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DÉPRESSION ET ALCOOL MÉCANISMES PHYSIO- PATHOLOGIQUES Recherche menée par Jean-Henri COSTENTIN Docteur en médecine, pharmacien, docteur en sciences, professeur émérite de pharmacologie. Service Commun d’Analyses Comportementales. Faculté de Médecine et Pharmacie, ROUEN ARTICLE N°07-1

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DÉPRESSION ET ALCOOL MÉCANISMES PHYSIO-PATHOLOGIQUESRecherche menée par Jean-Henri COsTENTiN Docteur en médecine, pharmacien, docteur en sciences, professeur émérite de pharmacologie. Service Commun d’Analyses Comportementales. Faculté de Médecine et Pharmacie, ROUEN

ARTI

CLE

N°0

7-1

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Dépression et alcool, mécanismes physiopathologiquesL’alcool et la dépression entretiennent des relations bi-directionnelles et dans la symptoma-tologie enchevêtrée qui en résulte, se perd la trace d’un primum movens. Dans cet article, le Professeur Jean-Henri Costentin décrit les substrats neurobiologiques qui orchestrent ces relations et leur histoire en trois temps : 1. « Le Plaisir » où l’hédonisme consubstantiel à chaque être, l’incite à faire appel répétitivement

au produit dont il a apprécié l’effet.2. « Le Manque » où le besoin tyrannique ne s’apaise que par la reprise de la consommation. 3. La dépression et la perte du sens de la vie où naît l’idée fallacieuse que le plaisir ne sera

plus jamais éprouvé. Ce cheminement est décrit de point de vue de la complexité des mécanismes neurobiologiques provoqués par l’alcool et du puzzle de leurs médiateurs.

SOMMAIRE

De quels résultats communément admis disposons-nous ?

Comment les obtenons-nous ?

Qu'en tirons-nous comme connaissances ?

Références

Biographie

p.3

p.3

p.7

p.8

p.12

Jean-Henri Costentin - Dépression et alcool, mécanismes physiopathologiques

NOTA BENE : Les numé-ros entre crochets dans le texte correspondent aux références bibliogra-phiques situées à la fin du document (Exemple : [1] correspond à Ref. [1] sur la page 8).

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De quels résultats communément admis disposons-nous ?

Il est de constatation fréquente que des sujets anxieux, ou dépressifs, ou anxio-dépressifs, ou bipolaires, éprouvent un soulagement dans la consommation d’al-cool1, tandis que, a contrario, l’abstinence d’alcool chez un sujet alcoolo-dépendant et plus encore alcoolique, fait apparaître des expressions psychiques qui empruntent au syndrome anxio- dépressif (anxiété, nervo-

sité, incomplétude, frustration, irritabilité, obnubilation, tristesse, aboulie2 , désintérêt, bradypsychie3….) [1, 2, 3]4.Nous allons considérer ici certains substrats neurobiologiques qui peuvent sous tendre ces relations. Cette vision inévitablement partielle, paraîtra, à certains égards, partiale, ayant été contraint de relativiser certains aspects, au point même de les occulter.

PRINCIPE géNéRAL

L’administration aigue d’alcool se traduit par la modification de la conductance membra-naire de diversions. Il n’existe pas de récep-teurs pour l’éthanol, au sens biologique/pharmacologique de ce terme. L’éthanol, en pénétrant dans la bicouche lipidique des neurones, peut s’insérer dans une poche ac-cueillant des molécules d’eau et, en se subs-tituant à celles-ci, il modifie l’ouverture de canaux ioniques modulée par certains types de récepteurs ionotropes. Il s’agit, en l’occur-rence, de récepteurs ayant une boucle cys-tine ectomembranaire, tels des récepteurs de la glycine ; des récepteurs de l’acide gamma amino butyrique, du type gABAA. Il affecte aussi des récepteurs du glutamate, du type

NMDA. La présence de l’alcool modifie ainsi l’ouverture de ces canaux ioniques, physiolo-giquement promue par les ligands agonistes de ces différents types de récepteurs [4]5.

ACtION SuR LES RéCEPtEuRS gABAA

Au niveau des récepteurs gABAA, l’action de l’éthanol s’apparente à celle des benzodia-zépines6. Ces dernières, comme l’éthanol, intensifient l’ouverture de canaux aux ions chlorure (Cl -) et, partant, augmentent la conductance membranaire de ces ions Cl - (↑ gCl -). Il s’ensuit, selon la dose, des effets anxiolytiques, désinhibiteurs, sédatifs, hyp-notiques, voire du type anesthésique général, confinant à un coma [5].

