UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
THÈSE PRÉSENTÉE À UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES
COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN ADMINISTRATION (DB A)
OFFERT CONJOINTEMENT PAR L'UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE ET L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES
PAR KADIA GEORGES AKA
QUE FONT LES DIRIGEANTS DE PME POUR DÉVELOPPER DES INNOVATIONS DURABLES (ÉCOINNOVATIONS)?
DÉCEMBRE 2015
Université du Québec à Trois-Rivières
Service de la bibliothèque
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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES
École de gestion
Que font les dirigeants de PME pour développer des innovations durables (écoinnovations )?
Kadia Georges AKA
a été évalué par un jury composé des personnes suivantes:
Josée St-Pierre, Ph.D. Présidente du jury
Michel Trépanier, Ph.D. Directeur de recherche
François Labelle, Ph.D. Co-directeur de recherche
Suzanne Beaulieu, Ph.D. Représentante de l'Université de Sherbrooke
Marie-France Turcotte, Ph.D. Examinatrice externe
Anne Patel, Directrice générale Représentante du milieu socio-économique
RÉSUMÉ
Définie comme un moyen pour les dirigeants d'entreprise de. répondre à leurs objectifs économiques tout en améliorant leurs impacts environnementaux et sociaux, l'écoinnovation ou l'innovation durable (ID) est un sujet d' intérêt tant pour les praticiens que pour les chercheurs dans les champs de la stratégie, du management, de l'entrepreneuriat, de la gestion de l'innovation. Cependant, après vingt ans d'études sur ces innovations, des dirigeants notamment ceux à la tête de PME manifestent toujours le besoin de comprendre et d'apprendre comment les développer. Ce qui est au centre de leurs préoccupations, ce sont entre autres "les manières" qui permettent de "fabriquer" des ID.
Cette préoccupation est persistante, car les recettes (p. ex.: analyse du cycle de vie des produits, écoconception) apportées par les praticiens pour aider les dirigeants de PME à développer des ID sont perçues comme étant onéreuses et ne correspondent pas toujours aux façons de faire de ces derniers. Quant aux chercheurs, ils associent le succès ou l'échec du développement des ID à des facteurs tels que la règlementation, la technologie, les besoins du marché, les ressources limitées de la PME. Ces analyses déterministes donnent une compréhension au mieux superficielle du travail que doivent accomplir des dirigeants de PME pour développer des ID. Pourtant, ces derniers sont des acteurs incontournables dans le développement de ces innovations dans leur entreprise, qu'il faut "suivre à la trace". Et en général , pour innover ils privilégient les interactions.
Partant de là, un peu comme l'ont fait Choran (1969), Noël (1989), Muir et Langford (1994), O'Gorman et al. (2005) et Florén et Tell (2004,2012) - à la suite de Mintzberg (1973) - en étudiant les dirigeants de PME en action et en espérant des bénéfices scientifiques et pratiques semblables, il apparait essentiel de poser un regard sur le travail des dirigeants de PME-développeurs d'ID. Pour mieux comprendre ce que font ces dirigeants, nous avons suggéré des approches d'analyse qui permettent de voir l'JO comme une construction sociale et, au moins en partie, le résultat d'un travail d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de liaison. Dans cette démarche, nous ne cherchons pas à obtenir une explication universelle et définitive de ce que font des dirigeants de PME dans le développement des ID. L'objectif est plutôt de leur proposer des exemples et des outils pouvant servir d' entraînements à leurs actions innovatrices orientées vers le développement durable.
Pour ce faire, nous avons reconstitué à partir de plusieurs entretiens (trente entrevues) et documents (119 documents publics et privés), l' histoire de sept cas d'ID développées par diverses PME (p. ex.: taille, âge, structure) issues de différents secteurs d'activités. Dans ces récits historiques, nous nous sommes intéressés à ce que font des dirigeants de PME soit, des propriétaires-dirigeants et des gestionnaires (au total 15 dirigeants interrogés) dans des processus d'ID au fil du temps et dans divers contextes. En posant notre regard sur des dirigeants de PME-développeurs d'ID, les résultats de notre recherche apportent non seulement des bénéfices scientifiques et managériaux semblables à ceux de Florén et Tell (2012) et d'O'Gorman et al. (2005), mais aussi originaux en ce qu'ils révèlent ce que fait concrètement le dirigeant de PME qui parvient à développer une ID.
Au plan scientifique, notre recherche propose une perspective cohérente d'ensemble du rôle du dirigeant de PME dans le développement d'ID, absente dans la littérature. En effet, nous avons constaté que les dirigeants de PME effectuent un travail d'observateur actif de leur milieu afin de sélectionner des enjeux environnementaux et sociaux ayant une incidence sur leurs activités existantes ou futures. À travers le travail d'entrepreneur, ces dirigeants détectent autour de ces enjeux des opportunités d'ID. Ils "bâtissent" avec différents acteurs des projets d'ID communs. En prenant appui sur leur travail d'agent de liaison, les dirigeants relient leur entreprise et des acteurs externes afin de réaliser ces projets. Dans cette démarche, ils vont souvent résoudre des confrontations et intéresser des acteurs-clés, c'est-à-dire qui possèdent des ressources cruciales pour la concrétisation des ID. Les résultat~ de notre étude contiennent surtout des observations originales concernant le processus de travail du dirigeant de PME.
Premièrement, nous avons découvert que les dirigeants de PME se comportent comme des stratèges (planifient des actions) et des tacticiens (réalisent ces actions) pour faire face à la conjoncture, saisir les opportunités qu'elle comporte et constituer le réseau d'acteurs qui va les transformer en ID. Deuxièmement, ils ont recourt à ce que nous appelons des objets-référent (objets légitimes et personnes qui font autorité aux yeux d'autres acteurs) et des objets-émotion (énoncés relevant des sujets ou des faits émouvants) pour mettre un terme aux controverses, intéresser les acteurs du réseau et légitimer l'ID. Troisièmement, nous avons noté que les dirigeants choisissent les acteurs avec lesquels ils négocient les conditions de leur collaboration. Ils font donc un casting des acteurs qui se présentent sous différents visages: gardien de temple, promoteur d'enjeu de DD, passeur, passant. Enfin, la résolution des confrontations par le dirigeant entraine un changement des enjeux de DD visés au départ. Nous avons constaté que le caractère socialement construit de ces enjeux au contact des acteurs influence les caractéristiques finales de l'ID.
Au plan managérial, en plus des rôles d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de liaison, les dirigeants de PME pourront mettre l'accent sur les rôles de stratèges et de tacticiens s'ils veulent s'assurer de réussir le développement des ID. Ils peuvent apprendre comment constituer et stabiliser un réseau d'acteurs autour d'une ID en utilisant des objetsréférent et des objets-émotion, et en faisant un casting des acteurs. Ils peuvent utiliser nos grilles d'analyse comme des outils de gestion des aspects sociaux du développement des ID. Enfin, les dirigeants et futurs dirigeants de PME peuvent se servir des récits des sept cas d ' ID que nous avons réalisés comme des exemples d 'entraînements.
Le cadre théorique que nous avons élaboré à la suite du regard critique posé sur la littérature ainsi que les résultats obtenus à l'issue de nos investigations sur le terrain ont permis de soulever, au moins en partie, le couvercle de la "boîte noire" que constitue le processus d'ID dans la PME. Dans ce sens, notre étude offre des perspectives de recherche sur le caractère socialement construit des ID et les rôles du dirigeant de PME. Cette étude peut ainsi bénéficier d'un approfondissement et d'un rapprochement avec la littérature sur la légitimité, le travail institutionnel des acteurs, la gestion informelle de l'innovation et le processus entrepreneurial dans une approche de construction sociale.
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX ... ...................................................................................... .. v
LISTE DES FIGURES ....... ... .... ...... ......... ....... ......... .......... ....... ......... ....... .... ...... ... ... vi
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES ............. vii
INTRODUCTION ....................................................................................................... 1
PREMIER CHAPITRE - PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE ....................... 4
1. CONTRIBUTIONS DES PRATICIENS ET DES CHERCHEURS ........................................ 8
2. CONTRIBUTIONS DE LA RÉSIDENCE EN ENTREPRISE ............................................ Il
DEUXIÈME CHAPITRE - CONTEXTE THÉORIQUE ..................................... 14
1. REVUE DE LITTÉRATURE .................................................................................... 14
1.1 L'ID dans les PME: un processus technique ..................................................... 16
1.1.1 L'écoconception ......................................................... ....................................... 17
1.1.2 L'analyse du cycle de vie des biens et services (ACV) ..................................... 19
1.2 L'ID dans les PME: un ensemble de facteurs de succès ou d'échec .................. 25
1.2.1 Facteurs externes et internes .................................. ........................................... 27
1.2.2 L'orientation du dirigeant vers les ID ................................................................ 35
1.2.3 La collaboration ................................................................................................ 39
2. CADRE THÉORIQUE ............................................................................................ 50
2.1 Positionnement de la recherche ...................................... ........ ........................... 50
2.2 La phase de la préhistoire de l'ID ...................................................................... 60
2.2.1 Les enjeux de DD et l'opportunité d'ID .................................. .. ......................... 62
2.2.2 Le travail d'identification de l'enjeu de DD et de l'opportunité d'ID ................ 64
2.3 La phase de l'objet-valise .................................................................................. 66
2.3.1 L'objet-valise .......... .. ....... ..... .... .............................. .............. ... .......................... 67
2.3.2 Le travail du dirigeant dans la définition d'un objet-valise ............................ ... 69
2.4 La phase de l'objet-frontière .............................................................................. 71
2.4.1 L'objet-frontière .......... ..... ...... .......... ...... ..................... .... .. ....... ......................... 73
2.4.2 Le travail de concrétisation de l'objet-frontière ................................................ 75
3. OBJECTIFS ET QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE ...................................... 82
11
TROISIÈME CHAPITRE - CADRE OPÉRATOIRE ..... ............... .... .................. 85
1. STRATÉGIE DE RECHERCHE .. ... .... ...................................... ....... .... ..... ................. 86
1.1 L'exploration et la description des processus d' ID .. ........................ ..... .. .... ... .. . 87
1.2 Les autres caractéristiques de la stratégie de recherche ...... .............................. 89
2. DESIGN DE RECHERCHE ...................... ................................ ......... ........ ..... .......... 91
2.1 L'étude de cas multiples .. .... .............. ........ .............................. ......... .... ... ... ...... 91
2.2 La pertinence d'étudier plusieurs cas d ' ID ................ .......................... ........ ..... 93
2.3 L'échantillon de cas d' ID .. ....... .......... ........ ...... .. .. ............................................. 95
2.3.1 Le nombre de cas ............................... ..... .......... ...... ... ...... ... .... ... ......... .. ....... ..... 97
2.3.2 Les critères de sélection ........................ .... .. .... .......... ......... ............ ....... .... .... .... 98
2.3.3 Sept cas d'ID étudiés et 15 dirigeants de PME rencontrés .............................. 100
3. MÉTHODE DE RECHERCHE ..... ....... .... ...... ...... ...................................... .............. 102
3.1 L'analyse de processus ........................ ........ ..... ... ...... ...... .. ... ..... ........ .. ... ... .... .. 102
3.2 Modèle d' analyse des données .... ..... ............ ........ ....................... .................... 106
3.2.1 La collecte des données .. ....................... ......................... ........... ...................... 109
3.2.2 La condensation des données ...... ............................. ......... .... ....... ..... ... ... ....... . 114
3.2.3 La présentation des données analysées ..................................... ...................... 118
3.2.4 L'interprétation et la vérification des résultats ....................... , ....................... 120
3.3 Critères de qualité de la recherche ...... ............................... ................. ............ 121
3.3.1 Validité des données et des résultats ....... .......... ...... .... ...... ... ....... ....... ... ... ..... .. 122
3.3.2 Fiabilité de la méthode de recherche .................. ......... ......... .. ....... ...... .. ..... ... .. 125
4. CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES DE LA RECHERCHE ............. ......... ........ .... .... ... .... .. 128
QUATRIÈME CHAPITRE - RÉSULTATS ................................... ....... ... .... ... .... 129
1. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS .. ......... ....................................... .................... . 130
1.1 De l'électrique à l'hybride (ID-1) ......... ...... ........ ............... ........... .......... ..... ... . 130
1.2 De la récupération à la gestion (ID-2) ......... ........ ............................. ... ........ .... 139
1.3 De la sensation à la station (ID-3) ............... ... ................................................. 146
1.4 Du social à l'équitable (ID-4) ..................................... ......... ......... ..... ... ........ ... 153
1.5 Du carton à l'émotion (ID-5) .. ... ... ................ ... ........... ..... ................ ... ... ...... .... 161
III
1.6 Du polystyrène à la résine (ID-6) ..... ....... ............... ... ....... .............. ......... ........ 169
1. 7 De la légion à la législation (ID-7) ...................... .... ..... .... ..... .. .............. .......... 180
2. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS .... .... .. ....... .... ......... ....... ....... ....... ..... ....... ..... 191
2.1 Portrait du travail des dirigeants de PME dans le développement des ID ...... 191
2.2 La phase de la préhistoire de l'ID .............. .................... ......... ............ ............. 194
2.3 La phase de l'objet-valise ................................................................................ 200
2.4 La phase de l'objet-frontière .......... ........ .... ...... ....... ... .......... ................ ..... ....... 206
2.4.1 La construction de points de passages obligés ................................................ 209
2.4.2 Les investissements de formes spécifiques .............. ........ ......... .... .... .............. 216
2.4.3 L'enrôlement des acteurs par le dirigeant .......... ........................ ....... ..... .......... 221
2.5 La dimension conjoncturelle et le hasard dans le travail des dirigeants ........ . 226
3. RETOUR SUR LES OBJECTIFS ET LES QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE .. . 228
CINQUIÈME CHAPITRE - DISCUSSION ............. ........ ....... .............. ... ............ 232
1. L'APPORT ET LA CONTRIBUTION GÉNÉRALE DE NOTRE RECHERCHE .................. 233
1.1 Le modèle théorique: une perspective cohérente d'ensemble ......................... 233
1.2 Contribution scientifique et managériale ........................................... ........ ..... 237
2. LES APPORTS ET CONTRIBUTIONS SPÉCIFIQUES DE NOTRE RECHERCHE ........ .... 237
2.1 Le travail de stratège et de tacticien ... .. ... ........... ... .. ..... ........ ........................... 237
2.1.1 Le stratège ....................................................................................................... 236
2.1.2 Le tacticien ......... ....... ........................................................................ ......... ..... 237
2.1.3 Contributions scientifiques et managériales ..... ... ......... ....... ........................... 238
2.2 Les objets-référent et les objets-émotion .................. ............ .. ..... .. ..... ....... ..... 242
2.2.1 Objet-référent ................................................................................ ...... ....... ..... 243
2.2.2 Objet-émotion .......... .... ............ ...... ..... ...... ...... ...... ........ ..... .. ......... .................. 245
2.2.3 Contributions managériales et scientifiques ............................ ....... ... ......... .... 248
2.3 Les casting des acteurs ...... ........ ..... .... ... ... .... ........ ....... .... ... ........ ...... .. ..... ..... ... 251
2.3.1 Le porte-parole d'enjeu .................................................................................... 252
2.3.2 Le gardien de temple ....... .......... ............................... ................... ....... ......... .... 253
2.3.3 Le promoteur .. ... , ..... ... ...... .......... .. ...... .......... .... .... ........... .... ..... ........... ....... ... .. 254
IV
2.3.4 Le passeur .... .. .... ......................... ......... .... ..... ....................... .............. .. .......... . 255
2.3.5 Le passant. ................ .... ............................ ....... ......... ........ ........ ... ........... ..... .... 257
2.3 .6 Contributions managériales et scientifiques ........ ................ ........... ............ .... 258
2.4 Le mix des enjeux de DD ........ .... ... ........ .... ... ....... ............ .... .... ........... ........ .... 257
3. L IMITES DE LA RECHERCHE ... .. . . . . .... . .. . . . . . . .... .. . .... .. . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . ..... . . . . . . . . . . . . . 262
4. Perspectives de recherche .... ............... ...... ..... ..... ................ .. ........... .. ............. 264
CONCLUSION .... ............ ................. ............... .... ....... ....... ......... ......... .... ....... ......... 267
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPIDQUES ... .... ....... ..... ........ ........ .... .... ............... .... 271
Annexe A - Guide d'entretien ................ ......... ....... ....... .. .... ..... ..... .. .. .......... ... ........ 290
Annexe B - Lettre d'information ........... ......... ......... ... ........ ........ ........ ....... .. ... ... .... 294
Annexe C - Formulaire de consentement ..... ........ .... .. ....... ......... ....... .... .... ...... .. .... 298
Annexe D - Modèles de courrier électronique ....... .... ....... ..... ...... ......... ....... .... ..... 300
Annexe E - Documents publics pour chaque cas d'ID ...... .. ....... .... ...................... 303
Annexe F - Rapport partiel de la résidence en entreprise ........ ..... .... .... .... ......... . 310
v
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Quelques définitions de l' innovation durable ...................................... .... 15
Tableau 2: Catégories d'outils d'écoconception ............ .... ........................................ 18
Tableau 3 : Résumé de la littérature et de notre regard critique ....... ........ .............. .... 26
Tableau 4 : Positionnement théorique .... .... .... ......... .......... ...... ........... .... .... .... ..... .... .... 51
Tableau 5 : Les études sur le travail du dirigeant de PME ... ... ........ .. ..... ........ .... ..... .... 56
Tableau 6 : Description du travail du dirigeant-développeur d'ID ........... ... .... ............ 58
Tableau 7 : Résumé du cadre théorique ....................... .... ...... .. .............. ................. .... 59
Tableau 8 : Les 15 principaux enjeux de DD (environnementaux et sociaux) ........... 63
Tableau 9 : Résumé du travail d'intéressement du dirigeant-développeur d'ID .... ..... . 78
Tableau 10 : Résumé des questions spécifiques de recherche ..... ... ...... .......... ........ .... 84
Tableau Il : Caractéristiques de la méthodologie de recherche ..... .... ........................ 85
Tableau 12 : Démarche de sélection des cas d' ID .................................. ........ ....... .... 100
Tableau 13 : Description des sept cas d' ID étudiés .................................................. 101
Tableau 14 : Les étapes de la collecte des données .......................... ........ ......... ....... 109
Tableau 15 : Résumé du codage thématique .......... ........ .. ..... ......... ... ...... ......... ... ... ... 116
Tableau 16 : Portrait du travail des dirigeants dans les processus d'ID étudiés ........ 193
Tableau 17 : Le travail d'observateur actif à la phase de la préhistoire .................... 195
Tableau 18 : Le travail d'entrepreneur à la phase de l'objet-valise ........ .......... ......... 201
Tableau 19 : Le travail d'agent de liaison à la phase de l'objet-frontière .................. 207
Tableau 20 : Les confrontations et leur mode de résolution ..................................... 210
Tableau 21 : L'opération d'investissement ..... .... ..... .... ..... ......................................... 217
Tableau 22 : L'opération d'enrôlement.. ........ ........... ............... ......... ..... .... ... ............ 222
Tableau 23 : Réponses aux questions spécifiques de recherche ............................ ... 229
VI
LISTE DES FIGURES
Figure 1 : Modèle de l'écoconception selon l'IDP ... ..... ........... ...... .. ............ ...... ..... ..... 17
Figure 2 : Phases d'une analyse du cycle de vie ........................................ .................. 20
Figure 3 : Modèle liant les facteurs externes et internes à l'ID .............................. .... . 28
Figure 4 : Quatre variables explicatives de l'innovation durable ................................ 28
Figure 5 : Facteurs push/pull de l'ID dans la PME .. .... ...... .... .......................... .. .... .... . 29
Figure 6 : Profils de dirigeants de PME en matière d' ID .... .... ...... ........ ...... .. ............ .. 36
Figure 7 : Modèle liant la collaboration à l'innovation durable ................................ . 41
Figure 8 : Une vision du travail du dirigeant dans le développement d'ID ................ .49
Figure 9 : Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de la préhistoire de l'ID . 61
Figure 10 : Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de l'objet-valise .... .... ... 66
Figure Il : Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de l'objet-frontière ....... 72
Figure 12 : Modèle initial du travail du dirigeant dans le développement d'ID .......... 81
Figure 13 : Caractéristiques de la stratégie de recherche ................ .. .............. .. ........ .. 87
Figure 14 : Modèle interactif de l'analyse des données ............................................ 108
Figure 15 : Les étapes du codage thématique dans Nvivo .................................. .. .... 117
Figure 16 : Modèle final du travail du dirigeant dans le développement d'ID .......... 235
ACV
ANSI
CMED
DD
GES
ID
IDP
ISO
MDEIE
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET I)ES ACRONYMES
Analyse du cycle de vie
American National Standards Institute
Conférence mondiale sur l'environnement et le développement
Développement durable
Gaz à effet de serre
Innovation durable
Institut de développement de produits
International Organization for Standardization
Ministère du développement économique, de l'innovation et de l'exportation
NBS (REDD) Network for Business Sustainability (Réseau Entreprise et Développement durable)
OCDE Organisation de coopération pour le développement économique
ONG Organisation non-gouvernementale
PME Petite et moyenne entreprise
PMNU Pacte mondial des nations unies
PNUE Programme des nations unies pour l'environnement
SETAC Society of Environmental Toxicology and Chemistry
WEF Forum économique mondial ou World Economic Forum
WBCSD World Business Council for Sustainable Development
Vll
Vlll
REMERCIEMENTS
À Dieu, mon berger et mon refuge.
À mon épouse Gisèle et nos deux enfants, Tadjina et Wilhem, ainsi que ma mère
Téna, pour leur soutien familial.
À mes directeurs de thèse, Michel Trépanier et François Labelle, pour entre autres
leur soutien intellectuel.
Au Fonds de recherche du Québec sur la culture et la société (FRQSC), pour son
soutien financier.
Et à tous ceux et celles qui de près ou de loin m'ont soutenu, à leur manière.
INTRODUCTION
Depuis la publication en 1987 du rapport de la commission mondiale sur
l' environnement et le développement (CMED), le développement durable' (DD) est
devenu bien plus qu'une mode. Il focalise l' attention des économistes, des ingénieurs,
des chercheurs en sciences sociales, des géographes, des écologistes, des architectes
et des politiciens (Goodland, Daly, El Serafy et von Droste, 1991). Ses principes
suggèrent à tous les acteurs de la société d' initier toute action qui lie des objectifs
économiques à des enjeux environnementaux et sociaux de manière à permettre aux
générations présentes et futures de répondre à leurs besoins.
Les dirigeants2 d'entreprises sont visés par les enjeux environnementaux et
sociaux. Ceux à la tête des petites et moyennes entreprises (PME) le sont encore plus
compte tenu de leur impact socio-économique3 et de leur fragilité (p. ex.: ressources
financières limitées). Les enjeux environnementaux et sociaux tels que le changement
climatique, la santé et la sécurité des êtres humains, l'agitation sociale ont des
incidences sur les activités des entreprises et, par conséquent, sur les décisions et les
actions des dirigeants. Les institutions comme l'Organisation de coopération pour le
développement économique (OCDE, 2010), le Programme des Nations unies pour
l'environnement (PNUE, 2010), le Forum économique mondial (WEF, 2009) et le
World business council for sustainable development (WBCSD, 2006) s'accordent à
dire que pour répondre à ces enjeux tout en respectant leurs objectifs économiques,
les dirigeants d'entreprises devront entre autres développer des écoinnovations.
Les écoinnovations sont définies comme des biens et services qui ont des
impacts environnementaux positifs tout en répondant à des objectifs ' économiques
1 Le terme « durable » fait référence à au moins deux des trois dimensions du DO, à savoir les dimensions environnementale, sociale et économique. Ainsi, une action est qualifiée de durable lorsqu 'elle rencontre à la fois des objectifs économiques et environnementaux et/ou sociaux.
2 Dans cette recherche, nous avons une définition large du dirigeant qui peut être un propriétairedirigeant d'une entreprise, un entrepreneur, un gestionnaire d'entrepri se, un cadre supérieur d'une entreprise qui décide, initie et est impliqué dans le développement d'une ID.
3 Prises ensemble, les PME constituent 90 à 99% de nos économies et emploient 80% de nouveaux emplois (Statistique Canada).
2
(Fussler et James, 1996). Par exemple, une auto électrique peut être considérée
comme une écoinnovation en comparaison à une auto fonctionnant au pétrole. La
première génère des impacts environnementaux négatifs moindres alors que son
utilité et son apport économique sont semblables à la seconde. Quelques années plus
tard, Kanter (1999) introduit le terme de 1/ corporate social innovation 1/ pour définir
les innovations qui visent des enjeux environnementaux et sociaux, intégrant cette
fois de façon plus explicite le volet social. L'auteure invite alors les dirigeants à voir
ces enjeux comme une source de besoins à satisfaire par des solutions durables.
L'innovation environnementale, l'innovation responsable et l'innovation durable (ID)
sont autant de termes utilisés de façon interchangeable pour exprimer le concept
d'écoinnovation. D'abord, dans notre étude, c'est le terme d'innovation durable qui
est utilisé. Ensuite, l'ID est à distinguer des pratiques de DD telles que la publication
de rapports de DD ou la création d'un comité de DD. Enfin, l'ID est notre objet
théorique. Par conséquent, c'est ce sur quoi nous avons bâti le contexte théorique et la
méthodologie de notre recherche ainsi que les résultats et la discussion.
À propos des ID dans les PME, les dirigeants se demandent comment les
développer (voir rapport du Réseau Entreprise et DD, 2012 et 2014). Les réponses
apportées par les praticiens (p. ex.: la SETAC4, l'institut de développement de
produit, Enviroacces5) se résument à la prescription d'outils techniques (p. ex.:
écoconception, analyse du cycle de vie). Quant aux chercheurs (voir Cuerva,
Triguero-Cano et Corcoles, 2014; Klewitz et Hansen, 2014; De Medeiros, Ribeiro et
Cortimiglia, 2014), ils proposent des analyses qui lient l'ID à des facteurs de succès
ou d'échec (facteurs externes et internes à l'entreprise, orientation du dirigeant,
4 La SET AC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry) est une organisation à but non lucratif comprenant des professionnels et des institutions engagés dans l'étude, l'analyse et la résolution de problèmes environnementaux, la gestion et le contrôle de l'utilisation des ressources naturelles, l'éducation ainsi que la recherche et développement sur les questions environnementales Elle développe et fait la promotion des outils d'évaluation des impacts environnementaux.
5 Enviroacces est un organisme qui a pour mission de « favoriser l'émergence et d'assurer un soutien aux entreprises et aux projets innovateurs pouvant contribuer à l'amélioration de la qualité de l'environnement et au développement durable à l'échelle locale, nationale et internationale » (www.enviroacces.ca).
3
collaboration). Bien qu'utiles, ces contributions des praticiens et des chercheurs ne
permettent pas de mieux comprendre ce que font (Comment) les dirigeants de PME
pour développer des ID. Pourtant, ce qui est au cœur de leurs préoccupations c' est
bien le travail qu' ils doivent effectuer pour y arriver. Dans notre étude, le dirigeant de
PME est notre objet empirique parce qu'en contexte de PME, c'est un acteur central
qu'il faut « suivre à la trace » dans son travail (Florén et Tell, 2004, 2012; O'Gorman,
Bourke et Murray, 2005).
Ce que font les dirigeants de PME pour développer des ID devrait retenir
l'attention de tous ceux (praticiens, chercheurs, étudiants) qui pensent qu'il est
essentiel de ne pas perdre de vue l'ambition initiale des sciences de la gestion :
s'intéresser aux problèmes et aux attentes des dirigeants d'entreprises (Desreumaux,
2005). Cependant, quand les sciences de la gestion" tardent" à trouver des réponses
aux préoccupations des dirigeants, il faudrait regarder du côté des autres sciences.
C'est pour poser ce regard que nous avons entrepris d'analyser le travail du dirigeant à
travers une approche de construction sociale. Cette approche est préconisée par la
nouvelle sociologie des sciences et des techniques ainsi que la sociologie
interactionniste des sciences. Elle permet d'analyser l'innovation en considérant
qu'elle ne se répand pas d'elle-même, mais dépend de la participation active de tous
les acteurs qui s'y intéressent (Akrich, Callon et Latour, 1988). Dans ce sens, nous
voyons l'ID comme le résultat d'une construction sociale initiée et orchestrée, au
moins en partie, par le dirigeant de PME.
Pour mieux comprendre cette construction sociale de l'ID, le premier chapitre
de notre thèse situe la problématique managériale. Dans le second chapitre, nous
développons le contexte théorique. Le troisième porte sur le cadre opératoire. Dans le
quatrième chapitre, nous présentons et interprétons les résultats de notre recherche.
Le cinquième sert à discuter des résultats, des apports et des limites de cette
recherche. Enfin, dans la dernière partie de notre thèse nous tirons les conclusions.
PREMIER CHAPITRE
PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE
En 1987, à la faveur du rapport de la commISSIOn Brundtland sur
l' environnement et le développement (CMED), plusieurs dirigeants d'entreprises se
sont accordés sur l'urgence de rendre leurs objectifs économiques compatibles avec
des enjeux environnementaux et sociaux. À la conférence de Rio en 1992, ces
derniers ont convenu que:
Les entreprises jouent un rôle important dans le devenir de cette planète. En tant que dirigeants d'entreprises, nous nous engageons à satisfaire les besoins du présent sans compromettre le bien-être des générations futures. De nouvelles formes de coopérations entre les gouvernements, les acteurs économiques et la société sont nécessaires pour atteindre ce but [ ... ]. Nous nous engageons à promouvoir ce nouveau partenariat en changeant de cap vers notre avenir commun (Schmidheiny, 1992, p. xi-xiii, notre traduction).
Selon une étude6 menée par Accenture7 et le Pacte Mondial des Nations Unies
(PMNU), les dirigeants d'entreprises ont réitéré leurs préoccupations à l'égard des
enjeux environnementaux et sociaux en ciblant cette fois les ID :
Alors que les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance prennent de plus en plus d'ampleur et que les chefs de la direction se débattent avec des priorités stratégiques conflictuelles, les pratiques commerciales et les produits durables ouvrent de nouveaux marchés et de nouvelles sources de demandes, engendrent de nouveaux modèles d'affaires et sources d' innovation, transforment les structures de coûts sectorielles et commencent à s' infiltrer dans l' entreprise touchant aussi bien la stratégie globale que tous les aspects des activités (Accenture et PMNU, 2010).
6 Cette étude a été réactualisée en 2013 et arrive aux mêmes conclusions. 7 Selon le Fortune Global 500, Accenture est le plus important cabinet international de consultant notamment en manàgement.
5
Le développement durable (DD) est le concept qui sous-tend leur position. Il est
défini comme:
Un processus de changement par lequel l'exploitation des ressources, l'orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes (CMED, 1988, p. 10).
Autrement dit, les dirigeants peuvent contribuer par leurs actions à résoudre des
enjeux environnementaux et sociaux. Cependant, cette démarche pose une
problématique managériale. Elle suppose que les dirigeants passent de pratiques
s'appuyant sur des modèles de gestion économique classique à des pratiques
davantage associées à un modèle de gestion durable.
Selon Friedman (1970), un modèle de gestion durable est contradictoire avec
les objectifs économiques de l'entreprise. Pour ce dernier, « la seule responsabilité de
l'entreprise est d'accroitre ses profits» (Ibid., p. 173). Par conséquent, le travail du
dirigeant consiste à répondre à ses responsabilités et ses objectifs économiques.
Michaël Porter (1991) ainsi que Stuart Hart (1995) pressentent plutôt le modèle de
gestion durable comme étant bénéfique pour les dirigeants d'entreprise. Selon Porter
et Van der Linde (1995), les enjeux environnementaux et sociaux sont des sources
d'innovation (durable) reconnue elle-même comme un moteur de la croissance
économique. Pour Hart et Milstein (2003), l'ID est un moyen pour les dirigeants
d'intégrer les enjeux de DD dans leurs stratégies tout en demeurant compétitifs. Ces
assertions se trouvent confortées par des études menées par des institutions et des
experts internationaux.
6
En effet, un rapport du PNUE8 (2006) indique que le marché des biens et
services durables cOllilaitra une forte croissance d'ici les alli1ées 2020. Selon la firme
de conseil McKinsey & Company (2007), 60% des (2192) dirigeants d'entreprises
issues de divers secteurs d'activités (énergie, finance, haute technologie, manufacture
et services) interrogés à travers le monde intègrent des aspects environnementaux et
sociaux dans le développement de leurs nouveaux produits. Une étude de MIT Sloan
Management Review9 (MIT-SMR) et Boston Consulting GrouplO (BCG) indique
aussi que la taille des marchés (p. ex. : agroalimentaire, écotourisme, recyclage)
touchés par les enjeux environnementaux et sociaux s'accroit et est susceptible d'être
plus grande à l'avenir (MIT-SMR et BCG, 2011).
Mieux encore, une enquête récente intitulée, 1/ The innovation bottom fine 1/
sera conduite par ces deux organisations (MIT-SMR et BCG, 2013). Dans cette
enquête, il est mentionné que les dirigeants d'entreprises voient de plus en plus
d'opportunités à travers les enjeux environnementaux et sociaux. Et, pour profiter de
celles-ci, les dirigeants s'inscrivant dans un modèle de gestion durable développent
des ID. Dans ces conditions, l'ID ne peut que susciter davantage d'intérêt auprès des
dirigeants d'entreprises.
Le développement d'ID comporterait cependant des défis pour les dirigeants
qUI souhaitent s'y engager. Plusieurs gouvernements et institutions prennent des
8 Le Programme des nations unies pour l'environnement (PNUE) est un organisme dépendant de l'Organisation des Nations unies. Elle a pour but de coordonner les activités des Nations unies dans le domaine de l'environnement et de façon plus large du DO ainsi que d'assister les pays dans la mise en œuvre de politiques environnementales et de DD.
9 Le MlT Sioan management review (MIT- SMR) favorise les échanges entre les chercheurs, les dirigeants d'entreprises ainsi que les leader d'opinion influents, sur les pratiques de gestion et d'innovation . Il conduit et diffuse des recherches dont les résultats peuvent aider les dirigeants d'entreprises à saisir les opportunités générées par les changements organisationnels, technologiques et sociétaux.
10 Le Boston Consulting Group (BCG) est un cabinet international de conseil en stratégie. En 2014, l'entreprise était classée comme l' un des cabinets de conseil en management les plus prestigieux au monde. Dans les années 1970, le BCG a créé et popularisé la « Matrice croissance / part de marché » ou « Matrice BCG », enseignée dans la plupart des écoles de gestion.
7
initiatives pour les aider - particulièrement les dirigeants de PME - à relever ces défis
(OCDE, 2010; Schaltegger et Wagner, 2010). Par exemple, en Europe, l'agence
polonaise pour le développement de l'entreprise (PAED) finance depuis 2011 un
projet visant à aider les dirigeants de PME à intégrer les enjeux environnementaux
dans le développement de leurs innovations. C'est aussi le cas en Amérique du nord,
précisément au Canada et au Québec où Environnement Canada en partenariat avec
Développement Économique Canada et le Conseil national de recherches du Canada
avaient initié le programme Enviroc1ub pour amener les dirigeants de PME à
développer des ID (Huppé, Turgeon, Ryan et Vanasse, 2006). Mais, ces dirigeants
sont toujours préoccupés par ce qu'ils doivent faire pour parvenir à développer des
ID, soulignant ainsi la persistance d'une problématique managériale.
Un rapport du Réseau Entreprise et Développement Durable ll (Network for
Business Sustainability en anglais) comprenant des dirigeants de PME canadiennes,
révèle que ces derniers restent préoccupés face aux enjeux environnementaux et
sociaux. Pour ces dirigeants:
La combinaison entre innovation, développement durable et rentabilité est importante. Si la recherche peut nous permettre de voir différemment notre modèle de gestion et nous orienter vers l'innovation durable, nous serons alors capables d'apprendre, de nous adapter et d'initier les changements nécessaires (NBS, 2012, p. 7, notre traduction).
Autrement dit, c'est le travail à effectuer pour développer des ID qUI semble
préoccuper ces dirigeants de PME.
11 Le Réseau Entreprise et Développement Durable (REDD ou NBS) produit des ressources faisant autorité sur d ' importants enjeux de DD dans le but d ' influencer les pratiques de gestion et la recherche. Il met en contact des professionnels et des chercheurs du monde entier s'intéressant aux questions de DD en contexte d'entreprise. Ses rapports d'étude de 2012, 2013 et plus récemment de 2014 présentent les ID comme une des préoccupations importantes des dirigeants de PME face aux enjeux du DD (www.nbs.net).
8
1. CONTRIBUTIONS DES PRATICIENS ET DES CHERCHEURS
Les praticiens comme la SET AC, l'institut de développement de produit (IDP),
Enviroacces recommandent aux dirigeants des " recettes " sous forme d'outils
techniques à l'image de l'écoconception et l'analyse du cycle de vie des biens et
services. La plupart de ces outils ont en commun de faire du développement de l'ID
un processus technique (mise en œuvre d'étapes successives suivant un ordre logique
et prévisible). Ces recettes ne répondent pas aux besoins et aux problèmes vécus
particulièrement par les dirigeants de PME (Le Pochat, Bertoluci et Froelich, 2007 ;
Prendeville, O'Connor et Palmer, 2014 ; Witczak, Kasprzak, Klos, Kurczewski,
Lewandowska et Lewicki, 2014). Elles ont été à l'origine développées pour les
grandes entreprises. Les dirigeants de PME ont une perception contrastée, voire
négative de ces outils techniques en ce qui concerne leur pertinence dans le
développement d'ID (Ibid.).
Quant aux chercheurs, nous remarquons que trois principaux facteurs sont
régulièrement cités dans leurs travaux l2 : les facteurs externes et internes, l'orientation
du dirigeant, la collaboration. Selon les écrits scientifiques, ces facteurs
expliqueraient le succès ou l'échec du développement des ID. Les facteurs externes et
internes obligent ou motivent les dirigeants de PME à développer des ID (De
Medeiros et al., 2014; Cuerva, Triguero-Cano et Corcoles, 2014). Pour certains
chercheurs, les dirigeants de PME qui accordent une importance élevée aux enjeux
environnementaux et sociaux sont susceptibles de s'orienter vers les ID (Bos
Brouwers, 2009, 2010; Parker, Redmond et Simpson, 2009). Pour d'autres, la
collaboration et l'ID sont un couple inséparable dans la PME (Klewitz, Zeyen et
Hansen, 2012 ; Sarkis, Cordeiro et Brust, 2010). Les travaux des chercheurs
12 À ce propos, deux articles de Klewitz et Hansen ainsi que de Cuerva, Triguero-Cano et Corcoles, publiés en 2014 dans le Journal of Cleaner Production proposent une revue de littérature sur l'innovation durable en contexte de PME.
9
n'expliquent ni ne décrivent les « manières» qui permettent aux dirigeants de PME
de développer des ID.
Comme nous le verrons dans la revue de littérature, la plupart des chercheurs
étudient l'ID dans les PME sur la base d'analyses déterministes qui font penser que le
succès ou l'échec du développement d'ID s'explique par des facteurs, des causes, des
conséquences. Ces analyses s'avèrent insatisfaisantes parce qu'elles ne permettent
pas de cerner et de comprendre les processus sociaux qui donnent forme à une ID et,
constituent les " manières " qui permettent aux dirigeants de PME de les " fabriquer"
(Edwards, 2000; Edwards, Delbridge et Munday, 2005).
Une fois que les variables explicatives et les variables expliquées ou même les
" ingrédients " sont connus, il nous reste à répondre à la question du " comment ". Il
faut donc soulever le couvercle de la " boîte noire" que constitue le processus d'ID
et voir, " en action", les interactions entre les variables explicatives et les variables
expliquées. Autrement dit, il faut s'intéresser à la nature à la fois systémique et
interactive du processus d'ID. De plus, il nous semble pertinent que, lorsque les
préoccupations des dirigeants d'entreprises sont portées sur le " comment ", le rôle du
chercheur est d'y apporter des éléments de réponse appropriés. Dans ce sens, tout
comme Flichy (1995), si nous acceptons de considérer que les objets techniques tels
les innovations durables sont le résultat de trois éléments, soit les facteurs externes et
internes (le contexte), l'activité des acteurs et les contraintes sociotechniques
(notamment les interactions entre les acteurs), le travail du chercheur en sciences
sociales peut avoir une double fonction:
D'une part, il peut aider à repérer les cadres sociotechniques dans lesquels se situe l'action, d'autre part, les différents cas passés d'innovation [durable] constituent autant d'entraînements à l'action pour les futurs innovateurs. [ ... ] Le chercheur en sciences sociales ne peut offrir ni théorie, ni recettes pour qu'une innovation [durable] soit un succès, mais il peut fournir aux acteurs des ressources pour
l' élaboration de [celle-ci]. De même que l' explorateur a pu trouver auprès du géographe des cartes qui comprenaient encore bien des zones vides, mais qui l' ont aidé dans sa progression vers l' inconnu, de même [le dirigeant d ' entreprise] peut trouver chez [le chercheur en sciences de la gestion] des informations utiles pour effectuer le voyage de l ' innovation [durable]. [Ces dirigeants d ' entreprises] peuvent trouver dans des exemples passés une forme de pédagogie qui peut leur permettre d ' apercevoir rapidement un monde social avec lequel la négociation est indispensable, de mieux saisir une opportunité [d'ID] inattendue. (Flichy, 1995, pp. 234-235).
10
C'est dans ces propos de Flichy que nous inscrivons notre recherche. Ceux-ci
soulignent l'importance de mettre l'accent sur le travail des acteurs dans la
construction sociale des objets techniques. En se positionnant du côté des dirigeants,
l' intérêt à la fois scientifique et managérial d'étudier ce qu'ils font pour développer
des ID réside, en plus, dans ce que Mintzberg (1984) constatait au sujet du travail du
gestionnaire - notamment du dirigeant de PME (Florén et Tell, 2004, 2012; Muir et
Langford, 1994; O'Gorman et al. , 2005) - que nous réactualisons modestement dans
le cadre de notre étude :
Si nous ne pouvons pas comprendre de quoi est fait le travail du [dirigeant de PME pour développer des ID], comment peut-on mesurer l'impact de [facteurs de succès] sur ce travail ? En fait, comment peut-on concevoir pour lui des [recettes et des théories] qui soient utiles? Si on ne sait pas ce que font les [dirigeants de PME] , comment peut-on prétendre enseigner la gestion [du DD] aux étudiants? Comment peut-on espérer que les programmes internes de développement professionnel améliorent les performances [environnementales des dirigeants] ? Et, si on ne parvient pas à avoir une influence sur le travail des [dirigeants de PME], comment peut-on espérer rendre nos [entreprises] capables d'affronter les problèmes [de DD] qui aujourd'hui paraissent insurmontables (Mintzberg, 1984, p. 17).
En définitive, nous soutenons que les contributions actuelles des praticiens et
des chercheurs, bien qu' importantes, apportent des connaissances insuffisantes pour
11
comprendre les ID dans les PME. Ni les recettes ni les théories proposées ne
permettent de rendre compte du travail effectué par le dirigeant de PME - acteur
central de son entreprise - pour développer des ID.
Partant de là, il n'est pas étonnant de constater que malgré les recettes et les
théories proposées à ce jour, des dirigeants de PME continuent de souligner le besoin
de mieux comprendre et apprendre comment développer des ID. Ces préoccupations
nous portent à croire que les dirigeants veulent, maintenant, explications à leur travail
dans le développement des ID. Cette croyance se trouve confortée par les résultats
(présentés à l'annexe F) et les principaux enseignements tirés d'une étude
préliminaire conduite dans le cadre de notre résidence en entreprise l3.
2. CONTRIBUTIONS DE LA RÉSIDENCE EN ENTREPRISE
Afin de constater l'importance du travail des dirigeants de PME dans le
développement des ID, l'étude de six cas d'ID a été menée auprès de deux PME.
L'objectif de cette étude était de vérifier la pertinence de la problématique
managériale. Dans le même temps, cette étude préliminaire offrait l'opportunité
d'évaluer la faisabilité et l'utilité du projet de recherche. Six processus de
développement d'ID ont donc été documentés de façon rétrospective afin d'analyser
le travail des dirigeants.
Cette étude préliminaire ne s'est pas intéressée aux phases de génération d'idée
(avant-coup) et de commercialisation (après-coup) à grande échelle de l'ID qui en
résulte. Nous nous sommes focalisés sur ce qui s'est passé pendant le développement
13 La résidence en entreprise fait partie du cheminement doctoral dans le programme de doctorat en administration. L'objectif général de la résidence est de valider ou de repréciser la problématique de recherche au regard des résultats obtenus sur le terrain.
12
de l'ID. Les entretiens avec les dirigeants de ces deux PME, la documentation privée
fournie par ceux-ci et la documentation publique rassemblée librement ont constitué
les principales sources de données. Les résultats de cette étude peuvent être résumés
comme suit:
A. Des facteurs externes et internes sont à la base des décisions prises par le dirigeant de s'orienter vers le développement d' ID;
B. Pour ce faire, le dirigeant de PME mobilise différents acteurs internes et externes interpelés à des degrés divers, selon leurs intérêts, par l' enjeu de DD que vise cette ID ;
C. Avec ces acteurs, le dirigeant de PME établit et maintient des relations de collaboration permettant de réaliser l'ID.
À travers ces quelques résultats, nous pouvons reconnaitre les trois facteurs de
succès ou d'échec de l'ID indiqués dans les écrits scientifiques. Cependant, il faut
aller au-delà de ce résultats si nous voulons comprendre le travail opéré par les deux
dirigeants de PME pour réussir à développer leurs ID. Dans cette démarche, notre
étude préliminaire nous indique que le développement d'une ID nécessite plus que
l'utilisation d'outils techniques par le dirigeant tout comme le soulignaient Knight et
Jenkins (2009), Le Pochat et al. (2007), O'Brien, Doig et Clift (1996), Prendeville et
al. (2014), Witczak et al. (2014). Elle implique le rôle pivot du dirigeant de PME
(Bos-Brouwers, 2010; Dangelico et Pujari, 2010; Del Brio et Jùnquera, 2003) et son
implication dans un processus social (Hartman, Hofman et Stafford, 1999, 2002;
Lozano, 2007; Roome, 2012; Sarkis et al. , 2010).
En effet, l' analyse des processus d' ID permet de mettre en évidence des
situations d'interactions au cours desquelles des discussions, des confrontations, des
arrangements ont lieu entre les acteurs, tout comme les ont indiqués Aggeri (20 Il) et
Markusson (2007, 2011). Les discussions permettent aux acteurs de présenter leur
13
compréhension de ce que pourrait être l'ID et de proposer leurs propres projets d'ID.
Les confrontations surviennent entre des interprétations différentes souvent opposées.
Les arrangements permettent de résoudre les confrontations et de poursuivre la
réalisation de l'ID. Il faut signaler qu'un des dirigeants a eu recourt à l' expertise en
écoconception d'un de ses partenaires pour le développement d'une de ses quatre ID.
Néanmoins, ce dernier n ' a pas vu l' intérêt de réutiliser cet outil pour le reste de ces
ID, dans la mesure où selon lui elle a montré des limites dans la gestion des
interactions sociales avec les acteurs impliqués. Au total, les ID développées par ces
dirigeants de PME ont été l'effet d' un travail de construction sociale.
En définitive, les dirigeants de PME interrogés veulent savoir dans quelle
mesure cette recherche leur permettra d'avoir des exemples et des outils pouvant
servir d' entrainements pour développer des ID, plutôt que des recettes et des théories
visant à prédire le succès ou l'échec du développement de celles-ci. Les résultats de
cette étude préliminaire et les préoccupations des dirigeants de PME interrogés
établissent ainsi la faisabilité et l'Utilité de notre recherche. L'étude préliminaire
révèle l' existence de « dimensions cachées » dans le processus d'innovation (Lester et
Piore, 2004) durable. Elle sert surtout de base à une recherche plus approfondie qui
répond à l'appel de Klewitz et Hansen (2014) recommandant de mener plus de
recherches sur les processus d' ID dans les PME et sur les rôles qu'y jouent leurs
dirigeants. Le tout relève la pertinence de la question suivante:
En quoi consiste et de quelle manière se fait le travail du dirigeant de PME dans le développement des ID?
Dans le chapitre qui suit, nous voyons comment cette question est abordée par
les chercheurs (revue de littérature sur laquelle nous posons un regard critique) et
comment nous souhaitons y répondre (cadre théorique).
DEUXIÈME CHAPITRE
CONTEXTE THÉORIQUE
Après aVOIr clarifié la problématique managériale, nous allons dans ce
chapitre développer le contexte théorique de notre recherche. Ce chapitre sera divisé
en deux grandes parties. Dans la première partie, nous présentons un état actuel des
connaissances sur l'ID dans les PME et sur lequel nous posons un regard critique.
Nous proposons ensuite, dans la seconde partie, le cadre théorique. À la fin de cette
partie, nous formulons nos objectifs et questions spécifiques de recherche.
1. REVUE DE LITTÉRATURE
Avant de s'intéresser à l'ID dans les PME, il nous faut voir comment ce
concept est défini par les chercheurs. À l'instar de plusieurs d'entre eux, Ekins (2010)
considère l'ID comme, " a sub-class of innovation" (p. 269). Autrement dit, l'ID tire
en grande partie son sens de la définition classique de l' innovation. À ce propos, le
Conference Board du Canada (2004) définit l'innovation comme:
un processus qui permet d'extraire une valeur économique ou sociale à partir d'un savoir en générant, en développant et en concrétisant des idées dans le but de produire des biens, des procédés et des services nouveaux ou considérablement améliorés (p. i).
Nous pouvons retenir dans cette définition, deux niveaux d'analyse de l'innovation:
l'innovation comme un résultat et l'innovation comme un processus.
15
Comme résultat, l'innovation se caractérise par sa forme (produit, procédé,
service, méthode, modèle d'affaires), son intensité (amélioré ou nouveau) et son
impact (économique ou social). À la différence de l'innovation, l'impact d'une ID
intègre en plus des volets économique et social, un volet environnemental comme
l'indiquent les définitions de l'ID présentées dans le tableau 1.
Tableau 1 Quelques définitions de l'innovation durable
Auteur Définition
Écoinnovation : Processus d' innovation orienté vers le DD dans lequel plusieurs acteurs sont impliqués (p. ex.: entreprises, gouvernements, syndicats,
Rennings (2000) associations, églises, ménages) en vue de développer ou d'appliquer de nouvelles idées, comportements, produits et services qui contribuent à réduire leurs impacts environnementaux négatifs ou visent des objectifs de durabilité.
Kemp, Arundel et Écoinnovation : Création ou modification de procédés, techniques, systèmes Smith (2000) et produits qui réduisent ou évitent les risques environnementaux.
Innovation durable : Renouvèlement ou développement de produits, services
Bos-Brouwers et processus technologiques ou organisationnels qui améliorent à la fois la
(2009) performance économique, environnementale et sociale de l'entreprise à court comme à long terme. Elle intègre les préoccupations des parties prenantes dans la prise de décisions tout en transformant les pratiques existantes.
Hansen et al. Innovation durable : Innovation qui assure ou accroit le capital économique, (2009) environnemental et social d'une entreprise.
Schaltegger et Innovation durable : Nouveaux produits, services, techniques et modes d' organisation qui réduisent de façon substantielle ses impacts
Wagner (2010) environnementaux et améliorent la qualité de vie (aspects sociaux).
Innovation durable ou écoinnovation : Création de produits (biens et services), procédés, méthodes de commercialisation, structures organisationnelles,
OCDE (2010) dispositions institutionnelles nouveaux ou sensiblement améliorés qui , de manière intentionnelle ou non, améliorent l' environnement par rapport aux substituts pertinents.
16
À propos des définitions de l'ID, selon Carrillo-Hermosilla, Del Rio et Konnola
(2010), Cuerva et al. (2014), Schaltegger et Burritt (2005), l'OCDE (2010),
l' innovation et l'ID ne se distinguent que par le degré de leurs impacts
environnementaux et sociaux. Autrement dit, une ID a des impacts environnementaux
et sociaux négatifs moindres (ou positifs élevés) qu'une innovation classique, alors
qu'elles peuvent avoir une utilité et un apport économique semblables.
L'innovation peut être aussi définie comme un processus et c'est cet aspect qui
nous intéresse dans cette recherche. Dans ce sens, l'innovation acquiert ses
caractéristiques définitives au bout d'un enchainement d'opérations, d'actions, de
facteurs . Selon Wolfe (1994), un processus d'innovation peut être une séquence
temporelle de phases (Stage Model) ou d'évènements (Pro cess Model) . La phase est
définie comme les différentes étapes successives d'une chose en évolution.
L'évènement peut être un facteur significatif, un fait, un incident ou une activité qui
entraine un changement (Van de Ven, 1992 ; Van de Ven, Angle et Poole, 2000).
Dans la littérature, le développement d'une ID est présenté comme la mise en œuvre
d'un processus technique, soit une séquence d'étapes successives qui suivent une
logique préétablie. D'une part, l'écoconception et l'analyse du cycle de vie sont des
processus techniques souvent préconisés aux dirigeants qui souhaitent développer des
ID. D'autre part, le développement d'une ID est lié à des facteurs de succès ou
d'échec, soit des facteurs externes et internes à l'entreprise, l'orientation du dirigeant
et la collaboration. Ces deux points sont analysés dans les sections suivantes.
1.1 L'ID dans les PME: un processus technique
Pour développer des ID, les praticiens proposent le plus souvent aux
dirigeants d'entreprise, notamment ceux à la tête des PME, des outils qui consistent
17
en fait à mettre en œuvre des processus techniques. L'écoconception et l'analyse du
cycle de vie des biens et services font partie des processus techniques les plus
recommandés pour développer des ID.
1.1.1 L'écoconception
Encore appelé" ecodesign " (en anglais), l'écoconception peut être définie
comme un processus d'amélioration environnementale qui vise à « réduire les impacts
négatifs d'un produit ou d'un service sur l'environnement et la société, tout au long
de son cycle de vie, tout en conservant sa qualité d'usage et ses performances» (IDP,
2009, p. 15). Suivant les étapes d'un processus d'écoconception (voir Figure 1), le
dirigeant fait des choix sur les caractéristiques fonctionnelles et d'usage d'un procédé,
d'un produit ou d'un service, dès les premières étapes de l'identification de l'idée
jusqu'à l'élaboration d'un prototype.
Figure 1 Modèle de l'écoconception selon l'IDP
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TEMPS
Source: Extrait de lDP (2009, p. 28)
des produits finis et des
ventes
un plan d ' amélioration
18
Partant de la figure présentée plus haut, l' écoconception se fait donc en amont
de la production et de la mise en marché. Par exemple, l'écoconception mise sur
l'utilisation de matériaux biodégradables ou la réduction de matières et d'énergie
consommées, une conception qui facilite le désassemblage et le recyclage, ainsi que
sur l'élimination ou la réutilisation des déchets de production (IDP, 2009).
Plusieurs outils d'écoconception sont proposés aux dirigeants. Ces outils
peuvent prendre différentes formes et varier selon le secteur d'activités ainsi que les
objectifs du dirigeant (p. ex. : précision des résultats). À ce propos, Baumann, Boons
et Bragd (2002) ont dénombré plus de 150 outils d'écoconception qu'ils ont réparti en
six catégories (Tableau 2).
Tableau 2 Catégories d'outils d'écoconception
Catégorie Définition
Les cadres de Ils contiennent un ensemble d ' idées qui concernent les aspects environnementaux des
références produits ou services à considérer. Ces considérations environnementales varient selon le secteur d' activités de l'entreprise.
Les listes de contrôle Les listes de contrôle ou check-lists sont des outils qui dressent une liste souvent très
et lignes directrices large des enjeux environnementaux à considérer dans le développement d'un produit ou d'un service.
Les outils Ce sont en général des outils de nature quantitative qui comportent une échelle
d'évaluation et de d 'évaluation allant par exemple de 0 à 7 (impact environnemental faible à impact élevé).
classement Ces outils nécessitent beaucoup moins de données qu'une analyse du cycle de vie (que nous aborderons plus tard) et, par conséquent, sont plus simples d ' utilisation.
Les outils Ce sont des outils de nature quantitative permettant d 'analyser et de mesurer les aspects
analytiques environnementaux et très souvent économiques des produits et services. L'analyse du cycle de vie est l' outi 1 de référence.
Les logiciels et Ces outils permettent de recueillir un grand nombre d'informations sur les aspects systèmes experts environnementaux des produits et services et de les traiter de façon systématique.
Les outils Ces outils aident à organiser les tâches liées au développement de produits et services ou d'organisation les liaisons entre les fonctions de l' entreprise.
Source: Baumann et al. (2002, notre traductIOn)
19
Par ailleurs, outre l'écoconception, l'analyse de cycle de vie est aussi un autre
outil recommandé aux dirigeants d'entreprise pour analyser l'impact environnemental
de leurs biens et services.
1.1.2 L'analyse du cycle de vie des biens et services (ACV)
Selon la SET AC (1991, 1996), l'ACY se définit comme un processus
d'analyse environnementale qUI VIse à faire l'évaluation des impacts
environnementaux d'un produit ou d'un service tout au long des étapes de son cycle
de vie. Cette évaluation permet de déterminer les aspects sur lesquels le produit peut
être amélioré et contribue au développement de produits plus respectueux de
l'environnement. Dans une approche d'ACY, le cycle de vie tient une place
importante.
Selon Hansen et al. (2009), le cycle de vie peut se résumer à trois principales
étapes. La fabrication est l'étape où des matières brutes sont achetées à des
fournisseurs et transformées en produits finis par l'entreprise. L'utilisation prend en
compte les conséquences de l'emploi d'autres matières par les entreprises productrices
(p. ex. : énergie, eau, déchets industriels), mais aussi les conséquences des usages que
font les consommateurs des produits (p. ex.: déchets domestiques). Enfin, la
destruction correspond à l'étape du recyclage, de la reproduction et de la réutilisation
du produit arrivant en fin de vie.
L'analyse du cycle de VIe consiste alors à mesurer les impacts
environnementaux d'un bien ou d'un service tout au long de ces trois étapes. Selon
1S014040 (2006), cette analyse comporte quatre phases comme indiqué à la figure 2.
20
Figure 2 Phases d'une analyse du cycle de vie
1. Définition des "-objectifs et du champ
~
, d'étude .......
2. Inventaire du cycle "- 4. Interprétation , de vie ~- du cycle de vie .......
3. Évaluation de -~
l'impact du cycle de ~
, ...... vie
Source: Adapté d'ISO et ANSI (1997, p. 3)
A. La définition des objectifs et du champ de l'étude : Le dirigeant (et son équipe) définit le produit (au sens large) sur lequel porte l'analyse ainsi que son champ d'application (p. ex. : développement ou amélioration du produit).
B.. L'inventaire du cycle de vie : Le dirigeant (et son équipe) quantifie l'énergie, les matières premières utilisées par le produit étudié et ses émissions dans l'air, l' eau, et le sol. L'inventaire implique une collecte des données nécessaires pour la quantification des entrants et sortants d'un produit.
C. L'évaluation de l'impact du cycle de vie: Le dirigeant (et son équipe) fournit des informations complémentaires pour permettre d'évaluer les résultats de l'inventaire du cycle de vie du produit étudié afin de mieux comprendre ses impacts environnementaux.
D. L'interprétation du cycle de vie : À ce stade, les résultats de l'inventaire ou de l'évaluation de l'impact du cycle de vie sont résumés et discutés pour
21
dégager des conclusions, des recommandations et aboutir à une prise de décision conforme à la définition des objectifs et du champ de l'étude.
Le regard critique que nous posons sur les processus que constituent
l'écoconception et l'ACY tout comme sur la plupart des outils d'améliorations et
d'analyses environnementales, se trouve à deux niveaux: ces processus a) ne sont pas
adaptés aux façons de faire des dirigeants de PME et b) sont essentiellement
techniques. Ce regard critique reprend les analyses déjà portés par quelques auteurs
dont KlOpffer (2003), Knight et Jenkins (2009), Le Pochat et al. (2007), O'Brien et
al. (1996), Prendeville et al. (2014), Trépanier et Gosselin (2012), Witczak et al.
(2014).
Premièrement, les outils d'écoconception ne sont pas utilisés par les dirigeants
de PME pour plusieurs raisons dont certaines sont exposées par Le Pochat et al.
