droit de l'internet et des nouvelles technologies

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DROIT DE L’INTERNET ET DES NOUVELLES

TECHNOLOGIES

juliette ancelle

Anticipation

le Droit rattrapera-t-il internet?

«the evolution of the internet has forever changed the legal landscape.»(michael rustad, Diane D’angelo)

INTRODUCTION ET CADREA.

Se prononcer sur les évolutions juridiques futures à prévoir dans ledomaine de l’internet relève de l’impossible – ou presque. en vingt ansd’exploitation «commerciale» d’internet1, notamment suite à l’arrivéedu world wide web, l’impact qu’internet et les nouvelles technologiesont eu sur notre système juridique est tel que les générations précédentesne l’auraient sans doute jamais anticipé.

michael ruStaD/Diane D’angelo, the path of internet law: an annotated guide1

to legal landmarks, Duke law and technology review 2012, n. 012.

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si les évolutions technologiques à venir restent souvent mystérieusespour les juristes que nous sommes, on ne peut cependant ignorercertaines tendances qui se dessinent depuis plusieurs années, et qui sontsusceptibles de donner de nouvelles dimensions au droit de l’internet etdes nouvelles technologies. C’est l’objet de cet article, dont les contoursseront les suivants.

définitioni.

La notion de droit de l’internet et des nouvelles technologies n’esttraditionnellement pas définie et couvre un champ extrêmement large.internet en tant que tel est une notion technique et se définit comme«un réseau télématique international qui résulte de l’interconnexiondes ordinateurs du monde entier utilisant un protocole commund’échange de données (baptisé TCP/IP ou Transmission ControlProtocol/Internet Protocol) afin de dialoguer entre eux via les lignesde communication2 ». ainsi, le droit de l’internet et des nouvelles tech-nologies pourrait se définir comme le droit applicable à l’exploitationet l’utilisation de ce réseau, ou plus largement comme tout domaine dudroit dans lequel l’utilisation d’internet est régie par une réglementa-tion spéciale.

Une telle définition aurait toutefois pour conséquence de rendre l’objetde ce chapitre trop vaste, et nous nous focaliserons ici sur certains sujetschoisis.

Cadreii.

Le présent chapitre n’a pas vocation à anticiper les probables évolu-tions techniques et technologiques à venir dans les prochaines années,quand bien même celles-ci sont souvent à l’origine de nouvelles régle-mentations ou de nouvelles interprétations du droit positif. Citons ici« Google Glass », ces lunettes connectées, qui depuis leur apparition,suscitent une certaine méfiance et ont poussé les juristes à s’interrogersur des questions telles que « les Google Glass augmentent-elles les

encyclopédie Larousse, « internet», <http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/2

internet/125060> (19 juin 2015).

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risques d’atteinte à la vie privée en permettant de filmer ou de prendreen photo des tiers à leur insu?» ou « le port des google glasses au volantd’une voiture devrait-il être interdit ?3 ». De même, l’arrivée des dronessur le marché a poussé plusieurs états à s’interroger sur l’opportunité deréglementer leur usage civil, certains ayant procédé à l’adoption derègles spécifiques, comme c’est notamment le cas en Suisse4.

Si nombreux sont ceux qui se lancent dans les prédictions de futurestendances technologiques5, nous ne prétendons pas disposer des connais-sances techniques qui nous permettraient de nous aventurer sur ceterrain. faute de temps, et malgré notre intérêt accru pour ces questions,nous ne pourrons pas non plus aborder ici en détail certaines probléma-tiques liées à l’exploitation d’internet et des technologies avancées auregard du droit de la protection des données et de la vie privée, notam-ment l’émergence des phénomènes des objets connectés (l’« internet ofthings»6) et du big data7, qui seront présentées par notre confrère encharge de ce sujet8. il en va de même des questions liées à la propriété

gaBriel avigDor, google glasses : mise au point et enjeux juridiques, Blog3

«nouvelles technologies et droit», <http://ntic.ch/google-glass-pour-ou-contre/> (19 juin2015).

