Utilisation de la violence et usages du passé comme références patrimoniales:
L’émeute de la Crise de la conscription à Québec, 1918-2012
Mémoire
Pierre-Yves Renaud
Maîtrise en histoire Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Pierre-Yves Renaud, 2015
Utilisation de la violence et usages du passé comme références patrimoniales:
L’émeute de la Crise de la conscription à Québec, 1918-2012
Mémoire
Pierre-Yves Renaud
Sous la direction de :
Martin Pâquet, directeur de recherche
III
Résumé
L’émeute de la Crise de la conscription à Québec en 1918 a bouleversé le quotidien
des communautés et des citoyens de la ville pendant plus d’une semaine. D’une perspective
sociale, cet événement a permis tant aux Canadiens français et aux Canadiens anglais de
réaliser la fracture identitaire qui les séparait quant à leur représentation morale
d’obligation citoyenne en temps de guerre. Le traumatisme engendré par cet événement
violent a toutefois laissé des traces d’un conflit interne à la société canadienne-française
représenté par une représentation très faible dans l’historiographie canadienne sur plus
d’une cinquantaine d’années. Depuis, le refoulement des émotions du passé, exprimés sous
forment d’usages publics de toutes sortes, suggère un certain désir à renouer avec ce bagage
d’expérience. Le présent travail analyse l’évolution de la mémoire de cet événement
marquant de l’histoire de la ville de Québec. L’interprétation des médias de l’époque, ainsi
que celles d’un échantillon de certaines communautés actuelles de la ville de Québec, sont
les piliers de l’argumentaire exprimé. Il démontre à quel point l’aspect de la violence
s’établit tel que le fondement inhérent de la mémoire collective construite près de cent ans
plus tard. Également, le phénomène grandissant de la patrimonialisation amène certaines de
ces collectivités à façonner une identité historique de l’Émeute à leur image, réduisant ainsi
la généralité des violences du passé en un seul lieu de mémoire.
V
Table des matières
Résumé ................................................................................................................................ III
Table des matières ............................................................................................................... V
Liste des Annexes .............................................................................................................. VII
Remerciements ................................................................................................................... XI
Introduction ........................................................................................................................... 1
Mise en contexte ............................................................................................................. 1
État de la recherche ......................................................................................................... 7
Problématique et hypothèse ............................................................................................ 9
Corpus documentaire et méthodologie ......................................................................... 13
Plan du mémoire ........................................................................................................... 16
Chapitre 1 : Constitution d’un événement référence .................................................. 17
1.1 Hiérarchisation sociale et géographie urbaine de la ville de Québec ................. 17
1.2 La Loi du service militaire, 1917 ....................................................................... 22
1.3 Définir l’événement dans les écrits .................................................................... 28
1.3.1 Médias, guerre et censure ..................................................................................... 30
1.3.2 La couverture médiatique dans l’immédiat ........................................................... 35
1.4 La violence comme élément référentiel ............................................................. 45
1.4.1 Un traumatisme dramatique ................................................................................. 47
1.4.2 Une violence légitime ............................................................................................ 51
Chapitre 2 : Évolution de la mémoire de l'événement ................................................ 55
2.1 Interpréter le passé .............................................................................................. 55
2.1.1 L’oubli ................................................................................................................... 56
2.1.2 La mémoire des années 1970 et le cas de l’Émeute de Québec ............................ 61
2.2 L’interprétation dans l’immédiat ........................................................................ 68
2.2.1 Les participants ..................................................................................................... 70
2.2.2 Les sources de l’interprétation .............................................................................. 71
2.2.3 L’interprétation de la violence .............................................................................. 79
2.2.4 Connaître les références ....................................................................................... 86
VI
2.3 Synthèse des représentations .............................................................................. 94
Chapitre 3 : Le patrimoine comme outil de mémoire ................................................. 97
3.1 Redéfinir les références ...................................................................................... 97
3.1.1 Le lieu comme objet de mémoire ........................................................................... 99
3.1.2 Nous étions présents également… ....................................................................... 103
3.2 Le patrimoine : outil de mémoire ..................................................................... 106
3.2.1 Dans le patrimoine de Québec ............................................................................ 110
3.2.2 L’identité par l’histoire ....................................................................................... 113
3.2.3 Patrimonialisation : la violence et l’injustice ..................................................... 118
Conclusion ......................................................................................................................... 121
Bibliographie ..................................................................................................................... 125
Annexes ............................................................................................................................. 135
VII
Liste des Annexes
Annexe A : Grille d’analyse de contenu des médias écrits de 1918
Annexe B : Tableau du dénombrement des Avis pour les cinq quotidiens de
Québec entre le 30 mars et le 6 avril 1918
Annexe C : Précisions méthodologiques
Annexe D : Les éléments du questionnaire/Schéma d’entretien
Annexe E : Le texte commémoratif de la Place Québec, printemps 1918
Annexe F : Photographies du monument Québec, printemps 1918
IX
Utilisation de la violence et usages du passé comme références patrimoniales:
L’émeute de la Crise de la conscription à Québec, 1918-2012
Un peuple qui oublie mal, se souvient
à moitié…
Yosef H. Yerushalmi
XI
Remerciements
Je tiens à souligner d’emblée le très bon travail de Martin Pâquet, lui qui a su
adéquatement permettre à ce que mes propos ne s’éloignent pas trop d’une plume
scientifique! Des conseils pointilleux et de simples conversations ont su alimenter la
flamme qui habitait en moi tout au long du processus. Ce travail n’aurait certes pas pris la
même allure sans son professionnalisme, et ce, malgré tous les événements vécus en cours
de route. Franchement, merci ! Je ne pourrais passer sous silence également l’effort
phénoménal de ma conjointe Élisa-Maude Boulanger Piette et de Jean-Olivier Barakatt eux
qui ont offert un appui indéfinissable. Ils ont agrémenté mon parcours tant sur le plan
moral, psychologique que scientifique. Digne de mention enfin est l’appui émotif de ma
famille, tous autant qu’ils soient. Robert, Audrey, Ghyslaine, le lointain Patrick, Simon et
Jean-Michel. Plusieurs autres individus ont participé indirectement à agrémenter le
processus, mais je ne vais pas prétendre en établir une liste exhaustive. Voici donc pour
vous tous, une partie de moi.
1
Introduction
Mise en contexte
Le premier ministre conservateur Robert L. Borden introduit la Loi du service
Militaire1 en août 1917, imposant ainsi la conscription de nouveaux soldats parmi les
provinces canadiennes. Les pertes d’hommes grandissantes sur le front européen occidental
ainsi que le soutien inconditionnel2 du Canada envers ses métropoles forment
l’argumentaire nécessaire à cette décision politique. Le gouvernement conservateur
remporte une victoire électorale convaincante en décembre 1917 où la question de la
conscription s’établit comme enjeu principal. Les libéraux du Québec gagnent 62 sièges sur
65, montrant ainsi que plus de 72% des citoyens de la province de Québec s’opposent à
cette loi.3 Pour le Dominion du Canada, le résultat de l’élection a comme première
conséquence de confirmer la mise en œuvre de la loi. Cette élection dévoile également une
sérieuse tension dans les relations entre les deux peuples linguistiques et culturels
principaux de la nation canadienne. Il s’agit d’un désaccord politique qui envenime plus
que jamais les fondements de la Confédération.4
Il existait bel et bien un engouement quantifiable chez les Canadiens français vis-à-
vis de l’effort de guerre.5 Il faut toutefois nuancer ce propos. L’enthousiasme général à
1 Loi du service militaire, S.C. 1917, c. 19. La Loi du service militaire, 1917 est un décret du Parlement
d’Ottawa qui transforme le chapitre 41 de la Loi de la Milice de 1906. Dans le décret de 1917, les
considérants intégrés font en sorte que dans la nécessité : « il est à propos de se procurer les hommes encore
requis, non pas par tirage au sort suivant ce que stipulé dans la Loi de Milice, mais par levée sélective. 2Andrew Porter et al, « The Nineteenth Century », William Roger Louis (dir.), The Oxford History of the
British Empire: Volume III, Oxford: New York, Oxford University Press, 1999, p.187. Rappelons entre autres
que le statut juridique et la diplomatie du Canada à cette époque sont toujours sous tutelle de l’Angleterre. Le
Canada lui doit son soutien militaire dans le cadre d’une attaque contre l’Empire. Cette obligation est au
centre d’un débat idéologique qui posa les prémices d’un conflit politico-culturel entre les Canadiens anglais
et les Canadiens français. 3 Mason Wade, Les Canadiens français de 1760 à nos jours : tome II, 1911-1963, Montréal, Le Cercle du
livre de France, 1963, p. 161. 4 J. L. Granatstein et J. Mackay Hitsman. Broken Promises: The History of Conscription in Canada, Toronto,
Oxford University Press, 1977, p. 1. “No single issue has divided Canadians so sharply as conscription for
overseas military duty in time of war”. 5 Desmond Morton, « Doing Your Bit: Volunteers and Conscripts », When Your Number’s Up, Toronto,
Random House of Canada, 1993, p. 47-71. Voir également : Christian Blais et al., Québec, quatre siècles
d’une capitale, Québec, Les publications du Québec, 2008, p. 414-417 et le Musée canadien de la guerre,
« Réaction enthousiaste à la guerre », Le Canada et la Première Guerre mondiale,
2
combattre l’ennemie et l’injustice outremer, rayonnant à travers la presse canadienne, ne
reflétait en soi qu’une partie de la vérité. Le premier contingent de la force expéditionnaire
canadienne était composé de 36 267 hommes. Plus de 70% de ceux-ci étaient nés à
l’extérieur du Canada, soit en Angleterre ou dans des régions contigus d’Europe. Par
ailleurs, malgré les nombreux articles de presse patriotiques en sol québécois, seulement
1245 soldats canadiens-français se sont joint à ce premier contingent.6 Il n’est pas
surprenant alors que l’optimisme concernant une courte guerre s’atténua rapidement.7 En
fait, quelques années avant l’entrée en guerre du dominion, déjà une importante polémique
linguistique se développait autour du Règlement 17 de la politique du gouvernement
conservateur ontarien. Depuis 1912, le règlement limitait l'usage du français comme langue
d'enseignement et de communication dans les écoles bilingues des réseaux publics et
séparés. Ce conflit politico-linguistique incita d’autant plus l’élite politique canadienne-
française à affirmer qu’une partie du combat des Canadiens français dans cette guerre se
trouvait en sol canadien, à l’intérieur même de ses frontières.8 De plus, une large part des
résistances grandissantes au Québec étaient attribuables à l’image et à la réalité
essentiellement britannique et anglophone de l’armée canadienne.9
En 1918, le Québec est donc prisonnier d’un contexte de guerre totale10que la
grande majorité de ses citoyens ne désirent plus.11Les Québécois francophones doivent
http://www.museedelaguerre.ca/premiereguerremondiale/histoire/lentree-en-guerre/le-canada-entre-en-
guerre/reaction-enthousiaste-a-la-guerre/, page consultée le 21 septembre 2015. « Les recrues potentielles ne
furent pas toutes acceptées. En 1914, des examens médicaux rigoureux s’assuraient que l’aspirant soldat
mesure au moins cinq pieds et trois pouces, et qu’il ait entre 18 et 45 ans. Une bonne vue, des pieds cambrés
et des dents saines étaient des critères essentiels. À cause du grand nombre initial de recrues, nombre de
volontaires enthousiastes furent refusés. » 6 Granatstein, p. 24-25. 7 Idem “If English Canadians at first felt the call from the Mother Country weakly or not at all, how much
more was this true for French Canadians”. p. 24 8Henri Bourassa, « Au secours de la minorité ontarienne », Le Devoir, (20 mai 1915), p. 1, 3 et 4.
« N'oublions jamais que la conservation de la langue, la culture de la langue, la lutte pour la langue, c'est la
lutte pour l'existence nationale. Si nous laissons affaiblir en nous-mêmes le culte de la langue, si nous laissons
entamer sur un point quelconque du territoire les droits de la langue et son usage public ou privé, nous sapons
à la base toute l'œuvre de civilisation française édifiée par trois siècles d'efforts et de sacrifices. » 9 Marc Vallières, Histoire de Québec et de sa région, Tome II : 1792-1939, Québec, Presse de l’Université
Laval, 2008, p. 1261-1262. 10 David A. Bell, La première guerre totale – L’Europe de Napoléon et la naissance de la guerre moderne,
New York, Éditions Champ Vallon Découverte, Septembre 2010, 401 pages. Selon la thèse de David A. Bell
les transformations intellectuelles des Lumières et la fermentation politique des années 1789 – 1792 ont fait
naître l’idée d’un nouveau type de conflit à venir. La victoire ou bien la mort. C’est la conception qui poussa
la France à déclarer les hostilités alors qu’elle n’avait même pas d’objectifs stratégiques clairement définis.
3
alors affronter les réalités de la citoyenneté canadienne et tenter de se faire entendre
démocratiquement. La province de Québec est cependant imprégnée par des divisions de
groupes ethniques et culturels internes. Son paysage politique est ainsi façonné en regard
aux multiples allégeances de ces groupes.12 Enfin, à travers ce contexte politique et social
enflammé, plusieurs autres événements viennent augmenter le contexte de tension.
L’application officielle de la Loi du service militaire, l’émoi engendré par la motion
Francoeur, l’opposition du mouvement syndical partout au Canada13 et celle des
mouvements nationalistes en sont les principaux. Force est de constater que l’état des
relations internes au Canada et au Québec, restreint à cet épisode de la Première Guerre
mondiale, est assez tendu; du moins assez pour lui attribuer, par la suite, le qualificatif de
Crise de la conscription.
Durant les semaines, voire les mois suivant l’adoption de la Loi du service militaire,
de violentes émeutes éclatent un peu partout dans la province de Québec. Toutefois, ce sont
surtout celles dans la ville de Québec qui évoquent encore quelques souvenirs dans la
mémoire d’aujourd’hui. Plus de 120014 soldats de l’armée canadienne prennent le contrôle
des rues de Québec lors de la Semaine sainte de 1918. Leur but ultime est de ramener
Dans cette perspective de survie du régime politique, naquit la conviction que les ennemis de la France ne
pouvaient, eux aussi, que mener une guerre d’extermination. On était donc désormais bien loin du modèle
aristocratique qui avait prévalu jusqu’alors. Clausewitz déclarait quant à lui en 1812 que « Ce n’est pas un roi
qui fait la guerre à un autre roi, ni une armée à une autre armée, mais un peuple à un autre peuple. » Les
populations furent diabolisées, les combattants de tous les camps ne furent plus reconnus comme des
adversaires respectables, sensibles aux codes aristocratiques ; les populations civiles n’étaient plus
considérées comme des spectateurs anonymes et innocents. Elles alimentaient désormais les guérillas en
fournissant vivres, refuges et aides en tout genre aux insurgés. En ce sens, l’expression « guerre totale »,
n’apparaît en France et en Allemagne qu’à la fin de la première Guerre mondiale pour expliquer la longueur
et la violence du conflit, mais aussi pour imaginer un conflit encore plus violent où les belligérants
concentreraient toutes leurs ressources et leurs forces afin de les jeter dans un seul choc désespéré. Cette
conception ne renvoyait pas au passé, ni au présent, mais à un avenir proche, irréalisé. 11 Desmond Morton, « Première Guerre mondiale », Encyclopédie canadienne, Historica-Dominion, 2012,
http://www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/premiere-guerre-mondiale, page consultée le 11 avril
2013. 12 Fernande Roy, Histoire des idéologies québécoises aux XIXe et XXe siècles, Montréal, Boréal, 1993, 117
pages. 13 Robert Comeau, « L’opposition à la conscription au Québec », Roch Legault et Jean Lamarre (dirs), La
Première Guerre mondiale et le Canada : contributions socio-militaires québécoises, Éditions du Méridien,
1999, p. 91-109. 14 Martin F. Auger, « On the Brink of Civil War: The Canadian Government and the Suppression of the 1918
Quebec Easter Riots », The Canadian Historical Review, Vol 89 no 4 (Décembre 2008), p. 503-540. Auger
explique que pas moins de 6000 hommes ont été déployés pour la ville de Québec durant toute la période de
la Crise, et ce, jusqu’en mars 1919. Les 1200 soldats correspondent plutôt au déploiement concernant l’unique
Semaine Sainte de 1918 à Québec.
4
l’ordre dans la ville et d’appliquer la loi. Les discours contre la conscription qui
enflammaient les masses ont réussi à entamer un mouvement de révolte. Or ces mêmes
élites, qui autrefois en faisaient l’éloge, ne la désiraient plus une fois enclenchée. La
violence s’en suit. Les émeutes ébranlèrent la routine quotidienne de la ville, surtout celle
des citoyens et de ses commerces. De l’invasion du poste de police no 3 en Basse-Ville
jusqu’au saccage complet des bureaux de l’Atrium – soit le Bureau du registraire de
Québec – et de journaux quotidiens pro-conscription, le paroxysme se dévoile dans le
dénouement du Lundi saint, 1er avril 1918, où les violences emportent quatre citoyens vers
la mort, plus d’une soixantaine d’hommes vers les soins hospitaliers et 62 arrestations.15
Ces quelques jours de soulèvement et de répression ont infligé une vague de critiques à
l’endroit des autorités locales, provinciales et fédérales, et ce, provenant de toutes les
provinces du pays. Sur le plan des collectivités de la ville de Québec, différentes opinions
se formèrent par la suite concernant la gestion et le dénouement de cette crise.
L’Émeute de Québec est un épisode central de la Crise de la conscription. C’est un
événement violent qui a marqué profondément son époque. Toutefois, près d’un siècle plus
tard, les témoins directs de l’événement nous lèguent par leur absence une ouverture
interprétative sans borne.16 Il est important de se questionner alors sur la manière dont on
perçoit les sources écrites de ces événements à travers le temps, d’analyser quels sont les
éléments qui retiennent le plus l’attention de l’observateur, et enfin, de comprendre quels
sont les groupes et communautés qui participent au processus de reconstitution du passé. Ici
se joue en effet le jeu paradoxal de la mémoire racontant son histoire.
Cadre conceptuel
L’événement de l’Émeute de Québec en 1918 constitue une référence identitaire
nationale au Québec. Il est toutefois difficile de prétendre que cette affirmation soit
15 Judy M. Torrance, Public Violence in Canada, Kingston/Montréal, McGill and Queen’s University Press,
1986, p. 22. 16 Il est important de mentionner ici que la majorité des travaux qui ont été effectués sur le sujet « s’appuient
sur des archives officielles, sur les fonds privés de politiciens ou encore sur les journaux de l’époque. Ces
types de sources ont en commun de restituer les événements du point de vue des classes dirigeantes dont ils
relaient les préoccupations et les préjugés sans pour autant nous renseigner sur la dynamique propre à ce vaste
mouvement de contestation ». Béatrice Richard, « Le Québec face à la conscription (1917-1918) », Charles-
Philippes Courtois et al. Le Québec dans la Grande Guerre : Engagements, refus, héritages, Québec,
Septentrion, 2015, p. 116-118.
5
véridique pour chacune des communautés du Québec, plus spécifiquement, pour celles de
la ville de Québec. Nous entendons ici les catégories usuelles de l’époque, soit les
catégories ethniques à l’instar des Canadiens français des Canadiens anglais.
Le XXe siècle au Québec voit l’évolution de l’idée de nations distinctes à l’intérieur
du Canada. Au cours de ce siècle, les Canadiens français, tout autant que les Québécois
francophones, ont façonné leur sentiment d’appartenance identitaire17 s’inspirant de
nombreux événements politiques et sociaux du passé. Certains de ces événements ont
intégré des épisodes de violence. Pour la période précédant la Révolution tranquille, nous
présumons que c’est en partie à travers ce type d’événement que les Canadiens français ont
mieux défini leur appartenance de groupe. Ils ont graduellement pris conscience des
différences qui subsistent entre les Canadiens anglais et eux-mêmes. D’ailleurs, la
Fondation historique Lionel Groulx présente l’Émeute de Québec de 1918 dans le recueil
des Dix journées qui ont fait le Québec. Ce livre retrace par ailleurs quelques autres
événements marquants tels l’élection de Jean Lesage, ou alors l’avènement de la
confédération. Nous conviendrons qu’il s’agit d’un éventail assez arbitraire des grands
événements de l’histoire du Québec. Pourtant, l’Émeute de Québec n’en est pas moins
importante lorsque l’historien considère les grands événements de l’histoire de la violence
au Québec. Ceux-ci sont d’ailleurs peu nombreux. Cependant, qu’entend-on par grand
événement?
L’événement est en quelque sorte un porteur de sens,18 il est une réflexion
identitaire et un créateur de possibilités pour une société. Tel est le cas aussi pour l’individu
qui cherche à interpréter l’événement par la suite. Les différentes approches de cet objet
d’étude permettent d’interpréter celui-ci à travers une tension directe entre deux espaces
17 Gérard Bouchard, « Sur le modèle de la nation québécoise et la conception de la nation chez Fernand
Dumont », Bulletin d’histoire politique, vol. 9 no 2 (hiver 2001), p. 144-159. Chez l’individu, l’intégration
dans le concept de nation est un aspect identitaire pour celui-ci soit de manière solitaire ou dans le cadre d’un
groupe. Gérard Bouchard explique que la nation de cette époque se décrivait beaucoup plus sous une forme
ethnique, soit les Canadiens français dissipés partout sur le sol canadien pour ensuite se transformer en une
nation plus civique englobant les seuls individus habitant du territoire de la province de Québec. Il ne s’agit
ici que d’un exemple, plusieurs autres auteurs interprètent le sentiment d’appartenance à la nation d’une autre
manière. Pourtant, la langue française en est souvent le fondement constitutif à l’époque de l’entre-deux-
guerres. 18 Martin Pâquet et Érick Duchesne, « De la complexité de l’événement en histoire », Histoire sociale/Social
History, vol. 34 no 67 (mai 2001), p. 187-196.
6
métahistoriques – similaires au bagage d’expérience et à l’horizon d’attente tels que définis
par Reinhart Koselleck.19 Plus la distance entre ces deux espaces grandit, plus le
phénomène de l’interprétation du souvenir tend à façonner la mémoire. En fait, peu importe
où il se constitue et comment il agit sur l’horizon d’attente, le grand événement est toujours
celui qui marque le vécu collectif d’un groupe dans son bagage d’expérience. Il soude une
génération tout entière. Ces individus partagent l’expérience et la connaissance20 de
l’événement et cela crée une certaine proximité entre eux. Selon Jean-Guy Sarkis, le grand
événement21 est fondateur d’une génération comme telle, dans la plupart des cas. Il agit
comme borne référentielle dans la mémoire du groupe ou de la société qui le vit. En ce qui
concerne l’observateur indirect, celui qui analyse l’événement a posteriori, la grandeur de
l’événement résulte prioritairement de celle de sa dimension spatio-temporelle,22 et de
surcroit, de l’importance qu’il tient toujours dans le présent, au moment de l’analyse. Ainsi,
constituées et vécues dans une collectivité plus restreinte, comme la province, voire la ville
de Québec, les émeutes de 1918 apparaissent comme un grand événement pour ces
citoyens. Pourtant, plus l’observateur s’éloigne du foyer de violence, plus le
bouleversement est moindre. Il s’agit donc de l’événement référence pour une génération
d’individus l’ayant vécu localement tout en étant perçu peut-être comme étant de moindre
envergure à l’échelle de la province.
19 François Dosse, « L’événement », Christian Delacroix et al. (dir.), Historiographie II, Concepts et débat,
Paris, Gallimard, 2010, p.744-756. 20 Le vécu du grand événement est extrêmement variable selon les groupes et même chez l’individu au
singulier. Le grand événement est vécu comme une expérience et/ou une connaissance selon des modalités
rationnelles et /ou émotionnelles. Il attire et il repousse à la fois. On se sent proche de lui et/ou lointain. On
veut se reconnaitre en lui et/ou l’ignorer. Il est vécu sur le mode de l’appropriation ou du détachement. Jean-
Guy Sarkis, La notion de grand événement, Paris, Cerf, 1999, p. 9-45. 21 Sarkis élabore sur cette « nécessité traumatique » du concept référentiel afin de percevoir ou alors de
présenter un événement comme « grand ». Selon l’auteur, la notion de grand événement ne peut s’appliquer
que sur une population quantitativement suffisante, soit mondiale ou continentale, afin de rejoindre le concept
de traumatisme universel du grand événement. Toutefois, il explique que la grandeur de l’événement résulte
prioritairement de celle de sa dimension spatio-temporelle. Donc, pour un événement très court en durée,
introduit par des épisodes qui bouleversent la routine ou le normal des activités quotidiennes, et ce, même
étant localisé au sein d’une ville, la notion de traumatisme peut s’appliquer à la population témoin.
L’événement est reconstitué perpétuellement en mémoire à travers les années et ne meure théoriquement
jamais. Il constitue une référence collective à la société témoin selon une perspective traumatisante. La
dimension temporelle permet donc aux émeutes de Québec en 1918 de convenir à une application du concept
de traumatisme de l’événement sur la longue durée. Voir aussi pour d’autres exemples : James Fentress et
Chris Wickham, Social Memory, New Perspectives on the Past, Cambridge, Blackwell Publisher, 1992, 256
pages. 22 Ibid., p.13.
7
État de la recherche
Voici donc ce que nous entendons par un événement important, au point d’en être
une référence historique et identitaire. Il va alors de soi que ce qui est marquant pour
l’ensemble des citoyens d’une ville sert de référence à sa propre génération pour être
transmis aux générations futures. Des études scientifiques attestent le phénomène marquant
en question et permettent du même coup d’y relever toute l’importance historique pour les
descendants de cette même collectivité. Pourtant il y a peu d’études québécoises qui
analysent un événement à la manière de Georges Duby ou Nathalie Zemon Davis.23
L’événement référence en tant qu’objet d’étude est encore moins présent dans les études
existantes sur l’Émeute de Québec de 1918.24 En effet, malgré les nouvelles latitudes de
l’histoire politique25 qui ne cessent de s’élargir, aucun auteur n’a approfondi l’étude des
violences de la Crise de la conscription quant aux usages publics qui sont érigés à son
égard. Il s’agit probablement d’une omission involontaire chez les intellectuels québécois.
Considérant l’interprétation de Gérard Bouchard sur la manière d’écrire l’histoire au
Québec, à cette époque, l’historiographie québécoise tenait à valoriser la différence et la
supériorité des Canadiens français jusqu’au milieu du XXe siècle.26 En ce sens, les émeutes
23 Georges Duby, Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973, 303 pages et Nathalie Zemon Davis, Le
retour de Martin Guerre, Cambridge, Harvard University Press, 1984, 290 pages. Ces deux œuvres
pionnières du renouveau de l’étude de l’événement abordent celui-ci en tant que terrain privilégié pour
l’analyse de tendances historiques profondes. Il est possible de comprendre tout l’étendue de cet objet d’étude
dans: Carlo Ginzburg, « Preuves et Possibilités » comme postface de l’édition de 1984 de Nathalie Zemon
Davis, Le retour de Martin Guerre, Cambridge, Harvard University Press, 1984, p.9-43. 24 Il n’existe que peu d’études scientifiques élaborant une description soutenue et détaillée des jours de
l’Émeute de Québec : celles de Jean Provencher en 1971, de Jean Pariseau en 1981et de Chris Young en 2009
en sont les principales. Provencher et Young fondent leurs analyses et leurs interprétations réciproques sur les
deux volumes constituant l’enquête du coroner. Cette enquête concerne particulièrement le déroulement, les
acteurs principaux et les causes de cette violence civile. Voir, Jean Provencher, Québec sous la loi des
mesures de guerre, 1918, Trois-Rivières, Boréal Express, 1971, 140 pages et Chris Young, Sous les balles des
troupes fédérales: Representing the Quebec City Riots in Francophone Quebec (1919-2009), Mémoire de
maîtrise (histoire), Montréal, Université de Concordia, Juillet 2009, 122 pages. Quant à Pariseau, il élabore
sur le rôle de l’armée en situation de crise. Il dresse ainsi une liste exhaustive thématique des interventions
d’aides de l’armée envers le pouvoir civil. Le cas de l’émeute de Québec y figure dans le tome quatre sous le
cas d’aide au pouvoir civil répertorié au # 108, pages 1 à 42. 25 Martin Pâquet, « Histoire sociale et histoire politique au Québec, esquisse d’une anthropologie du savoir
historien », dans Histoire sociale\Social History, vol. 15 no3, (printemps 2007), p.83-102. Au Québec comme
ailleurs, « l’émiettement de l’histoire sociale par la multiplication des objets d’études et la résurgence de
l’histoire politique conçue comme fait culturel et principe explicatif d’une histoire globale sont des facteurs
réciproques qui expliquent l’état de la nouvelle histoire politique. » 26 Gérard Bouchard, « Sur les mutations de l’historiographie québécoise : les chemins de la maturité »,
Fernand Dumont (dir.), La société québécoise après 30 ans de changements, 1990, p. 253-272, Institut
québécoise de recherche sur la culture.
8
de Pâques en 1918 ont eu un impact important sur la société canadienne-française et
l’évolution de sa représentation collective parmi ses élites.27 Durant cette période de guerre
et de crise politique, l’opposition idéologique dans le Dominion alimentait l’évolution de
plusieurs nationalismes tant sur le plan canadien qu’à l’intérieur de l’État du Québec. Les
fervents d’un nationalisme canadien, Henri Bourassa en tête de liste, ont subi un échec
considérable dans le dénouement de la Crise de la conscription.28 Peu d’historiens furent
donc enthousiastes à l’idée de reconstruire ce passé et d’y accorder une importance
mémorielle.
Une exception fait surface cependant puisqu’en 2009, Chris Young, un étudiant de
l’Université de Concordia, déposait une thèse de maîtrise sur la mémoire de l’Émeute de
Québec de 1918 chez les Québécois francophones (Quebecers). Le propos de l’auteur est
toutefois restreint à l’étude de la perspective d’une seule communauté au sein du Québec en
son entier. Il s’agit ici d’un élément fondamentalement distinctif avec la démarche de notre
projet, et ce, pour deux raisons principales. La présente étude propose une analyse sur une
pluralité de communautés et non seulement sur les Quebecers. Également, elle situe ces
communautés dans un cadre géographique se limitant à la ville de Québec, l’espace
d’expérience spécifique à l’événement. De plus, selon Young, la construction de la
27 Ronald Rudin, « Revisionism and the Search for a Normal Society: A Critic of Recent Quebec Historical
Writing », Canadian Historical Review, Vol. 73 no1, mars 1992, p.30-61. Le débat engendré par Rudin en
1992 s’élaborait sur la manière d’écrire l’histoire du Québec à l’égard des aspects prioritaires à la construction
de l’idée nationale. Devait-on écrire l’histoire du Québec sous une plume d’histoire sociale et économique ou
alors sous celle d’une histoire politique et culturelle. Plusieurs visions nationalistes sont ainsi entrées en
opposition (contraste). 28 Roy, op. cit. p. 9-77. À cette époque, les idéologies au Québec étaient nombreuses. Elles étaient également
nourries par un discours nationaliste auxquels différents groupes sociaux y greffaient leur projet de société
particulier. Le nationalisme du groupe des Canadiens français du Canada, au tournant du XXe siècle, se
dessinait à travers une perspective pan canadienne. Ce nationalisme canadien s’exprimait surtout sous une
opposition entre l’idéologie libérale laïque du progrès associé au développement économique et à la
modernité vis-à-vis d’une idéologie conservatrice traditionnelle à l’intérieur de laquelle la religion prend une
place importante. Également, pour les Canadiens français de cette période, la nation unitaire était rarement
une priorité, mais le sentiment d’appartenance à la nation est ce qui était largement entretenu. Lors de la Crise
de la conscription de 1917-18, les Canadiens français « ont tous l’air de vibrer au même nationalisme.
Pourtant c’est faux. Il s’agit d’une valeur nationale qui s’insère dans l’idéologie globale des uns et des
autres. » Au Québec, même si le conservatisme clérical restait implanté solidement, c’est le parti Libéral qui
recevait l’appui de la majorité des électeurs. En effet, ces deux idéologies nationalistes convergeaient sous un
aspect, étant fortement contre l’impérialisme britannique (Henri Bourassa et Olivar Asselin), mais leurs
aspirations de voir les deux peuples fondateurs du pays respectés dans le cadre unitaire de la nation
canadienne s’anéantissaient par les effets pervers de la crise socio-politique à l’intérieur du pays.
9
mémoire chez les auteurs Quebecers en est une de victimisation vis-à-vis de «l’Autre».29 Il
blâme, entre autres, l’ingérence conceptuelle de Jean Provencher dans ses écrits et la
manipulation de ses sources pour converger celles-ci vers la confirmation de son propos.
Pour l’auteur, Provencher est le pilier de cette attitude victimaire chez les intellectuels
québécois francophones au sujet de la Crise de la conscription. Il s’agit donc d’une
approche dirigée, agrémentée d’une conception de la mémoire restreinte à la perspective
des auteurs Quebecers qu’il (Young) juge étant les acteurs fondamentaux de cette
construction. En revanche, la démarche empruntée dans notre analyse est tout à fait
nouvelle. En particulier, nous allons voir comment la violence de l’épisode de l’émeute de
la Crise de la conscription a exercé une quelconque influence sur la construction identitaire
des collectivités de la ville de Québec, et ce, jusqu’à nos jours.
Problématique et hypothèse
En observant attentivement le mouvement social qui se dégage de cet événement,
nous constatons que les tensions et les réactions chez les citoyens de Québec ne sont pas
partagées de manière équivalente selon les différents groupes sociaux ou communautés.
Certains tentent de s’y insérer, de s’approprier l’événement, tandis que d’autres tentent de
s’y soustraire. Le concept d’identité pour ces communautés prend dès lors plusieurs formes
selon les différents groupes qui l’animent. Cette distinction interprétative entre l’acteur et
l’observateur est tout aussi véridique selon que l’analyse s’effectue au présent ou au passé.
Au moment de l’Émeute, les groupes et communautés de la ville de Québec vivaient et
interprétaient l’événement de différentes manières. Ces mêmes groupes et communautés le
font également au présent. Un aspect primordial vient toutefois altérer les assises
interprétatives des groupes vivant au présent. Il s’agit du travail de la mémoire et des motifs
de sa constitution. Au fil du temps, les souvenirs des émeutes, autrefois directs par le fruit
de l’expérience, deviennent des souvenirs indirects pour la majorité. La mémoire est alors
29 Richard, op cit. p. 115. « La question de la conscription semble s’être cristallisée dans l’imaginaire
québécois sous la forme d’une « dramaturge mélancolique », confinant ainsi le Canadien français au rôle de
victime dans cette histoire ». Cette théorisation de la construction de la mémoire concernant l’Émeute de
Québec en 1918 est omniprésente dans l’étude de Chris Young, « "Sous les balles des troupes fédérales":
Representing the Quebec City Riots in Francophone Quebec (1919-2009) », Mémoire de maîtrise (histoire),
Montréal, Université de Concordia, Juillet 2009, 122 pages.
10
remplie de souvenirs construits et transmis tout autant variés qu’individuels. De ce fait, le
souvenir individuel, lorsque partagé avec autrui, devient un souvenir de groupe. Le partage
des souvenirs du passé implique nécessairement une reconnaissance individuelle de sa
mémoire intégrée à celle d’un groupe. La mémoire de soi se construit alors prioritairement
grâce aux autres.30 Ainsi, ces différents souvenirs, directs ou indirects, de l’intensité de la
violence engendrée par ces émeutes nous incitent à penser qu’il s’est constitué un souvenir
global de l’événement a posteriori, une mémoire collective.
Ensuite, cet événement localisé spécifiquement à la ville de Québec permet de
comprendre un certain détachement du reste de la société vis-à-vis de l’aspect traumatique
de l’événement en soi. Les violences n’ont pas provoqué le même sentiment de refus ou
d’injustice à travers toutes les collectivités de la province.31 Or, les différentes
communautés de la ville n’auront certainement pas la même attitude envers la
représentation du traumatisme vécu presque cent ans auparavant. Le terme
« traumatisme » est consciemment utilisé ici afin de faire ressortir l’impact immense de la
violence de l’événement et de son dénouement dans la mémoire des groupes d’individus
qui en interpellent la mémoire. Il est en ce sens impossible de comprendre la mémoire
collective par la seule interprétation d’un groupe spécifique. Dans le cadre de cette
recherche, nous tenterons de comprendre le processus de construction de la mémoire
collective de diverses communautés de la ville de Québec.
Un aspect du problème se situe dans l'intérêt politique que portent quelques groupes
de citoyens envers l'usage public de cet événement passé. Ces usages publics constituent la
totalité des moyens entrepris pour manifester un souvenir ou interpeler la mémoire. Ils
peuvent être les fruits d’une communication orale ou écrite, commémorés en public ou
30 Maurice Halbwachs, Mémoire collective, 2e édition, Paris, Presse Universitaire de France, 1968 (1950), p.
6-29. 31 Richard, op. cit. p. 118-122. À cet égard, Béatrice Richard, mentionne que l’examen des sources policières
et militaires donne peu d’indices sur une insurrection coordonnée à l’échelle de la Province. Ce serait plutôt
l’inégalité vis-à-vis de l’obligation militaire qui fait accentuer la colère dans plusieurs centres urbains du
Québec. Particulièrement à Québec, B. Richard juge que « loin de subir la conscription, certains citoyens,
même contestataires, de la ville se mobilisent pour la faire appliquer avec justice et équité ». Selon l’auteure,
la colère démontrée par les manifestations semblerait moins le résultat d’une confrontation entre les
Canadiens français et le gouvernement fédéral, mais plutôt, elle tiendrait sa source dans des conflits sociaux
entre les classes populaire et certaines élites locales.
11
alors dédicacés. L’historien Nicola Gallerano affirme quant à lui que l’usage public de
l’histoire est tout autant perceptible à travers les arts et la culture, soit par les lieux, les
monuments, les espaces urbains, les écoles ou les musées, toutes formes d’associations
formelles ou non, les partis, les groupes religieux, ethniques ou culturels.32 Ils peuvent être
produits de manière individuelle, par un groupe ou une communauté quelconque ou par le
fruit d’un projet de commémoration gouvernementale. Un usage public fait à l’égard de ce
qui tient du passé, exprime de surcroit une interprétation arbitraire et une voie de mémoire
spécifique, c’est-à-dire qu’il dirige la mémoire dans une direction bien précise.33
L’ensemble de tous les usages publics, ou alors, des références publiques à
l’Émeute de Québec, résulte en une structure bien définie. On appelle cet ensemble la
structure référentielle de l’événement. Cet ensemble de références est au cœur même de
l’analyse que nous effectuons. Chacune d’entre elles nous est utile, certaines plus que
d’autres, afin de comprendre comment s’opère le processus de construction de la mémoire
depuis l’Émeute. Elles évoquent des passages clés de son passé définissant une importance
identitaire pour le groupe qui s’y réfère. Pour rejoindre l’idée de Patrice Groulx, une nation,
tout comme une communauté, se dote d’une histoire qu’elle commémore pour s’en
souvenir. Ces références identitaires se construisent à partir de modalités culturelles34 selon
des expériences du passé, par des intérêts du présent ou encore, aux anticipations et aux
désirs du futur. La mémoire collective formée par les usages publics est donc à la fois le
fondement, le repère balistique et le principal facteur d’influence vis-à-vis de l’identité qui
s’en dégage. Il existe donc un lien permanent entre la constitution de la structure
32 Nicola Gallerano, « Histoire et usage public de l'histoire », François Bédarida et al, Responsabilité sociale
de l’historien, Paris, Gallimard, 1994, p. 88-90. 33 Patrice Groulx, La marche des morts illustres : Benjamin Sulte, l'histoire et la commémoration, Gatineau,
Vents d'Ouest, 2008, 286 pages. Groulx s’interroge sur la corrélation entre l’activité érudite et la pratique
commémorative, afin de savoir si l’une ou l’autre s’excluent, ou si au contraire elles sont appariées. Selon lui,
la commémoration et l’histoire sont deux activités complémentaires nécessaires à la construction d’une
mémoire collective pour une nation. Qu’elles soient déductives ou inductives, les interprétations des émeutes
de Québec en usage public renvoient à la thèse de Groulx où la quête de la vérité historienne et la
commémoration forme une base, et par le fait même, une tangente de la mémoire collective par rapport à cet
événement bien précis. 34Benedict Anderson évoque un lien très intime du nationalisme et de la culture. Selon lui, le nationalisme
doit être compris comme étant relié aux racines culturelles plutôt qu’à des idéologies politiques. La nation est
une communauté politique qui s’imagine en soi. Elle est imaginée, constituée dans l’espace (jusqu’à la limite
d’une autre nation) et souveraine de cet espace. Voir Benedict Anderson, Imagined Communities, Reflections
on the Origins and Spread of Nationalism, New York, Verso, 1991, 206 pages.
12
référentielle et celle de la mémoire collective pour un grand événement comme l’Émeute de
Québec de 1918. Cette juxtaposition de l’histoire et de son référent résulte en un
phénomène identitaire intégrateur : la patrimonialisation.35 En général, le terme patrimoine
est définit dans les conventions étatiques ou interétatiques comme « tout objet, lieu ou
ensemble, matériel ou immatériel, chargé de significations reconnues, appropriées et
transmis collectivement. »36
La commémoration la plus récente de l’Émeute de Québec de 1918 en date de
l’écriture de ces lignes montre l’ambiguïté constante retrouvée chez certains citoyens à
différencier les deux concepts d’histoire et de mémoire. Le 30 mars 2014, une minute de
silence, ainsi que le dépôt d’une gerbe de fleurs, lors d’un rassemblement à la Place
Québec, Printemps 1918 sont tout ce qui a été déployé comme actions commémoratives.
En 2013, afin de rendre hommage aux victimes et commémorer l’injustice des violences de
l’événement, une marche contre la monarchie fut entreprise le 28 mars par quelques
organismes selon une idéologie contemporaine radicalement nationaliste. Le lien qui unit
les motifs de ces récentes commémorations – comme la marche contre la monarchie- et les
événements du passé peut sembler assez ténu à la première impression. Par contre, en
analysant le discours des élites nationalistes de la période des émeutes, une ressemblance
est remarquable dans les sollicitations réciproques. La marche contre la monarchie de 2013
rejoint en fait la pensée d’Henri Bourassa dans son plaidoyer contre l’impérialisme
britannique et son désir de voir grandir un nationalisme canadien. Pourtant, lors des
récentes commémorations, seulement très peu de citoyens s’étaient rassemblés autour du
monument Québec, Printemps 1918. Que pouvons-nous comprendre de cette situation?
