droit coutumier amazigh

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  • 7/26/2019 Droit Coutumier Amazigh

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    Droit coutumier amazigh face aux processus dinstitution et

    dimposition de la lgislation nationale au Maroc

    Rapport tabli par :

    El Khatir ABOULKACEM

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    Objet et problmatique....2

    I. Considrations gnrales sur le droit coutumier...5

    a. lazrfdans les chroniques historiques ....5

    b. la production sur la coutume..7

    c. les coutumiers crits ....8

    d. tablissement du coutumier ..10

    e. forme et contenu du coutumier.....15

    f. procdures judiciaires.....17

    II. Attitudes des principaux acteurs du Maroc prcolonial23

    a. les ruraux et leurs institutions...24

    b. le point de vue du Makhzen et de ses lgistes..28

    III. Formation de la lgislation nationale et exclusion de la coutume...31

    a. la rforme coloniale....31

    b. processus nationaliste et ngation de la coutume...38

    IV. Formes de rsistance du droit coutumier..43

    a. volution du dispositif juridique de lEtat...43

    b. prgnance du droit coutumier..46

    Conclusions.56

    Quelques rfrences bibliographiques.59

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    Objet et problmatique

    Ce rapport, qui tente de rendre certains aspects des rapports complexes entre droit

    coutumier et lgislation nationale au Maroc, porte, dune part, sur la place du droit dans les

    structures sociales tribales et, dautre part, sur limpact des mutations sociales sur

    lvolution du droit dans les socits amazighes. De nombreux chercheurs ont signal et

    analys certaines formes de la permanence de ce droit dans ces socits et son volutionperptuelle. Ils retiennent essentiellement comme ide centrale la capacit de ces socits

    produire le droit et sadapter au changement. Lhypothse qui sous-tend ce travail serait

    ainsi que malgr ltablissement dune lgislation nationale, comme pratique inhrente

    lavnement dun tat de type national, et les processus de son imposition, le droit

    coutumier continue dexister et dorganiser certains secteurs de la vie sociale et religieuse

    dans ces socits. Cest en ce sens que la dtermination de ces secteurs qui restent rgis par

    ce droit constitue un des objets de ce travail.

    Au-del, un survol rapide de la place et des caractristiques de ce droit dans

    lhistoire des socits amazighes savre intressant. Il peut permettre de se rendre compte

    des conditions qui ont contribu au maintien de ce droit dans lhistoire pr-nationale et de

    limpact des transformations sociales et de lintervention des administrations coloniales et

    postcoloniales aussi bien sur les structures tribales que sur les degrs de prsence de ce

    droit dans le monde rural. Dans ce sens, la constitution de ce droit en objet des dbats

    juridiques et sa mise en crit ont accumul une production importante. Comment doncmettre profit cette documentation dans toute apprhension de ce droit ? Si elle donne une

    ide claire de lhistoire et de limportance de ce droit dans la structure sociale et ses

    rapports avec la hirarchie institutionnelle au sein de cette structure et les domaines de son

    application, elle renseigne galement sur son image dans la conception officielle et

    comment celle-ci a contribu son dclassement dans le processus de la construction de

    limage de la nation et de sa mise en uvre ?

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    ltablissement dune lgislation nationale et comment elle avait introduit des

    reclassements dans les structures sociales prexistantes et leurs pratiques juridiques.

    Il nous parat ainsi intressant, pour une meilleure apprhension des rapports entre

    droit coutumier et lgislation nationale dans les socits amazighes de voir comment seprsente ce droit avant lintroduction de la lgislation pour mieux saisir les transformations

    survenues. Nous allons ainsi procder, dune part, une tude socio-historique pour mettre

    en relief les raisons qui sont lorigine de sa prgnance dans la socit et dterminer quel

    moment de lhistoire il commence reculer face la prminence de la lgislation

    nationale et, dautre part, une tude ethnologique pour voir les lieux de rsistance de ce

    droit dans les socits amazighes actuelles.

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    I. Considrations gnrales sur le droit coutumier

    Appel izerfdans laire tamazight, llhouIkccuden, lurf dans le Haut Atlas et le

    Sous, tiqqidinchez les At Atta, le droit coutumier, quon peut dsigner de droit positif

    tribal, prsente lun des anciens systmes juridiques en prsence dans le Maroc historique.Avant la rforme coloniale, il rgissait lensemble des aspects de la vie prive et publique

    des membres des populations rurales amazighes, organises souvent en localits et en

    tribus, et les relations que ces groupes entretenaient entre eux (alliances, marchs, lieux de

    cultes et gestions des parcours communs,). Il jouait galement un rle important dans

    lorganisation de certains secteurs de la vie active dans les cits urbaines, comme les

    corporations artisanales hinta1. Produit de la socit en fonction des contextes et des

    conditions sociales et politiques, il a subi des transformations aprs les rformes colonialeet nationale, et reste en vigueur dans bien des secteurs de la vie sociale et conomique. Si

    lAzrfet lurfdsignent tous les aspects de ce droit, la taqqittet le lluh sont les noms qui

    sont utiliss respectivement dans le Sud-Est et le Souss pour dsigner les recueils o sont

    consignes les rgles qui organisent les rapports au sein dune fraction, dune tribu ou dun

    igherm (Ksar) ou qui rgissent lentretien et les rapports sociaux au sein dun grenier

    collectif (agadir), dun lieu saint (mosque, timzgida), dun march ou dun moussem.

    a. lazrfdans les chroniques historiques

    Nous connaissons, grce quelques indications des chroniqueurs, de la production

    des lgistes et des recueils coutumiers ou actes juridiques, lenracinement de ce droit dans

    les pratiques des socits rurales nord-africaines. Hormis la conscration de certains

    institutions coutumires, commeAhl al jamaaet ahl al khmsin,Ayt rbinet ayt chrapar

    le pouvoir des Almohades rendue clbre par les chroniqueurs de la dynasties (Lvi-

    Provenal, 1928), dautres auteurs ont signal certaines institutions coutumires ou des

    mesures procdurales se rapportant llaboration ou lapplication de ce droit. Ainsi, leKitab al-Ansab [Livre des gnalogies], crit vraisemblablement par Abdallah Ben salih

    Ben Abderrahmane, en voquant lpisode de la conqute des Haskura (une confdration

    du Haut Atlas) par Uqba Ibn Nafi, signale le pacte conclu entre ce gnral musulman et

    Hurma ben Tutis, le chef des Haskura. Il rapporte que

    1 Dans les villes, le droit coutumier rgit des secteurs de la vie conomique et artisanale (comme les

    corporations, hinta), mais lunivers urbain nentre pas dans les proccupations de ce travail.

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    quand Uqba arriva au pays des Haskura, il senquit de leur chef et on lui

    rpondit que cest un homme qui sappelle Hurma ben Tuttis. Il demanda alors

    le voir et [une fois devant lui, il] prit de Hurma sa lance et lui dit : que ce soit [le

    signe d] un pacte de non violence entre nous, si vous embrassez lIslam. Les

    Haskura lembrassrent alors de bon cur, et le pacte scell par Hurma, ou amur n

    lhurmadevint depuis dans la langue de cette tribu, une expression par laquelle ils

    prtent serment dans leurs alliances et engagements (cit par Mezzine, 1987,

    p.183).

    Ce texte donne le terme de amur n lhurmadans le sens dun pacte de paix et de non

    violence et constitue un des premiers textes avoir signaler le terme damur qui a pris

    dautres significations dans la production et la pratique juridiques de laire tamazight,

    comme la protection tribale, le pacte pour une dfense commune et bab n umurqui signifie

    le garant dun lignage ou dun pacte dalliance. Pour sa part, le gographe El Bekri signale

    un aspect de lorganisation dans le Haut-Atlas relatif la structure juridique. Il crit :

    Autrefois, Aghmat, les habitants se transmettaient entre eux la charge dmir ;

    celui qui en avait exerc les fonctions pendant un an tait remplac par un autre

    que le peuple choisissait dans son sein. Cela se faisait toujours par suite un

    arrangement lamiable (Cit, Amahan, 1992, p.97).

    Ce passage rappelle la fonction damghar n tqblit, chef de tribu, en prsence dans

    certaines rgions amazighes. Lamgharest lu pour une anne et les candidatures cette

    charge sont fournies par une fraction tour de rle. Dans certaines tribus, il dsigne les

    rpondants de chaque lignage qui froment ljmat, lassemble. Il se charge de la fixation

    des dates de la mise en dfense des cultures et des rcoles et veille lexcution des

    dcisions prises et des peines. Dans dautres rgions, ce sont les reprsentants dsigns des

    lignages qui procdent llection de lamghar et se prsente comme le responsable

    excutif de lassemble quils forment.

    Au-del, la production juridique des lgistes et les recueils coutumiers, accumuls

    aprs lintroduction de lcrit dans les socits amazighes et particulirement depuis la fin

    du XVesicle, fournissent des informations importantes sur lvolution, les institutions, les

    procdures et les domaines dapplication du droit. Lanalyse des productions dont nous

    disposons peut nous permettre de comprendre ses niveaux en fonction de la hirarchie des

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    institutions tribales, ses objets et ses procdures ainsi que sa constitution en objet dans la

    production juridique de lpoque.

    b. la production sur la coutume

    La production sur le droit coutumier est dans lensemble riche, foisonnante et trs

    varie. Au-del les corpus des rgles coutumires tablis au moins depuis le XVIesicle et

    les jugements accumuls durant la priode coloniale, elle comporte des tudes effectues

    dans des perspectives scientifiques diffrentes et la somme de la production juridique

    classique.

    Chronologiquement, les premires manifestations de lintrt pour la coutume

    rsident dans les crits des lettrs de la priode prcoloniale. La coutume avait en effet

    constitu une matire des dbats de lcole juridique marocaine. Ainsi, des ulmasindpendants et des lgistes officiels ont exprim des attitudes sous forme davis juridiques

    fatawi, dimprvus juridiques nawazil, ou de rponses ajwiba. Outre la construction de

    lavis prononc, ces crits contiennent des descriptions de certaines pratiques coutumires,

    leur fondement lgal et leur utilit sociale. Lanalyse de cette production permettra, dune

    part, de saisir au prix de quelles concessions certaines autorits se sont prononces en

    faveur de lapplication de ce droit dans certaines situations et, dautre part, comment

    limplication dans les enjeux du pouvoir conduisent les autres savants se poser endfenseurs du droit canonique musulman et assimiler la coutume des pratiques anti-

    islam. Cest pourquoi cette production, une fois prsente et analyse, pourra nous fournir

    des lments indispensables pour apprhender la nature de ce droit, les interrogations que

    se posent les communauts locales quant la lgitimit de leurs institutions ainsi que les

    processus de la constitution dun ensemble thmatique au sein de la catgorie des lgistes

    officiels, comme schmes gnrateurs du discours dominant. Elle est en ce sens une entre

    principale pour faire une socio-histoire du rapport entre droit et pouvoir dans le Maroc

    prcolonial.