en Suisse, l’ordonnance du Detec sur les aéronefs de catégories spéciales4

(oacS) (rS 748.941) a été modifiée en 2014 afin d’interdire l’usage de modèles réduitsd’aéronefs de moins de 30 kg à moins de 100m d’un rassemblement d’une foule (ro2014 2315). en france, un arrêté visant à régir l’usage des drones dans l’espace aérienfrançais a été adopté en 2012 déjà (arrêté du 11 avril 2012 relatif à l’utilisation de l’es-pace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord).

janna anDerSon/lee rainie, Digital life in 2025, pew research center, rapport5

du 11 mars 2014 <http://www.pewinternet.org/2014/03/11/digital-life-in-2025/> (19 juin2015).

l’internet of things (ou « iot») peut se définir comme le phénomène selon lequel6

est donnée la capacité de communiquer sur l’internet à des objets que l’on ne considèrepas, de près ou de loin, comme des ordinateurs, transformant les objets en outils decommunication (voir notamment à ce sujet la définition de gartner dans son glossaire it,internet of things <http://www.gartner.com/it-glossary/internet-of-things/> (19 juin2015)).

le big data se comprend comme une référence à «un ensemble de technologies,7

d’architecture, d’outils et de procédures permettant à une organisation de très rapidementcapter, traiter et analyser de larges quantités et contenus hétérogènes et changeants, etd’en extraire les informations pertinentes à un coût accessible», Qu’est-ce que le BigData? <http://www.redsen-consulting.com/2013/06/big-data/#sthash.ezv77WfK.dpuf>(19 juin 2015).

cf., dans les présents mélanges, michel jaccarD, De la protection des données8

personnelles à la sécurisation des données connectées?, p. 491.

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intellectuelle et à l’impact indéniable que les technologies et internet onteu et vont continuer d’avoir sur la réglementation propre à ce domainedu droit, notamment en lien avec le droit d’auteur et sa possible adapta-tion aux technologies actuelles9.

LE DROIT À LA POURSUITE D’INTERNETB.

en définitive, le présent chapitre se concentrera sur trois domaines liés àl’exploitation d’internet et qui nous semblent illustrer une questionsensible et récurrente : faut-il réglementer internet ?

neUtraLité dU neti.

L’un des débats majeurs de ces prochaines années en lien avec la régle-mentation d’internet est celui portant sur la neutralité du net, quiconsacre la non-discrimination des données sur les réseaux. en d’autrestermes, la neutralité d’internet a pour objectif de garantir un traitementégal de tous les contenus accessibles en ligne par les fournisseurs deservices internet, afin que ces derniers ne privilégient pas certainscontenus par rapport à d’autres, que ce soit par le biais de restrictionsd’accès ou de ralentissement de la transmission.

Ce principe oppose très fortement différents acteurs du milieu del’internet, mais principalement les fournisseurs d’accès à internet, quisouhaitent pouvoir exploiter commercialement leurs capacités tech-niques à favoriser certains contenus par rapport à d’autres, et des asso-ciations à but idéal qui défendent fermement le principe d’un internetlibre, où l’accès au contenu ne sera pas décidé par certains fournisseursprivés10.

à ce sujet, voir notamment le rapport du Conseil fédéral sur les utilisations illi-9

cites d’œuvres sur internet en réponse au postulat 10.3263 savary du mois d’août 2011,ainsi que le rapport final de l’aGUr12 du 28 novembre 2013, rapport établi par legroupe de travail mandaté pour examiner les possibilités d’adaptation du droit d’auteursuisse à l’état actuel de la technique. <http://www.ejpd.admin.ch/dam/data/ejpd/aktuell/news/2011/2011-11-30/ber-br-f.pdf> (19 juin 2015).

maxime VaUdano, neutralité du net : de quoi parle-t-on?, Le monde, 19 mai 201410

<http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/05/19/neutralite-du-net-de-quoi-parle-t-on_4420338_4355770.html> (19 juin 2015).