(2007) :
Recause of the very nature of their structure, [managers} do not, a priori, have the means necessary for integrating a new constraint, the very scope of which is beyond their field of knowledge. Moreover, experience concerning ecodesign in SMEs highlights the failure of the methods that have been used until now. [Managers} are finding themselves caught between the obligation being put on them by their order givers on the one hand to take into account environmental constraints in designing their products, and their inability on the other hand to meet such demands (Le Pochat et al., 2007, p. 671).
Selon Le Pochat (2005), l'implantation des outils d'écoconception alourdit et rigidifie
les façons de faire des dirigeants de PME. De plus, cette implantation est onéreuse
parce qu'elle exige entre autres le recueil et l'analyse d'une quantité importante de
données quantitatives et l'intervention de consultants externes. C'est pourquoi
Prendeville et al. (2014), Knight et Jenkins (2009) et Witczak et al. (2014) constatent
22
que rares sont les dirigeants de PME qui utilisent l' écoconception dans le but de
développer des ID.
Trépanier et Gosselin (2012) ont aussi fait ce constat dans le cadre d'une étude
sur l' écoconception menée auprès de trois dirigeants de PME dans diverses situations
et selon différents profils (tailles, pratiques de développement de produits, valeurs et
pratiques de DD). Ces auteurs font remarquer que:
La recherche de PME prêtes à tenter l'expérience d'utiliser l'écoconception a été difficile. Lors de ce démarchage, la réponse de plusieurs des dirigeants d'entreprises [ ... ] approchés se résumait à refuser de s'engager dans une pratique qu'ils jugeaient ne pas leur convenir. Dit autrement, leur représentation de la routine les conduisait à rejeter l'implantation de pratiques d' écoconception. Pour lever l'obstacle [ ... ], il a fallu insister sur le fait que la structure financière du projet permettrait d'éviter tout engagement financier de
. la part de l'entreprise et que l'équipe de chercheurs composée de designers et de spécialistes en développement de produits serait en mesure d'offrir un support et une présence de tous les instants. En somme, en cas d'échec, la PME ne serait que très peu affectée (Trépanier et Gosselin, 2012, p. 98).
Tout ceci porte à crOlre que les dirigeants de PME ont une perception
contrastée, voire négative, de l'écoconception. Et, c'est aussi ce que nous avons
constaté dans l'étude préliminaire menée dans le cadre de notre résidence en
entreprise. Pour rappel, dans cette étude, sur les six cas d'ID un seul a été conçu grâce
à l'écoconception. De même, comme nous le verrons dans les résultats de la présente
recherche, aucun des dirigeants de PME n'a eu recours à l'écoconception pour
développer son ID. Partant de là, une question se pose: si les dirigeants de PME
utilisent rarement l'écoconception et l'ACY, de quelle manière parviennent-ils à
développer des ID ?
23
Deuxièmement, O'Brien et al. (1996) et Klopffer (2003) font partie des
auteurs ayant souligné la focalisation de l'écoconception et de l'ACY sur les aspects
techniques du développement de nouveaux produits respectueux de l'environnement
contrairement aux processus sociaux plus adaptés à certaines entreprises comme les
PME (Edward s, Delbridge et Munday, 2005) et à la nature même des ID (Hall et
Vredenburg, 2003; Sarkis et al., 2010). Selon O'Brien et al. (1996) et KlOpffer
(2003):
A. We outline a procedure for introducing [ . .] social and political pro cesses through a social life cycle assessment [ . .]. We recognise that LCA currently are complicated analytical tools requiring large amounts of data and sophisticated assessment techniques into which it remains very difficult to insert social considerations. Nonetheless If sustainable development is understood as referring to the intersection of the technological, economic and social pro cesses through which humans transform their environments then research that commits itself to developing the methodological capacity to address each of these simultaneously will be increasingly necessary in the future (O'Brien et al., 1996, p. 237).
B. Including social assessment as proposed by 0 'Brien & al. could pave the way to a true sustainability assessment including the three main aspects of sustainable development. Although it seems difficult to combine concepts and data from so different fields as sociology and technology, it is clearly worth trying (Klopffer, 2003, p. 4).
Autrement dit, pour ces auteurs, l'évaluation des impacts tant environnementaux que
sociaux des biens et services peut aussi se faire par des processus sociaux. Ces
processus permettent d'interagir avec les acteurs touchés par les impacts du produit à
développer et de mieux prendre en compte leurs intérêts et préoccupations (Cernea et
Kudat, 1997; ICGP, 2014; PNUE, 2010).
24
En général, la dimension technique de l'écoconception et de l'ACV est
caractéristique de la plupart des modèles linéaires du processus d'innovation (Wolfe,
1994; Slappendel, 1996) qui très souvent ne correspond pas à la réalité observable
(Gonard et Louazel, 1997). L'une des limites de ces modèles est la non-prise en
compte des interactions sociales entre les acteurs de l'innovation (Akrich et al. , 1988;
Van de Ven et Poole, 2000). Pourtant, il y a déjà un consensus sur le fait que pour
innover en général, il faut interagir.
Les interactions sociales entre les acteurs sont importantes dans le cas des ID.
Elles font de l'ID un processus complexe, multidimensionnel, incertain pour des
raisons évoquées par Sarkis et al. (2010) et Hall (2002) :
A. Incorporating innovation into a model of sustainable development is notably difficult (Newman, 2005). Innovation for sustainability, [ . .} will be complex and multidimensional; a single organization is unlikely to have the resources to effectively innovate in this arena. The pro cess is socially and institutionally embedded with multiple actors - each of whom may have a different perspective and interest - [ . .} Beyond the corporation and its partners [ . .}, various external stakeholder needs to be incorporated usefully into innovation enter prise, including government agencies, universities, non-governmental organizations, and even communities (Sarkis et al. , 2010, pp. 3-4).
B. Il Y a une multitude de parties prenantes à considérer dans une innovation durable dont certains ne sont pas directement impliqués dans le processus. De plus, ce ne sont pas toutes les parties prenantes qui souhaitent s' inscrire dans la démarche traditionnellement utilisée par les dirigeants d'entreprises [ ... ]. Certaines parties prenantes peuvent simplement s'opposer au développement de l' innovation alors que d'autres peuvent avoir des intérêts différents (Hall, 2002, p. 195, notre traduction).
Dans ces conditions, le développement d'une ID comporte une période d'instabilité.
Celle-ci est entre autres le fait des différents intérêts, préoccupations ou
25
interprétations qu'ont les acteurs de ce qe devrait être l'ID (Hall et Vredenburg, 2003 ;
Sarkis et al., 2010).
En définitive, nous pensons que l'ID ne se répand pas « d'elle-même par
contagion grâce à ses propriétés intrinsèques » (Akrich et al., 1988, p. 23). Par
conséquent, elle n'est pas qu'un processus technique. Le destin de l'ID « dépend de la
participation active de tous ceux qui sont décidés à la faire avancer » (Ibid.). Par
conséquent, l'ID est aussi un processus social, c'est-à-dire qui fait interagir des acteurs
tant internes qu'externes. Par ailleurs, il est reconnu que pour développer des
innovations en général, les dirigeants de PME privilégient des processus sociaux, car
certaines de leurs spécificités (p. ex.: flexibilité organisationnelle, proximité avec les
acteurs du milieu, ressources limitées) les prédisposent à faire usage de tels processus
(Edwards, 2000; Edwards et al. , 2005). Ce constat est aussi le même en ce qui
concerne les ID dans les PME (Bos-Brouwers, 2009, 2010; De Marchi, 2009; Klewitz
et Hansen, 2014). En clair, d'autres variables autres que les aspects et processus
techniques peuvent expliquer le développement des ID dans les PME. Dans les écrits
scientifiques, ces variables explicatives sont présentées comme des facteurs de succès
ou d'échec du développement des ID.
1.2 L'ID dans les PME: un ensemble de facteurs de succès ou d'échec
Dans les écrits scientifiques, les chercheurs se questiolli1ent sur les facteurs
qui déterminent le succès ou l'échec du développement des ID. Les citations de Bos
Brouwers (2009) et, plus récemment, De Medeiros et al. (2014) ~ituent ces facteurs :
A. [ .. } The sustainability orientation (motivation and role of the ownerlmanager), design of the innovation pro cess (exertion of internai human and material resources) and cooperation with
stakeholders (to overcome resource limitations) are indicators of sustainable innovation practice within SMEs (Bos-Brouwers, 2009, p. 422).
B. There are studies that aim to identify factors and variables that influence the green innovation adoption or rejection by the market, white others investigate the reasons and drivers behind environmental responsible behavior by organizations. Moreover, there are studies [ . .} that investigate aspects related to [ . .} collaboration (De Medeiros et al., 2014, p. 83).
26
Ces citations sont illustratrices d'un bon nombre d'écrits scientifiques s'intéressant aux
facteurs de succès des ID notamment dans les PME. Partant de là, notre revue de
littérature et notre regard critique vont tourner autour de trois principaux facteurs de
succès comme indiqué dans le tableau 3 : les facteurs externes et internes à la PME,
l'orientation du dirigeant de PME et la collaboration avec des acteurs (internes et
externes).
Tableau 3 Résumé de la littérature sur les facteurs de succès et de notre regard critique
Littérature Regard critique
Facteurs de succès Ce que nous apprenons Ce que nous retenons Ce que nous ne savons pas
Les facteurs externes et Le dirigeant est un Comment, en tant
Facteurs externes et internes forcent ou observateur actif des facteurs qu'observateur actif, le
internes motivent le dirigeant de de son milieu qui comportent dirigeant identifie-t-il des
PME à développer des ID. des enjeux de DD ayant une enjeux de DD à partir desquels incidence sur ses activités. il détecte l'opportunité ?
L'orientation du dirigeant Le dirigeant est un entrepreneur qui sait saisir
vers les opportunités des opportunités
Comment, en tant Orientation du environnementales,
environnementales et qu'entrepreneur, le dirigeant
dirigeant de PME sociales, économiques sociales en initiant des
transforme-t-ill'opportunité détermine le type
projets d'innovations visant à saisie en projet d'ID ?
d'innovation d'ID souhaité. résoudre des enjeux de DD.
La collaboration avec des Le dirigeant est un agent de Comment, en tant qu'agent de
Collaboration avec acteurs internes et externes liaison qui relie son
liaison, le dirigeant mobilise-t-différents acteurs
facilite la réalisation et entreprise et des acteurs il les acteurs afin de réal iser
influence les externes afin de développer l'ID ?
caractéristiques de l'ID. des ID.
27
Le tableau présenté plus haut fait un parallèle entre ce que nous apprenons
implicitement de la littérature au sujet des a) facteurs de succès de l'ID et, b) ce que
nous en retenons et c) ne savons pas encore. Pour mieux comprendre le contenu de ce
tableau, les prochaines sections seront organisées comme suit. La première section
traite des facteurs externes et internes qui influencent le développement des ID. La
seconde aborde l'orientation du dirigeant de PME vers les ID. Et, la troisième porte
sur les relations de collaboration nécessaires à la réalisation des ID. Au début de
chacune de ces sections, nous présentons, parfois à travers un modèle, les liens qui
existent entre le facteur analysé et l'ID. Ensuite, nous abordons les études existantes
les plus récentes et pertinentes expliquant ces liens. À la fin de chaque section, nous
posons un regard critique (ce que nous retenons et ce que nous ne savons pas) sur les
écrits scientifiques présentés.
1.2.1 Facteurs externes et internes
Plusieurs facteurs externes et internes favorisent ou freinent le développement
des ID dans les PME (Bos-Brouwers, 2010; Brio et Jùnquera, 2003; Cuerva et al.,
2014; Gadenne, Kennedy et McKeiver, 2009; Horbach, Rarnmer et Rennings, 2012;
Kesidou et Demirel, 2012; Liddle et EI-Kafafi, 2010; Parker et al., 2009; Triguero
Cano, Moreno-Mondéjar et Davia, 2013; Witczak et al., 2014; Zackrisson, Rocha,
Christiansen et Jarnehammar, 2008). Ce lien entre les facteurs externes et internes et
l'ID peut être illustré par un modèle élaboré par Gadenne et al. (2009). Selon le
modèle présenté à la figure 3, les facteurs externes sont modérés par des facteurs
internes qui vont influencer le développement d'ID à travers l'orientation du dirigeant
de PME (que nous abordons dans la prochaine section) par rapport aux enjeux
environnementaux et sociaux.
28
Figure 3 Modèle liant les facteurs externes et internes à l'ID
Facteurs externes Orientation du dirigeant de ----+ Innovation durable PME
1 Facteurs internes
1
Source: Adapté de Gadenne et al. (2009, p. 49)
Parmi les facteurs externes et internes, Horbach et al. (2012) identifient
particulièrement quatre variables explicatives : les lois et règlementations, le marché
(demandes des consommateurs), la technologie, et les caractéristiques spécifiques de
1'entreprise (voir Figure 4). Les trois premières variables constituent des facteurs
externes à 1'entreprise alors que la dernière est un facteur interne.
Figure 4 Quatre variables explicatives de l'innovation durable
Caractéristiques spécifiques de
l'entrepri se
Technologie (ressources)
Innovation durable
Lois et règlementations
Source: Adapté de Horbach, Rammer et Rennings (2012, p. 113)
Marché ( consommateurs)
29
Pour Cuerva et al. (2014), ces quatre variables influencent différemment le
développement des ID dans les PME selon deux logiques : une logique push et une,
logique pull (Figure 5). Selon la logique push, certaines variables vont obliger les
dirigeants à développer des ID. Selon la logique pull, les dirigeants sont incités ou
motivés à développer « volontairement » des ID. Nous pouvons observer dans
l'illustration de la figure 5 une cinquième variable, soit la collaboration avec les
concurrents et les fournisseurs , que nous abordons plus tard dans une autre section.
Ces quatre variables sont généralement qualifiées de facteurs push/pull de l'ID.
Figure 5 Facteurs push/pull de l'ID dans la PME
Teçnolog ical Resources
ICapabllities
Organizational Capabilities
Innovation
1
TechnoJocv Push :
1 Mario:"tpull
, ,
: Colt1:b:ot3tion{Cooperation with:
~ _ _ _ { • C""'PO/lWs
• 5u:ppIWr5
Source: Extrait de Cuerva et al. (2014, p. 106)
,
~
Product "'ffe.enUat'''"
Customer Demand
~
~ ~.
/ / Re!:ulatory push/ pun
,. ---- Public Subsidies
Reculatory PU$h/Pull
_ ___ J:
Par exemple, les lois et règlementations (environnementales et sociales)
exercent une influence à la fois push et pull sur l'ID (Brunnermeier et Cohen, 2003;
Cleff et Rennings, 1999; Del Rio, 2009; Frondel, Kambeck et Schmidt, 2007; Green,
30
McMeekin et Irwin, 1994; Horbach, 2008; Popp, 2006; Rennings, 2000). Comme
facteurs push, ces lois et règlementations peuvent obliger les dirigeants à intégrer des
enjeux environnementaux et sociaux dans le développement de leurs biens et
services. Par contre, les dirigeants souhaitant développer des innovations qui
respectent des lois et règlementations environnementales et sociales (et qui vont
même au-delà) sont susceptibles de bénéficier d'incitatifs tels que des subventions
aux activités de R&D ou un soutien technique. Dans ce sens, les lois et
règlementations motivent les dirigeants à développer des ID et, par conséquent,
agissent comme des facteurs pull de l'ID.
Dans le même ordre d'idées, les innovations qui intègrent des enjeux
environnementaux et sociaux bénéficieraient d'une bonne image dans des marchés où
certains consommateurs sont sensibles à ceux-ci. Ainsi, le marché agit comme un
facteur pull de l'ID (Kammerer, 2009), dans la mesure où la demande pour des
produits et services respectueux de l'environnement vient des consommateurs.
Cependant, cette influence varie selon le type de marché. Par exemple, les marchés
comme ceux amorçant un virage vers le DD (p. ex.: l' écotourisme, les énergies
renouvelables) ou directement liés au DD (p. ex.: le recyclage, la valorisation des
déchets) seraient plus favorables à ce type de comportement de la part des
consommateurs que les marchés traditionnels (p. ex. : l'alimentation, le
divertissement, la santé). Les marchés sensibles aux enjeux environnementaux et
sociaux sont donc a priori des sources d'opportunités d'ID. Néanmoins, ce discours
doit être nuancé, car les marchés traditionnels comportent autant des opportunités
d'ID que les marchés liés au DD. Par exemple, dans le marché de l'alimentation, il se
développe le segment des aliments biologiques communément appelé le « bio ».
Enfin, les facilités en terme de technologie offertes par un secteur d'activités
ou une région (p. ex.: existence d'un savoir-faire en matière de recyclage dans certains
31
secteurs d'activités, disponibilité de l'énergie éolienne ou solaire dans certaines
régions) peuvent constituer des facteurs push de l'ID. À côté de ces facteurs push/pull
de l'ID externes à la PME, il existe aussi des facteurs internes. Klewitz et al. (2012) et
Bos-Brouwers (2009) situent ces facteurs comme suit:
A. SME are face with challenges such as resource constraints in terms of time, knowledge, jinancial, and human capital (European Commission (EUC), 2007; Lee, 2009,· Perez-Sanchez et al., 2003) as weil as factors related to managerial and organizational structure such as no or few personnel dedicated to sustainability management or an ad hoc, informai management of sustainability issues (Jenkins, 2004; Spence, 1999) (Klewitz et al., 2012, p. 443).
B. The 'why' and 'how ' of sustainable innovation practice in an SME context is dejined by the characteristics of SMEs as opposed to large companies, more particularly, the pivotai role of the owner/manager and the resources (both in material and human perspective) available (Bos-Brouwers, 2009, p. 422).
Ainsi les facteurs internes sont liés aux caractéristiques de la PME qui comportent des
faiblesses, mais aussi des forces. En général, il est reconnu que les PME disposent de
ressources limitées notamment pour développer des innovations.
En particulier, selon Roome (2012) et Van Kleef et Roome (2007), le
développement d'ID requiert des ressources à la fois complexes et spécifiques,
différentes de celles d'une innovation développée uniquement pour des raisons
économiques. Il s'agit par exemple de ressources naturelles telles que des sources
d'énergie (p. ex.: éolienne ou solaire), des ressources réutilisables comme les déchets
de production et de consommation, ou même de ressources à transformer pour
éliminer leurs composantes nocives. L'acquisition et la transformation de ces
ressources nécessitent d'autres ressources matérielles (p. ex.: équipements
32
particuliers), financières (p. ex.: argent) et humaines (p. ex.: expertise particulière).
Les dirigeants de PME ne possèdent pas souvent ces ressources (Bos-Brouwers,
2009; Brio et Jùnquera, 2003; Hansen, Sondergard et Meredith, 2002). Cependant, les
forces ou les atouts de la PME peuvent permettre de compenser cette faiblesse. Trois
atouts sont régulièrement cités dans la littérature, soit la flexibilité organisationnelle,
la proximité avec les acteurs du milieu et l'accès à des réseaux (Bos-Brouwers, 2010 ;
Brio et Jùnquera, 2003 ; Hansen et a!., 2002).
La flexibilité organisationnelle de la PME se caractérise par sa facilité et sa
vitesse d'adaptation (à de nouvelles situations et aux enjeux de DD qu'elles
comportent) dues à sa structure simple et peu hiérarchisée (Bos-Brouwers, 2010; Brio
et Jùnquera, 2003; Hansen et al., 2002). La proximité du dirigeant avec les acteurs de
son milieu s'exprime par des distances sociales réduites avec les acteurs internes (les
employés) et externes (p. ex. : clients, fournisseurs, partenaires d'affaires). Cette
proximité permet au dirigeant d'aller au contact des acteurs et de recueillir leurs
préoccupations environnementales, sociales, économiques (Ibid.). Le dirigeant de
PME établit aussi son réseau de contacts externes dont il se sert pour obtenir des
informations, des ressources, des facilités, mais aussi pour réaliser des projets d'ID
(Bos-Brouwers, 2010; De Marchi, 2010; Klewitz et al., 2012).
En somme, l'analyse des facteurs externes et internes nous permet de voir que
certains facteurs vont obliger le dirigeant à s'orienter vers des ID, alors que d'autres
vont plutôt le motiver. Dans ce sens, nous comprenons que la littérature s'appuie sur
des analyses déterministes. pour expliquer les raisons qui peuvent amener les
dirigeants de PME à développer des ID. Autrement dit, le succès ou l'échec du
développement des ID dépend de facteurs externes et internes. Les travaux d'Arnold
(2010) et de Bos-Brouwers (2010) sont illustratifs d'un bon nombre de recherches
s'appuyant explicitement ou implicitement sur de telles analyses. Par exemple:
A. Arnold (2010) analyse : " internaI and external explanatory factors for the occurrence of sustainable strategie change pro cesses, the conditions for a company 's commitment to sustainability, [. . .] and the capability to generate sustainabilityoriented (product) innovations in medium-sized and large companies" (p. 217).
B. Bos-Brouwers (2010) cherche : " a deeper understanding and conceptualization on the internai and external factors that have an impact on the sustainable innovation pro cesses within Dutch sm ail and medium-sized enter prises (SMEs) in general and in production sector specificaIly" (p. 12)
33
Bien qu'utiles dans un contexte où la littérature sur l'ID dans la PME est
encore embryonnaire, ces analyses déterministes (où un élément de contexte «x »
serait « partout» identifiable et aurait dans tous les cas les mêmes conséquences sur
les caractéristiques d'une ID) ne permettent pas de poser un regard sur la manière
avec laquelle les dirigeants de PME développent des ID. Tout au plus, ces analyses
indiquent de façon superficielle aux dirigeants qu'ils doivent être attentifs aux
facteurs de succès des ID.
Partant de là, en étant attentif aux facteurs de succès des ID, cela voudrait dire
que le dirigeant doit effectuer un travail d'observateur actif de son milieu. En clair,
pour poser un regard sur la manière avec laquelle les dirigeants de PME développent
des ID compte tenu des éléments de contexte, il faut s'intéresser à son travail
d'observateur actif. À travers les travaux de Florén et Tell (2004, 2012) et Q'Gorman
et al. (2005), nous apprenons qu'en tant qu'observateur actif de son milieu, le
dirigeant de PME tout comme le gestionnaire de Mintzberg (1984) est:
[ ... ] en permanence en train de chercher et recevoir des informations qui lui permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans son
organisation et son environnement. Il est en quête d'informations afin de détecter les changements, d'identifier les problèmes et les opportunités, d'accumuler des données sur le milieu. [ .. . ] Il utilise un certain nombre de moyens pour acquérir une meilleure compréhension des tendances de son environnement et pour s'informer des idées nouvelles (Ibid. , pp. 78-79).
34
Nous pensons que, dans une logique de DD, les dirigeants de PME qUI
souhaitent développer des ID vont mettre l'accent sur le travail d'observateur actif. Ce
travail leur permet de rechercher et de sélectionner des informations actuelles, non
routinières liées à des enjeux de DD pouvant avoir une signification ou une incidence
sur leurs activités présentes ou futures. Cependant, dans la littérature sur l'ID dans la
PME, nous ne savons pas en quoi consiste le travail d'observateur actif et de quelle
manière il permet au dirigeant d'identifier ou de percevoir les enjeux de DD soulevés
par les éléments de contexte et de sélectionner l'information utile et pertinente pour
son entreprise.
En particulier, il aurait été utile d'expliquer comment le travail d'observateur
actif àmène le dirigeant à identifier ou percevoir des enjeux de DD. Le travail
d'observateur actif vient en prélude au développement de l'ID. Dans ce sens, il aurait
été plus intéressant de savoir ce qui a précédé le contexte d'apparition de l'ID. Si
comme nous le pensons, à la suite de Porter (1991), Kanter (1999) ainsi que de Hart
et Milstein (2003), les enjeux de DD constituent des sources d'ID, il aurait été encore
une fois intéressant de savoir comment les enjeux environnementaux et sociaux sont
personnalisés dans les interprétations et les projets des acteurs avec lesquels le
dirigeant de PME entre en contact afin de développer l'ID. Partant de là, les réponses
à ces quelques questionnements nous auraient permis, par la suite, de mieux
comprendre comment les enjeux environnementaux et sociaux déterminent
l'orientation du dirigeant de PME vers les ID.
35
1.2.2 L'orientation du dirigeant vers les ID
Azzone et al. (1997b), Banerj ee (2001), Bos-Brouwers (2010), Brio et
Jùnquera (2003), Noci et Verganti (1999), Parker et al. (2009), Sharma (2000) ont
souligné les liens entre l'orientation du dirigeant d'entreprise notamment de PME et
les ID. Selon ces auteurs, par son attitude (défensive, réactive, pro active) face aux
enjeux environnementaux et sociaux que soulèvent les éléments de contexte, le
dirigeant de PME peut décider ou non de s'orienter vers les ID. Il opère ainsi des
choix stratégiques par rapport aux enjeux de DD qu'il peut percevoir et interpréter
comme des menaces ou des opportunités (Banerjee, 2001; Sharma, 2000). Ses choix
stratégiques déterminent son profil en matière d'ID (Bos-Brouwers, 2010; Parker et
al. , 2010).
L'attitude défensive est celle adoptée par le dirigeant qui · perçoit les enjeux
environnementaux et sociaux comme des pressions émanant par exemple de lois et
règlementations ou de groupes de pression (Brio et Jùnquera, 2003). Son choix
consiste alors à ignorer ces pressions tant qu'il peut y résister. Ce type de dirigeant
voit les pressions extérieures comme une menace à l'atteinte de ses objectifs
économiques et contre laquelle il faut se défendre ou s'y conformer (Banerjee, 2001;
Sharma, 2000). L'attitude réactive est celle adoptée par le dirigeant qui perçoit les
enjeux environnementaux et sociaux comme un moyen d'obtenir des avantages en
matière de coûts ou de bénéfices (Ibid.) . Le dirigeant est alors dans une posture
attentiste tant qu'il ne perçoit pas concrètement ces avantages (Noci et Verganti,
1999). Enfin, lorsque les enjeux environnementaux et sociaux sont perçus comme
étant stratégiques, c'est-à-dire qu'ils ont une incidence significative sur les activités de
l'entreprise (Sharma, 2000), le dirigeant adopte une attitude pro active (Banerjee,
2001). Dans cette logique, son choix est résolument orienté vers l'anticipation qui le
porte à développer très souvent des ID (Noci et Verganti, 1999).
36
Les choix stratégiques opérés par le dirigeant par rapport aux enjeux de DD
(Banerjee, 2001; Sharma, 2000) déterminent son profil, c'est-à-dire un ensemble de
traits qui définissent différents types de dirigeant en fonction de l'importance
accordée aux enjeux environnementaux et sociaux d'une part, et économiques d'autre
part. En matière d'ID, quatre profils de dirigeant de PME sont identifiés dans les
travaux de Parker et al. (2009) ainsi que de Bos-Brouwers (2010). Il s'agit du
dirigeant orienté vers a) la réduction des coûts ou la maximisation du profit, b) la
conformité aux exigences environnementales et sociales, c) la recherche
d'opportunités, et d) le respect de valeurs environnementales et sociales (voir Figure
6).
Importance accordée aux
objectifs économiques
Figure 6 Profils de dirigeants de PME en matière d'ID
Élevé
Faible
Orienté vers les innovations classiques
Non orienté vers les innovations
Faible
Orienté vers les innovations ayant un impact
environnemental et/ou social
Élevé
Importance accordée aux enjeux environnementaux ou sociaux
Source: Élaboré à partir des travaux de Bos-Brouwers (2010) et de Parker et al. (2009)
En substance, une importance faible accordée à des enjeux environnementaux
et/ou sociaux peut être associée à deux profils de dirigeants selon les objectifs
économiques attendus. Le premier type de dirigeant est essentiellement motivé par
37
des objectifs économiques élevés, soit la réduction de ses coûts ou la maximisation de
ses profits. Ce type de dirigeant s' intéresse à des innovations très souvent classiques
qui lui procurent des gains économiques même si celles-ci ont un impact
environnemental ou social négatif. Le second type de dirigeant n'a pas d'attentes
économiques par rapport aux enjeux environnementaux et/ou sociaux autres que
celles de se conformer à des exigences externes venant d' acteurs comme les clients,
les fournisseurs, des institutions de régulation ou même des entreprises concurrentes
de son secteur. Pour ce faire, le dirigeant opère des changements mineurs dans ses
biens ou services existants en vue de respecter les exigences environnementales et/ou
sociales de ces acteurs s'ils en ont. En fait, ce type de dirigeant n'est pas orienté vers
les innovations en général.
Par ailleurs, une importance élevée accordée aux enjeux environnementaux
et/ou sociaux est associée à deux autres profils de dirigeants, selon les objectifs
économiques poursuivis. Le premier type de dirigeant recherche des opportunités
d'ID. Il privilégie des innovations ayant un impact environnemental et/ou social, et
économique. Le second type de dirigeant a des attentes économiques faibles, sinon
n'en a pas. Mais il a des convictions environnementales ou sociales fortes. Il
s'intéresse aux innovations ayant un impact environnemental et/ou social positif
(l'aspect économique n'étant pas important) afin d'être en adéquation avec ses
convictions personnelles.
En somme, selon la littérature le dirigeant de PME peut décider de s'orienter
ou non vers les ID en fonction de l'importance qu'il accorde aux enjeux
environnementaux et sociaux. Ici encore, nous sommes dans des analyses
déterministes. Les travaux de Bos-Brouwers (2010), Dangelico et Pujari (2010),
Gadenne et al. (2009) dont quelques éléments ont été présentés sont illustratifs d'un
ensemble de recherches qui s'inscrivent dans ce type d'analyse liant les orientations
38
du dirigeant de PME à l'ID. Néanmoins, ces analyses nous indiquent implicitement
qu'en tant qu'acteur central de son entreprise, le dirigeant de PME est le mieux placé
pour engager, orienter ou non son entreprise vers des opportunités d'ID.
Partant de là, en engageant ou en orientant son entreprise vers des
opportunités d'ID, cela voudrait dire que le dirigeant agit comme un entrepreneur face
aux enjeux environnementaux et sociaux. À travers les travaux de Florén et Tell
(2004, 2012) et Q'Gorman et al. (2005), nous savons qu'en tant qu'entrepreneur, le
dirigeant de PME tout comme le gestionnaire de Mintzberg (1984) :
[ ... ] prend l'initiative et assure la conception de la plupart des changements contrôlés affectant son organisation. Le terme "contrôlés" est utilisé ici pour signifier que ce rôle comprend toutes les activités dans lesquelles [il] effectue des changements de son propre chef [(P. 88)]. [Il] cherche à détecter nouvelles opportunités et nouveaux problèmes, et prend l'initiative de projets d'amélioration pour en tirer parti ou y faire face [(P. 182)]. Lorsqu'il a découvert un problème ou une opportunité, [il] peut décider que son organisation doit agir pour améliorer une situation donnée (Ibid. , p. 89).
La fonction entrepreneuriale est placée ici « dans un contexte significativement plus
étendu » (Mintzberg, 1984, p. 89). En clair, l'entrepreneur n'est pas seulement celui
dont l'activité « consiste à faire démarrer de nouvelles organisations » (Ibid.). C'est
aussi celui dont les activités sont « associées au changement systématique dans les
organisations, nouvelles ou pas » (Mintzberg, 1984, p. 89).
Nous pensons que, dans une logique de DD les dirigeants de PME qm
souhaitent développer des ID vont (en plus du travail d'observateur actif) mettre
l'accent sur le travail d'entrepreneur. Ce travail permet d'initier des projets d'ID et de
concevoir ou de redéfinir des ID répondant à des enjeux environnementaux ou
sociaux. Mais dans la littérature sur l'ID dans la PME, nous ne savons pas en quoi
consiste et de quelle manière le dirigeant effectue le travail d'entrepreneur. Il aurait
39
été intéressant d'expliquer comment le dirigeant de PME détecte des opportunités
d'ID à travers les enjeux environnementaux et sociaux auxquels il accorde une
importance. En quoi l'orientation et le profil du dirigeant influencent-ils les
caractéristiques définitives de l'ID? Est-il seul dans cette démarche de détection
d'opportunités d'ID? Ou comment parvient-il avec d'autres acteurs (internes ou
externes) à mettre en œuvre de nouvelles combinaisons qui marient des aspects
environnementaux, sociaux et économiques?
Les réponses à ces quelques questionnements nous auraient permis de mieux
comprendre de quelle manière les dirigeants de PME s'orientent vers des opportunités
d'ID. Cela dit, le dirigeant de PME qui voit autour des enjeux environnementaux et
sociaux une opportunité d'ID aura besoin de ressources pour exploiter celle-ci. Pour
les obtenir, le dirigeant de PME doit établir des relations de collaboration avec des
acteurs internes et surtout externes.
1.2.3 La collaboration
L'importance pour un dirigeant de PME de tisser des relations de collaporation
pour développer des projets orientés vers le DD et des ID avec des acteurs internes et
externes a été maintes fois soulignée par plusieurs chercheurs (Ayuso, Rodriguez et
Ricart, 2006; Bos-Brouwers, 2009, 2010; Battaglia, Bianchi, Frey et Iraldo, 2010; De
Bruijn et Hofman, 2000; Fadeeva, 2004; Hartman, Hofman et Stafford, 2002;
Jenkins, 2006; Klewitz et al., 2012; Lepoutre et Heene, 2006; Lozano, 2007; Murillo
et Lozano, 2009; Sarkis et al., 2010). Partant des citations suivantes de quelques
chercheurs dont Bos-Brouwers (2009), Klewitz et Hansen (2014), Sarkis et al., 2010),
nous pouvons convenir que la collaboration et l'ID constituent un couple inséparable
dans la PME :
A. Whereas SMEs typically have a lack of resources, the more sustainable innovative companies [. .. ] have found ways to compensate resource shortcomings. Attracting external funding remains difJicuit, so much attention is given to enhancing labour resources and cooperation efforts. More activities and more cooperation partners mean a significant increase in number and impact ofsustainable innovations (Bos-Brouwers, 2009, p. 14).
B. To strengthen the innovative capacity for [sustainability-oriented innovations], SMEs can remodel their innovation pro cess to interact more frequently with external actors, that is, engage in collaboration practices beyond the firm level. This we showed for the more proactive strategie sustainability behaviors. Collaboration is recognized as ci key element for the transition toward sustainability (e.g. Lozano, 2007; Roome, 2012) and describes a high-Ievel of interaction between multiple actors that bene fit from differences in perspective, knowledge, resources, and problem solving approaches (cf Hartono and Holsapple, 2004; Lozano, 2007). It facilitates firms to identifj; sustainability issues (e.g. van Kleef and Roome, 2007), access new or complementary resources, enhance their problem solving capacity (e.g. Jenkins, 2009; Lozano, 2007; Roome, 2001), se arch for and seek legitimacy for innovations, or secure and identifj; future markets (e.g. van Kleefand Roome, 2007) (Klewitz et Hansen, 2014, pp. 70-71).
c. Innovation, sustainability, and collaboration are al! related in their efforts to manage multiple dimensions of organizational and institutional policies and practices. This chapter ['Facilitating sustainable innovation through collaboration'] pro vides an overview of the three topics and their . relative importance to overall advancement of sustainability through innovations. Collaboration is necessary to achieve this goal [..] (Sarkis et al. , 2010, p. 1).
40
Dans ce sens, Ayuso et al. (2006) proposent un modèle qui lie la collaboration à l'ID
(Figure 7).
Figure 7 Modèle liant la collaboration à l'innovation durable
Stakeholder dialogue
• Twc..."ay comrmioication • Tran~f~n{:y • .4?prQpriate feedhacK
StukoholdQf knov/ledgtil Integration
. ,. NQr\"'h )E){arctù:al st!uetul'(f$ • FleXibility • Opènness te change
Source : Extrait d'Ayuso et al. (2006, p. 486)
SUST AINABLE INNOVATION: new producls,
services, processes Of strategi0s
41
Selon ce modèle, la capacité du dirigeant de PME à collaborer en établissant
un dialogue, une confiance et une rétroaction appropriée avec des acteurs externes, lui
permet d' acquérir des ressources (p. ex. : argent, équipements, matériaux,
connaissances, expertises) nécessaires au développement d'ID. De plus, la structure
non hiérarchique et la flexibilité de son entreprise ainsi que son ouverture au
changement facilitent l'intégration de ces ressources.
Une analyse de la littérature encore embryonnaire concernant le lien entre la
collaboration èt l'ID dans la PME ainsi que des citations présentées plus haut, nous
permet d'identifier trois formes de relations de collaboration: les relations d'échange,
d'appropriation et de pouvoir.
Relations d'échange. L'échange se définit comme un acte verbal (adresser
quelque chose de façon réciproque) ou physique (donner et recevoir quelque chose)
entre deux parties. Cet acte peut être formalisé à travers un contrat légal ou non
formalisé. Les partenariats et les réseaux constituent respectivement des espaces qui
42
permettent le développement des relations d'échange. Ils favorisent particulièrement
le développement d'ID dans la PME comme le souligne De Marchi (2009):
Evidence that networking activities may be an important driver for environmental innovation (Mazzanti and Zoboli, 2005) and especially that a strong partnership with suppliers andfirms part of the network surrounding the company may be a powerful spur to application of innovative environmental technologies have been found (Georg, R@pke, and Jorgensen, 1992; Andersen, 1999; GefJen and Rothenberg, 2000) (Ibid., p. 4).
Long et Arnold (1995) définissent le partenariat comme « voluntary
collaborations between two or more organizations with a jointly-define agenda
focused on a dis crete, attainable and potentially measurable goal » (p. 6). Dans la
mesure où les partenariats formalisent les échanges, ils constituent une forme de
relation que le dirigeant de PME peut établir avec certains acteurs externes comme
des entreprises de son secteur d'activités, les organisations gouvernementales et non
gouvernementales (ONG) ainsi que d'autres acteurs de la société soucieux d'établir
des relations sur des bases légales et formelles . À ce propos, selon Hartman et al.
(1999) :
Partnerships are serving as vehicles for industrial innovation in terms of life cycle analyses and environmental management. Further, partnerships appear to promote a more overt 'systems view' of industrial transformation, a fundamental pre mise of the system change perspective of sustainability, making stakeholder collaboration necessary to implement ecological practices (see, e.g. , Pizzocaro, 1998; Talbot, 1998). Partnerships are forging new relationships among industry, government, NGOs and other societal stakeholders and establishing new social values compatible with sustainability (Biondi et al. , 1998) (Ibid. , pp. 256)
Quant aux réseaux, ils permettent à la PME d' utiliser des ressources qUl
appartiennent à d' autres organisations. En particulier, selon Klewitz et al. (2012)
43
"networks are more loose form of engagement as if is easier to leave them than
cancel contractual agreements and thus, might be a potential option for SMEs
wishing to engage in eco-innovation processes" (p. 446). La possibilité de quitter un
réseau constitue l'une des raisons faisant en sorte que le dirigeant de PME ne peut
posséder les ressources des autres acteurs. Pour posséder et acquérir ces ressources, le
dirigeant doit établir des relations d'appropriation.
Relations d'appropriation. À travers les relations d'appropriation, le
dirigeant acquiert et échange des ressources avec d'autres acteurs. Pour rappel; selon
Van Kleef et Roome (2007), le développement d'ID requiert des ressources à la fois
complexes et spécifiques, différentes de celles d'une innovation développée
uniquement pour des raisons économiques. Dans le même ordre d'idées, De Marchi
(2009) soutient que : " a peculiarity of green innovations, which is even more
important for ifs implications for policy and strategy development, is that they require
an higher cooperative effort" (p. 3). Les dirigeants de PME n'ont pas souvent ces
ressources qu'elles soient complexes, spécifiques ou non. Cependant, compte de tenu
de leur flexibilité organisationnelle et de leur capacité à s'adapter aux exigences des
acteurs de leur milieu, les dirigeants de PME orientés vers les ID peuvent à travers
l'établissement de relations d'appropriation acquérir les ressources nécessaires au
développement de leurs ID (Ayuso et al., 2006; Bos-Brouwers, 2009).
Cependant, l'établissement de relations d'échange et d'appropriation suppose
que les acteurs se définissent une vision commune des projets sur lesquels ils
souhaitent collaborer, mais aussi acceptent de consentir à quelque chose (Gray, 1989;
Hartman et al., 1999, 2002). Pour ce faire, ces derniers vont parfois a) confronter
leurs intérêts pour savoir s'ils ont la même compréhension des enjeux de DD et de
l'ID à développer, b) résoudre les confrontations, et souvent c) négocier pour obtenir
44
quelque chose ou parvenir à un arrangement. À ce propos, selon Hartman et al.
(1999) et Yarahmadi et Higgins (2012) :
A. The path toward sustainability necessitates that stakeholders negotiate a clear environmental vision, [to] coordinate their unique talents and resources, accommodate disparate interests (even if it leads to suboptimal outcomes) and monitor and evaluate progress (Hartman et al., 1999, p. 256).
B. The complex nature of environmental innovation in most cases has made the green movement a multi-party task requiring the participation of more than an individual firm. Evidence has been found in the recent research emphasising the growing role of cooperative arrangements in advancing environmental innovations (Collins et al. , 2007; Horbach, 2008; Vachon and Klassen, 2008; Mazzanti and Zoboti, 2009; De Marchi, 2010; Posch, 2010) (Yarahmadi et Higgins, 2012, p. 401)
Cela voudrait dire que les relations d'échange et d'appropriation comportent des
interactions dans lesquelles les acteurs vont s'influencer mutuellement en fonction de
leurs intérêts (environnementaux, sociaux, économiques) et parfois de leurs positions
sociales (lorsque des acteurs détiennent · des ressources spécifiques et des
compétences particulières). Dans ces conditions, le dirigeant de PME doit tenir
compte des aspects politiques (Markusson, 2007, 2011) ou des relations de pouvoir
qui se jouent dans la collaboration avec certains acteurs qu'il souhaite mobiliser pour
le développement de l'ID.
Relations de pouvoir. Le pouvoir peut être défini comme la capacité d'un
acteur ou d'un groupe d'acteurs à influencer le déroulement des évènements et les
actions d'un autre acteur ou groupe d'acteurs, dans ses propres intérêts ou celui du
groupe auquel il appartient (Day et Day, 1977). Dans la mesure où les acteurs
impliqués dans un projet ou dans le développement d'ID n'ont souvent ni les mêmes
45
intérêts ni les mêmes positions sociales, la collaboration implique une gestion des
relations de pouvoir.
Selon Gray (1989), la collaboration dans une démarche de DD est: « un
processus à travers lequel des parties qui ont différents intérêts et visions d'un
problème doivent explorer de façon constructive leurs divergences et chercher des
solutions qui vont au-delà de leurs propres intérêts» (p. 5, notre traduction). Dans le
cas contraire, l'échange entre les acteurs et l'acquisition de ressources peuvent ne pas
avoir lieu. Cela peut être caractéristique d'une « mauvaise » gestion des relations de
pouvoir qui conduit souvent à des confrontations inhibantes et des incompréhensions
pouvant déboucher sur des tensions ou des conflits. C'est pourquoi, selon Lozano
(2007):
[. . .] Collaboration has inherent difficulties. [. . .) Difficulty is when actors with individualistic mindsets interact with each other, leading to conjlicts arising from incompatible or conjlicting needs. This prevents the actors from seeing beyond their personal short term needs and thinking of the common goal. [. . .} It should be noted that conjlicts are, in many cases, latent. They need to be recognized and addressed to ensure that collaboration will yield optimal results (Ibid., p.373).
Dans ces conditions, des « expérimentations collectives », des négociations (Aggeri,
20 Il) doivent être amorcées par le dirigeant afin de résoudre les confrontations,
établir des arrangements et réaliser l'ID. Il faut signaler que la littérature sur l'ID en
contexte de PME n'explique pas ces relations de pouvoir et encore moins les
confrontations ainsi que les arrangements que celles-ci exigent.
En somme, nous pouvons retenir que les relations d'échange, d'appropriation
et de pouvoir caractéristiques de la collaboration favorisent le développement d'ID.
46
Cependant, dans la littérature, l'analyse des relations de collaboration qui s'établissent
entre les acteurs reste prescriptive, très peu descriptive. Les citations suivantes sont
illustratives d'un certain nombre de travaux s'inscrivant dans cette analyse
prescriptive :
A. Dans un numéro spécial traitant de la collaboration en lien avec le DD, Hartman et al. (1999) indiquent que : « Environmental initiatives in SMEs are inhibited by a general lack of resources, capacity and capabilities. Partnerships, however, play an important role in overcoming these obstacles. Partnerships with trade associations, public and private institutions and local communities can pursue goals ranging from the development of environmental management systems to the exchange of environmental business opportunities and technology information (Biondi et al., 1998; De Bruijn and Hofman, 1998; Hines, 1998; Holtet al., 1998) » (p. 263).
B. Pour comprendre le rôle de la collaboration dans le développement d'ID en contexte de PME, Klewitz et Zeyen (2010) proposent d'explorer « why SMEs opt to collaborate with intermediary organizations to introduce eco-efficiency measures and if such partnerships lead to sustained integration of sustainability issues. By analyzing the challenges, drivers and barriers encountered while introducing eco-efficiency measures as weil as the relevance of partnerships in particular, clues are derived with regard to reasons for SMEs to aim for certain objectives and, consequently adopt practices » (p. 5).
C. Les résultats de l'étude des liens entre la collaboration et le développement d'ID en contexte de PME conduisent Yarahmadi et Higgins (2012) à suggérer « that jirms cooperate with governmental agencies, NGOs, suppliers, customers and industry associations to comply with environmental laws and regulation, obtain legitimacy as weil as acquire competency (i.e., access to resources such as funds, knowledge and skills). However, only competency-oriented motivation stimulates organizations to cooperate with competitors and knowledge leaders» (p. 400).
47
Certes, ces travaux nous apportent un éclairage sur les raisons qui font de la
collaboration une forme de relation à privilégier par le dirigeant de PME dans le
développement des ID. Cependant, la collaboration est présentée comme un ensemble
de relations figées dont nous ne connaissons ni la construction des éléments
structurels ni la dynamique des éléments processuels (Pasquero, 2008). Dans ces
conditions, il est difficile de savoir ce que font les dirigeants de PME lors de ces
collaborations ou pour les établir. Néanmoins, de la littérature sur la collaboration et
l'ID, nous pouvons déduire que le dirigeant de PME relie son entreprise avec des
acteurs externes dans le but de développer des ID.
Partant de là, en reliant son entreprise avec des acteurs externes, cela voudrait
dire que le dirigeant de PME effectue (en plus du travail d'observateur actif et
d'entrepreneur) un travail d'agent de liaison. Encore une fois , à travers les travaux de
Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman et al. (2005), nous savons qu'en tant
qu'agent de liaison, le dirigeant de PME tout comme le gestionnaire de Mintzberg
(1984) « établit son réseau de contacts externes; [ ... ] il s'en sert pour obtenir faveurs et
informations» (p. 75). Plus particulièrement, ce travail d'agent de liaison permet au
dirigeant d'agir comme un acquéreur/répartiteur de ressources dans les relations
d'appropriation. Et, dans les relations de pouvoir, il agit comme négociateur :
En tant que négociateur [le dirigeant de PME] prend les choses en mains lorsque son organisation doit conduire des négociations importantes avec [d'autres acteurs]. [ ... ] Parce qu'il est répartiteur de ressources, il échange des ressources en temps réel avec l'autre partie » (Mintzberg, 1984, p. 183).
Nous pensons que les dirigeants de PME qui souhaitent développer des ID
vont mettre l'accent sur le travail d'agent de liaison. Ce travail permet au dirigeant de
PME de relier son entreprise avec les acteurs externes afin de développer des ID.
Cependant, une fois de plus, la littérature sur l'ID dans la PME ne nous dit pas en
48
quoi consiste et de quelle manière le dirigeant de PME effectue le travail d'agent de
liaison. Par exemple, il aurait été intéressant d'expliquer comment le dirigeant de
PME collabore avec les acteurs externes. Comment gère-t-il les confrontations avec
les acteurs qui n'ont pas la même interprétation de l'ID que lui? Comment le dirigeant
amène-t-illes acteurs externes à « s'investir » avec lui dans le développement de l'ID?
Ce sont quelques questionnements dont les réponses nous auraient permis de mieux
comprendre ce que font les dirigeants de PME pour collaborer afm de réaliser des ID.
En conclusion, compte tenu du regard critique que nous venons de poser sur la
littérature, nous pouvons proposer à travers le modèle présenté à la figure 8 notre
vision du travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID au fil du temps. Ce
modèle comprend trois grandes parties. Une partie centrale qui montre le processus
de travail du dirigeant de PME, soit les rôles d'observateur actif, d'entrepreneur et
d'agent de liaison qui sont interreliés et interdépendants. Une partie supérieure qui
indique les objectifs subséquents du dirigeant de PME. Et une partie inférieure qui
souligne les phases du développement de l'ID qui sont récursives et faites d'aller et
retour.
49
Figure 8 Une vision du travail du dirigeant dans le développement d'ID
1 Objecti fs du dirigeant de PME 1 -1 1
1 1 1
Enjeux de ~-~
Observateur ~-> Entrepreneur ~-~
Agent de .. -~ Innovation DO actif liaison durable
1 1 1
Phases du développement de l'ID
Temps
Selon le modèle théorique présenté plus haut, tout au long du développement
de l'ID, le dirigeant-développeur d'ID met l'accent sur les activités d'observateur actif,
d'entrepreneur et d'agent de liaison qui sont interreliées et interdépendantes. Par
exemple, le travail d'observateur actif permet de recueillir des informations liées à des
enjeux environnementaux et sociaux. En tant qu'entrepreneur, le dirigeant détecte une
opportunité d'ID autour de ces enjeux. Il participe, en l'initiant et en l'orchestrant, à la
définition d'un projet d'ID. Le travail d'agent de liaison permet d'aller au contact des
acteurs externes, d'acquérir des ressources pour la réalisation de l'ID. Ainsi, le travail
effectué par le dirigeant de PME au fil temps permet de développer des ID qui
répondent à des enjeux environnementaux et sociaux. Le cadre théorique que nous
proposons maintenant permet de mieux comprendre ces trois principaux rôles ou
activités du dirigeant au cours des phases du développement d'une ID, soit les phases
de la préhistoire, de l'objet-valise et de l'objet-frontière. Ce sera aussi l'occasion de
donner une définition de l'ID, du processus d'ID, du travail du dirigeant et d'autres
concepts liés au cadre théorique.
50
2. CADRE THÉORIQUE
Nous avons noté que dans la revue de littérature les travaux des chercheurs
s'appuient sur des analyses déterministes et prescriptives qui de plus font penser que
l'ID est essentiellement un processus technique. Partant de là, les chercheurs tiennent
implicitement ou explicitement des positions épistémologiques qui sont, au moins en
partie, à l'origine du regard qu'ils posent sur l'ID et de l'analyse qu'ils en font. C'est
une critique de ces positions épistémologiques qui nous amène à proposer une
analyse du travail du dirigeant de PME dans le développement des ID. Cette analyse
s'appuie sur une position épistémologique que nous expliquons maintenant.
2.1 Positionnement de la recherche
Il est important d'identifier le paradigme dans lequel s'inscrit une recherche
avant d'en présenter les cadres théorique et opératoire. Selon Mackenzie et Knipe
(2006), « le choix du paradigme guide les objectifs, les motivations et les attentes de
la recherche. L'identification du paradigme de recherche est donc la première étape à
partir de laquelle se font plus tard les choix théoriques et opératoires» (p. 1, notre
traduction). La question qui se pose ici est donc de savoir le positionnement adopté
afin de mieux comprendre la problématique managériale. Comme l'indique le tableau
4, nous faisons le choix a) d'un paradigme constructiviste sur lequel s'appuie b) une
perspective interactionniste, pour étudier le travail du dirigeant de PME dans le
développement d'ID.
Question de recherche
Objet théorique
Objet empirique
Niveau d'analyse
Perspective théorique
Paradigme
Tableau 4 PositiOlmement théorique
Littérature Cadre théorique
51
Quels sont les facteurs de succès En quoi consiste et de quelle manière du dével9Ppement des ID dans les se fait le travail du dirigeant de PME PME? dans le développement d'ID ?
Innovation durable Innovation durable
Facteurs de succès Dirigeant de PME
Déterminants de l'ID Processus de l'ID
Déterminisme fnteractionnisme
Positivisme Constructivisme
Comme le montre le tableau présenté plus haut, les écrits scientifiques
s'intéressant à l'ID dans les PME semblent s'inscrire dans un paradigme positiviste.
En raison de leur perspective théorique déterministe, ces écrits scientifiques utilisent
une démarche d'analyse consistant à se questionner sur les facteurs de succès ou les
déterminants des ID dans les PME. Le choix d'un paradigme constructiviste vise
plutôt à se donner les moyens de faire une analyse du travail du dirigeant de PME
dans un processus d'ID. De ce fait, nous adoptons une perspective interactionniste
permettant de suivre, de comprendre et d'expliquer ce que font ces dirigeants pour
développer des ID.
Paradigme de recherche. Un paradigme peut être défini comme une
conception générale de la réalité ou un ensemble de croyances qui s'appuie sur des
principes de base (Bogdan et Biklen, 1998; Guba et Lincoln, 1994; Voce, 2004). Ces
principes de base correspondent à des postulats dont les principaux sont l'ontologie,
l'épistémologie et l'axiologie. Le chercheur pourra alors adopter une posture
52
objectiviste, subjectiviste ou un mixte des deux, suivant ces trois postulats de
recherche.
Le chercheur constructiviste se situe en général dans une posture subjectiviste.
Le subjectivisme conçoit la réalité comme étant relative, le sujet et l' objet
interdépendants et propose une vision non déterministe du monde. Dans ce sens, nous
voulons nous écarter d'un déterminisme à la fois technique (l'offre technique crée
l'innovation) et social (la demande sociale crée l'innovation) (Flichy, 1995) dans
l'étude de l'ID dans les PME. Ainsi, pour nous, toute réalité matérielle ou
immatérielle est socialement construite. Et, par conséquent, le processus de
construction sociale de cette réalité devrait être l' objet principal de son étude (Berger
et Luckmann, 1996).
Principaux postulats. Pour le chercheur constructiviste, le relativisme
ontologique considère que la réalité est un construit de l' esprit. Celle-ci est donc
construite à travers les représentations mentales (p. ex.: principes, points de vue,
demandes, attentes, intérêts) qui guident les actions des acteurs participant à cette
construction (y compris le chercheur). Par conséquent, il n'est pas possible d'ignorer
les interprétations des acteurs qui traduisent, au moins en partie, leurs intérêts,
préoccupations, représentations mentales.
Ensuite, dans une dimension épistémologique, le chercheur constructiviste
postule que la connaissance est construite de façon interactive et collective.
Autrement dit, en tant que forme de connaissance, la réalité est le fruit des apports et
des interactions des acteurs qui participent collectivement à sa construction. Dans ce
sens, l'épistémologie constructiviste s' intéresse aux interactions sociales à l'origine
de cette construction.
53
Enfin, d'un point de vue axiologique, les valeurs, la formation, les expériences
du chercheur constructiviste font partie intégrante de la recherche. Dans ce sens,
celles-ci peuvent influencer sa propre interprétation des faits et des interprétations des
acteurs participant à sa recherche. En somme, c'est sur ces postulats que nous nous
appuyons pour justifier notre positionnement.
Justification du positionnement. Nous savons que l'étude d'une innovation
consiste non seulement à s'intéresser aux déterminants qui expliquent son succès ou
son échec, mais aussi au processus qui la fait exister (Wolfe, 1994). À ce propos,
Bijker et al. (2012) recommandent que le chercheur rende compte des interactions
sociales qui se déroulent dans un processus d'innovation et qui ne peuvent être
déterminées à l' avance. Ces interactions sociales modifient le développement de
l'innovation et les caractéristiques finales de celle-ci (Ibid.) . Partant de là, pour mieux
comprendre comment une innovation naît, prend forme et se développe au fil du
temps, il faudrait retracer ou observer ce que font les acteurs impliqués dans le
processus d'innovation (Van de Ven, 1986, 1992). Dans ce sens, nous pensons que
l"étude d'une ID peut aussi s' inscrire dans une approche de construction sociale. Et
ce, d'autant plus que plusieurs chercheurs, à travers la littérature, soutiennent le
caractère complexe et multidimensionnel de l'ID et de son processus (Aggeri, 2011;
Bos-Brouwers, 2010; Hall et Vredenburg, 2003; Sarkis et al. , 2010).
En définitive, nous considérons que la perspective théorique dét~rministe est
peu outillée pour rendre compte des interactions sociales qui se produisent dans le
développement de l'ID. La perspective déterministe a surtout permis d'appréhender
l'ID comme un processus technique et linéaire, mais beaucoup moins comme un
processus social et interactif. Par conséquent, cette perspective ne permet pas de
poser un regard sur les manières qui permettent aux dirigeants de PME de développer
54
des ID. C'est pourquoi dans les prochaines sections, nous mobilisons des outils
d'analyse qui s'adossent sur une perspective interactionniste, afin de mieux décrire le
travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID. C'est sur la base de cette
perspective que nous définissons maintenant les concepts qui soutiennent notre cadre
théorique.
Concepts de base. Avant de développer le cadre théorique, il nous faut définir
trois concepts importants: l' ID, son processus et le travail du dirigeant dans celui-ci.
En contexte de PME, nous définissons l' ID comme:
Un objet amélioré ou nouveau répondant à des objectifs économiques et à des enjeux environnementaux et sociaux, dont le développement et les caractéristiques définitives sont, au moins en partie, l'effet du travail du dirigeant (et de l'équipe de direction) et d'acteurs externes mobilisés.
Par « objet » nous entendons tout produit (au sens large) ayant subi une
transformation même minime par l'homme qui se distingue d'un autre ISSU d'un
phénomène naturel. Cela dit, notre définition de l'ID se distingue des définitions
proposées jusque-là. Elle met l'accent sur le travail du dirigeant et sur le caractère
processuel et socialement construit de l'ID. À propos du caractère processuel, nous
rappelons que selon Wolfe (1994) un processus d'innovation peut être étudié suivant
deux dimensions: une séquence temporelle de phases (Stage Mode!) et une séquence
temporelle d'évènements (Pro cess mode!). Dans la présente recherche, nous étudions
les ID en tenant compte de ces deux dimensions.
En effet, nous considérons que le développement de l'ID est un processus
comportant des phases qui, à la différence de ce qui apparaît dans la littérature, sont
récursives, se chevauchent, sont faites d'allers et retours ainsi que de rétroactions. Le
55
caractère interactif de ces phases est l'effet du jeu des acteurs mobilisés autour de
l'ID. En clair, nous avons une vision interactive du mouvement du processus d'ID.
Partant de là, trois phases caractérisent une innovation dans une perspective
interactionniste: la phase de la préhistoire de l'innovation, la phase de l'objet-valise et
celle de l'objet-frontière (Flichy, 1995). Nous considérons ces phases comme étant
celles qui permettent de mieux décrire le développement d'une ID.
Au cours de chacune de ces phases, nous voulons analyser le travail du
dirigeant de PME-développeur d'ID qui constitue les évènements du processus (Van
de Ven et al. , 2000). À propos du travail, nous le définissons comme un ensemble
d'activités humaines en vue de développer quelque chose. C'est aussi la manière avec
laquelle ces activités sont exécutées par un acteur. Cette conception du travail du
dirigeant de PME n'est pas différente de celle de Florén et Tell (2004, 2012) et
O'Gorman et al. (2005). En effet, tout comme Mintzberg (2009), ces auteurs utilisent
les termes d'activité et de rôle pour décrire la manière dont le dirigeant de PME
travaille. Selon Mintzberg (1984) :
Les activités et les rôles du cadre peuvent être regroupés en trois catégories, qui ont pour l'essentiel trait respectivement aux relations interpersonnelles, au traitement de l'information et à la prise de décisions importantes. Le travail des cadres, quels qu'ils soient, peut être décrit à l'aide de dix rôles observables: symboles, agent de liaison et leader (rôles interpersonnels), observateur actif, diffuseur et porteparole (rôle lié à Pinformation) et entrepreneur, régulateur répartiteur de ressources et négociateur (rôle lié à la décision) (p. 107).
De plus, le dirigeant de PME peut mettre l'accent sur l'activité qui correspond
à la situation, par exemple au secteur d'activité, aux caractéristiques de l'entreprise,
aux enjeux contemporains dans la société (Mintzberg, 2009). En particulier, Choran,
(1969), Florén et Tell (2004, 2012), Kurke et Aldrich (1983), Muir et Langford,
(1994), Noël (1989), O' Gorman et al. (2005) ont étudié le travail de dirigeants de
56
PME en répliquant le modèle des rôles de Mintzberg (1968, 1984, 2009). Nous
présentons dans le tableau suivant leurs objets de recherche, les caractéristiques de
leur terrain d'ét\lde et les principales conclusions de leurs travaux.