À peine trois petites années nous séparent donc du centenaire de l’Émeute de
Québec et le souvenir des événements véritables tend à se dissiper dans l’actualité
35 Selon Patrice Groulx, le phénomène patrimonial n’est pas abordé de manière significative chez les
historiens spécialement puisque celui-ci est pensé selon des concepts multidisciplinaires dont le sens varie
d’un auteur ou d’une institution à l’autre. Il ne peut donc être cerné à l’intérieur d’une seule discipline. Voir
Patrice Groulx, « La patrimonialisation sous le regard de l’histoire et de l’interdisciplinarité », Étienne
Berthold et Nathalie Miglioli (dirs), Patrimoine et histoire de l’art au Québec : enjeux et perspectives,
Québec, PUL, 2012, p. 9-25. Collection Chaire Fernand Dumont sur la culture. 36 Commission des biens culturels du Québec, « Pourquoi une politique du patrimoine », Patrimoine (Bulletin
de la Commission). Cité dans Groulx, La patrimonialisation, p. 9.
13
politique quotidienne. Il est effectivement difficile de quantifier ou de qualifier
l’importance de l’événement pour les collectivités du Québec de nos jours. D’une part,
l’événement est commémoré matériellement dans la ville de Québec et nulle part ailleurs.
Cette commémoration s’effectue de manière complètement isolée à l’intérieur même de la
ville. De plus, les différents motifs utilisés, afin de joindre le passé au présent, n’opèrent
tout simplement plus en symbiose avec les interprétations initiales de 1918. Que cela soit
pour rendre hommage aux quatre victimes, évoquer des références aux injustices commises
dans le passé ou alors pour manifester contre la monarchie, la mémoire qui s’est construite
au fil du temps permet aux individus d’interpréter l’événement comme bon leur semble.
Ainsi, partant de la prémisse selon laquelle peu de gens se souviennent réellement
de l'événement, de ses causes ou alors de ses répercussions concrètes, nous constatons que
les usages publics qui en sont faits deviennent alors les références vis-à-vis l’interprétation
de l’événement et la constitution de la mémoire collective. Également, le phénomène de la
violence nous apparaît être le motif central justifiant la structure référentielle. La mémoire
semble lui donner la principale tribune à travers les commémorations qui en sont faites.
Nous présumons du même coup que cette mémoire collective est construite de manière
plutôt hétérogène contrairement à ce qui a déjà été mentionné dans les écrits académiques.37
Elle semble beaucoup plus divisée lorsque nous observons la participation commémorative
– ou la non-participation - de différents groupes et communautés de la ville. De plus, étant
régionalisée, la mémoire construite facilite l’appropriation identitaire pour des groupes
spécifiques. Il s’en suit en fait une patrimonialisation d’une seule version de l’histoire afin
de cimenter le passé et l’identité que ces groupes lui attribuent.
Corpus documentaire et méthodologie
Afin de jauger la validité de notre propos, il nous est essentiel de consulter les écrits
de l’époque – les journaux de la ville de Québec spécifiquement-, d’analyser les différents
usages publics et de faire appel à certaines communautés de la ville de Québec. Les
37 Young, "Sous les balles des troupes fédérales": Representing the Quebec City Riots in Francophone
Quebec (1919-2009), Mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Concordia, 2009, 122 pages.
14
journaux analysés sont les cinq principaux quotidiens de la ville de Québec en date de 1918
soit : le Quebec Morning Chronicle, Le Soleil, L’Événement, le Quebec Daily Telegraph et
L’Action Catholique. Nous avons pris soin d’utiliser des organes de presse quotidiens
publiés tant pour les lectorats anglophones que francophones. Il s’agit ici d’une analyse de
contenu. Ces articles de journaux sont des témoignages prisés par l’observateur a posteriori
puisque même analysés après leur émission, les messages sont considérés dans leurs formes
originales. Ces sources écrites sont analysées qualitativement selon certains critères de
distinction, de concordance ou alors de corrélation entre les observations dégagées par les
auteurs.38 Par cette technique, nous pouvons définir quelles étaient les différentes
représentations qui se dégageaient déjà dans le bagage d’expérience. De plus, la totalité des
articles sera comptabilisée. Employé uniquement à titre démonstratif, le nombre d’articles
émis par chaque quotidien évoque en partie l’importance que détient l’événement chez ces
organismes de presses. Le nombre d’Avis Publics dirigés envers les citoyens de la ville
exprime quant à lui quel journal appuyait quels acteurs sociaux, quels membres des élites
militaires ou municipales, etc. Ces analyses de données, autant qualitatives que
quantitatives, permettent d’une part de reconnaitre l’existence d’une variance dans les
interprétations durant le conflit. D’autre part, elles définissent la nature de l’évolution des
différentes mémoires qui se constituent par la suite jusqu’à nos jours.
Nous montrerons également l’évolution de la mémoire de cet événement. Selon des écrits
académiques, celle-ci semble se perdre au gré des générations dans la société Québécoise
tout entière. Il sera pertinent de nuancer ce propos puisque le souvenir de ce passé a
continué à se transmettre, quoique timidement, à travers les institutions politiques de la
province. Il faudra alors définir quels éléments de l’histoire du Québec ont agi comme
catalyseurs; ceux qui ont permis de propulser cet événement à titre de référence au plan
identitaire. Ensuite, afin de comprendre la tangente d’orientation crée par cette période
particulière, une liste exhaustive des usages publics matériels de l’événement facilitera
l’analyse des conséquences qui sont, sommes toute, directement observable. Des archives
d’anciens entretiens avec des anglophones de Québec, effectués par Mary Ellen Reisner en
1985, seront également considérées. Reisner s’est entretenue avec plus d’une dizaine de
38 Voir la grille d’analyse de contenu des médias élaborée à cette fin en Annexe A.
15
participants lors d’un projet de recherche sur la vie sociale des anglophones dans les
différents quartiers de Québec au XXe siècle. Quelques-uns de ces témoignages sont
intéressants, mais un retient particulièrement notre attention, celui de Guthrie Scott. Il
élabore sur son expérience véritable de l’émeute à Québec et des perceptions que cela lui
offrait en temps réel.
Enfin, nous utiliserons nos propres entretiens sur le terrain. Il s’agit dans ce cas d’une
méthode ethnologique d’analyse des sociétés sur le terrain - l’enquête orale - qui consiste
en « l’analyse et en l’interprétation des matériaux collectés visant à dégager les lois
particulières qui définissent la spécificité d’un groupe ethnique »39 (micro dans notre cas).
Nous avons utilisé une pratique d’enquête intensive par témoignage, c’est-à-dire une
méthode de collecte sélective, abordant de façon plus approfondie un nombre de sujet
limité. Cette méthode donne une meilleure idée du potentiel révélateur des témoignages. Il
s’agit en fait de six citoyens de Québec possédant une connaissance de l’événement selon
une représentation qui leur est propre. Ils n’ont évidemment pas le même bagage
d’expérience avec l’événement dû à leur distance interprétative de ce passé. Leurs
représentations sont influencées par les multiples manifestations40 et événements – violents
ou non- s’étant déroulés durant leurs vécus. Nous pensons entre autres à la Crise d’Octobre
de 1970 ou au printemps de 2012 où plusieurs manifestations, certaines plus violentes que
d’autres, ont perduré durant des mois successifs. Ces allusions ont d’ailleurs été
mentionnées chez quelques participants de notre corpus.
À la suite de ces entretiens, nous pourrons donc considérer une pluralité de versions selon
laquelle des interprétations variées seront émises sur la représentation de l’événement, la
39 Martine Roberge, « Guide d’enquête oral », Bernard Genest (dir.), Collection Patrimoine, Dossier 72,
Québec, 1991, p. 6. Voir également Dale Gilbert « Vivre son quartier, vivre sa ville au cœur du XXe siècle : Modes d'expression de la culture urbaine en milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur de
Québec, 1930-1980 », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2012, p. 1-44. 40 Nous entendons par ce concept « l’occupation de lieux physiques ouverts et dans un temps éphémère, ainsi
qu’une action collective de plusieurs citoyens qui expriment ostensiblement leurs revendications de manière
politique. » Cette nuance est nécessaire ici puisque le bagage d’expérience de chacun des participants n’est
pas le même lorsqu’ils interprètent un événement de manifestations violentes selon les époques. Tel que
mentionné par Martin Pâquet et Jocelyn Saint-Pierre, le « fait manifestant » a lui aussi subi une évolution. Il
s’agit d’un « phénomène auparavant sporadique qui devient plus systématique avec la prise de parole
citoyenne à partir de la Révolution tranquille. » Voir Martin Pâquet et Jocelyn Saint-Pierre dans « Les lieux
de la manifestation : La ville de Québec comme espace polémique », Bulletin d’histoire politique, Vol. 21, no
2, (hiver 2013), p. 45.
16
prépondérance de la violence dans l’événement et la nature de la mémoire qui en est
construite.41 Les témoignages de ces individus forment un corpus unique qui manifeste une
perspective tout à fait différente de celle élaborée dans les journaux ou alors de celle
dégagée par les usages publics de ce passé. Il est de cette manière plus efficace de comparer
les interprétations qui en étaient faites au moment même de l’Émeute avec celles qui sont
construites presque cent ans après.
Plan du mémoire
Il sera donc question d’élaborer sur la constitution du grand événement qu’est
l’Émeute de Québec selon les représentations médiatiques de l’époque. Nous pourrons ainsi
traduire des vifs sentiments qu’éprouvaient les éditeurs des médias écrits de Québec envers
la violence de l’événement. Elle est en effet omniprésente dans les témoignages
médiatiques. Ensuite, nous montrerons l’évolution de la mémoire collective selon les
périodes historiques, ainsi que par des interprétations de citoyens au temps présent
provenant de différentes communautés de la ville de Québec. Cette évolution est un
processus instable et discontinu qui, toutefois, ne se transpose pas à travers la structure
référentielle. Enfin, nous expliquerons pourquoi le travail urbain de la mémoire soulève des
sentiments partagés. Le phénomène de patrimonialisation de l’événement explique la
manière dont certains groupes isolés s’approprient la mémoire et la régionalise.
41 Annexe C : Les éléments du questionnaire/Schéma d’entretiens
17
Chapitre 1 : Constitution d’un événement référence
La constitution de l’événement référence comme l’Émeute de Québec de 1918 ne
peut être comprise qu’au terme de l’étude de l’histoire du développement urbain de la ville
de Québec. Cela nous permet de montrer la polarisation de l’espace urbain au moment de
l’événement. Nous serons donc en mesure d’identifier la nature sociogéographique des
foyers de manifestation concernant l’introduction de la Loi du service militaire. C’est
ensuite dans la manière dont chaque média interprètera les violences des émeutes de la
semaine sainte que nous pourrons dégager les premières disparités dans la construction de
la mémoire collective.
1.1 Hiérarchisation sociale et géographie urbaine de la ville de Québec
L’histoire du développement urbain de la ville de Québec permet de mieux
comprendre le contexte social particulier des événements de 1918. Cette approche
historiographique montre, entre autres, une constance dans le développement économique
chez les élites de Québec. Pour ceux-ci, le principal objectif était de permettre à la ville de
revendiquer une notoriété économique, culturelle et politique constante dans le dominion
au XIXe siècle. À partir de l’époque des Rébellions et du gouvernement d’Union, la ville
de Québec a vécu de nombreuses oscillations fraternisant avec le pouvoir politique et
La loyauté est un devoir, l’amour est un
sentiment. Si la loyauté se commande,
l’amour se gagne.
Athanase David
18
militaire du Dominion.1 Elle a perdu son rôle de capitale du Bas-Canada sous l’Acte
d’Union de 1841. Malgré les multiples transfères des fonctionnaires au fil des ans, le
parlement du Canada-Uni y siège tout de même à deux reprises, de 1852 à 1855 et de 1862
à 1865. Suivant les débats enflammés sur l’emplacement du site de la capitale de l’Union,
des hommes tels que George-Étienne Cartier proposent de donner le choix ultime au
gouvernement impérial à Londres. Québec perd définitivement en 1865 son statut de
capitale du Dominion aux dépens d’Ottawa. Ce sont 265 fonctionnaires et leurs familles2
qui quittent alors l’économie de Québec. En 1871, le départ de la garnison de la Citadelle
de quelque 3000 personnes – soldats, commis et leurs personnes à charge – engendre des
pertes annuelles estimées à de plus de 400 000$.3 Ces pertes ébranlent directement
l’économie et la démographie locales, mais un problème encore plus grand survient au
cours de ce siècle. Le trafic du bois et la construction navale, les piliers de l’économie de la
ville, déclinent drastiquement. Des milliers de travailleurs se retrouvent donc dans une
situation de recherche d’emploi.
Ce sont les élites francophones et anglophones de la ville qui ont su réajuster l’essor de
l’économie de Québec. Au cours de la Révolution industrielle, ceux-ci ont investi dans la
construction de manufactures et d’industries. Les industries déjà présentes telles que celles
du cuir et de la chaussure ont permis de stabiliser l’économie locale et même d’attirer des
investisseurs étrangers. Le recensement de 1870-71 est un outil d’analyse essentiel qui
permet de mesurer l’ampleur de la diversification industrielle tout comme la disposition de
des groupes socioprofessionnels. Par exemple, en 1871 les quartiers de Saint-Roch et de
Saint-Sauveur regroupaient à eux seuls plus de 65% des entreprises importantes pour le
nombre d’employés.4 Le reste de la Basse-Ville comprend 20% de ces établissements. La
1 Donald Fyson, « Une ville du pouvoir impérial, 1764-1841 » Michel De Waele et Martin Pâquet (dirs.) et al,
Québec, Champlain, le monde, Québec, Presse de l’Université Laval, 2008, p. 180. 2John Hare et al, « Une économie en transformation », Histoire de la ville de Québec : Consolidation et
déclin, Montréal, Boréal, 1987, p. 258-279. « Le gouvernement de L’Union en 1864 comptait 265
fonctionnaires plus les députés. En additionnant les familles, cette somme est estimée à environ 1000
personnes. » 3 Ibid., p. 267. D’ailleurs, cette somme équivaut à plus de 6,8 millions de dollars canadiens en 2014. 4 Recensement du Canada de 1870-71, données recueillies dans Nicolas Lanouette, « Espace et travail
urbains : Le paysage professionnel de Québec, 1871-1901 », Mémoire de maîtrise (Géographie), Université
Laval, Québec, 2006, 192 pages.
19
plus grande partie du capital y est toutefois investi. Quant à elle, la Haute-Ville possédait
quelques fabriques de vêtements sans pourtant bénéficier d’importants investissements.
La décennie des années 1870 est particulièrement significative dans l’histoire du
développement urbain de la ville de Québec. D’une part, elle marque la fin de l’ère des
chantiers navals le long de la rivière Saint-Charles et la diminution du commerce du bois
dans le port de Québec. Les historiens évoquent aussi que cette décennie marque une phase
de francisation de l’évolution de la ville.5 En particulier, la Chambre de commerce de la
ville élit son premier président de langue française en 1871. De plus, le recensement de
1871 éclaire sur la disposition des groupes ethnolinguistiques. Pour une population de
59 699 individus, les Canadiens français représentaient 70% de l’ensemble, les Irlandais
20% et les Anglos écossais 9%. De plus, 90% de l’ensemble de la population était de
religion catholique et 12% était née à l’extérieur du Canada. Cinquante ans plus tard, le
recensement de 1921 montre que Québec comptait dorénavant 97 309 personnes où 86 911
de ceux-ci étaient d’origine française.6 Donc vers 1918, les 9295 résidents d'origine
anglaise, écossaise et irlandaise comptaient pour environ 10% de la population. Québec
emprunte donc un tournant clairement francophone. Nous retrouvons toutefois une
proportion immigrante assez similaire vacillant entre 10% et 12% sur cette période de
cinquante ans.
De plus, sur les 59 699 individus répertoriés en 1871, l’effectif industriel de la ville se
composait de 7250 personnes,7 soit environ 8% de la population. En 1901, suivant
l’augmentation du nombre d’établissements de fabrication dans la ville, la part des
travailleurs industriels – manuels et non manuels- par rapport à la population totale est
alors près de 14 %.8 La croissance du nombre de travailleurs industriels de 6% en 30 ans
peut sembler assez maigre pour une ville qui cherche à retrouver sa notoriété économique.
Pourtant, en parallèle à l’augmentation démographique de la province, Québec connaît une
croissance beaucoup plus faible que les autres centres urbains. L’augmentation de 6% de la
5 Hare, op. cit. p. 274. 6 Marc Vallières, et al. Histoire de Québec et de sa région, Tome II : 1792-1939, Québec, Presse de
l’Université Laval, 2008, p. 1385. 7 Lanouette op. cit. p. 54-80. 8 Serge Courville et Robert Garon (dirs), Québec, ville et capitale : À l’heure de l’industrie, Québec, PUL,
2001, p. 198-210.
20
main d’œuvre ouvrière pour cette période est en fait assez importante. Elle repose sur les
investissements dans le secteur industriel qui assurent redressement de l’économie de
Québec.
Suivant ce bouleversement économique de la fin du XIXe siècle, un constat
s’impose. Les catégories de travailleurs sont disposées en grande majorité selon une
hiérarchisation sociale et géographique des quartiers de la ville. En outre, le géographe
Raoul Blanchard donna en 1930 l’appellation de Loi d’altitude9 à la corrélation directe
entre l’altitude topographique et la richesse individuelle. La Haute-Ville montrait un
charme bourgeois selon l’architecture de ses établissements. On y trouvait le Parlement,
l’hôtel de ville, l’Université Laval, le Séminaire, le couvent, le palais de justice. Il s’y
trouvait également de magnifiques parcs et jardins ainsi que de gigantesques maisons
bordant de larges boulevards. Les habitants de ces secteurs travaillaient, pour la plupart,
dans les domaines des services et des affaires. Quant à elle, la Basse-Ville était l’endroit
privilégié des marchands, des commerçants et des membres de professions libérales.
Malgré une augmentation démographique trente ans après le recensement de 1871, la Haute
et la Basse-Ville ne comptaient toujours que 22% de la population et moins de 20% des
habitations de la ville. La majorité des habitants et des bâtiments se trouvaient toujours
dans les quartiers périphériques trouvait encore. Ces quartiers au visage industriel
comprenaient le lieu du port, des entrepôts de commerce, des complexes industriels et des
réservoirs à eau perchés sur les toits.10 Saint-Roch et Saint-Sauveur rassemblaient à eux
seuls près de 70% de la population et environ les trois quarts de l’ensemble des bâtiments.
Afin de bien comprendre toutes les particularités qu’offraient les données recueillies dans
les recensements de 1871 et 1901, il est nécessaire ici d’évoquer le travail exemplaire de
Nicolas Lanouette11 sur les transformations socioéconomiques et la répartition
socioprofessionnelle dans la ville de Québec. Une disposition géographique des groupes et
communautés y est clairement apparente. Ces analyses montrent également que des groupes
linguistiques, ethniques ou religieux sont souvent regroupés par quartiers ou secteurs
9 Ibid. p. 262. 10 Ibid. p. 262. 11 Lanouette, Op. cit., p. 82-190.
21
d’emplois. En fait, les différentes régions de la périphérie, de la Basse-Ville et de la Haute-
Ville montrent une hiérarchisation concrète des classes sociales dans la ville.
En observant les divers graphiques de Lanouette, il est clair que la polarisation de l’espace
résidentiel entre les travailleurs des services et les travailleurs manuels qualifiés est un des
éléments fondamentaux de la différenciation spatiale à Québec.12 Elle dépasse même la
stricte dualité entre Haute-Ville et Basse-Ville. Il y est montré que les travailleurs tendent à
résider à proximité de leur lieu de travail. Peu importe la classe d’emploi, cette tendance
reste véritable pour les travailleurs manuels et les employés de services ou des affaires.
Lanouette le montre, entre autres, en utilisant l’exemple du nombre de juges - huit sur onze-
qui habitent la rue Saint-Louis tout près du Palais de Justice.13 De plus, il s’y trouve une
segmentation culturelle de l’emploi. Certains secteurs d’emploi sont associés directement à
différents groupes linguistiques, ethniques ou religieux. La forte immigration irlandaise et
anglo-saxonne à Québec au XIXe siècle se superpose à la population d’origine française
déjà présente, créant ainsi un contexte conflictuel entre les groupes ethno religieux. Cela
impose une sorte de concurrence, une rivalité entre les groupes dans l’occupation de
certains métiers. En fait, selon les données de Lanouette, plusieurs autres constats
s’imposent : près de la moitié des Irlandais sont concentrés dans le secteur industriel non
qualifié - activités portuaires principalement- , une large proportion de Canadiens français
se déploie dans le secteur des employés manuels qualifiés, une bonne partie des Canadiens
anglais pratiquent des professions libérales, les communautés juives et syriennes œuvrent
presque uniquement dans le commerce et les quelques Chinois qui habitent Québec
monopolisent la buanderie en Haute et Basse-Ville.
Plus spécifiquement, les travailleurs manuels qualifiés,14 qui comptent une forte proportion
des travailleurs industriels, tendent à se localiser dans les quartiers de Saint-Sauveur, Saint-
Roch et près de la zone industrielle de Québec, soit la partie ouest du quartier Jacques
12 Ibid. p. 125. Voir la Figure 36 intitulé « Quotient de localisation des hommes en emploi de 15-64 ans,
1901 ». 13 Ibid., p. 90-92. 14 Les travailleurs manuels non qualifiés tendaient à se regrouper dans le secteur du quartier Champlain ou le
long de la rivière Saint-Charles tant sur le plan résidentiel que pour celui du lieu de travail. Ces deux espaces
se trouvaient également en périphérie de la ville. Voir Lanouette p. 101.
22
Cartier, autour des rues Saint-Vallier, Arago et Langelier.15 Ainsi, le quartier Saint-Sauveur
demeure le quartier ouvrier par excellence puisqu’il est peu fourni en commerces et
entreprises. Il sert en quelque sorte de cité dortoir16 pour les employés des manufactures de
la zone industrielle de Jacques-Cartier et Saint-Roch. Ces quartiers sont donc peuplés de
travailleurs de tout âge, mais surtout, de plus en plus jeunes. L’industrialisation et la faible
règlementation des normes du travail de l’époque ont facilité l’entrée de jeunes travailleurs
sur le marché de l’emploi. Il s’en est résulté d’une forte augmentation du nombre
d’hommes célibataires17 dans ces secteurs industriels. Cette triangulation du périmètre
ouvrier, ajouté à l’observation du nombre grandissant de travailleurs célibataires, permet
d’associer en partie la provenance des acteurs des troubles des émeutes de 1918, ceux
directement ciblés par les conventions de la Loi sur le service militaire.
1.2 La Loi du service militaire, 1917
La polarisation de l’espace résidentiel parmi les travailleurs et les structures
socioprofessionnelles de la ville de Québec a très peu changé jusqu’aux années suivant la
Première Guerre mondiale. Bonnes ou mauvaises, les relations sociales entre les différents
groupes de travailleurs dépendaient la plupart du temps de leur secteur résidentiel et de
surcroit, de leur position sur l’échelle sociogéographique. Une concentration des
communautés linguistiques par quartiers est clairement observable. De plus, la
segmentation des relations sociales est encore plus frappante à l’intérieur des communautés
ethno religieuses. Ces observations du développement urbain de la ville sont considérables
dans ce qui engendra l’Émeute de Québec de 1918. L’agencement territorial particulier de
la ville et la constitution des classes d’hommes répertoriés par la Loi du service militaire
15 Ibid. p. 101 16 Ibid. p. 143 17 Ce nombre a augmenté dans tous les secteurs d’emplois de la ville de Québec. Principalement, les
travailleurs non manuels comptaient 60% de célibataire dans leur groupe contre 40% pour les travailleurs
manuels. Le nombre de travailleurs manuels représentait toutefois plus de 65% des travailleurs de la ville tous
secteurs confondus. La part des célibataires dans le secteur des travailleurs manuels a augmenté de 28% en
1871 à 40% en 1901. Voir Lanouette, p. 92 et 115, Tableaux respectivement intitulés « Caractéristiques
sociodémographiques et culturelles des hommes en emploi en 1871 » et « Caractéristiques
sociodémographiques et culturelles des hommes en emploi en 1901 ».
23
nous incitent à nous pencher sur le terrain des manifestations de l’émeute de la Crise de la
conscription.
En dépit du fait que la période des célébrations du tricentenaire de la ville fut
somme toute le zénith des relations entre francophones et anglophones depuis la
Confédération, la Crise de la conscription ébranla tous les piliers de cette récente bonne
entente ethnolinguistique. Quelques décisions politiques suffirent pour amenuiser les
amitiés récentes. À titre d’exemple, en 1913, le Dominion du Canada exproprie plus de
5000 hectares de terres que cultivaient 125 fermiers irlandais pour construire un camp
d’entrainement militaire à Val-Cartier.18 En 1916, une association citoyenne de recrutement
se forme sous l’effet de la Loi de Milice19 afin de recenser les hommes aptes à défendre le
territoire canadien. Cette loi poursuivait des fins de défense nationale. Produites dans le
cadre de cette loi, les listes de recrutement ont servi dans les différents bureaux du
registraire durant l’application de la conscription. Plusieurs turbulences ont aussi éclaté à la
suite du retour du premier ministre Robert Borden, après son séjour en Grande-Bretagne en
février 1917. Les rumeurs de conscription circulaient partout dans le pays. Au Québec,
d’importantes manifestations20 se mirent en branle principalement à Montréal, à
Shawinigan et à Québec. Le 24 juillet 1917, la Loi du service militaire est adoptée en
chambre par 102 voix contre 44. D’ailleurs, un décret ministériel du 29 août appelait les
premiers conscrits à se diriger dans les différents bureaux du registraire dès le 17 octobre
1917. La situation devenait donc de plus en plus concrète pour les hommes ciblés. Les
pressions politiques de l’opposition officielle libérale de Wilfrid Laurier et du
gouvernement de Lomer Gouin, des nationalistes canadiens de la province de Québec et de
plusieurs médias écrits ont grandement influencé la tenue de l’élection fédérale.21 Ces
18 Louisa Blair, Les Anglos : La face cachée de Québec, Tome II : Depuis 1850, Québec, Éditions Sylvain
Harvey, 2005, p. 54-60, Commission de la capitale nationale du Québec. 19 Loi de Milice, S.R.C. 1906, c. 41, art. 25-26 sur l’enrôlement et le tirage au sort. 20 Des manifestations éclatèrent au mois de mai à Montréal et à Québec. Certain citoyens allèrent même
jusqu’à dynamiter la propriété de Hugh Graham (Lord Atholstan) à Cartierville le 9 août 1917. Lorsque la
métropole fut sous plus haute surveillance, ce sont les villes de la Mauricie qui s’enflammèrent comme Trois-
Rivières et Shawinigan. 21 Cette élection fédérale de 1917 reste un événement délicat de l’histoire politique du Canada. Il s’agit bel et
bien d’un moment d’impact dans le développement des discordes entre les Canadiens anglais et les Canadiens
français. Elle est peu couverte par l’historiographie canadienne en générale considérant qu’il s’agit d’un des
facteurs les plus influents de la période dite de la Crise de la conscription. Peu d’historiens tentent en fait de
porter une analyse quelconque sur des éléments nébuleux de cette période. À titre d’exemples, aucun
24
opposants tenaient à ce que le projet de loi sur la conscription soit soumis au suffrage.
Ainsi, peu de temps après les célébrations du tricentenaire, le Canada faisait face à une
élection en temps de guerre, où le Québec était presque complètement isolé des autres
provinces.22
En fin d’automne de la même année, le 17 décembre, l’élection fédérale, portant
principalement sur l’enjeu de cette loi, fut remportée par le nouveau gouvernement
d’Union23 dirigé par Robert L. Borden. L’application de la Loi sur le service militaire
entrait alors en fonction dès le 1er janvier 1918. La grande majorité des immigrants
européens récemment arrivés au pays étaient fébriles à l’idée de partir au combat pour
défendre les valeurs britanniques. Plus des deux tiers des volontaires du premier Corps
expéditionnaire canadien sont d’ailleurs nés en Grande-Bretagne. Parmi les 9000 soldats
volontaires nés au Canada, il y avait 11% de francophones. Plusieurs critiques anglophones
commencèrent à s’ébruiter par la suite conséquemment au faible rendement du
volontarisme francophone envers l’effort de guerre canadien.
Plusieurs auteurs ont souligné le sentiment d’opposition des Canadiens français à
l’égard de la conscription militaire. En fait, la majorité des analyses de l’opposition à la
conscription se consacrent aux seuls Canadiens français de l’ensemble de la province de
Québec. Contrairement à ce que laissent entendre ces analyses, les Canadiens français ne
possédaient pas le monopole de l’opposition. Au Canada comme au Québec, l’opposition
variait selon plusieurs groupes sociaux, ethniques ou religieux.24 Partout au pays, seuls les
Canadiens anglais et les immigrants britanniques favorisaient majoritairement la
consensus historique n’existe sur l’interprétation de l’application de la conscription allant à contresens des
premiers discours de l’exécutif quant à la participation à la guerre; sur le fait que le gouvernement Borden a
repoussé l’élection de 1916 à 1917, justifié par le contexte de guerre mondiale; concernant l’octroi du droit de
vote aux femmes (uniquement celles avec un membre de la famille dans le Corps expéditionnaire canadien);
sur le droit de vote aux soldats d’outre-mer; sur l’enlèvement du droit de vote à tous les objecteurs de
consciences, ainsi que les membres des groupes ethniques Allemands, Autrichiens etc. 22 Wade, p. 161. Rappelons que 62 des 65 sièges remportés par des libéraux provenaient du Québec. 23 Le gouvernement d’Union fut formé par Borden peu de temps avant l’élection fédérale de 1917, intégrant
un bon nombre de membres libéraux de l’opposition officielle par l’entremise du débat sur la question de
l’obligation militaire. 24 Amy J. Shaw, Crisis of Conscience: Conscientious Objection in Canada During the First World War,
Vancouver, UBC Press, 2009, p. 20-113.
25
conscription.25 Le phénomène diffère quelque peu dans le contexte municipal de Québec.
Chez les travailleurs manuels catholiques, francophones ou anglophones, qualifiés ou non,
cette opposition était équivalente. Puisque la communauté catholique comptait pour 90%
des habitants de la ville et que seulement 12% d’entre eux était né à l’extérieur du Canada.,
il y avait donc seulement une minorité de la population francophone et anglophone de la
ville en faveur de cette loi. De plus, en analysant les cadres de la loi d’enrôlement
obligatoire à l’intérieur des strictes composantes sociales de la ville de Québec, nous
constatons que l’opposition était beaucoup moins homogène que ce que les études
antérieures nous laissent entendre.
La Loi du service militaire s’appliquait à tous les citoyens du pays, peu importe sa
communauté religieuse, sa classe sociale, son groupe linguistique ou ethnique. Ainsi, ce
document officiel du 29 août 1917 cite dans son préambule l’article 10 de Loi de Milice de
1906:
Tous les habitants mâles du Canada âgés de dix-huit ans et plus et de moins de
soixante ans, non exemptés ni frappés d’incapacité par la loi, et sujets britanniques, peuvent être
appelés à servir dans la milice ; dans le cas d’une levée en masse, le gouverneur général peut
appeler au service toute la population mâle du Canada en état de porter les armes.26
Ainsi, les hommes âgés entre 18 et 60 ans se divisaient en six classes différentes selon :
leur âge – jugé prioritaire-, leur statut matrimonial - secondaire- et selon le fait d’avoir (ou
pas- un ou des enfants à sa charge -tertiaire. Les classes déterminées par la loi27
priorisaient les jeunes hommes célibataires de 20 à 34 ans sans enfants. Nous comprenons
du même coup que le critère principal de distinction entre les classes était l’âge puisque
selon la catégorisation, un homme célibataire de 35 ans se classait au troisième échelon
tandis qu’un homme marié de 34 ans et moins avec des enfants se classait au deuxième
échelon. L’homme marié, mais moins âgé, était donc appelé aux armes plus rapidement. De
plus, l’article 3.2 de ce décret mentionne que tout homme marié après le 6 juillet 1917
25 Musée canadien de la guerre, Le Canada et la Première Guerre mondiale,
http://www.warmuseum.ca/cwm/exhibitions/guerre/conscription-f.aspx, page consultée le 16 mai 2014. Les
Canadiens français, ainsi qu’un bon nombre d'agriculteurs, de syndiqués, d'immigrants non britanniques et
d'autres Canadiens, s'opposaient généralement à cette mesure. Les Canadiens anglais, avec à leur tête le
Premier ministre Borden et les principaux membres de son cabinet ainsi que les immigrants britanniques, les
familles de soldats et les Canadiens plus âgés, étaient généralement en faveur. 26 Loi du service militaire, S.C. 1917, c. 41, préambule. 27 Idem, c. 41 art. 3.
26
pouvait voir son mariage annulé à la discrétion du registraire. Il descendait alors
immédiatement de classe s’il n’avait pas d’enfant à sa charge. Dans ces cas spécifiques,
l’individu pouvait se voir diriger directement dans le feu de l’action.
Il y a un lien très étroit entre les groupes d’hommes ciblés par la Loi du service
militaire, les types de manifestants et les points de tensions de l’événement durant la
semaine sainte de 1918. Par l’analyse de quelques témoignages suivant les décès du 1er
avril, nous avons pu faire deux constats. D’abord les manifestants se rassemblaient la
plupart du temps dans Saint-Roch avant de se diriger vers les points de tensions principaux
connus de l’événement. Ensuite, ces manifestants étaient principalement de jeunes hommes
souvent méconnus des autorités municipales.
Le jeudi 28 mars, lors de l’arrestation du jeune Joseph Mercier au centre de quilles du
Cercle Frontenac dans Saint-Roch, « la foule de 1000 personnes s’est assemblée sur le
champ à près de 75 pas »28 du poste de police no 3. Ce poste fut saccagé par cette même
foule. Le lendemain, le vendredi 29 mars, vers 19h30, des rassemblements commençaient à
Saint-Roch et les gens se préparaient à monter vers la Haute-Ville. C’est environ 3000
personnes qui sont montées par toutes les côtes de la ville.29 Dans son témoignage, le maire
de Québec, Henri-Edgar Lavigueur, affirme qu’il s’agissait d’étrangers de la ville : « Ils
nous paraissent être des gens déguisés. On [le maire] voit des hommes de 25 à 30 ans, et
même, on voit des gens qui sont chauves et qui sont habillés en pantalons courts avec une
petite calotte.»30 Peut-être monsieur le maire Lavigueur avait-il confondu les étrangers de la
ville avec les jeunes ouvriers de l’extérieur de la Haute-Ville? Ou alors peut-être que ces
étrangers faisaient partie de la société rurale. À l’époque, l’apport des jeunes hommes était
très prisé dans le cadre d’une économie agraire et familiale.31 L’éventualité que ces jeunes
28 Témoignage du chef de police Émile Trudel durant l’enquête du coroner, dans Jean Provencher, Québec
sous la loi des mesures de guerres, 1918, Trois-Rivières, Les Éditions du Boréal Express, 1971, p. 48. 29 Ibid. p. 57. 30 Témoignage du maire Henri-Edgar Lavigueur à l’enquête du coroner, p. 29. Voir Jean Provencher, p. 59. 31 Béatrice Richard explique lors d’une conférence de la Fondation Lionel Groulx, qu’à l’époque, le Québec
demeure largement une société rurale, de type préindustriel. Une agriculture de type familiale, faiblement
mécanisée, y domine, laquelle nécessite une main-d’œuvre masculine abondante. Par conséquent, toute
ponction inconsidérée sur cette ressource humaine risque de mettre en péril l’équilibre socio-économique de
la société. Les lettres de demande d’exemption envoyées au général Joseph-Philippe Landry en 1918
témoignent du désarroi que sème la conscription dans ces milieux fragiles et de ses effets concrets sur
l’économie familiale. Béatrice Richard, Dix journées qui ont fait le Québec : L’Émeute de Québec, Montréal,
27
manifestants furent été aussi des fils d’agriculteurs résidant dans les banlieues de la ville,
est donc plus que probable.
Le samedi 30 mars, des manifestants se rassemblent dans les rues de Saint-Roch et
Saint-Sauveur et se comptent par milliers. Ils montent en direction du Manège militaire et
vers 21h00, «il y avait une foule énorme composée de jeunes gens, de femmes et
d’enfants,»32 affirma le sénateur libéral Philippe-Auguste Choquette. Il confirma durant
l’enquête du coroner s’être entretenu avec des gens de la foule aussi bien en anglais qu’en
français, lorsque la cavalerie traversait les foules avec des bâtons. Cette scène robuste du 30
mars près du manège militaire a été validée par le témoignage de Guthrie Scott33 enregistré
en 1985 par Mary Ellen Reisner dans le cadre d’une recherche sur les Memoirs of English
Speaking Quebec. Scott affirme avoir été bousculé, tout comme son ami Charlie Clint, par
les soldats fédéraux montés à cheval. Ils esquivèrent également des coups de bâton lors des
charges répétitives près à l’angle des rues Saint-Louis et De L’Esplanade. Au même
endroit, le sénateur Choquette faillit recevoir une poussée de l’un de ces soldats à cheval.
Le 31 mars, Armand La Vergne, avocat et nationaliste reconnu de Québec, prononce un
discours pour calmer une foule de plusieurs milliers de personnes rassemblées à la Place
Jacques-Cartier sur la rue de la Couronne. Le 1er avril, un rassemblement de plusieurs
groupes de manifestants se forme à Saint-Roch provenant des cellules d’opposition de la
Basse-Ville, Saint-Roch et Saint-Sauveur. Ils convergent une fois de plus par les rues St-
Joseph et Saint-Vallier. Selon Xavier Blouin, un policier municipal, « la foule est formée de
jeunes gens, d’hommes et d’hommes âgés. »34 Les émeutiers étaient selon lui les plus
jeunes, ceux en petits pantalons qui lançaient de la glace sur les soldats.
Enfin, les secteurs de la ville de Québec regroupant le plus d’hommes de la classe I,
soit les hommes célibataires de 20 à 34 ans, étaient en effet les quartiers ouvriers de Saint-
Sauveur, Saint-Roch et Champlain. Dans ces quartiers périphériques, les hommes employés
dans les services publics, commerçants ou propriétaires étaient non seulement nettement
31 janvier 2013, http://www.fondationlionelgroulx.org/Le-1er-avril-1918-Emeute-a-Quebec.html, Fondation
Lionel Groulx, page consultée le 5 mars 2014. 32 Témoignage de Philippe-Auguste Choquette à l’enquête du coroner, p.1-4, Provencher p. 73-74. 33 Archives du Morrin Center, « Témoignage enregistré sur vidéo de Guthrie Scott », Memoirs of English
Speaking Quebec, Mary Ellen Reisner (dir.), Québec, 1985, Dossier VC85/12GS. 34 Témoignage de Xavier Blouin à l’enquête du coroner, p. 2-8, Provencher p. 112-113.
28
minoritaires, mais avaient également une moyenne d’âge -39,9 ans- bien au-dessus de 35
ans. L’âge moyen de tous les autres types de travailleurs, les employés de tous genres et les
travailleurs manuels, se situait entre 29 et 34 ans. De plus, en examinant les données de
Lanouette, nous constatons qu’en 1901, déjà un travailleur dans la ville de Québec sur trois
correspondait à la classe I. Environ 65% de la population de la ville entière habitait dans
ces quartiers à cet époque. 558135 travailleurs manuels et employés non manuels entraient
dans cette première catégorie. Nous sommes donc justifiés de penser qu’une forte part des
manifestants venus se rassembler dans les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur était de
jeunes travailleurs célibataires passibles à l’enrôlement.36 Il est toutefois difficile de
déterminer si ces individus formaient un groupe homogène quant à leur provenance
ethnique ou leur croyance religieuse. Il est fort probable qu’il s’agissait de travailleurs
canadiens-français pour la plupart puisque ce groupe comptait pour plus de 70% de la
population de la ville en 1901. Par contre, il se compte parmi les travailleurs manuels une
forte concentration de Canadiens anglophones catholiques, la communauté irlandaise
particulièrement. Ceux-ci formaient plus de 15%37 des travailleurs manuels non qualifiés en
1901. Il est donc possible de concevoir que l’opposition à cet enrôlement obligatoire fut
partagée aussi bien par une majorité francophone que par une minorité anglophone à
Québec. Elle n’était donc pas homogène telle que présumée dans la plupart des études sur
le sujet. Ce même constat d’hétérogénéité de l’opposition à l’enrôlement obligatoire sera
montré plus tard à l’aide de notre propre enquête sur le terrain.
1.3 Définir l’événement dans les écrits
Les pages précédentes forment une assise argumentative aidant à justifier le fait que
l’Émeute de Québec en 1918 n’a laissé personne indifférent. La plupart des gens se
35 Lanouette op. cit. p. 116. Tableau 16. Caractéristiques sociodémographiques et culturelles des hommes en
emploi, 1901. 36 Reisner, op.cit. Memoirs of English Speaking Quebec, Reisner a effectué une série d’entretiens avec des
anglophones de la ville de Québec en 1985. Quelques-uns y révèlent d’intéressants faits historiques de
l’époque de la Première Guerre mondiale. « The rioters were guys of conscription age who hadn’t yet been
rounded up. It was pretty rough: the government had hired a lot of rowdies, tough guys, des fiers-à-bras, who
went into the taverns down in Saint-Roch and rounded up guys who didn’t have papers », Voir également
Blair, The Anglos, p.59. 37 Lanouette, op. cit. p. 116, Tableau 16.
29
sentaient concernés par la violence engendrée par cette situation chaotique. D’ailleurs, les
différents médias écrits de la ville l’expriment abondamment. Chaque média rejoint en
quelque sorte un ou plusieurs groupes de lecteurs qui s’y identifient. Le corpus analysé ici
représente une partie considérable des communautés de la ville de Québec. Les journaux du
Quebec Morning Chronicle, du Soleil, de l’Événement du Quebec Daily Telegraph et de
L’Action Catholique rejoignent différents groupes, tant anglophones que francophones. En
fait, ils recouvrent presque complètement la frange catholique, francophone comme
anglophone. Ils constituent autant la libre presse de l’élite conservatrice que libérale et
donnent la parole aux commerçants autant qu’aux ouvriers. Ce corpus englobe donc
plusieurs aspects des communautés de la ville.
Ensuite, il y avait d’autres groupes d’acteurs prédominants tout au long de l’événement.
Certains l’interprétaient de manière positive et appuyaient la tournure des événements,
d’autres, pas du tout. Certains craignaient pour leur propriété ou même leur vie.