    Outre cette production, on trouve des recueils de rgles coutumires que des rudits

    locaux, mobiliss par les communauts locales dont ils dpendent, ont consign par crit.

    Dans lAnti-Atlas, on commence trouver des codifications de la coutume partir du XVIe

    sicle, mais ces premiers coutumiers transcrits dans planchettes en bois, do le nom

    quon utilise pour les dsigner, ikechchoudenou tilwh(alwhen arabe) - ne concernent

    que lorganisation de la protection des greniers collectifs igudaro le groupe dpose ses

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    biens comme les crales, les bijoux et les actes natariaux. Mais au fur mesure que la vie

    du groupe sorganisait autour de cette btisse communautaire, ncessitant lapparition dun

    groupe de spcialistes lus qui se dnomment Ayt Ugadir ou ineflas, les coutumiers

    transcrits intgrent dautres rgles qui rgulent les autres activits sociales, politiques et

    conomiques. Chez les At Atta par exemple, la confdration tribale nomade du versant

    sud de lAtlas, la codification de la coutume traduit une tape importante de lvolution de

    ce groupe pastoral (voir infra).

    Par ailleurs, le retour de la coutume au centre des intrts du Protectorat franais

    a permis la dcouverte de certains recueils de coutumes et la collecte dautres qui ntaient

    alors transmis quoralement. Leur transcription et leur traduction ont accumul une

    documentation importante. Paralllement, beaucoup dtudes consacres aux techniques et

    aux mthodes de ce droit ainsi quaux rformes introduites ont galement vu le jour cette

    poque.

    Aprs lindpendance, lmergence dune tradition historique, qui sappuie sur la

    mthode de lhistoire sociale, a permis, outre la dcouverte et la publication dautres

    recueils de coutume, de dresser un bilan de lhistoire de la transcription de la coutume et de

    sa place dans lorganisation de la vie sociale et politique des tribus amazighes. Par ailleurs,

    toute une production anthropologique actuelle soriente vers une apprhension des

    dynamiques en uvre dans ces socits, ce qui peut permettre lintgration du facteur du

    changement dans une approche dynamique du droit coutumier dans les socits amazighes

    actuelles.

    c. les coutumiers crits

    Daprs MHamd Al Othmani (2004, p.105), lancien recueil attest remonte la

    fin du XVesicle, et prcisment 1498. Il sagit du lluhde lagadir n Ujarif. Il est en cela

    un recueil qui rgit lorganisation et la gestion dun grenier collectif. Il parat que

    lvolution des structures sociales dont le grenier en constitue une forme labore a jou un

    rle important dans la consignation par crit de certains types de coutume. Dans ce sens,

    Larbi Mezzine (1998) signale quil est impossible dignorer le rle fondamental que le

    recours aux igudarou greniers collectifs, comme institution communautaire par excellence

    dans le Haut et lAnti-Atlas, a jou dans la modification du regard quon porte sur le droit

    coutumier et dans llaboration et la consignation par crit de la coutume dans le Haut et

    lAnti-Atlas. Cest ainsi que les codifications considrs comme les plus anciens recueils

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    de droit coutumier connus au Maroc concernaient des greniers collectifs et rgissaient la

    conservation des grains, la vie au sein de ldifice et son entretien. Cette institution se

    trouvait sous la responsabilit dun corps de responsables appel Ayt ugadir (Afa 1988,

    p.269) ou inflas(Al Othmani, 2004) qui dsignent un anflus/laminou responsable charg

    de veiller au respect des lois consignes. Le recueil le plus labor est celui de lAgadir n

    Ikunka ou des Ayta Bahman. Il constitue un document important pour saisir les diffrents

    aspects de lorganisation des relations humaines au sein du grenier, de sa gestion matrielle

    et de son entretien. Sa version en arabe notarial se trouve dans Al Othmani (2004, pp.225-

    260) et la version franaise a t effectue par Robert Monatgne (1930, Arhmouch, 2001,

    pp.123-164). La construction des difices collectifs dhabitation et de conservation des

    grains, suite linstallation des tribus nomades dans les Oasis du Sud-Est marocain, serait

    aussi, suivant lanalyse de Mezzine (1987, pp.32-33 et 1998), lorigine de ltablissement

    des recueils de coutume dans cette rgion. Il explique, daprs la tradition orale, que, dans

    un contexte dinscurit, les tribus agro-pastorales du Jbel Saghro, les Ayt Wahlim et les

    Ayt Isful, dcidrent de construire un grenier collectif quelles appelrent igherm amazdar

    pour y entreposer leurs crales au moment de leurs dplacements. Cette dcision a t le

    dbut dune alliance, sous le patronage du saint de Tamslouht dans le Haouz de Marrakech

    Sidi Abdallah ben Hsan, qui a aboutit la formation de la tribu des Ayt Atta. Chaque

    tribu avait fourni un contingent appel irssamnpour la construction du qsar et, par la suite,

    pour y habiter et en assurer la garde. Cest ainsi que sest forme la tribu des Ayt Isa. Pour

    grer le qsar, on tablit des rgles qui ont donn naissance une taqqitt, celle dIgherm

    amazdar. Mais compte tenu de la structure de ligherm, comme lieu dhabitation et donc

    lieu du social, ce recueil sest volu pour couvrir, outre le dpt des grains et lentretien

    de ldifice, les autres secteurs de la vie sociale, conomique et politique du groupe form

    par linstallation des familles des irsammnet de leurs descendants. Il commence ainsi a

    subir des modifications et des ajouts en fonction des rapports sociaux ns de la constitutiondu groupe, ce qui le diffre du statut des greniers dans lAnti-Atlas. Par ailleurs, le

    dveloppement de la confdration des Ayt Atta a conduit ce que ce corpus senrichit

    dautres dispositions labores en consquence des problmes poss par la transhumance et

    par les rapports entre lignages ou tribus. La Taqqitt dIgherm Amazdar devint avec le

    temps la loi fondamentale de toute la confdration et le recours juridique suprme de

    toutes ses composantes en cas de litige et la tribu des Ayt Isa, ne de cet acte de fondation

    qui en fait une tribu neutre, sest impose comme linstance juridique et politique

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    suprieure de toute la confdration. Cest en ce sens que la taqqitt prsente un cas

    particulier. Outre le fait quelle est lorigine une loi rgissant un grenier, elle est volue

    pour rgir les rapports entre lignages constitutifs dun igherm(habitation collective) et, du

    fait que celui-ci constitue une unit sociale de base, pour organiser la vie conomique,

    sociale et politique. Lvolution de la fonction politique de lIgherm Amazdar au sein de la

    confdration des Ayt Atta en fait galement un recueil dalliance. Cest ainsi que cette

    taqqittse rapproche formellement dun autre type de coutumier en prsence dans lAnti-

    Atlas que Al othmani dsigne de lluh n amqqun. Ce genre de document qui consacre

    lalliance entre les localits dune tribu ou entre un groupe de tribus comporte, outre la liste

    des rpondants devant lesquels seront portes les rclamations et le chef qui se charge de

    lexcution des sentences, une liste de sanctions rserves aux contrevenants dans le

    territoire que couvre lalliance [le seul lluhdans le Souss, notre connaissance, qui couvre

    des secteurs importants de la vie sociale et politique est celui de Masst, dans la rgion

    dAgadir (Arhmouch, 2001, pp. 89-108). Le fait que diffrentes localits partagent des

    intrts conomiques en raison de la prsence dune communaut dirrigants tendue

    explique ce fait].

    Contrairement aux taqqitt-s du Sud-Est marocain, qui traduisent la spcificit de

    lorganisation sociopolitique de ligherm et couvrent les diffrents secteurs de la vie du

    groupe, les lluh du Sous peuvent contenir les rgles qui rgissent un secteur ou un lieu

    prcis. Ainsi, des coutumiers sont attests qui ne concernent que lorganisation du

    droulement dun march, comme lluhdu march Tlata n ayt mru dans le territoire des

    Idaw Baqil dans lAnti-Atlas occidental (Al Othmani, 2004, pp.275-278), dun moussem,

    comme le lluh du moussem de la tribu des Idaw Gwugmar dans le territoire des Idaw

    Baqil (Al Othmani, 2004, pp.295-298), le prix dengagement dun matre coranique (Al

    Othmani, 2004, p.331). Il peut aussi ne comporter que des dispositions consacres aux

    infractions commises au sein dune mosque ou dun tombeau, comme le lluhrserve la

    mosque des Igusaln dans le territoire des Idaw Smlal dans lAnti-Atlas occidentat (Al

    Othmani, 2004, p.319).

    d. tablissement du coutumier

    En examinant lensemble des coutumiers que nous avons pu consulter aussi bien

    dans le fonds constitu par Tamaynut [il comporte, outre certains recueils dj publis et

    connus, certains recueils de lAnti-Atlas mridional et des valles de Bani, recueillis par

    10

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    Brahim Oubella] que dans les recueils publis (Mezzine, 1980-1, 1987, MHamdi, 1989,

    Arehmouch, 2001, Ahda, 2001, Al Othmani, 2004), les dispositions rapportes par les

    lluh-sse limitent des rgles de pnalits et les territoires concerns dpassent souvent les

    frontires de la localit et couvrent les espaces de tribu ou de confdration de tribus ou

    des lieux communs, comme la mosque ou du march, qui ne dpendent pas des attributs

    de ljmat dune localit. Les lluh-s traduisent ainsi des moments importants dans la

    dynamique des institutions tribales. Ne comportant pas des dispositions relatives la vie

    conomique et sociale au sein de la localit villageoise qui constitue lunit de base de

    lorganisation sociale (Adam, 1950, Amahan, 1992 et 1999), ils renseignent sur la

    constitution dalliances entre localits au sein dune tribu ou de tribus qui forment des

    assembles comme instances politiques et juridiques suprmes, et ninterviennent souvent

    que dans le domaine pnal. La concidence des frontires sociales et politiques de la tribu

    et de la localit dans le cas des igherman(qsur) explique par ailleurs le caractre global des

    tiqqidin dans le Sud-Est. En cela, la coutume crite ninforme pas uniquement sur la

    fondation dtablissements collectifs de conservation des biens, mais aussi sur la

    dynamique dalliances qui avait marqu les socits rurales amazighes et particulirement

    depuis la fin du XVesicle. Elle est ainsi labore sous forme de contrat crit et rpond

    des impratifs de lvolution de la structure sociale ou de lexistence des lieux communs

    dintrts entre groupes supra-locaux (March, gestion de lirrigation et des parcours

    communs,). Elle exprime aussi la constitution dune instance politique suprme qui se

    charge de la gestion de la violence entre les membres de groupes allis et de leurs rapports

    avec les groupes voisins. Cest pour cette raison quon peut comprendre pourquoi ce genre

    de coutumiers est mieux expos aux mutations sociales compte tenu du caractre

    circonstanciel des instances qui le produisent. Par ailleurs, la coutume qui sest maintenu et

    imbrique dans les pratiques sociales et circonscrite aux limites du village navait pas fait

    objet de consignation par crit. Etant lie aux structures de base de lorganisation socialeque reprsente la localit, elle a mieux rsist aux changements et rgit essentiellement la

    vie sociale et conomique du groupe. Elle constituera lobjet dun prochain chapitre.

