochet) ils peuvent avoir subi du fait de ce décès un préjudice moral voire un préjudice économique (perte de soutien financier) propre…

Le changement de qualité équivaudrait à un changement de partie au litige, soit à la mise en œuvre d’une nouvelle action… Ainsi le changement de qualité serait irrecevable en cause d’appel (cf. Civ. 2, 12 juin 2003, Procédures 2003 p. 189), chaque partie ayant droit au double degré de juridiction. Et l’appel n’est recevable que contre ceux qui ont eu la qualité de partie en première instance (cf. article 547 cpc).

Nécessaires à l’exercice de l’action, l’intérêt et la qualité n’en épuisent pas les conditions , il existe en effet d’autres fins de non recevoir que le code envisage… parce que la société ne supporte pas la remise en cause perpétuelle du droit d’agir et que pour rétablir une certaine paix

86 Crim., 16 décembre 2009, pourvoi numéro 09-88.305, F-P+F, D. 2010 p. 381 et obs. C. Mascala D. 2010 p. 1663, Salomon, Renaud, 01/04/2010, n°4 , Page(s)  33 -3487 Com. 14 déc. 2004, Joly 2005 § 105, D. 2005 p. 432

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sociale, une certaine sécurité juridique elles posent certaines limites temporelles et fonctionnelles à l’action.

Section 2 : La disparition du droit d’agir

La disparition du droit d’agir renvoie à de multiples hypothèses. Et d’abord le droit d’action disparaît, c’est sans doute l’hypothèse la plus fréquente en pratique, parce que le droit est exécuté spontanément, il y a eu paiement, il y a eu compensation, il y a eu confusion, voire il y a eu consolidation –confirmation de l’action en nullité, régularisation de la nullité dans les hypothèses où elle est admise. L’action disparaît parce qu’elle n’est que l’accessoire d’une prérogative juridique aujourd’hui éteinte….

Mais il existe des causes d’extinction de l’action qui lui sont propres : elles ne tiennent pas à la prérogative substantielle et renvoient cette fois plus directement au droit judiciaire. Elles n’affectent pas toujours, de l’avis de certains, la prérogative substantielle, ainsi en est-il de la prescription qui laisse subsister une obligation naturelle. Elles traduisent là encore l’indépendance relative du droit d’action face à la prérogative substantielle.

La disparition du droit d’action en droit judiciaire renvoie essentiellement à deux hypothèses qui méritent d’être étudiées séparément parce qu’elles ont fait l’objet l’une comme l’autre d'évolutions récentes. Le droit d’agir peut avoir disparu parce que le délai pour agir est pratiquement toujours enfermé dans certaines limites de temps et s’il n’a pas été exercé en temps utile et que la loi institue une fin de non-recevoir tirée de la prescription (de la forclusion) et il faudrait y intégrer la question des délais de recours, mais elle relève du cours consacré à l’instance, et ne sera pas envisagée ici). Soit le droit d’action a disparu parce que l’objet de l’action a déjà été jugé, c’est la mal nommée exception de chose jugée qui est en fait une fin de non-recevoir et qui renvoie à l’exception de chose jugée et à l’exception de transaction qui s’en rapproche, l’action étant épuisée cette fois, par son exercice par la voie conventionnelle. L’une et l’autre ont subi récemment d’importants changements.

Elle renvoie aussi, et ce sera l’objet d’un troisième paragraphe, à des hypothèses où par acte unilatéral, l’action disparaît qu’il y ait eu désistement d’action ou acquiescement au jugement.

§1 – La prescription.

J. Carbonnier écrivait de la prescription qu’elle était reléguée en bout du Code civil « comme pour défier les grands commentateurs d’y parvenir autrement qu’essoufflés ou morts » (RTDCiv. 1952 p. 171). Tentons donc de relever le défi d’autant que la réforme opérée en 200888 de la prescription extinctive et acquisitive et les évolutions ultérieures l’ont sortie de sa léthargie. Il s’agit d’une réforme tendant à simplifier et moderniser le droit de la prescription jugé peu adapté aux réalités de nos sociétés modernes le délai de prescription de droit commun étant démesurément long – 30 ans - dans une société où tout s’accélère, et le régime des prescriptions est complexe et touffu. La loi nouvelle consacre également la possibilité d’aménager contractuellement la prescription tout en encadrant en fait dans d’étroites limites cette liberté ce qui donne à penser que le juge n’a pas clairement fait le choix entre l’idée que la prescription comme règle d’intérêt privé (susceptible d’être aménagée -article 2254 du Code civil – devant être relevée d’office – article 2247 du Code civil - ou comme règle d’ordre public (limites à cette liberté existence du butoir de 20 ans)….

Cette simplification d’une institution inspirée par les besoins de la pratique et par la nécessité d’éliminer des prétoires « les procès les plus poussiéreux89 », n’est d’ailleurs que partielle.

Elle mérite qu’on s’y attarde même si la question est à cheval sur le droit substantiel et le droit processuel tant ses implications pratiques sont quotidiennes.

I – Une modernisation du droit de la prescription

A. La simplification et la modernisation du droit de la prescription au–delà de cette consécration de la liberté contractuelle vient de ce que le délai droit commun de principe est fixé à cinq ans pour les actions personnelles et mobilières, en vertu de l’article 2224 du Code civil , sachant

88 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.89 J. Carbonnier.

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que ce délai de 5 ans court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits.

Le changement de perspective est considérable en ce qu’il nie les distinctions habituelles jusque là couramment pratiquées

- entre responsabilité contractuelle trentenaire et délictuelle décennale, à cette distinction on verra qu’il substitue une autre distinction conformément à certaines suggestions du doyen Carbonnier et à des évolutions récentes, celle du régime de la réparation des préjudices matériels soumise au délai de droit commun et au délai butoir et celle de la réparation des préjudices corporels relevant d’un délai plus long (décennal à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé art. 2226 c. civ.) et pour lesquels le délai butoir n’a pas vocation à jouer. Se trouvent donc soumises au même régime de prescription l’action engagée par la victime directe et celle qui est le fait des victimes indirectes, soit les victimes par ricochet…

- Mais en ce qu’il gomme aussi l’un des principaux intérêts de la distinction entre nullité relative et absolue. En fait les nullités relatives pourraient être plus directement concernées par les possibilités de report du point de départ du délai de prescription évoqué et qui traduit la volonté de laisser une marge d’appréciation au juge, dans un système assez encadré. Notamment la réforme laisse en vigueur l’article 1304 c. civ. Elle ne s’est pas prononcée en revanche sur le statut controversé de l’exception de nullité qu’un arrêt récent semble réserver aux seuls cas de nullité relative90.

- Ajoutons qu’est aussi abolie la distinction entre les prescriptions civiles et commerciales. En effet, le délai plus bref de prescription de 10 ans entre commerçants (ex art. 110-4 du Code de commerce) n’a plus de raison d’être, puisque le délai de droit commun est plus bref (on peut seulement regretter que l’article L. 110-4 I n’ait pas été purement et simplement supprimé puisqu’il se borne aujourd’hui dans sa nouvelle rédaction à reprendre le délai de droit commun). En revanche, à cette distinction contestée entre commerçants et non commerçants, le texte substitue une autre distinction qui gagne semble-t-il du terrain, depuis l’émergence du droit de la consommation, celle qui oppose les professionnels aux consommateurs. Il est en effet prévu à l’article L. 137-2 du Code de la consommation que l’action du professionnel à l’égard des consommateurs au sujet des biens et service qu’il commercialise se prescrit dans un délai de 2 ans. Ainsi, ce sont l’ensemble des professionnels et non plus seulement les professionnels commerçants qui se trouvent soumis à un délai plus rigoureux dans leurs actions consommateurs compte tenu de leur position de force présumée, un délai asymétrique donc ! Cette nouvelle ligne de démarcation correspond davantage aux évolutions récentes du droit contemporain, même si elle amoindrit l’intérêt de la référence au droit commercial.Il n’en demeure pas moins que subsistent des prescriptions spéciales en droit des sociétés (action en responsabilité contre les dirigeants sociaux prescription triennale, action en nullité de la période suspecte qui peut être exercée en vertu d’arrêts récents tant que les organes sociaux sont en fonctions cf. Com. 21 septembre 2010…)Ce délai de droit commun de 5 ans est original et décalé par rapport à nos voisins qui ont

parfois choisi plus court (Allemagne : 3 ans dans le BGB avec un butoir de 10 ans, ce délai de trois ans est aussi celui retenu par les principes de droit européen des contrats et les principes Unidroit, ainsi que celui que préconisait initialement le projet Catala). N’aurait-on pas eu intérêt à choisir un standard européen ? Il est vrai que l’on peut disserter à l’infini sur le délai idéal.

90 Et pour un autre arrêt récent sur le statut de cette nullité invoquée par voir exception, La perpétuité de l’exception de nullité suppose l’expiration du délai de prescription Com., 26 mai 2010 n° 09-14431 (n° 568 F-P+B) Dalloz 2010 p. 1483« La règle selon laquelle l'exception de nullité est perpétuelle ne s'applique que si l'action en exécution de l'obligation litigieuse est introduite après l'expiration du délai de prescription ; qu'ayant constaté que la prescription de l'action en nullité n'avait commencé à courir , selon les différentes causes de nullité alléguées, que les 27 juillet 2000, 28 décembre 2000, et 4 janvier 2001, la cour d'appel, qui a relevé que le délai pour agir, par voie d'action, en nullité des obligations de caution n'était pas expiré lorsque la banque avait demandé, par assignation du 3 octobre 2002, l'exécution de ces obligations, en a exactement déduit que l'exception de nullité soulevée par les époux X..., pour la première fois par conclusions du 27 octobre 2008, était irrecevable »

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B. Elle vient ensuite de ce que la loi précise désormais la notion de suspension et d’interruption de la prescription ce qui clarifie nettement les choses et permet d’unifier les régimes de ces deux formes (article 2230 et 2231),Comme l’énonce désormais le code (article 2230 c. civ.) : « la suspension de la prescription

en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru ». Elle se borne à arrêter temporairement le chronomètre de la prescription qui repart temporairement avec le décompte du délai déjà couru… Elle s’oppose en cela à l’interruption qui elle «  efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien. » (article 2231 c. civ.) . Le chronomètre dans ce cas repart à zéro.

De nouvelles causes de suspension consacrées.- Figurent parmi les suspensions, l’impossibilité d’agir en justice (article 2234) désormaisexpressément évoquée par les textes. (empêchement résultant de la loi de la convention ou dela force majeure…). Cette consécration de contra non valentem, comme tempérament au jeude la prescription va à l’encontre de l’objectif proclamé de cantonner les cas de suspension etd’interruption. Il s’agit de restaurer au juge son pouvoir créateur, qui existait sous l’A. Régime, que le Code Civil a voulu supprimer en appliquant un strict légalisme, et que la J avait ressuscité. Cette consécration de l’adage préconisée en des termes plus limités par l’avant projet Catala, et admise dans la réforme de la prescription du BGB91, va plus loin dans le nouveau texte, que ce qu’ils proposaient l’un et l’autre, et que le droit positif admettait jusque là – la jurisprudence étant assez incertaine même si elle avait consacré un certain nombre de cas d’impossibilité d’agir -, puisque la jurisprudence n’ad-mettait le jeu de « contra non valentem » que si l’impossibilité d’agir existait dans les derniers temps où avait couru la prescription (cf. Com. 11 janvier 1994, B. IV n° 22, RTDCiv. 1995 p. 114 n. J. Mestre), thèse consacrée par un arrêt récent qui énonce que « La règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titu-laire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription » une fois que l’empêchement a cessé (Civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-15001, D. 2013 p. 1410) ; la règle vaut surtout pour les longs délais, comme dans l’espèce tranchée par cet arrêt où était en cause une nullité de mariage pour bigamie, relevant d’une prescrip-tion trentenaire, même depuis la réforme de 2008, laquelle n’avait cependant été invoquée que tardive-ment. Cela traduit que le mécanisme un correcteur d’équité…( cf. Civ. 1, 23 juin 2011, pourvoi n° 10-18530, D. 2011 p. 1818 voir auparavant Com. 11 janvier 1994 n° 92-10241, RTDCiv. 1995 p. 114 obs. Mestre92).S. Armani Mekki reproche au nouveau texte de n’en avoir pas précisé les contours, et notamment ce qui qu’il faut entendre par impossibilité d’agir et par les empêchements résultant de la loi de la convention ou de la force majeure…Faut-il faire entrer là dedans le cas où le débiteur place le créancier dans l’impossibilité de faire valoir ses droits en retenant certaines pièces par exemple ? Le mécanismes correcteur est-il subordonné à la bonne foi ?Des auteurs C. Brenner et H. Lecuyer93 ont affirmé que cette cause de suspension avait perdu le plus clair de son intérêt, dès lors que le point de départ de la prescription est fixé à la connaissance normale ou effective des faits permettant d’agir.La référence à cette impossibilité d’agir a connu une illustration jurisprudentielle récente dans un arrêt du 1 juillet 2009 pour une partie contractante atteinte d’un trouble mental qui avait été de ce fait dans l’impossibilité d’agir en nullité d’une convention de bail (cf. Civ. 1, 1° juillet 2009, pourvoi n° 08-13518, D. 2009 p. 2660).

91 Certains comme le doyen Carbonnier avaient souligné qu’il était sans doute préférable de ne pas consacrer légalement cette soupape de sécurité Jelle. Le seul fait que l’adage ait été consacré dans d’autres pays comme l’ Allemagne ou par les principes Unidroit a sans doute conduit à le consacrer ici dans les texte…. 92 La règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.93C. BRENNER ET H LECUYER, La réforme de la prescription, JCPE 2009 11169 et 1197.

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Ajoutons que plus récemment l’adage contra non valentem a été  consacré par la CEDH (CEDH, ch. 2e sect., 7 juillet 2009, Stagno c/ Belgique, RDC 2010 n° 1, p. 201 obs. J-P Marguénaud) qui énonce que « L'application rigide du délai de prescription à des justiciables dans l'impossibilité d'agir contre une compagnie d'assurance pendant leur minorité constitue une atteinte disproportion-née au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6,§ 1, de la CEDH ». La règle vient utilement tempérer le couperet de la prescription qui peut couvrir une injustice….On notera enfin que sans se référer à l’article 2234 du Code civil un arrêt récente vient de censurer une Cour d’appel qui avait condamné un assureur sur le fondement du non respect des délais de présentation de l’offre sans rechercher si les carences allégués de l’assuré n’avaient pas eu pour effet de suspendre le cours des délais de présentation de celle-ci (réponses incomplètes de la victime sur ses revenus professionnels). Civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-12139 RGDA 2013 n° 1 p. 90 note Landel Non- respect du délai légal - Carence de la victime – Recherche nécessaire pour envisager une éventuelle supension du délai pour faire l’offre d’indemnité…Par une technique proche du revirement de jurisprudence à l'occasion du non-renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (V. N. Maziau, Le revirement de jurisprudence dans la procédure de QPC, D. 2012. Chron. 1833), la chambre commerciale de la Cour de cassation admet par cet arrêt de non-renvoi le jeu de la maxime Contra non valentem non currit praescriptio, qui empêche de faire courir un délai, fût-il préfix, contre une personne dans l'impossibilité d'agir. Jusque-là, en effet, sans s'être expressément prononcée sur ce point, la Cour semblait hostile à cette exception, s'agissant de la recevabilité d'une demande de relevé de forclusion après le délai d'un an prévu par l'article L. 622-26 du code de commerce (V., not., Com. 11 juin 2002, n° 99-15.815, RD banc. fin. 2002, n° 138, obs. F.-X. Lucas). Com. 5 sept. 2013 n° 05-09-2013 n° 13-40.034 (n° 918 FS-P+B-QPC, Dalloz 2013 p. 2100 Les dispositions des articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce ne portent pas une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'elles ne font pas obstacle à la recevabilité d'une action en relevé de forclusion exercée après l'expiration du délai maximal d'un an prévu par l'article L. 622-26 du code de commerce par un créancier placé dans l'impossibilité d'agir pendant ce délai

- Egalement consacrée comme une nouveauté la suspension attachée à des démarches de conciliation et de médiation (article 2238 c. civ.). Le délai de prescription recommence à courir soit quand le médiateur ou le conciliateur dit qu’elle a échoué soit quand les deux parties ou l’une d’elles procède à cette déclaration sans pouvoir être inférieur à 6 mois (article 2238). La règle en a d’ailleurs été étendue à la conclusion du nouveau CDD qu’est la convention de procédure participative.

- En cas de demande de mesure d’instruction nouvelle, cette suspension jouant tout le temps que la mesure d’instruction se déroule et le délai reprenant alors pour une durée qui ne peut là encore être inférieur à 6 mois (article 2239 c. civ.)94. Cela renforce grandement l’attrait de ces mesures d’instruction in futurum. La demande de mesures d’instruction in futurum n’étant pas une action en justice stricto sensu…Il y a aussi une reprise des dispositions anciennes.

Minorité et mariage restent des causes de suspension comme avant (article 2235 et 2236 c. civ.).

Pour ce qui est des causes d’interruption de la prescription elles résultent de 1 – La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (cf. article 2240 c. civil).2 - La demande en justice Avant c’était considéré comme une interruption doublée d’une suspension pendant le délai de l’action (article 2242 c. civ.). Aspect que l’on étudiera au travers des effets des demandes Consécration de la J qui admet que l’assignation en référé interrompt la prescription.Elle admettait aussi sous l’empire des anciens textes que la citation en justice même devant un juge incompétent interrompait le délai de forclusion, lequel obéit pourtant à un régime original par rapport aux prescriptions (cf. Civ. 1, 9 juillet 2009 n° 08-16847).3 – Mais aussi des actes d’exécution forcée (article 2244 c. civ.).

94 Contra avant Cf. Civ. 3, 19 décembre 2001, B. II n° 156 et le fait que le juge ait gardé le contrôle des opérations d’expertise n’a pas pour effet de proroger l’instance et partant l’interruption cf. Civ. 2, 6 mars 1991, B. II n° 77, voir aussi Civ. 2, 18 septembre 2003, D. 2003 IR 2548, pour l’effet interruptif de la citation en référé

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Du point de vue de l’interruption de la prescription les innovations sont moindres sauf à préciser que l’interversion de la prescription qui s’appliquait avant aux courtes prescriptions (fondées sur des présomptions de paiement) en cas d’actes interruptif d’instance est désormais écartée par les textes depuis juin 2008. Ainsi le délai qui recommence à courir à l’issue du premier délai est toujours le même (art. 2231 c. civ.). De manière générale le nouveau texte supprime en revanche toutes les interversions de prescription en énonçant que si il y a un évènement interruptif de prescription lorsque la prescription recommence à courir c’est pour le même délai (art. 2231 c. civ.)…

Les causes d’interruption de la prescription sont ainsi limitativement énumérées… C’est en tous cas ce qui était affirmé sous l’empire des textes antérieurs à la réforme (cf. pour un rappel Civ. 2, 16 décembre 2010, pourvoi n° 09-70735, D. 2011 p. 89).

C. Dernière originalité simplificatrice de ce projet un régime de prescription à double détente avec un délai de principe qui peut être suspendu interrompu et dont le point de départ peut être retardé et un délai butoir de 20 ans « à compter du jour de la naissance du droit » (article 2232 c. civ.). « Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »

La France a repris ce faisant le système retenu dans différents pays étrangers dont l’Allemagne (voir déjà en France responsabilité du fait des produits 1386-16 c. civ. Et aussi art. 215 al. 3, 921 al. 2 et 1427 du Code civil, le législateur moderne avait déjà multiplié les doubles délais et le système du délai butoir même si la J s’était montrée hostile à leur généralisation en janvier 2006 dans un arrêt remarqué).

Ce butoir de 20 ans connaît certaines exceptions énoncées à l’article 2232 c. civ. al. 2 –il ne joue ni pour les préjudices corporels, ni pour les actions réelles immobilières, ni pour les actions d’état, ni pour les actions entre époux ou partenaires à un PACS, ni à la réparation d’une discrimination (art. 1134-5)… La liste est longue ironisent déjà certains pour limiter la portée de l’innovation.

Notons néanmoins que ce délai butoir a été consacré, alors que la Cour de cassation s’y montrait hostile, compte tenu des exigences du droit d’accès au juge consacrées à l’article 6§1 de la CEDH. Le nombre et l’étendue des exceptions permettront-ils de valider ce procédé de délai butoir au regard des exigences du droit au procès équitable ? L’avenir nous le dira.

Dans le domaine qui est le sien, et même si les textes ne le disent pas, ce délai butoir a vraisemblablement un caractère d’ordre public, qui le rapproche des délais préfix ou de forclusion, les deux termes étant synonymes… Il n’est donc vraisemblablement pas susceptible d’aménagement. Ceux-ci lui feraient perdre sa raison d’être.

Ce délai butoir de 20 ans laisse au demeurant subsister les délais butoirs spéciaux qui existaient jusque-là… La simplification de ce point de vue comme sur d’autres aspects n’est que partielle.

II - Une simplification partielle

Cette simplification n’est pourtant que très partielle.En effet, alors que le régime spécifique et peu clair des délais de forclusion et des délais

préfix était dénoncé de longue date et dérogeait sur de nombreux points aux délais de prescription de droit commun. On a pu dès lors déplorer cette réduction des ambitions de départ puisque ne sont pas visés par la réforme les délais de forclusion, alors qu’avec un rétrécissement de la durée des prescriptions, on aurait pu espérer que le régime des forclusions soit aligné ou au moins clarifié (cf. article 2220).

Au demeurant le délai de droit commun laisse subsister une foultitude d’exceptions qu’on aurait pu espérer moins nombreuses. Ainsi il ne vaut que pour les actions personnelles et mobilières, les actions réelles ou immobilière en revanche relèvent du délai de trente ans étant précisé que la propriété est imprescriptible (cf. article 2227).

Qui plus est la loi reconnaît que les règles spéciales prévues par d’autres lois peuvent subsister (délais régimes spéciaux).D’ailleurs le texte lui-même prévoit des délais et points de départ particuliers, comme par exemple

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-le délai décennal pour l’action en réparation en raison d’un préjudice corporel (article 2226), encore une fois que l’action soit contractuelle ou délictuelle, (de ce point de vue, la distinction RC et RD est remise en cause) -10 ans à compter de la consolidation - avec un délai porté à 20 ans en cas d’actes de torture ou de barbarie ou pour les violences et agressions sexuelles commises sur les mineurs.L’idée est ici de s’aligner sur les délais en matière pénale pour éviter que la voie pénale soit privilégiée à seule fin de jouir d’un délai plus long. C’est d’ailleurs pourquoi les actes de barbarie et leur délai prolongé de prescription sont envisagés. Qui plus est, il semble largement admis que la gravité du dommage corporel justifie un délai plus long. Que se passera-t-il dans une même affaire s’il y a à la fois des préjudices corporels et matériels. Le rapport préconise de traiter l’ensemble des préjudices subis matériels ou corporels en les soumettant au même délai, mais cela n’a rien d’évident.- l’action en justice des parties contre leur avocat à raison de la perte ou de la destruction de pièces (article 2225), est soumise à un délai de 5 ans, le point de départ étant celui de la fin de la mission et (cf. article 2277-1 actuel). - et sur l’exécution des titres exécutoires article 3 de la loi du 9 juillet 1991 revu et autres précisions .- en matière de conso délai de 2 ans du professionnel qui envisage d’agir à l’égard du consommateur. Réduction unilatérale pour tous les contrats (vente ou PS). Art. L 137-1 et L. 137-2 c. conso. Les professionnels devront aller plus vite au contentieux.- responsabilité du fait des produits 3 ans à compter du dommage et 10 ans à compter de la mise en circulation.- délai biennal en matière d’assurance

Les évolutions ultérieures n’ont fait que conforter ce mouvement puisque le délai pour agir a récemment été modifié en droit du travail par la loi du 14 juin 2013, allant encore plus loin dans le sens de la réduction des délais de prescription , mais remettant en cause le mouvement de simplification initié par la loi. Dans cette matière ce n’est en effet pas un mais au moins deux délais qui sont en cause si ce n’est plus.

L’article L. 1471-1 c. trav. posa ainsi une nouvelle prescription biennale pour «  toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail », soit le domaine large des relations individuelles de travail, avec sur le modèle du délai de l’article 2224 c. civ. un point de départ glissant, la loi nouvelle ne trouvant à s’appliquer là encore que pour les actions introduites à compter de l’entrée en vigueur de la loi de 2013. Et si l’art. L. 1471-1 c. trav. est l’article unique du chapitre unique du nouveau titre VII du Code du travail consacré consacré à la prescription de l’action en droit du travail dans le livre IV dédié à la résolution des litiges , les apparences sont trompeuses !

Il faut en effet aussi se référer à l'article L. 3245-1 c. trav., pour les créances de salaire que la loi a modifié, instaurant cette fois un délai triennal, avec un point de départ glissant analogue, alors que les créances de salaires relevaient depuis 2008 du droit commun de la prescription (art. 2224 c. civ.). Dans la nouvelle rédaction, le point de départ est un peu différent si l’action en paiement ou répétition du salaire suit la rupture du contrat, puisque la demande peut alors porter « sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ». Cela autorise donc à réclamer des salaires pour les trois années qui précèdent la date de la rupture, ce qui peut accroître le délai et permettre d’obtenir des sommes pour une période antérieure au trois années précédant l’action en justice : la date de rupture devient alors le point de départ du délai alors que le salarié a pu tarder à agir. Cela n’est d’ailleurs pas nécessairement plus protecteur pour le salarié s’il est créancier, car le point de départ du délai est alors fixe, et que l’on ne tient pas compte, à la lettre de cette disposition, du fait que le justiciable pouvait n’être pas en mesure « de connaître les faits qui permettent d’exercer son droit »95.

Deux délais, voire plus, rien qu’en droit du travail, si l’on s’en réfère aux autres dispositions spécifiques du code du travail que le texte de l’article L. 1471-1 c. trav. réserve dans son alinéa 2. qui traduisent pour certaines le souci d’assurer un plus large accès au juge, dans des délais plus importants, notamment pour les actions en réparation d’un préjudice corporel, ou lié à des faits de discrimination ou encore de harcèlement moral ou sexuel expressément réservés par ce texte. Voire 95 Les ressources de l’article 2234 c. civ. pourront toujours être exploitées cf. Cf. Infra II B…

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des délais plus courts d’ores et déjà consacrés par le code du travail, en matière de rupture conventionnelle du contrat de travail, de contestation de la procédure de licenciement de contrat de sécurisation de l’emploi ou une prescription annale est consacrée, voire en matière de reçu pour solde de tout compte où le délai est de 6 mois.

Ainsi la loi de 2013 contribue plutôt à l’émiettement du droit de la prescription en droit du travail. Elle repose également la question de l’atteinte portée à l’accès au juge, qui doit être appréhendé spécifiquement en droit du travail où la jurisprudence de la CEDH pose une exigence renforcée de célérité dans l’appréciation des délais raisonnables de procédure pour tenir compte de ce que les moyens de subsistance des individus sont en cause (ce qui a d’ailleurs conduit le législateur à porter à 3 ans le délais pour les créances de salaires dans la loi de 2013). Pour nuancer les risques de censure par la CEDH ou dans le adre du contrôle de conventionalité on ajoutera seulement que le délai biennal n’est pas une incongruité dans notre système juridique : il existe en droit des assurances, où les rapports contractuels sont aussi déséquilibrés !

Par ailleurs l’effort de transposition de l’ANI dans le texte de loi voté réduit l’atteinte au droit d’accès au juge dans un certain nombre d’hypothèses. Notamment en réservant à la prescription de 2 ans un domaine réduit, par les différentes exceptions de l’alinéa 2. Ainsi en fonction des enjeux en cause, le droit d’accès au juge peut être renforcé temporellement ou réduit, ce qui traduit bien l’approche circonstanciée qu’en a la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, l’atteinte portée au droit d’accès au juge doit être nuancée du fait de certains éléments du régime du nouveau droit de la prescription extinctive qui prolongent de fait le délai de principe (point de départ glissant et possibilité d’invoquer l’article 2234 c. civ pour revendiquer une suspension du délai de prescription).

Pour finir, relevons une ambiguïté de la réforme quant au statut du droit de prescription touche-t-il à l’action au droit procédural ou au droit substantiel (qu’est-ce qu’un droit sans action) ?Ainsi la prescription soumise à loi du droit qu’elle affecte loi du fond (cf. article 2221 c. civ.). (Renonciation impossible à la prescription pour celui qui ne peut exercer ses droits substantiels tout seul qui souligne les liens ténus entre prescription et droit substantiel (article 2252 c. civ. « Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise »). En même temps et a contrario l’idée que la prescription laisse subsister une obligation naturelle est reprise à l’article 2249 c. civ. « le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré », puisqu’en cas de paiement spontané aucune répétition n’aura lieu. L’ambiguïté sur cette question pourrait être délibérée : elle traduirait un certain pragmatisme pour des règles qui répondent à des besoins pratiques

Autre ambiguïté de la réforme elle tient au statut du droit de prescription touche-t-il à des intérêts purement privés ou à l’intérêt général ? D’un côté on admet que la prescription puisse être l’objet de conventions qui l’aménage, de l’autre on instaure des butoirs et des limites plus nettes à la volonté.

Les notions d’actions personnelles et mobilières devront être précisées. Elles suscitent on le verra des difficultés à la marge… (action en revendication, en restitution)….

Enfin le projet ne se prononce pas sur l’exception de nullité perpétuelle….déjà entamée en jurisprudence.

Il reste encore de belles questions à résoudre en matière de prescription, que la jurisprudence devra trancher au lendemain de cette loi.

Au-delà de la prescription on aurait pu d’ailleurs mentionner tous les délais de recours imposés par les textes spéciaux du cpc. Toutefois, ceux-ci seront directement examinés dans le cours de maîtrise relatif à l’instance…. Eux aussi traduisent que passé un certain délai, il n’est plus temps d’agir, l’exercice de l’appel du pourvoi en cassation se heurte à une fin de non recevoir, le droit de faire appel de se pourvoir a disparu de sorte que la décision acquiert force de chose jugée elle devient inattaquable et exécutoire si elle ne l’était pas avant.

Autre institution elles aussi justifiée par les besoins de la pratique, la fin de non recevoir tirée de la chose jugée, permet d’éviter que le même procès ne soit indéfiniment recommencé.

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§2 - L’autorité de la chose jugée.

L’autorité de la chose jugée, pas plus que la prescription, ne renvoie à un idéal de justice. C’est une institution pragmatique justifiée par les besoins de la pratique, qui rejoint aujourd’hui le souci de concentrer le temps du juge sur les affaires qui méritent le plus directement son attention, parce qu’elles n’ont pu lui être soumises, en évitant que par esprit de chicane les parties ne soumettent au juge indéfiniment les mêmes affaires.

Elle traduit la recherche d’un équilibre entre les exigences de bonne justice qui commandent un droit au recours, un droit au double degré de juridiction consacré depuis la Révolution, et une exigence de sécurité juridique (deux degrés mais pas plus car il faut parvenir à un appaisement). Il convient donc de s’interroger sur les fondements de la notion étroitement attachés à ses implications pratiques. Pour ensuite s’attacher à sa définition qui a également été modifiée en profondeur récemment.

La question de l’autorité de la chose jugée semble concentrer l’attention de l’autorité judiciaire puisque les arrêts qui en dessinent les contours ceux qui en précisent la localisation (AP 13 mars 2009) se multiplient ces dernières années au point que dans ses bulletins même la Cour de cassation s’y réfère. Bornons nous ici à envisager ses fondements et ses contours sa localisation sera examinée plus tard à l’occasion de la définition de l’activité juridictionnelle.

I - Le fondement et les implications de l’autorité de la chose jugée

L’existence d’une décision de justice est un obstacle au renouvellement d’une contestation sur laquelle le juge a déjà statué. L’autorité de chose jugée vient mettre un terme au litige, pour éviter une réouverture sans fin des débats judiciaires, au fur et à mesure qu’apparaîtraient des éléments nouveaux.

L’autorité de la chose jugée ne repose pas sur une prétendue présomption de vérité attachée au jugement ou à l’autorité du juge, tiers neutre et compétent, comme pourraient le laisser croire les termes de l’article 1350 du Code civil qui parle de présomption légale (présomption de vérité  ?). En effet, un jugement erroné serait doté de cette autorité, en particulier, si les parties avaient négligé d’exercer les voies de recours en temps utiles. Cette institution répond à une finalité avant tout pratique et sociale, comme la prescription. Il faut éviter que les parties ne ressaisissent indéfiniment le juge des mêmes faits, faute de quoi il n’y aura jamais d’apaisement social, et les prétoires ne pourront utilement faire face à l’afflux contentieux des plaideurs insatisfaits. C’est ce que met encore en évidence un arrêt récent (Com. 16 novembre 2010, n° 09-71935, Proc. 2011 n° 47 qui rappelle que l’autorité de chose jugée s’attache à toute décision de justice devenue irrévocable serait-elle gravement erronée : elle avait été rendue sur la base d’une pièce reconnue fausse, hors de limites de compétence de la juridiction saisie, mais les délais pour exercer l’appel et un recours en révision étaient expirés… La fraude même ne pouvait être invoquée pour échapper à cette décision (fraus omnia corrumpit).

Ce que traduit la jurisprudence quand un arrêt dès 1922 de la Cour de cassation énonce l’erreur du juge quelque grave qu’elle soit et alors même qu’elle méconnaîtrait un principe d’ordre public, ne fait pas obstacle à ce que le jugement acquière autorité de la chose jugée (Civ. 9 mai 1922, DP 1925 1 158 et plus récemment Civ. 2, 25 oct. 2007 n° 06-19151 « L'autorité de la chose jugée s'attache à un jugement dès son prononcé et s'impose, même en cas de méconnaissance d'un principe d'ordre public ».

1. Techniquement l’autorité de la chose jugée renvoie à une fin de non recevoir, qui atteste de ce que le droit d’action est épuisé, à propos d’un litige d’ores et déjà tranché.

2. Mais l’autorité de la chose jugée vient également délimiter les voies de droit admissibles contre le jugement, dans un premier temps, pour les exclure ensuite totalement, une fois le litige passé en force de chose jugée, par l’utilisation effective des voies de recours, ou bien, le cas échéant, une fois les délais de recours expirés. Ces voies de droit obéissent à des hypothèses prédéfinies, étroitement encadrées par le droit procédural, notamment en termes de délais. L’on notera que dans un premier temps, du moins, l’autorité de chose jugée, et son efficacité propre, n’excluent pas l’exercice de toute voie de droit en vue de réformer le jugement, de sorte qu’elle réalise un équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et les impératifs de justice, donnant au droit d’agir en justice, au droit d’accès au juge toute sa portée (sans porter atteinte à sa substance).

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3. Enfin, l’autorité de la chose jugée s’impose aux parties comme au juge, qui se trouve dessaisi et ne pourra plus corriger son jugement.

II - L’évolution de la définition de l’autorité de la chose jugée

L’évolution de la définition de l’autorité de la chose jugée est l’œuvre d’une jurisprudence récente consolidée par un certain nombre d’arrêts ultérieurs qui en ont précisé les termes : il s’agit d’un arrêt d’assemblée plénière Cesareo du 7 juillet 200696.

Classiquement la fin de non recevoir telle que définie à l’article 1351 du Code civil renvoie à la triple exigence d’une identité de parties, d’objet et de cause… Et si formellement la définition reste inchangée, dans les termes de l’actuel article 1351 du Code civil, une révolution copernicienne vient de se produire quant à l’appréciation de l’identité de cause et pour certains la troisième exigence de l’identité de cause aurait été vidée de son contenu par l’arrêt Cesareo du 7 juillet 2006.

L’identité de chose jugée est donc triplement relative. - L’identité de parties renvoie à l’identité de demandeur et de défendeur, auxquels on assimile

les ayants cause universel ou à titre universel qui auraient succédé à l’action du demandeur ou du défendeur.

L’identité de parties s’entend d’une identité de personnes agissant en la même qualité (processuelle). Ce n’est pas ici la qualité au sens de l’article 31 cpc la qualité pour agir, c’est l’identité du titre juridique que la personne invoque pour agir (pensons aux personnes qui peuvent agir au nom et pour le compte de leur enfant mineur et pour leur compte personnel ou à l’associé qui peut agir au nom de la société, ut singuli, et en son nom personnel (préjudice subi en tant qu’actionnaire). Si l’action successorale (sociale) a échoué il reste possible à la victime par ricochet (à l’associé) d’agir en son nom personnel, comme proche de la victime principale décédée, ou au titre de son préjudice individuel d’associé, préjudice personnel distinct.

- L’identité d’objet renvoie pour reprendre l’article 1351 du Code civil à l’identité de la chose demandée. Elle est ambiguë et incertaine.

En procédure civile l’objet renvoie au résultat économique ou social de l’action… Il semble qu’il faille examiner tant la matérialité de la chose demandée que la nature du droit réclamé, si l’une ou l’autre change il n’y aurait pas identité de l’objet : c’est le même droit sur la même chose (Civ. 14 mai 1935, DH 1935 427) l’identité d’objet renvoie à l’identité de chose prise en la même qualité. Une demande de réparation du préjudice moral n’a pas le même objet que celle portant sur un préjudice matériel et pourtant il est question de préjudice dans l’un et l’autre cas. Ainsi une demande en nullité et une demande en responsabilité serait-ce pour faute dans la négociation – même si la fauté résulté d’un dol – n’ont pas le même objet. Une action tendant au bornage n’a pas le même objet que celle visant à revendiquer la propriété97. Une action tendant à consacrer l’existence de l’engagement du débiteur n’a pas le même objet que celle qui en conteste la validité. L’action en révision des loyers ne poursuit pas le même objet que celle tendant à la résiliation du bail. En revanche, il a été jugé récemment qu’une action en nullité et une action en inopposabilité d’un même acte tendent toutes deux à le voir déclarer sans effet et poursuivent dès lors le même objet (cf. Civ. 1 8 mars 2005, B. I n° 113).

- Mais c’est sur l’identité de cause que les choses ont le plus évolué récemment. Et contrairement à ce que certains annotateurs avait pu avancer, la notion de cause n’a pas disparu, n’est pas absorbée par celle d’objet puisque l’arrêt d’AP y fait même référence pour affirmer que le demandeur ne pouvait être admis à contester l’identité de cause des deux demandes. Qui plus est la plus Haute juridiction ne pouvait revenir sur la règle posée dans le

96 AP7 juillet 2006, Bull. AP. 8 et voir plus récemment confirmant cette jurisprudence Civ. 3, 13 février 2008 JCP, 2008 II

10052, et D. 2008 AJ 621, et Civ. 1, 16 janvier 2007, B I n° 18, Ci. 3, 19 septembre 2007, B. III n° 146, Com. 20 février

2007, B IV n° 49, Civ. 2, 18 octobre 2007, RTDCiv. 2008 p. 147, Civ. 2, 25 octobre 2007, B II n° 241.

97 Civ. 3, 10 nov. 2009, JCP 2010 n° 4 p. 153 Procédures 2010 n. Junillon ; la décision qui statue sur une demande de bornage fixe exclusivement la ligne divisoire entre les fonds, elle ne tranche pas dès lors la question de la propriété de ce fonds. Il en résulte que l’autorité de la chose jugée d’une décision en bornage ne fait pas obstacle à une action en revendication ultérieure qui est partant recevable. Et sur l’identité d’objet en matière de partage cf. Civ. 1, 3 mars 2010 proc. 2010 n° 170.

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Code civil par le législateur lui-même qui impose cette règle de la triple identité et qui se réfère spécialement à la notion de cause… Cette notion est juste vidée d’une grande partie de la substance qui était la sienne avant 2006 !Avant l’arrrêt Cesareo...Avant 2006, la cause du jugement retenue au titre de l’article 1351 du Code civil pour

apprécier l’autorité de la chose jugée renvoyait non seulement à des données factuelles (identité de faits) mais aussi à des données juridiques (identité de fondement juridique à la demande, c’est le même texte, le même fondement juridique qui est à l’origine des deux demandes) : la cause renvoyait aux faits juridiquement qualifiés. Ainsi il fallait rechercher s’il y avait bien identité des faits et identité des qualifications juridiques discutées et ce n’est qu’à cette double condition que la fin de non recevoir jouait ce qui lui donnait un domaine plus étroit et autorisait certaines actions ultérieures reposant, certes, sur les mêmes faits, mais sur un fondement juridique différent. Cette conception étroite de l’autorité de la chose jugée avait été construite par Vizioz et Motulsky : elle renvoie à une identité de question litigieuse, soit une identité entre ce qui est de nouveau soumis au prétoire, et ce qui a été « contradictoirement débattu » et véritablement tranché. Ainsi les divers cas de recherche de paternité de l’article 340 du Code civil constituaient autant de causes différentes (cf. Civ. 1 21 septembre 2005 et 24 juin 1997). Une demande en nullité déjà tranchée pour vice du consentement ne s’opposait pas à la formulation d’une demande en nullité cette fois fondée sur un prix dérisoire (AP 3 juin 1994). Mais dans certains cas, des flottements et des hésitations sur l’identité ou l’absence d’identité de cause ont pu être relevés de sorte que les solutions n’étaient pas toujours très lisibles et prévisibles et parfois évolutives.

La jurisprudence avait évolué dans certains cas, développant une conception plus large de l’identité de cause, ce qui réduisait d’autant la possibilité d’intenter une nouvelle action98. Cela seul pouvait justifier l’intervention d’une AP pour clarifier les principes sur une question dont les enjeux pratiques sont considérables et dirait-on quotidiens pour les professions contentieuses.

Après l’arrêt Cesareo.Depuis 2006 en revanche, un requérant ne peut plus contester l’identité de cause de ses deux

demandes, en se fondant sur un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever lors de sa première demande. Il en résulte qu’une partie formant une demande visant à l'obtention d'une certaine satisfaction a désormais l'obligation d'invoquer à l'appui de sa demande tous les moyens, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent, susceptibles d'établir le bien-fondé de cette demande et ce au nom d’une exigence de loyauté procédurale. Il s’agit stricto sensu d’une exigence de concentration des moyens.

Dans l’arrêt d’assemblée plénière Cesareo, il s’agissait de la succession d’une première demande en paiement de sommes fondées sur une créance de salaire différé puis qu’une seconde demande fondée sur l’enrichissement sans cause que la Cour de cassation juge fondée sur la même cause, entre les mêmes parties, et portant sur le même objet, le règlement de sommes en plus que la Cour de cassation juge irrecevable.

Le principe posé par cet arrêt exige dès lors une concentration des moyens en 1° instance pour rationaliser le travail du juge et imposer une certaine discipline procédurale aux parties, évitant, ce faisant, certaines manœuvres procédurales dilatoires qui consisteraient à invoquer une fois le jugement rendu un autre fondement que l’on avait jusque là gardé sous le coude.

L’identité de cause renvoie, dès lors, simplement à l’identité de faits litigieux  : ce n’est plus du tout la conception qu’en avait développé Motulsky. La cause du jugement est ainsi ramenée à la cause de la demande.

Le principe est toutefois sévère, dans la mesure où il étend considérablement la portée de la fin de non recevoir tirée de l’identité de chose jugée. C’est donc sur la différence d’objet que risquent de se reporter les plaideurs pour échapper à l’effet couperet de cette fin de non recevoir … Et qui mérite d’être appréciée avec rigueur pour éviter un déni de justice.

98 Ainsi le passage d’une demande en remboursement de prêt à une demande fondée sur la gestion d’affaires avait pu être jugé comme un simple changement de moyens - et non un changement de cause – et la demande nouvelle se heurtait dès lors à l’autorité de la chose jugée (cf. Civ. 2, 2 mars 2004, B II n° 84 et CIv. 1, 28 mars 1995, B. I n° 139.

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Pourtant, l’ensemble des chambres de la Cour de cassation semblent s’être ralliées à cette nouvelle jurisprudence99. En particulier, cette nouvelle conception de l’identité de cause s’applique au demandeur comme au défendeur, impliquant de sa part aussi une concentration des moyens de défense, ce qui est logique si la solution repose sur une exigence de loyauté procédurale 100. L’exigence est dès lors bilatéralisée.

Son caractère général et absolu a été récemment confirmé, même en cas de méconnaissance de ce fait des exigences de l’ordre public101.

Il en résulte que l’autorité de la chose jugée, telle qu’elle a été nouvellement définie en 2006, s’oppose à ce que soit admise la recevabilité d’une action en responsabilité intentée sur le terrain contractuel alors qu’elle avait été initialement engagée au cours d’une première instance sur un terrain délictuel et rejetée. L’impératif de concentration des moyens s’opposerait à ce que deux demandes poursuivant le même but, l’indemnisation des victimes soit engagée successivement sur ces deux terrains (Civ. 1, 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19524, RDC 2008 p. 1143). Comme l’énonce ici la Cour de cassation : « Il incombe au demandeur à l'action de présenter dès la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; il s'ensuit que se heurte à l'autorité de la chose jugée, l'action en responsabilité contractuelle engagée devant une juridiction civile pour l'indemnisation d'un préjudice, alors qu'une juridiction pénale avait, par une décision devenue irrévocable, débouté les parties civiles de leur demande fondée sur la responsabilité délictuelle et tendant à la même indemnisation ».

C’est surtout la combinaison cette évolution jurisprudentielle avec d’autres évolutions procédurales récentes qui a pu heurter les esprits et conduire à se demander si le droit au juge n’était pas ici atteint dans sa substance. En effet le 20 août 2004 un décret a autorisé le juge judiciaire à relever d’office le moyen tiré de l’identité de chose jugée, ce qui accroît encore l’efficacité de la chose jugée…Et un arrêt ultérieur d’Assemblée plénière est venu préciser que le juge n’était jamais tenu mais avait seulement la faculté de relever un moyen de droit et de changer le fondement ou la dénomination de la demande. Ainsi, l’office du juge se trouve vidé de sa substance quand celui des parties et de leurs conseils est considérablement alourdi.

Le doyen S. Guinchard souligne ainsi que la solution posée par l’arrêt Cesareo ne pourrait être acceptable ou en tous cas ne traduirait pas un déni de justice si elle s’accompagnait d’une obligation pour le juge de relever d’office le fondement juridique adéquat et la mise en place d’un véritable appel voie d’achèvement102… La procédure est avant tout affaire d’équilibre entre les différents principes directeurs et entre les offices respectifs des parties et de leurs conseils et du juge. Le point faible de la solution de l’arrêt Cesareo est en effet de donner autorité de la chose jugée à des aspects qui n’ont pas été débattus.

Il a été jugé récemment que cette jurisprudence est d’ailleurs d’application immédiate, y compris dans les litiges engagés avant 2006, certains disent sans doute exagérément qu’elle s’applique de façon « rétroactive » en méconnaissant la distinction des sources rétroactive. La Cour de cassation vient en effet le 17 novembre dernier de rejeter un moyen tiré de la violation du droit au procès équitable du seul fait « qu'en décidant d'opposer à la demande une fin de non-recevoir découlant d'une jurisprudence nouvelle posée par un arrêt du 7 juillet 2006, quand l'instance précédente avait été close en 1996, les juges du fond ont violé le principe du droit au procès équitable tel que consacré par le droit interne ». La Cour de cassation reprenant une motivation désormais connue sur la rétroactivité de la jurisprudence a en effet répondu que le moyen n’était pas fondé, motif pris qu’au nom de « la sécurité juridique » on «  ne saurait consacrer un droit acquis à une

99 AP7 juillet 2006, Bull. AP. 8 et voir plus récemment confirmant cette jurisprudence Civ. 3, 13 février 2008 JCP, 2008 II

10052, et D. 2008 AJ 621, et Civ. 1, 16 janvier 2007, B I n° 18, Ci. 3, 19 septembre 2007, B. III n° 146, Com. 20 février

2007, B IV n° 49, Civ. 2, 18 octobre 2007, RTDCiv. 2008 p. 147, Civ. 2, 25 octobre 2007, B II n° 241.

100 Com. 20 février 2007, B IV n° 49101 Civ. 2, 25 octobre 2007, B II n° 241.102 S. Guinchard, L’autorité de la chose qui n’a pas été jugée à l’épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour le juge de changer le fondement juridique de la demande , Mel Wiederkehr Dalloz 2009.

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jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit »103. Mais si la demande ici formulée sur le fondement de l’article 6§1 de la CEDH auquel on rattache l’exigence de sécurité juridique a pu être rejetée.

Cette exigence de concentration des moyens s’applique d’ailleurs tant au demandeur qu’au défendeur…

Il n’en demeure pas moins que l’on pourrait légitimement tenter de faire valoir que le droit d’accès au juge est atteint dans sa substance même par la combinaison des deux arrêts d’Assemblée plénière du 7 juillet 2006 et du 21 décembre 2007, ce que n’ont pas manqué de souligner certains auteurs au lendemain de cet arrêt.

D’ailleurs la CJUE plus encline à consacrer une obligation de relever d’office comme un certain nombre d’arrêt en droit de la consommation en matière de clauses abusives le suggèrent (arrêt CJUE Pannon de juin 2009), semble développer une conception plus exigeante de l’office du juge qui s’est traduite par le fait qu’elle a récemment censuré la conception italienne de l’exception de chose jugée – posée à l’article 2909 du Code civil italien dans des termes proches de notre jurisprudence actuelle dans un arrêt CJUE du 18 juillet 2007 Lucchini.

Le principe est sévère : il étend considérablement la portée de la fin de non-recevoir tirée de l’identité de chose jugée qui pourra dès lors plus facilement être opposée à la recevabilité d’une seconde action, après qu’un premier jugement ait été rendu entre les mêmes parties tendant au même objet, restreignant ce faisant l’accès au juge. C’est donc sur la différence d’objet que risquent de se reporter les plaideurs pour échapper à l’effet couperet de cette fin de non recevoir … Et qui mérite d’être appréciée avec rigueur pour éviter un déni de justice.

C’est surtout la combinaison cette évolution jurisprudentielle avec d’autres évolutions procédurales récentes qui a pu heurter les esprits et conduire à se demander si le droit au juge n’était pas ici atteint dans sa substance.

- En effet le 20 août 2004 un décret a autorisé le juge judiciaire à relever d’office le moyen tiré de l’identité de chose jugée, ce qui accroît encore l’efficacité de ladite fin de non-recevoir.

- Et un arrêt ultérieur d’Assemblée plénière du 21 décembre 2007 est venu préciser que le juge n’était jamais tenu mais avait seulement la faculté de relever un moyen de droit et de changer le fondement ou la dénomination de la demande. Ainsi, l’office du juge se trouve vidé de sa substance quand celui des parties et de leurs conseils est considérablement alourdi. Et les parties ne pourront pas systématiquement compter sur le juge pour pallier leur éventuelle omission… Pour le doyen S. Guinchard, la solution posée par l’arrêt Cesareo serait plus acceptable et ne traduirait pas un déni de justice si elle s’accompagnait d’une obligation pour le juge de relever d’office le fondement juridique adéquat et la mise en place d’un véritable appel voie d’achèvement104… La procédure est avant tout affaire d’équilibre entre les différents principes directeurs et entre les offices respectifs des parties et de leurs conseils et du juge. Le point faible de la solution de l’arrêt Cesareo est en effet de donner autorité de la chose jugée à des aspects qui n’ont pas été débattus. L’on pourrait légitimement tenter de faire valoir que le droit d’accès au juge est atteint dans sa substance même par la combinaison des deux arrêts d’Assemblée plénière du 7 juillet 2006 et du 21 décembre 2007. Et d’ailleurs la CJUE plus encline à consacrer une obligation de relever d’office comme un certain nombre d’arrêt en droit de la consommation en matière de clauses abusives le suggèrent (arrêt CJUE Pannon de juin 2009), semble développer une conception plus exigeante de l’office du juge qui s’est traduite par le fait qu’elle a récemment censuré la conception italienne de l’exception de chose jugée – posée à l’article 2909 du Code civil italien dans des termes proches de notre jurisprudence actuelle dans un arrêt CJUE du 18 juillet 2007 Lucchini (aff. C119/05) Europe 2007 n° 235).

D’ailleurs en vue de mettre le droit français en conformité avec le droit communautaire, le projet de loi Hamon qui vise à renforcer les droits des consommateurs et donner à tous les moyens d’une réelle citoyenneté économique voudrait imposer au juge un relevé d’office obligatoire sans attendre que les parties en fassent la demande, lorsque les circonstances permettent au juge de l’opérer (art. 28 du projet de loi).

103 Com. 12 novembre 2008. pourvoi n° 08-10138104 S. Guinchard, L’autorité de la chose qui n’a pas été jugée à l’épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour le juge de changer le fondement juridique de la demande , Mel Wiederkehr Dalloz 2009.

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Pour bien comprendre l’étendue du principe de concentration des moyens, qui oblige certes à une vigilance accrue des plaideurs dès la première instance, et pour nuancer la critique, il faut relever que l’appel permet aussi d’invoquer des moyens qui auraient été omis. Or la jurisprudence s’est efforcé à ne pas donner une extension trop large à la notion de demandes nouvelles (demandes qui sont irrecevables au titre de l’article 564 c. civ., puisque l’appel est une voie de réformation et qu’on ne peut réformer que ce qui a déjà été jugé) et donnant ainsi à l’appel la tournure d’une voie d’achèvement du litige. C’était d’autant plus nécessaire que depuis 2009 la juge a le pouvoir de relever d’office l’irrecevabilité des demandes nouvelles. Ainsi certains moyens omis au stade de la première instance pourront ils être défendus en appel. Mais cela suppose une vigilance particulière de l’avocat qui doit penser à l’invoquer à le faire en appel, car il ne pourrait plus le faire ultérieurement dans le cadre d’une nouvelle action au 1° degré qui elle se heurterait à l’irrecevabilité déjà décrite. L’avocat pourrait alors voir sa responsabilité professionnelle engagée.

Un autre tempérament est apporté par certains arrêts qui pour faire échapper à l’irrecevabilité de l’article 1351 C. Civ. prennent le soin de souligner que la fin de non recevoir ne peut jouer dans sa nouvelle définition issue du revirement de 2006 que si la situation de fait qui a servi de fondement à la décision antérieure est restée identique. Tel ne sera pas le cas donc, si des évènements ultérieurs ont modifié le cours des choses (la situation antérieurement jugée) : en effet le juge ne statue qu’au regard des faits existant et connus au jour de la décision rendue105, mais il faut alors que le fait soit vraiment nouveau (Civ. 3, 20 janvier 2010, Bull. III n° 17 n° 08-70206), ou encore que la partie se fonde sur un droit né après la décision rendue, de sorte que l’affaire pourra être examinée dans le cadre d’une nouvelle instance (Civ. 2, 10 juin 2010, Procédures 2010 n° 305) (1 point bonus).

Ajoutons que, certaines applications de cette jurisprudence, encore récemment, ont suscité des réserves et portent sans doute trop fortement atteinte à l’accès au juge en ce qu’elles vont au-delà de la seule exigence de concentration des moyens, elle consacre une véritable exigence de concentration des demandes, en étendant encore la portée de cette fin de non recevoir à des demandes dont l’objet est différent une première action fondée sur la demande de dépose d’une enseigne une autre sur une demande de DI les deux reposant sur la violation de l’obligation de non réaffiliation106, ce qui suscite de vives inquiétudes, compte tenu des réserves déjà énoncées à propos du revirement. Ainsi, toutes les demandes procédant d’un même fait d’une même situation litigieuse – ici l’inexécution contractuelle - devraient être groupées, si cette évolution se confirme: qu’il s’agisse de demandes tendant à l’exécution forcée, ou de demandes tendant à une réparation par équivalent. On aurait pu penser que cet arrêt rendu en matière arbitrale avait de ce seul fait une portée limitée. Pourtant, cette dérive a pu être observée dans un deux autres arrêts ultérieurs rendus l’un en 2008 l’autre en 2010 tous deux rendus par la 1° chambre civile 107. C’est alors une obligation de concentration des demandes qui impose aux parties la plus grande vigilance dans leur stratégie judiciaire.

L’on se rapproche ici de la règle bien connue de l’unicité d’instance en matière prud’homale, règle au demeurant contestée en droit social, et dont la portée vient d’être cantonnée par la Cour de cassation au nom du respect des règles du procès équitable. Cette règle de l’unicité d’instance et la fin de non-recevoir qu’elle fait naître continuent néanmoins d’être contestée de sorte qu’une réforme s’impose sans doute108.

Il n’est pas du tout certain que cette solution soit conforme au droit au juge tel qu’il est mis en avant par la CEDH (art. 6§1). Cette nouvelle conception de l’autorité de chose jugée opère comme une purge des situations conflictuelles mais réduit d’autant l’office du juge.

D’autres arrêts émanant d’autres chambres de la Cour de cassation retiennent une qualification plus habituelle de l’identité d’objet, ramenant la fin de non-recevoir à une portée plus raisonnable –

105 Civ. 2, 3 juillet 2008, Bull. II n° 161106 Civ. 1, 28 mai 2008, 07-13266 RDC 2008 p. 1146107 Civ. 1, 13 février 2008, 07-13266 RDC 2008 p. 1146, D. 2008 p. 621, JCP 2008 II 10052, et plus récemment Civ. 1, 1° juillet 2010, JCP 2010 II 1051 n. E. Jeuland.108 A. Chevillard, Conseils de prud'hommes et procédure prud'homale : Quelles réformes ? Droit Social 2010 n° 9-10 p. 91

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une simple exigence de concentration des moyens109. Dans le prolongement de cette idée, et cette fois sur le terrain de la formation du contrat, la chambre commerciale a jugé que « la demande, par laquelle les cessionnaires sollicitaient l'allocation de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice qu'ils imputaient à des faits constitutifs de dol, ne tendait pas à la révision du prix et ne se heurtait pas à l'autorité de l'arrêt ayant fixé le montant de celui-ci » (Com. 2 février 2010, n° 09-11064).

Un autre arrêt rendu cette fois par encore par la 2° chambre civile se situe dans cette lignée en se bornant à une simple exigence de concentration des moyens110. La fin de non recevoir tirée de la force de chose jugée n’est pas une technique budgétaire relevant de l’économie de justice ironise un auteur toulousain (J-F Barbieri).

La Cour de cassation semble s’orienter dans cette voie en distinguant de façon plus pédagogique concentration des moyens et concentration des demandes, en insistant notamment sur le fait que cette concentration des demandes ne s'impose pas aux parties « Vu l'article 1351 du Code civil ; Attendu que, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits111 ».

Les enjeux en cause méritent d’avancer avec prudence et de ne pas apprécier l’identité d’objet trop largement, en vue de garantir une certaine place au droit au juge, déjà bien malmené. De ce point de vue, la position retenue par la troisième chambre civile semble préférable et se fonde sur une conception de l’identité d’objet cohérente.

Et compte tenu de la position isolée de la 1° chambre civile on peut légitimement se demander si l’Assemblée Plénière ne devrait pas une nouvelle fois se réunir pour préciser ce principe de concentration des moyens et écarter les risques de dérive vers un impératif de concentration des demandes (cf. E Jeuland JCP 2010 précité).

Au demeurant même sous l’angle de l’accès au juge il convient de noter que dans l’affaire qui a conduit à l’arrêt du 25 oct. 2007 la CEDH a récemment refusé de condamner la France sur le terrain de l’atteinte à l’accès au juge (CEDH 26 mai 2011 Legrand c/ France) et que de la même façon la CEDH n’a pas condamné la règle de l’unicité d’instance développée par le juge prud’homal (plus nuancé CEDH 23 oct. 2007, Beauseigneur c/ France 17779/04), de sorte qu’une exigence de concentration des moyens cantonnée dans de justes limites n’encourent pas nécessairement la censure même sous l’angle de l’atteinte aux droits fondamentaux et à l’accès au juge.

Il faut prendre garde à bien distinguer l’objet de la cause, la demande reconventionnelle de la défense au fond, le moyen et la demande.

L’on ajoute généralement avec certaines nuances que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’au dispositif et pas aux motifs (exception faite parfois de ceux qui sont le soutien nécessaire du dispositif)112.

Autorité de la chose jugée et allégation d’un moyen nouveau (cf. Civ. 1 23 juin 2011, n° 10-20110, D. 2011 p. 1830)

La victime d'un dol doit-elle concentrer ses demandes dès l'instance initiale ?

109 Un arrêt juge ainsi qu’ « une demande en réduction de loyers pour modification de la surface louée », n’a pas le même objet qu’une « demande de réparation du préjudice de jouissance », peu important que l'indemnité sollicitée ait été calculée en pourcentage du montant des loyers (Civ. 3, 16 septembre 2009, pourvoi n° 08-10487). La première demande n’est pas à proprement parler une demande de dommages-intérêts, elle s’apparente davantage à un mécanisme de réfaction du loyer : une réduction du prix convenu. Ici ce n’est pas le changement de fondement juridique qui est pris en compte – la demande de réduction du loyer et la demande de réparation du trouble de jouissance reposent, certes, sur des fondements juridiques différents – c’est bien la chose demandée, l’objet qui diffère, les deux sanctions de l’inexécution renvoyant à des objets, des fins, différentes. De même, une demande en exécution forcée, quelle que soit la forme qu’elle revêt, n’a pas le même objet qu’une demande de dommages-intérêts, elle aussi fondée sur les mêmes faits d’inexécution. La chose demandée – le résultat concret de l’action - n’est pas la même. Dans un arrêt ultérieur, la Cour de cassation est revenue à cette position après les errements constatés un an auparavant (cf. Civ. 3, 27 mai 2009, pourvoi n° 08-11388).110 Civ. 2, 23 septembre 2010, JCP 2010 II 1051 n. E. Jeuland). (Voir encore plus récemment Civ. 2 10 novembre 2010, n° 09-14948, JCP 2010 I 1270, J-F Barbieri, JCP 2011 n° 666 15 énonçant au visa de l’article 1351 c. civ. « que l'action en exécution du contrat d'assurances n'avait pas le même objet que l'action en paiement de dommages-intérêts pour manquement de la société d'assurances à son devoir de conseil »111 Civ. 2, 26 mai 2011, n° 10-16735, M. X, F-P+B, JCP 2011 1397 p. 2493 obs. Y-M Serinet et la demande tendant à faire juger que la vente d’un immeuble est parfaite n’a pas le même objet que la demande ultérieure en paiement des loyers de l’immeuble perçu entre l’offre de la vente et sa réitération en la forme notariée112 Civ. 1, 20 février 2007, B I n° 66, l’arrêt semble même exclure les motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif.Mais Civ. 2, 5 juin 2008 Proc. 2008 n° 226 l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe.

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PROCÉDURE CIVILE — « La demande en nullité de la vente pour dol et la demande en réduction du prix de la vente par les victimes de ce dol n'ont pas le même objet ». Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n° 10-23141, Époux Y c/ Époux X et Sté Philippe Immobilier, FS-P+B, ,

Il est incontestable que cette jurisprudence alourdit les obligations qui incombent à l’avocat. D’ailleurs, il vient assez logiquement d’être jugé que l’erreur commise par l’avocat dans le choix du fondement juridique de l’action de son client, qui ne peut plus être réparée à l’occasion d’une autre instance, en application du principe de concentration des moyens, engage sa responsabilité professionnelle (cf. Civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-14580, JCP 2011 80).

Ajoutons enfin que si les parties intègrent les exigences découlant de cette jurisprudence et développent des argumentations plus exhaustives, le gain de temps attendue de cette évolution jurisprudentielle sera peut être plus réduit que cela n’était imaginé au départ.

§3 – Le désistement d’action et l’acquiescement.

Avec le désistement d’action, et l’acquiescement on est bien face à des causes d’extinction de l’action, propres au droit judiciaire – et non pas dérivées de la disparition de la prérogative substantielle. L’une et l’autre traduisent un acte abdicatif, de renonciation, et qui doit de ce fait s’entourer de précautions particulières, plus grandes encore que pour la transaction, puisqu’il n’y a pas ici de contrepartie. Envisageons-les successivement : elles traduisent l’une et l’autre que l’action peut avoir une autre issue que le jugement.

I – Le désistement d’action

Le désistement d’action est évoqué à l’article 384 cpc qui la définit comme « l’acte par lequel le demandeur principal ou le défendeur qui a formé une demande reconventionnelle déclare abandonner ses prétentions à l’encontre de son adversaire ».

Il faut le distinguer du désistement d’instance - évoqué à l’article 385 et 394 à 405 cpc - qui quant à lui éteint l’instance mais en laissant subsister l’action ; le désistement d’instance est un désistement de la demande qui autoriserait à former une autre demande ultérieurement, mais attention une nouvelle demande pourrait être introduite ultérieurement, le seul risque est que le désistement de la première instance a fait perdre à son auteur le bénéfice de l’effet interruptif de prescription, attaché à la première demande, ce qui pourra ultérieurement entraver l’exercice de l’action.

Et il a pu être jugé que la renonciation à un chef de demande en 1° instance et réitéré en appel constitue un cas de désistement d’instance n’emportant pas renonciation à l’action113. Ainsi la renonciation à un chef de demande en 1° instance n’empêchera pas sa réitération si d’aventure un appel venait à être formé. Et la règle de l’unicité d’instance ne s’y oppose pas114.

Le désistement d’action est donc un acte plus grave, la renonciation a une portée plus grande encore parce qu’elle prive définitivement le titulaire de la faculté d’invoquer ce droit d’action là  : il ne sera plus en mesure que d’exercer une action nouvelle par sa cause ou par son objet - ni aucune voie de recours - pour assurer la sanction du droit litigieux….

Ses conditions d’efficacité, qui tiennent à sa nature d’acte unilatéral, supposent : - de la part de son auteur la capacité de disposer du droit litigieux et non pas seulement comme pour le désistement d’instance la capacité et le pouvoir d’ester en justice. Seul le titulaire du droit est apte à y renoncer et non son représentant, sauf à ce qu’un pouvoir spécial lui ait été conféré en ce sens. Un mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration. Il en découle qu’il faut également que le droit en cause soit disponible soit que son titulaire soit en mesure d’y renoncer…. Et l’on enseigne traditionnellement que les actions relatives à l’état des personnes ne sont pas disponibles.- en revanche, le désistement d’action n’est pas en principe subordonné à l’acceptation de l’adversaire, à l’égard duquel il constitue un avantage. Par exception, il n’en va autrement que s’il

113 Soc. 5 janvier 2011, n° 08-70060, Procédures 2011 n° 98.114 Soc. 9 mars 2011, pourvoi n° 09-65213, Procédures n° 174.

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avait antérieurement formé une demande reconventionnelle qui lui donnerait alors un intérêt à poursuivre l’instance.- aucune forme particulière n’est requise à partir du moment où cette renonciation est suffisamment claire et non équivoque. Il peut être exprès écrit ou verbal ou implicite, il résulte alors de faits révélant indubitablement la volonté du titulaire de l’action de renoncer non pas seulement à l’action mais au droit lui-même ce qui le rend plus délicat à établir. En toutes hypothèses, il ne se présume pas.

II – L’acquiescement

L’acquiescement est l’acte juridique par lequel une partie au procès renonce à son droit d’action en se soumettant à la demande de son adversaire, ou encore, au jugement de la juridiction article 408 à 410 cpc.

Cela traduit là encore, plus qu’une renonciation à l’instance : c’est une renonciation à l’action proprement dite qui interdit toute contestation ultérieure sur les chefs de demandes ou sur les chefs du jugement qui en ont fait l’objet.

Cette renonciation peut intervenir en cours d’instance (acquiescement à la demande), - une partie reconnaît le bien fondé de la demande de son adversaire en cours d’instance, ou plus tard, à l’issue de l’instance (acquiescement au jugement), la partie condamnée acceptant le bien fondé de la condamnation et renonçant de ce chef à l’exercice de voies de recours éventuelles. Cela traduit directement que l’exercice des voies de recours est une modalité d’exercice de l’action….

Comme acte juridique unilatéral - il produit ses effets indépendamment de toute acceptation par l’adversaire.- il suppose une volonté claire et non équivoque de celui qui renonce cette renonciation ne

se présumant pas. Il pourrait résulter de « l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire », s’agissant de l’acquiescement au jugement comme l’énonce l’article 410 al. 2 cpc, il n’en va ainsi que si le jugement n’a pas revêtu la force de chose jugée et n’est pas assorti de l’exécution provisoire, car s’il était exécutoire l’exécution serait alors entachée d’équivoque et n’aurait plus de caractère spontané. De même, il vient d’être jugé que l’exécution d’une condamnation se fondant sur les mentions erronées d’un jugement et de l’acte de signification qui énonçaient à tort qu’il était rendu en dernier ressort n’emporte pas acquiescement au jugement même si l’exécution a été faite en connaissance de l’erreur du juge, car il y a équivoque (cf. Civ. 2, 20 octobre 2011, n° 10-24864, Procédures 2011 n° 358).L’acquiescement peut être total ou partiel, exprès ou implicite….La preuve de l’acquiescement au jugement soulève souvent des difficultés, il en va aussi ainsi

de l’acquiescement à la demande dans les procédures orales. Elle suscite dès lors un contentieux important qui a appelé certaines précisions de la Cour de cassation en la matière, à propos du contentieux de l’exécution des jugements (acquiescement au jugement) alors qu’en principe les juges apprécient souverainement les faits pour en déduire la volonté des parties.

1° / L’acquiescement à la demande est plus spécialement visé à l’article 408 du cpc. Il émane du défendeur à la demande principale ou du défendeur à la demande reconventionnelle – soit le demandeur. Ne pouvant porter que sur des droits disponibles, il n’est pas concevable en matière de divorce ou de séparation de corps. Et il supposera un pouvoir spécial pour le représentant à l’action (et même une autorisation spéciale du conseil de famille dans le cadre des tutelles ou juge des tutelles dans le cadre de l’administration légale pure et simple). Les effets de l’acquiescement sont toutefois limités à son auteur.

2° / L’acquiescement au jugement est régi à l’article 409 s. cpc. Il emporte soumission aux chefs du jugement et renonciation aux voies de recours. Il est soumis aux mêmes conditions de volonté de capacité et de pouvoir que l’acquiescement à la demande. Mais il est toujours admis sauf disposition contraire. Ce champ plus large se justifie ici par le fait que l’affaire a d’ores et déjà été jugée et débattue une fois… Ce contrôle juridictionnel limite les risques liés à un acte d’abdication.

La soumission aux effets du jugement s’étend toutefois aux seuls chefs de jugement acceptés tant principaux qu’accessoires, mais aussi à tous ceux qui en sont indissociables.

L’exercice d’une voie de recours après cet acquiescement se heurterait donc à une fin de non recevoir qui peut être opposée en tout état de cause mais ne peut être relevée d’office par le juge…. En revanche, il vient d’être jugé que l’acquiescement au jugement n’emporte pas renonciation à en

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demander la rectification pour cause d’erreur matérielle (cf. Civ. 2, 7 juillet 2001 n° 10-21061, Procédures 2011 n° 325).

Cet effet cesse cependant si une autre partie qui n’avait pas acquiescé exerce une voie de recours, l’auteur de l’acquiescement recouvre alors son droit d’action et pourra former un appel incident.

Une chose est d’être titulaire du droit d’agir en justice ou d’un droit substantiel – il existe -, une autre chose est de pouvoir les exercer soi-même : que l’on soit incapable ou que l’on soit personne morale, notamment cet exercice se fait par le biais d’un représentant dûment doté de pouvoirs… On touche alors à la mise en œuvre du droit d’action. Et l’exercice de l’action en justice est justement subordonné à différentes conditions distinctes des conditions d’existence du droit d’agir. D’ailleurs, l’absence des conditions d’existence du droit d’action est sanctionnée par une irrecevabilité de la demande, tandis que le non respect de ses conditions de mise en œuvre se traduit par une irrégularité de la demande.

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Chapitre 2 : Les conditions d’exercice ou de mise en œuvre de l’action

Les différentes formes de mise en œuvre du droit d’actionLe droit d’action préexiste à la demande et pourra être mis en œuvre de différentes manières.

Les parties peuvent en effet décider d’agir devant les tribunaux étatiques et mettre en œuvre leur droit d’agir par une demande en justice, c’est la voie la plus connue et la plus classique

Mais elles peuvent aussi le mettre en œuvre en ayant recours à des techniques alternatives à la justice étatique : ce sont les modes alternatifs de règlement des litiges qui renvoient au fait que les parties, dans un Etat qui développe une conception libérale du monopole de la justice , peuvent disposer de leur droit d’action en remettant à un juge privé l’arbitre le soin de régler définitivement leur litige – par une clause compromissoire conclue à l’avance ou un compromis d’arbitrage conclu une fois le litige né -, ou encore, le mettre en œuvre par une convention qui mettra fin définitivement au litige, la transaction ou des conventions spéciales qui se sont inspirées de ce modèle de contrat nommé du Code civil et qui seront souvent conclues à l’issue d’un processus de médiation ou de conciliation processus judiciaire (conciliation ou médiation judiciaire) ou extrajudiciaire (convention de procédure participative orchestrée par un avocat), destinée à aider les parties à rapprocher leurs points de vue, ou après avoir utilisé la nouvelle convention de procédure participative, forme de conciliation extrajudiciaire, avant tout procès (art. 2062 s. c. civ).

Ces modes alternatifs permettent d’ailleurs d’échapper une application stricte du droit en vigueur - l’arbitre pouvant notamment à la demande des parties statuer en équité – mais ils ne constituent pas, à proprement parler, une alternative à la justice étatique parce que bien souvent, ils ne se conçoivent qu’articulée avec elle. La sentence arbitrale devra faire l’objet d’un exequatur pour être exécutoire, et la validité de la transaction, comme celle de la sentence, pourront être contestées devant les tribunaux étatiques, ce sont encore eux qui attribueront force exécutoire à la transaction.

On s’en tiendra ici à la mise en œuvre de l’action par la demande en justice qui appelle quelques remarques quant aux conditions de validité de celle-ci mais aussi quant aux modalités et aux formes qu’elle peut revenir.

Section 1 : La validité de la demande 

Le principeLa demande en justice n’est régulière que si elle émane d’un plaideur disposant de la

personnalité juridique. C’est un des attributs de la personnalité juridique. Mais au-delà de la capacité de jouissance soit l’aptitude à être titutlaire du droit d’action, il

peut arriver que la loi reconnaisse que le titulaire d’un droit n’est pas en mesure de l’exercer lui-même notamment en justice. C’est d’ailleurs le code civil qui définit les incapacités d’exercice et qui place les personnes concernées par une telle incapacité sous un régime protecteur, car la question a essentiellement trait au droit substantiel et relève partant de dispositions du Code civil récemment modifiées (loi du 5 mars 2007). Quoique titulaires des prérogatives en cause, elles ne sont pas en mesure d’exercer valablement l’action en justice par elles-mêmes parce qu’elles ne peuvent justement pas exercer leurs droits. Elles ne peuvent dès lors le faire que par un intermédiaire ; il s’agit de leur représentant qui intervient aux différents actes de procédure. Et de la notion de capacité – aptitude à pouvoir exercer soit même ses prérogatives et à pouvoir en jouir- on en vient à celle qui lui est indissociablement liée de pouvoir – soit l’aptitude à exercer les droits d’autrui en son nom et pour autrui – qui passe par la technique du mandat qu’il soit conventionnel, légal ou judiciaire.

Sa sanction

A défaut, la demande serait nulle pour irrégularité de fond. Et comme il s’agit d’un vice grave l’adversaire serait en mesure de le soulever à toute hauteur de la procédure, et le juge peut même le relever d’office115.

Et la nullité peut être prononcée quand bien même l’adversaire n’en aurait subi aucun grief car c’est un vice de fond de l’acte de procédure et non un vice de forme qui suppose un tel grief.

En revanche, l’acte peut être régularisé par une reprise au cas où celle-ci est faite par le représentant de l’incapable.

115 qu’il s’agisse de la capacité de jouissance ou de la capacité d’exercice

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L’acte nul peut néanmoins être régularisé jusqu’au moment où le juge statue (article 121 cpc). Récemment, la Cour de cassation est venue préciser qu’elle réservait au plaideur protégé le

bénéfice d’invoquer la nullité (cf. Civ. 1, 19 septembre 2007, B. I n° 274, JCP 2008 I 138 n° 9).La sanction se distingue donc nettement de l’irrecevabilité attachée au défaut d’intérêt et de

qualité, et suppose des lors que l’une et l’autre soient nettement dissociés.

§1 – La capacité ou les hypothèses de représentation en justice.

L’incapacité d’exercice renvoie au statut de certaines personnes physiques qu’on appelait incapables et qu’on appelle maintenant personnes protégées, qu’il s’agisse des mineurs ou des majeurs protégés, soumis à un régime protecteur de tutelle ou de curatelle, voire à une sauvegarde de justice. Mais elle renvoie également au statut des personnes morales qui matériellement ne sont pas en mesure d’exercer par elles-mêmes leurs droits.

Reste aussi l’hypothèse où une personne sans être frappée d’une incapacité d’exercice choisit de se faire représenter, pour l’exercice de celle-ci.

Les mineurs non émancipés ne peuvent en principe agir seuls en justice. La loi ménage un cer-tain nombre d’exceptions, et notamment, en droit du travail, le mineur peut ester en justice relative -ment à l’exercice de sa profession. Il en va de même pour un certain nombre d’actions à caractère très personnel que le mineur, même non émancipé peut exercer seul, telle l’action en recherche de mater -nité ou de paternité exercée pendant la minorité de l’enfant, sans même avoir à solliciter l’avis du juge des tutelles. Il ne faut pas confondre ce droit direct d’agir avec le droit de l’enfant à être entendu par le Tribunal qui renvoie à la convention de N. York, la procédure d’audition de l’enfant étant réglée par l’article 338-1 à 338-9 cpc., et concernant seulement l’audition de l’enfant par le juge et non par l’ex -pert judiciaire116. Il vient à cet égard d’être rappelé que le droit reconnu au mineur capable de discerne-ment d'être entendu par le juge dans toute procédure le concernant peut être exercé en tout état de pro-cédure. Cette audition étant de droit lorsque l'enfant en fait la demande, le juge ne peut tirer argument d'une première audition par le premier juge saisi pour refuser de procéder à une seconde audition (Civ. 1re, 24 oct. 2012, F-P+B+I, n° 11-18.849).

Il a été jugé par ailleurs que la prescription de l'action en nullité ouverte à l'égard des actes faits par ou au nom d'un mineur court du jour de sa majorité ou émancipation, ce qui lui permet dès lors d’agir à compter de sa majorité en dépit de l’inertie éventuelle de ses représentants (Civ. 1, 5 mars 2002, pourvoi 99-19443, Bull. I n° 76). Pourtant, il convient de préciser que, l'exception de nullité, qui serait un autre moyen d’échapper aux contraintes de la prescription n'est pas recevable à l'endroit d'un acte ayant déjà reçu exécution (même arrêt).