L’événement a bouleversé la vie quotidienne de tous les groupes et communautés de la
ville de Québec, et ce, pendant plusieurs jours.
Lorsque la tâche est d’effectuer une interprétation objective d’un événement, près
de cent ans plus tard, nous avons le devoir d’évaluer consciencieusement ce qui distingue la
mémoire interprétative de l’interprétation de l’histoire. Avant d’entreprendre l’enquête sur
la construction de la mémoire collective de cet événement, il est nécessaire de comprendre
son interprétation dans l’immédiat. Les souvenirs qui traversent les générations ne sont pas
les mêmes pour chacun ou pour chaque groupe. Cela signifie que les interprétations
divergeaient donc à l’origine, au moment même de la constitution de leur expérience.
L’analyse des principaux médias écrits de la ville de Québec permet d’éclaircir davantage
l’interprétation faite par certains groupes en 1918. L’importance de cette couverture
découle également du fait que les émeutes, leurs conséquences, ainsi que leur dénouement
politique ont été couverts sur plus de trois semaines dans tous les principaux quotidiens de
la ville.
30
1.3.1 Médias, guerre et censure
Les médias ont une influence puissante lorsqu’ils diffusent de l’information sur un
territoire donné. Cette influence, en temps de guerre, agit toutefois à double tranchant. Elle
peut tant unir et renforcir l’idéal de la nation en guerre que la détruire tout aussi
facilement.38 Afin de garder le contrôle sur ce diffuseur d’opinions de masse, le Parlement à
Ottawa a adopté la Loi sur les mesures de guerre39 en août 1914. Sous les pouvoirs
discrétionnaires qu’elle conférait à l’exécutif de l’État, une censure généralisée des médias
avait cours partout au Canada. Adoptée le 4 août 1914, la Loi sur les mesures de guerre,
sous l’article six, accordait au gouvernement le pouvoir d’administrer entre autres la
censure, le contrôle et la suppression des publications, des écrits, des cartes, des plans, des
photographies, des communications et des moyens de communication.40 C’est toutefois à la
suite du décret du 10 juin 1915, promulgué à la demande insistante des autorités militaires
et navales, que la censure de la presse en tant que telle fut instituée. Ce décret permet la
nomination à Ottawa d’un censeur des écrits et publications ayant le pouvoir d’examiner,
considérer, approuver, ou rejeter tout écrit ou publication.41 Le 15 juillet 1915, un accord
est conclu entre le secrétaire d’État et les représentants de la presse du Canada sur les lignes
directrices de la censure de la presse en temps de guerre. Cet accord visait principalement la
38 Myriam Levret, «Le Québec sous le règne d'Anastasie: l'expérience censoriale durant la Première Guerre
mondiale», RHAF, 2004 Vol 57 #3, p. 334 : « Les médias ont en effet le défaut de leur qualité, car s’ils sont
en mesure de motiver le moral de la nation pour la cause «juste», ils le sont aussi pour la cause ennemie. La
libre circulation des idées en temps de guerre revêt ainsi des risques pour les gouvernements des pays
belligérants, pour leurs forces armées et pour la sécurité de la nation. Allant de la diffusion de secrets
militaires aux critiques des autorités en guerre, ces dangers tant stratégiques que politiques ou psychologiques
sont à la base de la création de systèmes de répression de la presse en temps de guerre ». Sur la question de la
censure pendant la Première Guerre mondiale au Québec, voir également Jérôme Coutard, «Des valeurs en
Guerre. Presse, propagande et culture de Guerre au Quebec, 1914-1918», Thèse de doctorat, Université Laval,
1999, 601 pages. 39 Cette loi, qui s’inspirait en partie de la loi britannique intitulée Defence of the Realm Act, avait pour but
d’assurer la sécurité nationale et de permettre les préparatifs voulus en temps de guerre. Avant d’être
abrogée, elle autorisait le gouverneur en conseil à proclamer l’existence réelle ou appréhendée de l’état de
guerre, d’une invasion ou d’une insurrection. Elle prévoyait que la proclamation de ces conditions était une
preuve concluante de leur existence. Elle permettait au gouverneur en conseil de prendre les décrets et
règlements jugés nécessaires à la sécurité, à la défense, à la paix, à l’ordre et au bien-être du Canada. Cette loi
est devenu la Loi sur les mesures d’urgence (L.R.C. (1985), ch. 22 (4e suppl.)). Peter Niemczak, « Loi
sur les mesures d’urgences », Division du droit et du gouvernement fédéral, 10 octobre 2001,
http://publications.gc.ca/Collection-R/LoPBdP/BP/prb0114-f.htm#CONTEXTE(txt), page consultée le 12
mars 2014. 40 Aimé-Jules Bizimana, « Le Canada et la Grande guerre : les nouvelles du front », Bulletin d’Histoire
Politique, Vol. 17 no 2, (janvier 2009) page 25. Voir également Archives de la BAC, MDN, RG24, vol. 2847,
dossier HQC-3281, Final Report of Chief Press Censor, Canada, p. 5. 41 Ibid. p. 25. Final Report of Chief Press Censor Canada, Ibid. p. 8.
31
suppression des nouvelles concernant les opérations militaires et navales. Il vise également
des déclarations susceptibles de provoquer le découragement au sein des pays alliés et des
pays neutres, ainsi que le mécontentement interne.42
Les premiers mois de la guerre sont aussi marqués par une interdiction formelle des
correspondants de guerre imposée par le Royaume-Uni. En tant que Dominion, le Canada
n’avait aucune autorité pour décider du sort des journalistes canadiens désirant obtenir une
accréditation pour le front. Il recevait les «recommandations» de Londres et les appliquait à
la lettre. Comme dans le Royaume-Uni, le Canada autorisait l’envoi d’un témoin oculaire
officiel. Ses rapports sur les opérations canadiennes étaient acheminés d’abord à Londres,
puis à Ottawa et ensuite distribués aux centres de presse du pays. Le 16 avril 1918, suivant
les émeutes à Québec, un décret est adopté renforçant la censure interdisant même les
commentaires défavorables aux alliés au sujet de leurs responsabilités et leurs buts dans la
conduite de la guerre.43 Malgré l’intensité de ces mesures draconiennes, la censure des
journaux canadiens publiés dans une langue étrangère deviendra beaucoup plus importante
que celle effectuée à l'endroit de la presse anglophone ou francophone. Le 25 septembre
1918, le gouvernement Borden interdira même la publication de tout document dans une
langue « ennemie » sans une permission écrite du secrétaire d'État.44
Les journaux tendaient donc à être cohérents et à s’accorder assez justement dans les écrits
concernant l’effort de guerre sur le front européen. Chacun proposait des éditoriaux où les
victoires étaient triomphales et les défaites souvent catastrophiques. Un sentiment de peur
généralisé et constant se maintenait durant l’évolution de la guerre selon le message
implicite des écrits. Les quotidiens s’accordaient à Québec pour faciliter la justification de
telles ou telles actions gouvernementales sur le plan des décisions de guerre. Cette
couverture médiatique restait somme toute assez factuelle et peu détaillée. Il devait en être
de même pour les principaux journaux du pays. En fait, sous l’initiative des autorités
42 Ibid. p. 26. Final Report of Chief Press Censor, Canada, Ibid. p. 18. 43 Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, 2e édition, Volume XXIII : L’Armistice, Montréal,
Édition Boréal, 1971 (1951), p. 81. 44 Bilan du siècle, Imposition de la Loi des mesures de guerres par le gouvernement canadien, Université de
Sherbrooke, http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/20203.html, page consulté le 17 février 2014.
Le site renvoie au livre de Gérard Filteau, Québec, Canada et la guerre 1914-1918, Montréal, Éditions
Aurore, 1977, 231 pages.
32
britanniques, une Mission de la Presse du Commonwealth d’outre-mer a été formée en été
1918. Un certain nombre d’éditeurs de chaque pays de l’Empire britannique se sont rendus
en Europe afin de prendre conscience de la situation par eux-mêmes.45 La politique de
censure de Londres, et par le fait même du Dominion du Canada, a donc eu un effet
rassembleur chez les éditeurs de journaux du pays quant à l’objectif du contrôle de
l’information. Cette période de mobilisation médiatique vis-à-vis de l’effort de guerre
cherchait implicitement à renouveler la bonne entente entre tous les peuples au Canada
dans l’après-guerre.
Toutefois, il en est autrement en ce qui concerne la couverture médiatique de la
politique interne au Canada. Depuis le début de la guerre, la presse anglophone de l’ouest
du pays et de l’Ontario critiquait de manière virulente les Canadiens français et leurs élites
nationalistes. Cette critique relevait spécifiquement le faible taux d’enrôlement dans la
province de Québec et le manque de jugement ou de courage à l’égard du principe du
devoir comme citoyen en temps de guerre. De l’autre côté, la presse francophone fustigeait
l’attitude du Canada anglais par rapport aux motifs obligeant les Canadiens à entrer en
guerre, notamment celui de défendre l’Empire britannique. De plus, elle questionnait le
fameux principe du devoir citoyen en temps de guerre, faire d’une obligation morale une
obligation légale. Enfin, elle condamnait l’utilisation réduite de la langue française dans les
écoles et l’imposition d’une règlementation spécifique à cette fin. De surcroit, la divergence
des opinions, fondement des mésententes politiques avant l’élection de 1917, s’est
transformée en conflit politico-ethnique pendant et après la campagne électorale.
L’utilisation des médias a été abondamment malsaine et violente de part et d’autre. Les
échanges de propos haineux constituaient définitivement l’aspect principal de la relation
entre les médias des différentes provinces. À titre d’exemple, l’analyse de Mason Wade
concernant la presse anglophone du pays46 montrait les ébats d’une campagne contre le
45 C’est le Directeur de l’Information Public du Canada, monsieur M. E. Nichols qui hérita du choix des villes
sélectionnées et Québec en fut partie. L’honorable Frank Carrel, éditeur et directeur du Daily-Telegraph fut
nommé chef de la délégation municipale. Il choisit donc comme représentant les propriétaires du Soleil et de
L’Événement ainsi que lui-même. La délégation du Québec comptait sept représentants sur les vingt-quatre
qui composaient la délégation canadienne. Il est à noter qu’Arthur G. Penny du Quebec Morning Chronicle a
aussi pris part à cette mission par des moyens individuels toutefois. 46Wade, op. cit. p. 162-164. Wade mentionne plusieurs exemples de titres d’articles haineux envers
l’Honorable sir Wilfrid Laurier. Il cite entre autres le Mail and Empire, le Toronto Daily News et le Manitoba
Free Press pour ne mentionner que ceux-ci.
33
Québec, principalement contre Henri Bourassa et contre Wilfrid Laurier. Ce dernier était
perçu par la presse anglophone comme un dirigeant à la solde d’Henri Bourassa et de ses
alliés nationalistes, catholiques et extrémistes. Le jour de l’élection, Laurier fut décrit dans
certains quotidiens ontariens comme l’espoir du Québec, la menace pour le Canada, une
satisfaction pour le Kaiser, etc. Certaines des attaques les plus antipathiques provenaient
des Citizen’s Union Committees et des allégations du comité de publicité du parti de
l’Union.47 La division raciale était palpable pour tous les observateurs du conflit qu’allait
devenir la Crise de la conscription. Le paroxysme de ces années d’échanges politico-
médiatiques acerbes a donné naissance à une motion déposée le 17 janvier à l’Assemblée
nationale, la motion de Jean-Napoléon Francoeur. La motion Francoeur48 exprimait dans
son préambule une problématique d’interprétation vis-à-vis de l’union fédérative. Selon
Francoeur, les Canadiens français se considéraient nettement plus Canadiens dans leur
nationalisme que sujets britanniques. Contrairement à leurs homologues anglais, le
nationalisme canadien devait se concevoir par les citoyens canadiens et pour le Canada,
plutôt que par le gouvernement et pour l’Empire britannique. Cette motion demandait alors
si la province de Québec exprimait une obstruction à l’union fédérative. Plusieurs journaux,
hommes politiques et hommes d’églises ont appuyé la motion selon leurs propres
considérants. Ce conflit haineux engendra une atmosphère tendue dans la province de
Québec.
Sur un plan plus local, les orientations politiques des journaux de la ville de Québec
engendraient elles aussi des conflits indépendamment de la situation pancanadienne.49 À
cette époque, un journal pouvait s’afficher librement comme « Organe de tel ou tel parti
47 Ibid. p. 164-165. Les allégations tenues par ces groupes lient Laurier à Bourassa. « La victoire de Laurier
serait la première défaite canadienne » ou « Le Québec est l’enfant gâté de la Confédération et le foyer
d’infection du Dominion tout entier. » 48 Ibid. p. 166 : « Que cette chambre est d’avis que la Province de Québec serait disposée à accepter la rupture
du pacte fédératif de 1867 si, dans les autres provinces, on croit qu’elle est un obstacle à l’union, au progrès et
au développement du Canada ». Voir également René Castonguay, « La motion Francoeur, 1917-1918 »,
Thèse de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 1989, 274 page, ainsi que René Castonguay, « Un bluff
politique, 1917 : La motion Francoeur », Cap-aux-Diamants, no 53, (1998), p. 22-24. 49 Afin de cerner les tendances politiques des différents journaux au Québec entre 1917 et 1919, il faut
consulter les Introductions historiques des débats reconstitués de l'Assemblée législative, sections rédigées par
Gilles Gallichan, Critique des sources : Un clivage linguistique et politique,
http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/14-2/introduction-
historique.html?retourVersHistoire=oui
34
politique » ou alors « Organe de l’action sociale ou catholique».50 Il est alors tout à fait
usuel d’observer les éditorialistes d’un quotidien comme Le Soleil, l’organe français du
parti Libéral à Québec, favoriser l’action d’un maire libéral. Il en est tout autant pour un
quotidien qui s’affiche conservateur de critiquer les mêmes actions, et selon le cas,
l’inaction du maire libéral de l’époque. D’autant plus qu’un changement important dans la
structure de l’administration municipale survient au début du XXe siècle. Dès 1908, le
maire de la ville de Québec n’était plus coopté uniquement par les élites politiques
provinciales ou fédérales. Le maire était dorénavant élu par les électeurs et non par le
conseil municipal. À partir de ce moment, l’administration publique se structurait en
comités et en services permanents.51 Un maire à Québec pouvait donc occuper deux
fonctions politiques sur deux « paliers » différents après 1908 seulement s’il était élu par
les citoyens. En l’occurrence, Henri Edgard Lavigueur, maire et député de Québec, siégeait
au gouvernement de Lomer Gouin pendant les émeutes.
À travers ce contexte conflictuel, il aurait été envisageable pour les éditeurs des quotidiens
de travailler ensemble, ou du moins, tenter des rapprochements. C’est ce qu’Arthur Penny,
éditeur en chef du Quebec Morning Chronicle, affirme avoir effectué avec Henri
d’Hellencourt, éditeur du Soleil, durant les événements de la semaine sainte de 1918. Dans
son autobiographie, Penny explique qu’il a contacté d’Hellencourt « suggesting that we
should co-operate to ease popular tension in the community. »52 Selon l’auteur,
d’Hellencourt a refusé l’offre en expliquant que « nothing much could be done since people
liked a lively paper ».53 En dépit de la censure, certains quotidiens n’étaient pas intéressés à
s’appuyer en ce qui concerne la politique interne. La Crise et la polémique médiatique qui
entourait les troubles de la ville de Québec faisaient couler beaucoup d’encre. En fait,
lorsqu’on analyse les titres des principaux journaux de la ville, nous constatons la stupeur et
50 Le Soleil indique sous son titre : «Organe du parti libéral du Québec», L’Événement indique sous son titre :
«Le plus vieux quotidien français du Canada» et «Journal populaire», L’Action Catholique indique sous son
titre : «Organe de l’action social et catholique», le Quebec Daily Telegraph mentionne « Quebec’s only
evening english newspaper ». 51 Marc Vallières, Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 95-212. 52 Arthur G. Penny, The Shirt-Sleeved Generation, Chapitre XXIII : Man at Work, The First World War,
Québec, The Quebec Chronicle-Telegraph Printing Company, 1953, p. 201-213. 53 Ibid. p. 202.
35
la surprise que ces troubles ont dégagées dans la capitale.54 Tous les quotidiens montraient
un mécontentement semblable vis-à-vis des perturbations. Cependant, les causes et les
protagonistes variaient selon les interprétations de chacun. Le Quebec Morning Chronicle
et l’Événement, eux qui ont vu leurs bureaux saccagés, furent les premiers à critiquer la
gestion de la situation par les autorités municipales. Les médias directement touchés par
l’événement furent donc plus rapides et sévères dans leurs critiques sur la gestion de la
crise.
En somme, l’Émeute de Québec a bel et bien agi comme un catalyseur à l’intérieur
de la saga qu’est devenue la Crise de la conscription.55 Les propos haineux ont envahi les
médias du pays, mais la colère a aussi pénétré dans les médias de la ville elle-même. Des
accusations surgissaient alors de toutes parts dans la sphère publique et dans les journaux.
En conséquence aux premières manifestations du jeudi 28 mars et vendredi 29 mars,56 les
articles dénonciateurs se multipliaient, tout comme les avis de précaution dirigés
directement aux citoyens. Il est intéressant alors d’analyser les articles du 30 mars au 18
avril dans les cinq journaux ciblés. Nous pourrons mieux comprendre comment ces
événements ont pu ébranler sévèrement la routine des communautés en général.
1.3.2 La couverture médiatique dans l’immédiat
La couverture médiatique sur l’événement et son évolution peut être analysée de
deux manières. D’une part, il faut quantifier cette couverture. Cela nous permet de
54 Les titres du 30 mars dans Le Soleil : «Deux émeutes ont bouleversé Québec depuis jeudi», dans L’Action
Catholique : «Deux échauffourées», dans le Quebec Daily Telegraph : «Quebec streets lively last night» dans
l’Événement : «Triste soir de Vendredi Saint», et dans le Quebec Morning Chronicle : «Mob Makes Savage
Attack on Police Officer». 55 Elizabeth Armstrong, The Crisis of Quebec 1914-1918, Toronto, McClelland & Stewart, 1937, 275 pages. 56 Le vendredi 29 mars 1918 était un jour de congé, soit le Vendredi saint. Aucune publication n’a eu lieu.
Aucun journal n’a donc été distribué le 29 mars 1918. Les premiers articles sur les saccages du poste de
police no 3 en Basse-ville, des bureaux des journaux l’Événement et du Quebec Chronicle ainsi que l’incendie
de l’Auditorium en Haute-Ville ne sont apparus que le samedi 30 mars. Seul le Quebec Daily Telegraph,
publié en après-midi, a émis un article sur les événements du jeudi 28 mars. Il s’agissait en fait d’un article
qui manquait énormément de rigueur étant donnés les faits répertoriés. L’article exposait les jeunes
intervenants comme étant souls et violent à l’endroit des agents fédéraux lors de leur arrestation au salon de
quille. Vraisemblablement, tous les articles des différents quotidiens du samedi 30 mars, incluant celui du
Telegraph démentissent ces faits.
36
considérer l’importance des émeutes à l’intérieur des différents quotidiens simplement en
nous penchant sur le nombre d’articles dédiés, la position de ceux-ci dans les journaux
respectifs et sur la longévité de la couverture. D’autre part, il est essentiel d’en faire une
analyse de contenu afin de comprendre les différentes opinions projetées par ces médias
envers leurs lectorats respectifs. L’événement étant de courte durée dans le temps - environ
une semaine- une analyse des auteurs de ces articles n’est pas nécessaire. À l’intérieur de ce
contexte de censure et de tension, chaque article s’inscrit sous le nom du journal comme
entité. De plus, cette analyse qualitative se divise en deux périodes bien distinctes. Elles se
différencient principalement selon l’évolution chronologique de l’événement. Il s’agit en
premier lieu de cerner quelles sont les interprétations - messages- évoquées par les médias
sur l’assise de leur recherche de données arbitraires. Ensuite, l’enquête du coroner vient
confirmer ou non les assises interprétatives de ces journaux. Cette seconde phase
interprétative s’effectue alors en parallèle au déroulement de l’enquête du coroner. Nous
allons voir comment certains médias utiliseront celle-ci afin de corroborer leurs propres
versions des faits. Par cette pratique, plusieurs interprétations sont proposées dans
l’immédiat - du moins dans les médias - constituant les souvenirs parmi lesquelles les
mémoires du futur chercheront à adhérer.
D’abord, les cinq quotidiens ont jugé bon de mettre ce conflit en évidence.
D’ailleurs, les pages frontispices de chacun sont utilisées abondamment pour l’information
générale de la situation. Ils ont tous représenté quotidiennement le tumulte sous une
couverture globale moyenne de trente articles et sur une durée d’environ 15 à 17 jours
consécutifs. Jusqu’au tirage du 3 avril, nous pouvons lire des titres plus informatifs
qu’opiniâtres. Au départ, les journaux informaient donc sur les événements en général. Ils
spéculaient sur les causes et les solutions, mais sans avoir d’opinions politiques clairement
dégagées.
Pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, la marche des accusations fut
entamée dès le 30 mars par L’Événement et le Chronicle.57 Ils identifiaient qui étaient
57 Les éditoriaux de L’Événement du 30 mars 1918, p. 8 et du Chronicle du 1er avril 1918, p.4 sont, à cet
égard, plus que considérable. Respectivement les commentaires vont comme suit : « Son honneur le maire est
tellement impressionné, ce matin encore, à la suite des troublantes visions de la veille, qu’il ne sait pas au
juste si au cours de cette tempête, il a lu ou non, le Riot Act. » ou alors « The actual disorders have been the
37
responsables des troubles suivant un jugement précoce des faits respectivement perçus. De
plus, ces accusations transpiraient leur allégeance politique. En outre, nous avons constaté
que leur interprétation globale de l’événement était construite principalement sur l’assise de
ces accusations plutôt arbitraires. Elle constituait le fondement de leur message à l’endroit
de leur lectorat. À l’opposé, le Soleil, le Quebec Daily Telegraph et à L’Action Catholique,
ils employaient toutes leurs énergies à juxtaposer leurs messages à celui du maire et des
autorités municipales. Ils accusaient les autorités militaires et les agents fédéraux pour les
débordements. Entre les premières échauffourées du 28 mars et l’ouverture de l’enquête du
coroner en date du 8 avril, la majorité des articles étaient proactifs, c’est-à-dire qu’ils
proposaient une position interprétative. En moyenne deux à quatre textes - éditoriaux,
chroniques ou autres- constituaient chaque édition. À l’opposé, dès la première déclaration
du coroner, les articles étaient uniquement réactifs. Un seul article par jour était directement
lié aux émeutes, et surtout, aux résultats quotidiens de l’enquête. La couverture de la guerre
à l’étranger retrouvait ainsi son rang prioritaire petit à petit.
Nous avons cerné un autre élément non moins significatif dans l’analyse quantitative de
cette couverture. Il s’agit des Avis58 dirigés aux lectorats respectifs de ces quotidiens. 63
avis en tout ont été publiés par les cinq quotidiens entre le 30 mars et le 6 avril. À partir du
6 avril, l’émission des avis a cessé complètement. Ils provenaient principalement de trois
sources distinctes soient du journal lui-même, du maire sous forme de proclamation ou
d’appel aux citoyens ainsi que des autorités militaires. Il s’y trouvait également deux
catégories d’avis : des suggestifs et des directifs. Évidemment, un avis directif ne peut
parvenir du journal lui-même, tout comme un avis suggestif n’est pas l’essence des
autorités. Il est alors révélateur de répertorier quels étaient les types d’avis imprimés dans
quels journaux afin de déterminer qui endossaient quels messages.
Le Soleil, le Quebec Daily Telegraph et L’Action Catholique sont les journaux les plus
engagés sur ce plan. Ils comptabilisent respectivement 17, 13 et 13 avis contre 10 pour le
serious failure of civil authority […] we say to mayor Lavigueur that the serious proportions to which the
disorders have grown are enterily due to his own stubborn refusal to read the Riot Act for the safety of the
public.» 58 Annexe C : Tableau du dénombrement des Avis pour les cinq quotidiens de Québec entre le 30 mars et le 6
avril 1918.
38
Telegraph et L’Événement. Les avis directifs publiés par les autorités militaires étaient les
plus nombreux avec une représentation de plus de 50% des avis totaux.59 Or, la principale
distinction dans l’utilisation des types d’avis s’observe davantage dans les avis suggestifs.
Tous les journaux offrent au moins une demande de calme provenant de l’éditeur en chef
ou d’une réflexion connexe. C’est le Telegraph qui a lancé les premiers appels au calme.
Dès le 30 mars, il publiait un article « Ignoring agitators » qui mettait en relief les
désordres inopportuns et les critiques exacerbées du sensationnalisme provenant de
l’étranger. L’Événement n’a publié quant à lui aucun avis et aucune proclamation provenant
du maire et des autorités municipales. Seulement des avis provenant des autorités
militaires, ainsi que des mentions éditoriales ont été insérés dans les pages de ce quotidien.
Nous réalisons dès lors le désintérêt que portait ce quotidien envers l’effort du maire pour
ramener le calme dans la société. Nous voyons donc, à la suite de ces quelques données, à
quel point les émeutes ont reçu une couverture d’envergure. L’importance de l’événement
n’était pas en elle-même une source de discorde, mais l’approche médiatique était très
hétérogène quant à la disposition et l’utilisation des faits selon les deux périodes de la
couverture, soit avant et pendant l’enquête du coroner.
Dans cette deuxième partie de l’analyse, nous élaborerons sur le contenu qualitatif
de la couverture. D’emblée, il est essentiel de porter une attention particulière au contexte
de production des différents écrits. Par exemple, les articles des journaux du samedi 30
mars décrivaient la série de manifestations des jours précédents. Le tumulte ayant eu lieu
dans un passé très récent, les sources de première main étaient uniquement celles sur le
terrain dont disposaient les éditeurs afin d’élaborer sur le sujet. Évidemment, lors de
l’enquête des reporteurs, le choix des témoins tenait de l’arbitraire. De surcroit, les textes
écrits par la suite semblaient tout autant subjectifs. Lorsque nous comparons les premiers
articles du Soleil et du Chronicle en date du 30 mars, nous constatons des divergences
d’approches fondamentales dans le message destiné aux lecteurs. «Deux émeutes ont
bouleversé Québec depuis jeudi» et « Mob makes savage attack on police officer » sont
59 Dans la plupart des cas, ces avis étaient sous forme d’encadrés précisant la nature de la directive visant la
population. La notice publique qui était la plus fréquente était celle sur les attroupements illégaux où « Tout
attroupement de trois personnes ou plus avec agissements ou intentions d’agir à mal est déclaré illégal. Les
attroupements illégaux sont absolument défendus et la seule présence d’individus sous ces termes les tient
responsable de culpabilité d’un acte criminel et sont donc passibles d’emprisonnement. »
39
respectivement leur titre représentant les événements du 28 et 29 mars. Il s’y trouve une
forte distinction de sens ne serait-ce que dans les titres. Le premier article explique le
dénouement d’une situation conflictuelle sous une approche de victimisation. Selon le
Soleil, un jeune homme aurait été appréhendé injustement par les agents fédéraux. L’article
est accusateur à l’endroit de ceux-ci. Il les juge a priori tels que des « spotters » et des «fier-
à-bras». L’attitude et les actes de ces agents seront identifiés tout au long du conflit comme
étant la cause des bouleversements, et par le fait même, de la mort des quatre victimes du
lundi 1er avril. À l’opposé, l’article du Chronicle montre son attachement aux forces de
l’ordre citant à cet effet l’agent fédéral - police officer- comme étant la victime de ces
attaques sauvages. Quant à lui, il accuse la foule de jeunes gens, ceux hostiles à l’idée de
joindre les rangs des conscrits tel que leur commandait le devoir citoyen.
Il faut comprendre la pression que posait ce bouleversement sur les éditeurs de presse de
Québec. À travers toute la tension dans les rapports sociaux et les frictions idéologiques de
cette période, le choix ne serait-ce que d’un titre de première page pouvait agir telle une
étincelle déclenchant un conflit. Dans son autobiographie, Arthur G. Penny explique que
les éditeurs des journaux de Québec en étaient très conscients. Le directeur du Quebec
Morning Chronicle décrit lui-même avoir changé son titre éditoriale « Savage mob makes
attack on police officer » pour le remplacer par « Mob makes savage attack on police
officer » craignant l’effet d’interprétation du mot « savage ».60 Cette nuance n’est qu’un
tout petit détail linguistique, mais elle reflète clairement la pression du contexte sur les
éditeurs de quotidiens dont les articles - et leurs messages- sont publiés partout dans la
ville. Pourtant, deux jours suivant le saccage du poste de police no3, des foules sont
revenues vers les bureaux du Chronicle scandant des menaces verbales61 et utilisant les
lignes accusatrices de son éditorial du matin. Même appréhendée, la tension semble avoir
vaincu certaines tentatives d’apaisement. Les autres quotidiens ont aussi leur propre
manière de raconter les faits. Le but ici n’est pas de traiter de chaque titre d’articles, mais
bien de considérer les différentes tangentes argumentatives adoptées par chacun des
journaux. Dans tous les cas, ces premiers textes d’une longue série dégagent l’opinion des
60 Penny, op. cit. p. 204. 61 Ibid. p. 205, « On va leur apprendre à nous traiter de Sauvages… » At the Chronicle, further along, doors
and windows were broken in amid shouts of « We’ll teach them to call us savages ». […] the front offices
were lit up while, in the rear, the press-room and the stairway to the upper floors remained in darkness. »
40
quotidiens. Ils attribuaient alors d’entrée de jeu les étiquettes de bons ou mauvais aux
acteurs de la veille.
Le Quebec Morning Chronicle n’était pas le seul journal engagé dans des dialogues
conflictuels. Lorsqu’on analyse les écrits libres et certains éditoriaux, l’observateur constate
effectivement que l’appui réciproque entre les journaux était absent,62 mais surtout, que la
critique mutuelle était omniprésente. L’attaque fut encore plus dure entre les journaux
francophones. À titre d’exemple, L’Événement et Le Soleil divergeaient fondamentalement
dans leurs idéologies et dans leurs interprétations des faits.63 Ayant subi directement les
foudres de l’émeute, L’Événement est bien évidemment enclin à dénoncer l’inaction des
autorités municipales ou alors à émettre son mépris pour tout individu, groupe ou journal
qui ne concevait pas la situation du même œil. Toutefois, il y avait dans le message général
de L’Événement une nuance lourde de sens en ce qui concerne la constitution de la
mémoire selon les faits. Les articles de ce dernier élaboraient une interprétation variable de
certains faits et parfois complètement inverse à l’interprétation globale qui se dégage du
reste de notre corpus. Au lendemain de l’épisode meurtrier faisant quatre victimes, le titre
frontispice de son édition du 2 avril mentionnait : « Les agitateurs blessent de paisibles
citoyens».64 Cette ligne de presse supposait donc que la foule de manifestants s’en serait
prise aux passants. C’est ici un des énoncés que prétendait L’Événement durant toute la
période des jours précédant les résultats de l’enquête de coroner. En fait, peu importe les
accusations, le résultat de l’enquête a bel et bien montré que les victimes sont tombées sous
les balles de mitrailleuses.65 La faute mise sur les émeutiers ne pouvait être alors que très
indirecte, à savoir : «Les émeutiers ont tiré les premiers».66 Cette ligne était le titre
62 Une unique exception fait surface. C’est celle du 1er avril lorsque l’éditeur de l’Événement s’accorde avec
celui du Chronicle pour affirmer que l’anarchie règne dans la ville à la suite du manque de zèle des autorités
municipale et de la police municipale à l’effet de restreindre les manifestants et ainsi retrouver le calme. 63 Dans la semaine suivant le début des émeutes, pas moins de sept articles critiquent la position du journal Le
Soleil en rapport avec son allégeance politique ou alors de l’administration du gouvernement provinciale
directement. De plus, L’Événement tant à cibler le manque de courage des Canadiens français envers l’effort
de guerre ainsi que celui des autorités municipales, provinciales et même fédérales dans la gestion de la crise. 64 « Les agitateurs blessent de paisibles citoyens », L’Événement, (2 Avril 1918), p. 1 et 4. 65 Scott, op. cit. « At the end of the riot they had a kind of an inquiry, and my father was head of the inquiry.
They were mostly French people, and they drafted a paper saying that the soldiers were responsible for the
ones who were killed […] My father wrote that unfortunately these fellows had been killed by stray bullets in
exchange fire. » Blair, op. cit. p. 59. 66 Selon l’enquête du coroner, ce sont bel et bien les émeutiers qui ont tiré les premiers, mais en direction des
soldats et non des citoyens. « Although there was one witness who claimed the soldiers shot first (Dion), all
41
frontispice de l’édition du 10 avril, continuant ainsi à protéger indirectement leur propre
version. La construction de cette interprétation douteuse des faits entrainait alors
instantanément un certain nombre d’individus, du moins, le lectorat de L’Événement, à
estimer que la foule était tout autant hostile envers les conscrits anglophones que les
citoyens de la ville. De surcroit, lorsqu’ils sont abordés sur le sujet dans le futur, ces
individus pouvaient très bien élaborer leur mémoire sous une aversion semblable à l’égard
des émeutes.
En suivant ces polémiques médiatiques, nous observons une marge entre les
différentes interprétations. Le rôle des acteurs, le choix des acteurs, l’attribution du bon et
du mauvais, les causes directes ou indirectes, etc. étaient tous sujets à débats et conflits. Les
divergences concernant ces aspects subjectifs du conflit formaient le fondement des
différentes constitutions de la mémoire de l’événement. L’exemple le plus représentatif est
la relation spontanément tendue entre les deux journaux catholiques francophones de la
ville. La confrérie religieuse ne leur importait plus dans ce contexte de crise. Encore une
fois, les accusations de L’Événement dirigées vers son homologue catholique étaient
édifiantes. Il critiquait le message de L’Action Catholique l’accusant même de déshonneur
à son propre titre.67 Le 3 avril, le sarcasme exprimé par la critique nous renseignait
énormément sur l’approche de L’Action Catholique concernant les troubles récents ainsi
que sur les disparités entre les approches des deux quotidiens. Voici ce que le lecteur
pouvait lire dans L’Événement :
Voici comment un journal de cette ville, organe catholique, apprécie ces événements
[…] L’Action Catholique dit que l’urgence n’est pas tant de prendre des moyens pour
assommer et fusiller le peuple indigné, mais de faire cesser les motifs de l’indignation […]
Surtout, il ne faut pas donner à ces désordres un caractère trop grave et trop général […] il ne
faudrait pas non plus que le remède soit pire que le mal !68
On comprend dès lors que L’Action Catholique dirigeait sa réflexion, non pas sur les
solutions rapides, mais vers la nature des maux qui causent ces troubles. Son message
représentait donc majoritairement la quête des causes plus que celle des conséquences. Il en
était tout autant de celui du Telegraph qui demandait une investigation complète de la part
other witnesses at the inquest testified that the troops responded to the rioters' initial shooting (Blouin, the
police men, Caouette, Mitchell, Rodgers). » Young, op. cit. p. 51. 67 « Leurs titres », L’Événement, (5 avril 1918), p. 4. 68 Ibid. p. 4.
42
des autorités juridiques puisque selon son directeur Frank Carrel, « There is something
rotten at the core and it must be revealed. »69 De plus, des proclamations du maire
Lavigueur y étaient introduites à quelques reprises, tout comme dans Le Soleil d’ailleurs,
demandant aux manifestants «d’identifier leurs représentants afin que je m’engage (le
maire) à acheminer vos griefs et vos doléances à Ottawa.»70 Ainsi, durant la couverture
médiatique des premières journées, L’Action Catholique, le Telegraph et le Soleil étaient
plus enclins à poursuivre une quête axée sur la nature de la violence. À l’opposé,
l’Événement proposait une version explicative selon laquelle des acteurs spécifiques étaient
montrés du doigt. Il proposait des solutions rapides et élaborait sur les conséquences de
l’inefficacité de la gestion de crise mise en place. Quant à lui, le Chronicle incitait son
lectorat à passer outre ses événements afin que le conflit se résorbe. Il se dégageait même
parfois dans ses écrits un sentiment d’urgence à l’effet qu’il faut oublier.71 Le Telegraph
tenait également une certaine anxiété envers la mauvaise réputation pour la ville et la
province. Cette observation est importante concernant l’évolution de la mémoire de
l’événement jusqu’à nos jours puisque nous allons voir au chapitre suivant quels sont les
groupes et communautés de la ville qui tendent à se remémorer l’événement.
***
Comme un paradoxe, le conflit a eu un effet rassembleur sous au moins un aspect
parmi la presse municipale de Québec. Pendant la semaine des émeutes, la presse
anglophone extérieure à la province montrait toujours son désaccord profond avec la
résistance des citoyens de la ville de Québec contre une loi dorénavant entérinée par le
Parlement. À en lire les pages du Telegraph, du Soleil, de L’Action Catholique et même de
L’Événement et du Chronicle, des journaux pourtant en faveur de la conscription, les écrits
69 « The Cause of it All », Le Quebec Daily Telegraph, (2 Avril 1918), p. 4. 70 « Proclamation aux citoyens de Québec », Le Soleil, (1er avril 1918) p. 1 et « Proclamation du maire », Le
Soleil (2 avril 1918) p.10. Ainsi que « Proclamation du maire aux citoyens », L’Action Catholique, (1er avril
1918) p. 5 et « L’intervention du maire pour apaiser les émeutes », L’Action Catholique (2 avril 1918), p.8. 71 « Facing the Facts », Quebec Morning Chronicle, (1er Avril 1918), p.4: « This outside publicity is one of
the consequences that we must accept but there have been many occasion on which the name of the Ancient
Capital has rung around the world in honor, as it will do in the future when the events, which now loom so
much in the news, will be forgotten except by the casual historian ». Également « Quebec is sound », Quebec
Daily Telegraph, (4 Avril 1918), p. 2: « The continued quiet in the streets of Quebec begin to lend force to the
belief that the unfortunate disorders of recent memory have come to an abrupt conclusion and are now
preparing to take place in the back pages of history-pages which, we trust, posterity will not too strongly
peruse ».
43
provenant de l’extérieur de la province auraient été fort accusateurs. Aucun de ces
quotidiens ne semblait permettre que le chaos dominant la ville de Québec soit attribuable à
l’ensemble des citoyens. Ils avaient tous une section éditoriale à travers laquelle ils
tentaient de démystifier l’ambiguïté sur la provenance des émeutiers et ainsi contredire les
échos de l’étranger sur l’homogénéité des contrevenants. La majorité des articles de notre
corpus critiquant les propos extérieurs le faisaient véhément, tout autant qu’il en était selon
eux, de la blessure infligée à la ville.72 Le Soleil, L’Événement et L’Action Catholique
exprimaient leur mécontentement envers le sensationnalisme de l’extérieur dans des
éditoriaux du 3, 4 et 5 avril. Le Chronicle de l’autre côté a emprunté un chemin plus
introspectif face à ces commentaires étrangers. Dans son éditorial « Facing the Facts » du
1er avril, il a bel et bien considéré que les rapports de l’extérieur étaient exagérés et
nuisibles. Pourtant c’est de manière à éviter qu’un tel événement ne se reproduise que le
rédacteur poursuit son article moralisateur. Il a écrit:
There have been riots in Quebec before, as there have been in other cities in all
countries and except for the moment, this one has no more significance than any other […] at
the same time, it must be said that the best way to keep a thing out of the paper is to see that it
does not occur, and it would be unfortunate if our regret for the disturbances became swallowed
up in indignation against outside publicity.73
Ces quelques lignes résumaient l’opinion de presse des anglophones non-catholiques de la
ville en générale. Ils favorisaient le retour au clame rapide et le retour du labeur quotidien.
D’un autre côté, le Telegraph, généralement attitré à la communauté anglo-catholique et
ouvrière, développait une perspective opposée. Son message différait considérablement du
fait qu’il reconnaissait le motif de révolte des manifestants.
We have riots here, yes. But that is not because of the inherent badness of the people.
There have been riots everywhere, wherever people are congregated in undue numbers, and
great events involving personal liberty are impending. […] Not the manifestation but its causes
is the important point. […] We do believe that the methods employed for enforcing the Military
Service act in this city should be immediately altered. Tactlessness, lack of judgment, failure in
72 À cet égard, un éditorial dans Le Soleil du 6 avril 1918 publiait en page 4 une lettre reçu d’un commerçant
de Saint-Sauveur, Mr Ignace Bilodeau, de la part d’une compagnie américaine avec qui il faisait des affaires.
Cette lettre évoquait une réponse à une commande effectuée par Mr Bilodeau avant les émeutes. Elle va
comme suit: « Dear sir, In view of Quebec traitorous conduct, we do not care to have business with anyone in
that province. … signed: The Hoosac Compagny of North Adams, Massachusetts ». Ce genre de commentaire
était âprement critiqué par la presse de Québec qui s’indignait du manque de jugement flagrant des individus
à la source de ces messages. 73 « Facing the Facts », Quebec Morning Chronicle, (1er Avril 1918), p. 4.
44
discrimination, and an infelicitous choice of personal in the detective force have wrought a
situation unfortunate in the extreme.74
Malgré l’apparence d’unité de la presse de Québec à l’endroit des commentaires de
l’extérieur, chacun d’eux tenait tout de même à se dissocier de ses homologues. Ils devaient
s’abstenir de toutes variances dans l’interprétation des faits, et ce, malgré les conclusions de
l’enquête du coroner. Nous comprenons alors que chaque journal de notre corpus établissait
d’entrée de jeu une voie interprétative. C’est ensuite dans la manière de poursuivre la
couverture du sujet, selon une tangente spécifique à chaque média, que l’interprétation de
l’événement acquit ces premières divergences dans la construction de la mémoire.
Suivant les décès du 1er avril, la presse de Québec a continué à suivre le débat sur plus de
deux semaines. La longueur de cette couverture médiatique en elle-même est représentative
de l’important traumatisme que l’événement a affligé aux communautés de la ville. Les
perceptions dégagées de la couverture médiatique sont à l’origine de toute construction de
la mémoire de l’événement - individuelle ou de groupe- pour chaque lecteur de l’époque
ou des générations à venir. Les différentes interprétations dans la société sont le reflet direct
des différentes interprétations médiatiques projetées de l’époque. Elle domine le spectre de
la mémoire, d’autant plus qu’il s’est écoulé près de 53 ans avant de voir une œuvre sérieuse
au plan scientifique sur le sujet, celle de Jean Provencher en 1971. Notons également que
chacune des œuvres qui abordent le sujet dans les années postérieures à l’événement -
comprenant celle de Provencher- utilise principalement les articles de journaux écrits au
moment de l’événement.