    Cela dit, lazerftant essentiellement fonctionnel, il est rest li la socit qui le

    pense et le produit. Ses formes crites traduisent lexistence dune hirarchie

    institutionnelle et expriment une situation socio-historique que caractrise la recomposition

    des structures sociales supralocales en absence des services spcialiss dans le monopole

    11

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    de la violence lgitime. Mais comment on procde la consignation par crit de dispositions

    coutumires et comment sorganise un recueil coutumier ?

    La rdaction dun recueil coutumier est luvre des spcialistes de lcrit dans les

    socits rurales, les laurats des universits rurales, mais sous la surveillance des instancesconstitues. En prsence des membres de ljmat et de son chef lu ou des garants dsigns

    pour former linstance suprme de la tribu ou de la confdration ou pour assurer la gestion

    dun grenier ou dun igherm, un lettr, gnralement le matre de la mosque du groupe,

    est charg de la rdaction du recueil coutumier. Son travail consiste dans la transcription de

    ce quon lui dicte, il na aucun droit de jugement ni de contestation,

    nous avons crit ce texte avec la permission des oumana [garants], leur accord et

    leur agrment, et en leur prsence, comme il a t dit au commencement du livre ,dit titre dexemple le transcripteur du lluhdes Ikunka (Arehmouch, 2001, p.154).

    Mobilis pour une journe ou plus, il se mit la consignation par crit des

    dispositions que linstance lui dicte. La rdaction consiste dans la transcription de

    dispositions transmises jusqualors oralement ou dans la reproduction dun texte ancien

    appartenant un autre groupe, mais aprs son adaptation et amnagement pour convenir

    aux ralits du groupe. Dans lAnti-Atlas, le lluh dAjarif sest constitu en modle

    rfrentiel dominant et celui dAgadir n Ikkunka nest, suivant Jacques-Meuni, quunecopie conforme (1951, t.II, p.70). Selon Al Othmani, le prambule du lluhdes Ayt Wizzln

    signale que le groupe sest appuy sur le recueil dAjarif pour ltablissement du coutumier

    de leur grenier (2004, p.106). Il en est de mme pour les tiqidin des Ayt Atta. Elles

    respectent lanciennet des qsur-s suivant lhistoire de ltablissement successif des

    diffrents lignages et se rfrent tous celle dIgherm Amazdar, considre comme tant la

    premire coutume et acte de fondation de la confdration (Mezzine, 1987).

    Lopration de la rdaction a pour objet ltablissement du recueil pour la premirefois, sa rvision en fonction des impratifs nouveaux par des modifications ou des ajouts

    au gr des nouveaux problmes poss lassemble ou la communaut. Cest ainsi que

    certains lluh-sdonnent une ide sur lvolution de la coutume crite chez certains groupes.

    A propos de taqqitt n lgara dans la valle de Ziz, Mezzine signale, daprs des

    informations orales, quelle a t tablie par le fqih du qsar en trois jours. Celui-ci crit les

    rgles que les habitants de Lgara venaient lui dicter suivant les jugements rendus par les

    diffrentes assembles de ligherm dont ils se souviennent encore. La taqqitt est en ce

    12

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    sens la transcription de rgles connues, aprs limination de rgles juges dsutes. La

    transcription de la coutume tmoignerait ainsi du processus de la sdentarisation des

    nomades Ayt Atta dans les igherman de la rgion. Elle traduit aussi ladaptation des

    anciennes rgles ce nouveau cadre de vie et llaboration dautres rgles en fonction des

    impratifs de la sdentarisation (1987, pp.41-42).

    La transcription de la coutume peut avoir aussi une signification lgitimiste. Ecrite

    par un homme de science religieuse ou sous les auspices dune autorit spirituelle2, elle

    exprime la volont du groupe de sadapter, au moins au niveau formel, aux valeurs

    dominantes de la communaut globale, surtout quand le pouvoir central devient trs

    entreprenant. Lcriture donne une lgitimit la coutume. Elle permet de la doter dun

    prestige en fournissant une image positive de la coutume dcrie par les lgistes. Dans unautre contexte, Gianni Albergoni souligne, propos dune tribu rurale de la Cyrnaque,

    qucrire la coutume permet la tribu de donner une image positive sur elle-mme

    ladresse des interlocuteurs trangers (2000).

    Cest ainsi que certains lluh-s prcisent clairement leur inscription dans un cadre

    lgal. Le langage utilis dans les prambules informe de cette volont harcelante par des

    expressions qui revoient la divinit et des prires qui sollicitent de Dieu de bnir le

    groupe qui cherche son bien et son salut. Je remets toute mon affaire Dieu, crit le lettr charg de la transcription du

    lluhde lAgadir des Ayt Bahman, certes Il voit clairement ses esclaves. Losque

    Dieu en a dcid, la jema des Beni Bhman notables et gens du commun- et

    ceux qui sont entrs avec eux (dans cette assemble), les Beni Ssa et les Beni

    Mechrak, se sont mis daccord pour rgler les affaires de leur pays, en tirer profit

    et repousser ce qui est nuisible. Nous demandons Dieu, dans sa Providence, de

    nous diriger dans la bonne voie et de nous donner de bonnes aspirations.

    (Arhmouch, 2001, p.123)

    Aussi, certains lgistes locaux chargs de la transcription de la coutume se sont

    montrs favorables ltablissement et lapplication de la coutume. Au moment de la

    consignation par crit de certaines dispositions coutumires, ils ont ainsi intgr leurs

    opinions positives au prambule du coutumier. A cet gard, le Savant Abdallah ben Al Hajj

    2A titre dexemple, la taqqittdIgherm Amazdar a consacr tout un passage Abdallah ben Hsayn et ses

    descendants qui ont veill la constitution de la confdration.

    13

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    Chouayb de Talidla dans la confdration des Ilaln, Anti-Atlas mridional, a approuv,

    dans le prambule du lluh de lagadir de Talidla quil avait transcris, la lgalit de la

    coutume. Il prcise que considrant que le groupe dsigne ses garants qui procdent en

    commun accord ltablissement de dispositions juridiques et leur consignation par crit

    pour que ce document soit leur ultime recours, et considrant que ces dispositions ont t

    labores pour parer contre tout ce qui touche lintgrit du groupe et leurs biens et, par

    consquents, elles sont applicables tous les membres quelle que soit leur position sociale,

    la pnalisation des dlits et lutilisation des sommes accumules des amendes infliges aux

    contrevenants sont lgalement permises (Al Othmani, 2004, p.139) 3 . Dautres

    transcripteurs insistent sur la ncessit qui donne droit, dans la doctrine malkite, faire

    recours certains actes blmables. A titre dexemple, le lluh des Ayt Bahman postule que

    146- ceci est pour le profit de la scurit des pauvres et des faibles, ainsi que les

    autres.

    147- ceci est (fait) en obissance Dieu, son prophte, notre mir, et pour

    dsobir Satan.

    148- ceci est quitable, conforme la vrit ; Dieu louange et remerciement ! ,

    (Arehmouch, 2001, p.154).

    Certains lluh-s noncent quils ont t tabli conformment aux coutumes des igudardes

    Umsiltn, dans le territoire de la confdration des Ilaln, parce que le Sultan a approuv aux

    Ilaln lapplication des coutumiers de leurs greniers (Al Othmani, 2004, p.246). Le renvoi

    lattitude positive du Sultan montre la volont de certains groupes qui se trouvent dans des

    rgions exposs aux actions du Makhzen donner une base lgale leur pratique juridique.

    Sur un autre plan, bien que ces coutumiers soient crits en arabe, ils prsentent des

    traits singuliers. Dabord, il sagit dun arabe altr, les rgles de grammaire et de

    lorthographe tant ignores. Ensuite, lcrivain ne soigne pas son style. Il traduit

    littralement des expressions en usage dans la langue locale vers larabe, il arabise certains

    termes amazighs en rapport avec les procdures juridiques, il utilise certains termes arabes,

    qui taient au dbut un emprunt de lamazighe larabe avant de subir des tribulations

    smantiques, dans leur acception dans la langue amazighe sans tenir compte de lcart

    3Un autre savant, Mohammed Ben Ali Al Yaqoubi al-Hilali, a justifi sa contribution ltablissement et latranscription de la coutume du grenier de la Zaouia de Sidi Bu Yaqub en affirmant quil est dans le devoirde la communaut et dans le devoir des savants de faire de leur possible pour tablir des rgles qui fortifientle temple du bien et sanctionnent toute acte visant laltration des intrts communs du groupe, (Al Othmani,

    2004, pp.139-140).