Tableau 5 Les études sur le travail du dirigeant de PME
Auteur (année/ordre Objet de recherche Terrain d'étude Principales conclusions décroissant)
Florén et Tell Comparaison du travail de PME à forte et La façon dont le dirigeant joue son rôle
(2012) 12 entrepreneurs faible croissance est plus importante que le rôle lui-même.
O'Gorman, Le dirigeant de PME change
Bourke et Description du travail de PME orientée vers constamment de rôles et la taille de
Murray (2005) 10 dirigeants de PME la croissance l'entreprise est un déterminant de la
nature de son travail. Comparaison du travail de 6 dirigeants de PME avec PME
Le dirigeant de PME effectue un Florén et Tell celui de dirigeants de man'ufacturières (2004) grandes entreprises et (17 à 43
processus de travail qui lie les rôles
d'entreprises de taille employés) entre eux.
moyenne
Cartographie de ce que Le dirigeant joue une multitude de rôles
Muir et font 2 dirigeants de PME PME du secteur parmi lesquels le rôle de technicien
Langford (1994) et comment ils utilisent de la construction (capacités techniques).
leur temps.
Comment les dirigeants de PME influencent-ils la Le dirigeant de PME exerce les rôles
Noël (1989) formation de la stratégie
3 PME qu'il perçoit comme étant cruciaux pour
dans leur entreprise à la survie et la croissance de son travers leurs activités au entreprise. fil du temps?
PME de taille Le travail du dirigeant de PME varie
Kurke et Quelle est la nature du
intermédiaire selon la taille de l'entreprise, le secteur
Aldrich (1983) travail de 4 dirigeants de
(taille non d'activités, le degré d'incertitude de
PME? l'environnement, la structure de indiquée)
propriété (privé/publique).
Quelle est la nature du En plus des rôles de Mintzberg (1968),
PME de 50 et 150 le dirigeant de PME joue deux rôles Choran (1969) travail de 3 dirigeants de
employés opérationnels soit ceux de spécialiste et PME?
de suppléant.
Les travaux de ces auteurs montrent que le travail du dirigeant de PME se caractérise,
au moins en partie, par la flexibilité et l'informel, ses valeurs et perceptions ainsi que
des manières qui lui sont propres: c'est un travail social.
57
Le modèle des rôles de Mintzberg (2009) sur lequel s'appuient les études
présentées plus haut a été critiqué par plusieurs chercheurs. En effet, selon les «
opposants » à ce modèle, la technologie, la flexibilité, le leadership, la culture, etc. ,
influencent le travail du dirigeant qui par conséquent varie au fil du temps (Drucker,
1988; Handy, 1989; Kanter, 1989; Morgan, 1993; Peters, 1989; Zuboff, 1988). Par
contre, selon Mintzberg (1973 , 2009), Kurke et Aldrich (1983), Watson (2001), Hales
(2002), le travail du dirigeant ne change pas vraiment au fil du temps, il est stable.
Pour Tengblad (2006), le travail du dirigeant n'est ni aussi stable que le prétend
Mintzberg, ni aussi variable que le soutiennent « ses opposants ». L'auteur conclut
que des recherches futures doivent permettre de comprendre ce qui particularise le
travail du dirigeant (Stewart, 1989) ainsi que ses aspects processuels (ses perceptions,
ses actions) peu étudiés (Hales, 1986). Dans tous les cas, les chercheurs conviennent,
au moins en partie, que les dix activités identifiées par Mintzberg (2009) font partie
du travail du dirigeant.
Partant de là, en s'inspirant de ce modèle des rôles et en tenant compte du
regard critique que nous avons posé sur la littérature concernant l'ID dans la PME,
nous avons établi trois principales activités que nous considérons comme étant
particulières et pertinentes dans le travail d'un dirigeant de PME-développeur d'ID,
soit le travail d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de liaison (Tableau 6).
58
Tableau 6 Description des principales activités du dirigeant de PME
Principales Description des activités
Activité de Description des Reconnaissance dans activités soutien activités de soutien la littérature
Cherche et reçoit une Planifie les actions de
grande variété son entreprise à partir
d'information particulière, d'actualité
de l'information Le travail d'observateur Observateur repérée dans actif est reconnu dans actif
pour développer une différentes sources les études de certains
compréhension d'informations et de la auteurs.
approfondie de compréhension qu'il
l'organisation et de son environnement. Initiateur et en a.
concepteur de Recherche des projets opportunités dans d'amél ioration l'organisation et son Exploite des environnement, et prend opportunités, résout
Le travail l'initiative de projets des problèmes en
d'entrepreneur est d'amélioration pour initiant et en
implicitement reconnu. effectuer des priorisant des projets changements ; supervise d'amélioration.
Entrepreneur aussi la conception de certains projets.
Acquière et échange Le travail d'acquéreur
Acquéreur de des ressources grâce de ressources est peu
ressources à son réseau de relations externes.
explicitement reconnu
Le travail d'agent de Représente liaison est pour une l'entreprise dans les large part ignoré.
Négociateur confrontations Le travail de
Crée lui-même, puis importantes. négociateur est non entretien un réseau de reconnu. contacts externes et d'informateurs qui lui Comme porte-parole,
Généralement reconnu
apportent faveurs et le dirigeant comme rôle du
informations. représente et sert dirigeant.
Agent de d'expert dans le liaison domaine d'activité de
Porte-parole 1 l'entreprise.
Symbole
Comme symbole, il Parfois reconnu, mais
parle au nom de généralement seulement aux niveaux
l'entreprise et en est les plus élevés de
le chef symbolique. l'organisation
Source: Adapté de Mmtzberg (1984, pp. 103-104)
59
Les trois principales activités du dirigeant de PME sont interreliées et
interdépendantes. Elles sont aussi liées à d'autres activités que nous considérons
comme des activités de soutien. De plus, ces trois principales activités permettent de
relier l'entreprise à son environnement, renforçant ainsi le caractère social et interactif
du processus d'ID. Cela dit, à l'issue de la définition de nos concepts de base, nous
présentons dans le tableau 7 une description de notre cadre théorique.
Phase du processus d'ID
Préhistoire
Objet-valise
Objet-frontière
Tableau 7 Description du cadre théorique
Travail du dirigeant Outil d'analyse Références
de PME théorique
Professionnelles: Desjardins et Willis (2011), OCDE
Observateur (2010), PNUE (2010), WBCSD
actif/Entrepreneur : 15 principaux (2006), WEF (2009)
Identification de l'enjeu enjeux
de DD et de environnementaux Scientifiques:
l'opportunité d'ID et sociaux Anderson et Bateman (2000),
Newman et Breeden (1992), Schmidheiny (1992), Shrivastava (1994), Starik et Rands (1995)
Entrepreneur/Agent de Flichy (1995, 1994)
liaison : Définition d'un Objet-valise projet d'ID commun
Bijker et al. (1993)
Agent de liaison : Intéressement Akrich, CaHon et Latour (1988)
Construction et Bijker et al. (1993) concrétisation de l'ID Objet-frontière
Star et Griesemer (1989)
Dans les sections qui suivent, après avoir défini les phases du développement
de l'ID, nous présentons d'abord un modèle situant le travail du dirigeant de PME qui
correspond à chacune de ces phases. Chaque modèle découle de notre vision du
travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID schématisée plus haut.
Ensuite, nous montrons en quoi consiste ce travail à l'aide d'un outil d'analyse. Enfin,
nous décrivons de quelle manière le dirigeant effectue le travail. En guise de
60
conclusion, nous dévoilons le modèle complet du travail du dirigeant de PME dans le
développement d'ID.
2.2 La phase de la préhistoire de l'ID
La phase de la préhistoire (ensemble des faits et évènements s'étant produits
avant l'apparition de l'innovation) permet de comprendre l'origine ou le contexte
d'apparition de l'innovation (Flichy, 1995). Elle constitue une double ressource pour
l'action. Premièrement, la préhistoire d'une innovation est une ressource pour l'action
du chercheur. Elle lui permet de recueillir des données pour l'analyse. Elle l'aide aussi
à prendre du recul par rapport aux faits et évènements qui se sont déroulés avant le
développement de l'innovation en offrant la distance nécessaire pour leur
compréhension. Dans ce sens, la préhistoire de l'innovation est un outil
méthodologique pour le chercheur.
Deuxièmement, la préhistoire est une ressource pour l'action du dirigeant
développeur d'ID. Nous partons du fait que l'innovation n'existe pas ex nihilo. De
plus, même quand elle existe, l'innovation est le résultat d'une maturation lente de la
part de ses promoteurs, mais aussi d'une activité de recherche et de sélection
d'informations. Dans ce sens, pour le dirigeant-développeur d'ID, la phase de la
préhistoire doit être comprise comme la période au cours de laquelle il identifie au
préalable les enjeux de DD qui ont une incidence sur ses activités présentes ou futures
(Anderson et Bateman, 2000, Banerjee, 2001 , Sharma, 2000) justifiant par la suite
son action innovatrice. C'est pourquoi à la phase de la préhistoire, le dirigeant
développeur d'ID met l'accent sur le travail d'observateur actif (Florén et Tell, 2004,
2012; O'Gorman et al. , 2005), le travail d'entrepreneur venant en soutien. Le modèle
61
présenté à la figure 9 situe le travail d'observateur actif à la phase de la préhistoire de
l'ID.
Figure 9 Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de la préhistoire de l'ID
---+ Identification de l'enjeu de DD ~ et de l'opportunité d'ID
1
Enjeux de ~-~
Observateur ~-~ Entrepreneur ~ DD actif
Agent de - ~ liaison
1
---+ Phase de la préhistoire ~
Selon le modèle présenté plus haut, le dirigeant de PME qui souhaite
développer une ID observe son milieu afin de sélectionner des enjeux de DD
(environnementaux et sociaux) ayant des incidences positives ou négatives sur ses
activités présentes ou futures et autour desquelles il détecte une opportunité d'ID. La
question qui se pose est de savoir : comment le dirigeant de PME effectue le travail
d'observateur actif qui lui permet d'identifier des enjeux de DD et une opportunité
d'ID? Pour répondre à cette question, nous définissons d'abord la notion d'enjeu de
DD et celle d'opportunité d'ID. Par la suite, nous expliquons en quoi consiste et de
quelle manière le dirigeant effectue le travail d'observateur actif.
62
2.2. 1 Les enjeux de DD et ['opportunité d'ID
Bien qu'une innovation n'ait pas de « point d'origine unique » (Flichy, 1995, p.
226), nous situons celui de l'ID, au moins en partie, au niveau des enjeux de DD. Les
enjeux de DD sont reconnus comme des sources d'ID (Porter, 1991 , Hart et Milstein,
2003). Un enjeu peut être défini comme un problème, un évènement ou une tendance
perçue comme ayant un impact significatif sur l'organisation (Dutton, Fahey et
Narayanan, 1983). Outre le volet économique que vise une innovation généralement
développée par une entreprise (à but lucratif), il existe deux types d'enjeux de DD :
les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux.
Plusieurs enjeux environnementaux et sociaux sont identifiés dans différents
rapports internationaux (OCDE, 2010; PNUE, 2006; WBCSD, 2006; WEF, 2009) et
sont repris dans des écrits scientifiques (Anderson et Bateman, 2000; Newman et
Breeden, 1992; Shrivastava, 1994; Starik et Rands, 1995). Cependant, en se référant
au rapport de l'Institut canadien des comptables agréés (Desjardins et Willis, 2011), il
est possible de retenir 15 principaux enjeux environnementaux et sociaux. Ces enjeux
dont la pertinence a été soumise à des dirigeants d'entreprises canadiennes, recoupent
ou reprennent ceux qui sont le plus souvent répertoriés dans les différents documents
gouvernementaux ou internationaux où il en est question. Les dirigeants d'entreprises
peuvent élaborer des innovations en fonction de la pertinence des liens et incidences
de l'un ou l'autre des 15 enjeux environnementaux et sociaux sur leurs activités
(Anderson et Bateman, 2000, Banerjee, 2001, Sharma, 2000). Dans cette recherche,
nous nous appuyons sur les 15 enjeux environnementaux et sociaux pour décrire et
analyser les enjeux de DD (Tableau 8).
63
Tableau 8 Les 15 principaux enjeux de DD (environnementaux et sociaux)
Enjeux de DD Liens avec les activités de l'entreprise Incidences sur les activités de l'entreprise (non exhaustifs) (non exhaustives)
Raréfaction et La dépendance de certaines activités des Une augmentation des prix peut avoir des conséquences
qualité de l'eau entreprises à l'approvisionnement en eau potable. sociales et commerciales significatives et être source d'occasions d'innovation
Changement La nécess ité de réduire les émissions de GES et de La disponibilité et la sécurité de l'énergie peuvent
climatique s'adapter aux effets du changement climatique amener les entreprises à recourir à des solutions axées sur affecte les entreprises. l' innovation. La disponibilité de l'énergie, son coût, sa sécurité, La demande en énergie renouvelable et la diminution des
Énergie sa production et son transport affectent les coûts en énergie sont des sources d'opportunités entreprises. d'innovation. L'effet de la pollution atmosphérique sur la santé, Les règlements peuvent influer sur l'approbation de
Pollution l'agriculture, etc. , incite les gouvernements à nouvelles installations et activités. Ils génèrent parfois atmosphérique adopter des règlements pour contrôler la quantité des innovations qui visent à assurer le respect de normes
de polluants émis dans l'environnement. plus strictes d 'émissions.
Déchets et La conception et l'emballage des produits, les La diminution de l' utilisation des matières, de
gestion des processus de production et les pratiques l'emballage et des déchets, le recyclage et l'amélioration
déchets d 'élimination des déchets ont des conséquences de la gestion des déchets peuvent donner lieu à des directes sur le résultat net des entreprises. économies et à des occasions d' innovation.
Perte de la Les parties prenantes de nombreux secteurs
La perte de la diversité biologique influe sur la d'activités accordent une attention accrue aux
diversité répercussions des pratiques industrielles sur la
productivité et la disponibilité des ressources dans divers biologique
biodiversité. secteurs d'activité.
Le déboisement et la détérioration des forêts La dégradation du sol affecte la productivité du secteur
Détérioration des touchent particulièrement les entreprises de bois
de l' agriculture. La durabilité des pratiques de gestion forêts et du sol des forêts peut poser un problème pour les clients et les
de sciage et de pâtes et papiers. politiques relatives aux chaînes logistiques.
Tremblements de Les tremblements de terre et les éruptions
Les répercussions des tremblements de terre et éruptions terre et éruptions
volcaniques peuvent aussi avoir des répercussions volcaniques ont de nos jours une portée beaucoup plus
sur les chaînes logistiques et les déplacements des volcaniques
employés. vaste.
Croissance des La croissance importante des populations des pays Ces enjeux ont des conséquences positives (p. ex. : main-d'œuvre à faibles coûts, expansion des marchés) et
populations, en développement, l'urbanisation et la négatives (p. ex. : impacts négatifs du vieillissement sur
urbanisation et démographie exigent une amélioration de la démographie productivité des entreprises.
la population active, les soins de santé et les prestations de retraite) sur les activités des entreprises.
Production et Les craintes au sujet de la sécurité des aliments et Ces enjeux entrainent un accroissement de la demande de
sécurité des de leur transfonnation ont donné naissance à de produits nouveaux secteurs.
produits plus naturels
Les entreprises qui exercent leurs activités dans La pauvreté affecte la demande et le prix des produits.
Pauvreté des régions pauvres courent des risques liés à
Elle peut avoir aussi une incidence sur la disponibilité l'absence d' une main-d'œuvre compétente, à un
d' une main-d'œuvre éduquée et en santé. transport inadéquat, etc. Les entreprises comptent sur des collectivités en
Certaines entreprises conçoivent de nouveaux produits et Santé et sécurité
santé pour disposer d' une main-d'œuvre solide et services en réponse à ces problèmes. Les règlementations
des êtres humains productive. La sécurité du milieu de travail pour
gouvernementales sont aussi imposées aux entreprises les employés et les contractuels est reconnue
pour les amener à tenir compte de ces enjeux. comme une priorité dans de nombreux secteurs. Les entreprises sont jugées responsables d ' un
Les consommateurs, les employés et autres parties Droits de la milieu de travail inacceptable et de pratiques
prenantes influencent les pratiques commerciales des personne commerciales qui enfreignent les droits de la
entreprises concernant les droits de la personne. personne. Les entreprises doivent de plus en plus rendre Le manque d' intégrité peut avoir des conséquences
Corruption compte de l' intégrité de leurs pratiques dans tous financières importantes, voire graves. Il peut aussi les pays dans lesquels elles exercent leurs affecter la réputation de l'entreprise et sa capacité activités. d'exercer ses activités. Outre les problèmes mentionnés précédemment, L'agitation sociale peut en retour poser des risques
Agitation sociale d' autres problèmes comme le chômage, les significatifs pour les entreprises y compris menacer les conflits religieux, l' instabilité politique et le installations, les infrastructures, les chaînes logistiques, terrorisme peuvent contribuer à l'agitation sociale les marchés et la main-d'œuvre.
Source: Desjardins et WIIhs (2011)
64
Selon Desjardins et Willis (2011), « aux fins de l'appréciation de la pertinence
de ces enjeux, il importe de tenir compte de leur interconnexion ainsi que des
occasions et des risques qu' ils peuvent comporter » (p. 4). À propos des occasions
que peuvent comporter les enjeux de DD, nous les considérons comme des
opportunités d'ID. L'opportunité d'ID est une occasion construite (Callon et Latour,
1991; Flichy, 1995) à partir d'informations liées à des enjeux environnementaux et
sociaux et propice au développement d'une ID (Anderson et Bateman, 2000;
Banerjee, 2001; Sharma, 2000). Le travail du dirigeant en tant qu'observateur actif de
son milieu consiste donc à rechercher et repérer une information liée à des enjeux de
DD qu'il utilise pour construire l'opportunité d'ID.
2.2.2 Le travail d'identification de l'enjeu de DD et de l'opportunité d'ID
Les dirigeants ont une préférence pour les informations actuelles, spéciales,
non routinières, non écrites et non disponibles publiquement (Florén et Tell, 2004,
2012; Q'Gorman et al., 2005). Ces informations peuvent provenir de sources situées
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise. Le dirigeant obtient des informations
internes auprès de ses employés. Les informations externes comme celles provenant
des évènements, des tendances extérieures et de son réseau de contacts permettent au
gestionnaire d'acquérir une compréhension profonde de son environnement externe.
Dans tous les cas, c'est surtout le travail d'observateur actif qui permet au dirigeant de
mener à bien l'activité de recherche et de sélection d'informations.
Le dirigeant-développeur d'ID met aussi l'accent sur le travail d'observateur
actif afin de rechercher et de sélectionner les informations liées à des enjeux
environnementaux et sociaux ayant une incidence sur ses activités présentes ou
futures. Dans ce sens, en tant qu'observateur actif, le dirigeant recherche des
65
informations stratégiques pour son entreprise. Par exemple, pour un dirigeant de PME
évoluant dans le secteur des transports, une information externe sur l'électrification
possible des transports peut être pertinente pour son activité. Dans le même temps,
cette information est liée à la réduction des gaz à effet de serre (GES), enjeu
environnemental associé entre autres au changement climatique.
Par ailleurs, les valeurs et les perceptions ainsi que la formation et les
expériences du dirigeant (en particulier le dirigeant de PME) peuvent l'amener à avoir
l 'œil sur certains types d'informations (Florén et Tell, 2004, 2012; O'Gorman et al.,
2005). Par exemple, un dirigeant de PME qui accorde une grande importance aux
valeurs familiales aurait tendance entre autres à rechercher des informations liées à
ces questions tout en étant pertinentes pour son activité. Que fait le dirigeant
développeur d'ID avec des informations liées à des enjeux environnementaux et
'sociaux?
Le dirigeant-développeur d'ID se sert ici de son travail d'entrepreneur, qUI
commence par l'activité d'observation active (Florén et Tell, 2004, 2012; O'Gorman et
al., 2005), pour détecter dans l'information obtenue une opportunité d'ID. Reprenons
l'exemple précédent de la PME évoluant dans le transport pour illustrer notre propos.
Après avoir obtenu l'information sur une électrification possible des transports, le
dirigeant de PME peut voir dans cette information, une occasion de se transporter
sans pétrole et sans auto qui dans le même temps contribue à la réduction des GES :
c'est une opportunité d'ID. Ainsi, selon Mintzberg (1984) le dirigeant-développeur
d'ID:
Utilise l'information pour détecter les problèmes et les opportunités [(P. 81)]. Lorsqu'il a découvert un problème ou une opportunité, le dirigeant peut décider que son organisation doit agir pour améliorer
une situation donnée. C'est à ce point que commence la phase de la conception (Ibid., p. 89).
66
Cette phase de conception correspond à la phase de l'objet-valise pour le dirigeant
développeur d'ID, dans une approche de construction sociale.
2.3 La phase de l'objet-valise
La phase de l'objet-valise est une période « où une large gamme de possibles
reste ouverte» (Flichy, 1995, p. 228). Dans cette phase caractéristique d'une période
d'indétermination, chaque acteur potentiel du développement de l'ID a son propre
projet d'ID pour exploiter l'opportunité détectée et résoudre l'enjeu de DD
sélectionné. Tout comme le gestionnaire de Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman
et al. (2005), le dirigeant de PME-développeur d'ID met l'accent sur le travail
d'entrepreneur, et celui d'agent de liaison qui vient en soutien, pour arriver à définir
un projet d'ID commun: un objet-valise. C'est cette démarche qui est indiquée dans le
modèle présenté à la figure 10.
Figure 10 Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de l'objet-valise
Définition d'un +-objet-valise
1
Enjeux de ~-~
Observateur ~-~ Entrepreneur ~-~
Agent de DD actif liaison
1
Phase de l'objet-valise ~
67
À partir du modèle présenté plus haut, deux questions peuvent être posées: a)
En quoi l'ID constitue-t-elle un objet-valise? b) De quelle manière, le dirigeant de
PME participe-t-il, notamment en l' initiant et en l'orchestrant, à la définition d'un
objet-valise? Dans les paragraphes suivants, nous répondons à ces questions en
expliquant ce modèle. Pour ce faire, nous définissons d'abord le concept de l'objet
valise.
2.3.1 L'objet-valise
Le concept de l'objet-valise a été forgé par Flichy (1994). L'auteur définit
l'objet-valise comme un objet dans lequel « chacun investit ses propres utopies et
devient le sujet de représentations totalement disjointes » (Flichy, 2003a, po. 226). Il
correspond à une phase d'indétermination dans les projets individuels de chaque
acteur. Prenons l'exemple suivant de Flichy (1995) aux fins de compréhensions :
Les promoteurs du disque optique (CD-Rom) qui n'ont pas conçu ce produit spécifiquement pour le multimédia, voient là une occasion de dynamiser leurs appareils. Fabricants et éditeurs proposent l'équation multimédia = CD Rom. De son côté, l'industrie du matériel informatique voit dans le multimédia la possibilité de lancer une nouvelle gamme d'ordinateurs. [ ... ] Pour les opérateurs de réseaux, le multimédia devient également une occasion de diversification. [ ... ] Certains utilisateurs potentiels de services de télécommunications voient dans le multimédia la possibilité de relancer des projets d'usages spécifiques qui, jusqu'à maintenant, n'avaient jamais trouvé leur maturité. Les agences d'aménagement du territoire ressortent leurs projets de télétravail [ .. . ] (Flichy, 1995, pp. 226-227).
Dans cet exemple, les espoirs placés dans le multimédia dépassent largement ce que
peut offrir un acteur. Chacun des acteurs a sa propre " imagination" du multimédia et
anticipe ce qu'il devrait être en terme de projet. Il propose et " pousse " alors son
68
propre projet en fonction de ses intérêts, ses compétences, ses expériences, ses
activités propres. Dans ce sens, le projet commun qui sera défini à l'issue de la
confrontation des projets individuels doit rejoindre à des degrés divers les intérêts de
chaque acteur, du moins des acteurs-clés. Ce projet commun est un objet-valise.
L'objet-valise est un projet commun, un imaginaire commun (Flichy, 1995)
qui se caractérise par ce que Bijker (1993, 2010) appelle une flexibilité interprétative.
Pour mieux comprendre cette notion, Bijker (2010) prend l'exemple de la bicyclette
« ordinaire » :
In the case of the 'ordinary' bicycle: there was the 'unsafe' machine (through the eyes of women) and there was the 'macho ' machine (through the eyes of the young male 'ordinary ' users). For women the bicycle was a machine in which your skirt got entangled and from which you frequently made a steep faU; for the 'young men of means and nerve ' riding if, the bicycle was a machine to impress lady-friends (p. 68).
Autrement dit, la bicyclette « ordinaire» est l'objet de différentes interprétations qui
se traduisent par divers projets individuels souvent disjoints. Partant de là, nous
considérons aussi que l'ID a les caractéristiques d'un objet-valise à l'issue de la
confrontation des projets d'ID individuels: c'est un projet d'ID commun. Pourquoi?
Tout comme le multimédia, l'opportunité d'ID doit traverser une phase
d'indétermination afin de devenir un projet d'ID, un objet-valise. En raison de
l'implication de plusieurs acteurs aux intérêts environnementaux, sociaux et
économiques différents, voire opposés, l'opportunité d'ID détectée par le dirigeant
développeur d'ID est soumise aux projets d'ID individuels des acteurs. Dans ce sens,
plusieurs projets d'ID sont possibles, bien que le caractère innovant et l'opportunité
69
d'ID demeurent prioritaires. Le travail du dirigeant consiste alors à définir un projet
d'ID commun: un objet valise. Ainsi, la définition d'un objet-valise nécessite que le
dirigeant mette l'accent à la fois sur son travail d'agent de liaison pour entrer en
contact et recueillir les projets individuels des acteurs et celui d'entrepreneur pour
exploiter l'opportunité d'ID en participant à sa transformation en projet d'ID.
2.3.2 Le travail du dirigeant dans la définition d'un objet-valise
Un projet d'ID peut être considéré comme un projet d'amélioration. Pour
Mintzberg (1984), l'expression" projet d'amélioration Il est utilisée « pour désigner
une séquence d'activités destinées à améliorer une situation organisationnelle
particulière, à exploiter une opportunité, à résoudre un problème » (p. 116). Partant de
là, nous définissons l'expression Il projet d'ID" comme ce que l'on propose de faire en
vue d'exploiter une opportunité d'ID, de résoudre un enjeu de DD. La proposition
peut être l'ébauche d'un plan, d'une activité ou un prototype de produit. Cela dit, à la
phase de l'objet-valise, le dirigeant de PME met l'accent sur le travail d'entrepreneur
et en partie sur celui d'agent de liaison. Le travail d'entrepreneur consiste à
transformer l'opportunité d'ID en projet d'ID. Celui d'agent de liaison - en soutien -
contribue à réduire la flexibilité interprétative (Bijker et al. , 2012) qui caractérise
jusque-là le projet d'ID en raison des interprétations ou des projets disjoints des
acteurs mobilités. Le tout permet de définir un objet-valise: un projet d'ID commun.
En tant qu'entrepreneur, le dirigeant :
Prend l'initiative et assure la conception de la plupart des changements contrôlés affectant son organisation, Le terme' contrôlé' est utilisé ici pour signifier que ce rôle comprend toutes les activités dans lesquels le [dirigeant] effectue des changements de son propre chef: il exploite des opportunités, il résout des problèmes (Mintzberg, 1984, p. 88).
70
Le dirigeant effectue des changements contrôlés en tenant compte des acteurs
qui peuvent lui permettre d'obtenir des faveurs, des informations et des ressources.
Selon Mintzberg (1984), le dirigeant peut choisir de s'impliquer dans un projet
d'amélioration à trois niveaux:
A. La délégation : Le dirigeant délègue ses responsabilités dans certains projets d'amélioration qui portent moins à conséquences;
B. L'autorisation: Le dirigeant effectue un contrôle plus étroit dans certains projets d'amélioration comportant des risques ou à cause d'un précédent marquant.
C. La supervision : Le dirigeant assume la responsabilité et la supervision du projet d'amélioration pour plusieurs raisons, soit parce que les intérêts de puissants acteurs peuvent être affectés, parce qu'il a un intérêt tout particulier dans le projet, parce que le projet entraine des changements importants dans un département sous sa responsabilité, parce que le projet requiert des ressources importantes ou comporte un risque de perte des ressources, parce que le projet à des résonnances délicates en terme de valeurs.
Le dirigeant de PME qui souhaite développer une ID peut VOlr les
interprétations disjointes des acteurs comme une ressource pour l'action. Par exemple,
grâce à son travail d'agent de liaison, le dirigeant va au contact des acteurs externes et
internes pour recueillir leurs interprétations et projets individuels. Par la suite, il peut
décider de prioriser le projet qui permet de mieux exploiter l'opportunité d'ID. Il peut
opter pour le projet recueillant les faveurs des acteurs qui vont l'aider à obtenir des
ressources pour réaliser plus tard l'objet-valise. Ou, le dirigeant peut privilégier le
projet d'un acteur parce que celui-ci correspond à ses valeurs et convictions, ses
expériences, sa formation.
71
Cependant, la réduction de la flexibilité interprétative du projet d'ID et la
structuration d'un objet-valise entrainent leur lot de réticences, de frustrations, de
remise en cause de dispositifs établis (p. ex. : expertise, habitude de consommation,
équipements). Dans ces conditions, les confrontations sont inévitables (Flichy, 1995;
Pinch et Bijker, 2012). La confrontation peut être définie comme la mise en présence
physique ou non de deux ou plusieurs acteurs, dont les compréhensions d'un même
phénomène sont différentes voire opposées, dans le but de comparer et de
comprendre les contradictions ou les convergences de leurs versions (Flichy, 1995).
À la phase de l'objet-valise, les confrontations apparaissent et sont résolues
essentiellement au moyen du discours (Flichy, 1995) ou par la rhétorique (Pinch et
Bijker, 2012), puisque l'ID n'est qu'un projet ou un prototype. Pour alléger les
confrontations, le dirigeant doit mettre l'accent ~ur le travail de négociateur une des
facettes de l'activité d'entrepreneur et d'agent de liaison. En tant que négociateur, le
dirigeant-développeur d'ID prend les choses en mains (Florén et Tell, 2004, 2012;
O'Gonnan et al., 2005). Il influence les acteurs et résout les confrontations par son
pouvoir. Les confrontations qui caractérisent la période d'indétennination que
constitue la phase de l'objet-valise peuvent ne pas être résolues. Dans ce cas, la
période d'indétennination s'achève d'elle-même sans permettre d'aboutir à la
définition d'un objet-valise (Flichy, 1995). Par contre, si les confrontations qui
entourent la définition d'un objet-valise ont su être levées par le dirigeant, la période
d'indétennination peut déboucher sur une période de concrétisation: c'est la phase de
l'objet-frontière (Ibid.).
2.4 La phase de l'objet-frontière
La phase de l'objet-frontière est une période de concrétisation qUi VIse à
« transformer un objet-valise en un objet-frontière, il y a tout un travail spécifique à
72
effectuer» (Flichy, 1995, p. 228). Le travail consiste à " intéresser" des acteurs dont
les ressources sont pertinentes ou importantes pour la réalisation l'objet-frontière. Ce
travail est particulièrement dévolu à « certains individus qui jouent un rôle important
de médiation» (Flichy, 1995, p. 229). En contexte de PME, le dirigeant fait partie de
ces individus, parce qu'il est l'acteur central de son entreprise. Dans ce sens, à l'image
du gestionnaire de Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman et al. (2005), le dirigeant
de PME-développeur d'ID met un accent particulier sur le travail d'agent de liaison
sous certaines facettes (négociateur, acquéreur de ressources). La phase de l'objet
frontière et le travail du dirigeant sont indiqués dans le modèle présenté à la figure Il.
Figure Il Modèle partiel du travail du dirigeant à la phase de l'objet-frontière
Intéressement à l'objet- +-frontière
1
Enjeux de ~-)
Observateur ~-) Entrepreneur ~-)
Agent de ~-)
Innovation DD actif liaison durable
l Phase de l'objet-frontière ~
À travers le modèle présenté plus haut, la question qui se pose est de savoir:
En quoi consiste le travail d'intéressement et de quelle manière le dirigeant de PME
parvient à faire d'un objet-valise un objet-frontière? Dans les sections qui suivent,
nous expliquons ce modèle en présentant le concept de l'objet-frontière puis le
modèle de l'intéressement caractéristique du travail du dirigeant à la phase de l'objet
frontière.
73
2.4.1 L'objet-frontière
Le concept de l'objet-frontière (boundary object) a été forgé par Star et
Griesemer (1989). Pour mieux comprendre ce concept, reprenons l'exemple du projet
de musée de zoologie des vertébrés de l'université de Californie à Berkeley étudié par
Star et Griesemer (1989).
Face à la disparition de la flore et de la faune de la Californie, le chercheur,
Joseph Grinnell entreprend avec le soutien financier d'Annie Alexander (riche
héritière et naturaliste amateur) des actions en vue d'éviter cette disparition. Pour ce
faire, Grinnell initie un projet innovant et mobilise différents acteurs issus d'univers
variés : des biologistes, des professeurs, des gestionnaires d' université, des
collectionneurs amateurs de spécimens naturels, des trappeurs, des commanditaires
privés et mécènes, du personnel occasionnel, des autorités publiques, des membres
d'un club scientifique et même des animaux. Les préoccupations de ces acteurs
portent entre autres sur la protection d'espèces et de sous-espèces de mammifères et
d'oiseaux, la promotion de l'État de Californie, l'influence des facteurs
environnementaux (p. ex.: la température, la pluie et l'humidité), la préservation des
milieux de vie des espèces animales collectées. Ainsi, la disparition de la faune de la
Californie est l'enjeu englobant les préoccupations de tous ces acteurs « intéressés »
par le projet de musée dont Grinnell et Alexander sont les promoteurs. Pour résoudre
cet enjeu, Grinnell va travailler en vue de faire passer ce projet à la réalité: un objet
frontière.
Cet exemple nous apprend d'abord que l'objet-frontière se définit comme un
objet positionné à l' intersection de plusieurs acteurs issus d'univers différents, qui
satisfait en même temps et de manière adéquate et suffisante aux exigences de chacun
74
d'entre eux (Star et Griesemer, 1989). Plus précisément, l'objet-frontière a les
caractéristiques suivantes communes à plusieurs acteurs:
A. l'objet-frontière a une forme matérielle ou immatérielle précise;
B. l'objet-frontière a une structure partagée;
C. l'objet-frontière est le centre d'arrangements.
Premièrement, à propos de la forme, le terme de frontière réfère à « un espace
partagé, le lieu précis où les sens de l' ici et du là-bas se rejoignent » (Star, 2010, p.
20). C'est pourquoi l'objet-frontière répond à la fois à différentes préoccupations et
par conséquent transcende divers univers d' intérêts. La forme à la fois multiple,
marginale et modulaire de l'objet-frontière est illustrative de sa structure partagée,
deuxième caractéristique. Pour mieux comprendre cette structure partagée, prenons
l'exemple d'une feuille de route dont la fonction est de guider des personnes :
Une feuille de route peut indiquer le chemin, pour un groupe, vers un lieu de campement ou un espace de récréation. Pour un autre groupe, la « même» feuille de route peut suivre une série de sites géologiques importants ou des habitats animaliers pour des scientifiques. [ ... ] De telles cartes peuvent avoir l'air similaires, se recouper, voire paraître impossibles à différencier pour un regard extérieur. Leurs différences dépendent de l'utilisation et de l' interprétation de l'objet (Star, 2010, p.19).
Bien qu'il ait des caractéristiques définitives, l'objet-frontière a une structure
partagée parce qu' il peut répondre à des usages multiples de divers groupes de
personnes issus d'univers différents. Par ce fait même, l'objet-frontière est aussi
adaptable même lorsqu'il a une forme matérielle fixe. C' est le cas du musée de
zoologie des vertébrés. Pour Grinnell et d'autres scientifiques, ce musée sert de
laboratoire naturel de recherche. Pour les gestionnaires de l' université, c'est un
75
support à leur mission de service public. Pour les trappeurs qui sont associés au
laboratoire, c' est une opportunité de légitimation et de survie en inscrivant leurs
activités dans une perspective de support à ce que font les scientifiques.
Enfin, tous les objets ne sont pas des objets-frontière. À ce propos, selon
Flichy (1995), l'objet-frontière est « le résultat des contraintes venant d'un cadre de
référence plus large, de rapprochements hasardeux et de l'action des acteurs.
L'innovation continuera à se développer. Différentes gammes d'objet [frontière] se
mettront en place. L'incertitude est plus faible [ ... ] » (p. 230). En clair, l'objet
frontière en est un parce qu'il est au centre d'arrangements souvent couteux entre des
acteurs (Star, 2010). Ces arrangements ne sont possibles que par un travail
d'intéressement (Star et Griesemer, 1989) opéré par les promoteurs de l'objet
frontière. En contexte de PME, c'est au moins en grande partie le travail du dirigeant
qui agit comme un agent de liaison.
2.4.2 Le travail de concrétisation de l'objet-frontière
Tout comme à la phase de l'objet-valise, le travail de concrétisation de l'objet
frontière apporte aussi son lot de confrontations. Cependant, à la phase de l'objet
frontière les confrontations apparaissent:
Non plus seulement au niveau du discours, comme dans la phase de l'objet-valise, mais au niveau des réalisations techniques. Le courant alternatif s'oppose au courant continu, le gramophone au phonographe, les calculateurs numenques aux calculateurs analogiques. [ ... ] Chacun de ces conflits ne correspond qu'à une appréhension partielle de l'objet technique, à tel ou tel élément de son fonctionnement ou de son usage. Aussi leur résolution ne peut-elle être assurée localement, elle doit être organisée globalement (Flichy, 1995, p. 229).
76
Selon Pinch et Bijker (2012), les promoteurs d'une innovation peuvent, en
plus de la rhétorique, résoudre les confrontations par un déplacement ou une
redéfinition technique ou morale. Pour mieux comprendre cette façon de résoudre des
confrontations, reprenons deux exemples de l'histoire du développement de la
bicyclette de Pinch et Bijker (2012) :
A. Une [première confrontation] portait sur la question des pneus gonflés à l'air. Les défenseurs de cette solution prétendaient qu'elle permettait d' éviter les vibrations des roues, alors que d'autres acteurs estimaient qu'il s'agissait d'un accessoire horrible qui dénaturait l' aspect de la bicyclette. Les partisans du pneu imposèrent leur système en montrant qu'il résolvait un autre problème, celui de la vitesse.
B. [Dans une autre confrontation], plusieurs constructeurs ont mis au point des modèles spécifiques permettant à des femmes de faire de la bicyclette en jupe longue [le port du pantalon était mal perçu dans certains milieux notamment dans les milieux religieux]. Il s'agissait en quelque sorte de monter une bicyclette en amazone
(Flichy, 1995, p. 86).
Comme nous pouvons le voir dans ces deux exemples de l'histoire de la
bicyclette, des constructeurs font une redéfinition technique de l'objet-frontière (des
pneus gonflés à l ' air vers un autre système, pour éviter les vibrations des roues).
Certains opèrent cette redéfinition en avançant des raisons esthétiques (les pneus
gonflés à l'air sont un accessoire horrible qui dénaturait l'aspect de la bicyclette).
D'autres constructeurs proposent des modèles de bicyclette montés en amazone pour
permettre aux femmes en jupe longue de l'utiliser. Ici, la redéfmition de l'objet
frontière répond à des raisons d'ordre moral dans un contexte (au 1ge siècle) où le
port du pantalon était « mal perçu » voire interdit dans certains milieux.
À l'image des promoteurs de la bicyclette, le dirigeant-développeur d'ID
effectue un travail de médiation qui requiert des capacités de négociateur pour
77
résoudre les confrontations tout en " intéressant" les acteurs du réseau ainsi constitué.
Selon Flichy (1995) :
Ce travail de médiation nécessite une connaissance suffisante des différents [acteurs] concernés, pour trouver une solution acceptable par chacun. Cette médiation peut correspondre soit à un compromis (comme dans le cas du lancement du disque compact par Philips et Sony), soit à une capture (Marconi utilise les ondes hertziennes, objet de laboratoire, pour faire de la télégraphie sans fil). À l'issue de ces médiations, le cadre sociotechnique se solidifie et l'on assiste à un verrouillage sociotechnique (p. 229).
Toutes ces médiations ressemblent bien, au moins en partie, à ce que Akrich et
al. (1988) qualifient de travail d'intéressement (p. ex.: Philips pour la conception du
disque et Sony pour la définition du format, s'intéressent mutuellement en lançant
conjointement le disque compact, après quelques confrontations sur le format disque).
Le travail d'intéressement s'inscrit dans le modèle de l'intéressement. Selon Akrich et
al. (1988), « le modèle de l'intéressement met en scène tous les acteurs qui se
saisissent de l'objet ou s'en détournent et il souligne les points d'accrochage entre
l'objet et les intérêts plus ou moins organisés qu'il suscite » (p. 22).
Partant de là, nous considérons que l'ID est celle qui va « intéresser » les
acteurs parce que ses caractéristiques rejoignent à des degrés divers leurs demandes,
leurs intérêts, leurs projets. En clair, l'ID « c'est l' art d' intéresser un nombre croissant
d' alliés qui vous rendent de plus en plus fort » (Akrich et al. , 1988, p. 17). La
cOncrétisation de l'objet-frontière est finalement un travail d'intéressement, car les
acteurs ne renoncent ni à leur identité ni à leurs intérêts propres. Dans ces conditions,
la question est de savoir comment le dirigeant s'y prend pour intéresser des acteurs à
un objet-frontière? Nous résumons les réponses à cette question dans le tableau 9.
78
Tableau 9 Résumé du travail d'intéressement du dirigeant-développeur d'ID
Travail d'intéressement Description
Définir ou construire des points de Il s'agit de définir des dispositifs propres au fonctionnement
passages obligés technique et à l'usage de l'objet-frontière, mais communs à tous les acteurs.
Acquérir/repartir des investissements Il s'ag it d'identifier les coûts ou sacrifices consentis par les
de formes spécifiques acteurs mobilisés afin d 'acquérir ou de répartir les investissements requis pour la réalisation de l'objet-frontière.
Il s'agit d'attribuer des tâches aux acteurs du réseau afm qu'ils deviennent des acteurs proactifs d'un projet qui ne peut
Enrôler les acteurs du réseau et de fonctionner sans eux. Ii s'agit aussi d'identifier de nouveaux nouveaux acteurs. acteurs qui deviendront des alliés. Plus les alliés sont
nombreux plus la réalisation de l'objet-frontière devient irréversible et permet de le solidifier.
Selon le tableau présenté ci-dessus, le travail d'intéressement que doit
effectuer le dirigeant de PME consiste à a) définir ou construire des points de
passages obligés, b) acquérir/repartir et consentir à des investissements de formes
spécifiques et c) enrôler des acteurs-clés existants ou nouveaux.
Les points de passages obligés. Un objet-frontière comporte plusieurs points
de passages obligés (Star et Griesemer, 1989; Akrich et al. , 1988). Le travail du
dirigeant en tant qu'agent de liaison est de déterminer ou de construire les points de
passages obligés de l'objet-frontière. Ce sont des dispositifs matériels ou immatériels
obligatoires et communs par lesquels tous les acteurs passent ou utilisent quels que
soient leurs usages individuels de l'objet-frontière. Par exemple, le point de passage
obligé peut être un guide technique, un manuel d'assemblage, une formation
spécialisée, un équipement technique particulier ou un lieu physique requis pour le
fonctionnement ou l'usage de l'objet-frontière. Les points de passages obligés sont
donc un instrument de coordination entre des acteurs mobilisés autour d'un objet
frontière tout comme les investissements de forme.
79
Les investissements de forme. La réalisation technique d'un objet-frontière
nécessite des investissements qui requièrent que le dirigeant joue un rôle
d'acquéreur/répartiteur de ressources. Thévenot (1986b y puis Callon (1989) ont une
conception élargie de la notion d'investissement à laquelle nous souscrivons. Ces
derniers parlent surtout d' investissement de forme. En effet, Thévenot (1986b) définit
l'investissement « comme l'établissement, coûteux, d'une relation stable pour une
certaine durée. [Elle peut s'appliquer à toute organisation ou] toute personne engagée,
pour un certain temps, par le sacrifice de la satisfaction immédiate de ses désirs » (p.
27).
Le terme " couteux " renVOle à un coût financier (p. ex.: ressources
financières) ou non financier (p. ex.: un sacrifice, une concession). La forme, produit
de l'investissement, se définit comme « l'objet, qui, en jouant un rôle
d'instrumentation, rend possible la stabilisation d'une relation» (Ughetto, 2000, pp.
53-54). Parmi les investissements de formes 14, nous retenons l'investissement de
forme spécifique (p. ex.: argent, matériels, temps, informations, connaissances,
normes, règlements, procédures, documents) nécessaire à la production d'un bien ou
d'un service et plus adapté au contexte de l'entreprise (Ughetto, 2000). L'existence des
investissements de formes spécifiques montre que l'ID n'est plus l'enfant du dirigeant
de PME, mais un objet-frontière auquel collaborent différents partenaires qui seront
enrôlés.
L'enrôlement des acteurs. L'enrôlement est l'activité pendant laquelle le
promoteur de l'objet-frontière tente d'impliquer concrètement chacun des acteurs. Ici,
le travail d'intéressement consiste à assigner une tâche précise à des acteurs du réseau
de façon à faire d'eux des acteurs actifs (plutôt que passifs) d'un processus qui ne
14 Il en existe trois types de forme selon Thévenot (1986b) dont les formes d'État tel qu'un diplôme qui permet de mettre différents acteurs à un même niveau d'équivalence, les formes intermédiaires comme un programme éducatif auquel différents acteurs peuvent accéder et les formes spécifiques.
80
peut fonctionner sans eux. L'enrôlement va aussi consister à élargir le réseau à de
nouveaux acteurs afin de le solidifier et de rendre irréversible la réalisation de l'objet
frontière. Dans ce sens, « l' enrôlement est un intéressement réussi » (Callon, 1986, p.
189). Par exemple, c'est l' absence d'enrôlement de nouveaux acteurs qui a été à la
base de l'échec d'Aramis, un projet visant la réalisation d' un métro révolutionnaire en
France, compromis entre le transport individualisé et le transport en commun. En
effet, dans l' analyse post mortem d'Aramis, Latour (1999) constate que bien que le
projet n'ait jamais été délaissé pendant près de vingt ans, sa mort a été inévitable en
raison du manque d'élargissement du réseau à d'autres acteurs.
Au terme de ce cadre théorique au cours duquel nous avons présenté trois
modèles partiels du travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID, nous
pouvons présenter maintenant un modèle complet de ce travail à la figure 12. Ce
modèle s'interprète comme suit :
A. En tant qu'observateur actif, seul ou avec d'autres acteurs, le dirigeant identifie, perçoit un enjeu de DD prioritaire (parmi 15 principaux enjeux environnementaux et sociaux). Et, à l'aide de son travail d'entrepreneur, il construit à partir de l'information liée à l'enjeu de DD une opportunité d'ID : c'est la phase de la préhistoire de l'ID;
B. En tant qu'entrepreneur, il redéfinit (ou non) ensuite l'enjeu de DD et l'opportunité d'ID au contact des acteurs internes et externes. Cette démarche est facilitée par son travail d'agent de liaison. Ce travail lui a permis de relier son entreprise avec les acteurs de son environnement externe, mais aussi de résoudre (comme négociateur) les confrontations éventuelles. Le dirigeant a maintenant un projet d'ID rejoignant à des degrés divers les interprétations des acteurs : c'est la phase de l'objetvalise;
C. En tant qu'agent de liaison, le dirigeant transforme l'objet-valise en un objet-frontière grâce à la mobilisation d'acteurs-clés du réseau ainsi constitué au terme de la phase de l'objet-valise. Cette démarche nécessite souvent la résolution d'autres formes .de confrontations notamment techniques, mais surtout que le dirigeant de PME effectue un travail d'intéressement où les activités de négociateur sont cruciales à l'acquisition
81
de ressources et à la concrétisation de l'ID c'est la phase de l'objetfrontière.
Figure 12 Modèle initial du travail du dirigeant dans le développement d'ID
Enjeux de DO
r Intéresser les acteurs à l'objet-rrontière
~----'
r--------lL...---,
Identifier l'enjeu de DO prioritaire et l'opportunité
1
Observateur actif
1
~-)
Phase de la préhistoire
Définir un objet-valise
Entrepreneur
Phase de l'objet-valise
Agent de liaison
Phase de l'objet-frontière
~-) Innovation
durable
J l Temps .-------------------- --------------------------- ---->
to tl tn
Par ailleurs, c'est au fil du temps que l'ID naît, prend forme, se développe et se
« solidifie ». Le développement de l'ID est donc un processus dans lequel la
dimension temporelle ne peut être ignorée, au moins en partie. De plus, il faut
signaler que la complexité du développement d'une ID fait que le travail du dirigeant
est récursif, fait d'allers et retours et par conséquent non-linéaire.
82
En conclusion, le cadre théorique proposé s' est certes beaucoup inspiré des
travaux des chercheurs issus de la nouvelle sociologie des sciences et des techniques
dont Bijker, Akrich, Callon et Latour, de ceux provenant de la sociologie
interactionniste des sciences tels que Star et Griesemer auxquels nous ajoutons
Flichy. Il s'est aussi « enraciné » dans les travaux de Florén et Tell (2004, 2012) et
O'Gorman et al. (2005) concernant le travail du dirigeant (Mintzberg, 1984) de PME.
Ce cadre théorique nous permet de décliner dans la section suivante les objectifs et
questions spécifiques de notre recherche.
3. OBJECTIFS ET QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE
Les résultats de notre étude préliminaire confirment les préoccupations des
dirigeants de PME canadiennes sur la question de savoir comment développer des ID.
Ils suggèrent surtout de mettre un accent sur deux points importants dans l' étude des
ID dans les PME.
Premièrement, une attention particulière devrait être portée au processus d'ID.
Or, les connaissances à ce niveau sont insuffisantes. Ceci confirme ce que Hall (2002)
affirmait à savoir : « bien que l' innovation durable soit une opportunité
d'amélioration environnementale et sociale, elle reste insuffisamment expliquée » par
les chercheurs (p. 195, notre traduction). Particulièrement, dans le contexte des PME,
« il y a encore peu de recherches sur la façon dont les innovations durables sont
développées, malgré les politiques et les stratégies déployés par les dirigeants
d'entreprises » (De Marchi, 2010, p. 1, notre traduction). Bos-Brouwers (2009) finit
par conclure que : " There is a caveat in the literature on sustainable innovation
pro cesses within SMEs " (p. 418). En somme, plus de quinze ans de recherche sur les
ID en contexte de PME n'ont pas encore permis de mieux décrire et comprendre les
processus qui les font exister.
83
Deuxièmement, nos résultats préliminaires suggèrent que pour mIeux
comprendre le développement des ID dans les PME, il faut se focaliser sur le travail
du dirigeant. Cette démarche se justifie pour deux raisons dont l' une est liée au DD et
l' autre à la PME. D'une part, nous savons que tout projet s' inscrivant dans une
logique de DD comporte dans sa mise en œuvre des « controverses scientifiques et
idéologiques qui ne peuvent trouver d' issues que dans le débat (la détermination
d'objectifs partagés) » (Pasquero, 2008, p. 3). D'autre part, ce qui distingue les PME,
du moins en ce qui a trait à l' innovation ce sont entre autres les relations de
proximité, l'importance qu'y prennent les collaborations externes en raison de la
relative pauvreté des ressources internes, et l' omniprésence du dirigeant. À ce propos,
nous retenons le rôle pivot que joue le dirigeant de PME (Florén et Tell, 2004, 2012;
O'Gorman et al. , 2005) notamment dans un processus d'ID (Bos-Brouwers, 2010;
Dangelico et Pujari, 2010; Del Brio et Jùnquera, 2003; Klewitz et Hansen, 2014). Ce
dernier a une influence considérable sur la conduite de ce processus. Ainsi par son
travail, le dirigeant de PME contribue sans aucun doute au développement des ID
dont il est à l'origine ou non. Dans ces conditions, il n'est pas souhaitable de faire fi
de ce que font les dirigeants de PME pour développer des ID.
Cependant, ce que nous continuons de voir, à l'issue de la revue de littérature
sur l'ID dans la PME, c'est que presqu' aucune recherche ne s'est intéressée à ce que
font les dirigeants de PME pour développer des ID, et encore moins, à partir de
recherches sur le terrain. Or, en sciences de la gestion et encore davantage lorsqu' il
est question de PME, les points de vue et les actions de ces dirigeants sont importants.
Toutefois, pour arriver à suivre, comprendre et expliquer ce que font ces dirigeants, il
faudrait mobiliser des cadres théoriques appropriés. C'est ce que nous avons fait en
nous appuyant sur des approches de construction sociale de la technologie (modèles
de l'objet-valise, de l'intéressement et de l'objet-frontière) et en " suivant à la trace" le
dirigeant de PME tout comme l'ont fait Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman et al.
(2005).
84
Cela dit, l'analyse du travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID
mérite d'être approfondie au-delà de l'étude préliminaire menée dans le cadre de
notre résidence en entreprise et de cette armature théorique. Pour ce faire, nous avons
entrepris de mener des études sur le terrain avec en tête les objectifs spécifiques
suivants et les questions de recherche présentées au tableau 10 :
A. Suivre en les retraçant des processus d'innovation durable en contexte de PME dans une approche de construction sociale;
B. Décrire le travail du dirigeant de PME (et son équipe) dans ces processus;
C. Expliquer en quoi et de quelles manières le travail du dirigeant contribue au développement de l'ID.
Tableau 10 Résumé des questions spécifiques de recherche
Phase du processus Travail du dirigeant Questions spécifiques
En quoi consiste le travail d'observateur actif du dirigeant de Identification de PME?
Préhistoire de l'ID l'enjeu de DO et de l'opportunité d'ID
De quelle manière le dirigeant sélectionne-t-il un enjeu de DO ?
En quoi consiste le travail d'entrepreneur et d'agent de liaison du
Définition d'un objet- dirigeant de PME? Objet-valise
valise De quelle manière le dirigeant participe-t-il à la définition d'un objet-valise?
En quoi consiste le travail d'agent de liaison du dirigeant de
Concrétisation de PME?
Objet-frontière l'objet-frontière De quelle manière le dirigeant participe-t-il à la concrétisation
de l'objet-frontière ?
Dimension temporelle Développement de l'ID De quelle manière le temps influence-t-ille travail du dirigeant et comment celui-ci y fait face?
Au total, pour apporter des éléments de réponses à ces questions spécifiques
de recherche, un cadre opératoire ou une méthodologie appropriée au cadre théorique
s'avère nécessaire. C'est l'objet du troisième chapitre.
TROISIÈME CHAPITRE
CADRE OPÉRATOIRE
Selon Gauthier et al. (2006), « la méthodologie de la recherche englobe à la
fois la structure de l'esprit et de la forme de la recherche, et les techniques utilisées
pour mettre en pratique cet esprit et cette forme » (p. 8). En clair, l'élaboration d'une
méthodologie de recherche est une démarche en trois grandes étapes. La première est
l'identification de la structure de l'esprit qui renvoie à la stratégie de recherche choisie
par le chercheur. La seconde étape concerne la structure de la forme de cette
recherche, soit le design de la recherche. Et, la dernière étape porte sur le choix des
techniques utilisées pour mettre en pratique la stratégie et le design de la recherche,
soit la méthode de recherche. Chacune de ces trois grandes étapes d'une méthodologie
de recherche constitue les sections de ce chapitre. Le tableau Il présente la
méthodologie de recherche à travers ses caractéristiques, leurs descriptions
correspondant aux choix opérés et les objectifs.
Ta~leau Il Caractéristiques de la méthodologie de recherche
Caractéristique Description Objectifs
Comprendre en quoi et de quelles manières Positionnement Constructiviste s'effectue le travail du dirigeant de PME dans
le développement d'JO
Stratégie de recherche Qualitative Explorer des processus d ' JO
Design de recherche Multicas Sélectionner sept cas d' JO développées récemment
Méthode de recherche Analyse de processus Décrire le processus d'[D au fil du temps
86
Ainsi, dans la première partie de ce chapitre, la stratégie de recherche est
présentée. Compte tenu des objectifs de recherche et de l' objet d ' étude, cette stratégie
est qualitative. Nous justifions ce choix au regard de la problématique managériale.
Ce choix n' est pas neutre quant à la nature du design suggéré par la suite. Le design
de recherche est l'objet de la seconde partie de ce chapitre. La présente recherche fait
le choix d'un design comparatif. Celui-ci renvoie précisément à l' étude de sept cas
d'innovations durables dont les histoires ont été reconstituées à travers des entretiens
avec les dirigeants et des documents. La troisième partie présente la méthode de
recherche. L'analyse de processus comme méthode de recherche, le modèle d'analyse
des données et les critères de qualité de la recherche sont les trois sections qui
meublent cette partie. Enfin, la dernière partie de ce chapitre s'attarde sur les
considérations éthiques.
1. STRATÉGIE DE RECHERCHE
Bien que, la stratégie tout comme le design et la méthode de recherche «
n'appartiennent plus à la discipline ou au paradigme où ils sont nés, mais deviennent
des procédures dont l'utilisation est laissée à la libre appréciation du chercheur [ ... ],
les choix opérés ne doivent pas compromettre la cohérence globale du projet de
recherche entrepris » (Thiétart et al., 2007, p. 148). Puisque nos données portent sur
des mots et, pour préserver la cohérence de notre recherche avec le paradigme
constructiviste choisi, nous avons fait le choix d'une stratégie de recherche
qualitative. Celle-ci présente les caractéristiques générales parmi lesquelles
l'exploration et la description en sont les principales. Nous les expliquons à la suite
de la figure 13 qui résume ces caractéristiques.
87
Figure 13 Caractéristiques de la stratégie de recherche
Exploratoire À Degré de crh,"1atl isation du llcoblèm c
~ ... ,. --..... , ......... ... , -------............ Formelle
Observation :rvlétlux le de collecte des dOJUlées .. ... w.~
Ques tionnement
E , - 1 C<llltrôlc. de.s , artables "'/'4 . xperunenta e .... "". --_ ....... ~~ .... ~;;;;.;;;; .... _.......,;:~. Ex post facto
Descriptive -4::! ........... QQj~r!f4el ' ç~ud~ .. If' Causal
SedionneUe ~i .. ... w . .. ..........• rç.!'l!pÇ\:tiYç l~mP9!iiJ!l ........ .... ..................... .. w. '''' . c. IAllgitudin3.le
Étude de cas ~! .'. É~ç!ldge de):#u4~ . . . ' Analyse statistique
Naturel .. . . ' Artificiel
Aucune
Source: Élaboré à partir du modèle de Cooper et Schindler (1998, pp. 130-134)
1.1 L'exploration et la description des processus d'ID
En science de gestion, et particulièrement en ce qui concerne l'étude des ID
dans les PME (Klewitz et Hansen, 2014), la stratégie de recherche qualitative se prête
bien à l'exploration et la description de phénomènes peu, mal connus ou même
inconnus (Thiétart et al., 2007). Le chercheur ignore alors ce qu'il va mettre à jour au .
sujet de l'objet théorique (Ibid.) , soit l'ID dans notre recherche. Dans cette recherche,
nous avons réalisé une exploration hybride des processus d'ID. Autrement dit, celle
ci a consisté à :
Procéder par allers-retours entre des observations et des connaissances théoriques tout au long de la recherche. Le chercheur a initialement mobilisé des concepts et intégré la littérature concernant son objet de recherche. Il va s'appuyer sur cette connaissance pour donner du sens à ses observations empiriques en procédant par allers-retours fréquents entre le matériau empirique recueilli et la théorie. [ ... ]
L'exploration hybride est une voie qui permet d'enrichir et d'approfondir des connaissances antérieures» (Thiétart et al., 2007, p. 72).
88
Cette définition de l'exploration hybride traduit bien ce qui a été fait dans notre
recherche d'un point de vue à la fois théorique et pratique (sur le terrain).
Au plan théorique, la littérature nous a permis de voir comment les ID dans
les PME ont été étudiées par les chercheurs. Compte tenu des préoccupations des
dirigeants d'entreprise, nous sommes arrivés à la conclusion selon laquelle, ces études
apportent peu ou pas de connaissances sur le processus d'ID, particulièrement sur le
travail du dirigeant de PME. Par ce fait même, nous considérons que le travail du
dirigeant est un phénomène peu ou mal connu. À ce niveau, nous nous sommes
appuyés sur les connaissances existantes dans la littérature sur l' ID dans la PME et
sur des écrits scientifiques complémentaires proches d'une approche de construction
sociale. Cette démarche nous a permis de mettre en évidence trois phases du
développement de l'ID à travers lesquelles le travail du dirigeant de PME s'effectue.