Ces journaux restent alors essentiels afin de comprendre le déroulement de l’événement.
Chacun à sa manière relate les faits. Il ne s’agit pas ici de rendre compte de qui avait tort ou
raison. Chaque article du Soleil, de L’Événement, du Quebec Morning Chronicle, de
L’Action Catholique et du Quebec Daily Telegraph sur le sujet révélait un état de stupeur
dans la ville. Les innombrables Avis dirigés à l’attention des citoyens de la ville montrent
vraisemblablement la situation d’urgence du contexte. Rappelons que 1 200 soldats
anglophones nouvellement conscrits patrouillaient les rues de Québec depuis le dimanche
31 mars. Ces avis prônant la précaution et le retour au calme provenaient tant des autorités
74 « The Cause of it All », Quebec Daily Telegraph, (2 Avril 1918), p. 4.
45
militaires, du maire ou de l’éditeur des quotidiens eux-mêmes. Un traumatisme clairement
apparent se dégageait de l’aspect violent du conflit, et ce, dans chacun des journaux.
Aucune communauté et aucun groupe, qu’ils aient été composés d’ouvriers, de bourgeois,
de commerçants, de canadiens-anglais, de canadiens-français, d’irlandais, de catholiques,
etc. ne se sentaient en sécurité dans un tel chaos et une telle violence.75 Les victimes
tombées le 1er avril ont été atteintes par des balles perdues selon la version finale de
l’enquête du coroner. Aucune des victimes n’a été directement visée, donc tous étaient en
danger.
1.4 La violence comme élément référentiel
Il existe plusieurs approches disciplinaires concernant l’étude de la violence. Il
s’agit ici d’un terme qui peine à être défini convenablement, dû entre autres, à la
multiplication des méthodologies qui l’aborde, mais surtout, à l’incommensurabilité de son
passé empirique. Outre la violence gratuite, l’utilisation de la violence est en rapport direct
avec son fondement, peu importe le contexte. Lorsqu’elle se produit, une justification
spécifique à son usage est nécessaire. Or, il y avait plusieurs fondements concernant la
violence politique dont il était question à l’intérieur des événements de 1918. En ceci, le
rôle du gouvernement en regard à l’utilisation de la violence est évoquant. Un
gouvernement est constamment relié à la violence. Elle se dévoile tant à l’intérieur des
fonctions de ce dernier, que par les mesures qu’il emploi afin d’effectuer ses fonctions. Il
va de soi que l’une des mesures les plus attendus d’un gouvernement est la prévention de la
violence de toutes sortes en favorisant des moyens pacifiques de règlement de conflits.
Pourtant, pour quelconque raisons, l’État est souvent la cause des violences civiles qui sont
dirigées contre lui.76 Les réactions violentes lors de la Crise de la conscription en sont des
exemples concrets.
75 Scott, op. cit. « Charlie and I were on the corner of Esplanade and St. Louis Street when the soldiers came
marching down in full battle order and one lady became rather hysterical. She fell on her knees saying save
us boys, save us! The situation was getting important. » 76 Une théorisation étoffée de la violence publique au Canada (Chapitre 9 sur le rôle du gouvernement) est
offerte dans Judy M. Torrance, Public Violence in Canada, Kingston/Montréal, McGill and Queen’s
University Press, 1986, p. 202-221.
46
En préface du livre de Jean Provencher, Québec sous la loi des mesures de guerre
1918, Fernand Dumont commentait la relation de pouvoir entre les classes sociales de la
ville. Dumont relève un usage abondant du mot « populace » par Provencher. Ce terme était
d’ailleurs fréquemment utilisé dans la couverture médiatique de l’époque. La représentation
de la révolte entretenue par Dumont met en relief des caractéristiques spécifiques de la
société de l’époque:
De la populace, ce qui frappe avant tout, ce sont ses déferlements de foules, 15 000
personnes à certains jours, sans chefs, sans organisation, sans stratégie un peu définie.
Protestation qui venait du fond d’une pénible vie quotidienne, d’une rancœur entretenue au fil
des ans, mais jamais vraiment dite, d’une servitude qu’il était impossible de traduire dans un
mouvement proprement politique.77
Dumont décrivait l’incapacité d’un groupe social hétérogène à traduire politiquement des
maux vécus dans une situation que ce groupe juge injuste. L’idée desservie par ce
commentaire fait allusion au recours à la violence tel un moyen de parvenir à ces fins, à se
faire entendre. La populace de Québec a en effet eu recours à la violence lors de la semaine
sainte de 1918. Pourtant, elle n’était pas la seule. À Montréal, dans un contexte de
manifestation similaire, des manifestants ont utilisé la dynamite contre la propriété de
certains individus. Pourtant, l’événement qui définit le plus la Crise de la conscription dans
les manuels d’histoire et dans la vie intellectuelle en général est l’Émeute de Québec.78
Pourquoi se souvient-on de cette émeute particulièrement et moins de celles de Montréal en
1916, de Shawinigan, de Sherbrooke ou Hull? Nous envisageons dans ce cas-ci que le
degré de violence en est le baromètre référentiel. Aux yeux de l’observateur, lorsque la
violence fait des victimes, son niveau est perçu différemment. Parmi les acteurs de
l’événement - tous ceux qui ont vécu l’expérience-, la mort évoque un traumatisme
beaucoup plus puissant que la violence non meurtrière. Ce ressentiment est partagé tout
autant par les témoins de la violence que par l’observateur qui analyse les répercussions par
la suite. Tous jugeront de la gravité d’un événement violent principalement par la mortalité
qui en découle.
77 Provencher, op. cit. p.9. 78 Young, op. cit. p. 59-85.
47
1.4.1 Un traumatisme dramatique
L’Émeute de Québec a effectivement regroupé les gens. L’aspect traumatique de la
violence vécue a transcendé les différences entre les diverses communautés de la ville.
Ainsi, pour les acteurs de l’espace d’expérience, la grandeur de l’événement s’expliquait
premièrement par l’importance du bouleversement induit à la ville. Afin de comprendre
ceci, nous allons remettre en perspective le contexte de tension qui régnait dans la ville en
avril 1918. En premier lieu, l’opposition quasi unanime des élites politiques québécoises à
la conscription a favorisé un sentiment d’opposition générale dans la province. Certains
hommes connus et respectés par les citoyens, comme l’avocat de Québec Armand La
Vergne, insistaient même pour une opposition armée. Ces allégations rendaient la tâche du
maintien de l’ordre plus difficile. De jeunes émeutiers canadiens-français et canadiens-
anglais manifestaient par centaines dans les rues de la Basse-Ville et de la Haute-Ville. Les
foules se rassemblaient par milliers. Des commerçants francophones et anglophones ont vu
leurs propriétés en saccage. Des bureaux de presse anglophones et francophones, ainsi que
des édifices gouvernementaux ont été incendiés. Les forces de l’ordre peinaient à retrouver
le calme dans le tumulte. Elles ne possédaient pas un effectif suffisant pour répondre au
nombre de requêtes de protection des citoyens.79 Des commerçants voyaient diminuer leur
commerce habituel avec l’extérieur. Des individus de toute notoriété étaient bousculés dans
les rues de la ville. Enfin, pour une des rares occasions80 depuis la Confédération, l’armée
canadienne envoya ses soldats à Québec par centaines et envahit les rues de la Haute-Ville
et des aires périphériques de la Basse-Ville. Le couvre-feu était en vigueur et les
attroupements de trois personnes ou plus étaient interdits. Voilà en partie ce qui nous
79 À cet égard, le témoignage des autorités locales, le chef de police Émile Trudel et le Brigadier Général
Joseph-Philippe Landry, sont des plus convaincants. « In his report, Landry explained that he had received
numerous reports from various sources warning him of possible attacks on buildings in the city. The most
disturbing report came from the Deputy Registrar, Antoine Gobeil, in charge of registering conscripts, who
heard that the mob planned to target his office ». Young, op. cit. p. 39. Également, selon le témoignage du
chef de police, 500 personnes lui avaient écrit du vendredi 29 mars au lundi 1er avril concernant des demandes
de protections. Il mentionna dans son témoignage qu’il a en reçu plus de 2000 par téléphone. Témoignage
d’Émile Trudel à l’enquête du coroner, p. 33. Cité dans Provencher, Québec sous la loi des mesures de guerre
p. 100. 80 À titre d’exemple, en 1878, lors de la grève des ouvriers de la construction à Québec, qui est accompagnée
de violence collective importante et la mort par balles d'un émeutier, 700 soldats et officiers sont envoyés de
Montréal à Québec pour faire face aux grévistes; au total, 1200 militaires sont impliqués. Voir Pariseau, APC
36 p. 1-17.
48
permet de conclure que l’Émeute de Québec est un grand événement. Elle bouleversa
substantiellement le quotidien des habitants de la ville.
En deuxième lieu, l’importance de l’événement se motive par son caractère
historique spécifique. Ayant une assise principalement ethnique, ce conflit impliquait aussi
de la violence physique meurtrière. En effet, ce fait ne dégage aucun trait unique d’un
contexte de manifestation et de répression dans l’histoire du Canada. Par contre, rarement
au Canada, la liberté individuelle en société n’avait été retirée sur le fondement d’un conflit
politique interne. Depuis l’union des provinces et des deux peuples fondateurs en un même
État fédéré, l’Émeute de Québec constitue un des seuls conflits politiques violents résultant
en le retrait de droits fondamentaux.81 Dans ce cas-ci, le habeas corpus fut soutiré
uniquement aux citoyens de la ville de Québec. Certains diront même que pour la première
fois, le Québec en entier aura servi de bouc émissaire d’une politique fédérale
interventionniste en temps de guerre.82
De plus, les altercations entre soldats et manifestants n’étaient pas très nombreuses dans
l’histoire de la violence de la ville de Québec de l’époque. Lorsqu’elle se produisait, la
violence avait des motifs locaux et une aire d’action restreinte. Pensons, entre autres, au
conflit ethnique de 1878-79 entre Canadiens français et Irlandais dans le secteur du travail
portuaire à Québec.83 Cette confrontation locale n’a pas pour ainsi dire bouleversé le
quotidien de l’entièreté des collectivités puisque le conflit s’est déroulé principalement dans
une aire ouvrière de la Basse-Ville. Bien que ce conflit ait également produit un décès, et
81 Le habeas corpus est également suspendu en 1866 et en 1870 dans la suite des attaques des Péniens et
l'assassinat de Thomas D'Arcy McGee. Les émeutes anti-asiatiques de 1907 en Colombie-Britannique qui
mènent à la suspension de l'immigration japonaise et l'exclusion des Punjabis peuvent également être
évoquées à cet égard. 82 Béatrice Richard, « L’Émeute de Québec », Dix journées qui ont fait le Québec, Transcription de la
conférence vidéo, http://www.fondationlionelgroulx.org/Le-1er-avril-1918-Emeute-a-Quebec.html, page
consultée le 5 mars 2014. «Dans cette histoire, le Québec fait clairement figure de bouc-émissaire […]
Borden a donc concentré la répression au Québec en toute conscience. Pour lui, le château-fort canadien-
français était devenu le centre de gravité d’un mécontentement grandissant au pays, […] Écraser le Québec
pour l’exemple, prévenir ainsi la contagion révolutionnaire et assurer la victoire des Alliés, telle fut sans nul
doute la stratégie de Borden dans cette histoire. Focaliser la répression sur la Province indisciplinée lui
permettait aussi de gagner un précieux capital politique, du moins à court terme. Il demeurait certes plus aisé
de concentrer le ressentiment du reste du Canada contre un ennemi intérieur géographiquement et
ethniquement bien délimité que contre une mouvance révolutionnaire aux contours beaucoup plus flous». 83 Robert John Grace, The Irish in Mid-Nineteenth Century Canada and the Case of Quebec: Immigration and
Settlement in a Catholic city, Thèse de Ph.D. (histoire), Université Laval, Québec, 1999, p. 529-553. Voir
également Louisa Blair, Les Anglos. p. 19-23.
49
qu’il menaçait le Parlement à un certain degré, il s’agissait d’un conflit purement localisé,
qui, de surcroît, ne concernait qu’une minorité de citoyens. Seuls les ouvriers irlandais et
canadiens-français du secteur portuaire étaient directement touchés.84 À titre comparatif,
l’influence de l’Émeute de Québec en 1918 dépassa le strict cadre municipal, allant même
jusqu’à ébranler la stabilité politique de l’État canadien. De plus, le traumatisme de la
mortalité fut partagé en 1918 par toutes les communautés de Québec vivant ensemble
l’expérience de l’événement.
Tout comme le nombre d’épisodes de violence, la mortalité était aussi peu fréquente
dans l’histoire de la violence politique à Québec. La mort de ces quatre victimes était donc
définie comme un drame. Toutefois, le nombre de victimes n’est pas la caractéristique
prioritaire dans l’importance de cet événement. Nous ne pouvons pas exagérer l’importance
quantitative du nombre de décès puisque 2967 Canadiens sont tombés au combat presque
jour pour jour un an auparavant sur la Crête de Vimy.85 Plus de 60 000 soldats canadiens
ont laissé leur vie sur le sol européen durant la guerre. La violence des émeutes de Québec
en temps de guerre peut également s’en trouver quelque peu caricaturée lorsqu’elle est
comparée avec d’autres États. Durant les premières années de la Grande Guerre, la France a
fusillé un certain nombre de soldats.86 C’est plus de 600 condamnations à mort qui ont été
exigées par les Conseils de Guerre spéciaux où seulement 320 soldats ont reçu la grâce du
Président de la République.87 Sans compter toutes les répressions violentes qui ont été
exercées dans les villes et villages contre des manifestations similaires à celles de Montréal
et Québec.
En dépit des différences dans les antécédents violents au Québec et en France, une
observation reste surprenante. En contexte de guerre, ce sont les plus jeunes et les plus
84 Ibid. p. 529-533. 85 Béatrice Richard, « La mémoire collective de la guerre au Québec : un espace de résistance politique? »,
Canadian Issues/Thèmes canadiens, (Winter/hiver 2004), p. 17-20. 86 À ce sujet voir les écrits du Général André Bach, Fusillés pour l’exemple : 1914-1918, Paris : Tallandier,
Nouvelle Édition, 2013, 617 pages. Il s’agit d’une étude sur les soldats français fusillés pour mutilations
volontaires ou mutineries durant la Première Guerre mondiale. L'auteur montre que ces exécutions ont eu lieu
dès le début du conflit, encouragées par l'exécutif et soutenues par le politique au nom d'une justice de
l'honneur. 87 Guy Pedroncini, Les mutineries de 1917, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 183-231.
50
dominés socialement qui tendent à se mobiliser davantage dans l’action collective.88 Ce fut
le cas des mutineries de l’armée française et des émeutiers dans les rues de Québec.
Lorsque l’historien compare ces grands moments de révolte interne en temps de guerre, il
constate que l’histoire politique violente du Québec – mise à part des Rébellions de 1837 et
1838 - est effectivement peu meurtrière. La mort étant très rare dans les conflits violents au
Québec, elle traumatise davantage lorsqu’elle survient. La mortalité de jeunes victimes et le
partage de l’expérience entre tous les groupes et communautés de la ville sont donc ce qui a
donné le caractère unique et dramatique à ce grand événement.
La violence de l’Émeute de Québec peut sembler uniquement physique et matérielle
à première vue. Cependant, la violence comporte toujours une dimension psychologique.89
La violence qui provoque des dégâts et des blessures n’est donc pas uniquement matérielle,
mais aussi symbolique. Cette violence symbolique consiste en une dévalorisation du groupe
sur laquelle elle s’afflige. Elle s’accompagne également d’une «rhétorique qui tend à
discréditer l’adversaire.»90 Ainsi, lors des premières manifestations du 28 et 29 mars, une
volonté de faire reculer l’autorité était palpable. L’action citoyenne visait également un
certain gain de pouvoir. À l’inverse, le déploiement de l’armée servait à protéger et à
rétablir l’autorité. Malencontreusement, le recours à la force par les autorités militaires le
30, 31 mars et 1er avril, a plutôt eu pour effet de dramatiser la situation. Selon Philippe
Braud, spécialiste de l’analyse politique de la violence, les violences de grandes ampleurs
perturbent durablement le jugement politique et suscitent parfois des réactions dangereuses
comme la recherche d’un bouc émissaire.91 C’est ce qui s’est produit tout au long de la
couverture médiatique. Le maire Lavigueur accusait les agents fédéraux. Les journaux en
faveur de la conscription accusaient l’inaction des forces de l’autorité municipale. Le
gouvernement Borden relevait le manque de jugement du maire et ainsi de suite pour en
arriver à un cercle perpétuel d’accusations des uns envers les autres.
88 André Loez, 14-18, Les refus de la guerre : Une histoire des mutins, Paris, Folio Histoire, Gallimard, 2010,
p 548-564. L’auteur explique que la jeunesse est plus qu’observable dans l’analyse des propriétés sociales de
ces individus. Elle est même à souligner. Elle «indique une moindre loyauté à l’institution militaire et à
l’effort de guerre que ceux qui ont été incorporé plus tardivement, socialisé dans un contexte plus critique
envers l’armée et le conflit que celui de la mobilisation générale de 1914.» p. 549-550. 89 Philippe Braud et al, Violences politiques, les raisons d’une déraison, dans Les mécanismes de la violence,
Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 2006, p. 57-65. 90 Ibid. p. 64. 91 Ibid. p. 57-65.
51
1.4.2 Une violence légitime
La violence engendrée par un conflit de relation de pouvoir, entre deux groupes
légitimant leurs assises, est un exemple bien commun. En théorie, la première mission de
tout système politique est d’assurer la sécurité des citoyens. Thomas Hobbes expliquait
qu’il n’existe aucun autre moyen pour arriver à cette fin que de retirer à chacun le droit de
se faire justice et de conférer au pouvoir le monopole du recours à la force. Il est
empiriquement vérifié que la violence soit utilisée afin d’accentuer ou d’établir son autorité
et préserver son pouvoir d’action.92 À l’intérieur d’une société démocratique, une nuance
s’impose. La violence peut être légitime ou illégitime. De la part des forces de l’ordre,
l’usage de la force est présenté comme une violence légale, donc légitime. À l’opposé,
l’usage de la force contre les autorités est considéré comme une violence illégale, donc
illégitime. Cette subtilité entre force et violence introduit de surcroît un élément
complémentaire : la légitimité de l’utilisation de la violence. Du point de vue citoyen, une
violence légale peut être illégitime tout comme une violence illégale peut être légitime.
Tous les citoyens d’une société ayant vécu un traumatisme violent interprètent donc
l’événement, choisissant la justification des actions d’un côté ou de l’autre. Ils prennent
position en faveur d’une violence citoyenne ou alors d’une force gouvernementale. Encore
une fois, l’objectif n’étant pas de définir qui a raison ou qui a tort, mais de montrer le
simple fait que les deux groupes d’acteurs principaux de l’altercation - les émeutiers et les
acteurs gouvernementaux- ont reçu un appui considérable justifiant leur utilisation
respective de la violence.
Lorsqu’un épisode de violence collective se produit, les agents de l’État
responsables du maintien de l’ordre jouent presque toujours un rôle principal dans
l’altercation entre les parties. Ils peuvent être les agresseurs, l’objet d’une agression, des
compétiteurs ou la plupart du temps, des agents d’intervention.93 Dans le cas de l’Émeute
de Québec, les agents de l’État responsables du maintien de l’ordre étaient à la fois les
agresseurs, des interventionnistes et en fin de compte, l’objet d’une attaque.94 Ils ont
92 Charles Tilly, The Politics of Collective Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 26-54. 93 Ibid, p. 27. 94 Une étude d’Eric M. Tucker sur la violence collective et l’État canadien explore le phénomène de
l’utilisation du pouvoir de coercition de l’État dans un contexte de violence social. Elle montre, par l’exemple
52
bousculé des citoyens, ils sont intervenus pour calmer la révolte et ils ont subi les foudres
des manifestants. La violence provoquée par le groupe des émeutiers se justifiait, quant à
elle, selon des motifs spécifiques et disparates. Bien entendue, aucune violence collective
ne peut éclater spontanément sans contexte favorable. L’union de plusieurs individus vivant
des frustrations similaires est essentielle. Le contexte de guerre mondiale et la détérioration
des conditions de vie, le rationnement, l’obligation et l’opposition à la conscription, la
concentration géographique des classes d’hommes ciblés en Basse-Ville, la dégradation de
la relation entre les groupes linguistiques de la ville, l’oppression des agents fédéraux,
l’émergence d’une conscience citoyenne en rupture avec les élites traditionnelles, etc. sont
tous des motifs qui justifient l’existence d’un contexte, dit, favorable.
Ces émeutes ne sont donc pas nécessairement « l’expression d’une rage inopinée,
mais bien le débordement annoncé d’un sentiment d’injustice généralisé. »95 Cependant, ce
ne sont pas tous ceux qui se sentaient opprimés qui ont pris le chemin de la révolte violente.
Une faible minorité a utilisé la violence comme moyen de revendication.96 Les foules de
manifestants ont été parfois qualifiées de « grandes » à tort. C’est plutôt la curiosité ou
alors l’appui indirect, par la simple présence sur les lieux, qui permettait d’attribuer ce
qualificatif. À travers les foules, l’utilisation de la violence jouissait d’un appui
considérable sans être toutefois unanime. Les quatre victimes qui sont tombées sous « les
balles perdues » sont l’élément fondamental de la construction de la mémoire collective de
nos jours, et ce, pour les groupes et les communautés qui cherchent à réanimer le passé.
des Street Railway Workers, quelle influence la classe ouvrière et la classe moyenne peut avoir sur
l’utilisation de la force par l’État afin de gérer un conflit de travail ou un conflit politique devenant violent. Il
y est introduit le problème suivant, à savoir quel degré de débordement les autorités publiques peuvent tolérer
avant de mobiliser la force coercitive de l’État pour protéger le bon fonctionnement de tout endroit de travail,
de commerce ou simplement de l’ordre civil selon l’idéologie du capitalisme libéral. Voir Eric M. Tucker,
«Street Railway Strikes, Collective Violence, and the Canadian State, 1886-1914», dans Binnie et Wright
(ed), Canadian State Trials, Volume Ill (2009), p. 257-297. 95 Béatrice Richard, Les dix journées qui ont faits le Québec, conférence du 31 janvier 2013. De plus, Chris
Young évoque un argument plus économique de cette injustice dans son analyse : « the government's
wartime economy, which had introduced income tax to raise money for the war, and which had caused food,
clothing and fuel prices to soar added to rising tensions amongst the mostly working-class rioters. From this
perspective, it is perhaps not a surprise that a little incident, such as the arrest of Joseph Mercier, could have
developed into one of Canadian history's bloodiest riots ». Young, op. cit. p. 58. 96 Selon les articles et les éditoriaux du Soleil, de L’Action Catholique, de l’Événement, du Daily Telegraph et
du Quebec Chronicle de 1918, ainsi que l’analyse de l’enquête du coroner de Jean Provencher, les foules se
rassemblaient autour d’un noyau ne dépassant jamais vraiment plus de quelques centaines de personnes.
53
Encore aujourd’hui, certains tentent de justifier l’utilisation de la violence selon différentes
perspectives.
À travers le bouleversement d’un conflit politico-ethnique d’envergure nationale,
vécu localement, dans une atmosphère de violence meurtrière unique, ces émeutes restent
perçues comme l’événement référence de la Crise de la Conscription pour les citoyens de la
ville de Québec. Plus nous nous éloignons du foyer de l’événement violent, moins celui-ci
constitue une référence. Toutefois, il nous manque un élément pour que l’Émeute de
Québec devienne un événement référence dans l’histoire de la province, et surtout, pour la
ville de Québec. Il s’agit du travail de la mémoire. Il est vrai que l’événement tire son
importance du vécu, de l’ampleur du bouleversement et de la violence meurtrière. Par
contre, considérant l’horizon d’attente défini par Reinhart Koselleck, le travail de la
mémoire permet également de lui attribuer le caractère de grandeur. Plus l’action est
éloignée dans le temps, moins elle est propice à une réminiscence directe des événements.
L’historien doit interpréter ceux-ci selon la mémoire qui en est constituée subjectivement
chez chaque individu et chaque groupe. C’est donc à travers cette constitution hétérogène et
complexe de la mémoire collective que nous allons examiner le cheminement des
réminiscences de l’Émeute de Québec chez différents groupes et communautés de la ville.
Nous comprendrons donc à quel point les médias ont influencé la constitution des éléments
fondateurs de souvenirs notamment en faisant de la violence le pilier de la mémoire.
55
Chapitre 2 : Évolution de la mémoire de l'événement
L’évolution de la mémoire collective de l’Émeute de Québec n’a pas suivi un
cheminement constant. La violence générale produite dans ce conflit a incité les individus
de chaque groupe et communauté de la ville à choisir la manière dont ils vivraient le
traumatisme. La plupart ont choisi l’oubli, ou alors, de tempérer leur mémoire. Depuis
1971, les souvenirs des émeutes refont surface dans la mémoire collective de Québec. La
manière dont le passé est interprété sera donc élaborée dans ce chapitre. De plus, nous
comprendrons quelle est la structure référentielle qui est constituée au fil des années. Or,
cette structure ne reflète pas la propriété hétéroclite de la mémoire collective des
communautés de Québec. À l’aide d’entretiens oraux avec des gens de la ville, nous
comprendrons mieux les voies qui construisent cette mémoire collective. Nous pourrons
également déceler les variances entre la structure référentielle désirée et une partie de la
mémoire collective qui s’est développée.
2.1 Interpréter le passé
En général chez les êtres humains, le traumatisme du grand événement engendre
une émotion. Cette émotion peut être bonne ou mauvaise. Elle peut être désirée ou refoulée,
mais jamais elle ne disparaît complètement. Le traumatisme marque également la
conscience et les souvenirs postérieurs des individus qui le subissent. Il s’insère donc dans
Notre rapport au passé est tout autre
que celui dont on s’attend d’une mémoire. Non
plus une continuité rétrospective, mais la mise
en lumière de la discontinuité !
Pierre Nora
56
la mémoire de ces individus et transforme la relation qu’ils entretiennent avec leur passé.
Chaque individu ressentira des émotions différentes à des souvenirs semblables puisque la
mémoire de chacun ne restera que fragmentée. La mémoire de soi se construit alors
prioritairement par les autres, explique Maurice Halbwachs.1 Il écrit d’ailleurs : « Au reste,
si la mémoire collective tire sa force et sa durée de ce qu’elle a pour support un ensemble
d’hommes, ce sont cependant des individus qui se souviennent en tant que membres du
groupe. Nous dirons volontiers que chaque mémoire individuelle est un point de vue sur la
mémoire collective, que ce point de vue change selon la place elle-même qui change selon
les relations que j’entretiens avec d’autres milieux. »2 La violence qui émane des émeutes à
Québec en 1918 engendre ainsi un traumatisme puissant, tant pour l’acteur à travers son
bagage d’expérience que pour l’observateur dans l’horizon d’attente. C’est donc par
l’ensemble des émotions et des souvenirs individuels que se forment les fondements de la
mémoire collective de l’événement.
2.1.1 L’oubli
Il est paradoxal de constater que, même à l’échelle de la société québécoise,
l’évolution de la mémoire collective de l’Émeute de Québec a débuté par son oubli relatif.
Il est effectivement plus facile d’amenuiser l’importance d’un événement lorsque
l’observateur se situe dans une zone périphérique du point d’action. En dépit de ce fait,
comment motiver que la majorité des communautés de la ville de Québec ont également
brisé le lien avec le souvenir de ce traumatisme immédiatement après l’événement.
Cinquante-trois ans se sont écoulés entre les émeutes et le retour en force de la mémoire.
L’oubli relatif est donc une phase très importante de l’évolution de la mémoire collective de
cet événement même s’il est presque inexistant dans l’historiographie québécoise jusqu’à
présent.3 Cette impression d’oubli est en quelque sorte le sentiment d’un refoulement
général qui se définit à travers la génération traumatisée. Cette importance découle du fait
1 Halbwachs, op. cit. p. 6-29. 2 Ibid. p. 94-95. 3 Seul Chris Young étudie l’oubli de manière scientifique à travers la composition des manuels scolaires
d’histoire au Québec. Chris Young, p. 59-85. Béatrice Richard aborde brièvement le sujet également dans son
article « La mémoire des guerres au Québec : un espace de résistance », Thèmes Canadiens, Souvenirs de
guerre à la mémoire du Canada, Hiver 2004, p. 17-21.
57
qu’il s’agit du tout premier état d’âme de la collectivité qui le vit et qui choisit, ou non, de
défouler son émotion.
Dans une perspective strictement psychologique, le terme traumatisme représente « un
événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, par l’incapacité où se trouve le
sujet d’y répondre adéquatement ainsi que le bouleversement et les effets pathogènes
durables qu’il provoque dans l’organisation psychique.»4 Un événement significatif laisse
donc son emprunte dans le psychisme de l’individu qui le vit.5 Selon Sigmund Freud, « un
traumatisme est une situation qui provoque un état d’excitation sous haute tension, ressentie
comme déplaisir et dont on ne peut se rendre maître par décharge. »6 Cette décharge
exprime un refoulement de ce qui devrait être défoulé. Selon ces conceptions
psychanalytiques, le « traumatisme » et le « refoulement » se définissent donc l’un par
l’autre. Ils forment une roue sans fin qui peut se définir en un traumatisme tellement
insupportable qu’il faut le refouler, où à son tour, le refoulement est la conséquence d’un
événement si traumatisant qu’il est insupportable. Selon la perspective historique avec
laquelle nous analysons ce processus, nous observons clairement le retour du refoulement à
l’intérieur de la relation entre la mémoire et l’oubli de l’événement.
Cette dualité entre mémoire et oubli se reflète déjà en 1874 dans ce que Friedrich
Nietzsche décrivait comme la crise de l’historicisme. Nous sommes tous, pour la plupart,
attachés à améliorer notre mémoire, mais personne ne se pose le problème de savoir
oublier.7 Nietzsche exprime à ce propos qu’il est absolument impossible de vivre sans
oublier : « il s’agit de savoir oublier à propos, comme on sait se souvenir à propos. Il faut
qu’un instinct vigoureux nous avertisse quand il est nécessaire de voir les choses
4 Roland, Chemama, Dictionnaire de la psychanalyse : dictionnaire actuel des signifiants, concepts et
mathèmes de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1993, 307 pages. 5 Pierre Juillet, «Dictionnaire de psychiatrie», Jean-Charles Sournia (dir) et al. Dictionnaire de l’académie de
médecine, Conseil International de la Langue Française, Paris, 2000, p. 363. 6 Serafino Malaguarnera, Dictionnaire de psychologie et de psychanalyse, Bruxelles, http://malaguarnera-
psy.wifeo.com/index-fiche-27134.html, page consultée le 13 janvier 2015. 7 Alexandr Romanovich Luria, The Mind of a Mnemonist, Cambridge, Harvard University Press, 1987, cité
par Yosef Hayim Yerushalmi, Réflexion sur l’oubli, dans Yosef H. Yerushalmi et al. Usages de l’oubli, Paris,
Seuil 1988, p. 9.
58
historiquement et quand il est nécessaire de les voir non historiquement. »8 De plus, la
mémoire et l’oubli sont également nécessaires à la santé d’un individu, d’une nation ou
même d’une civilisation selon Nietzsche.9 Ainsi, concevant la mémoire et l’oubli comme
deux capacités psychologiques nécessaires au développement de l’être humain, ce
raisonnement demeure pertinent pour les collectivités d’individus. Devrait-on comprendre
que la mémoire collective s’oppose donc à l’oubli collectif ?
Selon l’historien et philosophe Yosef H. Yerushalmi, l’oubli collectif est une notion
aussi complexe que la mémoire collective. Au sens collectif du terme, l’oubli survient
«lorsque des groupes humains échouent – volontairement ou passivement, par rejet,
indifférence ou indolence – à transmettre à la postérité ce qu’ils ont appris du passé.»10 Or,
cela introduit une nuance forte de sens entre l’oubli et la transmission du passé. Un peuple
ne peut donc jamais oublier ce qu’il n’a pas d’abord reçu. Sur un plan concret, la génération
qui a vécu les émeutes de Québec et la Crise de la conscription est soudée ensemble par ce
passé.11 La plupart de ces membres ont choisi de refouler le traumatisme, de ne pas laisser
de traces. Ils n’ont donc pas transmis la mémoire de leurs expériences vécues à la suivante.
Les générations subséquentes sont alors celles qui ne pouvaient transmettre une
connaissance qu’ils ne possédaient pas. Faute de transmission préalable, l’information n’a
pu permettre la constitution adéquate d’une mémoire collective dans leur présent. D’un
autre côté, si nous considérons que le passé s’est bel et bien transmis, au moins oralement,
8 Nietzsche, Considérations inactuelles, 1874, p. 213-214, cité dans Yosef H Yerushalmi et al. Usages de
l’oubli, Paris, Seuil, 1988, p 9. Voir également dans le même ouvrage Gianni Vattimo, L’impossible oubli,
Paris, Seuil, 1988, p. 77-89. 9 Vattimo, Op. Cit., p. 77-89. 10 Yosef H. Yerushalmi, Réflexions sur l’oubli, dans Yosef H. Yerushalmi et al. Usages de l’oubli, Paris,
Éditions du Seuil, 1988, p. 12. Cette définition renvoie aux insuccès subis chez un groupe quelconque en la
transmission de la mémoire et de la connaissance. Henri Rousso élabore une définition similaire de la
mémoire collective qui s’assujettie aux choix des acteurs du groupe qui reçoit cette mémoire. Dans son livre
Vichy : L’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 348 : « La mémoire collective est la
présence du passé, un passé qui est d’abord un héritage, c’est-à-dire un legs, un donné devant lequel un
groupe peut rester actif ou passif, qu’il peut accepter, refuser ou ignorer, voire tout simplement méconnaître.
Pour mettre au jour l’existence et l’évolution de cette présence du passé sur une période donnée, signifie
d’abord en observer les manifestations. Celles-ci peuvent résulter d’une volonté affirmée ou surgir de manière
fortuite et spontanée dans le débat ou l’action politique. » 11 Sarkis, op. cit. p. 9-45. Voir de plus : Henri Rousso, Le syndrome de Vichy : de 1944 à nos jours, Paris,
Édition du Seuil, 1990, p. 9-20. Rousso explique également ce phénomène en ses propres mots et selon sa
propre expérience : « Né dix ans après la Deuxième Guerre mondiale, j’appartiens à une génération qui a été
dépourvue d’événements fondateurs auxquels nous rallier […] ces événements qui, comme les engagements
de l’Occupation, de la guerre d’Algérie ou des fièvres de mai, ont soudé une communauté de pensée et une
communauté de souvenir. » p. 9.
59
la génération suivante devient en partie responsable du refoulement. Nous conviendrons
alors que le peuple québécois a refoulé cet événement pendant plus de cinquante ans
puisque la génération détentrice du passé n’a laissé que peu de traces aux suivantes.
Également, ces dernières ont rejeté le passé noir qu’elles ont reçu. Elles auraient donc
tranquillement cessé de transmettre la mémoire de cet événement. Il s’agissait là d’un choix
d’oublier, tout comme la transmission est un choix de se souvenir.
Le manque de trace de l’événement est bien synthétisé dans l’analyse scientifique
de Chris Young.12 Il fait la démonstration du vide historiographique de la part des
historiens québécois sur plus de quarante ans après la Première Guerre mondiale. En
redécouvrant les manuels scolaires de plusieurs générations de Québécois suivant la
Première Guerre mondiale, Young conclut que le souvenir principal - l’identifiant- des
Quebecers envers la Grande Guerre portait sur les actions d’outre-mer et sur la Crise de la
conscription en général. Aucune mention des épisodes de violences à Québec n’est
perceptible. Ce constat est observable jusqu’à la Révolution tranquille des années 1960. À
l’opposé, depuis les années 60, la nécessité de se souvenir réapparaît chez l’élite
intellectuelle et les historiens au Québec. De moins en moins, les exploits sur le front
européen sont élaborés dans les manuels scolaires. La Crise de la conscription remplace
presque complètement l’espace de la mémoire à l’égard de cette période de l’histoire du
Canada.
Selon certains intellectuels, cette transition n’est pas unique aux écrits québécois. Elle
s’explique de manière universelle. Jean-Pierre Derriennic, professeur de sciences politiques
à l’Université Laval, explique que pendant le tournant des années 50 et 60, une transition
12 Dans son mémoire de 2009, Chris Young a très bien montré l’évolution substantielle de l’écriture sur la
Première Guerre mondiale et sur la Crise de la conscription. Un peu à l’instar de Béatrice Richard, il a étudié,
entres autres, les écrits des historiens et des amateurs concernant la transmission de l’information dans des
manuels scolaires. La transformation dans la substance du souvenir qu’il montre est frappante. Il faut attendre
jusqu’en 1959 pour qu’un manuel scolaire établisse un récit du passé élaboré des émeutes de la semaine sainte
concise sur plus de quelques phrases seulement. Le changement d’intérêt dans la mémoire écrite est dès lors
enclenché. Par la suite, les émeutes forment l’essentiel du souvenir sur la Première Guerre mondiale selon une
perspective québécoise. On n’y trouve presque plus de mentions des actions sur le front européen et de la
gloire et du courage des troupes canadiennes durant les batailles de Vimy ou de la Somme par exemple. Voir
Chris Young, Sous les balles des troupes fédérales: Representing the Quebec City Riots in Francophone
Quebec (1919-2009), Mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Concordia, Juillet 2009, 135 pages.
60
sociale quant à la représentation de soi s’est effectuée à l’intérieur de la plupart des États du
monde. Le changement d’attitude chez les nations, les communautés et les sociétés
diverses, passe d’un intérêt global de désir d’égalité vers un intérêt plus identitaire.13 La
représentation de soi, à l’intérieur comme à l’extérieur de la collectivité, prenait dès lors
une importance sans précédent. La primauté envers l’égalité des groupes fut donc
remplacée par la nécessaire démonstration des distinctions parmi ces mêmes groupes.
Cette nouvelle attitude face à la représentation de soi se manifeste par le désir de se
réapproprier un passé refoulé. Cette idée se reflète, entre autres, dans les écrits de Peter
Novick. L’auteur a effectué une étude sur la mémoire de l’Holocauste dans la vie des
Américains. Il estime que les chefs de file de la communauté juive américaine, qui autrefois
s’efforçaient de montrer que les Juifs étaient plus que quiconque pareils aux autres, durent
par la suite établir à quoi tenait la différence juive.14 Le silence antérieur de cette
communauté juive américaine à l’égard de l’Holocauste était une méthode de refoulement.
Tout comme l’explosion de discours des dernières années exprimait le retour de ce qui était
refoulé.15 Un deuxième exemple de ce phénomène transitif se traduit dans l’œuvre d’Henri
Rousso sur la mémoire et la commémoration du régime de Vichy pendant la Deuxième
Guerre mondiale en France. La mémoire de Vichy se traduit en une succession de phases de
la mémoire débutant également par l’oubli et le refoulement. Entre 1944 et 1954, cette
phase amnésique où les distorsions interprétatives naissent est celle du deuil. Suivant cette
phase, un mythe identitaire principal s’en est dégagé, soit celui de la résistance globale.
C’est sous ce sentiment mythique de résistance générale que les Français devenaient plus
unis dans la mémoire de ce passé. Toutefois, dès 1971, le mythe se brise. À ce stade,
Rousso évoque lui aussi le retour d’émotions refoulées. Les opinions divergentes vis-à-vis
de la gestion de crise lors de la guerre donnent une orientation variée et identitaire à la
mémoire de l’événement. Ainsi, les différentes fractures internes vécues au pays avant et
pendant l’occupation allemande reprenaient place dans le débat politique du présent.
13 Jean-Pierre Derriennic, professeur de sciences politiques de l’Université Laval, entretient sur la violence en
société et sur les mutations sociales, effectué le 17 mars 2013 à l’Université Laval complémentaire à son livre
Les guerres civiles, Paris, Presse de Sciences Po, 2001, 281 pages. Plus précisément, c’est l’avènement des
politiques de la reconnaissance. Voir également Charles Taylor, Sources of the Self: The Making of the
Modern Identity, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1989, 712 pages, ainsi qu’Axel Honneth, La
Lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000, 232 pages. 14 Peter Novick, L’Holocauste dans la vie des Américains, Paris, Gallimard, 1999, p. 13-14. 15 Ibid. p. 14.
61
Au final, seule la mémoire qui renforçait une distinction idéologique ou identitaire
était retenue par les différents groupes de ces deux exemples historiques. Le reste était
ignoré, ou alors oublié. L’épisode de la Crise de la conscription, particulièrement l’Émeute
de Québec, montrait clairement l’existence d’une inégalité à l’intérieur du cadre étatique de
l’époque. Ainsi, afin de mieux s’adapter aux exigences du monde moderne, le Québec
recadre son identité à partir de la Révolution tranquille. Il entreprend de réanimer son
rapport au passé. Par le fait même, les historiens comme Jean Provencher désirent corriger
des injustices historiques et se remémorer des événements presque complètement oubliés.
2.1.2 La mémoire des années 1970 et le cas de l’Émeute de Québec
Jean Provencher a saisi le Québec en 1971 avec la parution de son livre Québec
sous la Loi des mesures de guerre. Il a construit son œuvre sous forme de chronique; une
brève histoire des expériences sociales vécues par différents citoyens à travers la
reconstruction des événements de la Semaine sainte de 1918. L’étude représente une liaison
entre un événement et les conséquences de son oubli. Ce souvenir reconstitué s’apparente
toutefois à une utilisation idéologique et subjective de la mémoire. Le simple fait de
souligner cet événement exprime par lui-même un désir de souvenir que l’auteur veut
exposer aux membres de la société historiquement impliquée. D’une part, Provencher
interprète l’événement selon les témoignages de l’enquête du coroner qu’il choisit
spécifiquement et raconte ainsi l’histoire de l’événement. Chris Young le mentionne
également dans son analyse: « Like all writers, when creating Quebec sous la loi des
mesures de guerre 1918, Jean Provencher was influenced by the intellectual and social
climate of his time. His book, published one year after the October Crisis, makes implicit
connections between the events of October 1970 and the spring of 1918. »16 Provencher
définit par le fait même une tangente de la mémoire de cette épisode de l’histoire du
Québec. Comme plusieurs, il a sélectionné et interprété des documents conforment avec un
message politique et historique propre à son temps. Ayant lui-même vécu l’épisode de la
Crise d’octobre de 1970, il prenait part à une reconstruction de la mémoire des Québécois
sous l’influence de son temps présent.