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    smantique et introduit aussi des vocabulaires juridiques amazighes (comme tamwult,

    subvention, tafgurtou azzayn, amende, amksul, tranger) sans donner parfois dquivalents

    en langue arabe. Cest ainsi que le dchiffrage de ces documents ncessite une matrise de

    lamazighe et une connaissance suffisante du contexte et de la vie sociale et juridique du

    groupe. La langue des coutumiers est une langue singulire, elle sapparente celle utilise

    dans les actes notariaux. Elle nest pas de larabe, elle est une forme drive et amnage

    quon peut dsigner darabe notarial. Avec la frquence et la rgularit stylistique de ce

    langage on peut parler dune tradition singulire. La matrise relative de la langue arabe

    des lettrs rustiques que certains chercheurs avancent pour expliquer la domination de cette

    langue dans ce genre dcrit nest pas suffisante, lexistence dune tradition savante et bien

    soigne en langue arabe dans la rgion montre la prsence dun corps important de lettrs

    qui ont une matrise parfaite de la langue arabe. Il faut peut-tre chercher ses origines dans

    la volont dinstituer une tradition spcifique et limite ce secteur vital de la vie sociale et

    politique.

    e. forme et contenu du coutumier

    Au-del de la langue, les coutumiers crits prsentent gnralement des traits

    communs au niveau de leur forme. Ils commencent par un prambule qui comporte la liste

    des reprsentants des lignages prsents au moment de la rdaction, le nom du chef lu pourprsider lassemble constitue et veiller sur lapplication des dcisions prises, le nom de

    lautorit religieuse ou scientifique sous les auspices de laquelle a t tabli ce

    coutumier/contrat et, parfois, les circonstances dans lesquels a t tabli et ses fondements

    lgaux. Ensuite, ils numrent les dispositions coutumires qui noncent les dlits et les

    pnalits prvues, se rapportant aux diffrents aspects du domaine que couvre le

    coutumier. Enfin, lcrivain introduit certaines recommandations et prie pour que Dieu

    assiste la communaut dans son action pour le bien commun. Il met son nom et la date de

    ltablissement du document.

    Si la forme reste relativement rgulire, cest dans le cadre des dispositions

    coutumires nonces quun coutumier diffre de lautre. Nous avons dj signal que le

    lluhdu Souss consacre une alliance ou ltablissement dun difice ou dun lieu commun,

    comme lagadir/grenier, timzgida/mosque ou un march et moussem. Cest ainsi que les

    lluh-sconstituent des juridictions sectorielles. Certains tablissent juste ce qui se rapporte

    lorganisation et la gestion dun march ou dun moussem, la scurisation des routes et

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    des marchants et la lutte contre le trafic illgal des produits, ou la gestion dun difice

    collectif (les lluh-s des greniers) ou la sanctification dun lieu saint, comme la mosque et

    la zaoua dpendant des groupes allis. Dautres, qui consacrent une alliance, peuvent aller

    de la rglementation de la coutume pnale dans les territoires que couvre lalliance jusqu

    lorganisation des secteurs de la vie sociale, conomique et politique partags entre les

    diffrents groupes allis. A cet gard, le lluhde Masst prsente le coutumier le plus labor

    et le plus gnralis de la rgion. Etant donn quun ensemble important de localits

    partagent des lieux communs, comme les services dirrigation, le march, les zaouas, le

    coutumier rglemente la gestion de ces lieux et les pnalits infliges toute contravention.

    Il couvre ainsi, outre le domaine pnal, les droits des eaux, la gestion des marchs et des

    zaouas, la mise en dfens des rcoltes, la dfense du territoire de la tribu et les personnes

    exemptes de ce devoir comme les tudiants coraniques, le foncier, lorganisation des

    pturages et des dispositions concernant la procdure juridique et la relation avec la justice

    coranique4. Par contre, le coutumier des Ayt Wadrim se limite aux dlits et des infractions

    commis ausein de la tribu et ses lieux communs, comme laltration de lentente conclue,

    le meurtre, le vol, le vol dans le march et dans le moussem, blessures et armes utilises,

    menaces par une arme, complicit de meurtre ou de vol, perturbation de procdure

    judiciaire, bagarre, dgts matriels et vol dans les lieux saints (Al Othmani, 2004, pp.

    269-273). Les coutumiers comportent aussi des dispositions concernant les procdures

    judiciaires et les critres requis pour quun individu soit membre de lassemble

    lgislatrice ou excutive. Nous observons que les coutumiers de Souss, tant des actes

    consacrant des alliances supralocales ne se rapportent pas aux secteurs essentiels de la vie

    sociale et conomique du groupe. La gestion de ces derniers qui entrent dans les

    attributions des assembles de localit na pas fait objet de consignation par crit.

    Par ailleurs, la spcificit de lorganisation sociale et politique de l igherm (qsar)

    dans le Sud-Est a fait que les coutumiers de ces habitations collectives rgissent tous les

    aspects de la vie prive et publique. Prenons par exemple la taqqitt dIgherm de Lgara,

    dans le Tafilalt, fond par des lignages Ayt Atta. Daprs lanalyse de Larbi Mezzine

    (1987), elle comporte un prambule, trois chapitres et deux documents annexes. Le

    premier chapitre contient des rgles se rapportant aux dlits commis au sein du qsar, des

    4A titre dexemple, la disposition portant le n110, postule : Deux individus, aprs avoir prsent un litigedevant la tribu ou la djema, dcident dun commun accord de porter ce litige devant le chra ; si cettejuridiction dfre le serment lun des deux plaideurs il devra jurer selon les rgles admises par le chra tout-

    puissant, et non selon les prescriptions de lOrf , (Arehmouch, 2001, p.106).

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    dispositions relatives la vie politique et sociale, la rglementation de la vie dans les

    pturages et aux modalits de fixation des prix pour les objets localement fabriqus. Pour

    ce dernier point, la taqqitt stipule dans sa disposition 152 que

    le ayh choisit quatre personnes et sajoute elles pour fixer avec les potiers, lesforgerons et les autres artisans, le prix de tous leurs articles. Il ne sera plus possible

    lartisan, aprs cela, de vendre un prix suprieur au prix fix. Quiconque

    manque cet accord est passible dune amende de 5 mitqal-s, et son protecteur ne

    pourra, en aucun cas, le dfendre (Mezzine, 1987, p.222)

    Le deuxime chapitre est relatif la palmeraie. Il comporte ainsi des pnalits

    prvues pour des dlits, des dispositions se rapportant la rglementation de la vie dans ce

    secteur conomique vital comme les modalits de lorganisation de lirrigation et desrcoltes et lapplication de la mise en dfens. Au-del, certaines dispositions concernent les

    modalits de la constitution des Ayt Izerf, une forme de tribunal local. Le troisime

    chapitre est consacr aux rgles qui rgissent lassociation agricole du khamms et la

    condition sociale des Haratin. Il intgre galement des dispositions se rapportant la vie

    dans le qsar et dans la palmeraie et la fonction du chef lu. En cela, la taqqitt,

    contrairement aux lluh-s de Souss, nest pas exclusivement focalise sur les rparations

    matrielles dans les affaires pnales, elle touche aussi des domaines oublis par les autres

    coutumiers comme lorganisation de l'exploitation collective des terres agricoles, le statut

    foncier, lassociation agricole et le statut des ouvriers agricoles et lorganisation de la vie

    sociale, conomique, politique et juridique du qsar.

    f. procdures judiciaires

    Au-del des diffrents secteurs de la vie rgis par la coutume, les coutumiers nous

    renseignent galement sur les procdures judiciaires et les voies suivies pour lapplication

    des sentences. Dans ce cadre, nous allons prsenter brivement cette question sans dtaillertoutes les pripties. Tout dabord on procde la constitution du tribunal coutumier,

    appel selon les rgions ayt uzrf, imzzurfa,inflas, ayt rbin, qui diffre dune rgion une

    autre. Dans certains cas se sont les personnes mentionnes dans le prambule dun lluhqui

    constituent ce tribunal, ils reprsentent les diffrentes localits dans le conseil suprme de

    la tribu ou de la confdration. Il leur revient dappliquer, aprs avoir pris connaissance de

    laffaire, la sentence prvue par le document crit. Si la rgle nest pas prvue, il leur

    revient de dlibrer. A cet gard, le lluh de lAgadir des Ayt Bahman, stipule dans sa

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    disposition portant n149, toute convention qui ne se trouve pas, cest--dire dans ce

    lluh, est dans la tte des cheikhs et ce sont eux les ummals[responsables dsigns] ,

    (Arehmouch, 2001, p.154). Dans la rgion du Sud-Est, cest lamgharlu qui dsigne les

    imzzurfa, personnes justes et matrisant les dispositions coutumires, chargs de la

    constitution du tribunal local. A cet gard, la taqqittde Lgara, prcise les modalits de sa

    constitution. Elle stipule, dans la disposition n213, qu

    il appartient au ayh de choisir les gens dizerf au sein des rubu [ un quart

    littralement, division lignagre] du pays. Sils narrivent pas se mettre daccord

    sur laffaire en instance, le ayh devra choisir dix autres personnes. Si elles

    narrivent pas se mettre daccord de nouveau, le ayhdevra encore choisir dix

    autres personnes. Si elles narrivent pas se mettre daccord [pour la troisime

    fois] il fait le total [des voix des trois dizaines], et si la majorit aux deux tiers est

    atteinte laffaire est close. Sil ya galit des vois, les trente personnes iront

    soumettre laffaire aux gens de Tahiamt [un autre qsar des Ayt Atta considre

    comme lancien qsar fonde dans la rgion de Tafilalt]. Sils ne sont pas satisfaits

    par la sentence considre comme ultime chez les gens de Tahiamt, laffaire sera

    prsent au ayhdes Ayt umnasf [un ancien lignage de la confdration) qui lui

    appliquera lultime solution prvue pour un tel cas. Si les trente personnes se

    divisent en deux parties gales, le dernier mot reviendra ceux avec qui le ayhsaligne , (Mezzine, 1987, p236-7).

    Quant la procdure juridique, elle est relativement identique et se caractrise par sa

    simplicit. Le plaignant avertissait le conseil et laccus et dpose sa plainte auprs du chef

    du conseil, de tribu ou des ayt rbin. Un dlai conventionnel tait donn laccus pour se

    prsenter ou de mandater un rpondant. La prsence est obligatoire. A cet gard, la taqqitt

    de Lgara mentionne clairement, dans sa disposition portant n218, que

    lorsquun individu dit, en prsence dun tmoin, un autre : si tu ne me suis

    pas devant le ayhtu fera dfaut en justice (tirzi n usrud[en amazigh]), et que

    celui qui a t cit en justice ne se prsente pas devant ayh, il est, aprs attestation

    du dit-tmoin, passible dune amende de 2 mitqal-s. Si cet individu traduit la

    personne en question devant leayhet ne peut prsenter de tmoin, cette amende

    se retourne contre lui (Mezzine, 1987, p.231)

    Dans le mme cadre, le lluhde Massat postule dans la disposition 31 que

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    celui qui ne rpond pas la citation de son adversaire devant les Inflasde la

    Djema ou devant le mhakkim (Cadi), selon le cas, paiera 25 onces

    (Arehmouch, 2001, p.94).