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Une première décision a été rendue au états-Unis en début d’année 2015par la federal Communications Commission (fCC), régulateur améri-cain dans le domaine des télécommunications, qui après des mois dedébats a choisi de définir le haut débit comme un service public. à cetteoccasion, la fCC a édicté un certain nombre de règles interdisant notam-ment aux fournisseurs d’accès de ralentir la transmission de certainscontenus ou de proposer des services payants pour donner la priorité àcertaines données11. si le débat semble ainsi avoir penché en faveur de laneutralité du net aux états-Unis, la question continue de se poser forte-ment en europe, où le résultat pourrait ne pas être le même. en effet, unprojet de règlement européen sur les télécommunications est en cours dediscussion auprès du Conseil de l’Union européenne, dont l’un despoints principaux porte sur la question du traitement non discriminatoiredu trafic internet. or, selon un document interne portant sur ce projet deréglementation, il semblerait que les institutions européennes pourraientchoisir une solution différente de leurs homologues américains, qui lais-serait la liberté aux opérateurs et fournisseurs d’accès de gérer les condi-tions d’accès au contenu sur internet12.

et la suisse? La problématique de la neutralité du net n’a pas échappéaux politiques suisses, une motion ayant d’ailleurs été déposée par leconseiller national m. Balthasar Glättli le 14 décembre 201213 déjà, afinde faire inscrire le principe de neutralité du réseau dans la loi fédérale surles télécommunications. Ce principe n’est en effet aujourd’hui pasconsacré en droit suisse, si bien que rien n’interdirait aux fournisseursd’accès d’utiliser leurs capacités techniques pour offrir des servicesdiscriminant certains contenus. malgré son adoption par le Conseilnational en juin 2014, cette motion a été rejetée et liquidée par le Conseil

federal Communications Commissions, fCC 15/24, report and order on11

remand, deCLaratorY rULinG, and order sur le sujet «protecting andpromoting the open internet», adopté le 26 février 2015, publié le 12 mars 2015,<https ://apps.fcc.gov/edocs_public/attachmatch/fCC-15-24a1.pdf> (19 juin 2015).

à ce sujet, voir notamment «The Presidency’s non-paper with a view to the prepa-12

ration for the third informal trilogue on the Proposal for a Regulation of the EuropeanParliament and of the Council laying down measures concerning the European singlemarket for electronic communications and to achieve a Connected Continent, and amen-ding Directives2002/20/EC, 2002/21/EC and 2002/22/EC and Regulations (EC)No 1211/2009 and (EU) No 531/2012».

12.4212, motion « inscrire la neutralité du réseau dans la loi sur les télécommuni-13

cations», BaLthasar GLättLi, 14 décembre 2012.

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des états14. Ce rejet fait notamment suite à un rapport de la commissiondes transports et des télécommunications du 13 janvier 2015 constatantque la neutralité du net n’est aujourd’hui pas violée en suisse et qu’iln’est pas nécessaire de « recourir à la régulation pour encadrer l’évolu-tion d’internet. »15. Le Conseil fédéral, pour sa part, a estimé qu’il étaittrop tôt pour se prononcer à ce sujet, attendant les développements futursau niveau européen pour se pencher de nouveau sur la question.

si aujourd’hui la question de la neutralité du net semble quasimententerrée, elle n’est en réalité qu’en suspens, dans l’attente d’une positioneuropéenne claire sur la question, qui incitera la suisse à se positionneren tenant compte des intérêts juridiques et économiques en jeu. il est àrelever que les opérateurs suisses se sont dotés d’un code de conduite16

pour garantir aux utilisateurs un internet ouvert et une neutralité duréseau. toutefois, il est probable que cette autorégulation ne pèsera pasbien lourd face aux enjeux économiques qu’offrirait l’opportunité demettre en avant certains contenus et que la neutralité des réseaux finisseun jour par être sacrifiée aux intérêts des fournisseurs de servicesinternet.

responsaBiLité des foUrnisseUrs de serViCes internetii.