16 Young, op. cit. p. 28.
62
Pourtant, sans cet apport scientifique, l’Émeute de Québec n’aurait pas obtenu la même
importance dans l’historiographie québécoise par la suite. Son œuvre est également
fondamentale dans l’utilisation publique globale de nos jours. En effet, l’histoire et la
commémoration sont deux activités complémentaires et nécessaires à la construction d’une
mémoire collective d’une société.17 Selon l’historien Patrice Groulx, la quête de la vérité
historienne et la commémoration forment une assise, et par le fait même, une tangente de la
mémoire collective par rapport à un événement bien précis. En fait, ce qui influence la
mémoire d’une collectivité est avant tout l’espace d’expérience. Il s’agit de l’importance de
l’événement et du traumatisme subi par la collectivité qui le vit. Ensuite, la mémoire
détermine le sens de l’événement dans l’horizon d’attente. Elle agit au fur et à mesure que
les gens l’interpellent. Ainsi, l’événement ne contient en lui aucune neutralité. Il est
mémorisé par une appropriation différenciée de l’ensemble des groupes.
Comment alors, la mémoire propre à la ville de Québec s’est-elle construite à l’intérieur de
l’horizon d’attente ? La mémoire collective des groupes et communautés de la ville de
Québec a suivi un cheminement instable et parsemé de cassures. Or, Yerushalmi nous
enseigne que la mémoire doit être essentiellement ininterrompue et continue. À la lumière
de cette nuance, nous qualifions l’œuvre de Provencher comme étant une réminiscence de
ce qui a été relativement oublié. Elle ne rétablit pas toute l’histoire de l’événement, mais
une partie de celle-ci. De plus, ce réapprentissage du passé peut alors prendre une forme
beaucoup plus malléable dans la mesure où la nouvelle connaissance est un effort de
souvenir de ce qui a été « oublié » afin d’y rendre justice. Yerushalmi exprime cette nuance
avec l’opposition antonymique de l’oubli, non pas à la mémoire, mais à la justice.18 Ainsi,
pour rendre justice à l’événement, ou alors, transformer l’oubli en souvenir, le processus de
transmission du passé s’achemine par des moyens dynamiques du présent. En conséquence,
les sociétés - telle que celle des membres de la ville de Québec- utilisent des usages publics
du passé. En fait, qu’il s’agisse « d’usages publics du passé » (Nicola Gallerano), de
« canaux et réceptacles de la mémoire » (Yosef H. Yerushalmi), de « lieux de mémoire »
(Pierre Nora), ou alors, de « vecteurs de mémoire » (Henri Rousso), ce sont tous des outils
17 Patrice Groulx, La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l'histoire et la commémoration, Gatineau,
Vents d'Ouest, 2008, 286 pages. Groulx s’interroge sur la corrélation entre l’activité érudite et la pratique
commémorative, afin de savoir si l’une ou l’autre s’excluent, ou si au contraire elles sont appariées. 18 Yerushalmi, op. cit. p. 20.
63
de transmission de la mémoire. Ce sont des outils de transmission de la mémoire pour et
par un public cible. Ils partagent donc le même objectif, celui de rétablir un passé chargé
d’un sens propre. Nous verrons plus concrètement dans ce chapitre quels pourraient être les
communautés qui adhèrent au processus de transmission et aux outils de mémoire qui sont
mis en place depuis quelques dizaines d’années dans la ville de Québec.
La mémoire collective cherche également à établir en quoi les préoccupations présentes
déterminent ce dont nous nous souvenons et comment nous nous en souvenons. Cela réfère
aux divers intérêts politiques utilisant le passé à ses fins. Au tournant des années 1970, une
partie considérable de la société québécoise endossait l’idée d’un Québec souverain. Pour
ces individus, le projet de souveraineté aurait été plus favorable à la société québécoise que
celui d’un Québec composant toujours dans le cadre de la confédération. De plus, la plupart
des élites politiques ou intellectuelles qui endossaient cette conception ont utilisé le passé,
entre autres, pour justifier leurs points. Il est alors compréhensible qu’à cette époque,
l’utilisation de la mémoire ait trouvé une réception considérable dans la société québécoise.
Le modèle du refoulement peut paraître inadéquat lorsqu’appliqué à l’échelle d’une société
entière. Toutefois, il est possible de reconnaître son utilité ne serait-ce que dans
l’enseignement des cours d’histoire de l’époque. Comme le mentionne Chris Young, avant
même la parution du livre de Provencher, l’évolution de la littérature historique sur la
Première Guerre mondiale à des fins pédagogiques respecte ce concept du refoulement.19
Elle se détachait des actions sur le front européen tout en faisant plus de place à la
description opiniâtre des événements de la Crise de la conscription. Selon Young, c’est en
1959 que la brisure la plus importante se perçoit dans l’écriture de cette période de
l’histoire. Dans le livre Québec-Canada : Histoire du Canada d’Albert Tessier, il observe,
d’une part, une transformation majeure des proportions de l’écriture sur le vécu en sol
étranger et celui à l’intérieur du pays durant la guerre. D’autre part, dans le monde
académique québécois, la période dite de la Première Guerre mondiale ne se limite
désormais plus que par la Crise de la conscription et l’Émeute de Québec. Young le définit
comme suit: « It is the first school textbook that does not mention the Royal 22nd battalion
or any of the battles where the Canadian army fought, including Vimy. Instead, Tessier's
19 Young, op. cit. p. 59-85.
64
version of World War I, which incorporates for the first time such stories as the Francoeur
motion, is entirely that of Quebec, conscription and the riots. »20 Cependant,
l’enseignement scolaire ne rejoint pas la majorité des citoyens non plus. Elle rejoint
uniquement les étudiants. Les jeunes étudiants de 1959 et leurs successeurs deviendront
quant à eux des adultes éclairés durant les années 1970. Ils participeront à l’émancipation
de cet aspect du passé oublié par de nombreuses générations. À titre d’exemple, Jean
Provencher était un jeune historien sorti du monde académique lorsqu’il a vécu la Crise
d’octobre 1970. Selon lui, un sentiment d’incompréhension généralisé se ressentait à
travers le Québec lorsque des arrestations nocturnes eurent lieu en masse et sans mandat.21
L’auteur mentionne également dans une entrevue avec Le Soleil qu’il avait du mal à
entendre des gens d’un certain âge affirmer qu’il s’agissait d’une première au Canada et au
Québec.22 Le lien historique établi quelques mois après par le jeune historien était alors
compréhensible. Il a donc complété une chronique historique sur l’Émeute de Québec de
1918 dans le but assumé de remettre cet épisode en avant plan. Rendre justice aux victimes
oubliées en est effectivement son message principal.
Il faut toutefois nuancer la proportion sociale de l’oubli à l’égard de cet événement. Entre le
moment des violences et la sortie du livre de Provencher, il se trouve bel et bien une timide
conservation de la mémoire. Durant cette période, le personnel politique réanime ce passé
au moment opportun. On retrouve l'émeute évoquée à quelques reprises à l’Assemblée
législative23 en 1944-1945, lors d’un nouveau débat sur la conscription en temps de guerre,
et bien évidemment, à des fins partisanes. En mai 1944, le député unioniste de Matane,
Onésime Gagnon, futur lieutenant-gouverneur du Québec, en fait l'objet d'une partie de son
discours contre l'opposition des libéraux à la conscription. Quelques jours plus tard,
Duplessis lui-même l'évoque dans son propre discours anti-libéral:
« [...] si les conservateurs étaient au pouvoir aujourd'hui et avaient agi comme l'ont fait les
libéraux ces dernières années, il y aurait des émeutes provoquées par les libéraux comme ce fut
le cas en 1917 et 1918 [...] Est-ce que ce ne sont pas les mêmes gens qui, en 1917, avaient
20 Ibid., p. 66. 21 « Vous souvenez-vous des émeutes de Québec? », Le Soleil, (30 Octobre 1971), p. 44 22 Ibid. 23« Service de la reconstitution des débats et Archives de l’Assemblée nationale », Encyclopédie du
parlementarisme québécois (en ligne), Assemblée nationale du Québec, http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-
parlementaires/assemblee-nationale/41-1/index.html, page consultée le 17 septembre 2015.
65
soulevé la population contre le gouvernement? Qui incita les électeurs à la grève et à l'émeute?
Qui poussa les extrémistes à saccager la propriété publique et privée? [...] En 1917, qui a
organisé les émeutes de Québec contre la conscription, sinon les libéraux de Québec?».24
Notons que M. Duplessis mal daté l’événement croyant qu’il s’agissait de 1917. Encore, en
février 1945, à la fois André Laurendeau et René Chaloult citent les émeutes de Québec de
1918 (qu'ils placent eux aussi par erreur en 1917). Sur un autre plan, il revient de temps à
autre dans les débats de la Chambre des communes.25 Par exemple, en 1925 et en 1926, il
fut soulevé notamment par le député conservateur Alexandre-Joseph Doucet du Nouveau-
Brunswick; ou encore en février 1942, lors des débats sur la conscription, quand le député
libéral Clarence Joseph, encore du Nouveau-Brunswick, cite abondamment le livre
d'Armstrong; ou encore en novembre 1944, quand le député libéral indépendant de Québec-
Ouest, Charles-Eugène Parent, évoque ses souvenirs personnels de l'évènement (encore
mal-daté à 1917, ce qui est assez fascinant en soi).
Aussi, il existe bel et bien une mémoire journalistique qui subsiste au fil des années faisant
partie de l'oublie relatif de l'événement jusqu'à nos jours. Le Chronicle-Telegraph du 28 et
30 mars 1968 – en lien avec le 50e anniversaire de l’événement - montre que celui-ci n'est
pas tout à fait oublié. Le 28 mars, Bob Bowman produit un article dans sa série «Canada's
Story» ayant comme titre «Bloody Riots in Quebec City»26 et qui fait ·un parallèle avec les
«draft dodgers» du Vietnam. Il y d’ailleurs quelques autres textes concernant l’Émeute
produits par ce journal dans sa série habituelle de reproduction d'articles d'il y a 1 OO, 50 et
5 ans. De même, l'Action (anciennement l’Action Catholique) a un long article sur l'émeute
le 29 mars 1968 intitulé « L’émeute de la conscription ébranla la vieille capitale ».27 Un
article identique (du même auteur), mais sous un titre différent, apparait également dans Le
Soleil à la même date.28 Ainsi, nous constatons par ces quelques exemples la persistance
d’une mémoire timide de l’événement tant à l’intérieur du monde politique que
24 Ibid. 25 Bibliothèque du Parlement, Ressources parlementaires historiques canadiennes,
http://parl.canadiana.ca/?usrlang=fr, page consultée le 30 septembre 2015. 26 Bob Bowman, « Bloody Riots in Quebec City », Quebec Chronicle-Telegraph, (28 mars 1968), p. 4, ainsi
que « Consciption Riots Caused by Accidental Provocation », Quebec Chronicle-Telegraph, (30 mars 1968),
p.7. 27 Carman Cumming, « L’émeute de la conscription ébranla la vieille capitale », L’Action, (29 mars 1968), p.
5. 28 Carman Cumming, « Québec était au prise avec des émeutes il y a cinquante ans », Le Soleil, (29 mars
1968), p.19.
66
journalistique. Il est toutefois nécessaire de relever les usages partisans ou parallèles de ces
mentions sporadiques.
Donc, à partir de 1971, Provencher participe à la réminiscence de l’événement avec
son livre Québec sous la loi des mesures de guerre, 1918. Du 11 octobre au 11 novembre
1973, la pièce de théâtre de Paul Hébert, calquée sur l’œuvre de Provencher, permet un
développement explicite de l’usage culturel de l’événement. Cette pièce de théâtre est la
pièce la plus vue en 1973-1974. Comme le mentionne Chris Young, des journaux locaux
comme Le Soleil ont acclamé le travail de l’historien derrière la scène. Son travail proposait
encore à ce moment de rendre justice à la mémoire des quatre victimes.29 Il est intéressant
de souligner la remarque de ce quotidien la journée suivant l’ouverture de la pièce. Il
suggérait une narration d’entrée de jeu afin de situer les personnages des victimes dans leur
contexte historique. Cela laisse entendre que cette histoire était belle et bien méconnue par
la majorité de l’assistance de la première joute. Déjà en 1973, la faute de cette
méconnaissance générale était attribuée aux faibles descriptions de l’événement dans les
livres scolaires.30 La pièce a été reprise en 1996 pour le soulignement des 25 ans du théâtre
du Trident. Quelques autres publications en ont été faites depuis. La plupart du temps, ce
sont des extraits de documentaires portant sur un enjeu beaucoup plus large que
l’événement au singulier.31 Quelques exceptions font toutefois surface. En 1975, quelques
années après la sortie de la pièce de théâtre, Radio-Canada fait une télésérie qui remporte le
prix du meilleur documentaire dramatique des deux réseaux, anglais et français.32 Enfin,
une plaque commémorative fut placée en 1978 sur l’édifice de la CSN sur le boulevard
Charest. Cette plaque, qui commémorait le 60e de l’événement, soulignait également les
29 « Québec, printemps 1918 », Le Soleil, (29 septembre 1973), p. 37-48 et « Ce soir débute au Trident la
réhabilitation des victimes de 1918 », Le Soleil, (11 octobre, 1973), p. 52. 30 Ibid. 31Ces documentaires télévisuels sont surtout ceux de Richard Boutet, La guerre oubliée, Montréal, Production
Vent d’est, 1987, celui de Jean Roy, Les 30 jours qui ont faits le Québec, Montréal, Eureka Production, 2000,
celui de CBC/Radio-Canada, Canada : A People’s History/Canada : Une histoire populaire, 2000-2001, ou
alors celui de Hubert Gendron et Gordon Henderson, Une promesse non tenue : Le Canada, une histoire
populaire de la confédération à nos jours, Montréal, Société Radio-Canada, 2001. 32Pierre Asselin, « Jean Provencher, explorateur de la mémoire », Le Soleil, (27 novembre 2011),
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/le-laureat/201111/26/01-4471987-jean-provencher-historien-
explorateur-de-la-memoire.php, page consultée le 1er février 2013.
67
noms « des citoyens à qui jamais justice ne sera rendue.»33 Il est inscrit que « Près d’ici,
quatre citoyens innocents ont trouvé la mort le 1er avril 1918 […] Les Québécois n’oublient
pas. 1er juillet 1978.»34 Ces divers usages publics de l’Émeute de Québec forment en
somme la structure référentielle de l’événement.
C’est pourtant en 1998 avec l’inauguration de l’œuvre d’art d’Aline Martineau, Québec,
Printemps 1918, que la réminiscence de ce passé se matérialise. La mémoire se concrétise
en un lieu. Le monument s’établit comme le nouveau fondement de la structure référentielle
à la mémoire de l’Émeute de Québec. Il matérialise le désir de rupture avec la longue
séquence de rejet du passé que les générations précédentes ont entretenue vis-à-vis
l’événement. Il symbolise également le refoulement, maintenant assumé, du traumatisme
vécu et oublié par les générations passées.35 C’est donc toute une version de la mémoire,
comme dirait Patrice Groulx, qui est réunie dans cette œuvre. La commémoration en elle-
même et le travail de l’historien36 y sont intégrés. À eux deux, ils pavent la voie de la
mémoire que doit prendre celle des communautés et des groupes de la ville. Young affirme
pourtant explicitement que la mémoire entière des Quebecers y est construite à partir de la
version de Provencher. Elle serait constituée de manière à dénoncer les actions de l’Autre.
Est-ce bien le cas ? L’affirmation de Young demande à être nuancée au regard de nouvelles
preuves au dossier. En effet, il nous apparaît qu’il en est effectivement question concernant
certains groupes, mais pour d’autres, l’indifférence prédomine. À la suite d’entrevues semi-
dirigées, nous avons élaboré une analyse de l’interprétation de ces groupes en rapport avec
la mémoire de l’événement et de la construction qu’il en est fait.
33 Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec, Dossier Comité Québec printemps 1918,
Doc281114-28112014130257, p. 7 de 10, consultées de février 2014 à novembre 2014. 34 Op. cit., p. 7 de 10. 35 « La grandeur d’un pays s’évalue aussi à la capacité d’un peuple d’assumer les revers de son destin,
d’intégrer les crises qui en jalonnent l’histoire, de les commémorer pour l’édification de ses enfants. Les
événements survenus au printemps 1918 font partis de ces revers de l’histoire qui grandissent un peuple. Ils
méritent d’être rappelés aux générations actuelles ». Dossier Comité Québec printemps 1918, Doc281114-
28112014130257, p. 5 de 10. 36 Le texte commémoratif qui est inscrit sur la Place Québec, printemps 1918 provient de la plume d’un
comité auquel était intégré Jean Provencher de manière sporadique. Par contre, avant même la création du
monument, le comité Québec Printemps 1918 avait annoncé son intention de rupture avec le silence
commémoratif à l’égard de cet événement.
68
2.2 L’interprétation dans l’immédiat
Avant de poursuivre avec des données qualitatives relevées directement sur le
terrain, il est essentiel de reconduire l’attention du lecteur sur l’anticipation et les
considérations de la mémoire de l’événement dans le passé. Nous avons vu précédemment
comment les divers médias écrits percevaient l’événement en temps présent et comment
certains d’entre eux proposaient la nécessité du souvenir ou de l’oubli. Durant les semaines
d’avril 1918 qui suivirent l’Émeute, l’événement était chaudement discuté au Parlement à
Ottawa.37 Le calme régnait désormais à Québec, mais les effets politiques du conflit étaient
toujours considérables. Des membres de la Chambre des communes spéculaient sur la
manière dont il serait perçu dans le futur. Comparativement à celui de la Première Guerre
mondiale, l’Émeute de Québec était un événement mineur. Il était alors prévisible que les
gens cessent de se préoccuper du chaos à Québec lorsque la guerre sur le front battait son
plein. Néanmoins, un énoncé spécifique retient notre attention. Déjà en avril 1918, le
député de Lotbinière, Thomas Vien, évoquait la possible différenciation des mémoires
selon les groupes. Il affirmait ceci:
For the outsider the incident will have only an historic importance. Many will come to
Quebec to visit the spot where it occurred, to see the places where the machine guns were laid
on the mob and to see the streets where the men fell. But we Quebecers who live there shall
constantly have a remembrance of the disgrace that took place last week.38
Cet énoncé est explicite. Selon toute vraisemblance, le député de Lotbinière anticipait que
la mémoire issue du vécu de cet événement se transmettent parmi les générations à venir. Il
aurait été alors incompréhensible que les processus de transmission de la mémoire se
brisent dans le futur étant donné l’importance du traumatisme. Pourtant, les générations
suivantes de Québécois ont choisi le refoulement elles aussi. De plus, cet incident fut
relativement oublié avant 1970 autant au Québec que dans le reste du Canada.39
37 Rumilly, op. cit. p. 63-82. 38 Young, op. cit. p. 59. 39 Quelques auteurs ont écrit sur le sujet du Québec et la conscription, abordant par le fait même l’événement
de l’émeute. À titre d’exemple, Mason Wade, Robert Rumilly et Elizabeth Armstrong en font mention dans le
cadre de leurs études générales : Mason Wade, Les Canadiens français de 1760 à nos jours. Tome II : 1911-
1963, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1963, ou alors, Robert Rumilly, Histoire de la province de
Québec. 2e édition, Volume XXIII : L’Armistice, Montréal, Édition Boréal, 1971 (1951), et Elizabeth H.
Armstrong, Le Québec et la Crise de la conscription. Montréal, VLB, 1998 (1937) Dans le cas de
69
L’affirmation de T. Vien agit telle une borne, un guide de la pensée, de l’évolution de la
mémoire de l’Émeute de Québec. Certains auteurs la citent dans leurs travaux - c’est le cas
de Rumilly et Young- et la plupart acquiescent de la validité actuelle de l’énoncé en leur
temps présent. Au sujet de ce même énoncé, Young renchérit comme suit:
For those who came from beyond Quebec, the memory of the riots would be elicited by
visiting the site which would produce an artificial and temporary remembrance. Conversely, for
Quebecers who lived through the riots and continued to live with its legacy, the memory would
be visceral and permanent.40
Ces énoncés devraient être largement nuancés puisqu’ils ne sont plus d’actualité.
Les Québécois n’ont pas une mémoire viscérale et permanente de l’événement. Il existe bel
et bien un lieu qui produit un souvenir temporaire et artificiel. Il s’agit de la Place Québec,
printemps 1918 où se trouve le monument du même nom. Contrairement à ce que croyaient
T. Vien et C. Young, il serait surprenant que ce monument accomplisse la lourde tâche de
diffuser le même et unique scion de la mémoire collective chez tous les Quebecers. En fait,
il peine à le faire avec les groupes et communautés de la seule ville de Québec.
Depuis son inauguration en 1998, mais surtout depuis le 90e anniversaire de l’événement en
2008, des lectures et des discours commémoratifs y sont faits presque chaque année. Cet
usage public de l’événement est plus ou moins populaire et ne rassemble pas l’opinion
générale des communautés de la ville. Certes, ce site a un objectif désiré de reconstitution
de la mémoire, mais il est difficile de prétendre que ce tracé soit unanime. Il n’est pas rare
que des groupes à intérêts variés s’approprient l’événement. Ils agencent parfois le passé à
des messages présents.41 Par exemple, une marche contre la monarchie constitutionnelle fût
l’historienne américaine, ses productions ont paru principalement à Toronto avant de voir le jour au Québec.
Quelques mentions sont également présentes dans des revues scientifiques comme le Canadian Historical
Review, le Magazine Maclean ou Le nouveau journal. 40 Young, op. cit. p. 59. 41À titre d’exemple, Young évoque les revendications du groupe NEFAC (La fédération des communistes
libertaires du Nord-Est). « […] C'est pourquoi nous marcherons le 28 mars prochain (2008) pour
commémorer le 90e anniversaire des émeutes contre la conscription et pour manifester notre opposition à la
guerre en Afghanistan.» Selon Young « The rally had a triple function: to evoke the riots, to protest the
Canadian government's involvement in the Afghanistan war, and to provide a counter-commemoration to the
official remembrance of Quebec's 400th anniversary. » Young, op. cit. p. 113. De plus, entre 2008 et 2014, la
Société Saint-Jean-Baptiste de Québec a perpétué une modeste commémoration annuelle avec le dépôt d'une
gerbe de fleurs dans le quartier Saint-Sauveur. Face au monument Québec-Printemps 1918, il y a environ une
vingtaine de citoyens qui observent aussi une minute de silence après avoir écouté le récit du drame. Le Soleil
du 28 mars 2010 écrit que «la commémoration visait aussi à mettre en valeur le monument Québec-Printemps
1918, méconnu des citoyens.» Des groupes de citoyens tels que Médias de la démocratie en action tentent de
70
entreprise en 2008 par l’un de ces organismes, le groupe NEFAC. S’inspirant d’une pensée
de gauche radicale et nationaliste, ce dernier voulait rendre hommage aux victimes et
commémorer l’injustice des violences de l’événement. En effet, le lien qui unit les motifs
de cette commémoration et les événements du passé reste assez ténu. Il importe dans ce cas
de se demander quelle est la mémoire qui s’établit chez les citoyens de Québec.
2.2.1 Les participants42
Nous avons rencontré des individus ayant des professions variables et des milieux
résidentiels distincts. De plus, il s’agit de six individus de différentes communautés,
attachés à des groupes sociaux de toutes sortes. Nous avons abordé l’analyse du
cheminement de leur mémoire respective par thématique.
D’entrée de jeu, il est prioritaire de définir le portrait social du groupe d’individus en
question.43 Ceux et celles qui ont participé n’ont effectivement pas tous la même origine
sociale ni la même relation historique envers l’événement malgré leurs connaissances
respectives. Le portrait social alimentera donc la compréhension du cheminement de la
mémoire, et surtout, de l’interprétation qui en est faite. Ensuite, nous continuerons l’analyse
avec les perceptions du groupe de participants sur les différents blocs de questions
abordées. Les thèmes constituant l’entrevue semi-dirigée se succédaient comme suit : les
sources de l’interprétation, l’interprétation de l’aspect violent de l’événement, la structure
référentielle construite à l’égard de l’événement, et enfin, la constitution de la mémoire en
société jusqu’à nos jours. Nous allons donc analyser les témoignages de ces participants
suivant chacune des questions de nos entretiens dans l’ordre suivant les thèmes. Les
témoignages personnels de chacun des participants ainsi que leur portrait social permettent
par la suite de lier leurs interprétations à des groupes spécifiques. En conséquence,
plusieurs critères d’appartenance à ces groupes seront identifiables dans le façonnement de
leur mémoire respective.
remettre de l’importance à l’événement par le biais de communiqués sur les événements engagés de la
Capital-nationale. 42 Annexe B : Précisions méthodologiques 43 Annexe C : Portrait social
71
Nous avons rencontré cinq hommes et une femme. Ils avaient entre 48 ans et 80 ans.
La majorité d’entre eux n’ont pas d’enfant et quatre personnes sur six sont célibataires.
Essentiellement, tous les participants résident à Québec, en banlieue, ou y travaillent
quotidiennement. Nous avons discuté avec un ancien professeur d’anglais et directeur
retraité chez Industrielle Alliance habitant la Basse-Ville. Il possède maintenant un Couette
et Café sur la rue Dorchester (AA). Aussi, nous avons rencontré un agent de recherche en
science sociale retraité. Il fut également un travailleur au gouvernement fédéral pour les
revendications autochtones. Anciennement de Trois-Rivières, il habite à Québec depuis
1978 (BB). Ensuite, nous avons rencontré deux Québécois anglophones de la communauté
irlandaise de Québec. Leurs familles habitent Québec depuis des générations. Ils sont
respectivement des professeurs de secondaire et de cégep retraités depuis quelques années
et demeurent eux-mêmes dans Montcalm et à Saint-Augustin-de-Desmaures (CC et DD).
Une femme du quartier de Saint-Sauveur en Basse-Ville a également participé au projet
d’entretien sur la mémoire. Elle travaille sur le campus de l’Université Laval depuis 8 ans
(EE). Enfin, un directeur de planification et de soutien de gestion chez Desjardins complète
le groupe de participant. Il demeure quant à lui dans le Vieux-Québec (FF).
Tous ces individus parlent français couramment. Les deux hommes irlandais ont cependant
l’anglais comme langue maternelle et d’usage quotidien. D’ailleurs l’entrevue effectuée
avec l’un d’entre eux est en anglais. Notons que pour alléger la rédaction lors de certaines
différenciations ethniques ou linguistiques, le terme les anglophones sera utilisé dans la
démonstration des propos des deux participants anglophones de la communauté irlandaise
lorsque les témoignages se recoupent. De plus, afin de faciliter la compréhension de
l’analyse, tout en respectant l’anonymat demandé par certains participants, nous
emploierons les pseudonymes suivants : AA, BB, CC, DD, EE et FF.
2.2.2 Les sources de l’interprétation
Lorsqu’on considère l’emprise de l’œuvre de Provencher sur la mémoire collective,
ce dont relate Young, il est étonnant de constater le nombre peu élevé de participants à
72
avoir pris connaissance de son livre. Seulement un d’entre eux a lu le livre en entier.44 Nous
avons constaté à la lumière de nos entretiens que ce sont en fait les liens familiaux qui ont
permis la découverte de cet événement chez la majorité des participants. La plupart de
ceux-ci font mention d’un membre de la famille ayant fleureté avec l’institution de l’armée
ou alors avec l’événement lui-même. Or, les liens familiaux avec l’armée ou les forces de
l’ordre sont omniprésents dans l’échantillon des individus interpelés. Le grand-père de AA
servait dans les forces armées canadiennes durant la Première Guerre mondiale. Le grand-
père de BB était le télégraphiste du Québec Chronicle lors de l’émeute de 1918. L’oncle de
CC a fui le Canada pendant la guerre pour ne pas s’enrôler dans « les forces
impérialistes ».45 Il mentionnait au passage que les Canadiens français n’étaient pas les
seuls à s’enfuir.46 Plusieurs Irlandais ont également pris la fuite. Ensuite, le grand-père de
DD était policier dans la Police provinciale. Il explique que « […] c’est un événement qui a
concerné l’armée, mais les policiers étaient tous, tout de même, aux aguets.»47 EE nous
explique, quant à elle, son intérêt pour l’événement par le biais de son père, son oncle et
d’un ancien copain : « Je m’étais intéressée à ça puisque durant la Deuxième Guerre
mondiale mon père avait triché pour ne pas être conscrit et un de mes oncles me racontait
des histoires et des légendes de personnes qui se cachaient dans les montagnes du cartier de
Portneuf pour ne pas aller au combat. Mon intérêt est devenu encore plus grand lorsque la
statue a été érigée au coin de St-Vallier et St-Joseph. Je me rappelle très bien de cela.
J’étais avec un copain qui a grandi juste à côté du coin de rue.»48 Ainsi, nous remarquons
44 Un deuxième participant connaissait le livre de Provencher même s’il ne l’avait pas lu. Il connaissait
l’auteur lui-même. Malgré la différence d’âge considérable entre BB et Jean Provencher, cette relation peut
être surprenante. Cependant, les deux familles étaient en fait voisines à Trois-Rivières pendant un certain
nombre d’années. De plus il faut mentionner cette partie du témoignage où l’on comprend la proximité du
participant avec l’auteur : « Cet événement là je ne l’ai pas trop approfondis, mais probablement que si
demain matin je décidais de me pencher la dessus, j’irais dans une librairie acheter un livre de Jean
Provencher. Puisque je me souviens qu’à l’époque, il avait fait un travail la dessus et j’ai toujours respecté le
travail de Jean Provencher comme historien. Quand je suis arrivé à Québec, il faisait ces livres sur les Quatre
Saisons et cela a été un succès important et je l’ai vu à plusieurs reprises comme invité de différentes
émissions. En autre parce qu’il est un expert sur Elvis Presley ! Jean a toujours été la bolée de la famille.»
Témoignage de BB. 45 Entretien avec CC: « He took great offence at any effort of abduct him towards what he saw that was the
crown forces. So he eventually left Canada and he went to the United-States. He made his life there and when
I visited him in Chicago he talk to me about that. » 46 Op. cit.: « He told me that he had gone into the woods, you know, with other men that were in the same
mind set as him, French Canadian mostly and Irishmen, and eventually they made their way to the States. » 47 Entretien avec DD le 19 avril 2014 48 Entretien avec EE le 20 août 2014.
73
l’importance du lien familial dans l’interprétation individuelle de l’événement. Selon
l’échantillon, les connaissances de base des participants semblent avoir été acquises par le
lien familial plus que par un seul et unique livre. Ceux-ci ont donc reçu une version de
l’histoire transmise de manière orale qu’ils ont complétée, ou non, avec des recherches
personnelles.
Pourtant, lorsque nous leur avons posé la question suivante: Quand est-ce que vous avez
entendu parler de l’Émeute de Québec de 1918 pour la première fois, les réponses furent
mitigées. Autant les anglophones que les francophones sont divisés dans la recherche de
leur premier souvenir de l’événement. Deux personnes uniquement - un français et un
anglais- affirment avoir reçu l’information première directement d’un membre de la
famille. Dans le premier cas, le père de CC lui expliquait l’événement du carré D’Youville,
de la destruction du Bureau du Registraire de Québec en 1918 – le Capitole- et du saccage
du Quebec Morning Chronicle. Il habitait alors sur Maple Avenue à seulement un mile du
théâtre de l’événement. Il mentionne:
I remember him (le père) talking about it in terms of the French attacking the Quebec
Chronicle’s offices and that would be what I heard about the incident as a child […] when I
was a child I didn’t know about the loss of life and the machine gun event and the soldiers
coming in from Ontario. I wasn’t aware of that. I was only aware of the event when the
Chronicle was sacked and burned. 49
Il est intéressant de constater que l’événement le plus marquant pour le père en question
n’était pas nécessairement les victimes du 1er avril en Basse-Ville, mais bien le saccage du
29 mars du quotidien anglophone le Quebec Morning Chronicle. Également, aucune
mention n’est faite sur le saccage de son homologue francophone l’Événement. Nous
constatons d’emblée que la transmission orale de l’événement ne reste que partielle. Elle
tend même à être ciblée à quelques événements spécifiques selon l’interprétation.
Le deuxième cas est tout aussi intéressant. Le grand-père du participant était un
francophone bilingue et télégraphiste du Québec Morning Chronicle en poste le jour même
du 29 mars 1918 lors du saccage des bureaux du quotidien anglophone. C’est avec passion
que BB nous a relaté sa version :
49 Entretien fait avec CC le 19 avril 2014.
74
Mon grand-père avait environ dans la vingtaine. Ça se passait au Quebec Chronicle. Il
nous avait raconté avec une certaine anxiété les événements comme il les avait vécus. Il était
télégraphiste au 2e étage sur la rue du trésor. Il était à l’intérieur avec le directeur, M. Penny,
lors de l’Émeute. Il disait qu’il avait eu vent d’un certain attroupement qui se dirigeait vers les
locaux du journal et ils (son grand-père et M. Penny) avait dû fuir les lieux. Ma grand-mère qui
venait toujours renforcer un peu son récit expliquait que ça les avait inquiétés. Eugène m’a dit :
« […] c’était la première fois que je voyais le diable dans les yeux des gens. Il y en a un qui
m’a regardé et qui a dit : ‘C’est lui le criss d’anglais en haut’.» Il avait donc été perçu comme
un anglais. Probablement parce qu’il travaillait dans un journal anglophone. En fait, mon grand-
père était Canadien français, mais bilingue. 50
Arthur Penny, directeur du Quebec Chronicle dont il est question dans le témoignage de
BB, a écrit une autobiographie où l’auteur valide cette version de l’événement.51 Le grand-
père en question a donc transmis sa version de l’histoire de l’événement à son fils et à son
petit-fils qui vraisemblablement la possède encore entièrement à ce jour. Or, l’attaque du
bureau du quotidien anglophone fut également la première chose que BB a entendue de
l’Émeute de Québec. Le processus de transmission partielle du souvenir ne se concentre
donc pas uniquement chez les anglophones. Cette version est cependant atypique pour
l’historien puisque BB exprime une perception historique teintée de celle de l’anglophone
de l’époque. Son grand-père se situait dans le groupe minoritaire des Canadiens français de
la ville ne travaillant pas dans le domaine du travail industriel. Il fait également mention de
la perspective du francophone attaqué par d’autres francophones. Le grand-père
francophone de BB fut attaqué par une masse de francophones sur la rue du Trésor le 29
mars 1918. Cela montre en quelque sorte que le symbole social que représentait
l’institution attaquée primait sur le lien ethnico-linguistique qui unissait la foule
responsable de la violence. Cela établit une sorte de subtilité nouvelle dans l’étude des
relations sociales à l’intérieur de cet événement. Ce n’est pourtant pas le genre de donnée
qui s’inscrit dans les écrits académiques ou alors dans les documentaires télévisuels
décriant une dualité culturelle des peuples de l’époque. Nous n’en ferons toutefois pas ici le
sujet de notre propos. Notons simplement que ces deux témoignages reflètent une
transmission partielle de l’événement lorsque tirés oralement d’un lien familial.
De plus, malgré le fait anglophone de ces deux témoignages, nous ne pouvons prétendre à
une corrélation entre le groupe ethnique et le désintérêt à la mémoire de l’événement. C’est
50 Entretien fait avec BB le 6 avril 2014. 51 Penny, op. cit. p. 201-213.
75
à travers les livres d’écoles ou alors par le biais de lectures personnelles que le reste du
groupe a appris l’événement pour la première fois. De manière assez éloquente, l’analyse
de Young sur les manuels scolaires d’histoire au Québec se reflète dans l’enquête menée
chez nos participants. Les deux individus ayant appris l’événement dans les livres d’école
sont les deux plus jeunes. Âgés de 48 et 51 ans, leurs premiers cours d’histoire auraient
alors eu lieu dans les années 1970. Ils ont tous les deux mentionné avoir reçu ne serait-ce
qu’une brève information sur l’événement dans leurs cours.52 D’autant plus que le
participant le plus âgé (80 ans) affirme quant à lui qu’il apprenait avec l’histoire sainte.53 Il
faut mentionner au passage qu’il s’agit d’un individu ayant plus de 25 ans d’études
effectuées durant les décennies 40, 50 et 60.54 Il a donc traversé une longue période sans
jamais vraiment avoir eu accès à cette connaissance. Ce témoignage vient encore une fois
corroborer l’étude de Young.
Nous avons ensuite demandé aux participants: Quelle est l’interprétation des
événements que vous faites ou quelle est celle que la ville de Québec en fait ? Les réponses
à cette question sont plus variées. L’interprétation des événements implique nécessairement
une connaissance de base. Dans les cas présents, la majorité de ces connaissances se sont
développées par le lien familial. L’interprétation de la famille déteinte alors, ne serait-ce
qu’un minimum, sur les perceptions individuelles.55 Toutefois, la majorité des participants
interprète et perçoit l’événement davantage selon leurs perceptions du contexte de l’époque.
Des affirmations telles que : « Une bataille d’anglais et de français », « une non-
identification à la mère patrie anglaise », « in Quebec City, it is ‘les Anglais pis nous
autres’! », «l’armée anglophone a ouvert le feu sur des civils qui manifestaient », « another
52 Entretien avec FF le 4 septembre 2014. «Bien c’est en fait dans mes cours d’histoire du secondaire. On
avait passé ça un peu en clin d’œil et c’était aussi pour capter l’attention des étudiants de la région de Québec
enfin de compte […] Encore là, je ne me rappelle pas qu’il y avait deux chapitres là-dessus non plus! C’était
peut-être quelques lignes tout au plus ». 53 Entretien avec AA le 28 mars 2014. « Le bagage que j’ai (sur les émeutes) me vient par les écrits que j’ai
lus, les vidéos que j’ai vus plus que par l’enseignement d’un professeur. Toute la période la guerre, quand ils
nous en parlaient ils l’expliquaient en moins d’une heure et avec très peu d’informations ». 54 Entretien avec AA. « Je croyais que c’était important de le transmettre puisque je me demandais qui a
intérêt à ce que les gens ne sachent pas ça! Ceux qui nous enseignaient étaient les religieux. Ils ne pouvaient
pas nous enseigner ce qu’il ne savait pas eu non plus ». 55 Le cas de BB est significatif à cet égard : « J’en parle rarement avec les gens de Québec parce que j’ai
toujours l’impression que les gens ici ne connaissent pas beaucoup cette période de leur histoire ou sont alors
peu intéressés. C’est donc pas mal resté au niveau familial. Ce n’est pas quelque chose que l’on se vantait
nécessairement. Surtout pour lui (son grand-père) qui a vécu l’expérience durement ».
76
example of two different mentalities» ont été mentionné dans le cadre des entrevues. En
ceci, la dualité entre deux peuples distincts est constamment mise en évidence, et ce, dans
la totalité des témoignages. Le conflit est entièrement perçu comme un affrontement entre
deux entités, peu importe le fondement de celles-ci. Ces entités sont parfois les cultures, les
histoires, les langues ou même les territoires. Selon les participants, il est également
question d’un conflit entre entités politiques soit Ottawa et Québec. En général,
l’événement est perçu comme un conflit ethnolinguistique entre des collectivités tant sur la
territorialité nationale que municipale. Nous observons par ailleurs qu’il s’y trouvait un
reflet de la situation économique et sociale spécifique de l’époque. Ces interprétations sont
en effet toutes très personnelles, mais elles reflètent tout de même une tangente de la
mémoire. La dualité entre deux peuples distincts est prépondérante encore à ce jour dans les
interprétations de l’Émeute de Québec.
Dans un autre ordre d’idée, nous constatons des nuances dans le propos des participants
lorsqu’ils interprètent l’événement selon qu’ils soient francophones ou anglophones. Par
exemple, chez les francophones, la perception est telle que : « Il aura fallu faire venir deux
mille (Anglais) étrangers à notre mentalité, à notre culture. […] Ils ont tiré dans une foule
qui ne s’y attendait pas. Ils leur ont parlé en anglais et ils ne comprenaient pas. Imaginez-
vous que 80% de la population était analphabète. Alors en 1918 ils n’étaient pas vraiment
éduqués et personne ne comprenait les avis et les articles de journaux. »56 Évidemment, la
faute est mise sur l’Autre57 par ce participant, et ce, sans équivoque. Ensuite, BB répond
comme suit : « C’est un événement qui s’explique. Il y avait cette espèce d’affirmation
canadienne-française par rapport aux Anglo-canadiens. C’était comme un déclencheur qui
56 Entretien avec AA. 57 Cet « Autre » varie considérablement d’un récit à l’autre, mais dans chacun des cas il réfère à un bouc
émissaire qui n’est pas le pauvre petit citoyen de la ville de Québec. Il peut s’agir des élites fédérales, des
agents fédéraux, des politiques du Parti Conservateur du Canada, de la presse étrangère, bref, tout ce qui est
d’origine anglaise ou alors de l’extérieur de la ville. Nous comprendrons alors que les participants
francophones ne savaient pas, pour la plupart, que des anglo-irlandais ont figuré parmi ceux qui manifestaient
une opposition à la conscription de l’époque. Il n’a pas été mentionné une seule fois non plus dans les
témoignages l’appui farouche d’un quotidien francophone, et de surcroit, d’une partie indéterminée de citoyen
francophone envers la conscription. Peu d’entre eux savaient que des officiers francophones (Général Lessard
entres autres) ont donné les ordres durant l’entièreté de la période où les soldats anglophones prenaient
position dans les rues de la ville. Il y a alors une tendance à interpréter l’événement trop rapidement chez les
citoyens francophones de la ville de Québec. Il s’agit d’un événement situé dans un contexte socio-politique
que l’on peine à définir correctement tout en attribuant la faute de manière arbitraire.
77
venait confirmer que chez les Canadiens français de l’époque, il y avait quelque chose de
différent des Canadiens anglais de l’Ontario et du reste du Canada.»58 FF explique quant lui
qu’« Au Québec nous n’enrôlions pas puisque cette guerre ne nous touchait pas. Les
Canadiens anglais venaient pour la plupart d’Europe ou alors ils avaient des membres de
famille directe toujours sur place. Il y avait forcément un sentiment d’appartenance à la
mère patrie comme l’Angleterre ou la Pologne, etc.»59 Ces affirmations sont directes. Les
participants expriment une incompréhension de la pression mise sur le Canadien français à
se soumettre aux obligations de la conscription. Elles mettent en évidence un certain doute
sur la compréhension des élites politiques et militaires de la différence culturelle existant à
l’époque. Des manques de communication et de jugement des autorités fédérales seraient
donc une cause de l’évolution de l’événement selon les francophones.