Pour les majeurs protégés (cf. art. 414 c. civ.), le régime de protection envisagé peut les obliger à être représentés en justice. La loi du 5 mars 2007 a clarifié le régime des actions menées au nom des personnes protégées jusque là en partie jurisprudentiel.

Cf. Droit processuel et protection judiciaire civile des majeurs vulnérables, V. Noguin D. 2011 p. 1842.

- Et notamment, par principe le majeur sous tutelle n’exerce pas les actions en justice par lui-même mais par l’intermédiaire de son représentant. Ce principe comporte toutefois des tempéraments.Le jugement ouvrant la tutelle pour réserver des droits que le majeur protégé pourra exercer seul.Par exception, la loi prévoit néanmoins parfois qu’ils peuvent exercer seuls certaines actions qui ont un caractère personnel comme par exemple le consentement à l’adoption (cf. Civ. 1, 8 oct. 2008, pourvoi n° 07-16.094). Le majeur protégé peut aussi par principe demander seul la révision de la mesure de protection qui le concerne (art. 430, 441 et 443 cpc).Et s’il s’agit de disposer du droit d’action l’autorisation du conseil des familles ou du juge des tutelles est parfois requise, notamment s’agissant des actions extrapatrimoniales et des actes de disposition du droit d’agir comme le fait de compromettre ou de transiger (art. 505 et 506 c. civ.), d’acquiescer à la demande ou au jugement.

Par principe, c’est le tuteur qui exerce le droit d’action du majeur protégé, seul s’il s’agit d’un droit patrimonial de la personne protégée (art. 504 c. civ.) avec l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles pour les actions extra patrimoniales (article 475 c. civ.) et les actes emportant disposition du droit d’action comme la transaction, le compromis ou la clause compromissoire (art.

116 Civ. 1, 23 mars 2011, Proc n° 175, pourvoi n°10-10547, Procédures 2011 n° 175.

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504 c. civ.), ou l’acquiescement (Civ. 1, 7 mars 2000, B. I n° 78 D. 2001 S. 1513, D. 22 décembre 2008 annexe I VI).

Récemment un majeur sous tutelle a tenté d’invoquer une violation de son droit d’accès au juge tel que consacré à l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme contre une décision déclarant son action en rescision pour lésion prescrite celle-ci ayant été intentée par le majeur sous tutelle plus de deux ans après la vente de l’immeuble (art. 1676 du code civil applicable aux ventes d’immeubles) et ce quoique l’action ait été intentée dans les deux ans suivant la fin de la tutelle. Le majeur voulait faire valoir que son droit d’action avait été suspendu lors de la tutelle. Pourtant la Cour de cassation écarte toute violation du droit d’agir, le délai de forclusion étant ici posé à des fins de sécurité juridique. La Cour de cassation relève au demeurant que le représentant du majeur avait la possibilité quant à lui d’agir et engagerait sa responsabilité pour ne pas l’avoir fait. Ce qui indirectement garantit les droits de la personne protégée. Ainsi, ce délai de forclusion et le régime qui lui est appliqué, ne nient pas les droits de l’intéressé (cf. Civ. 3, 20 mai 2009, p. n° 08-13813, JCP 2009 I 369).

Quant au majeur sous curatelle : il exerce lui-même son action en étant assisté par son curateur. L’article 468 du Code civil précise désormais que l’ « assistance du curateur est requise pour introduire une action en justice et pour y défendre ». Le jugement ouvrant la curatelle pourrait néanmoins réserver des droits que le majeur protégé pourrait exercer seul.

Pour comprendre les contours de cette assistance et son évolution depuis 2007 précisons que sous l’empire des anciens textes il a à plusieurs reprises été jugé qu’« un majeur en curatelle peut, sauf dispositions contraires, exercer seul les actions relatives à ses droits patrimoniaux et défendre à de telles actions » (Cf. Civ. 1, 9 décembre 2009, p. n° 08-16836, D. 2010 p. 16). En revanche il devait nécessairement être assisté pour les actions extrapatrimoniales pour acquiescer à un jugement ou transiger. L’article 468 actuel ne reprend pas ce clivage, et il semble désormais que toute action en justice du curatélaire est désormais soumise au contreseing du curateur (cf. Décret du 22 décembre 2008. Et si le curateur refuse son assistance « pour accomplir un acte pour lequel son concours est requis les textes nouveaux prévoient alors que la personne en curatelle peut demander au juge l’autorisation de l’accomplir seule ». Il faut admettre que la frontière entre droits patrimoniaux et extra patrimoniaux, qui avait le mérite d’être commune à l’exercice de l’action en justice dans le régime de la tutelle et dans celui de la curatelle, n’était pas toujours aisée à tracer117.

Déjà, sous l’empire des anciens textes, il avait été précisé que l’assistance du majeur sous curatelle par son curateur impliquait que les notifications d’actes de procédure soient être faites aussi à son curateur (cf. Civ. 1, 6 février 1996, B I n° 65, ex art. 510-2 c. civ.), ce qui donne corps à l’assistance qu’il exerce et que l’article 467 al. 3 c. civ. reprend à peine de nullité. Et il vient d’être précisé que « l'omission de la signification de l'assignation au curateur constitue une irrégularité de fond que ne peut couvrir l'intervention volontaire de celui-ci en cause d'appel à l'effet de faire sanctionner cette irrégularité » (Civ. 1, 23 février 2011, n° 09-13.867 D. 2011 p. 747).

Les majeurs sous sauvegarde de justice ont pour leur part le pouvoir d’agir seuls. Les personnes morales agissent quant à elles par l’intermédiaire obligé de leurs organes

sociaux… Voire dans l’hypothèse d’une faillite par l’intermédiaire de mandataires judiciaires. Le mandat est suivant les cas légal (société) ou conventionnel (association) et par conventionnel l’on entend qu’il peut résulter des statuts, notamment c’est dans les statuts de l’association qu’il convient de rechercher qui est habilité à la représenter en justice ( et à quelles conditions (autorisation préalable éventuelle de l’AG ou d’un conseil) (cf. Civ. 3, 1 juillet 2009 de pourvoi n° 07-21954, JCP 2009 I n° 47p. 453, qui se réfère explicitement aux statuts).

L’incapacité d’ester en justice pour celui qui est titulaire du droit renvoie dès lors à la nécessité de conférer à autrui un pouvoir d’agir en son nom et pour son compte. Le pouvoir apparaît alors comme un remède à l’incapacité qu’elle permet de compenser.

§ 2– Le pouvoir ou les formes de représentation en justice.

Que le personne soit incapable ou qu’elle ait décidé délibérément de recourir à un mandat, la représentation en justice peut prendre deux formes : la représentation à l’action, dite

117 V. Norguin, Focus sur la capacité d’agir en justice du majeur sous curatelle, D. 2010 p. 636.

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représentation ad agendum, et la représentation à l’instance, dite représentation ad litem. Les deux sont en pratique souvent confondues, alors qu’il s’agit de deux formes de représentation qui peuvent se cumuler parfois sur des têtes différentes… Ainsi celui qui est incapable d’exercer ses droits sera représenté à l’action par son tuteur son représentant légal, et à l’instance par un avocat.

Pour la première forme de représentation, les règles sont communes, quelle que soit la juridiction saisie, et figurent dans les codes substantiels (C. civ., article 1984 à 2010, ou C. com), tandis que pour les secondes, la réglementation est différente d’une juridiction à l’autre, et le mandant à l’instance est régi par le Code de procédure civile, en plus des textes généraux du Code civil sur le mandat.

A - La représentation ad agendum  :

Un tiers a reçu pouvoir d’agir au nom et pour le compte d’autrui, en demande, et en défense. Ce tiers ne pourrait prendre aucune initiative procédurale avant d’avoir obtenu son mandat. Mais une fois le mandat obtenu en bonne et due forme la personne du représenté passe au second plan pendant le cours de l’instance. Elle sera liée par le jugement rendu à l’issue de celle-ci.

Ce mandant peut trouver son origine dans la convention – notamment lorsque la personne n’est pas frappée d’incapacité d’exercice, ou dans l’hypothèse des actions en représentation conjointes déjà évoquées – ou encore dans la loi (représentation légale des parents pour leur enfant mineur) voire dans une décision judiciaire (nomination judiciaire du tuteur ou du curateur qui fixe ses pouvoirs, ou encore, mandataire ad hoc).

Du point de vue de son régime propre, le mandat pour agir est nécessairement écrit et spécial sans quoi la demande est nulle pour vice de fond, si c’est un mandat conventionnel.

Elle vient de préciser également qu’ « aucune disposition n'exige » que ce mandat qui en droit des sociétés peut se traduire par comme en l’espèce par une délégation du pouvoir de représenter la société en justice, organisée conventionnellement ou dans les statuts, « soit donnée pour une durée déterminée ». Il suffit alors qu’une telle délégation de pouvoir soit délimitée dans son objet et qu’elle ne traduise pas un désasisissement intégral ou trop important par un pouvoir de ses attributions légales.

A l’instar du mandat, la délégation de pouvoir peut donc être consentie pour une durée indéterminée118, dès lors qu’elle n’est pas irrévocable. Dans ce cas, en application de l’article 2003 du Code civil expressément visé par la décision commentée, la délégation de pouvoir prendra fin notamment par la révocation du délégataire ou la renonciation de celui-ci à la délégation qui lui est consentie. Il s’ensuit que, sous réserve de ne pas être brutale et donc abusive, le délégant pourra, comme tout mandant, révoquer la délégation « quand bon lui semble » (C. civ., art. 2004). Le délégataire est ainsi révocable ad nutum.

Un arrêt récent vient de juger que le défaut de pouvoir pour agir au nom d’un département (défaut d’habilitation du président du conseil général) est un vice dont ne peut se prévaloir le défendeur car seul le titulaire de l’action est protégée (Civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-20317, JCP 2013 1225). Cette solution qui s’inspire du droit des nullités relatives en droit des contrat et de l’idée d’ordre public de protection peut icic étonner dans la mesure où elle réduit les cas où ce vice de procédure sera sanctionné : un défendeur ne peut-il pas légitimement refuser de débattre avec une partie qui n’est pas habilitée à être son contradicteur. Au demeurant c’est bien la solution qui prévaut pour le défaut de pouvoir du syndic (s’agssiant de l’autorisation d’agir dont il doit être investi 119) depuis longtemps…

118 Notons, toutefois, que certains mandats particuliers sont obligatoirement conclus pour une durée déterminée. Par exemple, le mandat donné à un agent immobilier est nécessairement limité dans la durée (L. 2 janvier 1970, art. 7), sous peine de nullité (Cass. 1re civ., 6 déc. 1994: Bull. civ. I, no 356).119 (Cass. 3e civ., 7 nov. 1990, n° 89-12.380 et n° 89-12.419 : JurisData n° 1990-702939 ; Bull. civ. 1990, III, n° 222. - Cass. ass. plén., 15 mai 1992, n° 89-18.021 : JurisData n° 1992-001233 ; Bull. civ. 1992, ass. plén., n° 5. - Cass. 3e civ., 2 nov. 2011, n° 09-70.852 : JurisData n° 2011-024612, sol. impl.). Si chaque adversaire doit se prévaloir pour lui-même de l'irrégularité de la représentation (Cass. 3e civ., 16 oct. 1991, n° 89-17.166 : JurisData n° 1991-002489 ; Bull. civ. 1991, III, n° 240. - Cass. 3e civ., 9 avr. 2008, n° 07-13.236 : JurisData n° 2008-043516 ; Bull. civ. 2008, III, n° 67. - Cass. 3e civ., 10 juill. 2012, n° 11-16.245 : JurisData n° 2012-016183), il n'est pas contesté qu'il soit en droit de le faire.

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Et pour informer l’adversaire de l’existence de cette représentation la règle « Nul en France ne plaide par procureur » impose alors de faire figurer dans tous les actes de procédure, que le représentant agit en tant que tel et le nom et domicile du représenté. Il faut faire apparaître clairement qui est vraiment partie au procès. Le sens de cette maxime qui est et reste une règle non écrite de procédure civile (elle ne figure pas au cpc) a évolué au cours de l’histoire et n’a pris son sens actuel que vers le XV° s. Auparavant, elle impliquait une comparution personnelle devant le juge. L’exercice de l’action du droit d’action est délégué. Au demeurant, cette exigence formelle, sanctionnée par une nullité de l’acte de procédure, n’a vocation à s’appliquer qu’à la représentation conventionnelle, et non aux hypothèses de représentation légale ou judiciaire, notamment s’agissant des majeurs ou des mineurs, ou s’agissant des personnes morales. C’est un formalisme qui peut s’avérer lourd lorsqu’un nombre important de personnes sont représentées à l’action.

Le représentant figure à l’instance comme le dominus litis pendant le procès la personne du représenté passe au second plan, mais il engage son mandant et dès lors le jugement produira ses effets en la personne de la partie représentée.

1. La représentation en justice des mineurs et majeurs protégés

Le tuteur d’un mineur qui le représente peut sans autorisation introduire une action relative à ses droits patrimoniaux en vertu de l’actuel article 408 du Code civil, al. 2 en vigueur depuis le 1° janvier 2009 (anc. Art. 464) ; il pourrait même seul se désister de l’instance. Pour ce qui est des actions extrapatrimoniales, le tuteur ne peut agir qu’après autorisation ou sur injonction du conseil de famille. (repts légaux ?).

La solution est reprise dans les mêmes termes pour les majeurs protégés, dans l’actuel article 475 du Code civil, en vigueur depuis le 1° janvier 2009, et conduit à distinguer suivant que sont en cause des droits patrimoniaux ou extrapatrimoniaux (art. 504 c. civ.). …

Notons aussi que certains actes de disposition du droit d’action qui nécessitent l’autorisation du conseil des familles ou du juge des tutelles (art.505 et 506 cpc).

En cas de conflit d’intérêt entre le représentant légal du mineur et celui-ci il est prévu à l’article 388-2 du Code civil que le juge des tutelles, ou même le juge saisi de l’instance puissent désigner un mandataire ad hoc qui représentera alors le mineur. C’est alors une hypothèse de représentation judiciaire (mandat judiciaire à l’action).

2. La représentation en justice des personnes morales a - La représentation des sociétésLa représentation des sociétés, et en particulier des sociétés commerciales, est largement régie

par la loi en vue de renforcer la sécurité juridique, et la plupart des restrictions statutaires à ce pouvoir d’agir ne sont pas opposables aux tiers, sauf à ce que la loi les prévoit, afin de garantir là encore une plus grande sécurité.

Mais pour les sociétés il faut encore distinguer la représentation de la société lorsqu’elle est in bonis ou lorsqu’elle fait l’objet d’une procédure collective, puisqu’alors le débiteur se trouve largement dessaisi notamment des actions en justice afférentes à ces biens au profit des organes de la procédure, sachant justement que ce dessaisissement n’est pas total, comme la jurisprudence le fait apparaître.

Lorsque la société est in bonis Ainsi, on distingue en droit des sociétés l’action ut universi qui est celle engagée par les

représentants de la société, lesquels ont en principe le monopole de son exercice, en tant que représentants légaux de celle-ci, pour obtenir réparation des préjudices subis par la personne morale, ceux que l’on qualifie de préjudices sociaux. Cette action dite sociale se distingue nettement de l’action exercée là encore par l’associé en réparation d’un préjudice individuel qu’il subirait personnellement du fait de la faute d’un dirigeant, et qui peut être exercée devant les tribunaux civils, voire devant les tribunaux répressifs, par le biais de l’action civile, lorsque le fait dommageable reçoit une qualification pénale. Mais cette dernière action s’avère en réalité très difficile à mettre en œuvre, car elle suppose la démonstration d’un intérêt personnel et donc d’un préjudice individuel, distinct du préjudice éprouvé par la société. Or, il est vrai que bien souvent les préjudices subis par la personne

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morale rejaillissent sur les associés comme par ricochet, et de tels préjudices ne seront pas, en fait, considérés comme des préjudices individuels distincts.

Le système du mandat ad hoc soit un mandat judiciaire peut aussi jouer pour les personnes morales, et notamment, en droit des sociétés, en cas de paralysie des organes sociaux, pour exercer l’action en justice de la personne morale. Ce recours au mandat ad hoc est aussi utilisé lorsque l’entreprise connaît des difficultés financières et est soumise à une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.

Un arrêt récent est ainsi venu repréciser que le directeur général d’une SA tient de la combinaison des articles L. 225-51-1 et L. 225-56 c. com. le pouvoir d’ester au nom de la société, et notamment d’effectuer, en application de l’article L. 621-43 de ce code des déclarations de créances au nom de celle-ci. Il ne peut être apporté de restriction à ce pouvoir que par une délibération expresse du CA de la SA en ce sens ou par une clause des statuts (cf. Com. 10 février 2009, D. 2009 p. 627).

En revanche, si les statuts prévoient que l’exercice de l’appel ne peut être fait que par le président sur autorisation du Conseil d’administration, le fait de n’avoir pas eu recours à cette autorisation préalable rend l’appel irrecevable, faute de pouvoir, ce qui constitue une irrégularité de fond, peu important à cet égard que l’acte d’appel ait été formalisé par un avocat, doté d’un mandat ad litem… Dans cette décision la différence des deux types de mandat apparaît nettement (cf. Soc. 5 décembre 2007, Proc. 2008 n° 33). L’absence de l’un ne peut être couverte par la présence de l’autre. Il existe une hiérarchie entre les deux… Le mandataire ad litem ne peut accomplir les actes de procédure au nom de la personne morale que s’il tient son pouvoir de la personne physique habilitée à agir en justice au nom et pour le compte de la société. Le mandat ad litem ne sert à rien si la personne physique qui a investi l’avocat n’avait pas préalablement les pouvoirs d’engager à elle seule la société dans l’action.

Lorsque la société fait l’objet d’une procédure collective Lorsque la société (ou plus largement la personne morale si elle relève du droit des

procédures collectives) fait l’objet d’une procédure collective, le débiteur se trouve largement dessaisi notamment des actions en justice afférentes à ces biens au profit des organes de la procédure, sachant justement que ce dessaisissement n’est pas total, comme la jurisprudence le fait apparaître. Ainsi l’article L.641-9 c. com. énonce-t-il que « le jugement qui ouvre la liquidation emporte dessaisissement du débiteur de plein droit à partir de sa date ». Cette mesure s’analyse « comme une incapacité de protection » : c’est une mesure de défiance à l’égard du débiteur , de protection de son patrimoine et du droit de gage général de ses créanciers (d’ailleurs la sanction de ce dessaisissement est une inopposabilité dont seul le liquidateur peut se prévaloir (CE  21 juin 2000, RTDCom. 2000 p. 1020 obs. JL Vallens Et plus récemment Com 13 avril 2010, Droit des sociétés Janv. 2011 n° 16, RJDA 2011 n° 173, Com. 14 décembre 2010 n° 10-10792, Droit des sociétés Janv. 2011 n° 59. Elle renvoie donc aussi à la dimension collective de la procédure et à sa finalité particulière dans le cadre d’une liquidation… Mais on a rangé cette hypothèse parmi les hypothèses non de représentation proprement dite mais de qualité pour agir… En effet on se dégage ici des règles du mandat, ou alors ce serait un mandat judiciaire. Mais l’idée ici est bien plutôt de priver le débiteur de son droit d’agir alors qu’il y a intérêt en vue de préserver les intérêts des créanciers à agir en les représentant collectivement, soit en ne leur permettant pas d’agir individuellement.

Et la Cour de cassation a pu juger qu’en raison de ce monopole et compte tenu de la finalité de la représentation ainsi instituée, aucun créancier ne peut exercer pendant la durée de la liquidation les droits et actions du créancier par la voie oblique selon la Cour de cassation (cf. Com. 3 avril 2001, Bull. IV n ° 71D. 2001 AJ 1728, RTDCom. 2001 p. 771 obs. JL Vallens, RTDCiv. 2001 p. 882 obs Mestre et Fages). Sachant qu’il est aussi possible de demander le remplacement du liquidateur (cf. art. L 641-1 c.com.).

Concrètement, le débiteur est donc représenté tant en demande qu’en défense par le liquidateur, le débiteur ne peut pas davantage exercer les voies de recours seul (CA Paris 12 juillet 1988, D. 1989 Somm. 10 oobs. Derrida), ni même exercer un pourvoi en cassation si ce n’est pour exercer un droit propre, faute de quoi le pourvoi serait irrecevable (Com. 30 janvier 2007, Bull. IV n°

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14, D. 2007 AJ 509, GP 2007 13 et 14 avril 2007 p. 25)120. Mais l’exercice de l’appel par le liquidateur doit alors se faire dans les délais requis (Com. 10 décembre 2003, Bull. IV n° 204).

Et les actions en cours lors de l’ouverture de la procédure collectives sont interrompues et reprises par le liquidateur. Un arrêt en 1991 a même précisé que l’instance était interrompue par le jugement de liquidation, et qu’elle devait être reprise par le débiteur ou à son encontre faute de quoi la décision prise serait réputée non avenue (Civ. 2. 6 mars 1991, Bull. II n° 81, D. 1992 Somm. p. 88 obs. Derrida).

Et les significations faites par le débiteur dessaisi sont nulles et ne peuvent faire courir le délai d’appel contre le destinataire de l’acte (Com. 28 juin 1994, RJDA 1995 n° 73), elles ne peuvent être faire que par le liquidateur. Il en irait de même d’ailleurs de tous les actes de poursuite exercés contre le débiteur seul (Com. 1° octobre 2002, RDBF 2003 p. 105 n. F-X. Lucas).

Et le liquidateur doit toujours être appelé à l’instance même si l’action est exercée par l’épouse du commerçant contre son époux afin d’obtenir une pension alimentaire (Com. 20 janvier 1987, Bull. IV n° 24).

En cela la procédure de liquidation se distingue de celle de sauvegarde, où il n’y aucun dessaisissement du débiteur, l’administration de l’entreprise restant assurée par ses dirigeants (art. L622-1 c. com.), si des administrateurs sont nommés ils n’ont qu’une mission de surveillance ou d’assistance ou de redressement pour lequel le législateur a conçu une formule souple permettant une adaptation à chaque cas d’espèce susceptible d’évoluer au gré des circonstances) la mission des administrateurs y est fixée par le Tribunal et est plus ou moins étendue pouvant se limiter à l’assistance (et non la simple surveillance comme dans le cas précédent) ou s’étendre à l’administration et opérant de ce fait un dessaisissement plus ou moins étendu suivant les termes du jugement (art. L. 631-12 et R 622-1 c. com cf. JJJ 3). Et l’appel formé par le débiteur sans l’assistance de l’administrateur désigné pour accomplir les actes de gestion ne peut être régularisé que par l’intervention de l’administrateur avant l’expiration du délai pour former ce recours, que la signification du jugement à ce destinataire a fait courir (Com. 12 juin 2001, Bull. IV n° 117, RTDCom. 2001 p. 775 N. JL Vallens, D. 2001 AJ 2301 obs. Lienhard). Malgré le dessaisissement il a été jugé que le débiteur dispose d’un droit propre d’exercer un recours contre la décision modifiant la mission de l’administrateur(Com. 17 juillet 2001, Bull. IV n° 149, D. 2001 AJ 2677 obs. Lienhard, JCPE 2002 n° 3 p. 126 n. Cabrillac, Dr des sociétés 2002 n° 8 n. Legros, RJCom. 2002 p. 185). Effet du jugement arrêtant le plan sur les pouvoirs du débiteur L 626-25 c. com.).

La continuité de la personne morale et le changement de représentant de celle-ci Un auteur soulignait récemment que le changement de représentant de la personne morale ne

nécessitait pas au sans procédural de faire « intervenir »  à l’instance le nouveau représentant qui n’est pas une nouvelle partie au litige nom de la continuité de la personne morale. Tout au plus l’instance est elle interrompue tant que la personne morale n’a plus de représentant (Civ. 3, 14 janvier 1999, n n° 97-18008, Bull. III n° 101) elle est reprise à l’entrée en fonction de son successeur (C. Atias, Le changement de représentant d’une PM en cours d’instance, D. 2013 p. 186). Et si le représentant devait se munir d’uan autorisation spéciale pour agir en justice, celle de son prédécesseur permet au successeur de poursuivre l’instance (cf. Civ. 3, 6 décembre 2006, n° 05-16949 et Civ. 3, 8 septembre 2010 n° 07-14027).

b – La représentation des associations

Le système est moins clairement établi pour les associations et il convient alors de s’en référer aux statuts mais il arrive que la jurisprudence voit dans le président de l’association le représentant légal de celle-ci.

120 Sur l’irrecevabilité d’un dire du débiteur dans le cadre d’une vente aux enchères publique autorisée par le juge commissaire. (Com. 2 avril 1996, Bull. IV n° 102 et Com. 7 décembre 1999, RJDA 2000 n° 320 et Procédures 2000 n° 64, Com. 3 décembre 2003, RDBancaire 2004n° 86, ou l’irrecevabilité d’un incident de saisie immobilière formé par le débiteur dessaisi à l’occasion d’une telle vente Com. 18 janvier 2011, D. 2011 Actu 368.

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Le cas échéant, une délibération spéciale de l’assemblée de la personne morale donne mandat à telle ou telle personne pour la représenter en justice.

De la même manière, la représentation légale du comité d’entreprise n’est pas organisée par la loi… Il faut alors se montrer plus prudent dans la vérification des pouvoirs qui doit dès lors être systématiquement faite.

Pourtant, la représentation à l’action, d’un mineur ou d’une personne morale par exemple, pourrait se combiner parfois avec une autre représentation, à l’instance cette fois, par un avocat, notamment.

B - La représentation ad litem  :

Pour améliorer le fonctionnement de la justice, il est parfois nécessaire que les parties soient assistées (art. 412 cpc) ou représentées (art. 411 cpc). Cette représentation emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandataire qui exerce l’action, les actes de procédure.

La représentation en justice consiste alors non pas à exercer le droit d’action du représenté, mais plus simplement à accomplir les actes de procédure en son nom et pour son compte… L’objet plus circonscrit de cette seconde forme de représentation conduit à la qualifier de représentation à l’instance. C’est le titulaire du droit d’action qui l’exerce lui-même et qui reste le dominus litis.

Les auxiliaires de justice exercent souvent comme mandataires ce mandat ad litem, qui peut être, suivant les cas, et suivant les tribunaux, obligatoire ou facultatif. Mais le mandat ad litem peut parfois être confié à d’autres : syndicats devant les CPH, concubin ou copacsé devant le TI (art. 828 cpc), voire de simple particuliers.

Ainsi, le recours à la représentation ad litem est encadré par la loi… Les hypothèses de représentation obligatoire coïncident en réalité avec les procédures les plus complexes telles que la procédure devant le TGI et se comprennent dès lors aisément. Au contraire, devant d’autres tribunaux (CPH art. R. 1453-1 et 2121 c tr et TPBR, R. 516-4) la comparution des parties est de mise pour favoriser la conciliation des parties… La représentation des parties y est alors plus limitée sans être exclue.

Pour les CPH comme pour les TPBR et d’autres tribunaux spécialisés, la liste des mandataires possibles est limitativement énumérée….

Ainsi, il résulte de l'article 828 du code de procédure civile que les parties peuvent, devant la juridiction de proximité, se faire assister ou représenter par un avocat, leur conjoint, comme il est dit à l'article 2 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, leur concu -bin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité, leurs parents ou alliés en ligne directe, leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus, les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise. Le représentant, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial. En retenant, pour décider qu'il avait qualité à agir au nom des bailleurs et à les représenter à l'audience dirigée contre leur locataire, que le gérant d'une société justi -fiait d'un mandat de gestion pour le compte desdits bailleurs, sans constater qu'il entrait dans l'une des catégories autorisées à les représenter, une juridiction de proximité viole ce texte (Civ. 3, 5 septembre 2012, n° 11-20.369, D. 2012 p. 2099).

Pendant longtemps en appel la représentation ad litem était réservée aux avoués, mais la profession a disparu au 1° janvier 2012, et la représentation en appel est le fait de l’avocat. Seule la représentation devant la Cour de cassation et le Conseil d’Etat est contrainte et passe nécessairement

121 Ainsi si les parties comparaissent en principe elles-mêmes elles sont en mesure de se faire assistées. « Les personnes habilitées à assister ou à représenter les parties sont :1° Les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d'activité ;2° Les délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés ;3° Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ;4° Les avocats.L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établisse-ment ».

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par les avocats aux conseils qui disposent en la matière d’un monopole sauf les rare hypothèses où la représentation n’est pas obligatoire devant ces hautes juridictions.

Le principe veut que, dans les limites des contraintes imposées par les textes, le choix de ce mandataire ad litem est libre. Ce principe découle de la liberté d’agir en justice, il en fait un contrat conclu intuitu personae. Ainsi le décès de la partie ou du mandataire le rend caduc… C’est aussi ce qui le rend révocable ad nutum… C’est aussi ce qui justifie que ce mandat doit être personnellement exécuté par le mandataire (avocat) qui ne peut se substituer un tiers sans l’accord de son mandant.

On ne peut se faire représenter que par un mandataire ad litem. Et si le mandataire ad litem peut quant à lui représenter plusieurs plaideurs il ne doit pas représenter des intérêts opposés.

Le mandat ad litem est général. Il couvre tous les actes de procédures. Ce pouvoir est d’ailleurs aussi un devoir. Il n’en demeure pas moins que certains actes de procédure nécessitent parfois un pouvoir spécial (serment décisoire, inscription de faux).

Ce mandat prend fin après l’exécution du jugement, ainsi il couvre tous les actes postérieurs au jugement et destinés à le rendre exécutoire (notifications). Au-delà il faut justifier d’un nouveau pouvoir. Et l’exercice de l’appel qui entraîne l’ouverture d’une nouvelle instance nécessitera le choix de nouveaux représentants. C’est le titulaire de l’action qui exerce l’appel.

Le mandant peut également comme tout mandataire révoquer ce mandat ad litem au cours de l’instance…

Et le mandataire engage sa responsabilité (contracutelle 1147 c. civ.) s’il manque à ses obligations (de diligence et d’information) sachant que les obligations qu’il assume sont principalement de moyens mais que son office s’est alourdi notamment avec le principe de concentration des moyens de sorte que les hypothèses où sa responsabilité est susceptible d’être engagées su l’un ou l’autre de ces fondements deviennent assez fréquentes.

Cette responsabilité se prescrit par 5 ans en vertu de l’article 2225 c. civ., elle relève de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance…

Le mandataire doit pouvoir justifier de son mandat. L’avocat est toutefois dispensé de la preuve de ce mandat en vertu de l’article 416 à l’égard du juge, ils sont crus ‘sur parole’ dit-on, ou ‘sur leur robe’. Et devant les juridictions où la représentation est obligatoire les avocats doivent faire acte de constitution avant toute autre chose…

Une fois les questions de validité de la demande réglées reste à se demander quelles formes elle peut revêtir.

Section 2 : Les modalités de la demande 

La demande est l'acte juridique par lequel un individu soumet au juge sa prétention, le litige qu'il entend faire trancher. C'est donc un acte de manifestation unilatérale de volonté qui permet au juge de connaître de la prétention. Cela ne préjuge en rien du sort de la demande, qui pourra être rejetée parce que non fondée, parce que le droit d'action n'existe pas et qu'elle est irrecevable ou encore parce qu'elle ne respecte pas les formes prescrites par le Code de procédure civile.

La demande formalise dès lors la mise en œuvre du droit d'action. Mais elle se distingue de l'action puisqu'elle peut être formulée alors que le droit d'action n'existe pas ce que le juge constatera ensuite.

§1 - Les différentes formes de demande

La mise en œuvre de l’action doit être envisagée tant du côté du demandeur que du côté du défendeur, tous deux parties au lien d’instance, c’est pourquoi il convient d’envisager les demandes d’une part, et les différents moyens de défense soit la riposte à la demande, d’autre part.

A- Les demandes

Le pluriel est ici de mise parce que les demandes revêtent des appellations les plus diverses en pratique et que, parmi elles, il faut distinguer la demande initiale ou principale de la demande

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incidente, qui chronologiquement intervient dans un second temps. Ces deux types de demandes sont expressément envisagées par le cpc, elles seront distinguées des demandes subsidiaires auxquelles la pratique recourt même si elles ne sont pars formellement envisagées par le Code de procédure.

1. La demande initiale (ou principale) est celle que l’on qualifie parfois de demande introductive d’instance. Il s’agit de celle par laquelle le ou les plaideurs conjointement prennent l’initiative d’un procès (art. 53 cpc). - Elles peuvent revêtir plusieurs formes et plusieurs qualifications qui varient suivant les juridictions

saisies. Unilatérale : c’est l’assignation – par acte d'huissier - ou la requête signifiée par le demandeur au défendeur, ou encore la déclaration au greffe voire la comparution volontaire devant le juge. Elle peut être bilatérale, et c’est une innovation du cpc : il s'agit de la requête conjointe (art. 54 à 58 cpc).La déclaration de créance est aussi considérée aujourd’hui, dans le cadre des procédures collectives, comme une forme de demande particulière par laquelle le créancier fait connaître à la procédure qu'il est créancier et qu'il entend poursuivre le paiement de sa créance et avoir droit au moins à sa part du boni de liquidation. Il en résulte que assimilée à une demande en justice elle produit aussi interruption du délai de prescription cf. Com. 17 déc. 2009. Pourvoi n° 08-16605, JCP 2010 n° 401 11. n. M. Cabrillac). Mais cette assimilation a aussi des implications quant aux personnes susceptibles d’effectuer la déclaration de créance, notamment les tiers qui doivent disposer en vertu des règles applicables au mandat ad litem d’un pouvoir spécial d’agir en justice. Pourtant cette qualification de la déclaration de créance comme demande fait à l’heure actuelle l’objet de contestations cette qualification étant jugée inadaptée. Les auteurs soulignent alors que la déclaration de créance renvoie essentiellement à une démarche probatoire, on pourrait même dire conservatoire, et que historiquement sa qualification comme demande en justice n’est apparue nécessaire qu’en considération des sanctions lourdes finalement attachées par la loi de 1967 et surtout de 1985 au défaut de déclaration de créance non plus une impossibilité de participer aux dividendes de réparation mais une extinction de la créance (P.-M. Le Corre, Déclaration, vérification, admission des créances et procédure civile, LPA 28 nov. 2008, p. 72 ; J.-L. Vallens, La déclaration de créance n'est pas une de demande en justice, RTD com. 2009. 214) voir aussi Com. 3 juin 2009 n° 08-10.249 (n° 506 F-D) Dalloz 2009 p. 1691). Pourtant, les réformes récentes ont conduit à revoir ces sanctions à la baisse et à retenir que le défaut de déclaration n’était plus sanctionné par une extinction de la créance mais simplement par une interdiction de participer à la répartition du boni de liquidation. Cela pourrait conduire à repenser le statut de la déclaration de créance, et à assouplir les règles relatives au pouvoir de procéder à la déclaration de créance lequel pourrait procéder d’un mandat plus général… sans pour autant remettre en cause le statut de la décision du juge commissaire relative à la déclaration de créance qui resterait une véritable décision de justice. La Cour de cassation pourtant de nouveau saisie de cette question, maintient sa position en affirmant de nouveau que la déclaration de créance « équivaut à une demande en justice » (AP 4 février 2011, pourvoi n° 09-14619, D. 2011 p. 439 n. A Lienhard) tout en assouplissant son régime probatoire du mandant puisqu’il peut être justifié de ce mandant jusqu’au jour où le juge statue, alors que la jurisprudence antérieure exigeait qu’il soit produit en même temps que la déclaration de créance ou du moins dans le délai de celle-ci. C’est donc un irrégularité de la demande qui peut être régularisée bien tard !

- Son statut de demande initiale permet de fixer l'objet du litige et l'étendue de l'office du juge, même si celui-ci peut évoluer par la suite du fait des demandes incidentes il devra être lié à cette demande initiale. La demande initiale commandera la recevabilité des demandes incidentes.

2. La demande incidente est quant à elle formée à l’occasion d’une demande principale, par le demandeur, le défendeur ou un tiers (art. 63 cpc). Elles ne sont alors recevables que si elles se rattachent par un lien suffisant à l’instance initiale comme l’énonce l’article 70 du cpc et 325 cpc – cela renvoie à la notion de connexité122. En effet, elles permettent certes de faire l’économie d’une procédure supplémentaire et de préserver une certaine cohérence à la solution rendue qui sera globale, mais elles ne doivent pas conduire intégrer au procès des questions sans lien les unes avec les autres, auquel cas les demandes incidentes viendraient perturber l’instance initiale.

122 A ne pas confondre avec l'exception de connexité au sens procédural du terme.

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La connexité renvoie en effet à lire le Code de procédure civile à un lien tel qu’il est de bonne administration de la justice que toutes les questions soient instruites et jugées ensemble (c’est la définition qui en est donnée à propos de l’exception de connexité et qui peut parfaitement être reprise).

Si ce lien de connexité n’existe pas cela ne signifie pas que le droit d’action n’existe pas, cela traduit juste que la demande doit être reformulée dans le cadre d’un autre procès distinct, en tant que demande initiale.

Elles traduisent au fond l’évolution de la matière litigieuse de l’objet du litige au cours de l’instance.

Il en existe plusieurs variétés.* Il s’agit par exemple de la demande reconventionnelle formée par le défendeur qui veut

obtenir autre chose que le simple rejet de la prétention par le demandeur, comme par exemple, la condamnation du demandeur initial à son profit à lui, défendeur à la demande initiale. Ainsi, par exemple, , comme par exemple, la condamnation du demandeur initial à son profit à lui, défendeur à la demande initiale ainsi la caution qui était actionnée en paiement de la dette principale, peut à titre de demande reconventionnelle invoquer la faute du créancier principal qui lui demande le paiement parce que par son comportement il lui a fait perdre les recours subrogatoires et demander que cette condamnation se compense avec ce qu’il lui doit au titre du contrat de cautionnement, la Cour de cassation a pu qualifier ce type de défense comme une demande reconventionnelle, soit une véritable demande, qui obéit au régime des demandes accessoires et qui doit comme telle être liée à la demande initiale, soit aussi une demande qui produit sont propre effet interruptif de prescription, à la date où elle est formulé par le défendeur dans ses conclusions.

C’est une contre-attaque (Elle est évoquée à l’article 64 du cpc). Il demande autre chose. Dans l’exemple cité, au contraire, relèverait de la pure défense, sans demande supplémentaire, le fait de soutenir que la prestation a déjà été exécutée correctement, ou que le contrat ne contenait pas une telle obligation (contentieux de l’interprétation).

Cette demande reconventionnelle est parfois difficile à distinguer de la défense au fond de sorte que certains arrêt précisent cette distinction comme l’a fait récemment l’AP de la Cour de Cassation à propos d’une affaire concernant une promesse de porte fort (AP 22 avril 2011 LEDC juin 2011 n° 6 p. 3 n. G. Guerlin, D. 2011 p. 1870 n. O Deshayes et YM Laithier, JCP 2011 715 n. Y-M. Serinet).

Or, la qualification n’est pas neutre car, pour préserver les droits de la défense, les demandes reconventionnelles sont « faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes pré-vues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation  » (CPC, art. 68, al. 2). La demande reconventionnelle, est celle, « par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire » (CPC, art. 64). Tandis que la défense au fond, qui « peut être proposée en tout état de cause », tend simplement « à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire » (CPC, art. 72 et 71).

La Cour de cassation a déjà jugé qu’une exception de nullité du contrat devait être qualifiée de défense au fond (Cf. Cass. 3e civ., 16 mars 2010, n° 09-13187, LEDC juin 2010, p. 4, obs. O. Deshayes). En revanche, elle vient de préciser que si la demande de nullité n’est pas simplement faite pour rejeter les prétentions adverses, s’il s’agit par exemple de demander des restitutions en plus, c’est une demande reconventionnelle, soumise au régime procédural de celles-ci (AP 22 avril 2011, LEDC juin 2011 n° 6 p. 3 n. G. Guerlin, D. 2011 p. 1870 n. O Deshayes et YM Laithier, JCP 2011 715 n. Y-M. Serinet). Cela n’est pas absolument évident car on affirme aussi volontiers que les restitutions sont la suite logique de la demande en nullité et qu’elles n’ont pas de ce fait à faire l’objet d’une demande particulière, puisque les restitutions sont automatiques… Mais en l’occurrence cela permettait d’affirmer qu’une telle demande reconventionnelle devait être formulée contre toutes les parties à l’acte, dans les formes prévues à l’article 68 cpc, faute de quoi elle était irrecevable. Les demandeurs au pourvoi prétendaient quant à eux qu’il n’était pas nécessaire d’appeler en la cause les autres parties au contrat dans la mesure où ils n’était déduit de conséquence de la nullité de l’acte qu’à l’égard du demandeur…

La Cour de cassation vient de préciser que les demandes reconventionnelles, en première ins-tance comme en appel, peuvent être formées tant par le défendeur sur la demande initiale que par le

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demandeur initial en défense aux prétentions reconventionnelles de son adversaire (cf. Civ. 2, 10 janv. 2013, n° 10-28735), c’est donc à tort qu’une Cour d’appel a cru pouvoir déclarer irrecevable la de-mande reconventionnelle émanant du demandeur initial en se fondant sur l’adage reconvention sur re-convention ne vaut.

Cet adage traditionnel qui pouvait trouver un appui dans les termes de l’article 64 cpc qui défi-nit la demande reconventionnelle comme celle par laquelle « le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le rejet de sa prétention » , voyait sa valeur de principe contestée, compte tenu du caractère flou de la jurisprudence censée le consacrer qui émanait surtout des juges du fond, et no-tamment compte tenu de la consécration du principe de concentration des moyens et la fin de non-re-cevoir de chose jugée ont des contours élargis, c’est une manière ici d’adopter une interprétation des textes plus conformes aux exigences de l’accès au juge, intégrant l’incidence des évolutions du droit les unes sur les autres.

Ainsi l’évolution du litige en cours d’instance s’en trouve facilitée, ce qui est une bonne chose : la centralisation du contentieux a le mérite d’économiser une instance et de prévenir les contra-riétés de décisions. C’est une conception souple de l’immutabilité du litige qui est propre à la matière civile.

C’est une manière de relativiser la défiance traditionnelle à l’égard de ces demandes reconven-tionnelles et de gommer les frontières avec les demandes additionnelles.

Les positions respectives de demandeur et défendeur s’en trouvent moins figées.* Mais il peut s’agir aussi de la demande en intervention qui a pour objet de rendre partie à

l’instance quelqu’un qui n’y était pas initialement partie (art. 66 cpc). - Il devient alors partie de son propre chef, volontairement, c’est une intervention volontaire, lorsqu’il a un intérêt à émettre une prétention contre l’une des parties, il forme alors une intervention principale (art. 329 cpc) ou bien il souhaite tout simplement appuyer les prétentions de l’une des parties, par une intervention accessoire (art. 330 cpc). - Mais parfois cette intervention est forcée, lorsque l’une des partie l’a mis en cause en vue de sa condamnation aux côtés de l’autre partie au litige, notamment si elle l’appelle en garantie en tant que codébiteur solidaire ou in solidum (art. 330 cpc) … Ce tiers peut parfois faire l’objet d’une déclaration de jugement commun ce qui le privera de la possibilité d’agir en tierce opposition.

* Enfin, il peut s’agir de la demande additionnelle quelle que soit la partie (demandeur principal, défendeur, intervenant) elle s’adjoint en cours de route à sa demande initiale qu'elle modifie (art. 65 cpc). Par exemple, le demandeur avait agit initialement en exécution forcée il demande en plus des dommages intérêts pour compenser le retard dans l’exécution. Et le défendeur ferait de même en ajoutant à sa demande en nullité, celle de responsabilité pour dol dans la conclusion du contrat et donc de DI additionnels.

Quand la juridiction est-elle saisie d’une demande incidente, notamment lorsque la procédure est orale ? La Cour de cassation vient de répondre récemment à cette question épineuse, alors que le statut de l’écrit dans les procédures orales était encore largement obscur et ambigu. Elle y apporte une réponse intéressante qui montre son souci de respecter les garanties du procès équitable et de l’égalité des armes. Ainsi, elle a pu préciser que « Lorsque dans une procédure orale une demande incidente a été formulée par (l’intimé dans) un écrit déposé au greffe antérieurement au désistement d'appel, l'égalité des armes et l'exigence d'un procès équitable imposent qu'il soit statué sur la demande incidente soutenue à l'audience (cf. Chb. mixte, 13 mars 2009, n° 07-17670, Bull. Chb. mixte, n° 1, Proc n° 137 n. R. Perrot123). Longtemps il a été jugé en matière de procédure orale qu’une demande incidente n’est réputée avoir saisi le juge que du jour où elle a été présentée à l’audience. Il en résultait que si l’auteur de la demande s’était désisté avant l’audience, l’extinction de la demande principale faisait obstacle à l’examen de la demande incidente. C’est un arrêt de la Chambre sociale confirmé par l’arrêt précité de chambre mixte qui a fait évoluer les choses. Dès lors si la juridiction était valablement saisie de la demande incidente, le désistement de l’appel ne pouvait produire d’effet à son

123 Sur les conditions d'examen de la demande incidente formulée par écrit antérieurement au désistement d'appel, en sens contraire :2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 05-19.096, Bull. 2006, II, n° 266 (cassation sans renvoi) Sur les conditions d'examen de la demande incidente formulée par écrit antérieurement au désistement d'appel, à rapprocher :Soc., 14 mars 2007, pourvoi n° 05-42.379, Bull. 2007, V, n° 49 (2)(cassation partielle partiellement sans renvoi).

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égard, et le juge était encore tenu de se prononcer sur cette demande incidente en dépit du désistement de l’appel.

3. En pratique les plaideurs forment parfois aussi aux côtés de la demande principale une demande subsidiaire, c'est à dire une demande qui ne serait formulée que pour le cas où la prétention formée en première ligne serait rejetée. Et même si la catégorie des demandes subsidiaires n'est pas évoquée au cpc, il est important de savoir bien hiérarchiser les demandes pour respecter le principe de cohérence procédural (interdiction de se contredire au détriment d’autrui, estoppel francisé), et pour préserver le droit d'action (d'une éventuelle prescription ou autorité de la chose jugée opposée par la suite à une nouvelle demande tendant aux mêmes fins). Par exemple, la demande porte à titre principal sur la démolition du bien construit en contravention de certains engagements, et, à titre subsidiaire – le cas échéant – sur une indemnisation. Ou à titre principal sur la responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire sur la responsabilité délictuelle, si les conditions de la première n’étaient pas réunies, ce qui ne contredit pas la règle de non cumul des deux types de responsabilité, (cf. Com. 13 juillet 2010, n° 09-14985, JCP 2011 n° 435 1, RDC 2011 p. 51).

Et compte tenu de la portée accrue de la fin de non recevoir attachée à la chose jugée, la jurisprudence fait justement ressortir l’importance de ces demandes subsidiaires et s’y réfère dans ses décisions alors qu’elle est ignorée du cpc. Illustrations supplémentaire des apports de la pratique en droit judiciaire.

Cette notion de demande subsidiaire ignorée du Code est d’ailleurs appréhendée à par entière par la jurisprudence comme le précédent arrêt le montre et comme en atteste un arrêt du 11 mai 2011 (Civ. 3, 11 mai 2011 n° 10-14651, JCP 2011 1411 16° en vertu duquel en examinant en premier une demande subsidiaire en nullité pour erreur avant la demande principale de caducité, une cour d’appel modifie l’objet de la demande et viole partant le principe dispositif tel qu’énoncé à l’article 4 cpc. Ainsi le principe dispositif impose également le respect de la hiérarchie des demandes, et en particulier le caractère subsidiaire d’une demande (cf. AP 29 mai 2009, n° 07-20913, D. 2009 1618 et 2714, arrêt rendu au visa de l’article 4 cpc).

Le droit de discuter le bien fondé des prétentions, soit l’exercice de son droit d’action par le défendeur, s’incarne dans les moyens de défense, soit la mise en œuvre de l’action du côté du défendeur…

B - Les moyens de défense

Ces moyens de défense sont divisés en trois catégories bien distinctes aux effets et aux régimes nettement dissociés. Ils sont évoqués aux articles 71 s. cpc.

Ces défenses permettent de réagir aux attaques, aux assauts du demandeur – qu’il s’agisse du demandeur à la demande initiale ou à la demande reconventionnelle – soit le défendeur – chacune des parties occupant tour à tour suivant les chefs de demande cette position de défendeur dans la plupart des procès.

- Soit la demande est irrégulière elle n’a pas respecté les formes dans lesquelles elle devait être formulée – il s’agit d’une exception de procédure ;

- Soit la demande est irrecevable, sans davantage qu’elle soit examinée au fond, parce que le droit d’action n’existe pas, c’est une fin de non recevoir;

- Soit la demande est mal fondée les règles substantielles conduisent à rejeter les prétentions du demandeur…Cette distinction entre les moyens de procédure - exception de procédure et fin de non

recevoir - et la classification plus rationnelle ainsi présentée des moyens de défense, est une innovation majeure du cpc : elle renvoie directement à la démarche chronologique et rationnelle du juge qui d’abord examine si la demande est régulière en la forme, et si le droit d’action existe de part et d’autre, avant de la dire ou non fondée. Elle a apporté une clarification importante.

Au demeurant on constate aujourd’hui qu’avec l’importance croissante de la phase dite de mise en état (ou d’instruction en matière civile) cette distinction entre moyens de défense procéduraux qui ne touchent pas au fond du droit et qui correspondent à cette première phase et moyens de défense au fond renvoie à une réalité pratique et quotidienne des juridictions. Et le décret du 28 décembre 2005

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en conférant autorité de la chose jugée à certaines décisions du juge de la mise en état, consacre de fait cette scission du procès en 2 phases.

Examinons donc successivement ces moyens de défense en insistant à chaque fois sur les enjeux de régime qui s’attachent à chaque catégorie, une fois celles-ci définies.

1. Les défenses au fond

a - Définition : Les défenses au fond visent ainsi les moyens qui tendent à rejeter la prétention du demandeur

parce qu’elle n’est pas justifiée après examen au fond du droit (la dette est déjà réglée) – sur le terrain du droit substantiel (article 71 cpc).

Elles nous intéressent moins directement dans le cadre de ce cours de droit judiciaire et on les évoquera dès lors simplement pour les distinguer des autres. Un exemple typique en est l’exception de nullité (du contrat) opposée à une demande principale sur le fondement de celui-ci, le terme d’exception étant pris ici dans son sens général de moyen de défense.

b - Régime :Le Code de procédure civile aux articles 71 et 72 cpc précise néanmoins qu’elles peuvent bien

évidemment être invoquées en tout état de cause, jusqu’au denier moment où les conclusions sont recevables en première instance, voire pour la première fois en cause d’appel ou en cassation dans la mesure où elles ne constitueraient pas à ce stade un moyen nouveau. Il faut toutefois laisser un temps suffisant à l’autre partie pour préparer se défense… Leur importance justifie ce régime.

Elles sont de ce fait examinées en dernier quand on en vient à examiner le fond du droit, après avoir rejeté les défenses procédurales que sont les exceptions de procédures et les fins de non recevoir.

Mais contrairement à ce que laisse entendre l’article 30 l’action ce n’est pas seulement le moyen de contester le fond des prétentions, elle peut aussi être l’occasion de contester la recevabilité de l’action ou la régularité de la demande, deux moyens de défense qui n’y sont pas visés.

2. Les exceptions de procédure (art. 73 et 74 cpc et 112 s. cpc)

a - Définition :

Chronologiquement elles sont donc envisagées d’abord par le juge. Elles conduisent à déclarer la procédure irrégulière ou à en suspendre le cours (art. 73 cpc).

Plus précisément, il s’agit donc d’un moyen de défense strictement procédural, qui ne consacre pas une inexistence du droit d’action mais simplement une irrégularité de sa mise en œuvre, de sorte que l’action pourrait reprendre sont cours engagée par la suite sur de meilleurs rails. Elle tient par exemple à l’incompétence du juge initialement saisi.

Notons que l’exception de chose jugée ou l’exception de transaction ne sont pas des exceptions de procédure mais des fins de non recevoir, de même l’exception de nullité ou de compensation, sont des défenses au fond… Parfois, le terme d’exception est ainsi utilisé dans un sens plus large qui renvoie à celui de moyen de défense dans le langage courant…

La définition même qu’en donne le Code de procédure civile, ainsi que les exceptions de procédure dont elle envisage spécialement le régime, qui sont au nombre de 4, et qui n’ont pas de lien les unes avec les autres, font ressortir qu’elle renvoie à des hypothèses hétérogènes ? Qu’y a-t-il de commun entre une exception de nullité d’acte, une incompétence et une exception dilatoire (liée à une radiation de l’affaire à un sursis à statuer ou à une suspension de l’instance) ? Certains apportent alors, de façon pragmatique, aux exceptions de procédure une autre définition, en soulignant qu’il s’agir d’un moyen de défense strictement procédural, qui n’est pas une fin de non recevoir, la distinction entre les deux relevant en partie de choix de politiques juridiques et de radicalité de la sanction recherchée124. En effet sur le plan des effets de la sanction le Code les dote d’un régime largement commun.

La liste des exceptions de procédure est-elle limitative ? La question s’était posée sous l’empire de l’ancien Code et une réponse négative y était apportée de sorte que pouvait entrer dans

124 J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien 2006 n° 139.

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cette catégorie tous les obstacles temporaires à l’action. Le Code de procédure civile a pris le parti de ne pas énumérer dans un article spécifique les exceptions de procédures, se contentant d’une définition large mais aussi en réglementant spécialement cinq d’entre elles, l’exception d’incompétence, l’exception de litispendance ou de connexité qui seront envisagées dans la 2° partie de ce cours), les exceptions dilatoires et les exceptions de nullité (affectant des actes de procédure et non l’exception de nullité contractuelle que nous avons rangé parmi les défenses au fond).

Certains soutiennent que ces cinq cas forment une liste limitative. Cependant la pratique jurisprudentielle s’échappe de cette liste qu’elle considère comme

énonciative, s’appuyant en cela sur la large formule de l’article 73 cpc. La jurisprudence a ainsi pu classer parmi les exceptions de procédure, l’exception tirée de l’existence d’une clause compromissoire qui s’oppose à ce qu’une action soit portée devant les tribunaux étatiques (cf. Civ. 2, 22 novembre 2001 B. II n° 168, qui sanctionne le non respect d’une clause compromissoire comme une irrégularité de la procédure et non comme une fin de non recevoir, confirmé par Civ. 1, 31 janvier 2006 Bull. 2006 I n° 37 p. 37 et plus récemment Civ. 1, 3 février 2010 et Civ. 1, 14 avril 2010, Rev. Arb. 2010 p. 495, elle ne peut plus être soulevée une fois qu’il a été conclu au fond ou directement en cause d’appel), de même « le criminel tient le civil en l’état » est qualifié par la jurisprudence comme une exception de procédure, sanctionnée comme une irrégularité et non une irrecevabilité, elle droit dès lors être invoquée avant toute défense au fond125. Il en va de même de la caducité de l’assignation qui n’aurait pas été placée…

L’enjeu de cette qualification exception de procédure ou fin de non recevoir réside bien sûr dans le régime propre de chacune d’elles. Quel est-il ?

b - Régime :

Avec les exceptions de procédure, l’arrêt de la procédure n’est que momentané. Notons d’ailleurs que si l’exception de procédure était accueillie avec succès par un jugement

passé en force de chose jugée, le plaideur après régularisation de la procédure pourrait utilement recommencer sa demande et poursuivre l’action tout au moins si elle n’est pas prescrite. L’autorité de la chose jugée ne touche qu’à ce qui a été effectivement jugé, et le fond n’a pas été jugé.

Dans le souci d’éviter la chicane, le code de procédure a soumis ces moyens de défense strictement procéduraux à un régime rigoureux qui figure à l’article 74 cpc  mais qui comporte certaines exceptions.

* Le principe1. Ainsi, les exceptions de procédures doivent en principe être invoquées toutes ensemble

(exigence de simultanéité) et avant toute défense au fond ou fin de non recevoir (exigence d’antériorité). Pour traduire cette exigence d’antériorité on emploie la formule latine qui veut qu’elle soit envisagée au seuil du procès in limine litis.

Le mécanisme des exceptions de procédure n’est plus dans cette hypothèse enfermé dans la phase préliminaire du débat, au-delà le plaideur est censé y avoir renoncé… Cela se traduit formellement dans les conclusions des avocats par le fait que ces exceptions de procédure sont évoquées en premier avant les aspects de fond…

Si cette double exigence de régime n’était pas respectée, le moyen de défense tiré de cette exception de procédure serait jugée irrecevable, et comme tel, ne serait pas examiné par le juge. Ainsi, le moyen tiré du non respect de la double règle de l’article 74 est lui-même sanctionné par une fin de non recevoir, susceptible d’être invoquée pour la première fois en cause d’appel !

Si la procédure est orale après certaines tergiversations, la Cour de cassation est revenue à une position plus orthodoxe et apprécie l’antériorité en tenant compte du caractère oral de cette procédure (l’oral prime sur l’écrit (les conclusions écrites qui ne sont que facultatives). Ainsi, si le défendeur dépose des conclusions écrites avant l’audience, sans se prévaloir d’exception de procédure, et que lors de l’audience il soulève une exception de procédure, celle-ci sera recevable s’il a pris soin de la présenter oralement avant la défense au fond (cf. Civ. 2, 16 octobre 2003, B. II n° 311). Cela vaut notamment pour le tribunal d’instance et le tribunal de commerce… Certains arrêts avaient estimé que la présentation d’une défense au fond écrite rendait irrecevable la formulation orale ultérieure d’une

125 Civ. 2, 27 septembre 2012, Procédures 2012 n° 326.

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exception de procédure en s’en tenant à une chronologie stricte qui plaçait au même plan l’écrit et l’oral sans tenir compte de la spécificité de ces procédures orales….

Cela n’élimine pas pour autant tout débat sur les exceptions de procédure au stade de l’appel. Si l’exception en revanche a bien été soulevée au premier degré de juridiction avant toute défense au fond et qu’elle a été rejetée, elle pourra en revanche, être reprise en appel jusqu’aux dernière conclusions (cf. Civ. 2, 8 février 2001 JCP 2001 II 10633).

2. Pour les nullités affectant les actes de procédure et qui s’apparentent à des vices de formes l’exception de procédure ne sera en outre invoquée avec succès que s’il est démontré qu’elles causent un grief (Civ. 2, 13 novembre 2008, pourvoi n° 08-10411 P126).

Cependant, la règle de la simultanéité et de l’antériorité connaît quant à elle des exceptions.* Les exceptions- Pour ce qui est des exceptions de nullité relatives aux actes de procédure, il est assez

logiquement dérogé à ce principe parce qu’ils sont rédigés et élaborés tout au long de l’instance. Le régime général est alors adapté, l’article 112 du CPC énonçant qu’elles doivent être invoquées au fur et à mesure de l’accomplissement de ces actes. Elle sera couverte si, après l’acte nul, et avant d’avoir invoqué ce vice de procédure, une partie qui voulait l’invoquer a défendu au fond.

- Il existe au-delà de cette fausse exception qui fait davantage figure d’adaptation, où l’exception de procédure n’est pas enfermée dans un délai aussi strict de vraies exceptions. Il s’agit d’abord de l’exception de connexité qui peut en vertu de l’article 103 du cpc être soulevée en tout état de cause comme une défense au fond (lorsque deux affaires pendante devant deux tribunaux ont des liens tels qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les instruire et juger ensemble).Et la même exception est posée- la dérogation étant d’ailleurs plus importante, en pratique - à l’article 118 cpc des nullités des actes de procédure touchant au fond qui méritent une sanction plus systématique, parce que jugée plus graves. Le mécanisme des exceptions de procédure n’est plus dans cette hypothèse enfermé dans la phase préliminaire du débat (sont des irrégularités de fond celles visées à l’article 117 cpc soit essentiellement les hypothèses de défaut de capacité et de pouvoir  ; et il a été jugé récemment en chambre mixte que la liste de ces irrégularités de fond était limitative (cf. Ch. Mixte 7 juillet 2006, Bull. Mixte n° 6 JCP 2006 I 183 n. Serinet et II 10146 n. Putnam 127). Il n’est pas davantage requis dans cette hypothèse l’exigence d’un grief et même le juge pourrait relever d’office de vice de fond. On dit d’ailleurs souvent que le régime des nullités pour vice de fond des actes de procédure se rapproche sensiblement de celui des fins de non recevoir qu’il est temps d’envisager…

3. Les fins de non recevoir (article 122 s. cpc).Les fins de non recevoir quant à elles constituent une catégorie intermédiaire parce qu’elles

renvoient directement au droit d’action très lié on l’a vu au droit substantiel. Et ce statut intermédiaire va se traduire dans son régime et ses effets.

a - Définition :

La fin de non recevoir aboutit à contester l’existence même du droit d’action : elle se traduit alors par une irrecevabilité nous dit l’article 32 cpc. Le droit d’action n’existe pas, ou pas encore, voire il n’existe plus (il a disparu parce que l’action est prescrite ou la chose a déjà été jugée… Elles renvoient ainsi à l’hypothèse du défaut d’intérêt et de qualité (et non plus de capacité ou de pouvoir), à la prescription de l’action ou à l’écoulement du délai préfix puisque cette catégorie

126 « pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt relève que la déclaration d'appel ne mentionne ni la profession, ni la nationalité, ni les date et lieu de naissance de l'appelante et n'indique pas l'objet précis de l'appel et retient que le défaut de ces mentions est sanctionné par la nullité de l'acte » ; « Qu'en statuant ainsi, alors que les irrégularités qui affectent les mentions de la déclaration d'appel constituent des vices de forme qui ne peuvent entraîner la nullité de l'acte que sur justification d'un grief, la cour d'appel a violé les textes susvisé (l'article R. 142-28 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles 58, 114 et 933 du code de procédure civile).127 Et rappelant cette jurisprudence, cf. Soc., 2 décembre 2008, pourvoi n° 06-44962 « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seules affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du code de procédure civile ».

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controversée subsiste même après la réforme de la prescription de 2008 ainsi que l’exception de chose jugée.

La fin de non recevoir rendra l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen de celle-ci au fond justement parce qu’elle est fondée sur le défaut du droit d’agir. Mais a priori elle met un terme définitif à cette action qui ne pourra plus être réengagée faute de droit d’agir de l’intéressé… La demande ne pourrait plus être utilement reformulée par la suite. Cet échec définitif de la demande la rapproche, ce faisant, des moyens de défense au fond lorsqu’ils sont invoqués avec succès pour rejeter la demande.

Ces derniers moyens de défense ressemblent, en revanche, aux exceptions de procédure, en ce qu’ils sont examinées avant tout débat au fond : le fond ne sera d’ailleurs jamais examiné faute de droit d’action128…

La liste de l’article 122 qui les énumère est-elle limitative ? La jurisprudence semble se rallier à la position contraire. Ainsi, il a pu être jugé récemment que constituait une fin de non recevoir et non une exception de procédure le moyen tiré de l’immunité de juridiction (cf. Civ. 1, 27 avril 2004, B. I n° 114 et Civ. 1, 2 juin 2004, B. I n° 154), De même le moyen tiré de la suspension provisoire des poursuites pour le paiement des créances antérieures lors d’une procédure collective est une fin de non recevoir d’ordre public (cf. Com. 12 janvier 2010, pourvoi n° 08-19645).

Qui plus est, il est admis que la convention des parties peut en instituer. Ainsi, un préalable de conciliation stipulé comme obligatoire peut créer une fin de non recevoir qui serait opposée à celui qui croyait pouvoir s’y soustraire en saisissant directement une juridiction sans s’engager dans la voie du règlement amiable (cf. Chb. Mixte 14 février 2003, B. Ch. Mixte n° 1 voir aussi art. 2238 c. civ.). Pareillement, une fin de non recevoir calquée sur celle tirée de la chose jugée résulte de la transaction, en vertu de l’article 2052 du Code civil. La convention peut pareillement modeler les contours de la prescription (fin de non recevoir) et l’aménager sous certaines limites (article 2054 du Code civil). Enfin, la loi du 22 décembre 2010 a créé une convention de procédure participative (art. 2062 c. civ.) qui institue là aussi une fin de non recevoir conventionnelle, dont l’efficacité est subordonnée à l’exécution des engagements respectifs des parties. Elle rend partant irrecevable toute action engagée devant les tribunaux au mépris de l’engagement de négocier de bonne foi (art. 2065 c. civ.).

Certaines décisions de la Cour de cassation ont consacré une fin de non recevoir inspirée de l’estoppel anglais, en formulant une interdiction de se contredire au détriment d’autrui soit un principe de cohérence procédural alors que cette fin de non recevoir ne figurait pas initialement dans les textes du Code de procédure civile. Au lieu de se placer sur le terrain de la fraude ou d’invoquer certains adages comme « Nul ne peu se prévaloir de sa propre turpitude », la Cour de cassation a préféré dans certains cas prononcer directement une irrecevabilité, notamment à l’occasion de changement d’attitude procédurale au cours d’un procès ou de revirement brusque de stratégie au détriment de l’autre partie et qui la placeraient en difficultés (cf. Civ. 2, 20 octobre 2005, pourvoi n° 03-13932, JCP 2006 I 133 n° 14 et Civ. 1, 11 juillet 2006 cohérence du comportement d’une partie dans l’ensemble d’un procédure d’arbitrage et Civ. 1 6 juillet 2005, D. 2005 p. 2174 et plus récemment encore Civ. 1, 6 mai 2009 pourvoi n° 08-10281, JCP 2009 N° 50, 534 p. 12 arrêt qui se réfère directement à la notion d’estoppel). D’une certaine manière l’exigence de concentration des moyens depuis l’arrêt d’AP du 7 juillet 2006 rejoint les exigences de l’estoppel en obligeant le plaideur à une certaine loyauté procédurale : les deux ont un double fondement à la fois moral et économique (devant une justice engorgée par l’afflux des demandes). Et récemment elle consacrait comme un principe général du droit à par entière «  le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, en le visant directement pour prononcer une cassation129.

La contradiction entre plusieurs demandes pourrait de l’avis de certains suffire à traduire « un défaut d’intérêt légitime » (cf. av. général Boval p. 8 sous AP 27 février 2009).

128 Dans l’ancien droit (et en droit romain) elles étaient connues comme des exceptions péremptoires, pourtant le Code de procédure civile de 1806 ne les mentionnait pas129 Com. 20 septembre 2011, n° 10-22888, C. Marechal, L’estoppel à la française consacré par la Cour de cassation comme principe général du droit, D. 2012 p. 167.

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Les évolutions jurisprudentielles récentes conduisent à se montrer plus réservé sur cette nouvelle fin de non recevoir procédurale130. Et alors qu’elle semblait encore consacrer le principe de cohérence dans un arrêt du 28 janvier 2009131, la Cour de cassation a adopté une position nettement plus restrictive dans une décision rendue en AP le 27 février 2009 au visa de l'article 122 du code de procédure civile en énonçant « que la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ». La cour d’appel avait cru pouvoir prononcer une telle irrecevabilité en s’inspirant des modèles étrangers en énonçant « qu'il ressort de l'examen des procédures successivement menées en référé puis au fond par la société Sédéa que celle-ci n'a pas cessé de se contredire au détriment de ses adversaires, et retient que ce comportement doit être sanctionné, «en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d'autrui (théorie de l'estoppel)» » (cf. AP, 27 février 2009, p. n° 07-19841, D. 2009).

Cette position de retrait traduit sans doute la volonté de la Cour de cassation de ne pas porter une nouvelle atteinte au droit au juge (à l’article 6§1 CEDH) en allongeant la liste des fins de non recevoir, et en s’inspirant d’un outil qui ne correspond pas à nos traditions.

En revanche, l’arrêt rendu un mois auparavant - le 28 janvier 2009 par la 3° chambre civile - permet de souligner que le comportement procédural, un changement d’argumentation au détriment du cocontractant- peut être constitutif d’une faute susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de l’intéressé sur le fondement de l’article 1134 al. 3, soit l’exécution de bonne foi des conventions. Des réserves sur le recours à l’irrecevabilité, comme sanction qui n’excluent donc pas le recours à d’autres formes de sanction au fond, dans un second temps, ce qui est plus conforme au droit au juge et oblige le juge à exercer pleinement sa mission132…. Les arrêts qui stigmatisent comme fautif un changement d’attitude ou de comportement (procédural) ne visent pas directement le principe de cohérence ou l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui mais la bonne foi dans l’exécution. Et ce changement d’attitude pour constituer une entorse à la bonne foi, doit être intentionnel et compromettre de façon évidente les intérêts du cocontractant qu’il pouvait normalement espérer du contrat… Cette voie laisse au plaideur dont le comportement fautif est stigmatisé le loisir de montrer que son changement d’attitude repose sur de bonnes raisons et se justifie par exemple par les circonstances de l’espèce (cf. dans l’arrêt du 27 février 2009, il semble que c’était le cas justement voir n. G. Viney).

La Cour de cassation ne ferme toutefois pas entièrement la porte à cette irrecevabilité, si elle est écartée ici c’est parce que « les actions engagées par la société Sédéa » - et sur lesquelles il lui était reproché d’avoir eu des attitudes contradictoires, non-conformes au principe de cohérence - « n'étaient ni de même nature, ni fondées sur les mêmes conventions et n'opposaient pas les mêmes parties ». C’est donc la dernière demande qui entre en contradiction avec les précédentes qui serait irrecevable.

On le voit bien ici la consécration sans limites d’une telle irrecevabilité accroîtrait encore l’office des parties et les obligations mises à leur charge en dispensant le juge d’avoir à examiner certains moyens au nom de la loyauté et de l’efficacité mais au prix d’une entorse au droit au juge….

L’interdiction et la fin de non recevoir qui y est attachée renvoient dès lors à une notion de droit, dont les contours son étroitement contrôlés par la Cour de cassation. Il faudra pointer plus précisément les contradictions et non pas se référer vaguement à des attitudes contradictoires, comme avait cru pouvoir le faire la C. App. C’est une version francisée de l’estoppel ou interdiction de se contredire au détriment d’autrui qui joue davantage au fond que comme instrument de police processuel – lequel reste marginal... Et la Cour de cassation en a précisé récemment les contours de cette fin de non recevoir en définissant l’estoppel comme le comportement procédural « constitutif

130 Le lexique anglo français du conseil de l’Europe donne trois définitions à l’estoppel dont l’une serait la fin de non recevoir…131 Civ. 3e 28 janvier 2009 (07-20891) publié au bulletin Lorsqu’une compagnie d’assurances, après s’être prévalue de la nature décennale des désordres affectant une construction pour exiger le versement de primes majorées, conteste devant les juges du fond la garantie correspondante pour lui substituer la garantie « défaut de performance », moins onéreuse pour elle, viole l’article 1134 alinéa 3 du code civil la Cour d’appel qui, pour débouter l’assuré de sa demande de dommages et intérêts contre l’assureur, retient que l’attitude de cette dernière ne constitue pas une atteinte au principe de cohérence et n’est pas révélatrice d’une faute. RDC 2009 1/132 Déjà en ce sens Com. 8 mars 2005, B. IV n° 44.

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d'un changement de position, en droit, de nature à induire (l'adversaire) en erreur sur ses intentions ». (Civ. 1re, 3 février 2010, n° 08-21.288, D. 2010. 448, obs. X. Delpech, et 2933, obs. T. Clay).

Un arrêt récent en fournit un autre exemple. (Com. 20 sept. 2011, n° 10-22888 Interdiction de se contredire au détriment d’autrui cf. X Delpech D. 2011 p. 2345 n. X. Delpech, JCP 2011 n. D. Houtcieff, S. Amrani Mekki JCP 2011 p. 2493), consacrant la technique éprouvée de l’évolution par petits pas la Cour y admet cette fois que la fin de non-recevoir est acquise s’agissant d’une société qui se disait dépourvue de personnalité morale, alors même qu’elle avait déjà préalablement engagée un pourvoi en cassation et obtenu partiellement gain de cause. Ces deux comportements procéduraux sont alors jugés incompatibles.

L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui a sans doute une portée plus grande en matière d’arbitrage, où elle vient d’être consacrée par les textes récents de réforme de l’arbitrage et ne constitue plus dès lors une fin de non recevoir hors liste (Décret du 13 janvier 2011, art. 1466 en vigueur au 1° mai 2011). Avant cette date déjà nombre des arrêts de la Cour de cassation qui se référaient à la notion était rendu pour des procédures arbitrales. Et la notion d’estoppel, était directement invoquée alors même que cette référence pouvait paraître superflue (Civ. 1, 6 mai 2009 pourvoi n° 08-10281, JCP 2009 N° 50, 534 p. 12 n. Bolard, puisque la Cour de cassation refusait en toute hypothèse l’exequatur de la sentence au nom du principe d’ordre public international de suspension provisoires des poursuites). Pour des applications récentes de l’estoppel à l’arbitrage Civ. 1, 8 juillet 2010 n° 09-14280, D. 2010 p. 1886.

La référence à l’estoppel a en revanche été exclue en matière de procédure fiscale. On a pu également souligner que

Les fins de non recevoir constituent on le voit des instruments de police processuelle quand elles sanctionnent l’absence de l’une des conditions d’existence de l’action. Elles constituent plus largement un instrument de politique législative qui permet parfois de restreindre l’accès au prétoire pour diverses raisons, et notamment au service de certains enjeux de droit substantiels, pensons par exemple au droit de la famille, préserver la paix des familles, ou au droit des sociétés, pour restreindre les hypothèses de nullités des délibérations sociales….

Le Code de procédure civile de 1975 a doté ces fins de non recevoir d’un régime propre distinct de celui des exceptions de procédure pour tenir compte de ce statut particulier.

b - Régime :

Leur régime est complexe et traduit leur nature intermédiaire entre défense au fond et moyen purement procédural. Leur régime va même en se complexifiant ces derniers temps.

1. Elle peut dès lors à la différence des exceptions de procédure être soulevée en tout état de cause, elle n’a pas à être invoquée in limine litis (art. 123 cpc) et ne nécessite pas, pour être invoquée l’existence d’un grief. En cela elle se rapprocherait des défenses au fond. Comme les défenses au fond elle met d’ailleurs un terme définitif à l’instance.

Toutefois, elle est envisagée et tranchée avant examen de l’affaire au fond, ce qui conduit à l’envisager comme un moyen d’ordre procédural et à la rapprocher des exceptions de procédure.

Cela signifie concrètement dans les procédures écrites avec représentation obligatoire où une phase de mise en état est prévue que ce type d’exception est envisagé aujourd’hui devant le juge de la mise en état et non devant la juridiction de mise en état, sauf à ce que ces exceptions de procédure ne surviennent ou ne soient révélées ultérieurement (cf. Com. 4 juin 2013 n° 11-26961, JCP 2013 1225 3°)).

2. Il existe pourtant différentes catégories de fin de non recevoir, celles qui sont d’ordre public, celles qui sont d’intérêt privé et depuis peu une catégorie hybride de fin de non recevoir que le juge peut relever d’office sans en avoir l’obligation….

Les fins de non recevoir d’ordre public que le juge doit relever d’office sont plus exceptionnelles, on les trouve en matière d’état des personnes, ou dans certaines législations spéciales, en matière de presse, par exemple, ou en droit des procédures collectives la fin de non recevoir attachée à la suspension provisoire des poursuites a récemment été qualifiée de fin de non recevoir d’ordre public (cf. Com. 12 janvier 2010, pourvoi n° 08-19645, D. 2010 n. A. Lienhard), contrairement à ce qui résultait d’arrêts plus anciens qui la qualifiaient de fin de non recevoir d’intérêt

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privé (contra Ch Mixte 16 novembre 2007, Bull. n° 11). Cela impose désormais au juge de la relever d’office, et ce, en tout état de cause.

L’article 125 en donne deux autres exemples qui sont celui de l’absence d’ouverture d’une voie de recours133, ou celui de l’inobservation du délai dans lequel elle doit être exercée.

Et le décret du 9 décembre 2009 réformant la procédure d’appel a ajouté à cette liste l’irrecevabilité attaché à la nouveauté d’une prétention en appel : elle peut désormais être déclarée irrecevable d’office, y compris par le juge de la mise en état en appel, ce qui n’était pas le cas avant, la fin de non recevoir étant jugée d’intérêt privé et ne pouvant être relevée que par la partie intéressée. En revanche, l'article 564 du Code de procédure civile, en sa rédaction issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, ne confère au juge que la simple faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d'une demande en appel, qui n'est pas d'ordre public (Civ. 2, 10 janv. 2013, n° 12-11.667)

On pourrait alors penser que face à une fin de non-recevoir d’ordre public les parties peuvent rester passives et attendre la réaction du juge qui doit soulever d’office le moyen. Il n’en est pas tout à fait ainsi, comme le laisse apparaître un arrêt récent. Même si une fin de non recevoir tirée du droit de la consommation est d’ordre public – délai de forclusion de 2 ans pour les demandes de paiement de l’article L. 331-37 c. conso, il ne peut être faire reproche aux juges de ne pas l’avoir relevé d’office si le défendeur s’est abstenu d’invoquer les faits propres à caractériser cette fin de non recevoir et d’en rapporter la preuve (Civ. 1, 18 septembre 2008, Bull. I, n° 207, Proc n° 324).

Depuis 2004 le juge peut sans en avoir l’obligation relever d’office les fins de non recevoir tirées du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de chose jugée (décret du 20 août 2004 modifiant l’article 125 du Code de procédure civile). Et peu de temps après l’entrée en vigueur de ce nouveau régime, il a ainsi été jugé que le fait que le défendeur n’ait pas repris le moyen d’irrecevabilité dans ses dernières écritures ne privait pas le juge de la pouvoir soulever d’office cette fin de non recevoir134.

Reste en revanche une fin de non recevoir d’intérêt privé qui doit être invoquée directement par les parties celle tirée de la prescription (article 2247 du Code civil nouveau et article 125 cpc). De même la fin de non recevoir tirée de la règle d’unicité d’instance en matière prud’homale n’est pas d’ordre public, de sorte que le juge ne peut la relever d’office135.

3. Notons ensuite que la loi tente de purger la demande en justice des vices d’irrecevabilité dont elle pourrait être affectée. Ainsi, elle permet si la situation a pu être régularisée, au jour où le juge statue que la fin de non recevoir ne soit pas accueillie (article 126 cpc). Et il vient même d’être précisée que la fin de non recevoir pourrait être régularisée pour la première fois en cause d’appel (cf. Civ. 2, 12 juin 2008, Procédures 260).

4. Enfin, si la fin de non recevoir peut être soulevée en tout état de cause, le juge peut néanmoins condamner à des dommages-intérêts les plaideurs qui se seraient abstenus de l’invoquer plus tôt dans une intention dilatoire (article 123 cpc).

