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    Textyles36-37 (2010)

    La Bande dessinée contemporaine

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    David Vrydaghs

    Le récit de voyage en bande dessinée,entre autobiographie et reportage

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    Référence électroniqueDavid Vrydaghs, « Le récit de voyage en bande dessinée, entre autobiographie et reportage », Textyles [En ligne],36-37 | 2010, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 27 juin 2013. URL : http://textyles.revues.org/1427

    Éditeur : Le Crihttp://textyles.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://textyles.revues.org/1427Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Tous droits réservés

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    David VRYDAGHS

    Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix 

    Le récit de voyage en bande dessinée, 

    entre autobiographie et reportage

    La question du genre

    Questionner la pratique d’un genre dans un médium donné, en l’occurrence

    celui de la bande dessinée, implique préalablement une interrogation duconcept de « genre ». De nombreuses dénitions du genre en général et desgenres en particulier ayant déjà été proposées, il importe dans ce contexte depréciser quelle approche du genre sera privilégiée dans ces pages et ce querecouvrira pour nous l’appellation « récit de voyage ». On n’entrera pas pourautant dans les débats nombreux et complexes de la théorie des genres ; celanous éloignerait trop de notre sujet.

    Pour le dire rapidement, on adopte ici un point de vue « pragmatique » surles genres, point de vue selon lequel prime leur valeur d’usage. On s’inscritainsi à la suite de Jean-Marie Schaeffer, d’Antoine Compagnon ou encorede Marielle Macé 1. Cette dernière remarquait fort à propos que les genres – c’est-à-dire les différentes « espèces » génériques, non le genre commeconcept – « n’impliquent pas que l’on sache ce qu’ils sont intrinsèquement »pour pouvoir les utiliser ou en parler. Macé étayait ensuite son afrmation parl’observation suivante :

    Les genres, en effet, ne sont pas d’abord des objets mais des

    supports d’opérations accomplies par les acteurs de la vie littéraire, des

    1  SCHAEFFER (Jean-Marie), Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Le Seuil, coll. Poétique,1989 ; COMPAGNON (Antoine), Cours de théorie de la littérature : la notion de genre, 2001,(http://www.fabula.org/compagnon/genre.php) ;  MACÉ  (Marielle),  Le Genre littéraire,Paris, GF Flammarion, coll. Corpus, 2004.

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    réalités plurielles vers lesquelles convergent des accords en perpétuelleévolution. Ils occupent une place médiane entre plusieurs échelles :entre la Littérature et les œuvres, entre un texte et une règle, entreplusieurs œuvres qu’associent un trait de ressemblance, de dérivation,de contrepoint, entre l’œuvre et le public, entre l’auteur et le lecteur,entre la diachronie et la synchronie, entre la mémoire et la perception,entre l’histoire et la théorie… 2

    Pour le dire autrement, il est vain, dans une perspective pragmatique, devouloir aboutir à une dénition précise d’un genre particulier car toujourscelui-ci, par quelque bout qu’on le prenne, échappe à une telle tentative. Ilest bien plus rentable de se présenter devant lui sans dénition préétablie,

    de recenser ses différents usages et d’analyser les débats dans lesquels il setrouve pris. Pour procéder de la sorte, il faut toutefois, on l’aura compris, quele genre étudié soit déjà nommé et repéré par d’autres, en particulier par ceuxqui s’en servent régulièrement – auteurs, critiques, etc.

    La question de ce propos se voit ainsi précisée : on ne cherchera pas à tracerles contours du genre viatique en bande dessinée mais bien à observer commentceux-ci sont tracés par les principaux acteurs. Cette perspective impliqueégalement de rendre compte des éventuels conits de dénition : en l’absence

    de modèle bien déni, de loi coulée dans le bronze, les auteurs proposentsouvent leur propre dénition d’un genre, quitte à éreinter explicitement ou demanière détournée celles des autres.

    Récits de voyage, bandes dessinées de reportage

    et autobiographies : trois genres ou un seul ?