    Aprs avoir vrifi les dclarations et les preuves prsentes, le tribunal rend sonjugement. Parfois, laccus est oblig de prter sermon avec un nombre dtermin selon les

    chefs daccusation pour prouver son innocence. Faire partie de ce tribunal, plac sous la

    responsabilit du chef, exige du candidat dtre g, responsable et avoir une connaissance

    des rgles coutumires, parce que, dans certains cas, le manque de rgle dans le coutumier

    rfrentiel crit ncessite le recours une dcision unanime ou majoritaire issue de

    dlibrations collectives des membres du conseil5. Il est ainsi formellement interdit, dans

    certains lluh-s de Souss, toute personne accuse de vol dans le grenier de figurer dans laliste du conseil qui gre cet difice. Aussi, tout membre de conseil impliqu dans une

    affaire pnale ou morale est destitu de ses fonctions (Al Othmani, 2004, p. 163 et p.233).

    Lapplication de la dcision et lexcution des sentences rentrent dans les attributions du

    conseil. Il utilise les moyens de pression morale en impliquant, dans le cas chant, les

    autres membres de son lignage. Dans la procdure excutoire, le chef fixe un dlai

    dexcution de la sentence prononce et veille lui-mme sur son application. Les sentences

    consistent dans la rparation par restitution de lobjet vol et dans le ddommagement en

    cas de meurtre, de blessure ou dadultre en plus de pnalits verss au conseil. Dans

    certaines rgions, il est possible de faire appel. Dans ce cas, la hirarchie institutionnelle

    fonde sur des considrations dautochtonie de tribu ou de confdration est respecte. Le

    cas dIgherm Amazdar, qui constitue linstance juridique suprme de la confdration des

    Ayt Atta et dont la sentence prononc est juge tre sans appel, illustre mieux ce cas de

    figure.

    Certains coutumiers dterminent aussi les modalits de conservation et de lusage du

    document contenant les rgles applicables. Ainsi, dans le lluhdes Ikkunka, il est prcis

    que toute personne, charge de garder le document chez elle, est oblige de le prsenter au

    conseil lu au cas du besoin. Si elle refuse, son acte est passible dune amende. Il prcise

    aussi que le lluhdevrait tre dpos auprs du gardien du grenier (lamin) et si la personne

    5En ce qui concerne la dcision collective, les disposition 44 et 307 de taqqittde Lgara stipulent que ladsignation des ouvriers du pressoir huile se fait aprs concertation du ayh et de ses mzarig imengas[rpondants des lignages]. Si lunanimit nest pas ralise, on adopte le choix de la majorit et si tousles gens de la qbila sentendent sur une quelconque affaire, [lopposition d] une personne ou deux jusqu

    cinq ou six, ne peut entraver leur dcision (Mezzine, 1987, p.203 et p.247).

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    auprs de laquelle a t dpos lavait montr a quelquun dautre sans la prsence de tous

    les responsables dsigns, il est condamn payer une amende prvue pour cette infraction

    (Al Othmani, 2004, p.236). Dautres mthodes ont t galement institues pour informer

    les intresses des dispositions de loi tablies par le groupe, comme la lecture du lluhet

    son explication aux intresss dans une runion publique ou noncer des rgles prcises

    par la voie du crieur public (abrrah) dans les marchs ou dans les villages en fonction des

    dcisions ou des saisons. Le lluhdes Ayt Lmadr ordonne ainsi de crier publiquement sur

    le toit de la mosque tout ce qui a t dcid dans le recueil pour que tout le monde le

    sache (Al Othmani, 2004, p.109).

    Il rsulte de ce bref rappel de certaines considrations gnrales propos du droit

    coutumier, et en particulier sa version codifie et crite, que cet un droit trs labor etrpondant aux exigences de la structure sociale. Il couvre dans la rgion o la structure de

    la tribu concide avec les frontires de lunit sociale de base, tous les aspects de la vie

    sociale, conomique, politique et cultuelle du groupe, alors que dans les rgions o la tribu

    se prsente comme une alliance de localits, qui forment les units de base, il rgit

    essentiellement les affaires pnales et la gestion de certains difices, territoires et lieux

    communs aux groupes ayant conclus une alliance. Dans ce cas, crire une coutume marque

    souvent ltablissement dune alliance et la constitution dun conseil charge de veiller sur

    son maintien ou ldification dun lieu ou dun service commun. Il complte ainsi une

    autre composante de la coutume qui, tant inscrite dans les pratiques sociales, demeure lie

    la gestion quotidienne des affaires et sa transmission et son apprentissage se fait sur le

    tas. Elle est souvent relative la gestion des secteurs vitaux de la vie conomique, comme

    la mise en dfens des rcoltes, le partage des droits deau, la gestion des lieux du culte, des

    parcours et des terres collectives. Lexistence des niveaux diffrents de coutume dans les

    socits amazighes, surtout dans le domaine de prsence de lluh-s, sexplique par la

    hirarchie des institutions dans la structure tribale (assembles de localits, conseil de

    fraction, de tribu ou de confdration (Inflas)). Cette division qui traduit une hirarchie de

    structures est dterminante dans la comprhension des lieux de rsistance de la coutume

    aprs les mutations sociales et cultuelles perptres aprs lintervention coloniale et le

    dbut de processus de formation et dimposition de la lgislation nationale.

    Signalons galement que malgr la suprmatie de la coutume dans lorganisation de

    la vie du groupe qui sexplique par la souverainet de ses instances lues, la justice

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    coutumire ne sarroge pas les comptences attribues la lgislation formelle musulmane

    dans les affaires du statut personnelle et, dans certaines rgions, les affaires foncires et de

    lhritage. Toutefois, lassemble lue garde un droit de regard et veille sur la dcision du

    juge ou de lautorit religieuse dsigne pour trancher cette affaire. Elle peut mme infliger

    des amendes contre des juges ou des lettrs injustes. Certains lluh-s ont fix les modalits

    du recours au droit chra dont se chargent les autorits scientifiques reconnues par les

    instances de la tribu. Ainsi, le coutumier de Masst prcise que

    35- lorsque le Cadi prononce un jugement et que celui-ci est confirm par un

    deuxime magistrat, laffaire est considre comme dfinitivement close. Mais, si

    le jugement est infirm, laffaire est alors porte devant un jurisconsulte ou nadir

    qui examine les deux jugements et rend le sien, lequel est dfinitif et absolu.

    36- undelqui na jamais fait de faux et qui nie avoir rdig un acte au bas duquel

    il avait appos sa signature : 20 mitqals et hbergement desIneflas.

    37- mmes peines pour celui qui se rend coupable de faux et dont la culpabilit est

    nettement tablie.

    38- les personnes qui se disputent en pleine audience devant le Cadi : 5 mitqals

    chacune.

    39- les Tolbasen fonction des les mosques, peuvent officier au mme titre que les

    doul; leurs crits seront valables au point de vue juridique.40- si un magistrat, Cadi ou Mufti, aprs avoir prononc un jugement, obtient

    certaines preuves sur laffaire juge par lui, preuves la suite desquelles il infirme

    son jugement, il est ncessaire quun autre magistrat reprenne laffaire en mains

    pour recommencer la procdure. Dans ce cas, le premier juge ne peut tre lobjet

    daucune poursuite et ne peut tre accus dabus de pouvoir (Arehmouch, 2001,

    pp.94-95).

    Dautres dispositions du mme lluh-s dlimitent les frontires entre les procdures dela coutume et du chra:

    107- lorsquun individu reconnat au souk ou au moussem, entre les mains de

    quelquun, un objet qui lui a t vol, les deux parties, si elles sont daccord,

    peuvent porter leur diffrend devant le chra qui le jugera. Dans ce cas, lOrf

    naura pas simmiscer.

    () 110- Deux individus, aprs avoir prsent un litige devant la tribu ou la

    djema, dcident dun commun accord de porter ce litige devant le chra; si cette

    21

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    juridiction dfre le serment lun des deux plaideurs il devra jurer selon les

    rgles admises par le chratout-puissant, et non selon les prescriptions de lOrf

    (Ibid, pp.105-106).

    Si ces dispositions montrent lexistence de la procdure chra au sein de certainestribus, elles informent galement que son fonctionnement est surveill par les institutions

    coutumires. Cest ainsi que les Cadis dsigns par le pouvoir central ne bnficient pas de

    la confiance des communauts locales. A titre dexemple, le Cadi Ahmed Ben Brahim As-

    Semlali, charg par le Sultan Hassan 1er la fin du XIXesicle doccuper la charge de cadi

    dans le territoire des Ayt Bamran, mentionne dans une lettre crite son seigneur quil

    na pas t sollicit par les habitants de la rgion pour trancher leurs litiges (MHamdi,

    1989, p.79). Cela ne montre pas, comme lavance ce jurisconsulte, que les gens ignorent la

    justice chra, mais approuve, compte tenu de lexistence des lettrs locaux qui statuent

    dans le domaine du statut personnel, que les ruarux prfrent solliciter lintervention de

    cadis que eux-mmes choisissent. Par ailleurs, au moment de llaboration de rgles, les

    Inflas peuvent galement demander lavis de plusieurs jurisconsultes et dlibrent sur

    lavis adopter. Mais cela ne signifie pas une obissance totale aux jugements rendus par

    ces autorits, le dernier mot revient toujours aux institutions tribales qui tendent

    amnager ces avis pour les adapter aux ralits locales et dimposer la solution qui rpond

    mieux aux intrts communs. Elles prservent ainsi leur autorit et leur comptence

    lgislatrice. Cest en ce sens que le droit positif tribal est troitement li aux instances

    charges de son laboration et de son application. Il est dynamique, changeant et sadapte

    aux ralits nouvelles en fonction des circonstances. Il est ouvert sur toutes les sources du

    droit avec lesquelles il est entr en contact, en particulier la lgislation formelle musulmane

    chra. Il lui emprunte des principes juges ncessaires lintrt du groupe et rejette,

    suivant le principe de ncessite, ce qui peut nuire la cohsion et au maintien du groupe,

    comme condition essentielle la continuit de la vie dune socit.

    Etant ainsi visible et central dans la gestion des affaires commune, il sest constitu en

    objet du dbat, en particulier de la part des lgistes religieux.