Dans la pureté des principes exception de procédure et fin de non recevoir renvoient à des situations bien différentes il arrive toutefois que les juges parlent d’irrecevabilité là où il n’y a qu’une irrégularité de procédure… le législateur lui-même entretient parfois ce type de confusions. Et il y a parfois des variations dans les qualifications ainsi après avoir pendant longtemps qualifié la règle le criminel tient le civil en l’état de fin de non recevoir elle tend maintenant à la qualifier d’exception de procédure. Et l’évolution s’est faite en sens contraire pour la clause de conciliation, sans doute à tort. Ce qui montre ici que les qualifications relèvent largement de choix de politiques juridiques.

De même, certains proposent de distinguer l’incompétence qualifiée d’exception de procédure de l’absence de pouvoir de juger, par exemple, si l’on saisit le juge des référés sur un droit qui n’est pas incontestable - il n’a pas le pouvoir de juger, seul le juge du fond a le pouvoir de le faire - qui serait une fin de non recevoir

133 Et pour une illustration récente de cette hypothèse cf. Civ. 2, 25 février 2010, n° 09-10403, D. 2010 p. 713.134 Civ. 2, 15 septembre 2004, Procédures 2005 n° 248 et Civ. 2, 15 septembre 2005, B. II n° 218, RTDCiv. 2005 p. 824 à propos de l’autorité de chose jugée135 Soc. 1 février 2011, n° 08-44568, Procédures 2011 n° 133.

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§ 2 - Les effets de la demande

Les effets de cet acte de procédure qu’est la demande sont de plusieurs ordres, à la fois procéduraux et substantiels. On peut en distinguer quatre.

1. La demande est d'abord la condition nécessaire de la saisine du juge (il n'y a pas ou presque plus d'autosaisine, peu compatibles avec le droit au procès équitable en matière civile, en témoigne encore le recul des auto-saisines en droit des procédures collectives (QPC du 7 décembre 2012).

Elle fait naître l'obligation pour le juge de trancher le litige : tout le litige mais rien que le litige et ce sous peine de déni de justice prohibé par l'article 4 du Code civil, dans le respect des limites de l’objet du litige fixé par les demandes des parties (principale et incidentes). Ainsi la demande fait naître le lien juridique d’instance et avec l’instance on passe du chiffre 2 au chiffre 3. Ce lien juridique d’instance fait naître à la charge du juge comme à la charge des parties une série d’obligations (respecter le contradictoire…). Les parties deviennent destinataires de nouvelles règles relevant du droit judiciaire. Ce lien juridique est généralement présenté aujourd’hui comme étant d’origine légale.

En réalité, plus précisément, la jurisprudence énonce en général que le juge n'est pas saisi à la date où la demande (l'assignation) est formée et notifiée à la partie adverse mais à celle où elle est remise au greffe. Dans un certain nombre de cas, la saisine du tribunal nécessite l’accomplissement nécessaire d’une formalité qu’on appelle le placement. Cette date marque alors le début de l'instance qui met à la charge des parties et du juge diverses obligations, notamment celle de « nourrir » l’instance de certaines diligences faute de quoi les parties encourent une péremption. Si la demande est la condition nécessaire de la saisine du juge elle n’est pas toujours suffisante, notamment chaque fois qu’ils est requis qu’elle soit « placée ».

2. La demande et son effet interruptif de prescription

Comme l'énonce l'ancien article 2241 du Code civil : « la demande en justice, même en référé, interrompt la prescription ». Et cet effet interruptif vaut tant pour la demande initiale que pour les demandes incidentes, au jour où elles sont faites.

Les droits substantiels du plaideur sont ainsi préservés contre les éventuelles lenteurs de la justice.

- Et l'article 2242 de préciser que cet effet interruptif se poursuit jusqu'à l'extinction de l'instance. La prescription reprendra son cours, pour un nouveau délai, si la demande est accueillie. Ainsi, elle joue jusqu’à ce que le litige trouve sa solution, y compris par l’effet des voies de recours et d’un pourvoi, soit jusqu’à ce que le jugement soit devenu définitif (irrévocable) par l’intervention de l’arrêt rendu sur recours

- Au contraire, cette interruption est remise en cause et réputée non avenue si la demande est rejetée définitivement nous dit l'article 2243 du Code civil, qui ne reprend sur ce point qu'en partie les termes de l'ancien article 2247 du Code civil. En effet, déjà avant 2008, si la demande était formée devant un juge incompétent, l’effet interruptif de prescription était maintenu, dans la mesure où le justiciable n’a pas à subir les méandres de l’organisation judiciaire136. En revanche, si la demande était rejetée pour un autre vice de procédure l’effet interruptif de la prescription était également non avenu, ce qui faisait du cas de l’incompétence une faveur dérogatoire. Or, plus généralement désormais, sous l'empire de la loi du 17 juin 2008, si l'acte de saisine est annulé par l'effet d'un d’un vice de procédure (article 2241 c. civ.). Au fond, les erreurs formelles de procédure et les erreurs de compétence sont comparables tant la procédure tend parfois à devenir complexe et il n’y avait pas lieu de les traiter différemment. Pourtant, il y a là une exception notable à la règle ancestrale selon laquelle ce qui est nul est de nul effet.

Au demeurant, un certain nombre de commentateurs soulignent que cette exception ne vaudrait que pour les nullités de demande purement formelles et non pour les nullités d’acte de procédure de fond, ce que la lettre du texte ne précise néanmoins pas expressément.

Elle a admis sous l’empire des anciens textes applicables à la cause que la citation en justice même devant un juge incompétent interrompait le délai de forclusion, lequel obéit pourtant à un régime original par rapport aux prescriptions (cf. Civ. 1, 9 juillet 2009 n° 08-16847 et plus récemment

136 Ch Mixte 24 novembre 2006, D. 2007, p. 1112 et JCP 2007 I 139 n° 14 et JCP 2007 II 10058.

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encore Civ. 3, 2 juin 2010, n° 09613075, Procédures n° 310) et a d’ailleurs été exclu du champ de la réforme de 2008. Peu importe également la nature de l’incompétence (d’attribution ou territoriale).

En revanche l’interruption sera non avenue si la demande est définitivement rejetée : entendez par là par l’effet de la prise en compte d’un moyen de défense au fond ou d’une fin de non recevoir développée par la partie adverse et retenue pour fonder la décision.

Cette interruption est pareillement non avenue et remise en cause si le demandeur se désiste de son action, ou s’il laisse périmer l’instance en accomplissant aucun acte de procédure (pour la faire vivre) pendant un délai de 2 ans137.

Comme la prescription est interrompue, mais qu’elle reprend son cours une fois la demande accueillie, et c’est le même délai qui recommence à courir (art ; 2231 c. civ.). La loi nouvelle a en effet supprimé l’interversion de prescription.

En revanche, l'effet interruptif ne tient qu'à l'objet précis de la demande ainsi formulée... Ainsi, assigner en bornage n'interrompt la prescription que pour cette action et ne vaut pas interruption de la prescription pour les actions tendant à la consécration du droit de propriété. Notamment cela n’interrompt pas la prescription pour déclarer non acquise la prescription trentenaire, car l’objectif de l’action en bornage est uniquement de fixer une ligne séparative entre deux fonds (cf. Civ. 3, 13 mars 2002, D. 2002 p. 2510). De même, « l'action exercée par la victime d'une maladie liée à une exposition à l'amiante devant la juridiction de sécurité sociale tendant à la déclaration de la faute inexcusable de l'employeur n'interrompt pas le délai de prescription de la demande d'indemnisation devant le Fonds dès lors qu'elle n'a pas le même objet et n'oppose pas les mêmes parties » (cf. Civ. 2, 3 juin 2010 n° 09-14605 Indemnisation des victimes de l’amiante et prescription).

Et cette notion d’identité de l’objet des demandes est importante puisqu’un arrêt récent souligne que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre (article 2244 du code civil), il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but. Il en va ainsi de l'action en production de décomptes de charges de copropriété rectifiés et en paiement de dommages-intérêts et de l'action en paiement des charges indûment perçues Charges de copropriété : extension de la prescription d'une action à l'autre, Civ. 3, 19 mai 2010, n° 09-12.689 (n° 618 FS-P+B, Recueil Dalloz 2010 p. 1419

La jurisprudence ajoutait également qu’il fallait que l’assignation – acte interruptif - soit portée personnellement à la connaissance du défendeur pour qu’elle produise cet effet. Il faut donc que la personne visée par l’acte soit le débiteur et non un tiers. Inversement l’assignation doit émaner du créancier pour produire son effet extinctif.

Cet effet interruptif était jusque là d'un effet propre de la demande en justice. Mais pour éviter que le recours aux techniques de conciliation et médiation ne s'avèrent être de véritables pièges pour les plaideurs, il a été ajouté que la demande de conciliation ou de médiation suspend le délai de prescription à l'article 2238 du Code civil. Le délai de prescription recommence à courir à l'issue de la médiation notamment si elle échoue mais il ne saurait alors être inférieur 6 mois à compter de la date ou l'une ou les deux voire le conciliateur, déclarent que la médiation ou conciliation est terminée. Ainsi on évite d'instrumentaliser le recours ces techniques de médiation et de conciliation138. 

Pareillement un acte d’exécution forcée interrompt la prescription (article 2244 c. civ.) ou par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit (2245 c. civ.).

3. La demande opère également mise en demeure

137 Et la caducité ??? Notamment lorsque l’assignation doit être placée et qu’elle ne l’est pas la Cour de cassation considérait qu’une assignation non placée – cette exigence s’applique désormais devant le TGI devant le TI et devant le TC - n’avait pu interrompre la prescription alignant les caducités sur les péremptions . Et le texte n’a pas repris formellement cette hypothèse de la caducité se bornant à envisager la seule péremption. cf. Amrani Mekki, Liberté simplicité, efficacité, la nouvelle devise de la prescription, JCP 2008 I 160.138 Mais déjà la jurisprudence avait ouvert une brèche en admettant que la liste des actes susceptibles d’interrompre la prescription fixée à l’article 2244 n’était pas limitative, et que la convention des parties, au-delà de la seule assignation en justice pouvait prévoir qu’une lettre de relance pouvait valoir interruption de la prescription (cf. Civ. 1, 25 juin 2002, B. I n° 214, D. 2003 p. 155), ce qui ouvrait la voie à la solution énoncée. L’intérêt ici c’est que même en dehors des prévisions des parties et d’une clause spécifique en ce sens, la prescription est suspendue, c’est un effet propre de la volonté concordant des parties de recourir à la médiation.

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Elle fait de ce fait courir les intérêts de retard. C’est ainsi qu’en matière contractuelle on admet traditionnellement que celui qui a assigné en résolution judiciaire du contrat est dispensé d’une autre mise en demeure pour une demande subsidiaire portée sur le terrain de la responsabilité contractuelle et portant sur de simples dommages intérêts si la demande de résolution venait à être rejetée.

Cet effet vaut même si la demande est une demande reconventionnelle.Conséquence de cet effet de mise en demeure, la demande en justice en matière personnelle , si

le débiteur est redevable d’un corps certain, déplace les risques et met la chose aux risques du débiteur défendeur à l’action (article 1138 du Code civil, 1139 et 1302).

4. La demande rend le droit litigieux et déplace les risques de la chose

La demande enfin rend le droit litigieux, au sens de l’article 1700 du Code civil et de tels droits litigieux peuvent comme tels, sous certaines conditions, être cédés, sous un régime particulier.

Et si la demande en justice a été formée avant le décès du de cujus elle est alors transmise à ses héritiers et ce alors même qu’il pouvait s’agir de droit intransmissibles, car il ne s’agit que de continuer l’instance du de cujus.

Section 3 : L’effectivité du droit d’agir

Le droit d’agir est assurément un droit protégé. Et, dans l’approche pragmatique qui est la sienne la Cour européenne des droits de l’homme impose aux Etats d’assurer l’effectivité du droit d’agir en justice qu’elle a consacré en supprimant non seulement les obstacles juridiques mais aussi les obstacles matériels à son libre exercice.

§ 1 - Effectivité au sens juridique

Sous l’influence conjuguée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de l’applicabilité directe de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, l’importance et la valeur attachée au droit d’action en justice ont été récemment mises en valeur. Ainsi, le droit d’agir été consacré comme droit fondamental comme un droit de l’homme.

L’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en particulier au travers de l’article 6§1 a ainsi conduit à consacrer le droit à ce que sa cause soit entendue comme un droit, une liberté fondamentale qui s’impose aux véritables démocraties. La jurisprudence du Conseil Constitutionnel a donné quant à elle une valeur constitutionnelle au droit d’agir ce qui le situe dès lors au sommet de la hiérarchie des normes. (Décision du 9 avril 1996, se fondant sur l’article 16 de la DDHC du 2 août 1789, selon lequel toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée n’a point de constitution, pour considérer qu’en principe il ne doit pas être apporté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction). Le droit au juge est donc constitutionnellement consacré parce qu’il garantit l’effectivité des droits. L’octroi d’une réelle possibilité de recourir, d’accéder au juge devient alors la condition de la constitutionnalité de l’ensemble du système juridique ; et plus la prérogative en cause est fondamentale, plus ce droit d’agir mérite d’être protégé.

Cette effectivité au sens juridique suppose que le droit d’action ne soit pas entravé par des obstacles juridiques des restrictions à sa mise en œuvre.

Cette effectivité du droit d’accès au tribunal n’est que le premier volet du droit au procès équitable qui garantit également un droit à l’exécution des décisions de justice et qui implique que l’affaire soit jugée selon des garanties de bonnes justice dans un délai raisonnable.

Pourtant la Cour européenne des droits de l’homme s’est rangée à cette opinion ce droit d’action n’est pas un droit absolu et peut faire l’objet de certaines restrictions (procédurales). Ainsi l’on a vu que le droit d’action était soumis à certaines conditions d’existence et de mise en œuvre (temporelles formelles). Ces restrictions sont admises par la Cour européenne des droits de l’homme pourvu qu’elles ne portent pas atteinte à sa substance et pourvu que les droits substantiels soient préservés.

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Ainsi, il peut être envisagé que le recours ne soit au moins dans un premier temps pas porté devant une juridiction, au sens strict, mais devant une AAI, dès lors qu’est garanti à un moment donné le droit de pouvoir saisir les tribunaux.

S’agissant de ces restrictions et de ces aménagements, la cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion d’affirmer récemment qu’ils doivent présenter une certaine clarté et une certaine lisibilité pour le justiciable. Cela a pu être réaffirmé récemment à l’occasion du recours à certains fonds qui permettent une indemnisation conventionnelle efficace et définitive entre le fonds et la victime, sous réserve d’une renonciation de celle-ci à l’action en justice classique devant les tribunaux, sachant que le fonds est régi lui aussi par le principe de réparation intégrale. On pense ainsi au fonds d’indemnisation contre les accidents de la circulation, voire au fonds d’indemnisation des victimes de transfusion sanguine, voire des victimes de l’amiante, ou à la procédure amiable d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires, plus récemment créé.

Cette renonciation conventionnelle au droit d’agir devant un tribunal ne porte-t-elle pas dès lors une atteinte excessive au droit d’agir ?

A l’occasion de l’examen de cette question la France a été condamnée dans un arrêt Bellet c/ France du 4 décembre 1995 sur le fondement de l’article 6§1 le système français d’indemnisation amiable par le fonds ne garantissant pas au justiciable un droit à un procès équitable. Elle l’a d’ailleurs été une seconde fois le 30 octobre 1998. 

Mais la condamnation de la France ne s’est pas faite parce que la renonciation à l’indemnisation judiciaire pour une indemnisation amiable portait une atteinte trop forte au droit d’agir. La renonciation conventionnelle à l’action est concevable si le système français garantit que les droits substantiels soient préservés. En revanche la condamnation de la France a porté sur le fait que l’articulation entre la voie judicaire et la voie amiable et le caractère définitif de l’indemnisation et ses aménagements ne présentaient pas dans les textes à l’époque de leur adoption une clarté suffisante que le système français n’apportait pas pour le justiciable une clarté suffisante pour que celui-ci prenne une décision mesurée et renonce librement à la voie judiciaire en optant pour la voie amiable.

L’enjeu de fond de cette décision porte donc sur la liberté de renonciation au droit d’agir… Le législateur en 2002 quand il a aménagé le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante a pris acte de cette jurisprudence en montrant plus clairement les limites du caractère définitif de la convention d’indemnisation amiable définitive.

Ainsi les procédés conventionnels qui engagent définitivement le droit d’action des intéressés devant les fonds de garantie doivent garantir une libre renonciation éclairée… Ils doivent faire ressortir les modalités de contestation et d’appel évenutels.

Ainsi le droit d’action est assurément un droit protégé…. Mais dans une approche pragmatique suscitée, là encore, par la Convention européenne des droits de l’homme l’on peut dire que cette effectivité du droit d’agir est un vain mot et largement théorique ou formelle si elle n’est pas garantie aussi au plan matériel.

§2 - Effectivité au plan matériel

L’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en particulier, au travers de l’article 6§1 a conduit à consacrer le droit à ce que sa cause soit entendue comme un droit, une liberté fondamentale qui s’impose aux véritables démocraties. Et le justiciable a droit à ce que l’Etat remplisse ses obligations en ce sens, soit des obligations positives garantissant un droit effectif à un procès équitable.

Cette effectivité de l’accès au juge suppose que l’Etat mette en œuvre un service public de la justice également accessible à tous avec des règles de compétences lisibles par tout un chacun. Ce sont là des questions d’organisation judiciaire que vous avez pu voir en première année et de répartition de la compétence entre les juridictions que nous aurons l’occasion d’envisager lors de l’étude de la théorie de la juridiction.

Cette effectivité de l’accès au juge au plan pratique suscite d’ailleurs certaines interrogations actuellement quant à la généralisation du recours aux nouvelles technologies au cours du procès : en effet tous les justiciables – voire tous les professionnels de la justice pour les plus vieilles générations – n’ont pas un accès matériel et intellectuel égal aux nouvelles technologies. Et si pour l’heure le recours aux nouvelles technologies est présenté comme une faculté (cf. art. 748-1 cpc) l’une des pistes envisageables – et même envisageable à plus court terme s’agissant des Cours d’appel et de la Cour de

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cassation – pourrait être de rendre obligatoire le recours à la voie électronique. Il est vrai que le système actuel du recours tant au papier qu’à la voie électronique réduit les avantages attendus en terme d’efficience du recours à ces procédés. Mais en même temps les garanties de l’accès à la justice et de l’égal accès de tous méritent de bien poser les questions et de prendre le temps… Les Maisons de la justice et du droit pourraient être exploitées à cette fin. Au demeurant cette voie unique pourrait porter en germes un risque d’atteinte à la publicité de la procédure et en particulier des audiences… Elle nuit aussi sans doute au rapport direct entre le juge et le justiciable, à ce qu’Emmanuel Jeuland appelle le principe de présence et qui est source d’apaisement dans un contexte de conflit plus que le recours à la voie électronique qui favorise davantage la spontanéité et l’immédiateté. Peut être le recours à la voie électronique sera-t-il privilégié seulement pour certaines procédures (notamment celles dans lesquelles la représentation est obligatoire)…

Cela suppose aussi d’intégrer d’éventuelle défaillances techniques qui entraveraient la possibilité de former effectivement le recours par la voie électronique (panne du système) ce que font les textes lorsqu’ils envisagent de prolonger les délais dans ce type de cas en faisant référence à la notion de cause étrangère.

Mais cette effectivité de l’accès au juge suppose également que l’accès au juge soit gratuit. Or si les juges ne sont plus depuis longtemps rétribués par leurs justiciables mais par l’Etat, les justiciables doivent toujours assumer certains frais de justice et en particulier la rétribution de leurs conseils, la présence de ceux-ci étant souvent synonyme de bonne justice.

C’est pourquoi par son arrêt Airey contre Irlande la CEDH a jugé le 9 juin 1979 de façon claire qu’il n’y a pas de procès équitable sans système d’aide juridictionnelle. Elle seule permettant de garantir l’accès à la justice. En réalité, cette décision propose une autre alternative pour garantir l’accès à la justice aux plus démunis, mais qui semble plus irréaliste face à une société qui se complexifie, celle de la simplification du droit et des procédures.

Le coût de cette aide juridictionnelle repose principalement sur l’Etat, mais aussi en partie sur les avocats qui parfois travaillent à perte sur certains dossiers de l’aide juridictionnelle, c’est une manière, pour l’avocat, d’assumer une mission de service public.

Une réforme d’ensemble de cette aide juridictionnelle s’imposerait sans doute, pour l’heure seules des dispositions d’adaptation et de clarification sont prises.

1. Les mécanismes d’aide juridictionnelle en France.

Le premier mécanisme d’assistance judiciaire remonte en effet à 1851. Puis on a parlé d’aide judiciaire instituée par une loi du 3 janvier 1972, ou d’aide juridique remodelée par la loi du 10 juillet 1991 et élargie en 1998 ou 1999 notamment pour financer les processus transactionnels. Le terme de juridique a délibérément été employé dès 1992, parce qu’il permet, plus généralement, l’accès au droit, et le recours à des consultations juridiques, avant d’engager une action pour évaluer ses chances de succès. Il se situe donc parfois en amont de l’action judiciaire et intègre enfin depuis 1998 les pourparlers transactionnels et les frais d’assistance qu’ils peuvent susciter en vue de mieux réguler le flux judiciaire, ce qui devrait permettre à terme une économie de moyens ; et ces frais peuvent être pris en charge y compris si les parties parviennent à une transaction avant l’introduction de l’instance (art. 10 al. 2 L. 1991). Des précautions sont alors prises pour s’assurer de la réalité dut travail accompli par l’avocat. Elle vaut d’ailleurs tant pour les procédures gracieuses que contentieuses, devant toutes les juridictions françaises.

Cette aide est réservée aux plus démunis, selon des seuils qu’elle fixe, et qui sont périodiquement révisés. Il a récemment été précisé, en particulier, que cette aide n’était pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide relèvent d’une assurance de protection juridique souscrite par le plaideur ou par un autre système de protection (cf. Loi du 19 février 2007 n° 2007-210 ajoutant un alinéa à l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique).

Elle peut suivant les cas être totale ou partielle. Le décret du 15 mars 2011 n° 2011-272 pose de nouvelles règles en matière d’aide

juridictionnelle.Cette aide juridictionnelle est principalement réservée aux personnes physiques, mais elle est

aussi ouverte aux personnes morales à but non lucratif, et la CJUE vient d’ailleurs à cet égard de préciser que le principe de protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la charte des

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droits fondamentaux, est invocable par une personne morale en vue de bénéficier de l’aide juridictionnelle (CJUE 22 déc. 2010, Proc. 2011 n° 57) ; elle s’étend désormais aux ressortissants français et à ceux qui sont membres de l’Union européenne.

La demande d’aide juridictionnelle interrompt les délais de recours (art. 38 et 39 du décret 91-12666 du 19 décembre 1991).

Le bénéficiaire de l’aide reste libre de choisir le conseil de son choix. Il n’a rien à verser à son conseil puisque ce dernier est alors réglé directement pas l’aide juridictionnelle.

La loi de 1991 prévoit un système de rejet des demandes dépourvues de fondement au-delà de la seule exigence de ressource déjà posée.

Le fait de soumettre au stade de la cassation l’octroi de l’aide juridictionnelle à l’existence d’un moyen sérieux a été contesté devant le CEDH. En restreignant le domaine de l’aide juridictionnelle qui peut certes être réservée au plus démunis mais par des réserves ici indépendantes des conditions de ressources n’y a-t-il pas là atteinte au droit au procès équitable et à l’égal accès à la justice qu’elle tend à garantir.

2. Les restrictions à l’octroi de l’aide juridictionnelle et le droit au procès équitable.

Dans un arrêt Aerts c/ Belgique du 30 juillet 1998, la CEDH a d’ailleurs condamné la Belgique qui soumettait l’octroi de cette aide à l’exigence « que la prétention paraisse actuellement fondée » ce qui est assez restrictif.

Mais on pouvait dès lors se demander si le fait de réserver l’aide juridictionnelle à l’existence d’un moyen de cassation sérieux au terme de l’article 7 de la loi du 10 juillet 1991 ne méconnaissait pas les exigences de l’article 6§1 CEDH. Au terme d’un arrêt Del Sol C/ France du 26 février 2002 comme toujours très motivé la Cour européenne a rejeté ce recours en violation de l’article 6§1 elle a jugé que la loi française offrait des garanties substantielles aux individus de nature à les protéger contre l’arbitraire puisque l’examen des demandes d’aide juridictionnelle était portée devant un bureau d’aide juridictionnelle – composé de spécialistes du droit magistrats, avocats et représentants des justiciables et que le rejet de la demande par le Bureau était de surcroît susceptible de faire l’objet d’un recours devant le 1° président de la Cour de cassation. Elle ajoute que de surcroît la cause, dans cette hypothèse, a déjà fait l’objet d’un double examen en première instance et en appel.

Ainsi, il a pu être jugé que le système français préserve un juste équilibre entre le légitime souci de n’allouer les deniers publics qu’avec une certaine parcimonie et le droit au juge.

Un arrêt rendu le 14 décembre 2004 corrobore cette vision des choses, puisqu’il admet que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée du fait d’une erreur commise par le bureau d’aide juridictionnelle139.

La décision concerne la Cassation, mais elle pourrait tout à fait valoir pour l’aide juridictionnelle octroyée en demande, au stade de la 1° instance et de l’appel, où l’aide n’est octroyée disent les textes qu’ « à la personne dont l’action n’apparaît pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement » (art. 7 de la loi du 10 juillet 1991), soit lorsque l’échec de l’action relève de l’évidence.

Ajoutons qu’il en va différemment en défense où seule la condition du seuil de ressources est posée…

Le système de réforme de l’aide juridictionnelle a pu être présenté par certains parlementaires comme étant à bout de souffle et mériterait là encore certaines réformes (cf. JCP 2008 I 138), car la demande judiciaire explose et que donc les demandes d’aide aussi140.

Une réflexion est dès lors engagée depuis de nombreuses années pour que des systèmes de financement privés prennent le relais notamment avec les mécanismes d’assurance de protection juridique

3. Le relais de l’assurance de protection juridique.

Les particuliers peuvent souscrire à des mécanismes d’assurance de protection juridique qui sont parfois l’accessoire d’autres contrats d’assurance comme celui d’assurance responsabilité civile.

139 Civ. 1, 14 décembre 2004, B. I n° 318.140 L’aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle, Synthèse du rapport d’information Roland de Luart GP 19 et 20 oct 2007 p. 36.

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Et la tendance récente rappelée dans le récent rapport Delmas Goyon remis en décembre 2013 est de favoriser par ce biais la subsidiarité de l’aide juridictionnelle (prop. n° 22), ce qu’une loi de 2007 avait déjà tenté de faire en précisant au dernier al. de l’art. 2 de la loi de 1991 que l’aide juridictionnelle ne peut être accordée lorsque les frais occasionnés par le litige sont déjà pris en charge par un contrat d’assurance de protection juridique, ce qu’il fallait sans doute préciser, compte tenu de l’inflation du poste de l’aide juridictionnelle dans le budget de la justice (+ 63% entre 1998 et 2006).Cependant il semble que le dispositif ne soit pas efficace.

Cette assurance de protection juridique a d’ailleurs de ce fait été réglementée par une loi du 31 décembre 1989 (cf. Article L. 127-1 à L. 127-7 et 321-6 du Code des assurances) compte tenu de son rôle croissant pour garantir certaines caractéristiques du droit d’agir en justice, et en particulier, le libre choix par le justiciable de son défenseur et le libre choix par le justiciable de procédure utilisée pour la défense de ses droits.

D’ailleurs, la loi met en place un mécanisme de règlement des conflits entre assureur et assuré par la nomination d’une tierce personne, ce mécanisme de médiation étant mis à la charge de l’assureur (L. 127-4 c. ass.).

Ainsi, même ce mode de financement privé est réglementé pour garantir le respect de certaines règles jugées fondamentales au bon fonctionnement des institutions judiciaires.

Il apparaît, en pratique, que cette assurance de protection juridique est fortement utilisée dans les litiges de consommation et en matière immobilière, ce qui représente plus de 50% des sinistres déclarés aux assureurs sur ce fondement. En 2011, le ministère de la jusitce dans un communiqué constatait que 40% des ménages français souscrivaient ce type d’assurance ce qui marque une importante progression sur ces dernières années. Toutefois ce mode de financement a encore, en France, une marge de progression par rapport à d’autres États, c’est pourquoi le ministère de la justice a lancé une campagne d’information sur ce sujet, en vue d’inciter les français à y recourir pour compléter les mécanismes d’aide juridique. A cette occasion il a pu être constaté que le recours à l’APJ aboutit à 80 % à des solutions amiables (cf. communiqué du ministère de la justice du 5 avril 2011, D. 2011 p. 1012).

A cette fin, l’assurance de protection juridique a encore récemment fait l’objet d’une réforme par la loi n° 44 du 21 février 2007, pour mieux prendre en compte les attentes des consommateurs et rétablir un plus grand équilibre entre les parties en présence.

Ainsi, la saisine de l’avocat par l’assuré devient obligatoire lorsque la partie adverse se trouve défendue par un avocat, notamment pour lui permettre d’intervenir et de défendre utilement l’assuré dès la phase amiable.

Le principe de libre choix et de libre fixation des honoraires entre l’avocat et son client est rappelé : est prohibé en particulier tout accord entre l’avocat et l’assureur sur le montant des honoraires.

Mais des progrès restent à accomplir…

Ces mécanismes de protection juridique sont des modes de financement du procès : ils doivent nettement être distingués des mécanismes qui permettent à l’assureur de représenter son assuré, d’exercer l’action en son nom ou pour son compte (clause de direction de procès) voire de mener les négociations transactionnelles, mécanismes qui empruntent à la technique du mandat ou de la promesse de mandat (certains y voient un contrat sui généris).

§ 3 - Les caractéristiques du droit d’agir

Parmi les caractéristiques du droit d’agir, certaines sont propres à celui-ci d’autres tiennent aux liens étroits qu’il entretient avec la prérogative substantielle dont il poursuit la défense et permettent dès lors de classer les différentes actions disponibles.

I - Les caractéristiques propres du droit d’agir   : un droit facultatif et libre .

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1. Un droit dont l’exercice est facultatif et libreDe l’avis de certains il ne faudrait pas parler de droit subjectif d’agir en justice mais plutôt de

pouvoir et cette notion de pouvoir renvoie justement au fait que l’exercice de l’action est toujours facultatif. Pouvoir d’agir ou de ne pas agir… Chacun est libre ou non d’exercer la faculté que lui ouvre la loi….

On peut aussi présenter les choses différemment en disant qu’il existe un droit subjectif et concret (individualisé) d’agir en justice un droit d’action qui est la traduction plus générale d’une liberté publique qui l’englobe la liberté d’agir en justice qui suppose que l’Etat organise un service public efficace de la justice. Le droit d’agir en justice est alors l’inévitable contrepartie de l’abandon par les citoyens du monopole de la force et de la justice à l’Etat Nul ne pouvant se faire justice à lui-même.

Comme tout droit son titulaire est libre de l’exercer ou non. Et cet exercice libre est garanti et préservé par la jurisprudence récente en droit du tra-

vail qui souligne que l'employeur ne saurait « utiliser son pouvoir de licencier afin d'imposer au sala-rié sa propre solution dans le litige qui les opposait relativement à l'exécution d’un jugement du conseil de prud'hommes, litige qui n'avait pas été définitivement tranché », soulignant que « le prin-cipe de l'égalité des armes s'oppose à ce que l'employeur utilise son pouvoir disciplinaire pour impo-ser au salarié les conditions de règlement du procès qui les oppose » et visant l’article 6§1 CESDH, sanctuarisant la période du procès où l’exercice du pouvoir disciplinaire risque d’apparaître discrimi-natoire (Soc. 9 octobre 2013, n° 12-17882, Droit social 2013 p. 1055). Elle avait jugé quelques mois plus tôt que « le juge des référés peut, même en l'absence de disposition l'y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d'une liberté fondamentale par l'employeur » classant le droit d’agir en justice du salarié parmi ces libertés fondamentales et visant l’article 6§1 CESDH. L’arrêt ajoute que « lorsque la rupture illicite d'un contrat à durée déterminée avant l'échéance du terme comme intervenue en dehors des cas prévus par l'article L. 1243-1 du code du travail, fait suite à l'action en justice engagée par le salarié contre son employeur, il appartient à ce dernier d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanction-ner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice » ( Soc. 6 février 2013 n° 11-11740, Droit social 2013 p. 415).

Cette faculté est mise en œuvre au travers d’actes de procédure que sont les demandes et les défenses avec lesquelles dès lors on a parfois tendance à les confondre ou à travers le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges que sont l’arbitrage et la conciliation ou la médiation (procédures pouvant mener à une transaction).

La conciliation et la médiation en particulier sont des processus que les parties peuvent mettre en place elles-mêmes, ou qu’elles peuvent engager avec l’aide d’un tiers. Si les parties s’adjoignent l’aide d’un tiers elles peuvent avoir recours à un tiers ad hoc qu’elles choisissent, ou encore faire appel à des organismes de médiation ou de conciliation qui les aideront à trouver un médiateur et un terrain d’entente. Mais la médiation ou la conciliation peuvent également se faire avec l’aide du juge ce dernier ayant pour mission de concilier les parties en vertu de l’article 21 cpc ; elle peut également être déléguée par le juge à un conciliateur ou médiateur judiciaire.

Certains processus de négociation amiable, notamment avec les fonds de garanties sont encadrés par la législateur mais sous l’influence de la jurisprudence européenne, notamment de l’arrêt Bellet rendu par la CEDH en 1995, pour éviter toute censure sur le fondement de l’article 6§1 CEDH il faut que le juge prévoit une articulation claire entre la voie judiciaire et la voie amiable. En outre, les mécanismes de renonciation définitive au droit d’agir devant les tribunaux qui passent par ces conventions extinctives inspirées de la transaction doivent garantir une pleine liberté de celui qui renonce à la voie judiciaire classique.

Pour garantir cette pleine liberté et éviter que le recours à la conciliation ne soit un piège qui se referme sur les parties, sous l’influence de la directive médiation qui rappelle la nécessité de préserver le droit d’action pour assurer une articulation saine entre voie amiable et voie judiciaire, le législateur a inséré un article 2238 du Code civil qui prévoit que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation, et que « le délai de prescription recommence à courir, pour une durée

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qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée  ». Cet article complète utilement la jurisprudence de chambre mixte du 14 février 2003 qui avait admis que la clause de médiation obligatoire faisait naître une fin de non recevoir et qu’elle suspendait pendant sa mise en œuvre le délai de prescription.

Le droit d’agir en justice est libre mais ce n’est pas un droit discrétionnaire : comme tout droit subjectif il est dès lors susceptible d’abus.

2. Les sanctions de l’exercice abusif ou dilatoire de l’action.Notons que la sanction de l’abus de droit ne semble pas en elle-même contraire aux règles du

droit au procès équitable en ce qu’en abusant de son droit l’auteur de l’abus prend l’initiative de rompre l’équité de la procédure. Et d’ailleurs, il pourrait y avoir abus à se prévaloir inconsidérément des règles du droit à un procès équitable même si aucun cas ne semble avoir été rencontré en pratique.

L’abus a d’ailleurs été sanctionné très tôt par la jurisprudence, sur le terrain de la théorie de l’abus de droit. Il peut également l’être aussi désormais en vertu de la loi au moyen d’une amende civile. Ce double degré de sanction révèle que l’action a une double dimension privée et publique.

a – Les dommages-intérêts

L’exercice abusif du droit d’agir en justice a très tôt permis à l’adversaire d’obtenir des dommages-intérêts. Mais comme l’action est une liberté publique essentielle, une conception relativement restrictive de l’abus a été développée.

Ainsi l’exercice de l’action en justice ne dégénère en faute que s’il est le produit d’un acte de malice, d’une certaine mauvaise foi ou d’une erreur grossière équipollente au dol. Quelques décisions se réfèrent en la matière à la légèreté blâmable pour caractériser l’abus. Une décision récente se réfère même à la notion de faute en soulignant que « toute faute dans l’exercice des voies de droit (ici des voies de recours) est susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur141, la Cour de cassation refuse ici délibérément de réduire l’abus à la seule hypothèse de l’intention de nuire….

Une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières, qu'il appartient alors au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel142. … En revanche, l’abus ne devrait jamais résulter du seul fait que l’action est déclarée irrecevable dans la mesure ou la caractérisation des conditions d’existence du droit d’action n’est pas toujours chose aisée….

Il peut néanmoins y avoir abus du droit d’agir en première instance mais aussi abus dans l’exercice des voies de recours, qu’il s’agisse de demandes principales ou incidentes et qu’elles soient portées devant le juge du fond comme devant le juge des référés.

L’abus peut pareillement exister du côté du demandeur comme du côté du défendeur.Et récemment c’est sur le terrain de l’abus que la société Vivendi a choisi de se placer en

invoquant l’article 1382 du Code civil et un abus de forum shopping pour contrecarrer une action initiée par l’ADAM et contre plusieurs actionnaires personnes physiques accusés d’être les instigateurs d’une action en justice intentée par des français contre une société française, pour des titres émis sur le marché français et à propos de la diffusion d’information concernant ces titres. Soit une action qui présentait la caractéristique d’être trois fois étrangère au for américain une foreign cube action disent les américains, en vue de profiter des mécanismes de class action et de discovery américains qui faciliteraient leur recours. Pourtant la Cour d’appel a refusé de considérer qu’il y avait là abus. Elle voulait ce faisant obtenir une injonction de désistement de la procédure pendante aux Etats-Unis, sous astreinte. Là encore la Cour d’appel a fait prévaloir la traditionnelle conception restrictive de l’abus d’ester en justice, droit fondamental. Elle admet qu’il existe des liens entre cette action et le for américain puisque lesdits titres sont côtés sur le marché américain, elle ajoute que les infractions

141 Civ. 2, 11 sept. 2008, pourvoi n° 0718483142 Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-22.111, F-D, Sté Le Lacydon c/ V. et a. : JurisData n° 2013-014620. Il n’y a pas abus ou résistance abusive si le défendeur fait valoir une exception d’incompétence qui est accueillie en appel après avoir été rejetée au stade de la première instance (cf. Civ. 2, 23 octobre 2008, RCA 2009 n° 37). Celui qui triomphe même partiellement en ses positions n’abuse pas de son droit d’agir

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alléguées l’étaient au titre du non respect de la législation de New York où les dirigeants de la société avaient fait certaines déclarations, et elle considère que tous ces éléments ont au demeurant été largement débattus lors de la procédure de certification américaine. Elle refuse de considérer le juge français comme juge naturel de cette affaire, ce qui reviendrait à établir une hiérarchie entre les fors et ce qui ne serait pas respectueux de la souveraineté des Etats en la matière. Elle en déduit au terme d’un arrêt soigneusement motivé que le choix de ce juge n’est pas inapproprié, alors qu’aucune décision au fond n’a été rendue dans cette affaire et qu’une éventuelle contrariété de la décision américaine au fond pourraient ultérieurement l’être en vue d’échapper à l’exécution de la décision au fond à venir (cf. CA Paris 28 avril 2010, RJCom 2010 n° 4 p. 338, Joly 2010 § 104 n. Couret et Dondero, GP 28 29 mai 2010 p. 11, D. 2010 AJ p. 1224)… Ce qui laisse place à une marge de manœuvre si ultérieurement une autre action faisait apparaître des liens moins nets avec le for étranger.

Toujours en droit des affaires, on a pu observé récemment que les plaideurs allemands tentent de se placer sous l’emprise du droit des procédures collectives française comme ne atteste une affaire Schmitt soumise à la cour de cassation en février 2011 (Cf. Com. 15 février 2011, n° 10-13832 et Com. 15 février 2011, n° 09-71436).

b- L’amende civile

La sanction de l’exercice abusif de l’action a été singulièrement renforcée par le législateur qui en confirmant la possibilité d’accorder des dommages intérêts, lorsqu’un tel abus est constaté à l’article 32-1 prévoit la possibilité de condamner l’auteur de l’abus au règlement d’une amende civile qui est payée à l’Etat et qui n e fait pas dès lors double emploi avec les dommages intérêts déjà évoqués.

Là encore la sanction s’applique à l’action engagée en 1° instance mais aussi dans certains cas à l’exercice de certaines voies de recours ordinaires ou extraordinaires.

L’action, le droit d’action qui relève de la théorie générale de l’abus de droit, est unique dans sa substance, pourtant, il a fait l’objet de différentes classifications. En effet le droit d’action est intimement attaché à la prérogative juridique dont il assure la réalisation judiciaire.

II - Les caractéristiques inhérentes au droit substantiel en cause.

A plusieurs reprises déjà on a eu l’occasion de souligner que même si l’action constitue un droit autonome, un rapport juridique qui se surajoute au lien substantiel action et droit substantiel n’étaient pas sans lien l’un avec l’autre. C’est justement l’occasion de souligner ces liens étroits qui transparaissent notamment au travers des classifications usuelles des différentes actions en justices qui se font en fonction de la nature des prérogatives substantielles en cause.

Ainsi, les actions en justice peuvent être fort distinctes dans leurs caractères. On a souvent coutume de les distinguer en fonction de la nature des droits litigieux en cause ou de l’objet du droit litigieux, ce qui montre bien que le droit d’action ne peut être envisagé de manière abstraite indépendamment du droit substantiel en cause…

Les classifications traditionnelles entre actions mobilières et immobilières, réelles et personnelles trouvent un regain d’intérêt avec la récente réforme du droit de la prescription du 17 juin 2008 qui s’y réfère expressément pour distinguer suivant la nature de ces actions le délai de prescription applicable. Le nouveau délai dit de droit commun de l’article 2224 du Code civil vaut pour les actions mobilières et personnelles, tandis que les actions immobilières restent par exemple soumises à un délai différent. Il est ainsi rappelé que le droit de propriété est imprescriptible mais que sous cette réserve les actions immobilières relèvent ainsi de la prescription trentenaire « à compter du jour où le titulaire des droits a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer  » (art. 2227 c. civ.) et que la question reste à trancher pour les actions mixtes. Ces classifications sont aussi traditionnellement utilisées en matière de répartition du contentieux entre les juridictions (voire de la loi applicable au litige si l’on est en matière internationale).

D’autres classifications des actions sont envisageables, et indépendantes de la nature des droits en cause. Il faut sans doute, en particulier, réserver un sort particulier aux actions préventives, qui présentent des caractéristiques communes (actions en référé, actions conservatoires)… Ces actions préventives ou conservatoires se distingueraient de celles qui tendent directement à l’exécution d’un

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droit… De même, on pourrait distinguer les actions déclaratoires de celles qui tendraient directement à une condamnation…

Pourtant, la distinction classique a le mérite de mettre en évidence les liens qu’il peut y avoir entre le droit d’action et le droit substantiel qu’elle protège qui nécessite une protection d’autant plus forte que le droit substantiel en cause est jugé fondamental. Distinguons donc les actions en fonction de la nature des droits litigieux en cause, dans un premier temps, pour envisager de les distinguer, dans un second temps, en fonction de l’objet du droit litigieux.

A – Les classifications fondées sur la nature du droit litigieux

La classification traditionnelle, fondée sur la nature du droit litigieux, renvoie à la distinction principale et déjà évoquée des actions personnelles et des actions réelles : elle s’inspire de la nature du droit exercé par l’action, renvoyant ainsi à la summa divisio droit réel ou personnel. Les failles de cette présentation binaire simpliste apparaissent d’emblée, puisqu’il existe aussi des actions dites mixtes…

Par ailleurs, il convient d’emblée de souligner que cette classification, héritée du droit romain, ne concerne que les droits du patrimoine… Les actions relatives à l’état des personnes et plus généralement les actions extrapatrimoniales n’entrent pas dans cette classification classique. On les assimile parfois aux actions personnelles pour des motifs de commodité procédurale et parce que la catégorie des actions personnelles est extensible ce qui n’est pas le cas des actions réelles.

Envisageons donc la distinction principale, puis la catégorie des actions mixtes.

1. La distinction principale entre actions personnelles et actions réellesL’action est réelle quand elle tend à la réalisation d’un droit réel. L’action épouse alors la

nature du droit substantiel exercé. Présentons dès lors la distinction et ses incidences…

a - Sont ainsi considérées comme des actions réelles, les actions en revendication, les actions en bornage.

Tous les droits réels principaux ou démembrés entrent dans cette catégorie. Il en va de même des droits réels accessoires (par exemple l’action par laquelle un créancier hypothécaire ou nanti (sûreté réelle) exerce son droit de suite ou de préférence).

L’action possessoire présente elle aussi un caractère réel.Le nombre de droits réels étant limité le nombre d’actions réelles l’est corrélativement.

b – Au contraire l’action est personnelle lorsqu’elle correspond à l’exercice d’un rapport d’obligation, d’un droit de créance, ou lorsqu’elle tend à la réalisation d’un tel rapport.

On ne peut en dresser de liste précise en raison de la liberté reconnue à chacun de s’obliger…Les droits de créances étant illimités en nombre, les actions qui s’y rapportent le sont aussi. 

Parmi les actions personnelles figurent des actions contractuelles d’autres délictuelles suivant qu’elles trouvent leur origine dans un acte ou un fait juridique… Et classiquement on enseigne qu’il n’y a pas à distinguer entre elles.

De même, on y rattache quoiqu’un peu artificiellement les actions extrapatrimoniales.La récente réforme de la prescription conduit à se demander s’il n’y aurait pas un sort

particulier à réserver aux actions en réparation d’un préjudice corporel désormais fondées sur un délai de prescription spécifique (art. 2226 c. civ.) et plus directement marquées par l’ordre public, qui conduit à apprécier avec plus de circonspection les clauses limitatives de responsabilité par exemple en la matière… La protection de l’intégrité corporelle et les droits qui tendent à la préserver renvoient aux valeurs fondamentales de nos sociétés.

L’action personnelle ne peut être intentée que par le créancier de l’obligation ou ses ayant-causes qui, et uniquement contre un nombre limité de personnes, qui sont le sujet passif du droit ou de l’obligation, ainsi que ses ayant cause. On dit parfois pour les opposer que le droit réel renvoie à une obligation passive universelle.

Cette classification permet alors de distinguer - qui sont les parties au procès,

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- quel est le tribunal compétent (lieu de la demeure du défendeur pour les actions personnelles (art. 42 cpc), alors que les actions réelles immobilières relèvent de la compétence exclusive Tribunal du lieu de situation de l’immeuble (art. 44 cpc) - ainsi que le délai de prescription qui trouve à s’appliquer en vertu des nouvelles règles du Code civil quinquennal pour les secondes (personnelles143) et trentenaire pour les premières lorsqu’elles sont immobilières seulement144.

2. La catégorie particulière des actions mixtes…La catégorie particulière des actions mixtes est elle aussi héritée du droit romain et des

Institues de Justinien… Elle présente ceci de surprenant, confrontée à la première, que la classification des droits subjectifs ne renvoie nullement à une catégorie des droits mixtes…

L’action mixte est une création purement doctrinale, et renvoie à l’hypothèse où sont jointes deux demandes, l’une réelle, l’autre personnelle, nées d’une même situation juridique. Il y a en fait toujours deux actions distinctes qui sont présentées au cours de la même instance – soit simultanément, soit successivement -, l’une personnelle, l’autre réelle…

Parmi les actions mixtes l’on distingue : - Celles qui tendent à l’exécution d’un acte qui a transféré ou créé un droit réel immobilier tout en donnant naissance à un droit de créance. C’est le cas de l’action de l’acheteur d’un bien qui entend se le faire délivrer. L’acheteur est devenu propriétaire dès l’échange des consentements. En même temps, il est créancier d’une obligation de délivrance en vertu du contrat de vente (article 1583 du Code civil). Il agit dès lors à la fois pour revendiquer sa propriété (action réelle) et pour que le vendeur s’acquitte des obligations nées de son contrat (action personnelle). Les deux types d’actions sont exercés simultanément. - Celles qui tendent à la résolution, à la révocation, ou à la rescision à la réduction ou à l’annulation d’un acte translatif ont également cette caractéristique d’être des actions mixtes. Elles emportent en effet remise en état. L’action en résolution ou annulation est une action personnelle, elle tend à l’annulation d’un contrat. Mais cette annulation ou résolution rétroactive emportent des restitutions soit une action en revendication qui a un caractère réel.

La notion d’action mixte permet alors d’assouplir les règles de compétence et d’ouvrir une option entre la compétence du domicile du défendeur et celle du lieu de situation de l’immeuble (art. 46 al. 4 cpc)…. C’est là son seul intérêt.

B – Les classifications fondées sur l’objet du droit litigieuxLa première distinction du A se combine avec cette seconde distinction, puisque ce sont

essentiellement les actions réelles immobilières qui présentent des caractéristiques propres, en termes de désignation du tribunal compétent ou de délai de prescription.

Dans cette seconde classification, ce n’est pas la nature des droits exercés qui est prise en compte, mais leur objet, qui peut porter sur un immeuble (catégorie fermée) ou sur un meuble (catégorie ouverte). Là encore, la catégorie des actions procédurales se calque sur celle des droits substantiels… Elle trouve un raffinement supplémentaire, toutefois, dans la distinction du pétitoire et du possessoire, parmi les actions dites immobilières.

1. Distinction générale des actions mobilières ou immobilières* La distinction : L’action qui a pour objet immédiat de porter sur un meuble est une action

dite mobilière (action en paiement d’une créance), tandis que celle qui procure un droit portant directement sur un immeuble est immobilière (action en revendication d’un immeuble).

Et le droit procédural se calque une fois de plus sur le droit substantiel puisque la catégorie des actions immobilières – comme celle des immeubles – est fermée, tandis que celle des actions mobilières - comme celle des meubles - est ouverte, et partant résiduelle.

Cette distinction est plus facile à mettre en œuvre que celle qui précède. Les obligations de faire et ne pas faire sont ainsi toujours considérées comme mobilières quand bien même elles

143 L’article 2224 du Code civil vaut pour les actions mobilières et personnelles144 Les actions immobilières relèvent ainsi de la prescription trentenaire « à compter du jour où le titulaire des droits a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (art. 2227 c. civ.)

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porteraient sur un immeuble, quand bien même elles aboutiraient à la construction d’un immeuble ou à des réparations sur celui-ci.

L’obligation de donner sera tantôt mobilière, tantôt immobilière, suivant qu’elle porte sur un bien meuble ou immeuble.

Restent des problématiques marginales, ainsi l’action en rescision pour lésion d’une vente immobilière - ouverte par l’article 1674 et s., et en particulier, l’art. 1681 du Code civil - au vendeur de l’immeuble est généralement considérée comme immobilière, alors qu’il y a en fait une option pour l’acquéreur entre la nullité de la vente et la restitution du bien (obligation de donner portant sur un immeuble) et le rachat de la lésion - soit le paiement d’une soulte par l’acheteur (meuble)…

* Ses enjeux : Sous l’empire du régime antérieur de protection des incapables, l’exercice des actions immobilières était plus directement rattachée aux actes de disposition et renvoyait partant aux actes que le tuteur ne peut accomplir seul tandis que les actions mobilières relèvent des actes d’administration que le tuteur est en mesure d’accomplir seul…. Pourtant, désormais, la situation a été simplifiée à l’article 464 du cpc, puisque le tuteur peut exercer seul toutes les actions intéressant la pupille et qu’entre époux quel que soit le régime matrimonial, chacun des époux a la pleine capacité de droit.

L’ancien article 464  a été remplacé par les articles 475 et 504 du Code civil qui soulignent les pouvoirs généraux du tuteur pour agir en justice au nom et pour le compte du majeur protégé et du mineur. Et la liste des actes nécessitant une autorisation préalable du conseil de famille a été clarifiée cf. art. 506 c. civ. et Décret du 22 décembre 2008 pour renforcer la sécurité juridique. Le tuteur est ainsi en mesure d’accomplir seul les actes qui concernent le patrimoine du mineur ou majeur protégé.

- Notons toutefois que dans le cadre de la tutelle des majeurs le juge peut aménager les pouvoirs du tuteur et partant user de cette distinction…

- Ainsi sans conserver la même importance qu’avant la distinction conserve à la marge un certain intérêt, renouvelé, là encore, par la loi sur la prescription.

- Notons également, comme intérêt actuel attaché à cette distinction, que le TGI dispose d’une compétence d’attribution exclusive pour les actions immobilières pétitoire et possessoire. Pour ce qui est des actions mobilières au contraire, le TGI partage sa compétence avec les autres juridictions d’exception…

- Pour ce qui est de la compétence territoriale enfin, elle reste attachée pour les actions immobilières au lieu de situation de l’immeuble. Pour les actions mobilières il s’agira le plus souvent de la compétence du lieu du domicile du défendeur…

2. Distinction spéciale des actions (immobilières) pétitoires et possessoires

Il existe au sein des actions immobilières une subdivision entre les actions pétitoires et les actions possessoires. Pour les actions mobilières la distinction entre possessoire et pétitoire est écartée par l’article 2279 du Code qui énonce « qu’en fait de meubles la possession vaut titre », et qui est devenu l’article 2276 du fait de la nouvelle numérotation consécutive à la réforme de la prescription. C’est ce qu’a pu rappeler un arrêt du 6 février 1996145 qui énonce que « la protection possessoire ne concerne que les immeubles » et que la prescription annale de telles actions est sans application à la revendication mobilière … Les seuls cas où l’on peut faire valoir un droit de suite, en matière mobilière, passent par la saisie revendication.

a - L’action possessoire permet de protéger a priori le véritable propriétaire… Le trouble possessoire est en outre fréquemment accompagné d’atteintes à la paix publique. Elles ont une origine historique : elles remontent à l’Ancien droit. Ainsi on distingue, la complainte (en cas d’atteinte actuelle à la possession, sachant que le trouble doit revêtir une certaine gravité), la réintégrande (qui sanctionne la dépossession brutale), et la dénonciation de nouvel oeuvre (en cas de risque d’atteinte à la possession soit un trouble éventuel résultant de ce que le propriétaire voisin fait sur son propre fonds)…

Un arrêt récent bien de préciser que cette action possessoire peut être dirigée indifféremment contre celui à qui profite la dépossession (soit le nouveau détenteur) ou bien contrat l’auteur des troubles (Civ. 3 7 mars 2012, n° 11-10177, D. 2012 p. 811). Les deux sont défendeurs potentiels à ce type d’action.

145 Civ. 1, 6 février 1996, B. I n° 57, RTDCiv. 1996 p. 943.

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Evoquées aux actuels articles 2278 et 2279 du Code civil, elles le sont aussi à l’article 1264 à 1267 du Code de procédure civile.

Ces actions sont au demeurant soumises à un certain nombre de conditions communes.1 - Pour invoquer ces actions il faut pouvoir justifier d’une possession paisible, plus précisément l’on dit qu’elle doit être continue, non interrompue, publique et non équivoque. Elle peut cependant être exercée, comme propriétaire du bien ou comme détenteur au titre d’un droit réel voir comme détenteur précaire.2 – Le détenteur précaire ne peut agir au possessoire contre celui dont il tient ses droits , c’est ce que précise l’article 2278 al. 2 du Code civil. Le détenteur précaire ne pourrait l’invoquer contre son bailleur…3 – Le procès au possessoire n’engage pas le fond du droit et donc l’action possessoire est plus facile à engager que l’action pétitoire. Ainsi un indivisaire peut agir individuellement au possessoire.

Depuis la loi du 26 janvier 2005, le juge compétent au possessoire est toujours le TGI, art. R. 211-4 du COJ issu du Décret du 2 juin 2008.

L’action possessoire obéit à un régime particulier : - elle n’est recevable que si elle est engagée dans le délai d’un an à partir du trouble ou de la dépossession (art. L 1264 cpc). Au-delà de ce délai il semble en effet que les agissements en cause n’ont vraisemblablement pas le caractère de gravité requis.

- il y a en outre une règle du non cumul entre le pétitoire et le possessoire (article 1265 du Code civil) qui veut que le juge du possessoire ne doive pas statuer directement ou indirectement sur le pétitoire. Le pétitoire et le possessoire ne peuvent dès lors être joints dans la même demande et le juge ne peut statuer dessus dans le cadre de la même instance, ni dans un même jugement, ces deux types d’actions relevant l’une et l’autre du TGI. Cette règle du non cumul du possessoire et du pétitoire s’est illustrée en jurisprudence récemment (Cf. Civ. 3, 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-22068146). Et ce qui a été jugé au possessoire n’a pas autorité de la chose jugée au pétitoire.

- la possession peut être prouvée par tous moyens (témoins ou autre). La preuve n’a trait ici qu’à la possession et non au fond du droit, sinon il serait porté atteinte à la règle du non cumul.

b - L’action pétitoire est celle qui tend directement à la sanction d’un droit réel. Il peut s’agir de protéger le droit de propriété et l’on parle alors d’action en revendication. Il peut aussi s’agir d’une action visant un démembrement du droit de propriété et l’on parle alors d’action confessoire (reconnaissance d’une servitude d’un usufruit ou d’un usage). L’action négatoire tend à faire reconnaître qu’un fonds n’est pas grevé d’une servitude par exemple.

Les actions pétitoires sont soumises au droit commun des actions en justice, et à ce titre ne méritent pas de développement spécifiques, à l’exception près que l’action en revendication est imprescriptible comme le droit de propriété (art. 2227 c. civ.), sous réserve que l’usucapion d’autrui sur le bien revendiqué n’y fasse pas échec (prescription acquisitive).

Elle relève de la compétence du TGI…Ces actions mettent en cause le fond du droit réel litigieux en cause.

Dans le prolongement de ces classifications et pour revenir à notre point de départ qui donne son actualité à cette classification, il apparaît que la loi du 17 juin 2008 qui s’inspire de ces classifications, est approximative dans ses références. Même si très généralement les actions personnelles sont mobilières et peuvent de ce fait être opposées aux actions immobilières, qui seront le plus souvent réelles, il existe des actions mobilières réelles (action en paiement d’une somme d’argent – qui est à la fois la sanction d’un droit de créance mais elle porte aussi sur un meuble, la créance) et des actions immobilières personnelles (si l’obligation de transférer la propriété n’est pas exécutée par le seul échange des consentements, si l’obligation de transférer la propriété est affectée d’un terme qui en suspend l’exigibilité)…

146 « L'action pétitoire engagée postérieurement à l'action possessoire rend celle-ci sans objet lorsqu'elle tend aux mêmes fins » cf. proc. 2010 n° 186.

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Il vient au demeurant d’être jugé que la distinction entre action en bornage et en revendication n’est pas critiquable sur le terrain du droit au respect des biens (CEDH 4 janvier 2012, SCI La Roseraie C/ France n° 14819/08, JCP 2012 690 n° 10 obs. E. Jeuland).

§ 4 - Aménagement et transmission de l’action

Malgré son caractère personnel – on exige un intérêt personnel à agir et seules les personnes dotées de la personnalité morale peuvent agir – le droit d’agir peut faire l’objet de certains aménagements conventionnels voire être transmis.

I - L’aménagement conventionnel de l’action

Malgré son caractère de droit fondamental le droit d’action peut faire l’objet de certains aménagements conventionnels dont on donnera ici des illustrations sans pouvoir les envisager de manière exhaustive. La seule contrainte réside dans le fait qu’il en doit pas y être apporté d’atteintes trop substantielles. Ainsi l’on pourrait distinguer des clauses portant sur le processus de résolution du litige ou des clauses prévoyant un aménagement de la solution juridictionnelle qui interfèrent avec le droit d’agir en justice.

A - Les clauses prévoyant le principe et les modalités du processus de résolution du litige.Certaines clauses du contrat peuvent prévoir une procédure qui diffère le traitement judiciaire

du litige. Il en est ainsi de la clause de médiation ou de conciliation obligatoire, il en va ainsi également de la clause compromissoire.

Ces deux clauses ont directement trait à un litige à un différend d’ordre juridique elles se distinguent dès lors des clauses de renégociation ou de hardship, qui prévoient des mécanismes de révision du contrat et de rencontre des parties pour trouver une issue conventionnelle à des difficultés économiques d’exécution du contrat, le contrat étant devenu excessivement onéreux par exemple pour l’une des parties. D’ailleurs les premières ont une incidence procédurale (elles font naître une fin de non recevoir et suspendent la prescription, de que les première ne font pas.

Si un véritable litige survient, la clause de médiation ou de conciliation obligatoire ou la clause compromissoire infléchissent la liberté d’agir en ce que par avance les parties se sont engagées à soumettre leur litige soit à ce préalable de médiation, soit à un juge privé.

Après certaines hésitations et fluctuations jurisprudentielles la jurisprudence judicaire leur a reconnu une certaine efficacité procédurale à l’une comme à l’autre quoique dans l’un et l’autre cas sa position ne soit pas uniforme.

1°/ La clause de médiation ou de conciliation obligatoire Dans un arrêt rendu en chambre mixte du 14 février 2003 et confirmé par plusieurs arrêts

ultérieurs (Com. 8 avril 2009, n° 08-10866, Bull. I, n° 78, D. 2009, AJ, 1284 obs. Delpech, JCP 2009 n° 26), la Cour de cassation a reconnu que la clause de médiation ou de conciliation, à condition qu’elle ait prévu un préalable obligatoire de médiation ou de conciliation, fait naître une fin de non recevoir et rend l’action irrecevable tant que les parties n’ont pas respecté, essayé d’engager le processus de médiation qu’elles avaient prévu. Au-delà et toujours pour préserver le droit d’action il est énoncé que la mise en œuvre de cette médiation, en vertu de la clause emporte suspension de la prescription, ce qui préserve le droit d’agir dans sa substance. Cette jurisprudence conserve sa pertinence malgré l’intervention du législateur et de l’ajout de l’article 2238 du Code civil dans la mesure ou cet article ne vise pas directement les clauses qui anticipent le recours à la médiation mais l’hypothèse où la médiation est décidée une fois le litige né.

Cette fin de non recevoir ajoute un arrêt du 22 février 2005 peut être invoquée en tout état de cause. Elle suit en cela le régime des fins de non recevoir et peut alors en vertu de l’article 126 cpc exploité dans un arrêt récent faire l’objet d’une régularisation c’est-à-dire que si le juge était a été saisi mais que finalement la partie organise en définitive une conciliation qui échoue l’action ultérieure sera recevable (… A supposer que l’on soit bien ici face à une fin de non recevoir susceptible d’être régularisée alors même que le manquement est définitivement consommé notamment lorsque ladite conciliation est qualifiée de préalable (cf. Civ. 2, 16 décembre 2010, pourvoi n°09-71575, LEDC 2011 1 n° 034) !

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Cette jurisprudence précise aussi que l’efficacité propre de la clause de conciliation suppose qu’elle soit conçue comme obligatoire147. Un arrêt rendu le 8 avril 2009 qui a admis qu’une clause de médiation mal rédigée pour laquelle la nomination du médiateur telle qu’envisagée paraissait impossible a jeter une certaine incertitude sur cette condition du caractère obligatoire de la conciliation ou de la médiation.

La jurisprudence y a apporté tout récemment une autre nuance limitant la portée de cette clause de conciliation médiation obligatoire devant la juridiction prud’homale où un préalable de conciliation obligatoire est déjà institué « En raison de l'existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de conciliation préalable en cas de litige survenant à l'occasion de ce contrat n'empêche pas les parties de saisir directement le juge prud'homal de leur différend ». (Cass. soc., 5 déc. 2012, n° 11-20004, Mme X c/ Sté Médica France, LEDC 2013 n° 20).

Pareillement lorsque la loi institue un préalable obligatoire de conciliation, tant qu’il n’est pas exercé l’action en justice est irrecevable.

En toute hypothèse, ces mécanismes qui imposent une conciliation préalable obligatoire sont d’interprétation stricte, comme le montre la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu’ils infléchissent la liberté d’agir en justice (cf. Civ. 2, 3 février 2011, n° 10-10.357, si la procédure de sécurité sociale comporte, en principe, une saisine préalable de la commission de recours amiable dont l'omission constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause ( cf. art. R. 142-1 du code de la sécurité sociale), les actions en dommages-intérêts engagées contre les organismes de sécurité sociale échappent à cette règle.

La Cour de cassation viendrait de consacrer la sanction procédurale de la clause d’expertise par une irrecevabilité de l’action en justice engagée au mépris de celle-ci, dans un arrêt inédit du 23 octobre 2012. Les fins de non-recevoir d’origine conventionnelles se généralisent donc.

Une lecture plus approfondie de l’arrêt invite à s’interroger sur la pertinence de la sanction retenue d’une part, mais aussi, d’autre part, sur la nature de la clause en question ( Cf. La clause d’expertise obligatoire Com. 23 octobre 2012, n° 11-23864). On peut se demander s’il ne s’agissait pas d’une clause de conciliation tant sa rédaction est ambiguë. Au demeurant l’exception de procédure serait sans doute une sanction plus adaptée.

2°/ La clause compromissoireLa clause compromissoire qui prévoit quant à elle que le litige qu’elle vise sera traité par un

arbitre devrait avoir une efficacité comparable. La validité de celle-ci du moins dans l’ordre interne est encore étroitement encadrée même si cet encadrement s’est libéralisé en 2001. Cette fois, c’est la compétence même du juge étatique qui se trouve totalement évincée. Les parties ont par avance accepté de s’en remettre à la solution qu’un tiers qu’elles ont désigné déterminera et qui les liera à l’avenir, tranchant définitivement le litige, de sorte qu’il s’agit toujours d’une forme de traitement juridictionnel (voir aussi article 1442 CPC). Mais l’arbitre comme le juge doit trancher alors que dans l’hypothèse précédente l’issue d’une procédure amiable est aléatoire ce qui conduit si les parties ne parviennent pas à un accord à leur reconnaître alors, une fois cet échec constaté, la possibilité d’agir devant les tribunaux étatiques.

La loi NRE du 15 mai 2001 a consacré leur validité « dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle », pour lesquelles une plus grande souplesse paraissait souhaitable : c’est le nouvel article 2061 du Code civil (voir aussi article 1442 CPC). Il faut toutefois préciser que le contrat de travail en est exclu (la contrat de travail international mis à part).

Ce domaine est d’ailleurs quelque peu élargi par les dispositions du Code de commerce relatives à la compétence des tribunaux de commerce puisqu’il est prévu à l’article L. 721-3 c. com. que les litiges qui relèvent de la compétence des tribunaux de commerce peuvent faire l’objet d’une

147 Soc. 13 janvier 2010, pourvoi n° 08-18202 Proc. 2010 n° 232 Dès lors qu'un accord collectif ne confère aucun caractère obligatoire au préliminaire de conciliation qu'il institue, des syndicats peuvent saisir directement le juge de demandes en exécution ou en interprétation de cet accord. Doit dès lors être rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de cour d'appel qui déclare recevables de telles demandes malgré l'absence de saisine préalable de l'instance conventionnelle de conciliation.

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clause compromissoire. Or l’on a vu que la compétence des tribunaux de commerce a été élargie après la réécriture de l’article 631 ancien, à l’occasion de la recodification à droit constant.

Pourtant, la jurisprudence récente rappelle que ce domaine de validité de l’a clause compromissoire n’est pas sans limites. La clause compromissoire implique l’exercice d’une activité professionnelle en cours pour être valablement conclue148…. (Civ. 1, 29 février 2012, n° 11-12782, LEDC n° 4, P. 5 Gilles Pillet). Il s’agissait en l’espèce de commerçants retraités avaient cédé leur fonds de commerce et donné à bail commercial les murs dans lesquels il était exploité. L’opération ayant donné lieu à un litige, ils ont invoqué la nullité de cette clause au motif que les contrats n’avaient pas été conclus « à l’occasion d’une activité professionnelle », en violation de l’article 2061 du Code civil.

En l’occurrence, il n’était pas davantage possible de valider la clause sur le fondement de l’article 721-3, dernier alinéa, du Code de commerce. Ce texte exige en effet : (1°) que les litigants soient des commerçants et/ou des établissements de crédit, (2°) que le litige intéresse des sociétés commerciales, (3°) ou qu’il intéresse un acte de commerce. Aucune de ces conditions n’était réunie.

La première chambre civile s’inscrit ainsi dans la ligne tracée par la deuxième chambre civile qui a récemment jugé que le contrat d’assurance conclu par un salarié pour couvrir un risque d’invalidité permanente totale ne l’est pas à l’occasion d’une activité professionnelle (Cass. 2e  civ., 16 juin 2011, n° 10-22780).

Dans tous les cas où elle n’est pas autorisée, la clause compromissoire est frappée d’une nullité relative, puisque la prohibition vise à protéger les parties. Et la comparution volontaire, devant l’arbitre, emporte alors renonciation à l’invoquer. Et dans l’arrêt du 29 février la nullité était invoquée par les commerçants retraités… La nullité n’affecte que cette clause qui jouit d’une certaine autonomie par rapport au contrat en principe.

L’efficacité de la clause compromissoire suppose un écrit précis (article 1443 CPC) qui énonce clairement la renonciation à saisir le juge étatique (1), la soumission volontaire à la sentence (2) que l’arbitre rendra et les modalités de désignation de l’arbitre (3). D’ailleurs, l’écrit est ici requis à peine de nullité de la clause.

Mais son caractère obligatoire et ses effets procéduraux sont acquis en jurisprudence puisqu’elle fait naître une exception de procédure, sanctionnée en cas de non respect de celle-ci par une irrégularité de la procédure. Elle doit, de ce fait, être invoquée in limine litis, ce qui évite les manœuvres dilatoires (Civ. 2, 22 novembre 2001, B. II n° 168).

On peut s’étonner de cette différence de traitement et se demander si la solution retenue en 2003 est la plus pertinente. En effet la clause de médiation et de conciliation obligatoire consacre une hypothèse ou le droit d’action devant les tribunaux étatiques n’est que différé. Qui plus est le régime des fins de non recevoir lui est peu adapté. En particulier, le fait qu’elle puisse être invoquée en tout état de cause comme le dit l’arrêt du 22 février 2005. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elle soit invoquée in limine litis comme toutes les exceptions de procédure ? Le fait que les parties ne l’aient pas fait au stade de la première instance ne signifie-t-il pas qu’elles y auraient renoncé ?

B - Les clauses prévoyant une forme de réparation d’un manquement contractuel.

Le contrat est un instrument de prévision et donc de prévention du litige et comme tel, il peut prévoir certaines clauses qui anticipent le litige et aménagent en partie la solution et qui ont force obligatoire entre elles et envers le juge dont elles infléchissent les pouvoirs. Or il revient en principe au juge de trancher les litiges, y compris ceux qui sont issu d’un contrat qu’ils portent sur un vice de formation de celui-ci ou sur un vice d’exécution et de déterminer la sanction applicable, en fonction des demandes formulées par les parties. Ces clauses qui prévoient une forme de réparation des manquements contractuels voire les conséquences de la nullité du contrat infléchissent dont la mission naturelle du juge en matière contractuelle.

148 « Ayant relevé que M. et Mme X n'exerçaient plus aucune activité professionnelle, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que les contrats n'ont pas été conclus en raison d'une activité professionnelle au sens de l'article 2061 du Code civil, de sorte que la clause compromissoire était nulle et de nul effet »

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Ces clauses du contrat, qui agissent a priori sur le droit substantiel à réparation, qui aménagent les modalités de la réparation de certains manquements contractuels infléchissent donc en réalité les pouvoirs du juge et agissent quoique plus indirectement sur le droit d’action.

Pensons à des clauses habituellement étudiées en droit substantiel des contrats comme les clauses limitatives de responsabilité en droit des affaires, la clause pénale. L’une et l’autre délimitent étroitement la liberté laissée au juge d’évaluer le dommage, soit en fixant un plafond soit en fixant un forfait qui ne tient pas compte de l’étendue du préjudice effectivement subi. L’une et l’autre si elles sont valables s’imposent au juge et évitent d’avoir recours au juge pour sanctionner l’inexécution. De même, la clause résolutoire interdira au juge d’apprécier la gravité de l’inexécution et rendra même cette rupture automatique sans que le juge ait eu à intervenir, alors qu’en principe la résolution est judiciaire en droit français.

Mais on pourrait pareillement citer la clause d’exécution en nature, ou la clause de restitution, qui infléchissent le pouvoir d’appréciation du tribunal en matière de sanction de l’inexécution ou de conséquences de la nullité. Pourtant l’efficacité de ces clauses notamment celle relatives à l’exécution en nature se heurte aux impossibilités matérielles ou juridiques de ces clauses auxquelles elles ne semble pouvoir faire obstacle ce qui traduit ici les limites du pouvoir des volontés individuelles pour aménager les sanctions.

Un contractant peut même, précise un arrêt récent, renoncer par avance au droit de demander résolution judiciaire du contrat (cf. Civ. 3, 3 novembre 2011, n° 10-26203, CCC 2012 n°36) en l’occurrence dans un acte de vente d’immeuble, une telle clause est sanctionnée par une irrecevabilité de la demande en résolution judiciaire, elle subordonne sa validité à ce que cette clause soit claire, précise, non ambiguë et compréhensible pour un profane). Ainsi une valeur plus importante est rattachée au droit de rupture unilatérale dans les CDI qu’au principe de résolution judiciaire ce qui traduit bien qu’il est quelque peu écorné. C’est au fond constater que la résolution judiciaire n’est qu’une forme de sanction de l’inexécution à laquelle le cocontractant peut renoncer au bénéfice des autres.

Pourtant par rapport à la clause résolutoire celle-ci présente un caractère plus dangereux, dans la mesure où il s’agit de renoncer à une branche de l’option. On peut donc douter de la validité de ces clauses de renonciation à la résolution judiciaire notamment en matière de dissolution de sociétés. (1844-16 le principe de dissolution judiciaire pour mésentente est d’ordre public).

Proche de ces clauses en ce qu’elle traduit aussi une forme de gestion des risques contractuels, la clause de prescription traduit encore plus directement la liberté laissée aux parties d’aménager le droit d’action et les délais dans lequel il est inséré.

La prescription est en effet un moyen pour le débiteur d’être libéré de ses obligations, comme le rappelle l’article 2219 du Code civil (sans avoir au à s’en acquitter) par l’écoulement du temps. Ne subsiste plus alors qu’une obligation naturelle.

Envisageons donc successivement le domaine de ces clauses de prescription puis leur régime propre.

1°/ Leur domaineParadoxalement, malgré ses fondements qui renvoient à un intérêt général149, il est admis

de longue date que le contrat peut abréger la durée de la prescription par ses stipulations, sans qu’il soit possible d’allonger le délai150 - qui dans ce sens là est d’ordre public -, à condition toutefois

149 Il est de bonne administration de la justice, comme le soulignait le doyen Carbonnier, « d’éliminer les procès les plus poussiéreux ». 150 Pour l’allongement la prohibition était justifiée par le caractère d’ordre public de l’institution … L’on ne saurait empêcher de prescrire or un allongement excessif des délais par exemple au-delà de la durée de vie humaine aboutit à cela. En Belgique, la même interdiction d’un allongement était d’ailleurs posée. Et elle conduisait à prohiber les clauses qui dérogent au point de départ normal de la prescription qui aboutissent au même effet. (c’est une manière indirecte de parvenir à un allongement).

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de laisser au créancier un temps suffisant pour réagir (cf. Com. 17 décembre 1973, B IV n° 67 voir plus récemment Civ. 4 décembre 1895, DP 1896 1 241 2° esp)151.

D’ailleurs, les textes du Code civil nous enseignaient qu’il n’était pas davantage possible de renoncer totalement par avance à la prescription (ex article 2220 du Code civil), car ce serait une faveur injustifiée à l’inertie du créancier. Il en va différemment si la prescription est acquise : la renonciation pouvait alors être expresse ou tacite, pourvu qu’elle soit explicite (article 2221 du Code civil).

Et l’on déduisait alors de ces deux principes conjugués et du constant que le délai de prescription de droit commun était relativement long, que seule la réduction du délai était admise à condition de laisser subsister un délai raisonnable. L’allongement du délai était ainsi largement assimilé à une renonciation au délai de prescription.

La jurisprudence rappelait aussi avant 2008 que les parties pouvaient également convenir de suspendre le délai de prescription (cf. Com. 30 mars 2005, B IV n° 75 et antérieurement Civ. 1, 13 mars 1968, D. 1968 p. 626). « L'article 2220 du Code civil, qui interdit de renoncer d'avance à la prescription, ne prohibe pas les accords conclus après la naissance de l'obligation et en cours de délai, par lesquels les parties conviendraient de la suspension de ce délai  » Cette clause avait toute son utilité dans le cadre de négociations transactionnelles, pour éviter un dépérissement du droit d’action.

Notons néanmoins que, les délais de forclusion qui sont souvent d’ailleurs de brefs délais, ne sauraient faire l’objet d’aucune convention, car l’on considère traditionnellement ces délais préfix comme radicalement indisponibles. Ainsi, ils ne peuvent pas davantage être interrompus ou suspendus. De la sorte, toutes les conventions relatives aux délais de péremption seraient nulles (cf. Contra Civ. 2, 14 octobre 1987, B. II n° 195, RTDCiv. 1988 p. 753). Mais il convient de noter que la notion et le régime des délais préfix sont contestés et assez incertains en jurisprudence.

Ainsi, la position traditionnelle française veut que les clauses sur la prescription participent de l’aménagement des risques comme les clauses limitatives de responsabilité. Cette manière de voir a été reprise dans la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription. L’admission de ces clauses relatives à la prescription y est toutefois plus libérale, tout en étant plus précisément encadrée (bornée dans le temps).

Avant seule la réduction du délai était admise et à condition de laisser subsister un délai raisonnable. Aujourd’hui la réduction comme l’allongement sont admis par l’article 2254 du Code civil, mais l’allongement ne saurait excéder 10 ans et la réduction ne saurait porter le délai à moins d’un an ( certains (Delebecque) auraient préféré 6 mois…).

Leur encadrement, en dépit de cette perspective libérale se trouve en outre renforcé parce que ces conventions sont exclues dans un certain nombre de domaines où les relations contractuelles sont inégalitaires, et où de telles clauses sont partant plus suspectes (action en paiement ou répétition de salaires, arrérages de rentes, pensions alimentaires et autres créances périodiques). On notera également l’exclusion du droit de la consommation du droit des assurances.

Notons que les délais préfix étant restés hors du champ de la réforme, il reste encore vraisemblable, si l’on continue d’appliquer la J antérieure, qu’ils ne puissent toujours pas faire l’objet de conventions les aménageant.

De la même manière et quoique la loi de 2008 n’en dise rien, il est très vraisemblable que l’esprit qui a présidé à la mise en place du délai butoir de 20 ans de l’article 2232 c. civ. et qui lui confère une dimension d’ordre public, exclut tout aménagement conventionnel de ce délai.

Les parties peuvent-elles créer des causes de suspension ou d’interruption ? Oui si l’on s’en réfère à l’article 2238 mais aussi à l’article 2254 qui le redit expressément. Déjà la J avait admis que l’énumération légale des causes d’interruption de la prescription n’est pas d’ordre public et que les parties peuvent y déroger, une société de téléphonie pouvant ainsi prévoir que l’envoi d’une simple lettre interrompait la prescription de l’action en paiement relative à ses factures à l’égard du client, fût il simple consommateur (cf. 25 juin 2002, B. I n° 214, D. 2003 p. 195).