    Dès que l’on parle de récits de voyage en bande dessinée, ce sont en faittrois genres qui se voient pointés du doigt : l’autobiographie, la bande dessinéede reportage et le récit de voyage (parfois appelé « carnets de voyage ») 3. Ladivergence de ces appellations suscite au moins deux commentaires.

    Elle est d’abord le signe d’un conit de dénition qui passe parl’établissement de différences, sur le plan de la valeur principalement, entre lesproductions ainsi nommées. La case suivante, extraite du Livret de phamille de Jean-Christophe Menu, est exemplaire de ce type de conit.

    2  MACÉ (Marielle), Le Genre littéraire, op. cit., p. 15.3  Ces appellations génériques sont celles que l’on rencontre le plus souvent chez ceux, auteurs

    ou critiques, qui traitent de ces genres.

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    Dans ce récit autobiographique, Menu raconte son voyage aux États-

    Unis mais aussi – et surtout – la naissance d’une relation amoureuse, dontce séjour constitue une étape importante. Dans la case reproduite plus haut,la référence à Loustal, ironique, sert surtout à marquer une distance avec lecarnet de voyage traditionnel, dont cet auteur est devenu le spécialiste dansles années 1980. L’une des caractéristiques majeures du genre est, du moinsdans l’esprit de Menu, l’exotisme. Cette prise de distance est encore renforcéepar le fait que le paysage évoqué dans cette case n’est pas montré ; ce sont aucontraire les personnages principaux du récit qui y sont mis en scène, manière

    de souligner que le récit est centré sur leurs vies plutôt que sur le pays qu’ilsvisitent. Le texte gurant sous la case achève de tourner en dérision l’exotismesupposé du carnet de voyage, puisque le décor urbain placé en arrière-fond dela case n’a pas été réalisé d’après nature mais grâce à « a picture book […] on[Miami Beach] “typical old ardeco architecture style” ».

    Témoin de divergences dans l’appréhension des récits viatiques,l’existence de plusieurs appellations est aussi le signe, paradoxalement, deconvergences (principalement formelles et thématiques) entre les productionsainsi nommées. Il faut en effet, pour qu’il y ait débat, qu’il y ait matière àdébattre et, par conséquent, que ces appellations soient dans une certainemesure interchangeables. À considérer les thématiques exploitées par lesbandes dessinées contemporaines qui se revendiquent d’un de ces genres, onconstate une série de régularités qui constituent, si l’on se représente les chosessous la forme d’ensembles mathématiques, les points d’intersection entre cestrois genres entremêlés. Ces convergences portent principalement sur deux

    MENU (Jean-Christophe), « USA 87 », dans  Livret de Phamille, Paris, L’Association, 1995, planche 1© Menu – L’Association

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    points : l’abondance des réexions méta-artistiques ; la présence quasimentobligatoire d’un narrateur-graphiateur représentant l’auteur 4.

    Qu’ils soient ou non centrés sur la vie professionnelle de leurs auteurs,les récits autobiographiques en bande dessinée contiennent souvent desréexions sur les spécicités du médium, ses avantages et ses inconvénients.Pour ne prendre que cet exemple, Livret de phamille, de Menu, qui se présentecomme un recueil de récits autobiographiques, consacre plusieurs d’entre euxau rapport de l’auteur à la création 5. Les bandes dessinées qui se réclament dureportage confrontent nécessairement leurs auteurs à la difculté de raconter unévénement réellement survenu. De ce fait, elles contiennent souvent une partde métadiscours où le reporter interroge ses outils narratifs et graphiques pour justier devant le lecteur les options retenues pour lui transmettre des choses

    vues, entendues et ressenties. Ainsi, dans « Alexandrie, Alexandra », Baudoinfait brièvement état de sa méthode de composition qui alterne les dessinsréalisés d’après souvenirs et les croquis pris sur le vif. Il justie l’abandon de latechnique du croquis lors de certains déplacements en raison de son incapacitéà « reproduire autant de cris, de saleté, d’odeurs, d’humanité entraperçue, devie » 6. Un autre voyageur au long cours, Renaud De Heyn, interrompt parfoisle récit de son voyage au Pakistan pour rappeler que « chaque dessin possède,hors champ, une histoire ». Le texte vient alors, dans La Tentation, combler le

    vide narratif résultant de l’aspect instantané du croquis7

    .