1. Voir l’article n° 7-2 : « Dé-pression et Alcool : Psycho-pathologie » (Pr. I. Varescon) et l’article n° 7-3 « Dépression et alcool » (Pr. A. Benyamina, et Dr. M. Taleb), Le Livre Blanc de la Dépression.

2. Aboulie : L’aboulie (du grec ulie) est un symptôme psy-chiatrique qui se traduit par l’incapacité d’exécuter des actes pourtant planifiés, et par une grande difficulté à prendre des décisions.

3. La bradypsychie correspond au ralentissement du cours de la pensée ; elle participe aux expressions du syndrome dépressif.

4. Pour approfondir les connais-sances sur le syndrome anxio-dépressif, voir l’article n° 6 : « Dépression et trouble anxio-dépressif » (Pr. A. Pelissolo), Le Livre Blanc de la Dépression.

5. Pour une illustration imagée de l’action de l’alcool sur les canaux ioniques, suivre le lien : http ://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_m/i_03_m_par/i_03_m_par_alcool .html#drogues.

6. Benzodiazépines : http ://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_m/i_03_m_par/i_03_m_par_benzodiazepines.html

Comment les obtenons-nous ?

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7. Le système de récompense : http ://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cr/d_03_cr_que/d_03_cr_que.html

8. Pour plus d’information, voir : article en construction.

ACtIONS DE L’ALCOOL SuR DES RéCEPtEuRS IONOtROPIquES à BOuCLE DE CyStINE

Des actions de l’alcool sur des récepteurs ionotropiques à boucle de cystine résultent :

Une augmentation de la concentration extra-cellulaire d’adénosine [6] Cette dernière, par la stimulation de ré-cepteurs du type A2 A, contribue à une anxiolyse, à une désinhibition, un degré de plus, à une sédation ; aux concentra-tions plus élevées à un sommeil et, plus élevées encore, à un coma. Ces effets sont reversés par la caféine [7], antagoniste de ces récepteurs A2A. Il est à noter que des propriétés antidépressives sont décrites à certains antagonistes A2A [8].

Une intensification de la fonction des endocannabinoïdes L’alcool intensifie la fonction des endocan-nabinoïdes (anandamide diarachidonoylgly-cérol, virhodamine, noladin ether..) du fait de leur synthèse accrue, comme de celle de leurs récepteurs du type CB1, [9,10]. Ces ré-cepteurs CB1 sont les plus nombreux de tous les récepteurs métabotropiques couplés aux protéines g du cerveau (RCPg) ; ils sont de plus ubiquistes. Ils contribuent, comme les récepteurs gABAA, à l’anxiolyse, à la séda-tion. Les endocannabinoïdes activent en outre le système de récompense ; le système dopaminergique méso-accumbique [11]. Ils contribuent à un tonus antidépresseur [12]. Le premier antagoniste de ces récepteurs CB1

qui fut commercialisé (pour ses propriétés anorexigène) a été retiré du marché en rai-son de ses effets anxiogènes et inducteurs de troubles dépressifs [13].

Une libération d’endorphinesL’alcool suscite une libération d’endorphines : enképhalines, agonistes des récepteurs delta (δ) et mu (µ) [14] ; endomorphines 1 et 2, ago-nistes des récepteurs mu (µ) ; dynorphines agonistes des récepteurs kappa (κ) ; béta-endorphine agoniste des récepteurs mu (µ) [15]. Via le système de récompense7, la sti-mulation des récepteurs mu (µ), en accrois-sant la libération accumbique de dopamine, engendre la sensation d’euphorie, de plaisir [16]. Par contre, la stimulation des récepteurs kappa (κ) est à l’origine de dysphorie [17].

Au fil des utilisations de l’alcool, l’intensité de l’effet résultant de la stimulation des récep-teurs mu (µ) s’atténue, tandis que l’intensité de l’effet résultant de la stimulation kappa (κ ) s’amplifie [18] . Sur ce constat prend appui le recours à un antagoniste mixte des récepteurs mu (µ) (afin de déconnecter la consommation d’alcool de la sensation de plaisir), et des récepteurs kappa (κ ) (afin d’atténuer le déplaisir qui redouble lors de la réduction de la prise d’alcool) ; il s’agit du nalméfène [19].