Du côté anglophone, ce n’est pas la communication, mais plutôt le jugement qui serait
fautif. Les participants comprennent et reconnaissent les erreurs, mais la transmission
linguistique ne serait pas plus en faute que les décisions prisent par les autorités dans la
manière d’appliquer la loi. DD définit cette époque comme suit : « Il y avait moins de
subtilités dans la répression […] Je pense que c’est une erreur de calcul parce que quand on
est devant des soldats, ça prend juste un commandement pour que la situation vire mal.»60
Son homologue anglophone poursuit en affirmant « I would say when I look at this incident
I suppose it is like a ‘flash in the pan’, a surprising event, something that particular
combination of circumstances precipitated. »61 Ainsi, selon eux, ils y auraient eu des
erreurs de parcours de part et d’autre expliquant l’ampleur de l’événement qu’on reconnait
aujourd’hui. De plus, les représentants de la communauté irlandaise de Québec expriment
qu’il s’agit bel et bien d’un événement important pour la ville. Toutefois, près de cent ans
plus tard, ils le définissent comme un événement mineur, une extrapolation conjoncturelle.
58 Entretien avec BB. 59 Entretien avec FF. 60 Entretien avec DD. 61 Entretien avec CC.
78
Il est remarquable également de constater le faible taux de réponses à la question sur
l’interprétation de la société vis-à-vis l’événement. Seulement trois participants sur six - un
anglophone et deux francophones- ont exprimé une opinion à cet égard. DD mentionne :
Je n’en vois pas beaucoup d’interprétation dans la ville de Québec. Il y a des
cérémonies commémoratives de temps en temps, mais ces commémorations sont souvent
l’œuvre de membres de groupuscules […] Dans mon entourage, c’est certain que plus jeune
mon père avait connaissance de ces événements-là. Cela n’a jamais vraiment fait partie de
grosses discussions, mais ce sont des choses qui sont arrivées à Québec. Alors inévitablement,
quand il y a des décès, on en entend parler. Ce n’était pas perçu comme un élément d’actualité
pour lui.62
Ce dernier relève le manque d’actions de la ville. Il estime que cela va de soi puisque c’est
un événement qui sombre dans l’oubli étant donné son vieil âge (96 ans). Il estime
également que son importance historique relève de quelques groupes spécifiques isolés. De
manière semblable, FF exprime son opinion sur l’interprétation de la ville envers
l’événement. Il s’exprime ainsi : « J’ai l’impression que la société tend à banaliser ça. On
banalise le fait que notre armée a ouvert le feu sur des citoyens en fin de compte. On ne
veut pas se rappeler de ça sous prétexte que c’est dans le passé et ça fait longtemps. Aussi,
je dirais que tout dépendamment de nos allégeances, c’est ce qui fait que nous voulons nous
en rappeler ou non.»63 La banalisation de l’événement est pour ce participant l’élément
principal de l’interprétation de la société. Cette opinion est confirmée par BB qui nous
explique qu’il en parle rarement avec les gens de Québec parce qu’il a toujours
l’impression que les gens ne connaissent pas beaucoup cette période de leur histoire. Les
citoyens de Québec sont peu intéressés selon lui. Ces participants considèrent que la ville
manque à son devoir d’entretenir le souvenir de l’événement dans la société québécoise.
Encore une fois, cette faible représentation est perçue comme décevante par le francophone,
alors que les anglophones en sont plutôt indifférents.
Selon ces premiers témoignages, nous remarquons que l’interprétation immédiate de
l’événement est façonnée davantage par des connaissances personnelles et individuelles que
par celles projetées dans la société québécoise. L’interprétation globale varie également
selon la classification ethnico-linguistique. D’une perspective anglophone irlandaise,
62 Entretien avec DD. 63 Entretien avec FF.
79
l’événement tend à être interprété de manière comparative.64 Ces derniers ont une tendance
à nuancer l’importance de l’événement et son interprétation par rapport à d’autres
événements historiques qui les touche. Du côté francophone, les participants jugent que cet
événement doit être interprété sous la dualité ethnique simpliste de la violence entre
Canadiens français et Canadiens anglais. Aucune mention n’est élaborée quant à la
présence, pourtant considérable, de groupes ethniques et culturels variés dans le conflit.
Fondamentalement, la différence identitaire est l’élément d’interprétation principal sur
lequel ils construisent leurs perceptions de ce passé. Cette nuance identitaire se dégageait
surtout dans l’attitude de chaque parti devant l’obligation morale du devoir citoyen.
2.2.3 L’interprétation de la violence
Nous venons de souligner quelques éléments spécifiques à l’intérieur desquelles les
individus puisent leurs connaissances respectives concernant l’Émeute de Québec. Elles
sont bien définies dans chacun des témoignages. Nous relevons également une sorte
d’ambiguïté vis-à-vis de l’interprétation sociale de l’événement en question. Une
observation est évidente toutefois. L’interprétation de l’événement, quelle qu’elle soit,
intègre une reconnaissance d’un traumatisme vécu à travers l’espace d’expérience. Chacun
des participants évoque la regrettable violence utilisée de part et d’autre par les entités en
conflit. Parfois, cette violence est mise en lumière. À d’autres moments, elle est nuancée. Il
s’avère approprié de se questionner, comme l’a fait FF dans notre entretien du 4 septembre
2014, par rapport à la latitude de la coopération avec l’autorité en période de guerre.65
L’utilisation de la violence étatique envers ses propres citoyens est-elle légitime dans un
contexte de guerre totale? Nous nous sommes questionnés sur ce propos afin de
comprendre quel(s) sont le(s) élément(s) violents dans les souvenirs des groupes et
communautés encore aujourd’hui. Nous nous demandions également quelle était la place de
cette violence dans l’éventail de la mémoire de l’événement.
64 Cette démonstration est clairement exprimée dans le témoignage de CC lorsqu’il mentionne: « […] if that’s
what had happened in Ireland, there would have been repetitive repercussions, where here, there was none!
In Ireland there was an underground organisation set up to capitalize on that kind of popular confrontations
using force, here there was none. Some Québécois might think that there is a tradition of resistance here in
Quebec but that is not the case really if you compare to the Irish situation. » 65 Entretien avec FF.
80
La mémoire de l’Émeute de Québec est principalement constituée selon une
perspective de la violence. Elle est en soi l’élément principal du motif du souvenir. Sans
elle, le même événement ne tient pas la même importance puisqu’il perd sa constituante
fondamentale dans la mémoire. À l’intérieur du cadre chronologique de la Crise de la
conscription, plusieurs manifestations violentes ont éclaté. Certaines étaient plus
spontanées que d’autres. Toutefois, aucune autre n’a fait de la violence répressive une
meurtrière aussi intense. Comment alors pouvons-nous considérer la part de la violence
dans la mémoire collective des communautés de la ville? En premier lieu, il est nécessaire
de convenir de la réalité de cette violence pour chacun des individus interpellés. Ensuite,
nous devrons définir et ensuite définir celle-ci. Les questions suivantes entamaient le bloc
sur la violence de l’événement : Comment peut-on définir un événement comme
étant violent? suivi par, En quoi cet événement - l’Émeute de Québec) pourrait-il être
qualifié de violent? Lorsque questionnés sur la définition de la violence d’un événement,
les participants étaient unanimes.
La violence est d’abord et avant tout définie universellement comme l’abus physique d’une
personne. Certains nous expliquaient également que les cris et les mots sont tout autant une
sorte de violence.66 Elle se reflète principalement dans une conjoncture d’actions
malfaisantes à l’égard d’une personne commises par une autre. Cet énoncé résume assez
bien l’entièreté de la description de la violence physique et psychologique que les
participants en ont faite. Les opinions sur la violence d’un événement en général
convergent également dans la même direction. Il est question «de destruction physique»,
«d’agression», «d’attaque» ou «de morts». De plus, outre les aspects physiques et
psychologiques de la violence, la définition la plus récurrente des différents témoignages
met en évidence le dommage matériel. CC et FF parlent explicitement de ce type de
violence. Ils soulignent des moments précis de l’événement qui interpellent ce type de
violence : « I suppose is violence also the destruction of property […] To sack the offices of
66 En fait, un seul participant prétend que la violence non-physique ne constitue pas de la violence sous un
même degré. Entretien avec DD. « Mon critère principal c’est lorsqu’il y a des blessures ou des morts. La
violence verbale pour moi ce n’est pas autant de la violence. Vous savez des noms on m’en a beaucoup crié
dans mon existence et ça ne m’a pas vraiment dérangé. Ça fait partie de la ‘game’ ! »
81
the Chronicle, I consider that as violence »67 affirme le premier, tandis que le second
mentionne que « la violence d’un événement se concrétise aussi sous un aspect de
dommage aux propriétés, au matériel. De manière semblable, la violence matérielle
s’observait récemment avec le saccage de l’hôtel de ville de Montréal. Il y a eu à travers ces
manifestations similaires des dommages matériels qui ont duré plusieurs jours. »68 Ainsi,
peu importe la définition de la violence chez les participants, chacun des moments
conflictuels69 à l’intérieur de l’événement a été explicitement caractérisé ou alors
implicitement perçu comme violents. Cette notion de violence demeure donc belle et bien
réelle dans l’interprétation des individus dans le présent.
Ensuite, lorsqu’on demande, en quoi cet événement spécifique fut violent, les participants
sont conséquents avec leurs définitions respectives : « Ah oui! Bien entendu. C’était plus
que violent, ils ont tué du monde »70 affirme AA. Pour BB, « cet événement-là était violent
selon des aspects physiques et verbaux. Un événement à fort potentiel que ça dégénère et
devienne dramatique.»71 Le même verdict est retrouvé chez CC et DD où ils confirment la
véracité de la violence « in particular because of the people that were shut down in the
streets. »72 DD continue ainsi : « avant même les victimes de la Basse-Ville, l’émeute du
Capitole était un événement violent en soi. »73 Les opinions de EE et FF sur leurs
perceptions de la violence de l’événement sont quant à elles beaucoup plus ciblées. EE
mentionne que «la répression de l’armée, par balle, doit être qualifiée de violente. Il
s’agissait d’une violence monumentale, surtout ici à Québec, ce qui n’était pas très
commun à l’époque.»74 FF explique également que « l’événement de 1918 était un
événement violent puisqu’il y a eu des morts et des blessés. L’armée a volontairement
67 Entretien avec CC. 68 Entretien avec FF. 69 Il est question ici d’au moins un moment de violence quotidien sur l’étendue des cinq jours de
manifestations. Les participants (au moins un d’entre eux) ont fait allusion au saccage du poste de police no3
du 28 mars, des violences matérielles des bureaux du Chronicle, de L’Événement et du Bureau du Registraire
(Capitole) du 29 mars, des confrontations avec les soldats dans les rue de Québec durant les 30 et 31 mars, et
bien entendue, ils ont élaboré sur les victimes des confrontations du 1er avril. 70 Entretien avec AA. 71 Entretien avec BB. 72 Entretien avec CC. 73 Entretien avec DD. 74 Entretien avec EE.
82
ouvert le feu sur les citoyens.»75 Ces commentaires peuvent effectivement être analysés de
plusieurs manières dépendamment de la formulation du questionnaire. Peu importe
l’approche interrogative, un aspect de la violence de l’événement est pourtant omniprésent.
La violence de la répression meurtrière, beaucoup plus que celle de l’événement en général,
est abordée de manière significative chez chacun des participants. Les victimes sont en
quelque sorte le point focal de la mémoire chez tous les participants.
Afin de mieux cerner la part de la violence dans la mémoire des communautés, il est
essentiel de connaître l’avis des participants concernant les causes de celle-ci. Quels étaient
les motifs transitifs d’une simple manifestation vers l’événement que nous connaissons
maintenant? Pour AA, la cause est fondamentalement « l’ennemi anglais ».76 Dans le cas
de BB, le contexte socioéconomique était un motif bien établi pour l’escalade de la
violence.77 L’élément de L’Autre est également perceptible dans le témoignage de ce
participant. CC reste assez modeste quant à la causalité du débordement.78 Il propose un
motif plutôt neutre où la faute serait à la fois sur les forces de l’ordre et sur les conscrits
non-inscrits. Il ne décerne donc pas nécessairement le blâme sur une entité en particulier.
Un état propice à l’escalade de l’utilisation de la force était selon lui inévitable. Pour DD et
FF, le contexte politique lui-même impliquait une violence imminente. Le manque de
reconnaissance d’une situation conflictuelle chaudement disputée serait à l’origine de toutes
violences exercées. Ils soutiennent que : « Tout ça a commencé comme un événement
violent. Il y avait un contexte politique tendu et l’émeute au Capitole était déjà en elle-
même un événement violent. Au Québec, il y avait quand même de grandes campagnes
contre l’implication des forces armées soutenant l’Angleterre. Le fait que les soldats étaient
75 Entretien avec FF. 76 Entretien avec AA : « Il a fallu faire venir 2000 étrangers à notre mentalité, à notre culture. Une bataille
d’anglais et de français. Les anglais n’avaient aucun intérêt autre que de soumettre les français. Ils venaient de
l’extérieur avec une mission d’apaiser le monde, mais en les tuant. » 77 Entretien avec BB : « Bien je pense qu’il y a eu une mobilisation entre la majorité des Canadiens français
de la ville de Québec contre l’establishment anglais associé à quelques compagnies ou des banques ou même
les symboles comme le Château Frontenac. Lorsque les Canadiens anglais demandent maintenant aux
Canadiens français de s’enrôler dans une guerre, ils n’étaient pas d’accord avec ça, ils rouspétaient
violement.» 78 Entretien avec CC: « My perception of this violence evolution in this particular event would be men on part
of the government who would come to inform, or arrest I suppose, men who would not join the army and
eventually some of these men’s friends, in a situation where they have been taking away, well enough of them
would try and prevent this taking away. So push could come to shove and more police coming in and one
thing leads to another in an escalating way. »
83
anglophones n’a pas aidé aussi, mais il y avait quand même des officiers francophones.»79
Ou alors : « Je dirais dans un premier temps qu’il n’y a pas eu d’écoute du gouvernement
de l’époque. Il n’y avait pas d’écoute ou alors ils ont choisi sciemment de ne pas écouter. Il
y avait une partie de la population qui ne voulait pas intégrer le projet dans lequel elle était
embarquée malgré elle et elle l’a manifestée violemment. Le gouvernement n’a pas tenu
compte de la réalité du Québec, une réalité qui est différente. »80
Encore ici, les opinions sont variées,81 mais restent toutes aussi conséquentes. Elles
constituent un des points principaux de notre interrogatoire sur le bloc de la violence. Dans
ces réponses se trouve ce que nous recherchions d’un échantillon varié de citoyens de
Québec; une diversité des opinions sur les motifs du débordement. Au moins une référence
envers un motif violent est exprimée dans chaque témoignage. Ainsi, ces témoignages
soulèvent un aspect de la recherche sur l’Émeute de Québec qui n’a jamais été étudié. Il
s’agit de la nature du souvenir de l’événement. Or, les participants sont unanimes envers ce
motif du souvenir. La perception d’un traumatisme général vécu par les citoyens de la ville
de Québec en forme l’assise. Cette analyse incite donc à comprendre la formation d’une
partie de la mémoire collective tenant son fondement dans la violence et le traumatisme.
Ces différentes interprétations des motifs de la violence nous permettent de
comprendre en amont les opinions exprimées à la question suivante : Ces événements sont-
ils d’ordre à imprégner la mémoire? Il s’agit ici de vérifier si, encore aujourd’hui,
l’événement mérite de tenir une place importante dans la mémoire des collectivités de
Québec. Nous voulions comprendre, selon l’élaboration des différents témoignages, quel(s)
élément(s) font en sorte que cet événement est de l’ordre du souvenir ou de l’oubli. De
façon similaire aux autres blocs de questions précédents, nous percevons quelques
distinctions dans les réponses selon des groupes spécifiques. D’emblée, le plus âgé des
participants confirme la nécessité du souvenir. Il affirmait que la société se doit de
79 Entretien avec DD. 80 Entretien avec FF. 81 À noter que EE n’a mentionné aucune réponse à cette question si ce n’est que par le constat de l’ampleur de
la masse grandissante lors des manifestations. « Bien si je me fie à l’événement en question (celui du lundi 1er
avril), je sais qu’il y avait beaucoup de monde. Cela devait être assez impressionnant déjà. Alors j’imagine
que la réponse de la répression pouvait aller en conséquence. »
84
transmettre l’information, mais qu’elle ne le fait pas par crainte de réanimer un passé
conflictuel.82 À son tour, BB explique qu’il s’agit bien évidemment d’un événement
d’ordre à imprégner la mémoire de Québec à condition que cela ne soit pas perdu quelque
part. Il exprime toutefois plusieurs craintes à cet égard puisque « la mémoire est quelque
chose de dynamique, quelque chose qui peut se maintenir comme quelque chose qui peut
s’effacer, s’oublier ».83 En fait, cette « crainte » de l’oubli est observable chez tous les
participants francophones. Ils soulignent tous le paradoxe entre la nécessité théorique du
souvenir et la malheureuse pratique de l’oubli. Les deux individus vivant en Basse-Ville et
en Haute-Ville ne cachent pas leurs opinions à cet effet. EE habite dans le quartier Saint-
Sauveur et témoigne de manière assez surprenante que : « l’oubli est ce qui a
définitivement remporté le combat de la mémoire concernant cet enjeu. Les gens ne s’en
rappellent pas et ils ne sont même pas au courant de l’événement à Québec. Pour avoir
passé par là et pointer le monument à plusieurs personnes, je peux vous confirmer que
personne ne s’en souvient. Quelques-uns d’entre eux habitaient même le quartier, mais la
plupart des gens venait de la grande région de Québec.»84 FF habite quant à lui le Vieux-
Québec. Il croit également que l’oubli est définitivement ce qui domine la constituante de la
mémoire collective des communautés de Québec. Ce qui a mené à l’omniprésence de
l’oubli est selon lui la banalisation outrageuse de l’événement.85 La nécessité du souvenir
est donc clairement observable chez ces participants. Il y a même, chez certains d’entre
eux, une tendance implicite à impliquer la mémoire du Québec en entier.
Cet aspect de l’interprétation n’est toutefois pas partagé de manière homogène
parmi les participants. Encore une fois, la distinction ethnico-linguistique est mise en
82 Entretien avec AA : « Quand tu parles d’événement comme celui-là, les gens politiques nous disent tu
cherches la chicane […] moi j’apprenais l’histoire Sainte et non celle des guerres. On ne nous instruisait pas
de ces choses-là. » 83 Entretien avec BB, « C’est toujours un peu ma crainte, que dans certains événements on est une certain
amnésie un peu involontaire qui fait qu’on oublie certaines choses qui caractérisaient notre société, qui se sont
déroulées et que l’on pouvait les expliquer de telles façons. C’était ça le contexte à l’époque. C’était ça les
enjeux, les protagonistes c’étaient eux autres, ceux qui ne voulaient pas c’étaient eux autres, etc. ». 84 Entretien avec EE. 85 Entretien avec FF : « Ceci est un événement très important qui est banalisé. Il devrait faire partie de
l’histoire du Québec, non pas dans un esprit de vengeance, mais comme un fait historique parmi tant d’autres
qu’il faut tenir en compte. » Il mentionne également que l’événement « a une importance au même titre que
celui des Patriotes selon moi. Il s’est joué quelque chose là et on n’entend pas parlé du tout. Vous savez
surement, mais la beauté ou l’horreur de l’histoire c’est qu’elle est manipulable! »
85
évidence lorsqu’on analyse les opinions sur la nécessité de la mémoire et de l’oubli. Les
deux participants anglophones se sont eux aussi prononcés sur la question. Ils jugent
l’importance du souvenir sous une perspective historique qui leur est propre. L’un d’entre
eux inclut la dualité ethnique comme motif d’importance historique. Selon CC, les
événements sont évidemment d’ordre à imprégner la mémoire.86 Par contre, il explique
également qu’il ne faudrait pas exagérer l’importance de l’événement:
You cannot exaggerate its importance as an incident of resistance because it did not
generate a practical, solid, period of resistance. It was just an isolated incident. It did not
involve change in any means […] but at the same time it is important in the history of Quebec
because it is another incident in the psyche of the Québécois that is forging the Je me
souviens. 87
Ce témoignage soulève deux points importants. En premier, CC (un anglophone) est
le seul participant à effectuer un lien entre la nécessité du souvenir et la devise du Québec.
Le Je me souviens, sur le plan historique, est une devise qui s’inscrivait sur les frontons de
monuments et palais lors de commémorations de nouvelles constructions culturelles.88 Il est
étonnant de constater que seul un citoyen anglophone, percevant l’événement comme
localement isolé, évoque la subtilité de la devise québécoise. Pour CC, l’événement ne
portait pas en lui-même la capacité de faire changer les choses, mais de manière plus
timide, il se rattachait à une séquence d’événements historiques forgeant le passé de
l’ensemble des Québécois. Ensuite, le témoignage de CC exprime explicitement la
reconnaissance de cet événement sous une perspective locale. L’événement n’a alors
aucune véritable importance pour l’entièreté des Quebecers selon lui.
Son homologue anglophone partage le même avis. DD est d’autant plus direct. Il dit qu’il
s’agit d’un événement mineur selon lui : « En fait, à Québec on n’a pas vraiment des
souvenirs de ça, et selon moi, à l’extérieur de la ville encore moins. C’était un événement
local. Cela ne faisait pas partie d’un mouvement, disons à l’échelle provinciale.
L’événement est perçu simplement comme un fait divers […] C’est quand même un
86 Entretien avec CC: « The history of Quebec is largely presented in a conflict between two ethnic groups,
you know, (French speaking people and English speaking people) and that event was a big factor in this
history there is no question about that! I am sure in the popular mind there was question of “Les Anglais et
nous autres” even if there were a few Irish guys that didn’t want to go to war either. » 87 Ibid. 88 Gouvernement du Québec. « La devise du Québec », Drapeau et symboles nationaux du Gouvernement du
Québec, mis à jour le 14 janvier, 2008, http://www.drapeau.gouv.qc.ca/devise/devise.html&title, consulté le
19 septembre 2014.
86
événement important, mais pour la société de 2014, ce qui s’est passé il y a 96 ans, c’est
très loin! Les gens l’ignorent presque complètement.»89 Ainsi, selon CC et DD, la
communauté anglo-irlandaise de Québec ne s’en rappelle tout simplement plus. Ceux qui
s’en rappellent auraient d’ailleurs principalement comme souvenir le saccage des bureaux
du Quebec Morning Chronicle et de l’Auditorium du carré D’Youville.90
Le constat est donc unanime parmi les individus francophones. L’Émeute de
Québec mérite le souvenir et doit faire partie de la mémoire, du moins au plan local. Par
contre, selon les groupes ethnico-linguistiques, nous observons que le degré d’importance
du souvenir varie considérablement. La nature historique de l’événement dans la mémoire
des participants, peu importe les associations de groupe, est reflétée par son aspect violent
et conflictuel. Telle est la part de la violence dans la mémoire qui s’est constituée chez les
participants. L’intensité des violences expose l’événement à la nécessité du souvenir. Selon
certains, la nécessité du souvenir se restreint à la ville ou tout au plus à la région de Québec.
Pour d’autres, elle devrait rassembler tous les Québécois, ou du moins, tous les groupes et
communautés de la province qui y sont liés historiquement. Pourtant la mémoire collective
se contente présentement de l’oubli ou alors de la banalisation selon les témoignages. Peut-
on comprendre que l’entièreté des groupes et communautés qui ont vécu l’événement soit
aliénée à la mémoire qui en est faite dans le présent ?
2.2.4 Connaître les références
À travers le premier chapitre, nous avons élaboré sur différentes tangentes de
l’interprétation dans le passé. En 1918, chacun se proposait comme son propre coroner et
définissait ainsi une pensée interprétative individuelle. Comme nous l’avons remarqué, les
journaux ont procédé au même effort interprétatif. Par la masse quotidienne d’informations
qu’ils pouvaient projeter dans la société, ceux-ci ont influencé la construction du souvenir
89 Entretien avec DD. 90 Entretien avec CC: « I think that the contemporary Irish community is virtually oblivious. They just don’t
know about it. They already forgot. It is not even part of their historical memory. They might be surprised if
you talk to them about it. Some of them might know about the sack of the Quebec Morning Chronicle but if
you tell them that there have been four death to machine guns from Ontario soldiers in 1918 in lower town,
they’ll have their eyes wide open! I mean it is almost a hundred years ago you know. The English
communities would be unaware of that unless they have a fascination for history, for Quebec history. »
87
de manière plus globale, plus collective. La conséquence directe de cette utilisation massive
des journaux était de permettre à ceux-ci de se porter comme principaux transmetteurs de
l’événement; des transmetteurs de l’événement et de tout ce qui s’y attache. Les journaux
sont devenus instantanément les observateurs prisés du traumatisme vécu, et du même
coup, ils devinrent les décideurs des enjeux à couvrir entourant le tumulte. De manière
arbitraire ils ont relaté les discours d’un député ou d’un autre. Ils ont fait appel à des
témoignages spécifiques et non à d’autres. Ils ont par-dessus tout évoqué des subjectivités,
avec ou sans fondement, à l’égard des principales causes et conséquences de l’événement.
Ces actions de toutes sortes forment les prémices de la structure référentielle par laquelle
l’individu de notre présent puise ses connaissances. À travers ce mécanisme pratique se
pose le problème de la subjectivité de la source des connaissances. La référence influence
bien évidemment sur le fond du souvenir puisqu’il y trouve son contenu. Elle en forme
aussi l’image. Il est intéressant de se pencher alors sur la question de la transition
référentielle pour un événement comme l’Émeute de Québec où il ne reste plus de témoins
ayant directement vécu celui-ci. L’entièreté de l’objectivité interprétative est mise entre les
mains d’une structure basée sur des références qui, elles aussi, évoluent avec le temps. Que
sont donc devenues nos références d’hier dans une société où la transmission orale ne
s’achemine que par la famille et où les interprétations médiatiques sont archivées et vieilles
de près de cent ans?
Lorsque nous avons demandé aux participants la question suivante : « Quel(s)
élément(s) vous permet (tent) de vous souvenir de l’événement ? », nous souhaitions obtenir
des réponses concrètes sur la nature des références qui forment l’interprétation des
communautés d’aujourd’hui. Plusieurs éléments ont été mentionnés tels que, les écrits sur
internet, certaines manifestations récentes, les commémorations annuelles, des reportages
sur la chaîne Radio-Canada, les écrits de journaux ainsi que le livre de Jean Provencher. Il
faut reconnaître par contre le lien étroit de certains participants avec ces différents éléments
de mémoire. À titre d’exemple, AA tient un BBS - un blogue Bulletin Board System) sur
internet où il a reçu l’information pour la première fois. C’est à partir de cet outil qu’il s’est
découvert un engouement grandissant envers l’événement. Prenons également l’exemple de
BB qui tient sa source principale d’information sur le sujet à travers le média écrit du
88
Quebec Chronicle Telegraph91 « un peu par solidarité pour son grand-père qui y a
travaillé.»92 L’événement y est mentionné dans un article de temps en temps au fil des
années. Nous observons ici un détail intéressant à propos de ce média anglophone. Celui-ci
exprimait autrefois le désir d’oublier l’événement dans le futur. Il est surprenant qu’il soit
en fin de compte parmi ceux qui en parlent le plus. En fait, selon BB, la majorité des
employés du Chronicle Telegraph savent ce qui s’est déroulé il y a près d’un siècle. Ils en
parlent et aiment le redécouvrir.93 Pourtant, le simple argument s’appuyant sur l’implication
du quotidien au conflit antérieur ne montre pas qu’il faille absolument écrire sur le sujet. Le
quotidien L’Événement, devenu Le Journal de Québec en 1967, n’a montré quant à lui
aucune intention d’en faire mention, et ce, même s’il était lui aussi aux premières loges des
confrontations. Ironiquement, les deux journaux anglophones qui exprimaient à l’époque
un désir de voir l’événement sombrer rapidement dans l’oubli constituent aujourd’hui l’une
des principales références écrites sur le sujet.
Malgré ces outils de référence, ce sont bien plus l’affluence d’informations sur les chaînes
télévisuelles et le monument Québec, Printemps 1918 qui font office d’éléments de
référence principaux.94 L’information télévisuelle, lorsque mentionnée par les participants,
n’est toutefois qu’une parcelle d’histoire chronologique à l’intérieur du cadre de la
Première Guerre mondiale. Par contre, quatre personnes sur six affirment connaître le
monument Québec, Printemps 1918. Ils mentionnent qu’il s’agit du seul véritable élément
de mémoire à Québec. Peu d’entre eux peuvent identifier son emplacement exact soit à
l’angle des rues Saint-Vallier, St-Joseph et Bagot. Il n’est pas étonnant d’indiquer que les
participants qui habitent la Basse-Ville peuvent cibler son emplacement sans problème.
91 Le Quebec Chronicle Telegraph est une fusion de deux journaux anglophones de la ville de Québec : le
Quebec Morning Chronicle et le Quebec Daily Telegraph. Cette fusion a eu lieu en 1927 soit neuf ans après
les événements. 92 Entretien avec BB. 93 Entretien avec BB : « Par exemple j’ai une ancienne collègue de travail de bureau qui est une anglophone
de Québec et je lui ai parlé de ca et elle m’a répondu qu’elle savait absolument de quoi il parlait puisqu’elle
avait elle aussi travaillé pour le Chronicle Telegraph. » BB a même écrit un article sur ce sujet dans le
quotidien en question avec les connaissances qu’il possède, soit par l’antécédent de ses relations familiales ou
alors par le biais du livre autobiographique de l’ancien directeur du quotidien, M, Penny. 94 Entretien avec EE : « Je n’ai pas vraiment l’occasion dans ma vie quotidienne de me le remémorer. Bien
sûr, ces temps-ci on en parle beaucoup plus à cause des commémorations du centenaire de la Première Guerre
mondiale. Il y a une affluence d’informations documentées sur les chaînes radio-canadiennes, mais en fait
c’est surtout le monument qui permet de s’en rappeler d’avantage. »
89
Pourtant, les témoignages des deux participants anglophones sont à cet égard assez
explicitent. Ils connaissent d’emblée le monument, mais affirme que :
Le monument devrait être placé dans un endroit un peu plus fréquenté, avec une
meilleure visibilité. J’ai déjà envoyé plusieurs personnes voir la statue et quelques-uns d’entre
eux ne l’ont jamais trouvé. Vous savez, le monument est installé dans un coin pas très fréquenté
par les gens de la ville de Québec. Il y a un cloisonnement par cartier à la ville de Québec,
parfois même par classe, et la rue St-Vallier et la région avoisinante ce n’est pas un coin de
fréquentation. 95
Une partie de cette opinion est partagée par EE qui habite à même le quartier.96 L’aspect de
la visibilité du monument est également corroboré par CC.97 Peut-être serait-ce un
sophisme sévère de notre part d’affirmer que lorsque plusieurs témoignages convergent
quant à la difficulté à trouver un monument, si important soit-il, c’est qu’il y a une
défaillance sur l’emplacement, ou du moins, sur la visibilité de celui-ci. Il est pourtant mis
en valeur considérant l’aspect historique de son site d’emplacement. Il s’agit bel et bien de
l’endroit où sont tombées les quatre victimes sous les balles de mitrailleuses des soldats de
l’armée canadienne. Quoi qu’il en soit, peu importe la problématique concernant le lieu, le
monument est tout de même l’élément référentiel principal selon les témoignages.
Jusqu’à présent, quelques aspects de la question de la mémoire de l’événement ont
été abordés. Nous avons obtenu des résultats assez significatifs en ce qui concerne
l’interprétation de chacun, et surtout, par rapport au rôle prédominant que tient la violence
dans la constitution de la mémoire pour cet événement. Nous avons établi des nuances entre
les perceptions selon les groupes ethniques et linguistiques ou alors selon le lieu de
résidence dans la ville. Le lien familial est également omniprésent dans la transmission
orale de la mémoire. Il est d’autant plus surprenant d’apprendre que le monument, et non le
livre de Provencher, constitue l’usage public principal de cet événement du passé.98 La
95 Entretien avec DD. 96 Entretien avec EE : « À Québec, avant les références de Radio-Canada, l’inauguration du monument était la
seul fois que l’on a entendu parler de ce coin de quartier là. » 97 Entretien avec CC: « I wanted to see that monument they had put in lower part of town and I must say it
took me at least three visits to actually find it. I had to tell myself okay today I got to find it. I finally found
it. » 98 À cet égard, il faut nuancer le constat. Le monument constitue en lui-même une commémoration de
l’événement. Il intègre aussi une plaque où il y est inscrit un texte. Celui-ci aborde les motifs de
commémoration du monument. Ces lignes proviennent de la plume du Comité Québec, printemps 1918 dans
lequel Jean Provencher a participé. Il serait donc facile d’établir un lien direct entre l’œuvre et l’auteur et de
déterminer une similitude dans la construction de chacun de ces usages publics de l’événement que sont le
90
plupart le connait. Certains peinent à le situer. Pourtant, il s’agit du seul élément
commémoratif matériel de l’événement dont les gens ont conscience. Qu’en est-il alors des
commémorations annuelles? Malgré qu’elles soient produites localement et de manière
isolée, sont-elles connues et non populaires ou alors sont-elles tout simplement méconnues
des communautés de la ville. Nous avons questionné les participants sur le sujet spécifique
des commémorations de l’Émeute de Québec afin de clarifier ce propos.
Pour connaitre les connaissances des participants à l’égard des usages publics annuelles,
cette simple question était posée aux participants: « Avez-vous connaissance de
quelconques références publiques ou de commémorations qui sont exécutées à l’égard de
l’événement comme tel? » Nous devons mentionner que les réponses ici nous ont surprises.
Seulement deux personnes sur six affirment connaître ne serait-ce qu’une partie des
commémorations exercées dans la ville de Québec. Étonnement, ce sont les deux
participants anglophones qui ont témoigné avoir pris connaissance de ces manifestations
commémoratives. Même les participants habitant la Basse-Ville ou le Vieux-Québec ne
sont pas au courant de quelconques commémorations.99 Selon les participants anglophones,
celles-ci rassemblent très peu les citoyens de la ville en général.100 La réponse la plus
élaborée à cet égard est celle de DD. Son opinion est intéressante dû au fait qu’il permet
une synthèse de l’état des commémorations actuelles. Il exprime son opinion comme suit :
Il n’y en a pas d’autres [références publiques] que celle du monument. Lorsque l’on
regarde l’édifice du Capitole, il n’y a aucun signe ou aucun souvenir qu’il s’est passé quelque
chose là. Ce n’est indiqué nulle part. Pour le savoir il faut vraiment avoir lu ou alors être
intéressé à l’histoire ou être guide touristique pour l’intégrer ne serait-ce qu’un peu. Le
livre et le monument. Pourtant, le récit du monument ne raconte qu’une partie de la pensée de Provencher sur
le sujet et elle reste somme toute assez factuelle. Le court récit incite donc le lecteur à se questionner lui-
même sur le contexte de l’événement. La différence avec l’œuvre de Provencher étant que ce dernier
détermine arbitrairement le contexte, les protagonistes et les bonnes ou mauvaises actions selon sa propre
interprétation. Or, le texte commémoratif fut écrit principalement par une association d’individus organisés
dans un comité. Ce comité avait bel et bien un objectif commémoratif. Le monument n’exprime donc à son
tour aucune neutralité. En fait, son emplacement parle tout autant que son texte. Cette notion du lieu de
mémoire sera abordée incessamment dans le prochain chapitre. Voir annexe A. 99 EE ne possède aucune connaissance de commémorations actuelles bien qu’elle affirme avoir été présente
lors de l’inauguration du monument en 1998. « Depuis, non rien du tout. Je ne lis pas le journal du quartier,
mais je n’ai pas eu vent de quelques commémorations que ce soit. » 100 CC explique: « I notice some Quebec nationalists’ activities motivated by the event. Actually I was walking
with my wife downtown and we cross a small demonstration not very well attended, what you would expect to
see with the ‘fleur the lys’ and the ‘drapeau des Patriots’. There would be about 20 to 30 people and it was
about this period of the year so it was probably a commemoration of the event. »
91
monument lui est en place depuis plusieurs années, mais il reste encore inconnu de la
population. Ce n’est pas un sujet d’actualité pour être dans les livres. Quand il y a des groupes
qui le ramènent en manchette, lors de commémorations, ce sont des groupes qui ont d’autres
visées. Ce ne sont pas forcément de l’antimilitariste, mais des groupes indépendantistes ou
autres groupes de gauche. Ils essaient la plupart du temps de rattacher ça à des sujets comme la
répression du Québec ou des ambitions propres, etc. Pour ma part, je ne participe pas aux
activités de groupuscules ni les groupes indépendantistes, ce n’est pas ma paroisse! Mais en
fait, les intérêts des groupuscules qui y participent en commémoration sont d’ordre présent. 101
En premier lieu, ce témoignage résume l’actualité des manifestations commémoratives
d’aujourd’hui. Elles sont effectivement chaotiques dans leur ensemble. Les visées
politiques sont omniprésentes à l’intérieur de celles-ci.102 L’antimilitarisme dont DD fait
mention n’est apparu réellement que lors d’une seule manifestation annuelle - en 2008- et
était agrémenté d’un lien direct avec la guerre en Afghanistan. La monarchie
constitutionnelle a également agi de bouc émissaire aux opposants afin de commémorer
l’événement. La majorité des individus et des organismes qui proposent une
commémoration de l’événement sont en effet plus « nationalistes ». Certains, comme la
Société Saint-Jean-Baptiste, ont établi une routine commémorative annuelle depuis plus
d’une dizaine d’années incluant un rassemblement au monument, la pose d’une gerbe de
fleurs en l’honneur des victimes ainsi qu’une minute de silence. L’élément le plus
important de cette routine reste toutefois la lecture complète du texte commémoratif sur la
Place Québec, printemps 1918. Elle permet à tous de consolider grossièrement le souvenir
des événements et ainsi perpétuer une voie de mémoire spécifique à chacun.
Le témoignage de DD introduit également un élément nouveau de l’analyse concernant la
commémoration de l’événement en général. Le monument rend bel et bien honneur aux
quatre victimes du lundi saint 1er avril 1918, mais omet d’entretenir le souvenir des
journées d’émeutes précédentes. Selon les participants, la violence, sous tous ses aspects, a
engendré le besoin du souvenir. Elle a également donné l’importance à l’événement. Or, de
la violence, il y en a eu énormément le jeudi 28 mars lors du saccage du poste de police no3
où des individus ont été battus par des foules. Il y en a eu tout autant le vendredi 29 mars
lorsque des bureaux de presse furent mis à sac par des masses. Tel que mentionné par DD,
101 Entretien avec DD. 102 Pour avoir une description plus détaillée de ces différentes commémorations, il faut lire le travail de Chris
Young. Il a établi un petit recensement, non exhaustif, mais assez complet, de plusieurs groupes qui ont utilisé
l’événement selon leurs intérêts du présent. Young, op. cit. p. 59-85.
92
une partie du Capitole a brulé presque en entier surplombant un tumulte entre les citoyens
et les forces de l’ordre. N’oublions pas non plus les charges de la cavalerie dans les rues de
la Haute-Ville le samedi et dimanche 30 et 31 mars. Ces faits sont corroborés par des
membres du Parlement eux-mêmes présents sur les lieux. Il s’agit ici d’une longue et
hargneuse séquence de violences qui a abruptement pris fin dans la tragédie. Pourtant, le
raisonnement de DD n’en reste pas moins actuel: « Lorsqu’on regarde l’édifice du Capitole,
il n’y a aucun signe ou aucun souvenir qu’il s’est passé quelque chose là. Ce n’est pas
indiqué nulle part. »103 Cette affirmation rejoint l’opinion de la totalité des participants.
Celle de BB est plus que démonstrative dans ce cas-ci. Il a reçu une transmission orale
privilégiée de l’événement due à l’implication directe d’un membre de sa famille. Pourtant,
selon lui le manque de visibilité des projets commémoratifs concernant l’Émeute de
Québec reste incompréhensible.104 C’est effectivement le cas puisque seulement quelques
groupes tentent de réanimer le souvenir - un souvenir qui leur est propre-, ce qui ne rejoint
pas la majorité des communautés.105
Enfin, tous expriment l’importance du souvenir de l’événement à différents degrés.
Ils sont aussi unanimes lorsqu’ils s’expriment sur l’aspect quantitatif et qualitatif des
références connues. Les plus importantes parmi celles-ci sont d’abord le monument,
certains documentaires télévisuels et le livre de Jean Provencher. À en juger par la
démonstration des participants, les usages publics ne sont pas adéquats quant aux nombres,
à la variété et l’emplacement de ceux-ci. Un fait reste indéniable pour tous les participants
francophones. À chaque occasion où ils abordent l’importance du souvenir, l’idée se
complète par un jugement subjectif sur l’inaction commémorative de la part des élites
politiques. 106 Selon AA, BB, EE et FF, le silence commémoratif en regard à l’Émeute de
103 Témoignage de DD. 104 Entretien avec BB : « […] effectivement je n’ai pas vu ni entendu parler de ces commémorations. Et en
fait je me suis toujours demandé s’il allait le commémorer un jour et où il le ferait ou comment. Je me
demandais s’il pourrait le faire sur la rue du trésor ou alors en Basse-Ville etc. J’aimerais bien savoir que
pourrait dire cette plaque-là. Comment s’est dit, comment s’est rapporté. Cela m’a toujours intrigué. » 105 DD ajoute à son témoignage le commentaire suivant : « […] vous savez, identifier l’événement pour
s’opposer à la monarchie constitutionnelle, si jamais la reine ou peu importe quel membre de la famille
Royale cessaient leurs visites au Québec ou n’importe quels autres pays ou région j’en serais bien heureux,
mais il y a plusieurs meilleurs raisons d’être contre la monarchie que celles reliées à cet événement.» 106 Entretien avec FF : « L’exemple qui me vient en tête c’est la guerre de 1812. À certains endroits on peut
relever des inscriptions en regard à la bataille contre l’armée américaine. Donc il y a eu certaines batailles et
quelques inscriptions sont mises en place pour le remémorer. Au côté du Capitole il y en a une qui mentionne
93
Québec signifie qu’il s’agit d’un «élément que l’on veuille taire»107 ou alors «que l’on veut
banaliser».108 Ils évoquent même à certains égards un malaise limpide à l’idée de «réanimer
certaines tensions entre les Canadiens français et les Canadiens anglais.»109
Il faut restreindre le plus possible la subjectivité lorsqu’on commémore un événement jugé
important dans l’histoire d’un pays, d’une société ou d’un peuple. L’Émeute de Québec
figure parmi les plus importants de l’histoire de la violence au Québec. Chercher à établir
un lien causal entre des protagonistes en conflits revient à contraindre la construction
objective de la mémoire. La commémoration la plus efficace, toujours selon les
participants, serait celle où l’on pourrait «offrir des explications et remettre l’événement en
contexte.»110 Encore une fois, malgré l’importance de l’événement établi par chacun, les
participants anglophones émettent une nuance quant à la nécessité de nouvelles
commémorations. Selon DD : « […] pour être valable, il pourrait toujours y avoir une mise
à jour ou une version contemporaine si l’on voulait remettre tout cela dans un contexte.