    DE HEYN (Renaud), La Tentation. Carnet de voyage au Pakistan (1re partie), Bruxelles, La CinquièmeCouche, 2005, pp. 40-41 © De Heyn – La Cinquième Couche

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    En revanche, les  Lettres à Pauline  de Xavier Löwenthal soulignent leslimites des « maigres mots » 8  que l’auteur a à sa disposition pour rendrecompte de la luxuriance de la forêt du Honduras. Certes, l’auteur utilise peu ledessin en comparaison du texte dans cet ouvrage. Mais les « 95 vignettes » quiillustrent celui-ci ont pour fonction manifeste de clarier la représentation quel’abondance des mots peine à produire. Par exemple, un dessin de la végétationtropicale gurant celle-ci à la façon d’une cascade accompagne le texte.

    4  La notion de « graphiateur » désigne l’énonciateur graphique d’une bande dessinée selonMARION (Philippe), Traces en cases, Louvain-la-Neuve, Académia, 1993. Elle a été reprisepar Jan Baetens pour désigner l’énonciateur principal du genre autobiographique en bandedessinée. Voir BAETENS  (Jan), « Autobiographies et bandes dessinées », dans  Belphégor,

    vol. 4, n˚1, novembre 2004, (http://etc.dal.ca/belphegor/vol4_no1/articles/04_01_Baeten_autobd_fr.html).5  Cette dimension métasémiotique est particulièrement sensible dans les récits « Cerisy » et

    « Mélo Mimolette Blues ».6  BAUDOIN, « Alexandrie, Alexandra », dans  L’Association en Égypte, Paris, L’Association,

    1999, p. 25.7  DE HEYN (Renaud), La Tentation, première partie, Bruxelles, La Cinquième Couche, 2002,

    pp. 40-41.

    LÖWENTHAL (Xavier),  Lettres à Pauline. Récit d’un voyageur au pays des Indiens Tawahkas, Bruxelles, La Cinquième Couche, p. 66 © Löwenthal – La Cinquième Couche

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    Il arrive aussi que l’auteur dessine les collègues avec lesquels il voyageou ceux qui sont restés au pays. C’est par exemple le cas dans les récits devoyage du Québécois Guy Delisle, publiés d’abord à L’Association puis dansla collection « Shampooing » des éditions Delcourt 10. Ayant séjourné dansplusieurs pays d’Asie pour y exercer le métier d’animateur, Delisle représentesouvent cette profession, qu’il mette en scène son studio d’animation ourééchisse aux spécicités de ce métier et à ses apports possibles pour lacréation en bande dessinée, comme dans une planche de Shenzhen  où sonpersonnage estime que le métier d’animateur confère à celui qui l’exerceune connaissance du mouvement lui permettant d’acquérir « une nessesupplémentaire » dans ses dessins 11.

    10  Il s’agit de Shenzhen  (Paris, L’Association, 2000), de Pyongyang (Paris, L’Association,2003) et de Chroniques birmanes (Paris, Delcourt, 2007).

    11  DELISLE (Guy), Shenzhen, op. cit., [n.p.].

    DELISLE Guy, Shenzen, Paris, L’Association, 2000, non paginé © Delisle – L’Association

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    Spécifcités du récit viatique

    Bien qu’on puisse identier des convergences entre ces « genres »importants de la bande dessinée contemporaine franco-belge, il reste quetrois dénominations différentes sont employées pour les désigner et parfoispour les opposer entre eux. En repérant dans la production contemporaine lesspécicités du récit de voyage, c’est-à-dire les traits caractéristiques que nesemblent pas posséder les récits appelés autrement (autobiographie ou bandedessinée de reportage), on sera en mesure d’identier les enjeux majeurs deces conits de dénition.