Par la suite, nous nous sommes lancés dans une démarche de description de ce travail.
Comme le soulignent Thiétart et al. (2007), « l'approche qualitative accroit l'aptitude
du chercheur à décrire un système social complexe (Marshall et Rossman, 1989) » (p.
100). Dans ce sens, la description d'un processus aide à mieux comprendre ce que
font les acteurs au fil du temps notamment les dirigeants de PME.
Au plan pratique, à travers la démarche de description, nous avons identifié
trois principales activités caractéristiques du travail des dirigeants-développeurs d'ID.
Ainsi, cette recherche nous a permis de répondre à l' appel de chercheurs dont Klewitz
et Hansen (2014), Margolis et Walsh (2003) et Rennings (2000). En effet, Margolis et
Walsh (2003) et Rennings (2000) ont appelé à développer des recherches plus
89
descriptives que prescriptives pour comprendre comment des dirigeants d'entreprise
intègrent les enjeux environnementaux et sociaux dans leurs stratégies. En particulier,
Klewitz et Hansen (2014) ont appelé à faire plus de recherches sur les processus d' ID
dans les PME (p. ex. : l'apprentissage) et sur les rôles de leurs dirigeants (p. ex. : les
compétences requises). Outre l' exploration et la description, notre stratégie de
recherche qualitative se reconrtaît aussi par d' autres caractéristiques.
1.2 Les autres caractéristiques de la stratégie de recherche
La stratégie de recherche qualitative avait pour but de comprendre et d'en
apprendre sur ce que font des dirigeants de PME pour développer des ID. Par
conséquent, nous nous intéressons d'abord aux interprétations que le dirigeant fait des
enjeux environnementaux et sociaux qui se posent à son entreprise (phase de la
préhistoire). Ensuite, nous cherchons à comprendre comment le dirigeant participe
avec d'autres, en l'initiant et en l'orchestrant, à la définition d'un objet-valise. À
propos des autres acteurs, nous nous sommes tenus aux interprétations que fait le
dirigeant de leurs intérêts, leurs demandes, leurs préoccupations, leurs projets
individuels. Enfin, nous voulons en savoir un peu plus sur le travail d'intéressement
qu'il entreprend afin de concrétiser l'objet-frontière.
Pour y arriver, nos questions et nos échanges étaient orientés vers des thèmes
que nous voulions voir abordés par les dirigeants de PME dans leurs récits des
histoires du développement des ID. Il est important de signaler que nous sommes
aussi restés ouverts à des thèmes émergents. Outre le discours du dirigeant qui a servi
de source de données principale, le récit de l'histoire du développement d'une ID a été
enrichi des discours de certains membres de l'équipe chargée du projet d'ID. En plus
90
de ces discours, d'autres sources de données telles que des documents privés et
publics (écrits ou vidéos) nous ont permis de faire une sorte de triangulation.
Ainsi, par cette démarche nous avons contribué à la reconstruction des récits
des histoires du développement des ID. Cette démarche est cohérente dans une
logique constructiviste où le chercheur co-construit la réalité vécue par les acteurs. La
validation par les dirigeants de ces histoires reconstruites avait pour but de s'assurer
d'être en possession de données reflétant au mieux ce que les acteurs avaient vécu
durant le développement de l'ID. Ce processus permettait de minimiser des biais
associés au travail de reconstitution du chercheur. Cependant, les faits paraissant
pertinents à notre analyse, mais qui pouvaient être « gênants » pour les répondants
étaient conservés dans le respect des engagements pris sur le plan de l'éthique de la
recherche.
Dans la foulée, les dirigeants avaient aUSSI une perception entière de la
recherche. Ils en étaient informés dès le départ dans les courriers électroniques
envoyés, les lettres d'information et de consentement transmises (voir des exemples à
l'annexe D) ainsi que les entretiens téléphoniques préliminaires d'environ 15 minutes,
réalisés. Cette stratégie avait pour but d'amener les dirigeants à mieux comprendre
l'objet d'étude et à les préparer aux entretiens en profondeur. Par ce fait, le chercheur
s'assure aussi que les cas retenus sont pertinents au regard du cadre théorique retenu
et de ses questions de recherche (Miles et Huberman, 2003).
Une fois la stratégie de recherche et ses caractéristiques identifiées, la
méthodologie de recherche consiste à spécifier un design de recherche tout aussi
cohérent. C'est l'objet de la section suivante.
91
2. DESIGN DE RECHERCHE
Selon Creswell (2009), le design de recherche est à l'intersection de la
stratégie de recherche et de la méthode de recherche. Autrement dit, le design
s'inspire de la stratégie de recherche pour dresser le cadre général qui oriente la
méthode de recherche (Bryman, 2001).
Ainsi, à une stratégie de recherche qualitative, il est possible d'associer un
design qualitatif, " if the concept or phenomenon needs to be understood because
little research has been done on it [ .. ] " (Creswell, 2009, p. 18). C'est bien le cas en
ce qui concerne le travail du dirigeant de PME dans le développement d'ID,
phénomène qui a besoin d'être mieux compris dans une approche de construction
sociale. Plusieurs designs qualitatifs sont alors possibles. Cependant, c'est l'étude de
cas multiples que nous avons jugée plus appropriée pour apporter des réponses à nos
questions.
Les sections suivantes auront pour but de présenter la procédure du design de
recherche, soit de a) définir l'étude de cas multiples, b) justifier le recours à un tel
design, et c) voir comment les cas ont été sélectionnés afin de faciliter plus tard la
collecte, le traitement et l'analyse des données. Creswell (2009) recommande de
présenter ces trois points dans la rédaction de toute procédure d'un design de
recherche.
2.1 L'étude de cas multiples
Un cas peut être un objet d'étude particulier quand il possède une valeur
intrinsèque ou une valeur instrumentale parce qu'il offre une nouvelle perspective de
92
connaissance (Stake, 1994). C'est aussi un phénomène donné qui se produit dans un
lieu et à un moment précis (Miles et Huberman, 2003).
En tant qu'objet d'étude ou phénomène, le cas peut donc se présenter sous
différentes formes dans des limites contextuelles (p. ex. : espace) et temporelles
(p.ex. : évènements, processus) définies a priori ou plus tard. Par exemple, le cas peut
être une personne, un produit ou une activité étudiée au sein d'une entreprise au cours
d'une période.
Dans la présente recherche, le cas correspond à une innovation durable déjà
produite ou en cours de l'être dans une PME. En se focalisant sur l' ID comme cas, il
s' agit d'apporter une nouvelle perspective de connaissance sur le travail effectué par
le dirigeant pour développer cette ID. Dans notre recherche, l' étude de plusieurs cas
d'ID a été nécessaire pour explorer et décrire ce travail dans une variété de contextes
(Gagnon, 2005; Yin, 2003).
Cependant, pour Benbasat et al. (1987), il faut en plus s'assurer de la
compatibilité entre un tel design et la problématique managériale. Pour ce faire, les
auteurs suggèrent d'apporter une réponse affirmative à chacune des quatre questions
suivantes:
A. Le phénomène qui est l'objet d' intérêt doit-il être étudié dans son contexte naturel pour être vraiment compris?
B. Faut-il mettre l' accent sur les phénomènes contemporains dans l'étude de cette problématique?
C. La connaissance du phénomène peut-elle être acquise sans avoir à contrôler ou à manipuler les sujets ou les évènements en cause?
D. La base théorique qui existe au sujet de la problématique à l'étude comporte-t-elle des éléments non expliqués?
(Benbasat et al., 1987, p. 372)
93
Les réponses à ces questions permettent alors de justifier le choix de l'étude de cas
multiples comme design de recherche. La section suivante répond à chacune de ces
quatre questions.
2.2 La pertinence d'étudier plusieurs cas d'ID
Premièrement, tout au long de cette recherche, il est apparu très clairement
que pour mieux comprendre un processus d'ID dans une PME, il faut étudier celle-ci
dans son contexte naturel pour être capable de comprendre comment le dirigeant
participe avec d'autres acteurs au développement d'une innovation qui répond à des
enjeux de DD.
Deuxièmement, les préoccupations des dirigeants d'entreprise nous invitent à
mettre l'accent sur des phénomènes contemporains dans l'étude des ID. Au nombre
de ceux-ci, l'étude du travail des dirigeants devrait occuper aujourd'hui une place de
choix. Celle-ci se focalise sur le « comment » et non, seulement, sur le "quoi" et le
"pourquoi" qui caractérisent jusque-là la plupart des recherches sur les ID dans les
PME. À ce sujet, quelques travaux ont soulevé l'intérêt à la fois des chercheurs et des
praticiens en s'intéressant à la dimension processuelle afin de proposer des modèles
de gestion du DD. À propos du dirigeant, pou rappel, Tengblad (2006) soulignait que
des recherches futures doivent permettre de comprendre ce qui particularise le travail
du dirigeant (Stewart, 1989) ainsi que ses aspects processuels qui sont peu étudiés
(Hales, 1986). Dans ce sens, il est pertinent de mieux comprendre, au moins en partie,
94
le travail du dirigeant de PME dans un processus d'ID compte tenu des particularités
de la PME et des façons de faire de son dirigeant (Edwards, 2000, Edwards et al. ,
2005) ainsi que des ID notamment en matière de degré d'impacts environnementaux
et sociaux (Cuerva et al. , 2014; Carrillo-Hermosilla et al. , 2010; OCDE, 2010;
Schaltegger et Burritt, 2005). Au total, l' analyse du travail du dirigeant de PME dans
le processus d'ID s' inscrit dans la démarche consistant à mettre l'accent sur ce qui
préoccupe aujourd'hui les dirigeants d' entreprises. C'est en explorant et en décrivant
plusieurs processus d'ID dans des contextes variés (plusieurs cas) que cela peut être
possible.
Troisièmement, pour avoir une meilleure connaissance du travail du dirigeant
de PME, il faut s'appuyer sur les perceptions et les discours de ce dernier. C'est donc
à travers le filtre du dirigeant, ses propres interprétations et celles qu'il fait des
intérêts et des projets des acteurs impliqués dans le processus d'ID, que ce travail peut
être mieux compris. Pour ce faire, le dirigeant exprime ouvertement ses pensées,
précise ses idées et interprète ses actions ainsi que celles des autres acteurs, à travers
le récit historique du développement de l'ID pour laquelle il a agi comme promoteur.
Dans l'interaction sociale avec le dirigeant de PME, le chercheur se laisse donc guider
afin d' acquérir une meilleure connaissance du phénomène sans avoir besoin de
manipuler ou de contrôler ce dernier.
Quatrièmement, les bases théoriques qui existent au sujet de la problématique
sous étude comportent des éléments non expliqués. Comment les enjeux de DD sont
ils « personnalisés » par les projets individuels des acteurs et du dirigeant? Comment
celui-ci participe-t-il à la définition et à la réalisation d'une ID ? Dans quelle mesure
le temps conditionne-t-il le travail du dirigeant ? Comment celui-ci gère-t-il les
confrontations ? Ce sont quelques questionnements auxquels ne répondent pas les
écrits scientifiques existants. Les analyses faites dans ces écrits sur la base d'une
95
perspective déterministe ne permettent pas d'avoir une meilleure compréhension du
phénomène à l'étude. Pour ce faire , il fallait recourir à d' autres approches et outils
d' analyse théoriques appliqués à plusieurs cas d'ID.
En définitive, l' étude de cas multiples est compatible avec l'objet d' étude, la
problématique et les objectifs de recherche. Cela dit, la section qui suit aura pour but
de montrer comment les cas d' ID ont été sélectionnés.
2.3 L'échantillon de cas d'ID
De façon générale, le choix d' un échantillon de cas dans la population
appropriée doit permettre de contrôler les biais et de définir les limites de
généralisation des résultats de la recherche (Eisenhardt, 1989, p. 537). Dans une
recherche qualitative, l'échantillon peut être construit de façon à permettre, soit la
réplication soit l'amélioration d' un cas à l' autre des aspects du cadre conceptuel
élaboré.
La stratégie d'échantillonnage consiste donc à sélectionner les cas de façon à
mettre en exergue des éléments permettant de mieux comprendre (Wacheux, 1996) le
travail du dirigeant dans le processus d'ID dans une approche de construction sociale.
Ainsi, la sélection des cas d'ID s' inscrit dans le sens des propos d'Eisenhardt (1989)
selon lesquels, " The cases may· be chosen [ .. .] to fil! theoretical categories and
pro vide examples of polar types " (p. 537). Dans un tel type d ' échantillonnage, le
chercheur vise une saturation théorique et non statistique.
96
La saturation théorique est « le moment à partir duquel l' apprentissage
incrémentiel est minime, les chercheurs observant des phénomènes déjà constatés »
(Hlady-R~spal, 2002). Une fois que cette saturation théorique est atteinte, l'intérêt de
mener des études de cas supplémentaires est moins pertinent (Fillol, 2006). Dans
cette logique, le chercheur peut constituer un échantillon de cas varié et limité en
nombre.
C'est ce qu'ont fait Van de Ven et al. (2000) dans l'étude de processus de
plusieurs innovations développées par des entreprises issues de secteurs d'activité
divers. Dans le but d' enrichir leurs analyses, les chercheurs ont choisi une variété
d' innovations telles que des procédés, des produits, des services, des pratiques
d'affaires. À la critique selon laquelle une telle démarche pourrait donner
l'impression de « comparer des pommes avec des oranges », Van de Ven et Poole
(1995) répondent: " We will never know the limits where valid comparisons end and
where invalid comparisons begin unless we empirically examine the broadest
possible range of cases to which our definition of innovation applies " (p. 316).
C'est dans ce sens que nous avons sélectionné une variété d'ID. Ces ID ont été
développées par des dirigeants de PME issues de divers secteurs d'activités. À ce
propos, notre définition de la PME est celle proposée par Statistique Canada en selon
le nombre d'employés (c 'est-à-dire 500 employés ou moins). Par ailleurs, sans nous
lancer dans les subtilités d'une « anthologie » du dirigeant de PME, nous avons
considéré que ce dernier peut être un propriétaire-dirigeant d'une entreprise, un
entrepreneur, un gestionnaire d'entreprise ou un cadre supérieur d'une entreprise qui
décide, initie et est impliqué dans le développement d'une ID. Cela dit, c'est sur la
base de cette stratégie d' échantillonnage que nous avons défini a) le nombre de cas,
b) leurs critères de sélection et finalement c) obtenu sept cas d'ID.
97
2.3.1 Le nombre de cas
En général, Eisenhardt (1989) recommande d'utiliser de quatre à dix cas, si
l'étude souhaite tirer des conclusions riches d'un ensemble de cas. Yin (2003)
propose deux ou trois cas lorsque l'objectif visé est une réplication littérale, c'est-à
dire que l' étude consiste à trouver des résultats similaires dans chacun des cas avec
un degré de certitude moins important (Thiétart et al., 2007). Par contre, quand cette
étude vise à rechercher plus de certitude, il faudrait étendre le nombre de cas à cinq
ou plus (Ibid.).
En particulier, pour l'analyse de processus, Pettigrew (1997) suggère six à 10
cas. Van de Ven et al. (2000) ont étudié 14 processus d'innovation dans une étude
longitudinale s'étendant sur plusieurs années. Pour Miles et Huberman (2003), en
général:
Les chercheurs qualitatifs travaillent avec des petits échantillons [ ... ], nichés dans leur contexte et étudiés en profondeur. Ces échantillons tendent à être orientés plutôt que pris au hasard [ ... ] en partie parce que les processus sociaux possèdent une logique et une cohérence qui sont généralement réduites en poussière et inutilisables en cas d'échantillonnage aléatoire [ ... ] (Miles et Huberman, 2003, p. 58).
Dans cette recherche, nous avons alors limité le nombre de cas à sept pour
trois raisons. Premièrement, le nombre de cas s'inscrit dans les limites préconisées
par les chercheurs cités précédemment. Deuxièmement, le nombre de cas nous a
permis d'atteindre notre objectif de saturation théorique. Troisièmement, l'analyse en
profondeur des cas d'ID a donné des résultats plus probants avec un échantillonnage
théorique. En clair, cette analyse a permis de voir des éléments de certitude à travers
les cas sélectionnés quant au travail des dirigeants de PME.
98
2.3.2 Les critères de sélection
Les cas d' ID ont été sélectionnés dans un échantillon de 35 PME. Ces
entreprises évoluent dans divers domaines d' activités soit traditionnels soit en lien
avec l' environnement ou plus généralement le DD. Trois sources de données nous ont
permis de construire cet échantillon, soit les répertoires d' entreprises établis par
l' organisme Enviroacces et le ministère du développement économique, de
l'innovation et de l'exportation (MDEIE), ainsi que le portail Novae. Cependant,
deux des sept cas ont été repérés lors d'un colloque international sur les innovations
durables organisé par l'IDP (Institut de développement de produit). Ce lieu de
rencontre et d'échange nous a donné l'occasion de nous entretenir avec les dirigeants
de PME dont certains étaient ouverts et souhaitaient participer à notre étude. Il s'agit
notamment des dirigeants-développeurs d'ID-4 et ID-7.
Sources de sélection des cas d'ID. Pour rappel, Enviroacces a pour mission de
« favoriser l'émergence et d'assurer un soutien aux entreprises et aux projets
innovateurs pouvant contribuer à l'amélioration de la qualité de l'environnement et au
développement durable à l'échelle locale, nationale et internationale » 15. C'est l' un
des trois centres canadiens pour l'avancement des technologies environnementales.
Ainsi, cet organisme publie des répertoires d'entreprises ayant développé des ID dans
les secteurs de l'agriculture, des énergies renouvelables et changements climatiques,
industriel et municipal ainsi que des produits et procédés écologiques (autrement
appelés des technologies propres ou vertes). Cette source a été complétée avec un
autre répertoire publié cette fois par le MDEIE. C'est un répertoire des entreprises
évoluant dans les marchés liés à l'environnement dans les secteurs identifiés plus tôt.
Enfin, Novae est un portail québécois de référence faisant particulièrement la
promotion de dirigeants de PME de différents secteurs d' activités qui développent des
ID. Au total, ces sources nous assurent d'identifier des PME ayant développé des ID.
15 Voir sur www. enviroaccess.ca
99
Par la suite, deux critères ont permis de filtrer et de sélectionner les PME qui ont fait
partie de notre recherche.
Critères de sélection. Premièrement, nous avons ciblé des PME ayant
développé des ID et non des pratiques de DD. Ainsi, notre objectif était de cibler des
innovations mariant au moins deux des trois dimensions du DD. Par exemple une
innovation qui tout en visant des objectifs économiques intègre des critères
environnementaux. Très souvent l'ID est reconnue en tant que telle par la description
qu'en fait l'entreprise dans ses documents officiels. De plus, pour s'assurer que nous
étions bien en face d'ID, lors des entretiens préliminaires (téléphoniques) avec les
dirigeants, une question à deux volets leur était posée : en quoi votre produit ou
service est-il une innovation et quelle est sa particularité?
Le second critère de sélection est lié à notre cadre théorique et à nos objectifs
spécifiques de recherche. Nous nous intéressons au travail des dirigeants. Par
conséquent, nous avons choisi des ID qui présentent des occasions de retracer le
contenu et les variations de ce travail. Pour y arriver, nous nous sommes fiés aux
dirigeants de PME qui sont les promoteurs de ces ID. Les entretiens téléphoniques
préliminaires avec ces derniers, les documents privés qu'ils nous ont remis et les
documents publics disponibles sur le web ont permis d'atteindre cet objectif de
sélection. Par exemple, dans certaines archives de presse, il était possible de retrouver
des récits faisant mention du rôle du dirigeant dans l'identification de l'enjeu de DD,
l'élaboration du projet d'ID ou la mobilisation de différents acteurs externes. Le
tableau 12 montre comment nos deux critères ont été appliqués dans la sélection des
cas d'ID.
100
Tableau 12 Démarche de sélection des cas d'ID
Critère de sélection Nombre Justification
PME identifiées dans les PME présentées comme ayant des initiatives en matière de
banques de données et les 35 répertoires.
DD.
PME qui respectent le premier 22 13 ID sont plutôt des pratiques de DO et non des ID.
critère de sélection
Au préalable, quatre ID n' avaient pas été sélectionnées parce que selon les dirigeants le développement de leur ID soit n'a pas donné lieu à des interactions avec des acteurs externes soit n'a pas été complètement réalisée (absence de prototype).
PME qui respectent le deuxième critère de sélection 20 Cependant, de ces quatre ID, nous avons tenu à en conserver
deux, soit une ID dont le développement se serait fait de façon « harmonieuse» et une qui est un prototype d'ID (non encore commercialisé). Ces ID pouvaient constituer des contre-exemples susceptibles de remettre en cause le cadre théorique de notre recherche.
7 12 PME n'étaient pas disponibles pour participer à la PME sélectionnées pour la (5 + 2 recherche. Par contre, une PME est dans un processus d ' ID recherche contre- en cours. Cependant, celle-ci est une entreprise sans but
exemples) lucratif et par conséquent a été retirée de l'échantillon .
2.3.3 Sept cas d'ID étudiés et 15 dirigeants de PME rencontrés
Sept cas d'innovation durable ont été sélectionnés dans autant de PME dont
nous spécifions dans le tableau 13, la période de réalisation de l'ID, la date de
création, la taille (nombre d'employés) et le secteur d'activités de la PME. D'autres
informations sont aussi présentées dans ce tableau, soit les participants, précisément
15 dirigeants (15 entretiens de deux heures chacun en moyenne), ainsi que le nombre
et la nature des documents. Au total, en plus des entretiens, 119 différents' documents
publics, privés et vidéos ont été analysés (voir à l'annexe E). Les documents publics
(y compris vidéos) ont été répertoriés grâce à la base de données d'archives de presse
Eurêka. cc. Pour retrouver ces documents, nous avons saisi dans la zone de recherche
101
de ladite base de données le nom de la PME sélectionnée en la complétant de celui de
l' ID étudiée. Quant aux documents privés, ils ont été remis par les dirigeants.
Tableau 13 Description des sept cas d' ID étudiés
Période de Création Taille Secteur Participants Documents
Cas réalisation de dela dela l'ID PME PME
d'activités (n=15,2 foi s 15 cntrcvues) (n=119)
10-1 : Fabrication et
Vélo hybride 2004 - 20 12 1977 69 distribution de Directeur des marques 21 (publics)
vélos
10-2 : Récupération de
14 (publics) 20 11- 20 12 2011 6 déchets Président et fondateur
Bac intelligent électroniques
10-3 : Station de remplissage de
Produits Directrice générale nettoyant sans 20 11 - 2013 2011 5
d'entretien Chimiste externe 1 (public)
fragrance, sans colorant et sans fornlaldéhyde
10-4 : Cosmétique
Produits Présidente et fondatrice 20 (publics) écologique, 2005 - 2007 2005 22 équitable et
cosmétiques Vice-président (Y.-P.) 2 vidéos
écoresponsable
10-5 : Fabrication et 5 (publics)
Modules de 2010-2013 20 10 3 vente de Présidente et fondatrice meuble en carton mobilier
3 (vidéos)
10-6 : Matières Président et fondateur
Technologie de 2007 - 1989 77 résiduelles en Directeur Achats et ventes 10 (privés)
recyclage plastique Directeur de la production 16 (publics) Directeur de la maintenance
Traitement des V.-P. Innovation et DD
10 (privés) 10-7 : V.-P. Communication Chimie durable
2007-2010 1965 11 5 eaux Directeur technique
16 (publics) industrielles
Coordonnatrice en DD 1 (v idéo)
Le design de recherche, soit l' étude de cas multiples, que nous venons de
présenter, permet de dresser le cadre général dans lequel la méthode de recherche a
été appliquée. Dans ce qui suit, nous expliquons cette méthode de recherche, soit
l' analyse de processus. Ce sera aussi le lieu de spécifier a) le modèle utilisé pour
102
analyser, présenter et interpréter les données collectées ainsi que b) les critères de
qualité de la recherche.
3. MÉTHODE DE RECHERCH E
L' analyse de processus, dans ses principes, est la méthode choisie pour étudier
les cas d'ID sélectionnés. Nous allons d'abord définir cette méthode à travers ses
principes de mise en œuvre. Ensuite, nous spécifions l'outil utilisé, soit le modèle
interactif d'analyse des données de Miles et Huberman (2003), pour analyser les
données recueillies sur les processus d'ID étudiés.
3.l L'analyse de processus
L'analyse de processus est une méthode de recherche défendue et utilisée
entre autres par Abbott (1990), Huberman et Miles (1991), Langley (1994, 1999,
20 Il), Pettigrew (1992, 1997), Sztompka (1991) et Van de Ven (1986, 1992). Cette
méthode a été développée en vue de se démarquer des méthodes dites de la
variance l6. Selon Langley (2011) " White variance theories pro vide explanations in
terms of relationship among dependent and independent variables, process theories
provide explanations in terms of patterns of events, activities, and choices over time "
(p. 408).
Précisons que dans l'analyse de processus, il existe une forme de relation de
causalité, en raison de la notion de temps (Langley, 2011). Cependant, il s'agit d' une
causalité entre des unités de sens et non des variables. Ces unités de sens peuvent être
des mots, des concepts, des phrases, des évènements ou des séquences d'évènements
ainsi que les logiques d'argumentation et les dynamiques qui y sont rattachées. Nous
16 À ce propos, il faut rappeler que les modèles de processus d'ID présentés dans la revue de littérature s'inscrivent explicitement ou implicitement dans une logique de variance.
103
les retrouvons dans des contenus se présentant sous diverses formes telles que des
entretiens, des documents, des images, des vidéos. De plus, cette relation de causalité
n'est pas déterministe, dans la mesure où les unités de sens se produisent de façon
non linéaire et récursive. Cela n'empêche pas que l'analyse de processus tienne
compte de quelques principes généraux. Pettigrew (1992) énonce des principes
pouvant guider toute méthode d'analyse de processus. Ceux-ci sont aussi cohérents
avec une approche dans laquelle la réalité est socialement construite:
The driving assumption behind pro cess thinking is that social realty is not a steady state. It is dynamic pro cess. It occurs rather than merely exists (Sztompka, 1991). Human conduct is perpetuaUy in a pro cess of becoming. The overriding aim of the pro cess analyst therefore is to catch this reality inflight (Pettigrew, 1997, p. 338).
Parmi les principes de l'analyse processuelle, nous avons retenu et appliqué deux
principes qui décrivent bien notre méthode de recherche, soit l'enchâssement des
niveaux d'analyse et la dimension temporelle.
L 'enchâssement des niveaux d'analyse. L'enchâssement consiste à intégrer les
niveaux micro, macro et méso dans l'analyse d'un processus. Il permet de voir
l'interrelation de ces niveaux d'analyse. En général, le niveau micro peut concerner la
finalité des actions des acteurs qui eux constituent le niveau méso. Les structures et le
contexte dans lequel ces acteurs évoluent peuvent représenter le niveau macro.
Context is not just a stimulus environment but a nested arrangement of structures and pro cesses where the subjective interpretations of actors perceiving, learning, and remembering help shape pro cess. [ . .} First of aU, structure and context are conceptualized not as barriers to action but as essentiaUy involved in its production. And, second, there is scope to demonstrate empiricaUy how aspect of context can be mobilized by key actors as they seek strategic outcomes important (Pettigrew, 1997, p.341).
104
Dans le cadre de notre recherche, l'ID (la finalité) représente le niveau micro.
Le niveau méso concerne le dirigeant de PME (son travail et les facteurs internes liés
à l'entreprise). Le niveau macro a trait aux enjeux envirolli1ementaux et sociaux (y
compris les autres facteurs externes notamment économiques). Ainsi, une analyse
multi-niveau a été dans notre cas : l'enjeu de DD (enjeux environnementaux et
sociaux) qui influence le travail du dirigeant de PME (observateur actif, entrepreneur
et agent de liaison) qui à son tour contribue au développement de l'ID (sous forme de
procédé, produit, modèle d'affaires). À ce propos, le modèle théorique du travail du
dirigeant dans le développement d'ID que nous avons proposé illustre bien ces trois
niveaux. Cependant, dans une approche de construction sociale nous mettons une
emphase sur l'aspect récursif et non linéaire des liaisons entre ces niveaux d'analyse.
De plus, l'aspect temporel ne peut être ignoré dans un tel processus.
La dimension temporelle. Celle-ci fait référence au temps qui permet de
définir a) les limites de l' étude d'un processus, mais aussi b) la chronologie des
phases ou des évènements du processus. À propos des limites temporelles, l'analyse
de processus peut se faire selon deux démarches. Elle peut se faire dans une logique
historique ou rétrospective (Tracing back) permettant ainsi de retracer le processus.
Elle peut aussi consister à suivre le processus en temps réel (Real time) en train de se
construire. Selon Pettigrew (1997) :
Antecedent conditions shape the present and the emerging future. But history is not Just events and chronology; it is carried forward in the human consciousness. The past is alive in the present and may shape the emerging future. Beneath the surface events and chronology, the pro cess scholar se arches for recurrent patterns in the pro cess, for structure and underlying logics. But there is no assumption of predetermined timetables, of ordered and inevitable sequences or stages (p. 341)
105
Cependant, chacune de ces démarches comporte des avantages et des
inconvénients. Pour Langley (2011), l' analyse rétrospective présente les avantages de
focaliser les efforts de collecte de dOlmées sur des aspects précis du processus étudié.
Dans ce sens, elle permet d'avoir des informations sur les dimensions du processus
que l' on souhaite mieux comprendre. Cette analyse favorise ainsi des économies de
temps, de ressources souvent importantes dans le cas d' un projet de recherche
doctoral. Ce sont des avantages que ne procure pas une analyse en temps réel.
Néanmoins, l' analyse en temps réel reste la plus prometteuse en ce qui concerne la
richesse de l ' analyse des données collectées :
There is nothing quite like being there in real time. Observing pro cesses and wondering what will happen next is a very different experience from sifting through archivai traces and second-hand narratives that have become immutable and fixed. With real-time data, there is an immeasurable gain in the richness of temporal recording so when if comes to studying interactions among people, and to recording people 's perceptions and understandings at different points in time (Langley, 2011 , p. 414).
Dans la présente recherche, nous avons privilégié le premier type d' analyse
soit l' analyse rétrospective de processus d'ID tout en nous rapprochant de la seconde.
Pour réduire l' une des faiblesses liées à l'analyse rétrospective, soit le temps, nous
avons choisi des cas d'ID développées dans un passé récent. Autrement dit, les ID
étudiées ont été réalisées entre 20 Il et 2013 et sont dans une phase de
commercialisation depuis lors. L'intérêt d' étudier les ID dans un passé rapproché
permet d' avoir accès à des informations plus détaillées et plus précises. Les personnes
interrogées n'ont pas à fournir beaucoup d'efforts pour se rappeler les détails de .
l'histoire du développement de leur ID. De plus, cela facilite l' accès aux acteurs
internes ayant participé à cette histoire, dans la mesure où ces derniers sont souvent
encore présents dans l'entreprise.
106
Par ailleurs, en ce qui concerne la chronologie des phases (Stage mode!) et des
évènements (Pro cess model) , l' analyse processuelle a pour but de repérer des
patterns récurrents (Van de Ven, 1993; Van de Ven et al. , 2000; Wolfe, 1994), soit
des structures de comportement ou des configurations qui se répètent au fil du temps.
L'évolution de ces patterns à travers des phases et des évènements peut entraîner des
changements dans le processus. Ainsi en observant ou en retraçant des évènements à
l'intérieur de phases, il est possible de repérer des patterns.
Dans notre cas, il s'agit des phases de la préhistoire, de l'objet-valise et de
l'objet-frontière. Les évènements sont représentés par les principales activités du
dirigeant de PME, soit le travail d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de
liaison. Il faut signaler que le temps est aussi une variable qui peut accélérer ou
retarder le déroulement d'un évènement. C'est pourquoi, dans les entretiens, nous
invitons les dirigeants de PME à raconter l'histoire de leur ID en indiquant, lorsque
cela était possible, la chronologie (le temps en année) des évènements. Partant de là,
nous pouvions voir dans quelle mesure et de quelle manière le temps aurait pu avoir
une influence sur le déroulement du travail des dirigeants.
C'est en s'appuyant sur ces deux pnnCIpes importants de l'analyse de
processus que nous avons entrepris une recherche sur le terrain afin de collecter,
traiter, présenter, interpréter et vérifier les données portant sur les processus de sept
cas d' ID. L' outil d'analyse des données utilisé s'appuie essentiellement sur le modèle
interactif d'analyse de données proposé par Miles et Huberman (2003).
3.2 Modèle d'analyse des données
Miles et Huberman (2003) proposent un modèle interactif d'analyse des
données en trois flux, soit la condensation des données après leur collecte, la
107
présentation de celles-ci ainsi que l' interprétation (analyse du chercheur) et la
vérification des données. Le modèle interactif de Miles et Huberman a la particularité
d'être un processus continu et itératif dans la mesure où celui-ci peut être répété à
plusieurs reprises et de façon non linéaire pour affiner et enrichir les analyses. Cette
dynamique itérative est cohérente avec une stratégie de recherche qualitative basée
sur l' exploration hybride où la démarche d'allers et retours est importante. De plus,
selon Mukamurera, Lacourse et Couturier (2006), en recherche qualitative, « on
admet de plus en plus qu'une dynamique itérative est plus féconde et qu'elle "colle"
mieux à la réalité du processus (Des gagné, 1994 ; Glaser et Strauss, 1967 ; Huberman
et Miles, 1991 , 1994 ; Rocha-Vieira, 2004) » (p. 111). Desgagné (1994) illustre très
bien la démarche d'allers et retours propre à l' exploration hybride et qui au coeur
d'un processus d' analyse continu et itératif comme suit:
Le codage de certains éléments du discours incite le chercheur à faire une première tentative d' organisation des données (à se les représenter d'une certaine façon qui peut être un premier schéma) et ensuite à retourner aux données-mêmes pour en apprécier la pertinence, c'est-àdire pour voir comment cette re-présentation se confirme, se modifie ou se contredit. Lors de ce retour aux données, le chercheur reprend sa codification et le processus itératif se poursuit jusqu' à ce qu'une organisation plausible et cohérente, assurant l' intelligibilité du discours, permette de conclure à la saturation des diverses significations codifiées (Desgagné, 1994, p. 80).
Selon Mukamurera et al. (2006), l' aller et retour entre la collecte et l' analyse des
données ainsi qu'entre ses composantes analytiques que permet de faire le modèle
interactif, a :
Des apports importants tant au niveau de la qualité des données recueillies qu'au niveau de la profondeur et de la vraisemblance des interprétations faites. Tout d'abord, il est possible de détecter à temps les données manquantes et de préparer la prochaine cueillette de données en conséquence. Ensuite, il permet d'obtenir des précisions nécessaires à une bonne compréhension des processus en jeu et de
vérifier les premières conclusions sur les données de façon à s'assurer de leur plausibilité. Enfin, elle nous paraît même un passage obligé pour s'assurer de l'atteinte de la saturation des données (Bertaux, 1980 ; Deslauriers, 1991 ; Glaser & Strauss, 1967 ; Pourtois & Desmet, 1997 ; Savoie-Zajc, 2000) sans quoi la crédibilité et la transférabilité de la recherche (Pourtois & Desmet, 1997) sont à questionner (Mukamurera et al., 2006, p.112).
108
La figure 14 donne une illustration du modèle interactif de l'analyse des
données proposé par Miles et Huberman (2003) et, appliqué à notre recherche. Les
cercles et les flèches triples figurant dans ce modèle indiquent le nombre de fois que
les étapes ont été répétées. Autrement dit, chacune des étapes a été reprises trois fois.
Figure 14 Modèle interactif de l'analyse des données
Collecte des données Doculœnts publics Docum€rlts privés
Entretiens préliminaires Entretiens approfondis
1. Condensation des données (avec Nvivo)
Regrou pement et organisation des données
Codage thématique
2. Présentation des données Réais historiques
Matrices
Smu'ce: Adapté de Miles et Huherman (2003) et Mukamurera et al. (2006)
109
Dans les sections suivantes, nous expliquons comment nous avons procédé à
chaque étape du modèle d'analyse. Ainsi, après la collecte des données, nous
abordons la première composante du modèle interactif, soit la condensation des
données, puis la seconde composante, c'est-à-dire la présentation des données. Enfin,
nous abordons la troisième composante, soit la vérification des données dans une
section portant sur les critères de qualité de la recherche, dont notamment la validité
et la fiabilité de la méthode d'analyse. C'est après ces sections que nous présentons la
façon avec laquelle les résultats ont été interprétés.
3.2.1 La collecte des données
C'est la collecte des données qui rend possible par la suite leur analyse. Et, la
rigueur dans la démarche de collecte influence la qualité des données et par
conséquent la fiabilité des analyses. Pour s'assurer de cette rigueur, la collecte des
données a été conduite suivant trois étapes, soit l'exploration, l'identification et
l'approfondissement (Tableau 14).
Tableau 14 Les étapes de la collecte des données
Étape Objectif Sources de données
Repérer des cas d'innovations Sources documentaires publiques (sites Internet
Exploration durables
d ' entreprises, répertoires publics, archives de presse).
- Sources documentaires privées de l' entreprise
Caractériser des PME et leurs (rapports, plan d ' affaires, documents
Identification innovations durables
promotionnels, etc.) - Entretien téléphonique préliminaire avec le
dirigeant.
Reconstituer le déroulement - Sources documentaires privées et publiques
Approfondissement du travail du dirigeant dans - Entretiens en profondeur avec le dirigeant et des
membres de l' équipe chargée du projet d ' ID si les processus d'ID
possible.
110
Ce sont d' ailleurs des étapes semblables qu'ont suivies Van de Ven et al. (2000) afin
de collecter les données dans leur étude de 14 processus d' innovations.
Les étapes de la collecte. La première étape est exploratoire et consiste à
repérer des ID développées par des PME. La seconde étape de la collecte des données
est celle de l'identification. Elle vise à caractériser les PME (p. ex.: secteur
d'activité, type d'entreprise, orientation vers le DD) et leurs ID (forme, intensité,
impacts environnementaux, sociaux, économiques). La troisième étape de la collecte
des données est celle de l'approfondissement ou de l' étude en profondeur. C' est à ce
niveau que les dirigeants interrogés racontent dans les détails l'histoire de l'ID
développée. Chacune de ces étapes nous a permis d' avoir accès à des données issues
de différentes sources, soit des sources documentaires et des entretiens.
Les sources documentaires. Nous avons utilisé deux types de sources
documentaires avant, pendant et après les entretiens, soit les documents publics et les
documents privés. Dans ce sens, le recours dynamique à ces sources (va-et-vient)
s' inscrit dans une démarche d' allers et retours propre au modèle interactif.
Premièrement, nous avons utilisé de la documentation publique obtenue à travers des
sites Internet notamment ceux des PME ainsi que des archives de presse (à travers la
base de données Eurêka.cc). Il faut signaler que l'exploitation de sources
documentaires publiques avait pour but de recueillir le plus possible d'informations
sur le développement de l'ID. Deuxièmement, quand cela était possible, nous avons
aussi utilisé des documents privés (procès-verbaux de réunion, documents
promotionnels, plan d' affaires du projet d'ID) fournis par les dirigeants eux-mêmes.
Les documents recueillis sont sous forme papier, électronique ou vidéo. Bien
évidemment, les données contenues dans certains de ces documents comportent leur
part d' implicites, mais aussi d' explicites qu' il faut élucider, préciser et situer par
111
rapport aux objectifs de la recherche. Pour ce faire, nous avons effectué des
entretiens.
Les entretiens. L' entretien est défini ici comme une conversation ouverte avec
un acteur sur un sujet précis. Le répondant ou l' interlocuteur s' exprime alors
ouvertement sur chacune des questions de façon à ce qu' il clarifie ses opinions, ses
sentiments, ses croyances et des aspects du phénomène étudié (Gauthier et al. , 2006).
Le répondant peut aussi rapporter les idées, les propos, les interprétations d'autres
acteurs auxquels le chercheur ne peut avoir accès.
Dans notre recherche, nous avons mené deux types d' entretien avec les
dirigeants, soit un entretien préliminaire et un entretien en profondeur accompagnés
d'un journal de bord. De plus, dans quatre cas sur sept, des entretiens en profondeur
ont été menés auprès des membres de l'équipe de direction. Dans ce sens, nous
voulons montrer que les répondants pouvaient être des informateurs « compétents »
pour présenter les interprétations des autres acteurs impliqués dans le développement
de l'ID. L'entretien préliminaire dure au maximum 15 minutes. Il se fait au téléphone
avec le dirigeant de l ' entreprise ayant développé l'ID. Il faut préciser que nous avons
pu aVOIr accès aux dirigeants principaux (Président et fondateur, vice-président,
directeur général) selon la structure organisationnelle de chaque PME (p. ex.:
certaines PME avaient des départements dédiés aux innovations ou au DD). En
dehors de ceux rencontrés lors du colloque de l'IDP, les dirigeants ont été contactés
par courrier électronique (voir des modèles à l'annexe D) après l' étape de
l' exploration et avant les entretiens.
Le courner électronique présente trois parties. La première explique
succinctement la recherche qui justifie l ' étude de l' ID. Ici, nous montrons au
112
dirigeant que nous avons une certaine connaissance de son entreprise et de son ID ; ce
qui, nous pourrions le croire, avait pour but de susciter son intérêt. Dans la seconde
partie, nous spécifions le rôle de l' entreprise dans notre recherche. Nous veillons à ce
que cette implication ne soit pas vue comme « un fardeau » ; ce qui visait à favoriser
l' acceptation du projet de recherche par le dirigeant. Enfin, dans la dernière partie du
courrier électronique, nous évoquons la confidentialité des informations qui seront
fournies, soulignons les retombées pratiques de la recherche et sa crédibilité du fait
du soutien d'institutions et d' individus dont le Fonds de recherche sur la société et la
culture (FRQSC), l'université et les directeurs de thèse. Cela avait pour but de
rassurer le dirigeant.
Tous les dirigeants nous ont directement recontactés par téléphone dans une
conversation informelle pour discuter du projet de recherche et fixer un rendez-vous,
toute chose portant à croire qu' ils étaient intéressés. Lors de l' entretien téléphonique
proprement dit, nous nous assurons d'obtenir des informations générales sur l'ID de
façon à voir si elle « mérite » d'être étudiée au regard de notre premier critère de
sélection. Et, cette préoccupation est clairement mentionnée au dirigeant, d'abord
dans le courrier électronique et, ensuite, lors de l' entretien préliminaire.
Contrairement aux entretiens préliminaires, le second type d'entretien, soit les
entretiens en profondeur sont enregistrés puis retranscrits sous forme de verbatim. Ils
durent en moyenne deux heures par interlocuteur. Et, c' est au moyen d'un guide
d'entretien (voir à l'annexe A) que ceux-ci sont menés. Ce guide a été « testé » lors de
la résidence en entreprise, ce qui a permis de l' améliorer par la suite. Cependant, nous
le considérons cornn1e « un aide-mémoire que le chercheur utilise afin de s'assurer
que les thèmes prévus sont abordés » et sur lequel les questions vont se greffer
(Gauthier et al. , 2006, p. 308). À cet effet, le questionnaire est composé de questions
principales (qui servent de guide dans l'entretien), d' investigation (pour clarifier une
113
réponse incomplète) et d' implication (pour la recherche de précisions). Ce sont des
questions ouvertes aménagées au fil de l' entretien. Elles ont exigé des réponses
élaborées lorsqu' il s' avère important que le répondant précise sa pensée (Thiétart et
al. , 2007).
Outre les questions de préambule portant sur le répondant et son entreprise, sa
conception du DD, la description de son ID et de l'équipe chargée du projet d' ID, le
questionnaire débute par une question où il est par exemple demandé au répondant de
raconter dans les détails l'histoire qui a conduit à la réalisation de l' ID. L'objectif est
d'abord de « laisser parler » l ' interlocuteur sans l' influencer dans l' élaboration de ses
réponses. Cela permet d' identifier les acteurs impliqués, les moyens mobilisés, les
relations déployées et les situations de confrontation éventuelle. Dans le même temps,
cette question d' entrée fournit «un stimulus général pour démarrer l'échange» de
façon conviviale (Gauthier et al., 2006, p. 309) sur des questions portant sur le travail
du dirigeant. Des éléments d' informations identifiés dans les documents publics
comme dans les archives de presse sont aussi soulevés afin d' en avoir une meilleure
compréhension.
Le journal de bord. Durant les entretiens préliminaires et en profondeur, nous
tenons un journal de bord. Le journal de bord contient des notes générales, des
réflexions personnelles, des ébauches d'explications, des descriptions globales
(Gauthier et al. , 2006, p. 178). Il représente un instrument de collecte de données utile
et nécessaires pour documenter des éléments implicites. Dans ce sens, le journal de
bord permet surtout de « conserver la mémoire vive de la recherche » (Baribeau,
2005, p. 102). Une fois les données collectées, celles-ci ont été condensées à travers
le logiciel NVivo 17.
17 Il s'agit de la version 8 du logiciel quelque peu différente des versions 9 et 10 plus récentes.
114
3.2.2 La condensation des données
La condensation des données constitue la première étape proprement dite du
modèle interactif. Selon Miles et Huberman (2003) :
Même avant le recueil effectif des données, celles-ci subissent une condensation anticipée lorsque le chercheur décide de (souvent sans en être pleinement conscient) quel cadre conceptuel, quels sites, quelles questions de recherche, quels modes de collecte de données il va choisir. Au fur et à me'sure de la collecte des données, d'autres phases de condensation apparaissent (résumés, codage, repérage de thèmes, regroupements, divisions, rédaction de mémos). Le processus de condensation/transformation des données se poursuit également après le travail sur le terrain, jusqu'à l'achèvement du rapport [mal (Miles et Huberman, 2003 , p. 29).
En d'autres termes, la condensation des données consiste d'abord à rassembler les
données issues des sources documentaires, des entretiens retranscrits et des notes du
journal de bord. Ensuite, ces données sont organisées pour être codées.
Regroupement et organisation des données. Pour s'assurer d'un traitement
systématique, toutes les données sont transférées dans un support unique offert par un
logiciel d'analyse de données qualitatives appelé NVivo. L'objectif est de faciliter la
manipulation des données autrement fastidieuse quand de nombreuses sourceS sont
utilisées. À cet effet, selon Gauthier et al. (2006), l'ordinateur permet de « constituer
une véritable base de données que l'on peut manipuler avec beaucoup de facilité »
(pp. 179-180) et de façon systématique. Notre expérience du logiciel nous porte à dire
que la manipulation systématique qu'il permet aide le chercheur à mieux organiser sa
pensée, à conserver la " mémoire vive" de ces analyses et l'oblige à davantage de
rigueur dans la démarche d'analyse. Pour y arriver, l'organisation formelle et sur le
fond des données sont deux démarches à ne pas négliger.
115
Sur la forme, nos données ont été rassemblées dans des « sources internes » -
onglet figurant dans le logiciel - sous forme de dossiers portant chacun le nom fictif
de l' ID. Une description permet d' associer l' ID à la PME l'ayant développé, aux fins
de mémoire. Des sous-dossiers comportant les différentes sources de données sont
créés, soit trois sous-dossiers destinés chacun aux documents publics (comprenant les
vidéos), privés et aux entretiens retranscrits. NVivo donne aussi la possibilité de créer
des " sources externes ". Celles-ci contiennent des liens web conduisant aux sites
Internet des PME ou des acteurs organisationnels identifiés par les interlocuteurs lors
des entretiens. Par exemple, lorsqu'un organisme public impliqué dans le processus
d'ID d'une entreprise est mentionné, nous pouvons nous rendre directement sur le site
de ce dernier pour connaître sa mission, ses objectifs, ses activités afin de mieux
comprendre ses intérêts dans le projet d' ID étudié.
Sur le fond, la seconde démarche consiste à créer - ce qui est appelé par
NVivo - des nœuds libres et hiérarchiques qui eux sont étroitement liés au cadre
conceptuel et aux questions de recherche. Dans la présente recherche, les nœuds sont
hiérarchiques et correspondent aux principales thématiques du cadre théorique, soit
les phases de la préhistoire, de l'objet-valise et de 'objet-frontière. Ce sont en fait nos
" nœuds-parents ". Et, les" nœuds-enfants" sont les principales activités du travail du
dirigeant. Ces nœuds hiérarchiques nous permettent par conséquent de faire des
analyses déductives. Alors que, les nœuds libres nous aident à faire une analyse
inductive aidant ainsi à identifier des thématiques émergentes. Le regroupement et
l' organisation des données à l'aide de NVivo facilitent par la suite le codage
thématique des contenus.
Codage thématique. Selon Miles et Huberman (2003), « les codes sont des
étiquettes qui désignent des unités de signification pour l' information descriptive ou
inférentielle au cour d'une étude » (p. 113). Ces unités de signification se retrouvent
116
dans des contenus tels que des documents, des entretiens, des notes de terrain et, sont
rattachées à des mots, des phrases, des paragraphes, des discours, etc. Bien qu'il
existe deux types de codage de contenus, soit les codages lexical et thématique, dans
la présente recherche, nous nous sommes appuyés sur un codage thématique de
contenus (Tableau 15).
Tableau 15 Résumé du codage thématique
Thème Sous-thème (Travail du Description du travail du Outil d'analyse utilisé
(phases du processus) dirigeant) dirigeant
Travail d'observateur Identification de l'enjeu de DD 15 principaux enjeux
Phase de la préhistoire actif
environnementaux et
Travail d'entrepreneur Détection de l'opportunité d'ID sociaux
Travail d'entrepreneur Résolution de confrontations Phase de 'objet-valise éventuelles et définition d'un Modèle de l'objet-valise
Travail d'agent de liai son objet valise.
Phase de l'objet-Résolution de confrontations Modèle de
Travail d'agent de liaison éventuelles et concrétisation l'intéressement et de frontière
de l'objet-frontière. l'objet-frontière
Ce codage repose sur « le postulat que la répétition d'éléments de discours
(mots, expressions ou significations similaires) révèle les centres d'intérêts et les
préoccupations des acteurs » (Thiétart et al., 2007, p. 502). Pour ce type de codage
très utilisé dans les études sur les organisations (Ibid.), il s'agit en général d'extraire
d'un corpus général des unités de signification rattachées à un même thème (Bardin,
2001) et présentes dans différents corpus (documents, les entretiens retranscrits, notes
de journal de bord). Pour opérer ce codage, nous avons eu recours au logiciel NVivo
qui propose trois étapes illustrées à la figure 15.
117
Figure 15 Les étapes du codage thématique dans NVivo
Étape 1 : Étape 2 : Étape 3 : Structure originale du corpus Décontextualisation du corpus Recontextualisation du corpus
Entrevue 1: extrait 1 Thème A
Entrevue 2: extrait 2
'---_:_:_::_:_:_--' ~ ~ Notes d'analyse W
Documents publics
Document
Entrevue 3: extrait 1
Notes de journal de bord
Source: Adapté de Deschenaux et al. (2005, p. 9.)
À l' étape 1, la structure d'origine des données issues des documents, des
entretiens retranscrits et des notes du journal de bord, constitue le corpus d'ensemble
qui est sorti de son contexte et découpé en unités de sens ou en extraits. À l'étape de
la décontextualisation (codage proprement dit), ces unités de sens sont codées aux
thématiques de notre cadre théorique. La recontextualisation est la dernière étape.
Elle permet de construire une nouvelle structure intégrant des extraits de documents,
d'entretiens complétés par des notes d'analyses faites durant le processus de
décontextualisation. De plus, le caractère itératif de ce processus permet de reprendre
la démarche à travers un "coding-on ", c' est-à-dire le recodage des extraits déjà
codés pour affiner et approfondir l'analyse (Bourdon, 2001). Dans cette recherche, la
nouvelle ~tructure représente le récit historique de chaque cas d'ID. Celui-ci est
expliqué dans la prochaine section.
118
Cela dit, parmi les quatre fonctions proposées par Miles et Huberman (2003)
que remplit le codage thématique, nous retenons les suivantes:
A. Il réduit les quantités de données en un petit nombre d'unités analytiques;
B. Il amène le chercheur à l' analyse pendant le recueil de données, de sorte que les recueils ultérieurs peuvent être plus centrés;
C. Il aide le chercheur à construire un modèle évolutif lui permettant de comprendre ce qui se passe dans le processus étudié.
3.2.3 La présentation des données analysées
La présentation des données est la seconde étape du modèle interactif. Elle
consiste à présenter les résultats des analyses issues du codage thématique des
données brutes. Miles et Huberman (2003) proposent différents formats pour rendre
compte de ces résultats. Dans cette recherche, nous avons utilisé a) des textes
narratifs structurés représentant les récits historiques des ID et b) des matrices pour
présenter certaines données analysées.
Le récit historique. Il raconte l' histoire reconstruite de chaque cas d' ID à
partir des extraits les plus pertinents issus des documents, des entretiens avec les
dirigeants de PME et des notes du journal de bord, sans interprétation de la part du
chercheur. Ces textes narratifs sont surtout émaillés de faits et de propos tenus ou
rapportés par le dirigeant (et des membres de son équipe). La structure des récits
historiques se présente comme suit:
A. La préhistoire de l'ID: Nous présentons l' entreprise, son secteur d' activité, l'enjeu de DD identifié et l'opportunité d'ID détectée ;
119
B. L' innovation durable: Nous présentons l' ID de façon à mettre en évidence ses caractéristiques. Nous montrons aussi en quoi cette ID contribue à résoudre l'enjeu de DD identifié, selon le filtre du dirigeant;
C. L'histoire de l'ID : Cette partie permet de voir comment le dirigeant participe à la définition d'un objet-valise et à la concrétisation de l'objetfrontière. Pour ce faire, nous présentons les acteurs clés impliqués dans le développement de l'ID et leurs projets d'ID tels que rapportés par le dirigeant. Nous montrons comment les acteurs interagissent et sont intéressés par le dirigeant. Nous mettons en évidence les confrontations éventuelles autant dans la phase de l'objet-valise que dans la phase de l'objet-frontière.
Il faut cependant souligner que pour des contraintes d'espace et de volume
d'informations, les récits sont autant que possible concis. De ce fait, ceux-ci
comportent une part d'incomplétude qui peut amener le lecteur à se poser des
questions sur des éléments explicites ou y voir des éléments implicites. C'est
pourquoi quelques données (très peu d'ailleurs) apparaissant dans l'interprétation des
résultats ne figurent pas dans les récits historiques.
Les matrices. Elles organisent les données dans des tableaux à deux
dimensions de manière à voir, en un coup d'œil, pourquoi ou comment les choses se
passent. Miles et Huberman (2003) identifient plusieurs types de matrices parmi
lesquelles nous avons privilégié les matrices à groupements conceptuels. Ces matrices
organisent les données selon leur cohérence conceptuelle. Ainsi, dans la plupart des
tableaux, chaque ID est croisée à des catégories conceptuelles issues du cadre
théorique de notre recherche. Ces matrices sont conçues avec pour objectif de
permettre (p. ex. : aux lecteurs) de suivre et de comprendre rapidement le travail et les
variations du travail du dirigeant au cours du processus de chaque ID.
120
3.2.4 L'interprétation et la vérification des résultats
L'interprétation et la vérification des résultats constituent la troisième étape du
modèle interactif. L'interprétation est le lieu de la confrontation des résultats avec le
cadre théorique. Autrement dit, les résultats de l'analyse sont passés à la lumière du
cadre théorique. Dans ce sens, Miles et Huberman (2003) proposent seize tactiques
qui permettent de dégager les significations théoriques ou conceptuelles des résultats
présentés dans les récits historiques.
Parmi ces tactiques, nous avons choisi celles qui consistent à a) repérer des
unités de significations récurrentes pouvant être rattachées (ou non, dans le cas des
unités émergentes) aux thématiques et sous-thèmes du cadre théorique, et b) opérer
des regroupements conceptuels. Pour comprendre la première tactique, nous
reprenons quelques exemples de thèmes récurrents tirés de l'étude de Miles et
Huberman (2003) au sujet de la rénovation de l'enseignement:
La mention fréquente d'un' cas miracle' (un élève en difficulté qui a été régénéré par l'innovation) comme explication ou justification du projet. La ' solution organique' comme type de résolution de problèmes pour une certaine catégorie de personnel. L'emploi de la ' latitude administrative " où ceux qui acceptent d'essayer une innovation sont libres de la modifier en retour.
(Miles et Huberman, 2003, p. 438)
Le repérage d'unités de signification récurrentes est combiné à une tactique de
regroupement conceptuel. La citation suivante de Miles et Huberman (2003) illustre
très clairement comment nous avons utilisé cette tactique:
Le regroupement est une tactique applicable aux données qualitatives à de nombreux niveaux : on peut regrouper les évènements ou actions, les acteurs, les processus, les milieux/locaux, les sites dans leur ensemble. Dans tous les cas, on essaie de mieux comprendre un phénomène en regroupant, puis en conceptualisant les objets présentant des « patterns » ou caractéristiques similaires. [ ... ] Par exemple, au niveau des processus, on peut regrouper les activités ayant trait à la résolution des problèmes rencontrés dans la phase ultérieure de mise en œuvre d'une innovation: maitrise, amélioration, élimination des défauts, finition, intégration, adaptation, extension [ ... ] (Ibid., pp. 445-446).
121
En somme, la définition de la méthodologie de notre recherche nous a
conduits à spécifier la stratégie qui est qualitative, le design (étude de cas multiples)
et la méthode de recherche (l ' analyse de processus et le modèle interactif). Cependant
comme toute recherche, des questions de validité, de fiabilité et d'éthique se posent.
C'est donc le lieu de présenter a) les critères de qualité de la recherche et b) les
considérations éthiques rencontrées. Les sections suivantes s' attardent respectivement
sur ces deux points.
3.3 Critères de qualité de la recherche
En général, évaluer la qualité d'une recherche revient à s'assurer de deux
critères, soit la validité et la fiabilité (Thiétart et al. , 2007). Les questions qui se
posent ici sont de savoir dans quelle mesure:
A. La recherche est à la fois ngoureuse et réappropriable par d'autres chercheurs ?
B. Les résultats de la recherche apportent une contribution à la compréhension de l' objet d' étude ?
122
Dans le cas d'une recherche qualitative, il s'agit de définir les précautions
prises par le chercheur afin d'améliorer la validité et la fiabilité de la recherche. Cela
revient à s'assurer a) de la validité des données et des résultats de l'analyse des
données, ainsi que b) de la fiabilité de la méthode de recherche utilisée. Ces deux
points constituent le plan de présentation de cette section.
3.3.1 Validité des données et des résultats
De façon générale, selon Thiétart et al. (2007), le chercheur devrait respecter
trois conditions afin d'améliorer la validité des données et des résultats de la
recherche, soit: a) poser clairement l'objet de recherche, b) établir un cadre théorique
à partir de l'objet de recherche et de la littérature, ainsi que c) proposer une
méthodologie de recherche.
Poser clairement l'objet de recherche. Dans le cadre de cette recherche, l'objet
d'étude a été clairement identifié au chapitre 1, dans la mesure où il s'agit de mieux
comprendre et en apprendre sur le travail du dirigeant de PME dans le développement
d'ID. Nous y avons précisé la problématique managériale.
Établir un cadre théorique à partir de la littérature. À la suite de la définition
de la problématique managériale, une revue de littérature a permis d'apporter un
éclairage sur l'étude de l'ID dans les PME. Les faiblesses identifiées dans ces écrits
scientifiques grâce au regard critique posé, nous ont amenés à proposer un cadre
théorique visant à s'intéresser au travail du dirigeant de PME dans le développement
d'ID dans une approche de construction sociale.
Proposer une méthodologie de recherche. Selon Thiétart et al. (2007), la
méthodologie doit s'appuyer sur différentes sources de données, proposer plusieurs
sources de preuves permettant une réplication par d'autres chercheurs ou personnes, et
123
finalement inclure la possibilité d'une validation des résultats de l'analyse des
données par des acteurs autres que le chercheur. C'est ce que nous avons fait dans ce
chapitre portant sur le cadre opératoire, mais aussi en faisant relire les récits
historiques par les participants à la recherche. Ce point est à relier à la validité des
résultats de l'analyse des données que nous abordons maintenant.
