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UNIVERSIT PARIS - SORBONNE (PARIS IV)
COLE DOCTORALE V Concepts et Langages
THSE pour obtenir le grade de
Docteur de luniversit de paris sorbonne (paris iv) Discipline
Linguistiqueprsente et soutenue publiquement par
Julien PONSle 17 fvrier 2007
LArticulation entre les conditionnements internes et externes en phonologie diachronique illustre par lvolution du phontisme hispanique. Trait de
phonologie diachroniqueSous la direction de
Mme le Professeur Marie-France DELPORT
JuryM. le Professeur Jean Claude CHEVALIERUniversit de Paris IV M. le Professeur Bernard DARBORD Universit de Paris X NanterreM le Professeur Jorge MORAIS BARBOSAUniversit de Coimbra, Portugal
Ce travail a t ralis avec laide financire de:
- la Fondation Callouste Gulbenkian (Portugal) en 1998-1999;
- lInstitut Cames (Portugal) en 1999-2000 et en 2000-2001.
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A ma petite sur Nina,
dcde dune hmorragie crbrale imprvisible
le Dimanche de Pques 27 mars 2005, lge de 40 ans,
ainsi qu tous ses enfants et son mari
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE :RAPPORTS ENTRE LINGUISTIQUE INTERNE
ET LINGUISTIQUE EXTERNE EN DIACHRONIE
CHAPITRE PREMIERHIERARCHISATION ET HOMOGENEITE DES SYSTEMES LINGUISTIQUES
CHAPITRE DEUXLES CONDITIONNEMENTS INTERNES A LA LANGUE: LE CONCEPT DE MECANISME ENDOLINGUISTIQUE, QUI ORIENTE LES CHANGEMENTS DES SYSTEMES LINGUISTIQUES HOMOGENES
CHAPITRE TROISLARTICULATION ENTRE LES CONDITIONNEMENTS ENDOLINGUISTIQUES ET LES CONDITIONNEMENTS EXOLINGUISTIQUES: CAUSES DES CHANGEMENTS DIACHRONIQUES
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DEUXIEME PARTIE: RAPPORTS ENTRE LINGUISTIQUE ET GEOPOLITIQUE
EN DIACHRONIE
CHAPITRE PREMIEREPICENTRE ET ONDES LINGUISTIQUES
CHAPITRE DEUXDEFINIR UNE LANGUE ET SA NORME
CHAPITRE TROISSELON QUELS CRITERES PERIODISER L'HISTOIRE D'UN IDIOME?
TROISIEME PARTIEEBAUCHE DAPPLICATION:
LA PHONOLOGIE DIACHRONIQUEDES LANGUES HISPANIQUES
EXAMINEE SELON LARTICULATION ENTRELES CONDITIONNEMENTS ENDOLINGUISTIQUES ET
LES CONDITIONNEMENTS EXOLINGUISTIQUES
I) LES CONTEXTES ARYEN ET LATINQUI ONT PRECEDE LES LANGUES HISPANIQUES
CHAPITRE PREMIER LA LANGUE ARYENNE, DITE A TORT "INDO-EUROPEENNE", PROVIENDRAIT PROBABLEMENT DU PENDJAB (~2100 av. J.C.)
CHAPITRE DEUX LE CONTEXTE LATIN (509 AV. J.C.- 476 APRS J.C.)
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II) LES EPICENTRES LINGUISTIQUES HISPANIQUES
CHAPITRE PREMIERLHISPANO-GOTHIQUE ET LES DIALECTES MOZARABES: ABSENCE D'PICENTRE GEOLINGUISTIQUE ROMAN ET DONC DEVOLUTION LINGUISTIQUE ROMANE (409-755)
CHAPITRE DEUXLPICENTRE ARAGONAIS DE CANFRANC OU DE CASTIELLO DE JACA (755)
CHAPITRE TROIS LE SUPERSTRAT FRANAIS DANS LA MARCHE DESPAGNE (778-820)
CHAPITRE QUATRE A NOUVEAU LPICENTRE ARAGONAIS DE CANFRANC OU DE CASTIELLO DE JACA (820)
CHAPITRE CINQLPICENTRE NAVARRAIS DE PAMPELUNE (1037)
CHAPITRE SIXLPICENTRE CASTILLAN DE BURGOS (1064)
CHAPITRE SEPTLPICENTRE CASTILLAN DE MADRID (1561)
CHAPITRE HUITLPICENTRE PORTUGAIS DE LISBONNE (1521)
CHAPITRE NEUFA NOUVEAU LPICENTRE PORTUGAIS DE LISBONNE (1640)
CHAPITRE DIXENCORE LPICENTRE PORTUGAIS DE LISBONNE (1760)
CHAPITRE ONZELPICENTRE BRESILIEN DE RIO DE JANEIRO (1808)
CHAPITRE DOUZEQUELQUES EVOLUTIONS DE MOTS
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CONCLUSION DE LEBAUCHE DAPPLICATION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE CLASSEE ET COMMENTEE
INDEX DES TABLEAUX
INDEX DES SCHEMAS
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
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AVANT-PROPOSI) REMERCIEMENTS
Nous tenons tout d'abord remercier Mme Marie-France Delport et M. Jean-Claude
Chevalier, tous deux Professeurs de Linguistique Hispanique la Facult de Lettres de
l'Universit de Paris IV-Sorbonne, ainsi que M. Jorge Morais Barbosa, Professeur de
Linguistique la Facult de Lettres de l'Universit de Combre, merveilleuse ville du Portugal,
pour toute laide intellectuelle, morale et administrative qu'ils ont bien voulu nous accorder tout
au long de ces dernires annes, en plus de leur amiti. Leurs nombreuses remarques, y compris
en dehors du cadre de cette thse, et les diverses entrevues que nous avons eues ensemble ont
constitu pour nous une vritable formation. Ils nous ont galement rendu un grand nombre de
services, aussi bien aux niveaux intellectuel que moral, administratif et matriel.
Une aide intellectuelle nous a galement t fournie par M. Andr Martinet, qui sortait
depuis peu dune hmiplgie: il a eu la bont de nous recevoir plusieurs fois chez lui, de lire notre
mmoire de D.E.A. (anctre franais du Mastre) et de nous faire part de ses remarques ce
sujet, nous exprimant par ailleurs, trs courtoisement, son dsaccord face la thorie syllabique
de Malmberg que nous avions alors dveloppe en lappliquant au gallaco-portugais. M. Lon
Nadjo, Ami et Professeur de Lettres Classiques l'Universit de Tours, en France, a lui aussi lu
notre mmoire de D.E.A. et nous a encourag continuer sur cette voie, en nous indiquant,
notamment, de trs bonnes rfrences bibliographiques.
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Nous tenons exprimer toute notre gratitude Mlle Isabel Poo Lopes, Assistante en
Linguistique la Facult de Lettres de l'Universit de Combre, qui nous a remis les photocopies
dun certain nombre de travaux de linguistique, ainsi qu Mme Ribeiro Aparecida, Professeur de
Littrature la Facult de Lettres de l'Universit de Combre, qui nous a prt quelques travaux
de linguistique. Un grand merci galement M. Frdric Morlet, Ami et Guichetier la Grande
Bibliothque de la Sorbonne, pour toute l'aide personnelle quil nous a fournie pendant des
annes en dpassant largement le cadre de ses fonctions.
Nous remercions Mlle Ccile Fougeron, Chercheur l'Institut de Phontique de Paris III,
pour nous avoir pass des travaux qu'elle avait raliss propos des variations articulatoires en
fonction de la position prosodique, domaine o elle excelle particulirement.
Merci galement Mme Anne-Marie Rialland, Professeur de phonologie l'Institut de
Phontique de Paris III-Sorbonne Nouvelle, pour nous avoir donn des conseils de phontique
propos des diphtongues, dont nous nous sommes inspir par la suite, et M. Clements, lui aussi
Professeur de phonologie l'Institut de Phontique de Paris III-Sorbonne Nouvelle, pour les
livres qu'il nous a si gentiment prts.
Nous devons galement remercier Mme Montaut Annie, Professeur de Hindi lINALCO
(Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris) qui a bien voulu nous rpondre
par une lettre dtaille un problme de phontique historique que nous lui soumettions.
La ralisation technique de cette thse aurait t tout fait impossible sans laide de ma soeur
Nina et de son mari Hermann Gasche, qui nous ont tap les deux premires centaines de pages de
cette thse (avant corrections), nous ont scann la plupart de nos annexes et ont saisi dans
l'ordinateur peu prs tous les schmas, que nous avions pralablement dessins, et sans laide
informatique, rpte inlassablement plusieurs centaines dheures pendant des annes, par nos
meilleurs amis, M. Olmpio Lucas Sobral et son pouse Marie Hlne Paraire Sobral, sans
compter toutes les rparations effectues sur nos ordinateurs constitus le plus souvent de pices
dtaches, rcupres ou reues damis. A cela sajoutent les quantits quelquefois importantes
dargent quils nous ont rgulirement prtes et mme parfois donnes, les nombreux dons de
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nourriture et de vtements pour nous et pour nos enfants, et toutes sortes dautres services. Nous
sommes galement redevable M. Lus Pereira Pratas do Vale et son pouse Odete, parrains de
notre quatrime enfant et galement nos meilleurs amis, de nous avoir aussi fourni toutes ces
aides, lexception de celles dordre informatique. Pour tout cela, nous souhaitons que
lensemble de ces meilleurs amis que nous considrons comme de la famille soient
particulirement remercis.
Notre gratitude se porte aussi vers notre ami Bernard Gautheron, Ingnieur du son l'Institut
de Phontique de Paris III, pour les nombreuses photocopies darticles quil nous a permis de
faire en utilisant sa carte et pour les anciens ordinateurs et les pices dtaches danciens
ordinateurs quil nous a donnes, ce qui nous a bien aid pour saisir notre thse.