ACtION DE L’ALCOOL SuR LES MONOAMINES CéRé-BRALES

Les trois principales monoamines neuro-transmettrices que sont la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine sont connues, de longue date, pour leurs effets très impor-tants dans la régulation de l’humeur8. La dépression serait associée à une diminu-tion des transmissions, en certaines régions cérébrales, de ces trois neuromédiateurs. Le rôle imparti à la dopamine a été relativisé car divers agents pharmacologique utilisés aux

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9. Pour des informations générales sur la dopamine et le rôle de la dopamine pour le système cognitif, voir : http ://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_03/a_03_m/a_03_m_que/a_03_m_que.html

fins de rehausser son niveau de transmis-sion se sont avérés toxicomanogènes. Aussi, a-t-on (à mon avis injustement) relativisé le rôle de la dopamine, alors qu’il est pourtant majeur, au point d’apparaître, d’un point de vue neurobiologique, comme une pierre angulaire de la régulation de l’humeur, mais aussi des processus addictifs / pharmaco-dépendances / toxicomanies.

Le plaisir éprouvé lors de la consommation d’alcool, comme de toute autre drogue, est associé à une libération accrue de dopamine9 dans la partie « shell » du noyau accumbens (désigné encore striatum ventral). Cette libé-ration est effectuée par les boutons synap-tiques de neurones qui prennent naissance dans l’aire du tegmentum ventral mésencé-phalique [20]. L’hédonisme, consubstantiel à chaque être, l’incite à faire appel répétitivement au produit dont il a apprécié l’effet. Certains, plus que d’autres, éprouvent l’irrépressible envie d’y revenir, d’en user et bientôt d’en abuser. L’us vire à l’abus. Plus la libération de dopamine suscitée par l’administration de la drogue est importante, plus la concentration de la dopamine intra synaptique s’élève, plus la stimulation des récepteurs dopaminer-giques D2 est importante et plus le plaisir éprouvé est intense [21]. Cette situation a bientôt pour corollaire la chute consécutive de cette concentration de dopamine, qui est alors, évidemment, plus abrupte. Plus cette chute est vertigineuse et plus elle fait ressen-tir la pénible sensation de manque, avec les expressions dépressives qui l’accompagnent. Elle ne peut alors être apaisée que par une nouvelle consommation. Le plaisir n’est bien-tôt plus au rendez-vous. Il est remplacé par le besoin, un besoin tyrannique, que seule apaise la reprise de la consommation.

Sur cet état de dépendance psychique (au-quel peuvent s’associer, assez précocement, quelques discrètes expressions physiques lors de la privation ou sevrage) se greffe le phénomène de tolérance. La tolérance cor-respond, lors de l’usage au long cours d’une substance, à une diminution progressive des effets attendus d’une dose définie. Cette di-minution d’effet incite l’utilisateur à consom-mer des doses de plus en plus élevées de la drogue pour recouvrer l’effet recherché.Ces expositions de plus en plus fréquentes, à des doses de plus en plus élevées, suscitent des adaptations neurobiologiques.C es adapt at ions neurobiolog iques concernent, entre autres, le statut de la dopamine accumbique. Ainsi, Il est observé, en recourant à la technique de microdialyse intra-accumbique, que chez le rat rendu alcoolo-dépendant, la concentration synap-tique de dopamine en l’absence d’alcool, est plus basse que chez les témoins. Cela pour-rait résulter, entre autres mécanismes, d’une « up regulation » / d’une augmentation de la densité des transporteurs neuronaux de la dopamine (DAt) [22]. Ces transporteurs reprennent alors à la synapse, avec une effi-cacité accrue, la dopamine que les boutons synaptiques qui les portent y ont libérée. Pour reproduire chez l’animal alcoolo-dépendant une libération de dopamine du même niveau que chez les animaux naïfs soumis à une injection d’alcool, il faut recourir à des doses d’éthanol supérieures à celles qui sont re-quises chez les rats témoins. Non seulement l’effet libérateur de dopamine est diminué chez l’alcoolo-dépendant [23], mais en outre la densité de ses récepteurs dopaminergiques D2 dans le noyau accumbens est diminuée (désensibilisation / down regulation) [24]. à une trop faible concentration synaptique de dopamine seraient associées les expressions

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dépressives. A la diminution de l’effet libé-rateur de dopamine et à la moindre densité des récepteurs D2, seraient associé le besoin d’accroître les doses d’alcool consommé pour accéder à l’effet désiré.