Cela dit, la validité des données et des résultats fait partie de la troisième étape
du modèle interactif proposé par Miles et Huberman (2003) avec celle de
l'interprétation des résultats. Selon Miles et Huberman (2003) :
La plupart des chercheurs qualitatifs travaillent seuls sur le terrain. Chacun d'entre eux est à lui seul une « machine» de recherche: il définit le problème, établit l'échantillonnage, conçoit les instruments, recueille les informations, les réduit, les analyse, les interprète, en fait un compte rendu. Une véritable activité de monopole. [ ... ] Dans la plupart des cas, le chercheur ne nous dit pas comment, précisément, il est passé de 500 pages de notes de terrain à ses principales conclusions et on ne sait pas jusqu'à quel point elles sont fiables. (p. 471).
Cette citation de Miles et Huberman (2003) décrit bien notre démarche dans cette
recherche. Mais, elle a aussi attiré notre attention sur le fait que nous devons être
vigilants lorsque de multiples sources de données sont utilisées. Pour ce faire, nous
avons opéré une double validation.
D'abord, notre démarche a consisté à réduire les biais liés à des données sur
lesquelles nous n'avons pas de contrôle, soit des données contaminées (Gauthier et
al., 2006; Thiétart et al., 2007) issues de sources telles que les documents privés et
publics. C'est pourquoi la collecte des données issues de ces sources s'est faite avant
les entretiens enregistrés et transcrits. Par la suite, les rencontres avec les participants
en vue de mener les entretiens en profondeur nous ont offert l'occasion de vérifier
auprès de ces derniers plusieurs informations contenues dans ces sources quant à
124
l'objet d'étude. Cette démarche permettait de confronter les données issues de
sources secondaires avec celles provenant de sources primaires afin de réduire les
données contaminées.
Ensuite, en ce qui concerne les résultats, nous avons tenté de réduire le biais
d' illusion holiste, soit le fait d'« accorder aux évènements plus de convergence et de
cohérence qu' ils n'en sont en réalité, en éliminant les faits anecdotiques dont la vie
sociale est faite » (Miles et Huberman, 2003 , p. 472). Déjà, les entretiens en
profondeur constituent un moyen de réduire ce type de biais, parce qu' ils donnent la
possibilité de disposer de plus d'informations sur la réalité. De plus, les résultats
étaient organisés dans un texte narratif présentant un récit historique des cas d' ID.
Nous avons ainsi réduit plus de 150 documents au total en sept récits racontant
chacun l' histoire de l'ID. Les récits historiques des cas d' ID ont été soumis aux
participants. À ce propos, selon Miles et Huberman (2003), le retour aux acteurs
ayant participé à la recherche, aussi appelé la validité écologique, est une démarche
de validation reposant sur le fait que « les personnes interviewées ou observées
constituent une des sources les plus logiques de corroboration» (Huberman et Miles,
1991 , p. 442). Il s' agit alors de solliciter les réactions de ces acteurs pour un résultat
plus cohérent et représentatif de leur réalité.
Cependant, l'histoire racontée est elle-même un enjeu pour la représentation
du dirigeant (du soi), de son entreprise, de son ID, en plus d'être un outil dans les
confrontations entourant l'ID étudiée. Dans ces conditions, le dirigeant peut être
amené à changer des faits « gênants » dans l'histoire du développement de l'ID,
introduisant ainsi des biais dans les données. C'est pourquoi, pour éviter ces biais et
bien que pouvant être « gênants », les faits pertinents à notre analyse ont été
conservés, dans le respect de l'éthique de la recherche avec des êtres humains. Dans
ce sens, nous expliquons aux dirigeants que rien ne l'engage quant à l'analyse
théorique qui découle de ces faits . De plus, nous veillons lorsque cela est possible à la
125
confidentialité des informations. À ce propos, tous les dirigeants interrogés n'ont pas
vu d'inconvénients, quand nous leur avons mentionné que la possibilité que leur
entreprise soit reconnue n'est pas à écarter. Cela dit, la suite de la démarche de
vérification revient à assurer la triangulation et la fiabilité de l'analyse des données
afin d'accroître la fiabilité de la méthode de recherche.
3.3.2 Fiabilité de la méthode de recherche
La fiabilité de la méthode de recherche consistait à s'assurer de la fiabilité du
modèle interactif d'analyse des données qualitatives, soit la collecte, la condensation,
la présentation ainsi que l' interprétation et la vérification des données.
En général, dans une recherche qualitative, pour améliorer la fiabilité de la
méthode de recherche, il est recommandé d'utiliser des protocoles ou des techniques
qui permettent de structurer et de systématiser la démarche de façon à permettre sa
réplication (Thiétart et al., 2007). En particulier, la triangulation est une des
techniques à laquelle le chercheur a souvent recourt afin d'opérer cette démarche.
Selon Bryman (2001), la triangulation consiste à utiliser:
More than one method or sources of data in the study of social phenomena. The term has been employed somewhat more broadly by Denzin (19 70: 310) to refer to an approach that uses 'multiple observers, theoretical perspectives, sources of data, and methodologies, but the emphasis has tended to be on methods of investigation and sources of data (Bryman, 2001 , p. 274)
Autrement dit, il existe plusieurs types de triangulation parmi lesquels la
triangulation des données, des instruments, mais aussi la triangulation théorique
(utilisation de plus d'une approche théorique pour interpréter une d.onnée) et celle des
chercheurs (utilisation de plus d'un chercheur dans un domaine pour rassembler et
126
interpréter des données) (Denzin, 1970). Nous avons utilisé les deux premiers types
de triangulation, soit la triangulation des données et celle des instruments.
Triangulation des données. La triangulation des données consiste à multiplier
les sources de données en faisant appel à des données secondaires et primaires.
L'objectif est de renforcer la crédibilité des informations provenant de chaque source.
Eisenhardt et Graebner (2007) proposent l'utilisation d'une variété de sources de
données dans le cadre d'études de cas multiples pour permettre une triangulation.
Pour ce même objectif de triangulation, Benbasat et al. (1987) suggèrent l ' utilisation
d' au moins deux sources de données. Parmi ces sources, il est recommandé de
combiner des données issues des entretiens à d' autres données pouvant provenir de
sources documentaires (Eisenhardt et Graebner, 2007).
C'est ce qui a été fait dans cette recherche. À ce propos, les entretiens comme
les documents pouvaient contenir à la fois des données primaires et secondaires. Par
exemple, lorsque le dirigeant, dans un entretien, parle d'un évènement auquel il n'a
pas assisté ou d'une action dans laquelle il a été peu ou n'a pas été impliqué, ses
propos sont considérés comme des données secondaires. Par contre, lorsqu'un
document privé portant sur l'entreprise ou sur l'ID (p. ex.: rapports de réunion,
document de présentation de l'ID) est remis par le dirigeant ou le gestionnaire qui en
est responsable, celui-ci est considéré comme une source primaire. Par conséquent,
les récits historiques des cas étudiés - produits des entretiens et des documents -
contiennent autant des données primaires que secondaires. Ils constituent ainsi une
source de données triangulées.
Néanmoins, la collecte des données ne peut se faire sans des instruments de
collecte. L' utilisation d'instruments de collecte de données peut aussi introduire des
biais dans l'étude et, par conséquent, poser des problèmes de fiabilité. C'est pourquoi
127
la triangulation des instruments de collecte de données devient nécessaire dans une
démarche qualitative.
Triangulation des instruments. Dans cette recherche, la triangulation des
instruments de collecte des données a consisté à combiner des documents, un guide
d'entretien (voir les annexes) pour mener les entretiens retranscrits par la suite et un
journal de bord servant à noter des éléments significatifs au cours de ces entretiens.
Le tout a été rassemblé et organisé dans le logiciel NVivo
Au sujet du guide d' entretien, il faut rappeler que le questionnaire a fait l'objet
d'un premier test lors de la résidence en entreprise. De plus, certaines de ces questions
avaient été utilisées dans le cadre d'autres recherches menées par le chercheur sur (à
peu près) le même objet d'étude. Le tout contribue ainsi à améliorer la fiabilité du
questionnaire. Il faut cependant noter qu'il s'agit d'un questionnaire ouvert qui donne
une liberté d'expression au répondant, l'objectif étant de renforcer la richesse des
données qui seront obtenues. Par conséquent, le questionnaire est utilisé ft des fins de
guide. Par ailleurs, un journal de bord contenant des notes générales, les réflexions
personnelles, les ébauches d'explications, les descriptions globales (Gauthier et al. ,
2006, p. 178), a été tenu. Enfin, une fois collectées les données ont été condensées à
l'aide du logiciel d'analyse NVivo.
La condensation informatisée des données avec NVivo visait d'abord à
rassembler en un même endroit les données issues des documents, des entretiens
retranscrits et des notes de journal. Ensuite, elle consistait à organiser ces données en
fonction des thématiques et sous-thèmes du cadre théorique. Pour assurer la fiabilité
du traitement informatisé des données, autrement dit pour minimiser les biais
inhérents à ce traitement, nous avons opéré une démarche d'allers et retours à
plusieurs niveaux:
128
A. Le caractère itératif du processus d'analyse avec le logiciel permet de faire une analyse répétitive des données issues des entretiens, des documents et des notes ;
B. Le " coding-on " permet le recodage des extraits déjà codés pour affiner et approfondir l' analyse ;
C. Certaines options du logiciel permettent de systématiser la démarche de codage et de faciliter l'identification de récurrences.
Comme pour le traitement informatisé des données, la fiabilité de l'analyse
des données a été en plus assurée à travers un protocole de codage. Selon Thiétart et
al. (2007), « le protocole devra établir précisément quels sont les éléments d'analyse à
retenir et quelles sont les catégories sélectionnées » (p. 276). C'est ce à quoi a servi le
codage thématique présenté plus haut au tableau 14.
Outre les critères de qualité pris en compte dans cette recherche, il faut aussi
considérer des aspects éthiques. C'est l' objet de la quatrième partie qui clôt ce
chapitre et permet d' amorcer celui sur les résultats de notre recherche.
4. CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES DE LA RECHERCHE
Le projet de recherche doit répondre aux normes édictées par l'Université du
Québec à Trois-Rivières (UQTR) dans le cadre de sa politique d' éthique de la
recherche avec des êtres humains 18. Dans ce sens, une demande de certificat
d' éthique, comportant les considérations éthiques que doit prendre en compte ce
projet de recherche, a été soumise au comité d' éthique de la recherche. Cette
demande a été faite et obtenue. Le certificat d ' éthique porte le numéro CER-13-196-
08-03.08. Il est valide jusqu' au 18 novembre 2014. Une copie des documents liés à
ce certificat se trouve aux annexes B et C, soit la lettre d' information et la lettre de
consentement que devait signer chaque participant à la recherche.
J 8 http: //www.uqtr.ca/ChercheurlRecherche/Recherche _ h umai nl
QUATRIÈME CHAPITRE
RÉSULTATS
Le chapitre des résultats est composé de trois parties. Les deux premières
parties soit la présentation des résultats et leur interprétation constituent des étapes du
modèle interactif de Miles et Huberman (2003). Dans la troisième partie de ce
chapitre, nous faisons un retour sur nos objectifs et questions spécifiques de
recherche.
Dans la première partie de ce chapitre, nous présentons les cas d'ID à travers
leur récit historique suivant une structure présentée dans le précédent chapitre. Il faut
noter aussi que dans ces récits certains a~teurs sont identifiés sans précision sur le
nom (p.ex. : une université, un fonds de recherche). Par ailleurs, le lecteur peut
retrouver dans l'annexe E, le détail (titre du document, date de parution, auteur, lieu
de parution, nombre de pages) des documents publics et privés consultés et portant
sur chaque cas d'ID.
La deuxième partie concerne l' interprétation des résultats. La démarche
consiste à faire une introspection de l'explicite et de l' implicite des données
analysées à la . lumière du cadre théorique de notre recherche. Dans ce sens, nous
présentons le processus d'ID de façon générale tel qu'il se dégage des résultats de nos
analyses. Nous mettons ensuite en évidence le travail du dirigeant dans ce processus.
Dans la troisième partie, nous revenons sur nos questions spécifiques de
recherche. Nous y répondons au regard des résultats de nos analyses et de nos
interprétations.
130
1. PRÉSENTATION DES RÉS ULTATS
1.1 De l'électrique à l'hybride (ID-l)
La préhistoire de l'ID. ID-l a été développée par une PME de 69 employés
créée en 1977. L'entreprise évolue dans le secteur de la fabrication et de la
commercialisation de vélos. À l'origine du vélo hybride se trouve le directeur des
marques. Il a étudié en administration et en markéting. Il crée sa propre entreprise
qu'il abandonne pour rejoindre une autre entreprise où il occupe le poste important de
directeur des marques. À ce titre, il est le responsable du développement et de la
commercialisation de toutes les différentes marques de produits de l'entreprise. Ce
dernier considère que l'entreprise était soucieuse de l'environnement bien avant son
arrivée: « juste le fait de fabriquer et de distribuer des vélos, nous permet de dire que
nous sommes écoresponsables, si nous voyons le vélo comme une alternative à la
voiture. Aujourd'hui cet argument n'est plus suffisant. Maintenant, nous voulons
développer et commercialiser un vélo qui est un compromis entre la voiture ou tout
mode de transport individualisé fonctionnant au pétrole et le vélo traditionnel. Nous
voulons ainsi renforcer l' aspect durable du vélo et rejoindre la clientèle potentielle
des baby-boomers et des jeunes travailleurs plus sensibles à cet aspect ».
En 2003, compte tenu de l'orientation de ce secteur vers des solutions de
réduction des GES et du changement des habitudes des consommateurs respectueuses
de l'environnement, le gestionnaire souhaite renforcer les aspects environnementaux
et sociaux dans les activités de l'entreprise. Selon ce gestionnaire, « des enjeux socio
économiques et environnementaux expliquent cette évolution du marché qui
commence à avoir une incidence sur nos activités présentes ».
131
En effet, « en Europe, il se développe un nouveau genre de vélo fonctionnant
à l' électricité dont la croissance des ventes augmente de 20% par année. Vu la
proximité culturelle du Québec avec certains pays européens comme la France, cette
tendance peut se poursuivre ici. Par ailleurs, au Québec, de plus en plus de personnes
en milieu urbain utilisent le vélo. Par exemple, il y a l'apparition de nouveaux
besoins sociaux chez les populations plus âgées comme les baby-boomers (50-70
ans). Ceux-ci souhaitent sortir de la sédentarité qui a un impact négatif sur leur santé.
Il faut donc satisfaire leur besoin de mobilité, de santé et de sécurité. De plus, ce type
de vélo permet à de jeunes travailleurs de se rendre au travail tout en évitant de suer
et de payer des frais de stationnement qui ne cessent d'augmenter. Plusieurs d'entre
eux sont aussi soucieux de l'environnement et souhaitent par conséquent adopter des
comportements écoresponsables. Pour ces derniers, 1'automobile émet des rejets
polluants dans l' air et utilise une source d'énergie non renouvelable: le pétrole. Le
tout fait en sorte qu'un nouveau marché dans lequel nous pouvons nous positionner
est en développement », explique le gestionnaire. Pour ce dernier, l'opportunité est
alors toute trouvée: « se transporter sans pétrole et sans auto ».
Comparativement à des sources telles que le pétrole, l'électricité se trouve être
moins nocive pour l'environnement. Et, le Québec possède d' immenses ressources
permettant de produire de l' électricité, notamment des ressources hydroélectriques
(électricité produite à partir de chutes d'eau). Précisément, l' analyse de son cycle de
vie complet montre que l'hydroélectricité émet très peu de gaz à effet de serre (GES).
En 2009, le secteur de l'électricité au Québec ne représentait que 0,6% des émissions
de GES alors que, les transports en sont responsables pour environ 44%19.
L'électricité est susceptible à l' avenir de remplacer une part importante du pétrole
utilisé sur les routes. Ainsi, le gestionnaire imagine un vélo qui s' inscrit dans une
logique de réduction de la pollution de l' air et de la consommation d'énergies non
19 Selon Hydro Québec, voir son site http://www.hydroquebec.comlcomprendre/hydroelectricite/ consulté le 10 juin 201 3
132
renouvelables. Pour développer ce type de vélo, l'entreprise doit y intégrer un
système de propulsion composé d'un moteur et d'une batterie fonctionnant à
l' électricité, deux composants au cœur de son produit.
L 'innovation durable. En 2004, le gestionnaire parvient à développer un vélo
comportant un moteur et une batterie fonctionnant à partir d'un système de
propulsion qui ne lui appartient pas. Cependant, la batterie est extrêmement lourde et
polluante en raison de l'acide-plomb qu 'elle contient et d'un temps de recharge de
plus de dix heures pour une autonomie très faible du moteur. Le vélo ne répond donc
pas aux exigences environnementales et de performance recherchées par le
gestionnaire. « L'acide-plomb est nuisible à l' environnement et la lourdeur de la
batterie ainsi que la faiblesse de l' autonomie du moteur ne permettent pas une
utilisation pratique et facile pour le consommateur. De plus, il faut reconnaître qu'à
cette époque la technologie de recharge de la batterie était très loin d'être parfaite »,
précise le gestionnaire. Le projet est alors "mis sur la glace".
En 2008, le gestionnaire revient à la charge en raison des pressions de la
concurrence internationale et des tendances du marché, la technologie s'étant
améliorée entre-temps. Il décide que l'entreprise va concevoir son propre système de
propulsion, soit son propre moteur et sa propre batterie. Cependant, l'entreprise n'a ni
l'expertise ni la technologie pour le faire. Le gestionnaire s'attache alors l' expertise
d'un spécialiste de l' intégration de l'énergie électrique dans les automobiles. « La
technologie est arrivée par une personne qui avait une solution unique. Avec ce
dernier, on a décidé de travailler pour développer le produit », souligne le
gestionnaire.
133
En 2012, après quatre ans de recherche et développement, le produit naît avec
les caractéristiques "originales" qu'on lui reconnait (grâce à un brevet) : « sa batterie
est unique au monde avec environ 1 heure de chargement, plusieurs moteurs intégrés
au pédalier et comprenant des composantes non dommageables pour
l'environnement. Le système de propulsion est indépendant du pédalage mécanique
qui est muni d'un système d'entraînement avec une courroie pour renforcer l'aspect
traditionnel du vélo. C'est donc un vélo hybride (propulsion à la fois électrique et
mécanique) s'intégrant facilement dans la culture d'un mode de transport
individualisé écoresponsable », explique le gestionnaire. Pour comprendre comment
celui-ci est parvenu à développer le vélo hybride avec différents acteurs, il faut
plonger dans l'histoire de ce vélo.
L'histoire de l'ID. Plusieurs acteurs seront impliqués dans le projet devant
conduire à la réalisation du produit en 2012. Pour ce faire, selon le gestionnaire, « la
démarche a été d'abord de comprendre ce qui est important aux yeux des
consommateurs afin de mieux intégrer leurs préoccupations dans le développement
du produit ». Cette démarche débute en 2008 par la mise sur pied de deux groupes de
discussion de consommateurs. Le premier groupe comprend des consommateurs qui
ont déjà une expérience du vélo électrique importé d'Europe. Pour ces derniers,
l'autonomie de la batterie et la fonction de pédalage importent le plus. Le second
groupe quant à lui est constitué de consommateurs qui envisagent de se procurer un
vélo dans les trois ou quatre prochaines années. Leurs préoccupations concernent
plutôt les aspects environnementaux du vélo. Pour intégrer ces préoccupations
d'ordre technique et environnemental dans le développement du vélo, une équipe
d'ingénieurs est constituée. Elle comprend des acteurs externes, soit un expert en
électricité (d'automobiles) et des détaillants ainsi que des acteurs internes, soit un
groupe d'ingénieurs de l'entreprise.
134
L'expert en électricité est reconnu au Québec pour son expertise. Ce dernier
avait développé, « à une certaine époque, un concept de motocyclette et de tricycle
électrique avec une batterie ayant une heure de recharge. C'est donc, l'homme idéal
et incontournable qui va nous aider à fabriquer un produit, au centre duquel
l' électricité joue un rôle important et lui donnera ses lettres de noblesse », explique le
gestionnaire. L'équipe d' ingénieurs internes intervient dans la conception mécanique
du vélo, la structure du chargeur de la batterie et le moteur. Pour ces derniers, la
combinaison de tous ces éléments doit permettre de développer un système de
propulsion mécanique plus efficace. « Le projet est i~téressant pour eux, car il leur
donne l'occasion de développer leur expertise dans la mécanique, en plus d'être une
source de motivation », soutient le gestionnaire. En parallèle à cela, l' entreprise
rencontre un ensemble de détaillants faisant déjà partie de son réseau de vente au
détail. Ceux-ci sont sollicités pour se prononcer sur le futur produit par rapport aux
services après-vente afin d'aider à une meilleure distribution du produit une fois
fabriqué. « Avec eux, j ' ai essayé de comprendre ce qui faisait qu'un vélo électrique
peut se vendre. C'était quoi les enjeux, auxquels ils faisaient face ».
Pour mettre en œuvre le projet d' innovation, l' équipe composée de l'expert et
des ingénieurs de l'entreprise se met au travail. Cependant, ceux-ci n'ont pas la même
perception du futur produit. Les ingénieurs de l'entreprise pensent à « un vélo avec
une propulsion mécanique (p. ex. : un système d'entrainement avec une courroie)
pouvant fonctionner à l'électricité. Pour ces derniers, le vélo est l'occasion d'améliorer
leur expertise en mécanique acquise depuis la création de l' entreprise; leur argument
: « ne pas perdre l'expertise en mécanique reconnue à travers le pays au profit d'une
autre », rapporte le dirigeant. Pour l'expert en électricité, « s' il faut développer un
vélo qui permet de se transporter sans pétrole et sans auto, améliorant ainsi les
aspects environnementaux, le système de propulsion ne peut qu'être électronique et
non mécanique. D'ailleurs, il sera difficile de faire autrement si l' aspect électrique
constitue l'un des principaux arguments de vente du produit », rapporte le
135
gestionnaire. Ce dernier se trouve alors au centre d' une confrontation entre ses
propres ingénieurs et l'expert en électricité sur des aspects techniques (précisément
mécanique et électronique) du vélo. Pour le gestiOlmaire, un vélo fonctionnant avec
un système de propulsion électrique ne remet pas en cause l'expertise en mécanique
de l'entreprise. Il s'agit de faire une nouvelle gamme de vélo à côté de la gamme de
vélos traditionnels existante. Par conséquent, les ingénieurs en mécanique doivent
comprendre qu'il s'agit bien plus que d'avoir des connaissances en électricité.
L'objectif est de concevoir un vélo électrique et par conséquent il faut des
compétences en électronique dont, par la suite, l'entreprise pourra être propriétaire.
Avec à la base l'idée de développer un vélo électrique, un prototype du produit
est réalisé en 2010. Il doit maintenant être testé par les deux groupes de
consommateurs. Pour le groupe de consommateurs préoccupés par l' aspect technique,
le vélo pose des problèmes de sécurité et de santé surtout s'il s'adresse en partie à la
clientèle des personnes âgées. Pendant les essais, « la très longue chaîne du vélo a
déraillé à quatre ou cinq reprises au cours des quelques trajets effectués, et le
changement de vitesse n'a jamais été aisé. De plus, le vélo n'a pas l ' air d'un vélo
traditionnel. Il ressemble plutôt à une motocyclette et dans ce cas on ne voit pas
comment il peut nous aider à garder la forme (la santé). Tout compte fait, nous ne
prendrons pas ce vélo pour faire du sport, mais pour nous amuser, pourquoi pas! En
fait, nous l'appellerons: joli vélo de contemplation pour clientèle un peu pépère! »,
rapporte le gestionnaire. Quant au groupe de consommateurs soucieux de l'aspect
environnemental, il doute du caractère totalement "vert" du vélo, convaincu que celui
ci aura des impacts environnementaux liés à l'utilisation d'un moteur dont les
composantes « peuvent être polluantes ». Ce groupe de consommateur doute de la
valeur environnementale du produit. « De toutes les façons, quitte à vouloir utiliser
un vélo électrique se vantant d'être vert, il vaut mieux prendre un vélo traditionnel
qui utilise comme source d'énergie l'effort humain », rapporte le gestionnaire.
136
Dans ces conditions, le gestionnaire avance plusieurs arguments pour tenter de
convaincre les consommateurs et de mieux faire comprendre les caractéristiques de
son vélo électrique. Pour ce dernier, d'abord en ce qui concerne la chaîne du vélo, « il
s' agit d'une erreur durant son transport. Le dérailleur a dû être endommagé au cours
du transport. Il faut simplement faire les changements de pièces requis ». À propos de
l'aspect "motocyclette" du vélo, le gestionnaire explique qu' au Canada, « pour qu' un
vélo soit considéré comme tel et non comme une motocyclette, il faut qu' il respecte
des règlementations imposées par Transport Canada. Par exemple, la vitesse de
pointe permise doit être au maximum de 32 km/h, la puissance du moteur de 500
watts/h, le courant électrique doit se couper lorsque les freins sont actionnés. De plus,
cela veut dire que le consommateur n'a pas à acheter des assurances, des
immatriculations et peut se déplacer sur des pistes cyclables avec ce vélo électrique ».
Or, le prototype remplit toutes ces exigences et par conséquent, il n'est pas une
motocyclette. Concernant l'aspect traditionnel du vélo, pour le gestionnaire, « cela
dépend du sens qu'on a de ces deux types de vélos. Je pense que le vélo électrique va
être tentant pour une grande partie de la population et doit plutôt être mis en
opposition à une voiture plutôt qu'à un vélo traditionnel. De plus, en Amérique du
Nord tout comme au Québec, le vélo traditionnel est beaucoup considéré comme un
sport ou un loisir en raison de la température. Le vélo électrique fait en sorte que le
vélo peut être considéré, en plus, comme un mode de transport ». Enfin, au sujet du
souci pour l'environnement, selon le gestionnaire « la batterie du vélo est au lithium
ion. Et, contrairement à la voiture, ce vélo ne produit pas de gaz à effets de serre à
l'utilisation et ne consomme que très peu d'électricité. Pour preuve, il est certifié par
l' agence de l'efficacité énergétique du Québec comme étant un produit qui permet de
réduire les GES. De plus, c'est un vélo conçu et assemblé entièrement au Québec,
c'est donc un "made in Québec", renchérit-il.
Pendant ce temps, selon le gestionnaire certains distributeurs sont « sceptiques
sur le succès de ce produit surtout en raison de son prix élevé. En plus, il faut être
137
capable d'offrir les servIces de réparation avec des appareils appropriés qu' ils ne
possèdent pas ». « Je leur ai dit qu'avec ce vélo, nous voulons cibler deux segments
de consommateurs importants et sensibles à d'autres aspects autres que le prix, soit
les aspects techniques et environnementaux. Néanmoins, nous pouvons leur apporter
un soutien technique pour les services de réparation après-vente », explique le
gestionnaire. Pour d'autres détaillants, « ce n'est pas pour notre marché, qui est celui
du cyclisme sportif. », raconte le gestionnaire. Selon ce dernier, pour certains
détaillants, le vélo électrique « n'a aucun avantage. C'est même plus dangereux qu'un
vélo traditionnel ».
En fait pour l'ensemble des deux groupes de consommateurs et des détaillants,
« au lieu de proposer un vélo électrique traditionnel, nous avons fabriqué un vélo tout
électrique n'ayant pas l'air d'un vélo traditionnel qui en plus pose des problèmes de
santé et de sécurité », concède le gestionnaire. Toutes ces préoccupations des
consommateurs et des détaillants amènent alors le dirigeant à revoir le produit. Pour
ce dernier, il aurait entre autres dû écouter ses propres ingénieurs qui voyaient déjà
d'un mauvais œil le "tout électrique" de ce vélo sans la possibilité d'une utilisation
mécanique ou manuelle. Partant de là, pour le gestionnaire, il s'agit de « revoir le vélo
en privilégiant les aspects environnementaux, esthétiques et liés à la santé et la
sécurité de l'utilisateur. De cette façon, le vélo pourra attirer le marché des baby
boomers soucieux de leur santé et de leur sécurité, et des jeunes travailleurs voulant
joindre l' utile (éviter les stationnements et les frais afférents) et l'agréable (sans
transpirer en arrivant au travail) à l' environnement (comportements
écoresponsables) >>. Autrement dit, il s'agit de fabriquer un vélo hybride, soit un vélo
fonctionnant avec un système de propulsion à la fois électrique et mécanique. Cela
offre deux options d'utilisation au consommateur.
138
En 2012, le gestionnaire revient avec un nouveau prototype de vélo. « Les
efforts se sont faits à deux niveaux. D'abord, ils ont porté sur le design du produit qui
devait, tout au moins absolument, ressembler à un vélo traditionnel, car nous le
définissons comme un compromis entre le vélo traditionnel et la motocyclette. De
plus pour renforcer l'aspect traditionnel, nos ingénieurs en mécanique ont conçu un
système d'entraînement avec courroie comme pour le vélo classique. Si la
particularité de ce vélo n'était pas de fonctionner à l' électricité, nous n'aurions pas
connu tous ces débats et ces changements. Dans ce sens, nous avons fait ensuite un
second compromis. En effet, la technologie permet maintenant de passer du mode
électronique au mode manuel et vice-versa, assurant ainsi plus de sécurité dans
certaines situations », explique le gestionnaire.
Cependant, pour y arnver, le gestionnaire a dû faire appel à un designer
industriel pour l'aspect esthétique du vélo. Ensuite, il a pu bénéficier du financement
de deux organismes, l' un au niveau provincial et l' autre au niveau fédéral. « Ces
financements sont nécessaires, car la production d'un vélo hybride est couteuse »,
précise le dirigeant. Pour convaincre les premiers d'investir financièrement, « on a
monté un dossier dans lequel on leur démontre que notre projet peut être une
alternative à la voiture. Déjà avec le précédent prototype, nous pouvions leur montrer
que notre vélo permet de réduire les gaz à effet de serre », raconte le gestionnaire.
Pour le second, un fonds de recherche fédéral , « c'était l' aspect de l' innovation
technologique, de la conception et de la production locale au Canada qu' il fallait
démontrer dans le dossier» afin d'être qualifié pour le financement.
Les actions du dirigeant en vue de consolider le prototype (et autour de ce
dernier un réseau) ne se sont pas arrêtées aux aspects financiers. Ainsi, dans le cadre
de son activité annuelle visant à réduire les émanations provenant du transport
routier, la plus importante agence hypothécaire au Québec va associer son image au
139
produit. En clair, pour la deuxième édition de cette activité, le prototype est utilisé par
les employés de cette entreprise et des courtiers hypothécaires. Ensuite, un cycliste
professionnel devait prouver l' endurance et la fiabilité du vélo. Pour ce faire, ce
dernier a réalisé avec le vélo une traversée canadienne en deux mois. Un blogue
permanent a même été spécialement mis en ligne sur Internet pour permettre à la
population de suivre le périple du cycliste ainsi que toutes les actions associées au
vélo. Un responsable d'une agence gouvernementale chargée du tourisme est aussi
sollicité par le gestionnaire: « Nous n'avons aucune raison d'exclure des réseaux
cyclables les gens plus âgés ou ayant des problèmes de santé, d'autant plus que ce
vélo fait peu de bruit », précise ce responsable lors d'une conférence de presse
organisée par l' entreprise pour présenter son produit.
Dans tous les cas, « l'enjeu était d'être capable de développer un produit tout à
la fois performant d'un point environnemental et social que technique. C' est ce que
nous avons réussi à faire en prenant en compte les préoccupations d' acteurs-clés »,
conciut le directeur des marques. En définitive, après quatre ans de recherche et
développement, de débats et de collaborations, le vélo hybride est devenu une réalité
grâce à l' appui d'un réseau d'acteurs, un produit qui est aujourd'hui commercialisé.
1.2 De la récupération à la gestion (ID-2)
La préhistoire de l'ID. ID-2 est un modèle d'affaires développé par une jeune
PME de six employés créée en 2011. L'entreprise évolue dans le secteur de la
récupération de matériels électroniques. Au cœur de son modèle d' affaires se
trouvent les déchets électroniques ou plutôt les petits appareils électroniques usagés
(c'est le terme que préfère le dirigeant). Les appareils électroniques usagés « sont des
140
matières dangereuses pour l'environnement et les humains tout en étant une ressource
gaspillée », indique le dirigeant, président et fondateur de l'entreprise.
En effet, les petits appareils électroniques contiennent des métaux lourds
comme le palladium, le plomb et le mercure. Selon Recyc'Québec, une agence
gouvernementale de protection de l' environnement, 1 % de tous les déchets jetés dans
le monde sont de petits appareils électroniques et 60 à 70% contiennent des métaux
lourds nocifs pour l ' environnement. La quantité de ces déchets augmente chaque
année au Québec. Et, seulement 8% des vieux appareils électroniques sont recyclés.
Ils mettront, dans certains cas, plus de 200 ans pour disparaitre des écosystèmes. Les
9500 tonnes qui restent vont vers les sites d'enfouissement. Mais très souvent, « les
pays développés se débarrassent de ces appareils électroniques usagés en les
envoyant dans les pays en développement. Cela met ainsi en danger la vie des
populations qui les réutilisent », précise le dirigeant.
Cependant, selon le dirigeant « les petits appareils électroniques usagés ont
une valeur économique dans le sens où ils contiennent des composants réutilisables
dans d'autres appareils. C'est pourquoi ils constituent dans le même temps une
ressource gaspillée ». Par exemple, avec un cellulaire usagé, il est possible de
récupérer le boitier, les batteries et le circuit intégré. Le plastique d ' un boitier de
cellulaire peut être broyé et réutilisé pour fabriquer divers produits comme des
clôtures et des palettes. Les batteries contiennent du nickel pour produire l'acier
inoxydable, du cobalt et du cadmium pour fabriquer de nouvelles piles. Et, le circuit
intégré renferme de petites quantités d'or et d'argent qui peuvent être utilisés dans la
joaillerie ou d'autres produits. Ces appareils ne sont pas seulement omniprésents, ils
présentent aussi souvent un enjeu quant à leur durée de vie, parfois plutôt
brève. Selon le dirigeant; « on parle de six à sept ans pour un téléviseur, trois ans
pour un ordinateur et d'environ seize mois pour un cellulaire ».
141
« J'ai remarqué qu'on se retrouvait avec beaucoup de petits appareils
électroniques dont on ne savait quoi faire. Et, quand vient le moment de s'en
débarrasser et de les recycler, cela devient très complexe », raconte le dirigeant. Pour
répondre à ces problèmes environnementaux et sociaux ainsi qu'à la valeur
économique que représentent les petits appareils électroniques usagés, le jeune
dirigeant a en tête une opportunité : revendre ces petits appareils électroniques
usagés.
L 'innovation durable. L'entreprise conçoit un modèle d'affaires innovant qui
allie « produit, concept technologique et service », précise le dirigeant. Le bac dit «
intelligent » constitue le coeur du modèle et son aspect de produit fonctionnant avec
un système de télémétrie (concept technologique) qui permet une meilleure gestion
des déchets électroniques récupérés (service). C'est cette combinaison brevetée qui a
valu à l'entreprise un prix délivré par Recyc 'Québec. Le principe du modèle
d'affaires est le suivant.
Les appareils électroniques désuets sont jetés dans un bac « intelligent ». Ce
bac est constitué d'une technologie qui permet de reconnaitre et de classifier
son contenu. Il est compartimenté selon les types de déchets électroniques :
CD/disquettes, piles, cartouches d'encre, périphériques (p. ex. : des disques durs) et
les petits appareils électroniques (p. ex. : les cellulaires). Ainsi, des senseurs
électroniques permettent de reconnaitre le niveau de remplissage des différents
compartiments. « Cette fonctionnalité associée avec des algorithn1es qui analysent les
dynamiques de remplissage enregistrées dans le passé permet de définir le meilleur
moment pour vider le bac » explique le dirigeant. Le détecteur émet une alerte pour
informer d'un bac qui déborde ou qui est ouvert sans autorisations. « Notre
technologie de télémétrie est unique au monde », précise le dirigeant.
142
La dimension "service" de cette ID consiste à acheminer les appareils
électroniques récupérés à un centre local de traitement certifié. Ils sont remis en état
pour une utilisation subséquente par des particuliers ou des organismes sans but
lucratif. Enfin, les matières issues du recyclage telles que les métaux et les plastiques
sont réutilisées dans la fabrication de nouveaux produits. Le service s' accompagne
aussi d'un bilan environnemental produit pour les entreprises clientes (au sein
desquels les bacs sont installés) qui voudront communiquer leurs efforts dans ce
domaine.
Pour le dirigeant, « bien entendu, il y a des programmes de récupération dans
certaines grandes surfaces et il est toujours possible de déposer les déchets dans des
centres de récupération écologique, mais on ne s'y rend pas régulièrement ». Le
modèle d'affaires de l' entreprise mise surtout sur la récupération, la gestion (sélection
et traitement) et la revente des petits appareils électroniques usagés à des recycleurs
certifiés ainsi que sur des frais annuels fixes exigés auprès des entreprises où sont
situés les bacs. Pour mieux comprendre les principales "péripéties" du développement
du bac « intelligent », reprenons son histoire.
L'histoire de l'ID. D' abord, le dirigeant doit faire face à son entourage (parents
et amis) . Pour celui-ci, la revente de petits appareils électroniques usagés « équivaut à
s' occuper de déchets », rapporte le dirigeant. Vu le caractère « banal et déshonorant »
d'une telle activité comparativement à une carrière prometteuse dans une prestigieuse
entreprise de la place que peut avoir le jeune dirigeant, se lancer dans un tel projet
n'est pas un bon choix.
143
Malgré cela, le dirigeant a un soutien de taille pour son projet: l'université où
il vient d'achever ses études. Celle-ci demeure une actrice-clé pour le lancement de
son projet et son premier client. D'ailleurs, c'est pendant ses années d'études que le
dirigeant avait compris l'enjeu et l'opportunité que représentent les petits appareils
électroniques usagés. Le dirigeant voyait alors ses amis et collègues accumuler des
cellulaires, des clés USB, des disques de stockage de données, etc. dont ils avaient du
mal par la suite à se débarrasser. Pour ce dernier, l'université « est un centre de
savoir très impliqué sur le terrain et sur les grandes tendances. Elle s'est impliquée
dans le projet à travers son responsable du développement durable parce qu'elle s'est
dit qu'elle avait une clientèle étudiante importante qui génère beaucoup de déchets de
tout genre (électronique comme non électronique) ». Pour le responsable du DD de
l'université, « le projet permettra de récupérer toutes sortes de déchets devant prendre
le chemin des sites d'enfouissement », rapporte le dirigeant.
L'association des recycleùrs de produits électroniques est un autre acteur-clé
dans le processus de revente de petits appareils électroniques usagés. Mais avant la
revente, il y a toute une gestion des déchets à faire, dont la récupération puis le
traitement. L'association s'intéresse donc à la récupération des déchets électroniques
et à leur gestion suivant des normes de certification. Par conséquent, le dirigeant ne
peut passer outre ce mode de recyclage. « C'est l'acteur qui gère le réseau de
récupérateurs tant au niveau des points de collecte comme au niveau des entreprises
qui vont recycler et traiter le matériel. L'association certifie les contenants ou les bacs
de récupération, les lieux de dépôts et ceux qui doivent récupérer ces appareils
usagés», explique le dirigeant.
Le dirigeant semble être en confrontation avec son entourage, le responsable
du DD de l'université et l'association des recycleurs sur le projet tel qu'il l'imaginait.
À propos de la perception qu'a son entourage des petits appareils électroniques
144
usagés, pour le dirigeant il s'agit de « créer une nouvelle habitude, celle de ne pas
jeter les petits électroniques n ' importe où, et non de m'occuper de vulgaires déchets
comme l' entend mon entourage ». En cela, l' entreprise poursuit « une mission noble
» partagée par son université à travers le responsable du développement durable et
l'association des recycleurs. Cependant, contrairement à ces derniers, le dirigeant ne
voit pas son projet comme une façon « de récupérer des déchets de tout geme, car il y
a plusieurs qui le font comme les centres de récupération écologique ». Il est plutôt
intéressé par la récupération et la revente des petits appareils électroniques usagés et
la distinction est importante. Néanmoins, pour s'assurer de l'appui important de
l'université, son futur client, et de l'association des recycleurs, son futur partenaire, le
dirigeant se rend compte que son projet ne peut plus seulement consister à revendre
les déchets électroniques, mais aussi à les gérer. Par conséquent, ce projet devra
ressembler à : un modèle d'affaires pour la gestion de petits appareils électroniques
usagés à travers un bac de récupération mobile.
Pour le dirigeant, l'innovation de son modèle d'affaires réside dans le fait que:
« au lieu de demander au consommateur de se déplacer à un point de dépôt, à travers
nos bacs on apporte le dépôt au consommateur. C' est cela qui change tout d'après moi
». Dans le modèle d'affaires, le bac « mobile» est élément central. Ensuite, il faut le
tester. Un prototype de ce bac est alors conçu et testé dans quelques entreprises. Les
résultats du test effectué soulèvent deux types de préoccupations chez ces entreprises.
Pour certaines entreprises, leur besoin ne se trouve pas au niveau de la récupération
par un bac. Le problème c'est que rien ne les rassure sur le fait que les données
présentes dans ces appareils électroniques usagés ne seront pas utilisées à d' autres
fins. Pour d'autres entreprises, le problème avec les bacs, c' est que « les employés
tout comme les visiteurs ne respectent plus les compartiments réservés aux différents
types de déchets », raconte le dirigeant.
145
Sur les conseils de ses mentors et coachs, le dirigeant va proposer un autre
modèle d'affaires. « Ce sont eux qui m'ont aidé à réorienter le modèle d'affaires de
façon à ce qu' il soit bien compris de mes partenaires et réponde aux préoccupations
des clients », explique le dirigeant. Grâce au réseau de ses mentors, celui-ci entre
d'abord en contact avec une entreprise spécialisée en télémétrie. L'objectif est de voir
la possibilité de concevoir un bac qui intègre un système de télémétrie qui le rendrait
ainsi « intelligent ». À travers un tel système, les déchets électroniques peuvent être
récupérés de façon « intelligente » selon des compartiments dont l'entrée est adaptée à
chaque type de petits appareils électroniques usagés. Par exemple, il ne sera pas
possible de mettre un disque dur désuet dans le compartiment d'une clé USB pour des
raisons de dimension. Le système émet aussi un signal sonore lorsque le bac est plein.
Ensuite, pour s'assurer que les données contenues dans les appareils électroniques ne
seront pas exploitées, « les déchets sont acheminés à une entreprise certifiée pour
faire le traitement. Avec ces derniers, on a l'assurance que cela va être bien fait, le
matériel va être bien recyclé ou remis en état, les données vont être détruites et que
rien ne va être exporté hors du Canada ». Le dirigeant a maintenant un modèle
d'affaires au centre duquel se trouve non plus un bac de récupération mobile, mais ce
qu'il appelle un bac "intelligent".
Pour arriver à réaliser ce bac et le modèle d'affaires, le dirigeant constitue un
réseau d'acteurs comprenant, l'association des recycleurs, une banque, une entreprise
de traitement certifiée. Il s'allie à l' association des recycleurs à travers son
programme de qualification des recycleurs. Il a aussi l' appui d'une grande banque à
travers son programme de financement de projets innovants orientés vers le DD. Un
partenariat est signé avec l' entreprise chargée de traiter et de recycler les déchets
électroniques. Cependant, dans ce partenariat, l' entreprise ne fait « pas de concession
sur le fait qu'il faut que les déchets soient bien traités et ne soient pas exportés dans
d'autres pays ». Partant de là, selon le dirigeant « les entreprises clientes n'ont aucune
gestion à faire, on s'occupe de tout. Les clients qui se départissent de leurs appareils
146
électroniques peuvent être assurés que les données en seront effacées et que ces
appareils seront traités au Canada par des entreprises certifiées par l'association pour
le recyclage des produits électroniques du Québec. C' est d'ailleurs le chainon
manquant entre les récupérateurs et les centres de traitement. Nous offrons la garantie
d'une gestion responsable des petits déchets électroniques », conclut le dirigeant.
1.3 De la sensation à la station (ID-3)
La préhistoire de f'ID. ID-3 a été développée par une PME de cinq employés
créée en 2011. La PME évolue dans le secteur des produits de nettoyage. La
dirigeante est au centre du développement de l'ID en sa qualité de présidente et
fondatrice de l'entreprise.
Après un diplôme en finance et plusieurs années d'expérience comme
gestionnaire dans l'entreprise familiale de fabrication d'équipements pour des réseaux
électriques, la dirigeante souhaite fonder une entreprise qui s'appuie sur ses valeurs
sociales (p.ex. : le bien-être familial) et environnementales (p.ex. : la consommation
de produits écologiques et locaux). Alors, « je me suis demandée, quels étaient mes
intérêts. J'avais un penchant pour des produits alimentaires écologiques. L'arrivée de
mes deux enfants a confirmé et amplifié cette préoccupation. Mais, j'étais aussi une
fille intolérante aux fragrances synthétiques, à tous les produits d'entretien
cosmétiques fortement parfumés. C'est pourquoi je faisais mes propres produits à la
maison depuis une vingtaine d'années. À partir de ce moment, je me suis dit que si
c'est quelque chose que je fabrique déjà et pour lequel j'ai un intérêt, je peux le
développer en mettant de l'avant l'argument écologique et surtout celui de la
fragrance », raconte la dirigeante.
147
La fragrance est un parfum ou une odeur agréable. Selon plusieurs études,
dont celle de Greenpeace20 (2005), les fragrances synthétiques utilisées dans des
produits d'entretien, comme les eaux de toilette et de parfum, peuvent causer des
dommages aux poun10ns, au foie et aux reins. Ils peuvent aussi dérégler le système
hormonal. Selon la dirigeante, « on retrouve aussi ces fragrances synthétiques dans la
plupart des produits de nettoyage. Elles font partie des produits chimiques les plus
nocifs pour l'honune et l'environnement. Elles contiennent des phthalates reconnus
sur les listes de produits cancérigènes ».
La dirigeante est convamcue qu'il est possible d'avoir des fragrances
naturelles ou d'éliminer les fragrances synthétiques des produits dans lesquels elles
ne sont pas essentielles. Malheureusement, « l ' une des marques de commerce des
produits nettoyants, c'est la fragrance », explique-t-elle. L'opportunité toute trouvée
est alors: nettoyer sans fragrance, sans produit chimique, de façon écoresponsable.
L'innovation durable. L'ID est un modèle d'affaires composé d'une station de
remplissage et d'un produit nettoyant écologique et sans fragrance. L'aspect
écologique du produit tient au fait qu'il est « biologique, biodégradable, sans colorant
et sans formaldéhyde ». Par conséquent, « il n'a pas d'impact sur la qualité de l' air et
le sol. C'est pourquoi sur mon logo, il y a des petites bulles pour l'illustrer. Cela
signifie que, ce que je déverse dans l'environnement est bon », précise la dirigeante.
L'aspect écoresponsable de la station de remplissage réside dans le fait que les
clients se procurent le produit nettoyant à partir d'une station installée à des endroits
20 Greenpeace est une organisation internationale indépendante qui recourt de façon créative, mais toujours non-violente, à la confrontation pour exposer des problèmes environnementaux à l'échelle planétaire et astreindre les parties prenantes à prendre des résolutions essentielles pour un futur écologique et pacifique (Source: www.grenpeace.org).
148
indiqués ou dans les locaux du client (dans le cas des entreprises). Ce système
d'approvisionnement élimine l'utilisation de contenants favorisant ainsi des
comportements responsables d'un point de vue écologique. « Par exemple, j ' installe
une station de remplissage de 1 0 et de 20 litres de concentré de produit nettoyant dans
les entreprises, les garderies, les studios de yoga, les restaurants, les bars. Grâce à
cette station, les utilisateurs peuvent se servir directement à travers la station. Lorsque
la station est vide, je reviens la remplir », explique la dirigeante.
Ce modèle d' affaires fonctionne bien, selon la dirigeante, car « neuf clients
sur 1 0 adhèrent à mon concept. Je considère que c'est un produit complet dans sa
fabrication, sa distribution, son emballage et sa destruction ». Pour arriver à
développer ce modèle d'affaires, l'entreprise a fait appel à différents acteurs: « il y
avait le chimiste, le propriétaire de la formule chimique du produit, une coopérative
universitaire, les fournisseurs d'emballage et d' étiquettes ainsi qu'un restaurant »,
indique la dirigeante. Quelques passages importants de l'histoire de ce modèle
d'affaires permettent de mieux comprendre l'implication de ces acteurs.
L 'histoire de l'ID. L'histoire commence par la rencontre avec le chimiste
spécialisé dans le développement de composés biologiques. « Je l' ai rencontré et je
lui ai demandé s' il était possible de faire du nettoyage sans fragrance, sans colorant et
sans formaldéhyde. Il m'a dit que c'est entièrement possible et que cela correspond à
ses intérêts. Donc, ce chimiste était intéressé par les aspects environnementaux liés
aux produits de nettoyage et moi je voulais exploiter l'opportunité que cela présentait
», explique la dirigeante. Par conséquent tous deux ont la même vision d'un enjeu
environnemental qui peut se concrétiser par des nettoyants sans fragrance, sans
colorant et sans formaldéhyde. Sur cette base, le chimiste met alors en contact la
dirigeante avec une entreprise qui possède un produit de base identique à ce que
recherche la dirigeante. « Je lui ai dit qu'il y a une entreprise qui fabrique déjà des
149
produits biologiques. Qu'elle aille les VOlr en premler et peut-être qu'on pourra
utiliser leur formule chimique. Cela éviterait qu'on ait à développer un produit qui
pourrait nous couter cher », affirme le chimiste.
Pour le propriétaire de la formule chimique, celle-ci « fonctionne en fait avec
des produits qui sont certes biologiques, mais contenant aussi des composantes non
écologiques telles que des colorants, de la fragrance et un certain type de
formaldéhyde », rapporte la dirigeante. Pour que cela fonctionne, il faut donc que la
dirigeante revoie son projet de produit en abandonnant certains aspects qui ne
permettent pas qu'elle utilise convenablement la formule. Dans le cas contraire, il
risque d'être couteux pour elle de se lancer dans la recherche d'une formule adaptée à
son projet de produit. Les problèmes auxquels est confrontée la dirigeante dans
l'élaboration de son projet ne concernent pas que la formule chimique du produit. Ils
s'étendent aussi aux emballages et aux étiquettes des contenants.
La dirigeante mobilise deux autres acteurs externes afin de lui fournir des
emballages et des étiquettes pour ses contenants. « J'avais des critères à respecter. Par
exemple, je voulais premièrement des emballages simples déjà utilisés.
Deuxièmement, je voulais qu' ils soient fabriqués localement. Et troisièmement, je
voulais des emballages sans BPA. Pour l'étiquetage, je voulais de la colle et de
l'encre végétales », explique la dirigeante. Par contre, pour les fournisseurs
d'emballages et d'étiquettes un nettoyant sans fragrance, sans colorant et sans
formaldéhyde peut très bien contenir dans un emballage avec des étiquettes classique.
« Pour eux, de toutes les façons, ces aspects du produit ne sont pas visibles par le
consommateur. De plus, cela n'est pas rentable de répondre à de telles exigences pour
une seule entreprise cliente », rapporte la dirigeante. Pourtant pour cette dernière, ces
différents aspects répondent à un projet de produit qui se veut écoresponsable.
150
La dirigeante se rend compte qu'il va falloir revoir certains aspects de son
projet. Pour ce faire , en ce qui concerne la formule de base du produit, élément
essentiel de son produit, la dirigeante sollicite l'intervention du chimiste pour
convaincre le propriétaire de la formule . « Il est possible de modifier la formule pour
avoir le produit désiré par la dirigeante », soutient le chimiste en face de ce dernier.
Suite à cette intervention, le fabricant accepte à condition de déposer la formule en
fidéicommis21 chez le chimiste. Ainsi, c'est le chimiste qui sera chargé d'assurer la
confidentialité de la formule. Il sert alors d'intermédiaire entre le détenteur de la
formule et la dirigeante. « La seule chose qu'on a demandée, c'est que s'il fait faillite,
la formule pourra m'être divulguée pour que je puisse continuer de l'utiliser et la faire
fabriquer ailleurs. J'ai fini par avoir une bonne entente avec le détenteur de la formule
», ajoute la dirigeante. À propos des emballages et de l'étiquetage, les critères sont
abandonnés pour une solution où les clients peuvent apporter leurs contenants usagés
pour le remplissage. Il s'agit finalement pour la dirigeante de fabriquer des nettoyants
sans fragrance, sans colorant et sans formaldéhyde, l'aspect écoresponsable étant «
mis sur la glace » ou du moins « mis à la charge » du client. Un prototype est
développé et une coopérative universitaire ainsi qu'un restaurant serviront de bancs
d'essai.
Concernant la coopérative, « elle cherche à favoriser l'utilisation de produits
biologiques chez les étudiants. J'ai appelé la responsable de la coopérative et je lui ai
dit que j'ai un modèle d'affaires pilote que je souhaite tester dans une université. Et,
j'ai besoin de vous comme partenaire. Qu'est-ce que vous en pensez? Elle m'a dit,
j'accepte, car c'est une solution qui s'inscrit dans ses intérêts ». En effet, la
coopérative universitaire s'est engagée à promouvoir des pratiques de DD auprès des
étudiants, en plus de sa mission classique qui est l'implication dans la communauté
universitaire.
21 Il désigne une disposition testamentaire par laquelle le stipulant transmet un bien, ou tout ou partie de son patrimoine à un bénéficiaire apparent, en le chargeant de retransmettre ce ou ces biens à une tierce personne spécifiquement désignée dans l'acte.
151
À propos du restaurateur, « je lui ai dit que : vos clients doivent avoir les
mains propres sans odeur lorsque le temps vient de déguster un plat à 48 dollars. De
plus, dans le secteur du tourisme et de la restauration, un regroupement d'organismes
dont vous faites partie met en place un label pour rendre les restaurants
écoresponsables. C'est pourquoi je sollicite votre collaboration pour m'aider à
développer le produit et concrétiser vos actions en matière de développement durable.
Et, ça a marché ». Le restaurateur voit ainsi dans le produit de l'entreprise un moyen
de prouver son orientation vers des produits écologiques et son souci pour la santé de
ses clients.
Cependant, après une période de test de quelques semaines des problèmes se
présentent autant pour la coopérative que pour le restaurateur. Au niveau de la
coopérative, des questionnements surviennent à la suite des premières utilisations du
produit : comment faire le remplissage des contenants pour les étudiants quand on
sait qu'ils ne résident pas tous au même endroit? Comment la dirigeante fera-t-elle la
gestion des commandes étant donné que les étudiants n'ont pas la même fréquence
d'utilisation des nettoyants ? Est-il responsable d'un point de vue écologique de
continuer d'utiliser des contenants même usagés ? Au niveau du restaurant, la
préoccupation porte sur le contenant et l'étiquetage. En effet, pour le restaurateur, la
dirigeante doit fournir des contenants étiquetés sur lesquels il faudra en plus ajouter le
logo du restaurant afin de lui donner un « cachet spécial » qui permettrait de le
distinguer auprès de ses clients. C'est un ensemble de préoccupations qui amène la
dirigeante à réfléchir aux caractéristiques de son produit.
Pour résoudre le problème de la coopérative, la dirigeante se rend compte que
le produit ne suffit plus, il faut ajouter une composante liée au service. Autrement dit,
152
« il faut passer du produit à un modèle d'affaires si je veux résoudre les questions
pertinentes soulevées par la responsable de la coopérative », convient la dirigeante.
L'idée de la dirigeante est alors d'associer le nettoyant à un système de station de
remplissage. En clair, il y aura des stations de remplissage positiOlmées à des endroits
précis (p. ex. : dans les buanderies des campus) à partir desquels les étudiants ou en
général les consommateurs (surtout dans le cas des entreprises) peuvent
s'approvisionner. Il revient à la dirigeante de venir remplir ces stations quand le
produit est épuisé à la demande du client. Cela résout le problème de l'accessibilité
pour la clientèle, facilite la gestion des commandes et permet une réduction de
l'utilisation des contenants favorisant ainsi des comportements écoresponsables.
À propos des contenants et de l'étiquetage, la dirigeante rencontre encore une
fois les fournisseurs. Bien que ces derniers ne le fassent pas pour tout le monde, ils
acceptent de fournir les contenants et l'étiquetage selon les critères de la dirigeante. «
Je pense qu'ils ont finalement accepté de le faire parce qu'il était assez loin dans leur
processus teclmique et qu' ils voulaient aussi s'orienter vers le développement durable
en vue de se différencier des concurrents de leur secteur. En acceptant mon concept,
je leur ai dit qu'ils pourront se faire valoir auprès des clients à qui je souhaite vendre
mon produit et, qui ont une préoccupation pour le développement durable. Par ce fait,
ils pourront alors accroître leur part de marché à l' avenir. Ainsi, en ayant accepté de
travailler avec moi, ils ont même obtenu des certifications qui attestent que leurs
emballages et étiquetages sont écologiques. Et, plus tard, ils en ont tiré des bénéfices
», explique la dirigeante.
Cela dit, la dirigeante va renforcer son réseau en l'élargissant à d'autres acteurs
essentiellement des clients. Pour les clients tels que les garderies, la dirigeante
indique qu' il y avait beaucoup de réticences sur la valeur écologique du produit. Ces
derniers voient alors le produit comme un de plus parmi tant d'autres qui se targuent
153
d'être écologiques tout en étant onéreux. Pour les convamcre, « Je leur montre
d'abord la certification que j ' ai obtenue et qui concerne les valeurs écologique et
biodégradable du produit. Ensuite, je leur parle de son caractère sans fragrance qui
fait que mon produit est bon pour les enfants en raison de leur sensibilité et de leur
fragilité aux infections. Ensuite, je leur propose de mettre des stations de remplissage
qui réduisent leurs coûts de gestion de stocks de produits nettoyants ». Cette
démarche fonctionne et permet à la PME de se lancer dans la commercialisation de
son modèle d'affaires.
1.4 Du social à l'équitable (ID-4)
La préhistoire de l'ID. ID-4 est un produit cosmétique développé par une PME
de 22 employés. Cette entreprise a été créée en 2005 et évolue dans le secteur des
cosmétiques. Il y a trois critères qui définissent les cosmétiques, soit l'efficacité
(bonne durée, absence d'effets secondaires), la facilité d'utilisation (pénètre et s'étend
bien sur la peau) et le plaisir (agréable à porter, belle texture et bonne odeur). C'est
avec ces trois critères que l'on juge si le produit est bas, moyen ou haut de gamme.
La différence entre les cosmétiques réside dans le contenu composé en grande
majorité d'excipients. Ce sont ces derniers qui sont à la base du produit et lui donnent
sa texture, sa fluidité et sa densité. Sur cette base, il y a deux types de cosmétiques,
soit les cosmétiques synthétiques utilisant des excipients dérivés de l'industrie
pétrolière et les biocosmétiques qui utilisent des excipients végétaux (issus en
majorité de l'agriculture biologique) et certifiés biologiques. Pour qu'un cosmétique
puisse porter le label biologique, il doit répondre aux codes de référence des
différents organismes de certification biologique. Aussi 95% de ses ingrédients
doivent-ils être certifiés biologiques. Les excipients végétaux sont aussi efficaces que
154
les excipients chimiques. De plus, ils apportent des vitamines, des minéraux, des
protéines et des acides gras insaturés à la peau. Le second avantage, c'est l'absence
d'effets secondaires causés par les parabènes dérivés du pétrole qui sont utilisés
comme conservateurs et émulsifiants dans l'industrie des cosmétiques. En effet, ceux
ci se retrouvent de plus en plus dans les tissus cancéreux. C'est pourquoi, « en
Europe, les compagnies de cosmétiques les ont presque tous retirés de leurs produits,
mais ici au Québec, 75 % en contiennent », expliquent les dirigeants de la PME.
À propos de ces dirigeants, c'est en 2004 dans le cadre d'un stage que l'un
d'eux, la présidente de l'entreprise, se retrouve à travailler comme coopérant auprès
d'une coopérative de femmes berbères produisant de l'huile d'argan. Ces femmes
sont alors menacées d'expulsion des terres d'arganiers (qui ne leur appartiennent pas,
mais doivent s'acquitter d'un loyer) et de fermeture de leurs activités. Pourtant, pour
ces femmes, l'huile d'argan est une importante source de revenus. En particulier,
c'est grâce à la production et à la vente d'huile d'argan que ces femmes gagnent leur
vie, restent indépendantes et pourvoient aux besoins présents et futurs de leurs
enfants (p. ex. : leur scolarisation). L'huile d'argan est une huile naturelle riche en
antioxydants qui revitalise la peau et le cuir chevelu. Cependant, elle pénètre les
pores un peu moins vite que les huiles synthétiques. Cette huile provient d'un arbre
appelé l'arganier. Et, c'est dans l'une des régions arides les plus pauvres du Maroc
s'étendant sur quelque 800 000 hectares que se trouve la plus forte concentration
d'arganiers. Menacée de disparition, l'arganeraie (plantation d'arganiers) marocaine a
reçu en 1998 le statut de Réserve de la Biosphère octroyé par l'UNESCO. L'arganier
joue un rôle primordial dans la lutte contre la désertification.