Merci galement Mlle Jacqueline Penjon, Professeur de Portugais la Facult de Lettres de
l'Universit de Paris III-Sorbonne Nouvelle, de nous avoir orient vers la Fondation Callouste
Gulbenkian (Portugal) afin d'y avoir une bourse de Doctorat, en 1998-1999, qui nous a permis de
commencer notre Doctorat. Ici encore, sans cette aide inespre, nous aurions peut-tre d
attendre les calendes grecques pour entamer ce travail. Et, par chance, nous avons bnfici en
1999-2000 et en 2000-2001 dune autre bourse, de l'Institut Cames (Portugal), ce coup-ci. Que
ces deux institutions soient remercies pour leurs bourses qui nous ont permis de nous lancer
dans notre Doctorat. Nous tenons aussi remercier M. Da Silva Terra, Professeur Emrite de
Portugais la Facult de Lettres de l'Universit de Paris IV-Sorbonne o il a dirig notre
mmoire de D.E.A., pour sa lettre de recommandation enthousiaste dappui notre candidature
lune de ces bourses.
Enfin, nous ne pouvons pas oublier laide alimentaire, parfois importante pour notre foyer,
des Restaurants du Cur de Massy, du Secours Catholique dAntony et du Secours Populaire
dAntony. En effet, sans l'aide de ces associations caritatives, il nous aurait t impossible de
nous ddier sans travailler notre thse certaines annes. Nous aimerions ajouter lAssociation
Espace Amitis, Antony, association chrtienne caritative d'aide l'insertion sociale et qui nous
a permis de photocopier gratuitement de nombreuses rfrences bibliographiques en apportant
notre papier.
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II) A PROPOS DU FOND
Il peut paratre paradoxal que quelqu'un comme nous qui s'tait "spcialis" dans les
conditionnements internes la langue (de mme que la plupart des fonctionnalistes, d'ailleurs) ait
fini par faire une thse portant avant tout sur les conditionnements externes.
Cest que, au dpart, nous avions prvu de faire une thse sur les changements de la structure
syllabique en latin imprial et ses nombreuses consquences directes et indirectes sur le gallaco-
portugais. Trs vite, M. Jean-Claude Chevalier, Professeur de Linguistique Hispanique la
Facult de Lettres de l'Universit de Paris IV-Sorbonne, nous a demand d'y ajouter l'espagnol: sa
conception allait s'avrer trs fructueuse. En effet, tant fonctionnaliste, nous avons aussitt
cherch les facteurs communs au gallaco-portugais et l'espagnol, selon le principe ainsi
formul par Calvet: Une thorie est dautant plus puissante quelle explique mieux le plus grand
nombre de faits 1. Le facteur interne qui nous intressait alors le plus tant la lnition des
consonnes intervocaliques, nous avons dcouvert dans un article et dans un livre que cette
lnition tait d'autant plus importante que l'on allait vers l'ouest de la Pninsule Ibrique, selon un
continuum allant de l'Aragon la Galice et au Portugal. Nous nous sommes ensuite pos les
questions comment et surtout pourquoi, concrtement, il en tait ainsi et, de fil en aiguille, nous
en sommes venu laborer tout un ensemble de thories au plan conceptuel, en alternance, selon
une mthodologie inductive, avec les informations (surtout d'ordre dialectologique) que nous
livraient de plus en plus les travaux que nous lisions au fur et mesure que nous avancions dans
notre lecture. Aprs cela, nous avons cherch savoir comment (et pourquoi) avaient pu,
concrtement, se produire, aussi bien au niveau golinguistique qu'au niveau purement
chronologique, la quasi-totalit des changements phoniques ( l'exception de l'intonation) qui
distinguent le portugais et l'espagnol contemporain du latin classique, en procdant par de
continuels allers et retours entre induction et dduction.
C'est ainsi que nous avons fini par changer totalement le but comme le plan initial de cette
thse, laquelle thse ne devait plus constituer que la sous-partie la plus importante de ce qui
devenait la premire partie d'un travail (les facteurs purement internes, partie ensuite annule,
1 Cf. Calvet, La sociolinguistique, p. 109.
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faute de temps) qui devait en comporter deux de plus: une deuxime partie, la plus courte,
consacre la thorie (elle constitue prsent les deux premires parties de ce travail) et une
troisime partie, la plus longue, consacre l'articulation concrte entre facteurs internes et
facteurs externes lors de l'volution du latin aux langues hispaniques contemporaines (cette partie
a d tre considrablement abrge, faute de temps, et nous lavons quasiment rcite par cur
en la rsumant et en y ajoutant quelques rfrences bibliographiques, sous forme dEbauche
dapplication).
Finalement, nous ne regrettons pas de ne pas avoir eu le temps de rdiger la premire partie
consacre aux facteurs purement internes car, ainsi coupe des facteurs externes, la linguistique
diachronique nous parat prsent trop artificielle et mme errone. En revanche, si nous avons
eu le temps dexposer nos thories, nous regrettons que lEbauche dapplication nait pu tre
dveloppe par manque de temps.
Le lecteur se demandera peut-tre galement pourquoi lEbauche dapplication, do nous
sommes parti, selon une mthodologie inductive, pour arriver ce que nous avons expos dans
les deux premires parties de ce travail, se trouve aprs et non avant ces deux premires parties:
ce nest que pour une question de temps. Nous avions le choix entre privilgier lEbauche
dapplication et encore, trs partiellement, cause du temps ou les deux premires parties de
ce travail, et avons prfr dvelopper les thories exposes dans ces deux premires parties,
tant donn, dune part, linnovation que nous pensons quelles reprsentent et, dautre part, la
porte gnrale que peuvent avoir ces thories, au del des seules langues hispaniques. De sorte
que le lecteur verra dans cette thse davantage les rsultats que le cheminement de nos
raisonnements. Nous le regrettons mais navions plus du tout le choix ici, cause des conditions
matrielles et familiales dsastreuses et empirant sans cesse, nous pressant dachever cette thse2
plutt que dessayer contre vents et mares (et peut-tre en vain, de surcrot) dy consacrer
plusieurs annes supplmentaires. Ainsi avons-nous prfr prsenter les rsultats de nos
2 Au point que nous considrons avec le recul du temps que, au vu du prix extrmement lev que nous avons pay en raison de ces circonstances, nous ne nous lancerions pas dans des tudes doctorales si c'tait refaire. Mais nos dcouvertes nous fascinaient et, ce travail tant commenc, il fallait le terminer cote que cote. Maintenant que nous sommes durablement install dans le chmage chronique aprs avoir fait de longues tudes qui ne dboucheront probablement sur aucun travail, notre foyer est dtruit, et nous sommes dans la misre et dans labme, tous points de vue...
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recherches, qui pourront davantage aider les chercheurs dsireux de dvelopper ce travail aux
plans de la thorie comme de lapplication que si nous navions prsent que le seul cheminement
de nos raisonnements, appliqu en outre aux seules langues hispaniques, en partant du principe
quil sera bien plus facile pour certains lecteurs de btir avec des outils dj faonns quavec les
seuls schmas de ces outils, mme si, au niveau scientifique, apprendre construire soi-mme ses
outils peut s'avrer plus bnfique long terme. Le problme se situe donc surtout au niveau de
ceux qui ne disposeront pas du temps ncessaire la vrification des outils proposs dans ce
travail, dautant plus que bien des concepts avancs ainsi que leurs applications vont lencontre
des thories gnralement admises mais aprs tout, "le mieux est ennemi du bien".
Compte tenu de tout cela, nous considrons prsent que notre travail a surtout pour but
douvrir de nouvelles pistes de recherche et doffrir une nouvelle approche de la
linguistique diachronique. Cela dit, nous avons sous-titr notre thse Trait de phonologie
diachronique, nous inspirant de ce quavait fait Martinet avec Economie des changements
phontiques, la grande diffrence prs que Martinet voyait dans les aspects internes du langage
les facteurs des changements linguistiques l o nous attribuons ces changements aux rapports
entre les facteurs internes et externes du langage, essentiellement gopolitiques.
Par ailleurs, il est de plus en plus frquent, dans les sciences humaines, de rencontrer des
travaux aussi bien documents quarguments. Mais lorsque lon arrive la fin de ces travaux et
que lon se pose invitablement la vritable question quil conviendrait de se poser en pareil cas,
savoir: quelle(s) dcouverte(s) apporte ce travail? , il est souvent impossible de rpondre
cette question. De la sorte, beaucoup de thses de sciences humaines apparaissent comme de purs
exercices de style, striles au plan de la dcouverte scientifique. Pour notre part, nous avons tout
le temps eu lesprit cette "qute du Graal", et le principal objectif de ce travail est de prsenter
une vision nouvelle et de rendre possibles des pistes de recherche nouvelles, la documentation
ainsi que la discussion critique ntant ici quaccessoires nos yeux. C'est pourquoi nous avons
prfr insister sur l'exposition de nos thories plutt que sur les critiques des thories diffrentes
ou adverses, estimant que nos thories parleraient d'elles-mmes dans l'hypothse o elles
seraient valables.
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Enfin, la mthodologie inductive permet dviter de procder comme nous le voyons trs
souvent dans les sciences humaines, y compris chez les meilleurs chercheurs, cause de
linvrifiabilit exprimentale inhrente aux sciences humaines (raison pour laquelle les sciences
humaines ne sont pas qualifies dexprimentales). Pour prendre un exemple, la mthodologie la
plus souvent utilise dans les sciences humaines pourrait tre celle-ci: un chercheur qui se
trouverait confront au problme de savoir ce que peuvent produire deux atomes d'hydrogne
combins avec un atome d'oxygne en une molcule ( temprature et pression courantes)
raisonnerait gnralement (dans les sciences humaines) de manire dductive, en postulant que,
puisque l'hydrogne et l'oxygne sont des gaz bien connus, si l'on combine ces gaz entre eux, il
est tout fait logique que ces deux gaz, combins, forment leur tour un autre gaz. Et, pour
tayer sa dmonstration, il irait mme parfois chercher des travaux de renom ou mme mener
bien des recherches prouvant que l'hydrogne est un gaz, et que l'oxygne en est galement un.
Face tant de science, le lecteur, mme spcialis, ne pourra qu'tre convaincu quH2O est un
gaz, et la dcouverte de ce chercheur pourra parfois tre perptue pendant un sicle ou plus.