Une autre problématique récurrente liée à la nécessité ou non de régle-menter internet est celle de la responsabilité des intermédiaires et desutilisateurs pour la mise à disposition de contenus illicites sur le réseau17.dès les premières années d’exploitation commerciale d’internet dans lesannées 1990, les états ont pris conscience de la problématique de la luttecontre la publication et la mise en circulation de contenus illicites par les

miChaeL sChWeizer, netzneutralität in der schweiz – eine debatte, bitte!, medialex14

2014, p. 117.rapport de la Commission des transports et des télécommunications, 13 janvier15

2015.neutralité des réseaux, règles de conduite (swisscom, sunrise, upc cablecom,16

orange, swisscable) <https ://www.swisscom.ch/content/dam/swisscom/fr/about/medias/communique-de-presse/2014/20141107-Code-of-Conduct-netzneutralitaet-fr.pdf.res/20141107-Code-of-Conduct-netzneutralitaet-fr.pdf> (19 juin 2015).

miChaeL rUstad/diane d’anGeLo, the path of internet Law: an annotated17

guide to legal landmarks, duke Law and technology review 2012, n. 012. ; miCheLJaCCard, droit européen et comparé de l’internet, rapport national suisse, droit etnouvelles technologies, 28 novembre 2000, n 45 ss.

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utilisateurs, qu’il s’agisse de contenu à caractère pornographique oupédophile ou de contenu piraté violant les droits de propriété intellec-tuelle de tiers, ou encore de publicité pour des produits ou services illi-cites. dans ce nouveau monde connecté, l’absence de frontières,l’anonymat, le volume de données et les difficultés de contrôle se sontvite révélés des obstacles majeurs à la poursuite de ces comportementsillicites et s’est alors inévitablement posée la question de la responsabi-lité des intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès, hébergeurs),ayant facilité ou simplement permis la commission de ces infractions18.il serait difficile de résumer ici la jurisprudence internationale des vingtdernières années dans le domaine, celle-ci ayant passablement évolué,mais il convient de noter que tant aux états-Unis qu’en europe, cettejurisprudence a abouti à l’adoption de réglementations ad hoc régissant,du moins dans les grandes lignes, la responsabilité des fournisseurs deservices internet pour le contenu illicite19.

en suisse, aucune loi spécifique n’a été adoptée dans le domaine. Celane signifie pas pour autant que la suisse n’est pas confrontée à ceproblème, mais que, jusqu’à présent, le choix a été fait de s’appuyer surla réglementation existante plutôt que d’adopter une réglementationspéciale, donnant lieu à une jurisprudence peu abondante20. L’adoptiond’une réglementation spécifique a été à plusieurs reprises rejetée par leparlement21.

phiLippe GiLLiéron, la responsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement,18

rds 2002 i p. 387 ss. ; Christina foUntoULaKis/JULian franCeY, La diligence de l’hé-bergeur sur internet et la réparation du préjudice, medialex 2014, p. 175 ss. ; LenaLeUenBerGer, Quelles obligations pour les fournisseurs d’accès à internet pour prévenirles violations du droit d’auteur?, sic ! 2014, p. 721 ss. ; pidC – publications de l’institutde droit comparé 2014, nr. 73, CYriLL p. riGamonti, informatique –Computers/secondary Liability of internet service providers in switzerland, in :heckendorn Urscheler (hrsg.), swiss reports presented at the xixth internationalCongress of Comparative Law, zurich 2014, p. 389.

au niveau européen, l’on pense notamment à la directive 2000/31/Ce sur le19

commerce électronique (art. 12 et 14) ; aux états-Unis, ces questions sont principalementréglées dans le Communication decency act et dans le digital millenium Copyright act(dmCa) portant sur la violation des droits d’auteur dans un contexte numérique.

Cf. un des arrêts topiques en la matière, arrêt du tf, 14 janvier 2013, 5a_792/20

2011.motion 09.4222, «responsabilité juridique des fournisseurs internet» Kathy21

riklin, 10 décembre 2009.