Cela dit, « le hasard a voulu que je sois logée chez un berbère, dont la femme
travaillait dans une coopérative de production d'huile d'argan », explique la
dirigeante. Sa grande émotivité l'amène à se préoccuper du sort réservé à cette
155
coopérative de femmes. « Pendant mon séjour, le propriétaire des terres sur lesquelles
la coopérative cultive s' est plaint de ne pas avoir reçu les derniers paiements du loyer.
De plus, la vente de ses terres à des multinationales serait plus rentable pour lui ».
Les femmes étaient donc menacées d' expulsion. « Quand j'ai vu ces 70 femmes de 30
à 99 ans assises par terre, fredonnant des chants berbères, occupées à casser des noix
d'arganier pour en faire de l'huile, j ' ai été touchée et je me suis dit qu'il fallait faire
quelque chose pour ne pas être expulsées », explique la présidente de l' entreprise.
Dans ces conditions, une seule opportunité se présentait à la dirigeante (en ce
moment encore coopérante) pour aider ces femmes à obtenir les moyens financiers
pour rapidement s'acquitter de leur loyer avant d'être expulsées : racheter toute la
production d'huile d'argan.
Une fois l'opération réussie, « j ' ai ensuite rapporté la totalité de leur
production au Québec. Mais en réalité, je ne savais pas quoi en faire. Pendant
plusieurs mois, j'avais ces quantités de marchandises en réserve sous la main. »,
raconte la dirigeante. Plus tard, grâce à des biochimistes, cette dernière comprend
qu'elle peut utiliser cette huile pour développer un produit cosmétique permettant
ainsi d'assurer des revenus réguliers à la coopérative. « Je ne connaissais rien du
secteur cosmétique. Plus j'apprenais sur ce monde, plus je me rendais compte que
beaucoup d' ingrédients présents dans ces produits sont des dérivés du pétrole. Et, les
gens se les mettent sur le visage! ». Dans ces conditions, la dirigeante comprend qu'il
y a une autre opportunité qui se présente à elle : montrer aux Québécoises les vertus
de l'huile d'argan pour la peau.
L 'innovation durable. En 2005 , la dirigeante (la présidente) crée son
entreprise avec un de ses proches (le vice-président) et se lance dans la recherche et
développement afin de développer un produit cosmétique à base d'huile d'argan. En
2007, le produit breveté naît « de la découverte d'un mode de production alternatif et
156
équitable, d'une prise de conSCIence d'un problème environnemental et social de
santé publique, et d'une capacité teclmologique de produire autrement », expliquent
les dirigeants de l'entreprise. Développer un produit cosmétique à partir de végétaux
et surtout d'huile d'argan « ne se faisait pas vraiment alors que la technologie le
permettait, du moins on y croyait. Donc, on a fait beaucoup de recherche et
développement (soit 20% du chiffre d'affaires) pendant près de deux ans pour en
arriver à un produit écologique et équitable certifié Écocert22 et Québec Vrai23 »,
raconte le vice-président de l'entreprise.
Le produit cosmétique s'inscrit dans un cycle de vie durable qui en fait un
modèle d'affaires écologique et équitable plutôt que seulement un produit classique.
En effet, le produit est d'abord fabriqué à partir de l'huile d'argan acheté sans
intermédiaire c'est-à-dire directement avec les coopératives de femmes au Maroc.
L'entreprise contribue ainsi à stimuler l'économie locale (au Maroc). La matière
première est ensuite transformée au Québec pour obtenir une molécule sans recourir
aux procédés utilisés pour la fabrication des cosmétiques synthétiques. Grâce à des
partenaires (biochimistes, cosmétologue, organIsmes de soutien, institution
financière), la PME parvient à développer un cosmétique certifié écologique et
équitable respectant les critères d'un cosmétique et sans impact sur la santé des êtres
humains.
Le produit est emballé dans des contenants faits de polymères de maïs et de
patates, biodégradables et compostables, accompagnés de dépliants sur papier
recyclé. Par des réductions ou des primes, les clients sont incités à rapporter les
22 Écocert est une organisation indépendante qui se charge de contrôler sur le terrain le respect d'exigences en matière environnementale et sociale à travers ses propres référentiels (p.ex.: en cosmétiques écologiques et biologiques). Par sa contribution à l'essor de l'agriculture biologique, cette entreprise est devenue une référence de la certification biologique dans le monde.
23 Québec Vrai est une organisation accréditée au Québec pour la certification des produits selon des normes ISO ainsi que pour vérifier la chaine d'approvisionnement des produits certifiés.
157
contenants. La PME enVOle ces contenants à une coopérative au Québec qui les
utilise pour fabriquer des bijoux. Et, l' entreprise se sert de certains de ces bijoux
comme outil de promotion. « La première des choses qui était compliquée dans ce
processus de production était de réussir à obtenir les mêmes résultats que les
entreprises du secteur sans utiliser leurs technologies nocives pour la santé et
l'environnement. La seconde est qu'on devait travailler avec plusieurs acteurs pour
arriver à cette fin », affirme la présidente de l' entreprise. Pour mieux comprendre le
développement de cette innovation durable, reprenons quelques passages importants
de son histoire.
L'histoire de l'ID. Pour développer son projet, la dirigeante titulaire d'un bac
en markéting a le soutien d'un proche qui sera son vice-président. Ce dernier a une
maitrise en économie politique et a travaillé en technologie des communications
comme gestionnaire de projet de centrales téléphoniques. Durant ses études, il a été
militant écologiste et a passé huit mois en Indonésie afin de réaliser son mémoire qui
s'intéressait aux différents mécanismes qui soutiennent la production de biens et
services. « Donc, fabriquer un produit qui respecte le développement durable, c'était
une étendue normale de mon mode de vie et de ce en quoi je crois », affirme le vice
président. Tous deux pensent alors à montrer aux Québécoises les vertus de l'huile
d'argan pour la peau permettant dans le même temps d'aider les femmes productrices
de cette huile.
Une première rencontre se fait alors avec des biochimistes. Ces derniers font
comprendre aux dirigeants que bien que l'huile d'argan ait des vertus, elle contient de
grosses molécules qui pénètrent difficilement dans la peau. Or, dans le cas des
cosmétiques, les consommateurs s'attendent souvent à des produits qui ont des effets
rapides, conviennent à différents types de peau, et sont adaptés au climat. Dans ces
conditions, les biochimistes pensent qu'il faut d'abord développer des produits
158
cosmétiques qui combinent l'huile d'argan à des excipients synthétiques donc non
végétaux. Selon les biochimistes « même s'il est possible d' extraire des ingrédients
actifs de l' huile d' argan qui assurent une bonne pénétration dans la peau à des
endroits précis, cela reste un défi technique qui exige beaucoup d'argent », rapporte la
dirigeante. Les dirigeants sont prêts à relever le défi du cosmétique fait à 100%
d'huile d'argan et d'autres excipients exclusivement végétaux, mais ils n'ont pas
suffisamment de moyens financiers ni d'expertise en la matière.
Pour ce faire, une seconde rencontre a d'abord lieu, cette fois avec une
spécialiste en cosmétologie. Cette dernière avait entendu parler dans la presse de ce
qu'avait fait la dirigeante pour aider les femmes berbères. Cette cosmétologue
(maintenant indépendante) a travaillé pendant longtemps avec des produits
synthétiques et a eu une bonne expérience en Europe. « C'est une leader naturelle,
une femme d'une grande intelligence qui a beaucoup de connaissances scientifiques.
Elle a aussi une solide expertise en dermatologie et, maintenant s' est orientée vers les
biocosmétiques. Pour elle, l' idée de terminer sa vie de chercheur en développant des
produits verts est devenue importante. Elle s'est dit que toute sa vie elle a fabriqué les
meilleurs cosmétiques. Mais, maintenant, elle doit le faire en respectant des principes
environnementaux qui lui tiennent à cœur », raconte la dirigeante. La cosmétologue
entre alors en contact avec les dirigeants et propose de leur préparer bénévolement un
cosmétique 1 00% naturel « dont la composition dépasse rarement les cmq
ingrédients, un record pour l' industrie cosmétique. En fait, elle m'a dit que,
développer un produit cosmétique coûte entre 25000 et 55 000$. Elle m'a proposé de
la payer quand j ' aurai vendu mon premier pot », explique la dirigeante. Dès lors, le
produit est tout trouvé : un cosmétique écologique.
Pour développer ce cosmétique, les dirigeants de l'entreprise proposent une
collaboration entre les biochimistes et la cosmétologue indépendante. L'implication
159
de ces deux acteurs renforce la crédibilité du produit qui peut dès lors profiter du
soutien financier de la Banque de développement du Canada pour finaliser sa
réalisation. Les dirigeants peuvent maintenant rencontrer les productrices de la
matière première essentielle au cosmétique. L'objectif s'assurer de
l'approvisionnement en huile d'argan d'un continent (l'Afrique) à un autre
(l'Amérique). La rencontre se tient avec une soixantaine de femmes berbères. Les
discussions tournent surtout autour des volumes et des prix. Si les volumes peuvent
être assurés, ce n'est pas le cas des prix qui dépendent du marché. « Les fortes
variations du cours des matières premières, qui sont du fait des êtres humains, font
augmenter artificiellement les prix de 20% chaque année », explique la dirigeante.
Pour cette dernière, ce serait inéquitable de faire 'payer ses variations à des femmes
qui ne font qu'extraire une huile d'une ressource naturelle (l'arganier) dont l'être
humain n'est pas le créateur. « J'étais donc tiraillée entre les aspects économiques du
produit et ce qu' il représentait d'un point de vue émotionnel pour moi », explique la
dirigeante. L'idée vient alors au vice-président d'ajouter une composante au
cosmétique écologique qui reflète et même justifie le sacrifice consenti en matière de
prix : un cosmétique non seulement écologique, mais aussi équitable. Cependant,
pour être qualifié d'équitable, le cosmétique doit passer des processus de certification.
Sur les conseils des professionnels du programme SAlE (un serVIce
d'accompagnement des nouveaux entrepreneurs) et avec des subventions de la CDEC
(Corporation de développement économique communautaire) deux organismes
québécois travaillant aussi de concert, les dirigeants rencontrent Écocert et Québec
Vrai. Ces deux organisations de certification sont respectivement reconnues au
niveau international et national pour la certification de produits tels que les
cosmétiques. Dans leur mission, ces organisations certifient le processus de
commerce équitable des produits. Selon le vice-président, « elles ont mis en place
avec nous des processus de certification à respecter qui sont extrêmement rigides,
rigoureux et contraignants, mais qui permettent de développer des produits très
160
solides. Ce sont des référentiels d'une grande rigueur ». En travaillant avec Écocert et
Québec vrai à la certification du cosmétique, l'objectif du dirigeant est de parvenir à
un cosmétique reconnu comme étant écologique et équitable.
Le cosmétique écologique et équitable étant prêt, les dirigeants vont à la
rencontre des distributeurs de produits cosmétiques classiques ainsi que de produits
écologiques et équitables. Avec ces derniers, les partenariats se font plus facilement.
« Ils connaissent leur métier, leur clientèle, leur langage environnemental et surtout
ils savent comment présenter des produits biocosmétiques ». Ce n'est pas le cas avec
les distributeurs de produits cosmétiques classiques comme les pharmacies. « Pour
eux, le mot écolo, bio n'est pas celui qui est dans leur langage. C'est plutôt le mot,
haute efficacité, et les prix qui comptent. Donc, il faut arriver à le leur prouver. Ce
qu'on a très bien fait, en leur disant que nos produits sont aussi efficaces sinon plus
que ce qui se fait sur le marché. Et en cela, les certifications obtenues des organismes
comme Écocert et Québec Vrai nous aident énormément parce qu' ils certifient aussi
la qualité du produit. Le reste du message écologique et équitable est juste un plus »,
explique la dirigeante. Cela amène l' entreprise à changer son markéting pour les
produits vendus chez ces distributeurs notamment en ce qui concerne le message
publicitaire et l'étiquetage.
Ce double message est aussi celui véhiculé chez les consommateurs. Le
premier concerne les consommateurs sensibles au DD : « on leur dit que ce sont des
produits de très haute qualité, écologiques et équitables ». Pour les consommateurs
traditionnels pour qui la partie écologique et équitable est moins importante, le
message porte sur l' efficacité du produit. Pour ces consommateurs, « on fournit
beaucoup d'efforts en explications étant donné qu' ils nous comparent aux entreprises
fabriquant des produits cosmétiques synthétiques. Dans ce sens-là, on s'est intégré au
marché traditionnel avec des codes existants » explique le vice-président. Cependant,
161
« pour inciter ces consommateurs à s'orienter vers des comportements responsables
du point de vue du DD, l 'entreprise leur propose une consigne sur les contenants qui
sont retournés, en soutenant que cette démarche permet de faire vivre d' autres
entreprises et des familles québécoises », poursuit-il. En fait, le produit est emballé
dans des contenants faits de polymères de maïs et de patates accompagnés de
dépliants imprimés sur du papier recyclé. Par des réductions ou des primes, les clients
sont incités à rapporter les contenants. La PME envo~ ces contenants à une
coopérative au Québec qui les utilise pour fabriquer des bijoux. Et, l'entreprise se sert
de certains de ces bijoux comme outil de promotion. Finalement, cette démarche a
amené les dirigeants à voir leur innovation non plus seulement comme un produit
physique (le cosmétique), mais comme un modèle d'affaires écologique, équitable et
écoresponsable.
En lançant un tel modèle d'affaires au centre duquel se trouve une gamme de
produits cosmétiques écologiques et équitables, les dirigeants de la PME veulent «
prouver qu'on peut arrimer rentabilité et développement durable », précisent les deux
dirigeants. Aujourd'hui, la PME est la seule en Amérique du Nord à commercialiser
des produits cosmétiques de ce genre.
1.5 Du carton à l'émotion (ID-5)
La préhistoire de f'ID. ID-5 est le produit d'une jeune PME de trois employés.
Elle a été créée en 2011 et évolue dans le secteur du meuble. L'entreprise conçoit et
vend des modules de mobilier dont la particularité est d'être entièrement faite de
carton recyclé, multifonctionnels et personnalisables. À propos de la dirigeante (la
présidente et fondatrice) , elle a une longue expérience de la création et de la gestion
d' entreprise. Elle avait créé « un centre d'esthétique qui a été un très beau succès
162
pendant Il ans. Ensuite, j'ai immigré au Québec par choix personnel. Et, j'ai eu 12
ans pour pouvoir m'exprimer sur le plan artistique où j'ai fait de la sculpture. Par la
suite, j'ai choisi de m'orienter dans une autre direction. Et, j'ai regardé mes deux
compétences pour voir ce que j'étais capable de faire avec celles-ci ». La dirigeante
comprend qu'elle peut utiliser ses compétences dans le domaine du carton.
Le carton est fabriqué à partir du bois. Son avantage est qu'il est possible de le
récupérer et de le recycler pour le réutiliser dans d'autres produits. Environ 60% du
carton peut être réintroduit dans le cycle de fabrication pour la production de
nouveaux cartons. Chaque fois que le carton est recyclé, c'est du bois qui est
économisé, de l' eau et de l'énergie. C'est surtout des tonnes d'émissions de gaz à
effet de serre évitées. Selon Environnement Canada, en 2011 les activités des usines
de pâte à papier, de papier et de carton ont émis dans l'air 0,2 t d'une substance
toxique appelée le chrome hexavalent. Cela correspond à 24% des émissions
nationales.
Ainsi la production de carton est une source importante d'émissions nuisibles
à l'environnement. Cependant, selon le Conseil de l'environnement des emballages
de papier et de carton (CEEPC), certaines usines canadiennes commencent à utiliser
le carton usagé ramassé auprès des supermarchés, des usines ou dans les rues pour
fabriquer de la matière pour sacs. C'est un début de réutilisation du carton. Par
contre, en Europe, la réutilisation du carton est un métier, celui de « cartonniste » qui
donne au carton plusieurs usages. Selon la dirigeante, le Canada « est un pays de la
pâte à papier, mais on ne fait rien avec le carton. Je me suis dit qu'il y a quelque chose
à faire avec cela. Et, c'est là-dedans que je veux fouiller ». La dirigeante précise que
« les mobiliers en mélanine sont des déchets qui ne se recyclent pas. Cela laisse une
empreinte écologique colossale sur la planète. Je veux proposer quelque chose qui ne
laisse pas de traces ». C' est inspiré par les enjeux environnementaux que présentent
163
le carton et les « cartonnistes » que la dirigeante de la PME détecte une opportunité :
valoriser le carton.
L 'innovation durable. L'innovation durable de l'entreprise se présente sous
forme de modules pouvant être assemblés de diverses façons pour obtenir différents
types de meubles allant du pouf à la bibliothèque en passant par des tables et des
étagères. Les modules sont composés à 70% de carton recyclé et pour le reste, de pâte
à papier neuve, « parce qu'à force de recycler, les fibres s'abiment; ce qui fait qu'on
doit combiner le carton avec un peu de pâte à papier », explique la dirigeante.
Une fois les modules assemblés, ces meubles peuvent supporter jusqu'à 220
livres. « Les seules choses qui ne sont pas recyclées et recyclables, ce sont les sangles
qui sont faites en velcro (matériau textile). Mais, ces sangles sont fabriquées par un
organisme à but non lucratif s'occupant de l'insertion des femmes immigrantes qui
viennent d'arriver sur le marché du travail ». Pour la dirigeante, la collaboration avec
cette entreprise « vise à compenser l'impact environnemental négatif lié à l'utilisation
des sangles par une action sociale ».
Le dessin industriel du produit est breveté au Canada et aux États-Unis, soit
les formes et le système d'assemblage. Pour la dirigeante, « le fait d'avoir un brevet
déposé freine un peu la copie. Mais je pense surtout que c'est pour la crédibilité du
produit. Avec un tel brevet, il ne ressemble plus à un petit truc que j'ai bricolé sur le
coin de ma table. C'est quelque chose qui a une valeur ». Les faces des modules en
carton sont imprimées aux couleurs et motifs variés, interchangeables et
personnalisables. Et, l'encre utilisée pour réaliser ces décorations est végétale et, par
conséquent, non nocive pour l' environnement.
164
Selon la dirigeante, « un des plus gros défis au départ était de trouver la forme
et la structure qui va faire en sorte que le système d'assemblage va être simple,
efficace, intelligent. La forme et la structure ayant été trouvées, le client peut
assembler les modules selon ses goûts et ses besoins en s' aidant d'un guide de
configuration pour poufs, bibliothèques, tables, supports pour lampes, etc. Pour
arriver à développer un tel produit, la jeune PME ne pouvait être seule dans
l'aventure. Pour mieux comprendre cette aventure, reprenons quelques épisodes
importants de l'histoire de cette innovation durable.
L'histoire de ['ID. Pour la dirigeante, « c'est important de laisser après mon
passage sur la planète une bonne empreinte écologique en combinant mes
compétences d'entrepreneur ainsi que d' artiste en esthétisme et en sculpture ». Par
conséquent, « je voulais créer un produit qui ne va pas faire un déchet de plus sur la
terre. Je voulais créer quelque chose d'utile, mais en même temps qui va marquer une
différence même si je ne deviens pas milliardaire, ce n'est pas l'idée. Mais cela va
permettre d'intéresser les gens à une approche différente des choses compte tenu des
enjeux environnementaux que présente le carton », précise la dirigeante. En partant
de ses valeurs, la dirigeante « cherche au départ sur Google les mots:
écoresponsable, ludique, pratique, original et carton. Puis, juste en mettant ces mots
clés, les résultats des recherches présentent tout de suite sur la première page web les
meubles en carton ». Pour la dirigeante, une des façons de valoriser le carton serait
donc de fabriquer des meubles en carton.
« Au départ, tout le monde m'a prise pour une folle. Parce que c'est du carton,
les gens considéraient mon projet comme étant léger. Pour eux, le carton ne vaut
rien! », raconte la dirigeante. « Je suis allée voir des amis pour leur dire que je vais
faire des meubles en carton ». Mais ces derniers étaient très sceptiques à l' idée du
carton. «Ils me regardaient avec des grands yeux : des meubles en carton ! Pour eux,
165
j ' étais folle ». Mais la dirigeante se rend compte qu' il faut procéder autrement pour
faire passer le message. « Je savais que l'idée était bonne et j'en suis certaine, sauf
qu'il y a une façon de la présenter. Et, le fait d'utiliser le terme de carton, c'est une
catastrophe! Le carton reste dans la tête des gens comme une vulgaire boîte qui, par
conséquent, n'a aucune valeur. Par conséquent, un meuble en carton ne vaut rien,
aussi beau soit-il ».
Néanmoins, la dirigeante est convamcue de son projet de fabriquer des
meubles en carton. Mais la question qui se pose est de savoir comment les cartons
devraient être configurés de façon à obtenir un meuble. Pour ce faire, « j ' ai travaillé
avec un professeur en ecodesign d'une université », précise la dirigeante. « Le
professeur m'a aidé à simplifier les formes parce que je suis arrivée au départ avec
plusieurs formes complexes ». Finalement, au contact du professeur en ecodesign, il
ne s'agissait plus pour la dirigeante de faire des meubles en carton, mais plus
précisément des modules en carton. Ces modules peuvent être assemblés afin
d'obtenir le meuble souhaité.
Deux organismes soutiennent la PME dans la réalisation de son projet, soit un
CLD (centre local de développement) et Réseau Emplois Entrepreneuriat. Le second
aide l'entreprise à monter sa stratégie d'affaires à travers une formation offerte à la
dirigeante. Le CLD, quant à lui, intervient dans l'accompagnement et le financement.
« Ce qui intéressait ces deux acteurs dans mon produit, c'est l'aspect innovant ainsi
que l' aspect environnemental et social », indique la dirigeante. À propos de l'aspect
social, comme elle s'attache à avoir une production locale, la dirigeante prend contact
avec des fournisseurs exerçant dans un rayon de trente kilomètres de son siège social.
166
Un premier fournisseur est chargé de fournir et découper la matière première,
c'est-à-dire les cartons recyclés. « C'est une grosse entreprise bien connue de la place
qui fait partie des entreprises résolument engagées dans le développement durable au
Québec », souligne la dirigeante. Avec le fournisseur du carton, « on a négocié les
volumes, les prix et les conditions de livraison. Au départ, c'était difficile, car il
fallait arriver à faire passer mes exigences. Il me fallait des cartons recyclés propres,
de la même épaisseur, avec les mêmes alvéoles, la même dimension. Donc, le
fournisseur doit faire les découpes selon la matrice que je lui fournis. Or, pour ce
dernier en plus de ses exigences, la dirigeante commande de petits volumes qui sont
ainsi en deçà de ses critères de commande. Dans ces conditions, « il me fallait créer
un lien de confiance en indiquant à ce fournisseur que le dessin industriel de mon
produit est breveté ». Cet argument avait pour effet de renforcer la crédibilité du
produit tout en montrant le sérieux de l'entreprise.
Le second fournisseur est un imprimeur qui lui fait toutes les faces avec de
l'encre végétale. « Et, le fait de travailler avec un imprimeur local me permet de
personnaliser les faces qui ne sont pas copiables. Ce dernier travaille avec de l'encre
végétale et c'est son cheval de bataille d'utiliser ce type d'encre qui est écologique ».
Enfin, le fournisseur de sangles permettant d'assembler les modules, est un
organisme d'insertion des femmes immigrantes. Le prototype du produit étant réalisé,
il faut se rapprocher de consommateurs potentiels.
À ce propos, « je pensais que le plus dur était de créer le produit. Pour moi, le
fait que le produit soit écologique et écoresponsable, et s' adresse à tout le monde était
une force. Mais, c'était plutôt une faiblesse. C'est plus difficile de vendre un produit
fait avec une matière perçue comme vulgaire et qui s'adresse à tout le monde, parce
que tout le monde, ce n' est personne. En fait, on n'a pas toujours les bons outils pour
développer le bon langage permettant de valoriser de tels produits », explique la
167
dirigeante. Selon cette dernière, l' argument utilisé au départ, « c'est de dire au client
qu'on a des modules en carton recyclé sur lequel on va imprimer vos messages. Ce
sont des modules qu'on assemble pour créer le meuble qu'on veut. Ainsi, je me disais
que les gens sont suffisamment sensibles à l' environnement et imaginatifs pour créer
ce dont ils ont besoin. Mais ce n'est pas du tout vrai ». Ainsi, pour permettre aux
consommateurs de créer eux-mêmes leurs propres meubles, le kit de modules est
accompagné d'un guide d'assemblage.
À côté de cela, l' entreprise passe une année et demie à faire des essais-erreurs
et de l'éducation à travers des groupes de discussion comprenant des personnes
d'horizons différents. Ces derniers testent, posent des questions et proposent des
idées pour améliorer le produit et surtout trouver une façon de le communiquer.
Finalement, « il y a quelqu'un qui nous a dit: je ne comprends pas ce que je peux
faire avec du carton; quel est le meuble que je peux faire avec ces modules en carton.
Une autre personne a proposé de dire qu'on vend des poufs, des tables, des étagères
écologiques et écoresponsables, faits localement et supportant des charges allant
jusqu'à 220 livres. Ainsi, pour ces personnes, de cette façon, les gens comprendront
mieux le produit et l'argument du développement durable qui l' accompagne. Si ce
n'est pas le premier argument, cela doit être au moins le second », raconte la
dirigeante. Pour cette dernière, utiliser le bon langage « dépend aussi du groupe de
personnes auquel on s'adresse. Certains, comme les individus, vont être attachés au
design, à l' aspect utilitaire. D'autres, comme les entreprises, vont se préoccuper de la
valeur écoresponsable. Mais, pour nous, le développement durable est capital, c'est
l'un des arguments de vente principaux, c'est du meuble qu' il a fallu repenser
autrement ». Il fallait pour la PME trouver la clientèle qui serait sensible à cet
argument.
168
Finalement, « on a trouvé notre créneau porteur que je n'aurais jamais
imaginé. Ce sont les commissions scolaires, les bibliothèques et tout ce qui est
gouvernemental qui a une préoccupation pour le développement durable. Au départ,
j'avais plutôt visé les designers, les boutiques, les entreprises privées ». Par exemple,
c'est au congrès des bibliothécaires où la dirigeante a été invitée que ceux-ci « sont
tombés en amour et ils en veulent énormément ». Plusieurs aspects du produit
intéressent alors cette clientèle. Il s'agit d 'abord de la matière elle-même, le carton,
qui favorise la modularité du meuble, c'est-à-dire la possibilité de l'utiliser de
plusieurs façons. Ainsi, le pouf peut devenir une étagère, l'étagère peut devenir un
muret, ce qui . aurait été difficile avec une autre matière. Ensuite, les utilisateurs
peuvent faire passer les messages qu'ils désirent. Pour les bibliothèques, la
combinaison entre le carton recyclé et les livres est un mariage parfait. Ces derniers
sont aussi à une étape charnière qui est celle de la non-fréquentation des
bibliothèques par les adolescents. Cela fait qu'enfin, « ils essaient de trouver une
façon dynamique d'être dans l'air du temps. Donc, les modules en carton recyclé est le
produit parfait autant sur le plan ludique qu'au niveau de l' éducation de son public ».
Cependant, pour arriver à avoir nos premiers clients, « il fallait les amener à
dépasser cette perception négative du carton. Pour ce faire, nous y avons mis de
l'émotion. On a essayé de jouer sur cet aspect. Si je leur dis que c'est un meuble en
carton, ça passe mal. Par contre si je dis, c'est canadien, c'est un meuble recyclable
fait à base de matériaux recyclés, c'est beau et utile, vous faites quelque chose
d'intelligent pour la planète qui va durer longtemps et en plus de tout cela c'est du
carton, là ça passe. Après s'être exclamés sur tout le reste, lorsqu'on vient leur dire en
fin de compte que c'est du carton, ils en sont encore plus stupéfaits dans un sens
positif », explique la dirigeante.
169
Pour faire comprendre cette idée d'émotion, la dirigeante raconte l' expérience
suivante qu'elle a vécue: « j ' ai voulu vendre des modules en carton pour pouf dans
certaines boutiques à un prix de vente final de 69 dollars. Et, on me disait que c'est du
carton à 69 dollars, donc c'est trop cher. En réfléchissant différemment, j'ai doublé le
prix et je suis retournée les voir en présentant le même produit autrement. Je leur ai
dit qu'il est à 127 dollars et ils en ont commandé plusieurs. Pourquoi? C'est parce que
j'ai mis de la valeur sur le carton que j'appelle de l'émotion. Donc, si je le vendais
moins cher, il resterait du carton. En le vendant beaucoup plus cher, c'est comme si
on le voit maintenant comme quelque chose provenant d' une recherche qui a une
valeur environnementale ».
Par conséquent, selon la dirigeante, « convaincre de l'aspect environnemental
ou durable d'un produit, force à développer un autre type de langage quand vient le
moment d' interagir avec les acteurs auxquels on fait appel. Si on choisit de faire des
produits innovants et durables, c'est comme si on se met des barrières ou des limites
en même temps. Par exemple, la colle que j'utilise n'est pas une colle banale à papier.
Il a fallu d' abord aller chercher un fabricant qui fait de la colle à base de dextrine qui,
elle est biodégradable. Ensuite, il a fallu réfléchir à comment le présenter au client, en
allant chercher ce que j'appelle le côté émotion du développement durable. Donc,
cela oblige toujours à aller plus loin, à faire des recherches différentes à tous les
niveaux ». Finalement, pour la dirigeante « on doit adapter le langage du
développement durable en fonction des intérêts de ceux à qui on s' adresse ».
1.6 Du polystyrène à la résine (ID-6)
La préhistoire de ['ID. ID-6 est un procédé technologique développé par une
entreprise de 77 employés créée en 1989. Elle opère un centre de tri permettant de
170
collecter et de traiter les déchets de produits faits de plastiques tels que les sacs à
ordures, à épicerie, à sandwich, les pellicules ainsi que, les bouteilles de boissons
gazeuses, d'eau de source, de lait et autres contenants alimentaires. L' entreprise
évolue dans le secteur de la récupération de matières plastiques post-consommation
ou domestiques non consignées (collectées par les municipalités) très souvent
mélangées en couleurs ainsi qu'en matière de carton et d'aluminium.
Les matières plastiques ont des propriétés telles que leur résistance aux
facteurs physicochimiques, leur longévité et leur dispersion dans la nature qui créent
des impacts environnementaux négatifs sur les écosystèmes terrestres et marins.
Aussi, leur utilisation dans la fabrication de produits contribue-t-elle à l'épuisement
de ressources non renouvelables telles que les hydrocarbures (p.ex. : le pétrole, le gaz
naturel). De plus, les produits fabriqués à partir de PVC sont associés à des éléments
potentiellement toxiques pour l'homme comme les phthalates et le chlore. Par
conséquent, la récupération et le recyclage de ces déchets restent un enjeu notamment
au Canada et au Québec. Au Canada, le taux de récupération des plastiques
domestiques non consignés n'atteint que 6%, selon l' Institut des plastiques et de
l' environnement du Canada (lPEC). Au Québec, selon Recyc'Québec et Éco
Entreprises Québec (2007), 27% des plastiques sont domestiques avec un taux de
récupération de 17%.
Différents types de plastiques peuvent être obtenus à partir d'un processus de
valorisation en cinq étapes: le tri par catégories (dont le plastique mélangé et le
PVC), le tri par couleurs, la mise en paquet, la granulation et le lavage. « Au Québec,
la plupart des entreprises se limitent au tri par catégories. Ces entreprises s'occupent
seulement de collecter des plastiques mélangés en raison d'un manque d'espaces,
d'équipements ou de main-d'œuvre », explique le dirigeant de l'entreprise (le
président-directeur général). Le prix des matières plastiques se négocie en dollars
171
américains par tonne métrique sur le marché des plastiques récupérés. « Nous
récupérons donc du plastique mélangé, le trions, le mettons en paquet et le revendons
avec une plus-value », affirme le directeur des achats et ventes de l' entreprise. Mieux
encore, en faisant l' analyse de la situation, l'entreprise s' aperçoit qu' il y a des
matières qui sont laissées pour compte dans le domaine de la récupération,
notamment le polystyrène qu'on retrouve dans les pots de yogourt ou sous forme de
mousse fort pratique pour protéger le matériel électronique.
Au Québec, selon le centre de transfert technologique en écologie industrielle
(CTTEI, 2009), environ 17 900 t de polystyrènes sont enfouies chaque année. Le
problème, c'est que cette matière n'est pas biodégradable et qu'en raison de sa faible
densité, elle occupe beaucoup d'espace dans les sites d'enfouissement. Ensuite, le
polystyrène post-consommation · ou domestique, essentiellement alimentaire est
fortement souillé. Enfin, parce qu'il contient plus d'air que de plastiques et est
dispersé un peu partout, son transport est couteux. Deux types de déchets de matières
contiennent le polystyrène, soit les pellicules de plastique multicolore (p. ex. : les
emballages de pain, de vêtements) et les emballages multicouches (p. ex.: les
contenants de boissons faits de couches de carton, d'aluminium et de plastique). Ces
déchets sont généralement exportés vers la Chine, l' Inde, la Corée, le Vietnam ou
sont transférés vers des sites d'enfouissement au Québec.
La majorité des pellicules de plastique multicolores et des emballages
multicouches est produite par une importante multinationale et utilisée par quelques
grands producteurs de boissons (p. ex. : jus, lait). Et, depuis quelques années, la
multinationale rencontre les entreprises qui font de la récupération afin de les
convaincre d' augmenter leur taux de récupération. La raison est qu'au Québec, une
redevance doit être payée par les producteurs et les utilisateurs de contenants et
d' emballages. Et, les revenus servent à compenser les coûts liés à la collecte des
172
déchets provenant de ces produits par les municipalités. Actuellement, seulement 60 à
65% de ces coûts sont couverts et les autorités gouvernementales envisagent de faire
passer ce taux à 100% afin de renforcer leur aide aux municipalités. Par conséquent,
ces producteurs devront payer plus de redevances. Pour réduire ces coûts et se
construire une image d'entreprise soucieuse de l'environnement, l'intérêt pour la
multinationale ainsi que les utilisateurs de ses contenants et emballages sont alors de
trouver des entreprises capables de récupérer et de transformer ces matières usagées.
Une papetière canadienne va tenter en 2003 de transformer ces matières
usagées en pâte. Cela s'avère être un échec en décembre 2005. « La production de la
pâte coutait excessivement cher. Il restait toujours au moins 50% de rejets polluants
que la papetière était obligée d'envoyer à l'enfouissement. Ils ont donc abandonné
l'idée de faire la pâte avec ce type de produit. De plus, leur projet n'a pas su susciter
l'intérêt des acteurs de l'industrie », explique le président. Bien que le défi soit grand
de tenter de transformer les matières usagées, comme le témoigne l'échec de la
papetière, le dirigeant de la PME voit une opportunité concernant l'enjeu que
représente le polystyrène: transformer le polystyrène en résine grise.
L'innovation durable. La nouvelle technologie qui permet de transformer le
polystyrène en résine grise est un procédé de production de granules de résine aux
propriétés physiques, chimiques et mécaniques particulières. Ce procédé
technologique est protégé par un brevet. Cependant, le brevet est partagé avec un
centre de recherche, mais la PME possède toutefois un droit exclusif d'utilisation
dans la mesure où c'est elle qui est à l'initiative du projet ayant conduit à la réalisation
du procédé.
173
La technologie permet d'abord de séparer le plastique des emballages
multicouches et des pellicules multicolores des matières indésirables. Ensuite, une
fois la séparation faite, l'on obtient des boules de pâtes qui, cependant, génèrent de
mauvaises odeurs; ce qui nécessite un système de désodorisation. Enfin, par le biais
d'un procédé thermocinétique (propagation de chaleur) et d'extrusion24, ces boules de
pâtes sont aplaties, refroidies et transformées en granules. Le produit final est une
pastille de plastique ou une résine grise. Selon le directeur des achats et ventes, cette
résine a une excellente valeur économique et environnementale sur le marché des
plastiques récupérés.
D'un point de vue économique, la résine grise est d'une qualité supérieure aux
autres types de plastiques recyclés. Selon le directeur des achats et ventes, « elle vaut
son pesant d'or, car elle peut être vendue à 1 200$ la tonne. Cela est énorme si l'on
tient compte du fait que les matières brutes telles qu'on les met dans le bac bleu se
vendent en moyenne entre 30$ et 250$ la tonne sur les marchés mondiaux. De plus, «
elle est prête à être consommée. Cette résine grise peut être colorée et utilisée par une
foule d'industries pour la fabrication d'objets d'utilité courante comme des pots de
fleurs ou des matériaux de construction divers », explique le directeur des achats et
ventes. Au plan environnemental, grâce à la technologie développée par la PME, des
débouchés sont trouvés aux déchets de plastiques multicolores et multicouches. «
Ceux-ci ne trouvaient pas preneur dans l'industrie. Leur traitement était onéreux en
raison de leurs propriétés. C'est pourquoi ils étaient directement envoyés dans des
sites d'enfouissement ou dispersés dans la nature », mentionne le président.
24 L'extrusion est un procédé de fabrication mécanique par lequel un matériau compressé est contraint de traverser une filière ayant la section de la pièce à obtenir. On forme en continu un produit long (tube, tuyau, profilé, fibre textile) et plat (plaque, feuille, film). Ce procédé donne des pièces aux formes plus précises que d'autres procédés.
174
Cependant, la production de la résine à partir du procédé technologique exige
l'utilisation d'équipements qui ne sont pas fabriqués localement, mais en Europe. Il
nécessite alors des investissements que la PME ne peut consentir. En plus de cela, il
faut de la recherche et développement, car il n'existe pas de technologie permettant
de produire des résines à partir de pellicules multicolores et d'emballages
multicouches issus de la post-consommation. C'est pourquoi, selon le dirigeant, «
pour l'instant, on ne peut identifier ces résines avec les logos utilisés pour classer les
différentes sortes de plastiques sur le marché (petit chiffre entouré de trois flèches en
boucle indiquant le type de plastique auquel on a affaire). Il faudra sans doute en
créer exclusivement pour ces nouveaux produits ». En définitive, le développement
de ce procédé a nécessité l'implication de plusieurs acteurs à différents niveaux. Pour
mieux comprendre le développement de ce procédé, reprenons les principales
péripéties qui ont jalonné son histoire.
L'histoire de l'ID. Le dirigeant de l'entreprise (président et directeur général)
rencontre la multinationale dont l'intérêt pour le projet est manifeste afin de discuter
de l'opportunité de transformer le polystyrène en résine grise. « À l'automne 2007,
nous sommes allés cogner à la porte du représentant de la multinationale au Canada.
Et, j'ai clairement dit à ce dernier que compte tenu du fait qu'ils doivent réduire le
coût des redevances, il devrait nous payer pour que l'on récupère leurs produits.
Cependant, ce dernier avait déjà entamé une démarche consistant à convaincre les
entreprises de récupération de faire ce travail sur une base volontariste étant donné
que c'est d'abord leur métier. Je lui ai mentionné que, présentement nous étudions un
projet qui consiste à transformer leurs matières afin de leur donner une nouvelle
valeur, une nouvelle vie. Mais nous n'avons pas encore identifié la façon de le faire
», raconte le dirigeant. Le représentant trouve l'opportunité intéressante et parvient à
convaincre sa direction de s'impliquer au moment venu comme partenaire dans le
projet qui devra être monté. La multinationale est prête à financer la moitié du projet.
175
Avec ce soutien, au début du mois de février 2008, le dirigeant rencontre des
chercheurs d'un centre de recherche gouvernemental. Ces chercheurs sont spécialisés
dans la conception de procédés technologiques novateurs. L'opportunité leur est aussi
présentée avec pour mandat de trouver un moyen de la concrétiser. Bien qu' elle ait
une expérience dans la récupération et le tri des plastiques, la PME n'a pas
d'expertise pour le faire. Les chercheurs de ce centre « ont trouvé très intéressant
l'opportunité que représente les déchets de pellicules multicolores et les emballages
multicouches. Ils nous ont dit que compte tenu du fait que ces matières sont
polluantes pour l'environnement et qu'une grande partie va à l'enfouissement, on
peut comme chercheur essayer de trouver une solution technologique », raconte le
dirigeant. D'un commun accord, le dirigeant et les chercheurs décident que la
meilleure solution serait de concevoir: un procédé technologique de recyclage.
Cependant, il faut d'abord mener des études techniques afin de voir la
faisabilité du projet. Du côté de l'entreprise, il lui est difficile de financer les coûts
liés à l'étude technique. « En tant que PME, il est difficile d'avancer des fonds pour
financer une étude technique, surtout dans une période de crise financière mondiale
qui agit négativement sur le marché des plastiques ». L' entreprise rencontre alors
deux autres acteurs, un CLD25 et Recyc'Québec26 qui lui accordent un financement.
Pour ces derniers, le potentiel technologique et environnemental du projet est un
argument solide pour les convaincre. Le CLD « trouvait intéressant d'une part qu'il y
ait une autorité reconnue impliquée dans le projet, en l'occurrence le centre de
recherche gouvernemental. De plus, le projet pourrait contribuer à l'objectif de
développement et de diversification économique local. Pourtant, on s'orientait dans
une démarche qui pouvait ne rien donner en fin de compte » rapporte, le dirigeant.
25 Le CLD et la SADC ont pour mission d' aider au développement des entreprises locales. 26 Recyc 'Québec a pour objectifs de promouvoir, développer et favoriser la réduction, la réutilisation,
la récupération, le recyclage et la valorisation de contenants, d'emballages, de matières ou de produits dans une perspective de conservation des ressources.
176
Pour Recyc 'Québec le projet d'une technologie permettant de réduire les impacts
environnementaux négatifs s' inscrit clairement dans sa mission.
Après une dizaine de mois, c'est-à-dire vers la fin du mois d'octobre 2008, le
centre de recherche dépose des rapports d'étapes et un rapport final après avoir
effectué plus de 108 tests. Selon ce rapport, il est possible de développer un procédé
technologique permettant de transformer le polystyrène en résine de plastique. Le
centre de recherche estime des investissements importants d'un montant d'environ
cinq millions de dollars nécessaires pour l'achat d'équipements et la réalisation du
. procédé technologique. L' entreprise inclut les résultats de cette étude dans un plan
d'affaires avec lequel elle rencontre une institution financière afin de les convaincre
d' investir dans le projet. « Je leur ai dit: vous devez avoir un programme pour nous
aider compte tenu des impacts environnementaux néfastes des matières plastiques qui
sont le plus souvent dirigées vers les sites d'enfouissement, la nature technologique
du projet et les équipements qui y sont inclus. Et, le projet s'inscrit parfaitement dans
votre vision visant à contribuer au développement durable », raconte le dirigeant.
Mais, pour ces derniers, l' argument environnemental n'est pas une garantie suffisante
pour investir dans le projet.
L'entreprise se tourne alors à nouveau vers la multinationale « parce qu'elle a
tout intérêt à ce que ce projet fonctionne. Avec ce projet, elle pourrait dire haut et fort
sur les marchés et sur la place publique que leurs emballages et contenants sont
recyclables, en plus d'avoir une excellente qualité pour préserver les aliments. C' est
vrai qu'elle le disait auparavant, bien que cela fût loin d'être la vérité. Mais avec ce
projet, elle ne se gênait pas! Toutefois, elle ne court plus le risque de se faire prendre
en flagrant délit de mensonge ou, plus précisément, de "green washing!" Nous avons
dit à la multinationale que les institutions financières étaient plus exigeantes en
matière de garantie », explique le dirigeant. La multinationale accepte alors d'avancer
177
500 mille dollars. Selon le dirigeant, les résultats du centre de recherche et la rigueur
scientifique de ses chercheurs ont rassuré la multinationale. Par la suite, la
multinationale fait pression sur certains de ses clients pour soutenir le projet,
notamment les grands producteurs de boissons. Deux des plus importants d'entre eux
au Canada, « acceptent de nous donner 1 00 mille dollars chacun. Les 700 mille
dollars sont considérés comme un levier financier qui nous permet d'aller chercher le
reste du financement nécessaire pour lancer le projet », précise le dirigeant. En avril
2009, « on avait des accords écrits de la part de tous les partenaires confirmant leurs
engagements financiers dans le projet. Mais, il faut le soutien de banquiers parce que
l'argent ne suffit pas. Une institution financière et un fonds d' investissement
responsable donnent leur dernier accord vers l'automne 2009. Alors, on a lancé le
projet avec notre première commande d'équipements en décembre 2009 ».
Le lancement du projet permet d'entrer dans une phase devant aboutir à la
illlse en œuvre du procédé technologique. Les premiers équipements sont alors
commandés auprès d'un fournisseur européen. « La plupart des équipements ne sont
pas fabriqués ici au Québec, de plus ils sont faits sur mesure compte tenu du caractère
novateur du procédé. Par conséquent, on devait se rendre sur les lieux en Europe.
L'équipementier sélectionné s'engage par contrat à un devis de performance avec des
spécifications précises. L'année 2010 devait servir à leur installation », raconte le
directeur des achats et ventes qui, à ce moment, remplace le dirigeant absent pour une
longue période. Mais, « on a connu des péripéties épouvantables : des délais très
longs qui ont fait en sorte que les équipements ont été livrés vers fin 2010 », raconte
le directeur des achats et ventes. Durant ce temps, l'équipementier européen sera
racheté par une entreprise américaine.
En 2011, avec un an de retard, les équipements sont installés et doivent être
testés pour la première fois. « Malheureusement, le rodage a été d'une longueur
178
inouïe. Le représentant de l'entreprise américaine a passé près de six mois chez nous
pour tenter d'augmenter la performance des équipements sans réussite. Il y avait
même une situation conflictuelle où l'on a d'un côté, le représentant de
l' équipementier, un ingénieur PhD, ne jurant que par la science et son expertise. De
l' autre, on a des mécaniciens formés sur le tas. Ces derniers constatent que la
densification des plastiques ne se fait pas correctement. Le risque est alors d'avoir
des résines de piètre qualité sans valeur environnementale ni économique. Et, ils font
à l'ingénieur des suggestions qui pourraient fonctionner. Une suggestion provenant
d'un mécanicien qui n'est pas un technicien ni un expert en environnement, c'est mal
reçu par le Ph. D. Pour ce dernier, ce que proposent les membres de l'équipe, c'est de
la vieille technologie qui ne fonctionnera pas », raconte le dirigeant. En fait, pour
l'équipementier, il faudrait : un procédé technologique de recyclage adapté aux
équipements.
Dans ces conditions, le dirigeant fait appel aux chercheurs pour dénouer
l'impasse et discuter d'éventuels réglages dans le procédé afm que les équipements
puissent fonctionner. Ces équipements ont déjà coûté beaucoup d'argent et de temps.
« On a fait appel à l'un des chercheurs qui avaient conduit les travaux de recherche et
développement. C'est un Ph. D. en plasturgie et, il est venu passer une journée chez
nous pour observer le "densifieur" et pour proposer une solution au problème. Deux
jours après, on avait son rapport écrit qu'on a remis à l'ingénieur. Voyant que celui
qui a fait le rapport est un Ph. D comme lui, il n' a pas eu d'autre choix que d'ajuster
plutôt ses équipements au procédé technologique tel que conçu. Les conclusions du
chercheur correspondaient à ce que mes collaborateurs avaient proposé auparavant.
Donc, on a perdu près de six mois avec l'équipementier qui au final n'a pas tenu ses
promesses. Celui-ci sera racheté par une multinationale suisse.
179
Au mOlS de juin 2011 , les nouveaux propriétaires viennent rencontrer
l'entreprise, car ces derniers constatent que la relation s'envenime avec leur filiale
américaine. Le dirigeant brandit la menace de procédures judiciaires afin de faire
respecter le contrat original. « C'était quand même un équipement très dispendieux.
On parlait d'un projet de plus d'un million de dollars juste pour ces équipements au
cœur de notre technologie », explique le dirigeant. Alors, des discussions
s'enclenchent entre les parties pour des compensations financières importantes qui
sont d'ailleurs obtenues. « Ensemble, on a préféré une entente sans procès qui nous
faisait gagner du temps et évitait qu'on s'embarque dans des procédures judiciaires
médiatisées qui seraient négatives pour l'image de l'équipementier américain. On a
préféré la négociation et l'entente hors cour de justice. Et, l'équipementier est sorti du
dossier ». Au mois de décembre 2011, la compensation est versée et le
développement du projet peut continuer selon le plan conçu par les chercheurs. Cette
fois, le dirigeant privilégie des équipements usagés achetés à l'étranger pour
amoindrir ses coûts. Ces équipements sont par la suite adaptés dans un atelier
d'usinage au Québec. Bien que les équipements soient installés et opérationnels,
l'entreprise connaît toujours des problèmes.
Selon le directeur de la maintenance, « c'est autre chose de faire un produit en
plastique usagé. Là, on travaille avec ce que l'on peut appeler communément des
matières multicolores et multicouches. Ce n'est pas une matière vierge en termes
d'intrant. Elle a donc des limites au niveau de son utilisation. Et, cela crée des
contraintes dans le procédé technologique. On a beau décontaminer la matière, il en
demeure qu'au final cela crée des problèmes de qualité et réduit le volume de
production de la résine. Cela n'aurait pas été le cas si on utilisait des matières
plastiques vierges et unicolores ». Pour le directeur de la production, « le problème
n'est pas la matière, c'est finalement le procédé. C'est cela la dure réalité du monde
de la recherche et développement. On veut une production plus importante et une
résine de qualité alors qu'il y a encore de la recherche et développement à faire pour
180
améliorer le procédé technologique. Il y a deux semames, mes collègues m'ont
signalé un problème de poussière qui crée de l'énergie statique dans le procédé, alors
que le centre de recherche ne nous a jamais parlé d'énergie statique dans son étude.
Cela occasionne en fin de compte beaucoup de rejets de plastiques ».
Pour le centre de recherche, « on sait déjà qu'il y a eu des retards dans les
équipements spécialisés difficiles à trouver. À .cela s' ajoutent des problèmes liés à la
nature des matières utilisées. La recherche et développement pour des technologies
environnementales prend du temps et il faut compter avec les imprévus. L'entreprise
les a minimisés, peut-être par excès d'optimisme. Mais, elle possède une technologie
prometteuse et brevetée qui permet de fabriquer des produits pouvant donner
naissance à de nouvelles entreprises », rapporte le directeur des achats et ventes. Au
fil du temps et des essais et erreurs, le dirigeant de l'entreprise croit qu'il aura un
procédé technologique mieux adapté au recyclage de matières multicolores et
multicouches.
1.7 De la légion à la législation (ID-7)
La préhistoire de l'ID. ID-7 est une innovation développée par une PME de
115 employés créée en 1965. Elle évolue dans le secteur de la chimie et du traitement
des eaux usées industrielles. L'entreprise développe et commercialise des solutions
chimiques, mécaniques et de traitement des eaux. Elle s' adresse à des entreprises
privées comme publiques.
L'orientation de l' entreprise vers des solutions respectueuses du DD est
l'initiative de son vice-président Innovation. Il devient, à la faveur de la crise qualifiée
181
de crise de la légionellose (nous y revenons plus tard), vice-président Innovation et
DD. Il détient un doctorat en chimie. « Je suis passé de chimiste en recherche et
développement à vice-président innovation de toutes les divisions de l' entreprise. À
la faveur de la crise, j ' ai ajouté.le terme "développement durable" à mon titre pour
montrer que c'était une de mes préoccupations et la nouvelle orientation de
l'entreprise ».
Le V.-P Innovation et DD effectue une mission d' observation en France afin
d'en apprendre davantage sur les enjeux environnementaux dans son secteur
d'activité. Il sait cependant que la France, son pays d'origine, fait partie des pionniers
dans ce secteur puisqu'il avait effectué à la fin de sa formation doctorale plusieurs
stages dans des PME. Il a aussi connu durant ses études pratiques le déroulement
d'une épidémie liée aux problématiques des eaux usées industrielles et ayant
provoqué plusieurs cas de décès. Ces décès étaient dus à une maladie appelée la
légionellose dont l'une des sources était la tour de refroidissement d'une entreprise.
La légionellose est une maladie infectieuse causée par une bactérie appelée la
légionnelle et présente dans les spas, les systèmes de climatisation, les équipements
de stations thermales, les fontaines décoratives, les bains à remous, etc. Ces
installations techniques utilisent des tours de refroidissement à l' eau qui diffusent la
bactérie de la légionellose sous forme aérosol. Cette bactérie est ensuite inhalée par
l' être humain et cause des problèmes ' de santé et de sécurité (p. ex. : sécurité par
rapport au milieu de travail des employés). La prévention et la surveillance de la
légionellose font alors l' objet de plusieurs règlementations en France, en 1997, 2002,
et 2004. La règlementation de 2004 impose des mesures de prévention à mettre en
œuvre par les entreprises ayant des tours de refroidissement afin d' éviter le risque de
légionellose.
182
C'est inspiré par ces évènements et plus tard de retour de sa mission effectuée
en 2006 en France que le V.-P Innovation et DD propose une nouvelle politique
orientée vers le DD à son président. Partant de là, l'opportunité est toute trouvée:
prévenir une épidémie de légionellose.
L 'innovation durable. Elle se présente comme une chimie durable, soit « une
solution de gestion préventive et environnementale de la légionnelle. Celle-ci
comprend une technologie d'analyse et de dépistage, un programme de désinfection
par des traitements écologiques et un service de conseil pour prévenir la bactérie »,
explique le vice-président Innovation et DD. Cette solution est innovante en plus
d'être durable.
En effet, « au Canada et au Québec, il n'y a aucune entreprise qui possède une
telle technologie et cela prend une expertise pour être capable de l'appliquer. Les
entreprises du secteur utilisent plutôt une autre technologie bien connue depuis de
nombreuses années. Mais, celle-ci a montré ses limites dans la lutte contre la bactérie
et ne prend pas en compte des aspects environnementaux (p. ex.: excès de
concentrations de chlore et de traitements chimiques inefficaces nocifs pour
l'environnement) et sociaux (p. ex. : risque de contamination à l'être humain élevé en
raison du temps de détection très long de la bactérie, soit deux semaines, toxicité des
produits de traitement pouvant avoir des effets négatifs sur la santé).
Le développement de notre technologie a été un défi avant tout, parce
qu'aucune entreprise ne l'utilise, bien que dans le monde de la recherche scientifique
ses fondements de base sont connus », explique le directeur technique de l'entreprise.
De plus, selon le Y.-P. Innovation et DD, « nous sommes la seule entreprise à faire
usage de produits écologiques pour les traitements. Nous avons fait le choix de
183
privilégier des produits écologiques alors que dans notre secteur les entreprises
utilisent plutôt des produits chimiques toxiques ». Outre les produits écologiques, la
technologie a la capacité de détecter la bactérie en 24 heures au lieu de deux semaines
avec l' ancienne technologie. Enfin, le service de conseil consiste à faire de la
sensibilisation et de la formation ainsi que de la surveillance.
Alors qu'elle est encore en phase de prototypage, la solution est primée deux
fois en 2009 par une institution gouvernementale et un regroupement de propriétaires
et de gestionnaires immobiliers. En 2012, elle est reconnue comme une technologie
environnementale innovante par un autre organisme voué à la promotion de telles
technologies. Enfin, en février 2013, un autre prix récompensant les innovations
environnementales dans le domaine de la chimie lui est décerné. Le développement
de cette solution a vu l' implication de plusieurs acteurs autant internes qu' externes à
l' entreprise. Les principaux épisodes de l'histoire de cette ID permettent de mieux
comprendre cette implication.
L'histoire de l'ID. En 2006, de retour de sa mISSIOn en France, le V.-P.
Innovation et DD se questionne d' abord sur la nécessité de s' intéresser à la
légionnelle compte tenu de « l'absence » de cas au Québec et d' une législation pour
la prévenir. Ensuite, s' il faut s' y intéresser, comment cela devrait se faire afm de se
positionner sur le marché. Le V.-P mène des recherches plus poussées sur des cas de
legionellose qui se sont produits en Europe et en Australie, et surtout sur les
législations en vigueur dans des pays de ces deux régions. « Puis, j'ai aussi joué une
carte. Je me suis dit que le Québec et la France sont quand même proches. Lorsqu'il y
a des lois, des règlements qui sont pris en France, le Québec a tendance à s'en
inspirer. Par exemple, le BNQ21000 est une norme de développement durable au
Québec qui s'est beaucoup inspiré des normes en France et en Europe. Je pense donc
184
que la même chose va se faire pour la légionellose », raconte le Y-P. Innovation et
DD.
En 2007, pour concrétiser cette opportunité, le Y-P. Innovation et DD recrute
un directeur technique. Le directeur technique est aussi détenteur d'un doctorat en
microbiologie. En raison de son expérience dans des entreprises françaises qui
s'intéressent aux problématiques de légionnelles, le directeur technique a une très
bonne expertise sur le sujet. Les deux acteurs vont travailler afin de trouver une
meilleure façon d'anticiper les risques de légionnelles. Compte tenu de ce qui se fait
en général dans le secteur en matière de solution d'analyse et de traitement de
bactéries, ils s'entendent d'abord sur le fait qu'il faille une solution préventive. Pour
prévenir la légionnelle, il faut un service-conseil pour montrer aux entreprises
clientes comment faire l'entretien d'installations techniques utilisant des tours de
refroidissement à l'eau. Ensuite, pour constater rapidement la présence de la bactérie,
il faut une technologie d'analyse qui donne des résultats en 24 heures. Par conséquent,
elle doit être différente de la technologie d'analyse déjà existante qui donne des
résultats en deux semaines. Partant de là, le V.-P. Innovation et DD et le directeur
technique en viennent à une solution: une technologie d'analyse préventive.
Cependant, la mise en œuvre de la technologie nécessite l'implantation d'un
laboratoire de microbiologie. Des investissements que ne possède pas entièrement la
PME doivent être consentis pour y arriver. À cet effet, en 2008, lors d'une rencontre
de maillage université - entreprise, le V.-P Innovation et DD présente son projet qui
intéresse quatre universités. Le choix se porte alors sur l'une d'entre elles en raison
de la notoriété internationale d'un de ses professeurs-chercheurs qui s' intéresse aussi
à la question de la légionnelle. Un partenariat est établi entre la PME et cette
université. Pour l' entreprise, grâce au laboratoire de microbiologie, les étudiants
chercheurs et les professeurs de l'université pourront faire des tests de la bactérie ainsi
185
qu'améliorer et développer des COlIDaISsances. Ce partenariat permet au V.-P
Innovation et DD de renforcer la crédibilité et la pertinence d 'un projet à la recherche
de financement. « Le professeur de l'université monte un dossier et nous lui donnons
plusieurs informations sur le projet. La notoriété de ce dernier et l' implication de son
université d ' attache, nous permettent d ' obtenir plus facilement la subvention d' un
fonds alimenté par le ministère québécois de l'Économie, de l' innovation et des
exportations. », raconte le V.-P Innovation et DD. L' entreprise obtient une
subvention de 700 000 dollars.
Toujours en 2008, suite au chapitre du financement, l' entreprise se lance dans
le développement du projet qui va impliquer des acteurs internes, soit les teclmiciens
de laboratoire de l'entreprise. Ces derniers entrevoient un changement dans leurs
tâches qui seront dorénavant dévolues au développement de la technologie. Pour
certains techniciens notamment les plus anciens de l'entreprise, « étant donné qu' il
s'agit de résoudre une problématique qui n'existe pas encore au Québec, il n' est pas
nécessaire d ' investir dans le développement d'une nouvelle technologie d'analyse
dans la mesure où il existe une ancienne technologie qui fait largement consensus
dans l'industrie. Il faut se contenter d'une technologie classique en misant cependant
sur l'utilisation de produits écologiques en lieu et place de produits toxiques », confie
le directeur teclmique. Pour les teclmiciens, l'entreprise peut surtout se distinguer au
niveau du traitement avec des produits écologiques. Sur la base de cette nouvelle idée
venant des teclmiciens de laboratoire, le V.-P Innovation et DD et le directeur
technique développent un prototype qui combine la nouvelle technologie d'analyse et
le traitement avec des produits écologiques : la chimie verte.