Pourtant, si ce chercheur avait employ une mthodologie inductive, il aurait dcouvert, son
grand tonnement, que ces deux atomes de gaz, combins entre eux dans certaines circonstances,
produisent un liquide, l'eau. Cela ne veut pas dire qu'il faille recommencer systmatiquement
toutes les recherches dj dmontres, mais quau moins il convient de procder inductivement
lorsque, dune part, on dispose des matriaux suffisants pour le faire, et lorsque, d'autre part, se
pose un problme rsoudre. Et cela ne veut pas dire non plus que, au nom d'une prtendue
rigueur scientifique, le chercheur doive se rfugier, comme on le voit aussi bien souvent, dans
une circonspection bien pratique qui rvle en fait un esprit craintif le proverbe latin audaces
fortuna juvat (la fortune sourit aux audacieux) prend ici tout son sens, et ce ne sont pas les
personnes timores qui ont fait avancer l'humanit. Pour notre part, notre mthodologie inductive
a consist, lorsque nous l'avons utilise, procder par observation, puisque mener bien des
exprimentations avec des prononciations rvolues depuis des sicles, voire des millnaires est
impossible. Et notre observation s'est base sur les informations livres par les travaux que nous
avons consults. De la sorte, il est possible de procder par induction dans les sciences humaines,
mme en ce qui concerne des faits lointains, comme ici.
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Cette thse constituant un travail de linguistique (donc dinterprtation des faits) et non de
philologie (donc de collecte des faits bruts travers les crits, ou de simples interprtations
uniquement destines savoir ce qu'avait bien voulu dire telle ou telle graphie, ce qui revient
alors seulement rendre exploitables les faits bruts mais non les exploiter), nous avons donn la
priorit au raisonnement plutt quaux faits attests, conformment la philosophie qui dcoule
de ces propos o Martinet dnonait une linguistique traditionnelle que paralyse le respect du
fait isol 3, en ajoutant quelques pages plus loin: Puisque nous noprons quavec des faits
observables, la vrification est toujours possible, ce qui est conforme lidal scientifique. Pour
lessentiel cest l la mthode pratique par les Nogrammairiens, et elle est reste celle de bien
des linguistes parmi les mieux informs et les plus productifs. [] Ces esprits, avides de rigueur
formelle, craignent juste titre quen saventurant dans le domaine des explications, la
linguistique ne perde lallure de science exacte quon sefforce, en maints endroits, de lui
confrer 4.
Enfin, nous avons constat que bon nombre de linguistes et de philologues particulirement
performants ne faisaient pas vraiment progresser les thmes sur lesquels ils travaillaient pourtant
avec une intelligence remarquable, uniquement parce quils tenaient pour paroles dEvangile ce
qui ntait en fait que le poids des ides reues cest ici, notre avis, que se situe le principal
frein au progrs scientifique, et de loin. Et ce poids des ides reues est tel que mme les
meilleurs checheurs se sont parfois appropris des thories qui allaient pourtant dans le sens
contraire de leurs propres ides, peut-tre parce que, sans pour autant en tre conscients, ils
faisaient leur cette phrase de Calvet: on ne met gnralement pas en question les principes de
base dune science, par crainte de voir scrouler tout ldifice 5. Cest pourquoi nous navons
pas hsit, maintes reprises, bousculer ces ides reues, quitte ventuellement choquer,
conformment ce principe crit par Calvet selon lequel la rflexion thorique na aucun tabou
respecter et toutes les questions mritent dtre poses 6. Tout au long de ce travail, le lecteur
habitu certaines thories pourra donc tre tonn du fait que beaucoup de thories consacres y
sont critiques les unes aprs les autres, y compris celles qui sont dautant plus tablies quelles
bnficient depuis longtemps du poids des ides reues. Autant dire quil nous a fallu faire
3 Cf. Martinet, Economie des changements phontiques, p. 7.4 Cf. Martinet, Economie des changements phontiques, pp. 14-15.5 Cf. Calvet, Le march aux langues, Essai de politologie linguistique, p. 102.6 Cf. Calvet, Le march aux langues, Essai de politologie linguistique, p. 100.
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preuve desprit critique pour remettre en cause un si grand nombre dides reues et mme
tellement ancres, pour certaines dentre elles, quelles sont encore unanimement admises.
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III) A PROPOS DE LA FORME
Jusqu prsent, dans les cours ou dans les traits exposant des thories linguistiques, les
applications, les exemples taient pris droite, gauche, tantt dans telle langue, tantt dans telle
autre: mais quoi de mieux que d'appliquer les thories exposes une langue tout entire, en la
situant dans le contexte de sa famille linguistique, de surcrot, quitte rajouter des exemples dans
d'autres langues droite gauche? C'est qu'une langue constitue un systme dans son ensemble,
et ce qui est propos pour une parcelle de cette langue peut tre valable en soi sans ltre lorsque
l'on prend en considration l'ensemble de la langue.
Il est d'usage dans de nombreuses thses de littrature ou dhistoire (mais pas trop en
linguistique, heureusement) que les diverses parties et les divers chapitres de ces thses soient
quilibrs entre eux quant leur taille: le moyen pour y arriver consistant alors remplir de
propos inutiles les parties les plus petites, en se rptant ventuellement, sans pour autant
apporter quoi que ce soit de nouveau la Science (ou, dfaut, la rflexion du lecteur), cette
dmarche relve notre avis d'un formalisme strile que nous ne partageons nullement et que, par
consquent, nous n'avons pas adopt dans ce travail.
Et du mme formalisme semble relever cette mode qui, prsent, donne la prfrence aux
titres courts. Or un titre court est beaucoup moins prcis, plus vague, et rvle bien moins la
problmatique quun titre long. Autrement dit, les probabilits davoir alors affaire une thse
peu approfondie sont alors bien plus grandes. Pour notre part, nous avons choisi un titre de thse
long, qui rvle ainsi une problmatique quil ne rvlerait pas autrement.
Enfin, nous avons systmatiquement crit et recopi les titres des travaux cits, ne serait-ce
que partiellement, chaque fois que nous nous rfrions eux. En effet, des prsentations
traditionnelles comme Cf. Un tel, idem ou ibidem, p. x , ou encore des prsentations comme
Cf. Un tel, 1975, p. x rendent la lecture pnible et, ce, tout fait inutilement de nos jours,
puisque linformatique permet deffectuer aisment des copi-colls. Ici, pour le coup, le
formalisme (consistant copier systmatiquement les titres des travaux cits) semble souhaitable.
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INTRODUCTION
0. Lobjectif majeur de ce travail est douvrir de nouvelles pistes de recherche et doffrir
une nouvelle approche de la linguistique diachronique.
1.1. Samuels disait: la insistencia en una sola causa lo que Jespersen llam la falacia
del todo o nada ha sido en el pasado uno de los principales inconvenientes para progresar en la
lingstica diacrnica. Tanto en las ciencias puras como en las aplicadas, el principio del mltiple
condicionamiento es un lugar comn. Pero en el estudio del cambio lingstico ha sido tratado
con recelo; durante mucho tiempo el lingista que sugera una combinacin de causas en accin
fue acusado de ambivalencia 7. Et Coseriu affirmait peu prs la mme chose: Se piensa que,
siendo nico el efecto (el cambio), tambin debera de ser nica la causa, y hasta se
pretende fundar esta creencia en el principio de que 'las mismas causas producen los mismos
efectos'. Pero, en rigor, este principio no es reversible, pues el mismo efecto puede ser producido
por causas diversas 8.
1.2. Saussure affirmait: Quant la philologie, nous sommes dj fixs: elle est nettement
distincte de la linguistique, malgr les points de contact des deux sciences et les services mutuels
quelles se rendent 9. Et, dans un chapitre intitul "Les deux perspectives de la linguistique
diachronique", Saussure tablissait les diffrences entre ces deux perspectives: la linguistique
diachronique suppose la fois une perspective prospective, qui suit le cours du temps, et une
perspective rtrospective, qui le remonte [...]. La premire correspond la marche vritable des
7 Cf. Samuels, Linguistic evolution, p. 3, cit par Lloyd, Del latn al espaol, p. 58.8 Cf. Coseriu, Sincrona, diacrona e historia. El problema del cambio lingstico, p. 183, cit par Lloyd, Del latn al espaol, p. 82.9 Cf. Saussure, Cours de linguistique gnrale, p. 21.
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vnements: cest celle quon emploie ncessairement pour crire un chapitre quelconque de
linguistique historique, pour dvelopper n'importe quel point de l'histoire dune langue. La
mthode consiste uniquement contrler les documents dont on dispose. Mais dans une foule de
cas cette manire de pratiquer la linguistique diachronique est insuffisante ou inapplicable. En
effet, pour pouvoir fixer l'histoire d'une langue dans tous ses dtails en suivant le cours du temps,
il faudrait possder une infinit de photographies de la langue, prises de moment en moment. Or
cette condition n'est jamais remplie: les romanistes, par exemple, qui ont le privilge de connatre
le latin, point de dpart de leur recherche, et de possder une masse imposante de documents
appartenant une longue srie de sicles, constatent chaque instant les lacunes normes de leur
documentation. Il faut alors renoncer la mthode prospective, au moment direct, et procder en
sens inverse, en remontant le cours du temps par la rflexion. [] Tandis que la prospection
revient une simple narration et se fonde tout entire sur la critique des documents, la
rtrospection demande une mthode reconstructive, qui s'appuie sur la comparaison. On ne peut
tablir la forme primitive dun signe unique et isol, tandis que deux signes diffrents mais de
mme origine, comme latin pater, sanscrit pitar, ou le radical de latin ger- et celui de ges-tus,
font dj entrevoir par leur comparaison l'unit diachronique qui les relie l'une et l'autre un
prototype susceptible d'tre reconstitu par induction. Plus les termes de comparaison seront
nombreux, plus ces inductions seront prcises, et elles aboutiront si les donnes sont suffisantes
de vritables reconstructions. Il en est de mme pour les langues dans leur ensemble. On ne
peut rien tirer du basque parce que, tant isol, il ne se prte aucune comparaison. Mais dun
faisceau de langues apparentes, comme le grec, le latin, le vieux slave, etc., on a pu [a on pu
dans le texte] par comparaison dgager les lments primitifs communs quelles contiennent et
reconstituer lessentiel de la langue indo-europenne, telle quelle existait avant dtre
diffrencie dans lespace. Et ce quon a fait en grand pour la famille tout entire, on la rpt
dans des proportions plus restreintes, et toujours par le mme procd, pour chacune de ses
parties, partout o cela a t ncessaire et possible. Si par exemple de nombreux idiomes
germaniques sont attests directement par les documents, le germanique commun do ces divers
idiomes sont sortis ne nous est connu quindirectement par la mthode rtrospective. Cest de la
mme manire encore que les linguistes ont recherch, avec des succs divers, lunit primitive
des autres familles [] La mthode rtrospective nous fait donc pntrer dans le pass dune
langue au del des plus anciens documents. Ainsi lhistoire prospective du latin ne commence
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gure quau IIIe ou au IVe sicle avant lre chrtienne; mais la reconstitution de lindo-europen
a permis de se faire une ide de ce qui a d se passer dans la priode qui stend entre lunit
primitive et les premiers documents latins connus, et ce nest quaprs coup quon a pu en tracer
le tableau prospectif 10.