Les arguments qui relient la dépression à une hypo-dopaminergie sont nombreux. On sait la fréquence élevée des dépressions chez les parkinsoniens, avant même l’entrée dans la phase neurologique de leur affection (qui est caractérisée par une neurotoxicité s’exerçant de façon assez spécifique sur les neurones dopaminergiques nigro-striatraux, mais qui pourrait affecter des neurones méso-lim-biques / accumbiques. On a utilisé, souvent avec efficacité, pour traiter certaines dépres-sions des agonistes indirects ou directs des récepteurs dopaminergiques D2 : L-tyrosine, L-DOPA, agonistes directs des récepteurs D2, des inhibiteurs du transporteur neuronal de la dopamine (le DAt) (cocaïniques) tels l’ami-neptine, le bupropion, ou des promoteurs de la libération de l’amine, selon des modalités indépendantes de l’activité électrique des neurones dopaminergiques (amphétami-niques), tels l’amphétamine, la pyrovalérone (ex thymergix®). Leurs propriétés toxicoma-nogènes / addictives et toxiques (hyperten-sion artérielle pulmonaire) les ont invalidés. Il n’en demeure pas moins que la transmission dopaminergique est, sinon la, du moins, une des pierres angulaires de l’édifice thymique.

Chez le rat alcoolo-dépendant, contraint à l’abstinence, il a été constaté une diminution de la libération accumbique de sérotonine. L’administration d’inhibiteurs de la recapture de sérotonine, qui pallient ce déficit, constitue aussi une modalité importante de redresser l’humeur déprimée [25]. Cet état de dépen-dance coexiste avec une surexpression des

récepteurs du type 5Ht 2C dans le noyau accumbens [26].Ne plus percevoir le plaisir et, cruauté su-prême, imaginer de façon fallacieuse, qu’on ne l’éprouvera plus jamais, peut résumer cer-tains syndrome dépressifs, qui font estimer au patient qu’une telle existence ne vaut pas la peine d’être prolongée ; ce raisonnement est à l’origine de maintes tentatives de sui-cides, dont près d’un dixième d’entre elles sont fatales10.

tROuBLES ANxIO-DéPRESSIfS Et ALCOOLISME : quEL PRI-MuM MOVENS ?

quant à savoir ce qui des troubles anxio-dépressifs ou de l’alcoolisme, constitue le primum movens, confine parfois à une apo-rie11. La relation bilatérale que nous avons envisagée invite à penser que, selon les cir-constances, les deux hypothèses peuvent se vérifier ; ici les troubles anxio-dépressifs suscitent la recherche d’un refuge dans la consommation d’alcool ; là, l’alcoolisme ins-tallé à partir d’autres déterminants (géné-tiques, éducatifs, culturels, liés au stress…) installe un état dépressif, en raison de la marginalisation à laquelle cet alcoolisme peut conduire : rupture familiale, profes-sionnelle, clochardisation, perte de l’estime de soi. quoiqu’il en soit de cette chronolo-gie, cette relation parait s’auto-entretenir et s’auto- aggraver.

NEuROPEPtIDE y (NPy), StRESS Et BINgE DRINkINg

L’alcoolisation chronique, par le jeu de mo-difications : de sensibilité de récepteurs ; de densité de transporteurs ; de la signalisation calcique intra-cellulaire…, est à l’origine de

10. Voir l’article n° 4 : « Dépres-sion et suicide » (E. Hantouche), Le Livre Blanc de la Dépression.

11. Voir l’article n° 7-2 : « Dé-pression et Alcool : Psycho-pathologie » (Pr. I. Varescon), Le Livre Blanc de la Dépression.

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nouveaux équilibres, dans lesquels les mé-canismes qui contrôlent le tonus anxieux et l’humeur se trouvent modifiés. Il en va ainsi du Neuropeptide y (NPy) [27], ou encore du corticotrophic releasing factor (CRf)[28] qui contrôle l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, et dont le rôle est bien connu en matière de stress et de dépression de l’humeur. Lors de l’abstinence d’alcool la sécrétion de CRf est accrue ; en stimulant ses récepteurs du type CRf r1, la réponse aux stress s’en trouve accrue [29] . Des antagonistes du récepteurs CRf r1 (antalar-mine, MtIP) s’opposent au binge drinking12. un autre neuropeptide, le neuropeptide y (NPy) qui, lui, suscite de puissants effets anxiolytiques après son injection dans l’amygdale, s’oppose à la prise d’alcool chez le rat devenu alcoolo-dépendant.