En 2009, l ' entreprise embauche une coordonnatrice en DD. Son rôle est de
convaincre des clients potentiels d 'utiliser le prototype. Ayant fait des études en
sciences politiques, relations publiques et internationales, la coordonnatrice en DD
186
cumule plusieurs expériences dans des entreprises où elle devait s' occuper de
questions environnementales plus au plan politique (p. ex. : rencontrer des gens, faire
des médiations) que technique. « J'ai rencontré environ 300 entreprises, plus de 1000
gestionnaires. Le problème, c' est que la technique d'analyse utilisée dans notre
chimie verte était très controversée pour ceux qui parmi les gestionnaires étaient des
chimistes, des scientifiques ou des chercheurs. La préférence allait pour la technique
d'analyse plus classique. Dans ces conditions, mon message n'était plus focalisé sur
notre technologie », raconte la coordonnatrice. Cette situation va amener la
coordonnatrice à ne plus parler de chimie verte, « mais je leur parle d' une solution où
l'accent était mis sur la rapidité des analyses et le traitement avec des produits
écologiques », précise-t-elle. Notre chimie verte était alors présentée comme : une
chimie durable.
Malgré cela, « les gens me disaient que ce n'est même pas obligatoire de faire
des analyses préventives, bien qu' ils sachent que leurs tours de refroidissement sont
contaminées. En fait, ils ne veulent pas le faire pour des raisons économiques et c'est
très souvent ie cas. Et cela m'a fait penser au film intitulé Erin Brockovich, seule
contre tous. Dans ce film, dés populations d'une petite ville californienne ont
contracté des maladies graves (telles que le cancer) causées par l'eau potable
contenant des rejets toxiques issus de l'eau de refroidissement d'une usine. Bref, la
résistance des entreprises nous a amenés à mettre l'accent sur l' aspect législatif ».
C'est à ce niveau qu'intervient aussi un autre acteur interne, le V.-P. chargé des
applications et technologies. Il détient un doctorat en traitement et assainissement des
eaux. Il commence dans l'entreprise comme technicien de laboratoire, puis vendeur
pendant 12 ans, ensuite directeur des ventes pour finir enfin au poste de Y.-P. chargé
des applications et technologies. En tant que tel, il est aussi chargé de la formation
dans l'entreprise. Il cumule 42 années d' expérience dans l'entreprise. Sa connaissance
de l'entreprise, son expertise et son expérience seront importantes.
187
En 2011 , accompagnée du V.-P. chargé des applications et technologies, la
coordonnatrice en DD propose de rencontrer les députés de l'Assemblée nationale
pour les informer des risques d'apparition de la légionnelle au Québec afin de les
inciter à prendre une loi. « Elle sait déjà comment aborder ces gens-là, sans entrer
dans le langage technique et elle n'est pas non plus technique elle-même. Le vice
président Innovation et DD, le directeur technique et moi avons une pensée très
scientifique. Par contre, elle a une pensée plutôt émotionnelle, c' est une fille de
sensations », précise le V.-P. chargé des applications et technologies. Or, une telle
rencontre n' est possible qùe si l'entreprise est inscrite au Registraire des lobbyistes
sous l'égide d'une association afin d'avoir accès en tout temps à l'Assemblée
nationale. Le V.-P Innovation et DD demande alors le soutien de l'association faisant
la promotion de l' innovation en chimie, dont il est membre et ex-président.
L' argument est alors que: « il n'existe aucune règlementation en vigueur au Québec
pour assurer la surveillance d'une bactérie meurtrière dans les installations des
bâtiments. Et, le but est d' arriver à une législation. Une telle législation pourra
obliger les entreprises à recourir à des analyses périodiques et préventives afin de
réduire les risques de contamination chez l'être humain et de pollution de
l'environnement. Cependant, il est important que les représentants de l' entreprise
soient bien présentés comme membres mandatés par l' association pour faire la
promotion de la prévention de la bactérie », spécifie la demande faite à l'association
par le V.-P Innovation et DD.
C'est ainsi que face à 15 députés (objectif de participation que l'entreprise
espérait d'ailleurs atteindre) sur 125 invités, la coordonnatrice et le V.-P. chargé des
applications et technologies se présentent comme « les représentants de la bactérie ».
Ceux-ci demandent aux députés de porter une épinglette du signe de la bactérie. «
Nos arguments étaient d'abord soutenus par les crises qui se sont déroulées en
France, au Royaume-Uni, en Australie, et surtout, par l' existence d'une législation en
France, pays dont s' inspirent généralement les lois du Canada et du Québec »,
188
mentionne la coordonnatrice. Pour certains députés, « il existe une loi »; « ce qUI
n'est pas en fait le cas », soutient, preuve à l' appui, le V.-P. chargé des applications et
technologies. Pour d'autres, « il ne faut pas effrayer la population et de toutes les
façons il existe déjà des techniques pour combattre la bactérie si elle survient ».
L'entreprise affirme que « ces techniques ont montré leurs limites même en France au
niveau du temps de réponse et de l' impact environnemental négatif des traitements.
En plus, une loi peut être prise dans un but préventif ». Parmi ces députés, un seul,
lui-même un scientifique, soutient les « représentants de la bactérie ». Il propose alors
de piloter le dossier auprès de ses collègues. Finalement, la rencontre accouche d'une
souris et le projet de l' entreprise reste en berne.
En 2012, éclate à Québec une crise du nom de la bactérie et les médias se font
l'écho des familles d'une dizaine de morts et de plus d'une centaine de personnes
contaminées. Le V.-P Innovation et DD est alors appelé à la rescousse d'abord par les
médias et ensuite par les autorités en place, notamment la régie des bâtiments du
Québec (RBQ), les services de santé publique et la ville où se trouve la tour
contaminée. Au niveau des médias, c'est l'expertise de la PME qui est sollicitée. Le
V.-P Innovation et DD propose le V.-P aux applications et technologie, alors appelé «
monsieur légionnelle » pour aller au contact des médias. C'est un homme
d'expérience et un bon formateur qui sied à la situation. « C'est d'abord une question
d'éducation plus qu'autre chose. Bien évidemment, les médias ont monté tout en
épingle à travers des bouts de phrase alarmants et des interviews auprès de personnes
qui ne s'y connaissent pas. Cela a augmenté l' attention des gens et leurs craintes. Par
exemple, dans un journal télévisé, il y avait un monsieur qui affirmait avoir trouvé
l'origine du problème. Selon lui, il y a une excavation contenant de l'eau stagnante
près d'un bâtiment en construction depuis le début de l'été. Cette eau marécageuse
contient les bactéries. Et, les vents dominants provenant du fleuve avec l' aide de
cloches situées à proximité poussent ces bactéries dans l' air, et par conséquent
contaminent les populations. L'autre réaction des médias était d'aller sur le web pour
189
chercher à savoir qui sont les experts dans ce domaine. Puis, cela les a dirigés vers
nous. Ainsi, avec mes interventions à la télévision comme à la radio et dans les
journaux, les 'gens ont commencé à comprendre ce qu'est la bactérie en question »,
raconte le V.-P. chargé des applications et technologies.
En 2013 , conformément à sa mission, la Régie du bâtiment du Québec décide
d'élaborer un projet de règlement. Dans ce sens, elle met en place des équipes, des
comités de concertation dans lesquels l' entreprise est sollicitée. Invité dans ces
comités, « on a pu faire part de notre expertise pour renforcer le projet de règlement
», précise le V.-P. chargé des applications et technologies. Ce règlement modifie le
code de sécurité de la loi sur le bâtiment par des dispositions relatives à l' entretien
des tours de refroidissement. Il oblige « les propriétaires de tours de refroidissement,
incluant celles utilisées dans les processus industriels, à respecter un programme
d'entretien élaboré par un membre d'un ordre professionnel, à inscrire les résultats
des vérifications dans un registre et à transmettre des informations à la RBQ pour
dresser un répertoire québécois des tours de refroidissement ».
L'association promouvant l'innovation en chimie rédige un mémoi.re destiné à
la RBQ. L' analyse du projet de règlement contenu dans ce mémoire insiste sur trois
points. Premièrement, l'association préconise que, la technique à utiliser pour
dépister la bactérie soit une méthode de détection rapide. Deuxièmement, que tous les
produits chimiques proposés dans le traitement de la bactérie soient identifiés avec
précision afin de pouvoir vérifier s' ils respectent les normes de conformité et s' ils
sont efficaces et appropriés pour traiter les bactéries. Enfin, pour réduire les risques à
venir de bactéries, l' association suggère des mesures de suivi ou des dépistages
fréquents. Ce mémoire ouvre alors une opportunité à la PME de se repositionner sa
chimie durable.
190
Dans ce sens, une rencontre a lieu entre la PME et le service de santé publique
du Québec. Les discussions tournent autour de la solution et principalement de la
technologie d'analyse développée par la PME. Pour les représentants des services de
santé publique, bien qu' ils soient convaincus de la pertinence de cette technologie,
elle n'est pas la référence en Amérique du Nord et au Canada. Pourtant, selon
l' entreprise, elle permet de faire un dépistage en 24 heures avec des produits non
nocifs pour l'humain et l'environnement, alors qu'avec les technologies habituelles, il
faut compter 15 jours avec des traitements chimiques toxiques. Et, « pour nous, cela
fait toute une différence dans une situation de crise et avec une règlementation qui
impose un dépistage périodique », affirme le vice-président Innovation et DD.
Cependant, une tentative de collaboration consistant à établir un genre de protocole
comparaison à partir d'échantillons semblables afin de procéder à une validation des
deux technologies échoue. À ce jour, la PME continue d'améliorer sa chimie durable
et de la commercialiser à des entreprises privées.
Cette section avait pour but d'explorer des processus d' ID à travers le récit de
dirigeants de PME. Dans ce sens, nous voulions être en mesure de comprendre et
d'expliquer le travail effectué par ces derniers dans le développement de leurs ID.
C'est pourquoi l' étude a consisté à mettre en évidence des éléments de
compréhension permettant de documenter pour chaque processus, la préhistoire de
l'ID, les caractéristiques de celle-ci et les principales péripéties qui ont jalonné son
histoire (pour comprendre les phases de l'objet-valise et de l'objet-frontière). Devant
la multitude et la richesse des données recueillies au cours de cette recherche, ces
récits historiques comportent leur part d' implicite et d'explicite. La section suivante a
pour but d'interpréter ces deux aspects sur la base du cadre théorique que nous avons
mobilisé.
191
2. INTERPRÉTATION DES RÉS ULTATS
L'interprétation de nos résultats est présentée en suivant le plan de notre cadre
théorique. En clair, après avoir présenté un portrait du travail des dirigeants (section
1), nous abordons la phase de la préhistoire de l'ID (section 2). Ensuite, dans la
troisième section nous expliquons la phase de l'objet-valise. Dans la quatrième
section, nous présentons la phase l'objet-frontière. Dans chacune de ces phases, nous
montrons en quoi consiste et de quelles manières s'effectue le travail des dirigeants de
PME pour développer des ID. Il s'agit de poser un regard plus fin sur le travail de ces
dirigeants, en mettant en évidence les éléments implicites qui ressortent des résultats
présentés à la première partie de ce chapitre. Nous verrons que cette introspection
permet de découvrir des facettes du travail des dirigeants de PME. Enfin, pour clore
le chapitre nous faisons un retour sur les objectifs et les questions spécifiques de notre
recherche.
2.1 Portrait du travail des dirigeants de PME dans le développement des ID
Le tableau 16 présente un portrait permettant de comprendre comment, à
travers le travail du dirigeant, l'ID passe au fil du temps d'un enjeu de DD, d'un objet
valise à un objet-frontière (initial et définitif). Dans l'ensemble, les données du
tableau peuvent être interprétées comme suit:
A. L'ID à faire n'existe pas ex nihilo: seul ou avec d'autres, mais le plus souvent en groupe très restreint, c'est le dirigeant de PME qui « définit » ce sur quoi portera l' ID. Il s' informe des enjeux de DD, est attentif à la conjoncture et voit comment saisir les opportunités qu' elle comporte, à partir de diverses sources d' information. Son travail consiste à identifier, percevoir un enjeu de DD qui risque d'affecter son organisation et à y déceler une opportunité qui servira de « point de départ » à la réflexion et à la construction du réseau d'acteurs. Son objectif est d'identifier un enjeu de DD et une opportunité afin de démarrer un projet d'ID;
192
B. Le réseau d'acteurs nécessaire à la définition d'une ID n' existe pas ex nihilo: seul ou avec d'autres, mais le plus souvent en groupe très restreint, c' est le dirigeant qui « ébauche » ce que sera l'ID. Son travail consiste à « définir de manière large » un objet qui permettra a) la construction du réseau d'acteurs nécessaire pour développer l' ID et b) la collaboration de ces acteurs aux interprétations différentes de ce que devrait être l'ID. Son objectif est de définir un projet d'ID - objet-valise - de manière à constituer le réseau d'acteurs qui permettra de la préciser;
C. Avec les acteurs du réseau, le dirigeant de PME « construit» l'ID - objetfrontière - et travaille à « fermer » les controverses entourant ses caractéristiques: Pour que l'ID existe, il faut en quelque sorte la légitimer pour en stabiliser les caractéristiques et mettre fin à la flexibilité interprétative qui l'a caractérisée jusque-là. Son objectif est de construire collectivement l'ID avec des caractéristiques précises, partagées et stables;
D. La réalisation de l'ID est un travail qui se fait à plusieurs et les acteurs sont « hétérogènes » : c'est un processus social. C'est le dirigeant qui fait le choix des acteurs qui participeront à la concrétisation de l' ID. Son travail consiste à mobiliser les acteurs ayant les ressources requises et assigner les « bonnes personnes aux bons rôles» s'il veut s'assurer que l'ID se réalise. Son objectif est de choisir les acteurs-clés qui participeront à la réalisation de l'ID
E. Le dirigeant joue en quelque sorte un rôle d'arbitre dans la définition de du projet d'ID et la stabilisation des caractéristiques de l'ID: Il confronte certains acteurs, propose une interprétation de l'ID ou une solution qui a des conséquences sur la nature de l'enjeu visé au départ. Son objectif est de participer à la résolution des confrontations et de changer la nature de l'enjeu de DD visé au départ et les caractéristiques définitives de l'ID.
Tableau 16 Portrait du travail des dirigeants dans les processus d'ID étudiés
Sélection de l'enjeu Détection de Définition du Dimension de l'enjeu ID initiale Redéfinition de l'enjeu de 10 finale deDD l'opportunité d'ID projet d'ID priorisée par le projet produite DO produite
Phase Préhistoire Objet-valise Objet-frontière
Temps To T , T" Tn + 1
Se transporter sans Environnementale, 1) Changement climatique
10-1 Réduction des GES Vélo électrique Vélo tout-électrique 2) Santé et sécurité des Vélo hybride pétrole, sans auto économique
êtres humains
Revendre les petits 1) Déchets et gestion des
ID-2 Déchets et gestion
appareils électroniques Bac de récupération Environnementale, Bac de récupération déchets;
Bac intelligent des déchets mobile économique mobile 2) Production et sécurité
usagés des produits.
Nettoyant sans Nettoyant sans 1) Production et sécurité Station de remplissage
ID-3 Production et Nettoyer avec des fragrance, sans
Sociale, économique fragrance, sans des produits; de nettoyant sans
sécuri té des produits produits sans fragrance colorant et sans colorant et sans 2) Déchets et gestion des fragrance, sans colorant fo rmaldéhyde fonnaldéhyde déchets. et sans formaldéhyde
1) Droits de la personne; Droits de la Cosmétique
Cosmétique 2) Production et sécurité Cosmétique écologique, 10-4 personne Acheter l'huile d'argan
écologique Sociale, économique écologique et des produits ; équitable et
1 équitable 3) Déchets et gestion des écoresponsable
déchets. 1
ID-5 Déchets et gestion
Valoriser le carton Meubles en carton Environnementale,
Modules en carton Déchets et gestion des
Mod ules en carton des déchets économique déchets
1) Déchets et gestion Procédé Procédé 1) Déchets et gestion des
des déchets Transformer le technologique de Environnementale, technologique de déchets
Procédé technologique ID-6 2) Pollution polystyrène en rés ine
recyclage du économique recyclage adapté aux 2) Pollution atmosphérique de recyclage du
atmosphérique gri se polystyrène équipements 3) Dégradation du sol
polystyrène 3) Dégradation du sol
1) Pollution atmosphérique;
lD-7 Pollution Prévenir une épidémie Technologie Environnementale,
Chimie verte 2) Santé et sécurité des êtres
Chimie durable atmosphérique de légionellose d'analyse préventive sociale, économique humains;
3) Agitation sociale. ----- - ----
194
Les sections suivantes permettent de comprendre les détails de notre interprétation du
travail des dirigeants de PME dans la construction sociale de leurs ID.
2.2 La phase de la préhistoire de l'ID
La phase de la préhistoire permet de comprendre le contexte d'apparition
(Flichy, 1995) de l'innovation durable. Dans cette phase, le dirigeant met l'accent sur
son travail d'observateur actif (Florén et Tell, 2004; 2012; O'Gorman et al., 2005). Ce
travail consiste à rechercher et repérer des informations d'actualité, particulières, non
routinières liées à des enjeux environnementaux et sociaux. Dans cette démarche, le
dirigeant tente de comprendre les incidences de l'enjeu sélectionné sur ses activités
présentes ou futures et de détecter une opportunité d'ID autour de celui-ci (Anderson
et Bateman, 2000; Banerjee, 2001; Sharma, 2000). C'est cette démarche que nous
décrivons au tableau 17.
Notre analyse27 du travail d'observateur actif des dirigeants de PME de notre
étude permet de voir que les informations liées à des enjeux de DD proviennent de
trois sources : les réseaux de contacts externes, les expériences personnelles vécues et
les sources en ligne (Internet). Ces sources d'informations font partie de celles
identifiées par Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman et al. (2005) tout comme
Mintzberg (1984, 2009).
27 Pour rappel, les enjeux environnementaux et sociaux sont identifiés dans différents rapports internationaux (OCDE, 2010; PNUE, 1987; WBCSD, 2006; WEF, 2011) et repris dans des écrits scientifiques (Anderson et Bateman, 2000; Newman et Breeden, 1992; Shrivastava, 1994; Starik et Rands, 1995). Cependant, en se référant au rapport de l'Institut canadien des comptables agréés (Desjardins et Willis, 2011, voir pp. 4-8), il est possible de retenir 15 principaux enjeux environnementaux et sociaux qui ont servi d'outil pour analyser les enjeux de DO et leurs incidences sur les activités des entreprises. Voir tableau 7.
195
Tableau 17 Le travail d'observateur actif à la phase de la préhistoire
Identification de Sélection de l'enjeu Anticipation des Détection de la source Information repérée de DD lié à incidences sur les l'opportuni té d'information l'information activités d'ID
Evolution de la technologie et du marché Recours à
Se transporter Réseau de du vélo vers l'électricité comme
rD-l contacts externes l'é lectrificat ion et
Réduction des GES énergie renouvelable
sans pétrole et
préoccupations pour pour le vélo. sans auto
l'environnement.
Accumulation des petits apparei ls électroniques Amélioration de la
Revendre des Expérience
usagés due à leur durée Déchets et gestion des
gestion des petits petits appareils
lD-2 de vie limitée. Ces appareils personnelle
apparei ls contiennent en déchets
électroniques électroniques
plus des composantes usagés. usagés
réutil isables.
Effets nocifs des Accroissement de la Nettoyer avec
rD-3 Expérience fragrances synthétiques Production et sécurité demande pour des des produits personnelle sur la santé des êtres des produits produits nettoyants sans fragrance
humains. plus naturels. et écologiques
Arrêt de la production Approvisionnement
Expérience d'huile d'argan en raison
en huile d'argan Acheter l'huile lD-4 de l'expulsion des Droits de la personne
personnelle femmes berbères de
respectueux des d'argan
terres. droi ts des femmes.
Existence du métier de "
1D-5 Sources en ligne cartonniste " et début de Déchets et gestion des Amélioration de la Valoriser le (lnternet) réutilisation du carton au déchets gestion des cartons carton
Canada.
Possibilité de valorisation du Amélioration du Transformer le
lD-6 Réseau de polystyrène des Déchets et gestion des
processus de polystyrène en contacts externes contenants et emballages déchets
multicolores et recyclage actuel résine gri se
multicouches.
Expérience Crises de légionellose en Contrôle du
Prévenir les
lD-7 personnelle et Europe et risque Pollution
traitement des eaux risques
réseau de contacts d'apparition de la atmosphérique usées industrielles
d'épidémie de externes légionnelle au Québec légionellose
Réseau de contacts externes. Dans le cas d'ID-l , le dirigeant apprend de son
réseau de détaillants en Europe (OÙ les vélos classiques sont aussi exportés) qu'il y a
une évolution de la technologie et du marché du vélo vers l'électrification. Dans le
même temps, selon les médias, l'électrification des transports au Québec fait de plus
en plus partie des projets des autorités gouvernementales comme des préoccupations
de certains consommateurs. Pour les uns et les autres, l'électrification est entre autres
un moyen de réduction des GES. Le recours à l'électricité comme source d'énergie
196
renouvelable (en abondance au Québec) pour faire fonctionner un nouveau genre de
vélo est une opportunité pour le dirigeant de favoriser le transport sans pétrole et sans
auto, contribuant ainsi à la réduction des GES.
De même, dans le cas d'ID-6, grâce à son réseau de contacts externes, le
dirigeant apprend qu'une entreprise hors du Québec (mais présente au Canada) avait
échoué dans un projet de recyclage du polystyrène. Pour ce dernier, cette information
obtenue d'un de ses clients indique tout de même qu'il existe une possibilité de
valoriser le polystyrène. De plus, cette matière représente un enjeu de DD lié aux
déchets et à la gestion des déchets qui préoccupe tant les autorités gouvernementales
que la multinationale et les grands producteurs de boissons (p. ex.: augmentation des
redevances à payer sur les déchets de plastique post-consommation). Cet enjeu a une
incidence sur les activités présentes du dirigeant-développeur d'ID-6, dans la mesure
où en saisissant l'opportunité de transformer le polystyrène en résine grise, ce dernier
peut améliorer son processus de recyclage actuel. Cela dit, la deuxième catégorie
d'information est celle associée aux expériences personnelles vécues par les
dirigeants-développeurs d'ID.
Expériences personnelles. Dans le cas d'ID-2, c'est durant ses études
universitaires que le dirigeant constate qu'autour de lui la plupart de ses collègues ont
du mal à se débarrasser des petits appareils électroniques « hors d'usage » (p. ex.:
cellulaires, clés USB, disques durs portatifs). De plus grâce aux médias, le dirigeant
sait qu'il y a une accumulation de petits appareils électroniques usagés en raison de
leur durée de vie (utilisation) limitée. Cependant, leurs composantes sont
réutilisables. Le dirigeant voit alors l'opportunité de créer une entreprise qUI se
chargera de récupérer et de revendre ces petits déchets électroniques.
197
Dans le cas d'ID-3 , c'est d'abord à travers son vécu personnel que la dirigeante
sait que la fragrance synthétique a des effets nocifs sur les êtres humains. Or, la
fragrance a des effets sur la santé des êtres humains selon certaines organisations
internationales comme Green Peace. Elle constitue par conséquent un enjeu lié à la
production et la sécurité des produits. Cette préoccupation amène entre autres les
consommateurs à se tourner de plus en plus vers des produits plus naturels. C'est
partant de là que la dirigeante décide de démarrer une nouvelle entreprise afin de
répondre à la demande croissante pour des produits nettoyants plus naturels.
De même dans le cas d'ID-4, c'est à travers l'expérience vécue avec les
femmes berbères pendant qu'elle travaillait comme coopérante que la dirigeante
comprend que l'arrêt de la production d'huile d'argan en raison de l'expulsion de ces
femmes aura pour conséquence de les fragiliser sur le plan socio-économique. Elle
prend alors le risque d'acheter tout leur stock d'huile d'argan afin de les aider, bien
que pour le moment elle ne sache pas quoi en faire. C'est plus tard, à travers une autre
démarche de recherche d'informations et d'expertise (auprès d'une firme de
biochimistes) pour transformer le stock d'huile d'argan acheté que la dirigeante
découvre que l'enjeu comporte en fait une opportunité d'affaires. C'est cette
opportunité qui, par la suite, donnera lieu à la création d'une entreprise.
Le dirigeant-développeur d'ID-7 s'appuie aUSSI sur ses expériences passées
dans la prévention de la légionnelle, mais aussi sur son réseau de contacts externes
(bâti durant ses études pratiques de doctorat). En effet, lors de ses stages doctoraux
dans des entreprises françaises, le dirigeant a eu à travailler sur des problématiques
liées aux eaux usées industrielles. Parmi ces problématiques, le dirigeant sait que
celle liée à la légionnelle a entrai né en Europe et particulièrement en France
différentes crises ayant entrainé des décès. Ces crises ont amené des entreprises à
développer des solutions de prévention de la bactérie et les gouvernements à proposer
198
et resserrer les lois au fil des années afin de réduire l'effet de la pollution
atmosphérique sur la santé. Cela dit, comme dans la plupart des pays développés où
les installations techniques (p. ex. : hôtels, spas, piscines, systèmes de climatisation et
de chauffage) utilisent des tours de refroidissements à l'eau, ces informations
indiquent au dirigeant qu'il peut avoir un risque d'apparition de la bactérie au Québec.
Dans ces conditions, ce risque pourrait amener le gouvernement à proposer des lois et
les organisations publiques à renforcer le contrôle des traitements des eaux usées
industrielles. Le dirigeant voit alors dans l'enjeu que représente la bactérie de la
légionellose, l'opportunité de proposer quelque chose afm de prévenir les risques
d'épidémie au Québec. Par ailleurs, dans le cas d'ID-7, en plus de son expérience
personnelle, le dirigeant se servira de son réseau de contacts en France pour
s'informer un peu plus sur les solutions possibles, mais aussi pour recruter un
spécialiste de la question, soit le directeur technique.
Sources en ligne (Internet). La dernière source d'information est celle utilisée
par la dirigeante à l'origine d'ID-5. Cette dernière apprend grâce à des recherches sur
Internet, que le métier de «cartonniste »se développe en France et qu'au Canada, le
carton commence à trouver différentes applications. Son désir de créer une entreprise
(en se basant sur son expérience passée d'entrepreneur, son goût pour l'esthétique et
l'art) qui fera quelque chose d'original et contribuera en même temps à protéger
l'environnement l'amène à opter pour des meubles en carton.
Notre analyse du travail des dirigeants de PME-développeurs d'ID rejoint les
travaux d'Anderson et Bateman (2000), Banerjee (2001) et Sharma (2000) en ce qui
concerne les perceptions et les interprétations en termes de menaces ou d'opportunités
qu'ont les dirigeants d'entreprises par rapport aux enjeux environnementaux et
sociaux. Au-delà de ce constat, les analyses nous amènent à poser deux questions
importantes : pourquoi nos sept dirigeants ont-ils ce comportement? Comment
199
perçoivent-ils l'information sur l'enjeu de DD et en tirent une conclusion, une
opportunité d'ID alors que leurs concurrents ne le font pas?
Premièrement, nos analyses montrent que les dirigeants de PME-développeurs
d'ID ont un dénominateur commun : la conjoncture. Nous désignons par conjoncture
toute situation résultant d'une rencontre de circonstances passées, présentes ou même
prévisibles et qui est considérée comme le point de départ d'une action. Dans ce sens,
la conjoncture est étroitement liée à la dimension temporelle des processus d'ID
étudiés. Par conséquent, une circonstance passée, présente ou prévisible et son
incidence sur les activités présentes ou futures de l'entreprise peuvent expliquer le
comportement du dirigeant qui consiste à remarquer l'information sur l'enjeu de DD
et à y détecter une opportunité d'ID. En définitive, l'ID n'existe pas ex nihilo.
Ainsi, dans le cas d'ID-l , la conjoncture présente (l'évolution des tendances du
marché du vélo en Europe et les préoccupations environnementales en matière de
réduction des GES) a permis au dirigeant de percevoir l'électrification des transports
comme un enjeu de DD pouvant avoir une incidence sur ses activités existantes de
fabrication et de commercialisation de vélos. Dans le cas d'ID-6, les conjonctures a)
passée portant sur l'échec d'un projet de transformation du polystyrène et b) présente
concernant l'augmentation des redevances, ont fini par convaincre le dirigeant de
l'existence d'une opportunité: transformer le polystyrène en résine grise. Dans le cas
d'ID-7, la conjoncture passée (en Europe) sur la bactérie de la légionnelle permet au
dirigeant de percevoir une conjoncture future (au Québec). Il peut donc entrevoir une
opportunité d'ID, concevoir un projet d'ID et réaliser une ID pour anticiper une
épidémie qui « n'existe » pas encore au Québec.
Deuxièmement, ces comportements des dirigeants-développeurs d'ID de notre
étude sont à situer dans deux démarches volontaristes qui seront l'objet de notre
chapitre de discussion, soit le travail de stratège et celui de tacticien. Nous pensons
200
que ces deux types d'activité pennettent de comprendre comment le dirigeant
« remarque » l'infonnation sur l'enjeu de DD et, en tire une conclusion, une
opportunité d'ID alors que ses concurrents ne le font pas. Nous verrons que c'est en
tant que stratège et tacticien que le dirigeant parvient à faire face à la conjoncture et
surtout à « forcer » le hasard, tout au long du processus d'ID. En agissant comme
stratège, le dirigeant de PME s' infonne des enjeux environnementaux et sociaux, est
attentif à la conjoncture et voit comment saisir les opportunités qu'elle comporte, à
partir de trois sources d' infonnation (réseau de contacts externes, sources en ligne,
expériences personnelles). Autrement dit, il planifie la mise en œuvre d'une ID.
Partant de là, il va agir comme un tacticien pour exploiter l'opportunité d'ID en
s'engageant dans les phases de l'objet-valise puis de l'objet-frontière. En définitive, les
travaux de stratège et de tacticien sont à la fois une condition et une conséquence des
trois principales activités (observateur actif, entrepreneur et agent de liaison) du
dirigeant de PME dans le développement d'ID.
2.3 La phase de l'objet-valise
La phase de l'objet-valise marque le début de l'histoire (Flichy, 1995) de l'ID.
Dans cette phase, le dirigeant met l'accent sur son travail d'entrepreneur et d'agent de
liaison (Florén et Tell, 2004, 2012 ; O'Gorman et al. , 2005). Le travail d'entrepreneur
consiste, au fil du temps, à définir un projet d'ID : un objet-valise. La flexibilité
interprétative qui caractérise l'objet-valise (Pinch et Bijker, 2012) fait en sorte que le
dirigeant-développeur d'ID va recueillir les interprétations des acteurs contactés au
sujet de ce que devrait être l'ID. Les interactions entre les interprétations disjointes
engendrent des confrontations (Ibid.).
Dans un contexte où les confrontations sont inévitables (Pinch et Bijker,
2012), le travail d'entrepreneur du dirigeant est de prioriser un projet qui rejoint les
espoirs placés dans l'opportunité d'ID par les acteurs. Pour mener à bien cette
201
démarche, le dirigeant de PME se sert, en partie, de son travail d'agent de liaison.
C'est grâce à ce travail qu'il entre en contact avec des acteurs internes et externes et
peut obtenir des faveurs, des suggestions, des informations, des ressources. C'est cette
démarche que nous décrivons au tableau 18.
Tableau 18 Le travail d'entrepreneur à la phase de l'objet-valise
Contact avec les Recueil des projets d'amélioration Priorisation d'un Objet-valise (projet acteurs individuels projet d'ID commun d'ID commun) 2008 2009
Ingénieurs internes Développer un vélo mécanique
En trouvant un point ID-I pouvant fonctionner à l'électricité
Développer un vélo électronique d'équilibre entre les Vélo électrique
Expert en électricité fonctionnant à l'électricité
projets individuels.
20 11 -Responsable du DO Améliorer la récupération des petits
10-2 de l'université appareils électroniques usagés
En privilégiant son Bac de récupération
Association de Améliorer le processus de gestion des propre projet. mobile
recycleurs déchets électroniques (récupération et traitement)
20 11 -Chimiste
Possibilité de développer des produits sans fragrance
Fournisseur de la Développer des nettoyants combinant En trouvant un point Nettoyant sans
10-3 formule chimique des ingrédients naturels et chimiques d'équilibre entre les fragrance, sans
projets individuels. colorant et sans
Fournisseurs Développer des nettoyants formaldéhyde d'emballages et écologiques présentés dans des d'étiquetage contenants non écologiques
2004 2005 Développer des cosmétiques
Biochimistes combinant l'huile d'argan et des En privilégiant le point
10-4 excipients chimiques de vue de la
Cosmétique Développer des cosmétiques à base cosmétologue.
écologique Cosmétologue d'huile d'argan et d'excipients
végétaux 2010 20 11
10-5 Divers acteurs, dont L' idée de développer des meubles en En privilégiant son Meubles en carton
des amis carton ne fonctionnera pas propre projet.
2007 2008 Améliorer le processus de recyclage
Multinationale permet de réduire nos coûts et d'avoir une bonne image.
10-6 Chercheurs Possibilité de développer un procédé En privi légiant le Technologie de de recyclage projet des chercheurs. recyclage
CLD Développer une nouvelle technologie de recyclage s'inscrit dans notre
Recyc'Québec mission
2007 2008 Tout se passe entre
1D-7 le V.-P. Innovation En privi légiant son Technologie d'analyse -
et DO et le directeur propre projet. préventive technique
202
L'analyse du travail de nos sept dirigeants de PME à la phase de l'objet-valise
indique que ces derniers participent, en l'initiant et en l'orchestrant, à la définition
d'un objet-valise de deux manières: a) en privilégiant le projet d'un ou de quelques
acteurs, b) en trouvant un point d'équilibre entre les interprétations disjointes des
acteurs.
Privilégier le projet d'un acteur. Cette démarche correspond à ce que nous
avons observé dans les cas ID-2, ID-3, ID-4, ID-5 , ID-6 et ID-7. Par exemple, dans le
cas d'ID-4 (le cosmétique écologique), la dirigeante va privilégier le projet d'un des
deux acteurs-clés de son projet, soit celui de la cosmétologue, bien qu'au départ
l'opportunité d'ID que représente l'huile d'argan ait été détectée par les biochimistes.
Cependant, ces derniers avaient pour projet de combiner cette huile à des excipients
chimiques contrairement à la cosmétologue.
Les biochimistes proposaient de développer des cosmétiques combinant l'huile d'argan à des excipients à base de pétrole. Mais nous étions prêts à relever le défi du cosmétique 100% huile d'argan. Nous avons choisi le projet de la cosmétologue indépendante, mais proposé une collaboration avec les biochimistes (ID-4 : cosmétique écologique).
Dans le cas d'ID-5, en dehors d'un couple d'amis, la dirigeante a été très peu
en contact avec des acteurs externes à la phase de l'objet-valise. Cela dit, malgré
toutes les idées, les suggestions ou les projets avancés par les « détracteurs » du
carton (p. ex. : le carton est une matière « banale et vulgaire », le projet est léger,
etc.), la dirigeante décide de choisir son propre projet d'ID: des meubles en carton
recyclé.
Cette décision de privilégier son propre projet est aussi la même, mais pour
des raisons différentes, que dans les cas d'ID-2, d'ID-7 et d'ID-6. Par exemple, dans le
cas d'ID-7, les dirigeants sont eux-mêmes des experts dans le domaine d'activité de
l'entreprise. Cette expertise servira de point de départ à la définition d'un projet d'ID
203
tout comme dans le cas d'ID-6 en ce qui concerne l'expertise des chercheurs.
Contrairement à tous ces cas, seuls les dirigeants à l'origine d'ID-l parviennent à
définir un objet-valise en trouvant un point d'équilibre entre les interprétations et
projets disjoints des acteurs.
Trouver un point d'équilibre. Dans le cas d'ID-l, les ingénieurs en mécanique
et l'expert en électricité sont, à la phase de l'objet-valise, les deux acteurs-clés avec
lesquels le dirigeant entre en contact. Les ingénieurs voient à travers l'opportunité
présentée par leur dirigeant le projet d'un vélo mécanique amélioré grâce à 1'«
intégration » de l'électricité. Par contre, l'expert en électricité propose un projet de
vélo intégrant des composantes électroniques et, par conséquent, non mécaniques si
celui-ci doit fonctionner à l'électricité. Le dirigeant se trouve ainsi au centre d'une
confrontation mettant en jeu deux visions différentes d'un vélo qui doit répondre à
l'enjeu de l'électrification des transports.
Il faut privilégier un vélo mécanique légèrement modifié pour ne pas perdre notre expertise reconnue au pays (les ingénieurs en mécanique). S'il faut développer un vélo améliorant les aspects environnementaux et répondant aux besoins sociaux, sa propulsion ne peut qu'être électrique (l'expert en électricité). Un vélo à propulsion électrique ne remet pas en cause notre expertise en mécanique. Il s'agit de faire une nouvelle gamme de vélo à côté de la gamme traditionnelle et bénéficier d'une nouvelle expertise (le dirigeant) »(ID-l : vélo hybride).
Sans remettre en cause les interprétations et projets individuels des acteurs, le
dirigeant leur fait comprendre que le projet, tout en visant à exploiter l'opportunité
d'un moyen de transport sans pétrole et sans auto, doit permettre à l'entreprise de se
diversifier. Cette diversification passe par l'acquisition d'une nouvelle expertise en
électronique permettant d'« électrifier » le vélo. L'acquisition de cette nouvelle
expertise tant bénéfique pour les ingénieurs en mécanique que pour l'expert en
électricité constitue le point d'équilibre trouvé par le dirigeant pour amener les
acteurs-clés à travailler ensemble à la réalisation d'un projet d'ID : le vélo électrique.
204
Le discours du dirigeant se traduit en acte par la formation d'une équipe mixte
comprenant les deux acteurs-clés.
Au total, le travail du dirigeant de PME a consisté à définir de manière « large
» et « ouverte » un objet qui permettra a) la construction du réseau d'acteurs
nécessaire pour développer l'ID et b) la collaboration de ces acteurs aux
interprétations disjointes de ce que devrait être l' ID. Dans ce sens, tout comme l'ID,
le réseau d'acteurs constitué autour de l'ID n'existe pas ex nihilo. Notre analyse
permet de soulever un point commun et des différences.
En ce qui concerne le point commun, nous remarquons que dans l'ensemble
des cas d'ID étudiés, les dirigeants-développeurs d'ID assument eux-mêmes la
responsabilité d'entrer en contact avec les acteurs-clés, de recueillir leurs
interprétations de ce que devrait être l'ID, de prioriser un projet d'ID. Si la première
raison que l'on peut évoquer pour expliquer cette implication est le rôle pivot du
dirigeant de PME dans le développement d'ID comme le soulignaient Bos-Brouwers
(2010), Dangelico et Pujari (2010), Brio et Jùnquera (2003), d'autres raisons peuvent
être soulevées.
En effet, dans le cas d'ID-2, ID-3 , ID-4 et ID-S, nous sommes face à des
dirigeants de PME « émergentes » (nouvelles entreprises créées dans le but
d'exploiter l'opportunité d'ID). Comme propriétaires-dirigeants (présidents et
fondateurs) de leur entreprise, ces dirigeants sont les initiateurs et les orchestrateurs
des projets d'ID. En tant que tels, ils ont un intérêt tout particulier dans la définition
de l'objet-valise. Par contre, dans les cas d'ID-l , ID-6 et ID-7 nous sommes face à des
dirigeants de PME « matures ». Plusieurs raisons soulevées dans les travaux de
Florén et Tell, 2004, 2012), O'Gorman et al. (2005) et Mintzberg (1984, 2009)
expliquent le rôle pivot des dirigeants de PME dans l'initiation et l'orchestration de
205
leur projet d'ID (Bos-Brouwers, 2010; Dangelico et Pujari, 2010; Brio et Jùnquera,
2003) :
A. Les projets d'ID peuvent entrainer des changements dans les départements placés sous leur responsabilité (p. ex. : directeur des marques dans le cas d'ID-1 et V.-P. Innovation et DD dans le cas d'ID-7) ;
B. Une perte des ressources de l'entreprise (p. ex. : dans le cas d'ID-7, les gestionnaires veulent développer une nouvelle technique d'analyse qui va exiger des ressources);
C. Une démotivation des employés (p. ex. : dans le cas d'ID-l , les ingénieurs en mécanique craignent de perdre leur expertise à la faveur d'une expertise en électronique).
D. Les projets d'ID sont une occasion pour les dirigeants (notamment des PME émergentes) de réaliser des objectifs personnels (p. ex. : dans le cas d'IDA, le projet permet d'aider une coopérative de femmes tout en poursuivant des objectifs économiques).
À propos des différences, l'analyse du travail des dirigeants-développeurs d'ID
de notre étude montre que la complexité du travail d'entrepreneur et d'agent de liaison
à la phase de l'objet-valise varie selon la nature des activités de l'entreprise. Dans les
cas d'activités existantes, les dirigeants doivent mettre l'accent sur ce qui peut être
appelé un travail de transition vers l'ID. La transition est souvent émaillée de
résistances internes, résultante de la confrontation entre des traditions techniques, des
valeurs différentes. Les résistances internes sont l'effet de « résonnances délicates en
terme de valeurs » que provoque un projet d'amélioration (Mintzberg, 1984) visant à
résoudre un enjeu de DD. Nous utilisons l'expression « résonnance » pour désigner le
retentissement, l'effet en raison de ses propriétés d'un objet sur l'esprit.
En effet, dans le cas d'ID-l , la transition vers l'ID a nécessité l'intégration
d'une nouvelle expertise dans l'entreprise pour « électrifier » le vélo. Cette expertise
(l'électronique) est issue d'une tradition technique différente de celle à laquelle sont
206
habitués les ingénieurs en mécanique. Le projet de vélo électrique crée un phénomène
de résonnance, parce qu'il bouscule des traditions, des valeurs préétablies. Le projet
bouscule également la position des acteurs internes impliqués. Dans un projet de vélo
tout électrique, l'expertise en mécanique perd sa pertinence. Et la position de ceux qui
détiennent cette expertise dans l'entreprise est en général revue à la baisse, surtout, si
le PDG accorde une grande importance au projet de vélo tout électrique ou si celui-ci
connait un succès. Nos résultats nous permettent de voir que, le travail de transition
vers l'ID du dirigeant consiste à gérer ces résonnances en privilégiant la mixité ou le
compromis entre des traditions, des valeurs, des expériences ou des compétences
différentes. Pour ce faire, dans le cas d'ID, le dirigeant met sur pied une équipe
composée d'ingénieurs en mécanique et de l'expert en électricité.
Cela dit, une fois l'objet-valise défini, le dirigeant-développeur d'ID va
amorcer la phase de l'objet-frontière qui consiste à concrétiser sous forme d'objet
valise « quelque chose» qui jusque-là ressemblait plutôt à un projet ou un prototype
d'ID.
2.4 La phase de l'objet-frontière
À la phase de l'objet-frontière (Star et Griesemer, 1989), le dirigeant met
l'accent sur son travail d'agent de liaison (Florén et Tell, 2004, 2012; Q'Gorman et al.
2005) qui est essentiellement un travail d'intéressement (Akrich et al., 1988). Ce
travail consiste, au fil du temps, à construire d'abord des points de passages obligés.
Ensuite, le dirigeant doit acquérir, mais aussi consentir à des investissements de
formes spécifiques (Callon et Latour, 1991; Ughetto, 2000). Enfin, il aura à enrôler
des acteurs-clés (anciens comme nouveaux) de manière à ce qu'ils deviennent les
acteurs actifs d'un projet qui les intéresse et qui ne peut fonctionner sans eux. Dans
cette démarche résumée dans le tableau 19, l'objet-valise se précise, se solidifie pour
devenir un objet-frontière: il a des caractéristiques précises, partagées et stables.
207
Tableau 19 Le travail d'agent de liaison à la phase l'objet-frontière
Construction des Acquisition Enrôlement des acteurs 10 initiale 10 finale points de passages d'investissements existants et nouveaux produite produite obligés de forme
2009 20 12
1 ) Pédalage mécanique
1) Compétences 2) Pédalage techniques 1) Transport Canada
électronique 2) Informations
2) Agence de l'énergie 10-1 3) Batterie à
3) Temps 3) Expert en électricité Vélo tout- Vélo hybride
recharger 4) Designer industriel électrique 4) Soutien technique
4) Changements 5) Ingénieurs en mécanique
techniques 5) Manuel
5) Crédibilité 6) Groupes de consommateurs d'utilisation et d'entretien
20 11 20 12
1) Compartiments du 1) Entreprise de traitement
bac 1) Changements 2) Entreprise d' insertion sociale Bac de 10-2 3) Mentors et coach d'affai res
2) Lieux de dépôt techniques 4) Association pour le recyclage récupération Bac intelligent
3) Location des bacs 2) Crédibilité 5) Entourage (amis et parents) mobile
4) Système d'alerte 6) Entreprises clientes 20 11 20 13
1) Relations de 1) Chimiste Station de 1) Station de confiance 2) Coop universitaire Nettoyant sans remplissage de
10-3 remplissage 2) FornlUle 3) Le restaurant fragrance, sans nettoyant sans
2) Sans fragrance chimique 4) Fournisseurs colorant et sans fragrance, sans 3) Sans contenants
3) Informations 5) Propriétaire de la formule formaldéhyde colorant et sans formaldéhyde
2005 2007
1) Huile d'argan 1) Matières 1) Coopérative de femmes Cosmétique
lD-4 2) Retour des premières 2) Çosmétologue Cosmétique écologique et contenants 2) Crédibilité 3) Ecocert, Québec Vrai écologique et
équitable et 3) Ristournes 3) R&D 4) Firnle de biochimistes équitable écoresponsable 5) Distributeurs
20 13 1) Imprimeur
1) Guide de 1) Relations de 2) Fournisseurs de sangles
10-5 configuration confiance 3) CLD Modules de carton Modules de carton
2) Carton 2) Compétences 4) Cl ients multifonctionnels multifonctionnels
3) Blocs de modules techniques 5) Fournisseur de cartons et personnalisables et personnalisables 3) Design 6) Entourage
7) Groupes de discussion 2008 -
1) Compétences 1) Centre de recherche 1) Équipements techniques 2) Équipementier
spécifiques 2) Équipements 3) Multinationale
10-6 2) Polystyrène 3) Nouveaux 4) SADC, CLD Technologie de Technologie de
3) Résine grise équipements 5) Recyc'Québec recyclage recyclage
4) Fonctionnement 4) Financement de 6) Fonds d' investi ssement
du procédé 7) Directeur de production la R&D 8) Directeur de la maintenance
2008 20 10 1) Université
1) Légionnelle 1) Règlementation 2) Association
2) Traitement 2) Expertise 3) Fonds de recherche
ID-7 écologique étrangère 4) RBQ
3) Service-conse il 3) Temps 5) Médias Chimie verte Chimie durable
4) Détection en 24 h 4) Financement 6) Députés
5) Législation d' un laboratoire 7) Services de santé publique 8) Clients 9) Techniciens de laboratoire
208
Cependant dans cette opération d'intéressement, des ' confrontations sont
inévitables. Encore une fois , le dirigeant devra les résoudre surtout entre le moment
où il repart à la rencontre des acteurs (de nouveaux acteurs apparaissent) et tente de
construire des points de passages obligés. Dans ce sens, par moment, le dirigeant se
sert de son travail d'entrepreneur, mais aussi de négociateur (une des facettes du
travail d'agent de liaison) quand il s'agit d'opérer des changements permettant de
redéfinir l'objet-frontière initial et de résoudre d'autres types de confrontation (p. ex.:
portant sur des aspects techniques). Dans le même temps, l'analyse nous permet de
comprendre que durant les confrontations, tout comme les caractéristiques de l'ID, les
enjeux de DD et les opportunités sont aussi redéfi.nis pour tenir compte des sujets qui
préoccupent les acteurs contactés par le dirigeant. Ce qui peut expliquer en bout de
ligne différentes versions de l'ID dans plusieurs cas étudiés comme ID-l, ID-2, ID-3,
ID-4 et ID-7. La redéfinition ou encore « le mix » des enjeux de DD qui montre le
caractère socialement construit des enjeux, est un apport de notre étude qui sera
abordée lors de la discussion.
Dans les sections suivantes nous expliquons le travail du dirigeant de PME
durant la phase de l'objet-frontière, notamment en ce qui concerne a) la construction
de points de passages obligés, b) l'acquisition d'investissements de formes spécifiques
et c) l'enrôlement des acteurs. Il faut signaler que dans cette phase, le dirigeant de
PME établit des relations d'échange, d'appropriation et de pouvoir en tant qu'agent de
liaison. Ces relations ont été soulignées par plusieurs auteurs dont a) De Marchi
(2009), Hartman et al. (1999) et Klewitz et al. (2012) à propos des relations
d'échanges dans les réseaux et les partenariats, b) Ayuso et al. (2006), Bos-Brouwers
(2009), Roome (2012) et Van Kleef et Roome (2007) en ce qui concerne les relations
d'appropriation, c) Aggeri (2011), Hartman et al. (1999), Lozano (2007) et
Markusson (2007, 2011) au sujet des relations de pouvoir ou les aspects politiques
dans un processus d'ID. Cela dit, notre analyse est allée au-delà de ces relations «
209
constatées » plus ou moms dans la littérature scientifique grâce au modèle de
l'intéressement d'Akrich et al. (1988).
2.4.1 La construction de points de passages obligés
Les points de passages obligés sont des dispositifs matériels ou immatériels
communs par lesquels tous les acteurs doivent passer pour faire un usage individuel
de l'objet-frontière. Ces points de passages obligés feront plus tard partie des
caractéristiques de l'ID que reconnaissent tous les acteurs. Par exemple:
A. Dans le cas d'ID-1 (qui sera plus tard le vélo hybride) les utilisateurs doivent prendre connaissance du manuel d'utilisation et d'entretien, ainsi que recharger obligatoirement la batterie. Ils peuvent aussi choisir entre un mode de pédalage mécanique et un mode de pédalage électronique.
B. Dans le cas de ID-5 (qui sera plus tard les modules en carton), les acteurs qui veulent l'utiliser doivent posséder un guide de configuration qui leur pennet de construire et de personnaliser les fonnes de meuble souhaitées;
C. Dans le cas d'ID-4 (qui sera plus tard le cosmétique écologique, équitable et écoresponsable), les utilisateurs doivent s'attendre à un cosmétique fait à base d'huile d'argan. Ceux d'entre eux qui souhaitent bénéficier de ristournes ou pour d'autres raisons (p. ex.: sensibilité à des enjeux environnementaux ou sociaux) doivent rapporter les contenants vides de produits cosmétiques.
Nous remarquons que les différents points de passages obligés sont donc des
dispositifs de coordination entre les acteurs. Pour arriver à construire ces dispositifs
communs, les acteurs doivent parvenir à des arrangements autour de l'objet-frontière
sur des sujets qui les préoccupent. Le travail d'agent de liaison (et surtout de
négociateur) du dirigeant de PME consiste alors à participer à la construction de ces
arrangements en résolvant les confrontations de différentes manières. Le dirigeant fait
alors en sorte que les caractéristiques de l' ID pennettent qu'elle soit utilisée par
210
chacun des acteurs impliqués sans pour autant qu 'une de ces dernières ne viennent
empêcher son utilisation par l'un ou l' autre des acteurs. Dit autrement, le dirigeant
doit construire avec les acteurs le plus petit dénominateur commun tout en veillant à
ce que ce dernier soit suffisamment significatif pour que les acteurs gardent un intérêt
pour lui. Dans le tableau 20, nous indiquons les principaux sujets de confrontation,
les dimensions de l'enjeu de DD visées et les modes de résolution utilisés par les
dirigeants de notre étude.
Tableau 20 Les confrontations et leur mode de résolution
Sujets de confrontation Dimensions de l'enjeu de DD Mode de résolution des confrontations visées utilisé par le dirigeant
Apparence du prototype du Sociale Rhétorique: Effets de discours vélo électrique
10-1 Impact environnemental Environnementale Technique : objet-référent
Perfo rmance du vélo Technologique
Prix au consommateur Économique Techn ique: Soutien technique
Gestion des déchets Sociale Technique: Système de télémétrie 10-2
Protection des données Technologique Technique : Objet-référent
Emballage et étiquetage Environnementale Rhétorique: Effets de discours
10-3 Formule de base Légale Technique: Accord en fidéicommis
Fragrance Sociale Rhétorique: Effets de discours
Qualité du produit Environnementale et sociale Technique : Objet-réf érent
10-4 Caractère équitable Sociale
Prix d'achat de l'huile d'argan Économique Moral : Objet-émotion
Commandes Économique Rhétorique: Effets de discours
10-5 Aspect banal et vulgaire du carton Économique Rhétorique : Objet-émotion
Procédé Technologique Technique : Adaptation du procédé et des 10-6 équipements pour éviter des rejets de
Matière : Plastique Environnementale matières
Technique d'analyse Technique et économique Technique: Loi et règlementation 10-7
Règlementation Sociale Rhétorique : Objet-émotion
211
Notre analyse du travail des dirigeants de PME nous permet voir que ces derniers
résolvent des confrontations par la rhétorique, par une redéfinition ou un déplacement
technique et moral des sujets de confrontation. Mieux encore, nous notons que pour
certains sujets de confrontation, les dirigeants font appel à ce que nous appelons :
A. Des « objets-émotion », lorsqu'ils utilisent la rhétorique ou le déplacement moral comme modes de résolution (Pinch et Bijker, 2012);
B. Des « objets-référent », quand ils effectuent un déplacement technique, comme mode de résolution (Pinch et Bijker, 2012).
Résolution par la rhétorique. Dans plusieurs cas d' ID, les confrontations
portant sur différents sujets sont résolues de façon rhétorique. Dans ces cas, c' est très
souvent par des effets de discours que le dirigeant parvient à mettre fin à des sujets
concernant autant les dimensions environnementales, sociales, économiques que des
dimensions technologiques, légales.
C'est par exemple le cas d'ID-l où au sujet de la dimension esthétique, l'un des
deux groupes de consommateurs affirme, après avoir effectué quelques essais, que le
prototype du vélo électrique présenté n'a pas l'apparence d'un vélo classique. Ces
derniers considèrent qu'ils sont plutôt en face d'un vélo « tout-électrique ». Dans le
cas d'ID-5 , la dirigeante met dans son discours l'accent sur la confiance pour
convaincre les fournisseurs de carton recyclé d'accepter de faire affaire avec elle.
Dans certaines confrontations, les dirigeants font appel dans leurs discours à des «
objets-émotion ». Prenons les exemples d' ID-5 et ID-7 pour illustrer cette notion.
212
La dirigeante, promotrice d'ID-5 « ferme » la confrontation sociale entourant
l' aspect banal et vulgaire du carton en mettant de l' avant les comportements citoyen
et écoresponsable auxquels ses interlocuteurs seront sensibles. Autrement dit, il s'agit
de « recadrer » l' ID par des objets-émotion (p. ex.: citoyenneté, responsabilité) qui
sont de l' ordre du discours et qu 'on peut associer à l' objet-frontière (les modules en
carton). Par exemple, selon la dirigeante, « le côté émotionnel consiste à dire que
c'est un meuble canadien et écoresponsable fait à base de matériaux recyclés, c'est
beau et utile, et vous faites quelque chose d'intelligent pour la planète qui va durer
longtemps ». De cette façon, la dirigeante cherche à toucher les émotions des acteurs
impliqués dans cette confrontation afin de les « rallier » aux caractéristiques du
produit.
Dans le cas d'ID-7, la rhétorique est aussi consolidée par un objet-émotion.
Pour mettre fin à la confrontation sociale sur la règlementation, les dirigeants
s' appuient sur un discours qui consiste à ramener les députés, la RBQ, les services de
santé publique, à des crises identiques antérieures qui se sont déroulées dans plusieurs
pays en Europe et ayant causé plusieurs décès (objet-émotion). La solution dans ces
pays a été alors de mettre en place une législation et une règlementation afin de
prévenir les risques d' apparition de la bactérie. Ces pays, dont certains comme la
France ont une proximité culturelle avec le Québec, peuvent donc servir de repère
historique. Autrement dit, le discours dans le cas d ' ID-7 s' est appuyé sur des faits
historiques connus, émouvants, et même menaçants voire « suicidaires » au plan
politique et électoral s'ils se reproduisaient.
En définitive, nous notons que la rhétorique peut consister à faire ressortir
dans le discours des aspects émotifs de l'ID ou des faits qui s'y rattachent et sont
chargés d ' émotion. Ils servent ainsi d ' objets-émotion qui consolident la rhétorique
comme mode de résolution de confrontation. Par ailleurs, dans certaines situations de
213
confrontation, le dirigeant recourt à des objets-référent lors d'une redéfinition ou d'un
déplacement technique du suj et de confrontation. C'est par exemple le cas avec ID-l ,
ID-2 et IDA.
Résolution par une redéfinition technique. Dans le cas d' ID-2, la
confrontation portant sur la gestion des déchets (due à un mauvais usage du bac)
soulevée par l'une des entreprises clientes est réglée, lorsqùe le dirigeant décide d'une
redéfinition technique du bac de récupération. Un système de télémétrie est alors
intégré au bac le transformant plus tard en un bac « intelligent ».
Dans le cas d'ID-3 , la confrontation légale sur la formule chimique est résolue
de façon technique au moyen d'un accord en fidéicommis. Par contre, nous
remarquons que la résolution de confrontations par une redéfinition technique se fait
parfois autrement par les dirigeants, soit par le recours à des objets-référent.
Par exemple, dans le cas d'ID-l, certains consommateurs doutent de l'impact
environnemental du vélo affirmant que son moteur et sa batterie ont certainement des
effets environnementaux nocifs. D'autres consommateurs portent leur attention sur la
performance d'un tel vélo. Le dirigeant recourt alors à des objets-référent pouvant
attester que le vélo a) contribue à la réduction des GES et b) qu'il respecte des
critères de performance. Dans le premier cas, l'agence de l' efficacité énergétique du
Québec qui s'est chargée de certifier que le vélo ne produit pas de GES constitue
l'objet-référent. Dans le second cas, les consommateurs pouvaient se référer au
périple canadien effectué par un célèbre cycliste professionnel pour apprécier la
performance du vélo électrique.
214
De même, dans le cas d'ID-4, c'est Écocert et Québec Vrai qui représentent
les objets-référent auxquels la dirigeante fait appel pour consolider le déplacement
technique du produit cosmétique. Cette démarche permet de résoudre la confrontation
sur le sujet de la qualité et du caractère équitable. Ce dernier sujet de confrontation
amène plus tard la dirigeante à redéfinir son produit comme un cosmétique
écologique, équitable et écoresponsable.
Idem pour ID-2 au sujet de la confrontation portant sur la protection des
données présentes dans les petits appareils électroniques. Ce sujet de confrontation
est aussi résolu de façon technique en faisant appel à un objet-référent, soit
l'entreprise de traitement et de réutilisation des déchets électroniques certifiée par
l'association des recycleurs. Outre la redéfinition technique, un autre mode de
redéfinition est aussi possible, soit le déplacement moral.
Résolution par un déplacement moral. Nous retrouvons dans le cas ID-4 un
exemple de résolution de confrontation par un déplacement moral. Nous pouvons
aussi ajouter à ce cas celui d'ID-1 bien qu'il n'y ait pas eu explicitement de
confrontation. Le déplacement moral peut consister à invoquer une contre
justification en se basant sur des enjeux sociaux ou même environnementaux qui
remettent en question la morale.
Dans le cas ID-4, la dirigeante choisit d'éviter la confrontation sur le prix
d'achat à payer à la coopérative de femmes productrices d'huile d'argan. Pour la
dirigeante, il est immoral de faire endurer les fluctuations des prix du marché à des
femmes déjà fragilisées par leur condition économique (pauvreté) et sociale (droit de
la personne, en particulier des femmes). Elle décide alors d'encaisser les coûts en
jouant sur le levier markéting (p. ex. : mettre l'accent sur la force de vente pour
215
compenser les pertes dues aux fluctuations des prix). Nous pouvons penser ici au
recours à un objet-émotion pour éviter la confrontation économique, soit la fragilité
socioéconomique des femmes productrices d'huile d'argan.
Dans le cas d' ID-l , le dirigeant de l' entreprise présente le vélo électrique
comme un produit destiné aux personnes âgées (hormis les jeunes travailleurs) qui
répond à leurs besoins de sécurité, de santé et de mobilité. Dans ce sens, ID-1 est une
réponse à un enjeu social. Et, il semble immoral de ne pas veiller aux besoins de ces
acteurs quand nous savons que dans les contextes québécois et canadien, ces derniers
constituent une frange importante de la population.