    La première spécicité remarquable du récit de voyage en bande dessinéetient aux modèles dont il se revendique. Cela apparaît surtout quand on le

    compare à la bande dessinée de reportage. Comme sa dénomination l’indique,le reportage dessiné rencontre souvent le journalisme d’investigation. Il estcomme ce dernier centré sur la question de la représentation de faits d’actualité.Dans cette optique, il privilégie volontiers les sujets « chauds » (guerres,drames ou faits divers 12) et repose, dans ses formes les plus abouties, surun travail d’enquête similaire à celui que mènent les meilleurs journalistes :rencontre de témoins, enregistrements sur bandes magnétiques, photographies,prises de note, documentation, etc. Dans certains cas, l’auteur est d’ailleurs

     journaliste : on pense à l’américain Joe Sacco, considéré par certains commel’inventeur du genre 13, licencié en journalisme de l’université de l’Oregondepuis 1981.

    Les récits de voyage en bande dessinée obéissent en général à de tout autresrègles. Les pays visités le sont le plus souvent pour des raisons intimes – ainsile périple de Renaud De Heyn en Orient, dont il a seulement raconté le séjourau Pakistan, est né d’un rêve fait adolescent et d’une question qui le taraude,une « tentation » : celle de se convertir à l’Islam. Le voyage peut également,mais plus rarement, être la conséquence d’un hasard heureux, comme le laisseentendre Xavier Löwenthal en introduction à son recueil de lettres :

    « Voudriez-vous m’accompagner au Honduras, dans la forêthumide, et enseigner la bande dessinée aux Indiens ? » J’ai rencontréLuz par hasard. Au bout de dix minutes, elle m’a fait cette incroyableproposition, comme on invite à prendre un café. J’ai répondu « oui »sans hésiter. On ne risquait pas de me le proposer une autre fois. 14

    12  Par exemple, « Hatshepsout Blues », la contribution de Jean-Christophe Menu au collectif L’Association en Égypte, est consacré à l’attentat qui frappa les touristes de Louxor endécembre 1997, au moment du séjour de l’auteur.

    13  On lit ainsi, sous la plume de Vincent Bernière : « Joe Sacco fut pendant quelques annéesl’unique représentant d’un genre qu’il avait lui-même créé. » (BERNIÈRE (Vincent), « La BD sur le terrain », dans Neuvième Art , n˚7, janvier 2002, p. 47.)

    14  LÖWENTHAL (Xavier), Lettres à Pauline, op. cit., p. 3.

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    Ces récits ne s’inspirent généralement pas des techniques de l’enquête :souvent emplis de croquis pris sur le vif, ils rassemblent des impressions devoyage en une narration plus ou moins structurée, dont les modèles sont leplus souvent littéraires 15. Chez Xavier Löwenthal, la référence au littéraireest d’autant plus sensible que les modèles de la correspondance amoureuseet du journal intime se joignent aux codes du récit de voyage. Par voie deconséquence, le texte prend souvent le pas, dans ce genre, sur le dessin.C’est patent chez Löwenthal puisque ses Lettres à Pauline prennent la formed’un texte continu occasionnellement illustré par des vignettes. C’est moinsapparent chez Renaud De Heyn, sauf à remarquer que le découpage classiqueen planches et en cases alterne régulièrement avec des reproductions de carnetsde croquis assortis de notes manuscrites nombreuses chargées le plus souvent

    d’expliciter ce qui s’est produit hors champ.La seconde spécicité remarquable du récit de voyage en bande

    dessinée réside dans sa confrontation avec un monde nouveau. Proche del’autobiographie, dont il constitue souvent un sous-genre 16, le récit de voyageprésente néanmoins cette spécicité de mettre en scène un monde inconnudu voyageur – du moins le plus souvent et au départ. L’autobiographie esten revanche davantage centrée sur le quotidien. Le reportage, qui partagegénéralement avec le récit de voyage le fait d’être confronté à un ailleurs

    géographique et/ou culturel, n’en fait toutefois pas une spécicité : plusieursbandes dessinées de reportage, et non des moindres, prennent pour sujet deslieux ou des événements que leurs auteurs connaissent bien. On pense iciaux travaux que Cabu a consacrés à Châlons, sa ville natale, ou encore auxreportages de Riad Sattouf sur la jeunesse parisienne qu’il croise tous les joursen rue 17.