1.3. Il faut dire que les philologues semblent stre parfois trop attachs aux graphies. En
voici un exemple vocateur: alors que tout le monde sintressant au problme de lvolution des
consonnes intervocaliques du latin lespagnol sait que le /-s-/ intervocalique sest lnifi en /-z-/
dans cette langue (avant de sassourdir nouveau au XVIme sicle), Garca de Diego crit: S se
conserva: c a s a casa, c a u s a cosa 11. Et cette liaison particulire entre les philologues et la
graphie sest retrouve notamment dans la manire dont les philologues concevaient les
phonmes, savoir comme des lettres (que lon se rappelle les tables des matires de nombreux
ouvrages crits par des philologues, y compris les meilleurs, o les voyelles, par exemple, sont
classes en ordre alphabtique) et non comme des units linguistiques structures en systme. Ce
type de conception ressort clairement des propos de S-Nogueira: Por me parecer mais
metdico, em vez de estudar os fonemas em grupos, como fazem vrios autores, estud-los-ei
separadamente pela seguinte ordem: A, E, I, O, U, 12, ou encore de laffirmation suivante, de
Nunes: as letras no vivem isoladas e [] se influem mutuamente 13 (ce nest pas pour
rappeler que les phonmes sont structurs en systme, mais parce que cette phrase commence un
chapitre consacr la phontique syntactique, que Nunes fait ainsi implicitement rfrence aux
assimilations gnralement invoques lorsque lon parle de phontique syntactique et lon sait
limportance que les philologues attribuent aux phnomnes assimilatoires pour expliquer les
changements phontiques).
1.4. Ce nest que plusieurs dcennies aprs les enseignements de Saussure, en fait, quont
commenc se gnraliser des conceptions vritablement linguistiques, comme celle que Van
Wijk prsente ici: Les faits linguistiques ne sont pas indpendants les uns des autres, mais []
ils sont dus des tendances gnrales qui en rgissent lvolution. [] Il faut esprer que notre
science russira un jour reconstruire tout lensemble des mutations de sons [ici du slave 10 Cf. Saussure, Cours de linguistique gnrale, pp. 291, 292 et 293.11 Cf. Garca de Diego, Gramtica histrica espaola, p. 76.12 Cf. S-Nogueira, Elementos para um tratado de fontica portuguesa, p. 240.13 Cf. Nunes, Compndio de gramtica histrica portuguesa, p. 163. Les italiques sont de nous.
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ancien, mais cela est vrai pour toute langue] dans leur enchanement causal et chronologique.
Cest ce but que nous devons poursuivre dans ltude de toutes les langues 14, Et lorsque nous
serons assez avancs pour concevoir lhistoire phonologique dune langue une priode donne
comme la rsultante dun nombre de forces convergentes et divergentes, ayant leurs racines dans
le systme mme de cette langue, nous aurons encore nous demander comment et sous quelles
influences de telles tendances apparaissent dans une langue, laquelle, auparavant, elles taient
compltement trangres 15. Malmberg, de son ct, affirme: La contribution de la linguistique
structurale la diachronie consiste dans le souci de voir les changements dans leurs rapports
systmologiques. C'est l l'ide de MARTINET. Ma remarque personnelle concerne la notion de
tendance structurale et l'ide qu'on doit chercher l'identit d'une langue dans ses tendances plutt
que dans un tat de langue qui rsulte ncessairement aussi d'autres facteurs que les forces
purement linguistiques et purement structurales 16 (il y a l, notre avis, le germe du concept de
mcanisme en linguistique diachronique). Notre travail sefforcera de rpondre toutes ces
problmatiques de manire indite.
1.5. Le courant linguistique auquel nous appartenons, appel fonctionnaliste17, est rput
pour faire la part belle aux conditionnements internes de la langue, au point d'ignorer le plus
souvent les conditionnements externes et, en tous cas, de ne jamais relier entre eux, de manire
coordonne, structure, les facteurs internes aux facteurs externes (le courant gnrativiste ou
ses avatars cognitivistes ne semble pas plus enclin le faire que le courant fonctionnaliste, en
toute logique, d'ailleurs, avec sa conception naturaliste du langage, niant ainsi celui-ci ses
conditionnements socioculturels, qui pourtant en constituent, et de trs loin, le fondement majeur,
14 Cf. Van Wijk, Les langues slaves, De lunit la pluralit, p. 22.15 Cf. Van Wijk, Les langues slaves, De lunit la pluralit, p. 23. Lorsque lon sait que ces propos font partie dune srie de leons donnes la Sorbonne et publies pour la premire fois en 1937, on peut tre stupfait quencore prsent ils soient trs peu suivis deffets dans les tudes diachroniques.16 Cf. Malmberg, "La structure phontique de quelques langues romanes", p. 178. Un an plus tt, en 1961, dans un article intitul "Linguistique ibrique et hispano-romane", p.58, Malmberg avait affirm: ce sont surtout deux principes mthodiques gnraux que je voudrais soumettre la mditation des spcialistes et en vertu desquels je crois pouvoir expliquer toute une srie de phnomnes de phontique volutive []. Ce sont: 1) l e p r i n c i p e d e l e x p l i c a t i o n i n t e r n e; 2) l e p r i n c i p e d e l a p r i o r i t d e l e x p l i c a t i o n g n r a l e s u r l e x p l i c a t i o n p a r t i c u l i r e. . Et, en 1963, dans un autre article intitul "Encore une fois le substrat", republi en 1973 dans son livre Linguistique gnrale et romane, Malmberg reparle des deux principes que je dfends (la supriorit de lexplication interne et de lexplication la plus gnrale) (cf. p. 424 du livre Linguistique gnrale et romane).17 Il existe une appellation encore plus gnrique: structuraliste, le fonctionnalisme ne constituant quun courant (dans la ligne dAndr Martinet) au sein du structuralisme ( propos duquel on peut dire quil est dans la ligne de Ferdinand de Saussure, dont le courant affili le plus remarquable serait le fonctionnalisme mais il sagit ici dun point de vue peut-tre trop personnel).
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notre avis). Cette rputation dattachement trop exclusif aux facteurs internes est dailleurs
prsente par Lloyd en ces termes: Un supuesto bsico de muchos estructuralistas que intentan
explicar el cambio fontico por la influencia de la estructura fonolgica de la lengua parece ser la
conviccin de que es suficiente buscar las causas internas de los cambios fonticos 18. Et il nous
semble que cest la golinguistique qui correspond le mieux la ncessit davoir recours aux
facteurs externes. Cest pourquoi nous souscrivons pleinement aux propos suivants de Breton:
Le renouveau de la gographie culturelle est rendu invitable par les dveloppements de la
linguistique contemporaine qui amnent reconsidrer certaines conceptions hrites du sicle
dernier, et suivant lesquelles on avait tendance considrer les langues comme de simples
facettes dune sorte de mtalangue universelle, comme autant de variantes dun sytme unique
19.
1.6. A l'inverse des courants linguistiques structuralistes et cognitivistes, qui constituent les
deux plus grandes tendances linguistiques de la seconde moiti du XXme sicle, se trouveraient,
d'aprs Graur, ceux qui attribuent une valeur absolue l'influence de la socit et ignorent
dlibrment toute possibilit d'volution sous l'effet des facteurs internes de la langue [dans la
ligne de] N. I. Marr 20. C'est en fait Labov qui, avec la sociolinguistique tudie de manire
exprimentale21, russit expliquer, toute petite chelle, comment des microcosmes sociaux
gnraient de minuscules changements linguistiques en cours. L'aspect mthodologique
inductif rigoureux avec lequel procdait Labov sduit alors de nombreux linguistes qui voyaient
enfin les aspects sociaux, externes au langage, se conjuguer avec les aspects internes, purement
linguistiques, et ce, dune manire exprimentale qui cartait les trs nombreuses
approximations, frquentes parce que souvent ncessaires dans les sciences humaines, du type:
il a d se produire, ou encore probablement, peut-tre , etc Et, dans la ligne des
sociolinguistes, Calvet crit: la structure sociale est prsente dans le discours 22, affirmation
ainsi complte: la linguistique ne peut tre dfinie que comme ltude de la communaut
sociale sous son aspect linguistique. Et la sociolinguistique ne peut son tour se dfinir que
18 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, pp. 76-77.19 Cf. Breton, Gographie des langues, pp. 20-21. Cet ouvrage ayant t crit au XXme sicle, la rfrence au sicle dernier renvoie au XIXme sicle.20 Cf. Graur, " Le rapport entre les facteurs internes et les facteurs externes dans l'histoire de la langue ", p. 69.21 Cf. Labov, Sociolinguistique en entier.22 Cf. Calvet, La sociolinguistique, p. 79.
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comme la linguistique. On voit tous les inconvnients smantiques de cette proposition. Elle nous
force en effet dfinir deux linguistiques, la linguistique 1, celle quillustrent par exemple le
structuralisme et le gnrativisme, et la linguistique 2, celle qui dcoule de la dfinition ci-dessus.
Mais la linguistique 1 naurait alors plus aucune raison dtre, sauf la considrer comme la
partie de la sociolinguistique qui dcrirait le fonctionnement interne des langues. [] pour
pouvoir [] baptiser linguistique la science tudiant la communaut sociale sous son aspect
linguistique, il faudra attendre que la linguistique 2 ait absorb la linguistique 1. Car il reste bien
sr laborer des descriptions qui illustrent cette proposition. La (socio)linguistique est une
science en devenir 23.