Vous savez, si l’on voulait le remettre en perspective cela pourrait se faire, mais toute
référence aux deux guerres mondiales maintenant ne peut plus se comparer aux conflits
ultérieurs, ceux qui nous concernent. Cela reste un fait divers pour la plupart des gens, pour
les anglophones sans aucun doute.»111 CC s’exprime dans le même sens: « I would
certainly say there is not enough references, but I think it is mentioned in the history books.
I wouldn’t want to see it ignored but I wouldn’t want to see it exaggerated either. »112
l’endroit où on a repoussé les Américains. Il y en a une autre sur la côte de la Cannoterie. À côté du parc de
l’Artillerie il y en a une autre aussi […] D’ailleurs, je cherche encore à comprendre pourquoi et comment le
Canada s’est formé cette journée-là!» 107 Entretien avec AA, BB et EE. 108 Entretien avec FF. 109 Entretien avec AA, FF et BB. BB continu son propos en ajoutant : «Cela fait partie de nous autres, de
l’histoire de la ville. Ça fait partie des Québécois. À mon avis c’est un événement important, comme euh, je
ne sais pas disons l’avenue du Parti Québécois au pouvoir, ou alors, la Crise d’Octobre. À mon avis cela fait
partie des événements qui ont marqué le 20e siècle au Québec […] Peut-être que l’on a un malaise avec ça.
On ne peut pas le balayer ou le contourner. Par honnêteté, par clarté, par transparence on se doit d’en parler ! 110 Entretien avec BB. 111 Entretien avec DD. 112 Entretien avec CC.
94
2.3 Synthèse des représentations
Clairement, la structure référentielle de cet événement du passé de la ville de
Québec pourrait être améliorée, ou alors, repensée. Les participants confirment de manière
unanime la nécessité du souvenir et de l’action commémorative. Gardons en tête que ceux-
ci sont en fait les représentants de la composante de la mémoire des groupes et
communautés de la ville que nous analysons. Qu’ils soient francophones, anglophones, un
homme, une femme, âgés ou moins âgés, un employé ou un ouvrier, un professionnel ou un
retraité, et ce, peu importe le secteur résidentiel où ils habitent, l’événement demeure
percutant dans la mémoire de ces individus. En fait, l’événement reste indéniablement
important, pour tous ceux et celles qui s’en souviennent! C’est ici une des limites
principales de l’échantillon avec lequel nous avons travaillé. Les individus ont tous montré
de l’intérêt à participer au projet, mais un facteur arbitraire et essentiel les unit. Chacun
d’eux connaissait l’événement. Ils s’accordent tous aussi pour affirmer que cette
connaissance n’est pas également dissipée à travers les communautés de la ville. Selon les
participants, peu de gens se souviennent. Ceux qui le font sont influencés principalement
par la tradition orale à l’intérieur de la famille, ou alors, selon la structure référentielle mise
en place. Il s’agit d’une structure qui se réduit simplement à quelques bornes dont le
principal est le monument Québec, Printemps 1918.
En somme, tous les participants expriment d’une voix l’aspect lacunaire des usages
publics qui en sont faits. Lorsqu’il est temps de définir le problème, les perceptions
divergent toutefois quant aux différences ethnolinguistiques. Les francophones méprisent le
manque de références adéquates, et ce, même si seulement la moitié d’entre eux
connaissent le monument. Les anglophones évoquent beaucoup plus le manque de diversité
des références, la visibilité de celles-ci, ainsi que la pertinence de certains usages - les
commémorations annuelles. Rappelons qu’à l’intérieur de notre échantillon, seulement les
anglophones connaissaient les commémorations annuelles liées à l’événement. De plus, ils
sont aussi beaucoup plus enclins à se souvenir de différents moments de l’événement, ceux
qui les touchent plus particulièrement. Lorsqu’une communauté entière ne ressent pas de
proximité envers la structure référentielle établie, elle a été mise de côté dans le processus
commémoratif. La critique de la communauté anglo-irlandaise va dans ce sens. Peut-être
95
devrait-il exister une référence matérielle en Haute-Ville - au Capitole ou sur la rue St-Jean.
Cela représenterait des fragments de mémoire d’une partie des communautés anglophones
ayant été touchée par l’événement.
Cette synthèse des propos tirés chez les différents participants incite à nous questionner sur
la forme matérielle et identitaire que prend la mémoire collective de la ville à l’égard de
l’Émeute de Québec. Il est possible de faire des liens étroits entre les références et leurs
interprétations individuelles ou celles de groupes à l’intérieur desquels ils s’insèrent.
Toutefois, nous avons également pris connaissance des lacunes dans la structure
référentielle concernant l’événement dans son ensemble. Il semble que des épisodes
spécifiques, dans des régions isolées, soient à l’origine de la construction de la mémoire
dans la ville de Québec. De quelle manière devrions-nous alors comprendre la mémoire qui
en est construite depuis l’inauguration du monument Québec, Printemps 1918 dans le
quartier Saint-Sauveur? La réponse est révélatrice en elle-même. Elle se trouve dans le
phénomène de patrimonialisation de l’événement. Il s’agit d’un processus d’appropriation
identitaire qui se développe selon l’aspect intrinsèque de la violence, ciblée dans une région
spécifique.
97
Chapitre 3 : Le patrimoine comme outil de mémoire
3.1 Redéfinir les références
La constitution de la mémoire de l’Émeute de Québec a subi un processus instable
et fragmenté. Une longue période est venue altérer la continuité du souvenir général chez
les collectivités. Également, plusieurs groupes interprétaient l’événement selon des voies de
mémoire différentes. Cette évolution est opposée à celle qu’a subie la structure référentielle
de l’Émeute de Québec. Le processus évolutif de cette dernière est beaucoup plus linéaire.
Elle s’est formée à l’origine avec les témoins directs de l’espace d’expérience. Peu d’entre
eux nous ont légué une trace explicative ou informative si ce n’est que celle des médias
écrits. Ils sont les véritables porteurs de l’information et de la connaissance des faits. De
plus, les quelques auteurs qui plongent dans cette période spécifique de la Crise de la
conscription le font à partir de ces journaux d’époque. Tous y prennent leurs références et
les transmettent sous un angle qui leur est propre. Ainsi de suite, les auteurs plus modernes
empruntent les sources des précédents et formulent à leur tour des angles d’approche
variables. Tel est le cas de Jean Provencher citant Mason Wade, ou alors Mason Wade
citant Robert Rumilly. Or, Rumilly cite principalement les journaux lorsqu’il aborde cette
période de l’histoire canadienne-française. Nous retrouvons le même phénomène en ce qui
à trait aux usages publics dans la ville. Chacune d’entre elles fonde son existence sur le
message des précédentes.
Je vous nomme, je vous dis, je vous lève,
Victimes politiques,
Sur votre territoire souverain,
Nous vous parlons maintenant,
Dans le pluriel solidaire !
André Gaulin
98
Depuis la chronique de Jean Provencher en 1971, différents groupes tentent de
s’approprier l’événement pour en faire une partie de leur appartenance. Certains lui donnent
des allures révolutionnaires. D’autres en crient les victimes tout en maudissant les
opposants. Il est surtout placé au carrefour d’un conflit ethnique du Nous et de l’Autre.
Ironiquement, les usages publics dans la ville l’introduisent de plus en plus, mais il
continue de s’effacer dans la mémoire collective. Selon ce que nous avons découvert avec
les entretiens analysés précédemment, le monument est devenu le fondement moderne de
toutes ces prétentions interprétatives isolées. Il est en quelque sorte l’effigie du monopole
de la mémoire. Cette conclusion nous est apparue bien évidente lorsque nous avons posé la
question suivante aux participants : Qu’est-ce qui agit, selon vous, comme référence
principale de l’événement? Tous les participants qui connaissaient le monument ont
répondu qu’il reflétait l’événement à lui seul. Selon eux, il n’est pas seulement la référence
principale, mais bien la seule référence. Lorsqu’on prend les propos de CC ou DD - les
deux anglophones de notre échantillon - il ne fait aucun doute que le monument soit
l’unique point de mémoire.1
De manière plus explicite, EE, qui habite le quartier, reste sceptique sur la stratégie
commémorative que propose le monument, l’unique commémoration matérielle selon elle.
Elle s’exprime ainsi : « Ceux qui tendent à l’oublier selon moi sont ceux qui ne sont pas
touchés ni par la famille ni géographiquement par l’événement. Le quartier ne fait pas
vraiment parler de lui. Tout dans cet événement tend à être oublié. C’est comme si on
tendait à localiser la mémoire de l’événement à un quartier unique par une référence
unique. Dans un quartier peu achalandé donc pour le déprécier. Il y a comme une
régionalisation de l’événement. »2 Ces allégations renforcent un constat qui se dégage de
plus en plus. Il y a un lien direct entre la géographie urbaine de la ville en 1918 et la
mémoire de l’événement définie par le monument. Par contre, cette mémoire n’est pas
l’expression de la mémoire des collectivités dans le contexte présent. Nous avons pourtant
1 Entretien avec CC et DD: « Well it’ll have to be the monument. There might be some interesting lines in the
history books but definitely the monument. » Ou alors, « Je dirais le monument puisque je n’en vois pas
d’autres qui pourraient jouer ce rôle. Je pense aussi que c’est difficile de parler de mémoire de l’événement
puisqu’il y a beaucoup d’interprétations. Il y a eu un événement, une émeute et ensuite l’épisode des victimes,
mais il s’en suit plusieurs interprétations de tout ceci. C’est un événement que nous ne reverrons plus se
dérouler comme ça. Autrement il y aurait eu plusieurs victimes au printemps étudiant l’année dernière ! » 2 Entretien avec EE.
99
réalisé au premier chapitre que près de cent ans auparavant, ces mêmes collectivités ont été
des acteurs de l’événement. Concrètement, le monument est essentiellement la seule
référence existante qui pourrait regrouper les différentes communautés et les différents
groupes autour d’un projet de mémoire collective. Toutefois, ceux-ci n’y trouvent pas un
sentiment d’appartenance général. Nous constatons donc qu’il y a un manque d’intégration
dans le processus commémoratif de l’événement. Que propose donc ce monument s’il ne
dépeint pas la réalité de la mémoire d’aujourd’hui ?
3.1.1 Le lieu comme objet de mémoire
À travers l’historiographie sur l’étude de la mémoire, quelques ouvrages sont
fondamentaux. En premier lieu, nous pensons à Maurice Halbwachs et son travail
précurseur Mémoire collective, à Paul Ricœur et La mémoire, l’histoire, l’oubli ou alors à
Pierre Nora avec son œuvre Lieux de mémoire. Ces auteurs consacrent la majorité de leurs
travaux à encadrer le phénomène de la mémoire dans l’histoire; à le définir de manière
extrinsèque à l’intérieur de la discipline historique. Selon Brian S. Osborne, le principal
apport des travaux comme ceux de Halbwachs et Nora est leur « assertion of the power of
synthesizing the past with places. That is, associating images of the past with concrete
‘place of memory’, the material and social contexts of a collective memory as expressed
and reinvent in everyday social discourse».3 Ces idées sont d’autant plus utiles dans le
cadre de cette analyse puisque nous avons découvert que la structure référentielle vis-à-vis
l’Émeute de Québec est construite sur l’assise principale du lieu de mémoire.
C’est le lieu exact où les victimes du 1er avril 1918 sont tombées sous les balles qui agit
comme fondement géographique à la mémoire et à la commémoration. Il ne s’agit pas ici
de lieux de mémoire symboliques tels que l’Hymne national ou alors la tradition du hockey
sur glace qui s’exprime, selon Nora, en véritables variables spatio-temporelles. À défaut de
3 Brian S. Osborne, « Locating Identity: Landscape of Memory », Choice, (juillet/août 2002), p. 1903. Cité
dans Dominique-Valérie Malack, « Identités, mémoires et constructions nationales : La commémoration
extérieure à Québec, 1889-2001 », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, Juin 2003, p. 20.
100
définir l’événement dans le temps, le lieu du monument situe au moins les faits dans
l’espace. Il établit un endroit propre à une histoire donnée.
Par contre, il faut éviter de juxtaposer lieu et mémoire telle une évidence banale. Comme
l’explique Pierre Nora, le lieu n’est pas ce dont l’individu se souvient, mais plutôt l’endroit
où la mémoire travaille.4 Il n’est donc pas la tradition elle-même, mais son laboratoire.5
L’intersection des rues où s’observe le monument est effectivement un endroit propice à la
mémoire. Toutefois, la mémoire ne se construit pas aussi facilement sur ce lieu rempli
d’histoire, mais vide de commémoration - vide de sens. Le travail de mise en scène et
d’engagement individuel est davantage le fondement de la mémoire que le lieu lui-même
puisqu’ « au départ il faut qu’il y ait une volonté de mémoire […] que manque cette volonté
de mémoire, et les lieux de mémoire ne demeurent que des lieux d’histoire! »6 Le
monument remplit alors les termes d’engagement social et de mémoire motivée. Il crée bel
et bien un lieu de mémoire pour certains citoyens de la ville. Nous conviendrons
ultérieurement de ce que peut constituer ce principe d’engagement social et de mémoire
motivée dans le cadre de la partie sur la patrimonialisation.
Pour quiconque désirant y trouver une justification, le monument s’exprime d’abord
et avant tout en tant qu’entité commémorative locale. Afin de définir l’objectif réel de son
existence, il est nécessaire de procéder à l’analyse du cheminement du comité destiné à
l’inauguration de celui-ci. Depuis septembre 1995,7 le Comité Québec, printemps 1918 se
définit lui-même tel un « regroupement d’individus et de représentants d’organismes ayant
comme objectif la réalisation d’un monument commémorant le soulèvement populaire et
les personnes mortes lors des manifestations contre la conscription du printemps 1918 à
4 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, la République, Paris, Gallimard, 1984, p. X. 5 Ibid. 6 Ibid. p. XXXV. 7 Les organismes ayant appuyé le projet de comité sont ceux-ci : la Confédération des syndicats nationaux, la
Caisse d’économie des travailleuses et des travailleurs de Québec, la Société St-Jean-Baptiste de Québec, le
Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, l’Association des gens d’affaires de la rue St-
Vallier Ouest, l’Association des gens d’affaires de Saint-Roch, le Groupe Videre, le Comité des citoyens du
quartier Saint-Sauveur et le Comité des citoyens du quartier Saint-Roch. À noter que le processus de demande
d’érection d’un monument commémoratif à la ville a débuté dès 1972 sous l’initiative des Comités de
citoyens des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch. Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec,
Dossier Comité Québec printemps 1918, Doc281114-28112014130257, p. 2 de 10, consultées en février 2014
et novembre 2014.
101
Québec.»8 L’objectif était donc clair. Dès la création du comité, le désir commémoratif
encadrait spécialement les aspects du soulèvement populaire et des victimes. Un document
de ce comité en date d’avril 1997 évoque l’importance du souvenir du soulèvement : « Le
soulèvement spontané et démocratique d’un grand nombre de citoyens de Québec [ville]
contre l’imposition par la force des ordres de mobilisation général obligatoire mérite d’être
rappelé aux générations actuelles.»9 Il est mentionné ici : « un grand nombre de citoyens de
la ville », ce qui nous incite à penser que tous les groupes et communautés qui y ont
participé sont en droit de vouloir y être intégrés. Pourtant, un manque palpable de sentiment
d’appartenance se dégage dans les discours des citoyens des communautés variées
d’aujourd’hui. Notamment les Anglo-irlandais semblent être au premier plan de cette
indifférence à la mémoire construite par le monument et son emplacement spécifique.
Également, nous devons reconnaître que la partie la plus importante du soulèvement
général s’est déroulée durant les jours précédant le 1er avril, soit du 28 au 31 mars. Les
actions réfractaires - de la part des manifestants- y étaient les plus importantes, en nombre
et en dommages causés. Les masses assemblées y étaient, elles aussi, plus nombreuses. Le
monument et son site commémorent quant à eux un seul soulèvement, précisément celui où
quatre victimes ont été répertoriées. Donc, la violence meurtrière de l’événement, plus que
l’aspect du soulèvement général, a été commémorée par ce projet. Cette observation nous
permet de confirmer que la violence est au cœur du processus commémoratif.
Ainsi, le lieu en question, où des violences meurtrières se sont exercées, engendre des
retombées de mémoire. Sous la pratique commémorative, ces parcelles de mémoires se
rassemblent pour forger dans la matière, et en substance, une interprétation historique
unique pour un épisode spécifique de l’événement. À cet égard, le témoignage de EE
proposait une description éloquente de la situation. Ce lieu de mémoire définit en effet une
régionalisation de l’événement. Comme si l’entièreté des conflits s’était déroulée dans ce
secteur de la ville alors qu’il en est autrement. Ceci nous incite à nous questionner sur le
type de mémoire que le présent retient de l’événement, c’est-à-dire une mémoire spécifique
tant sur le plan des territoires d’action que sur les acteurs eux-mêmes. Malgré l’utilisation
8 Ibid. 9 Dossier Comité Québec, op. cit. p. 5 de 10.
102
du terme « peuple » dans le texte de la plaque située sur la Place Québec, printemps 1918,
seul le groupe des quatre victimes est véritablement concerné à travers cette
commémoration. Il s’agit d’un groupe de Canadiens français composé de trois travailleurs
manuels et un étudiant dans un domaine du travail manuel10 habitant dans les quartiers de la
Basse-Ville. La commémoration exécutée par les comités de citoyens de ces quartiers
spécifiques désirait refléter un passé destiné aux citoyens de ces mêmes quartiers.
Cette régionalisation de la mémoire n’est pas une conséquence hasardeuse de
l’utilisation du passé. Elle s’exprime par un désir concret dans le présent des individus et
des groupes qui en posent les germes.11 Ce sont les comités de citoyens des quartiers Saint-
Roch et Saint-Sauveur qui ont acheminé les premières demandes à la ville de Québec afin
d'entreprendre le processus de financement. L’œuvre d’Aline Martineau - le monument
Québec, printemps 1918- parle d’elle-même en ce qui concerne les groupes et
communautés visés. Quatre pétales d’une fleur sculptée en forme d’humain représentent les
innocentes victimes. Sur la frange concave du monument donnant sur la rue Saint-Vallier
Ouest se trouve deux icônes bien définies comme étant des outils de travailleurs manuels.12
Il s’agit d’un marteau et d’une paire de pinces. Enfin, incorporée tout au bas de l’œuvre se
trouve une sculpture de la façade typique des bâtiments du quartier où est situé le
monument.13 Encore aujourd’hui, lorsqu’on observe la pluralité de bâtiments, leur
architecture spécifique ainsi que la faible distance qui les sépare dans l’espace, ce quartier
ressemble toujours à de véritables cités-dortoirs14 au cœur même de la Basse-Ville. Par
contre, la grande majorité des travailleurs n’y réside plus comme à l’époque. Ce quartier
compte maintenant que 4,5% des citoyens de la grande région de Québec.15 Le monument
10 Les victimes sont: Honoré Bergeron, 49 ans, menuisier; Alexandre Bussières, 25 ans, mécanicien; George
Demeule, 14 ans, Cordonnier et Machiniste; Joseph-Édouard Tremblay, 20 ans, étudiant à l’école technique.
Voir en Annexe D, le texte sur la Place Québec, printemps 1918. 11 Henri Rousso, Vichy : L’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 349 : « Dans le cas
d’un parti, d’une association ou d’un groupe sous toutes formes, la mémoire est un dynamique qui relève du
partage, de l’échange (consensuel ou conflictuel) d’expériences historiques vécues en commun, et qui permet
de se distinguer des autres. Elle est souvent un critère décisif de la définition même de ce groupe, que ce soit
la perception que le groupe a de lui-même et de ses membres ou de celle qu’en a l’extérieur. » 12 Annexe E : Partie concave du monument, outils imprégnés 13
Annexe F : La sculpture du bâtiment typique du quartier Saint-Sauveur 14 Lanouette, op. cit. p. 5. 15 Statistiques Canada, Série « Perspective géographique », Recensement de 2011 – Subdivision de
recensement, Québec, V – Québec, http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/as-sa/fogs-
spg/Facts-csd-fra.cfm?Lang=fra&GK=CSD&GC=2423027, page consulté le 2 décembre 2014.
103
commémore alors des groupes de travailleurs manuels canadiens français qui habitaient le
secteur Saint-Sauveur/Saint-Roch lors de l’événement, mais qui n’y demeurent plus de
manière majoritaire. Il reste la référence principale de l’événement pour les gens du
quartier, ceux qui habitent le lieu de mémoire au présent, mais moins pour les travailleurs
manuels Canadiens français.
Enfin, le lieu et la volonté de mémoire interpellent bel et bien l’Émeute de Québec. Le
comité qui a travaillé sur l’inauguration du monument désirait effectivement commémorer
l’événement en entier. Cependant, un seul groupe et une seule version de la mémoire furent
véritablement envisagés par celle-ci. Bien entendu, les années passent et les gens changent.
De nos jours, le portrait type de l’individu du groupe autrefois ciblé par cette
commémoration est beaucoup plus dissipé à travers les quartiers de la ville. C’est pourquoi
il ne rejoint plus vraiment de groupes ou de communautés spécifiques selon les
témoignages des participants. Ils mentionnent, non sans nostalgie, que le monument est
devenu la seule référence d’un événement oublié. D’autres groupes le perçoivent aussi
comme étant la référence principale, mais n’adhèrent pas à la mémoire unique qu’il établit
vis-à-vis l’événement en général.16 Ainsi, l’unicité du lieu, l’interprétation unique qui en est
faite, les seuls groupes commémorés ou alors le simple manque d’intégration sont, toutes
autant qu’elles soient, des critiques possibles envers la mémoire construite de nos jours. Sur
ce propos, quelques mentions fortes intéressantes ont été soulignées lors des entretiens
précédents. Il serait bien négligent de notre part d’omettre ce fait puisque les participants
proposent des lieux de mémoire alternatifs pour le même événement.
3.1.2 Nous étions présents également…
Le monument donne en effet l’impression de cibler un groupe de personnes, un lieu
spécifique et un sous-événement de l’Émeute de Québec. Pourtant, il y avait de nombreux
groupes et communautés qui y participaient en 1918. Outre les ouvriers Canadiens français,
16 Entretien avec DD : « Je dirais que compte tenu des initiateurs du monument, il s’agit d’une œuvre avec
une visée que l’on peut plus ou moins partager. C’est une œuvre comme une autre, ça me laisse pas mal
indifférent. La genèse du monument est liée à des visées politiques de certains groupes. Lorsque tu ne
partages pas les visées. C’est bon de le commémorer puisqu’il s’agit d’un événement remarquable pour la
ville de Québec, mais pour le reste je n’embarque pas. »
104
nous avons observé l’implication d’individus de différentes classes sociales, parmi
plusieurs groupes socioprofessionnels, de groupes ethniques et linguistiques distincts. Lors
de nos entretiens, BB a abordé le sujet de la mémoire selon une perspective particulière.
Rappelons que le grand-père de ce dernier fut le télégraphiste du Quebec Morning
Chronicle en date du 29 mars 1918, la journée même du saccage de ses bureaux. Il
expliquait son opinion empruntant ainsi la perspective de la communauté anglophone
durant l’événement :
Je pense que mon grand-père a effectivement été un acteur, il était dans la chaîne des
actions qui se sont déroulées. Sans dire qu’il s’agisse d’un épiphénomène, mais dans le
contexte qui entoure tout ça. Par exemple, cela a fort probablement eu un effet épeurant sur la
communauté anglophone de Québec. Cela a dû être un choc terrible! Ça, mon grand-père ne
m’en a jamais parlé. Si je me remets dans les souliers des Anglos de Québec […], je repense
juste à mon grand-père qui se sauvait avec le directeur du bureau. Je me dis cela devait être
important comme situation.17
En effet, la communauté anglophone de la ville Québec a vécu un traumatisme similaire à
celui de l’entièreté des citoyens. Elle comptait près du tiers de la population totale de la
ville à ce moment et se répartissait surtout en Haute-ville et dans le quartier Champlain.18
Ils se retrouvaient dans un contexte de violence qu’ils ne désiraient pas du tout, et ce, peu
importe leurs positions à l’égard de la conscription. Plusieurs demandaient une sécurité
accrue pour eux-mêmes ou pour leurs propriétés.19 La majorité des anglophones protestants
étaient favorables à la conscription donc, évidemment en désaccord avec la révolte
populaire. Dans le cas des anglophones catholiques, ils étaient plus mitigés sur la
question.20 Serait-il alors nécessaire et équitable de commémorer l’événement selon une
autre perspective, une perspective anglophone par exemple ou alors une perspective des
habitants des quartiers de la Haute-Ville? Cet événement reste oublié pour ces
17 Entretien avec BB. 18 Lanouette, op. cit. p. 121. 19 Outre les innombrables lettres de commerçants et de bourgeois que relatent les journaux d’époques et que
réfère Jean Provencher dans son livre Québec sous la loi des mesures de guerre, 1918, il y a également des
entretiens exécuté avec des individus témoignant directement de ces scènes de malaise social. Voir les
témoignages enregistrés sur vidéo, Les Anglos de Québec, sous la direction de Mary Ellen Reisner, Morrin
Center, Québec, 1985. Ainsi que quelques entretiens effectués sporadiquement par des quotidiens comme Le
Soleil. À titre d’exemple : René Lagacé, « Maurice Hawey garde un souvenir vif de l’émeute de Québec en
1918 », Le Soleil (20 novembre 1973), p. 31. 20 Entretien avec DD : « La mémoire de l’événement est influencée selon moi via des réactions des membres
de la famille, via ce que tes parents ont vécu en étant minoritaire, etc. Il y avait quand même des clivages
entre les groupes de gens. Je ne dirais pas nécessairement dans ma famille puisque nous étions
majoritairement contre la conscription.»
105
communautés principalement puisqu’elles n’ont pas l’impression d’y être intégrées à leur
juste titre. Il n’en tient qu’à elles de prendre en main l’initiative commémorative au même
titre que les comités de citoyens des quartiers de la Basse-ville.
Il existe d’autres lieux aux yeux de ces citoyens de Québec qui peuvent établir un
lien direct entre la mémoire, l’événement et l’espace d’action. À vrai dire, lors des
entretiens mentionnés précédemment, les deux participants qui ne connaissaient pas le
monument ont expliqué que la référence principale à l’événement pour eux se situait dans
un lieu différent. Pour le premier, il s’agit du Capitole : «c’est ce qui influence le plus la
mémoire selon mes sentiments d’appartenance.»21 Le second nous dirige quant à lui vers la
rue du Trésor, à l’endroit exact où étaient les bureaux du Quebec Chronicle. Il mentionne :
À toutes les fois que mes frères, ma sœur et moi-même passons sur la rue du Trésor,
nous nous souvenons de cet événement-là. On sait que notre grand-père était là, à ce moment-
là, et on se demande, disons comment ces gens-là ont fait pour arriver jusqu’ici et par quels
chemins ils sont arrivés. C’est un genre de réflexe pour nous. C’est comme un déclencheur de
l’événement pour nous. Le bâtiment, notre grand-père, le journal. Cela forme un tout. C’est
comme un lieu de mémoire. Ça nous aide à nous rappeler l’événement.22
Ce témoignage parle de lui-même. Il montre le sentiment d’appartenance qui unit chaque
individu envers un lieu de souvenir qui lui est propre.
En effet, l’événement est remémoré à travers chacun selon un lieu où la mémoire travaille.
Le processus est le même pour les groupes et les communautés. Comme le mentionne
Pierre Nora, les lieux de mémoires sont alors des signes de reconnaissance et
d’appartenance de groupes dans une société qui tend à ne reconnaître que des individus
égaux et identiques.23 D’ailleurs, nous avons observé ceci à travers les différents groupes de
participants. Les deux individus habitant la Basse-Ville se reconnaissent dans l’usage
public de ce passé qu’est le monument. Il agit sur eux. Il influence leur approche
mémorielle permettant aux groupes qui résident la région commémorée de s’approprier
l’événement. Par exemple, le même effet peut s’opérer sur les groupes de la Haute-ville si
une commémoration matérielle au pied du Capitole était considérée, ou alors, sur un
bâtiment du Vieux-Québec où des soldats à cheval sont descendus dans les rues violentant
21 Entretien avec FF. 22 Entretien avec BB. 23 Nora, op. cit. p. XXIV.
106
les passants avec des bâtons. Du point de vue des communautés anglophones, il pourrait y
avoir une plaque commémorative, du moins une mention, dans un lieu d’appartenance tel
que le bâtiment du journal ayant subi les foudres du tumulte du 29 mars 1918. Cela pourrait
être également au carré d’Youville où voisinait une bonne part des anglophones de la ville
dans les quartiers adjacents à l’émeute du Capitole le 29 mars 1918.
Ces quelques mentions sont simplement des exemples de lieux où la mémoire peut
travailler. Elle pourrait rassembler d’autres groupes spécifiques à joindre l’ensemble de la
mémoire collective dans le cadre du même événement. En fait, lorsque différents groupes
s’approprient l’événement selon un lieu de mémoire particulier à chacun, selon une
interprétation propre, à l’aide d’une commémoration dynamique - motivation de mémoire- ,
il est alors véritablement question de mémoire collective. Ce concept prend tout son sens
surtout lorsqu’il est partagé de manière multilatérale. Pourtant, la construction qui en est
faite découle davantage d’un travail unilatéral, de groupes spécifiques qui s’approprient la
mémoire de l’événement.
3.2 Le patrimoine : outil de mémoire
Un phénomène bien précis encadre la principale raison de cette construction
unilatérale de la mémoire « collective ». Cette pratique est due à un processus généralisé
dans l’ensemble des communautés et des sociétés du monde depuis le XXe siècle : la quête
identitaire par la patrimonialisation. En effet, le traumatisme universel, qui a surgi des
conséquences des deux conflits mondiaux les plus percutants, a nourri, dès lors, le désir de
commémoration des événements que les diverses sociétés ne veulent jamais oublier. Peu
importe le fondement territorial, le patrimoine répond surtout à une demande identitaire
croissante. De surcroit, il est question de l’enracinement de la mémoire chez des sociétés
caractérisées par la rapidité des mutations sociohistoriques.24 Plus encore, il s’est développé
une distanciation entre les sociétés elles-mêmes dans la manière de redonner vie à ces
événements marquants.
24 André Charbonneau et Laurier Turgeon, Patrimoines et identités en Amérique française, CEFAN, Québec,
PUL, 2010, p. 1-10.
107
Étant donné que le patrimoine matérialise le passé et la mémoire qu’il construit, la
commémoration n’est ici qu’une voie, parmi d’autres, utilisée afin d’interpréter ce passé.
La mémoire est dans ce contexte un outil permettant d’intégrer une structure de valeurs
identitaires avec lesquelles ces sociétés désirent se réaffirmer dans le présent. Il en découle
donc que différentes interprétations d’un même événement s’expriment simultanément dans
plusieurs villes et sociétés du monde.
Le terme patrimoine ne s’exprime jamais vraiment de manière définie. Étant donné
les multiples acteurs qui s’y engagent, il est plutôt versatile et hétérogène. À l’échelle
internationale, son utilisation est surtout verticale - sous différentes classes hiérarchiques- à
l’intérieur de l’État, ou alors horizontale - de manière transnationale- à travers les États.
Selon cette approche, il serait ardu à introduire dans le cadre d’une analyse sur la mémoire
de différents groupes et communautés au sein d’une société spécifique. Pourtant, il est tout
à fait à propos de le considérer comme un outil essentiel de la construction de la mémoire si
nous considérons la ville comme perspective d’analyse. Certains diront que la mémoire
collective, telle que la conçoit Maurice Halbwachs, n’existe plus, particulièrement dans le
cadre de la municipalité.25 Au contraire, le milieu de mémoire que cimentait l’histoire
interactive de plusieurs communautés s’effrite. Le lieu de mémoire fait alors office de
substitution de la mémoire du passé vers la simple trace. Mark Crinson explique ce
phénomène de la manière suivante:
Because memory has been eradicated by history and the bounds of identity are broken,
the lieu de mémoire have come into being as compensation, as sites devoted to embodying and
incarnating memory and entirely reliant on the specificity of the trace for which we feel a
superstitious veneration.26
Le travail du temps qui s’écoule est donc un fardeau amnésique pour les milieux de
mémoire municipaux. Il exige aux villes de redéfinir les cadres de leur mémoire sous des
lieux spécifiques. C’est sous l’introduction de ces nouveaux liens au passé et du désir
grandissant de réaffirmation identitaire que la culture et le patrimoine accaparent une place
de plus en plus grande dans les sociétés et les villes du monde.
25 Mark Crinson, Urban Memory: History and Amnesia in the modern city, New York, Routledge, 2005, p. xi-
xx. 26 Ibid.
108
À cet égard, Aldo Rossi élabore sur une perspective analytique du patrimoine dans son livre
The Architecture of the City:
The city and the human body are seen as similar in being the creation of a unique set
of experiences. A city remember through its building, so the preservation of buildings is
analogue with the preservation in the human mind […] Identity, it follows, is the sum of all the
traces in the city.27
Cette comparaison, aussi poétique qu’elle soit, contient tout de même un élément qui nous
apparaît essentiel. La ville est effectivement unique en elle-même selon qu’elle découle
d’une série d’expériences et de représentations qui évoluent en son sein. Elle est un trait
identitaire en soi qui se veut essentiellement intégrateur. Cette fonction d’échanges
réciproques qu’elle entretient avec les citoyens qui y habitent s’exprime surtout sous la
forme de la mémoire urbaine; un concept qui s’insère dans la typologie des représentations
qu’offre le patrimoine.
Le patrimoine résulte alors d’un processus intégrateur de symbolisation de
personnes, de biens matériels ou immatériels, que des individus considèrent comme un
reflet et une expression de leurs valeurs.28 Les groupes d’individus désirant exprimer des
valeurs qui leur sont propres s’investissent alors dans l’établissement d’un patrimoine. De
là s’en suit un travail de conservation, de préservation et de transmission des aspects
identitaires de l’individu en groupe, tout comme celui du groupe dans la ville. Évidemment,
à chaque société correspond un patrimoine constitué puisque les valeurs peuvent diverger
d’une société à l’autre. Également, il s’agit d’un phénomène qui s’opère selon un
dynamisme générationnel constant. Tout comme le concept d’identité, le patrimoine est
donc une construction qui se développe à travers le temps. Il se constitue parfois de
différentes manières, et par des acteurs sociaux variables dans l’espace-temps. Encore plus,
il permet de légitimer un aspect de quête identitaire à la poursuite d’une quelconque
justification historique.29 Le processus constitutif du patrimoine se fonde conséquemment
27 Crinson, op. cit. p. xi-xx. 28 Jean-Michel Leniaud, « Patrimoine, autorités publiques, sociétés », Le patrimoine et au-delà, Paris, Édition
du Conseil de l’Europe, Novembre 2009, p. 145-149. 29 Groulx, La patrimonialisation, op. cit. p. 14. « Tandis que l’historiographie se fixe comme objectif de
rechercher la vérité dans l’examen raisonné de la mémoire, l’historien peut craindre que le patrimoine
alimente les replis identitaires par l’activation des émotions fondées sur le culte d’un « passé » factice,
médiatisé, ludique et bricolé. Il est constatable également que la mise en valeur du patrimoine procède
109
sur des acteurs qui forment les demandes de patrimonialisation. Ces acteurs se situent dans
tous les plans de la société, de l’élite politique au regroupement civique, de la société
scientifique au comité de citoyens, etc. Ce sont ces éléments civils, regroupés tels des
détenteurs d’identités variées, qui permettent le dynamisme évolutif de la
patrimonialisation au sein d’une ville.
Ceci nous incite à convenir d’une autre variable, les communautés patrimoniales. Selon
Jean-Michel Leniaud, un des auteurs du guide théorique du Conseil de l’Europe sur le
patrimoine, ces communautés patrimoniales exercent une influence directe sur la forme du
patrimoine culturel d’une société donnée.30 Il s’agit en fait d’une sorte de lobby de
l’identitaire des collectivités, mais sans former un organisme officiel. Elles sont composées
de personnes attachées, de manière émotive, historique ou tangible, à un ensemble
patrimonial donné.31 Les communautés patrimoniales joignent une valeur intrinsèque
particulière à des aspects spécifiques du patrimoine culturel. Ainsi, à l’instar des groupes et
communautés de la ville de Québec qui commémorent une période de l’histoire de la
société dans laquelle ils s’insèrent, une pluralité de groupes ou communautés peut être
investie d’un sentiment d’appartenance à un passé mutuel ou à une valeur commune. Les
communautés patrimoniales regroupent donc une diversité identitaire et enjoignent tous les
partis dans un seul et même objectif d’encadrement d’une valeur historique commune. En
ce sens, ces entités créatrices d’identitaire sont au cœur de la construction du patrimoine
dans le cadre de la ville. Plus précisément, elles soutiennent les fondements de l’identité
traditionnelle tout en actualisant les besoins modernes par la création de nouveaux lieux de
mémoires. C’est précisément sous cette approche que la patrimonialisation s’exprime dans
la définition identitaire que représente la commémoration de l’Émeute de Québec.
souvent d’une instrumentalisation du passé qui ne retient pas les subtilités et la pluralité des interprétations
historiques ». 30 Ibid. p. 145-149. 31 Ibid.
110
3.2.1 Dans le patrimoine de Québec
La Province de Québec ne fait pas bande à part lorsqu’on convient de l’énorme
attention actuelle que les sociétés montrent envers leur patrimoine. Depuis la mise en place
de la Politique culturelle du Québec de 1992, le nombre de ces politiques, touchant à la fois
à des domaines de la culture municipale ou à des projets de patrimonialisations, a été
multiplié par quinze.32 Pas moins de 130 ententes globales de développement culturel ont
été conclues entre les municipalités québécoises et le gouvernement du Québec depuis
1995.33 Or, les pouvoirs municipaux en matière de patrimoine relèvent de deux lois. La
première de 1978 est la Loi sur l’aménagement urbain et l’autre de 1972, la Loi sur les
biens culturels. Cette dernière a été modifiée en 1985 permettant ainsi aux municipalités de
cibler des lieux enclins à la préservation, de citer des monuments historiques ou tout
simplement constituer un site patrimonial. Une étude de Serge Bernier montre qu’en 2006,
entre 4% et 29% des dépenses culturelles des villes sont celles concernant le patrimoine,
l’art public et le design urbain. En revanche, les dépenses culturelles des villes québécoises
sont de l’ordre de 6% ou 7% des dépenses municipales, peu importe la taille de celles-ci.34
Strictement pour la ville de Québec, la commémoration revêt principalement la
forme d'objets intégrés à l'environnement sous forme d’épigraphes, de plaques, de
monuments ou d’œuvres d'art.35 Les plaques et les monuments sont en général les
structures les plus utilisées dans le cadre de commémoration matérielle à l’intérieur de la
ville. Il s’agit d’une forme participative de construction qui juxtapose le travail de plusieurs
groupes d’individus. Il y a celui du citoyen, de l’artisan, des élites municipales, des groupes
patrimoniaux, etc. Dans le cas échéant, nous observons également celui des comités de
citoyens ainsi que de leurs partenaires financiers. Pourtant, ce travail rassembleur
d’envergure n’est pas immunisé aux méfaits du temps qui permet aux époques de changer
32 Michel de la Durantaye, « Les politiques patrimoniales et culturelles des municipalités du Québec », André
Charbonneau et Laurier Turgeon (dirs.), Patrimoines et identités en Amérique française, CEFAN, Québec,
PUL, 2010, p. 32-50. 33 Ibid. p. 34. 34 Serge Bernier, Les dépenses culturelles des municipalités en 2006, OCCQ, 2009, Statistiques en bref, p. 44. 35Ville de Québec, onglet « Commémoration », Culture et Patrimoine, http://www.ville.quebec.qc.ca-
/culture_patrimoine/patrimoine/commemoration.aspx, page consultée le 23 novembre 2014.
111
et aux sociétés de se transformer. Comme le mentionne Mark Crinson dans son Urban
Memory:
There are no more obvious markers of memory in a city then its monuments and no
more obvious sites of crisis of memory. […] monuments can also suffer from a more pervasive
amnesia. As the events or persons that they memorialise lose relevance or lack the rekindling
operation of history, so monuments join the life of the streets, brought into the extensive time of
the everyday, the necessarily ignored.36
Nous avons montré qu’il en était effectivement le cas avec le monument Québec, Printemps
1918 de nos jours. Une très faible minorité des citoyens de la ville, incluant les résidents du
quartier du site de commémoration, connaissent ne serait-ce qu’une parcelle de la structure
référentielle. C’est dans cette perspective que la Ville de Québec a lancé un programme
avec la participation du plan directeur du quartier Saint-Sauveur en mai 2005. Une des
initiatives de cette communauté patrimoniale fut de constituer une brochure explicative et
informative de visites guidées des sites patrimoniaux du quartier.37 Ces visites sont
principalement à l’intention des habitants à même le quartier et de ceux de l’extérieur de la
ville. En tout, dix-neuf sites historiques sont ciblés durant le trajet où seulement deux
d’entre eux possèdent un monument commémoratif. Outre ceux visités dans le trajet, il y a
sept monuments dans le patrimoine de Saint-Sauveur ce qui en fait le deuxième outil du
patrimoine matériel le plus nombreux après celui de la plaque commémorative. La Place
Québec, printemps 1918 est l’un des sites répertoriés par la brochure. Il y a alors bel et bien
un effort de construction de mémoire exercé régionalement à l’égard du patrimoine
historique.38 Pourtant, les éléments de mémoire de l’Émeute de Québec demeurent ignorés
par les différentes communautés de la ville. Pour celles-ci, le monument fait bel et bien
partie des objets de la rue nécessairement oubliés.39
36 Crinson, op. cit. p. XVI. 37 Les publications qui font partis de la collection Itinéraires, histoire et patrimoine proposent des guides de
découverte de l’histoire et des richesses patrimoniales qui caractérisent un territoire ou encore un élément
distinctif de celui-ci. Cette collection a été mise en œuvre au sein du réseau Ville et Villages d’art et de
patrimoine qui a pour mission de promouvoir et mettre en valeur les arts, la culture et le patrimoine dans une
perspective de développement du tourisme culturel dans toutes les régions du Québec. 38 À plusieurs égards, il est possible de comparer l’emplacement de différents monuments selon l’effet
désiré par la mise en valeur de l’événement, ou du personnage, ainsi que celle du secteur où se situe la
commémoration matérielle. Par exemple, le monument Québec, Printemps 1918 en comparaison avec
l’emplacement du monument de Samuel de Champlain près de la Terrasse Dufferin (Château Frontenac) est
effectivement moins propice au tourisme étranger et plus centré sur une mémoire locale. 39 Annexe G : Symbole anecdotique. À titre anecdotique, il semblerait que la petite marque - symbole du
peace and love- sur le côté du monument – probablement une signature graffiti – reste en permanence
112
En analysant les motivations de la commémoration de l’Émeute de Québec, il est
possible d’y trouver les motivations du processus de patrimonialisation de l’événement.