    22

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    II. Attitudes des principaux acteurs du Maroc prcolonial

    Limportance du droit coutumier dans la structure sociale ne sexplique pas

    seulement par leffort dploy pour son laboration et pour sa dotation de supports

    institutionnels puissants, mais aussi par sa constitution progressive en un objet danslhistoire des savoirs propos de la culture et de la socit dans le Maroc prcolonial. Ce

    droit est en effet un de ces objets qui de longue date ont occup la production des discours

    sur la socit rurale qui comportent, outre les crits des chroniqueurs et des lgistes, les

    avis et imprvus juridiques fatawi et nawazil et les rponses ajwiba. Selon Ali Sadki

    Azayku (2001, pp.185-238), cest partir du XIVe sicle que le dbat propos des

    institutions coutumires commence merger, donnant naissance des points de vue qui,

    marqus par les conditions sociales et politiques de leur production, sont multiples etcontradictoires. Ce dbat est mettre en rapport avec la prsence dune forte dynamique

    entre la volont de centralisation de la part des pouvoirs centraux qui se sont succd et de

    fortes autonomies rgionales. En fait, la formation dune forme de pouvoir central qui

    exerce une pratique politique inspire de la tradition islamique a fait que le Maroc, dans

    lordre gographique mais aussi dans lordre culturel et politique, comporte deux territoires

    socio-politiques distincts : un espace rural et priphrique et un autre citadin et central, lieu

    du pouvoir et de sa culture lgitimes. Comprendre donc pourquoi la coutume a fait objet de

    toute une production cest connatre les rapports complexes que ces deux espaces

    entretenaient et limpact de lusage des symboles religieux dans la mise en uvre des

    processus sociaux et politiques de lgitimation. Dans ce cadre, laction du pouvoir et les

    processus de sa lgitimation, fonds essentiellement sur la gnalogie et sur une utilisation

    massive de symboles religieux, joue un rle dterminant dans la formation dune

    production idologique. On assiste ainsi la formation dune catgorie de lgistes qui,

    affilis au pouvoir, se consacrent la dfense dune forme particulire de culture et

    critique certaines pratiques sociales et culturelles juges loignes de la norme religieuse

    officialise. Il est donc intressant de se rappeler la frontire sociale, et mme politique,

    entre cet espace rural et priphrique et li aux institutions sociales traditionnelles, appel

    dans la littrature historique classique pays de la dissidence, bled es-Siba, et lespace

    citadin, organis suivant une certaine interprtation de lIslam classique et leiu du pouvoir

    et de culture lgitimes, appel bled el-Makhzen, pour une meilleure apprhension de la

    formation des discours sur la coutume.

    23

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    Si cette production permet de saisir comment le droit est peru elle constitue

    galement une source importante pour situer les origines culturelles de la fabrication de la

    coutume comme corps ngatif de la nation durant le processus nationaliste. Au sein de

    cette production, on peut distinguer entre, dune part, les attitudes qui donnent raison

    lexistence de la coutume en mettant en avant les conditions qui poussent les communaut

    locales sattacher leurs pratiques juridiques et, dautre part, la position ngative du

    pouvoir central et de ses lgistes. Pour commencer, nous tenterons de voir pourquoi les

    ruraux et leurs lgistes dfendent la pratique coutumire.

    a. les ruraux et leurs institutions

    Durant le processus dislamisation du Maroc, les socits rurales amazighes,

    organises souvent en communauts locales, sont entres en contact avec le droitcanonique musulman, parce que lIslam nest pas simplement un systme de croyance, il

    porte aussi un modle dorganisation sociale et politique. Toutefois, ce modle, n dans le

    contexte dune cit marchande, est difficilement applicable dans les socits rurales. Cest

    ainsi que ladoption de lIslam ne sest pas traduit par un abandon total de certaines

    pratiques souvent dcries par les lgistes urbains. La situation de contact et, parfois, de

    tension, ne de ce processus, mais caractrise par un quilibre et un dialogue entre

    lassimilation et le rejet qui fait le propre dune socit fonctionnelle, a permis au systmecoutumier de se maintenir et de senrichir et aux ruraux dlaborer des stratgies de

    lgitimation de leur systme juridique.

    Pour comprendre cette situation, nous allons prsenter lattitude des ruraux et la

    position positive de certaines autorits scientifiques averties des affaires rurales. Pour ces

    socits, la conservation dune autonomie de gestion et de contrle de ressources est un

    moyen ncessaire leur maintien. Elles sopposent ainsi tout monopole du pouvoir

    politique et administratif. La dlgation de la gestion des affaires communes aux lgistes,qui ignorent souvent les lois de fonctionnement de la socit et les pripties de

    lorganisation sociale et des particularismes locaux, conduit ncessairement au dsordre et

    la ruine. Daprs un rcit, les habitants de la valle dIlmgert, dans le territoire des Idaw

    Kensus dans lAnti-Atlas mridional, considrent la prsence des fonctionnaires du

    pouvoir central comme synonyme de la perte dquilibre social. Ils racontent quun

    reprsentant du Makhzen nomm lqaydAbdallah u-Buzayd sest install dans un temps

    quils narrivent pas dterminer dans la valle. Il a tabli son quartier avec sa famille et

    24

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    ses lieutenants dans un endroit proche de la source deau (dar lin). Aprs leur

    installation, ils commencent scarter de la conduite rgulire. Ils perturbent ainsi lordre

    de la vie sociale et jettent des cadavres de leurs bestiaux dans la source. Par leur prsence

    et leurs actes, ils privent les habitants de leau et sa distribution sur les ayants droit se

    trouve galement perturbe. Ils mettent ainsi en danger les rcoltes et privent les habitants

    de leur ressource principale. Le rcit ne donne pas dautres dtails sur la dure de leur

    prsence ni des ractions diverses des habitants. Il se contente dindiquer quaprs la mort

    du reprsentant du Makhzen, qui na pas t remplac, et lexpulsion desdits trangers ,

    la vie sociale et les normes rgulatrices des relations entre diffrentes localits de la valle

    ont repris leur cours normal. Ce rcit explique en effet que la concentration du pouvoir

    entre les mains dun seul personnage met en danger lquilibre social et que la prise en

    charge des affaires communes par les instances traditionnelles a permis le rtablissement

    de lordre et de lquilibre.

    Le recouvrement de la souverainet institutionnelle sur la gestion des affaires

    communes constitue ainsi un lment essentiel la structure sociale. Il sert prserver les

    fondements structuraux du maintien de lordre social par la consolidation des institutions

    locales. Cest ainsi que certains groupes locaux, comme les habitants de loasis de Figuig

    dans le Sud-Est, ont fait de la reconnaissance de leur autonomie de gestion le pralable la

    reconnaissance de lautorit du Sultan. Ali as-Soussi, missaire de Hassan I, parti inspecter

    les confins algro-marocains dans la deuxime moiti du XIXe sicle, signale dans son

    rapport lattitude de ces groupes organiss en qsur. Il crit :

    Quand on leur a demand de se mettre daccord sur la dsignation du

    reprsentant du cad Abdelmalek, ils ont manifest un sentiment profond de refus

    et de mcontentement. Ainsi, nous les avons interrog sur la raison de leur attitude.

    Ils ont dit : Si les affaires de Figuig sont tombes dans les mains dun seul

    homme, le pays risque de se perdre et de sexposer la conqute des mcrants.

    Une personne ne pourra pas grer efficacement le bien commun . Nous avons

    alors accept leur propos raisonnable. Et nous avons consign que les affaires de

    Figuig et leur relation avec le roumi nentreront pas dans les prrogatives du

    25

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    reprsentant makhznien. Ce dernier se contenterait de sa prsence au sein de la

    jema. Ainsi, ils ont accept de reconnatre lautorit du Makhzen 6.

    Lopposition au pouvoir central traduit ainsi cette ncessit ressentie, exprime et

    formule de prserver la gestion des biens communs aux instances locales. En cela, lareconnaissance de la lgitimit politique ou religieuse du Sultan ne signifie pas au regard

    des communauts rurales la soumission au pouvoir politique effectif du Makhzen, parce

    que la logique de concentration du pouvoir entre les mains de fonctionnaires qui ignorent

    tout des affaires rurales ne peut quaboutir au dsordre social. Cest pourquoi la rvolte des

    ruraux relve de la ncessit dune autogestion localise du bien commun, en absence

    dune gestion quitable de la part du pouvoir central. La dissidence est alors lie tout le

    systme social de la socit rurale. Il nest pas inconsidr daffirmer que la totalit de ces

    ractions sinscrivent dans la dfense dun droit au contrle des espaces vitaux de la vie

    sociale et politique des communauts locales. La socit rurale tient aux conditions de sa

    continuit et de reproduction. Et compte tenu du fait que la coutume occupe une place

    centrale dans cette structure sociale, il est normal quelle soit au centre des discours sur

    cette socit et ses institutions. Dans ce cadre, la position des lettrs qui sont affilis aux

    institutions rurales et dont le prestige et le traitement y dpendent, ne peuvent que soutenir

    cette position et, par consquent, dfendent la lgitimit de la pratique coutumire. En

    posant le problme du statut lgal des institutions coutumires avec lesquelles ces lettrs

    doivent composer, ils penchent souvent pour la lgitimation de la coutume. Pour ce faire,

    ils appuient leurs avis favorables sur la ncessit du maintien de la paix et de la

    prservation de lordre et de la justice. La dfense de la lgitimit est ainsi dicte par les

    exigences de lintrt gnral. Les stratgies de lgitimation sarticulent autour du principe

    juridique ncessit fait loi. Au-del des positions dj cites et inclues dans les prambules

    des lluh-s, les avis dautres autorits illustrent mieux cette stratgie. Ainsi, et en rponse

    une question adresse par Sidi Sid Ben Abdlmunim al-Hahi, un marabout dans le Haut-

    Atlas au temps des Saadiens, le cadi de Taroudant, Isa as-Suktani, affirme que toute

    personne concerne par la question de la coutume devrait prendre en considration les

    conditions des populations rurales, de leurs affaires et intrts, parce que la ncessit fait

    loi. Il part dune exprience et dune connaissance suffisante des affaires rurales, cest ainsi

    quil rsume son avis en disant que voir est tout fait diffrent de se contenter dentendre

    6Ali As-Soussi, Muntaha an-nnuqqul wa mushtaha al-uqul (le plus probant des crits et la passion des

    esprits), ms BG, D.633, p. 155.