1°/ Leurs effets

151 De la même façon, la prescription n’est pas une fin de non recevoir que le juge pourrait relever d’office  : elle doit être directement invoquée par les parties ; comme le rappelle l’article 2223 du Code civil.

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Ces clauses ont une efficacité procédurale directe, comme désormais les clauses de médiation et de conciliation puisqu’elles sont sanctionnées par une irrecevabilité de l’action, la prescription étant une fin de non recevoir.

Proches dans leurs effets des clauses limitatives de responsabilité, elles n’en sont pas moins distinctes par leur objet elles portent a priori sur le droit d’action et non sur le droit substantiel.

Et la Cour de cassation a ainsi jugé que la clause portant sur le délai de prescription, ne sont pas mises en échec par la faute lourde (cf. Com. 12 juillet 2004, B. IV n° 162, JCP 2005 I 132 n° 11, RTDCiv. 2005 p. 133 et Rev Cts 2005 p. 172 et aussi D. 2004 p. 2296). Cette différence d’objet pourrait justifier la distinction compte tenu de la rédaction de l’article 1150 du Code civil.

Pourtant ces clauses, tout autant que les clauses limitatives de responsabilité, peuvent aboutir à vider le contrat de sa substance, si elles réduisent exagérément le délai. C’est pourquoi la limite posée en jurisprudence selon laquelle, il faut que le délai conventionnel de prescription laisse au créancier un temps suffisant pour réagir rejoint dans son esprit la jurisprudence Chronopost.

Là encore, la législation sur les clauses abusives a vocation à s’appliquer, et la Commission des clauses abusives exerce une vigilance particulière sur ce type de clauses. Récemment, la Cour de cassation vient d’ailleurs de censurer une clause de la convention de compte de dépôt de LCL reconnue comme abusive qui stipulait qu’  « à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date d’édition d’un relevé de compte, les écritures et opérations mentionnées seront considérées comme acceptées » (cf. Civ. 1, 8 janvier 2009, pourvoi n° 0617639 LEC 2009 p. 7). La clause laissait entendre qu’il s’agissait d’un délai de prescription une fois passé le délai légal de vérification. Mais cet outil suppose que le contrat ne soit pas conclu en rapport avec l’activité professionnelle de l’une des parties. Une telle clause qui n’exclut pas toute action en responsabilité du client, elle prévoit même la possibilité de réclamations dans un délai réduit entrave l’exercice par le consommateur de son droit d’agir en justice comme le faisait ressortir une recommandation antérieure de la Commission des clauses abusives (Recom° n° 2005-2). Ce sont sans doute ces considérations qui ont conduit à introduire dans la loi de 2008 un article L. 137-1 c. consommation au terme duquel « par dérogation à l'article 2254 du Code civil, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d'un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de celle-ci ».

Notons que tout récemment, sur le fondement du droit au juge la Cour d’appel de Paris vient d’invalider une clause de prescription enfermant « dans un délai de trois mois à compter de l’évènement dommageable », toute action en responsabilité contre un cabinet de conseil engagée contre un professionnel spécialisé dans les fusions acquisition152. La Cour d’appel ajoute par ailleurs que cette clause, qui relevait vraisemblablement du régime antérieur à la réforme, crée ce faisant, un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, ce qui n’est pas sans évoquer le droit des clauses abusives, mais ce qui renvoie peut être aussi au nouvel article 442-6 c. com., en droit de la concurrence. Et la clause de prescription est alors écartée par la Cour d’appel qui applique les délais de droit commun.

Peut-on couvrir la faute dolosive par un délai de prescription conventionnel bref. Le projet ne dit rien pas plus que la loi actuelle ou que la J actuelle. Le dol fait peut être exception à toutes les clauses… C’est ce que certains auteurs comme P. Delebecque avancent…

II - La transmission de l’action

Cette question de la transmission est souvent traitée lorsque l’on étudie le ou les droits substantiels en cause…. Et pour cause ! En effet, il est admis qu’en principe l’action en justice se transmet entre vifs ou à cause de mort, avec la prérogative juridique, parce qu’elle en permet justement la réalisation judiciaire. Signe supplémentaire, s’il en était besoin, des liens de cette action avec le droit substantiel en cause.

Il ne serait pas dès lors envisageable que l’action puisse être transmise indépendamment de la prérogative juridique dont elle assure la sanction.

152 C. App. Paris, 14 décembre 2010, n° 08/09544, Dalloz 2011 p. 511 obs. X Delpech.

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Ainsi il a pu être jugé récemment qu’ « une convention de cession peut avoir pour objet, non seulement toute créance, mais encore toute action contre un tiers, à moins que ces créances, droits ou actions ne soient hors du commerce ou que l'aliénation n'en ait été prohibée par une loi particulière ». N'est, dès lors, pas contraire à l'ordre public la cession d'une action tendant à la mise en jeu d'une responsabilité civile professionnelle ne faisant l'objet d'aucune restriction légale. Ainsi le cessionnaire de l’acte de prêt pourrait agir en responsabilité contre le notaire qui a dressé l’acte de prêt dès lors que c’est pas la faute du notaire que les garanties attachées au remboursement de ce prêt ont été perdues (cf. Civ. 1, 10 janvier 2006, Bulletin I n° 6, p. n° 03-17839, D. 2006 p. 365 et p. 2129).

Et la cour de cassation précise ainsi sa pensée « Une convention de cession peut avoir pour objet, non seulement toute créance, mais encore toute action contre un tiers, à moins que ces créances, droits ou actions ne soient hors du commerce ou que l'aliénation n'en ait été prohibée par une loi particulière. N'est, dès lors, pas contraire à l'ordre public la cession d'une action tendant à la mise en jeu d'une responsabilité civile professionnelle ne faisant l'objet d'aucune restriction légale ».

De la même manière la succession aux biens d’une personne emporte aussi succession aux actions attachées à ces biens.

Il s’agit dès lors d’une transmission de l’action par voie d’accessoire, parce qu’elle rend la prérogative substantielle effective.

Pourtant d’un point de vue du droit processuel, plusieurs précisions doivent être apportées concernant le moment de la transmission et les limites de cette transmission.

1°/ Le moment de la transmission qu’il s’agisse d’une transmission entre vifs ou à cause de mort est variable.

- La transmission de l’action peut avoir lieu avant la saisine du juge et n’appelle pas de ce fait de remarque particulière. La transmission est en quelque sorte ici occultée par celle de la prérogative substantielle donc elle n’est au fond que l’accessoire, la servante… Le cessionnaire devra comme le cédant qui aurait pu agir avant, prouver qu’il a intérêt et éventuellement qualité pour agir.

- En revanche, si elle intervient une fois le juge saisi, si la transmission de l’action se fait en cous d’instance, la transmission de l’action ne fait pas échapper le droit substantiel au procès en cours, bien au contraire. La cessionnaire de l’action, acquiert alors la position processuelle du cédant et s’il acquiert une créance faisant l’objet d’une action en paiement il deviendra demandeur au paiement, au lieu et place du cédant.Toutefois le nouveau titulaire de l’action devra justifier des conditions qui lui permettent de figurer ainsi dans l’action, en notifiant à son adversaire le titre qui l’autorise à agir contre lui et qui a opéré transfert de l’action.Et le cédant ayant cédé son droit d’action n’est plus titulaire de celle-ci. Il ne peut plus agir sur le fondement de la prérogative substantielle. Ainsi il a été jugé que le copropriétaire qui vend son lot alors qu’un procès pour violation du règlement de lotissement est en cours « n’a plus qualité et intérêt à agir », une fois le lot cédé (cf. Civ. 3, 4 déc. 2007, Proc. 2008 n° 32). Alors que l’on enseigne traditionnellement que l’intérêt et la qualité s’apprécient lors de l’introduction de l’action, il apparaît ici que certains évènements comme ici la cession du lot peuvent remettre en cause l’existence de cet intérêt et cette qualité, même si des arrêts affirment péremptoirement le contraire).Cette transmission de l’action n’affecte pas l’instance, son déroulement, sauf si l’action est transmise à cause de mort, à supposer qu’elle soit bien sûr transmissible. Dans ce dernier cas, l’article 370 cpc dispose alors qu’ « à compter de la notification qui en est faite à l’autre partie, l’instance est interrompue par le décès d’un partie ». Ainsi l’instance ne reprendra son cours, en l’état où elle se trouvait, qu’après régularisation par les héritiers du défunt Cependant le principe comporte des limites et toutes les actions ne sont pas transmissibles. 2°/ Les limites de cette transmission apparaissent ;

- parce que certaines prérogatives substantielles ne sont pas transmissibles à cause de mort , de sorte que les actions qui en sont l’accessoire ne peuvent pas davantage être transmis à cause de mort. Ainsi en est-il des droits viagers. Les droits comme les actions sont éteints par l’effet de la mort du titulaire. Et cet effet extinctif se produirait même si le défunt, avant de mourir, avait introduit son action. Ils pourraient en revanche être cédés entre vifs….

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- tandis que d’autres droits attachés à la personne de leurs titulaires ne sont pas transmissibles de sorte que le droit d’action qui en est l’accessoire ne l’est pas davantage. Le droit contemporain admet cependant plus largement qu’avant les transmissions de l’action pour cause de mort. Ainsi les héritiers ne peuvent agir à la place du défunt en séparation de corps, en divorce ou en adoption simple à la place de ce dernier. Ces actions, trop intimes disparaissent avec la personne du titulaire de la prérogative substantielle. Les héritiers peuvent en revanche par la voie de l’action successorale, exercer certaines actions purement patrimoniales voire sous certaines conditions, certaines autres qui ne sont pas purement patrimoniales, comme l’action en réparation d’un préjudice moral.

Parfois les héritiers seront alors en mesure de continuer l’action introduite par le défunt, ainsi en est-il de certaines actions relatives à la filiation, d’actions relatives aux donations, aux incapacités ou à la nationalité. L’instance est interrompue par l’effet du décès fera l’objet d’une reprise d’instance pour faire apparaître les héritiers à la procédure.

Parfois les parties pourront plus largement exercer ab initio une action que le défunt n’avait pas encore mis en œuvre, mais des limites de temps sont alors tranchées par la loi, parce que ces tempéraments se justifient par l’idée un peu fictive que le défunt aurait probablement agi… Il est alors plus largement porté atteinte à leur instransmissibilité. Ainsi, en est-il en matière de filiation ou de révocation pour cause d’ingratitude.

Parfois, dans un même litige, apparaissent des actions transmissibles et d’autres intransmissibles, il renvient alors au juge de déterminer les instances qui s’éteignent à raison de l’intransmissibilité, et celles qui subsistent mais s’interrompent, et pour lesquelles il pourrait y avoir à régulariser la procédure : ainsi en serait-il d’une décision qui prononce le divorce et accorde une prestation compensatoire.

Mais la transmission des actions en justice s’applique aussi aux personnes morales notamment dans les hypothèses de fusion absorption ou d’apports partiels d’actif (apport d’une branche d’activi -té). Elles posent alors des difficultés complexes encore mal résolues en droit positif (cf. Apport partiel d'actif : de la transmission des actifs à celle de la qualité de partie, pour les instances précédemment engagées par la société apporteuse, avec ses vertus et ses vices…- Cass. civ. 2, 7 janvier 2010, pourvoi numéro 08-18.619, RJCOM 2010 n° 4, n. C Boilllot, JCP 2010, numéro 349, n. JF Barbieri p. 650, JCP G 2010, Chron. Sociétés numéro 233, p. 435 obs. F. Deboissy et G. Wicker, et D. 2010, p. 205, Bull. Joly Soc., numéro 4 2010, § 74 p. 361 n. X. Vamparys). la société bénéficiaire de l’apport partiel d’actif, par voie de transmission universelle, acquiert la qualité de partie aux instances précédemment engagées par la société apporteuse, et se substitue de plein droit à celle-ci (cf. M-L Coquelet, Le sort des actions en justice en cas de transmission universelle du patrimoine, Bull. Joly 2007 p. 783, § 228).Il semble aussi acquis que la société absorbée est en mesure d’agir et d’intenter des actions tant que la dissolution de la société n’a pas été publiée (Com. 24 mai 2011, n°10-19222, Joly 2011 §391).

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2° PARTIE :La juridiction ou le droit au juge étatique compétent.

Repartons ici des exigences du droit au procès équitable. Le droit au juge se précise dans l’article 6§1 de la CEDH au travers de l’exigence que pose ce texte du droit à un tribunal établi par la loi. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera »…

Et ce droit au juge établi par la loi a pu être rappelé par un arrêt Sunday Times c/ RU du 26 avril 1979 qui souligne que « les tribunaux constituent les organes appropriés pour apprécier les droits et obligations juridiques et pour statuer sur les différends qui y sont relatifs ». Les tribunaux étatiques ne sont pas des organes de l’Etat comme les autres ils ont une mission propre.

Et qui plus est les justiciables ont un droit égal à être jugés, naturellement par des juridictions préétablies par la loi, qui sont les mêmes pour tous…. L’exigence que de tribunal soit établi par la loi qui transparaît aussi à l’article 34 de la Constitution et dans les règles de répartition des compétences entre législatif et réglementaire en droit judiciaire est une garantie contre les tentations de l’exécutif de créer des juridictions ad hoc pour juger à part certaines personnes, selon des règles propres. La loi et donc les juridictions étalbies par la loi sont les mêmes pour tous.

Mais la Cour européenne des droits de l’homme a également rappelé dans différents arrêt, et notamment la jurisprudence Bellet de 1995, que nous avons évoqué que les règles de répartition des compétences entre ces juridictions doivent être clairement et lisiblement posées par la loi, pour que l’accès au juge par les justiciables soit effectif. Il doit en outre exister des mécanismes de protection de ces compétences propres des juridictions…

Ainsi, au-delà du droit d’accès au juge, les exigences du procès équitable emportent des implications sur les juridictions, leur compétence, la répartition du contentieux entre elles, exigences qui sont aussi synonymes de bonne justice et que l’on connaissait en France au travers de la théorie de la juridiction.

Avant même que ces règles ne soient posées par la CEDH, en effet, le tribunal, la juridiction était présentée en France comme le cadre du procès civil. L’étude de la juridiction permet alors de définir le juge, la juridiction, sa mission propre qui est de trancher les litiges . Quelle est la spécificité de l’activité juridictionnelle ?… C’est ce à quoi renvoie justement la théorie de la juridiction (Chapitre 1). Cela permettra, dans un second temps, de définir quel est le juge compétent, soit l’étude plus spécifique de la compétence des juridictions (Chapitre 2). Pour aborder ensuite la manière dont sont gérés les conflits de compétence par l’ordre juridique français, soit le régime de la répartition des compétences entre les juridictions (Chapitre 3).

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Chapitre 1 : La spécificité de l'activité judiciaire

L’action est le droit ou le pouvoir de déclencher l’activité du juge.Le juge, les organes judiciaires développent une activité propre qui prend la forme d’actes, et

notamment de jugements. Mais justement, on a d’emblée introduit une nuance tous ces actes ne sont pas des jugements et ne renvoient pas nécessairement au cœur de la mission propre du juge qui est de trancher les litiges. C’est alors s’interroger sur ce qu’est un acte juridictionnel sur ses critères, pour souligner justement la variété de ces actes juridictionnels, mais pour mettre en évidence également que tous ces actes justement ne sont pas toujours juridictionnels.

Tout ce qui est judiciaire n’est pas juridictionnel. Envisageons donc successivement l’activité juridictionnelle et l’activité judiciaire

Section 1 : L'activité juridictionnelle

Selon la Cour européenne des droits de l’homme un tribunal se caractérise par son rôle juridictionnel qui consiste à trancher sur la base de normes de droit, et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence. (cf. CEDH 29 avril 1988, Belilos c/ Suisse et CEDH 27 août 1991, Demicoli c/ Malte).

Il est important de parvenir à isoler dans l’activité du juge ce qui est juridictionnel. Seuls les actes juridictionnels en effet sont dotés de l’autorité de chose jugée et emportent dessaisissement du juge, seuls les actes juridictionnels relèvent des voies de recours.

L’un des enjeux de la distinction a pu un temps résider dans la distinction des actes gracieux et des actes contentieux toutefois le Code de procédure civile ayant désormais doté ces actes gracieux d’un régime propre qui écarte en partie l’intérêt de leur qualification.

En revanche, un nouvel enjeu est apparu plus récemment celui de la soumission des actes qui relèvent de l’activité juridictionnelle aux garanties du procès équitable.

Pourtant, malgré des travaux multiples et de qualité consacrés à cette question, aucune réponse, aucune thèse, n’apporte une entière satisfaction et n’est parfaitement opératoire. Au fond d’ailleurs, la question se pose peut-être un peu différemment suivant les époques, et suivant les nécessités de l’organisation judiciaire et la conception qu’un ordre juridique se fait de l’élaboration du droit.

Dans ce domaine, la doctrine publiciste a joué un très grand rôle, celle-ci éprouvant la nécessité de démontrer que le juge administratif est un véritable juge et non un démembrement des organes administratifs, de l’administration active : le juge administratif rend donc de véritables jugements. Ce faisant, les publicistes ont surtout cherché à qualifier certains organes à mi-chemin entre administration et juridiction pour retenir ou non la qualification de juridiction pour ces divers conseils, commissions (disciplinaire, de décision…), sans rechercher plus spécifiquement le critère de l’acte juridictionnel, démarche retenue plus spécialement par les privatistes. Les publicistes ont de la sorte quelque peu biaisée la réflexion. D’ailleurs, cette démarche plus précise des privatistes s’avère d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui les autorités administratives se multiplient et si la doctrine publiciste et le Conseil constitutionnel leur dénient la nature de juridiction, tandis que la doctrine privatiste et la Cour européenne des droits de l’homme leur reconnaissent le pouvoir de rendre des actes juridictionnels. Ces AAI ont au moins pour certaines d’entre elles une mission juridictionnelle, entre autres missions… Et doivent à ce titre apporter certaines garanties.

Envisageons donc les critères de l’acte juridictionnel, pour ensuite en souligner la dualité, et en dégager les attributs propres.

§1 - Les critères de l’acte juridictionnel,

Faut-il pour déterminer ce qui est juridictionnel ou ce qui ne l’est pas s’attacher à des critères extérieurs, c’est-à-dire s’attacher à des signes extérieurs, à des critères formels, ou faut-il s’attacher à l’activité même du juge à sa nature soit des critères matériels. La doctrine italienne propose une tierce voie en s’appuyant sur le critère de ce que le juge est un tiers à l’acte.

Avant d’envisager ces critères, rappelons que l’enjeu de la question n’est pas purement théorique : il répond à un souci pratique. Comment distinguer en particulier de simples commissions

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administratives, qui étudient un dossier et prennent une décision relative à un cas concret (administrative), des juridictions qui rendent des actes juridictionnels qui procèdent aussi d’une démarche concrète ? Au sein de l’Université les conseils de discipline, sont ainsi considérés comme des organes juridictionnels à la différence d’autres commissions administratives qui prennent des décisions individuelles en application des textes….De la nature de ces actes dépend bien sûr leur régime et leur soumissions aux voies de recours juridictionnelles et autres garanties du procès équitable ou au contraire leur nature de décisions administratives relevant des recours administratifs hiérarchiques et gracieux.

La présentation de ces critères est d’autant plus nécessaire qu’en définitive la jurisprudence résout cette question complexe en s’appuyant sur la règle du faisceau d’indices qu’elle a pu dégager notamment à travers l’arrêt de Bayo rendu par le CE en 1953 (CE Ass. 12 décembre 1953), par lequel le CE se prononce sur la qualification de juridiction d’une juridiction ordinale. Ces faisceaux d’indices renvoient à trois critères. Ainsi, il n’existe pas un critère unique mais plusieurs dont aucun n’est à lui seul déterminant. Reprenons ces trois critères.

1°/ Critères formels ou organiquesLe critère formel ou organique a été mis en lumière par Carré de Malberg, Japiot et Jèze.En application de l’article 34 de la Constitution un tribunal, une juridiction, est établie par

la loi. Ainsi une juridiction est nécessairement créée par une loi, et non par le pouvoir réglementaire, qui peut seulement créer des autorités administratives. Les juridictions sont en outre des organes particuliers, hiérarchisés spécialisés, indépendants et autonomes nous dit Carré de Malberg, ce sont donc des critères extérieurs qui permettent de distinguer le jugement qui tout comme un acte de l’exécutif est une application concrète de la loi. Pour Japiot et Jèze ce qui fait la spécificité des organes juridictionnels c’est qu’ils rendent des décisions dotées de l’autorité de la chose jugee.

Ainsi, le problème de qualification est donc en partie résolu lorsque la loi qualifie juridiquement l’organe de juridiction, oui le dote de ses caractères distinctifs voire affirme que ses décisions ont autorité de la chose jugée, ou lui dénie cette qualification… Mais tel n’est malheureusement pas toujours le cas. C’est d’ailleurs ce qui pourrait contribuer à dénier à certaines AAI le caractère de juridictions.

Au fond, ce critère ne rend pas compte de ce que toute l’activité du juge n’est pas juridictionnelle (cf. §3).

Aujourd’hui au demeurant et toujours en vertu de la jurisprudence européenne, certains organes assument à la fois des missions juridictionnelles et administratives (cf. AAI)

Comme ce critère formel n’apporte pas entièrement satisfaction d’autres critères s’avèrent utiles. Notamment, parce que les critères de Japiot et Jèze ne nous ont pas beaucoup fait avancer et procèdent de l’avis de certains d’une erreur de méthode qualifier à partir des effets, alors que l’on déduit en principe logiquement les effets d’une qualification rigoureuse. Un certain nombre de critères différents ont été proposés en doctrine et sont utilisés pour trancher ces questions. L’acte juridictionnel traduit la fonction judiciaire dans son essence, sa spécificité. Mais il existe différentes manières de l’envisager.

2°/ Critères matériels

C’est pourquoi, l’on se réfère aussi au critère matériel. Ce qui fait la spécificité de la juridiction c’est qu’elle tranche un litige, elle tranche entre des prétentions selon des règles de droit. - En vertu du critère matériel, certains mettent en avant la nécessité d’un litige. Cela conduit alors à dénier aux décisions gracieuses l’autorité de la chose jugée, ce que ne fait plus une grande partie de la doctrine qui considère qu’en les soumettant aux voies de recours le cpc a voulu les faire rentrer dans la catégorie des actes juridictionnels.- D’autres s’attachent plus à l’analyse de la structure de l’acte, au raisonnement du juge : c’est la démarche de la juridiction, le raisonnement inductif et déductif qu’elle déploie pour résoudre la difficulté juridique. Cela ajouté à la procédure garante des droits des justiciables qu’elle respecte pour prendre la décision, les garanties du procès équitable distinguent l’activité du juge, lorsqu’il exerce sa mission propre, de celle d’une administration quand elle prend sa décision.

Et c’est par exemple la spécicifcité de ce contrôle juridictionnel qui fait défaut dans la procédure formulaire de l’injnction de payer européenne (dite sans preuve) qui fait douter pour

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certains du caractère juridictionnel de l’ordonnance d’injonction de payer européenne, fruit d’un compromis et voulant intégrer le fait que certains Etats confient ce ty de mission à des greffiers dont le contrôle est d’ordre administratif (M. Lopez de Tejada et Louis D’avout, Les non-dits de la procédure européenne d’injonction de payer, Rev. Crit. De DIP 2007 p. 717).

La décision (administrative), au contraire, est un acte de volonté… A la différence d’un organe, qui donne son avis parfois en simple opportunité, le juge tranche

en droit, appliquant ainsi la règle de manière neutre. Et il est soumis à des contraintes procédurales pour garantir le respect des droits des justiciables et une application neutre de la règle de droit substantielle.

3°/ Critères tirés de la qualité de tiers du juge

Pour la doctrine italienne dont les thèses se sont essaimées en France, est un acte juridictionnel un acte qui sera pris par un juge, c’est-à-dire un tiers indépendant et impartial investi de la mission de trancher les litiges, en respectant certaines règles de procédures qui sont les principes fondamentaux de procédure.

L’administration quant à elle agit dans le souci du service public dont il a la charge, alors que le juge n’est animé que par le souci de la légalité.

La décision de justice est issue d’une procédure particulière propre au procès et respectueuse tant de la publicité, que de l’impartialité, que du contradictoire. La décision judiciaire est motivée en fait et en droit, ce qui est là encore une garantie permettant dans un second temps la critique de celle-ci au second degré voire en cassation

Ce critère permet plus aisément de faire entrer la matière gracieuse dans le domaine des actes juridictionnels.

Là aussi, le critère n’est pas pleinement satisfaisant, l’acte est juridictionnel quand il est pris par un juge. Mais qu’est qu’un juge ? D’ailleurs, c’est parfois sous cette angle que surgit la question de la qualification de l’organe en question, notamment lorsque l’on prétend qu’il n’a pas respecté les garanties de l’article 6§1 de la CEDH, il faudra au préalable répondre à la question de se qualification comme tribunal soit comme juridiction au sens de ce texte… Dans certains cas pourtant notamment lorsque l’organisme est amené à prendre des sanctions et entre partant dans la matière pénale, cela suffit à le soumettre à certaines garanties du procès équitable issues de l’article 6§1 CESDH.

La diversité des critères atteste de la difficulté de la démarche de qualification. Suivant l’angle sous lequel la question se pose, l’un ou l’autre de ces critères sera retenu, en essayant de voir si un maximum d’éléments convergent dans le sens de cette qualification. Ce sont ces critères cumulatifs, à l’exception du premier que la Cour européenne emploie pour déterminer si un organisme assume une activité juridictionnelle et s’il doit de ce fait respecter les garanties du procès équitable issues de ce texte.

Malheureusement, le cumul idéal de ces critères est souvent délicat à mettre en œuvre.

§2 - La dualité de l’acte juridictionnel,

Désormais, beaucoup d’auteurs s’accordent pour considérer que les décisions gracieuses comme les décisions contentieuses sont des actes juridictionnels.

Ainsi, l’acte juridictionnel porte en lui la diversité : on le subdivise généralement entre la matière contentieuse et la matière gracieuse, sachant l’unité fondamentale de l’activité juridictionnelle se révèle aussi directement dans ses classification, puisque les ordonnances sur requête ont une nature controversée, gracieuse pour certains, contentieuses pour d’autres, mais en toute hypothèse juridictionnelles.

A – Les décisions contentieuses

1°/ Définition

Les décisions contentieuses sont celles qui tranchent un litige soit un différend d’ordre juridique portant sur l’existence ou l’étendue des droits ou sur leur lésion éventuelle. Le juge tranche entre des prétentions antagonistes qui rendent son intervention nécessaire…

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2°/ Diversité

Les décisions contentieuses sont elles-mêmes diverses et l’on peut dès lors les subdiviser, comme le fait d’ailleurs le cpc. En vertu de la définition précédemment donnée,

- Il n’est pas nécessairement requis d’ailleurs que la procédure au terme de laquelle la décision est rendue soit une procédure contradictoire : le jugement rendu par défaut reste un jugement même si le caractère antagoniste des prétentions y apparaît moins nettement.

- Il ne faut pas davantage distinguer selon que la contestation est définitivement ou provisoirement tranchée par le juge saisi. Les jugements avant dire droit ou en référé sont des jugements à part entière dotés de l’autorité de la chose jugée « au provisoire », quant à leur objet propre….

B – Les décisions gracieuses

1°/ DéfinitionPar opposition aux premières, les décisions gracieuses sont celles où le juge en dehors de tout

litige reçoit certains actes ou coopère à ceux-ci, son intervention étant requise par la loi, pour leur donner pleine efficacité ou pour renforcer celle-ci.

L’opinion classique refusait aux décisions gracieuses, la nature d’acte juridictionnel, faisant de l’existence d’un litige le critère de l’acte juridictionnel. Cette opinion encore défendue par G. Couchez ne semble plus tenable. Ce qui caractérise l’acte juridictionnel réside davantage dans l’application de la règle de droit à une situation de fait dont il est saisi, dans le respect d’une procédure assortie de certaines garanties. Or cette confrontation au droit n’est pas propre aux décisions contentieuses : on la retrouve également dans les décisions gracieuses.

L’activité du juge dans les deux cas est de vérifier la légalité, de lever des obstacles, tenant à la résistance du sujet passif de droit, si l’on est au contentieux, tenant aux obstacles que la loi met à la régularisation de telle ou telle situation (acte), ce qui permet au juge d’effectuer un contrôle de légalité mais aussi d’opportunité, si l’on est en matière gracieuse.

Dans les deux cas, le juge statue par voie d’autorité, prend un jugement qui dit le droit et qui peut être frappé de recours…. Ce qui n’a de sens qu’à condition de reconnaître à cette décision gracieuse du juge l’autorité de la chose jugée… Ainsi, tant en matière contentieuse qu’en matière gracieuse il y a bien une unité de l’activité judiciaire.

Et les décisions gracieuses et contentieuses, sous réserve de certaines règles propres, obéissent à des régimes similaires. Ainsi, les décisions gracieuses relèvent-elles des voies de recours (article 543 et 546 CPC – appel – et 583 CPC – tierce opposition) mais aussi elles sont susceptibles de pourvoi en cassation (610 cpc). C’est le Code de procédure civile qui a consacré de telles voies de recours, même s’il envisage certaines spécificités quant à leur exercice. Ces décisions viennent à leur manière lever un obstacle à la réalisation effective des droits (parfois c’est le premier juge qui est en mesure de modifier ou rétracter sa décision et l’appel apparaît alors davantage comme une voie de rétractation).

D’ailleurs, une procédure gracieuse peut devenir contentieuse, par la survenance d’une contestation (cf. Civ. 1, 5 janvier 1999, B I n° 9), ou l’exercice d’un recours… C’est ce qui se produit notamment dans les procédures d’ordonnance sur requête, en cas d’élévation du contentieux. Mais l’inverse peut également se produire notamment en matière de divorce.

Et, la qualification de contentieuse ou de gracieuse d’une procédure n’est pas toujours aisée à faire.

2°/ Diversité Les décisions gracieuses sont elles aussi diverses.

- Les décisions d’homologation d’un acte sont ainsi classées parmi les actes de juridiction gracieuse (pensons par exemple à la décision d’homologation d’une conciliation menée par un conciliateur de justice (art. 131 cpc) ou par un médiateur judiciaire (art. 131-12 cpc), où les textes se réfèrent expressément à la qualification de décision gracieuse, ou encore au nouvel art. 1535 visant l’homologation des accords issus de processus de médiation ou de conciliation conventionnel (mais cette fois la décision n’est pas qualifiée comme relevant de la matière gracieuse).- Suivant les cas l’intervention du juge se traduit par un contrôle une autorisation (préalable) – contrôle du juge des tutelles sur les actes extrapatrimoniaux, les transactions faites au nom du mineur -, une

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homologation. Et le juge exerce alors à la fois un contrôle de légalité et d’opportunité… En fonction des objectifs que la loi lui fixe. Par exemple, en cas de changement de régime matrimonial le juge l’appréciera en fonction de l’intérêt de la famille. Mais justement de ce point de vue depuis le 1° janvier 2007, le changement de régime matrimonial n’est plus soumis au contrôle du juge qu’en cas de d’opposition des enfants majeurs, ce qui prouve qu’une activité juridictionnelle peut être déjudiciarisée. Le rôle du juge par ce contrôle en opportunité est un peu différent de celui du notaire qui reçoit un acte. Et son intervention est de ce fait jugée plus protectrice que celle de toute autre personne.- Le divorce par consentement mutuel relève à l’heure actuelle d’une procédure gracieuse en effet contrairement aux autres formes de divorce ici, il n’existe pas de contestation sur son principe, mais l’intervention du juge qui exerce un véritable contrôle est nécessaire pour que le divorce opère ses effets constitutifs : la loi reconnaît certes effet à l’accord des parties mais sous le contrôle du juge. Et son éventuelle déjudiciarisation un temps envisagée, a été justement critiquée par le rapport Guinchard de 2008, l’idée semble désormais reléguée, l’intervention d’un juge et son intervention gracieuse demeure donc nécessaire.Mais des doutes subsistent pour les ordonnances sur requête qui restent encore assez généralement classées parmi les décisions gracieuses.

Notons enfin s’agissant de la juridiction gracieuse et plus particulièrement du contentieux de l’homologation que le rapport Delmas Goyon (proposition n° 47) remis en déc. 2013 à la Chancellerie préconise d’en transmettre l’examen à un greffier juridictionnel, de sorte qu’on peut se demander si il n’y a pas là une volonté de déjudiciariser et de faire sortir cette mission de l’office du juge et de la fonction juridictionnelle. N’y a-t-il pas un risque pour la protection des intérêts en cause qui mérite sans doute une appréciation au cas par cas ?

§3 - Les attributs caractéristiques de l’acte juridictionnel

Si ce ne sont pas ces éléments caractéristiques qui, dans une démarche logique, doivent déterminer la qualification. Il n’en demeure pas moins que leur détermination permet de mieux cerner les enjeux, l’intérêt de la qualification d’acte juridictionnel.

Or ces enjeux sont bien réels et renvoient à des notions fondamentales.

A - L’autorité de la chose jugée attribut propre de la fonction juridictionnelle

L’autorité de la chose jugée traduit l’efficacité propre du jugement au-delà de son efficacité substantielle puisque le jugement qu’il soit constitutif ou déclaratif, modifie l’ordre juridique crée des effets obligatoires.

L’autorité de la chose jugée au-delà de l’efficacité substantielle du jugement comme norme renvoie à son efficacité procédurale propre : une telle autorité n’est pas accordée aux actes émanant d’une administration ordinaire. Elle traduit l’idée que le jugement rendu le juge a épuisé son pouvoir juridictionnel (article 481 al. 1 cpc). «  la sentence une fois rendu, le juge cesse d’être juge ». Le juge ne pourra plus que rectifier certaines erreurs matérielles ou donner des précisions d’interprétation (article 481 al. 3 pour le recours en interprétation et 462 s. pour les recours pour erreurs et rectification d’omissions matérielles. Le reste relève des voies de recours et donc du pouvoir d’un autre juge.

L’autorité de la chose jugée ne signifie pas pour autant que le jugement est à l’abri de toute critique puisqu’il pourra faire l’objet de voies de recours, à condition que celles-ci obéissent à certaines exigences (délais de recours, formes des recours).

Elle se traduit techniquement par une fin de non recevoir dont on a abordé les contours dans la 1° partie de ce cours.

Ainsi, l’autorité de la chose jugée manifeste ses effets tant à l’égard des parties qu’à l’égard du juge.

Dégageons en la portée avant de s’intéresser plus précisément à sa localisation.

1°/ Sa portée

Cette autorité n’est pourtant que limitée on dit qu’elle est relative car elle est triplement limitée comme la fin de non recevoir à laquelle elle renvoie à l’identité de cause de parties et d’objet (article 1351 du Code civil). Cette autorité relative est aussi protectrice pour les tiers au jugement qui

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quant à eux n’ont pu faire valoir leurs arguments lors des débats, mais qui ne peuvent pas pour autant méconnaître le jugement en tant que fait social…

Cette autorité de la chose jugée s’impose de ce fait aux autres pouvoirs publics et en particulier, aux administrations qui doivent en respecter les termes. Elle doit, par exemple, l’être par le préfet dans l’exercice de son pouvoir de police, lors de l’exécution forcée des décisions de justice.

Mais elle s’impose aussi, d’une certaine manière, au législateur qui ne saurait par l’effet d’une loi postérieure au jugement revenir sur les effets d’une jurisprudence antérieure la chose ayant été irrévocablement jugée. En effet, à l’occasion de la loi dite anti Perruche il a pu être affirmé par la C. Cass., et sous l’influence de la CEDH, que si le principe de non rétroactivité des lois n’a pas valeur constitutionnelle hors de la matière pénale, une loi ne peut revenir sur les effets de jugements qui lui sont antérieurs que s’il existe un impérieux motif d’intérêt général. Admettre le contraire serait violer le principe de sécurité juridique tel qu’il résulte de l’article 6§1 de la CEDH.

L’autorité de la chose jugée peut depuis le décret du 20 août 2004 être soulevée en tout état de cause et être relevée d’office par le juge qui jouit en la matière d’une simple faculté, le moyen n’est pas d’ordre public.

2°/ Sa localisation

* L’on ajoute généralement avec certaines nuances que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’au dispositif et pas aux motifs (exception faite parfois de ceux qui sont le soutien nécessaire du dispositif)153, comme l’énonce indirectement l’article 480 du code de procédure civile qui précise que le jugement tranche dans son dispositif.

Selon une jurisprudence traditionnelle quoique controversée, il ne serait pas interdit d’éclairer la portée du dispositif par les motifs de la décision. Seuls les motifs décisifs ou ceux qui sont le soutien nécessaire du dispositif seraient ici pris en compte. Les motifs permettent en effet de mieux cerner l’identité de cause et d’objet lors de l’examen de la fin de non recevoir de chose jugée. Ainsi, en matière d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil il a pu être jugé que l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe (cf. Civ. 2, 5 juin 2008 Proc. 2008 n° 226).

La jurisprudence reconnaît aussi parfois l’autorité de la chose jugée à ce qui est implicitement jugé, soit ce qui est le implicitement compris dans le dispositif parce qu’il est la suite nécessaire logique de ce qui a été jugé par exemple la nullité implique des restitutions….Mais récemment dans un arrêt d’AP du 13 mars 2009 elle vient de condamner cette référence à une chose implicitement jugée, s’en tenant à une perspective formaliste (AP 13 mars 2009, p. n° 08-16033 JCP 2009 n. YM Serinet II 10077), au visa des articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile, rappelant que « l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif »; et que partant, elle ne couvrait pas n'avait pas tranché les demandes reconventionnelles formées non visées au dispositif. Cette vision plus formaliste se veut plus respectueuse de la sécurité juridique et des droits du justiciable, qui doit, à la seule lecture du dispositif savoir à qui s’en tenir. Elle contrebalance un peu ce faisant en insistant sur les devoirs du juge en matière de rédaction des jugements les critiques formulées à l’égard de l’arrêt Cesareo du 7 juillet 2006. Cette solution simple a le mérite pour le justiciable de clarifier les conditions auxquelles un nouvel accès au prétoire est ouvert…

Elle fait également écho à l’article 455 cpc qui énonce en son al. 2 que « le jugement énonce la décision sous forme de dispositif ». Certains auteurs considèrent la solution comme politiquement opportune et logiquement justifiée.

En revanche tout ce qui figure au dispositif n’a pas nécessairement force de chose jugée car peuvent y figurer des éléments qui ne tranchent pas le litige, soit que le juge remette pour plus tard sa décision lorsqu’il n’a pas tous les éléments pour trancher ( il évaluera tel préjudice à la majorité de l’enfant car son état n’est pas stabilisé) ou parce que l’accord des parties sur un point donné – sous forme de contrat judiciaire prive son intervention d’objet (cf. Civ. 1, 20 janvier 2010, pourvoi n° 08-19627, N. RLDC 2010).

153 Civ. 1, 20 février 2007, B I n° 66, l’arrêt semble même exclure les motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif. Voir également précisant que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’au dispositif Civ. 3, 1° oct. 2008, pourvoi n° 07-17051, Procédures 2008 n° 335

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De même, il a été jugé récemment qu’en dépit d’une formule générale du jugement qui rejette globalement « toutes autres demandes » il n’y a pas autorité de la chose jugées sur celles d’entre elles dont il apparaît au vu des motifs qu’elles n’auraient pas été examinées (Civ. 2, 8 septembre 2011, n° 10-15189, Procédures n° 329), ce qui traduit une approche restrictive de l’autorité de chose jugée.

* L’autorité de la chose jugée se distingue également de la force de chose jugée, plus vigoureuse qui ne s’attache à la décision qu’une fois les délais de recours expirés ou une fois les voies de recours épuisées. La décision n’est en effet irrévocable qu’une fois les délais de voies de recours extraordinaires expirés, ou celles-ci exercées.

* L’autorité de la chose jugée joue aussi au provisoire, sur les choses jugées au provisoire ou en référé. Elle n’a donc pas tout à fait la même portée mais elle revêt les mêmes modalités. Soulignons néanmoins que certaines affaires soumises au référé ne seront jamais tranchées au principal si la chose jugée au provisoire satisfait aux parties… De fait, le provisoire devient dans de nombreux cas du définitif ! Mais si le juge du principal est amené à trancher, en revanche il n’est nullement lié par ce qui a été jugé au provisoire et conserve sa pleine souveraineté pour statuer différemment.

Pour conclure sur l’autorité de la chose jugée signalons qu’il existe deux thèses opposées l’une admet qu’elle puisse s’appliquer à autre chose que le jugement et donc à la transaction, parce qu’elle tranche un litige et participe à la fonction juridictionnelle cf. Foyer l’autre en revanche qui rattache l’autorité de la chose jugée à la spécificité du travail du juge se montre nettement plus réservé sur ce point (cf. Tomasin). Si l’on voit dans l’autorité de la chose jugée à la suite de Perrot comme une suite logique de la fonction juridictionnelle tendant à éteindre les litiges, comme un épuisement du droit d’action alors sa transposition à la transaction devient concevable. L’autorité de la chose jugée procède d’un épuisement du droit processuel d’action. Or, comme le met évidence L. Boyer, c’est le droit d’action qui est l’objet de la transaction.

L’autorité de la chose jugée, élément caractéristique de l’acte juridictionnel, mérite d’être distinguée d’autres attributs de celui-ci qui ne lui sont pas nécessairement propres mais qui sont autant d’éléments extrinsèques qui viennent en renforcer l’efficacité substantielle.

B - Les autres attributs du jugement qui en confortent l’efficacité.

Certains attributs extrinsèques confortent l’efficacité procédurale du jugement (par opposition à son efficacité substantielle).

L’autorité de la chose jugée mérite ainsi d’être distinguée de l’opposabilité. Qui découle de la normativité du jugement comme du contrat. Tout norme juridique pour être efficace dans l’ordre social, doit être opposable… Mais l’opposabilité n’est pas le propre de l’acte juridictionnel ou du jugement.

de la force exécutoire. Celle-ci est un attribut formel supplémentaire du jugement ou de l’acte notarié et qui renvoie à d’autres implications concrètes. Elle vient encore renforcer la vigueur de l’acte juridictionnel ou contractuel et se rattache à l’efficacité formelle de l’acte.

Notons d’ailleurs que l’attribution de la force exécutoire au jugement suppose que les voies de recours soient épuisées. Alors que le jugement a autorité de la chose jugée dès son prononcé… Les deux n’interviennent donc pas au même moment.

Notons également que la décision de justice étrangère, ou encore la sentence arbitrale (article 1484 du cpc), sont dotées de l’autorité de chose jugée sans avoir force exécutoire sur le territoire français. Pour revêtir celle-ci elles devront obtenir l’exequatur.

Notons enfin que certains actes qui sont instrumentés pas les notaires voire par les huissiers ont force exécutoire sans revêtir l’autorité de la chose jugée ce qui montre bien que ces deux notions ont l’une vis-à-vis de l’autre une certaine indépendance.

de la force probante. Celle-ci est un attribut formel supplémentaire du jugement. Et la force probante du jugement lui confère valeur d’acte authentique : ainsi les mentions du jugement nous dit l’article 457 du cpc font foi jusqu’à inscription de faux.

de l’hypothèque légale judicaire dont est assorti le jugement (et pas la transaction par exemple) mais qui n’est pas le propre du jugement (article

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2396 et 2412 c. civ. (ex art. 2123 c. civ.)), puisque le texte ajoute qu’elle bénéfice aussi aux sentences arbitrales et aux décision rendues par les juridictions étrangères et déclarées exécutoires en France. Cette hypothèque légale judicaire qui n’existe d’ailleurs pas dans tous les systèmes juridiques, elle a été supprimée dans plusieurs Etats européens est contestée. Elle grève tous les biens immobiliers du débiteur pour garantir l’exécution du jugement et a donc une assise générale, pour toutes les créances issues d’un jugement de condamnation (ce qui renvoie en fait à la juridiction contentieuse). Elle nécessite une inscription. Il s’agit en fait d’une forme d’hypothèque légale et non d’une hypothèque judiciaire. Elle trouve son assise dans la loi (article 2412 c. civ.) et non dans un jugement154.

Mais après avoir envisagé l’activité juridictionnelle reste à se demander en quoi pourrait consister l’activité non juridictionnelle des tribunaux ?

Section 2 : L'activité non juridictionnelle

L’activité non juridictionnelle renvoie à des actes qui ne sont au fond que des actes administratifs à forme judiciaire ou au fait que le juge se borne dans un certain nombre de cas à constater que l’accord des parties sur certains points rend son intervention inutile.

§1 - Les actes relatifs à l’administration de la justice

Le CPC les qualifie plus précisément de mesures d’administration judiciaire, mais on pourrait aussi les qualifier d’actes judiciaires administratifs : ce sont des actes qui ne se rattachent pas à l’activité propre du juge qu’elle soit contentieuse ou gracieuse.

Ils ont pour but soit d’organiser le service public de la justice, d’en assurer le bon fonctionnement au sein d’une juridiction donnée : répartition des affaires entre les chambres ou les juges d’une même juridiction, fixation et organisation des audiences, tenue du rôle, désignation ou délégation du juge à des missions spécifiques.

soit plus précisément d’assurer le bon déroulement de l’instance, il s’agit alors de décisions fixant des délais, de décision de radiation du rôle, de renvoi à l’audience, de jonctions ou de disjonction d’instance, de décisions relatives à une éventuelle connexité ou encore de décisions relatives à la clôture de l’instruction.

Ces mesures d’administration judiciaire ne sont pas des actes juridictionnels, et ne sont pas, de ce fait, soumises à des recours (article 537 cpc).

Ainsi la Cour de cassation rappelait-elle récemment que « la demande de radiation présentée sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile donnait lieu au prononcé d'une mesure d'administration judiciaire », de sorte qu’ « une cour d'appel en a exactement déduit, sans violer les dispositions de l'article 6, § 1, Conv. EDH, qu'elle n'était pas susceptible de recours et ne pouvait être déférée à la cour d'appel. (Cass. 2e civ., 18 juin 2009 pourvoi n° 08-15.424 FS-P+B).

Parmi les mesures d’administration judiciaire figure aussi la décision de désigner un expert qui aidera les parties à fixer le prix dans une vente lorsqu’elles ont eu recours aux procédés des articles 1592 et 1843-4 cpc

Figurent aussi en vertu du décret du 1° octobre 2010 qui a inséré au Cpc un article 129-5 « les décisions prises par le juge dans le cadre de la mission de conciliation » du conciliateur de justice qui sont expressément qualifiées de mesures d’administration judiciaire, ainsi en est il de la décision de désignation du conciliateur ou de celle qui viserait à proroger la conciliation (art. 129-1), d’y mettre fin (art. 129-4). S’agissant de la décision ordonnant ou renouvelant la médiation ou y mettant fin il est précisé qu’elle n’est pas susceptible d’appel (art. 131-15 cpc), ce qui permettrait de déduire que c’est aussi une mesure d’administration judiciaire, rien n’est dit sur la nature des décisions fixant la rémuné-ration des frais de médiation et sur la répartition des frais.

§2 - Les actes relatifs à la solution du litige

Les actes relatifs à la solution du litige qui ne sont pas juridictionnels renvoient essentiellement à deux hypothèses qui renvoient à une justice plus consensuelle que le cpc voulait promouvoir.

154 Pour une distinction hypothèque légae et hypothèque judiciaire (cf. Civ. 1, 14 mars 2012, n° 10-28143, D. 2012 p. 804).

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- L’acte du juge bien que tranchant le litige n’est pas juridictionnel lorsque le juge rend un jugement en équité. En effet, si en principe le juge tranche le litige en vertu des règles de droit qui lui sont applicables, en vertu de l’art. 12 cpc, ce même article, dans son alinéa 4 - et c’est là une innovation du cpc - autorise le juge à statuer en amiable compositeur soit en équité. Ce jugement d’équité qui peut faire l’objet d’un appel mais pas d’un pourvoi en cassation – puisque l’application du droit est écartée - n’est pas à proprement parler un jugement, un acte juridictionnel, il ne renvoie pas à l’activité normale du juge qui est de dire le droit (jurisdictio). Il n’est pas juridictionnel et pourtant il se prononce sur les droits subjectifs respectifs des parties.

- L’acte du juge se borne parfois à constater l’accord des parties, on parle alors de contrats judiciaires. Ce sont des actes où le juge se borne à constater l’accord des parties et qui comme tels restent des contrats relevant des voies de droit contractuelles et non des voies de recours processuelles : ils ne sont pas susceptibles d’appel. Ces voies de droit contractuelles permettent de les annuler pour vices du consentement par exemple. Ainsi si le juge constate que les parties se sont mises d’accord pour fixer le montant de l’indemnisation due à un incapable à la suite d’un accident de la circulation les mentions du jugement qui constatent l’accord des parties renvoient à un contrat judiciaire, plus précisément, à une transaction, laquelle nécessite, si l’incapable relève d’une tutelle, l’autorisation du juge des tutelles (cf. Civ. 1, 20 janvier 2010, pourvoi n° 08-19627, N. RLDC 2010)

L’origine de la solution n’est pas une décision du juge prise par voie d’autorité mais un accord des parties. Peu importe que le juge les ait aidées à parvenir à cet accord cela n’en change pas la nature conventionnelle. L’acte judiciaire n’intervient qu’après la disparition de la contestation par l’accord des parties, il n’est donc que le réceptacle de cet accord et n’en modifie pas la nature juridique.

En revanche, l’acte ayant été constaté par le juge, le contrat judiciaire aura la valeur probante d’un jugement.

Pour un arrêt récent s’attachant au contrôle par le juge de l’existence d’un contrat judiciaire (cf. Civ. 1, 25 juin 2008, p. n° 07-10511, JCP 2008 I 206 n° 13).

C’est donc à tort que l’on qualifie l’acte qui constate l’accord des parties de jugement de donné acte, puisqu’il n’y a pas à proprement parler de jugement, l’acte restant conventionnel

En revanche, si de manière plus subtile le juge reprend dans sa motivation les éléments de solution de l’accord des parties en le présentant formellement comme un jugement motivé assorti d’un dispositif, alors l’acte sera considéré comme un jugement d’expédient, soit une sorte de jugement simulé relevant des voies de recours.

Notons que le fait de qualifier certains actes du juge comme relevant de son activité juridictionnelle va emporter des contraintes formelles, en termes de motivation notamment. Ainsi une mesure d’administration judiciaire ne nécessite pas de motivation particulière alors qu’au contraire il faut motiver une décision juridictionnelle. 1C’est ce que montrent certains arrêts en droit de la famille. Ainsi, il a pu être jugé récemment qu’ « en application des articles 457 et 495 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, et des articles 1214 et 1215 du code de procédure civile, le juge des tutelles ne peut autoriser un majeur protégé placé sous tutelle à effectuer un acte de disposition que par une décision motivée susceptible de recours ». Dès lors, c'est à bon droit qu'une cour d'appel a retenu qu'une lettre du juge des tutelles contenant un simple accord de principe sur une cession d'usufruit ne saurait tenir lieu de l'autorisation exigée par ces textes (cf. Civ.1, 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-19.964, AJ Famille, déc. 2008, J p. 479, note L. Pécaud-Rivolier).

La motivation des décisions de justice figure parmi les exigences propres à l’acte juridictionnel et renvoie à l’essence de la mission du juge, comme le rappelle la jurisprudence européenne (CEDH 9 décembre 1994, Arrêt Hiro Balani c. Espagne et Ruiz Torija c. Espagne série A § 29 n° 303 A n° 18390/91, D. 1996 som. 202 et CEDH 19 février 1998, Higgins, D. 1998 som. 369 obs. N. Fricero, et plus récemment voir CEDH 14 janvier 2010 n° 3681>5/03 Atanasovski c/ Ex Rep Yougoslave de Madédoine). Elle est en effet un rempart contre l’arbitraire et permet d’exercer un contrôle de légalité de la motivation, ce qui a justifié son instauration en 1790 (S. Guinchard et alii, Droit processuel, 5° éd°, Dalloz 2009 n° 436, 505 et 510 et sur les liens entre impartialité et exigence de motivation Com. 23 mars 2010, n° 09-11508 jugeant qu’une apparence de motivation qui est en fait la reprise des conclusions de l’une des parties à l’acte, peut faire peser des doutes légitimes sur l’impartialité de la juridiction en question). En ce sens elle conforte les droits de la défense et permet

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l’exercice des recours. Avec la publicité et l’exigence d’un recours, elles constituent les trois éléments d’un triptyque formant un rempart contre l’arbitraire des juges.

Elle est caractéristique du mode de production de la norme qu’est le jugement, pour D. Rousseau, constitutionnaliste, – à côté de l’indépendance du juge et de sa responsabilité – en ce qu’elle traduit une éthique de la production des normes juridictionnelles aux côtés du contradictoires et du principe de publicité et de la collégialité. Comme le souligne un auteur (M. Martens) la qualité de la norme juridictionnelle est indissociable de la qualité de son processus d’élaboration…

La motivation est d’ailleurs une exigence du procès équitable, ce qui n’apparaît pas directement à la lettre de l’article 6§1 CESDH, elle permet de vérifier que la cause a bien été entendue au sens de cette disposition et que le tribunal a apprécié les moyens contradictoires de manière impartiale et offre ce faisant des possibilités de recours… (CEDH 27 avril 2010, n° 16318/07 Proc. 2010 n° 231). Ainsi l’exigence de célérité ne saurait suffire du moins dans cette matière à dispenser de l’exigence de motivation.

Exigence aujourd’hui reprise à l’article 455 cpc., elle permet à le lire de s’assurer que le juge a pris en compte tous les prétentions et moyens formulés par les parties et les dernières conclusions émanant d’elles (qui doivent être visées assorties de leur date).

Des décisions récentes rappellent au demeurant l’importance de la motivation des jugements, notamment dans le cadre de la procédure d’exequatur, elles aussi soumises à des impératifs de rapidité et d’efficacité (cf. Civ. 1, 22 octobre 2008, Bull. I, n° 234, pourvoi n° 06-15577, D. 2009 p. 59) ; il a ainsi été jugé qu’est contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure, la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée, lorsque ne sont pas produits les documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante.

Plusieurs arrêts rendus en 2010 (Com. 13 juill. 2010, n° 09-14.121, RLDC, nov. 2010. 661, obs. C. Bléry ; Com. 23 mars 2010, n° 09-11.029, RTD civ. 2010. 289, obs. J.-P. Marguénaud ; Com. 5 oct. 2010, n° 09-71.679) sanctionnent des décisions qui se bornent au titre de la motivation, à reproduire les conclusions de l'une des parties, voire celles du ministère public sans examiner les nouveaux éléments produits aux débats par le demandeur (cf. Civ. 1 1° juin 2011, n° 10-12130, Procédures n° 260). En statuant ainsi, par une apparence de motivation pouvant faire peser un doute sur l'impartialité de la juridiction, les juges méconnaissent le procès équitable. La motivation doit résulter d'une analyse personnelle du juge, et traduire une discussion contradictoire avec toutes les parties ! Et d’ailleurs la Cour qui adopterait l’exposé des faits et des moyens retenus pas les premiers juges ainsi que leurs motifs non contraire au présent arrêt ne respecterait pas davantage cette exigence (Civ. 3 ; 21 septembre 2011, n° 10-25195, Procédures n° 327). Il s’agit là aussi de s’assurer de l’analyse personnelle du juge qui statue, et de lutter contre la pratique tentante du copier coller. En l’occurrence, il faut également s’assurer que le juge a statué au visa des dernières écritures des parties (art. 954 cpc) or la motivation a pu évoluer entre la première instance et l’appel !

Pourtant, si cette exigence a valeur constitutionnelle, il est admis que la loi peut y apporter certains aménagements, pour certains impératifs (Cons. Constit. DC n° 77-1012 du 3 nov. 1977 et DC n° 98-408 du 22 janvier 1999), ce que le Conseil vient d’ailleurs de rappeler en énonçant que « l’obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation constitue une garantie légale de cette exigence constitutionnelle ; que, si la Constitution ne confère pas à cette obligation un caractère général et absolu, l’absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu’à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire » (Décision du CC du 1er avril 2011 n° 2011-113/115 QPC).

Et la CEDH enseigne elle-même que les exigences du procès équitable se font moins rigoureuses à mesure que l’on gravit les échelons des juridictions. Ainis , elle admet que les décisions des juridictions suprême (CE, C Cass.) soient plus succinctes et plus denses, voire que les décisions qui filtrent les recours devant elles ne soient pas motivées155, dans la mesure où il y a déjà eu par hypothèse deux - ou au moins un - degrés de juridiction.

155 CEDH 15 juin 2004, Sptinska c/ France, JCP 2004 I 161 n° 6 obs. Sudre. Et pour le CE CEDH 9 mars 1999, Société Immeuble groupe Kosser BICCC 2001 n° 2 et CEDH 28 janvier 2003, Burg c/ France Req. 34763/02)

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Ainsi, l’exigence de motivation n’a pas la même portée en matière criminelle pour les décisions de Cour d’assises, le verdict reposant sur l’intime conviction156. C’est alors la trame des questions posées qui devient déterminante et garantit la qualité de la décision rendue… C’est ce qui a conduit la CEDH a valider la dérogation à ce principe pour les décisions de Cour d’assises en 2010 (CEDH, Gde ch., 16 nov. 2010, no 926/05, Dalloz actualité, 25 nov. 2010, obs. O. Bachelet ; D. 2011. Jur. 47, note J.-F. Renucci ; ibid. 48, note J. Pradel ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc). De même le Conseil Constitutionnel a rejeté tout récemment une QPC sur le sujet estimant que la procédure criminelle apportait d’autres garanties (Décision du CC du 1er avril 2011 n° 2011-113/115 QPC). Pourtant la procédure vient d’être réformée sur ce point ce qui a conduit à réintroduire la motivation des décisions d’assises.

Il en va de même en droit des procédures collectives, compte tenu des contraintes de temps. C’est ainsi que d’autres arrêts se placent en retrait par rapport à cette exigence de motivation consubstantielle à la décision de justice en estimant par exemple que le défaut de motivation ne constitue pas un excès de pouvoir. Il s’agit ici de faire prévaloir l’objectif de rapidité et de sécurité juridique, qui conduisent à délimiter plus étroitement notamment dans les procédures collectives les voies de recours (cf. Com. 26 janvier 2010, pourvoi n° 08-21330, D. 2010, p. 380, JCP 2010, 223, n° 8, p. 412 – RJCom 2010 4 n C. Boillot et Com. 7 septembre 2010, Proc 2010 ° 368).

D’ailleurs, certains s’inquiètent que les exceptions à cette exigence se multiplient notamment avec les procédures telles que celle de la non admission des pourvois, au point que l’on rechigne en la matière à parler d’arrêt pour n’évoquer que les décisions de non admission. Ils y voient justement une des dérives de la recherche d’une efficience ou d’une plus grande efficacité. Ce gain de temps se ferait au mépris des exigences élémentaires de bonne justice.

Parfois la dispense de motivation se justifie pour des raisons comparables à celles qui justifient l’absence de publicité du jugement (ainsi en matière de divorce et d’adoption (cf. Art. 248-1 et 1136 al. 2 cpc en matière de divorce et 353 al. 5 pour l’adoption).

Par ailleurs l’exercice de certains pouvoirs discrétionnaires du magistrat ne nécessitent par voie de conséquence aucune motivation… C’est ce qui caractérise justement un pouvoir discrétion-naire.

En contrepoint de ce mouvement un courant doctrinal et une décision récente semblent s’orienter vers une exigence de motivation des revirements de jurisprudence, au sein de la décision elle-même (cf. Com. 8 février 2011, n° 1011896), de nature à préserver les garanties du procès équitable et à donner corps justement à cette exigence de motivation qui en est un élément. Elle suit en cela une solution posée par la CEDH quelques mois plus tôt, CEDH 14 janvier 2010 n° 36815/03 Atanasovski c/ Ex Rep Yougoslave de Macédoine qui condamne Ex Rep Yougoslave de Macédoine parce que sa Cour suprême a changé sa jurisprudence - et il s’agissait d’une jurisprudence établie – sans s’expliquer sur les raisons substantielles de ce changement.

156 JCP 2010 I 1228

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Chapitre 2 : Les principes de répartition des compétences entre les juridictions

Avec la répartition des compétences entre les juridictions des questions nettement plus pratiques et concrètes sont en jeu…. Mais il est bon justement de rappeler que loin d’être seulement pratiques ou techniques, elles renvoient aussi à des enjeux théoriques à des principes essentiels qui régissent l’activité de l’Etat et du service public, dont la justice fait partie… Et le débat houleux sur la réforme de la carte judiciaire a permis de mettre en perspective que les contours de la carte judiciaire renvoient directement à la question de l’égal accès de tous, sur tout le territoire à la justice, aux tribunaux soit le principe d’égalité devant la justice, conséquence de l’égalité devant la loi.

Cette égalité devant la justice loin de renvoyer à la seule question de la répartition des organes juridictionnels sur le territoire renvoie aussi à l’exigence de règles claires et communes à tous de répartition du contentieux entre les juridictions, non pas en fonction de la qualité des justiciables, mais en fonction de l’objet du litige de la matière, à supposer bien sûr qu’il existe une certaine diversité de ces juridictions… Elle renvoie au droit au juge naturel, pour reprendre un vocabulaire plus proche de celui de la CEDH…

Le principe de l’égalité devant la justice constitue l’un des principes d’organisation juridictionnels issus de la Révolution française, en réaction contre la diversité des juridictions, et contre la présence de juridictions de « classes », seigneuriales et ecclésiales.

Ce principe d’égalité devant la justice a été proclamé également par le Conseil Constitutionnel dans différentes décisions. S’il ne résulte pas directement des termes de la Constitution ou de la DDHC, il est selon le conseil Constitutionnel une conséquence, une suite logique de l’égalité des citoyens devant la loi, affirmée à l’article 6 de la DDHC et trouver également ses assises dans l’article 16 et 17 de la DDHC.

Citons ainsi la décision du 23 juillet 1975 qui énonce que le principe d’égalité est inclus dans le principe d’égalité devant la loi proclamé par la DDHC de 1789 ou encore celle plus récente, rendue à l’occasion de l’instauration du juge de proximité DC du 9 septembre 2002 nouvelle juridiction spéciale qui ne nie pas ce principe d’égalité justement en ce qu’elle répond à un besoin d’efficacité et à un souci de proximité du juge avec ses justiciables. Le principe d’égalité étant ici conforté par le fait que le juge de proximité peut renvoyer l’affaire au juge d’instance lorsqu’il se heurte à une difficulté sérieuse.

Ce principe d’égalité fonde en droit français le droit à un juge naturel, soit le droit pour tous les justiciables placés dans la même situation à être jugé par un même juge selon les mêmes règles de procédures (publicité collégialité, contradictoire jugement motivé, assorti de recours).

Mais il fonde également les règles de compétence entre toutes les juridictions de l’ordre juridique français, et en particulier entre celles de l’ordre civil, qui nous intéressent plus directement ici.

Au-delà du strict raisonnement interne, et compte tenu de l’internationalisation des rapports juridiques, se pose la question de la compétence internationale qui obéit à des règles plus souples, parce qu’elle ne met pas en jeu la souveraineté des Etats.

Section 1 : Les critères de compétence interne

Les règles de compétence permettent de déterminer de quelle nature et de quel degré est la juridiction à saisir sur le territoire français. Et ces questions de compétence se posent essentiellement en France au stade de la première instance parce que les juridictions d’exception sont des juridictions de 1° instance et que sur le terrain de la compétence territoriale une fois l’instance engagée elle suit son cours. Et la compétence territoriale en appel dépend de la juridiction qui a tranché au 1° degré.

Les règles qui fixent la compétence de chaque juridiction tant territoriale que matérielle sont fixées par des textes propres et même pour ce qui est de la compétence d’attribution par des règles propres aux différentes juridictions en cause, que ce soit la Code de l’organisation judiciaire ou des textes spéciaux, hors code.

Le législateur pour les établir se laisse guider par des objectifs assez variés parmi lesquels on dénombre : - un souci de proximité du justiciable avec son juge, - la prise en compte de l’importance de l’intérêt en jeu,

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- la prise en compte de la nature de l’affaire et de la technicité de certaines matières- des raisons d’urgence ont parfois conduit à aménager des règles de compétence simplifiées et à donner compétence à un juge unique, voire à créer un contentieux spécifique celui de référés… Mais l’on passe ici de la compétence aux pouvoirs deux notions qu’il est bon de distinguer.

Il ne s’agira pas ici de reprendre l’ensemble des compétences des juridictions de droit commun et d’exception telles qu’elles ont pu être envisagées en 1° année mais de reprendre des éléments complémentaires, et notamment des règles relatives par exemple à l’évaluation des litiges….

Sous-section 1 : Les règles de compétence matérielle

On parle indifféremment de compétence matérielle, c’est-à-dire ratione materiae ou de compétence d’attribution.

Le principe de spécialité, souvent présenté comme un principe régissant l’organisation judiciaire française suppose de distinguer entre des juridictions de droit commun et les juridictions d’exception. Dans l’ordre judiciaire le TGI la CA sont les juridictions de droit commun. Il n’est pas nécessaire que la loi leur attribue spécialement compétence, le TGI et la CA ont vocation normalement à trancher les litiges civils entre particuliers, dans l’ordre judiciaire : il suffit que la loi ne la leur refuse pas. Leur compétence est résiduelle et se définit de manière négative.

Au contraire, les juridictions d’exception - on dit aussi parfois d’attribution (Conseil de prud’hommes, dans l’ordre judiciaire Cour des comptes dans l’ordre administratif) - ont une compétence d’attribution définie à raison de l’objet du litige, le domaine de leurs attributions étant défini strictement (toute interprétation extensive devrait être exclue). Et ce qui ne relève pas du domaine d’attribution de ces juridictions d’exception relève alors de la compétence des juridictions de droit commun.

Cette spécialisation est souvent liée à la technicité des litiges en cause, ou aux spécificités de certains contentieux qui appellent un traitement particulier (Conseil de prud’hommes). L’attribution de ce contentieux à une juridiction spécialisée apparaît dès lors comme un gage d’efficacité (juges spécialisés) et de bonne justice (prise en compte des exigences propres de la matière.

En même temps, cette pluralité de juridictions rend le système judiciaire plus complexe à appréhender – et donc plus irritant. Non seulement le justiciable devra dans un premier temps déterminer quel ordre de juridiction est compétent, mais en plus, ensuite, il devra élucider quelle est la juridiction compétente, en se penchant sur les règles de compétence matérielle ou d’attribution définies par les codes substantiels ou par les codes de procédure. Elle est à l’origine de nombreux incidents de compétence qui ralentissent l’issue du litige.

En cela, les juridictions d’exception, telles qu’elles sont conçues actuellement, ne dérogent pas à l’égalité des justiciables devant la justice, principe consacré à la Révolution française, et qui régit aujourd’hui encore notre organisation judiciaire, parce que la répartition des compétences ne se fait pas en fonction du statut social du justiciable, mais à raison de la matière litigieuse de sa nature ou de la valeur des enjeux du litige.

L’idée de réunir tout le contentieux de première instance devant un grand Tribunal de première instance (organe qui réunirait en son sein toutes les juridictions de première instance existantes et simplifierait ainsi la résolution du contentieux) est périodiquement reprise et elle l’était encore par le Président de la République dans le discours de rentrée devant la Cour de cassation elle l’avait été à l’occasion du rapport Guinchard de 2008 qui l’avait comme les projets antérieurs rejetée (cf. Guinchanrd n° 1468), elle est reprise dans le récent rapport Marshall dans le cadre de la réflexion sur le juge du XXI siècle lancée par le ministère de la justice et qui a donné lieu à 4 rapports dont le rapport Marshall. A défaut il suggère au moins de renforcer les blocs de compétence ce qui incite à prolonger les efforts engagés en ce sens depuis le rapport Guinchard justement ?

La répartition matérielle du contentieux devant les juridictions civiles a pourtant été notablement modifiée par la loi du 13 décembre 2011 qui supprime la juridiction de proximité en laissant subsister les juges de proximité à compter du 1° janvier 2013. La loi n° 2012-1441 du 24

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décembre 2012 est intervenue pour reporter au 1er janvier 2015 l'application des dispositions de la loi du 13 décembre 2011 qui prévoyait la disparition des juridictions et des juges de proximité. Ce rétablissement provisoire de ces juridictions et de ces juges est destiné à apporter une solution au problème immédiat de surcharge de travail des juges d'instance. Au-delà, cela devrait permettre d'engager à nouveau une réflexion approfondie sur l'avenir de notre organisation juridictionnelle de première instance.

§ 1 – L’attribution de la compétence en raison de la valeur du litige.

La valeur du litige remplit en matière civile deux fonctions.

1° Elle détermine d’une part, si le litige est ou non susceptible d’appel : on parle alors de taux de ressort, afin de déterminer si l’affaire est jugée en premier et dernier ressort, notamment si elle revêt un faible montant, ou si elle est jugée simplement en premier ressort et donc susceptible d’appel, la valeur de l’enjeu du litige justifiant ici l’instauration d’un double degré de juridiction. Désormais pour l’ensemble des juridictions civiles le taux du ressort est de 4000 euros il a été unifié pour l’ensemble des juridictions du 1° degré.

Il apparaît alors que les litiges pour lesquels l’appel est écarté ne sont plus vraiment des litiges mineurs, et souvent compte tenu du coût des procédures, ils risquent de ne pas faire l’objet d’un pourvoi en cassation, de sorte que le principe général du double degré de juridiction s’en trouve atténué.

2° Elle permet d’autre part, de délimiter les compétences entre deux juridictions et à indiquer la juridiction spécialement compétente. Il s’agit du taux de compétence. La valeur du litige joue ainsi un rôle en matière personnelle et mobilière, ainsi qu’en afin de départager la compétence du TGI du TI et de la juridiction de proximité instituée en 2003. Le taux de compétence est actuellement de 10  000 euros entre le TGI et le TI (art. L 221-4 COJ) et de 4000 euros entre le TI et le juge de proximité (art. L 231-3 COJ).

Restent à déterminer les règles d’évaluation du litige ce à quoi les articles 35 à 40 du cpc apportent des réponses. Il faudra alors distinguer suivant qu’il existe un ou plusieurs demandeurs.

A - L’évaluation du litige en présence d’une seule demande.

Est pris en compte le montant de la demande telle qu’elle est exprimée en principal dans les dernières écritures. Ainsi la détermination du montant de la demande dépend du demandeur. L’on ne saurait prendre en compte le montant de la condamnation effective, cela reviendrait à autoriser le Tribunal à fixer lui-même sa propre compétence, d’autant que la condamnation effective intervient temporellement trop tard, la compétence étant envisagée avant le fond.

Cela inclut le capital, les fruits et les dommages intérêts dus au jour de l’introduction de la demande, sans comprendre les intérêts qui seraient échus en cours de procès, ni même les frais de justice.

Une demande non chiffrée ne serait pas irrecevable de ce seul fait, si son montant est déterminable, il appartient juste au juge d’inviter les parties à chiffrer leurs demandes (cf. Civ. 2, 8 mars 2006, Proc. 2006 n° 95).

Il arrive que le montant de certaines demandes soit indéterminé, notamment pour certaines prétentions extrapatrimoniales, relatives à l’état des personnes… Il en va de même de certaines prétentions patrimoniales qui ne donnent pas lieu à liquidation : une demande en résolution d’un contrat par exemple. La demande est alors indéterminée. Cela a pour conséquence d’ouvrir systématiquement la voie de l’appel nous dit l’article 40 cpc….

Et une demande d’un euro symbolique a bien un montant déterminé.

B - L’évaluation du litige en présence d’une pluralité de demandeurs.

La pluralité de demandes compte tenu de la polysémie de ce mot renvoie à plusieurs schémas.

- Il peut s’agir d’une pluralité de demandes initiales. Autrement dit, il y a plusieurs demandeurs.

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- La pluralité de demandes provient parfois de l’adjonction de demandes à la demande initiale.

1°/ La pluralité de demandes initiales.

Si dès l’introduction de la demande plusieurs demandes initiales sont formées, il faudra distinguer selon qu’il y a un demandeur unique ou un pluralité de demandeurs.

* En présence d’un seul demandeur qui formerait plusieurs demandes contre un seul adversaire, il convient d’évaluer chaque prétention isolément, dans sa nature et dans son montant pour déterminer pour chacune d’entre elles, le juge qui serait compétent. Il en va ainsi par principe si les demandes sont fondées sur des faits différents et ne sont pas connexes (art. 35 al. 1 cpc).

En revanche, et l’hypothèse est fréquente en pratique, si ces différentes prétentions sont fondées sur les mêmes faits ou si elles sont connexes, le traitement unitaire et global du litige prévaut – autrement dit, on additionne les différentes demandes pour apprécier si le taux est ou non dépassé. Et ce traitement unitaire vaut d’ailleurs tant du point de vue du taux de compétence, que du point de vue du taux de ressort pour déterminer, s’il y a ou non appel (art. 35 al. 2). L’un et l’autre seront déterminés en fonction de la valeur totale des demandes. Ainsi la « valeur totale des prétentions » est prise en compte.

* En présence d’une pluralité de demandeurs ou de défendeurs, à plus forte raison que dans le cas précédent, chaque prétention doit être prise en compte et évaluée différemment, ce qui pourrait conduire à distinguer, suivant les parties, certaines demandes relevant du TI par exemple, et d’autres du TGI. L’existence de la possibilité d’un appel sera appréciée pour chaque partie en fonction du montant des prétentions en cause.

Une exception est posée à ce principe, lorsque les différentes prétentions sont émises « en vertu d’un titre commun » énonce l’article 36 cpc. Le titre commun au sens de ce texte est la cause génératrice des prétentions invoquées par ou contre les « litisconsorts », soit ceux qui font l’objet du même procès. Cela renvoie, par exemple, à l’hypothèse d’une obligation solidaire, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une solidarité active ou passive. Dans ce cas compétence et taux de ressort sont fixés par rapport à la plus élevée des prétentions , ce qui garantit ici le respect plus effectif du double degré de juridiction… C’est ce qu’énonce l’art. 36 cpc.

2°/ La pluralité de demandes incidentes.

Ces demandes incidentes peuvent émaner de tiers (intervention) ou des parties elles-mêmes, et en l’occurrence, du défendeur. La solution dans ce dernier cas est différente quant au taux de ressort et quant au taux de compétence.

Du point de vue du taux de ressort la règle veut que si aucune des demandes incidentes prises isolément n’est supérieure au taux de ressort alors le jugement est pris en premier et denier ressort. En revanche, si l’une d’entre elles est supérieure au taux du ressort, l’appel sera ouvert, quand bien même la demande principale aurait été inférieure au taux du ressort (art. 39 al. 2 cpc)… C’est alors la demande incidente qui attrait la demande principale… Il s’agit de donner toute sa portée ici au double degré de juridiction.

Il existe une exception à cette règle qui conduit alors à exclure l’appel, lorsque la demande incidente reconventionnelle est une demande en DI, fondée exclusivement sur la demande initiale. Dans ce cas, comme c’est la demande initiale qui sert de cause, elle seule sert de référence pour apprécier le taux de compétence. Et par conséquent, l’appel se trouve exclu. La demande de DI en effet ne pourrait faire l’objet d’un appel indépendamment de la demande initiale.

Et quant au taux de compétence (article 37 et 38 cpc)

* si les demandes incidentes sont inférieures au taux de compétence du TI et l’on pourrait dire par extension du juge de proximité le juge d’instance ou de proximité en connaît, alors même qu’additionnées à la demande principale elles pourraient parvenir à excéder le taux de compétence en 1° instance.

* en revanche, si l’une des demandes incidentes est supérieure au taux de compétence du TI et que l’une des parties invoque l’incompétence, une option s’ouvre alors au juge en vertu de l’article 38 cpc

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Soit le juge statue sur la seule demande initiale, sans prendre en compte la demande incidente, et sans la trancher.

Soit il renvoie l’intégralité de l’affaire au juge compétent pour statuer sur la demande incidente (juge du TGI ou juge d’instance suivant les cas)…

Cela signifie qu’en présence d’une demande incidente excédant le taux de compétence de la juridiction saisie, celle-ci ne peut statuer sur l’entier litige, sauf là encore à ce que la demande incidente reconventionnelle soit une demande en DI, fondée exclusivement sur la demande initiale.

Il faut toutefois combiner ces règles avec la liberté reconnue aux parties pour proroger la compétence de la juridiction de 1° instance ouverte à l’article 41 cpc mais aussi avec la liberté laissée aux parties, une fois le litige né, de renoncer à l’appel, à condition que les parties aient la liberté de disposer de leurs droits (art. 557 cpc).

§ 2 - L’attribution de la compétence en raison de la nature du litige.

De ce point de vue, la règle générale est simple : la juridiction de droit commun est compétente, sauf à ce qu’une juridiction d’exception se soit vu attribuer spécialement compétence. Ces règles, pour la plupart connues, seront rappelées très brièvement. Elles méritent tout de même de s’y attarder puisque le rapport Guinchard remis au garde des Sceaux en juin 2008 proposait diverses réformes pour améliorer la lisibilité de la répartition de ces compétences entre les différentes juridictions civiles, notamment entre le TGI le TI et la juridiction de proximité, qui pour certaines ont donné lieu à des réformes, modifiant le droit positif, la dernière en date aboutissant à la suppression du juge de proximité (Loi du 13 décembre 2011 n’entrera en vigueur que le 1 janvier 2015 (la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 ayant reporté au 1er janvier 2015, face à l’engorgement des juridictions d’instance), de sorte qu’il faut encore présenter celles-ci et l’évolution à venir.

A – Les compétences des juridictions de droit commun

1°/ Le TGI institué en 1958 est la juridiction de droit commun au stade de la 1° instance. Celui-ci dispose d’une plénitude de juridiction, en vertu de l’article L. 211-3 COJ compétence générale résiduelle en matière civile qui peut le conduire à statuer dans une foultitude de domaines y compris de la vie des affaires ou du monde du travail, chaque fois que la compétence spéciale d’une autre juridiction n’est pas fixée par la loi.

Mais le TGI dispose également de compétences exclusives l’article L. 211-4 COJ dans certaines matières déterminées par la loi. Dans ces matières de compétence exclusive, le TGI statue alors en 1° et dernier ressort, si la demande n’excède pas 4000 euros. Les juridictions d’exception ne sauraient empiéter sur ces compétences exclusives et pourraient de ce fait être conduites à surseoir à statuer.

Ces compétences exclusives sont assez éparses et résultent de différents textes.