1.7. Malheureusement, la sociolinguistique commit notre avis le mme pch que la
philologie: sa minutie, son atomisme positiviste consistant vouloir tout dcrire dans le moindre
dtail, sattacher la moindre variation sans arriver saisir les grandes tendances qui
regroupent et orientent ces mmes variations empchrent, semble-t-il, la sociolinguistique
dtablir, comme en phonologie, la pertinence, la valeur de simples variations et, encore moins,
de les structurer en systmes. Cependant, nous pensons quen procdant de manire structuraliste
en sociolinguistique comme en linguistique interne il devient possible de regrouper les socio-
variations en catgories plus vastes qui deviennent alors pertinentes au sein dun systme: nous
accdons ainsi une catgorisation non plus en microcosmes sociaux, en sous-classes sociales,
mais, beaucoup plus grande chelle, en ensembles gopolitiques directement lis la notion de
peuples, do dcoulent en fait les cultures, dont font partie les langues. Cest la raison pour
laquelle nous souscrivons aux propos suivants de Martinet: Dans lexamen de la varit des
usages et de ses conditionnements, il convient de ne pas favoriser indment certains facteurs aux
dpens des autres: les diffrences langagires dune classe sociale une autre peuvent tre
considrables et mriter une attention particulire, mais dun pays lautre, dune poque la
suivante, elles peuvent avoir beaucoup moins dimportance que les variations dans lespace
gographique 24 (et, comme nous le verrons dans ce travail, en matire linguistique, nous relions
lhistoire et la gographie la gopolitique). Ces mots de Martinet nous semblent judicieusement
complts par ceux de Breton: Ici se pose en effet pour le linguiste comme pour les spcialistes
des autres disciplines la question non plus seulement de corrlations entre faits linguistiques
23 Cf. Calvet, La sociolinguistique, pp. 123-124. Tous les italiques sont de lauteur.24 Cf. Martinet, Elments de linguistique gnrale, p. 210, C-12.
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appartenant un mme systme mais entre faits linguistiques et autres: faits de civilisation,
historiques, gographiques, sociologiques, techniques, etc. Qui tudie la diffusion dans l'espace
de quelques phnomnes que ce soit met en cause la ralit et la solidit des obstacles rencontrs,
la force d'expansion des vecteurs, la perte dnergie des flux, le jeu des influences extrieures. Et
le linguiste devant la distribution constate de telle ou telle forme linguistique de dtail ou
interne comme de tel ou tel parler phnomne synthtique, global, externe ne pourra que
s'interroger sur le rle d'une voie, dun col, dune ville, dune frontire, la prsence et la fonction
d'un groupe humain, la raison d'un usage matriel, la permanence dune croyance, etc. Tous faits
qu'il aura encore plus scrupule figurer sur ses cartes mais quil ne pourra s'empcher de signaler
dans sa dmonstration. Et cest bien de tels moments de la dmarche scientifique que la
recherche interdisciplinaire s'impose 25. Et, une quinzaine de pages plus loin, Breton ajoute: De
la gographie des traits de culture, lon peut alors aborder la gographie des cultures elles-
mmes. Cest--dire celle des ensembles combinant lhritage linguistique, religieux, historico-
politique des socits, et engendrant des systmes de penses et de solidarit individualiss. Cette
gographie culturelle vise donc identifier les groupes humains majeurs, ou de la socit globale:
assimils suivant le cas aux tribus, aux ethnies, aux nations, aux grandes units de civilisation 26.
1.8. Par ailleurs, Nunes observait: so os sons que na lngua mais sujeitos esto a ser
alterados 27. Cest probablement pour cette raison que le phontisme (phontique et phonologie
confondues) des langues semble tre le domaine le plus tudi de la linguistique diachronique et
peut-tre mme aussi synchronique, ce qui justifierait cette remarque de Martinet: La
phonologie do, par filiation ou par raction, sont sortis la plupart des mouvements
structuralistes 28. Ce nest peut-tre donc pas un hasard si notre travail viendra sajouter tant
dautres traitant du phontisme et fera, nous lesprons, progresser davantage encore ce domaine,
accroissant une fois de plus son cart avec les autres domaines de la linguistique.
1.9. Enfin, Malmberg affirmait: Un moyen facile de faire une carrire sre et rapide en
linguistique a t pendant longtemps de chercher une langue, un dialecte ou un texte inconnus,
pour en donner une description et en faire un sujet de thse. Un tel travail offre lavantage de 25 Cf. Breton, gographie des langues, pp. 11-12.26 Cf. Breton, gographie des langues, p. 28.27 Cf. Nunes, Compndio de gramtica histrica portuguesa, p. 6.28 Cf. Martinet, Evolution des langues et reconstruction, p. 47.
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contenir, malgr toutes les dfectuosits ventuelles au point de vue de la mthode, des faits
prcieux en eux-mmes et garantissant dj par l une certaine valeur la thse ou la
monographie en cause. Celui qui choisit de [dans le texte figure que nous avons remplac par
de] travailler sur le franais, langlais ou lallemand, a le dsavantage de devoir ncessairement
donner des interprtations nouvelles, originales, si possible [dans le texte figure possibles dont
nous avons supprim le s] correctes ; les faits eux-mmes sont la porte de tout le monde. La
description scientifique proprement parler a en linguistique, comme partout ailleurs, un but
thorique. Il sagit de rendre compte de la structure et du fonctionnement dun mcanisme qui
sert de moyen de communication aux membres dune communaut linguistique 29. Nous
esprons dans notre travail rpondre aux exigences de Malmberg formules dans les deux
dernires phrases de sa citation, et le choix de langues romanes, en loccurrence lespagnol et le
portugais, langues dont lvolution du latin nos jours est peu prs connue, favorise, par la
quantit de donnes existantes, la recherche thorique dautant plus que cette recherche est peu
tributaire de donnes inconnues ; de plus, alors que la thorie linguistique se basait jusqu
prsent sur des donnes trs partielles prises droite gauche dans divers idiomes et diverses
poques, courant le risque que les thories prsentes soient rendues caduques par les faits
survenus dautres poques ou en dautres idiomes, nous avons fait porter nos recherches sur
lintgralit de deux langues, apparentes entre elles jusquau dbut du XIIme sicle, selon nous,
et autonomes par la suite, depuis avant mme leurs origines jusqu nos jours : le fait quil
sagisse dun ensemble linguistique bnficiant dune relle cohsion dans le temps comme dans
lespace permet notre avis dlaborer des thories bien plus fiables que lorsquil sagit de bribes
de langues spares de leur contexte spatio-temporel, comme cest le cas pour les exemples isols
emprunts tel ou tel idiome et gnralement cits dans les travaux de linguistique.
2.1.1. Dans la premire partie de ce travail, nous examinerons les rapports entre
linguistique interne et linguistique externe en diachronie.
2.1.2. Dans le premier chapitre de la premire partie, nous aborderons les problmes de
plurilinguisme et, par consquent, de hirarchisation des systmes linguistiques employs par un
29 Cf. Malmberg, "La structure phontique de quelques langues romanes", p. 133.
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mme locuteur30, ce qui nous amnera laborer les concepts didiome premier, de suprastrat et
de surstrat en confirmant le concept de superstrat et en dmontant ceux de substrat et dadstrat
pourtant unanimement accepts par la communaut linguistique. Li au concept de
hirarchisation des systmes linguistiques se trouve celui dhomognit de ces systmes, dcri
par Labov et par les sociolinguistes : nous postulerons que la variation linguistique nexclut en
rien la coexistence, la cohabitation de nombreux systmes homognes, formant ainsi des
transitions non pas strictement graduelles mais discrtes, par palier, dans le temps et dans
lespace ; lorsquelles taient simultanes , ces transitions ont dailleurs t baptises
synchronie dynamique par Martinet, selon une conception heureuse notre avis.
2.1.3. Dans le deuxime chapitre de la premire partie, nous verrons en quoi lvolution de
toute langue est oriente par son mcanisme interne.
2.1.4. Dans le troisime chapitre de la premire partie, nous serons mme dtablir
larticulation entre les conditionnements internes et externes comme tant la cause des
changements diachroniques en gnral, tout en tant conscient du bien-fond des propos suivants
de Saussure, tenus propos de la sparation entre linguistique interne et externe : la sparation
des deux points de vue simpose, et plus on lobservera rigoureusement, mieux cela vaudra. La
meilleure preuve en est que chacun deux cre une mthode distincte 31 (nous verrons donc en
quoi notre dmarche est compatible avec ces recommandations de Saussure).
2.2.1. Dans la deuxime partie de ce travail, nous examinerons les rapports entre
linguistique et gopolitique en diachronie.
2.2.2. Dans le premier chapitre de la deuxime partie, nous aborderons la golinguistique
selon un prisme diffrent de ce qui apparat habituellement ce sujet. En effet, la golinguistique
semble navoir gure dpass le stade du simple constat. Qui plus est, les atlas linguistiques,
pourtant dutilit primordiale, sont en fait rarissimes par rapport la quantit dinformations que
lon serait en droit dattendre deux, et ils portent en bonne partie leur attention sur des faits
30 Nous employons le terme de locuteur parce quil nous semble nettement prfrable celui de sujet: en effet, un locuteur est un individu qui parle; alors que le terme de sujet napporte nullement cette prcision.31 Cf. Saussure, Cours de linguistique gnrale, pp. 42-43.
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lexicologiques, qui sont notre avis moins rvlateurs, en linguistique, que les faits
phonologiques, morphologiques et syntaxiques, structurs, eux, en systmes homognes. En
sintressant aux variations spatiales, cest-a-dire un domaine que lon appelle galement
dialectologie, il semble logique aboutir au concept dpicentre et dondes linguistiques.
Malheureusement, ce concept ancien (il date dun sicle peu prs) est rest sans lendemain les
rarissimes linguistes qui lont peine voqu lont rprouv sans appel ni sans dmonstration.
Pourtant, il suffirait, selon nous, de simplement constater les faits pour se rendre compte de sa
validit ; les lots linguistiques qui font exception ne sont que des vestiges, des archasmes ou,
autrement dit, des arbres isols qui ne doivent pas cacher la fort. De plus, si lon a la chance de
connatre le mcanisme de la langue tudie (au moins en ses traits essentiels), on peut alors
dterminer si les aires linguistiques observes sont innovatrices, conservatrices ou rtrogrades
par rapport au mcanisme interne la langue en question.