Dans ce puzzle de médiateurs impliqués dans les effets psychotropes aigus de l’al-cool, sollicités par le sujet anxio-dépressif, ou encore dont la fonction est modifiée chez l’ individu alcoolo-dépendant, privé de sa drogue, nous avons mis en exergue, outre la dopamine et ses récepteurs D2 (mat central de cet édifice), le système gABAergique et ses récepteurs gABAA, le glutamate et ses récepteurs NMDA, l’adé-nosine et ses récepteurs A2a, la sérotonine et l’un de ses multiples types de récep-teurs le 5Ht2C, les endorphines et leurs récepteurs mu et kappa, les endocanna-binoïdes et leurs récepteurs CB1, le CRf et ses récepteurs CRf r1, le neuropeptide y…. Cette complexité déjà manifeste, est sans doute très en deçà des mécanismes qui sont à l’œuvre.

Au couple Alcool – Plaisir, qui sous-tend l ’ installation de l ’alcoolo-dépendance, fait suite la relation Alcool - moindre plai-sir, voire dysphorie ; par l’atténuation des effets de récompense / appétitifs qui résultent, entre autres, d’une réduction de la transmission dopaminergique et d’une désensibilisation des récepteurs mu et d’une majoration des effets dysphoriques,

qui impliquent les récepteurs kappa des endorphines. La meilleure connaissance des cibles primaires de l’alcool ainsi que de celles qui sont modifiées par l’abus qui peut en être fait, suggère une assez large diversité de stratégies pharmacologiques qui sont déjà ou vont pouvoir être expé-rimentées afin de réduire la dépendance alcooliques et ses conséquences.

12. Le binge drinking est un mode de consommation excessif de grandes quantités de boissons alcoolisées sur une courte période de temps, par épisodes ponctuels ou répétés.

Qu’en tirons-nous comme connaissances ?

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Ref. [29] HEiLig M, KOOB gF. "A key role for corticotropin-releasing factor in alcohol dependence" Trends in Neurosci, 2007 • 30, 399-406.

REquêtE ACtIVE VERS uNE BASE BIBLIOgRAPHIquEOuVRAgE RECOMMANDé

• « Neurobiology of alcohol dependence » Edité par A. Noronha, C. Cui, R. Harris et J. Crabbe. Academic Press – Elsevier, 2014 (560 pages)

ARtICLES RéféRENCéS SuR PuBMED

• Avec les mots-clés : alcohol & neurobiology

AutRES LIENS utILES • Association « Aide Alcool » : http ://www.aide-alcool.be/alcool-depression.

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Jean-Henri Costentin - Dépression et alcool, mécanismes physiopathologiques

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• France Dépression

• SOS Dépression

• Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (FNAPSY)

• Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)

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Biographie

COORDINAtION SCIENtIfIquEgalina iAKiMOvA , chargée de mission pour la fondation Pierre Deniker, Paris ; Maître de conférences de psychologie à l’université de Nice-Sophia Antipolis.

DéCLARAtIONS DE CONfLIt D'INtéRêtAucun.Jean-Henri COsTENTiN

Docteur en médecine, pharma-cien, docteur en sciences, profes-seur émérite de pharmacologie ; directeur de l’unité de Neuro-psychopharmacologie du CNRS (1984-2008) ; directeur de l’unité de Neurobiologie clinique au CHu de Rouen (1999-2011) ; membre titulaire de l’académie nationale de Médecine, membre titulaire de l’académie nationale de Pharma-cie, président du centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERt).

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SIÈGE SOCIAL • 36, avenue Raymond Poincaré 75016 PARIS | BUREAUX • SHU - Hôpital Sainte-Anne - 7, rue Cabanis 75014 PARIS T é l : 0 1 4 5 6 5 8 9 8 7 • M a i l : c o n t a c t @ f o n d a t i o n p i e r r e d e n i k e r . o r g • w w w . f o n d a t i o n p i e r r e d e n i k e r . o r g

L E L I V R E B L A N C D E L A D é P R E S S I O N E S t R é A L I S é g R Â C E A u S O u t I E N D E S L A B O R A t O I R E S L u N D B E C k