Notons que la tendance est aussi à réserver à certains grands TGI la compétence pour statuer sur certains contentieux techniques afin de gagner en efficacité (en matière de propriété intellectuelle et industrielle, en matière de déplacements internationaux d’enfants…

* Ces compétences exclusives concernent l’état des personnes et les rapports de famille assez généralement qu’ils soient patrimoniaux ou extra patrimoniaux (art. R. 211-4, 1° à 3° du COJ). Elle est d’ailleurs parfois aménagée de manière particulière en ce qu’elle fait intervenir un juge unique le juge aux affaires familiales, voire le juge des enfants pour les mesures d’assistance éducative.

La compétence du TGI en matière familiale dans sa formation collégiale regroupe néanmoins pour l’heure la matière des régimes matrimoniaux, celle des successions et des libéralités, celle de la filiation ou de la déchéance de l’autorité parentale.

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Mais contrairement aux apparences, le droit des personnes et de la famille ne constituait pas absolument un bloc de compétence homogène dans la mesure où un certain nombre de compétences relèvent du juge des tutelles, et que le TI dispose de ci de là de certaines compétences.

Et d’ailleurs dans cette optique de concentration du contentieux familial, inspirée du rapport Guinchard, la loi du 12 mai 2009 n° 2009-526 a modifié la répartition des compétences entre les juridictions civiles en confiant au juge aux affaires familiales les suites patrimoniales de la procédure de divorce, l’homologation du changement de régime matrimonial, et le contentieux relatif aux indivisions entre concubins et partenaires à un PACS (article 213-3 COJ), ainsi que la tutelle des mineurs COJ (article 213-3-1 COJ), ce qui crée un véritable bloc de compétence.

Un réseau a par ailleurs été créé entre le JAF le juge des enfants et le juge des tutelles pour favoriser la communication entre eux par un décret du 10 avril 2009 n° 2009-398).

* La matière immobilière est également traditionnellement un chef de compétence exclusif du TGI (art. R. 211-4 5° du COJ). Cela renvoie aux actions réelles immobilières, comme les actions pétitoires comme à celles qui mettent en jeu un droit réel. Cela inclut également le contentieux de la copropriété et le contentieux des concessions immobilières et certains aspects du contentieux de l’urbanisme.

Depuis 2005, on y intègre aussi les actions possessoires.

Seules les actions en bornage relèvent toujours de la compétence des TI parce qu’elles nécessitent un temps de conciliation.

* Le contentieux de l’exécution relève aussi de la compétence exclusive du TGI et plus exactement d’ailleurs du juge unique qu’est le JEX157. Et cette compétence a récemment été étendue aux contestations relatives à la procédure de paiement direct de la pension alimentaire qui sont désormais portées devant le juge de l'exécution de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le domicile du débiteur de la pension, alors qu'elles étaient auparavant jugées par le TI du domicile du débiteur de la pension ( D. du 29 décembre 2009 n° 2009 1693).

Ce contentieux de l’exécution intègre aussi le contentieux de l’exequatur des jugements étrangers et des sentences arbitrales.

Et le juge de l’exécution a compétence exclusive pour connaître des contestations élevées à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit - ou la prescription éventuelle de celui-ci (cf. art. 213-6 COJ et Civ. 2, 9 septembre 2010, proc. 2010 n° 373). En revanche, il lui est interdit de remettre en question le principe même du titre exécutoire qui sert de fondement aux poursuites et de faire dire au juge ou au notaire autre chose que ce qu’ils ont constaté ou décidé en vertu de l’art. 8 du décret de 1992. Ici la prescription est un élément postérieur à la délivrance du titre… Le constat de ce que le délai est écoulé ne modifie en rien les constatations du notaire ou la décision du juge.

Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, entré en vigueur le 1er décembre, modifie la procédure applicable devant le JEX en renforçant le rôle des écritures et en améliorant la gestion temporelle de l'instance. Si la procédure reste orale devant le JEX (art. 13, al. 1 er, Décr. 31 juill. 1992), celui-ci peut organiser les échanges entre les parties comparantes158.

157 En revanche la compétence du JEX ne s’étend pas à l’action engagée contre l’huissier de justice fondée sur l’exécution fautive du mandat qui lui avait été donnée.

158 Le JEX fixe alors les délais et les conditions de la communication des prétentions, moyens et pièces entre les parties. Les sanctions du non-respect de ce calendrier sont renforcées pour lui conférer toute son efficacité : le JEX peut rappeler l'affaire à l'audience pour la juger ou la radier ; il peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense et, lorsque les parties formulent leurs prétentions et moyens par écrit, le JEX peut, avec leur accord, prévoir qu'elles seront réputées avoir abandonné les prétentions et moyens non repris

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* A côté de ces trois grands blocs, existent encore des chefs de compétence plus spécialisés  : celui de la propriété industrielle et intellectuelle (art. L. 211-10 COJ), celui des sociétés de professions libérales ou des procédures collectives affectant des non commerçants et agriculteurs, le contentieux de l’inscription de faux et de la vérification d’écritures, celui des baux commerciaux.

Le rapport Guinchard souhaitait plus nettement affirmer la compétence du TGI en matière civile complexe.

- C’est dans cette optique que le décret du 29 décembre 2009 modifiant la répartition des compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance a institué au bénéfice du Tribunal de grande instance un bloc de compétence cohérent en matière de baux commerciaux et professionnels dont la complexité justifie une représentation obligatoire par avocat, l'exclusivité de sa compétence est désormais affirmée à l'article R. 211-4, 11° du code de l'organisation judiciaire (COJ) s'agissant des baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale. Dans la même logique, l'article R. 221-38 du COJ précise que, sous réserve de la compétence de la juridiction de proximité en matière de dépôt de garantie prévue à l'article R. 231-4, le tribunal d'instance (TI) connaît des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion (le reste, sans changement). La compétence du TI s’étend d’ailleurs aux procédures d’expulsion « des personnes qui occupent aux fins d'habitation des immeubles bâtis, sans droit ni titre » (article R. 221-5 du COJ).

- Ce même texte a également conféré compétence au TGI en matière de presse, pour les actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites, qui relèvent désormais de la compétence exclusive du TGI (art. R. 211-4, 13°; R. 221-15, 2°, abrogé). Il s'agit notamment de mettre fin à l'éclatement des compétences dans une matière où la représentation obligatoire par avocat permet de tenir compte de la complexité du contentieux et où le montant de la demande n'est pas un critère pertinent de dévolution de compétence.

- C’est déjà dans cette optique qu’avant cette date le contentieux de la propriété intellectuelle et industrielle était réservé aux TGI, ainsi que les litiges en matière de procédures collectives qui ne relèvent pas de la compétence des Tribunaux de commerce (art. R. 211-4, 8° du COJ), soit lorsque l’activité n’est ni commerciale ni artisanale mais civile. Et même cette compétence est réservée à certains grands TGI (cf. loi du 13 décembre 2011 n° 2011-1862 de répartition du contentieux et d’allègement des procédures).

En principe, le TGI est une juridiction où la représentation est obligatoire et qui statue collégialement. Toutefois on observe une tendance à la généralisation des jugements à juge unique voire à l’instauration de juges uniques ad hoc spécialisés dans certains contentieux, comme le JAF le JEX, juge des enfants, juge de l’expropriation…

Au-delà le Président de la juridiction peut décider qu’une affaire sera jugée en juge unique en raison de l’objet du litige ou de la nature de l’affaire (art. R. 212-1 du COJ et 801 cpc). Les parties ou l’une d’elles peuvent demander un renvoi à une formation collégiale, mais cela risque de retarder l’issue du litige…

dans leurs dernières écritures communiquées (art. 446-2 c. pr. civ.). Le JEX peut aussi dispenser une partie qui en fait la demande de se présenter à une audience ultérieure : la communication se fait alors par lettre RAR ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès de la juridiction dans le délai qu'elle impartit (art. 13-1 Décr. 31 juill. 1992).

Mais cette nouvelle faculté de fixer un calendrier des échanges ne fait pas obstacle aux anciennes dispositions originales applicables devant le JEX. Notamment, une partie peut toujours en cours d'instance, exposer ses moyens par lettre adressée au JEX, à condition de justifier que l'adversaire en a eu connaissance avant l'audience par lettre RAR (art. 14 c. pr. civ.). La partie peut ne pas se présenter à l'audience, conformément au second alinéa de l'article 446-1 du code de procédure civile : le jugement rendu sera contradictoire, mais le juge aura toujours la faculté d'ordonner que la partie se présente devant lui (ce dispositif reprend celui de l'art. 14, al. 2 et 3, abrogés).

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2°. La Cour d’appel est la juridiction de droit commun au second degré qui connaît des appels tant des juridictions civiles de droit commun que des juridictions d’exception. Sa compétence est donc cette fois encore plus générale, de sorte qu’elle unifie le contentieux, réintroduisant une dimension plus rigoureuse au plan juridique au traitement de litiges parfois laissés à des non professionnels du droit en 1° instance, depuis 1958, sauf en matière de sécurité sociale ou il subsiste une exception. Ce rôle unificateur restaure également en appel une pleine égalité des citoyens devant la justice et devant la loi, qui est interprétée à ce stade de manière plus uniforme.

Il arrive également en matière de procédures collectives que le Tribunal de commerce connaisse en appel de certaines décisions du juge commissaire. Il en va de même de l’appel de certaines décisions du juge des tutelles qui est porté devant le TGI (cf. art. L. 211-5 COJ).

Notons que certaines Cour d’appel jouissent en outre de compétences spéciales. Ainsi en est-il de la Cour d’appel de Paris pour les appels formés contre les décisions de certaines AAI ou de certains fonds d’indemnisation.

B – Les compétences des juridictions d’exception

Comme l’objectif n’est pas ici de dresser un tableau de l’organisation juridictionnelle, seules seront envisagées ici très brièvement les compétences du Tribunal d’instance, celles du juge de proximité et celles du Tribunal de commerce et du Conseil de Prud’hommes.

1°/ Les Tribunaux d’instance

Crées depuis 1958, les tribunaux d’instance remplacent le juge de paix, et étaient perçus, dès lors, comme des juges de proximité. La conciliation y occupe une place importante et d’ailleurs on y a rattaché en 1978 les conciliateurs de justice à qui le juge d’instance peut déléguer sa mission de conciliation, où dont l’intercession pourrait même être sollicitée avant toute saisine du juge. Le recours à ces conciliateurs de justice est désormais possible par extension y compris devant les autres juridictions d’exceptions civiles (décret du 1° oct. 2010).

Toutefois, au fil des réformes qui ont élargi de plus en plus, et en même temps brouillé un peu leur domaine de compétence, et compte tenu de l’apparition du juge de proximité, la tribunal d’instance est apparu comme la juridiction à tout faire du domaine civil, une quasi juridiction de droit commun, composée de juge de métiers qui occupe un statut un peu bancal entre le TGI et le juge de proximité. Il a perdu en partie son identité. C’est sans doute pour la lui redonner que la juridiction de proximité a été supprimée.

Son rôle s’est accentué avec la loi du 5 mars 2007 réformant les tutelles, et les tâches qui lui sont confiées s’alourdiront encore avec la suppression au 1° janvier 2015 de la juridiction de proximité, de sorte que l’on craint un engorgement de cette juridiction.

Là encore, le rapport Guinchard propose de clarifier les compétences du TI ; celui-ci regrouperait toutes les affaires de proximité, caractérisées par un faible enjeu financier (- de 10  000 euros), ou par une forte immersion dans le tissu social (bail, crédit à la consommation, protection des majeurs, contentieux de l’exécution mobilière), avec une procédure simplifiée et une absence de représentation obligatoire.

Avec la loi du 13 décembre 2011 cet objectif est désormais atteint puisqu’avec la suppression des juridictions de proximité (art. 223-1 COJ) compétence sera donnée de façon exclusive aux TI pour les actions patrimoniales (personnelles) inférieures à 10 000 euros ou pour les demandes indéterminées qui ont pour origine une créance d’un montant inférieur à 10 000 euros.

Seules seront envisagées ses compétences strictement judiciaires qui renvoient essentiellement aux matières mobilières et personnelles d’un faible enjeu financier. S’y ajoutent cependant des attributions particulières (comme l’action en bornage qui nécessite de mettre en œuvre une

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conciliation entre voisins et qui renvoie à une forte immersion dans le tissu social) pour lesquelles le montant du litige peut notamment être indéterminé…

La matière mobilière et personnelle est souvent présentée comme le chef de compétence général de ces juridictions qui fonctionnent à juge unique (art. L. 221-4 COJ) à condition que les enjeux financiers ne dépassent pas 10 000 euros, et sous réserve désormais que la juridiction de proximité ne soit pas spécialement compétente. Même si cette disposition a une portée générale, la compétence du TI demeure donc spéciale dans son objet. S’y ajoute les demandes relatives à l’exécution d’une obligation dont le montant peut être indéterminé, si l’obligation elle-même n’excède pas 10 000 euros.

Hors de ce domaine facilement identifiable la compétence du TI est hétérogène et complexe  : elle résulte d’une multitudes de dispositions éparses, principalement des art. R. 221-5 COJ. Il en ressort notamment un pôle important de compétence en matière électorale (RP, élection des juges désignation des assesseurs) (art. R. 221-23 s. COJ) et en matière de consommation (art. R. 221-39 COJ), et en matière de louage d’immeuble d’habitation (soit des baux non professionnels). Y figurent aussi les procédures d’injonction de payer et d’injonction de faire.

Le juge d’instance est aussi juge des tutelles, mais la tutelle des mineurs lui a été enlevée pour être confiée au JAF depuis 2009.

Certains compte tenu de la complexité de ces règles et du caractère clairsemé de ces compétences souhaitent la suppression des TI et leur intégration au sein des TGI. Mais la réforme ne semble pas d’actualité.

On rappellera pour mémoire qu’au 1° janvier 2010, 178 des 473 TI ont disparu du fait de la réforme de la carte judiciaire. 27 TI avaient déjà fermé en 2009. Le CE a rejeté le 29 février 2010 la majorité des recours contestant les décrets d’application de ces mesures de refonte de la carte judiciaire. Notons que parallèlement les textes prévoient la création de 5 TI, pour mieux organiser leur répartition sur le territoire. Mais la question de la carte judiciaire est de nouveau d’actualité les critiques de la refonte opérée en 2008 refont surface et pourraient être confortées par la suppression des juridictions de proximité qui faisaient au moins l’office d’audiences foraines…

Le statut de l’écrit y est sécurisé par le décret n° 2010-1165 du 1° oct. 2010.

2°/ La juridiction de proximité en «   sursis   » De création plus récente, la juridiction de proximité a été instauré par une loi du 9 septembre

2002, son statut a été à de nombreuses reprises modifié depuis lors, et la juridiction de proximité n’en est pas moins contestée, notamment dans le récent rapport Guinchard qui en propose une modification d’ampleur. Son instauration répondait au souci de création d’une justice plus proche du citoyen, mais le projet a sans doute été rédigé avec trop de précipitation, et mal reçu par les magistrats et les conciliateurs de justice.

Au demeurant l’indépendance des juges de proximité par rapport aux TI était toute relative. Notamment, parce qu’une règle prévoit un renvoi de compétence par le juge de proximité au bénéfice du TI si le premier se heurte à une difficulté sérieuse (art. 231-5 COJ). Et parce qu’ils dépendent des moyens et structures du TI.

Sa compétence principale recouvre les actions personnelles ou mobilières, jusqu’à 4000 euros en dernier ressort, et à charge d’appel, des demandes indéterminées concernant l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4000 euros (art. 231-3 COJ). Elle peut aussi en vertu de ces dispositions homologuer un accord de conciliation émanant d’une conciliation de justice.

Ils étaient au nombre de 306 en 2012.Répartition des compétences TI juge de proximité (cf. Civ. 2, 12 juin 2008, p. n° 07-13901,

JCP 2008 I 206 n° 9).Il a été jugé que lorsque la juridiction de proximité statue sur des demandes indéterminées son

jugement est susceptible d’appel (cf. Com. 22 septembre 2009, pourvoi n° 08-17360, Procédures 2009 n° 353). Cette décision vient alors mettre en évidence que le juge de proximité ne statue pas toujours

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en premier et dernier ressort. Tel n’est le cas que si la demande porte sur un montant déterminée inférieur à 4000 euros. Tant que la voie de l’appel n’est pas empruntée le pourvoi en cassation est donc irrecevable lorsque cet appel est possible…

Devant le juge de proximité la procédure est orale de sorte que si les parties n’ont pas été dispensées de comparaître devant le juge et quand bien même le demandeur aurait fait parvenir des observations écrites, la juridiction peut considérer qu’elle n’est saisie d’aucun moyen par le demandeur et rejeter partant la demande, ce qui est certes sévère (Civ. 2 ; 17 ocotbre 2013 n° 12-26046). Au 1° janvier 2015 ces juridictions de proximité seront supprimées comme juridictions à part entière. En revanche la fonction de juge de proximité subsiste. Ceux-ci seront rattachées formallement au TGI mais pourront exercer soit au sein des TI soit au sein des TGI en vertu de la loi du 13 décembre 2011 Art. L. 121-5 COJ

Les juges de proximité peuvent être appelés à siéger dans la formation mentionnée à l'article L. 212-3. Ils peuvent également : « 1° Statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition ;

Au-delà de la surcharge de travail que représente la suppression des juridictions de proximité pour les tribunaux d’instance (partiellement compensé par le maintien des juges sinon de la juridictions) certains déplorent la disparition de cette juridiction qui facilitait l’accès à la justice pour des litiges de la vie quotidienne et pour des particuliers justiciables que les coûts et les tracas d’une procédure lointaine n’incitaient pas à recourir au juge.

3°/ Le Tribunal de commerce Ils connaissent dit-on des litiges commerciaux et étaient au nombre de 135 en 2012 avec 3100

juges consulaires ayant rendu 325 décisions…159

Elle est définie aujourd’hui à l’article L. 721-3 du Code de commerce il en résulte que les Tribunaux de commerce connaissent

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit ou entre eux (Com. 27 octobre 2009, pourvoi n° 08-18819, D. 2009 p. 2682) cette compétence excluant celle du TGI sur ces questions.

Il faut alors que de part et d’autres les commerçants agissent en qualité de commerçants et pour les besoins de leur commerce et non des besoins privés. Il s’agit là d’une compétence définie à la fois de manière subjective (qualité du justiciable) et objective.

Mais au fond quand est appréciée cette qualité et qu’en est-il si comme dans l’espèce tranchée dans un arrêt du 12 mars 2013, la discussion tenait au fait que si l'une des parties avait bien cette qualité au moment de la conclusion de l'acte engendrant le litige, elle l'avait perdue lors de la saisine du tribunal. Il s'agissait en l'espèce d'un contrat de location de matériel et de financement dont l'une des parties de-mandait la nullité, par assignation devant le tribunal de grande instance. La partie adverse a soulevé l'incompétence de cette juridiction au profit du tribunal de commerce. Les juges du fond ont rejeté l'exception d'incompétence au motif que la personne concernée avait bien été immatriculée au registre du commerce et des sociétés en qualité de commerçant, mais qu'elle en avait été radiée ultérieurement et avait donc perdu la qualité de commerçant au moment où elle avait saisi le TGI de sa demande en nullité. Cette juridiction devait dès lors être reconnue compétente pour connaître de ce litige. La cassa-tion est logiquement prononcée et la position de la Haute juridiction doit être approuvée en ce qu'elle indique que la nature commerciale de l'acte s'apprécie à la date à laquelle il a été passé, peu important que son auteur ait perdu depuis lors la qualité de commerçant. Les éléments participant à la qualifica-tion de l'acte ainsi qu'à celle de son auteur sont fixés, figés pourrait-on dire, au moment où cet acte est accompli, la solution est conforme à une exigence de respect des prévisions contractuelles160.

159 Rapport d’information de l’assemblée nationale du 24 avril 2013, sur le rôle de la justice en matière commerciale, présenté par Mme C. UNTERMAIER ET M. M. BONNOT n° 1006

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Si l’acte est mixte, la partie à l’égard de laquelle l’acte est commercial est tenue de saisir la juridiction civile, en tant que demandeur. En revanche, celle pour qui l’acte est civil, est en mesure de saisir la juridiction civile ou commerciale.

Notons qu’il arrive que la compétence spéciale d’une autre juridiction d’exception soit réservée ainsi en est-il de celle du TGI en matière d’accident de la circulation, ou de celle du TGI en matière de propriété industrielle quand bien même l’on serait entre commerçants…

2°/ Des contestations relatives aux sociétés commerciales ;

Sous l’empire de l’ancien article 631 du Code de commerce étaient visés antérieurement les « contestations entre associés à raison d’une société de commerce », ce qui n’est pas la même chose et renvoyait essentiellement aux actions en responsabilité exercées par un associé contre un autre).

Il a été récemment précisé que la nouvelle rédaction de la compétence des tribunaux de commerce issue d’une codification soi-disant à droit constant, opérée en 2000 élargissait la compétence du Tribunal de commerce qui connaissent désormais, « sur le fondement de l'article L. 721-3 2° du code de commerce, des litiges nés à l'occasion de toute cession de titres d'une société commerciale  », que la cession soit elle-même d’ordre civil ou commercial et régie pour le reste par le droit civil ou par le droit commercial Com. - 10 juillet 2007, n° 06-16.548161. Avant ne relevaient de la compétence des Tribunaux de commerce que les cessions de contrôle, soit celles qui conféraient au cessionnaire une participation majoritaire quel que soit d’ailleurs le nombre de parts cédées, compte tenu des parts qu’il possédait déjà.

Un arrêt récent, s’appuyant sur cette disposition dans sa nouvelle rédaction ouvre encore davantage la compétence des tribunaux de commerce (Com. 27 octobre 2009, pourvoi n° 08-20384, D. 2009 p. 2679 n. X. Delpech). Il invite à retenir la compétence des tribunaux de commerce dans un litige opposant un créancier (non commerçant) d’une société commerciale à l’un de ses dirigeants de fait, auxquels il est reproché d’avoir commis des faute à l’origine du préjudice subi par ce créancier. La Cour de cassation précise alors la démarche à suivre : il convient « de rechercher », (…) «  si les faits allégués ne se rattachaient pas par un lien direct à la gestion de sociétés commerciales, peu important que M. X... ou M. Y... n'ait pas eu la qualité de commerçant non plus que celle de dirigeant de droit de ces sociétés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; ». Cette décision peut susciter des réserves en ce qu’elle réintroduit un certain degré d’insécurité juridique préjudiciable.

Notons que cette compétence de la juridiction commerciale ne préjudicie en rien du fond du droit appliqué par la juridiction commerciale, qui restera sans doute du droit civil commun , notamment, s’agissant des cessions de parts sociales qui ne sont pas des cessions de contrôle et qui comme tels restent des actes civils relevant du droit commun des obligations, ou encore s’agissant des actions en responsabilité engagées contre les dirigeants sociaux de droit ou de fait, qui relèveront, hormis certaines actions en responsabilité spéciales du droit des procédures collectives (action en comblement de passif) du droit commun des obligations.

Notons également que par ces deux élargissement les tribunaux de commerce deviennent juges de litiges qui ne mettent pas en cause directement des actes de commerce, ni même des actes de commerce.

Ces deux premiers chefs de compétence sont assez subjectifs, et prennent en compte la qualité au statut juridique des parties en cause, quoiqu’on l’ait vu, l’interprétation jurisprudentielle donnée à

160 Nature commerciale de l'acte et perte de la qualité de commerçant Com., 12 mars 2013, n° 12-11.765, D. 2013. 769

161 Le litige opposant les cédants des actions d’une société anonyme, aux dirigeants de la société cédée, portant sur la clause de non concurrence contenue dans la convention de cession, né à l’occasion d’une cession de titre de sociétés commerciale, relève de la compétence du Tribunal de commerce (cf. Com. 10 juillet 2007, pourvoi n° 06-16548, D. 2007 p. 2768, et Procédures 2007 n° 223).Dans la nouvelle rédaction la compétence des Tribunaux de commerce n’est plus limitée aux seuls litiges entre associés (actuels) ; qui plus est elle peut même concerner des personnes qui n’étaient pas partie à la cession pour vu qu’il s’agisse d’un litige ‘à l’occasion d’une cession de titres de société commerciale. Cela était d’autant plus surprenant qu’il s’agissait en l’occurrence d’une société développant une activité libérale.

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l’alinéa confère, là aussi, à ce chef de compétence une dimension objective. Alors que les deux autres sont plus objectifs.

3°/ De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Il s’agit d’un certain nombre d’actes, réputés avoir une fonction spéculative… et qui ont été dégagés au fil du temps par les textes, et la jurisprudence, comme les achats pour revendre, certains titres cambiaires utilisés entre commerçant comme les lettres de change, ou les cessions de bordereaux Dailly, plus généralement, les opérations de banque et engagements nés à l’occasion du commerce). On y inclut les actes de commerce par nature (comme les achats pour revendre), mais aussi les actes de commerce par la forme (lettre de change). Le plus souvent c’est la répétition de ces actes qui le rend commercial (cf. achats pour revendre). Cette qualification s’applique pourtant à certains actes commerciaux isolés, comme les cautionnements commerciaux, quand bien même ils seraient effectués par des non commerçants, de sorte qu’il n’y a pas de redondance avec le premier chef de compétence.Cette double définition de la compétence des Tribunaux de commerce à la fois à partir du statut des acteurs (les commerçants) et de la matière litigieuse (les actes de commerce indépendamment du statut de la personne, s’explique au plan historique (cf. J Hilaire, Les compétences des juridictions consulaires avant le Code de commerce de 1807, Procédures 2011 Dossier n° 9). Cela s’explique parce qu’elles sont apparues au XVI siècle avec le développement du commerce et la première révolution industrielle, alors que ce développement de la vie des affaires commence à se faire en dehors des corporations.

4°/ La compétence des Tribunaux de commerce porte enfin sur les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire des commerçants. Cette compétence ne s’étend pas aux procédures qui seraient ouvertes contre des personnes morales de droit privé non commerçantes ni aux sociétés de professions libérales, qui relèvent, quant à elles du TGI. Elle comprend, en revanche, les procédures collectives ouvertes contre les artisans. Il s’agit là d’une compétence exclusive. Mais cette compétence propre n’a pas toujours existé en effet si les procédures de faillites sont apparues à peu près au moment où sont nées les juridictions commerciales au XVI, à l’époque ce chef de compétence ne relevait que des juridictions civiles. Et les juridictions commerciales n’ont acquis ce chef de compétence à force de lutte qu’au XVIII° s (cf. J Hilaire, Les compétences des juridictions consulaires avant le Code de commerce de 1807, Procédures 2011 Dossier n° 9), solution consacrée par le code de 1807. Elles ont désormais perdu l’exclusivité là-dessus.

Ce dernier champ de compétence est particulièrement important, parce que les enjeux économiques derrière ces procédures sont considérables et que les juges consulaires sont plus enclins à prendre en compte ces considérations économiques. Au demeurant, en 2006, un quart des saisines des tribunaux de commerce étaient relatives à des procédures collectives. Les aptitudes des juges consulaires leur permettent de parvenir plus fréquemment à un plan que les juridictions civiles qui statuent sur ce type de procédure collectives. D’autre part, les Tribunaux de commerce statuent plus rapidement (ils rendent leur décision deux fois plus vite sur les procédures collectives que les TGI), ce qui est un avantage puisque de telles procédures nécessitent une intervention rapide. On souligne aussi volontiers que le travail de prévention et d’écoute pour ce genre de procédures est mieux assuré par des juges consulaires issus des milieux d’affaires.

Ces procédures et l’intervention des mandataires judiciaires qu’elles impliquent suscitent les plus vives critiques lorsque la compétence des Tribunaux de commerce est remise en cause. Cela a conduit à concentrer les procédures collectives, et le contentieux de la concurrence (contentieux des pratiques anticoncurrentielles des articles L. 420-1 à L. 420-5 c. com. voir D. du 15 décembre 2005 n° 2005 1576 contentieux concentré sur 8 tribunauyx de commerce et de grande instance), sur un certain nombre de grands tribunaux, réputés plus à même de les gérer, notamment, parce qu’ayant plus souvent à trancher les litiges qu’ils soulèvent, ils sont plus expérimentés et moins aux prises avec les pressions de leur confrères.

Cette idée fondée sur une optique louable de concentration de certains contentieux spéciaux – contentieux de la concurrence interne et communautaire, contentieux de la faillite - vers de plus importants tribunaux de commerce, plus aptes à les traiter correctement parce que plus habitués à ce

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type de contentieux – elle évite ainsi de prendre une mesure plus radicale de suppression des tribunaux de commerce -, la jurisprudence révèle qu’en pratique la nouvelle règle suscite du contentieux et des questions de répartition du contentieux, source de certains ralentissements du traitement des affaires. D’où la nécessité d’une grande prudence lors de la rédaction des assignations. En effet il a été jugé que Dès lors que l’assignation fait référence aux dispositions des articles 420-1 serait-ce à titre subsidiaire par rapport à une demande fondée 1382 c. civ., les règles de compétence spéciales, qui réservent le contentieux de la concurrence à certains tribunaux de commerce plus importants ont vocation à s’appliquer (Com., 9 novembre 2010 pourvoi n° 10-10937, Proc. 2011 n° 61 n. B. Ruy)… Peut-être même faudra-t-il anticiper sur une éventuelle demande reconventionnelle ? Cette spécialisation est donc sujette à critiques (M. Chagny, Restriction de compétence matérielle et droit de la concurrence, Procédures 2011 Dossier n° 10 p. 14).

Pratique restrictive (spécialisation des juridictions) : unicité du litige Com. 24-09-2013 n° 12-21.089 D. 2013 10 oct. 2010 p. 2269Il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du code de commerce que la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même code et que l'inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir. C'est à bon droit et sans méconnaître le droit à un procès équitable qu'une cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de disjonction, a retenu que le fait que la société L. avait également formé des demandes non fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce ne lui permettait pas de déroger à cette règle et qu'elle a déclaré l'appel irrecevable pour le tout

L’article L. 721-3 c. com. précise que les litiges qui relèvent de la compétence des tribunaux de commerce peuvent faire l’objet d’une clause compromissoire.

Au-delà de la stricte question de compétence on soulignera uniquement actualité oblige que devant les Tribunaux de commerce la procédure est orale (art. 860-1 cpc), mais que le statut de l’écrit y a été récemment précisé en vue d’une plus grande sécurité par le décret n° 2010-1165 du 1° oct. 2010 (cf. Art. 446-1 à 446-4 cpc). Est ainsi ouverte aux parties l’option de présenter leur défense à l’oral ou à l’écrit, et dans ce dernier cas c’est la date de communication de l’écrit à la partie adverse qui fait référence… Et si l’écrit est utilisé, avec l’accord des parties, pourra être utilisé le mécanisme des conclusions récapitulatives (Art. 446-2 cpc)… La réforme de ce point de vue fait se rejoindre le droit en vigueur et la pratique judiciaire car depuis longtemps déjà on constatait que devant ces juridictions d’exception, l’on conclut beaucoup par écrit… Et la procédure orale est en partie techniquement inadaptée, compte tenu de la généralisation de la communication électronique.

Ce même décret autorise le recours aux conciliateurs de justice, pour que le juge délègue sa fonction de conciliation, particulièrement utile dans les relations d’affaires, mais le juge du Tribunal de commerce devra au préalable recueillir l’accord des parties en ce sens (art. 860-2 c.p.c.). Et le constat de leur accord pourra être homologué par le juge à la demande des parties (cf. 131 cpc).

Ce même décret renforce les pouvoirs du juge rapporteur dans la mise en état des affaires devant le Tribunal de commerce, pouvoirs jusque là réduits.

Globalement la procédure devant les Tribunaux de commerce s’en trouve sécurisée, et ces réformes récentes multiples ont sans doute incité le Conseil Constitutionnel à affirmer la constitutionnalité de la composition des tribunaux de commerce composés de juges élus par leurs pairs, au regard des exigences d’indépendance et d’impartialité dans une décision du 4 mai 2012. Notons néanmoins qu’une réforme est en prévision car cette constitutionnalité est affirmée de manière prudente et sa rédaction invite à moderniser l’institution, au demeurant quelque moi plus tard le même conseil constitutionnel en réponse à une autre QPC jugeait que l’auto-saisine du Tribunal pour ouvrir une procédure collective ne respectait pas le principe d’impartialité (Rep QPC DC 7 déc. 2012).

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4°/ Le Conseil de Prud’hommes

Cette juridiction d’exception du 1° degré, est compétente pour régler, nous disent les textes « par voie de conciliation, et à défaut, par voie de jugement », les litiges relatifs à l’exécution du contrat de travail ou d’un contrat d’apprentissage, et aux litiges qui ont trait aux relations individuelles de travail (ex licenciement). Elle est issue d’une juridiction du travail qui existait à Lyon sous l’Ancien Régime (pour les litiges entre les fabricants de soierie et leurs ouvriers. L’institution, jugée corporatiste, avait été supprimée lors de la Révolution française, mais Napoléon l’a finalement rétablie en 1806… Ils étaient 210 au 1° janvier 2011. Elle a en la matière une compétence exclusive.

Les juges y sont élus, ce sont des juges spécialisés, issus du milieu dans lequel ils tranchent les litiges : ce sont des « hommes prudents », des hommes sages… d’où le terme de prud’hommes. Aujourd’hui ils pourraient s’appeler plus trivialement « tribunal du travail », avec cette réserve qu’il ne traite pas des rapports collectifs de travail largement dévolus à la compétence propre du TGI, et du contentieux des élections professionnelles qui relève largement du TI. Ajoutons que si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige en responsabilité contre l’employeur no-tamment consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Soc., 29 mai 2013, n° 11-20074, voir art. L. 451-1 ET L. 142-1 C. trav.).

Sa mission première est de concilier, et à défaut seulement d’y parvenir de juger… D’ailleurs la jurisprudence insiste sur le rôle actif du Bureau de conciliation spécialement dédiée à cette mission, qui a un important rôle d’information, notamment des salariés, sur les droits respectifs des parties pour que la conciliation s’opère dans de justes conditions. A défaut d’avoir correctement joué ce rôle, le procès-verbal de conciliation et la transaction qu’il comporte seraient passibles de nullité selon l’arrêt“ Durafroid” du 28 mars 2000162. L’étape de conciliation qui se fait devant une formation spéciale est le préalable quasi systématique du jugement (sauf hypothèse de requalification du CDD en CDI). La composition du Bureau de conciliation est paritaire.

Pour préserver les spécificités de la procédure prud’homale devant le Bureau de conciliation et le rôle actif des conseillers prud’homaux, le domaine de la convention de procédure participative a exclu la matière prud’homale (art. 2064 c. civ.), c’est en effet une forme de conciliation extra judiciaire, sans doute jugée moins protectrice (on n’a pas le bénéfice de l’office du bureau de conciliation). Pourtant l’efficacité de la phase préalable de conciliation prud’homale a été contestée, par la doctrine travailliste compte tenu de son faible rendement, de sorte que certains s’interrogent sur le choix d’avoir exclu la relation de travail du domaine de la convention de procédure participative, alors qu’elle aurait offert un nouvel outil supplémentaire, et alors que l’assistance d’un avocat garantit en principe l’information des parties utiles à la conclusion d’un tel accord (et a priori efficace comme l’office du bureau de conciliation).C’est aussi la spécificité de ce préalable de conciliation qui a conduit tout récemment à priver d’efficacité procédurale les clauses de conciliation obligatoire figurant dans le contrat individuel de travail 163 , ou un peu avant dans les conventions collectives 164. - Alors qu’à la suite de l’arrêt de la chambre mixte du 14 février 2003 (Ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19423 : Bull. mixte, n° 1), la Cour de cassation jugeait qu’une telle clause, insérée à un contrat individuel de travail, rendait irrecevable la saisine directe de la juridiction prud’homale (Soc., 3 nov. 2010, n° 09-42991), la décision de décembre 2012 (Soc., 5 déc. 2012, n° 11-20004, Mme X c/ Sté Médica France, LEDC 2013 n° 20) décide au contraire que les parties sont recevables à agir devant le conseil de prud’hommes, malgré la clause de conciliation préalable.

162 Cass. soc. 28 mars 2000, Dr. ouvrier 2000, p.392, D. 2000, luris. 537 note Savatier163 « En raison de l'existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de conciliation préalable en cas de litige survenant à l'occasion de ce contrat n'empêche pas les parties de saisir directement le juge prud'homal de leur différend ». (Soc., 5 déc. 2012, n° 11-20004, Mme X c/ Sté Médica France, LEDC 2013 n° 20).164 Soc. 26 mai 2002, 00-44420 et Soc. 30 juin 2004, n° 02-41518, RJS 2004 n° 1075.

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- Quant aux accords collectifs, le droit d’agir des salariés étant un droit personnel, on peut s’interroger sur la légitimité qu’auraient les syndicats à infléchir sa mise en œuvre en l’occurrence. Et la création d’organismes de conciliation obligatoire de conciliation en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation ne fait pas obstacle à la saisine directe du conseil de prud’hommes par les intéressés 165. La première décision (certes inédite) énonce ainsi clairement que les droits des salariés ne peuvent être subordonnés à la constatation de l'échec de la procédure conventionnelle, et il faut sans doute entendre que les syndicats ne peuvent disposer de la mise en œuvre du droit d’agir des salariés. La seconde ajoute que « la saisine préalable obligatoire d'une commission paritaire ne saurait constituer, à défaut de dispositions légales, une condition de recevabilité de l'action prud'homale ». Au fond seule la loi peut infléchir les conditions de mise en œuvre du droit d’action, alors qu’il s’agissait dans la seconde espèce d’un litige relatif à l’interprétation d’une convention collective et que les syndicats par l’accord avaient prévu que les salariés seraient liées par l’avis de la commission qu’ils devaient au préalable obligatoirement saisir.

La conciliation conventionnelle est donc simplement facultative : les parties peuvent s’y soumettre – la licéité de la clause n’étant pas écartée par la Cour de cassation –, mais il est loisible aux parties au contrat de travail d’y échapper. Cela réduit l’intérêt de prévoir ce genre de clause….

Ou encore, à exclure toute efficacité de la clause compromissoire insérée au contrat de travail166, sauf à ce qu’il soit international. Les salariés en cause avaient signé avec leur employeur une charte associative prévoyant une clause de non concurrence, une clause de non débauchage et une clause compromissoire. Et encore dans l’hypothèse d’un contrat de travail international167, il a été jugé que cette clause compromissoire ne privait pas le salarié de la possibilité de saisir le conseil de prud’hommes, si les juridictions françaises étaient compétentes pour trancher le litige, en vertu des règles applicables, peu important le droit applicable au contrat de travail. La clause compromissoire y a alors été vue comme une tentative. Dans cette dernière hypothèse c’est moins directement le risque de contournement du préalable de conciliation qui est en cause, la solution est sans doute plus directement liée à la prohibition des clauses de juridiction pour préserver la compétence de principe des conseils de Prud’hommes (cf. L 1221-5 c. trav. prohibant les clauses de juridictions qui sont réputées non écrites et L 1441-4 c. trav. consacrant la compétence exclusive des CPH).

Pourtant, on peut douter du bien fondé de ces exclusions à l’heure où l’efficacité de la procédure de conciliation devant le Bureau de conciliation est décriée et où la nécessité de la réformer s’est fait jour compte tenu de sa faible efficacité 168 (notamment au travers de l’ANI du 11 janvier 2013 en cours de transcription législative, où cette question est envisagée)… A l’heure où justement, dans les autres branches du droit on essaie de proposer aux plaideurs une palette de procédures de conciliation tant judiciaire qu’extrajudiciaire pour favoriser la résolution amiable des litiges et l’adapter aux besoins des parties, cette palette ne pourrait-elle pas être mise à profit pour les litiges de contestation des licenciements (art. 1235-1 c. trav.), qu’on envisage de soumettre à de plus brefs délai de prescription pour désengorger les tribunaux. D’ailleurs, on reconnaît bien en matière prud’homale que l’accord des parties peut se produire en phase de jugement.

La loi du 14 juin 2013 et le décret d’application pris en aout 2013 réforment l’institution prud’homale et en particulier la phase de conciliation et les délais d’action et de contestation des licenciements, pour réduire le contentieux en la matière. Il est créé un système de conciliation forfaitaire en matière de licenciement individuel (Proc. 2013 chron. n° 50 A Bugada), cette conciliation forfaitaire n’est que suggérée par le bureau de conciliation.. Elle est fonction de l’ancienneté du salarié et permet d’aller plus vite… Et les partenaires sociaux et le législateur ont voulu faire produire à cet accord les effets d’une transaction sans prononcer le mot de transaction. Pourtant on peut douter que cette mesure contrairement à la motivation de la réforme soit une faveur pour la conciliation et la négociation. Là où la conciliation était libre et ouverte, là où elle ouvrait au salarié le champ des possibles elle semble contrainte, sans doute au nom d’un impératif d’efficacité 165 Soc. 26 mai 2002, 00-44420 et Soc. 30 juin 2004, n° 02-41518.166 Soc. 30 novembre 2011, n° 11-12905 et 11-12906167 Soc. 29 septembre 2010, n° 09-68851 à 09-68855.168 A. Chevillard, Conseils de prud'hommes et procédure prud'homale : Quelles réformes ?, Droit Social 2010 n° 9-10 p. 91

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mais en tous cas cela fait totalement changer de nature l’intervention de la formation de conciliation et peut être même douter du maintien de la jurisprudence Durafroid du moins dans ce contexte du licenciement lorsque les barèmes légaux et réglementaires sont respectés169… Ainsi D. Boulmier parle de conciliation confisquée et au rabais, estimant que c’est une façon de museler les conseillers prud’homaux, leur rôle habituel que de suggérer ce forfait valant réparation de l’ensemble des préjudices… Et pour un salarié qui a entre 2 ans et 8 ans d’ancienneté se concilier à ce stade et en vertu de cette forme de conciliation lui fait perdre 2 mois de salaires (4 mois au lieu de 6), ce qui n’est pas très incitatif côté salarié…Les concessions réciproques pour le salarié passent à la trappe. L’accord de ce fait ne serait plus une transaction, et le terme même d’accord est discutable puisque le «  tarif » est imposé. D’ailleurs la seule variable d’ajustement du montant de l’indemnité est l’ancienneté, sans tenir compte des autres circonstances de la rupture.

Certains ont même jugé le dispositif discriminatoire dans le sens où suivant que la conciliation se produirait devant le CPH ou en dehors l’indemnisation serait faite sur des bases différentes. Cela ne vaudrait néanmoins que si le tarif proposé par les textes était impératif, ce qui ne semble pas être le cas.

Par ailleurs, l’extension de la possibilité de recourir à un conciliateur de justice y compris devant les juridictions d’exception comme les tribunaux de commerce ou les juridictions prud’homales consacre de fait dans les textes une diversifications des formes de conciliation en droit du travail aussi, ce qui permet peut être de s’adapter à différentes situations (Décret n° 2010-1165 du 1 octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale )…

En toute hypothèse, cette conciliation implique qu’il ne soit nullement pris parti sur l’issue d’un éventuel jugement, faute de quoi le magistrat qui aurait pris parti sur l’issue de l’affaire encourt une requête pour cause de suspicion légitime (Civ. 2, 15 mars 2012, pourvoi n° 11-0194). C’est en effet toute la difficulté pour un même personne de cumuler le rôle de conciliateur puis de juge alors qu’elle n’est pas censé tenir compte des éléments avancés lors de la conciliation dans son jugement, et sur qui du coup pèsent des exigences lourdes pour donner à voir cette impartialité…. D’ailleurs, la conciliation qui procède d’une maïeutique ne devrait pas en principe conduire à cela, le juge serait alors sorti de son rôle.

Et pour favoriser le dialogue, la comparution personnelle et une plus grande proximité du juge avec le justiciable, comme devant beaucoup d’autres juridictions d’exception, la représentation par un avocat n’est pas obligatoire devant le Conseil de Prud’hommes, et la procédure y est orale. La réforme des procédures orales donnant une plus grande place à l’écrit dans ce type de procédure pourrait aider à sécuriser les procédures (décret n° 2010-1165 du 1° oct. 2010).

La compétence exclusive prud’homale a été interprétée de façon assez extensive. Notamment s’y rattachent, selon un arrêt récent, les contestations portant sur la propriété intellectuelle qui opposent le salarié et son employeur, pour un litige né à l’occasion du contrat de travail (cf. Soc. 21 mai 2008, p. n° 07-15462, JCP 2008 I 206 n° 10), alors qu’on se souvient que la propriété intellectuelle renvoie à un bloc de compétence du TGI. C’est bien le signe que la compétence des juridictions d’exception n’est pas toujours lue de manière restrictive. De même, il a pu être admis que le Conseil examine certains actes collectifs, interprète ou applique des conventions collectives à certains litiges individuels. Pour un litige individuel relatif à un licenciement économique, il peut être conduit à examiner un acte collectif comme le plan social et examiner s’il est suffisamment précis et partant valable… Ainsi s'agissant des sources collectives négociées, le litige est individuel si le salarié demande l'application d'une disposition prévue à la convention ou l'accord collectif de travail (Cass. soc., 10 mars 1965 : Bull. civ. 1965, IV, n° 214 ; D. 1965, p. 624, note Villebrun) ; il ne l'est plus si le salarié ne formule aucune demande individuelle (Cass. soc., 30 avr. 1997 : Bull. civ. 1997, V, n° 153. – Cass. soc., 6 mai 1998 : Bull. civ. 1998, IV, n° 234). Cela ne fait que s’ajouter au fait que la notion même de contrat de travail est interprétée de façon extensive la question étant d’ailleurs souvent envisagée sous l’angle de la compétence.

Pourtant, il a pu être jugé récemment que le tribunal de commerce était compétence pour statuer sur un litige opposant deux sociétés commerciales pour complicité dans la violation d’une

169 D. Boulmier, Faciliter la conciliation prud’homale mais pour qui ?, Droit Social 2013 p. 37

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clause de non concurrence, alors que la juridiction prud’hommale n’avait pas encore pu se prononcer sur la validité de cette clause de non concurrence. La Cour de cassation considère que cela n’empêche pas la juridiction commerciale de se prononcer sur la violation par les salariés de leur obligation de non concurrence dans le cadre d’un litige opposant les employeurs successifs et relatif à la responsabilité pour complicité dans la violation de l’engagement de non concurrence Com., 14 mai 2013, n° 12-19351, Dr. Soc. 2013 p. 649 n. J. Mouly).

On dénote par ailleurs un certain nombre de spécificités procédurales devant le Conseil de Prud’hommes, notamment le principe de l’oralité, celui de l’unicité de l’instance qui impose une concentration des demandes et rejoint en cela l’arrêt Cesareo qui en généralise l’exigence, mais dont la Chambre sociale, ces derniers temps, semble vouloir réduire la portée170 et qui demeure contesté171… Le paritarisme y est un gage de l’impartialité de la juridiction et impose ainsi une formation collégiale même en référé. Les règles de représentation y sont aussi particulières on l’a vu puisque la représentation ad litem y est largement ouvertes y compris à des personnes qui ne sont pas avocats.

Il a été jugé récemment que « l'exigence d'un tribunal indépendant et impartial imposée par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdit qu'un conseiller prud'homal en fonction lors de l'introduction de l'instance puisse représenter ou assister une partie devant le conseil de prud'hommes auquel il appartient ; que la cour d'appel qui a constaté que la juridiction appelée à statuer sur le litige avait été saisie par l'un de ses membres agissant en qualité de mandataire d'une partie au litige, a exactement décidé que la procédure était entachée de nullité et qu'aucune régularisation n'était possible » Soc. 16 sept. 2008, p. n° 06-45334, JCP 2009 II 10024.

Pourtant, en dépit de ces réformes et de la conformité proclamée de l’institution paritaire avec les garanties du procès équitable la réflexion est engagée sur la réforme de l’institution prud’homale172. Et ce dans le contexte d’une grande réflexion lancée par la ministère de la justice sur les juridictions du XXI° siècle (commission de réflexion de T. Marshall), alors que le taux d’appel contre les décision des conseils de prud’hommes est de l’ordre de 60% contre 15% pour les autres juridictions de première instance173.

La réflexion porterait tant sur le mode de désignation des juges, pour asseoir leur légitimité démocratique, ce qui est le moins qu’on puisse exiger de juges élus, que sur la composition du tribunal ou encore la manière de renforcer l’efficacité de la conciliation devant cette juridiction, les taux de succès de la conciliation devant le bureau de l’ordre de 10% étant jugés insuffisants, que sur la règle de l’unicité de l’instance.

Trois grands pistes de réforme de l’élection de ces juges ont pu être proposées allant du maintien de l’élection au suffrage universel direct, en passant par la désignation par les syndicats représentatifs, ou par l’élection au second degré par un corps électoral renouvelé qui serait composé des représentants du personnel dans les entreprises, jumelé avec un système de vote obligatoire174.

Certains suggèrent même au-delà compte tenu de la complexité croissante du droit du travail et compte tenu de l’exigence de compétence des juges qui est aussi un gage de leur impartialité de rompre avec la parité et d’instaurer un échevinage175.

170 La règle de l'unicité de l'instance n'est applicable que lorsque l'instance principale s'est achevée par un jugement sur le fond Soc. 9 mars 2011, n° 09-65.213, D. 2011 p. 888 et précédemment Soc. 16 nov. 2010, n° 09-70.404, D. 2010. 2779, et 2011. 227, note V. Orif ; Procédures 2011. Comm. 15, obs. A. Bugada.171 A. Chevillard, Conseils de prud'hommes et procédure prud'homale : Quelles réformes ? Droit Social 2010 n° 9-10 p. 91172 Pour le renforcement de la légitimité de l’institution prud’homale : quelle forme de désignation des conseillers prud’hommes , de J. Richard Conseiller d’Etat, et A. Pascal, Inspecteur de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), avril 2010, Rapport au ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

173 Y. Rolland (président de la chambre sociale de la CA de Montpellier), Le conseil de Prudhommes entre mythe et réalité, Droit social, 2013 p. 618.174 A. Chevillard, Conseils de prud'hommes et procédure prud'homale : Quelles réformes ?, Droit Social 2010 n° 9-10 p. 91

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S’agissant de renforcer la conciliation, il est suggéré d’étendre le domaine de la convention de procédure participative au droit du travail dans la mesure où justement la conciliation devant le Bureau de conciliation révèle parfois ses limites et dans la mesure où sont en cause des droits disponibles. Ce sont d’ailleurs les réticences des syndicats qui ont conduit à exclure la matière prud’homale du champ de ce nouveau contrat spécial.

Mais au-delà de ces règles de compétence d’attribution propres à chaque juridiction, il existe des règles de compétence territoriale cette fois de portée plus générale, communes à toutes les juridictions qu’elles soient de droit commun ou d’exception.

Sous- section- 2 : Les règles de compétence territoriale

La compétence territoriale des juridictions détermine l’étendue du for de chaque juridiction. Chaque juridiction n’exerce sa compétence qu’à l’intérieur d’une circonscription géographique que l’on dénomme « ressort territorial ». Au-delà de ce ressort, la juridiction n’est pas compétente pour le trancher. Ce ressort territorial qui longtemps a pu être calqué sur les ressorts administratifs ne l’est plus nécessairement, de sorte qu’il existe une carte judiciaire spécifique et propre à chaque type de juridiction qui devrait s’adapter aux évolutions de la population de chaque circonscription et pour que la justice soit également rendue partout dans les mêmes conditions.

Le problème de la compétence territoriale ne se pose d’ailleurs qu’au premier degré de juridiction, puisque en appel, la juridiction territorialement compétente est celle du ressort du 1° jugement.

La question de la compétence territoriale se pose pour chaque juridiction et peut donner lieu à des solutions nuancées d’une juridiction à l’autre, notamment parce qu’il n’existe pas nécessairement de TC dans chaque ressort.

Toutefois, il existe dans le Code de procédure civile aux articles 42 à 48 des règles de portée tout à fait générale fixant la compétence territoriale pour toutes les juridictions de l’ordre judiciaire chaque fois que des textes spéciaux ne les écarteront pas.

Il existe en la matière une règle de principe de portée tout à fait générale qui connaît différents aménagements ou dérogations dans un souci de bonne justice.

§ 1 - La règle de principe : la compétence du Tribunal du domicile du défendeur.

En principe, la juridiction compétente est celle du lieu « où demeure le défendeur » en matière civile (article 42 CPC). Celui qui introduit la demande assume de la sorte la charge du déplacement qui découle du procès. La règle est traditionnelle un adage latin actor sequitur forum rei en atteste. Elle existait déjà sous l’empire de l’Ancien code.

- Soit pour les personnes physique le lieu de leur domicile, au sens de l’article 102 du Code civil, nous dit l’article 43 ou à défaut la résidence. La détermination de celui-ci est une question de fait, relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond. Toutefois, une résidence épisodique n’est pas une demeure.

- Et, pour les personnes morales, ce lieu est en principe celui du siège social. Là encore par mesure de réalisme, le siège réel doit être pris en compte, au même titre que le siège statutaire… Ainsi, peut être pris en compte, le lieu où sont effectivement exercées, de manière stable, les fonctions de direction de la société.

Mais, en vertu d’une jurisprudence traditionnelle, dite « des gares principales », la personne morale peut aussi être assignée en dehors de son siège social, là où sont établies ses succursales, à condition que l’établissement en cause jouisse d’une autonomie suffisante par rapport au siège social, et que le litige ait bien sûr un lien avec l’établissement en question . Cette règles vaut pour toutes les personnes morales quel que soit leur statut (association, société, syndicat, congrégation, fondation…).

175 Y. Rolland (président de la chambre sociale de la CA de Montpellier), Le conseil de Prudhommes entre mythe et réalité, Droit social, 2013 p. 618.

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Et seule est prise en compte la pluralité d’établissements du défendeur et non du demandeur.

Si le défendeur n’a aucun domicile connu, le Code précise alors à l’article 42 al. 3 que le demandeur peut saisir le tribunal de son domicile, où s’il demeure à l’étranger, le tribunal de son choix…

De même, en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur peut saisir le tribunal du domicile de l'un d'entre eux, précise le Code à l’article 42 al. 2…

« Sauf disposition contraire », nous dit l’article 42, ce qui laisse place à certaines exceptions qu’il s’agit maintenant d’examiner une fois les termes de la règle de principe clarifiés.

§ 2 - Les dérogations ou aménagements à la règle de principe.

La règle comporte néanmoins d’assez nombreuses exceptions énoncées aux articles 45 à 47 CPC et parfois à des textes extérieurs au cpc (par ex. du c ass.) qui parfois sont de véritables exceptions ou parfois ouvrent une option supplémentaire à la règle de principe pour le demandeur – cette option est ici offerte au demandeur. Il n'y a alors pas véritable exception mais aménagement du principe.

Ces aménagements du principe trouvent leur raison d’être, au-delà des seuls intérêts du défendeur, soit

1°/ - dans le souci de centraliser le contentieux relatif à un même objet dans un lieu déterminé, où l’administration de la preuve serait plus facile (par exemple en matière immobilière la compétence relève exclusivement du lieu de situation de l’immeuble (article 44 CPC, et la règle est la même en matière administrative) ; c’est en effet là où sont centralisées toutes les informations sur l’immeuble et en particulier la publicité (cadastre, conservation des hypothèques).

Si la matière est mixte, en revanche, une option de compétence est ouverte entre le tribunal du domicile du défendeur et celui de la juridiction où est situé l'immeuble (article 46 al. 4 CPC). Ce serait le cas par exemple pour une action en nullité ou en résolution de vente d'immeuble (action mixte).

- Et en matière de succession, ce même souci de centralisation du contentieux, conduit l'article 45 cpc à énoncer que les actions seront portées devant le seul Tribunal du lieu où est ouverte la succession, jusqu'au partage. Et le lieu où s’ouvre la succession correspond au dernier domicile du défunt (art. 110 c. civ.). Tout autre tribunal pourrait se déclarer d’office incompétent (art. 93 cpc). Cela inclut, les demandes entre héritiers, les demandes formées par le créancier du défunt, ainsi que les demandes relatives à l'exécution des dispositions à cause de mort. Là aussi, comme en matière immobilière, la compétence de la juridiction est exclusive et dès lors, la dérogation au principe plus absolue. Cette compétence exclusive est limitée dans le temps : elle ne vaut que jusqu’au partage et répond dès lors à un souci de commodité. Après cette date la règle de compétence territoriale de principe retrouve vocation à s’appliquer.

- En matière contractuelle, en vertu d’une option ouverte par les textes il est possible de saisir outre la juridiction du domicile du défendeur, le Tribunal du lieu d’exécution du contrat, soit le lieu de la livraison ou celui de la prestation de service (article 46 CPC), là aussi dans le souci de concentrer dans un même lieu et sur un plan logique toutes les demandes. Et l’option de compétence prévue par l'article 46, alinéa 2, du Code de procédure civile a vocation à s'appliquer lorsque le litige porte sur l'existence du contrat (Com., 15 janv. 2013, n° 11-27.238).

- Enfin, au-delà des seules prévisions du Code de procédure civile, il apparaît également opportun de centraliser les procédures de prévention et de règlement des difficultés des entreprises, afin de traiter de manière globale toutes les difficultés qui s’y rapportent, et donc de centraliser toutes les procédures, tous les litiges dirigés contre le débiteur soumis à la procédure. C’est pourquoi, il est prévu à l’art. 1° du décret du 28 déc. 2005 que le tribunal compétent est celui du siège social ou a défaut celui dans le ressort duquel l’entreprise a le centre principal de ses intérêts.

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2°/ - parfois, leur raison d’être laisse transparaître la volonté de protéger certains plaideurs.

-Ainsi, en matière de responsabilité civile délictuelle, il est possible à la victime de saisir le tribunal du lieu de l’accident, dit-on couramment; plus précisément le code énonce qu'il s'agit du tribunal « du fait dommageable ou de celui du lieu dans lequel le fait dommageable a été subi (article 46 CPC) et pas seulement celui du lieu du domicile du défendeur.

Récemment pourtant, il est apparu que cette localisation du dommage n’est pas toujours aisée, lorsque le dommage se diffuse sur l’ensemble du territoire par internet (cf. Com. 7 juillet 2009, pourvoi n° 08-17135 Procédures n° 301), le contentieux portait sur la diffusion d’une marque par internet, il visait à l’annulation de ces marques détenues par une société concurrente). L’arrêt admet ce faisant que le plaideur peut à sa convenance saisir n’importe quelle juridiction du territoire pourvu que les règles de compétence d’attribution soient respectées. Autrement dit depuis l’arrêt Cristal (Civ. 1, 9 décembre 2003, D. 2004 p. 2076 le délit serait localisé partout où il est diffusé ce qui permet de préserver la règle du forum damni. Des arrêts plus récents en matière internationale se montraient un peu plus restrictifs exigeant, pour retenir la compétence des tribunaux français, que le site internet soit vraiment réservé au public de France (Com. 13 juillet 2010, D. 2010 1972). Un arrêt de la chambre commerciale se montre également plus restrictif énonçant expressément que la seule accessibilité du site internet sur le territoire n’est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises (Com. 29 mars 2011 n° 10-12272, Procédures 2011 n° 95). Les juridictions sont alors invitées à rechercher avant de retenir la compétence française, si « les annonces litigieuses étaient destinées au public de France », soit qu’il existe s'il existe ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français/

La CJUE semble retenir un critère différent et plus restrictif, le for compétent serait alors celui du centre des intérêts principaux du demandeur, ou encore, celui du lieu d’accessibilité du site (CJUE 25 octobre 2011, D. 2012 p. 1285 n. S. Bollée et B. Haftel et D. 2012 p. 1279).

- Et en matière d'aliments et de contribution aux charges du mariage, la juridiction compétente peut être, par dérogation à la règle précitée, celle du lieu où demeure le créancier, soit si le créancier est demandeur d'aliments, la juridiction du tribunal du lieu du domicile du demandeur. Mais c'est là en vertu des termes de l'article 46 al. 5cpc une simple option.

- Au-delà des seules prévisions du Code de procédure civile, en matière prud’homale, il est prévu une dérogation à la règle de l’article 42 cpc. La règle est celle de la compétence de la juridiction du lieu de l’établissement où est effectuée la prestation de travail. Si le travail est accompli à domicile ou hors de tout établissement c’est le lieu du domicile du salarié qui est pris pour référence. Le salarié protégé par cette disposition peut, quant à lui, également saisir le tribunal du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi (art. R. 1412-1 c. trav.).

- En droit de la consommation, les options classiques du Code de procédure civile sont encore élargies, au bénéfice du consommateur, par le nouvel article L. 141-5 du Code de la consommation issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 qui autorise en plus le consommateur à « saisir à son choix, outre l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable ». Ce nouveau mécanisme renforce la protection du consommateur. Faute de lieu de livraison effective ou de lieu d’exécution du service le consommateur se trouvait contraint bien souvent de plaider devant la juridiction du domicile du professionnel parfois très éloignée de la sienne.

- En matière d’assurance, le Tribunal compétent est toujours celui du domicile de l’assuré, même s’il est demandeur au procès (cf. Article R. 114-1 c. ass), sauf en matière d’accident où il est possible à l’assuré de saisir le tribunal du lieu du fait dommageable. Au demeurant, cette règle contraignante du Code des assurances est interprétée strictement, et la Cour de cassation considère dès lors qu’elle ne s’applique pas à la victime exerçant l’action directe (en indemnisation) contre l’assureur.

- C’est à la fois le souci de protection du preneur et l’attractivité du tribunal du lieu de situation de l’immeuble qui justifient, en matière de bail, la compétence de la juridiction du lieu de situation de l’immeuble tant dans les réglementations relatives aux baux d’habitation (art. R. 321-26 COJ) que pour les baux commerciaux (art. 29 D. 1953) et pour les baux ruraux (art. 880 cpc).

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3°/ - dans le souci d'assurer une plus grande neutralité, lorsqu'un magistrat où un auxiliaire de justice est partie au procès qui relèverait de la compétence de la juridiction dans le ressort de laquelle il exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe (article 47 cpc). C'est une option de compétence ouverte en 1° instance comme en cause d'appel.

Et un arrêt récent (Civ. 2, 6 janvier 2012 n° 10-27998) énonce que le juge ne peut rejeter une demande de renvoi formée en application de cet article 47 dès lors que les conditions en sont réunies.

Plus qu’une option de compétence ce serait une sorte de privilège de juridiction pour couper court à tout soupçon de partialité… En effet contrairement aux autres hypothèses d’option de compétence la matière litigieuse est ici indifférente.

4°/ - enfin, au-delà de ce qu'ont pu prévoir les textes, l'urgence justifie la consécration d'une option de compétence, pour les actions en référé ou sur requête Une jurisprudence importante admet donc notamment en matière de référé (Civ. 2, 10 juillet 1991) et de procédure sur requête (Civ. 2, 18 novembre 1992), tant en matière civile que commerciale, la compétence du tribunal du lieu où l’incident s’est produit, voire la compétence du tribunal du lieu où la mesure sera exécutée (cf. Civ. 2, 30 avril 2009, pourvoi n° 08-15421, Procédures n° 224).

Et c’est plus précisément cette question de la compétence ou du pouvoir de la juridiction de référé qui nécessite désormais un examen plus approfondi.

Sous-section 3 : Compétence et pouvoir du juge en matière de référé et d’ordonnance sur requête.

Le cpc consacre des développements autonomes aux pouvoirs de certains juges de rendre des ordonnances de référé ou sur requête. Il apparaît aussitôt que les codificateurs n’ont pas souhaité faire figurer ces dispositions parmi les règles de compétence propres à chaque type de juridiction. Ils signifiaient par là même qu’il s’agissait de fixer des règles communes à toutes les juridictions, mais aussi qu’au-delà de règles de compétence la question renvoyait au pouvoir de juger.

En effet, le juge des référés et le juge des requêtes remplissent une fonction propre : ils permettent d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des justiciables. Et cette fonction est remplie par l’ensemble des organes juridictionnels, pour faire face à des besoins particuliers dans des situations exceptionnelles…

Juger au provisoire, au même titre que juger est un devoir de l’Etat chaque fois qu’une situation urgente le justifie. Selon la formule de Chiovenda, «  la nécessité de recourir au procès pour se faire rendre raison ne doit pas nuire à celui qui a raison ».

La compétence juridictionnelle de principe en matière de référé, comme de procédure sur requête – on pourrait dire de droit commun, revient au président du tribunal de grande instance….Mais, en fonction des domaines en cause, elle reviendra au président du Tribunal de commerce, du TPBR, voire au 1° président de la Cour d’appel si on est en appel. Il est admis toutefois compte tenu de l’importance en volume que peut revêtir un tel contentieux que le président de la juridiction délègue ce pouvoir… On notera à cet égard la situation particulière du Conseil de Prud’hommes où le référé reste paritaire.

La procédure de référé est en principe contradictoire par opposition à la procédure sur requête qui quant à elle est menée à l’insu de la partie adverse pour son efficacité même.

La distinction de la compétence et du pouvoir de juger loin d’être purement théorique renvoie à des enjeux pratiques.

- En effet si le juge des référés n’a pas le pouvoir de juger parce que les conditions du référé ne sont pas réunies, il n’y a pas d’urgence ou l’affaire soulève une contestation sérieuse, alors cela signifie que la demande touche au fond et que seul le juge du principal est compétent…. Le juge saisi qui est ici par hypothèse le juge des référés est inapte à juger, à se prononcer sur la demande qui est partant irrecevable devant lui : c’est une fin de non recevoir. Et l’interruption de prescription attachée à la demande formée devant le mauvais juge serait non avenue…

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- Si au contraire, le juge des référés a bien le pouvoir de juger les conditions du référé sont réunies, mais on a par exemple saisi le 1° président de la juridiction territorialement, il s’agit là d’une incompétence soit une exception de procédure et le fait de ne pas avoir saisi le bon juge (territorialement compétent) ne remet pas en cause l’effet interruptif de prescription.

- Dans les deux cas, la voie de recours est l’appel, car la procédure du déclinatoire de compétence qui aurait pu avoir vocation à s’appliquer dans le second cas n’est pas adaptée aux besoins propres de la procédure de référé.Et le juge des référés qui peut allouer une provision à la victime du dommage excède ses

pouvoirs en lui accordant des dommages-intérêts et non une provision (cf. Civ. 2, 11 déc. 2008, pourvoi n° 07-20255, Procédures 2009 n° 42).

On distingue deux types d’ordonnances dites provisoires, les ordonnances de référé et les ordonnances sur requête.

A- Les ordonnances de référé. Le référé est une procédure exceptionnelle, instituée dans les cas d’urgence, et pour faire face

à certaines difficultés d’exécution. Il tire ses origines des usages du Châtelet de Paris. Au départ peu de dispositions lui étaient consacrées, car nul ne pouvait prévoir, le développement considérable que ces procédures allaient connaître.

Exceptionnelle, la procédure de référé n’est ouverte que dans des cas précis, où énonce l’article 484 cpc le législateur a donné « pouvoir à un juge qui n’est pas saisi du principal », « d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires » de manière contradictoire.

Et ce sont les articles 808 à 810 cpc qui précisent justement ces cas où de tels pouvoirs sont reconnus au juge.

Dans un certain nombre de cas le Président du Tribunal est appelé à statuer «  en la forme des référés » ou « comme en matière de référés », il ne s’agit pas alors à proprement parler de référés, qui relèveraient pleinement de ces dispositions du droit commun des référés : ce sont des décisions où le juge est véritablement juge du fond, et les décisions comme telles n’ont pas autorité de la chose jugée au provisoire mais bien autorité de chose jugée tout court ; en revanche, le recours emprunte la forme, le cadre procédural de la procédure de référé…. Le décret du 1° septembre 2011 vient apporter en la matière les précisions en ce sens (art. 492-1 cpc).

Pour l’heure, la CEDH ne soumet pas ce type de procédure aux garanties du procès équitable, dans la mesure où elle se borne à régler une situation temporaire, et que partant, contrairement à la procédure au principal, elle ne tend pas à une décision sur « les droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6§1.

La compétence du TGI est large en matière de référé, l’on pourrait même ajouter plus large que sa compétence d’attribution traditionnelle au principal. En effet, la compétence du TGI s’étend à toutes les matières civiles (soit les matières qui relèvent au fond des tribunaux civils de l’ordre judiciaire) où il n’existe pas de procédure spéciale de référé. Mais cette compétence de principe du TGI s’est effilochée au fil du temps, au fur et à mesure que des procédures de référé ont été instituées devant le Tribunal de commerce, devant les prud’hommes, devant le TI….

Le juge des référés ne doit jamais entamer le fond du droit…La plupart du temps, la compétence du juge des référés repose sur l’urgence. Mais parfois

cette urgence est largement présumée, elle résulte des circonstances. Dans d’autres cas, l’urgence n’est pas même requise. Envisageons successivement ces cas.

1°/ Historiquement, c’est pour résoudre les cas d’urgence que le référé a été institué (art. 808 du cpc).

* Aujourd’hui cela renvoie à l’article 808 du cpc où en plus de l’urgence, souverainement appréciée par les juges du fond, il est requis que l’affaire ne se heurte pas à une contestation sérieuse . Il revient en effet au juge du principal de trancher les difficultés sérieuses, le juge des référés n’étant que juge de l’évidence.

La contestation sérieuse serait, par exemple, celle que soulèverait la validité contestée du contrat, son interprétation, le doute sur la titularité du droit de propriété…

* A l’inverse, dans d’autres cas c’est l’existence d’un différend qui justifie le pouvoir du juge des référés en vertu du même art. 808 cpc. Et la condition de l’absence de contestation sérieuse est alors par hypothèse écartée.

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2°/ Au-delà, l’article 809 du Code de procédure civile prévoit des hypothèses où l’urgence est présumée, elle résulte des circonstaces de la situation de fait. Elle est d’ailleurs présumée de façon irréfragable dans l’hypothèse d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite, quand bien même il y aurait contestation sérieuse.

- qui requiert une mesure conservatoire, afin d’éviter qu’un droit ou un bien ne dépérisse, ou encore une mesure de mise en état.

- il en va de même en cas de dommage ou de trouble manifestement illicite. Il peut s’agir par exemple de mettre fin à une voie de fait commise par une administration,

soit une atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique.Le juge peut alors ordonner « les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent » 3°/ Dans d’autres cas, l’urgence n’est pas même requise par d’autres textes spéciaux qui

instituent des hypothèses particulières de référé. - Ainsi en est-il en matière de référé provision   l’article 809 al 2 cpc. Mais il est alors requis que

l’existence de l’obligation ne soit pas sérieusement contestable. Ce type de référé joue un rôle important dans le contentieux de la responsabilité civile, mais aussi dans celui de la protection de la vie privée (suspension du livre ou d’un film) ou en droit de la construction ou droit du travail… La preuve de l’urgence en revanche n’est pas requise ici, en vertu d’une jurisprudence remontant au milieu des années 70.

- L’urgence n’est pas davantage requise pour le référé probatoire de l’article 145 cpc (mesures d’instruction in futurum) où les textes requièrent simplement l’existence d’un motif légitime justifiant le recours à cette mesure d’instruction préventive…

- Elle ne l’est pas non plus pour le référé-injonction de l’article 809 al 2 cpc qui permet sous la même condition que le référé provision d’obtenir rapidement l’exécution de l’obligation pour les petits litiges.Hors du cpc il existe aussi d’autres formes de référé en liaison avec la procédure pénale,

notamment le référé de l’article 9-1 cpc en matière d’atteinte à la présomption d’innocence, ou le référé de l’article 5-1 cpp.

Notons également que suivant les hypothèses le juge des référés intervient avant tout litige, ou encore, comme prélude à l’instance principale, pour que des mesures provisoires urgentes soient prises entre temps, mais dans ce cas si les mesures provisoires satisfont les plaideurs aucun texte ne requiert des parties qu’ils saisissent le juge du principal, de sorte que le provisoire devient définitif, voire une fois l’instance engagée au fond. Mais dans ce dernier cas il faut noter que le juge de la mise en état peut parfois réagir avec autant d’efficacité que le juge des référés dont la saisine qui crée des interférences n’est pas toujours utile ou opportune…

B- Les ordonnances sur requête

L’ordonnance sur requête est à la différente du référé une décision provisoire, mais qui est rendue non contradictoirement, « dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » article 493 cpc.

Il s’agit ici des ordonnances sur requête de nature contentieuse, certaines ont une nature gracieuse et aboutissent d’ailleurs à une décision non pas provisoire mais définitive.

Comme condition requise générale il faut à chaque fois justifier de la nécessité de ne pas appeler l’adversaire (cela compromettrait l’efficacité de la mesure envisagée, c’est ce qui justifie l’entorse dans un premier temps au respect du contradictoire, celui-ci n’étant rétabli qu’ultérieurement ; hyp. du constat d’adultère par exemple). Il en irait de même si l’on n’était pas en mesure d’identifier l’adversaire (dans l’hypothèse des conflits collectifs).

La compétence du président du TGI est alors fondée sur l’urgence en vertu de plusieurs textes spéciaux (art. 812 TGI, 851 TI , 875 TC du cpc).

Dans d’autres cas « spécifiés par la loi » l’urgence n’est pas requise.Ainsi, en vertu du dernier état de la jurisprudence, l’urgence n’est pas requise pour que soient

ordonnées sur requête probatoire des mesures d'instruction sur le fondement de l’article 145 cpc (mesures d’instruction in futurum), dans la mesure où les textes requièrent simplement l’existence d’un motif légitime justifiant le recours à cette mesure d’instruction préventive. La solution récemment affirmée par un arrêt Civ. 2 du 15 janvier 2009 (pourvoi n°08-10171, Proc. 2009 n° 72, D.

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2010 p. 174) revient utilement sur la position retenue quelques mois auparavant par la même chambre qui avait retenu que la demande de mesures d’instruction ne peut être accueillie sur requête qu’à la double condition qu’il soit justifié de l’urgence des mesures sollicitées et de l’existence de circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction (cf. Civ. 2, 7 mai 2008, Proc. 2008, n° 228), arrêt contesté à l'époque par l’annotateur R. Perrot . Elle aligne à juste titre les procédures sur requête et les procédures de référé fondées sur l’art. 145 cpc.

Il existe une certaine parenté entre la procédure de référé et les procédures sur requête qui se traduisent dans leur efficacité (provisoire) et dans leurs conditions de mise en œuvre.

Au-delà des textes généraux du Code de procédure, qui définissent le référé et les procédures sur requête, ou qui fondent la compétence de principe du 1° président du TGI, il existe des textes spéciaux qui donnent au juge d’instance de larges pouvoirs tant en matière de référé (qui recouvrent à peu près tous les cas évoqués) qu’en matière de procédure sur requête.

La juridiction provisoire du président du Tribunal de commerce est aussi largement étendue. Elle s’est renforcée au fil du temps, tant en matière de référé que pour les procédures sur requête. Les pouvoirs du président du Tribunal de commerce en matière de référé sont tout à fait comparables à ceux du président du TGI : ils sont précisés aux articles 872 et 873 cpc. En matière d’ordonnance sur requête, ils résultent des articles 874 et 875 cpc et renvoient à des hypothèses spécifiées par la loi.

Devant le conseil de prud’hommes, la procédure de référé date de 1974, elle est prévue par des textes du c. trav. (cf. art. 1423-1 c. trav.). Il existe une formation de référé par conseil qui présente la caractéristique d’être paritaire. Le référé prud’homal est exclusif de tout autre depuis 1979 dans le cadre de la compétence du CPH.

Le premier président de la Cour d’appel bénéficie aussi du pouvoir de statuer en référé (art. 956 et 957 cpc) ou sur requête (art. 958 cpc).

Les caractéristiques propres du contentieux sur requête et du contentieux de référé notamment la situation d'urgence qu'ils traitent justifient un certain nombres de règles procédurales dérogatoires, comme le fait d'écarter un temps le contradictoire pour les premières, comme le choix de retenir des règles de compétence particulières, lieu de l'incident, lieu de la mise en oeuvre de la mesure (cf. Civ. 2, 19 novembre 2008, pourvoi n°08-11646, Proc. 2009 n° 77, voire de mettre à l'écart la règle en vertu de laquelle le « criminel tient le civil en l'état », justement parce que la décision rendue est provisoire, qu'elle n'a pas autorité sur ce qui sera jugé au principal et qu'il faut gagner du temps (cf. Civ. 3, 7 janvier 2009, pourvoi n° 07-21501, Proc. 2009 n° 76). Le caractère provisoire de la mesure élimine ici tout risque de contradiction entre la décision pénale et la décision civile, or c'est ce risque de contradiction qui justifie le sursis à statuer qu'implique la règle le « criminel tient le civil en l'état » issue de l'article 4 cpp.

Section 2 : Les critères de compétence internationale

Au-delà des litiges purement internes, les juridictions françaises peuvent avoir à connaître de litiges qui comportent un élément d’extranéité, soit des litiges internationaux. Cet élément d’extranéité, est un élément constitutif de la relation juridique qui serait situé à l’étranger : il peut ainsi tenir aux parties en cause qui sont ressortissantes d’Etats différents, ou de l’objet du litige (l’immeuble est situé à l’étranger quand bien même les parties seraient-elles l’une et l’autre françaises). ; il peut enfin s’agir de la source du rapport de droit qui est située à l’étranger (ainsi le fait juridique, l’accident de la circulation s’est produit à l’étranger quand bien même les parties seraient-elles l’une et l’autre françaises).

Cet élément d’extranéité va être source de certaines difficultés qui nécessitent de les envisager séparément. Comme les éléments constitutifs du litige relèvent d’Etats différents, chaque Etat a également vocation à en connaître. Il convient donc de déterminer quelle loi sera applicable, c’est la question du conflit de lois. Mais aussi de dire quelle juridiction aura vocation à trancher le litige soit la question du conflit de juridictions plus particulièrement au cœur de nos préoccupations de droit judiciaire. Ces choix relèvent du droit international privé français lequel n’est pas le même que celui des autres Etats, chaque Etat s’appliquera donc pour résoudre ses difficultés à appliquer son droit international privé, encore largement national. Cela suppose d’abord que le juge français se soit

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reconnu compétent, sachant que ce juge français peut très bien appliquer une loi étrangère la question du conflit de loi et de juridiction sont donc distinctes. Seules les règles de la compétence judicaire internationale plus directement procédurales seront abordées – soit le conflit de juridictions.

Il existe, depuis longtemps déjà, un droit international privé de la compétence internationale des critères, largement inspirés d’ailleurs des règles de procédure et de compétence interne. Force est cependant d’admettre qu’au fil du temps, s’est aussi développé un droit spécial de la compétence internationale, notamment, au sein de l’Union européenne pour harmoniser le traitement judiciaire des relations communautaires, voire au travers de certaines conventions internationales, qui n’est plus strictement national par ses sources.

§1 - Les règles de compétence internationale générales

L’on distinguera ici entre les règles ordinaires de compétence internationale et les règles extraordinaires, car il existe bel et bien désormais une hiérarchie entre ces critères, que la jurisprudence consacre.