2.2.3. Dans le deuxime chapitre de la deuxime partie, nous verrons que, si lon cherche
savoir pourquoi les variations golinguistiques se produisent comme elles lont fait au niveau
diachronique, il devient ncessaire de relier, en fonction des informations dont on dispose (qui
sont nombreuses propos des langues romanes), golinguistique et gopolitique. Cest ainsi que
les nouveaux phnomnes linguistiques manent certaines priodes de lhistoire du peuple
qui parle la langue observe, et quil apparat par consquent une correspondance entre les
picentres golinguistiques et les ondes linguistiques, dune part, et les faits gopolitiques,
dautre part. Nous serons ensuite logiquement amens dvelopper cette conception conjuguant
linguistique interne et gopolitique, ce qui nous conduira une dfinition prcise des langues et
des dialectes la lumire de notre thorie gopolitique, ainsi que du concept de norme en
linguistique.
2.2.4. Dans le troisime chapitre de la premire partie, nous proposerons, laide de tous
ces concepts, des critres permettant de priodiser lhistoire dun idiome.
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2.3. Dans la troisime partie de ce travail, nous laborerons une Ebauche dapplication 32,
o nous prsenterons une application des thories abordes dans ce travail, ces thories dcoulant
en fait de notre rflexion au vu de ce que nous avions observ lors de ltude dialectologique du
phontisme hispanique des Wisigoths nos jours, daprs les informations fournies par les
travaux philologiques et linguistiques existant ce sujet. La diachronie des langues hispaniques,
et notamment leur phontisme, du latin nos jours, sera ainsi, croyons-nous, explique sous de
nouvelles lumires.
3. Dans ce travail, nous tablirons la correspondance entre linguistique diachronique,
golinguistique et gopolitique. Le but majeur de cette thse est de proposer de nouvelles pistes
que les chercheurs des domaines concerns exploreront, confirmant, transformant ou
ventuellement infirmant ce que nous avons crit, ce qui devrait apporter cest notre espoir
une nouvelle approche de la linguistique diachronique et de la golinguistique.
32 Nous avions conu cette troisime partie comme un ensemble beaucoup plus complet (trois ou quatre fois plus, approximativement) mais, press par le temps, nous avons d nous rsoudre en faire un rsum que nous avons dbit pratiquement par cur, cartant de la sorte la grande masse de rfrences bibliographiques que nous avions anotes et prpares cette fin, avec le cortge de rfrences spatio-temporelles qui accompagnait cette bibliographie.
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PREMIERE PARTIE : RAPPORTS ENTRE LINGUISTIQUE INTERNE
ET LINGUISTIQUE EXTERNE EN DIACHRONIE
La linguistique externe nexiste que parce quexistent des variations linguistiques, dans le
temps comme dans lespace. En ce qui concerne les variations dans le temps, elles sont
gnralement attribues aux effets du temps, mme si nous verrons dans les chapitre trois de la
premire comme de la deuxime partie pourquoi nous ne partageons pas cette vision, et quoi
nous attribuons ces changements linguistiques. A propos des variations dans lespace, les propos
suivants de Moreau-Defarges reprsentent bien lopinion actuellement en vigueur chez les
linguistes, mme si, en pratique, ce sont surtout les sociolinguistes et les quelques rares
dialectologues et golinguistes qui lappliquent, linverse, le plus souvent, des fonctionnalistes
et des gnrativistes et de leurs hritiers spirituels, davantage enclins une conception syntopique
des langues: Des tats parfaitement homognes, au territoire dlimit pour toujours, peuvent-
ils exister? A lintrieur de tout tat, les ressortissants sont loin de sidentifier tous de la mme
manire lentit collective (la patrie, la nation); les fidlits de chaque individu, de chaque
groupe, leur hirarchisation sont complexes et mouvantes. Lhomme nest et ne sera jamais un
bloc. [] Un peuple peut-il tre un bloc? Mme lunit historique, culturelle, politique ne saurait
supprimer les multiples diversits, contradictions qui caractrisent toute collectivit humaine,
aussi soude soit-elle 33. Etant donn le rapport existant entre les idiomes et les territoires o
ils sont parls (la dialectologie et la gographie des langues en font lessentiel de leur objet), cette
affirmation de Moreau-Defarges sapplique tout aussi bien la linguistique.33 Cf. Moreau-Defarges, Introduction la gopolitique, p. 152 (p. 131 de la traduction portugaise, o les parties mises ici en italiques ne sont pas les mmes et o ne figure quun simple point la place des points de suspension).
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CHAPITRE PREMIERHIERARCHISATION ET HOMOGENEITE
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DES SYSTEMES LINGUISTIQUES
Nous prsenterons d'abord notre concept de hirarchisation des systmes phonologiques
parls par un mme locuteur, au nom du concept d'idiome premier que nous proposerons, ce qui
nous amnera dnoncer les concepts de substrat et dadstrat unanimement admis. Ensuite, nous
confirmerons le concept saussurien d'homognit des systmes linguistiques.
I) HIERARCHISATION DES SYSTEMES LINGUISTIQUES DES
LOCUTEURS PLURILINGUES: LE CONCEPT D'IDIOME PREMIER
1. Nous envisagerons de la mme manire toutes sortes de plurilinguisme, qu'il s'agisse de
deux idiomes34 en concurrence entre eux parls par un mme locuteur, ou de davantage d'idiomes
encore.
2. La dfinition la plus courante du bilinguisme peut se retrouver dans les propos suivants
de Martinet: Dans l'usage ordinaire, est bilingue celui qui est cens manier avec une gale
aisance deux langues nationales; un paysan du Pays Basque ou du Finistre n'est pas un
bilingue bien qu'il parle, selon les interlocuteurs, le franais ou l'idiome local (on remarquera
ici que, mme sans se rfrer expressment au concept gopolitique de langue [nationale], les
linguistes font pourtant bien la diffrence entre idiomes nationaux et rgionaux). A ces propos
s'ajoutent ceux tenus deux pages plus loin: L'ide que le bilinguisme implique deux langues de
statut identique est si rpandue et si bien ancre, que des linguistes ont propos le terme de
diglossie pour dsigner une situation o une communaut utilise, selon les circonstances, un
idiome plus familier et de moindre prestige ou un autre plus savant et plus recherch. Il n'y aurait
de bilinguisme qu'individuel, alors que la diglossie serait le fait de communauts tout entires.
34 Pour viter toute confusion, selon l'acception que l'on donne au mot langue (et nous verrons plus loin que nous en proposons une dfinition prcise, base sur des critres d'ordre gopolitique, au niveau de la linguistique externe), nous proposons le terme gnrique d'idiome pour dsigner tout systme linguistique parl par quiconque, de la langue l'idiolecte en passant par tous les intermdiaires.
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Toutefois, il y a tant de possibilits diverses de symbiose entre deux idiomes qu'on peut prfrer
conserver un terme comme bilinguisme qui les couvre toutes, plutt que de tenter une
classification sur la base d'une dichotomie simpliste: le franais et l'anglais sont deux langues
nationales de grand prestige, mais au Canada on ne peut pas dire qu'elles soient rellement sur un
pied d'galit; devrait-on, dans ces conditions, parler de diglossie dans la province du Qubec?
35. Cette diffrence entre diglossie et bilinguisme semble dailleurs tre rpandue, puisque
dautres linguistes la mentionnent, comme latteste Calvet: Joshua Fishman [] 2 distingue
dabord entre le bilinguisme, fait individuel, qui relve de la psycholinguistique, et la diglossie,
phnomne social 36. Breton, lui, affirme propos de la diglossie: on applique le terme de
diglossie toute situation o deux langues, mme tout fait distinctes, sont dans un mme
groupe social, chez les mmes individus, dutilisation courante permanente, les amenant un
bilinguisme fonctionnel gnral et non plus simplement occasionnel 37. Pour notre part, nous
considrons que ce qua affirm Martinet propos du bilinguisme est galement valable pour les
autres sortes de plurilinguisme: le nombre didiomes parls ne change rien aux propos de
Martinet.
1) LE CONCEPT DE SUBSTRAT EST-IL PERTINENT?
A) Le concept de substrat chez les linguistes
1. La thorie, ou plutt les thories des substrats ont t labores partir du constat, fait
par beaucoup de linguistes, qu'une langue recevait d'une autre langue, mme aucunement
apparente, et parle auparavant sur le mme territoire, un certain nombre de mots, et notamment
des toponymes. Daprs Lloyd38, la thorie du substrat commena avec Lorenzo Hervs y
35 Cf. Martinet, Elments de linguistique gnrale, pp. 146 et 148.36 Cf. Calvet, La sociolinguistique, p. 43. La note 2 renvoie Fishman, "Bilingualism with and without diglossia, diglossia with and without bilingualism", p. 32.37 Cf. Breton, Gographie des langues, pp. 32-33.38 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, p. 74.
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Panduro, dans leur Catlogo de las lenguas de las naciones conocidas (Madrid, 1800-1804;
publi originellement en italien en 1784), six volumes. Toujours daprs Lloyd, En Craddock,
[Jerry R., Latin legacy versus substratum residue, Berkeley-Los Angeles, University of
California Press,] 1969, 18-47 (especialmente 18-31), aparece un excelente resumen del
desarrollo de la teora del sustrato. En las notas aparece abundante bibliografa. Izzo [Herbert J.,
Tuscan and Etruscan. The problem of linguistic substratum influence in central Italy, Toronto,
University of Toronto Press], 1972, es un estudio de primera categora sobre un problema
particular del sustrato; incluye un largo anlisis de toda la theora 39. Cela dit, Niels-ge-Nielsen
attribuait Jakob Hornemann-Bredsdorff, dans Om Aarsagerne til Sprogenes Forandringer, paru
en 1821, et rimprim dans les Etudes choisies dites Copenhague en 1933, la premire thorie
des substrats40. Un peu plus loin, Niels-ge-Nielsen ajoute quAscoli est souvent appel tort
pre de la thorie substratiste et quil a crit au sujet des substrats un expos approfondi (una
lettera glottologica, 1881) .