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il est toutefois envisageable que l’évolution de l’environnementnumérique, et plus particulièrement l’émergence des médias sociauxchange la donne. en effet, le rapport établi par le conseil fédéral suiteau postulat amherd sur l’opportunité d’établir un cadre juridiquespécifique aux médias sociaux, a remis sur le devant de la scène laquestion de la responsabilité des fournisseurs de services internet. eneffet, si le conseil fédéral a conclu à l’absence de nécessité de régle-menter les médias sociaux de manière globale, il a toutefois fait partdu constat suivant « Vu les développements récents et les signauxdonnés par la justice dans le domaine du droit civil, il paraît judicieux– comme nous l’avons déjà exposé au point 5.3. – que le Conseilfédéral examine à nouveau la nécessité de réglementer la responsabi-lité des fournisseurs de services sur l’internet (c’est-à-dire les fournis-seurs d’accès et d’hébergement ainsi que les exploitants deplateformes). Cette tâche est cependant délicate, d’autant plus qu’unejurisprudence différenciée, qu’il faudra analyser soigneusement, sedéveloppe à l’étranger »22. ce constat nous semble guidé par le faitque les exploitants de plateformes de médias sociaux ne se contententsouvent pas d’héberger et de traiter automatiquement des donnéesremises par les utilisateurs, mais interviennent pour optimiser oupromouvoir ces contenus. face à ce rôle de plus en plus actif, uneresponsabilité directe des plateformes – et plus seulement en cas d’ab-sence de réaction face à des contenus répréhensibles spécifiquementportés à leur attention – doit-elle être envisagée ? Dans un tel cas, enimposant aux exploitants des plateformes un contrôle préalable descontenus publiés, ne leur donnerait-on pas un rôle de « censeurprivé » ? D’aucuns reprochent déjà à la cour de justice européenned’avoir confié un tel rôle à google suite à la fameuse décision consa-crant le « droit à l’oubli » ?23

on ne sait pas à l’heure actuelle si le conseil fédéral finira par conclureà l’absence de nécessité de réglementer dans ce domaine, préférantmaintenir le système actuel pour éviter une surréglementation, ou s’ilchoisira la mise en œuvre d’une législation spéciale. Des travaux sont encours mais il ne fait aucun doute que si la voie de la réglementation est

rapport du conseil fédéral en réponse au postulat amherd 11.3912 du22

29 septembre 2011, cadre juridique pour les médias sociaux, p. 77.cour de justice de l’union européenne, arrêt du 13 mai 2014 dans l’affaire c-131/12.23

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choisie, celle-ci ne manquera pas d’avoir un impact fort sur les fournis-seurs de services internet en suisse.

«CroWdfUndinG » oU pLUtôt «CroWd… eVerYthinG »iii.

Un autre domaine lié aux technologies avancées et à l’internet suscep-tible d’avoir un impact sur le paysage réglementaire suisse dans lesannées à venir est celui du financement participatif en ligne (ou «crowd-funding»), qui permet le financement de projets par une multitude depersonnes. Ce concept se décline d’ailleurs désormais sous denombreuses formes – l’on parle désormais de crowdlending (prêt partici-patif), crowdsourcing (création participative), crowdfinancing (finance-ment d’entreprises participatif) – et son essor est principalement dû à latechnologie d’internet, permettant à tout internaute de découvrir et, sil’envie lui en prend, de soutenir les projets lancés par de parfaitsinconnus24.

selon certaines statistiques, le crowdfunding représentait en 2013 unmarché de Usd 5,1 milliards, alors qu’il n’en représentait qu’un milliardet demi en 201125, et au vu des montants transitant par ces plateformes,les législateurs de plusieurs états se sont posé la question de la régle-mentation de ces plateformes et pratiques, notamment dans les domainesdu droit bancaire et du droit commercial26. Compte tenu du volume detransactions géré par ces plateformes, la question de leur statut s’est viteposée, particulièrement pour savoir si elles devaient ou non être considé-rées comme des intermédiaires financiers soumis à une surveillanceréglementaire. en outre, l’émergence du crowdfinancing permettant l’in-vestissement dans des sociétés via ces plateformes informatiques enéchange de l’acquisition de parts sociales a soulevé la question de la