A - Les règles ordinaires de compétence internationaleElles sont pour la plupart élaborées à partir de critères de compétence internes. Et de fait la

nationalité des parties s’avère indifférente. Mais il existe aussi parfois des règles propres.1. Les règles de compétence internationale élaborées à partir des critères de compétence

territoriale internes.La règle d’origine jurisprudentielle, dégagée dans les années 1950-1960, dans les arrêts

Pelassa et Scheffel, veut que l’on projette à l’ordre international, les termes des règles de compétence internes, dès lors que le litige présente avec la France un lien suffisant, pour connaître les règles de compétence internationale qui ne sont codifiées nulle part.

Ainsi, l’ordre juridictionnel internationalement compétent est, sauf disposition contraire, le Tribunal du lieu où demeure du défendeur, à l’image du principe posé à l’article 42 cpc pour déterminer le tribunal territorialement compétent..

Et les règles qui ouvrent une option de compétence peuvent également être étendues à l’ordre international, pour déterminer le Tribunal territorialement compétent. Ce qui veut dire qu’en matière de contrat international peut être saisi soit le Tribunal du domicile du défendeur, soit celui du lieu où est exécutée la prestation de service ou la livraison. Et qu’en matière délictuelle, peut être saisi l’ordre juridictionnel du lieu du fait dommageable ou du lieu où le dommage est subi, en plus du Tribunal du domicile du défendeur. Et l’on pourrait transposer de même toutes les règles de compétence alternative, ou toutes les options ouvertes par les textes.

Pareillement, les règles de compétence nationale qui fixent une compétence territoriale exclusive sont transposables, de sorte que les tribunaux français seront compétents si l’immeuble est situé en France, il devra se déclarer incompétent en revanche si l’immeuble est situé à l’étranger. Et plus généralement, l’on peut énoncer la règle de compétence générale selon laquelle l’ordre juridictionnel compétent est celui du lieu de situation de l’immeuble par transposition à l’ordre international de l’article 44 cpc.

Au-delà de ces règles qui sont la transposition des règles internes, il existe des règles de compétence internationales autonomes ou des règles de compétence purement internationales fixées par des conventions internationales.

2. Les règles de compétence internationale élaborées en dehors de critères de compétence internes.

Il faut en particulier par principe éviter un risque de déni de justice. Il en résulte que les tribunaux français seraient compétents si aucun autre ordre juridictionnel ne se reconnaît compétent pour connaître du rapport de droit litigieux. Cette hypothèse est en réalité très rare.

L’urgence peut aussi conduire un juge français à retenir sa compétence pour prendre une mesure provisoire ou conservatoire, et le juge des référés en France y a parfois recours.

Parfois enfin les critères de compétence interne ne sont pas adaptés aux spécificités du litige international, de sorte qu’est édictée une règle propre, reposant sur un critère différent de celui des règles de l’ordre interne. Il en va ainsi en particulier en matière de succession immobilière ou en matière de procédure d’exécution.

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En matière de succession le critère de compétence interne n’est utilisé que pour les successions mobilières - soit la juridiction dans le ressort de laquelle la succession est ouverte (dernier domicile du défunt) -, il sera écarté, en revanche, pour les successions immobilières. Un territorialisme marqué conduit ici à retenir la seule compétence du lieu de situation de l’immeuble et cette compétence est exclusive, peu important à cet égard que la succession soit ouverte en France ou à l’étranger. Si l’immeuble est situé en France, les tribunaux français seront toujours compétents. Et à l’inverse si la succession était ouverte en France mais qu’elle porte sur des immeubles situés à l’étranger les tribunaux français ne seraient plus compétents. Cela contribue au morcellement du traitement juridictionnel des successions internationales. Entrent en jeu ici des enjeux de souveraineté mais aussi des enjeux pratiques pour une meilleure exécution de ces mesures – l’exécution en sera plus facilement contrôlée par la juridiction du lieu de situation de l’immeuble.

La jurisprudence nuance cette solution dans un arrêt récent en affirmant qu'en matière de succession immobilière, le renvoi opéré par la loi de situation de l'immeuble ne peut être admis que s'il assure l'unité successorale et l'application d'une même loi aux meubles et aux immeubles, l’arrêt rendu par la 1° chambre civile du 11 février 2009 (pourvoi: 06-12140, D. 2009 p. 562 et p. 1658) l’est au visa de l'article 3 du Code civil. Notons néanmoins que l’arrêt traite de la question de la loi applicable et non directement celle de la juridiction compétente mais il traduit certainement une évolution. On aurait pu espérer une évolution plus radicale, assurant vraiment l’unité successorale, par un renvoi à la loi du dernier domicile du défunt.

En matière de procédure d’exécution une particularité existe également, elle repose sur l’idée que les saisies et mesures conservatoires ne peuvent être effectuées que par des organes agissant au nom de l’Etat sur le territoire duquel la mesure est exécutée, sous le contrôle des autorités judiciaires de ce même Etat. Ainsi, alors que dans l’ordre interne, le demandeur peut au choix choisir le Tribunal du lieu où demeure le défendeur ou celui du lieu d’exécution de la mesure, en matière internationale, le juge compétent est par principe uniquement celui du lieu d’exécution de la mesure. Ce critère centralise ainsi les procédures d’exécution et les opérations qui s’y rattachent dans un seul pays ce qui est opportun. Ainsi, si la saisie a lieu en France, les litiges relatifs à son exécution ne peuvent être tranchés que par les Tribunaux français, même si la partie saisie a son domicile à l’étranger. On le voit les enjeux de souveraineté justifient ici des règles particulières. 

Si le juge français a le pouvoir d’apprécier le principe de l’existence d’une créance, à l’occasion de la procédure d’exécution dont il est saisi, il ne peut en revanche se prononcer sur le fond de cette créance (sa validité contestée par exemple) qui peut relever d’un autre ordre juridictionnel.

B - Les règles dérogatoires de compétence internationale.

Les règles des articles 14 et 15 du Code civil donnent compétence aux tribunaux civils français pour connaître des litiges auxquels est partie un français, soit en qualité de demandeur (article 14 du Code civil), soit en qualité de défendeur (article 15 du Code civil). La jurisprudence a largement interprété ces textes, quitte d’ailleurs à en étendre la portée pour en faire un véritable privilège de juridiction au bénéfice des français au cours du XIX° s.

Mais, plus récemment, cette règle ainsi interprétée a été perçue comme une mesure discriminatoire à l’égard des étrangers, de sorte que son application effective sur le terrain de la compétence judicaire internationale était de nature à porter atteinte au droit au procès équitable des étrangers au sens de l’article 6§1 CESDH. On est donc revenu récemment à une application plus restrictive de ces dispositions qui affecte moins leur domaine d’application que leur mise en œuvre.

Il a en outre été précisé que les articles 14 et 15 du Code civil ont seulement pour effet de rendre l’ordre juridictionnel français compétent dans les cas où il ne le serait pas applicable en raison des règles ordinaires de compétence. Leur vocation est ainsi subsidiaire et justifie leur statut de règles dérogatoires.

1. Domaine d’application : * personnel le droit pour un français d’être jugé par les tribunaux français suppose qu’un français ait la qualité de partie au litige au moment où l’instance est introduite, car c’est à ce moment là que l’on

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apprécie les conditions de l’action. Peu importe par ex. la nationalité au moment où le rapport de droit s’est formé. Et les articles 14 et 15 s’appliquent tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.L’effet de cette règle a cependant été neutralisé dans les litiges communautaires par le règlement du 22 décembre 2000.* matériel les article 14 et 15 visent seulement les obligations contractées, et pourtant, le domaine d’application de ces articles a été largement interprété au-delà de ce seul domaine : tant en matière contentieuse, en s’étendant d’abord des obligations contractuelles aux obligations extracontractuelles, pour passer ensuite à l’ensemble des droits patrimoniaux, puis aux droits extrapatrimoniaux, qu’en matière gracieuse (jugement d’adoption) le droit pour un français d’être jugé par les tribunaux français suppose qu’un français ait la qualité de partie. C’est une manière indirecte de consacrer l’unité de l’activité juridictionnelle sous ses deux formes.Il faut bien reconnaître que ce critère de la nationalité est plus approprié pour tout ce qui a trait au statut personnel que dans le domaine du droit des obligations…

Sont en revanche exclues les actions réelles immobilières où l’attraction de la compétence du lieu de situation de l’immeuble joue pleinement.

Ou encore les demandes relatives à des voies d’exécution pratiquées hors de France. Aussi étendu soit il le champ des articles 14 et 15 cpc n’englobe pas les voies d’exécution pratiquées hors de France. Car est alors en cause la souveraineté de chaque Etat176.

L’avantage de la solution est, le plus souvent, d’assurer une coïncidence entre la loi applicable au fond et la compétence des tribunaux. Toutefois, en matière contractuelle il a été à de nombreuses reprises souligné que cette règle qui confère ce privilège au contractant français est peu compatible avec le principe d’autonomie de la volonté… Elle est facteur d’insécurité contractuelle.

2. Régime :Pour tempérer les effets de cette règle, il a récemment été jugé que les articles14 et 15

n’ouvrent qu’une compétence facultative et non impérative (cf. Civ. 1, 22 mai 2007 et auparavant Civ.1, 23 mai 2006 et plus récemment rappelant ces caractères Civ. 1, 16 décembre 2009, pourvoi n° 08-20305, D. 2010 p. 156). Avant cette compétence était considérée comme exclusive. Etant facultatif, le bénéficiaire de ce privilège peut renoncer à s’en prévaloir (cf. Civ. 1, 2 oct. 2001).

Et une décision récente rendue le 1° juillet 2009, (pourvoi n° 08-15955, D. 2009 p. 1898) est venu enfoncer le clou, confortant cette jurisprudence, en énonçant que l’article 14 du Code civil énonce une règle de compétence directe qui sauf renonciation ou traité international, permet à une demandeur français de saisir un tribunal français, lorsque aucun critère ordinaire de compétence territoriale n’est réalisé en France – ce qui renvoie au principe de subsidiarité - et qu’un Tribunal étranger n’a pas été préalablement saisi – précision nouvelle qui renforce la subsidiarité ou qui assouplit la preuve de la renonciation. Ainsi, même si l’on ne peut renoncer à ce privilège qu’en toute connaissance de cause, ce privilège ne doit pas porter atteinte à la compétence d’un tribunal déjà saisi.

Cette subsidiarité était encore rappelée dans un autre arrêt rendu à propos de l’articulation de l’article 14 du Code civil et le règlement Bruxelles II bis. (Cf. Civ. 1, 30 septembre 2009, pourvoi n° 08-19793, Procédures 2009 n° 401177).

§2 - Les règles de compétence internationale spéciales

Ces règles de compétences internationales spéciales peuvent mettre en échec les règles générales de compétence internationale précédemment évoquées. Elles sont contenues soit dans des conventions internationales envisageant la question de la compétence internationale, soit par le droit

176 Civ.1, 14 avril 2010 n° 09-11.909 ) , Dalloz 2010 p. 1087 « L'article 14 du code civil, qui permet au plaideur français d'attraire un étranger devant les juridictions françaises, doit être exclu pour des demandes relatives à des voies d'exécution pratiquées hors de France, quand bien même elles n'auraient pas pour objet d'en contester la régularité ».177 « Viole ces textes, la cour d'appel qui écarte la compétence de la juridiction française pour statuer sur une demande en divorce, alors que celle-ci, saisie par une demanderesse de nationalité française, était compétente en application de l'article 14 du code civil, qui s'applique lorsqu'aucun critère ordinaire n'est réalisé en France ». En l’occurrence, l’article 14 avait vocation à s’appliquer dès lors que le juge français n’était pas compétent ni en vertu de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis, ni en vertu de l’article 1070 du Code civil.

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communautaire qui dans la perspective de la création d’un espace judiciaire européen, en germe dans les traités institutifs de 1957, devait tout naturellement s’intéresser à cette question de la compétence communautaire.

A - Les règles de compétence communautaires,

Envisagée à l’état de projet dans les traités institutifs de 1957, la question de la compétence communautaire n’a été traitée que dix ans après dans une convention dite de Bruxelles de 1968, et au départ, en dehors des institutions communautaires : le dispositif initial résultait d’une convention internationale multilatérale, qui pour garantir une certaine unité d’interprétation relevait néanmoins de la CJUE quant à son interprétation. Un besoin de modernisation et d’intégration de ce dispositif dans le droit communautaire a conduit à revoir les dispositions de cette convention, par l’intermédiaire de différents règlements communautaires, notamment, à la suite de l’intégration de la coopération judiciaire dans la sphère de compétence communautaire, après le traité d’Amsterdam.

Les nouveaux règlements sont entrés en vigueur le 1° mars 2001 pour le règlement du 29 mai 2000 dit Bruxelles II en matière de responsabilité parentale et de divorce, remplacé par le règlement dit Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 entré quant à lui en vigueur le 1° mars 2005.

le 1° mars 2002 pour le règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I, lequel devrait être révisé prochainement 178, son domaine se voyant élargi.

Ce dernier règlement vient de faire l’objet d’une refonte toute récente opérée par le 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des déci-sions en matière civile et commerciale, modernise totalement le droit en la matière en supprimant l’exequatur179 qui entrera en vigueur au 10 janvier 2015. Pourtant le réforme pour ambitieuse qu’elle soit a été plus prudente et plus limitée que celle envisagée au départ.

S'agissant de la reconnaissance et de l'exécution des décisions, selon l'article 36 du règlement, les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. Il s'agit d'un nouveau pas fondamental dans le proces-sus de reconnaissance mutuelle des Etats membres appelé de ses vœux par le Conseil européen de Tampere en octobre 1999.

Pour autant, si l'exequatur est supprimé, le règlement prévoit cependant un mécanisme permet-tant de refuser la reconnaissance ou l'exécution. L'article 45 du règlement dispose que  la reconnais-sance d'une décision peut être refusée à la demande de toute partie intéressée. Tel est le cas par exemple lorsque la décision a été rendue par défaut, si l'acte introductif d'instance ou un acte équi-valent n'a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu'il puisse se dé-fendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à l'encontre de la décision alors qu'il était en mesure de le faire. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés à l'article 45, il est également possible de refuser l'exécution de la décision. Ainsi, les réserves suscitées par cette suppression de l’exéquatur la com-mission ont permis ce faisant de garantir un peu mieux les droits de la personne condamnée en mettant en place une possibilité de réexamen ( qui peut être l’occasion d’invoquer la violation des règles les plus essentielles de compétence, la contrariété à l’ordre public de l’Etat requis, soit une irrégularités de notifications dans les procédures par défaut, ou une inconciliabilité avec une autre décision anté -rieure ayant force de chose jugée ou une procédure permettant de bloquer l’exécution forcée (soit en cas de violations des garanties du procès équitable, soit en cas d’inconciliabilité de la décision avec une autre décision antérieure (en revanche, la violation des règles de compétence ou encore de l’ordre public international ne devraient plus justifier un refus d’exécution), les cas qui ouvrent les possibilités de recours sont énoncés à l’art. 45 du règlement. La protection ainsi accordée est sans doute plus im-portante que celle de la procédure intermédiaire antérieure qui présentait largement un caractère admi-nistratif et non juridictionnel.

Contrairement à certaines suggestions la refonte n’a pas été l’occasion d’une internationalisa-tion des règles du règlement qui aurait de fait supprimer les règles nationales de compétence interna-tionale, ni même d’ailleurs d’une extension de son application à l’arbitrage international…. Pourtant

178 Sur ce point cf. D 2011 p. 81 C. NOURISSAT, Révision du règlement « Bruxelles I » : à vos claviers, Procédures 2009 repère n° 6.179 Louis d’Avout, La refonte du règlement de Bruxelles I (règlement UE n° 1215/2012), D. 2013 p. 1014.

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sur l’internationalisation une exception est à noter quant aux règles de compétence protectrices en ma-tière de consommation et de droit du travail. En effet, ces règles uniformes qui ne s’appliquaient na-guère que si le défendeur était domicilié dans un Etat membre, champ naturel du règlement de Bruxelles qui en limitait la portée à des litiges intracommunautaires. Or aujourd’hui les règles de comptétence du règlement protectrices s’appliquent dès lors que le consommateur ou le travailleur est ressortissant de l’UE. La refonte du règlement simplifie considérablement le système instauré par le règlement "Bruxelles I" puisqu’il prévoit qu'aucune règle nationale de compétence ne pourra plus être appliquée par les États membres à l'égard des consommateurs et des salariés ayant leur domicile hors de l'UE. Ces règles de compétence uniformes s'appliqueront aussi vis-à-vis des parties domiciliées en dehors de l'UE dans les cas où les juridictions d'un État membre jouiront d'une compétence exclusive en vertu du règlement issu de la refonte ou lorsque ces juridictions se seront vu conférer cette compé-tence par une convention entre les parties.L'introduction d'une règle sur la litispendance internationale constitue une autre modification impor-tante: cette disposition permettra aux juridictions d'un État membre, à titre facultatif, de surseoir à sta-tuer et, ultérieurement, de mettre un terme à la procédure dans des situations où une juridiction d'un État tiers a déjà été saisie soit d'une action entre les mêmes parties soit d'une action connexe au mo -ment où la juridiction de l'UE est saisie.

Le règlement issu de la refonte commencera à s'appliquer deux ans après son entrée en vi-gueur. Le Royaume-Uni et l'Irlande ont décidé de participer à l'adoption et à l'application dudit règle-ment. Une fois adopté, il s'appliquera également au Danemark dans le contexte de l'accord conclu en 2005 en la matière entre l'UE et le Danemark.

1°/ pour le règlement dit Bruxelles I

Règlement « Bruxelles I » : prorogation de compétence Cour de justice de l'Union européenne 4e ch. 20 mai 2010 n° C-111/09

L'article 24 du règlement CE n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que le juge saisi, sans que les règles contenues dans la section 3 du chapitre II de ce règlement aient été respectées, doit se déclarer compétent lorsque le défendeur comparaît et ne soulève pas d'exception d'incompétence, une telle comparution constituant une prorogation tacite de compétence.

La compétence communautaire des juridictions ainsi définie renvoie aux matières civiles et commerciales, ce qui exclut l’hypothèse de l’intervention d’une autorité publique agissant dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique. Les faillites quant à elles relèvent d’un autre règlement spécial. L’état des personnes, les régimes matrimoniaux et successions, les questions relatives à la Sécurité sociale et à l’arbitrage sont également exclus de son champ (art. 1°), ce qui n’a pas changé là non plus à l’issue de la refonte. Les règles de compétence qu’ils fixent s’appliquent en revanche pour les procédures harmonisées récemment instituées, celle relative aux petits litiges et celle relative à l’injonction de payer.

Les dispositions du règlement doivent s’appliquer dès lors que le défendeur a son domicile (ou son siège) dans un Etat membre de l’UE, même si le demandeur lui ne l’est pas (art. 3). Dans ce cas le règlement sert à désigner la juridiction compétente, cette juridiction n’ayant pas le pouvoir de refuser sa compétence. Et pour déterminer le domicile du défendeur le juge saisi applique sa lex fori.

Les règles de droit commun de compétence internationales sont donc évincées, et en particulier, l’application des articles 14 et 15 cpc. (art. 3).

Les règles de compétence internationale continuent dès lors de s’appliquer si le défendeur est domicilié dans un autre Etat qui ne serait pas membre de l’UE, si le litige est international.

Dans certaines matières, que définit la convention de Bruxelles, la compétence juridictionnelle appartient exclusivement à certains juges, peu importe alors le domicile du

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défendeur. Il en va ainsi en matière réelle immobilière et en matière de baux d’immeubles : le juge du lieu de situation de l’immeuble est ainsi exclusivement compétent et dans une liste de cas de compétence exclusive énoncés à l’article 22 du règlement (article 24 issu de la refonte de 2012) qui renvoient notamment lorsque des registres publics sont tenus c’est le lieu de ces registres qui est pris en compte par exemple pour la dissolution d’une société, voire pour l’action relative à la validité des délibérations des organes sociaux (Com. 15 mars 2011 n° 09-72.027, D. 2011 p. 891), les litiges relatifs à une marque ou un brevet, ou en matière d’exécution des décisions, le Tribunal du lieu d’exécution étant ici privilégié.

Il est possible, par une prorogation volontaire de compétence d’étendre la compétence des tribunaux issus de la convention, lorsque l’une des parties au moins à la convention a son siège ou son domicile dans un Etat membre au moment de la conclusion de l’accord… Et cette compétence jouera que la partie qui a son domicile au sein de l’UE Soit demandeur ou défendeur. Les parties sont ainsi libres de rattacher leur litige né ou à naître au système du règlement communautaire relatif à la compétence ( article 23 du règlement (article 25 issu de la refonte de 2012)).

a - En dehors de ces cas de compétences exclusives la règle générale est celle de la compétence de l’ordre juridictionnel du domicile du défendeur, laissant aux règles internes le soin de déterminer quel tribunal est effectivement compétent.

S’il y a plusieurs défendeurs, l’action ne peut être portée que devant l’ordre juridictionnel du domicile de l’un des défendeurs.

Mais au-delà de cette règle générale de la compétence de l’ordre juridictionnel du domicile du défendeur, et en dehors des cas de compétence exclusive, il arrive que le règlement ouvre des options de compétence supplémentaires. Les critères retenus ressemblent pour la plupart à nos critères de DIP. En matière délictuelle, l’option est tout à fait comparable à celle que retient notre droit interne projeté à l’ordre international, puisque le tribunal compétent est celui du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, et il est reconnu en cas de dissociation du fait générateur et du lieu où le dommage est subi la même option qu’à l’art. 46 cpc. Sachant que la notion de matière délictuelle fait l’objet de ce point de vue d’une appréciation spécifique. En vertu de la jurisprudence de la CJUE (CJUE 2 avril 2009, Procédures 2009 n° 277), le droit communautaire repose sur des qualifications autonomes qui peuvent de ce fait être distinctes des qualifications nationales et qui renvoient aux objectifs propres de chacune de ces conventions. Elle se définit de manière résiduelle par rapport à la responsabilité contractuelle. Elle inclut par exemple l’action préventive en suppression des clauses abusives engagées par une association de consommateurs… En revanche, la CJCE a jugé que l’action contre celui qui avait fait croire à une promesse de gain au terme d’une loterie publicitaire relevait du domaine contractuel CJUE 1° oct. 2002 aff. Gabriel et CJUE 14 mai 2009 aff. Ilsinger), alors qu’en droit français l’on considère qu’il ne s’agit pas d’un contrat mais d’un quasi contrat depuis 2002 (Ch mixte 6 septembre 2002). La matière contractuelle renvoie à des engagements librement assumés, ce qui exclut au sens communautaire, les actions directes de nature contractuelle consacrées par le droit français. On pourrait ici multiplier à l’infini les exemples de distorsion entre droit français et communautaire.

D’autres critères optionnels diffèrent un peu de nos critères internes, notamment en matière contractuelle, le défendeur peut également être assigné devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande est ou doit être exécutée. Ainsi le contrat n’est pas considéré dans son ensemble les obligations le sont séparément. Si les obligations sont multiples, l’obligation principale servira de référence. Les parties peuvent avoir conventionnellement défini ce lieu de l’exécution de l’obligation principale. L’application de cette disposition continue de susciter des difficultés notamment pour les obligations de ne pas faire sans champ d’application géographique circonscrit, ce qui a conduit à exclure son application dans ce cas.

Il a été jugé récemment (CJUE 3e ch., 11 mars 2010 n° C-19/09, D. 2010 p. 834) que le règle-ment est applicable en cas de fourniture de services dans plusieurs Etats membres (article 5, point 1, sous b). Et dans ce cas, le tribunal compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services. Pour un contrat d'agence commerciale, ce lieu est celui de la fourniture principale des services de l'agent, tel qu'il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l'exécution effec-

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tive de ce contrat et, en cas d'impossibilité de le déterminer sur cette base, celui où l'agent est domici-lié.

Une règle de compétence spéciale est fixée en matière de trust, elle fixe la compétence des tribunaux de l’Etat contractant sur lequel le trust a son domicile.

S’il s’agit d’une demande incidente, le règlement admet qu’elle est en quelque sorte dérivée, et pour assurer l’unité du traitement du litige, le tribunal saisi de la demande originaire reste compétent.

b - A côté de ces critères de compétence généraux, le règlement pose des règles de compétence spéciales qui écartent la compétence de principe. Ces règles particulières ont * soit pour fonction de protéger la partie faible au contrat.Ainsi en matière d’assurance, les règles qui protègent l’assuré sont considérées comme d’ordre public et ne peuvent que très exceptionnellement faire l’objet de dérogations. Elles multiplient les règles de faveur, notamment lorsque l’assuré est demandeur.Et en matière de contrats conclus avec le consommateur, le consommateur en tant que demandeur bénéficie ainsi d’une option entre le tribunal du lieu de son domicile ou le tribunal du lieu du domicile du défendeur. Si le consommateur est défendeur à l’action, le tribunal de son domicile est aussi compétent, ce qui rejoint les règles récemment posées en droit interne en la matière . Là encore, ces règles sont considérées comme d’ordre public et ne peuvent faire l’objet de dérogations, notamment les clauses attributives de juridiction sont exclues, car ce sont des règles de faveur pour le consommateur.Le consommateur y est défini comme celui qui contracte pour un usage qui peut être considéré comme étranger à l’activité professionnelle. Enfin, en matière de contrats de travail, le salarié a le choix entre trois juges entre le tribunal du lieu dans lequel il accomplit son travail habituellement ou le tribunal du lieu du domicile de l’employeur défendeur, enfin, s’il n’accomplit pas sa prestation de travail habituellement dans un même lieu, il peut également saisir le tribunal du lieu de l’établissement qui a engagé le travailleur. Si le salarié est défendeur à l’action, seul le tribunal de son domicile est compétent. Les règles sont donc asymétriques et ce, en vue de protéger le salarié. Les règles de compétence en matière de contrat de travail forment de ce point de vue un ensemble à part.

Cette compétence du tribunal du lieu d’exécution du contrat de travail issue du règlement eu-ropéenn a été réaffirmé à plusieurs reprises par la jurisprudence récente180 notamment, cette règle de compétence du lieu d’exécution du travail a même pu primer sur la compétence de principe attractive du lieu d’ouverture de la procédure collective181.

180 Soc. 27-11-2013, n° 12-24.880 D. 2013 p. 2859Voir aussi Soc. 27 nov. 2013, FS-P+B, n° 12-24.880 En cas de périodes stables de travail dans des lieux succes-sifs différents, le dernier lieu d’activité, déterminant la juridiction devant laquelle l’employeur peut être attrait, devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités.181Soc.27-11-2013 n° 12-20.426, Dalloz 2013 p. 2859. Il résulte de l'article 19 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, reprenant en cela la règle fixée par l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 antérieurement applicable, qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travailM. V. a été engagé le 1er septembre 1980, en qualité de magasinier sur le site d'Aulnay-sous-Bois, par la succur -sale en France de la société Nova électro international dont le siège social est à Tongres en Belgique. Dans le cadre d'une procédure collective, le tribunal de commerce de Tongres a, par jugement du 8 janvier 1997, désigné des curateurs de la société Nova électro international, lesquels ont obtenu l'autorisation de licencier le personnel. M. V., licencié par lettre du 17 janvier 1997, a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 14 septembre 2005 de demandes tendant à dire nul son licenciement, à obtenir l'inscription au passif de la société de créances in-demnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect de la procédure, à dire opposable à l'AGS la décision à intervenir et à dire que cette dernière devait aussi garantir la partie des créances d'ores et déjà admises mais non garantie par le Fonds belge de fermeture des entreprises.Pour dire la juridiction prud'homale française incompétente pour statuer sur les demandes du salarié et le ren -voyer à mieux se pourvoir, la cour d'appel avait retenu : que la législation en vigueur applicable à la situation de M. V. en 1997 était bien la loi belge ; que l'AGS réservait à cette époque l'intervention du régime de garantie des salaires découlant de l'article L. 143-11-1 du code du travail aux seules procédures de redressement ou de liqui -dation judiciaires ouvertes par des juridictions appartenant à l'ordre judiciaire français ; que de fait, M. V. avait

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* soit pour fonction d’ériger des règles de compétence exclusive jugées plus adaptées. Ces cas de compétence exclusive jouent quel que soit le domicile du défendeur.Ainsi, les tribunaux de l’Etat contractant où l’immeuble est situé sont compétents en matière de droits réels immobiliers comme en matière de bail d’immeubles.De même, les tribunaux de l’Etat contractant du siège de la personne morale sont compétents en matière de validité et de nullité, de dissolution des personnes morales ainsi qu’en en matière de validité des décisions de ses organes.Pareillement, les tribunaux de l’Etat contractant où les registres sont tenus sont compétents en matière de validité des inscriptions sur les registres publics.Pour la validité des titres de propriété incorporelle, ce sont les tribunaux de l’Etat où ces titres sont enregistrés ou déposés qui sont compétents.Enfin en matière d’exécution des décisions, sont compétents les tribunaux de l’Etat membre du lieu de l’exécution.

Et un arrêt de la Cour d’appel d’Amsterdam qui vient d’accueillir une class action impliquant des victimes domiciliées dans plusieurs Etats membres de l’Union sur le fondement du règlement de Bruxelles I soulève une autre question de principe. Les chefs de compétence du règlement sont ils aptes à accueillir de telles actions182, alors que le consensus au sein des Etats membres est loin d’exister… Ce qui montre que l’avènement d’une class action pourrait se faire par le droit communautaire, soit par le règlement de Bruxelles (voire par sa révision) soit par la réforme du droit de la consommation ou du droit des contrats qui pourrait être l’occasion d’une réflexion sur le sujet.

2°/ Les règlements spéciaux

a - Le règlement dit Bruxelles II

Il est relatif à la compétence en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs. Il écarte les règles de compétence internationale de droit commun ainsi que le jeu des articles 14 et 15 du Code civil…. C’est-à-dire qu’est fixé un nouveau droit commun propre aux litiges communautaires . Pourtant, le domaine d’application de ce règlement n’est pas réduit aux seuls litiges intracommunautaires puisqu’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 février 2005 est venu préciser que le règlement Bruxelles II pouvait fonder la compétence des Etats membres y compris dans un litige mettant en cause un ressortissant d’un Etat membre et un ressortissant d’un Etat tiers. Mais cette compétence des juridictions communautaires ainsi instituée n’est pas pour autant exclusive, de sorte que si la juridiction de l’Etat tiers s’est déjà prononcée (en l’occurrence la juridiction islandaise), le juge français devait se dessaisir si la juridiction islandaise avait été saisie avant, ainsi l’exception de litispendance pouvait être accueillie (cf. Civ. 1, 17 juin 2009, pourvoi 08-12456, D. 2010 p. 121).

Il faut distinguer les règles en matière de désunion des règles relatives à la responsabilité parentale.

déclaré des créances au passif de la procédure de faillite belge, créances en partie prises en charge par le Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprise ; que cette prise en charge est d'ailleurs toujours en cours et n'est pas encore clôturée et que c'est dès lors à juste titre que tant les curateurs de la faillite de la société Nova électro international que la délégation Unedic AGS ont pu soulever l'incompétence du conseil de prud'hommes de Bobigny pour connaître des demandes de M. V. au profit de la juridiction belge compétente.En statuant ainsi par des motifs inopérants pour déterminer le juge compétent pour connaître de l'action du salarié dirigée contre son employeur en contestation de son licenciement avec demande de garantie de l'AGS et alors qu'elle constatait que le salarié avait toujours accompli son travail à Aulnay-sous-Bois, la cour d'appel a violé le texte précité182 CA d’Amsterdam, 12 novembre 2010, JCP 2011 602 obs. L Perreau Saussine qui estime que le règlement de Bruxelles I est ici « abusivement sollicité ». L’auteur souligne que les Pays Bas se sont en effet dotés d’une procédure de class action qui n’est pas dépourvue d’originalité reposant sur des transactions conclues par des fondations regroupant les victimes et les sociétés poursuivies, transaction qui doivent être homologuées par le Tribunal pour produire leurs pleins effets erga omnes sur toutes les victimes concernées et produire leur effet exécutoire à l’égard des personnes visées par la plainte. Et les victimes sont liées par la transaction sauf à ce qu’elles aient fait connaître leur intention de ne pas être liées par la transaction.

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* les règles en matière de désunion impliquent de rechercher le pays qui a les liens les plus étroits avec le litige.Dans un certain nombre de situations – au nombre de 7 - la compétence du juge français peut ainsi être retenue, jouent principalement ici le critère de la nationalité et celui du lieu de résidence.Si l’une des sept situations décrites n’est pas caractérisée, les critères de droit commun continuent de s’appliquer, et peuvent, là encore, conduire à reconnaître la compétence des tribunaux français.* les règles en matière de responsabilité parentale posent que le juge compétent pour connaître de la désunion l'est aussi en matière de responsabilité parentale si les enfants résident dans l'Etat du juge saisi ou si la saisine de ce juge est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, et qu'elle est acceptée par les deux époux. Si ces conditions ne sont pas réunies les règles de droit commun trouveront à s'appliquer. Le règlement dit Bruxelles 2 bis comprend des règles pour lutter contre les enlèvements internationaux d'enfants, à la suite de la désunion d'un couple binational. La compétence est alors celle de l'Etat dans lequel l'enfant a sa résidence habituelle avant son déplacement. Le juge de l'Etat d'accueil ne devient compétent que si celui qui a le droit de garde a acquiescé au déplacement, ou si l'enfant réside depuis plus d'un an dans l'Etat d'accueil.

La CJUE vient de donner les premières interprétations de la notion de résidence habituelle de l’enfant dans un arrêt du 2 avril 2009 (cf. CJUE 2 avril 2009 Procédures n° 277) en précisant que cette notion de résidence doit être interprétée comme traduisant une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. Cette notion de résidence habituelle est conçue par la CJUE de manière objective à partir d’un faisceau d’indices la CJUE soulignant qu’il faut prendre en considération, la durée, la régularité les conditions et les raisons du séjour, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation de l’enfant, ses connaissances linguistiques… ». L’approche de la Cour de cassation sur cette notion de résidence habituelle est beaucoup plus subjective et se base notamment sur la volonté. Ce qui est sûr en définitive c’est que la seule présence de l’enfant sur le territoire ne fait pas sa résidence… Voir aussi CJUE 22 décembre 2010, n° C-491/10, Dalloz 2011 p. 248 La notion de « résidence habituelle », doit être interprétée en ce sens que cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l'enfant dans un environnement social et familial. A cette fin, et lorsqu'est en cause la situation d'un nourrisson qui séjourne avec sa mère depuis quelques jours seulement dans un Etat membre autre que celui de sa résidence habituelle, vers lequel il a été déplacé, doivent notamment être pris en considération, d'une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire de cet Etat membre et du déménagement de la mère dans ledit Etat, et, d'autre part, en raison notamment de l'âge de l'enfant, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l'enfant dans le même Etat membre. Il appartient à la juridiction nationale d'établir la résidence habituelle de l'enfant en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait particulières de chaque cas d'espèce. Dans l'hypothèse où l'application des critères susmentionnés conduirait à conclure que la résidence habituelle de l'enfant ne peut être établie, la détermination de la juridiction compétente devrait être effectuée sur la base du critère de la « présence de l'enfant » au sens de l'article 13 du règlement.Les décisions d'une juridiction d'un Etat membre rejetant, en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, une demande de retour immédiat d'un enfant dans le ressort d'une juridiction d'un autre Etat membre, et portant sur la responsabilité parentale à l'égard de cet enfant, n'affectent pas les décisions devant être rendues dans cet autre Etat membre sur des actions relatives à la responsabilité parentale qui ont été introduites auparavant et y sont encore pendantes.

CJUE 22 décembre 2010, n° C-491/10, Dalloz 2011 p. 248, Règlement Bruxelles II bis : exécution de l'ordre de retour, La juridiction compétente de l'Etat membre d'exécution ne peut pas s'opposer à l'exé-cution d'une décision certifiée ordonnant le retour d'un enfant illicitement retenu au motif que la juri -diction de l'Etat membre d'origine qui a rendu cette décision aurait violé l'article 42 du règlement CE n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécu-tion des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, interprété confor-mément à l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'appréciation de l'existence d'une telle violation relevant exclusivement de la compétence des juridictions de l'Etat membre d'origine

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Cf. Règlement Rome III sur la désunion et sa réforme en décembre 2010 entrée en vigueur au 21° juin 2012, D. 2011 p. 1835 n. G. Lardeux

b - Le règlement en matière de procédure d'insolvabilité du 29 mai 2000

Le règlement en matière de procédure d'insolvabilité du 29 mai 2000 tente de donner toute son ampleur au principe d'universalité de la faillite, jusque là concurrencé par le principe de territorialité, qui autorisait les faillites locales, correspondant à un centre d'intérêt du débiteur en France.

La compétence de principe est concentrée au lieu du centre des intérêts principaux du débiteur qui renvoie en principe au lieu de son siège social, présomption qu’il est possible d’écarter.

Une procédure secondaire est néanmoins envisageable dans d’autres Etats membres pour un établissement secondaire, à condition que cette procédure soit ouverte après la procédure principale et conduise à une liquidation des biens présents sur ce territoire.

c - Le règlement en matière d’obligation alimentaire du 18 décembre 2008

Ce règlement récemment adopté s’intéresse aux questions de la loi applicable du conflit de juridiction et à l’exécution des décisions étrangères en matière d’obligations alimentaires. Il prévoit une compétence alternative de la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou celui de la juridiction du lieu où le demandeur a sa résidence habituelle ou encore celui de la juridiction du lieu de la juridiction compétence en matière d’état des personnes, pour statuer sur la question dont l’obligation alimentaire est accessoire (divorce…).

Dans un nombre limité de cas les parties pourront aussi désigner la juridiction de l’Etat dont elles sont ressortissantes.

B - Les conventions internationales qui envisagent la question de la compétence internationale,

De nombreuses conventions internationales envisagent la question de la compétence internationale, infléchissant les termes des règles générales évoquées. Il peut s’agir de conventions bilatérales ou multilatérales.

Citons ainsi la convention de Lugano du 16 septembre 1988 largement inspirée de la convention de Bruxelles précitée et qui s’étend aux rapports entre les pays de l’UE et les pays de l’AELE (incluant par exemple la Suisse, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Islande et la Norvège à l’origine). Il subsiste néanmoins certaines différences de fond en ce qui concerne les règles de compétence applicables au contrat individuel de travail ou sur les locations temporaires. C’est directement le succès rencontré par la convention de Bruxelles qui a conduit à son adoption. Cette convention de Lugano a d’ailleurs été récemment révisée, le 30 octobre 2007 ce qui a permis d’intégrer certaines évolutions des règlements de Bruxelles. Cette nouvelle convention est considérée comme du droit communautaire interprété par la CJUE pour les Etats membres de l’UE et comme du droit conventionnel pour les autres.

D’autres conventions bilatérales existent, elles peuvent mettre en échec l’application du droit commun des règles de compétence internationale, notamment celle tirée de l’article 14 du C. Civ. Elles ont parfois un champ limité tel l’Etat des personnes et la famille, ou les faillites. On peut ainsi citer la convention multilatérale de La Haye du 25 octobre 1980, sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et celle du 13 janvier 2000, sur la protection internationale des adultes. 

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Chapitre 3 : Le régime de la répartition des compétences entre les juridictions

Le régime général des règles de compétence serait incomplet si aux règles de base précédemment énoncées, on n'ajoutait pas certains assouplissements que, par souci de pragmatisme, le cpc a envisagés. Le régime de la compétence des juridictions n'est présenté de manière intégrale que si l'on y adjoint les règles relatives aux extensions de compétence et aux incidents de compétence.

On ajoutera pour une présentation pragmatique des choses que les conflits d’incompétence ne représentent qu’une part infime de l’ensemble du contentieux, environ 3% peut-être en raison du caractère assez souple de ces règles.

Section 1 : Les extensions de compétence

Le régime des prorogations.Ainsi la compétence d'une juridiction peut valablement être étendue au-delà des limites que lui

assigne la loi au travers des règles de répartition entre les différentes juridictions de droit commun et d'exception.

Il arrive ainsi que la loi donne au juge le pouvoir de statuer sur une question qui lui est posée à titre accessoire, c'est alors un système de prorogation légale.

Mais il arrive aussi que la loi laisse aux plaideurs la possibilité d'aménager le régime légal de compétence des juridictions étatiques : c'est la prorogation conventionnelle, au travers des clauses (attributives) de compétence.

§ 1 – La prorogation légale de compétence.

La prorogation à titre accessoire.Quelles sont les limites dans lesquelles s'exerce le pouvoir de statuer d'une juridiction ?

Tel est le problème auquel les règles relatives à la prorogation de compétence viennent répondre. Loin d'être théorique ce problème renvoie à des enjeux pratiques et à des difficultés que les tribunaux doivent résoudre au quotidien. Si le tribunal est compétent pour statuer sur la demande principale (initiale) le sera-t-il pour envisager toutes les demandes accessoires ou incidentes (qu'il s'agisse de demandes reconventionnelles, additionnelles ou de demandes en intervention)? Le juge de l'action est-il juge de exception (au sens large de moyens de défense et pas dans son sens procédural plus précis)? Le juge du principal est-il aussi juge de l'accessoire?

Les règles relatives aux incidents de compétence répondent à un double souci et à des exigences contradictoires. Respecter les compétences propres de chaque juridiction Rationaliser le traitement de la demande judiciaire et évitement un allongement excessif de la

durée du procès par un renvoi systématique d'une juridiction à l'autre. Si le juge de l'action est aussi le juge de l'exception, cela lui donne une vision d'ensemble sur les prétentions des plaideurs propice à un meilleur traitement global.

C'est peut-être ce qui a conduit le Conseil constitutionnel à énoncer que n'a pas valeur constitutionnelle la règle selon laquelle le juge de l'action est juge de exception (cf. CC 12 février 2004). « Aucun principe, aucune règle constitutionnelle, n'impose que le juge du principal soit, dans tous les cas, juge de l'exception » énonce-t-il en 2004.

Cela suffit dès lors à expliquer que les solutions diffèrent que l'on soit devant les tribunaux d’exception ou devant les juridictions de droit commun comme le Tribunal de grande instance.

Cela explique aussi que suivant la nature des demandes accessoires envisagées les solutions diffèrent. Envisageons donc ces règles qui figurent aux articles 49 à 52 du cpc ainsi qu'à l'article 333 en matière d'intervention forcée en distinguant suivant qu'il s'agit de moyens de défense, de demandes incidentes, ou d'incidents d'instance.

A – Les moyens de défense

L'examen des moyens de défense pourrait conduire à examiner une question qui excède la compétence de principe de la juridiction saisie et qui auraient du prises isolément conduire à saisir une autre juridiction et nous n’avons entrevu cette question pour l’heure qu’à propos de la valeur du litige.

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Pourtant, en vue d'éviter un morcellement du litige et pour garder une vue d'ensemble sur celui-ci la règle traditionnelle aujourd'hui énoncée à l'article 49 cpc veut que le juge saisi de la demande principale tranche aussi tous les moyens de défense qui y sont opposés qu'il s'agisse de défense au fond, de fins de non recevoir ou d'exceptions de procédure. Il est logique que pour trancher la question principale, le juge envisage aussi ces moyens de défense comme autant de questions préalables.

Le principe de l'article 49 du CPC comporte pourtant une exception, lorsque la question relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction.

Notons qu'à cet égard, aucune distinction n'est faite entre les juridictions de droit commun et d'exception... La prorogation de compétence vaut ici pour toutes les juridictions sous réserve bien sûr des compétences exclusives qui ne sont pas simplement des compétences d'ordre public.

Le juge de l'action est donc bien juge de l'exception s'agissant des moyens de défense.

Si le moyen de défense relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction, le juge saisi du principal doit renvoyer les parties à se pourvoir devant la juridiction compétente et le fait par la technique de la question préjudicielle qui implique qu'il surseoit à statuer en attendant que le juge compétent se prononce sur la question dont dépend la solution du litige (exception dilatoire de procédure, qui retarde l’issue du litige).Mais encore faut-il distinguer entre deux situations un peu différentes, celle ou c’est une autre juridiction du même ordre qui a compétence exclusive, ou celle où c’est une juridiction d’un autre ordre qui est compétente, soit la distinction entre question préjudicielle générale et spéciale.

1. Les questions préjudicielles générales

Il y a question préjudicielle générale en cas de compétence d'un autre ordre de juridiction dans l’ordre interne. Et dans ce cas un ordre juridictionnel ne pouvant donner un ordre à une autre juridiction de l’ordre les parties doivent saisir elles-mêmes la juridiction compétente sur cette question.

- Ainsi en est-il, en matière de question préjudicielle administrative : soit l’hypothèse où pour trancher un litige civil en responsabilité par exemple il serait nécessaire de se prononcer sur la légalité d’un acte administratif (permis de construire, autorisation administrative de licenciement de certains salariés protégés) ou interpréter celui-ci. Il en irait de même s’il fallait dire si un immeuble appartient au domaine public.

Mais dans ce cas, la juridiction d'un ordre ne pouvant donner d'ordres aux juridictions d'un autre ordre, le juge civil saisi de l'action principale se borne à renvoyer les parties à saisir le juge compétent.

La demande de sursis à statuer est une exception de procédure qui doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.

Et le juge civil est lié par la réponse fournie par le juge administratif à la question posée.En revanche, le juge administratif saisi de la question doit se borner à répondre à celle-ci et ne

peut élargir son examen même à des questions d’ordre public (cf. CE 27 octobre 2009, Proc. 2012 n° 25).

Notons qu’à l’inverse le juge administratif, ne peut trancher des questions de droit privé et doit lui aussi surseoir à statuer, notamment en matière de propriété et d’interprétation d’actes privés, mais il doit s’agir à chaque fois d’une difficulté sérieuse et d’une question indispensable à la résolution du litige pour justifier une telle suspension de l’instance.

- Y est assimilée la question qui empiéterait sur le domaine de compétence des tribunaux répressifs, quoiqu'il n'y ait pas là un ordre distinct des juridictions civiles. Ce dernier exemple renvoie aux hypothèses où l'on fait jouer l'adage « le criminel tient le civil en l'état » soit la question préjudicielle pénale, dont le domaine a été réduit par la réforme du 4 mars 2007.

En revanche, la plénitude de juridiction de la juridiction pénale l’autorise à apprécier la légalité d’un acte administratif, en cas de contravention à celui-ci (un arrêté de police en matière de vagabondage par exemple), et il est aussi en mesure de l’interpréter. Une telle règle est posée à l’article 111-5 c. pén., en vue d’éviter de retarder l’instance. Et en dehors de ce cas précis une question préjudicielle est possible.

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Il arrive qu’en sens inverse le juge pénal ait à surseoir à statuer sur une question qui relève de la compétence exclusive du juge civil, par exemple si au cours de poursuite pour bigamie la nullité du premier mariage est invoquée, c’est au juge civil de se prononcer dessus. La question préjudicielle doit être posée en matière de nationalité, de propriété….

- Y est aussi assimilé le cas où le jugement du procès civil dépend de la solution d'une question réservée à une AAI

- Depuis juillet 2008, la question préjudicielle a un domaine nettement plus important en droit interne avec l’avènement de la QPC. L'exception d'inconsitutionnalité, ainsi qualifiée par le grand public et désormais inscrite à l’article 61-1 de la Constitution est en réalité un mécanisme de question préjudicielle puisque ce n’est pas le juge saisi de l’éventuelle inconstitutionnalité qui tranche, comme en matière de contrôle de la conventionalité mais la juridiction constitutionnelle dont la compétence exclusive est à cet égard préservée. Si c’était une exception d’inconsitutionnalité sur le modèle de l’inconventionnalité c’est je juge de droit commun qui en traiterait et le contentieux n’en serait pas réservé aux Conseil Constitutionnel.

La loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution où est affirmé le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité, quel que soit le juge devant lequel elle est posée, a été promulguée le 10 décembre 2009. Elle autorise à soulever la question prioritaire d’inconstitutionnalité devant toutes les juridictions relevant du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, ce moyen pouvant être soulevé pour la première fois en cause d’appel (art. 23-1), voire en cassation (art. 23-5) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Il en résulte qu’elle ne pourrait pas l’être devant le Tribunal des conflits…. Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et liberté fondamentaux garantis par la Constitution doit être soulevé par le justiciable personne physique ou morale et ne peut l’être d’office par la juridiction. La formulation de la question doit se faire dans un écrit distinct et motivé pour permettre un renvoi plus simple et plus rapide (art. 126-2 cpc) à peine d’irrecevabilité (laquelle peut être relevée d’office par le juge)…. La juridiction saisie de la question de constitutionnalité – après le 1° filtrage auquel elle procède- prononce un sursis à statuer et la transmet «   sans délai   » au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation qui devra y répondre dans un délai de trois mois. Il est néanmoins prévu dans certains cas, à raison de l’urgence, ou parce qu’elle doit statuer dans un certain délai, voire parce que le sursis à statuer entraînerait des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives, que la juridiction saisie ne surseoit pas à statuer.

Le mécanisme de double filtrage par la juridiction saisie, puis la juridiction suprême de chaque ordre (et non pas par une chambre des requêtes du Conseil Constitutionnel comme cela avait été envisagé) se traduit par :

- Dans un premier temps, la juridiction saisie s’assure que la disposition dont l’inconstitutionnalité est alléguée fonde bien la procédure ou les poursuites engagées et qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution avant sa promulgation dans une précédente décision du Conseil. La juridiction saisie peut également rejeter la question qui serait dépourvue de caractère sérieux, ce qui permet d’écarter des moyens d’inconstitutionnalité fantaisistes ou dilatoires par un contrôle opéré a minima à ce stade.

- Dans un second temps la juridiction suprême - Cour de cassation ou Conseil d’Etat – vérifie elle aussi non seulement que la disposition dont l’inconstitutionnalité est alléguée fonde bien la procédure ou les poursuites engagées et qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution avant sa promulgation dans une précédente décision du Conseil. Mais elle s’assure en outre « que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux » et mérite de ce fait que la question prioritaire de constitutionnalité soit posée.

Lorsque le Conseil constitutionnel tranche il a plénitude de juridiction et pourra dès lors décider que la question n’est pas nouvelle et a déjà été tranchée ou qu’elle ne commande pas l’issue du litige… Le Conseil constitutionnel peut par sa décision abroger immédiatement ou à une date ultérieure qu’il fixe la disposition qu’il jugerait non conforme à la Constitution.

Deux décrets du 16 février 2010 fixent les règles procédurales relatives à la question prioritaire de constitutionnalité : l’un prévoit le juge compétent pour statuer sur la demande de question prioritaire

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de constitutionnalité et les modalités du contradictoire (D. 2010-148), et l’autre assure la continuité de l’aide juridictionnelle octroyée si la question de constitutionnalité est transmise au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation puis au Conseil constitutionnel (D. 2010-149).

La question de constitutionnalité est dite prioritaire…. Un arrêt récent de la CJUE donne à penser qu’elle n’est pas pour autant toujours première ! En effet, si le juge est saisi à la fois des questions de constitutionalité et de conventionalité, il doit à défaut de pouvoir prendre des mesures conservatoires qui s’imposent dans l’attente de l’examen de la question de conventionalité se prononcer d’abord sur la conformité de la question au droit de l’UE (CJUE 22 juin 2010), sachant que pour ce faire il n’est pas obligé de saisir la CJUE dans beaucoup de cas.

Le mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité serait non conforme s’il empêchait verrouillait le contrôle de conventionalité. Mais tel n’est pas le cas et des décisions ultérieures du Conseil Constitutionnel et du CE ont même mis en évidence que les questions préjudicielles peuvent être adressés en parallèle au Conseil Constitutionnel et à la CJUE ; le droit de l’UE ne tenant pas le droit constitutionnel en l’état (DC. 12 mai 2010 n° 2010 605 et CE 14 mai 2010 Rujovic n°312305 soulignant que l’autorité qui s’attache aux décisions relatives au contrôle de constitutionnalité ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judicaires pour faire prévaloir les engagements internationaux sur une disposition législative incompatible. Solution logique puisque le rôle du Conseil Constitutionnel n’est pas de contrôler la conventionalité des lois. Est ainsi respecté le domaine propre de chaque compétence juridictionnel mais si le brevet de constitutionnalité ne certifie pas la conventionaltié et vice versa.

Y sont encore assimilées, dans l’ordre international, les questions préjudicielles posées à la CJUE, quoique cette fois ce soit la juridiction elle-même qui saisit la juridiction communautaire car l'article 267 du TFUE (ex art. 177) instaure un dialogue direct des juges entre eux – les parties ne pourraient le faire. Elle permet alors d'assurer l'unité de l'interprétation du droit communautaire et sa primauté. C’est un renvoi préjudiciel en interprétation du droit communautaire dérivé ou conventionnel. S’y ajoute désormais un mécanisme de question préjudicielle d’urgence (art. 23 bis du statut de la CJUE et 104 ter de son règlement de procédure.

Il est fait directement par le juge saisi, de sorte qu’il s’agit d’un mécanisme de coopération judiciaire de juge à juge.

Le renvoi au juge communautaire est facultatif si la décision est susceptible de recours juridictionnels, en revanche la question préjudicielle et le sursis à statuer s'imposent si tel n'est pas le cas, sauf à ce que la réponse n'ait pas d'incidence sur l'issue du litige ou à ce que la question ait d  'ores et déjà été tranchée par la CJUE. Ces questions préjudicielles ont été pendant longtemps le principal instrument de l'unité du droit communautaire.

Le régime de ces questions préjudicielles vient d’être précisé par un arrêt récent de la Cour de cassation qui souligne que la question préjudicielle – en l’occurrence, pour interprétation des textes communautaires - peut être soulevée en tout état de cause et même à titre subsidiaire, en tous cas pas nécessairement avant toute défense au fond, comme l’avait jugé la Cour d’appel (cf. Civ. 2,18 déc. 2008, Proc 2009 n° 83, JCP 2009 II 10048) ; il s’agit donc d’une exception de procédure particulière.

Un mécanisme de questions préjudicielles en urgence vient d'être instauré et cette procédure est entrée en application au 1° mars 2008.

Il existe également un mécanisme de question préjudicielle spécifique devant la Commission européenne pour les questions qui relèvent du droit de la concurrence assez proche de l’exception de procédure française le criminel tient le civil en l’état… , ou bien pour les questions relatives aux enlèvements d’enfants dans le cadre du règlement de Bruxelles II bis.

Pour la première fois le 4 avril 2013, le Conseil constitutionnel posait une question préjudi-cielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

Notons qu’il n’existe pas de mécanisme de question préjudicielle devant la CIJ (Crim. 28 janvier 1991, Bull. Crim. N° 4), et si, en la matière, le CE renvoyait au ministère des affaires étrangères pour interprétation des conventions internationales, cette pratique a été condamnée par la CEDH, le ministère n’étant pas une juridiction et de fait abandonnée (cf. CE 13 février 2003 Chevrol).

2. Les questions préjudicielles spéciales

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Il y a question préjudicielle spéciale en cas de compétence d'une autre juridiction du même ordre. On procède alors bien qu'aucun texte ne le dise expressément comme en matière d'incident de compétence.

Il y a par exemple au sein de l'ordre judiciaire une compétence exclusive des tribunaux de commerce pour toutes les procédures de sauvegarde liquidation et redressement, quand le débiteur est commerçant ou inscrit au répertoire des métiers, exclusive d'ailleurs tant du point de vue matériel que territorial.

Ou si a l’occasion d’un litige devant une autre juridiction, il y avait à se prononcer sur l’existence ou les effets du contrats de travail, question relevant de la compétence exclusive des juridictions prud’homales.

Plus généralement, pour déterminer les compétences exclusives, il faut s'en remettre aux dispositions légales (cf. article 1411-4 du COJ pour la compétence exclusive du conseil de prud’hommes désormais clairement affirmée dans les textes, article L. 311-12-1 COJ pour le JEX), voire à la jurisprudence. La compétence exclusive va au-delà de la seule exigence d'ordre public.

Mais la demande doit alors être formée avant toute demande au fond ou fin de non recevoir…Plus généralement, les questions préjudicielles permettent d’éviter les contradictions des

jurisprudences entre les différentes juridictions d’un ordre juridictionnel donné. Notons néanmoins la CEDH vient, en dépit d’opinions dissidentes, de juger que la divergence de jurisprudence entre deux cours suprêmes d’un même pays n’est pas en soi contraire à l’article 6§1 de la CEDH et aux exigences du procès équitable (CEDH gr Chb 20 octobre 2011, n° 13279/05, JCP 2012 87 n° 8 obs. Sudre et JCP 2012 690 n° 9 obs. E. Jeuland). LA CEDH entend sans doute ainsi éviter toute immixtion dans l’exercice des fonctions de juger (qui impliquent une souveraineté des juges y compris dans une certaine mesure des juges du premier degré) mais aussi une immixtion intempestive dans les organisations juridictionnelles des Etats membres. La solution peut aussi se justifier par l’absence de droit acquis à une jurisprudence constante, mise en évidence dans d’autres décisions de la CEDH… Elle contrevient cependant directement à l’exigence de sécurité juridique qui fait partie des garanties de l’article 6§1 CEDH.

B – Les demandes incidentes

Ces demandes incidentes peuvent rappelons-le émaner du défendeur (demandes reconventionnelles), du demandeur (demande additionnelle), voire d'un tiers (intervention ou demandes additionelles). Non seulement on l'a dit elles ne sont recevables que si elles sont liées à l'instance initiale par un lien suffisant – soit un lien de connexité ou un lien d'indivisibilité -, mais au-delà de cette recevabilité, elles peuvent renvoyer des questions qui excèdent la compétence de la juridiction initialement saisie (irrégularité). Il faut de ce point de vue distinguer suivant les juridictions.

Le TGI (article 51 al. 1 cpc), en tant que juridiction de droit commun, mais également le TI (article R221-40 COJ) et le juge de proximité (article R231-4 COJ), depuis une décret du 23 juin 2003 (n° 203-542), peuvent trancher les demandes incidentes, pourvu qu'elles ne relèvent pas de la compétence exclusive d'une autre juridiction. là encore, toute amplitude est donnée à la compétence de la juridiction de droit commun. La compétence exclusive se distingue là aussi de la simple compétence d'ordre public, mais renvoie tant à la compétence matérielle exclusive (celles des TC en matière de lettre de change) qu'à la compétence territoriale exclusive (par exemple la compétence territoriale exclusive d'un autre TGI), même si ces dernières sont plus rares.

Les autres juridictions d'exception (tribunal de commerce, CPH, TPBR) ne connaissent que des demandes incidentes qui entreraient dans les limites de leur compétence d'attribution, c'est dire que la prorogation ne joue pas, comme l'énonce l'article 51 al.2 cpc.

Le problème vient de ce que certaines demandes reconventionnelles ne sont pas toujours aisées à distinguer des défenses, pour lesquelles le Tribunal, même si c'est une juridiction d'exception resterait compétent.

Le juge de l'action n'est donc juge de l'exception que s'il s'agit du TGI du TI ou du juge de proximité.

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C – Les incidents d'instance et la question des frais de justice

Pour ce qui est des incidents d'instance, susceptibles de suspendre la marche de celle-ci ou de modifier l'issue de celui-ci, la compétence de la juridiction saisie de la demande initiale est prorogée pour l'examen de ces incidents en vertu de l'article 50 CPC.

« Les incidents d'instance sont tranchés devant la juridiction devant laquelle se déroule l'instance qu'ils affectent ».

En effet, il est opportun que le tribunal saisi puisse trancher les éventuelles jonctions et disjonction d'instance, de suspension, d'interruption et d'extinction d'instance.

Il en va aussi ainsi des incidents procéduraux en matière de preuve (mesures d'instruction) ou des exceptions de procédure.

Il en va au demeurant de même de toutes les demandes relatives aux frais, émoluments et débours relatifs à une instance et exposés par les auxiliaires de justice et les officiers publics ou ministériels (article 52 CPC). Ils sont logiquement portés devant la juridiction saisie de cette instance.

La règle le juge de l'action est aussi juge de l'exception joue alors pleinement et renvoie directement à un souci de bonne administration de la justice.

§ 2 – La prorogation conventionnelle de compétence.

La prorogation à titre principal.Pour évoquer la prorogation conventionnelle soit les clauses attributives de compétence qui

aménagent les règles légales de compétence qui viennent d'être énoncées on parle parfois de prorogation à titre principal par opposition à la prorogation à titre accessoire qui est la prorogation légale.

Après bien des évolutions sur le plan historique, il apparaît que la validité des clauses de compétence reste exceptionnelle, du moins dans l'ordre interne. Tel n'est pas le cas dans l'ordre international.

A - La validité exceptionnelle des accords portant sur la compétence dans l'ordre interne. 

L’administration de la justice est ici clairement en cause. C’est la loi qui répartit les litiges entre les juridictions suivant leur objet (compétence d’attribution) et suivant leur localisation (compétence territoriale) pour une meilleure administration de la justice.

Mais l’ordre public n’est pas nécessairement perturbé par la prise en compte, dans une certaine mesure, des intérêts des justiciables, de sorte qu’une place est laissée en droit positif aux clauses attributives de compétence qui entendent infléchir le jeu des règles légales de répartition des litiges devant les juridictions étatiques, en anticipant la survenance de celui-ci, voire plus généralement à l'accord des parties qui peut aussi survenir une fois le litige né.

Aujourd’hui, la validité de ces accords qu'ils infléchissent les règles de compétence territoriale ou matérielle est conçue de manière très restrictive par le CPC depuis 1976, compte tenu des abus constatés auparavant, en matière de clauses d’attribution de compétence territoriale.

En principe nulles (article 6 du Code civil et 41 et 48 du CPC), la validité des clauses de compétence ou de juridiction est exceptionnellement admise.

1. En particulier, celles relatives à la compétence territoriale, sont admises entre commerçants (article 48 du CPC), à condition de respecter certaines conditions de fond et de forme énoncées à ce texte.

- Ainsi, toutes les parties à l’acte doivent être commerçantes, ce qui exclut les actes mixtes (Com. 10 juin 1997, JCP 1997 I 4064) et contracter pour les besoins de leur commerce…

- et la clause doit figurer de manière très apparente au sein de l’engagement pris lui-même elle ne doit pas être extérieure ou postérieure au contrat en vertu de la jurisprudence. Si elles figurent dans les conditions générales de vente elles doivent y apparaître de façon suffisamment claire, ce qui donne lieu à des appréciations au cas par cas, en fonction des circonstances.Cela exclut de fait ces clauses dans les contrats d'adhésion de consommation, ce qui est une bonne chose.

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2. Celles portant sur la compétence d’attribution ne sont que très exceptionnellement valables, elles portent plus directement atteinte à l’ordre public et encourent la censure sur le fondement de l’article 6 c. civ. Et il est acquis que les règles de compétence relatives aux ordres et aux degrés de juridiction sont totalement d’ordre public.

Et l’on ne saurait par exemple instituer un appel là où il est par principe exclu par les textes, ou confier à une juridiction administrative ou pénale un litige relevant de l’ordre civil.

En revanche, l’article 41 du Code de procédure civile admet en matière personnelle ou mobilière, les clauses de prorogation de compétence pour un litige qui outrepasserait ou risquerait d’outrepasser la compétence du tribunal d'instance à raison de son montant, mais seulement une fois le litige né – ce qui est restrictif et ne permet pas de les insérer par anticipation dans un contrat cadre.

Dans l'un et l'autre de ces deux premiers cas, la clause irrégulière est réputée non écrite sans que l’irrégularité n’affecte l’acte dans son entier. Il y a tout lieu de penser en effet qu’une telle clause n’a pas déterminé l’engagement contractuel… Les règles légales de compétence retrouvent alors leur empire, y compris celles qui ouvrent au demandeur une option de compétence.

La clause relative à la compétence à supposer qu'elle soit valable est transmise en même temps que le contrat, et est donc opposable aux ayant droits des contractants.

Et la Cour de cassation vient de préciser qu’une clause attributive de compétence, en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, n'est pas affectée, par l'inefficacité de cet acte (cf. Civ. 1, 8 juillet 2010 pourvoi n° 07-17788, D. 2010 p. 1869. Ce qui confère à cette clause une force particulière et la rapproche partant des clauses compromissoires. (Ce sont les mêmes termes qui sont utilisés qu’à propos de la clause d’arbitrage…).

Et dans l’un et l’autre cas la clause de juridiction valablement stipulée est obligatoire et fait naître une exception de procédure qui doit être invoquée in limine litis, soit dans les procédures avec mise en état, devant le juge de la mise en état (cf. Com. 4 juin 2013 n° 11-26961, JCP 2013 1225 3°).

3. L'accord des parties pourrait aussi emporter renonciation à l'appel mais là encore, l'article 556 et l’article 41 précisent que la renonciation à l’appel suppose que le litige soit né et les droits soient disponibles.

La renonciation à l’appel ne peut être qu’expresse ou résulter de l’exécution sans réserve du jugement non exécutoire. Et la Cour de cassation a récemment précisé que le seul fait de ne pas s’être opposé au 1° degré de juridiction aux demandes formulées devant le 1° juge, n’emporte pas en lui-même renonciation à l’appel.

La renonciation à l’appel suppose donc que le litige soit né de sorte qu'aucune anticipation n'est possible.

Ces restrictions renvoient à l'idée que l'appel est une forte garantie de bonne justice. Pourtant l'accord a ici une portée différente en ce qu'il n'a pas à proprement parler pour objet de

rendre compétente une juridiction qui ne le serait pas en vertu des règles de compétence du cpc.

Pourquoi cette position restrictive du droit français quant aux conventions modifiant les règles légales de répartition des compétences entre les juridictions ? Sans doute parce que les règles de compétence, notamment en matière contractuelle (lieu du domicile du défendeur ou celui de la prestation caractéristique), laissent un éventail de choix qu’il n’a pas paru nécessaire d’étoffer.

Les objections tenant aux nécessités d'une bonne administration de la justice et à la protection des parties tombent en revanche lorsque le litige acquiert une dimension internationale et met en cause les ordres juridiques de plusieurs Etats.

B – L'admission plus compréhensive des accords de compétence dans l'ordre international. 

La liberté contractuelle est comme souvent accrue, s’agissant des contrats internationaux : la liberté est alors le principe, car l’autonomie de la volonté est plus grande en matière internationale, le contrat échappant à toute souveraineté étatique. Il convient néanmoins d’examiner leurs conditions de validité, puisque n’étant pas sans risques, elles n’échappent pas à certaines contraintes, avant d’en mesurer l’efficacité.

1. Les règles de prorogation de compétence dans l’ordre international.

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1.1. Les conditions de validité des accords de compétence internationale.

La jurisprudence étend les prescriptions formelles de l’article 48 du CPC, qui traduisent en fait une exigence de loyauté contractuelle à ces clauses attributives de compétence insérées dans un contrat international. Elles doivent donc également pour être pleinement efficaces, être apparentes. Cette exigence étant seulement tempérée (atténuée ou étayée) par la présence d’usages du commerce international propres à la matière…

Mais la Cour d’appel de Pau par exemple vient de juger CA Pau 23 mars 2012 (D. 2012 p. 1061) que la clause par laquelle la société Face Book attribue compétence à une juridiction des Etats Unis doit être réputée non écrite, clause figurant dans les conditions d’utilisation du contrat de Facebook en 11° page dans la version papier format A4 dudit document, relève l’arrêt, ce qui est une manière supplémentaire d’en souligner le caractère peu apparent dans un document en ligne.

Au-delà de ces contraintes formelles propres à entacher l'efficacité de ces clauses leur validité même suppose qu'il s'agisse d'un contrat international, qui ne soit entaché d'aucune fraude.

Il faut au demeurant que la loi de l'ordre juridictionnel ainsi choisi accepte une telle prorogation de compétence.

Le droit français quant à lui consacre quelques compétences territoriales exclusives, donc impératives auxquelles il n'est pas possible de déroger, pas plus en matière internationale que dans l'ordre interne. C'est le cas en matière de contrat d'assurance terrestre ou de contrat de travail. Toute clause qui attribuerait compétence à d'autres juridictions que les juridictions françaises serait partant nulle. Il en irait de même pour certaines compétences matérielles exclusives.

Mais il faut distinguer ces compétences exclusives impératives de simples lois de police relevant de l’ordre public économique par exemple en matière de contrat de distribution. Ces lois de police ne tiennent pas en échec quant à elles les clauses attributives de juridiction du seul fait de leur caractère de loi de police (cf. Civ. 1, 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823).

1. 2. L’efficacité des accords de compétence internationale.

S’il est valable l’accord de compétence internationale donnera compétence exclusive à la juridiction qui est désignée par la convention. Il fait naître une exception d’incompétence qui rend la demande qui serait formée en contravention à ses termes irrégulière.

En principe la compétence est donnée globalement aux juridictions d’un ordre juridictionnel dans son ensemble les tribunaux français ou les tribunaux canadiens. Cette désignation globale d’un ordre juridictionnel est licite à partir du moment où le droit local désigné permet de savoir dans son ordre juridictionnel quel tribunal est compétent (à partir des critères de compétence interne). La clause ou l’accord n’encourt nullement le grief d’une éventuelle imprécision de sont objet.

Il peut en aller différemment en revanche, car les parties peuvent avoir plus précisément désigné spécialement telle juridiction en particulier : et c’est alors la juridiction désignée qui est exclusivement compétente ; du moins l’étendue de sa compétence exclusive est déterminée par les termes de la clause. Il faut toutefois préciser que même si la clause ne le précise pas, l’on considère généralement que sa portée s’étend à l’examen de la validité ou de l’éventuelle nullité du contrat comportant cette clause attributive de compétence.

La clause peut aussi parfois être stipulée en faveur d’une seule des parties au contrat. Si la clause a été stipulée sans distinction, elle lie alors pleinement les parties mais rien

que les parties… Ce qui renvoie aux parties du contrat originaire mais aussi à leurs éventuels cessionnaires. La clause de compétence fait partie de l’économie générale de la convention et en épouse les évolutions. L’implication directe, c’est que cette clause peut du coup emporter renonciation au privilège de juridiction des articles 14 et 15 du c. civ. dont aurait pu se prévaloir non seulement le contractant français, originaire, mais aussi son ayant droit étranger.

Les tiers en revanche ne sont pas liés, de sorte qu’en cas de demande incidente, celle-ci devrait être traitée par la juridiction compétente sans tenir compte de cette prorogation conventionnelle. Si le litige est indivisible, c’est à la prorogation conventionnelle qu’il sera fait échec.

L’autonomie de la clause de juridiction vient également d’être confortée par la jurisprudence qui l’affirme explicitement les rapprochant du régime des clauses compromissoires en soulignant qu’une clause attributive de compétence, en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, n'est pas affectée, par l' « inefficacité de cet acte » dans lequel

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elle s’insère ce qui renvoie à une formule délibérément large (cf. Civ. 1, 8 juillet 2010 pourvoi n° 07-17788, D. 2010 p. 1869, LEDC 2010 n° 9 p. 4, solution retenue il y a voilà 30 ans à une hypothèses de résolution pour inexécution). Ce sont les mêmes termes qui sont utilisés qu’à propos de la clause d’arbitrage… Est visée par cet arrêt toute forme d’inefficacité de l’acte qu’elle procède d’un vice de formation ou d’exécution, il n’y a pas lieu de distinguer.

2. Les règles de prorogation de compétence au sein de l’Union Européenne.

La liberté est encore plus grande dans l'ordre communautaire. Le règlement du 22 décembre 2000 prévoit ainsi que les parties peuvent en principe s’entendre pour écarter les règles de compétence établies et déterminer librement le tribunal. Cette liberté suppose néanmoins que les parties désignent comme compétentes les juridictions d’un Etat membre. Mais bien sûr, le bénéfice de cette liberté accrue suppose en vertu de l’article 23 de ce règlement devenu article 25 à l’issue de la refonte opérée en 2012 et qui opère certains ajustements qui entreront en vigueur dans 2 ans :

que l’une des parties au moins à la convention ait son domicile sur le territoire d’un Etat membre qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur ; peu importe que les parties relèvent ou non d’Etats membres différents, en revanche. Cette condition vient d’être modifiée par le nouvel article 25 qui énonce expressément ici, «  sans considération de leur domicile », et cette nouvelle rédaction est sans doute de grande portée.

que la situation en cause soit internationale183. les parties doivent donner compétence à la juridiction d’un Etat membre de l’UE. les formes sont cette fois plus souples et ne passent pas nécessairement par un écrit

préalable, il existe d’autres alternatives. L'attribution de compétence peut prendre la forme d'une convention écrite, ou d'un accord verbal confirmé par écrit, voire une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou encore, une forme conforme aux usages du commerce international.

Seules certaines règles de compétence exclusive ne sauraient être évincées par de telles prorogations conventionnelles.

Ainsi, les règles de prorogation de compétence dans un contrat de travail dans un contrat de consommation ou dans un contrat d’assurance font l’objet d’un régime particulier, plus restrictif, en vue de protéger la partie faible qui conduit à les exclure ou les encadrer étroitement . La clause de compétence ne saurait davantage contrevenir aux quelques règles de compétence exclusive énoncées à la convention.

Si les conditions de l'article 23 sont ainsi respectées les Etats membres ne peuvent imposer de restrictions supplémentaires à la validité des clauses de prorogation de compétence.

Les parties peuvent en revanche renoncer à se prévaloir de la prorogation de compétence , c’est le cas en particulier si le défendeur comparaît devant le Tribunal sans soulever l’incompétence.

La compétence du tribunal désigné en vertu de la clause est exclusive ( sauf convention contraire) comme l’énonce l’article 23, ce qui signifie que tout autre Tribunal devra se reconnaître in-compétent si la clause est valable et si elle est opposée. Et cette exclusivité est désormais renforcée et partant l’efficacité de ces clauses accrues par les nouvelles règles relatives à la litispendance et à la connexité (art. 31 du règlement refondu). En effet il est conféré priorité au juge désigné par la clause quand bien même un autre juge aurait été saisi en premier ( et si le litige n’implique pas une partie faible (art. 31§4 du règlement refondu).

Elle ne vaut en revanche que pour les litiges contractuels. Elle ne s’appliquera pas si l’action est de nature délictuelle (cf. Rupture des relations commerciales établies). Et dans le prolongement de cette solution dans la mesure où la CJUE ne reconnaît pas la transmission d’une action directe de na-ture contractuelle dans les chaines de contrats translatives de propriété (elle considère que cela ne re-lève pas de la matière contractuelle au sens du droit européen mais de la matière délictuelle) elle vient de juger qu’ une clause attributive de juridiction, stipulée dans une chaîne de contrats, n'est opposable au sous-acquéreur qu'avec son consentement (CJUE, 7 févr. 2013, aff. C-543/10, Refcomps SPA : Ju-risData n° 2013-002376 ; JCP G 2013, doctr. 975, n° 7, obs. C. Nourissat ; JCP G 2013, 516, Ph. Guez ; D. 2013, p. 1110, note S. Bollée. - Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 09-12.442, P+B+I : Juris-

183 Même si le texte formellement ne l’énonce pas la jurisprudence française le requiert ce qui est logique puisque le droit national est plus restrictif Civ. 1, 4 octobre 2005, etCiv. 1, 23 janvier 2008.

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Data n° 2013-019059 ; JCP G 2013, act. 981, obs. D. Akchoti ; JCP G 2013, 1129, C. Nourissat ; D. 2013, p. 2105). La position a pu surprendre dans la mesure où la CJUE admet plus largement la trans-mission de la clause de juridiction dans le contrat de transport (cf. connaissement maritime).

Cette compétence n’est pas remise en cause si la nullité du contrat était alléguée. Et cette « séparabilité » ou autonomie de la clause «  qui doit être considérée comme formant un accord distinct » est désormais explicitement affirmée à l’article 25 du règlement.

La sanction de ces règles spéciales de compétence, au titre de la prorogation de compétence, comme celle des règles générales de compétence envisagées au chapitre précédent suppose de traiter désormais des incidents de compétence.

L’article 23 du règlement de Bruxelles I n° 44/2011, comme la jurisprudence l’interprétant 184, nous avaient habitués à une approche libérale de la validité des clauses attributives de compétence par le droit communautaire : tant sur les conditions de fond que sur les conditions de forme. Des conditions plus souples que le droit national, mais aussi que le droit international français des clauses de juridiction. Le récent de la Cour de cassation interprétant le règlement européen, rendu le 26 septembre 2012185 par la première chambre civile dénote un peu, de ce point de vue ! Il censure en effet une clause d’élection de for qui revêt, selon elle, un caractère potestatif à l'égard d’une des parties, de sorte qu'elle était contraire à l'objet et à la finalité du texte du règlement de Bruxelles.

Les faits sont simples. Une cliente française décide d’assigner en justice sa banque luxembourgeoise, lui reprochant une baisse de performance importante de ses placements bancaires. Elle agit devant les tribunaux français, or la banque et la société financière assignées lui opposent une clause de juridiction prévue à l’acte, laquelle énonce que "Les relations entre la banque et le client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d'agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l'élection de juridiction qui précède". Pourtant, la Cour d’appel a rejeté l’exception d’incompétence tirée du non-respect par la cliente de cette clause. C’est ce qui motive le pourvoi que la Cour de cassation va rejeter.

Or, il est acquis que les droits nationaux ne peuvent apporter de restrictions supplémentaires à la validité des clauses de juridictions186. La référence à l’obligation potestative, qui évoque immanquablement dans l’esprit du juriste français, la nullité d’ordre public de l’article 1174 du Code civil187, traduit une condition de validité empruntée au droit français des obligations, étrangère au règlement. Certes la motivation de l’arrêt se réfère aussi directement à l'objet et à la finalité du règlement Bruxelles I, qui sont contrariés par ce type de clause, par l’atteinte ainsi portée à la « prévisibilité » et à la « sécurité juridique », évoquées à l’arrêt, ce qui permettrait ici d’affirmer que l’exigence ainsi posée n’est pas tirée du droit français, ni de restrictions extrinsèques à ce texte.