    15  Ces modèles sont aussi graphiques, au sens où nombre de peintres ont accompagné lesvoyageurs d’ancien régime et ont contribué par leurs croquis aux relations de voyage de cesderniers. (Je remercie Laurence Brogniez de m’avoir signalé cette piste lors de la discussionayant suivi ma communication.)

    16  L’intrication du biographique et du viatique est en effet un mode de représentationprivilégié dans certaines œuvres marquantes de la bande dessinée contemporaine en languefrançaise : le  Livret de phamille  de Jean-Christophe Menu inclut de nombreux récits de

    voyage, de même que les Carnets de bord  de Lewis Trondheim (L’Association, 2001-2003,quatre volumes parus) et les carnets de Joann Sfar (cinq volumes parus à L’Association de2002 à 2005 et quatre volumes chez Delcourt depuis 2007). Les récits de voyage de GuyDelisle proposent autant une approche des villes étrangères où il a vécu quelque tempsqu’une autobiographie classique (voir en particulier Chroniques birmanes, Paris, Delcourt,coll. Shampooing, 2007).

    17  SATTOUF (Riad), La Vie secrète des jeunes, Paris, L’Association, 2007 ; Retour au collège,Paris, Hachette, 2005.

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    Enjeux et conits autour de ces étiquettes

    Ce relevé succinct des chevauchements et des lignes de tension entre cestrois « genres » permet de dresser un portrait du récit de voyage contemporainen bande dessinée et de faire apparaître les débats dans lesquels il se trouveengagé.

    Ses spécicités (modèle littéraire, ailleurs géographique et/ou culturel)sont régulièrement prises pour cible an d’en faire un repoussoir de la bandedessinée de reportage, dont Thierry Groensteen soulignait l’expansion : « lereportage dessiné est un genre en vogue depuis quelques années et qui semblepromis à un certain développement » 18. Face à l’écriture journalistique et augraphisme réaliste du reportage, le récit de voyage apparaît en effet comme

    doucement suranné et encourt régulièrement le reproche de se complaire dansun exotisme daté (c’était le sens, on s’en souvient, de la référence ironique deMenu au travail de Loustal dans Livret de phamille). Cet aspect daté peut néan-moins, lorsqu’il est assumé, renouveler en partie le genre. Ainsi, dans Lettresà Pauline, la représentation ironique de l’auteur en explorateur de l’ancien ré-

    gime, et non par exempleen aventurier moderneou en militant alter-mon-

    dialiste, fait signe à lafois vers l’époque doréedu genre viatique (lesXVIIe  et XVIIIe  siècles) eten souligne le caractèrepassé, voire dépassé.

    Enn, l’association fréquente du récit de voyage avec l’autobiographie,genre contemporain par excellence, redynamise fréquemment le genre,

    notamment en l’ouvrant à une réexion métasémiotique de qualité. Bref, si legenre viatique peut à l’occasion servir de contre-exemple à des positionnementsgénériques et graphiques d’avant-garde, il a encore un bel avenir devant lui.

    18  GROENSTEEN  (Thierry),  La Bande dessinée. Mode d’emploi, Bruxelles, Les ImpressionsNouvelles, 2007, p. 187.

    LÖWENTHAL Xavier, Lettres à Pauline. Récit d’un voyageur au pays des Indiens Tawahkas, Bruxelles, La Cinquième Couche,p. 40 © Löwenthal – La Cinquième Couche


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