2. L'avis de Troubetzkoy sur le sujet prsente exactement le contraire de ce que nous
pensons au sujet des substrats: Contrairement l'opinion courante l'action quune langue exerce
sur la structure phonologique d'une autre langue ne suppose pas ncessairement la prpondrance
politique, sociale ou culturelle de la nation parlant la premire langue. S'il est vrai que l'idiome
des domins subit l'influence de l'idiome des dominateurs, d'autre part ce dernier idiome,
cherchant s'tendre, s'adapte aux usages linguistiques des domins. [...] C'est sur la facult que
possde la langue des domins de passer ses principes de structure la langue des dominateurs
que se fonde prsent la thorie du substrat 41. Comme nous le verrons plus loin dans ce travail,
c'est au contraire exclusivement la prpondrance gopolitique, donc culturelle42 mais aussi,
39 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, p. 74, note 64.40 Cf. Niels-ge-Nielsen, "La thorie des substrats et la linguistique structurale", p. 1. Cet article est paru plusieurs dcennies avant le livre de Lloyd cit ci-dessus.41 Cf. Troubetzkoy, Principes de phonologie, pp. 359-360.42 Comme il apparat ici, nous associons ce qui est culturel ce qui est goplitique, et ne partageons donc pas cette dfinition du mot gopolitique propose par le dictionnaire Robert: Etude des rapports entre les donnes naturelles de la gographie et la politique des tats (les italiques sont de nous), que nous trouvons beaucoup trop limite. Pour notre part, nous considrons, au contraire, que les donnes culturelles de la gographie sont bien plus importantes en gopolitique que les donnes naturelles de la gographie. Ainsi, lheure daujourdhui, un petit pays qui possderait plusieurs milliers de ttes nuclaires avec des missiles intercontinentaux constituerait une donne gopolitique bien plus importante quun immense pays au territoire mille fois plus grand qui ne possderait que trois hlicoptres. Et le P.I.B. (quil soit en Parit de Pouvoir dAchat ou non), la croissance conomique ou, par dessus tout, la dmographie dun pays nous paraissent bien plus rvlateurs au plan gopolitique que les donnes naturelles de ce pays. Cela dit, plusieurs encyclopdies que nous avons consultes ne limitent pas le sens du mot gopolitique aux rapports entre la politique, qui plus est des seuls Etats, et les donnes naturelles de la gographie. Une bonne dfinition du terme gopolitique nous semble tre celle que propose Moreau-Defarges, la page 9 dIntroduction
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indirectement, sociale, qui constitue selon nous le facteur clef de l'influence qu'un idiome exerce
sur un autre. Et, indpendamment de l'opinion de Troubetzkoy strictement oppose la ntre ici,
il est intressant de remarquer au niveau du style que les termes quemploie Troubetzkoy dans
cette citation sont exactement les mmes que nous employons nous aussi mais en les orientant
dans le sens inverse. De plus, si Troubetzkoy parle d opinion courante qu'il dnonce, c'est
donc qu' cette poque beaucoup de chercheurs concevaient ce que Troubetzkoy rcuse ici
comme nous: comme, depuis lors, nous n'avons pas trouv trace dcrits se prononant en ces
termes, cela signifie que, notre avis, il serait prfrable ce sujet de revenir au "bon sens
lmentaire" de chercheurs qui, faute d'avoir leur disposition toutes les thories linguistiques
labore depuis, possdaient au moins une meilleure conscience gopolitique et l'on verra par la
suite quel point la gopolitique est d'une importance primordiale dans la diffrenciation
linguistique et, de manire plus gnrale, dans l'histoire des langues.
3. Certains linguistes croient tellement aux substrats en linguistique qu'ils distinguent
plusieurs sortes de substrats: c'est le cas de Meillet, qui se prononce en faveur du concept de
substrat immdiat, auquel il attribue la prononciation spirante des occlusives en Toscane, la
lnition des consonnes intervocaliques et le timbre des voyelles arrondies en franais, le passage
de /f-/ /h-/ en Espagne et en Gascogne, les diffrences linguistiques entre rgions et mme entre
villes proches en France (comme Montpellier et Avignon) c'est--dire autant de phnomnes
que nous expliquons trs bien autrement et en faveur du concept de substrat effet retard, d
selon lui aux diffrences lgues par l'hrdit, lequel substrat effet retard serait cens
expliquer jusqu'aux diffrences entre le gascon et le provenal: Il faut donc tenir compte de
l'influence des substrats en tant quelle exprime l'action profonde de tendances hrditaires:
ce n'est pas un accident que les parlers du Nord-Ouest de l'Italie succdant des parlers sans
doute pareils ceux qui ont t employs en Gaule avant la romanisation, parlers prgaulois
quels qu'ils aient t et parlers gaulois, ressemblent plus aux parlers gallo-romans qu des parlers
italiens du centre 43 l'obnubilation par les substrats est telle que plus d'un chercheur a invoqu
la gopolitique (p. 13 de la traduction portugaise intitule Introduo geopoltica): la gopolitique sinterroge sur les rapports entre lespace (dans tous les sens du mot) et la politique . De sorte que lorsque lon parle de puissance nationale, par exemple, on fait de la gopolitique puisque, tout tant relatif, ladite puissance nationale nest conue quen fonction de la puissance des autres tats, ce qui oblige se situer sur un plan spatial. Il en va de mme quand, lintrieur dun pays, le pouvoir central se renforce ou saffaiblit: ses relations, spatiales, avec la province, priphrique, changent.43 Cf. Meillet, Esquisse dune histoire de la langue latine, pp. 234. Les pages dans lesquelles Meillet se prononce en faveur des substrats dans ce livre sont les pages 232 234.
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le substrat pour expliquer ce phnomne qui s'explique pourtant trs bien par le superstrat: en
effet, les similitudes linguistiques entre le nord de l'Italie et la France sont dues prcisment des
superstrats provenant d'invasions franaises suivies de colonisation.
4. Fouch attribue au substrat un rle majeur en phontique historique: Ainsi la notion de
changement phontique spontan parat lie celle de substrat, et de substrat entendu au sens
biologique ou, si l'on veut, ethnique 44, et prtend que: Si dans la suite des changements
spontans se produisent, et ils peuvent survenir fort tardivement, ce n'est pas l'ancien contact de
langues qu'il faut les imputer, mais la rsurgence des caractristiques anatomiques ou
physiologiques des populations dont la langue a disparu 45.
5. Un philologue rput, Menndez-Pidal, croit, lui, au substrat effet prolong mais pas
au substrat hrditaire: El mismo autor, segn ese mismo supuesto de la accin rpida y
completa de los cambios fonticos, no concibe el estado latente que hemos dicho y rechaza la
accin del substrato, declarando que, en el desarrollo de un idioma, no puede comprender la
existencia de fuerzas que permanecen inactivas a travs de las generaciones, para salir a luz
ms tarde 2 46. Au contraire de Menndez-Pidal, nous souscrivons entirement aux propos de
l'auteur qu'il rcuse. Aussitt aprs, Menndez-Pidal poursuit: Esto, segn Meillet, afirmando el
influjo del substrato, se explica mediante la accin profunda de tendencias hereditarias ; la
lengua primitiva de un pueblo, cuando es sustituda por otra, no obra sobre sta de un modo
inmediato, sino por efecto lejano de hbitos adquiridos, transmitidos por herencia , a la
manera que el cachorro de caza, dice, hereda de hbitos adquiridos por sus progenitores 47.
Deux lignes plus bas, Menndez-Pidal complte: Pero en vez de admitir cosa tan dudada como
que los hbitos adquiridos se hereden, nos basta considerar la enorme duracin de los cambios
fonticos, la larga convivencia de formas que pugnan unas con otras, y el estado latente de una
44 Cf. Fouch, Phontique historique du franais, p. 44.45 Cf. Fouch, Phontique historique du franais, p. 45. Quant aux prtendus substrats biologiques, hrditaires, ethniques, ils relvent, selon nous, des conceptions naturalistes qui fleurissent encore souvent en linguistique.46 Cf. Menndez-Pidal, Orgenes del espaol, p. 537. La note 2 dans le texte de Menndez-Pidal renvoie l'auteur dont il rcuse les propos: Meyer-Lbke, Der Schwundt des -n- in Baskischen, Revista Internacional de Estudios Vascos, XV, 1924, p. 223.47 Cf. Menndez-Pidal, Orgenes del espaol, p. 537. Citant Meillet dans son texte, Menndez-Pidal renvoie en note plusieurs travaux de Meillet: Esquisse dune Histoire de la Langue Latine, 1928, pp. 233-234 (cette rfrence a t cite par nous quelques lignes plus haut); La mthode comparative en linguistique historique, Oslo, 1925, pp. 80-81; et "Sur les effets des changements de langue", Scientia, 1932, pp. 91-98.
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tendencia que existe con arraigo, aunque ignorada completamente por los observadores 48.
Comme nous le verrons par la suite, les changements phoniques semblent se produire en une
seule gnration l'endroit o ils naissent, et relvent de facteurs d'abord gopolitiques, et ensuite
sociologiques. Quant la cohabitation, parfois, certes, trs longue entre formes rivales, elle
volue, comme nous le verrons plus loin dans ce travail, dans un sens bien prcis qui ne s'inverse
qu'en cas de retournement de tendance gopolitique. Ensuite, comme nous le verrons plus tard, et
notamment propos de ce que nous appelons suprastrats49, l'enracinement, l'anciennet de faits
linguistiques ou plus gnralement culturels ne nous parat pas influencer quoi que ce soit en
matire de changements linguistiques, cause de l'effet de bascule brusque et total de ces
suprastrats. Enfin, le concept dtat latent nous semble une pure vision de l'esprit. Par ailleurs,
le lecteur retiendra que cette dernire citation de Menndez-Pidal est celle qui rsume le mieux sa
thorie en ce qui concerne les substrats. Menndez-Pidal justifie galement sa position la page
suivante en ajoutant: Si la existencia de toda una copiosa poesa oral romancstica puede ser
ignorada y negada por los folkloristas de los siglos XIX y XX [sin embargo] interesados en
buscarla, no debe sorprendernos que la existencia de un fenmeno lingustico de substrato no se
nos manifieste en los siglos anteriores al X o al XII, en los cuales no hay posibilidad de que
erudito ninguno se preocupase de notar la existencia de tal fenmeno 50.