Et, s’il est question de l’interprétation d’un texte communautaire, n’est-ce pas par la voie d’une question préjudicielle à la CJUE aurait dû être envisagée pour déterminer le sens de l’article 23 en cause dans cette affaire188. D’autant qu’il s’agit en plus ici d’une affaire relevant de la Cour de

184 CJUE, 9 nov. 2000, aff. C-387/98, Corek Maritime GmbH c/ Handelsveem BV et a., Rec. CJCE 2000, I, p. 9337 : dans cette affaire la clause insérée attribuait compétence aux juridictions du « pays du lieu du principal établissement du transporteur » ; la CJUE, se fondant sur le principe de l'autonomie de la volonté des parties (pt 14), a posé en principe que l'article 17 n'exige pas, pour la validité de la clause, qu'il soit possible d'identifier la juridiction compétente par son seul libellé.185 Civ. 1, 26 septembre 2012, n 11-26022, PA avril 2013 186 CJCE 24 juin 1981 Elefanten Schuh GmbH c/ Jacqmain aff. 150/80 Rec. 1671187 Article 1174 C. civ. « toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ».188 Le renvoi au juge communautaire est facultatif si la décision est susceptible de recours juridictionnels, en revanche la question préjudicielle et le sursis à statuer s'imposent si tel n'est pas le cas, sauf à ce que la réponse n'ait pas d'incidence sur l'issue du litige ou à ce que la question ait d 'ores et déjà été tranchée par la CJUE. Ces questions préjudicielles ont été pendant longtemps le principal instrument de l'unité du droit communautaire. Le régime de ces questions préjudicielles vient d’être précisé par un arrêt récent de la Cour de cassation qui souligne que la question préjudicielle – en l’occurrence, pour interprétation des textes communautaires - peut être soulevée en tout état de cause et même à titre subsidiaire, en tous cas pas nécessairement avant toute défense au

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cassation (article 267 TFUE189) ? Cette voie aurait eu le mérite de donner une lecture unique du règlement, là où il n’est pas certain que les autres Etats adoptent cette grille de lecture, tout simplement parce qu’ils ne connaissent pas nécessairement la notion d’obligation potestative. Il est vrai toutefois que si l’application du droit communautaire ne laisse aucun doute, le renvoi préjudiciel peut en toutes hypothèses être écarté : à supposer que ce soit le cas ici !

Pour mesurer l’impact de la réforme opérée par la refonte, il faut souligner qu’à compter de l’entrée en vigueur de celle-ci soit au 1° janvier 2015 le régime du règlement s’appliquera à toutes les clauses de juridictions qui désignent une juridiction de l’UE à supposer que le litige soit international. Et la disparition de l’exigence tenant à ce qu’une des parties ait son domicile sur le territoire d’un Etat membre accroit potentiellement la portée du champ d’application du règlement de telle sorte que les règles jurisprudentielles de droit commun propres aux litiges internationaux ont potentiellement vocation à ne plus s’appliquer à terme.

Mais comme l’arrêt du 26 septembre 2012 a pu le montrer l’avenir des règles communautaires notamment sur cette question des clauses de juridiction reste largement tributaire

Section 2 : Les incidents de compétence

Les incidents de compétence sanction des règles de compétence

La compétence des juridictions est légalement protégée par les règles qui envisagent le traitement des incidents de compétence.

Ces incidents de compétence constituent une question délicate à régler dans la mesure où ils risquent de devenir source de moyen dilatoire pour les plaideurs chicaniers et nuire à l’exercice d’une bonne justice… En même temps, ils renvoient à des enjeux d’organisation judicaire et d’administration judiciaire, d’égalité devant la justice, que l’on ne saurait totalement ignorer.

Le plaideur peut soulever trois sortes d’objections qui constituent chacune des formes d’exception de procédure même si leurs appellations varient.

Il peut ainsi prétendre que la juridiction saisie est incompétente, elle relève de la compétence désignée d’une autre, c’est le déclinatoire de compétence (article 33, 42 et 75 cpc).

Mais il peut aussi objecter qu’une autre juridiction a été saisie d’une demande identique relative au même litige, également compétence pour en connaître, c’est le déclinatoire de litispendance (article 100 cpc).

Enfin, hypothèse plus complexe, il peut advenir que deux demandes sans être identiques au fond portent sur la même affaire, par exemple sur le même contrat -l’une tend à son annulation, l’autre à son exécution – et qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble. Pour y parvenir le plaideur pourra alors solliciter un déclinatoire de connexité (article 101 cpc).Envisageons donc ces différents cas de figure successivement en regroupant l’étude des deux

derniers.

§1 - Le règlement des exceptions d'incompétence

Le règlement des questions de compétence risque, bien souvent, de retarder le règlement du litige au fond et de ralentir le cours du procès. Plus les juridictions sont nombreuses et disséminées, plus ce risque est grand... D’où l’importance d’une certaine rationalisation de l’organisation judiciaire.

Le droit judiciaire se doit donc d’offrir au plaideur de bonne foi des moyens efficaces et rapides de régler cette question préalable de compétence, pour se concentrer ensuite sur les problèmes de fond.

fond, comme l’avait jugé la Cour d’appel (cf. Civ. 2,18 déc. 2008, Proc 2009 n° 83, JCP 2009 II 10048)  ; il s’agit donc d’une exception de procédure particulière.Un mécanisme de questions préjudicielles en urgence vient d'être instauré et cette procédure est entrée en application au 1° mars 2008.189 Il évoque l’obligation de recourir à la question préjudicielle « Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice »

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Cette vérification peut et devrait se faire au stade de la première instance, mais le dispositif actuel prévoit aussi son examen par l’exercice des voies de recours. Envisageons donc successivement, les techniques de déclenchement de vérification des compétences, le rôle de la juridiction de 1° degré ainsi que les recours ouverts contre la décision d'incompétence.

I - Les techniques de déclenchement de vérification des compétences.

La vérification de compétence peut emprunter deux voies, elle peut venir d’une initiative des parties, c’est le déclinatoire de compétence, mais le juge peut aussi de lui-même vérifier sa propre compétence, l’incompétence est alors relevée d’office par le juge.

Il arrive aussi que sur l’hypothèse d’un renvoi la compétence s’impose tant au tribunal qu’aux parties (article 79, 86 et 96 cpc).

Certains auteurs soulignent qu’en matière d’incompétence l’évolution s’est faite dans le sens d’une restriction des cas dans lesquels le juge peut se déclarer incompétent. Le plus souvent aujourd’hui le juge ne peut le faire de lui-même et l’incompétence passe par le déclinatoire de compétence. Cela montre qu’aujourd’hui le juge à tendance à sacrifier les règles de compétence à un règlement plus rapide du litige : un juge qui se sait incompétent devra (ou pourra, le relevé d’office étant une simple faculté), dans certains cas, trancher le litige….

A – Le déclinatoire de compétence.

L’hypothèse où l’un des plaideurs prend l’initiative de dénoncer l’incompétence est la plus fréquente.

Pour arriver à une procédure rapide et efficace, - la présentation du déclinatoire est soumise à des conditions très strictes, - qui plus est, une procédure spéciale a été aménagée qui permet de parvenir à une décision rapide sur la compétence.

Cette procédure est plus différenciée qu’avant et les pouvoirs de la Cour d’appel ont été élargis, dans la mesure où le règlement de la question de compétence peut nécessiter le jugement d’un élément du fond, commandant directement la solution du litige (si l’acte en cause est un acte de commerce il relèvera de la solidarité ou des règles de preuve plus souples des actes de commerce).

La procédure conserve un aspect largement administratif : le plus souvent on utilise la notification par voie postale.

Cette procédure s’applique à toutes les juridictions de l’ordre judiciaire : civiles, commerciales, sociales ou prud’homales (article 749 cpc). Dans un certain nombre de cas, dégagés d’ailleurs parfois par la jurisprudence, cette procédure n’a pas vocation à s’appliquer.

Les restrictions tiennent au moment de la mise en œuvre de l’exception ainsi qu’à sa présentation formelle. Ce qui en fait une exception préalable et une exception motivée.

1°/ Une exception préalable.Si la compétence est discutable il est préférable que le débat soit engagé sur cette question

immédiatement : c’est pourquoi elle doit être soulevée, comme les autres exceptions de procédure in limine lits, c’est-à-dire simultanément avec les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond.

L’on rappellera ici que dans une procédure orale, c’est au jour des plaidoiries que s’apprécie l’ordre des défenses, et donc le caractère préalable de l’invocation de l’incompétence, et ce quand bien même les conclusions écrites ne l’auraient pas soulevée…

Aucun problème ne se pose si le déclinatoire est soulevé en 1’instance. Peut-il l’être au stade de l’appel ? La question se pose notamment si en première instance la procédure n’était pas contradictoire, ce qui empêchait de fait l’adversaire d’invoquer cette exception et de la faire in limine litis.

- Si le jugement de 1° instance n’a pas été rendu contradictoirement et qu’il peut faire l’objet d’une opposition, parce que la loi le prévoit, il est alors possible de soulever cette exception lors de l’opposition.

- Sinon dans les cas où l’opposition est fermée au défaillant parce que l’appel est possible, le jugement est réputé contradictoire et le défaillant peut alors présenter en appel le déclinatoire de compétence à condition de le faire avant toute défense au fond.

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Si l’appelant se bornait en appel à soulever l’incompétence, la Cour d’appel si elle s’estimait compétente pourrait trancher le litige au fond en mettant au préalable les parties en demeure de conclure au fond.

En revanche, les parties ne pourraient pas – contrairement à ce qui se faisait avant – saisir pour la première fois la Cour de cassation d’un pourvoi pour incompétence. Et le fait que le tribunal de se soit pas dessaisi d’office n’est pas un cas d’ouverture à cassation car se dessaisir d’office reste une faculté et non une obligation pour le Tribunal.

2°/ Une exception motivée.La partie ne peut se borner à soulever l’incompétence, elle doit désormais au terme de l’article

75 du cpc motiver cette incompétence et désigner la juridiction devant laquelle elle estime que l’affaire doit être portée, en désignant une juridiction précise, il ne suffirait pas de désigner l’ordre juridictionnel – il faut indiquer précisément la juridiction revendiquée, même lorsqu’il s’agit d’une juridiction administrative (cf. Civ. 1, 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-16711, Procédures 2009 n° 302) ou une juridiction étrangère dans le déclinatoire lui-même et non dans des conclusions extérieures pour que le déclinatoire soit recevable.

Cette obligation cumulative s’impose à peine d’irrecevabilité de l’exception d’incompétence.

B – L’incompétence relevée d’office par le juge.

Comme toujours en matière de relevé d’office - et à cet égard l’expression peut être trompeuse – il faut nécessairement que les parties soient mises en mesure de présenter leurs observations si le tribunal entend se déclarer incompétent. Il faut alors distinguer entre la compétence d’attribution et la compétence territoriale.

1° / S’agissant de la compétence d’attribution, au premier degré l’incompétence ne peut être relevée d’office que si elle est d’ordre public ou si le défendeur ne comparaît pas et seulement dans ces cas.

* En 1° instance, l’incompétence ne peut être soulevée d’office par le juge au 1° degré que si la compétence est d’ordre public (art. 92 cpc), ou lorsque le défendeur ne comparaît pas (art. 92 cpc). Et elle ne peut l’être que dans ces cas.

Le JEX peut aussi soulever d’office son incompétence en vertu des textes (art. 8 du Décret du 31 juillet 1992)…

En revanche, le juge n’est jamais obligé de soulever d’office son incompétence, c’est une faculté (sauf à ce qu’un texte spécial prévoit le contraire).

* En appel et au stade de la cassation les pouvoirs des Cours d’appel et de la cour de cassation sont plus étroits. L’incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence de l’ordre administratif ou des juridictions répressives ou si elle relevait des juridictions étrangères (art. 92 cpc al. 2). Et encore il s’agit là d’une simple faculté et non d’une obligation comme dans l’hypothèse précédente.

Des textes spéciaux étendent parfois cette liste.Et cela ne constitue pas davantage une obligation pour ces juridictions.2° / S’agissant de la compétence territoriale, il faut cette fois distinguer non pas entre 1°

instance et appel mais entre matière gracieuse et contentieuse. * En matière gracieuse, le juge peut toujours relever d’office son incompétence territoriale

afin d’éviter une éventuelle fraude des parties (art. 93 cpc).* En matière contentieuse, le juge ne peut relever d’office son incompétence territoriale que

dans trois cas :- en matière de litiges relatifs à l’état des personnes,- lorsque la loi attribue une compétence exclusive à une autre juridiction, mais cela reste alors une simple faculté et non une obligation –sauf texte contraire - (le régime diffère de celui des fins de non recevoir d’ordre public),- lorsque le défendeur ne comparaît pas, afin d’éviter une éventuelle fraude des parties en l’absence de toute contradiction (art. 93 cpc).

Ainsi, en dehors de ces trois cas, le juge ne pourrait pas relever d’office l’illicéité d’une clause attributive de juridiction qui dérogerait aux règles fixant la compétence territoriale sans respecter les contraintes de l’article 48 cpc.

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Le juge n’est jamais tenu de relever d’office son incompétence territoriale même dans les cas où il peut le faire, de sorte qu’aucune des parties ne peut reprocher au juge de ne pas l’avoir fait.

Notons que la faculté pour le juge de se déclarer d’office incompétent est désormais très généralement consacrée dans les litiges internationaux. Elle répond au souci que les juridictions françaises ne soient pas encombrées d’affaires qu’elles n’ont pas vocation à traiter, et de déjouer les fraudes éventuelles.

En droit de l’UE, lorsque le règlement est applicable, plus radicalement le règlement de Bruxelles I fait quant à lui obligation au juge de se déclarer incompétent,

- si sa compétence n’est pas fondée au terme du règlement lorsque le défendeur ne comparaît ou lorsqu’une autre juridiction est compétente en vertu de l’art. 26 (art. 28 issu de la refonte).

- Si la compétence instituée en vertu du règlement est une compétence exclusive : art. 25 (art. 27 issu de la refonte).

Le régime des exceptions d’incompétence reste soumis à la loi du for…

II - Le rôle de la juridiction de 1° degré

Lorsque le tribunal est saisi d’un déclinatoire de compétence, il devra statuer dans les plus brefs délais possibles.

1° Le tribunal examine d’abord si l’exception est recevable et si ce n’est pas le cas le plaideur serait débouté de son déclinatoire, le fond pouvant être abordé.

2° Si le déclinatoire est recevable le Tribunal en examine le bien fondé… C’est-à-dire que le Tribunal vérifie sa propre compétence et vérifie si la prétention en relève ou non…

Quant à la décision sur sa compétence, le statut du juge de proximité était un peu particulier… Compte tenu du caractère technique de ces règles, il est expressément prévu dans les textes que toutes les exceptions d’incompétence seront renvoyées au juge d’instance cf. art. 847-5 cpc. Le juge d’instance statue sans recours possible, si la décision concerne sa propre compétence ; en revanche, un recours sera ouvert chaque fois que la compétence d’une autre juridiction, Tribunal de commerce CPH sera en cause…

Les décisions des autres juridictions supposent de distinguer le cas où le juge se déclare compétent de celui où il décline sa compétence.- Lorsque le juge saisi se déclare incompétent sur un déclinatoire ou d’office et ne se prononce pas dès lors sur le fond sa décision ne peut alors être attaquée que par la voie du contredit (article 80 et 94 cpc). Ainsi, la juridiction supérieure ne pourra être saisie que par la voie du contredit, ce qui aura pour effet de retarder l’issue du litige au fond.Le Tribunal ne peut pas se borner à se déclarer incompétent, il doit renvoyer les parties à mieux se pourvoir, et indiquer quel est selon lui, le Tribunal compétent (article 96 cpc) ; il peut se borner à renvoyer les parties à mieux se pourvoir si le juge compétent est le juge pénal ou administratif, arbitral ou si c’est un juge étranger. - Lorsque le juge se déclare compétent si le tribunal ne se prononce que sur sa compétence et pas sur le fond, seule la voie du contredit est ouverte pour contester cette décision. L’instance sera alors suspendue pendant le délai pour juger le contredit. En revanche, si le tribunal constatant sa propre compétence tranche le litige au fond, c’est la voie de l’appel qu’il convient d’emprunter. Mais pour statuer au fond, il aura dû, au préalable, inviter les parties à conclure sur le fond…. L’appel porte alors sur tout le jugement, et pas seulement su la question de compétence.Hypothèse intermédiaire, il se peut que le juge pour trancher la question de sa compétence soit obligé d’examiner le fond de l’affaire. Sans juger du fond, le juge a dû affirmer que l’acte en cause était un acte de commerce ou un contrat de travail… Il arrive que la détermination de la compétence dépende de règles de fond. La décision aura autorité de la chose jugée sur ce qui a été tranché au fond (acte de commerce, contrat de travail), mais seule la voie du contredit reste ouverte, car le juge n’a statué que sur sa compétence.Si au-delà de la seule question de la compétence qu’il admet le jugement ordonne une mesure d’instruction, il est pareillement admis que seul le contredit reste ouvert.

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Civ. 2, 31 janv. 2013, n° 11-25.242, F-P+B : JurisData n° 2013-001101 Les ordonnances du juge de la mise en état qui statue sur la compétence ne sont pas susceptibles de contredit.

Il est temps, dès lors, d’examiner les recours ouverts contre la décision d'incompétence de première instance.

III – Les recours ouverts contre la décision d'incompétence de première instance.

La question de l’incompétence peut se régler au stade de la première instance, sans recours, si le juge a indiqué quel juge était compétent, et lui a renvoyé l’affaire, ou si, affirmant sa compétence, il a abordé le fond. Tel n’est pas toujours le cas…

Il convient alors d’envisager les procédures de contredit et d’appel, ainsi que les sanctions auxquelles s’expose celui qui invoquerait témérairement une incompétence, ainsi que les possibilités de désistement ici ouvertes.

1°) Les procédures de contredit et d’appelLe contredit est ouvert toutes les fois où seule la question de la compétence est tranchée

sans que le fond de l’affaire ait été abordé et que l’affaire soit tranchée au fond. Il s’étend au cas où pour statuer sur sa compétence, le tribunal aurait tranché une question de fond, dont dépend la compétence du tribunal. En revanche, si le litige a été tranché au fond, c’est la voie de l’appel qui est ouverte.

Qu’en est-il en cas d’erreur de choix entre les deux recours ?- Si le contredit a été formé à tort alors que le recours pertinent était l’appel, le juge pour régler au mieux cette difficulté peut en vertu de l’article 91 cpc, considérer que la juridiction est valablement saisie et statuer en la forme de l’appel, et non du contredit, ce qui oblige les parties à constituer avoué dans le délai d’un mois190.- Si l’appel est formé à la place d’un contredit, la jurisprudence se prononce pour une irrecevabilité de l’appel, quoique les textes ne disent rien ? La sanction est donc une fin de non recevoir qui doit être relevée d’office (Civ. 2, 15 nov. 1994, JCP 1995 IV 19).

a - Ces développements laissent apparaître que le contredit de compétence est une voie de recours originale qui doit en particulier être formé dans un délai de 15 jours après le prononcé du jugement relatif à la compétence – après sa notification-, et ce, quelle que soit la décision du tribunal – compétence ou incompétence-. L’instance se trouve dès lors suspendue tant que le juge d’appel ne s’est pas prononcé sur le contredit… ou le cas échéant jusqu’à expiration du délai de 15 j. de contredit.

Ce délai de 15 jours est sanctionné par une forclusion d’ordre public . Le juge peut donc soulever d’office une telle fin de non recevoir.

Le contredit doit être motivé, et en particulier le plaideur doit indiquer la juridiction qu’il estime compétente, ainsi que les raisons en fait et en droit qui motivent sa position… et ce, à peine d’irrecevabilité. Là encore à peine d’irrecevabilité du recours. C’est une formalité substantielle destinée à éviter les manœuvres dilatoires.

Toujours pour à éviter les manœuvres dilatoires, il est prévu que le demandeur au contredit doit en consigner les frais.

Le recours est déposé au greffe, ce qui suppose un écrit.La procédure de contredit est simple et informelle. Le ministère d’un avocat ou d’un avoué en

particulier n’est pas requis et la procédure n’est pas nécessairement écrite. Un pourvoi peut être formé contre ce contredit par les plaideurs.b – Quant à l’appel, il est réservé à la circonstance bien précise où au-delà de la compétence le

juge de première instance s’est prononcé au fond. Cependant, si le jugement était de ceux rendus en premier et dernier ressort, l’appel ne portera en fait que sur la compétence, alors que sinon l’appel portera sur l’ensemble des dispositions du jugement. Il existe aussi 4 cas légaux qui résultent de l’article 80, où l’appel procédure plus lourde et plus contraignante est la voie de recours consacrée par la loi, le contredit étant supprimé. Il s’agit du divorce et de la séparation de corps et de la phase de conciliation, des procédures de référé et de l’appel contre les décisions du JEX. Il en va de même chaque fois qu’il est soutenu que la juridiction compétente relève de l’ordre administratif.

2°) Les sanctions auxquelles s’expose celui qui invoquerait témérairement une incompétence.

190 Rappelant cette règle Civ. 2, 26 septembre 2013 n° 12-20493, Procédures 2013 n° 337.

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L’obligation de consigner du plaideur qui forme contredit trouve ici sa justification. En effet l’article 88 cpc énonce que les frais de l’instance de contredit de la personne qui a succombé restent à sa charge sur la question de compétence. Si celle qui succombe est l’auteur du contredit elle encourt également une peine d’amende de 3000 euros, sans préjudice des DI qui seraient susceptibles de lui être réclamés.

3°) Les possibilités de désistement se font selon les règles du droit commun si le recours ouvert est l’appel. En revanche, si le contredit est la voie de droit pertinente, la jurisprudence semble requérir que le désistement du demandeur soit subordonné à l’acceptation du défendeur.

IV – Le règlement du problème de compétence et la poursuite de l’instance au fond.

Si la procédure de contredit ou d’appel de première instance aboutit à la désignation d’un Tribunal précis, solution que s’est efforcée de favoriser au maximum le cpc, il en résulte que l’on considère que l’instance se poursuit devant la juridiction de premier degré désignée et appropriée, si c’est une juridiction judiciaire. Il n’est pas nécessaire de procéder à une nouvelle assignation.

Cette instance sera suspendue si un contredit est exercé contre la décision des premiers juges. Là encore, pour accélérer la procédure, le cpc a prévu la possibilité d’évoquer au fond, si la Cour d’appel est par son ressort territorial, la juridiction compétente pour statuer sur l’appel de la décision ainsi formée par rapport au Tribunal qu’elle estime compétent. La juridiction d’appel évoquera l’affaire si elle estime de bonne justice de donner à celle-ci une solution définitive, après avoir, si nécessaire, ordonné une mesure d’instruction. La Cour doit alors inviter les parties à constituer un avocat.

Restent un certain nombre de cas où le règlement du problème de compétence ne peut aboutir à la désignation précise du Tribunal compétent, car cette désignation ne peut dépasser le cercle des tribunaux civils, afin de respecter la division entre les ordres de juridictions. Le juge se borne alors à renvoyer les parties à mieux se pouvoir.

§ 2 - Le règlement des exceptions de litispendance et de connexité

Cf. Com. 7 avril 2009, pourvoi n° 08-18884 JCP I 2009 n° 43 369 p. 42 chron DJPSous l’empire de l’ancien Code on parlait de règlement des juges. Les articles 100 à 107 du

Code de procédure traitent du règlement des exceptions de litispendance et de connexité, en s’inspirant largement du régime du déclinatoire de compétence qui vient d’être évoqué.

Dans l’un et l’autre cas, ce sont des situations où deux juridictions également compétentes ont été saisies de la même « affaire ». Il est pourtant nécessaire de distinguer entre les deux situations auxquelles ces exceptions renvoient qui sont un peu différentes, et qui se traduisent par des différences ponctuelles de régime, l’identité d’affaire est en effet plus étroite dans le cas de la litispendance qui sera examinée en premier.

I – La litispendance.

Là encore, les perspectives communautaires permettent de renouveler la manière d’appréhender la litispendance sans se limiter aux seules solutions préconisées par le cpc.

1°/ La litispendance en droit interne.La litispendance renvoie à une situation où il y a identité de litige porté devant deux

juridictions différentes de l’ordre civil. En vertu de certaines options de compétence, notamment deux juridictions peuvent dans certains cas être, l’une et l’autre, également compétentes. Songeons aussi à des actions croisées, engagées par le demandeur et le défendeur dans l’ignorance que l’autre partie a pris cette initiative.

La litispendance suppose que les juridictions saisies soient compétentes et appartiennent au même degré de juridiction. Si l’une des parties le demande, la juridiction saisie en second doit se dessaisir énonce l’article 100.

En revanche, si l’on est en présence de deux juridictions de degré différent le déclinatoire doit être formé devant celle qui occupe le degré inférieur dans la hiérarchie (art. 102 cpc). L’exception ne

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peut être soulevée devant la juridiction supérieure à qui son rang dans la hiérarchie confère la 1° place ici.

Le déclinatoire de litispendance doit être formé, comme celui de compétence dans la même forme, avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.

Le juge peut se dessaisir d’office (art. 100 cpc).Les voies de recours sont selon les mêmes règles que pour le règlement de l’incompétence, le

contredit et l’appel (art. 104 cpc).Si, à la suite de recours formés parallèlement devant deux ou plusieurs cours d’appel sont

saisies d’un recours sur la compétence, l’article 104 al. 2 donne alors la préférence à la cour qui aura été saisie la première pour décider de la solution définitive. C’est donc elle qui si elle fait droit à la demande, renverra la connaissance de l’affaire à celle des juridictions qui selon les circonstances de l’espèce, lui paraît le mieux placée pour en connaître.

Si les deux juridictions s’étaient déclarées dessaisies, l’article 106 du cpc, la seconde en date des décisions rendues sera déclarée non avenue…

L’article 105 du cpc énonce ensuite que la décision qui sera rendue par la juridiction qui est saisie de l’exception ou qui le serait à la suite d’un recours contre celle-ci s’impose tant à la juridiction de renvoi qu’à la juridiction dont le dessaisissement est ordonné.

2°/ La litispendance en droit international et communautaire.

a - La litispendance internationale qui renvoie au fait que les juridictions de deux Etats différents sont saisies d'un même litige, relève des règles du droit commun de la litispendance interne. Le principe est donc celui de l’admission de la litispendance, en vertu des règles du droit interne, sauf précise la jurisprudence, si la décision à intervenir n’est pas susceptible d’être reconnue en France (Cf. Com. 19 février 2013, n° 11-28846). Il en irait de même semble-t-il en cas de compétence exclusive des tribunaux français ou encore en cas de fraude (cf. même arrêt).

La litispendance est d’autant plus utile qu’elle permet parfois d’éviter un risque de forum shoping à retardement. Dans l’ordre international là aussi elle doit intervenir in limine litis. En revanche le désistement du juge français n’est pas obligatoire en vertu d’un principe de souveraineté des Etats. Il n’y a pas de priorité aussi marquée de la juridiction saisie en premier.

b - La litispendance est organisée de façon plus précise en droit communautaire, afin de tenir compte de difficultés éventuelles d’exécution par le règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I (art. 27). Elle suppose que les juridictions de deux Etats membres différents soient saisies d'un même litige, et qu'elles soient également compétentes; soit qu'il y ait identité de causes d'objet et de parties au litige, mais ces notions font l'objet d'une interprétation autonome et souple de la part de la CJUE, dépassant parfois par exemple l’identité formelle des parties. Et sont ainsi considérées comme répondant au même objet deux actions, l'une tendant à la résolution du contrat, l'autre à son exécution forcée les deux ont pour objectif le respect de la force obligatoire du contrat. L'interprétation ne serait vraisemblablement pas la même sur le terrain de l'autorité de la chose jugée.

La litispendance ne peut en vertu de l'article 27 du règlement être utilement invoquée que devant la juridiction saisie en second lieu. D'ailleurs, le juge doit, même d’office, surseoir à statuer, à condition seulement que la compétence du Tribunal saisi en premier soit établie et qu’il ait apporté les précisions nécessaires sur la date de sa saisine. Ce n’est en effet qu’à cette condition que le dessaisissement ne deviendra effectif.

La nouvelle rédaction du règlement issue de la refonte de 2012 consacre une efficacité renforcée de la clause de juridiction qui attribue une compétence exclusive laquelle doit prévaloir en cas de litispendance (à supposer que cette clause de juridiction soit valable et ce même si le juge élu est saisi en second (art. 31 du règlement refondu)).

Par ailleurs, les règles qu’il pose sont étendues aux rapports internationaux, ainsi n’est plus seulement envisagée la litispendance européennes entre juridictions d’Etats membres, mais aussi la litispendance entre un juge européen et un juge d’un Etat tiers, aspect qui allait de pair avec

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l’internationalisation projetée dudit règlement (laquelle n’a finalement pas vu le jour à la différence de ces dispositions) : les règles européennes jouent désormais, en matière de litispendance dans les relations opposant le juge européen à un juge non européen, hypothèse jusque là appréhendée par les droits nationaux non harmonisé ce qui réduit, ce faisant, là aussi d’autant la portée des règles de litispendance et de connexité applicables en vertu du droit national aux litiges internationaux (art. 33 et 34 nouveaux du règlement refondu, voir D. Alexandre et A. Huet, Litispendance et connexité dans les relations entre un Etat membre de l’UE et un Etat tiers, D. 2013 p. 1499). L’exception de litispendance ou de connexité est alors invoquée par les parties, ou d’office si le droit national du juge saisi le permet en vertu de ces nouveaux textes.

Mais le dispositif est prudent et encadré et réserve bien sûr le dessaisissement aux cas où le juge européen saisi n’était pas compétent en vertu des règles communes de compétence ordinaires issues du règlement et il faut aussi que le juge vérifie que la décision sera susceptible d’être reconnue dans l’ordre interne (soi t un véritable pronostic de régularité auquel le juge saisi en second se livre). Le juge européen, s’il est saisi en second, doit enfin être convaincu que le sursis à statuer s’il s’agit d’une connexité est conforme aux exigences de bonne administration de la justice. Il n’a qu’une faculté de renoncer à statuer en cas de litispendance internationale, alors que si la litispendance est entre deux juridictions d’Etat membre c’est une obligation… Il est d’ailleurs en mesure de révoquer ce sursis s’il perçoit que le litige soumis au juge étranger n’est pas sur le point d’aboutir. Mais c’est là déjà empiéter sur les règles relatives à la connexité.

II – La connexité.

Elle sera aussi envisagée sous l’angle communautaire et international, mais d’abord sous l’angle interne.

1°/ La connexité en droit interne.

Bien qu’il s’agisse d’une notion importante en procédure, la connexité renvoie à une notion imprécise, largement abandonnée à la prudence des magistrats, en l’absence de toute définition légale. La connexité est donc une notion de fait relevant du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond…

On parle de connexité nous dit l’article 101 cpc lorsqu’il existe entre des affaires portées devant des juridictions différentes un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger en même temps pour éviter des incohérences et des contradictions de jugements, voire des décisions inconciliables… Mais aussi pour gagner du temps par une approche globale du litige. Il peut alors être demandé à l’une des juridictions de se dessaisir, et de renvoyer en l’état l’affaire devant une autre juridiction. Cette liberté de choix disparaît si les deux juridictions ne sont pas de même degré : il appartient alors en 1° à la juridiction de rang supérieur de se prononcer. De même, si l’une des juridictions saisies a un compétence exclusive, c’est elle qui devra trancher le litige.

Ainsi, si un plaideur a demandé l’exécution du contrat alors que l’autre partie avait quant à elle demandé sa résolution devant une autre juridiction, voire sa nullité... Ou encore, si après un accident de voiture qui s’est traduit par la collusion de plusieurs véhicules, chacun entend mettre en cause la responsabilité des autres. Il y a un lien évident et fort entre ces prétentions antagonistes. Un lien logique.

La connexité peut être poussée à un tel degré qu’il est pratiquement impossible de juger une demande sans l’autre, il est alors impérieusement nécessaire de les juger ensemble, on parle alors d’indivisibilité. L’indivisibilité est donc une forme de connexité renforcée.

Cette notion de connexité un peu plus large a déjà été évoquée. Elle renvoie à la recevabilité des demandes incidentes, qui rappelons-le ne sont recevables que si elles entretiennent avec la demande principale des liens suffisants (art. 70 et 325 cpc).

Au-delà, la connexité permettra la jonction de deux instantes pendantes devant le même Tribunal, s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il apparaît de bonne justice de les régler ensemble, en vertu des articles 367 al. 1 s.

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La connexité peut aussi être la condition d’un renvoi judiciaire à une autre juridiction, lorsque deux demandes sont connexes. Ce sont des actions principales et autonomes d’un point de vue procédural, mais elles concernent la même affaire. Cette exception de connexité est alors présentée par un déclinatoire de connexité dont le régime s’apparente aussi à celui du déclinatoire de compétence.

Même si deux affaires entretiennent une certaine connexité, elles seront parfois divisées et traitées par des juridictions différentes, notamment en raison de la compétence exclusive d’une juridiction, et il n’est plus possible d’arguer de la plénitude de juridiction du TGI, en cas de demandes connexes, pour faire échec aux compétences exclusives des juridictions d’exception.

Si les règles relatives à l’exception de connexité et au déclinatoire du même nom sont en général calquées sur le régime de l’incompétence et de la litispendance, il existe, malgré tout, certaines spécificités de régime.

En particulier, l’exception de connexité peut en vertu de l’article 103 cpc être invoquée en tout état de cause. En effet le développement d’une affaire et ses ramifications peuvent faire surgir une connexité qui n’apparaissant pas lors des premiers jeux de conclusions.

Mais pour que les parties n’abusent pas de cette faculté à des fins dilatoires, l’article 103 cpc énonce que le Tribunal pourra écarter ce déclinatoire s’il estime qu’il a été soulevé dans une intention dilatoire.

En revanche, à la différence de la litispendance, la connexité ne peut être relevée d’office par le juge.

La connexité n’est pas nécessairement soulevée devant la juridiction saisie en second.Le régime et le rôle de la Cour sont les mêmes que ceux décrits pour la litispendance et

l’incompétence.

2°/ La connexité en droit international et communautaire.

Les règles qui viennent d’être exposées valent pour la connexité en matière de litige international. Toutefois les juridictions françaises se montrent parfois réticentes à se dessaisir au profit de juridictions étrangères saisies en second de litiges différents. La juridiction est libre de se dessaisir ou pas : il n’y a pas d’ordre de préséance…. Tout relève en définitive de l’appréciation que le juge se fait du risque de contrariété de décisions.

Elle peut aussi être soulevée en tout état de cause.En droit communautaire en revanche, il est prévu que c’est, là encore, la juridiction saisie en

second qui doit se dessaisir (article 28 du règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I devenu article 30 à l’issue de la refonte opérée le 12 décembre 2012). Il n'y a pas cette fois l'identité de parties de cause et d'objet mais un lien étroit entre les demandes respectives. La notion est d'ailleurs interprétée de façon assez extensive en vue d'empêcher les contrariétés de décisions.

Mais le dessaisissement est soumis à différentes conditions, d’abord il ne peut avoir lieu qu’à la demande des parties (comme en droit français), ensuite, il faut que la loi de la première juridiction saisie permette la jonction et accepte de connaître des deux demandes, sinon on se heurterait à un risque de déni de justice.

Et dans le règlement Bruxelles I, les exceptions de connexité ne sont prévues, et ne peuvent jouer que pour des affaires pendantes devant des juridictions du 1° degré de part et d’autre. Pour l’heure, il ne semble pas y avoir eu d’application de ces dispositions marquées par des arrêts.

Dans les textes la situation de connexité ne donne au second juge que la faculté de se dessaisir alors que la litispendance lui en fait l'obligation.

Ce pouvoir de déclarer les affaires connexes et de surseoir à statuer peut même être exercé d’office nous dit le nouvel art. 34 si la juridiction en a la pouvoir en vertu de son droit national.

Les pouvoirs d’appréciations et conditions du sursis sont les mêmes dans le nouveau texte qu’en matière de litispendance. De même la révocation du sursis peut aussi être envisagée ( Art. 34 ).

N°240

CONFLIT DE JURIDICTIONS

Compétence internationale. - Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000. - Litispendance et connexité (articles 27 à 30). - Juridiction saisie. - Date de la saisine. - Date de réception de

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l'acte à signifier par l'autorité chargée de la notification ou de la signification. - Acte assorti d'une traduction incomplète et ultérieurement régularisé. - Portée.

Ayant constaté qu'une société néerlandaise avait introduit contre des sociétés françaises une action dite déclaratoire devant le tribunal de Rotterdam par voie d'assignations reçues par la chambre des huis -siers à Paris le 12 mai 2004 et signifiées entre le 14 et le 25 mai 2004, alors que ces sociétés françaises l'avaient fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre par une demande de signification du 23 avril 2004, transmise selon les modalités du Règlement CE n° 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extra -judiciaires en matière civile et commerciale, complétée le 26 mai 2004 de la dernière page de sa tra -duction à la demande, le 5 mai 2004, de l'autorité néerlandaise chargée d'en assurer la notification, une cour d'appel décide à bon droit que les sociétés françaises bénéficient, en ce qui concerne la date, de l'effet de leur signification initiale, et que le tribunal de commerce de Nanterre a été saisi en premier.

Com. - 28 octobre 2008. REJET

N° 07-20.103. - CA Versailles, 14 juin 2007.

Mme Favre, Pt. - M. Potocki, Rap. - M. Raysseguier, P. Av. Gén. - Me Foussard, SCP Delaporte, Briard et Trichet, Me Balat, Av.

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3° PARTIE : L’avènement d’un droit du procès transfrontalier au sein de l’Union Européenne…

Envisager le droit du procès transfrontalier suppose d’abord de se replonger dans les textes fondateurs, en vertu notamment du principe de subsidiarité…

L’article 3 du traité de l’Union européenne résultant du traité de Lisbonne du 13 déc. 2007 fixe parmi les objectifs de celle-ci, celui de « maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation entre les personnes ».

Et l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) précise que l’Union européenne développe une coopération judicaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière –litige intra communautaires, fondée sur un principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extra judiciaires.

Signalons enfin que la Charte des droits fondamentaux de l’UE intégrée au traité de Lisbonne, et entrée en vigueur tout récemment, organise à son article 47 « le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ». Les points communs de cette disposition avec l’article 6§1 de la CESDH sont évidents, mais il ne restreint pas expressément ce droit aux seules obligations de caractère civil. Et les premières décisions rendues au visa de cette disposition nouvelle commencent à être rendues par la CJUE191, ce qui montre que cette disposition paraît appelée à jouer un rôle fondamental dans la construction d’un droit processuel de l’UE… Et certains de souligner à cet égard que si la jurisprudence de la CEDH sert ici de référence le droit de l’UE pourrait accorder une protection plus étendue des droits fondamentaux que ne le fait la CEDH..

La nécessité d’une coopération judiciaire est indiscutable dans un espace de libre échange et de libre circulation des biens et des personnes, mais l’objectif même qui vient d’être énoncé en limite la portée. Il faut lever les obstacles juridiques et sécuriser ces échanges… En fixant des règles communes fondées sur des valeurs partagées. L’objectif de cette coopération reste toutefois orienté vers l’objectif de bon fonctionnement du marché intérieur, comme le laissent transparaître les textes fondateurs. Il s’agit pour l’heure de simplifier et améliorer le système judiciaire quand la matière civile a une incidence transfrontalière. Le litige transfrontalier y est défini comme celui dans lequel une partie au litige au moins a sa résidence habituelle dans un Etat autre que celui de la juridiction saisie… D’où une progression mesurée.

C’est au demeurant un domaine de compétence partagée avec les Etats et non un domaine de compétence exclusive (mais ce n’est pas une simple compétence d’appui).

Et l’avènement de règles propres au droit du procès transfrontalier n’a pu se faire grâce à des normes communautaires que depuis l’intégration et le transfert de compétence dans le 3° pilier de la coopération judiciaire par le traité d’Amsterdam signé en 1997 et entré en vigueur au 1° mai 1999. L’Union européenne dispose désormais de compétences directes en la matière.

Curieusement, le droit du procès transfrontalier ne s'est pas construit d'abord dans une approche globale et chronologique de l'action, en partant de son introduction pour envisager ensuite le lien d'instance et l'exécution. A l’origine il évoque davantage par ses contours et par son objet le droit judiciaire international issu des conventions internationales. Pourtant, les évolutions récentes permettent de considérer qu’un droit judiciaire européen émerge, doté d’un système de règles procédurales, même s’il reste largement embryonnaire et incomplet. Et il conviendra d’essayer d’en dégager les traits caractéristiques parfois moins apparents que les objectifs économiques affichés par leurs auteurs.

Il s’est élaboré en trois temps.1°/ La construction du droit du procès transfrontalier est d’abord apparue comme une

nécessité pour faire face à des difficultés pratiques : celle des notifications et significations transfrontalières, celles des difficultés de reconnaissance et d'exécution dans l'espace communautaire des décisions prises par une juridiction d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre. Cette construction s’apparentait alors davantage à droit international « communautaire » du procès, dans un souci du plus grand respect de la souveraineté des Etats membres. Cette première génération

191 La CJUE vient ainsi de préciser que le principe de protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, est invocable par une personne morale en vue de bénéficier de l’aide juridictionnelle (CJUE 22 déc. 2010, Procédures 2011 n° 57).

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de textes intègre alors les règles de compétence des juridictions communautaires pour les litiges intracommunautaires et les question relative aux effets des jugements (reconnaissance et exécution des décisions au sein de l’UE) issues de la convention de Bruxelles et désormais du règlement Bruxelles I déjà envisagées dans leur partie compétence au titre précédent. On peut y ajouter les règles de compétence et d’effet des jugements pour les litiges intracommunautaires en matière matrimoniale et en matière d’insolvabilité voire le récent règlement sur les obligations alimentaires du 18 décembre 2008 qui se rattache largement à cette première génération.

2°/ Les choses ont néanmoins évolué dans une perspective plus intégrative, pour accroître la coopération judiciaire. Il a paru utile d’élaborer des règles par voie de règlement en matière de notifications intracommunautaire des actes, des règles de coopération en termes de preuve, mais aussi en termes d’exécution, avec la création d’un titre exécutoire européen. Notons également, participant de ce même mouvement, la directive du 21 mai 2008 en matière de médiation et de conciliation judicaire et extrajudiciaire pour les litiges transfrontaliers192, et celle du 27 janvier 2003 qui traite de l’aide judiciaire pour les litiges transfrontaliers, en matière civile et commerciale193.

S’agissant des demandes d’aide judiciaire elles se font via les autorités compétentes désignées dans chaque Etat membre et par les formulaires adéquats… Elles sont adressés au Bureau d’aide juridique français en français.Les processus de médiation paraissent particulièrement adaptés pour surmonter les différences de législations dans un litige transfrontalier. Et la transposition récente de cette directive dans l’ordonnance du 16 novembre 2011 permet d’harmoniser les régimes de médiation internes et communautaire pour que la réglementation des médiations transfrontalières trouve un écho plus large et ne soit pas à part en donnant une définition et un domaine commun de ce processus et en précisant les garanties ou principes directeurs auquel il est désormais soumis tant au plan communautaire qu’au plan interne depuis la transposition de ce texte par l’ordonnance de 2011. La réglementation européenne insiste également sur le caractère volontaire de ces démarches qui n’exclut pas dans certains cas qu’un processus de conciliation ou de médiation obligatoire soit imposé mais à condition que l’accès au juge ne soit pas restreint à l’excès et il n’y a pas entrave excessive à l’accès au tribunal en vertu d’un arrêt du 18 mars 2010 Rosalbla Alassini de la CJUE ( C-317/08 et 320/08) si la procédure de conciliation n’entraine pas de retard substantiel, si elle suspend la prescription, si des mesures peuvent être prescrites en cas d’urgence, et si la voie électronique ne constitue pas l’unique moyen d’accès à la conciliation et à condition qu’elle génère des frais peu importants.

3°/ Plus récemment encore, une troisième phase de l’évolution est advenue avec l’avènement de deux procédures harmonisées pour le traitement des petits litiges, et en matière d’injonction de payer, ce qui devrait recouvrir des hypothèses assez nombreuses, en pratique. Il s’agit de procédures envisagées depuis l’acte introductif d’instance jusqu’à la phase d’exécution de la décision, ce qui va bien au-delà du droit judiciaire international classique ou de simples outils de coopération.

Ce droit n'en est qu'à ses balbutiements et ne constitue pas encore un tout cohérent néanmoins il mérite d'être abordé dans une approche prospective puisque justement c'est le droit de l'avenir.... l’espace judiciaire européen est donc prometteur, quoiqu’il soit en partie concurrencé par les réflexions autour de règles de procédure uniformes comme les principes Unidroit.

Il y a bien l’émergence d’un système de règles procédurales ou processuelles même si elles ne forment pas un tout cohérent qui se suffirait à lui-même. Son importance ne saurait être négligé compte tenu de la fréquence croissante des litiges transfrontaliers. L’on estimait en 2009 que 10 millions de personnes avaient d’ores et déjà été impliquées dans des litiges transfrontaliers. Et la procédure civile est un vaste chantier prometteur pour le droit communautaire – au-delà du droit des obligations et d’autres droits substantiels. La réflexion est engagée sur la mise en place d’un système de recours collectif ou encore sur les règlements extrajudiciaires des litiges pour lesquelles la

192 L. Cadiet, E. Jeuland, et S. Amrani Mekki, Droit processuel civil de l’UE, Lexis Nexis 2011 n° 842 s. et N. Fricero, L’essentiel de l’espace judiciaire européen en matière civile et commerciale, 2011 p. 41 s.193 L. Cadiet, E. Jeuland, et S. Amrani Mekki, Droit processuel civil de l’UE, Lexis Nexis 2011 n° 811 s.

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Commission de l’UE a lancé deux vastes campagnes de consultation des Etats au printemps 2011. Il n’en demeure pas moins que l’idée de créer une procédure civile européenne, composée de règles de procédure civiles uniformes, comme il en existe au plan interne, dans chaque Etat, paraît pour l’heure écartée.

Certains aspects de ce droit communautaire du procès transfrontalier ont pu être abordés ici où là à propos de la répartition des compétences et du règlement des incidents de compétence, à propos des prorogations de compétence. Ce seront donc d'autres aspects sur lesquels la troisième partie de ce cours, consacrée aux acquis du droit du procès transfrontalier communautaire mettra l'accent.

Ils concernent plus particulièrement la coopération judiciaire et les procédures harmonisées. Seront ainsi envisagées les différents règlements adoptés par l’Union européenne, notamment la question éminemment pratique des significations et notifications transfrontalières, celle de la coopération judiciaire dans l’obtention des preuves civiles, et celle de la reconnaissance et de l’exécution des jugements dans l'Europe communautaire et du titre exécutoire européen TEE. Seront aussi abordées les toutes récentes procédures d’injonction de payer et la procédure européenne pour la demande de faible importance qui commencent à donner corps à ce droit du procès transfrontalier.

Ces textes sont assez techniques et un peu enchevêtrés ce qui n’en donne pas un aspect très séduisant… La faute en vient en partie à son mode d’élaboration pas toujours très transparent et par à coups. Nous tenterons de démêler les fils de ce droit émergent et d’en dresser un 1° bilan…

Il existe néanmoins une trame commune destinée à dépasser certaines contraintes spécifiques comme la barrière de la langue (recours au formulaire) et les spécificités de chaque organisation juridictionnelle nationale et de chaque procédure. Et le portail e.justice est à cet égard un outil d’information précieux.

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Chapitre 1 : Les significations et notifications transfrontalières

La notification est la formalité par laquelle on porte à la connaissance d’une personne, une assignation un jugement, par exemple, ou un autre acte de procédure. Cette formalité a une importance décisive.

- Elle garantit le respect effectif du contradictoire. - Et c’est à compter de son accomplissement que partiront un certain nombre de délais (le délai

pour comparaître, ou pour exercer une voie de recours contre le jugement, par exemple).La notification est un terme général (générique). Celle-ci peut revêtir des formes diverses et

notamment elle englobe la signification, mode spécial et particulièrement sûr de notification, puisque l’acte est porté à la connaissance de la partie adverse par voie d’huissier (article 651 et 653 à 664 cpc), lequel est tenu d’un certain nombre de diligences, en vue de s’assurer que l’acte est porté à la connaissance personnelle de l’intéressé, l’huissier engageant sa responsabilité en cas de non-respect de ces exigences. La signification est l’espèce reine des notifications, parce qu’elle garantit un degré maximal de sécurité juridique, mais le revers de la médaille c’est qu’elle a un coût.

A noter également que cette signification peut désormais se faire par voie électronique, comme l’avait envisagé la loi Béteille du 22 décembre 2010 depuis un décret du 15 mars 2012 (n° 2012-366, D. 2012 p. 823) relatif à la signification par voie électronique des actes ‘huissier qui l’envisage spécialement et qui a pour objet de la doter de garanties comparables à celles de la remise physique de l’acte à son destinataire (art. 653 cpc et 662-1 al. 3 cpc). Il faut cependant l’accord du destinataire pour y recourir…

De ce fait, il existe d’autres formes de notifications plus simples et moins onéreuses au nombre desquelles figure la notification en la forme ordinaire soit la notification par voie postale (courrier simple ou recommandé selon les cas) ou par remise directe avec en contrepartie la signature d’un récépissé ou émargement (article 665 à 6710-3 cpc), voire la notification simplifiée entre avocats (article 671 à 674 cpc).

Les notifications à l’étranger et au sein de l’UE font l’objet de règles particulières.

Le formalisme aménagé des notifications internationales a été entièrement refondu par un récent décret du 28 décembre 2005 qui a entièrement réécrit les articles 683 à 688 du cpc. Le décret prend soin de réserver l’application des traités internationaux spécifiques et du règlement communautaire, règles spéciales qui prévalent dans leur champ propre.

Sous cette réserve quant à son champ d’application, la transmission des actes judicaires et extrajudiciaires se fait par voie de notification ou signification internationale. L’acte est alors remis au Parquet qui est suivant les cas le Parquet de la juridiction devant laquelle la demande est formée, celui de la juridiction qui a statué ou celui dans le ressort duquel demeure le requérant. C’est le Parquet qui se charge alors d’informer la personne en bonne et due forme…

Les notifications intracommunautaires quant à elles obéissent à un régime spécifique issu du règlement du 29 mai 2000, entré en vigueur le 30 mai 2001 qui a instauré des mécanismes spécifiques afin que la transmission des actes de procédures soit effectuée directement et par des moyens rapides et sûrs entre les entités locales désignées pour garantir l’effectivité du système et qui a été remanié en 2007. En France ce sont essentiellement les huissiers qui sont les autorités nationales compétentes pour y procéder. C’est donc à la fois un souci de rapidité et d’efficacité qui est à l’origine de ce texte et qui rend le système plus rapide que celui des notifications internationales de droit commun. Les lacunes, les insuffisances de ce texte initial ont conduit les autorités communautaires à revoir le texte initial ce qui a conduit à l’adoption d’un nouveau règlement en date du 13 novembre 2007 entré en vigueur un an plus tard soit le 17 novembre 2008, lequel a apporté un certain nombre d’améliorations…

Un réexamen est prévu au plus tard au 1° juin 2011 de l’efficacité des modifications ainsi apportées194.

194 J-F Sampieri Marceau, Les significations d’actes judiciaires et extra judiciaires dans l’Union Européenne, D. 2009 p. 1434.

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A noter que le Danemark a déclaré adhérer à ces deux règlements….Le but était de faire cesser des situations juridiques très hétérogènes , chaque Etat ayant

organisé son propre système de notification dans ses rapports avec les autres Etats par des conventions bi ou multilatérales notamment aux contenus différents, ce qui est source complexité et de lenteur.

Le règlement concerne les actes judiciaires et extra judiciaires relatifs aux matières civiles et commerciales – ce qui exclut les matières pénales et administratives mais inclut le contentieux commercial, social et civil et rural, mais ce qui intègre les actes authentiques.

Il ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire n’est pas connue - soit qu’elle soit totalement inconnue, soit qu’il soit introuvable à l’adresse indiquée, soit qu’elle soit incomplète ou erronée.

Deux impératifs guident le processus de transmission communautaire : la rapidité et la sécurité.

- la rapidité de transmission d’abord, passe par les moyens utilisés (courrier télécopie ou e. mail). Il est fait appel à des formulaires types établis en toutes les langues, ce qui rend le processus accessible dans tous les Etats. Une faille a cependant été mise en lumière dans le 1° état du règlement, du point de vue de la célérité, aucun délai de transmission n’était prévu.

- la sécurité de transmission ensuite, repose sur la protection des intérêts du requérant en garantissant que la notification s’est correctement faite ; elle protège également le destinataire qui est ainsi assuré que l’information lui parvienne et qui peut ainsi le comprendre et exercer correctement sa défense. Ce sont donc des entités locales désignées, des professionnels compétents qui offrent toutes garantie d’indépendance et de responsabilité, qui se chargent de cette transmission. En France ce sont tout naturellement les huissiers dont le statut professionnel offre de hautes garanties de sécurité… mais aussi le greffe de certaines juridictions comme le greffe du CPH.

La sécurité apportée par les mécanismes de notification communautaire est encore moindre qu’au plan purement interne parce que le droit communautaire a voulu privilégier la diversité et la simplicité des modes de notification.

Ainsi, seront envisagés plus précisément les mécanismes de notification mis en place par le règlement de 2000 et celui du 13 novembre 2007 puis les améliorations apportées par le règlement de 2007, récemment entré en vigueur.

Le système repose sur une volonté de clarifier les acteurs du processus de transmission tout en laissant place à une souplesse quant aux formes de la notification.

§1 - les acteurs du processus de transmission

Pour le bon fonctionnement du processus de transmission chaque Etat désigne clairement les acteurs de cette notification qui sont qualifiés - d’entités d’origine soit les officiers ministériels, autorités ou personnes compétentes qui ont pour fonction de transmettre de tels actes. En France ce sont éventuellement les huissiers.- Ou d’entités requises lorsqu’elles reçoivent ces actes judiciaires ou extra judiciaires et qui sont tenues à la confidentialité. En France ce sont encore les huissiers.- Il s’agit enfin de l’entité centrale qui fournit les informations aux entités d’origine et recherche les solutions en cas de difficultés de transmission. Pour la France, il s’agit du bureau de l’entraide judiciaire civile et commerciale, qui relève de la Direction des affaires civiles et du Sceau.

La Commission européenne tient à jour un manuel de ces entités et la langue dans laquelle on peut s’adresser à elles.

§2 - Les formes de la notification

Pour le reste le règlement se montre résolument libéral puisqu’il admet tout moyen de transmission de ces actes, dès lors que le contenu en est lisible. Sont notamment prévus tous supports matériels (papier ou télécopie voire des supports dématérialisés à condition qu’ils soient admis dans l’Etat requis, ce qui n’est pas encore le cas pour toutes ces formes en France. Il faudra

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donc passer par la notification par la voie postale. Récemment, la CJUE est venue préciser que le règlement n’établissait aucune hiérarchie entre les différentes formes de notification qu’il s’agisse d’une signification par le biais de l’autorité compétente de l’entité requise ou d’une notification par voie postale.

En vue de sécuriser les échanges des modèles-types de transmission traduits en plusieurs langues sont établis.

Pour une plus grande efficacité du processus les motifs du refus de notification sont étroitement limités : ils renvoient à des situations exceptionnelles qui concernent avant tout la garantie des droits de la défense et de ceux en particulier du destinataire de l’acte.

Le principe est en effet celui de la transmission directe et dans les meilleurs délais des actes (c’est-à-dire sans transiter par le Parquet). Et justement pour garantir la transmission dans les meilleurs délais pour contrecarrer certaines critiques énoncées à propos du règlement de 2000, celui de 2007 prévoit que le respect de certains délais s’impose notamment pour que l’entité requise accuse réception (délai de 7 jours à compter de la réception de l’acte à signifier), puis délai d’un mois pour assurer la signification effective à la personne du destinataire de l’acte . Pourtant, aucune sanction spécifique n’est prévue pour la méconnaissance de cette exigence.

Dans des circonstances exceptionnelles, est également prévue la signification ou notification par les agents diplomatiques, par voie consulaire.

Est aussi rappelée la faculté de notifier par la poste (art. 14), ou de notifier directement à la personne par l’intermédiaire d’un officier ministériel, conformément à ce que la loi nationale du pays en cause autorise.

Lorsque le requérant adresse à l’entité d’origine l’acte qu’il entend faire signifier dans un autre Etat membre, l’entité d’origine doit lui indiquer que le destinataire peut refuser de l’accepter s’il n’est pas dans une des langues prévues par l’article 8 du règlement, le requérant peut alors décider de faire traduire l’acte dans un premier temps à ses frais. Le destinataire peut refuser l’acte s’il n’est pas rédigé dans la langue officielle de l’Etat requis ou dans une langue comprise par le destinataire.

L’entité requise lorsqu’elle reçoit l’acte à notifier envoie un accusé de réception au plus vite à l’entité d’origine.

De même, l’entité requise une fois les formalités de notification accomplies en informe l’entité d’origine par une attestation retournée à l’entité d’origine accompagnée d’une copie de l’acte notifié ou certifié. L’entité requise devrait pareillement avertir de l’impossibilité éventuelle de faire aboutir la notification.

Les frais de notification et notamment de signification par voie d’huissier restent à la charge de celui qui y procède.

§3 - Les incidents de notification

Les incidents de notification peuvent prendre plusieurs formes.

1° / Le juge a la possibilité de relever de forclusion un défendeur qui n’aurait pas comparu et qui n’aurait pas eu connaissance de l’acte d’assignation en temps utiles sans faute de sa part, ni de la décision en temps utiles pour exercer les recours. La demande de relevé de forclusion doit cependant, en vertu de l’article 19-4 du règlement être formée dans un délai raisonnable, à partir du moment où le défendeur a eu connaissance de la décision.

2°/ Pareillement le règlement prévoit une obligation pour le juge de surseoir à statuer en cas de défaut de comparution du défendeur le temps de vérifier que les formalités de notification ont bien été respectées et ont laissé au débiteur un temps suffisant pour préparer sa défense (art. 19).

3°/ Le destinataire peut refuser l’acte s’il n’est pas rédigé dans la langue officielle de l’Etat requis ou dans une langue comprise par le destinataire. Mais la CJUE a récemment précisé, dans un arrêt du 28 novembre 2005, que l’acte refusé n’est pas pour autant nul, procédant ainsi à une interprétation téléologique de ce texte. L’expéditeur a donc la possibilité d’y remédier, en envoyant la traduction requise « dans les meilleurs délais »… Notons néanmoins que cela ralentit le processus, ce qui ne répond pas à l’objectif initial de rapidité et d’efficacité. Si la notification n’a pas été adressée dans la bonne langue la date de la notification sera celle à laquelle la traduction correcte est adressée

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au destinataire, sauf à ce que le délai en cause soit destiné à protéger le requérant, auquel cas c’est la date de la première notification qui prévaut.

Cf. Niboyet Dr et Pat 2008 p. 111. Ces diverses améliorations viennent d’entrer en vigueur. Elles font suite à un rapport délivré

en 2004 sur l’exécution du règlement qui révélait certains ratés, notamment parce que le système du règlement était encore mal connu. Le règlement a certes accéléré et amélioré les transmissions mais des adaptations paraissaient utiles.

Il s’agit essentiellement de retouches, l’architecture du dispositif restant identique. Ainsi, des délais sont assignés aux notifications pour assurer une procédure plus efficace. Mais

on l’a relevé cette obligation n’est pas en elle-même assortie de sanctions propres.Les formulaires de notifications sont revus et corrigés pour intégrer notamment la faculté de

refus de la notification.Le règlement clarifie la question des dates de notification en précisant notamment que si la

notification n’a pas été adressée dans la bonne langue la date de la notification sera celle à laquelle la traduction correcte est adressée au destinataire. Toutefois, si le délai en cause est destiné à protéger le requérant, c’est la date de la première notification qui pourra être prise en compte : c’est un principe de double date du le règlement du 13 novembre 2007 s’efforce de généraliser.

Son également édictées des dispositions générales et communes sut les notifications par voie postale. Elle devra respecter l’exigence de la langue. Et les Etats membres ne peuvent plus s’opposer à la notification par courrier, ce qui, du point de vue de certains français, diminue la sécurité juridique.

Les mécanismes de notifications communautaires sont plus souples et plus variés. La contrepartie, c’est qu’ils sont moins protecteurs des droits du défendeur et assurent une protection plus faible du respect effectif du contradictoire que nos normes internes, plus rigides certes…

La notification répond à un souci de sécuriser et de fluidifier les procédures communautaires. C’est aussi vers ce double objectif que tend le droit de la reconnaissance et de l’exécution des jugements au sein de l’UE. D’ailleurs, le respect de ces formalités de notification est une étape déterminante en vue d’obtenir la déclaration de force exécutoire. C’est aussi vers cet objectif d’une meilleure coopération et d’une plus grande fluidité que tend la coopération quant à l’obtention des preuves.

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Chapitre 2 : La coopération judiciaire dans l’obtention des preuves civiles

Elle est le fruit du règlement du 28 mai 2001, entré pleinement en vigueur le 1° juillet 2004 appliqué dans tous les Etats membres à l’exception du Danemark. Son importance concrète est évidente, même si l’on n’y consacre ici que des développements rapides car elle permet d’obtenir des mesures d’instruction et donc des éléments de preuve dans les litiges transfrontaliers par une procédure de juge à juge. Il vient se substituer dans les relations communautaires à une convention internationale, la convention de La Haye du 18 mars 1970, qui n’était en vigueur qu’entre 11 Etats membres, dont il reprend certains éléments tout en poussant nettement plus loin la coopération.

Le règlement « preuve » est désormais employé fréquemment (12000 requêtes environ dans les 5 dernières années pour 15 États membres dont les données ont été obtenues : V. le rapport de juin 2012 :http://ec.europa.eu/justice/civil/files/final_report_1206_en.pdf).

Logiquement, des difficultés d'interprétation apparaissent que la Cour de justice tente d'aplanir. L'arrêt St Paul Dairy du 28 avril 2005 (CJCE, 28 avr. 2005, aff. C-104/03 : Europe 2005, comm. 229, L. Idot ; Rev. crit. DIP 2005, p. 742, note E. Pataut) avait conduit à penser que le règlement « preuve » était exclusif à l'égard du règlement Bruxelles 1 : un témoignage ne pouvait être recherché au moyen d'une procédure provisoire - du type d'un référé in futurum - sans mettre en oeuvre le règlement du 28 mai 2001. Ce règlement n'est, cependant, pas exclusif à l'égard des solutions de droit interne. À l'instar des solutions qui existent à propos de la convention de la Haye de 1970 (CA Versailles, 14e ch., 9 avr. 1993 : JCP G 1995, II, 22436, note P.-A. Rosenfeld concernant une expertise ordonnée en France et réalisée directement en Espagne. - Cour suprême des États-Unis, 15 juin 1987, Aérospatiale : Rev. crit. DIP 1988, p. 559 note A. Dyer), un mode de preuve directe peut être engagé sans l'autorisation du pays d'origine (CJUE, 21 févr. 2013, aff. C-332-11, Prorail BV : JurisData n° 2013-004003 ; Procédures 2013, comm. 148, obs. C. Nourissat). Pourtant, dans un arrêt récent la CJUE retient (CJUE 21 février 2013 Proc. 2013 n° 147 obs. C. Nourrissat) que texte le règlement ne semble pas faire des mécanismes du règlement le seul moyen d’obtenir une preuve transfrontière (pas de caractère exclusif), et ce, en réponse à une question préjudicielle posée sur l’interprétation du règlement…Il y a donc coexistence et cohabitation avec les règles du droit national c’est l’esprit des textes européens… La solution est favorable à la recherche transfrontière des preuves.

On y retrouve le rôle des formulaires, instrument de coopération efficace permettant de franchir la barrière linguistique entre les Etats de la Communauté… et entre les juges concernés.

Ainsi, lorsqu’un litige est porté devant les tribunaux d’un Etat membre et requiert des éléments de preuve situé sur un autre Etat membre, le juge initialement saisi du litige qualifié de juge requérant se voit offertes deux possibilités. 1/ Il peut soit s’adresser directement au juge de l’Etat qui détient les preuves (l’Etat requis) ou sur lequel il entend faire procéder à une mesure d’instruction par une collaboration directe de juge à juge. 2/ Mais le règlement prévoit aussi une exécution directe par la juridiction requérante dans l’Etat concerné, procédant lui-même à une audition de témoins ou surveillant directement le déroulement d’une mesure d’expertise. Il s’agit là d’une abdication notable de la souveraineté des Etats… Elle est le signe que l’on est passé au-delà du simple droit international.

Section 1 : La collaboration directe de juge à juge.

Un Atlas européen donne à chaque juge d’un Etat membre immédiatement les coordonnées du juge du territoire sur lequel doit être exécutée la mesure, chaque Etat ayant défini au préalable auprès de quelle juridiction ces mesures doivent être demandées…

La demande doit être transmise dans la langue de l’Etat requis, pour une meilleure efficacité du système et elle doit préciser la nature de la mesure d’instruction demandée (audition, pièces requises ou autre objet…)

Il y est précisé la nature de l’acte d’instruction demandé, que la procédure judicaire soit déjà engagée, ou seulement envisagée, ce qui englobe le texte actuel de l’article 145 cpc… Il peut s’agir si l’on reprend les distinctions du droit interne d’une demande de mesures d’instruction ou d’une demande de production de pièces….

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En principe, c’est donc le juge requérant qui choisit le type de mesure et qui peut se référer à ses grilles internes, de sorte qu’un juge requérant anglais pourrait demander à un juge français de procéder à une cross examination à l’occasion d’une audition de témoin, en laissant aux Etats parties le soin de poser directement les questions aux témoins. Ce type de coopération permet donc de banaliser certaines techniques procédurales étrangères inconnus jusque là par l’Etat requis… Cela contribue dès lors à un possible rapprochement des procédures.

Ce choix de privilégier les formes de mesures d’instruction du pays d’origine n’est pas neutre, il permet en effet une intégration plus naturelle de la preuve dans la procédure ouverte dans l’Etat requérant et est donc nettement plus judicieux.

Il en résulte que le juge requis ne peut s’opposer à l’exécution de la mesure selon les formes spéciales voulues par le juge requérant que si cette forme s’avère incompatible avec le droit du juge requis, ou si elle est susceptible d’engendrer des difficultés juridiques majeures (art. 10-3), ce qui sera vraisemblablement très rare. Cela pourrait être le cas si la mesure entraînait la violation d’un principe fondamental qui guide la procédure de l’Etat requis, comme la violation de la vie privée ou du principe de laïcité.

Le parcours s’avère dès lors simple et rapide : l’Etat requis disposant d’un délai de 90 jours seulement pour faire procéder à la mesure d’instruction une fois la demande régulière transmise. Une étude a d’ailleurs révélé que l’exécution de ces mesures se faisait en moyenne dans un délai de 6 à 12 semaines.

En application du principe du contradictoire la mesure se fait en principe en présence et avec la participation des parties au litige.

Pour certaines de ces mesures le versement d’une consignation ou d’une avance peut parfois être demandé.

Toutefois, le règlement ne précise pas comment, et qui, doit choisir le technicien, s’il est sollicité de recourir à ses services…Aujourd’hui, depuis 2004, on sait notamment qu’il est possible de choisir un expert hors liste, ce qui facilite d’une certaine manière les choses.

Rien n’est dit sur la manière dont on doit résoudre les incidents susceptibles de survenir lors de la mesure d’instruction et sur les éventuels recours auxquels ils peuvent donner lieu.

Un arrêt récent de la CEDH vient de préciser que le juge qui a fait procéder à la mesure d’instruction par l’intermédiaire d’un autre doit néanmoins s’assurer que les actes qui ont été accomplis sous le contrôle d’un autre juge ne l’ont pas été en violation des droits de la défense particulièrement que les intéressés ont pu bénéficier de l’assistance d’un avocat (CEDH 27 octobre 2011, n° 25303/08, Procédures 2011 n° 368) .

Mais la voie la plus originale organisée par le règlement par rapports aux instruments classiques de droit international procédural est assurément l’exécution directe par la juridiction requérante.

Section 2 : L’exécution directe par la juridiction requérante.

C’est une innovation majeure qui permet à un juge d’instrumenter hors de son territoire, hors de son for, ce qui est possible dans l’ordre interne mais pas dans l’ordre international, pour des raisons de respect des souverainetés…

Certains pessimistes y voient une voie inutile dans la mesure où elle ne pourra fonctionner que sur une base consensuelle. Le juge requérant ne peut en effet pas exercer de moyens coercitifs sur un autre Etat que celui dont il relève. Il ne peut en particulier délivrer d’injonction sous astreinte contre un tiers… Il n’est même pas certain qu’il puisse comme en droit interne tirer toutes les conclusions d’un refus de collaboration à la mesure d’instruction, car ne s’agit-il pas là d’une forme de contrainte ?

D’ailleurs, le règlement lui-même prévoit que cette exécution directe se fait sous contrôle, ce qui est le signe de ce que toute idée de souveraineté n’est pas abandonnée… Ainsi la demande du juge requérant pour procéder directement à la mesure d’instruction dans l’Etat requis doit être transmise pour autorisation à l’autorité centrale de l’Etat du lieu d’exécution de la mesure, laquelle peut imposer le respect de certaines contraintes procédurales (respect du contradictoire, de la loyauté des preuves).

Notons au passage que la CJUE (cf. CJUE 17 février 2011 aff. C-283/09) vient de juger que l’obtention par une juridiction d’un Etat membre, de preuves dans un autre Etat membre, ne doit pas

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conduire à un allongement des procédures nationales. Signe que l’exigence de célérité s’applique aussi à ces procédures transfrontières…

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Chapitre 3 : La reconnaissance et l'exécution des jugements au sein de l’UE.

Dans l'ordre interne, pour qu'une décision soit exécutoire, c’est-à-dire pour qu’elle puisse faire l’objet d’une exécution forcée avec le concours de la force publique, elle doit d’une part être revêtue de la formule exécutoire, elle doit d’autre part, avoir été notifiée à l'adversaire, elle doit enfin être passée en force de chose jugée en vertu de l'article 501 cpc.

Le jugement passé en force de chose jugée est celui qui n'est plus susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution (article 500 cpc)... Ainsi, le pourvoi en cassation, la tierce opposition et le recours en révision en principe ne suspendent nullement l'exécution.

L'exécution du jugement ou d'un titre exécutoire se prescrit par 10 ans (L. 17.06. 2008).La formule exécutoire est apposée sur les jugements émanant du juge étatique français

car c’est un attribut de la souveraineté étatique. N’en bénéficient pas, en revanche, les sentences arbitrales et les jugements rendus par les Etats étrangers qui doivent pour l’obtenir faire l’objet d’une procédure d’exequatur qui est l’occasion d’un examen du contenu de la sentence ou de la décision étrangère et de sa conformité à l’ordre public, ainsi que de la manière dont elles ont été rendues (garanties procédurales, ordre public processuel). Ce droit de l’exequatur est essentiellement jurisprudentiel, les juges en ont défini à la fois l’objet et le régime. Précisé par l’arrêt Munzer, dans les années 60, puis par un arrêt du 20 février 2007 (Civ. 1, 20 février 2007, D. 2007 p. 1115), le contrôle de l’exequatur consiste à vérifier que le juge qui a tranché le litige ou rendu la décision était bien compétent pour le faire, à vérifier la conformité de la décision ou sentence à l’ordre public international substantiel et processuel ainsi que l’absence de fraude à la loi. Il n’autorise nullement une révision au fond de la décision étrangère (cf. Civ. 1, 24 janvier 2009, JCP 2009 II 10032).

Il faut toutefois mettre à part les jugements rendus par la CJUE et le TPI, que l’on ne peut plus tout à fait classer parmi les jugements étrangers, parce qu’ils échappent à tout contrôle juridictionnel national. Leurs décisions s’imposent d’emblée à toutes les autorités nationales : elles doivent revêtir la formule exécutoire pour permettre le recours à des mesures d’exécution, mais celles-ci leur est accordée sur simple formalité administrative.

Notons également que l’efficacité des jugements ne se limite pas à leur force exécutoire, elle renvoie à leur force obligatoire et à l’autorité de la chose jugée qui sont quant à elles attribuées tant à la sentence arbitrale qu’au jugement étranger hors de toute exequatur. 

La convention de Bruxelles de 1968 déjà s'intéressait déjà à la question de la reconnaissance et exécution des décisions, en matière civile et commerciale, au-delà du seul aspect de la compétence. Et tout naturellement, le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 entré en vigueur le 1° mars 2002, qui lui a succédé, aussi. Celui-ci est applicable aux actions intentées après son entrée en vigueur, et vaut pour les actions tant civiles que commerciales. Notons toutefois, que pour les décisions rendues en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des règles spéciales de reconnaissance et d’exequatur ont été posées par le règlement Bruxelles II du 27 novembre 2003, là encore, assouplies par rapport au droit commun de l’exequatur, qui présente ses lourdeurs et sa rigidité.

Mais plus spécialement, la nouvelle réglementation communautaire a mis en place un titre exécutoire européen, par un autre règlement du 21 avril 2004, qui permet à une décision qui a été certifiée comme titre exécutoire européen d’échapper aux procédures préalables de reconnaissance et d’exécution.

Cette suppression de l’exequatur a également été consacrée dans le règlement du 12 décembre 2006, créant une procédure d’injonction de payer, et par celui du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de traitement des petits litiges.

Le livre vert de la Commission du 21 avril 2009 envisage au demeurant sur le modèle de ces règlements la suppression de toutes les mesures intermédiaires nécessaires à la reconnaissance et à l’exécution des jugements au sein de l’UE. Pourtant cela n’est pas sans dangers car les garanties ne sont pas les mêmes au sein des différents Etats de l’UE, il faudra donc apporter certaines garanties.

Section 1: La reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale  : le règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I.

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Une reconnaissance et une exécution simplifiées par rapport au droit commun des décisions étrangères.

La libre circulation des décisions de justice passe par la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice rendues par un autre Etat membre, c’est notamment le principe consacré en matière civile et commerciale par le règlement du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I. Cela se traduit par rapport au droit commun de la reconnaissance des décisions étrangères par une simplification de la procédure d’exequatur : le juge qui y procède se contentant si la décision émane d’un Etat membre d’un contrôle faible sur la décision qu’on lui demande de revêtir de la formule exécutoire, en vertu d’un principe de confiance mutuelle.

Dans le cadre d’un jugement d’exequatur d’une décision rendue par une juridiction étrangère, la jurisprudence, au travers des arrêts Munzer et Bachir de 1964 et 1967, est venue préciser que le juge vérifie 1/ la compétence du juge étranger, la jurisprudence vérifie ainsi s’il existe entre le litige et le juge saisi un lien caractérisé, 2/ la compétence de la loi étrangère (avait-elle bien vocation à régir le litige en cause)3/ mais aussi, la conformité de la décision à l’ordre public international 4/ ainsi que l’absence de fraude à la loi.

Depuis quelques années le 2° contrôle a disparu comme le révélait encore un arrêt récent195

En plus, une simplification de la procédure visant à accorder la formule exécutoire est spécialement envisagée.

Dans le cadre d’un jugement d’exequatur d’une décision rendue par une juridiction étrangère la procédure est menée devant le TGI qui jouit en la matière d’une compétence exclusive et qui statue à juge unique. L’instance est introduite par voie d’assignation et obéit aux règles classiques de la procédure contentieuse contradictoire. La demande est limitée à ce seul objet de l’octroi de l’exequatur. Elle ne pourrait pas, par exemple, accorder un délai de grâce, car l’exequatur n’est qu’un préalable, destiné à faire rentrer la décision dans l’ordre juridique français, alors que le délai de grâce est déjà une mesure relative à l’exécution de l’obligation.

Le jugement est rendu en premier et dernier ressort, si la procédure n’excède pas 3 800 euros, et à charge d’appel, si son montant est supérieur ou égal à cette somme.

Il en ira différemment de la procédure pour les jugements rendus dans un Etat membre qui est simplifiée et par voie de conséquence accélérée. 

Le domaine de la procédure simplifiée de reconnaissance et d’exécution des décisions émanant des Etats membres de l’UE.

Les règles simplifiées du règlement s’appliquent dès lors que la décision a été rendue par la juridiction d’un autre Etat membre, que cette décision ait été rendue en vertu des principes de répartition de compétence entre les Etats membres prévues par ces conventions ou pas. Il pourrait même s’agir d’une décision purement interne.

Elle vaut pour toute décision quelle que soit la dénomination qui aurait pu lui être donnée. Elle vaut tant pour les décisions gracieuses que contentieuses.

En revanche cela exclut l’arbitrage et les sentences arbitrales.Cela inclut également les décisions prononçant des mesures provisoires ou conservatoires

(référé) en vertu de l’article 31 du règlement. Mais il faut en revanche que ces décisions aient été rendues de manière contradictoire ou à tout le moins si elles ont été rendues par défaut qu’elles sont destinées à être exécutées (par mesure d’efficacité) sans avoir été au préalable signifiées (cf. CJCE 21 mai 1980, Denilauer c. Couchet). L’atteinte à ce principe fondamental qu’est le respect du contradictoire justifie d’écarter ici le bénéfice de cette procédure simplifiée.

Et le règlement distingue la reconnaissance qui est la prise en compte de l’autorité de chose jugée de la décision rendue par un autre Etat qui empêchera par exemple de réintroduire une même procédure dans l’Etat requis, celui-ci se retranchant derrière l’autorité de chose jugée de la décision et

195 Civ. 1, 30 janvier 2013, n° 11-10.588, Une cour d'appel a exactement rappelé que, pour accorder l'exequatur en l'absence de convention internationale comme c'est le cas dans les relations entre la France et la Fédération de Russie, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude. Voir Civ. 1, 20 février 2007, 05-14082.

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l’exécution qui est la consécration de la force exécutoire et qui oblige alors l’Etat requis à prêter main forte à l’exécution effective de la décision rendue par les juridiction d’un autre Etat membre. La reconnaissance opère en principe de plein droit en vertu du principe de confiance mutuelle, en revanche une procédure très allégée par rapport au droit international s’applique si est en cause l’attribution de la force exécutoire.

Précisons enfin que cette possibilité de voir déclarer exécutoire dans un Etat membre appelé Etat requis un jugement rendu dans un autre Etat membre existe aussi pour les actes authentiques comme pour les transactions judiciaires, en vertu de l’article 57 et 58 du règlement. Ces actes là ne peuvent faire l’objet d’une procédure tendant à leur conférer force exécutoire, mais pas d’une procédure de reconnaissance.

Elle suppose seulement que la matière sur laquelle porte la décision relève du règlement soit la matière civile et commerciale. Si la décision est mixte, et entre seulement pour partie dans le champ du règlement, il est acquis que seule la partie de la décision entrant dans son champ d’application fera l’objet de la procédure de reconnaissance et d’exécution simplifiée du règlement.

La procédure se passe en deux temps et est de ce point de vue simplifiée par rapport à la convention de Bruxelles de 1968. Dans un premier temps une procédure sur requête – non contradictoire - qui se limite à un contrôle formel reconnaît le titre comme titre exécutoire, et ce n’est que dans un second temps, et notamment si cette formule exécutoire est contestée, qu’un véritable contrôle sur les motifs ou sur la contrariété de la convention ou de l’acte à l’ordre public est exercé.

§1 - Le cadre de la reconnaissance ou de la déclaration constatant la force exécutoire.