    26

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    sur ces affaires (laysa man raa ka man samia). Aussi, le cadi Ibrahim Ben Youns

    considre, dans sa rponse la mme question, que ltablissement du tribunal des inflas

    est un devoir et leurs actes sont tolrables. Il est mme dans le devoir des personnes ou des

    autorits qui se trouvent leur proximit de les aider dans cette affaire (Sadki Azayky,

    2001). Dans le mme sens, un autre lettr du nom dAl-Abbasi postule, daprs Ali

    Amahan (communication personnelle), que tout gouverneur devrait obliger ses gouverns

    suivre les coutumes locales. Lapplication de textes juridiques de la tradition sans

    connaissance du contexte particulier des socits rurales serait ainsi une erreur. Dautres

    juristes, comme Abu Salim as-Sijilmasi et Muhammad Ben Abdallah ad-Dilmi, ont

    galement soutenu que lassemble locale, compose dhommes justes et dcids

    appliquer quitablement les dispositions labores en vue du maintien de la paix et de la

    justice, peut se substituer au sultan ou au cadi dans le cas o ils nexistent pas ou sils sont

    injustes (Al Othmani, 2004, pp.150-154). Un autre savant, de nom de Abdallah Ben Lhajj

    Chouayb originaire de la localit de talidla dans le territoire des Ilaln, a dfendu lutilit

    des inflas, en les levant au rang de combattants/Mujahidin. Il prie Dieu de lassocier leur

    uvre pour permettre la socit de maintenir les conditions favorables toute vie et

    lexercice de la religion (Ibid, p.153). De son ct, Baba at-Tamboukti ne condamne pas

    les institutions coutumires. Il avance quen labsence de toute forme institutionnelle lgale

    (reprsentant du Sultan lgitime, Cadi), il est tolrable que les communauts musulmanes

    priphriques lisent des groupes informels, mais ceux-ci doivent imprativement

    appliquer la loi lgale. Il apparat donc que ce savant dfend une implication au moins

    consultative du lettr (Sadki Azayku, 2001).

    Nous pouvons ainsi dire que, du point de vue des ruraux, la runion des conditions

    ncessaires au maintien de lordre et la gestion rationnelle des ressources structure leur

    conception des choses. Cest ainsi quils sopposent toute ingrence extrieure y compris

    celle du pouvoir central, mme sils reconnaissent sa lgitimit. Et du point de vue de la

    classe de lettrs, ils admettent la lgitimit de la coutume et des institutions que son

    laboration et application impliquent. Ils ne veulent pas ainsi souscrire la conception des

    lgistes officiels, parce que, dune part, ils ne souhaitent pas voiler les ralits locales et,

    dautre part, entrer en conflit avec des institutions puissantes avec lesquelles ils doivent

    composer. Mais cela ne veut pas dire que tous les savants ruraux ont des attitudes

    positives, certains, comme le Cadide Marrakech au temps des Saadiens Muhammad Ben

    27

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    Umar al-Hashtuki, condamnent la structure sociale et la loi quelle produit et postulent

    que la manire normale de se comporter est de se soumettre lautorit lgitime et sa loi

    (sadki Azayku, 2001 et Al Othmani, 2004, p.143-4). Ce genre dattitude traduit une

    position sociale et prfigure les avis ngatifs de la majorit des lgistes officiels qui

    dfendent leur statut social en se proclamant dfenseurs de la lgitimit.

    b. le point de vue du Makhzen et de ses lgistes

    Pour mieux saisir la position ngative des lgistes officiels, il savre ncessaire de

    placer cette classe socioprofessionnelle dans son contexte social et politique. Affilie au

    pouvoir central, elle dfend son statut au travers llaboration des stratgies de sa

    lgitimation. Ce pouvoir est dinspiration islamique. Il sattache ainsi se distinguer des

    groupes sociaux qui, organiss globalement en tribus suivant dautres modles, chappent son pouvoir militaire et administratif. Dans ce cadre, la dfense dune norme politico-

    religieuse historiquement tablie fonde une stratgie de conqute ou de dfense de la

    lgitimit dynastique. Elle implique ainsi lexagration des traits culturels qui dfinissent

    lautre proche et concurrent. Cest en ce sens que toute une vision de la ruralit ngative

    sest constitue travers lhistoire et sest transmise au sein des lites qui gravitent autour

    du Sultan et sarticule autour des thmes de la dissidence et de lhrsie. Le pouvoir central

    en se prsentant comme dtenteur lgitime de la norme religieuse se dfinit par rapport auxautres groupes sociaux qui obissent dautres lois dorganisation sociale et politique.

    Cest en ce sens quils sont dsigns comme rebelles et dissidents, et leur mode

    dorganisation sociale et politique est qualifi dhrtique et de jahiliya. La jahilya est la

    priode pr-islamique. Elle dsigne, dans le langage des Ulmas officiels et du Makhzen,

    lignorance, le non respect de la loi lgale, lobscurantisme et la btise. Cest dans ce

    contexte que le terme de siba (dissidence, anarchie) qui caractrise toute une histoire de

    savoirs propos des relations entre le Makhzen et les tribus prend toute sa signification. Il

    est utilis pour marquer la diffrence statutaire entre ces deux espcaes. Ds le XIesicle, le

    jurisconsulte Abu Imran al-Fassi (m.430/1039) opra une distinction entre al-bilad as-

    saiba le territoire de la dissidence et al-balad al malum bi taa territoire de

    lobdience7. Le premier est le lieu de linsoumission et le deuxime dsigne le territoire

    dpendant de lautorit du chef lgitime. Au XVIIesicle, al-Arabi al-Fassi (m.1692) donne

    7Voir, Abu Imran al-Fassi,Masail al-mudawannah (questions de corpus de jurisprudence), ms D1839 de la

    bibliothque gnrale de Rabat, pp. 32-102.

    28

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    une dfinition gographique et juridique de la siba. Elle sapplique aux tribus qui se

    trouvent en dehors du domaine du pouvoir central. Il crit :

    al-qabail fi lbilad allati la tanaluhum fiha ahkam as-Sultan li taqallusi dhili

    ddawlati ani lqathar wa lmucahadatu fi lwaqti huwwa anna lqabaila baida

    ghayata lbudi an tanfidi zzawajiri lmuqaddira wa ghayriha fiha ala wajhi ash-

    shari [les tribus qui se trouvent dans le pays o lautorit du Sultan natteint pas

    cause de la faiblesse du pouvoir de lEtat Etant ainsi lointaines, ces tribus ne

    sont pas en mesure de rsoudre leurs problmes en accord avec la loi religieuse 8.

    Dans ce sens, la siba est le fait de se tenir dans une position rfractaire lautorit

    effective du Sultan, en tant que chef lgitime de la communaut. Elle marque les limites dela soumission et de lordre. Elle est en quelque sorte la manifestation dune dfiance

    lgard de lautorit centrale. Cest pour cette raison quelle est souvent condamne et, si

    les moyens sont suffisants, combattue. Ces qualifications juridiques donnent une ide de la

    manire avec laquelle la socit rurale marocaine est conue par des autorits scientifiques

    proches du pouvoir central. La notion de siba mane alors de ce que Berque qualifie

    dirrdentisme juridique. A titre dexemple, le Sultan Abd Rahman (1822-1859) dsigne,

    dans une lettre, les pratiques coutumires relatives la vie politiques des tribus amazighesde conduite illgale. En rapportant le cas dun cad makhzen qui, au gr des circonstances,

    sest ralli politiquement ces tribus qui entourent la ville de Fs, il explique :

    Il sest rendu coupable dune vilenie inconnue dans sa ligne en acceptant de passer

    avec eux le pacte de tada, auquel aucun homme digne, aucun Arabe de bonne naissance,

    naurait souscrit ; il a accept de suivre leurs coutumes antislamiques [jahiliya], de

    partager avec eux le repas traditionnel prpar cet effet, de venir chez eux dchauss et

    tte nue pour que, la crmonie stant droule dans les formes, ils aient confiance enlui et le considrent comme un des leurs 9.

    Le cad est originaire de Beni Ahsen, une tribu guich. En se rendant ainsi chez les

    ruraux dissidents et en adoptant les rgles de leur coutume politique, il a rompu ses liens

    8Cf. al-Mahdi al-Wazzani, an-Nawazil al-jadida al-kubra(Grandes et nouvelles imprvues juridiques), Fs,dition lithographique, 1910, p. 186.9Cit par Ibn Zaydan, Ithaf alam an-nnas bi jamal hadirat Maknas, Rabat, Imprimerie Wataniya, 1929-1933, t. V, p. 80. La traduction franaise est tire de, A. Laroui, Les Origines sociales et culturelles du

    nationalisme marocain, Casablanca, Centre Culturel arabe, 1993 (1977), p. 165.

    29

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    avec le Makhzen qui incarne la conduite politique normative. En un sens, il ne fait plus

    partie de la grande famille. Il est devenu dissident. Adopter la coutume des ruraux,

    considre comme appartenant une socit jahilienneet sauvage, apparat ainsi comme

    une excommunion. Si on doit appliquer la thorie de F. Barth cette situation, la frontire

    ethnique entre le Makhzen et la socit rurale nest ni linguistique, ni gnalogique (mme

    si le texte parle dArabe et de bonne naissance), elle est juridique. Elle est marque par

    cette diffrence entre le chraet la coutume. Lasibaserait ainsi lantithse du Makhzen et

    de sa loi. Elle empche la ralisation dune organisation de la socit islamiqueet, partant,

    le maintien des intrts du Sultan qui la reprsente et des couches urbaines qui soutiennent

    sa lgitimit. Etant donn que ces intrts stendent la campagne et surtout aux voies

    commerciales qui la traversent, le domaine de lasibaest conqurir, soumettre aux lois

    de charet donc intgrer au domaine du pouvoir effectif du Makhzen. Le modle idal

    de la cit islamique comme il a t conu par les savants des villes est difficilement

    conciliant avec le rel et le vcu des socits rurales et priphriques. De ce fait, le chra

    et ses dfenseurs ne tolrent pas le statut lgislateur dune assemble locale, la jema,

    parce que la loi, prconisent-ils, ne peut pas maner de la volont dun groupe. Nous

    pouvons ainsi comprendre pourquoi le chra et lazrf se sont transforms en binarit

    inconciliable et comment la coutume, associe la dissidence et la jahilia, sest

    progressivement constitue, dans limaginaire des lgistes urbains, en corps ngatif. Elle

    est ainsi condamnable et son retour au centre des dbats dans lpoque coloniale, marque

    par lmergence du discours nationaliste au sein du champ culturel urbain domin par les

    lgistes officiels, ne peut que favoriser son exclusion dans le Maroc indpendant.