6. Haudricourt et Juilland ont une position peu prs analogue: Quant aux facteurs dont
l'action est limite dans le temps et dans l'espace, ethniques, politiques, sociaux, culturels,
religieux, etc., il faut avoir l'esprit quentre les systmes susceptibles d'affecter l'volution des
systmes linguistiques, il y a une catgorie bien dfinie dont les chances d'agir effectivement sont
les plus grandes: les autres systmes linguistiques, dont l'influence soulve le problme du
bilinguisme et, implicitement, celui des strats. En effet, rien n'est plus naturel que de supposer
quune langue autochtone puisse influencer la langue de civilisation qui lui succde. Mais il est
normal de s'attendre ce que cette influence agisse au moment de la substitution des langues,
pendant la priode de bilinguisme. Ceci admis, comment expliquer par le substrat des
changements qui ont eu lieu dans la langue de civilisation des sicles aprs la disparition de la
langue autochtone? Suivant les circonstances, on a eu recours l'hrdit des caractres acquis ou
48 Cf. Menndez-Pidal, Orgenes del espaol, p. 537.49 Nous commencerons aborder ce concept de suprastrat un peu plus loin dans ce chapitre.50 Cf. Menndez-Pidal, Orgenes del espaol, p. 538.
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l'hrdit des habitudes acquises. Sans nous arrter l'hrdit des caractres acquis, dont les
difficults ont dcourag les partisans les plus acharns du substrat, nous essayerons de montrer
que l'hrdit des habitudes acquises est une hypothse abandonne depuis longtemps par la
biologie moderne. [...] Notre faon de concevoir les manifestations tardives du substrat, aprs la
disparition des langues autochtones, prsuppose l'intermdiaire d'un changement de structure
phonologique produit au moment de la substitution des langues 51. Les auteurs ajoutent aussitt
aprs un exemple l'appui de leurs affirmations: Il est permis d'expliquer par l'action du
substrat le passage gascon /f > h/ une poque o l'ibrique avait depuis longtemps cesser
d'exister, condition d'admettre que, sous l'influence dhabitudes articulatoires ibriques, les
parlers galloromans de la rgion avaient adopt un type de corrlation trois sries de consonnes
caractris par la tendance dplacer le point darticulation de la sourde spirante vers celui de
locclusive corrlative. Ceci explique le passage de l'articulation labiodentale de /f/ articulation
bilabiale du corrlatif occlusif /p/, donc //, qui se trouve la base de son affaiblissement en /h/
. Aucune de ces explications ne nous semble satisfaisante, car nous avons une tout autre vision:
dans la gnration qui a suivi l'an 1037, Pampelune, en Navarre, apparut un certain nombre de
changements phoniques qui consistrent en ce que nous appelons une fortition ngative du dbut
des mots, avec, notamment, l'affaiblissement de /f-/ en /h-/ (cf. le chapitre consacr Pampelune
dans lEbauche dapplication la fin de ce travail). Il est noter qu'en dehors dun philologue
(Meyer-Lbke), qui attribue comme nous ce changement phonique un affaiblissement
articulatoire, tout le monde a recours au substrat pour expliquer ce qui semble inexplicable
autrement.
7. Martinet souscrit lui aussi au concept de substrat, en lenrobant galement dune
terminologie fonctionnaliste: substratum a term that would be just as good as any other if it
had not been extensively abused, sometimes in cases where next to nothing was known about the
substratum language, sometimes to explain the articulatory vagaries of isolated phonemes.
Whoever is aware of the paramount importance of linguistic structure in matters of linguistic
evolution will accept the substratum explanation only if it can be shown that the change in
question is more plausible structuraly in the assumed substratum language than in the one which
is supposed to have been influenced. [] As long as the substratum theory was the only attempt
51 Cf. Haudricourt et Juilland, Essai pour une histoire structurale du phontisme franais, pp. 26-27.
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at a causal explanation of phonetic changes, those scholars who were not satisfied with a merely
descriptive approach to phonology could not afford to be too critical. But now that structural
linguistics offers us a number of most useful clues, we have a right to be more exacting and to
require from substratists that they check every one of their hypotheses against all the available
structural data 52. Nanmoins, Martinet naccepte le concept de substrat quen ultime recours:
Quiconque a conscience de l'importance prpondrante de la structure des langues en matire
d'volution n'acceptera une explication par le substrat que si l'on peut prouver que le changement
en cause est beaucoup plus plausible structuralement dans la langue suppose substrat que dans
celle qui passe pour avoir t influence 53. Cependant, ladhsion de Martinet au concept de
substrat restera bien relle. Cest ainsi que, aprs avoir rappel que: toutes les thories des
strats, ds quelles cessent dtre de simples produits de limagination, se ramnent un
examen des effets du bilinguisme sur lvolution linguistique. Par consquent, toute tude de la
dynamique de laffinit linguistique se confondra, en dernire analyse, avec celle des effets du
bilinguisme 54, Martinet ajoute: Lhypothse la plus connue est celle du substrat qui, ni au
premier abord, ni plus ample examen, ne mrite le mpris dans lequel la tiennent certains
linguistes contemporains 2 55.
8. Quant Lloyd, il a, au sujet des substrats, plusieurs positions. D'abord, la position
classique, postulant la persistance danciennes prononciations. C'est ainsi quil affirme: Si la
lengua antigua fue cediendo gradualmente ante la presin de la nueva (ms aceptable
socialmente), sera posible que algunos sectores de la sociedad se hubieran acostumbrado a usar
algunos rasgos de prononciacin propiciados por la lengua agonizante, y estos rasgos podran
persistir incluso despus de extinguirse el perodo de bilingismo . Trois pages plus loin, Lloyd
modre ses propos en affirmant: la influencia del sustrato nunca puede ser la nica causa del
cambio fontico. Ser simplemente uno de los factores que influyen en el cambio 56, tout en
affirmant deux pages aprs: Es [...] posible que el bilingismo sea uno de los factores ms
importantes en los cambios lingsticos 57, alors que Lloyd avait pourtant si justement crit six 52 Cf. Martinet, "Celtic lenition and western romance consonants", p. 217.53 Cf. Economie des changements phontiques, p. 296.54 Cf. Evolution des langues et reconstruction, p. 28.55 Cf. Martinet, Evolution des langues et reconstruction, p. 55. La note 2 parle de point de vue nuanc, mais plutt hostile de F. H. Jungemann et renvoie La teora del sustrato y los dialectos hispano-romances y gascones, Madrid, 1955, pp. 17-27.56 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, p. 82.57 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, p.84.
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pages plus haut: En los Estados-Unidos, por ejemplo, los hijos de los millones de emigrantes de
pases de lengua no inglesa aprendieron a hablar ingls como los nativos, y la pronunciacin de la
mayor parte de las variedades del ingls americano no se ha visto afectada en lo ms mnimo 58.
Il est vrai que Lloyd attribue cela au systme ducatif nord-amricain et non l'absence de
pertinence des substrats, mais une certaine rflexion sur le sujet lui aurait probablement permis,
nous semble-t-il, de s'apercevoir de la contradiction qu'il y a entre ses affirmations.
9. Cohen, de son ct, a galement une croyance limite dans les effets des substrats:
L'observation montre qu'une langue qui s'tend aux dpens dautres reste fondamentalement elle-
mme dans la plupart de ses caractres aux points de vue phontique, morphologique et lexical.
Elle volue nanmoins de manire diffrente sur des terrains diffrents 59. L'auteur dveloppe
ensuite ces propos tout au long de la page 57 en expliquant que ces diffrences sont en fait dues
aux invitables volutions des langues (selon notre conception, ces diffrences ne sont pas du tout
invitables, comme nous le verrons dans la suite de ce travail) loin de leur foyer originel, et en
ajoutant: Mais en gnral il est difficile de faire la preuve que les changements considrs sont
bien dus l'influence du substrat . Cependant, Cohen ne rejette pas pour autant les substrats
(mme biologiques): Si le vocabulaire est spcialement mallable, le systme grammatical est
loin d'tre impntrable, dans des conditions qui d'ailleurs ne sont pas toujours claires 60. Autant
nous sommes d'accord propos de, non pas la mallabilit, mais l'htrognit du lexique,
autant nous sommes radicalement oppos la conception selon laquelle un systme grammatical
ne serait pas impntrable, puisque nous considrons, au contraire, dans la ligne de Saussure,
que la morphologie, la syntaxe et la phonologie sont constitues en systmes homognes et, de ce
fait, sont impntrables par les substrats (sur ce dernier point, nous sommes probablement le
premier l'affirmer notre connaissance). Il est d'ailleurs intressant de remarquer que Cohen
est gn dans son affirmation, puisqu'il ajoute: dans des conditions qui d'ailleurs ne sont pas
toujours claires . Citons galement ces autres propos de Cohen: L'individu import peut
cependant conserver [... quelques traits de son idiome d'origine...] et transmettre au moins une
partie de ses particularits ses enfants 61, ce qui amne de notre part la mme rponse, inspire
par le cadre thorique que nous verrons un peu plus loin dans ce chapitre: les systmes 58 Cf. Lloyd, Del latn al espaol, p.78.59 Cf. Cohen, Matriaux pour une sociologie du langage, tome 2, p. 57.60 Cf. Cohen, Matriaux pour une sociologie du langage, tome 2, p. 62.61 Cf. Cohen, Matriaux pour une sociologie du langage, tome 1, p. 83.
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linguistiques homognes de lidiome le mieux parl par lesdits enfants, qui sont ceux de l'idiome
du pays ou de la rgion o ces enfants passent leur adolescence, ne sont nullement influencs par
le ou les idiomes de leurs parents immigrs.
B) Notre constat: en matire de systmes linguistiques homognes, lexplication interne suffirait pour rendre compte de ce que les substrats prtendent expliquer
1. Si le lexique, parce qu'il fait appel des ralits ou des concepts trs varis et
extrieurs au systme interne de la langue, est constitu en systme htrogne et si, comme
l'affirme Lloyd: la influencia sobre el lxico es de relativamente poca importancia terica, ya
que el prstamo de palabras contina ininterrupidamente sin afectar a la estructura bsica de la
lengua 62, il n'en est pas de mme de la phonologie, de la morphologie ou de la syntaxe qui,
conformment ce qu'a postul Saussure, et contrairement ce qu'affirment Labov et ceux qui
l'ont suivi dans sa doctrine, sont structurs en systmes homognes (nous verrons cela un peu
plus loin, au II de ce chapitre). Malmberg pense peu prs la mme chose sur le fond, mme s'il
prfre exclure les emprunts lexicaux du domaine des strats: l'adoption de mots isols [] est
un phnomne banal qui peut se produire sans consquences pour le systme de la