Il s’agit d’un contrôle réduit à son strict minimum. Le système a encore été assoupli puisque le contrôle ne porte plus dans un premier temps sur les motifs de la décision - comme sous l’empire de la convention de Bruxelles initiale - mais se limite seulement à un contrôle formel, sachant que les motifs pourront être examinés à l’occasion de l’instance de recours. En aucun cas la décision étrangère ne pourra faire l’objet d’une révision au fond (cf. art. 36 et 45-2 du règlement).

Pour les décisions communautaires, en revanche, le règlement se limite à un contrôle minimum de conformité à l’ordre public, ce qui constitue un contrôle minimum en-deçà duquel l’on ne peut pas descendre ; il faut entendre par là la conformité à l’ordre public international de l’Etat requis ce qui est plus restrictif que la notion d’ordre public en droit interne.

qu’il s’agisse de l’ordre public substantiel (article 34.1), mais la contrariété à l’ordre public substantiel renvoie à des hypothèses assez rares, il renvoie nous dit la CJUE à des «  cas exceptionnels ».... ou de l’ordre public processuel – se verrait ainsi refusée l’exequatur un jugement non motivé. L’ordre public processuel renvoie ainsi aux garanties du procès équitable, comme le souligne l’arrêt Krombach de la CJCE du 28 mars 2000,

rejoint l’impératif de respect des droits de la défense, l’exigence selon laquelle la force exécutoire ne peut-être accordée si l’acte introductif n’a pas été notifié en temps utiles au défendeur pour qu’il puisse préparer sa défense (art. 34 .2). Une décision qui y contreviendrait ne pourrait bénéficier de cette reconnaissance et du bénéfice de mesures d’exécution forcée dans l’Etat requis.

il faut également, et la règle renvoie à une certaine logique que la décision ne soit pas inconciliable avec une décision de l’ordre interne de l’Etat requis rendue entre les mêmes parties, dans un litige ayant un objet identique (art.34.3 et 34.4 du règlement) ou avec une décision remue antérieurement par un autre Etat membre ou par un Etat tiers. La jurisprudence récente de la CJUE est venue préciser que l’article 34 al. 4 et la notion de décisions inconciliables renvoie nécessairement à des décisions rendues par des juridictions d’Etats membres différents et non de celles relevant d’un seul Etat. En efet on sortirait alors du champ d’application de ces dispositions (cf. CJUE 26 sept. 2013 n° 345, Procédures 2013 n° 345)…

Mais l’efficacité du jugement n’est subordonnée à aucune autre condition ni la compétence internationale du juge, ni celle de la loi appliquée. Le principe de l’absence de contrôle de la compétence s’explique parce que le règlement contient des règles de compétence très précises

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qui ont a priori été respectées pour cette décision. Cela renvoie toujours à cette idée de confiance mutuelle. Une exception mérite toutefois d’être signalée. Si la compétence d’une juridiction est exclusive, en vertu du règlement, le non respect de cette compétence exclusive fera obstacle à cette reconnaissance et à l’exécution de cette décision.

§2 - Les voies de recours.

Là encore, la procédure et les voies de recours sont simplifiées par rapport à l’exequatur des décisions étrangères. L’article 33 du règlement dit même qu’il n’est nécessaire de recourir à aucune procédure, mais cela suppose toutefois pour cela une absence de contestation. Si une contestation survenait de la part de l’une ou l’autre des parties, elle ouvre la voie de recours et d’une procédure.

La procédure d’attribution de la force exécutoire se déroule donc en deux temps. 1. Une première étape non contradictoire d’attribution : la requête en reconnaissance ou en

déclaration constatant la force exécutoire.Le Tribunal compétent est désigné dans une annexe à la convention. En France comme pour

l’exequatur c’est le TGI qui a été choisi comme l’énonce les articles 509 - 2 et 509 - 3 du cpc. Le TGI compétent est celui du domicile de celui contre qui l’exécution est demandée. La compétence est ici attribuée au greffier en chef du TGI.

Cette requête doit être présentée en double exemplaire devant les tribunaux français en vertu de l’article 509-4 du cpc : elle doit comporter l’indication précise des pièces invoquées. Il convient notamment en vertu du règlement de produire une expédition de la décision garantissant son authenticité (cf. Civ. 1, 27 mars 2007). Il faut y joindre un certificat de la juridiction de l’Etat membre qui a rendu la décision. Et la délivrance sera quasi automatique au vu de ce certificat produit. 

L’autre partie n’est pour l’heure pas encore entendue….Et la décision est déclarée exécutoire dès l’achèvement des formalités prévues par l’article 53 du règlement.

Le juge peut toutefois surseoir à statuer si la décision rendue fait l’objet d’un recours ordinaire dans l’Etat membre qui l’a rendu, sans y être tenu.

Le refus de l’exécution à ce stade de la procédure ne pourra procéder que de motifs tirés d’une irrégularité formelle.

La décision qui constate la force exécutoire est signifiée ou notifiée au requérant qui devra la notifier à la partie adverse.

2. Une phase contradictoire, par l’instauration d’une voie de recours : le recours contre la décision rendue sur requête.

Ils peuvent émaner tant du demandeur qui n’a pas obtenu la force exécutoire que du défendeur. La procédure est donc à ce stade contradictoire et le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans l’Etat qui a rendu la décision l’obtiendra automatiquement dans l’Etat requis.

Les recours contre les décisions qui accueillent la requête sont portés devant la Cour d’appel tandis que ceux formés contre celles qui refusent la requête sont portées devant le président du TGI.

Il doit être formé dans le délai d’un mois à compter de la décision accordant ou refusant l’exécution forcée….ou deux mois si l’autre partie est domiciliée sur le territoire d’un autre Etat membre.

C’est à ce stade et à ce stade seulement que les motifs de non reconnaissance sont examinés (contrariété à l’ordre public, inconciliabilité des décisions).

Cette décision n’est elle-même susceptible que d’un pourvoi en cassation en France.La juridiction d’appel est tenue de statuer dans un bref délai.Ce découpage en deux phases accélère singulièrement le processus. Une décision récente est venu préciser ces recours et la notion de partie (CJUE 23 avril 2009,

JCP 2009 I 369 n° 44). Le règlement prévoit en effet que l’une ou l’autre des parties peut exercer un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire. Il en ressort qu’un créancier d’une des parties ne peut pas former un tel recours et ne peut être assimilé à une partie « s’il n’est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier a demandé cette force exécutoire ».

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§3 - Effets de la décision constatant la force exécutoire.

En pratique les procédures de constatation de caractère exécutoire sont beaucoup plus fréquentes que les demandes de reconnaissance. La demande de reconnaissance permet d’éviter parfois que le jugement soit contesté, de manière incidente, à l’occasion d’un autre litige, pendant dans l’Etat requis. La reconnaissance c’est l’intégration dans l’ordre juridique d’une décision rendue par un autre Etat membre, la consécration de son autorité de chose jugée interdisant par exemple que la même affaire ne soit resoumise aux juridictions. Elle justifie une exception de chose jugée, mais ne confère pas en soi force exécutoire.

Seule est organisée la procédure de déclaration reconnaissant la force exécutoire mais nullement les voies d’exécution en vue de parvenir à une exécution effective de la décision. Ces voies d’exécution quant à elles restent régies par le droit national

La déclaration de force exécutoire pourra suivant les cas être totale ou partielle, soit parce que le requérant en a fait spécialement la demande, soit parce que l’on est partiellement dans le champ de la convention….

On notera pour finir un projet de révision du règlement Bruxelles I cf. C. Nourissat Proc. 2009 repères n° 6. Celui-ci pourrait à terme supprimer tout ersatz d’exequatur, et le domaine d’application du règlement devrait être élargi.

Section 2: La reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et familiale : le règlement du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis.

Le domaine de cette seconde convention renvoie à la matière matrimoniale et familiale ou plus exactement à la responsabilité parentale, les règles n’étant pas exactement les mêmes dans ces deux domaines. Certaines dispositions traitent plus particulièrement du droit de visite ce qui rend les règles en la matière assez complexes.

(Cf. Civ. 1, 17 juin 2009, pourvoi n° 08-12456, D. 2010 p. 121)

A. Le principe est là encore celui de la reconnaissance sans qu’il soit nécessaire de recourir à une quelconque procédure,

notamment pour la mise à jour des actes de l’état civil d’un Etat membre sur le fondement d’une décision rendue dans un autre Etat membre.

Toute partie peut demander une décision de reconnaissance ou une décision de non reconnaissance. Mais les motifs de non reconnaissance sont limités.

Une décision rendue en matière matrimoniale n’est pas reconnue : si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat requis, mais la non

reconnaissance est interdite du seul fait que l’Etat requis ne permettrait pas le divorce, la séparation de corps ou l’annulation de son mariage sur la base de faits identiques. La crainte ici émanait des Etats les plus libéraux qui redoutaient que les décisions prises par leurs juridictions ne soient pas reconnues par les autres Etat membres, notamment en matière de divorce

si l’acte introductif n’a pas été notifié à l’autre partie en temps utiles et de telle manière qu’il puisse faire valoir sa défense.

si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’Etat membre requis – sans préciser si cette décision est antérieure ou postérieure - ou encore, si elle est inconciliable avec une décision antérieure rendue entre les mêmes parties dans un autre Etat membre ou un Etat tiers (cf. CJUE 23 décembre 2009, D. 2010 p. 1055 n. C. Brière).

En matière de responsabilité parentale les motifs de non reconnaissance sont analogues mais ils peuvent tenir à des objets un peu différents, et en particulier, au-delà de l’ordre public stricto sensu, est aussi pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. De même la non reconnaissance peut aussi tenir à ce que hors les cas d’urgence, le droit de l’enfant à être entendu par le tribunal n’ait pas été respecté. De même, la non reconnaissance peut aussi tenir à ce que la décision fait obstacle à l’exercice de la responsabilité parentale par une personne qui n’a pas eu la possibilité d’être entendue.

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La juridiction compétente est là encore le TGI, qui peut lui aussi surseoir à statuer si la décision en cause a fait l’objet de voies de recours.

B. La déclaration de la force exécutoire

intervient si la décision doit être mise à exécution parce qu’elle implique une obligation de faire (droit de visite) ou de ne pas faire, et la simple reconnaissance ne suffit pas alors. Là encore, la procédure est allégée.

La requête est présentée au Président du Tribunal ou à son délégué, conformément à l’article 509-2 cpc au Tribunal du domicile de la personne contre laquelle l’exécution est demandée. La traduction des documents peut être demandée si le tribunal l’exige, mais la liste de ces documents renvoie à ce qui était prévu par le règlement Bruxelles I.

La juridiction statue à bref délai sans que personne ne puisse formuler d’observation. Elles interviendront ultérieurement en cas de recours.

La requête peut être rejetée pour les motifs de non reconnaissance déjà évoqués et qui diffèrent entre les décisions rendues en matière de divorce ou de responsabilité parentale. Le contrôle de la compétence est là encore exclu.

Et la décision rejetant l’octroi de la force exécutoire doit nécessairement être motivée.

La force exécutoire des décisions relatives au droit de visite et au retour de l’enfant fait l’objet d’un régime particulier. Des dispositions particulières destinées à lutter contre l’enlèvement d’enfant ont en effet été mises en place.

1°/ S’agissant de la force exécutoire des décisions relatives au droit de visite s’il est accordé par une décision rendue dans un Etat membre, le droit de visite est reconnu et jouit de la force exécutoire dans un Etat membre sans qu’aucune déclaration lui reconnaissant force exécutoire soit requise et sans qu’il soit possible de s’opposer à sa reconnaissance, si la décision a été certifiée dans l’Etat membre d’origine. Et justement, c’est au stade de la certification que certaines garanties sont apportées.

La certification ne peut en effet être accordée que si :

l’acte introductif a été dûment signifié en temps utiles pour que l’intéressé défaillant puisse pourvoir à sa défense.

toutes les parties intéressées ont eu la possibilité d’être entendues.

L’enfant a eu la possibilité d’être entendu suivant que son âge et son degré de maturité le permet bien sûr….

En France, la requête aux fins de certification est adressée au juge qui a rendu la décision, ou homologué la convention.

2°/ S’agissant de la force exécutoire des décisions relatives au retour de l’enfant prises dans un Etat membre. Elle jouit, là encore, de la force exécutoire et de la pleine reconnaissance dans un autre Etat membre.

Le juge peut déclarer la décision exécutoire même si le droit national ne prévoit pas l’exécution de plein droit et en dépit d’un éventuel recours. Mais pour cela :

il faut que l’enfant ait eu la possibilité d’être entendu, sauf si son audition est jugée inappropriée à raison de son âge ou de son degré de maturité.

il faut que l’ensemble des parties ait eu la possibilité d’être entendu.

et que la décision ait été prise en tenant compte des motifs et des éléments de preuve sur la base desquels a été rendue la décision prise en application de l’article 13 de la Convention de La Haye.

Ce sont toujours les mêmes documents qui devront être produits et notamment le certificat que le juge d’origine délivre ici de sa propre initiative dans la langue de la décision. Mais le certificat

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s’accompagne d’une traduction pour permettre les mesures d’exécution plus aisées en vue d’assurer le retour de l’enfant en langue officielle de l’Etat d’exécution.

Si la décision de L'Etat membre compétent n'est pas assez précise, les juridictions de l'Etat membre d'exécution peuvent arrêter les modalités pratiques pour organiser l'exercice du droit de visite.

La direction des affaires civiles et du Sceau et la Direction de la protection judiciaire et de la jeunesse, et dans les autres Etats, les autorités centrales désignées communiquent les informations sur les législations et les procédures nationales par le biais du réseau.

Section 3 : Le titre exécutoire européen.

Le 21 avril 2004, un règlement a institué le titre exécutoire européen, supprimant pour les créances incontestées, les mesures intermédiaires qui étaient, jusque là, des conditions préalables à l'exécution d'une décision sur le territoire d'un autre Etat membre. Ainsi, une décision relative à une créance incontestée qui est certifiée comme titre exécutoire européen dans l'Etat membre d'origine, est reconnue et exécutée dans les autres Etats membres, sans qu'une procédure spéciale soit requise dans l'Etat membre d'exécution. Ce titre exécutoire européen consacre la suppression de l'exequatur. Il est entré en vigueur le 21 octobre 2005. Il est complété en France par les articles 509-1 à 509-7 cpc.

La réduction des mesures intermédiaires est déjà réalisée par les deux règlements de Bruxelles qui viennent d'être étudiés, mais avec le titre exécutoire européen une étape supplémentaire est franchie, il n'y a plus ni exequatur, ni procédure intermédiaire de déclaration de force exécutoire. Et l'objectif ultime de l'Union européenne est de parvenir à la suppression de toute procédure intermédiaire de déclaration de force exécutoire généralisée pour harmoniser le marché intérieur du procès. La perspective est même inversée par rapport aux processus de droit international classique puisque les contrôles sont opérés par le juge d’origine et non par celui de l’Etat d’accueil.

L'idée d'un tel titre exécutoire a été avancée dès 1992, par les huissiers et les premières propositions de la commission en ce sens ont été envisagées dès 2002, et son domaine a aussitôt été circonscrit aux créances incontestables dans leur nature et dans leur montant. Et pour ces créances incontestées, la décision certifiée comme TEE sera traitée, en matière d'exécution, comme si elle avait été rendue dans l'Etat dans lequel l'exécution a été demandée en se dispensant de l'assentiment des autorités judiciaires de ce deuxième Etat membre qui ne font que ralentir le processus et engendrer des frais supplémentaires. Cette certification est une formule d'authentification.

cf. E Jeuland le TEE un jalon perfectible GP 18 nov. 2003 p. 10 et 15 et Niboyet Dt et Pat nov. 2004 p. 59. Voir aussi C. Baker JCP 2003 I 137.

Le mécanisme mis en place par ce règlement à un caractère facultatif, le créancier peut préférer se placer sous l'empire des règlements de Bruxelles I et II. Ce n’est au fond qu’une option supplémentaire.

Il convient dès lors d'en envisager le domaine, les garanties minimales de procédure apportées, et les effets de celui-ci.

Titre exécutoire européen : premiers arrêts D. 2012 p. 20691° Lorsqu'une mesure d'exécution est engagée sur le fondement d'une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen, en application du règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004, portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, le débiteur est irrecevable à contester, devant le juge de l'exécution, les conditions dans lesquelles la décision étrangère lui avait été signifiée, avant d'être certifiée en tant que titre exécutoire européen. - Civ. 2e, 22 févr. 2012, n°

10-28.379, F-P+B (rejet) : D. 2012. 1464, note L. Maurin , et 1509, obs. A. Leborgne .

2° Ayant relevé qu'une décision passée en force de chose jugée d'une juridiction allemande avait an-nulé un mandat d'exécution européen et retenu que conformément à l'article 11 du règlement euro-péen n° 805/2004, le certificat de titre exécutoire européen ne produisait ses effets que dans la limite de la force exécutoire de la décision dont une cour d'appel allemande avait certifié qu'elle n'était plus

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exécutoire, de sorte que la saisie-attribution n'avait plus de fondement juridique, la cour d'appel a or-donné, à bon droit, la mainlevée de la saisie-attribution. - Civ. 2e, 6 janv. 2012, n° 10-23.518, F-P+B

(rejet) : D. 2012. 1509, obs. A. Leborgne .

Les deux arrêts commentés sont les premières décisions rendues par la Cour de cassation faisant appli-cation du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004, portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, entré en vigueur le 21 janvier 2005 et en

application le 21 octobre 2005 entre les Etats membres (21). Ce texte, qui s'inscrit dans le pro-gramme européen de mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle, ainsi qu'il est exposé dans ses considérants, vise à supprimer l'exequatur, pour les créances incontestées constatées par une décision judiciaire, une transaction ou un acte authentique. Ainsi que l'énonce l'article 1er, ce règlement a pour objet « de créer un titre exécutoire européen pour les créances incontestées en vue, grâce à l'établissement de normes minimales, d'assurer la libre circulation des décisions, des transactions ju-diciaires et des actes authentiques dans tous les Etats membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l'Etat membre d'exécution préalablement à la reconnaissance et à l'exécution ». Le mécanisme mis en place passe par la certification du titre, par l'Etat membre d'ori -gine, en tant que titre exécutoire européen, après vérification que des « normes minimales », destinées à garantir le respect des droits de la défense, ont été respectées (art. 12 à 19 du règlement). Le titre cer-tifié peut alors être exécuté dans un autre Etat membre, sans que le juge de l'exécution ait de vérifica -tion complémentaire à faire, par ce qui est parfois appelé un « effet d'assimilation » à une décision na-

tionale (22). Selon l'article 5 du règlement, intitulé « suppression de l'exequatur » : « Une décision qui a été certifiée en tant que titre exécutoire européen dans l'Etat membre d'origine est reconnue et exécutée dans les autres Etats membres, sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de contester sa reconnaissance ».

1° - Le premier pourvoi soumis à la deuxième chambre posait la question des pouvoirs du juge de l'exécution saisi d'une demande de mainlevée d'une mesure d'exécution engagée sur le fondement d'un titre exécutoire européen. Dans cette affaire, une société de droit italien avait obtenu d'un tribunal ita -lien une décision condamnant une société de droit français à une certaine somme, décision qui avait été certifiée en tant que titre exécutoire européen par le juge italien. Sur le fondement de ce titre, elle avait procédé à une saisie-attribution, en France, entre les mains d'un établissement de crédit, au préju-dice de la société de droit français, qui avait saisi un juge de l'exécution d'une demande de mainlevée de la mesure, en soutenant que la décision italienne ne constituait pas un titre exécutoire valable, en ce qu'elle ne lui avait pas été régulièrement signifiée et que les normes minimales du règlement n'avaient pas été respectées. La cour d'appel, après le juge de l'exécution, avait rejeté la demande de mainlevée, en retenant que l'article 5 du règlement prévoyait que le titre certifié était reconnu et exécuté sans qu'il soit possible de contester sa reconnaissance.

Un moyen unique était développé par l'auteur du pourvoi, qui invoquait, dans sa première branche(23), un manque de base légale au regard des articles 15 et 18 du règlement, qui concernent, pour le premier, la signification de la décision dont il est demandé la certification, pour le second, les « moyens de remédier au non-respect des normes minimales ». Il était reproché à la cour d'appel de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, « si le débiteur avait été dûment informé dans la déci-sion ou dans un document l'accompagnant des exigences de procédure relatives au recours, y compris les nom et adresse de l'institution auprès de laquelle le recours devait être formé ». Il était ainsi de-mandé à la Cour de cassation de juger que le juge de l'Etat d'exécution du titre certifié en tant que titre exécutoire devait procéder à des vérifications tenant au respect des normes minimales instituées par le règlement.

La Cour de cassation n'a pas suivi ce raisonnement et, approuvant la motivation de la cour d'appel, elle a jugé que celle-ci n'avait pas à procéder à des recherches (celles relatives aux conditions de significa-tion de la décision ultérieurement certifiée en tant que titre exécutoire), qui étaient sans incidence sur la solution du litige. Le moyen soutenait, en effet, une thèse directement contraire à la lettre du règle -ment et à l'intention des rédacteurs de celui-ci, qui conduirait, si elle était suivie, à mettre à néant l'effi-

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cacité du mécanisme mis en place par le texte européen. Son efficacité réside, en effet, dans le fait de confier à un seul juge, celui de l'Etat d'origine, la réalisation des contrôles de la légalité de la décision au regard du règlement et en particulier du respect des normes minimales instituées par le texte. Le juge du pays d'exécution n'a donc aucun pouvoir d'appréciation de la mise en oeuvre de ces normes. D'ailleurs, l'article 21.2 du règlement l'énonce clairement : « La décision ou sa certification en tant que titre exécutoire ne peut en aucun cas faire l'objet d'un réexamen au fond dans l'Etat membre d'exécution ». Or refuser le caractère exécutoire à un tel titre pour des motifs tirés du non-respect des normes minimales ne reviendrait-il pas à opérer un examen au fond des conditions de certification ?

Le règlement ne prévoit qu'une hypothèse dans laquelle ce juge peut, à certaines conditions, refuser l'exécution, celle dans laquelle il y aurait une incompatibilité entre le titre et une décision antérieure.

Il faut rappeler, cependant, que le débiteur n'est pas dépourvu de tout recours contre le titre certifié ou la certification elle-même, mais ces droits s'exercent devant la juridiction de l'Etat membre d'origine et non devant celle de l'Etat d'exécution. Ainsi, il peut solliciter la rectification du certificat en cas d'er-reur matérielle ou son retrait « s'il est clair que le certificat a été délivré indûment eu égard aux condi-tions prévues par le règlement » (art. 10 du Règl.). Il peut également mettre en oeuvre, contre la déci-sion certifiée en tant que titre exécutoire européen, les voies de recours minimales prévues par le rè -glement, sans préjudice de la possibilité pour les Etats membres de prévoir une possibilité de réexa -men de la décision dans des conditions plus favorables (art. 19.2 du Règl.). En cas d'exercice d'un re-cours, le juge de l'Etat d'exécution pourra, à la demande du débiteur, suspendre ou limiter l'exécution à une mesure conservatoire ou la subordonner à la constitution d'une sûreté (art. 23 du Règl.). L'issue du recours ne sera pas sans incidence sur la phase d'exécution du titre, comme en témoigne le second arrêt commenté.

2° - Dans cette seconde espèce, une personne avait procédé, en France, à une saisie-attribution sur le compte de son ex-époux et à une inscription d'hypothèque judiciaire sur un bien immobilier apparte -nant à celui-ci, sur le fondement d'une décision rendue par un tribunal de Stuttgart condamnant ce der-nier au paiement d'arriérés de pensions alimentaires, assortie de la force exécutoire le 6 octobre 2005, et certifiée en tant que titre exécutoire le 24 janvier 2006, par le même tribunal. La mainlevée de ces mesures était demandée par l'ex-mari, devant un juge de l'exécution, au motif que la décision certifiée n'était plus exécutoire.

La lecture de l'arrêt d'appel attaqué permet de comprendre que le débiteur avait formé opposition à la décision initiale (qui s'apparentait à une injonction de payer) et que la juridiction allemande saisie, qui avait dans un premier temps suspendu le caractère exécutoire de la décision, avait accueilli cette oppo-sition, rejeté la demande de l'ex-épouse en paiement d'un arriéré de pensions et annulé le « mandat d'exécution » délivré le 6 octobre 2005. L'appel formé devant la cour d'appel de Karlsruhe par l'ex-épouse contre cette décision avait été rejeté ainsi que l'opposition formée contre l'arrêt d'appel. Enfin, cette cour d'appel avait indiqué que la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen n'était plus exécutoire.

Or il résulte de l'article 6.1, a), du règlement que seules les décisions qui sont exécutoires dans l'Etat d'origine peuvent être certifiées en tant que titre exécutoire européen et le § 2 de cet article prévoit l'hypothèse où la décision a cessé d'être exécutoire. L'arrêt attaqué par le pourvoi, tirant les consé-quences des décisions judiciaires rendues en Allemagne, avait ordonné la mainlevée de la saisie-attri -bution, en se fondant sur l'article 6.2 du règlement et sur son article 11 qui prévoit que le certificat ne produit ses effets que dans les limites de la force exécutoire de la décision.

Le pourvoi, dans un premier moyen, soutenait que, pour produire un effet exécutoire dans l'Etat membre d'exécution, la décision attestant que celle qui avait été certifiée en tant que titre exécutoire européen avait perdu son caractère exécutoire, devait avoir été rendue par la juridiction d'origine, soit le tribunal de Stuttgart et non la cour d'appel de Karlsruhe. Une violation des articles 6 et 10 du règlement était invoquée. La deuxième chambre a rejeté la critique en approuvant l'application faite

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par la cour d'appel du texte européen et en retenant que la saisie-attribution n'avait plus de fondement juridique. Elle a ainsi rejeté une lecture littérale de l'article 6 qui se réfère à la « juridiction d'origine » seulement dans son deuxième paragraphe, et fait une application classique du mécanisme de la perte de fondement juridique, qui s'oppose à ce qu'un juge de l'exécution ou un créancier maintienne les effets d'une mesure d'exécution lorsque le titre exécutoire qui lui sert de fondement a été annulé<

§1 – Le champ d'application circonscrit du titre exécutoire européen.

Le champ d'application du titre exécutoire européen est pour l'heure circonscrit à certains actes, qui visent des créances incontestées et qui remplissent certaines conditions.

A - Les actes pouvant bénéficier de la certification.

Applicable depuis le 21 octobre 2005 le règlement s'applique- aux décisions de justice rendues par une juridiction quelle qu'elle soit, à condition qu’elles

soient exécutoires, et qu’elles aient été rendues par la juridiction compétente en vertu des règles communautaires, et qu’elle respecte à cet égard notamment les chefs de compétence exclusifs, faute de quoi elle ne pourrait être certifiée, et ce pour éviter d’avoir des titres exécutoires contradictoires…

- mais aussi aux transactions judiciaires approuvées par une juridiction (homologuées que l'on qualifie d'extra judiciaire) ou conclues devant une juridiction, ce que le règlement vise au travers de la notion de transaction judiciaire, renvoie une fois de plus à une notion autonome, mais pour être certifiée la transaction en question doit être exécutoire en vertu de l’article 24 du règlement dans l’Etat membre dans lequel elle a été approuvée et conclue,

- et aux actes authentiques dressés après son entrée en application, s’ils se rapportent là encore à une créance incontestée, parce que ce sont là aussi des actes exécutoires dans l’Etat dans lequel ils sont dressés.

L'arbitrage en est exclu.

En revanche on notera que le TEE s’applique que la situation en cause soit internationale ou pas, en revanche il n’a de pertinence et d’intérêt que si l’exécution en est demandée dans un autre Etat membre que l’Etat d’origine…

B - La notion de créance incontestée.

La créance incontestée, au sens du règlement, est la seule à pouvoir bénéficier de ce mécanisme de certification auprès de la juridiction d'origine, car la suppression des procédures intermédiaires de déclaration de force exécutoire ou d'exequatur s'accompagne de la disparition de certaines garanties procédurales. La créance incontestée au sens du règlement y est précisée. Ne sont pas visées les obligations de faire ou de ne pas faire, ni même les obligations de donner qui ne porteraient pas sur une somme d’argent.

Pour que la créance soit incontestée, il ne doit pas y avoir de contestation quant au montant ou à la nature de la créance.

Il faut que le débiteur ait expressément reconnu la créance, en l'acceptant ou en recourant à une transaction approuvée par une juridiction ou conclue devant elle à l'occasion d'une procédure judiciaire.

Ou, s'il s'agit d'un acte authentique, il faut que le débiteur y ait expressément reconnu la créance.

Si l'acte ou la décision est consécutif à une procédure judiciaire, le débiteur ne doit pas s'être opposé à la créance au cours de la procédure. Et si le débiteur n'a pas comparu à l'instance, son comportement doit s'assimiler à une reconnaissance tacite ce qui n’est pas toujours le cas.

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§2 - Les conditions de la certification.

1. La demande de certification peut être formulée à tout moment, auprès de l’Etat d’origine. La demande est adressée à la juridiction d’origine mais l’article 15 du décret du 22 mai 2008 (n°2008-484) en confie le traitement au greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision (art. 509-1 cpc), soit une autorité non juridictionnelle, alors que la certification suppose un contrôle qui est loin d’être purement formel et que certaines garanties minimales sont respectées. Elle peut même visée une décision frappée de recours…

Si c’est une transaction, la demande est adressée à la juridiction qui l’a homologuée

Et si c’est un acte authentique la certification depuis un décret du 2 mai 2010 relève du notaire qui l’a instrumenté et qui conserve la minute de l’acte reçu (art. 509-3 cpc).

2. La décision ne doit pas non plus être incompatible avec les règles du règlement Bruxelles I, en matière de compétence. Et l’autorité chargée de certifier procède à cette vérification.

3. La procédure judicaire, et c’est là la troisième condition, doit satisfaire à un certain nombre de normes minimales, applicables dans le cadre d’une créance incontestée :

a – l’acte introductif d’instance de la décision ou l’acte équivalent doit avoir été signifié ou notifié suivant des normes prévues par le règlement, et en particulier, l’adresse du débiteur doit être connue avec certitude. L’idée est de s’assurer que l’acte a été porté à la connaissance du débiteur, même si dans certains cas visés par le règlement cette connaissance est en partie présumée. Ainsi, le créancier doit avoir la preuve de la réception de cet acte introductif d’instance.

b – une information en bonne et due forme doit être donnée au débiteur sur la créance. Notamment l’acte introductif doit faire apparaître le nom et l’adresse des parties, le montant de la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ils sont exigés, ainsi que la cause de la demande.

c - Une information suffisante doit être donnée au débiteur sur la possibilité de contester la créance et sur les formalités à accomplir en ce sens, ainsi que les conséquences d’une absence d’objection.

d - Une décision ne peut être certifiée par l’Etat d’origine que si des normes minimales pour un réexamen de l’affaire sont prévues dans des cas exceptionnels.

Si certaines parties de la décision sont conformes seulement, un certificat partiel peut être délivré quant à la décision en cause pour ces parties du jugement.

La procédure de certification s’efforce de protéger a minima les intérêts du défendeur. C’est pourquoi, il est prévu des normes minimales de protection qui portent essentiellement sur l’acte introductif et sur les hypothèses de reconnaissance tacite de la créance, sachant que ces présomptions de reconnaissance sont énoncées assez largement dans les textes du règlement, comme on a pu le voir.

§3 – Les effets de la certification en tant que titre exécutoire européen.

Une fois la décision ou l’acte certifié en tant que titre exécutoire européen, par la juridiction du pays d’origine, le titre va pouvoir circuler librement sans aucun nouveau contrôle, il y a comme un effet d’assimilation de ce titre à l’ordre interne qui est traité par tous les Etats membres comme un titre ou une décision national, susceptible de faire l’objet de mesures d’exécution immédiates, dans n’importe quel territoire où le débiteur a des biens. En France, ces actes d’exécution relèvent du monopole des huissiers. Le titre exécutoire européen est exécutoire de plein droit.

Une décision récente souligne que la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen dans l’État d’origine est reconnue et exécutée dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance (Civ. 2e, 22 févr. 2012, F-P+B, n° 10-28.379), (cf. article 5 du règlement n° 805/2004 du parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004).

Le certificat de TEE ne produit ses effets que dans les limites de la force exécutoire de la décision.

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La délivrance d’un certificat de TEE n’est pas susceptible de recours.

- Aucun recours n’est ouvert contre le certificat de titre européen une fois celui-ci délivré, ni par l’autorité compétente de l’Etat d’origine ni même par l’Etat membre d’exécution. Tout au plus pourrait il y avoir retrait ou rectification du titre exécutoire européen s’il y a contradiction entre la décision d’origine et le certificat, ou pour le retrait si la certification a été donnée indûment…

- En France le refus de certifier peut faire l’objet lorsqu’il n’émane pas du juge d’un recours au Président du TGI lequel statue sur requête en premier et dernier ressort (art. 509-7 cpc), le requérant et l’autorité requise étant appelés. Mais sur ce point le règlement laissait aux Etats membre le loisir d’organiser ou non un recours.

En revanche les modalités concrètes d’exercice de ces saisies relèvent d’un principe de territorialité et sont dès lors soumises au régime juridique de l’Etat membre sur le territoire duquel la saisie ou la voie d’exécution est exercée. Aucune caution ou dépôt ne peut être exigée du créancier au motif qu’il serait ressortissant d’un Etat tiers ou qu’il ne serait pas domicilié dans l’Etat d’exécution.

C’est un pas décisif vers la libre circulation des jugements.

Pourtant, toute possibilité de recours devant le juge de l’exécution n’a pas été écartée.

Le règlement prévoit en particulier, qu’un réexamen de la décision peut être demandée si le défendeur prouve qu’il n’a pas été informé en temps utiles de l’acte introductif d’instance et n’a pu préparer sa défense, ou s’il prouve qu’il a été empêché de contester sa créance par suite de circonstances exceptionnelles (caractéristiques de la force majeure).

Il existe pourtant une hypothèse ouverte de refus d’exécution (article 21 du règlement), celle où le titre exécutoire européen est incompatible avec une décision rendue antérieurement dans un Etat membre.

- si la décision a été rendue entre les mêmes parties et porte sur le même objet et fondé sur la même cause, le même litige. Cela permet d’éviter l’exécution de décisions contradictoires,

- si la décision a été rendue par l’Etat d’exécution de la mesure, ou si, émanant d’un Etat tiers, elle remplit les conditions pour être reconnue et exécutée dans l’Etat d’exécution,

- et si l’incompatibilité n’a pas été invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l’Etat membre d’origine. Cette dernière condition tente d’éviter les manœuvres dilatoires. La demande de refus d’exécution doit nécessairement émaner du débiteur.

Conscients du risque que pourrait représenter une exécution automatique, les rédacteurs du texte ont prévu un garde fou, qui consiste pour le débiteur a pouvoir solliciter une suspension ou une limitation de la procédure d’exécution lorsque le débiteur a formé un recours contre la décision faisant l’objet du TEE, ou encore, s’il a demandé la rectification ou le retrait du TEE. Le règlement précise toutefois que le sursis ne doit être accordé que dans des « circonstances exceptionnelles » (article 21).

Sur ces recours et plus particulièrement sur le juge devant lequel ils sont portés, le texte du règlement relatif au TEE ne dit rien… Cela peut laisser perplexe tant il peut sembler contraire à l’exigence d’impartialité de faire réexaminer l’affaire par le même juge !

Certains se demandent si les recours en cascade ne risquent pas de rendre plus long le processus pour obtenir un TEE que celui pour obtenir la reconnaissance et l’exécution d’un jugement rendu par un autre Etat membre selon le processus classique applicable aux créances qui ne sont pas incontestées…

La Cour de cassation soulignait récemment que « conformément à l'article 11 du règlement (CE) 805/2004, le certificat de titre exécutoire européen ne produisait ses effets que dans la limite de la force exécutoire de la décision » et que la mainlevée de la saisie attribution était justifiée (Cass. 2e civ., 6 janv. 2012, n° 10-23.518 : JurisData n° 2012-000025).

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Malgré les espoirs qu’il suscitait, et quoique la mesure ait été largement attendue , le TEE peine à trouver ses marques dans le paysage du recouvrement des créances transfrontalières… Il est très peu utilisé en France, mais il semble l’être davantage en Belgique ou en Allemagne. Au demeurant, il pourrait être largement concurrencé par les toutes nouvelles procédures harmonisées de règlement des petits litiges et d’injonction de payer européenne qui aboutissent à conférer un titre exécutoire « exécutable » sur tout le territoire de l’UE. Voire par la réforme du règlement Bruxelles I, si elle voit le jour et si elle supprime effectivement tout ersatz d’exéquatur faisant alors perdre au TEE sa raison d’être.

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Chapitre 4 : Les procédures spécifiques harmonisées.Il existe désormais des procédures spécifiques harmonisées qui sont, pour l’heure, au

nombre de deux : la procédure d’injonction de payer et la procédure européenne pour la demande de faible importance. A chaque fois, la procédure instituée par la règlement est destinée à s’appliquer aux litiges transfrontaliers, pourtant certains déplorent que le champ d’application de ces procédures et les critères du litige transfrontalier ne soient pas mieux définis dans les textes (M. Lopez de Tejada et Louis D’avout, Les non-dits de la procédure européenne d’injonction de payer, Rev. Crit. De DIP 2007 p. 717).

Le processus supposera à chaque fois le respect de règles minimales procédurales. Mais ensuite, la reconnaissance et l’exécution pourront avoir lieu sans aucun contrôle de l’Etat.

Pourtant, au-delà de cette reconnaissance et exécution facilitée, d’ores et déjà possibles grâce au TEE et aux mécanismes simplifiés de reconnaissance et notification ; il y a là deux procédures harmonisées, deux instruments procéduraux communs ayant vocation à s’intégrer dans les divers droits nationaux….

- La première procède du règlement du 12 décembre 2006, entré en vigueur le 12 décembre 2008. L'introduction de ce type de procédure simplifiée harmonisée en injonction de payer, part du constat que les retards de paiement constituent l'une des principales causes d’insolvabilité et menacent partant la viabilité des PME, véritable vivier économique de l’Europe, provoquant aussi de nombreuses pertes d’emplois... Les Etats membres ont alors convenu qu’il était particulièrement utile de mettre en place une procédure communautaire, garantissant des conditions de recouvrement rapides et efficaces des créances pécuniaires incontestées, qui s'est inspirée de certaines procédures en vigueur dans les Etats membres, notamment en France. Cette procédure à l’étude depuis longtemps a tardé cependant à voir le jour, compte tenu des conceptions différentes que les Etats se faisaient du modèle de l’injonction (contrôle plus ou moins poussé de la créance de son bien fondé des preuves)196. Elle présentait néanmoins un intérêt économique évident, et ce parce que sécurisant le paiement elle facilite les échanges en toute confiance et c’est ce qui lui a sans doute permis de voir le jour.

- La seconde, en contrepoint de la première plutôt favorable aux créanciers, procède du règlement du 11 juillet 2007, du Parlement européen et du Conseil, institue une procédure européenne de règlement des petits litiges, entré en vigueur le 1° janvier 2009. Elle traduit une volonté de lever les obstacles actuels à l’obtention d’une décision rapide et peu coûteuse, en matière de règlement des petits litiges, recouvrant un enjeu financier moindre et justifiant partant une économie de moyens. Elle est davantage protectrice des intérêts du consommateur et indirectement sert de ce fait le jeu de la libre concurrence. En effet, l’inégale efficacité des procédures judiciaires, d’un pays à l’autre – et notamment l’inégale protection des consommateurs, plus directement concernés par ces procédures - est perçue comme un outil de distorsion de concurrence.

Mais au-delà de ces objectifs économiques clairement affichés, pour justifier l’intervention communautaire, l’analyse juridique des procédures mises en place traduit un mouvement européen favorable à la déjudiciarisation. Dans ces procédures, en effet, le passage devant le juge n’est pas un passage obligé et elles sont largement automatisées ce qui donne à cette justice un aspect plus désincarné, déshumanisé… Cela désengorge certes, les tribunaux, et cela facilité la dématérialisation des procédures, mais la logique judiciaire s’en trouve inversée l’imperium advenant avant la juridictio… Et ce n’est qu’au prix d’une volonté pugnace du débiteur désireux de combattre jusqu’au bout qu’on accède effectivement au juge et à un débat pleinement contradictoire. Cela est un peu paradoxal à l’heure où l’on proclame haut et for le droit au juge !

Pour l’entrée en vigueur des ces deux règlements, qui instituent pour la première fois, en droit interne, des procédures judiciaires harmonisées, un décret n° 2008-1346 du 17 décembre 2008197, relatif aux procédures d’injonction de payer (art. 1424-1 s. cpc) et au règlement des petits litiges (art. 1382 à 1391 cpc), a été adopté en France. En effet, si les règlements européens sont en

196 S. Amrani Mekki, Droit processuel de l’UE sous la direction de L. Cadiet, E. Jeuland et S. Amrani Mekki Lextenso 2011 n° 680 s.197 Procédures 2009 n° 82.

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principe autosuffisants, et d’application immédiate, ils peuvent appeler à prendre des mesures d’adaptation internes, pour faire le lien entre le cadre procédural communautaire et le cadre procédural interne, voire pour prendre parti sur des options qu’ils ouvrent parfois aux droits nationaux. En réalité la marge de manœuvre laissée aux Etats était en l’occurrence assez mince. Mais le choix du législateur d’intégrer ces dispositifs dans le CPC traduit la volonté de couler ces dispositions dans la procédure française et non d’en faire des règles à part.

On a pu au demeurant d’ores et déjà reprocher à ces mesures d’adaptation du décret leur caractère quelque peu elliptique.

Et il n’existe pas pour l’heure encore véritablement de jurisprudence pour éclairer ces textes qui restent parfois un peu obscurs.

Ajoutons juste avant de les examiner l’une l’autre qu’un projet de règlement est également examiné portant sur la création d’une ordonnance européenne de saisie conservatoire, en vue de faciliter le recouvrement des créances transfrontières, ce serait une nouvelle procédure uniforme, sachant que l’OESC pourrait être obtenue avant l’obtention d’un titre exécutoire si cela paraît nécessaire, en montrant que la créance semble bien fondée (cf. JCP 20111 I 1397 p. 2495), ou encore après l’obtention d’un titre exécutoire.… Ce serait la première procédure de droit processuel de l’exécution.

Section 1 : La procédure européenne d’injonction de payer

En droit français, il existe en effet depuis de nombreuses années, une procédure d’injonction de payer dont le domaine s’est élargi au fil du temps. En dépit d'un allègement évident du formalisme, la procédure civile et commerciale apparaissait encore trop lourde et top coûteuse lorsqu'il s'agit de recouvrer des sommes modiques. Les frais d'instance décourageaient de ce fait les créanciers de ces sommes, en favorisant les débiteurs de mauvaise foi. Pour remédier à ces inconvénients, et pallier les carences de l’Etat dans ce domaine, l'idée a été avancée de s'inspirer d'une procédure d'injonction, utilisée en Alsace Moselle, instituant pour les petites créances une procédure de recouvrement simplifiée, réforme accomplie par un décret-loi de 1937, d’abord en matière commerciale, puis en matière civile (en 1957). Il s’agissait ce faisant d’éviter une forme de déni de justice et de remplir de façon effective la fonction juridictionnelle assignée à l’Etat. Il s’agit d’une protection juridictionnelle subsidiaire, baptisée dans d’autres Etats protection monitoire, permettant un traitement définitif selon des formes accélérées et simplifiées des affaires portant sur une créance apparemment fondée (elle prend la forme d’injonction), tout comme il existe d’autre protection juridictionnelles subsidiaires telles que la justice du provisoire.

Subsidiaire parce que le rejet de la demande sur ce fondement n’interdit pas de réintroduire l’action selon les formes ordinaires, dans le cadre d’un examen approfondi et pleinement contradictoire… Cette forme simplifiée n’est au fond qu’une option supplémentaire, une alternative à une instance ordinaire qui reposerait sur un examen contradictoire plus approfondi et pleinement contradictoire, dans une instance classique qu’il reste possible d’engager à l’issue de la procédure d’injonction de payer également. Et cette seconde option est une forme d’incitation particulière du débiteur à s’exécuter ! Cette procédure plus rapide et plus souple est un atout pour le créancier mais elle permet aussi à l’Etat de traiter plus rapidement et plus efficacement avec une économie de moyens des litiges qui ne nécessitent pas forcément un examen judiciaire aussi approfondi.

Les textes français actuels sur la procédure d'injonction de payer figurent aux articles 1405 à 1425 du cpc. Ils sont désormais applicables devant les tribunaux d'instance (pour les créances supérieures à 4000 euros) et devant le juge de proximité (pour les créances inférieures à 4000 euros) au plan civil, mais aussi devant le président du Tribunal de commerce, pour les créances commerciales. Devant les Tribunaux de commerce, en effet, l'exigence de rapidité est un impératif de longue date pris en compte. C'est la nature de la créance qui orientera les plaideurs vers la juridiction civile ou commerciale, dans les limites de leurs compétences d’attribution respectives, mais dans l'une et l'autre cas les conditions de la procédure sont les mêmes.

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La procédure peut être employée, en droit français, lorsque la créance a un montant déterminé, et est d'origine contractuelle, ou résulte d'une obligation statutaire, et s'élève à un montant déterminé. Elle ne vaut pas dès lors pour les créances dont la source est délictuelle ou quasi délictuelle ou légale.

Cette procédure française a rencontré un vif succès puisqu'une étude réalisée en 1988 avait révélé que plus de ¾ des créanciers qui avaient saisi les tribunaux civils pour le recouvrement des impayés l'avaient fait par le biais de cette procédure simplifiée d'injonction de payer, l'avantage essentiel consistant ici à obtenir rapidement ( en moyenne en 2 mois) et de manière unilatérale par une procédure sur requête. La procédure française est dite documentaire en ce sens qu’il suppose un examen des pièces dès la première phase non contradictoire de la procédure et un contrôle juridictionnel restreint et succinct.

Le juge procédera donc par voie d'ordonnance sur requête pour délivrer une ordonnance d'injonction de payer contre laquelle le débiteur qui n'a pas pu faire valoir ses droits pourra former opposition. Cela reste une procédure juridictionnelle, où le juge procède à des vérifications, même si elles sont succinctes et où le systèe repose sur des preuves classiques vérifiées par le juge. L'ordonnance d'injonction de payer conférera un titre exécutoire leur permettant d'exercer une saisie.

Si la demande est rejetée : il reste possible de saisir les juridictions compétentes, par les voies ordinaires, dans le respect plus immédiat du contradictoire (article 1409 cpc).

Si la demande est accueillie il reste possible pour le débiteur défendeur de former opposition devant le Tribunal qui l'a rendue, dans le délai d'un mois. C'est une phase de la procédure qui réintroduit le contradictoire plus qu'une véritable voie de recours, d'ailleurs elle est exercée devant le juge qui l'a rendue. Le jugement du Tribunal rendu contradictoirement se substituera à l'ordonnance. Et si l’opposition est fondée, l’ordonnance d’injonction sera de plano considérée comme non avenue.

Si aucune opposition n'est formée dans le délai l'ordonnance est revêtue de la formule exécutoire. L'ordonnance produit alors tous les effets d'un jugement exécutoire, elle est dotée de l'autorité de chose jugée. Elle n'est pas susceptible d'appel, la décision étant ici rendue en dernier ressort, mais elle pourra donner lieu à un pourvoi en cassation.

Contrairement à d’autres ordonnances sur requête elle n’a donc pas exactement une autorité de la chose jugée provisoire mais plutôt comme l’énonce Cécile Chainais une autorité de la chose jugée conditionnelle : elle est vouée à acquérir autorité de la chose jugée au principal en l’absence d’opposition. Elle devient exécutoire après signification à l’autre partie et apposition de la formule exécutoire. En revanche, l’ordonnance d’injonction de payer ne constitue pas une véritable décision de justice et n’a aucune autorité si une opposition est formée…

Cette procédure arrive en tête des procédures sur saisine simplifiée devant le TI.

La procédure française suppose toutefois que le débiteur de l'obligation possède en France un domicile ou une résidence connue. Et sauf en matière de copropriété où l'attraction de la compétence du lieu de situation de l'immeuble prévaut, la compétence du tribunal du domicile du défendeur est ici exclusive afin de protéger au mieux les intérêts du défendeur. C'est une compétence exclusive renforcée toute clause contraire serait réputée non écrite.

Cette procédure française a bien sûr inspiré la procédure européenne, mise en œuvre par le règlement du 12 décembre 2006 et transposée aux articles 1424-1 à 1424-15 cpc, et le rappel des caractéristiques de la procédure française permet de mesurer l'originalité de la procédure européenne. Le domaine limité de cette procédure française, notamment dans le contexte de litiges intracommunautaire, si le débiteur n'a pas de résidence en France conduit à s'interroger sur la nouvelle procédure européenne, sur son domaine propre (§1) et sur les conditions dans lesquelles cette procédure s'exerce (§2) ainsi que sur ses effets (§3). Toutefois l’étude plus précise de la procédure européenne révèlera des différences profondes d’inspiration des deux procédures l’une ayant un caractère juridictionnel plus marqué que l’autre. La procédure européenne s’est en effet inspirée du modèle allemand et autrichien, largement administratif et le rôle du juge, plus en retrait évoque plus

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directement ses fonctions d’administration judiciaire : le choix a été fait d’un modèle sans preuve et sans véritable contrôle juridictionnel initial. La procédure française est donc plus protectrice des droits du justiciable compte tenu du rôle plus marqué du juge et du contradictoire et de l’examen plus approfondi des preuves. La procédure européenne qui est plus simple à mettre en œuvre et qui repose largement sur des formulaires se veut plus rapide. Si l’esprit général est le même, les modalités sont différentes… Et la plus grande souplesse de la procédure européenne risque d’inciter le plaideur s’il a le choix, à emprunter la procédure européenne simplifiée plus souple.

Il convient au demeurant de préciser que le règlement reconnaît directement que toute question procédurale qui ne serait pas envisagée par le règlement relève du droit national, ce qui rend encore plus utile la confrontation des deux types de procédure.

§1 - Le domaine spécifique d’application de cette procédure.

1°/ La procédure instituée par le règlement est destinée à s’appliquer aux litiges transfrontaliers. Le projet initial prévoyait que les litiges internes puissent en relever, mais ce n'est pas la solution qui a été retenue dans la dernière version du règlement. Le litige est transfrontalier à partir du moment où l'une des parties au moins a son domicile ou sa résidence habituelle dans un Etat membre198 autre que celui de la juridiction saisie et ce, au jour où elle est saisie. La nature transfrontalière du litige s'apprécie au moment de l'introduction de la demande d'injonction de payer européenne.

La procédure sera au contraire écarter si les deux parties résident dans le même Etat membre quand bien même les biens du débiteur seraient disséminés dans plusieurs Etats, ce qui donne alors au litige une dimension internationale, au stade de l’exécution, sans qu’il s’agisse d’un litige transfrontalier au sens de ce texte…

Cela laisse donc cohabiter une procédure interne d’injonction de payer que les Etats établissent souverainement et une procédure communautaire avec peut être des états d’esprit un peu différents.

2° / Elle vise plus particulièrement la matière civile et commerciale quelle que soit la nature de la juridiction en cause (art. 2 du règlement). De ce point de vue, elle rejoint la procédure française.

En revanche, elle est exclue - dans les matières fiscales douanières et administratives- en matière de régime matrimoniaux, de testaments et de successions- en matière de faillite de concordats et autres procédures analogues-en matière de sécurité sociale.

Par ailleurs, les obligations non contractuelles relèvent de dispositions particulières. Elles sont exclues, sauf à ce qu’elles trouvent leur origine dans un accord des parties (une transaction), ou sauf à ce qu’il y ait eu reconnaissance de dette, ou encore sauf à ce qu’elles concernent des dettes liquides découlant de la propriété conjointe d’un bien (art. 2 règlt). De ce point de vue aussi, la procédure communautaire rejoint la procédure française.

Il ne semble pas que la procédure d’injonction de payer puisse être utilisée pour obtenir l’exécution d’une sentence arbitrale car ce serait contourner la procédure d’exequatur…

3° / Elle ne concerne que les créances pécuniaires liquides et exigibles et ce, à la date à laquelle la demande d’injonction de payer européenne est introduite. Cela suppose donc que la créance soit chiffrée lors de l'introduction de la demande d'injonction et échue (art. 4 règlt).

Le juge compétent sera déterminé en fonction des règles du droit communautaire (règlement Bruxelles I, en particulier) ; et si la créance se rapporte à un contrat conclu par une personne qualifiée de consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, et que ce consommateur est défendeur, la compétence appartient au seul Tribunal du lieu où est situé ce domicile en vertu du règlement Bruxelles I. De ce point de vue, la procédure européenne n'apporte pas les mêmes garanties que la procédure française, avec la

198 Sauf Danemark…

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compétence exclusive impérative destinée à protéger les intérêts du débiteur. Mais contrairement à la procédure française d’injonction de payer – sauf en matière de consommation, – le Tribunal compétent ne sera pas toujours celui du domicile du défendeur. Les aléas du procès international seront donc subis par le défendeur…

En France le juge compétent pour les procédures d’injonction de payer européenne sera en fonction du montant des demandes le TI ou les Tribuanux de commerce pour les créances commerciales, cela peut aussi être le Conseil de Prud’hommes ou le TGI ce que précise la loi du 13 décembre 2011 n° 2011-1862 de répartition du contentieux et d’allègement des procédures. Au plan interne au contraire les procédures d’injonction de payer nationales relèvent du TI et des Tribunaux de commerce pour les créances commerciales.

Signalons également qu’une option est laissée au demandeur lequel peut préférer se placer sous l’empire des textes internes, ainsi les législations nationales et communautaires sont directement mises en compétition. Il est aussi possible de préférer recourir au TEE ou aux procédures applicables aux petits litiges… Ce qui ouvre un large éventail de choix

§2 – Les modalités de cette procédure

La procédure a ceci de spécifique que le règlement n’impose pas la compétence d’une juridiction, au moins dans la 1° phase. Ce n’est qu’au stade de l’opposition que l’intervention d’un organe juridictionnel est requis, et à ce second stade le juge compétent est alors désigné non pas selon les règles du droit interne mais selon les règles de répartition des compétences harmonisées communautaires telles qu’issues du règlement 44/2001. D’ailleurs dans plusieurs Etats membre ce sont les greffiers (Autriche) ou bien un service du recouvrement (Suède) qui assument cette première phase. Et en France le débat a été relancé au moment du rapport Guinchard pour confier cela soit au greffe soit au juge de proximité ce qui serait une manière polie de le mettre sur la touche ! Pour l’heure ce sont les juges qui l’assument (selon la nature de la créance juges des Tribunaux de commerce, des Tribunaux d’instance et de Grande instance ou juge de proximité, en prenant en compte pour ces derniers le montant de la créance, alors qu’elle est réservée au juge d’instance au plan interne).

1°/ Dans un premier temps, la demande doit être contenue dans un formulaire dont le modèle est placé en annexe du règlement et qu’il suffit de renseigner. Ce formulaire permet notamment d’identifier les parties, et il doit, en particulier, contenir les motifs de l’action et décrire le fondement de la créance (motif = paiement d’une créance par ex issue du contrat de vente, PS)… Cela garantit une bonne circulation des actes indépendamment de la langue utilisée ( un justiciable français peut facilement se procurer le formulaire dans une autre langue de l’UE grâce que portail Europa). Cela favorise aussi une certaine dématérialisation des procédures, les formulaires faisant dans un premier temps l’objet d’un traitement automatisé pour mieux vérifier qu’ils sont complets…

Le demandeur n’a pas à proprement parler à démontrer le bien fondé de sa créance, c’est un système qui a pu être qualifié de manière un peu approximative « sans preuve »… Il se contente de décrire les éléments de preuve étayant sa créance, c’est-à-dire justifier sur quoi repose cette créance (art. 7 règlt)… Le but est simplement ici de pouvoir écarter des demandes visiblement fantaisistes, ou totalement infondées. La procédure ne repose pas sur une système de preuve comme la procédure française et même l’espace dévolu pour exposer les motifs est restreint sur le formulaire, ce qui ne permet pas de le développer.

Le décret français a opté pour la transmission du formulaire par voie postale au greffe de la juridiction (article 1424-2 cpc).

Le formulaire invite à chiffrer la demande en principal mais aussi les intérêts dus, c’est-à-dire à la fois le taux d’intérêt et la période pour laquelle ils sont dus.

La demande doit également faire apparaître le caractère transfrontalier du litige ainsi que les chefs de compétence.

La signature du requérant peut être manuelle ou électronique…

La représentation des parties par un avocat n’est pas obligatoire dans ce type de procédure (art. 24 règlt).

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La procédure a dans un premier temps une tournure très formaliste et sans production de preuve le contrôle est nécessairement lacunaire et artificiel. Et on peut alors s’interroger sur le véritable caractère juridictionnel de l’injonction de payer compte tenu de ces considérations… Elle est largement automatisée et écrite ce qui est conçu comme un gain de temps et une économie de moyen…

On comprend mieux alors que le contrôle à ce stade ne soit plus toujours confié à un juge !Il vient d’être précisé que le règlement énumère de manière exhaustive les conditions que doit

remplir une demande d'injonction de payer européenne. CJUE, 1re ch., 13 déc. 2012, aff. C-215/11, Iwona Szyrocka : JurisData n° 2012-032789. La solution n’allait pas de soi car sur d’autres plan le renvoi aux droit national et l’autonomie des Etats membres est plus grande en matière d’injonction de payer européenne. Pour le reste et comme en dispose l'article 25 du règlement, l'autonomie procédu-rale des États membres retrouve son empire dans la mesure où – et la formule est connue – « les moda-lités [nationales] ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit de l'Union (principe d'effectivité) ». Cele renvoie au principe de non discrimination… Cela révèle aussi que les textes du droit communautaire malgré l’affirmation de départ ne sont pas autosuffisants ou pas toujours com-plets…

2°/ Dans un deuxième temps, le Tribunal vérifie dans les meilleurs délais que les conditions requises par le règlement sont bien réunies. Si tel n’était pas le cas il pourrait éventuellement inviter le demandeur à compléter sa demande, voire rejeter la requête ou n’accorder qu’une injonction partielle.

La France dans le décret d’application a pris le parti de faire intervenir le juge lui-même et non un simple greffier comme les textes compréhensifs du règlement semblent l’admettre, ce qui est une garantie supplémentaire.

Aucun recours n’est recevable contre la décision de rejet de la requête, comme en France, le justiciable pouvant toujours engager une procédure ordinaire civile ou commerciale pour réclamer son dû.

Il apparaît que la procédure n’organise aucun contrôle de pertinence de la créance contrairement à ce que prévoit le système français ce qui peut paraître pour le moins surprenant…

2°/ Dans un troisième temps, le Tribunal délivre l’injonction si les conditions prévues à l’article 8 du règlement sont réunies, au moyen d’un formulaire type.

Cette injonction délivrée dans les meilleurs délais, s’il y a décision d’admission, précise que le défendeur peut soit verser au créancier demandeur les sommes indiquées, soit former opposition contre l’injonction de payer… Il y est précisé que l’injonction a été délivrée sur la base des seules informations fournies par le demandeur créancier et non vérifiées par le Tribunal, il est précisé qu’elle ne deviendra exécutoire qu’en l’absence d’opposition.

L’injonction ainsi délivrée peut être seulement partielle, mais le texte du décret français souligne qu’il faut alors que le demandeur ait accepté la proposition en ce sens qui lui en a été faite par la juridiction (article 1424-3 cpc).

Elle devra impérativement être notifiée sans quoi elle n’est rien et ce dans le respect des règles européennes en matière de notification précédemment décrites. C’est en effet ce qui garantit un minimum de respect du contradictoire dans une procédure qui ne l’est pas franchement pour l’heure et c’est ce qui permet effectivement l’opposition. Les règles de notifications sont cependant jugées insuffisantes compte tenu de leur portée particulière ici parce qu’elles n’assurent pas la délivrance effective à personne. En France pour tenir compte de ces objections c’est la signification par voie d’huissier qui a été retenue à l’article 1424-5 cpc. (coût approximatif 80 euros, mais cela garantit que l’injonction est notifiée à personne).

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§3 – L’exécution de la décision.

* Si le défendeur ne forme par opposition dans un délai de trente jours à compter de la signification ou notification de l’injonction de payer… La juridiction rend l’injonction de payer exécutoire sans tarder, au moyen d’un formulaire type…

L’effet de cette injonction de payer est considérable puisqu’elle vaut titre exécutoire européen et qu’elle est dispensée de toute exequatur. Elle est donc immédiatement exécutoire sur le territoire de chacun des Etats membres (sauf le Danemark qui a refusé de participer à la coopération judiciaire).

L’exécution forcée sur le territoire d’un autre Etat membre ne pourra être refusée que si l’injonction est contraire ou incompatible avec une décision rendue dans un autre Etat membre ou un pays tiers (art. 22) dès lors que la décision antérieure a été rendue entre les mêmes parties, et procède de la même cause.

De la même manière une demande de réexamen tiendrait en échec l’exécution forcée. Il en irait de même si la créance avait déjà entre temps été acquittée !

* Au contraire, si le défendeur forme, là encore, à l’aide d’un formulaire type qui lui est adressé avec l’injonction, une opposition à celle-ci dans le délai de 30 jours, il doit indiquer dans sa déclaration qu’il conteste la créance, sans avoir à indiquer précisément les motifs de cette contestation (ce qui est le pendant de l’absence de justification donnée par le créancier en début de procédure…).

La procédure en cas d’opposition se poursuit alors selon les voies ordinaires. Et l’article 1424-10 du cpc issu du décret de 2008 prévoit alors que les parties sont convoquées à l’audience par LRAR. Le jugement du Tribunal tranchant l’opposition se substituerait alors à l’ordonnance d’injonction de payer (article 1424-12 du cpc), il sera susceptible d’appel s’il excède le taux de compétence en dernier ressort de 4000 euros.

Ainsi alors que le créancier croyait partir sur le schéma d’une procédure simple et rapide il se trouve embarqué dans une procédure ordinaire avec ses lenteurs…

Si aucune des parties ne se présentait à l’audience relative à l’opposition l’article 1424-11 du cpc prévoit alors que cette instance serait réputée éteinte. Cela rendrait non avenue l’injonction de payer intervenue.

* Cependant afin de garantir pleinement le respect des droits de la défense, il est également prévu par le texte européen qu’un réexamen de l’ordonnance prononçant l’injonction de payer pourra avoir lieu dans un certain nombre de cas exceptionnels,

- lorsque le défendeur n’a pas formé opposition dans les délais, si la notification a eu lieu selon un mode qui ne garantit pas sa réception effective par le destinataire, et qu’elle n’est pas intervenue en temps utiles pour qu’il puisse exercer sa défense, sans qu’il y ait eu de faute de sa part.

- Il en va aussi ainsi lorsque le défendeur n’a pas pu contester sa créance pour cause de force majeure, ou en raison de circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait eu de faute de sa part

- Un réexamen serait également possible s’il apparaissait que l’injonction a clairement été délivrée à tort… Ce qui est plus protecteur des droits de la défense et permet de déjouer d’éventuelles fraudes du demandeur.

Lorsque le réexamen de la décision est sollicité, il est prévu que le défendeur qui a demandé ce réexamen était en mesure de solliciter soit la suspension, soit la limitation de la procédure d’exécution.

Le réexamen peut aboutir à l’annulation de l’injonction.

Le décret français prévoit que le réexamen de la décision dans ses hypothèses se fait dans les mêmes conditions et selon la même procédure que l’opposition (article 1424-15 du cpc).

Il subsiste encore de nombreuses zones d’ombre sur les conditions d’exercice de ces différents recours. Et, même si des garanties supplémentaires ont été apportées l’on peut considérer

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que la protection des droits de la défense est moins forte dans cette procédure européenne que dans la procédure française…

Ce règlement met en place les conditions de passage vers une dématérialisation du procès, une déjudiciarisation… avec une intervention du juge seulement dans un second temps en cas de contestation. Mais est-ce qu’alors la contestation ne risque pas de devenir systématique, et alors il n’y a pas de gain de temps…

Est-ce que ne s’ouvre pas de ce Cyril Nourirssat appelle « l’ère de la procédure des formulaires, hors de tout contrôle judiciaire » qui ne va pas sans susciter certaines inquiétudes et qui accroit la tâche matérielle des greffes ! Il y aurait comme une sorte de contentieux inversé avec l’impérium avant la jurisdictio. Le juge délivre une injonction (de payer) avant que la procédure ne soit menée.

Signalons aussi que l’unification n’est pas forcément totale dans la mesure où un large renvoi est opéré aux dispositions nationales pour ce qui n’est pas réglé par le règlement. En revanche la jurisprudence en a tempéré les effets en soulignant récemment que les conditions de la demande étaient énumérées de façon exhaustive à l’article 7 (arrêt de la CJUE précité du 13 décembre 2012). Le même arrêt révèle pourtant que le règlement n’étant pas assez précis pour ce qui concerne le montant des intérêts on est conduit à se reporter au droit national…

Notons que le règlement relatif à l’injonction de payer ne prévoit aucune limite au montant de la créance et table davantage sur l’absence de contestation. Toute autre est dès lors l’inspiration du règlement instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, même si dans leurs modalités et la procédure mise en place les procédures adoptées l’une et l’autre quasiment en même temps se ressemblent.

Serait-ce l’aboutissement d’une harmonisation indirecte ou du constat de la mécanisation du contentieux de l’injonction de payer mais le rapport Delmas Goyon (proposition n° 47) remis en déc. 2013 à la Chancellerie préconise d’en transmettre l’examen à un greffier juridictionnel, s’inspirant sans doute de modèles étrangers, en vue de recentrer le juge sur ses missions essentielles.

Section 2 : La procédure européenne pour les petits litiges.

La France, contrairement à d’autres pays voisins, comme l’Irlande la Suède et le Royaume-Uni, n’a pas de procédure spécifique pour les créances de faible montant… C’est donc sous l’influence de ce qui existe ailleurs qu’une telle procédure a pu être instituée en droit français. En France pour être plus précise il existe une seule forme procédurale simplifiée en matière de petits litiges qui est celle de l’injonction de faire instituée en 1988 (art. 1425-1 à 1425-9 cpc), sur le modèle de la procédure d’injonction de payer pour un mon tant qui n’excède pas 10 000 euros, mais son esprit est un peu différent. Cette procédure d’injonction de faire est au demeurant peu utilisée puisqu’elle entre en concurrence avec la procédure de référé, exploitable également pour obtenir l’exécution forcée des obligations de faire. Elle ne permet pas directement d’obtenir un titre exécutoire.

Le règlement du 11 juillet 2007 du Parlement européen et du Conseil, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, entré en vigueur le 1° janvier 2009 devrait être particulièrement utile pour les consommateurs, même s’il ne leur est pas réservé. Il s’agit ici d’accélérer et de réduire le coût des procédures pour ces petits litiges, en permettant, notamment au consommateur, d’obtenir rapidement un titre exécutoire, en supprimant les mesures intermédiaires, qui ralentissement la résolution des litiges intracommunautaires.

Les autorités communautaires ont en effet considéré en ce domaine que l’inégale efficacité des outils procéduraux mis à la disposition des créanciers, au sein de l’Union européenne, consacrait une distorsion de concurrence…

La procédure européenne de règlement des petits litiges, comme celle d’injonction de payer, se voulait au départ optionnelle et s’ajoutait aux instruments nationaux, l’on arguait alors de ce que la limiter aux litiges transfrontaliers serait contreproductif et contraire à l’objectif d’un espace judiciaire européen unique et cohérent. C’est pourtant la voie choisie dans la dernière version du texte : celui-ci ayant réservé cette procédure aux litiges transnationaux. Et comme il n’existe pas de procédure nationale française pour les petits litiges c’est certainement un outil procédural supplémentaire.

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Comme pour le règlement relatif à l’injonction de payer européenne, l’objectif est ici de supprimer les mesures intermédiaires pour la reconnaissance et l’exécution des jugements en mettant en place une procédure harmonisée qui offre les mêmes garanties sur tout le territoire européen.

De même, comme dans l’hypothèse de l’injonction de payer est ici créé un droit procédural directement applicable dans les Etats membres, ce qui marque une étape supplémentaire dans la construction communautaire du point de vue de la procédure civile.

En France, le Décret n° 2008-1346 du 17 décembre 2008 relatif aux procédures d’injonction de payer de règlement des petits litiges a permis l’intégration de cette procédure à notre ordre juridique. Cette procédure est donc désormais envisagée aux articles 1382 s. cpc. dans la partie relative aux obligations et aux contrats.

Une vaste consultation a été lancée auprès des Etats par la commission européenne en vue de moderniser cette procédure de la réviser.

§1 - Le domaine spécifique d’application de cette procédure.

Alors que le règlement relatif à l’injonction de payer ne prévoit aucune limite au montant de la créance et table davantage sur l’absence de contestation. Toute autre est dès lors l’inspiration du règlement instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, qui ne vise que les créances d’un montant inférieur à 2000 euros, hors frais et dépens, et hors intérêts. Ce montant est apprécié au moment où la procédure est engagée (art. 2.1 règlt).

Son originalité vient aussi de ce que ce règlement contrairement au premier intègre dans son champ d’application des créances non pécuniaires.

Pour le reste, il vise les litiges en matière civile et commerciale, comme le précédent, sachant qu’en pratique les consommateurs devraient fréquemment y avoir recours. Sont exclus, en revanche, le droit de la famille et des obligations alimentaires, les atteintes aux droits personnels et à la vie privée, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, le droit du travail et le droit des baux d’immeubles ainsi que le droit des faillites et de l’arbitrage.

Il faut également que le litige soit transfrontalier, et la juridiction compétente sera désignée conformément aux règles applicables aux litiges transfrontaliers en vertu du droit communautaire.

§2 – Les modalités de cette procédure

La simplification et l’accélération de la procédure se font comme dans le règlement précédent par l’utilisation de formulaires-types, que le demandeur remplit sans avoir nécessairement l’assistance d’un avocat – formulaire disponible sur Europa - , et par une procédure écrite. Il est rempli dans la langue du pays auquel la demande est adressée.

L’utilisation des moyens modernes de communication y est directement envisagée puisque le formulaire peut être directement adressé à la juridiction par voie électronique, ou plus classiquement par voie postale.

Le souci de respect du contradictoire transparaît également, même si les garanties semblent moindres que dans notre droit interne actuel.

1°/ Dans un premier temps, la procédure est engagée en remplissant un formulaire-type de demande et en y joignant les documents complémentaires utiles, listés au règlement. Le tout est adressé à la juridiction compétente par tous moyens de communication (poste télécopie courriel…) admis par le pays dans lequel la procédure est engagée (article 4.1). Le décret français a opté pour la transmission du formulaire par voie postale au greffe de la juridiction (article 1382 cpc).

La juridiction est réputée saisie dès que le formulaire est enregistré auprès d’elle (article 3. 4).S’il s’avérait que la demande ne relevait pas de la procédure européenne mais du droit

national, elle sera alors examinée selon le droit national applicable (art. 4.3)… C’est le principe que posait le règlement et qui est actuellement repris à l’article 1384 cpc issu du décret du 17 décembre 2008. Il faudra alors respecter les contraintes propres à la citation en justice et à sa signification et le tribunal invite les parties à le faire…

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La procédure conçue comme rapide et souple ne requiert pas non plus la présence d’un avocat ou autre professionnel : la représentation n’y est pas obligatoire, ni pour former la demande, ni même pendant le déroulement de celle-ci (art. 10). Et l’existence de formulaires préétablis le permet.

Si la notification par voie postale revenait au Tribunal sans signature de l’accusé de réception par le destinataire le cpc depuis le décret du 17 décembre 2008 prévoit que dans ce cas la signification se fait par voie d’huissier.

2°/ Le déroulement de la procédure, elle est en principe écrite ; mais si le juge l’estime nécessaire ou si une partie le demande, il peut organiser une audience.

Le formulaire de demande est adressé au défendeur par le Tribunal accompagné d’un formulaire de réponse, qui laisse au défendeur un mois pour répondre. Ces délais peuvent éventuellement être prorogés si cela s’avère nécessaire pour la défense des intérêts des parties. Il peut même former une demande reconventionnelle à laquelle le demandeur initial devra à son tour répondre dans le délai d’un mois (art. 5.6). Le Tribunal peut demander de compléter une demande incomplète… Il peut aussi exceptionnellement proroger ces délais si cela s’avère nécessaire pour assurer la défense effective des parties (art. 14.2).

Le décret français précise toutefois à l’article 1386 du cpc que si la demande reconventionnelle sort du champ d’application du règlement, et notamment excède le seuil de 2000 euros, le juge informe les parties qu’à moins que le défendeur ne se désiste de sa demande reconventionnelle, l’affaire sera jugée suivant une procédure classique et non la procédure spéciales relatives aux petits litiges.

Le règlement prévoit que le Tribunal décide librement des moyens de preuve et de l’étendue des preuves les preuves écrites ou par témoin voire par vidéoconférence sont admises (art. 9.1).

Pour simplifier les obligations des parties, et compte tenu de l’absence de représentation obligatoire le règlement prévoit (article 12.1) que le Tribunal n’oblige pas les parties à procéder aux qualifications juridiques concernant les demandes. Le Tribunal doit même aider les parties pour les questions de procédure, et ce à raison de l’absence de représentation obligatoire.

Une fois que le Tribunal aura reçu les réponses de part et d’autre du demandeur et du défendeur, il doit statuer dans le délai d’un mois ou demander aux parties des renseignements complémentaires. Ou encore solliciter des preuves ou demander aux parties tout renseignement complémentaire, voire les citer à comparaître pour audience.

Le règlement souligne que le juge peut chercher à conduire les parties vers une solution transactionnelle (cf. art. 12.3).

Si le défendeur ne s’est pas manifesté le Tribunal peut statuer par défaut.

Pendant toute la procédure le juge doit respecter le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire (cf. art. 9.1).

Pour tout ce qui n’est pas réglé par le règlement, la procédure nationale de l’Etat membre dans laquelle elle se déroule reste applicable, ce que reprend l’article 1388 cpc qui dit que le juge statue selon la procédure applicable.

Si la demande était rejetée les procédures de droit commun peuvent encore être utilisées (1385 cpc).

§3 – L’exécution de la décision.

La décision rendue dans le cadre d’une procédure européenne de règlement des petits litiges dispose d’une force exécutoire immédiate. Et ce même si un appel était interjeté… Cela ne correspond pas au modèle de droit commun français !

Il n’est pas même nécessaire que la partie qui l’emporte constitue une garantie pour pouvoir l’exécuter souligne l’article 15. 1 du règlement.

Le règlement laisse aux Etats le choix de prévoir ou non une possibilité d’appel contre la décision (art. 17.1), ceux-ci doivent seulement avertir la Commission de l’option choisie. Le décret n’a

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pas explicitement pris parti sur ce point, il faut sans doute en déduire qu’il maintient les règles du taux de ressort classique, de sorte que ces demandes dont le montant est bien inférieur au taux de ressort sont jugées en premier et dernier ressort.

Un réexamen de la décision est toutefois possible, si certaines normes minimales sur la signification du formulaire n’étaient pas respectées, ou si un évènement présentant les caractères de la force majeure a empêché de contester la décision.

Soulignons que la force exécutoire de cette décision est acquise d’emblée sur tout le territoire de l’ensemble des Etats membres sans avoir à respecter de procédure intermédiaire : toute exequatur même simplifiées est supprimée. Le jugement circule librement sans qu’un effet de frontière se produise. Et si la juridiction estime que la demande de réexamen est justifiée la décision rendue sur le petit litige en cause sera nulle. La France a opté pour que le réexamen soit traité procéduralement comme l’opposition.

Les saisies seront effectuées selon les procédures en vigueur du droit national sur le territoire duquel elles sont exercées (art. 21.1). Pour être mise en œuvre la saisie requérra seulement la copie de la juridiction et la copie du certificat de la juridiction dont elle émane.

Le règlement prévoit également la possibilité de refuser l’exécution et celle de suspendre ou de limiter celle-ci.

- la possibilité de refuser l’exécution s’applique lorsqu’elle est incompatible avec une décision rendue dans un autre Etat membre ou un pays tiers (art. 22) dès lors que la décision antérieure a été rendue entre les mêmes parties et procède de la même cause. Encore faut-il également que cette incompatibilité n’ait pas pu être invoquée antérieurement devant le Tribunal qui statuait sur le petit litige.

- la possibilité de suspendre ou de limiter celle-ci est également prévue dans des cas exceptionnels. Son exécution peut être limitée à des mesures conservatoires notamment ou subordonnée à la constitution d’une sûreté voire suspendue.

Certains déplorent l’intégration de ce type de procédure inconnu jusque là en droit français qui instaurerait une justice à deux vitesses.

Un rapport sera présenté en 2014 pour une révision éventuelle de ces procédures et traitera notamment de la question des frais de justice de la rapidité et de l’efficacité de ces procédures et proposera le cas échéant des adaptations.

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Cours de droit judiciaire privé L3 - 21/04/2023

Conclusion sur l’harmonisation européenne…Ces procédures harmonisées viennent parfois en concurrence avec les autres moyens d’obtenir

la force exécutoire (règlement de Bruxelles I et II, TEE) l’avenir dira donc quelle place elles occuperont dans le système judicaire interne et communautaire. L’entrée en vigueur du règlement Bruxelles I récemment refondu réduira leur originalité en ce qu’il supprime de façon générale pour les jugements rendus au sein de l’UE l’exequatur.

Avec ces deux règlements qui viennent d’être envisagés, est ici créée un droit procédural directement applicable dans les Etats membres ce qui marque une étape supplémentaire dans la construction communautaire du point de vue de la procédure civile. Ces nouvelles procédures attestent de ce que l’Union européenne entend influer de plus en plus sur la procédure civile applicable dans les Etats membres. Après s’être limitée à des règles de droit international privé elle s’engage dans l’élaboration de procédures spécifiques, dont la Commission avait même un temps souhaité qu’elle s’applique aussi aux litiges purement internes. Cela révèle bien que l’objectif de l’Union est de permettre d’harmoniser les procédures nationales pour garantir un égal accès à la justice. Mais où est l’autonomie procédurale des Etats membres ? Et le principe de subsidiarité !

L’harmonisation est imparfaite dans la mesure où la réglementation de ces nouvelles procédures est incomplètes et renvoie pour partie aux droits nationaux qui la complètent.

Pour aller plus loin dans cette voie, il était envisagé que ces procédures puissent s’appliquer aussi aux litiges internes, ce qui n’est pas la position retenue dans les textes définitifs. Cet état de fait atteste de ce que l’on est resté encore dans une étape intermédiaire. Mais l’avenir est certainement à ce développement du droit procédural communautaire qui soulèvera à terme la question de l’autonomie procédurale des Etats membres.

Il existe une évaluation périodique de cette législation.

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