    30

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    III. Formation de la lgislation nationale et exclusion de la coutume

    Ltablissement du Protectorat franais au Maroc aprs la conclusion du trait de

    Fs, le 12 mars 1912, sonna le glas des structures anciennes de lempire chrifien et initia

    le processus de la constitution dun Etat centralis sur le modle de certains payseuropens. Il inaugura ainsi la mise en place de la lgislation formelle qui allait devenir

    aprs lindpendance la lgislation nationale. Aussi, il avait provoqu des mutations

    sociales et culturelles qui, aggraves par les contradictions de lEtat colonial, donnrent

    naissance au Mouvement nationaliste. Ce dernier, en salignant sur le discours juridique

    des lgistes officiels de la priode prcoloniale, a produit un discours trs ngatif

    lendroit de la coutume. Cest ainsi que la priode coloniale a apport des changements

    dans la situation du droit coutumier non seulement dans ses mcanismes defonctionnement, que la mise en uvre de toute une srie de rformes a boulevers, mais

    aussi par la cration des conditions de dveloppement dun discours anti-coutumier qui

    allait favoriser son exclusion dans le projet de la formation de la lgislation nationale.

    a. la rforme coloniale

    La pntration franaise trouve sa raison fondamentale dans la ncessit

    dintroduire des rformes sur ldifice administratif de lEmpire chrifien, suite lchec

    de toutes les tentatives imposes aux sultans depuis la deuxime moiti du XIXe sicle.Cest ainsi que les oprations militaires de soumission ont t accompagnes par une srie

    de rformes politiques, administratives et juridiques, ce que le premier Rsident Gnral de

    la France au Maroc le Gnral Lyautey appelle lorganisation du Protectorat. Sur le plan

    juridique, la cration du bulletin officiel en arabe et en franais et la promulgation du dahir

    des contrats et des obligation du 12 aot 1913 constituent le point de dpart de la mise en

    place du noyau dur de la lgislation qui allait devenir nationale aprs lindpendance et la

    promulgation du dahir de 1965 qui consacre sa marocanisation, son unification et sonarabisation. Le trait de Fs, conclu entre le sultan Abdelhafid et le reprsentant de la

    Rpublique franaise, se dit certes respectueux du caractre religieux du Sultan et affirme

    lengagement de la France respecter lIslam et les institutions qui forment le Makhzen,

    initier leur rforme et imposer son autorit temporelle sur lensemble des territoires

    reconnus comme tant ses domaines. Cependant, les contraintes des oprations militaires,

    les exigences du ralliement des notables ruraux et lorganisation administrative et juridique

    des tribus conquises ont amen les autorits de la Rsidence Gnrale prendre en

    31

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    considration la coutume comme faisant partie des systmes juridiques en prsence au

    Maroc. La rforme de la coutume et sa reconnaissance dans le cadre du pluralisme

    juridique que la situation marocaine impose la France a fait de ce droit, outre un objet de

    recherche scientifique, un espace juridique organiser. Cest ainsi que toute une srie de

    dahirs et de circulaires ont vu le jour et ont pour objet la rforme et la codification de la

    justice coutumire. La mise en uvre des politiques des rformes avait ainsi apport des

    changements dans lamnagement de lespace et dans lorganisation des instruments

    juridiques et institutionnels, labors pour le contrle et la transformation du monde rural.

    Le droit coutumier tant, par sa fonction, un lment dterminant dans le fonctionnement

    de ces structures est aussi entran dans le mouvement des changements en cours. Bien que

    le pluralisme juridique avait permis la coutume de figurer parmi lhritage juridique

    institutionnalis, sa rforme en rapport avec la politique coloniale va largement contribuer

    une restriction des domaines que les institutions coutumires en prsence dans le monde

    rural graient et contrlaient auparavant.

    En effet, la rforme de la justice coutumire sinscrit dans le cadre de la politique

    indigne mise en uvre par le Rsident Gnral Lyautey. Aprs avoir t inform de

    limpossibilit dlargir la politique des grands cads10, mise en uvre dans la rgion de

    Marrakech, la rgion du Moyen-Atlas, il a soumis au Sultan Moulay Youssef un premier

    texte relatif au statut coutumier des tribus amazighes, le dahir du 11 septembre 1914 a t

    ainsi approuv. Ce dahir reconnat ces tribus, qui viennent dtre soumises aprs les

    premires oprations militaires, le droit de conserver leur statut coutumier.

    Considrant, dit son prambule, que de nouvelles tribus sont, par le progrs de la

    pacification, journellement rattaches lEmpire ; que ces tribus de race berbre

    ont des lois et des coutumes propres en usage chez elles de toute antiquit et

    auxquelles elles sont attaches ; considrant quil importe pour le bien de notre

    sujets et la tranquillit de notre Empire, de respecter le statut coutumier qui rgit

    ces tribus ,

    le premier article prconise que

    10Les grands cads taient au dpart des chefs de tribus, mais, profitant des circonstances favorables la findu XIXesicle, ils ont russi imposer leur pouvoir dautres tribus voisines ou lointaines et former de petitsroyaumes dans la rgion de Haouz et du Haut-Atlas, comme le Glaoui, le Metouggi, le Goundafi. Pour avoir

    plus dinformations sur leur naissance et volution (R. Montagne, 1930).

    32

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    les tribus dites de coutume berbre sont et demeurent rgies et administres

    selon leurs lois et coutumes propres sous le contrle des autorits.

    Cette initiative traduit certes la volont des autorits franaises de contrler sans grand

    effectif lespace rural et de crer de nouvelles lites locales intermdiaires, mais elle estaussi aligne sur une certaine conduite des monarques qui consiste dans le respect du statut

    coutumier de certaines tribus dites dissidentes. Elle permet aussi lintroduction des

    rformes juges ncessaires sans la mobilisation de moyens, comme le montre juste titre

    les remarques incluses dans le Compte rendu des travaux de commission de lorganisation

    de la justice berbre, runie en Fvrier et mars 1929 :

    Dans le bloc berbre, les tribus qui ont toujours lutt pour leur indpendance ont

    gard la tendance se juger elle-mme[]. Les parties sadressaient un arbitredont elles sengageaient, dun commun accord, accepter la sentence. Puis, dans

    un stade plus volu, les plaideurs sadressrent un collge darbitres auquel ils

    accordaient leur confiance [] tel tait ltat des choses notre arrive. En 1914

    un dahir reconnaissait lexistence des tribus de coutume berbre et leur droit tre

    administres selon leur coutume propre. Cette justice, organise avec le concours

    des djemaas, ne pouvait tre que gratuite [avec des] moyens trs rduits ; un

    secrtaire de djemaa [] couche les dcisions de la djemaa sur les registres

    spciaux. Ces dcisions sexcutent delles-mmes (cest moi qui souligne).

    (Marie-Luce Glard, 2000, p.241).

    Cela montre que les autorits coloniales ont engag lorganisation de la justice

    coutumire avec des moyens trs modestes, ce qui avait conduit ne pas prendre au

    srieux ce processus de rforme. Ainsi et hormis une instruction du gnral Lyautey en

    1915 qui rglait le fonctionnement de la justice indigne chez les tribus de coutume

    berbre, le dcret du 11 septembre 1914 est rest sans grand effet. Il faut attendre les

    annes vingt pour que les autorits jugent ncessaire de prendre des mesures pour la mise

    en uvre de la rforme de la justice coutumire. Ainsi, la Rsidence a publi, en 1924,

    deux circulaires. La premire, datant du 29 janvier, avait pour objectif lorganisation des

    djemasjudiciaires . Quant la seconde, datant du 14 fvrier, elle rglementait la tenue

    des registres et des audiences de ces djemas. Cependant, cette organisation prsentait une

    lacune fondamentale. Ntant pas approuve par un dahir sultanien, elle ne reposait pas sur

    un fondement lgal. De ce fait, toutes les dcisions rendues par ces instances navaient

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    aucune autorit juridique. Il savre ainsi ncessaire de donner une base juridique et lgale

    aux jugements coutumiers. Cest pour combler cette lacune que la rsidence a institu, par

    un arrt rsidentiel du 7 dcembre 1929, une commission spciale charge de ltude de

    lorganisation et du fonctionnement de la justice coutumire. Au sein de la commission

    sopposaient les tenants dun discours assimilateur envisageant lintgration des Amazighs

    la civilisation franaise aprs un passage phmre par le statut coutumier, et les tenants

    dune politique de conservation des faits et des ralits prgnantes. Daprs J. Luccioni

    (1984), cest dans cette perspective, soutenue la fois par le Gnral Nogus et le

    prsident de la commission, tendant consacrer ce qui existe dj que les dbats ont

    t conduits sans que la commission ne russisse aboutir un consensus. A cet gard,

    le compte rendu de cette commission donne quelques lumires en prcisant qu

    il nest pas possible denvisager une organisation unique pour tout le bloc

    berbre. Il faut laisser ce qui existe en le consacrant lgislativement. On verra plus

    tard, sil est possible dencadrer les djemaas ou de leur enlever le pouvoir de juger.

    Mais il ne faut pas actuellement agir prcipitamment [] Il vaut mieux

    actuellement laisser, ici, les choses en ltat et de renforcer simplement notre

    contrle (Glard, 2000, p.242)

    La commission admettait certes le caractre provisoire de lorganisation de la

    coutume, mais elle ne voulait pas saventurer pour laborer, en dehors du souci du

    contrle, une vision claire et dfinitive de ce systme. Elle sest ainsi contente la fin de

    sa mission dmettre un simple avis technique sur la question de lorganisation de la justice

    berbre et reconnat au gouvernement la comptence de prendre des mesures ncessaires11.

    Cest dans ce cadre que le Rsident Gnral Lucien Saint a soumis au sultan Mohammed

    ben Youssef le texte du dahir relatif lorganisation de cette justice. Il est approuv le 16

    mai 1930 et porte le titre du dahir du 16 mai 1930 (17 Hija 1348) rglant le

    fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume Berbre non pourvues de

    mahakmas pour lapplication du Chra . Ainsi considre, la cration des tribunaux

    coutumiers sinscrit dans le cadre de politique gnrale des autorits franaises au Maroc,

    en particulier celle relative lorganisation judiciaire et administrative. Cest en ces termes

    que le lieutenant-colonel Huot, alors Directeur des Affaires indignes, dfinit les

    caractristiques de la politique coutumire :

    11Pour les dlibrations de cette commission, voir J. Luccioni, LElaboration du dahir berbre du 16 mai

    1930 ,Revue de lOccident musulman et de la Mditerrane,n38 (2), 1984, pp. 75-81.

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    La vritable politique berbre consistera respecter cette organisation et ces

    coutumes et faire cadrer avec elles les rformes administratives et politiques que

    nous aurons introduire dans le pays (Luccioni, 1984, p. 116).

    En un sens, cette politique respecte lesprit conservateur de la politique prne par leRsident gnral Lyautey qui consiste faire voluer le pays dans le cadre de ses

    institutions traditionnelles. Elle trouvait sa lgitimit dans son action de r