Dans un communiqué du 12 mars 1998 intitulé Lancement de la campagne de financement,
le trésorier du comité Québec, printemps 1918 Serge Routhier a annoncé explicitement
l’objectif de la campagne. Bien évidemment, il s’agissait d’amasser des fonds publics pour
porter le total du montant nécessaire à la démarche finale à 80 000$. Plus encore, « l’œuvre
d’art permettra de commémorer le point culminant de l’opposition à la manifestation […]
de souligner le silence de la mémoire de plus de 80 ans […] de réaffirmer le manque de
responsabilité du gouvernement fédéral quant à l’indemnisation des familles des victimes
[…] et finalement, elle pourra mettre en valeur cette partie du quartier Saint-Sauveur.»40 Le
plus surprenant toutefois est que le comité prévoyait l’installation d’une petite place
publique « entourant l’œuvre comme un écrin le fait pour un joyau […] participant de ce
fait même aux projets de revitalisations urbaines mis de l’avant par la ville de Québec, ainsi
que par de nombreux acteurs du quartier Saint-Sauveur.»41 Les premiers objectifs élaborés
par S. Routhier forment le fondement sur lequel s’entamera le processus de
commémoration matérielle qu’est le monument Québec, Printemps 1918. Ce sont ces
mêmes motifs qui établissent de surcroit la voie de patrimonialisation de l’événement. Nous
aborderons ces motifs plus en détail dans la prochaine section.
Le dernier motif mentionné par l’ancien trésorier du comité nous laisse toutefois perplexes.
Bien plus que les seuls objets et bâtiments, le patrimoine comprend également dans ses
rangs les paysages et les lieux. La place publique envisagée par Serge Routhier en 1998
n’envisageait probablement pas ce type de paysage urbain que nous percevons
aujourd’hui.42 Un poste d’embarquement d’une ligne du RTC de Québec et un
attachée à celui-ci. Ayant discuté brièvement avec un préposé des archives de la Bibliothèque Gabrielle-Roy à
Québec, ce dernier expliquait le lien qui uni le sigle et le monument avec un brin d’humour. Tous les ans, une
équipe spécifique d’employés de la ville s’exerce à prendre un soin méticuleux de tous des monuments. Il est
mentionné dans le milieu que le petit symbole refait surface aussitôt celui-ci nettoyé. Il reprend ainsi une
forme identique, de la même couleur, exactement au même endroit À en croire que certaines personnes
tiennent à s’approprier la cause et participer à l’émancipation de la mémoire qu’elle projette. Ironiquement,
cela pourrait suggérer que la rue fait désormais partie du monument ! 40 Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec, Serge Routhier, Lancement de la campagne de
financement : Œuvre d’art commémorative Québec, printemps 1918, Québec, Dossier Comité Québec
printemps 1918, Doc281114-28112014130609, Consultée de février 2014 à novembre 2014. 41 Ibid. 42 Annexe H : Place Québec, printemps 1918.
113
stationnement de béton à l’arrière couvre l’entièreté de ce petit écrin. Le désir de voir
évoluer une certaine admiration pour ce site de mémoire devient alors assez ironique
lorsqu’on le voit cloitré dans le béton et l’asphalte. Cette incongruité n’est en fait que le
reflet d’un phénomène empirique de l’utilisation des matériaux dans la commémoration,
souligné par Adrian Forty dans son article Concrete and Memory. L’auteur fait allusion à
plusieurs exemples où le béton est utilisé à outrance dans le paysage commémoratif d’un
lieu alors que ce matériel « is generally associated with the erasure and obliteration of
memory. It makes everywhere looks the same and it cuts people from their past, from
nature, from each other. »43 La démonstration qu’il achemine au lecteur débute par
l’explication du graffiti révélateur de la ville de Marburg en Allemagne, Beton ist Koma,44-
le béton c’est le coma- sur un immense stationnement multiétage bétonné. En ce sens, si le
désir de valorisation urbain suivait la même tangente que l’ampleur de la mémoire réelle
concernant l’Émeute de Québec, il n’est pas surprenant que cet événement reste banalement
oublié. Il y a tout un écart entre les projections initiales du comité et les résultats
observables une quinzaine d’années plus tard.
3.2.2 L’identité par l’histoire
À l’intérieur d’une perspective strictement historique, la mémoire, l’identité et la
représentation sont étroitement liées. Dans un complexe de relations réciproques, ils
alimentent en effet leurs constructions respectives et mutuelles.45 La mémoire porte son
influence sur la représentation tout comme sur l’identité. Inversement, la représentation
influe tout autant sur l’identité qu’elle projette et sur la mémoire qu’elle aide à construire.
La structure référentielle de l’Émeute de Québec se situe à l’intérieur de ce cercle
d’influence perpétuelle. Cette structure est à son tour intégrée dans un ensemble plus large,
celui du patrimoine. Le patrimoine agit telle l’enveloppe culturelle de tous les outils de
43 Adrian Forty, « Concrete and Memory », Marc Crinson et al., Urban Memory: History and Amnesia in the
Modern City, New York, Routledge, 2005, p. 75-98. 44 Traduit en anglais cela signifie: Concrete is Coma. La démonstration est effectuée dans le travail suivant:
Adrian Forty, Concrete and Memory, dans Marc Crinson et al., Urban Memory: History and Amnesia in the
Modern City, New York, Routledge, 2005, p. 79. 45 Malack, op.cit. p. 8.
114
mémoires et les concepts identitaires qui définissent un événement. Il est un lien direct à
l’histoire qu’ils partagent. De là l’utilité du patrimoine afin d’intégrer complètement une
unique version de l’histoire de l’événement de 1918 par la représentation publique et
matérielle.
Dans son livre The Heritage Crusade, David Lowenthal s’attarde également à cerner la
notion de patrimoine - heritage. Il utilise une comparaison avec l’histoire lorsqu’il aborde
la définition de ce concept:
History and heritage transmit different things to different audiences. History tells all
who will listen what has happened and how things came to be as they are. Heritage passes on
exclusive myth of origin and continuance, endowing a select group with prestige and common
purpose […] It is not an inquiry into the past but a celebration of it, not an effort to know what
actually happened but a profession of faith in a past tailored to present day purposes.46
Le patrimoine, selon Lowenthal, exerce son rapport d’influence par un groupe - ou
quelques groupes- spécifique et non pas avec l’ensemble de ceux-ci. Il rejoint ainsi
Leniaud lorsqu’il aborde la nature du processus patrimonial. Selon eux, ce sont les
communautés patrimoniales qui exercent la plus grande influence sur la manière de
construire le patrimoine. Ils figent le passé dans le présent selon les nécessités actuelles.
Dans ce contexte, les outils commémoratifs sont utilisés de manière à définir et réaffirmer
un aspect de l’identité de leur groupe qu’ils désirent introduire dans l’ensemble permanent
du patrimoine.
Les auteurs de chaque élément constituant la structure référentielle de l’Émeute de Québec
y ont effectivement ajouté une partie d’eux-mêmes, une partie de l’identité qu’ils ont
reproduite dans leurs travaux. Jean Provencher est à l’avant-garde de ce phénomène. Il s’est
auto défini à travers son œuvre Québec sous la Loi des mesures de guerre, 1918. Il l’a fait
également dans la production de la pièce de théâtre du même nom, ainsi que par son
implication dans le Comité Québec, printemps 1918. Il en va de même pour les auteurs de
la plaque commémorative située sur l’édifice de la CSN sur le boulevard Charest et pour
tous les autres membres des comités directement reliés aux différents projets
commémoratifs: les artisans, les gestionnaires municipaux et les organismes de
46 David Lowenthal, The Heritage Crusade and the Spoils of History, Cambridge, Cambridge University
Press, 1998, p. 128.
115
financement, les acteurs de valorisation urbaine et régionale, etc. Ces individus opèrent en
tant qu’agents de communautés patrimoniales. Ceci dit, le projet d’association de la
mémoire de l’événement à un aspect identitaire spécifique tient sa source première entre
leurs mains. L’introduction de l’Émeute de Québec dans le patrimoine matériel de la ville
fut l’œuvre d’une minorité de citoyens; celle qui ressent, ou qui désire exprimer, un lien
culturel et historique à même l’événement.
Outre les auteurs, le lieu de mémoire agit de manière semblable. En tant que symbole de
représentation dans la mémoire d’une certaine collectivité, la Place Québec, Printemps
1918 se rapporte à un désir d’histoire et d’identité. Selon son symbolisme spécifique, il
permet à quelques groupes d’associer une partie de leur identité respective à un projet de
commémoration qui supposément les représente. Tel est le cas avec les groupes de citoyens
qui ont utilisé le site des victimes de l’émeute en 1918 afin de l’investir dans le patrimoine,
ou du moins, dans la mémoire urbaine de Québec. Ce lieu fige l’histoire de l’événement
dans la géographie de la ville. Comme le définit Lowenthal, son utilisation particulière et
exclusive dans le processus de commémorations matérielles reflète un certain mythe de
l’histoire de la ville. Cela évoque une proposition arbitraire de l’importance historique que
détient possiblement le lieu. D’autres lieux furent en fait tout aussi importants dans le
traumatisme des émeutes tout au long de l’événement. Ils ne comprenaient pas de victimes
toutefois. Ce qui exprime en soi la priorité patrimoniale - commémorative- de la violence
meurtrière versus la violence simplement physique, verbale ou celle envers la propriété.
D’un autre côté, si l’histoire permet à la mémoire, la représentation et l’identité de
s’influencer mutuellement, elle peut aussi être la cause d’une rupture relationnelle. Cette
fracture se situe principalement dans la définition de la représentation identitaire. Étant
donné la centralité du concept d’identité dans les sciences sociales en générale, tout comme
celui d’altérité d’ailleurs, elle se doit d’être définie. Voici la définition que Denis Chevalier
et Alain Morel en proposent dans la revue ethnologique Terrain No 5 :
Elle désigne aussi bien ce qui perdure que ce qui distingue et ce qui rassemble. Elle
s'applique à l'individu comme à des groupes. Elle ne se conçoit que comme la combinaison
d'éléments très hétérogènes. Elle s'éprouve et se manifeste en des figures sélectionnées en
fonction des contextes. Elle se modifie avec l'évolution des rapports sociaux et des
appartenances. Ambiguë enfin, elle peut être tour à tour tue et affirmée. En aucun cas donc
l'identité ne se laisse convertir en formules ou réduire à des combinaisons d'attributs et l'on peut
116
s'interroger sur les avantages que l'on trouve à se référer à une telle notion tant les phénomènes
qu'elle désigne sont diversifiés dans leurs manifestations, leurs significations et leurs
déterminations.47
Attribuer une identité à quelqu’un ou à un groupe devient donc une pratique tirant sur le
jugement arbitraire. Afin de jouir d’une légitimité complète, une attribution identitaire doit,
a priori, se concrétiser à l’intérieur même du groupe en question. L’identité désirée s'établit
alors par les événements historiques et les choix patrimoniaux avec lesquels ces groupes
décident de s'identifier eux-mêmes. L'histoire patrimoniale est donc à la fois un marqueur
d'unité, mais également, un facteur de différenciation de chaque groupe social.48
L'importance de bien définir son patrimoine prend alors tout son sens pour une
communauté qui désire redéfinir ou retrouver un aspect identitaire par le passé, et ce, peu
importe le groupe en soi.
Enfin, la liaison entre l’événement et l’identité recherchée est parfois plus facile à
montrer en théorie. L’exemple du monument Québec, Printemps 1918 en montre les limites
pratiques. La valeur identitaire est bien définie dans le processus de patrimonialisation
selon la construction de la structure référentielle et selon la manière dont la
commémoration du monument est elle-même abordée. Le principe identitaire englobant
toutes les motivations initiales concernant la commémoration de cet événement est
principalement celui de la différence. Pour le groupe qui amorce le processus
commémoratif, renouer avec la dualité ethnique, la dualité linguistique et la perception
variable de l’obligation citoyenne, dans un contexte de violence, forment la composante
identitaire recherchée. Le désir de réaffirmer ces positions autrefois assumées dans le
contexte spécifique d’une crise sociopolitique est une motivation pour les acteurs du
présent. Il ne faut qu’analyser le texte de la Place Québec, printemps 1918 pour
comprendre, et ressentir même, l’identité recherchée. Les distinctions ethniques et
linguistiques y sont clairement énoncées. D’une part, il y est écrit : « […] tout se gâte
47 Denis Chevalier et Alain Morel, « Identité Culturelle et appartenance régionale : quelques orientations de
recherche », Terrain no5, (octobre 1985), pages 3-5. 48 Henri Ollagnon, « Patrimoine: approches croisées », Cahier no2 (1990), Université de Reims, p. 48-64.
Également cité dans Christian Barrère, Denis Bathélemy et al. Réinventer le patrimoine: De la culture à
l'économie, une nouvelle pensée du patrimoine?, Paris, Harmattan, 2005, 325 pages.
117
lorsque les autorités militaires49 donnent l’ordre aux 1200 soldats anglophones amenés
expressément de l’Ontario et de l’Ouest canadien […] après avoir lu, en anglais, l’ordre de
dispersion, les soldats mitraillent la foule […] le mouvement spontané d’un peuple qui se
lève pour défendre ses convictions […] ».50
De plus, le texte mentionne effectivement le peuple qui se lève. Il se trouve avec ce
segment une ambiguïté sociohistorique puisque le peuple uni qui s’est levé selon le récit
commémoratif ne coïncide pas entièrement avec le portrait social des faits de l’époque.
Certes, les quatre victimes étaient des étudiants/travailleurs manuels Canadiens français
demeurant dans les quartiers de la Basse-Ville. Par contre, le groupe qu’il représente ne
constitue pas l’homogénéité des convictions qui étaient défendues à travers le tumulte de
l’époque. En fait, le peuple dont il est question intégrait une part non négligeable de
conviction inverse à la construction de la mémoire du monument. Le média écrit
francophone L’Événement et ses partisans comptent parmi ceux qui s’opposaient à ce
soulèvement d’un peuple. L’élite catholique de la ville rédigeait elle aussi des déclarations
de mépris envers les insurgés manifestants.51 Rappelons que 90% de la population de la
ville de Québec était à ce moment catholique. Quoi dire également des autres communautés
comme les Irlandais catholiques qui s’opposaient tout autant à la conscription selon leurs
convictions. Enfin, mentionnons la démonstration généralisée des anglophones protestants
à l’égard de leur penchant vers la soumission aux autorités militaires. En majorité, ils
demandaient la cessation de cette anarchie civile. Ce type de conviction faisait également
foi d’une partie de ce même peuple.
Le peuple homogène décrié dans les tentatives de rassemblement identitaire autour d’un
événement sombre, relève en effet du mythe. À vrai dire, cela exprime uniquement que les
convictions du groupe des quatre individus commémorés ont plus de valeur, soulignant la
mortalité, que celles des autres groupes et communautés qui ont vécu l’événement.
49 À noter qu’il n’y a aucune mention du Général Lessard ou tout autre officier francophone parmi les
autorités militaires dans le texte. Arrivé de Halifax durant la fin de semaine de l’émeute, ce dernier était un
général canadien-français. Il était en fait l’autorité en chef sur les soldats anglophones et tous les officiers à
l’intérieur de la ville durant la crise. 50 Monument commémoratif Québec, printemps 1918, extrait du texte écrit par le Comité Québec, printemps
1918, situé à l’angle des rues Bagot, Saint-Joseph et St-Vallier dans le quartier Saint-Sauveur de Québec. 51 À titre d’exemples : « Lettre du Cardinal Bégin », L’Action Catholique, (1er Avril 1918), p. 1. Ainsi que
« Un touchant appel du Cardinal Bégin », L’Événement, (1er avril 1918), p. 1.
118
N’oublions pas également que ces quatre victimes ont été jugées innocentes, n’ayant posé
aucun geste de « manifestation spontané afin de soutenir leurs convictions. » Malgré tout,
encore aujourd’hui et depuis quinze ans, cet engouement patrimonial sombre dans l’oubli.
Il n’est toujours pas corroboré par l’entièreté des collectivités ayant vécu le traumatisme
fondamental.
Ainsi, que reste-t-il de collectif à l’identité reflétée par la commémoration du
monument Québec, printemps 1918 lorsque la mémoire collective qui la représente
historiquement est beaucoup plus hétérogène? Le principe identitaire derrière le processus
de patrimonialisation de l’événement ne constitue pas une valeur intégratrice. Empruntant
la voie de Yerushalmi, le souvenir recréé et la quête de collectivisation de la mémoire
s’oppose en effet dans ce cas-ci à l’injustice de l’oubli banalisé.
3.2.3 Patrimonialisation : la violence et l’injustice
Le principe de différence n’est pas uniquement le fondement identitaire dans le
processus de patrimonialisation de l’Émeute de Québec. Il sert également de trame de fond
afin de réaffirmer un sentiment d’injustice refoulé durant plusieurs années. Le principe
identitaire est donc la différence, tout comme le motif originel de la commémoration en est
l’injustice. Lorsqu’on compare les objectifs du comité Québec, Printemps 1918 dans le
communiqué de M Routhier et les motifs mentionnés sur le texte du site, une omission est
remarquable. Un critère du comité ne figure pas sur le matériel commémoratif. Le comité
désirait souligner le manque de responsabilité du gouvernement fédéral quant à
l’indemnisation des familles des victimes. Il est surprenant que la mention ait été délaissée
dans le texte de la Place Québec, printemps 1918.
Pourtant, considérant l’œuvre de Jean Provencher à son juste titre, il est déterminant de s’y
arrêter un instant. Elle est la pierre angulaire du retour d’un traumatisme refoulé puisqu’elle
en est la première. En somme, cette œuvre fut dédiée aux quatre individus qui ont été tués
par les soldats de l’armée canadienne. Elle fut écrite également afin de corriger une
119
injustice historique relevant au grand jour un événement qui semblait avoir été oublié.52 En
guise de conclusion, à travers quelques données chronologiques, Provencher mentionne que
le 13 avril 1918, après avoir entendu 30 témoins, le jury a rendu sa décision.53 Le jury a
procédé à la lecture suivante en court :
Le jury est d'opinion que, considérant que les personnes tuées en cette occasion étaient
innocentes de toute participation à cette émeute qui devait son origine a la manière inhabile et
grossière avec laquelle les officiers fédéraux chargés de 1'exécution de la loi de conscription
envers les insoumis exerçaient leurs fonctions, il serait du devoir du gouvernement d'indemniser
raisonnablement les familles des victimes que l’on a prouvées innocentes et sans armes à ce
moment, ainsi que d'indemniser ceux qui ont souffert des dommages de cette émeute.54
C’est précisément cette injustice qui agit telle que la motivation principale chez tout auteur,
groupe ou communauté patrimoniale désirant revitaliser la mémoire de l’événement.
Provencher a entamé la marche en 1971. Il fut suivi par certains acteurs isolés et des
comités de citoyens formant ainsi les assises des diverses communautés patrimoniales.
Celles-ci désiraient intégrer l’événement dans le patrimoine du quartier afin de s’approprier
un aspect identitaire de se passé. L’engouement envers cette l’injustice historique a donc
pris une tournure identitaire selon les intérêts présents à chacune des époques où les
différentes constructions de la structure référentielle furent établies.
Pourtant, malgré la patrimonialisation du passé au plan matériel, l’injustice historique par
rapport à l’indemnisation des familles n’est transmise quant à elle qu’à l’orale. Seules les
commémorations annuelles le mentionnent. Cette requête de justice est maintenant une
étape traditionnelle de ces commémorations orales annuelles que certaines associations – la
Société Saint-Jean-Baptiste au premier chef- effectuent chaque année. En plus, nous avons
remarqué que ces commémorations annuelles sont effectivement très peu connues ou
supportées par les différents groupes et communautés de la ville de Québec. Comme le
mentionne Chris Young, c’est en fin de compte la Ville de Québec qui a déboursé plus de
200 000$ à l’époque pour réparer les dommages matériels aux bâtiments comme
l’Auditorium - le Capitole-, les bureaux de presse saccagés, les vitres les habitations de
particuliers, etc. Ce montant vaut maintenant plus de 3,4 millions de dollars en 2014.
Jusqu’à présent, peu importe le parti au pouvoir, le gouvernement fédéral n’a pris aucune
52 Young, op. cit. p. 28. 53 Provencher, op. cit. p. 139. 54 « Le verdict de l’enquête du coroner », L’Action Catholique, (15 avril 1918), p. 4.
120
initiative afin d’indemniser les familles des victimes. Durant toutes ces années, il se disait
non responsable de ces tristes conséquences.55
Somme toute, la patrimonialisation de l’Émeute de Québec par la commémoration
s’exprime sous la motivation de rendre l’injustice historique comme permanente dans
l’entendement des collectivités ciblées. Le domaine patrimonial permet effectivement à ce
qui a été commis de devenir présent, de manière permanente, sous forme de création
arbitraire. Toutefois, l’interprétation unique de l’Émeute de Québec, qui s’insère dans le
patrimoine historique et matériel de l’événement, exprime en soit une injustice vis-à-vis de
l’objectivité de la mémoire de l’événement. Elle est en elle-même une injustice en soi pour
d’autres groupes désirant refouler le traumatisme. Qu’en est-il de la relation de violence
entre les Canadiens français eux-mêmes ? Des individus francophones ont été violentés par
d’autres francophones dans cette histoire. Également, les maux qu’on subit des Canadiens
français, des Canadiens anglais, Irlandais, catholiques et protestants, ouvriers comme
commerçants sous la violence des masses tumultueuses, ou sous la répression des soldats
canadiens durant toute la durée de l’événement, méritent eux aussi d’être commémorés.
Ainsi, l’omission de ces violences est également une injustice en regard à la
commémoration de l’événement. La raison d’être de la structure référentielle en est alors
ébranlée. Le patrimoine immortalise bel et bien le travail de ceux qui veulent s’identifier au
passé, de ceux qui ont besoin du passé pour s’identifier. Il prend de ce fait la mémoire
comme mère porteuse et l’histoire comme outil de justification.
55 Young, op. cit. p. 57.
121
Conclusion
En observant les données de l’étude de Chris Young sur la mémoire de la Crise de
la conscription qui est construite par les historiens professionnels et amateurs du Québec, il
ne fait aucun doute que celle-ci soit unidimensionnelle. Après un oubli généralisé de plus
de 53 ans, l’événement n’est ressorti dans les écrits scientifiques que sous très peu
d’auteurs. Il fut évoqué ici et là dans les institutions politiques à des fins partisanes. Il
apparait également dans quelques journaux de la ville (pas tous) lors du 50e anniversaire de
l’émeute. C’est bien par la plume de Jean Provencher en 1971 avec Québec, sous la Loi des
mesures de guerre,1918 que nous découvrons le catalyseur de la mémoire renouvelée
envers l’événement. Depuis la Révolution tranquille, les livres d’histoire dans la province
tendent en effet à délaisser l’histoire militaire au profit d’un récit cerné à l’intérieur d’un
événement localement isolé, l’Émeute de Québec. Nous avons découvert une forte
corrélation entre la démonstration de Young et les observations de terrain exécutées dans le
cadre de ce travail-ci. Les entretiens qui ont été agrémentés de multiples anecdotes
personnelles ont ainsi permis des témoignages venant corroborer l’évolution de
l’enseignement de cette histoire - l’émeute de la Crise de la conscription- dans les manuels
scolaires québécois. Nous avons ainsi observé comment la mémoire travaille chez des
individus de différentes générations dépendamment de la manière dont l’histoire leur est
racontée.
Pourtant, aussi véritable soit-elle, cette conclusion s’opère par contre dans le cadre
territorial de la province entière et selon un groupe identitaire unique, les Quebecers.
Lorsque nous analysons la mémoire de ce même événement dans un contexte plus local,
nous observons rapidement que le résultat n’est pas le même. La ville de Québec est le
foyer de violence principal de l’événement en question. Le traumatisme vécu par ses
citoyens est donc direct. Il va de soi que la mémoire qui se développe par la suite s’exprime
par cette nuance. De plus, cet état de tension généralisé s’est abattu sur tous les groupes et
communautés de la ville de Québec. Tous y ont été intégrés bien malgré eux. Qu’ils soient
anglais, français, ouvriers, commerçants, élites politiques ou financières, ils ont tous émis
des jugements qui leur étaient propres.
122
L’évolution de la mémoire d’un événement politique jugée traumatique par les
citoyens l’ayant vécu affecte également sa représentation par les citoyens du présent.
Chacun interprète les faits du passé pour les intégrer à leur présent. Le passé influence sur
la mémoire qui s’en construit. Toutefois, le présent exerce une force tout aussi importante
sur la mémoire et peut-être même davantage. À l’intérieur du processus de construction de
la mémoire, lorsque le passé se trouve à une distance temporelle où l’individu ne peut que
l’interpréter, ce phénomène permet au présent d’utiliser le passé à ses fins. Ainsi, au fil des
ans, la mémoire des émeutes de Québec se forge par l’interprétation de certains à des fins
bien spécifiques. Nous avons observé qu’une importante distinction existait entre, d’une
part, les différentes mémoires qui opèrent selon les groupes - la mémoire collective-, et
d’autre part, la mémoire collective et la mémoire urbaine de la ville de Québec - la structure
référentielle.
Or, la mémoire urbaine de l’Émeute de Québec est ainsi construite, commémorée et
représentée comme étant l’unique version de l’histoire. Tous les objets, les lieux, les
commémorations de toutes sortes qui en sont faits forment une version unilatérale de la
mémoire. Elle ne représente que quelques groupes spécifiques portants un intérêt
identificateur à l’utilisation de ce passé. Il en est tout autrement de la mémoire collective
dans la ville de Québec. Cette mémoire s’exprime davantage sous une hétérogénéité des
différents groupes et communautés de la ville que ce que prétend l’entièreté du processus
commémoratif. C’est ce principe de mémoire construite qui forme en fait le fondement de
l’ambiguïté commémorative de l’événement en question. Les différentes collectivités de la
ville ne se souviennent pas de l’Émeute de la même manière. Certains se l’approprient,
d’autres le banalisent. Pourtant, les descendants de toutes ces collectivités réunies dans la
ville de Québec ont vécu ensemble la violence de l’événement. Ils conviennent
unanimement de l'importance de la violence et de son rôle prédominant dans la nature du
souvenir. Un élément intervient donc dans le processus de construction de la mémoire
collective.
La structure référentielle créée à l’égard de l’Émeute de Québec de 1918 est
construite dans le cadre d’un processus patrimonial homogène. La mémoire collective est
quant à elle est beaucoup plus diversifiée que l’identité qui s’y dégage. La
patrimonialisation de l’événement et de tout ce qui entoure la violence exercée dans le
123
quartier précis de Saint-Sauveur est non intégrateur. Elle est exercée par des acteurs isolés;
des communautés patrimoniales qui cherchent à attribuer aux citoyens présents un aspect
identitaire spécifique à un événement du passé. De plus, nous avons remarqué que le
concept de la violence est l’élément référentiel central dans la construction de la mémoire
collective parmi la totalité des individus interpelés. Le monument de la Place Québec,
printemps 1918 est également l’unique référence patrimoniale de la violence de l’Émeute
de Québec dans la mémoire des collectivités de la ville aujourd’hui. Il serait alors
convenable d’intégrer au processus commémoratif la totalité des collectivités de la ville qui
reconnaissent la violence du passé. Puisque, contrairement à l’histoire des événements de
1918 qui s’est réellement déroulé, la mémoire urbaine qui en construite est représenté par
une entité bien précise et unique. Les communautés qui investissent la mémoire imposent
une direction à la collectivité quant à la manière de se souvenir du passé - surtout celui qui
représente une référence historique de son identité. Cette mémoire s’insère surtout dans le
patrimoine de quelques groupes identitaires spécifiques qui se sont approprié l’événement.
Il s’agit des groupes de francophones, particulièrement celui des ouvriers et citoyens du
quartier Saint-Sauveur de la ville de Québec. La mémoire de l’émeute de la Crise de la
conscription est donc représentative d'un désir permanent des individus du quartier Saint-
Sauveur à se définir en partie à travers cet événement dans un présentéisme identitaire.
Enfin, l’aspect analytique de ce travail nous incite à penser que la mémoire peut
effectivement se raconter sa propre histoire. Le manque d’intégration des collectivités
anglophones, des commerçants ou tout simplement des habitants des quartiers de la Haute-
Ville dans le processus patrimonial exprime en soi ce paradoxe. La mémoire urbaine qui en
est construite permet de penser en une unique version de l’injustice. D’innocents ouvriers
francophones subissant la violence des soldats étrangers anglophones. Pourtant, comment y
intégrer alors les multiples autres exemples de violence, non meurtrière certes, mais tout
aussi traumatisantes. Des francophones ont été battus par des francophones. Un
francophone dirigeait la totalité des officiers leur commandant d’user de la force pour
remettre de l’ordre dans la ville. Des commerces francophones ont été saccagés par des
francophones. Nous pouvons également spéculer sur les répercussions sur la mémoire
collective d’un même assaut de mitrailleuse fait par des soldats francophones de la garde de
Val-Cartier. Ou alors, aurait-on oublié si facilement dans le reste du Canada le massacre de
124
soldats francophones tirant sur des civils anglophones… Ces faits d’armes entre
francophones sont maintenant soigneusement oubliés dans la version construite dans le
patrimoine. Pourtant, à défaut d’intégrer la mémoire collective, ces faits n’en tiennent pas
moins une place importante dans l’histoire de l’Émeute de Québec.
125
Bibliographie
Sources primaires
Archives, lois, liens internet et autres
Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec, Dossier Comité Québec printemps
1918, Doc281114-28112014130257, p. 1 à 10, consultées de février 2014 à novembre
2014.
Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec, ROUTHIER, Serge. Secrétaire du
Comité Québec, printemps 1918, « Lancement de la campagne de financement : Œuvre
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135
Annexes
Annexe A : Grille d’analyse de contenu des médias écrits de 1918
Grille d'analyse du contenu des médias écrits
Type de support : Papier journal / Microfilm… Questions:
Date de production:
Nom du médias:De quoi s'agit-il ? :
Attribut du message (Quoi et comment): … tel événement, à telle page de telle importance...
Importance dans le médias:
Inférence à propos des causes et du contexte de production du message (Qui et Pourquoi): … quel journal, quel message,
quel contexte de production, quelle approche de l'auteur…
Point de vue et intensité de l'opinion
inférence sur des effets de la communication et sur le contexte de réception du message (Mesure de l'influence du média sur la priorité du messge): … importance du message, quel auditoir, quels éléments de l'en
vironnement de l'auteur influence le message…
Structure
Bref résumé du contexte de production des structures sémantiques des messages : Concurrence:
Association:
Corrélation:
Analysé le :
136
Annexe B : Tableau du dénombrement des Avis pour les cinq quotidiens de Québec
entre le 30 mars et le 6 avril 1918
Dénombrement des Avis à l'intérieur des cinq quotidiens de Québec entre le 30 mars et le 6 avril 1918
Le Soleil L'Événement Quebec Morning Chronicle Quebec Daily Telegraph L'Action Catholique Nombre d'Avis / journée
Journée
30-mars 3 0 0 1 2 6 AM - ÉD - ML AM: 0, ÉD:2, ML:1 AM: 0, ED:0, ML:0 AM:0, ED:0, ML:0 AM:0, ED:1, ML:0 AM:0, ED:1, ML:1
31-mars X X X X X X X X X X X X X X 0 AM - ÉD - ML * N.B * N.B * N.B * N.B * N.B
01-avr 4 3 1 4 4 16 AM - ÉD - ML AM:2, ED:1, ML:1 AM:1, ED:2, ML:0 AM:0, ED:0, ML:1 AM:1, ED:2, ML:1 AM:1, ED:1, ML:2
02-avr 3 2 4 2 3 14 AM - ÉD - ML AM:1, ED:1, ML:1 AM:1, ED:1, ML:0 AM:2, ED:1, ML:1 AM:1, ED:0, ML:1 AM:1, ED:1, ML:1
03-avr 3 2 2 2 3 12 AM - ÉD - ML AM:2, ED:1, ML:0 AM:2, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:1 AM:1, ED:0, ML:1 AM:2, ED:1, ML:0
04-avr 1 1 0 1 1 4 AM - ÉD - ML AM:1, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:0, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0
05-avr 2 1 1 2 0 6 AM - ÉD - ML AM:2, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:2, ED:0, ML:0 AM:0, ED:0, ML:0
06-avr 1 1 2 1 0 5 AM - ÉD - ML AM:1, ED:0,ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:2, ED:0, ML:0 AM:1, ED:0, ML:0 AM:0, ED:0, ML:0
Totaux / Quotidiens 17 10 10 13 13 63
Nombre d'Avis / quotidiens * N.B: Aucun tiage le dimanche de Pâques 31 mars 1918
Sources des Avis
Légende: AM = Autorités militaires
ÉD = Éditeurs
ML = Maire Lavigueur
137
Annexe C : Précisions méthodologiques
Cet aspect de la méthodologie a été accepté par le Comité d’éthique de l’Université Laval
ayant conformément exécuté le processus académique soumis à toute recherche utilisant
des êtres humains. Cette requête exprimait en soi un besoin à combler à des fins
d’entretiens avec des individus ayant les qualifications suivantes :
- désirant s’entretenir sur la mémoire d’un événement violent, politique et social du
passé de la ville de Québec. - possédant une quelconque connaissance de l’événement de l’émeute de Québec de
1918.
L’annonce de recrutement stipulait également : « Si vous-même ou si vous connaissez
quelqu’un qui a acquis une certaine connaissance de l’événement par le biais d’une
transmission oral, ou, si vous connaissez quelqu’un qui habite dans la ville de Québec, plus
spécifiquement dans la Basse-ville ou la Haute-ville, ou de tout autres lieux de mémoire
(lieux de commémoration à l’égard de l’événement) vous êtes invité à communiquer avec
le chercheur principal de ce projet ». Elle exprimait même le désir d’entendre « toute
personnes connaissant un lieu/objet commémoratif spécifique concernant l’émeute de la
Crise de la conscription de Québec en 1918 qui lui est cher, qui lui permets le souvenir,
l’interprétation ou la référence à cet événement ».
Nous estimons que deux facteurs principaux ont permis d’établir l’échantillonnage de notre
corpus. L’événement étant presque centenaire, tout comme les commémorations -
matérielles ou immatérielles – étant assez peu nombreuses, font en sorte que peu de gens
connaissent l’événement ou désir s’entretenir longuement sur un tel sujet. Nous avons
enregistré des entretiens de plus ou moins une soixantaine de minutes avec six participants.
Sur ceux-ci, deux seulement nous ont contacté de plein gré alors que nous avons effectué
l’approche vers les quatre autres suite à des discussions sur l’événement. Par ailleurs, il
nous a été possible de rencontrer trois des participants, dont les deux participants
anglophones irlandais, grâce à une communication initié par le journal Chronicle
Telegraph. Nous souhaitons les remercier à cet égard. Ainsi, l’âge du groupe varie entre 48
et 80 ans (non par choix, mais bien au hasard). Ils ont donc tous vécu, ou presque,
l’événement de la Crise d’Octobre lié très étroitement au renouveau de la mémoire de
l’émeute de Québec en 1918 chez les collectivités de la ville de Québec.
Certes, la représentativité de l’échantillonnage peut être questionnée. Nous ne prétendons
pas ici obtenir une représentativité complète et concrète des communautés de la ville. Il
n'en demeure pas moins que nous privilégions surtout le potentiel révélateur des
témoignages, choix tout à fait légitime selon une démarche ethnologique. Cette démarche
bien connue repose sur des méthodologies efficaces de cueillette de l'information et de
traitement, employées entre autre par Martine Roberge et Dale Gilbert (p. 15). Elle assure à
l'analyse un regard pluriel, dégageant ainsi des perspectives singulières et méconnues sur la
mémoire de la violence.
Enfin, considérant le noyau de participants avec lequel nous travaillions, les principales
variantes sont les groupes ethnolinguistiques, l’âge et le lieu de résidence. D’autres
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variables semblaient intéressantes dans le cadre de cette quête d’informations sur le terrain.
Nous aurions pu tenter d’offrir une analyse sur la classe socioprofessionnelle, le type de
travail ou tout simplement sous la variable de genre. Toutefois, il ne nous fut pas possible
d’approfondir adéquatement celles-ci étant donné la quantité limitée de participants dans
l’échantillon. Il y a également dans celle-ci une large disproportion, d’une part, entre le
nombre d’hommes et de femmes ainsi que pour le nombre de travailleurs et de retraités.
D’autre part, le métier en soi est un facteur qui ne propose pas une influence sur la
connaissance de l’événement au même titre que le lieu de résidence par exemple. Il peut
bien entendu servir de fondement analytique à l’individu désirant approfondir sa quête de
connaissance. Si tel est le cas, le professeur d’histoire possède évidemment les outils
méthodologiques pour arriver à son but, mais très peu de métiers approfondissent la
recherche du passé ou la mémoire d’événements spécifiques. En contrepartie, le lieu de
résidence permet d’établir un lien direct entre la région habitée et la connaissance de
l’événement tout dépendamment de l’activité commémorative du secteur.
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Annexe D : Les éléments du questionnaire/Schéma d’entretien
Schéma d’entrevues
Bloc A: Données contextuelles de l’entrevue
1- Portrait social du participant
Âge, statut civil, enfants, lieu de naissance, lieu de résidence, langue d’usage et langue
maternelle, nombre de frères et sœurs, occupation des parents, formation académique,
occupation professionnelle, lieu de travail.
Bloc B: La mémoire de l’événement
1- La représentation de l’événement
- Quels sont vos souvenirs de l’événement ? - Comment vous rappelez-vous de l’événement ? - Quel est l’interprétation que vous en faites? - Quel est l’interprétation que la société en fait selon vous? - Qui se souvient dans votre entourage? - Est-ce que vous en discuter avec votre entourage?
2- La violence de l’événement - Comment qualifie-t-on un événement de violent ? - En quoi cet événement peut-il être qualifié de violent? - Selon vous, pourquoi ces événements ont-ils pris une tournure de
manifestations violentes? - Ces événements sont-ils d’ordre à imprégner la mémoire des Québécois?
3- La référence à l’événement
- Quelle importance tient-il dans votre idée de l’histoire du Québec? - Quels éléments vous permettent de se souvenir de l’événement?
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- Connaissez-vous les références publiques qui en sont faites ou qui en ont été faites?
- Connaissez-vous les commémorations annuelles qui en sont faites? - Comment percevez-vous ces commémorations? - Est-ce qu’il y a trop de références ou pas assez de références élaborées à
l’égard de cette période du passé québécois?
4- La mémoire de l’événement - Votre mémoire de l’événement est-elle influencée selon vous? - Par des gens? - Par des objets? - Par des commemorations? - Par des usages publics (Références au passé) - Par des initiatives politiques? - Par des lieux de mémoires - Par un sentiment d’appartenance familial, à un groupe, une communauté ou
autres?
- Selon vous, quel(s) groupe(s) ou communauté(s) tend (ent) à se rappeler de cet événement et quel(s) tend (ent) à l’oublier?
- Qu’est-ce qui s’établit comme étant la référence principale à l’égard de cet événement?
- La mémoire de l’événement qui en est construite est-elle justifiée selon vous?
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Annexe E : Le texte commémoratif de la Place Québec, printemps 1918
Au printemps 1918, des incidents tragiques marquent l'histoire de Québec : le 28 mars, et
durant cinq jours consécutifs, des citoyens et des citoyennes manifestent leur opposition à
la mobilisation obligatoire et aux méthodes prises par le Gouvernement fédéral pour
rabattre les conscrits.
Le 1er avril, tout se gâte lorsque les autorités militaires donnent l'ordre aux 1 200 soldats
anglophones amenés expressément de l'Ontario et de l'Ouest canadien de disperser à la
baïonnette les gens rassemblés au centre-ville. Les cavaliers chargent la foule. Celle-ci,
rassemblée à l'angle des rues Saint-Vallier, Saint-Joseph et Bagot réagit en lançant des
pierres aux soldats. Après avoir lu, en anglais, l'ordre de dispersion, les soldats mitraillent
la foule tuant quatre personnes et en blessant soixante-dix autres.
Quatre-vingts ans plus tard, une fleur à pétales humains s'élève en ce lieu au sommet d'une
sculpture monumentale. Elle symbolise la vie dont on retrouve la puissance dans le
mouvement spontané d'un peuple qui se dresse pour défendre ses convictions et qu'on
découvre si fragile aussi quand la mort arrive de façon violente, comme ce le fut, ce
printemps-là, pour quatre Québécois.
Honoré Bergeron, 49 ans, menuisier
Alexandre Bussières, 25 ans, mécanicien
Georges Demeule, 15 ans, cordonnier et machiniste
Joseph-Édouard Tremblay, 20 ans, étudiant à l'École technique
Cette fleur, ainsi déposée, témoigne du respect qu'inspire aux vivants le souvenir de ceux
qui laissèrent ici leur vie. 1
1 Archives du Bureau du Service de la Culture du Québec, Dossier Comité Québec printemps 1918,
Doc281114-28112014130609.
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Annexe F : Photographies du monument Québec, printemps 1918
Partie concave du monument, La sculpture du bâtiment typique du quartier Saint-Sauveur
outils imprégnés
Symbole anecdotique La Place Québec, printemps 1918