Venturelab, Le crowdfunding prend son essor en suisse, <http://www.venture-24

lab.ch/index.cfm?page=133049&article_id=416> (19 juin 2015).Crowdfunding – les clés pour réussir, Les derniers statistiques du crowdfunding25

dans le monde, <http://www.leguideducrowdfunding.com/les-derniers-statistiques-du-crowdfunding/> (19 juin 2015).

daVid röthLer/Karstem WenzLaff, Crowdfunding schemes in europe,26

european expert network on culture (eenC) report 2011 <http://www.eenc.info/wp-content/uploads/2012/11/dr%C3%B6thler-KWenzlaff-Crowdfunding-schemes-in-europe.pdf > (19 juin 2015).

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compatibilité du droit commercial actuel dans le domaine du privateequity face à ces nouvelles méthodes. en france, une ordonnance régis-sant le financement participatif est entrée en vigueur le 1er octobre 2014,visant à assouplir la réglementation bancaire et commerciale en placepour favoriser le financement participatif27.

en suisse, la finma n’a pas pu longtemps ignorer le phénomène et afini par publier une fiche d’information sur le sujet le 1er décembre 2014.Celle-ci rappelle la possibilité d’un assujettissement à la réglementationbancaire et invite les exploitants de plateformes de crowdfunding àvérifier s’ils doivent obtenir une autorisation de la finma pour exercerleurs activités. La finma n’édicte en revanche pas de lignes directriceset indique que l’analyse se fera au cas par cas, ce qui n’offre malheureu-sement aucune sécurité juridique pour les sociétés actives dans cesecteur. toutefois, des voix se font désormais entendre pour demanderl’adoption d’un cadre juridique clair en suisse relatif à l’exploitation desplateformes de crowdfunding28. au vu de l’expansion rapide de cemarché, tant à l’étranger qu’en suisse, il est à prévoir que la pressionpour définir un cadre réglementaire clair augmentera dans les années àvenir, ce qui soulève la question plus fondamentale de savoir si toutnouveau modèle d’affaires, développé grâce aux technologies et àinternet, doit ou non s’accompagner systématiquement d’une législationspécifique.

CONCLUSION ET RÉFLEXIONSC.

s’il est impossible d’anticiper comment va évoluer la réglementationd’internet au cours des prochaines années, il est patent que certains« chantiers » sont en cours en suisse et que des modifications (ou desconfirmations) sont à prévoir dans plusieurs domaines. il est égalementvisible que législateur suisse a constamment fait preuve de prudence eta veillé à ne pas surréglementer internet, en rejetant les appels à uneréglementation spéciale, sauf nécessité établie. Cette approche, souvent

Le service public de la diffusion du droit, ordonnance n° 2014-559 du 30 mai27

2014 relative au financement participatif <http://www.legifrance.gouv.fr/affichtexte.do?cidtexte=Jorftext000029008408&categorieLien=id> (19 juin 2015).

Le journal 24heures, Le «Crowdfunding» sera davantage contrôlé, <http://www.28

24heures.ch/economie/crowdfunding-davantage-controle/story/17486929> (19 juin 2015).

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critiquée par certains observateurs qui y voient un immobilisme et unefrilosité tout helvétique, pourrait en réalité être la réponse la plus appro-priée face aux évolutions constantes d’internet et des technologies. eneffet, à quoi bon adopter des régimes spéciaux, susceptibles de vitedevenir obsolètes, alors que l’on parvient à des résultats satisfaisants ens’appuyant sur des principes juridiques généraux déjà bien implantés ?en d’autres termes, n’est-ce pas faire preuve d’une certaine clair-voyance que de penser qu’il est illusoire que le droit « rattrape » un jourinternet ?

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