Ainsi, lorsque les détaillants lancent une confrontation (de nature technique et
économique) portant sur le prix et le service après-vente d'ID-l , le dirigeant y répond
par un déplacement du problème vers l'enjeu social que constituent les personnes
âgées. Selon le dirigeant, « les détaillants devraient se réjouir de pouvoir offrir ce
service principalement à une clientèle plus âgée ayant des problèmes au niveau de la
capacité physique ». Il est soutenu dans cette contre-justification par le responsable
d'une agence gouvernementale de tourisme. Selon ce dernier, « nous n'avons aucune
raison d'exclure des réseaux cyclables les gens plus âgés ou ayant des problèmes de
santé, d'autant plus que ce vélo fait peu de bruit ».
En définitive, notre analyse soulève deux points importants qui seront abordés
dans le chapitre de discussion, soit les objets-émotion et les objets-référent. Nous
considérons que le recours des dirigeants à ces objets pour consolider la résolution de
certaines confrontations est une démarche qui contribue à la construction de points de
passages obligés et à la concrétisation de l'objet-frontière. Par exemple, dans le cas
d'ID-S, la dirigeante fait voir le carton comme un objet-émotion. C'est de cette façon
216
que certaines boutiques de vente de meubles ont été intéressées par les modules de
meuble en carton. De même en liant le vélo électrique à des objets-référent, le
dirigeant parvient à renforcer la crédibilité de son ID aux yeux de certains
consommateurs. Une fois les points de passages obligés construits, le dirigeant va
amener les acteurs souhaitant investir dans la réalisation de l'objet-frontière.
L'acquisition et l'échange de ressources que permettent les investissements
constituent une autre des facettes du travail d'agent de liaison du dirigeant
développeur d'ID : celui d'acquéreur de ressources.
2.4.2 Les investissements de formes spécifiques
À travers, les investissements de formes spécifiques (Ughetto, 2000), l'ID n'est
plus « l'enfant» du dirigeant de PME, mais un objet-frontière auquel collaborent
différents acteurs qui ont été liés à celui-ci par des points de passages obligés (Akrich
et al., 1988; Star et Griesemer (1989). L'opération d'investissement va permettre au
dirigeant d'acquérir auprès de certains acteurs les ressources reqUIses pour la
réalisation de l'objet-frontière. C'est une forme de relations d'échange et
d'appropriation dans laquelle le dirigeant doit aussi consentir à des coûts et/ou des
sacrifices afin d'acquérir ces ressources. C'est cette opération d'investissement que
nous décrivons au tableau 21.
Ressources requises pour la réalisation de l'objet-frontière
Compétences en électronique et en design Confiance
In formations
10-1 Temps
Subventions
Crédibilité
Expertise en télémétrie
ID-2 Crédibil ité
10-3 Formule chimique
Huile d'argan
Crédibilité 1D-4
Subventions et conseil
Recherche et développement
Confiance 10-5
Sangles
Technologie
Équipements
Nouveaux équipements
1D-6
Subventions
Règlementation
10-7 Informations
Temps
Laboratoire de microbiologie
217
Tableau 21 L'opération d'investissement
Acteurs à intéresser pour acquérir Coûts (C) / Sacrifices (S) consentis par le les ressources dirigeant pour acquérir les ressources
Expert en électric ité et designer Partager les gains (C/S)
industriel
Employés de l'entreprise Soutien technique aux distributeurs (C)
Deux groupes de discussion Organisation et gestion des séances de discussion (S)
Cycliste professionnel - Personnalité Gestion d'un blogue (C) -Implication dans et organisations connues des activités promotionnelles (S)
Organismes provincial et fédéral de Respect des critères d'obtention des finan cement subventions (S)
Agences de régulation Respect des procédures règlementaires (C)
Experts externes Partager les gains (C/S)
Entreprise de traitement assurant la Accord de partenariat (S)
destruction des données
Agence de certification Respect des procédures règlementai res (C)
Association pour le recyclage Suivre un programme de qualification des recycleurs (C)
Propriétaire de la formule - Chimiste Accepter un accord en fi déicommis (S)
Coopérative de femmes Supporter les variations de prix (C)
Organismes de certification sociale Respecter les procédures règlementaires (C)
(équitable) et environnementale
SAJE, CDEC Plan d'affaires
Biochimistes - Cosmétologue Partager les gains (C/S)
Fournisseur de cartons recyclés Respect du volume des commandes prévues (S)
Entreprise d' insertion sociale Se contenter de sangles non écologiques (S)
Centre de recherche Partager les gains (C/S)
Institution financière Trouver lin levier financier (autres fonds) (C)
Multinationale suisse Accepter un accord à l'amiable (S)
Multinationale Accorder une exclusivité sur la technologie Fabricants de boisson (C/S)
Recyc'Québec Respect des critères d'obtention des
CLD subventions (S)
Association pour l'innovation en S'enregistrer au Registraire des lobbyistes
chimie
Députés de l' Assemblée nationale Organisation d'une rencontre (S)
Diverses entreprises Mission en France (C)
Médias Participer à des espaces médiatiques
Fond provincial Respect des critères d'obtention des subventions (S)
218
Ainsi, dans l' analyse de l' opération d' investissement, nous devons avoir une
question en tête: quels sont les coûts ou les sacrifices consentis par le dirigeant pour
intéresser des acteurs afin d'acquérir les ressources nécessaires à la réalisation de
l'ID? Pour répondre à cette question, notre analyse consiste à montrer, dans chaque
cas d'ID, de quelle manière s'y prennent les dirigeants-développeurs d'ID pour
effectuer certaines opérations d'investissements de formes spécifiques.
Le développement d'ID-l exigeait des compétences en électronique et en
design industriel. N'ayant pas ces compétences en interne, le dirigeant devait entrer en
contact avec un expert en électricité. Plus tard, à la suite des préoccupations de
certains consommateurs concernant l'aspect esthétique du vélo électrique, le dirigeant
va aussi entrer en contact avec un designer industriel. En échange de leur implication
dans le projet, le dirigeant fait le sacrifice de partager avec ces derniers, pour un
certain temps, les gains associés à la commercialisation du produit.
C'est aussi le cas d' ID-2, innovation qui nécessitait une solution qui facilite la
gestion des déchets électroniques. Dans ce sens, le dirigeant entre en contact avec des
experts externes pour l'intégration d'un système de télémétrie dans les bacs. De plus,
il fallait rassurer les entreprises clientes concernant la protection des données. Le
dirigeant devait donc montrer aux clients que son produit est crédible parce qu'il
respecte les règlementations édictées par des organisations de certification.
L'acquisition de cette crédibilité exige le respect de procédures règlementaires et le
suivi d'un programme de qualification des recycleurs qui impliquent des coûts.
Dans le cas d' ID-3 , la dirigeante devait acquérir la formule chimique. Pour ce
faire, elle a dû établir un contrat avec le propriétaire de cette formule. Ce dernier
exigeait alors de la PME un accord en fidéicommis avec le chimiste. Cependant, de
219
son côté, l'entreprise a aussi demandé dans cet accord que la formule puisse lui être
cédée en cas de faillite du propriétaire de la formule.
ID-4 nécessitait pour sa réalisation l' achat de la matière première: l' huile
argan. L'accès continu à celle-ci passait par l' intéressement de la coopérative de
femmes productrices d'argan. Compte tenu de la situation socio-économique précaire
de celle-ci, l'entreprise a dû supporter, pendant un certain temps, le coût des
variations de prix du marché. L'idée était alors de ne pas répercuter ces coûts sur le
prix d'achat des matières qui viendraient réduire les marges bénéficiaires de la
coopérative. Dans le même temps, cette démarche permettait à la PME d'établir une
relation stable avec ces femmes.
Dans le cas d' ID-5 , la dirigeante devait gagner la confiance du fournisseur de
carton pour que ce dernier accepte de lui fournir les cartons recyclés, malgré la
faiblesse du volume de ses commandes qu'il fallait tout de même respecter. Par
ailleurs, la dirigeante devait acquérir des sangles, un équipement important pour
l'assemblage des modules en carton. Cependant, pour compenser le caractère non
écologique de ces sangles, la dirigeante décide de sous-traiter avec une entreprise
d'insertion sociale.
La concrétisation d'ID-6 nécessitait des investissements en recherche et
développement. Le dirigeant pouvait les assurer grâce au soutien financier de
Recyc 'Québec et du CLD. Cependant, il devait respecter les critères d'obtention des
subventions de ces organismes.
Enfm, dans le cas d' ID-7, l'acquisition d' informations dans le traitement de la
bactérie justifiait une mission en France du vice-président Innovation et DD auprès de
220
diverses entreprises. Une telle mission exige des coûts à endurer pour établir les
relations avec ces entreprises. De même, l'organisation d'une rencontre était
nécessaire pour sensibiliser les députés à l'urgence de prendre des lois pour
règlementer le traitement des eaux usées industrielles afin de réduire les risques
d'apparition de la bactérie.
En définitive, notre analyse des opérations d'investissement permet de voir
que pour certaines ressources spécifiques, cruciales qui, au moins en grande partie,
donneront à l'innovation son caractère durable, les dirigeants consentent à des
affectations couteuses (Callon et Latour, 1991; U ghetto, 2000). Par exemple:
A. Dans le cas d'ID-S, la dirigeante décide de s'associer à une entreprise d'insertion sociale afin de compenser le caractère non écologique des sangles par le travail d'acteurs sociaux;
B. Dans le cas d'ID-4, la dirigeante choisit de supporter le coût des variations de prix pour s'assurer d'un approvisionnement constant en huile d'argan, mais aussi pour contribuer à l'épanouissement d'acteurs en situation socioéconomique précaire;
C. Dans le cas d'ID-2, le dirigeant décide d'assumer les coûts d'intégration d'un système télémétrie dans ses bacs afin d'assurer d'une meilleure gestion des déchets électroniques;
D. Dans le cas d'ID-7, le dirigeant prend le risque d'investir dans le développement d'une nouvelle technologie pour détecter et traiter une bactérie pouvant avoir des effets sur la santé des êtres humains, mais qui n'est pas encore apparue au Québec.
Cela dit, une fois l'opération d'investissement réussie (c'est-à-dire que le dirigeant a
pu acquérir les ressources nécessaires au développement de l'ID), elle facilite
l'enrôlement des acteurs.
221
2.4.3 L'enrôlement des acteurs par le dirigeant
L'enrôlement est une autre forme de relation (à côté des relations d'échange,
d'appropriation et de pouvoir) qui consiste à assigner une tâche précise à des acteurs
existants du réseau. De plus, l'enrôlement de nouveaux acteurs va permettre d'élargir
ce réseau d'acteurs tout en solidifiant et en rendant irréversible la réalisation de
l'objet-frontière. Dans ce sens, le rejet ou la remise en question de l'ID n'est plus
possible.
Rôles explicites et statut des acteurs. Les tâches exécutées par les acteurs dans
le processus d'ID sont celles que leur confèrent leur fonction ou leur implication dans
le processus d'ID. Par exemple:
A. Dans le cas d'ID-l, la tâche de conception du système de propulsion électronique du vélo est confiée à l'expert en électricité en col.1aboration avec les ingénieurs en mécanique;
B. Dans le cas d'ID-4, la production d'huile d'argan revient à la coopérative de femmes;
C. Dans le cas d'ID-S, la confection des sangles était la tâche de l'entreprise d'insertion sociale;
D. Dans le cas d'ID-7, la communication avec les médias au cours de la crise de la légionnelle était assurée par le V.-P. chargé des applications et technologies, "Monsieur légionnelle".
Bref, ces tâches sont explicites et permettent d'assurer la réalisation technique des ID.
Ces rôles sont indiqués au tableau 22.
10-1
1D-2
1D-3
1D-4
1D-5
1D-6
1D-7
Tableau 22 L'opération d' enrôlement
Acteurs impliqués (rôles ou tâches explicites) Statut des acteurs
Transport Canada - Agence de l'énergie
Expert en électri cité - Designer industri el Partisans
Directeur des marques
Ingénieurs en mécanique - Groupes de consommateurs Opposants Entreprise de traitement des déchets électroniques -Entreprise d ' insertion sociale - Mentors et coach d'affaires Partisans Association pour le recyclage
Prés idente et fondateur
Entourage (amis, parents)
Entreprises clientes Opposants
Chimiste
Coop universitaire - Restaurateur Partisans
Présidente et fondatrice
Fournisseurs d 'emballage et d 'étiquetage - Propriétaire de Opposants
la forn1Ule
Coopérative de femmes - Cosmétologue
Présidente fondatrice et vice-président Partisans
Organismes de certification
Firme de biochimistes - Distributeurs Opposants
Entreprise d ' insertion sociale - Imprimeur - Fournisseurs de sangles - CLD et réseau emplois entrepreneuriat -Responsable de production Partisans
Présidente et fondatri ce
Clients - Fournisseur de cartons
Entourage Opposants
Président et fondateur
Centre de recherche
Équipementier Partisans
Multinationale
SADC, CLD - Recyc'Québec - Fonds d' investi ssement responsable
Directeur de production - Directeur de la maintenance Opposants
V.-P Innovation et DD
Université
Association de promotion de la chimie
Fonds de recherche Partisans
Régie du Bâtiment du Québec (RBQ)
Les médias
Députés
Services de santé publique - Clients Opposants
Techniciens de laboratoire
222
Rôles implicites des acteurs
Gardiens du temple
Promoteur
Porte-parole et passeur
Devenus promoteurs
Promoteurs
Gardien du temple
Porte-parole et passeur
Passant
Devenues promotrices
Passeur et gardien
Promoteur et passeur
Porte-parole et passeur
Devenus promoteur
Promoteur
Porte-parole et passeurs
Gardien du temple
Devenus promoteurs
Promoteurs
Porte-parole et passeur
Devenus promoteurs
Passant
Porte-parole et passeur
Gardien du temple
Devenu passant
Promoteurs
Promoteurs et passeurs
Opposants
Porte-parole et passeur
Promoteurs
Promoteurs et passeur
Promoteurs
Gardien du temple
Passants
Gardiens du temple
Restés opposants
Devenus promoteurs
223
Notre analyse du travail d'enrôlement permet de voir qu'au-delà des tâches
explicites relevant des compétences techniques de chaque acteur, C'est le dirigeant de
PME qui fait le choix des acteurs dont les ressources et la position sociale sont
cruciales pour la concrétisation de l'ID et qui participeront à la construction de l'objet
frontière (et bien avant à la définition de l'objet-valise). Autrement dit, le dirigeant de
PME-développeur d'ID fait un « casting» des acteurs-clés qui consiste à affecter « les
bonnes personnes aux bons rôles ». C'est ici que se situent entre autres les apports à la
fois pratique et scientifique de nos résultats qui seront abordés dans le chapitre
portant sur la discussion. Cela dit, pour solidifier l'opération d'enrôlement, le réseau
d'acteurs ainsi formé autour de l'ID doit être élargi afin de rendre irréversible sa
réalisation. Il s'agit alors d'enrôler de nouveaux acteurs en dehors des acteurs
existants.
L'élargissement du réseau d'acteurs. Au cours de cette opération
d'enrôlement, la multiplication et la diversification des acteurs contribuent à rendre
plus difficile le rejet ou la remise en question de l'ID. Par exemple, le fait d'associer
un nouvel acteur-partisan au réseau d'acteurs déjà constitué contribue à rendre
irréversible la réalisation de l'ID, à la condition que le dirigeant soit en mesure de lui
donner satisfaction (p. ex.: respecter les règles et respecter les exigences d'un
organisme de régulation ou de certification). Autrement, le réseau peut tout
simplement être démantelé étant donné l'inutilité de demeurer réunis et actifs si le
projet poursuivi ne peut voir le jour. L'élargissement du réseau d'acteurs a été
possible dans certains cas d'ID comme ID-l, ID-2, ID-3 et IDA et ID-5. Alors que,
pour d'autres innovations telles qu'ID-6 et ID-7, ce processus est resté inachevé.
Dans le cas d' ID-l, l'élargissement du réseau a consisté à enrôler un cycliste
professionnel qui aura le statut de partisan. Ainsi, en effectuant un périple national
224
avec ID-l , ce dernier positionne avantageusement ID-l dans un monde (celui du
cyclisme) en réalisant des performances sportives intéressantes alors même que
celles-ci avaient été remises en question par des opposants à "l 'électrification" du
vélo. Des groupes d' acteurs jouissant d' une réputation dans leur domaine telle
l' entreprise de courtage hypothécaire sont aussi devenus de nouveaux partisans de
l' ID. Le dirigeant a fini par faire de ces derniers de nouveaux alliés en participant
annuellement à leurs activités qui offrent, en contrepartie, un espace de promotion à
ID-l .
La présence de nouveaux acteurs a aussi été observée dans le cas d' ID-2 au
moment de la redéfinition technique. En effet, dans ce cas, l' intégration d' un système
de télémétrie a nécessité de nouveaux apports en termes d' expertise venant d'une
entreprise spécialisée dans ce domaine. En acceptant de développer un système de
télémétrie intégré au bac, cette dernière devenait une nouvelle partisane de l'ID.
Une importante organisation canadienne œuvrant pour la promotion du DD
s'est associée à la dirigeante à l'origine d'ID-5. Ainsi, en acquérant des modules de
meubles en carton pour les installer dans plusieurs de ses succursales au Canada, cette
organisation constituait pour la dirigeante de l'entreprise un argument de taille pour
convaincre les opposants à cette ID. Comme c'est un client, nous pouvons certes
affirmer qu' il élargit le réseau.
Cependant, dans le cas d'ID-7, l'élargissement du réseau est resté inachevé, en
raison du manque de mobilisation de nouveaux acteurs. À ce propos, la rencontre
entre les dirigeants de la PME et les représentants des services de santé publique au
sujet de la nouvelle technique d' analyse a été un échec. La tentative de l' entreprise
d' en faire tout au moins des partisans s'est soldée par de nombreuses
225
incompréhensions notamment sur la validité scientifique (crédibilité) de la technique
proposée. Le fait que cette technique d'analyse, composante d' ID-7, ne soit pas une
référence reconnue dans l' industrie en faisait une solution douteuse aux yeux des
services de santé publique. Pourtant, au moment de la crise, elle s' est rapidement
positionnée comme une solution appropriée.
C'est aUSSI la même situation avec ID-6, technologie qui continue d' être
testée. Cependant, l'absence de nouveaux acteurs fait en sorte que celle-ci reste
encore un projet instable qui ne remplit pas complètement ses promesses en termes
environnemental et économique. Le procédé continue de produire des rejets. Et, les
ventes de résines de plastiques provenant de ce procédé ne sont pas aussi rentables
que l' espérait la PME.
En définitive, nous observons une dynamique quant au statut des acteurs qui
est rendu possible par l ' opération d' enrôlement au cours du processus d'ID. Les
acteurs ont aussi été appelés à jouer explicitement et implicitement (nous revenons
sur ce point dans le chapitre de discussion) des rôles dans ce processus. De plus, de
·nouveaux acteurs ont été impliqués soit pour élargir le rang des "partisans" soit pour
servir de contre-pouvoir aux acteurs demeurés opposants.
L'analyse du travail des dirigeants de PME de notre étude met en lumière
différentes façons de faire afin de concrétiser un objet-frontière, une ID. D'abord, la
construction de points de passages obligés par les dirigeants permet de préciser des
caractéristiques de l'ID communes à tous les acteurs intéressés et contactés par le
dirigeant. L'opération d' investissement qui s' ensuit a consisté à consolider les
relations en établissant un système de rétribution/compensation des apports des
acteurs impliqués. Et l' opération d' enrôlement à travers le casting des acteurs a
226
permis de faire de ceux-ci des acteurs actifs d'un processus qui ne peut aboutir à
l'existence de l'ID sans eux.
En définitive, la réalisation d'une ID est un travail qui se fait à plusieurs et les
acteurs sont "hétérogènes". Par conséquent, le développement de l'ID est un processus
social comme le soulignaient Hall et Vredenburg (2003), Hartman et al. (1999),
Lozano (2007), Roome (2012), Sarkis et al. (2010). Dans ce processus social, le
dirigeant doit mobiliser les acteurs ayant les ressources requises et assigner les «
bonnes personnes aux bons rôles» s'il veut s'assurer que l'ID se réalise.
Cela dit, dans la phase de l'objet-frontière que nous venons de décrire tout
comme dans les phases de préhistoire et de l'objet-valise, la dimension temporelle du
processus d'ID ne saurait être passée sous silence. Dans certains cas d'ID, le temps a
été un facteur déterminant dans le travail des dirigeants de PME.
2.5 La dimension conjoncturelle et le hasard dans le travail des dirigeants
L'un des cas les plus illustratifs est celui d'ID-7, innovation qui n'aurait pu
exister sans le hasard : la crise de la légionnelle survenue en 2012. Cette crise a
permis de faire connaître et de faire accepter ID-7 à certains moments bien qu'elle
reste controversée. Nous pouvons aussi citer l'exemple d'ID-4 où l'opportunité d'ID
n'aurait pas été détectée si, par le fait du hasard, la dirigeante n'avait pas vécu lors de
son séjour les confrontations entre les femmes berbères et le propriétaire terrien qui
souhaitait les expulser. De même, avec ID-l, en 2004 la technologie ne permettait pas
de faire fonctionner convenablement le vélo à l'électricité. Il a fallu attendre l'année
2008 où encore une fois peut-être par le fait du hasard, le dirigeant a pu trouver et
227
entrer en contact avec l'expert en électricité d'automobile.
En général, nous remarquons que par le fait de la conjoncture et du hasard la
dimension temporelle permet dans certains cas d'amplifier ou de relever l'importance
d'un enjeu de DD et la pertinence de l'ID. Dans d'autres cas, le temps rend possibles
les progrès techniques, technologiques et leurs applications. La conjoncture et le
hasard (bien qu'il soit difficile sinon impossible à prévoir) peuvent être aussi
considérés comme des ressources pour l'action innovatrice du dirigeant orientée vers
les ID. Comment?
Les dirigeants-développeurs d'ID de notre étude ont été capables de changer
de registre autant pour sélectionner des enjeux de DD que pour détecter des
opportunités d'ID. Ils ont aussi eu une préférence pour l'interaction sociale permettant
de faire face à la conjoncture et de « forcer » le hasard ou du moins d'« intéresser »
des acteurs-clés afin de développer des ID. Certains d'entre eux, à l'image du
dirigeant à l'origine d'ID-7, ont vu dans la conjoncture passée des moyens de
sélectionner des enjeux de DD transférables d'un contexte géographique à un autre et
de proposer des ID pour y faire face. Afin de "forcer" le hasard, ils ont préféré
l'interaction sociale en initiant et en participant à des échanges avec des entreprises
hors du Québec (p. ex.: en France), les députés québécois, les universitaires, les
médias.
D'autres, à l'image des dirigeants-développeurs d'ID-3 et ID-4, ont perçu dans
la conjoncture présente, des moyens de résoudre des problèmes qui les touchaient
directement et personnellement. Ils ont aussi préféré l'interaction sociale en entrant au
contact avec différents acteurs dont le chimiste, le fournisseur de la formule
chimique, la coopérative universitaire (dans le cas d'ID-3), la coopérative de femmes,
228
les entreprises de certification (dans le cas d'ID-4). Enfin, des dirigeants comme ceux
à l'origine d'ID-1 , ID-2, ID-5 et ID-6, ont vu des opportunités d'ID et des ID
permettant de répondre à des enjeux de DD qui se poseront comme des conjonctures
possibles dans un futur proche. Ces derniers ont encore une fois préféré l'interaction
sociale en interagissant avec leur environnement externe. Partant de là, nous pouvons
dire que la conjoncture et le hasard ne suffisent pas à expliquer l'existence des ID. Il
faut tenir compte du changement de registre de la part des dirigeants et surtout de leur
préférence pour l'interaction sociale qui leur permettent d'agir comme des stratèges et
des tacticiens. Nous revenons sur ce point dans le chapitre de discussion.
Cette analyse du travail effectué par les dirigeants de PME à la phase de
l'objet-frontière clôt la section sur l' interprétation des données analysées et présentées
dans les récits historiques des cas d'ID étudiés. Dans la section suivante, nous faisons
un retour sur les objectifs et les questions spécifiques de notre étude.
3. RETOUR SUR LES OBJECTIFS ET LES QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE
Dans une approche de construction sociale, notre objectif de recherche ne
consistait pas à proposer « une explication universelle, définitive et vérifiable » du
développement des ID par les dirigeants de PME, mais plutôt des exemples pouvant
servir « d'entraînements à l' action innovatrice » (Flichy, 1995) de ces derniers
orientée vers le DD. Dans cette démarche, nous avons a) exploré des processus
d'innovations durables dans des PME dans une approche de construction sociale
(Akrich et al. , 1988 ; Bijker et al. , 1993 ; Star et Griesemer, 1989), b) en suivant à la
trace leurs dirigeants (Florén et Tell, 2004, 2012 ; O'Gorman et al. , 2005), afm d' être
en mesure de leur proposer des moyens d' entrainement, ressources pour l'action
innovatrice orientée vers le DD. Le tableau 23 présente les réponses que nous
229
pouvons apporter aux questions spécifiques de recherche que nous nous sommes
posées.
Tableau 23 Réponses aux questions spécifiques de recherche
Phase du Travail du Questions spécifiques Réponses aux questions spécifiques
processus dirigeant
En quoi consiste le 1) Repérer l'information liée à un enjeu de DO et travail d'observateur ayant une incidence sur les activités présentes ou actif du dirigeant de futures de l'Entreprise ;
Identification de PME? 2) Détecter une opportunité d'ID.
Préhistoire l'enj eu de DO et de l'ID de l'opportunité À travers trois sources d'info rmations liées à des
d'ID De quelle manière le enjeux de DO : dirigeant sélect ionne-t- 1) les réseaux de contacts externes ; il un enjeu de DO? 2) les expériences personnell es ;
3) les sources en ligne (Internet).
En quoi consiste le travail d'entrepreneur 1) Prioriser un projet d'ID ; et d'agent de liaison du 2) Résoudre des confrontations.
Objet- Définiti on d'un dirigeant de PM E?
valise objet-valise De quelle man ière le 1) Privilégier les interprétations d'un ou de quelques dirigeant participe-t-il acteurs ; à la définition d'un 2) Trouver un point d'équil ibre entre les objet-valise? interprétations disjointes.
En quoi consiste le 1) Définir des points de passages obligés; travail d'agent de 2) Acquérir des investissements de formes liaison du dirigeant de spécifiques;
Objet-Concrétisation PME? 3) Enrôler des acteurs existants et nouveaux.
fronti ère de l'obj et-frontière De quelle manière le 1) Recourir à des obj ets-référent et des objets-
dirigeant participe-t-il émotion ; à la concrétisation de 2) Choisir les acteurs-clés qui participeront à la l'obj et-frontière? concrétisation de l'ID.
De quelle manière, le Pour faire face à la conjoncture et « forcer » le hasard
Dimension Développement dirigeant tient- il
ou du moins pour intéresser des acteurs-clés : temporelle de l'ID
compte du temps dans 1) Planifier des actions (stratège) ;
le développement de 2) Réaliser les actions (tacticien).
l'ID?
230
À la question de savoir en quoi consiste et de quelles manières s'effectue le
travail d'un dirigeant de PME dans le développement d'une ID, nous notons qu'en
général; il existe des variations dans le déroulement et le contenu de ce travail. En
considérant l'ID comme étant construite socialement, le travail du dirigeant se déroule
selon les phases de la préhistoire, de l'objet-valise et de l'objet-frontière.
Au cours de la phase de la préhistoire, le travail du dirigeant consiste à repérer
l'information liée à un enjeu de DD et pouvant avoir une incidence sur les activités
présentes (dans le cas d'une entreprise existante) ou futures (dans le cas d'une
nouvelle entreprise) de son entreprise. Il peut ensuite détecter une opportunité d'ID
autour de cet enjeu en changeant de registre ou en privilégiant des interactions
sociales. Pour ce faire, le dirigeant peut puiser dans différentes sources d'information,
soit son réseau de contacts externes, ses expériences personnelles vécues ou des
sources d'information en ligne (Internet).
Au cours de la phase de l'objet-valise, le dirigeant participe avec plusieurs
acteurs à la définition d'un projet d'ID. Dans ce sens, son travail consiste à prioriser
un projet d'ID et à résoudre des confrontations. Pour ce faire, il peut a) privilégier le
projet d'un ou de quelques acteurs-clés (dont les ressources sont cruciales pour le
développement de l'ID), b) décider d' "imposer" son propre projet selon ses valeurs, sa
formation et ses expériences ou c) trouver un point d'équilibre entre les projets d'ID
individuels. Pour résoudre les confrontations, le dirigeant devra recourir à des modes
de résolution par la rhétorique (le discours) étant donné le caractère encore «
imaginaire » de l'ID.
Au cours de la phase de l'objet-frontière, le dirigeant devra intéresser les acteurs
existants ou "recruter" de nouveaux acteurs afin de concrétiser le projet d'ID. Dans ce
231
sens, son travail consiste à définir des points de passages obligés, acquérir des
investissements de formes spécifiques et enrôler (surtout de façon implicite) les
acteurs mobilisés. Encore une fois, le dirigeant devra changer de registre et "forcer" le
hasard en agissant comme stratège et tacticien. Mais, il devra surtout recourir à des
objets-référent et des objets-émotion pour consolider, élargir le réseau d'acteurs et
faciliter la coordination entre les acteurs.
Certaines réponses présentées au tableau 23 ne sont pas surprenantes parce
qu'elles confirment, au moins en partie, les résultats des travaux de Florén et Tell
(2004, 2012), O'Gorman et al. (2005) et Mintzberg (2009) ainsi que des chercheurs
en sociologie de l'organisation et de l'innovation. Cependant, nous pensons avoir
découvert des éléments originaux de compréhension et d'explication utiles pour
l'action innovatrice orientée vers le DD des dirigeants (au plan managérial) et pour
l'étude des ID dans les PME (au plan scientifique). Au-delà, a) de l'apport général de
notre recherche que constitue notre modèle théorique final, nous retiendrons quatre
apports spécifiques, soit b) le travail de stratège et de tacticien, c) le recours à des
objets-référent et des objets-émotions et d) le casting des acteurs et e) le mix des
enjeux de DD. Ces cinq points sont l'objet du chapitre de discussion.
En conclusion, il s'agissait dans ce chapitre de présenter et d'interpréter les
résultats de notre recherche puis de vérifier l'atteinte des objectifs que nous nous
sommes fixés. Pour y arriver, à partir d'éléments explicites, nous avons fait une
introspection de l'implicite des processus d'ID en contexte de PME dans une
approche de construction sociale. Dans ce sens, nous avons confronté les données
analysées au cadre conceptuel mobilisé. Ainsi, au terme de cet exercice, nous sommes
à même de discuter des apports et limites de notre recherche.
CINQUIÈME CHAPITRE
DISCUSSION
Ce chapitre vise à discuter des apports de notre recherche ainsi que de leurs
contributions au plan scientifique (et plus particulièrement en sciences de la gestion)
et au plan managérial. Ce sera aussi le lieu de montrer les limites de ce que nous
avons réalisé et les perspectives de recherche future . Pour ce faire, dans la première
partie, nous discutons de l'apport général de. notre recherche et de ses contributions.
Cet apport porte sur le modèle théorique final que nous proposons pour expliquer la
construction sociale des ID.
La seconde partie de ce chapitre de discussion traite des apports spécifiques de
notre recherche. Ces apports sont au nombre de quatre soit, a) le travail de stratège et
de tacticien, b) l'objet-référent et l'objet-émotion, c) le casting des acteurs et d) le mix
des enjeux de DD. Chacun de ces apports est présenté puis discuté par rapport à ses
contributions managériales et scientifiques. En particulier, tout en expliquant chacun
des ces apports, nous montrons les rapprochements ou les approfondissements dont
ils peuvent bénéficier de différents champs théoriques en sciences de la gestion.
Dans la troisième partie de ce chapitre, nous soulevons les limites tant
théoriques que méthodologiques de notre recherche. Nous verrons que celles-ci
constituent une justification supplémentaire pour mener d'autres études ouvrant ainsi
des perspectives de recherche future. C'est l'objet de la dernière partie de notre
discussion.
233
1. L'APPORT ET LA CONTRIBUTION GÉNÉRALE DE NOTRE RECHERCHE
De façon générale, les apports de notre recherche se situent au niveau de la
construction sociale des ID pour laquelle nous pouvons maintenant proposer un
modèle théorique "final". L'essentiel de ce qu'il faut comprendre de ce modèle
théorique se résume au fait que le caractère socialement construit de l'ID au fil du
temps est, au moins en partie, l'effet du travail du dirigeant de PME.
1.1 Le modèle théorique: une per-spective cohérente d'ensemble
L'analyse du travail des dirigeants-développeurs d'ID de notre étude nous a
permis de mettre en évidence différentes façons de faire. Nous pensons que ces
façons de faire peuvent retenir l'attention d'autres dirigeants de PME qui souhaitent
s'engager dans le développement d'ID. Le modèle théorique final (comparativement
au modèle initial présenté au niveau du cadre théorique) s'interprète comme suit:
A. En tant qu'observateur actif, le dirigeant identifie, perçoit à travers trois sources d'informations (réseau de contacts externes, sources en ligne, expériences personnelles) un enjeu de DD qui a une incidence sur ses activités présentes (dans le cadre d'une entreprise existante) ou futures (dans le cadre d'une nouvelle entreprise). Et, 'comme entrepreneur, il détecte une opportunité d'ID autour de l'enjeu perçu: c'est la phase de la préhistoire de l'ID.
B. En tant qu'entrepreneur, il va ensuite participer à la définition d'un projet d'ID commun. Pour ce faire, il identifie et contacte des acteurs externes et internes pouvant l'aider à exploiter l'opportunité d'ID. Ces derniers ont des projets ou des interprétations disjointes de ce que devrait être l'ID, qui entrainent souvent des confrontations. Le dirigeant devra les résoudre en mettant l'accent sur ses capacités de négociations (une facette du travail d'agent de liaison). Il décide d'un projet d'ID commun en trouvant un point d'équilibre ou en privilégiant les interprétations de certains acteurs: c'est la phase de l'objet-valise.
234
C. En tant qu'agent de liaison, le dirigeant transfornle enfin son objet-valise en objet-frontière. Cette démarche nécessite qu'il effectue un travail d'intéressement. Celui-ci consiste entre autres à recourir à des objetsréférent et des objets-émotion. Ce faisant, le dirigeant résout des confrontations et construit des points de passages obligés qui contribuent à préciser les caractéristiques de l'ID. La concrétisation de l'ID va nécessiter l'acquisition d'investissements de formes spécifiques et l'enrôlement des acteurs: c'est la phase de l'objet-frontière.
D. Par ailleurs, c'est au fil du temps que l'ID a) naît comme une opportunité d'ID, b) prend forme tel un objet-valise, c) se précise à travers différentes versions et se "solidifie" comme un objet-frontière. Dans le processus d'ID, la conjoncture et le hasard ont, au moins en partie, une influence sur le travail du dirigeant de PME. Au fil du temps, les « péripéties » du développement de l'ID font que les phases du processus d'ID sont récursives, faites d'allers et retours, se chevauchent et par conséquent sont non linéaires.
Cependant, à propos du temps, nous considérons tout comme Flichy (1984),
que l'ID « n'est pas un pur fruit du hasard» et de la conjoncture (p. 135). Autrement
dit, il ne faut pas considérer que ce sont les rencontres de circonstances et les
accidents de l'histoire qui déterminent l'ID, mais que des acteurs particuliers peuvent
jouer un rôle pivot. Au nombre de ces acteurs, nous reconnaissons le dirigeant de
PME, acteur central dans le développement de l'ID (Bos-Brouwers, 2010; Brio et
Jùnquera, 2003; Dangelico et Pujari, 2010). Ce dernier a participé avec différents
acteurs externes et internes, en l'initiant et en l'orchestrant, à la construction de l'ID.
Au total, le modèle théorique que nous proposons a des contributions managériales et
scientifiques.
235
Figure 16 Modèle final du travail du dirigeant dans le développement d'une ID
Enjeux de DD
Identifier l'enjeu de DO et l'opportunité d'ID
1
Repérage de l'incidence sur les activités
1
Observateur actif
Phase de la préhistoire
Définir un objet-valise
1
Priorisation d'un projet d'ID commun
1
Entrepreneur
Phase de l'objet-vali se
Intéresser les acteurs à l'objet-frontière
1
Casting des acteurs
Acquisition d'investissements de formes spécifiques
1
Recourt à des objets-émotion et des objets-référent
1
Agent de liaison
Phase de l'objet-frontière
~-) Innovation
durable
J 1 Temps .-------------------- --------------------------- ----> to tl tn
1.2 Contribution scientifique et managériale
Au plan scientifique, à travers notre modèle théorique et son interprétation,
nous proposons une perspective cohérente d'ensemble du travail ou des rôles du
dirigeant de PME dans la construction sociale de l'ID. Cette perspective est absente
de la littérature sur l'ID dans les PME.
236
Premièrement, dans les écrits scientifiques, les chercheurs se sont le plus
souvent intéressés aux facteurs de succès du développement des ID comme le
montrent les récents travaux de Cuerva et al. (2014), De Medeiros et al. (2014),
Triguero-Cano et al. (2013), Klewitz et Hansen (2014). Deuxièmement, les
chercheurs étudient l'ID dans la PME sur la base d'analyses déterministes qui n'aident
pas à comprendre et à cerner les processus sociaux ou les manières permettant aux
dirigeants de PME (Edwards, 2000; Edwards et al., 2005; Hohblm et Olsen, 2012) de
développer des ID. Troisièmement, bien que certains chercheurs se soient intéressés
aux comportements du champion environnemental (Anderson et Bateman, 2000;
Banerjee, 2001; Sharma, 2000; Jenkins, 2009; Bos-Brouwers, 2009), du leader
environnemental (Egri et Frost, 1994; Egri et Herman, 2000; Shrivastava, 1994; Bos
Brouwers, 2009) et de l'entrepreneur environnemental (Cohen et al., 2008; Cohen et
Winn, 2007; Choi et Gray, 2008; Dean et McMullen, 2007; Dixon et Clifford, 2007;
Isaak, 2002; Kuckertz et Wagner, 2010; Larson, 2000; Schaltegger, 2002; Schaper,
2002; York et Venkataraman, 2010), que doit adopter un dirigeant en général,
pratiquement aucun chercheur ne l'a fait dans une perspective cohérente d'ensemble.
Tout au moins, seul Bossink (2013) propose un modèle des rôles de champion, de
leader et d'entrepreneur dans le processus d'ID. Cependant, pour l'auteur, dans une
même organisation ces rôles sont opérés par des individus différents. Par ailleurs,
bien que l'auteur définisse le processus d'ID comme étant cyclique et interactif, le
caractère socialement construit de l'ID n'est pas analysé.
Pour nous, en contexte de PME, ces rôles sont joués par le dirigeant de PME,
acteur central qu'il faut suivre à la trace tout comme l'ont fait Florén et Tell (2004,
2012) et O'Gorman, et al. (2005). En nous intéressant à la construction sociale de l'ID
par le dirigeant de PME avec un réseau d'acteurs, nous sommes parvenus à proposer
une perspective cohérente d'ensemble qui donne aux dirigeants de PME une vision
réaliste de ce qu'ils peuvent faire pour parvenir à développer des ID. Ainsi, au plan
managérial, les dirigeants de PME peuvent certes mettre l'accent de façon cohérente
237
sur le travail d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de liaison dans le
développement des ID. Mais, mieux encore, nos résultats révèlent qu' ils doivent
mettre l' accent sur a) le travail de stratège et de tacticien, b) le recourt à des objets
référent et des objets-émotion ainsi que c) le casting des acteurs et d) le mix des
enjeux de DD, dans la construction sociale des ID. Nous discutons de ces quatre
apports de notre recherche dans la section qui suit.
2. LES APPORTS ET CONTRIBUTIONS SPÉCIFIQUES DE NOTRE RECHERCHE
2.1 Le travail de stratège et de tacticien
Nous empruntons les notions de stratège et de tacticien à Flichy (1995). Selon
Flichy (1995) (reprenant les propos de Michel de Certeau) :
La stratégie "postule un lieu susceptible d'être circonscrit comme 'un propre' et d'être la base d'où gérer les relations avec une extériorité [ ... ]. Le 'propre' est une victoire du lieu sur le temps. Il permet de capitaliser des avantages acquis, de préparer les expansions futures et de se donner ainsi une indépendance par rapport à la variabilité des circonstances. C'est une maîtrise du temps par la fondation d'un lieu autonome" . Au contraire, la tactique est caractérisée par "l'absence d'un propre". "Elle n'a pour lieu que celui de l'autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé". Elle est l'art de "faire des coups", le sens de l'occasion (pp. 131-132).
Autrement dit, le stratège est l'acteur qui sait détecter des opportunités et
définir un objet-valise, un projet commun : il prévoit, anticipe, et d'une certaine
manière (formellement ou informellement) planifie. Et, le tacticien est l'acteur qui sait
se doter des moyens fournis par les autres acteurs afin de faire passer un objet-valise à
un objet-frontière: il réalise l'action. Dans ce sens « la stratégie est une ressource
pour la tactique » (Flichy, 1995, p. 132). Les notions de stratège et de tacticien
238
caractérisent très bien le comportement des dirigeants de PME-développeurs d'ID de
notre étude. Nous pouvons donc les appliquer à l'ID pour montrer ce qu'implique le
développement d'ID par les dirigeants de PME.
2.1.1 Le stratège
En tant que stratège, le dirigeant-développeur d'ID est celui qui perçoit tout
d'abord un enjeu de DD et saisit les opportunités d'ID qu'il comporte (Anderson et
Bateman, 2000, Banerjee, 2001 , Sharma, 2000). Ensuite, il définit un projet d'ID et se
dote des moyens pour le réaliser dans un espace qu'il délimite. Nous avons clairement
vu dans notre étude cette action stratégique des dirigeants-développeurs d'ID aux
phases de la préhistoire et de l'objet-valise. Par exemple, dans le cas d'ID-l , le
dirigeant de PME à l'origine de cette innovation n'est pas le seul à voir l'électrification
du vélo comme un enjeu de DD.
Dans ce sens, d'autres entreprises (p. ex. : les concurrents) ont certainement vu
le fait de se transporter sans pétrole et sans auto comme une opportunité d'ID.
Cependant, c'est le dirigeant-développeur d'ID-1 qui saisit l'opportunité pendant 'que
les autres "ne le font pas". Dans cette démarche stratégique qui se situe aux phases de
la préhistoire et de l'objet-valise, phases généralement en amont du processus d'ID,
les dirigeants étaient les promoteurs ou les concepteurs des ID. À l'image du
dirigeant-développeur d'ID-l , la capacité tactique de tous les dirigeants de PME de
notre étude est incontestable. Cependant, « celle-ci n'aurait jamais pu être mise en
œuvre s'il n'avait pas élaboré une stratégie au préalable » (Flichy, 1995, p. 133).
239
2.1.2 Le tacticien
En tant que tacticien, le dirigeant-développeur d'ID se met, non pas dans la «
peau » d'un promoteur ou d'un concepteur, mais plutôt dans celle d'un utilisateur, d'un
manipulateur, d'un évaluateur ou de tout acteur qui contribue par ses ressources à la
concrétisation de l'ID. Dans ce sens, le tacticien est celui qui collabore avec les
acteurs dont les ressources sont cruciales pour la mise en œuvre du projet d'ID, résout
les confrontations, joue avec le terrain qui lui est imposé, intéresse des acteurs-clés
afin de réaliser une ID. Autrement dit, il s'engage dans des expérimentations
collectives (Aggeri, 2011) et politiques (Markusson, 2007, 2011) avec les acteurs
dont les ressources sont cruciales pour la mise en oeuvre du projet d'ID. Ce faisant, le
dirigeant et les acteurs modifient et donnent à l'ID ses caractéristiques définitives.
C'est pourquOI une innovation n'est durable qu'aux yeux des acteurs qUI
contribuent à sa réalisation. Notre étude est claire à ce propos: toutes les innovations
étudiées sont bien des ID non pas seulement à cause de leurs propriétés intrinsèques
(notamment le degré des impacts environnementaux et sociaux par rapport à une
innovation en général), mais en raison de l'implication d'acteurs hétérogènes aux
préoccupations, aux interprétations environnementales, sociales, économiques
disjointes de ce que devrait être l'ID (Hall et Vredenburg, 2003; Sarkis et al., 2010).
Ainsi, c'est en agissant comme stratège et tacticien que le dirigeant de PME
peut, en partie, développer au fil du temps une innovation répondant à des enjeux de
DD. À propos de l'influence du temps sur le développement de l'ID, le dirigeant ne
doit pas s'inscrire dans un déterminisme qui fait de l'ID le fruit du hasard ou de la
conjoncture. Comme nous l'avons mentionné plus haut, le hasard, la conjoncture et le
dirigeant-stratège et -tacticien sont tous des conditions nécessaires et aucun n'est
240
suffisant, que ce soit à lui seul ou encore en duo. Il ne faut pas considérer, par
exemple dans le cas d'ID-7, que c'est la crise de la légionnelle qui a déterminé la
technique d'analyse préventive (objet-valise), la chimie verte (objet-frontière initial)
et finalement la chimie durable (objet-frontière définitif). Comme nous l'avons vu
dans le récit historique, le travail de stratège et de tacticien du dirigeant ainsi que la
conjoncture et le hasard ont contribué à la réalisation de cette ID.
La mission en France, l'adoption d'une nouvelle stratégie orientée vers le DD,
l'initiative de rencontrer les députés, les négociations avec les organismes de
financement sont quelques actions stratégique et tactique qui ont permis à l'ID
d'exister. De même dans le cas d'ID-4 (le cosmétique à base d'huile d'argan), c'est à la
fois l'action stratégique et tactique de la dirigeante, consistant à prendre le risque
d'acheter tout le stock d'huile d'argan, à rencontrer des biochimistes et des entreprises
de certification, à s'informer sur l'industrie du cosmétique, qui a déterminé la
concrétisation de l'ID. C'est pourquoi nous considérons que c'est le changement de
registre et la préférence pour l'interaction sociale des dirigeants qui ont contribué à «
forcer» le hasard et à « intéresser » des acteurs.
2.1.3 Contributions scientifiques et managériales
Au plan scientifique, les chercheurs pourraient s'intéresser au travail de
stratège et de tacticien des dirigeants de PME qui s'engagent dans le développement
d'ID. Ce sont les effets de ce travail qui permettent à l'ID de passer d'une opportunité
d'ID à un objet-valise puis à un objet-frontière. Les rôles de stratège et de tacticien ne
font pas partie des 10 rôles de Mintzberg (1973) repris par 0 ' Gorman et al. (2005) et
Florén et Tell (2004, 2012). Par ailleurs, dans la littérature sur l ' ID, les rôles de
stratège se traduisent par les comportements réactifs, proactifs du dirigeant de PME
241
par rapport aux enjeux de DD (Arag6n-Corréa et Sharma, 2003; Brio et Jùnquera,
2003; Hansen et al., 2002; Klewitz et Hansen, 2014; Noci et Verganti, 1999).
Pourtant, selon Alvesson et Willmott (2012) et Willmott (1987), le rôle de stratège
caractérise « The social or relational nature of managerial work » (p. 251). Par
ailleurs, Howell, Shea et Higgins (2005) ont montré l'influence des tactiques dans les
actions des dirigeants, exprimant implicitement l'importance du rôle de tacticien.
Dans notre recherche, nous avons montré que le travail de stratège et de
tacticien du dirigeant de PME dans le développement d'ID est un travail social. Tout
comme l'ont souligné Alvesson et Willmott (2012) et Willmott (1987), les recherches
futures pourraient davantage s'intéresser à ce travail social, notamment en contexte de
PME (Florén et Tell, 2004) parce que les dirigeants de PME privilégient les processus
sociaux en matière d'innovation (Edwards et al., 2005). Dans ce sens, nos apports en
ce qui concerne le travail de stratège et de tacticien peuvent bénéficier d'un
rapprochement avec la littérature sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby,
2006; Alvesson et Willmott, 2012) qui pertnet de créer, maintenir et déstabiliser un
réseau d'acteurs. À ce propos, nos résultats montrent que pour:
A. Créer un réseau: le dirigeant mobilise des acteurs et change les associations normatives (p. ex. : ID-5 = carton + meuble; Vélo hybride = propulsion mécanique + propulsion électrique, IDA = cosmétique + argan, etc.);
B. Maintenir un réseau: il intéresse les acteurs en définissant avec eux des points de passage obligé, en acquérant des investissements de formes et eh les enrôlant;
C. Déstabiliser certains acteurs : il remet en cause leurs interprétations, mais résout les confrontations de façon rhétorique, par une redéfinition morale ou technique.
242
Par conséquent, au plan managérial, les dirigeants de PME peuvent mettre
l'accent sur les rôles de · stratège et de tacticien s'ils veulent s'assurer de développer
des ID. Autrement dit, ces rôles permettent au dirigeant de PME d'influencer son
environnement institutionnel. Ils sont à la fois une condition et une conséquence des
rôles d'observateur actif, d'entrepreneur et d'agent de liaison. Par ailleurs dans leur
travail de stratège et de tacticien, les dirigeants-développeurs d'ID de notre étude ont
eu recours à des objets afin de constituer le réseau d'acteurs et de légitimer l'ID, soit
des objets-référent et des objets-émotion.
2.2 Les objets-référent et les objets-émotion
Notre analyse a permis d'observer le rôle clé joué par deux « objets » peu
étudiés dans la littérature sur l'ID. Pour construire et faire travailler le réseau
(l ' intéressement des acteurs), pour définir et stabiliser, soit légitimer l'ID, et mettre
un terme à la flexibilité interprétative (Akrich et al., 1988; Bijker et al. , 1993) qui la
caractérise, le dirigeant recourt à des objets-référent et des objets-émotion.
À la phase de l'objet-frontière, précisément au niveau de la construction de
points de passage obligé, le dirigeant de PME fait face à des confrontations qu'il est
amené à gérer. Pour ce faire, il utilise la rhétorique (le discours), effectue un
déplacement technique ou moral. Dans le mode de résolution par un déplacement
technique, nous avons découvert que certains dirigeants font appel à ce que nous
appelons des objets-référent. Pour opérer un déplacement moral ou « fermer » une
confrontation par la rhétorique, d'autres dirigeants recourent à ce que nous pouvons
appeler des objets-émotion.
243
Ainsi, la définition par le dirigeant d'objet-référent ou d'objet-émotion est une
démarche qui consolide la façon de résoudre des confrontations, favorise le passage
d'un objet-valise à un objet-frontière, facilite le cheminement vers une version
définitive de ce dernier. Ultimement, tout ceci est un travail de « consolidation» et
« d'élargissement» du réseau. Ce réseau consolidé et étendu devient de plus en plus
difficile à remettre en question ou à renverser.
2.2.1 Objet-référent
Le terme « objet » désigne une chose (p. ex. : une attestation de certification
environnementale) ou une entité (personne ou groupe de personnes). L'objet-référent
est la chose ou l'entité à laquelle est renvoyée une autre entité. Par exemple, dans le
cas du vélo hybride (ID-1), les consommateurs (l'entité) sont renvoyés à l'attestation
de certification environnementale (la chose comme objet-référent) ou à l'agence de
l'efficacité énergétique du Québec (l'entité comme objet-référent). Nous voyons donc
que ces objets-référents ont des formes ou des contours définis.
Partant de l'exemple précédent, nous observons aussi que l'on reconnait à
l'objet-référent une légitimité ou une autorité dans un domaine ou pour une raison en
lien avec l'enjeu de DD contesté. Par exemple, dans le cas du vélo électrique, c'est
l'enjeu environnemental qUI est contesté. L'attestation de certification
environnementale et l'agence de l'efficacité énergétique sont respectivement
reconnues pour leur légitimité et leur autorité faisant d'eux des objets auxquels les
acteurs peuvent se référer pour juger (dans le cas des acteurs qui contestent) ou
justifier (dans le cas du promoteur de l'ID) les caractéristiques du vélo. Par
conséquent, on peut se rapporter à l'objet-référent dans un but de vérification, de
confirmation ou d'infirmation pour sa légitimité ou son autorité.
244
Nous notons aussi que l'objet-référent a un caractère technique parce qu'il
appartient à un domaine particulier ou spécialisé de l'activité ou de la connaissance.
Par exemple, dans le cas d'ID-4, les certifications Écocert et Québec Vrai sont «
brandies » par la dirigeante pour légitimer le caractère biologique (écologique et
équitable) de son produit. Ces certifications sont propres au domaine des produits
agricoles et alimentaires (aspect écologique) ainsi qu'à la chaîne d'approvisionnement
de ces produits (aspect équitable). Dans le cas d'ID-2, l'association des recyc1eurs de
déchets électroniques à laquelle le dirigeant fait référence est l'autorité qui certifie le
caractère écologique du processus de gestion des petits appareils électroniques
usagés.
Enfin, nous remarquons aussi que dans tous les cas d'ID étudiés (notamment
ID-l , ID-2 et ID4), les dirigeants recourent à des objets-référent pour résoudre des
confrontations par un déplacement technique. Dans ce sens, nous pouvons penser que
ces objets-référent sont surtout appropriés à ce mode de résolution de confrontation
compte tenu de leur caractère technique. Au total, nous pouvons reconnaître à l'objet
référent les trois caractéristiques suivantes :
A. L' objet-référent est défini comme une chose ou une entité aux contours définis;
B. L'objet-référent est reconnu pour sa légitimité ou son autorité en lien avec l'enjeu de DD contesté;
C. L'objet-référent a un caractère technique et par conséquent, il est approprié à la résolution de confrontation par un déplacement ou une redéfinition technique.
Sur chacune de ces trois caractéristiques, l'objet-émotion diffère de l'objet-référent,
bien que tous les deux permettent de gérer et de « fermer» des confrontations.
245
2.2.2 Objet-émotion
Tout comme l'objet-référent, les résultats de notre étude montrent que l'objet
émotion se situe à la phase de l'objet-frontière. Cependant, il est possible d'y recourir
à la phase de l'objet-valise au moment de la définition d'un projet d'ID commun. Les
confrontations ne sont pas exclues à la phase de l'objet-valise. Néanmoins, c'est
essentiellement au moyen de la rhétorique qu'elles sont résolues en raison de ce que
l'ID est encore un imaginaire, un projet. Ce mode de résolution est propre à l'objet
émotion. Nous considérons l'émotion comme une réaction affective, une sensation
agréable ou un intérêt. L'objet-émotion est ce qui crée cette réaction ou ce vif intérêt.
Dans une logique de DD, l'intérêt peut-être d'ordre environnemental, social,
économique, etc.
En effet, l'histoire récente du DD a été marquée par des catastrophes
environnementales (p. ex.: accidents nucléaires), des scandales sociaux (p. ex.:
Enron) et des échecs économiques (p. ex.: crises financières) qui en ont fait au fil du
temps un concept pertinent et d'intérêt. Les enjeux de DD sont donc à la fois des
sujets et des évènements chargés d'émotions qui contribuent, à leur mesure, à des
changements de mentalité, de perception, de comportement et de pratiques. Ils créent
ce que nous avons appelé à la suite de Mintzberg (1984) « des résonnances délicates
en termes de valeurs » (p. 90). Ainsi, en faisant de l'ID un objet-émotion, il est
possible de faire changer les positions de certains acteurs tels les « détracteurs »
d'une ID. C'est-ce qui s'est passé dans les d'ID-S, ID-7 et ID-4 où les dirigeants pour
faire changer d'avis les « détracteurs» de leurs ID ou pour éviter des confrontations
se sont appuyés sur des objets-émotion.
Dans le cas d'ID-S, certains acteurs étaient d'avis que le caractère banal et
vulgaire du carton faisait du meuble en carton recyclé, un produit sans valeur. Ce
246
dernier prend de la valeur lorsque la dirigeante met au cœur de son discours les sujets
de la citoyenneté et de l'écoresponsabilité. Ainsi, en touchant des sujets liés à des
enjeux de DD, la dirigeante crée une réaction affective ou un vif intérêt chez les
acteurs sensibles à ces sujets. Par exemple, la citoyenneté (responsabilité à l'égard des
enjeux sociaux) et l'écoresponsabilité (responsabilité à l'égard des enjeux
environnementaux) sont des sujets liés respectivement aux enjeux du déboisement et
de la détérioration des forêts ainsi qu'à.la pauvreté. Dans ce sens, acheter des modules
de mobilier en carton recyclé est un comportement écoresponsable qui contribue à
préserver les forêts. L'achat de produits locaux est un comportement citoyen qui
favorise l'emploi local et contribue à la réduction de la pauvreté. Dès lors, le meuble
banal et vulgaire devient un meuble citoyen et écoresponsable grâce à la définition
d'objets-émotion.
De même, dans le cas de la chimie durable (lD-7), les dirigeants de cette PME
ont régulièrement repris dans leur discours lors de leurs échanges avec les députés,
les services de santé publique du Québec, les médias, les entreprises clientes, les
collectivités, des évènements passés chargés d'émotions. Ceux-ci concernaient la
bactérie qui avait fait des victimes en Europe, notamment en France. Ces dirigeants
trouvent dans ces évènements émouvants un moyen d' intéresser des acteurs autour de
la chimie durable. Dans cet exemple, l'objet-émotion mobilisé est décrit comme le
risque d'apparition de la bactérie de la légionellose. Cet objet-émotion est étroitement
lié à l'enjeu de la pollution atmosphérique ainsi que de la santé et la sécurité des êtres
humains.
Dans le cas d'ID-4, la dirigeante fait appel à un objet-émotion pour justifier sa
décision de ne pas faire supporter le coût des variations du prix de l'huile d'argan à la
coopérative de femmes. Ici, la dirigeante évite la confrontation par un déplacement
moral. L'objet-émotion est: aider les femmes productrices d'huile d'argan à subvenir
247
à leurs besoins socio-économiques. Cet objet-émotion est associé à l'enjeu des droits
de la personne et à celui de la pauvreté.
À la différence de l'objet-référent qui a un caractère technique, l'objet-émotion
à un caractère relatif parce qu'il n'a de signification que dans un contexte et n'a pas de
forme matérielle : c'est un énoncé. Par exemple, la citoyenneté et l'écoresponsabilité
sont des sujets pertinents au Québec, mais pas forcément dans une autre région. Les
crises de légionellose se sont déroulées en France, mais pas au Québec. La situation
socio-économique des femmes berbères est à la fois un enjeu spécifique à leur région
et un enjeu universel de droit des femmes et d'égalité homme femme. Par conséquent,
tout en ayant un caractère relatif, l'objet-émotion a une signification transférable d'un
contexte à l'autre. Reprenons l'exemple d'ID-7 pour illustrer notre propos.
La bactérie se développe dans les tours de refroidissement à l'eau des
installations techniques telles que les spas, les systèmes de dimatisation et de
chauffage des immeubles, des hôtels, des maisons de particuliers. Or, ces types
d'installation technique sont importants en nombre et en termes d'usage au Québec.
Par conséquent, il est possible que la bactérie apparaisse dans les eaux usées émanant
des installations non traitées. Dès lors, l'objet-émotion défini par le dirigeant
développeur d'ID-7 a une signification dans le contexte québécois. Dans ce sens, la
chimie durable est une ID qui justifie qu'on s'y intéresse.
Enfm, nous observons que les dirigeants de PME de notre étude recourent à
des objets-émotion pour résoudre des confrontations par la rhétorique ou par un
déplacement moral. La rhétorique est un mode de résolution de confrontation qui
utilise des moyens d'expression et de persuasion propres à une personne : c'est l'art de
bien parler. Par ailleurs, sans nous lancer dans les subtilités d'une « anthologie » de la
248
morale, nous savons que celle-ci comporte une dimension relative. Dans ce sens, nous
pouvons penser que le caractère relatif de l'objet-émotion fait qu'il est approprié à
l'utilisation de ces deux modes de résolution de confrontation.
Partant de ces explications et de ces quelques exemples, nous pouvons .
reconnaître à un objet-émotion les trois caractéristiques suivantes:
A. L'objet-émotion est un énoncé qui consolide un sujet ou un évènement chargé d'émotion;
B. L'objet-émotion est défini de façon à susciter une réaction positive ou un intérêt favorable;
C. L'objet-émotion a un caractère relatif et une signification transférable d'un contexte à un autre. Il est approprié à la résolution de confrontation par la rhétorique ou par un déplacement moral.
Ces apports concernant les concepts d'objet-référent et d'objet-émotion que nous
introduisons dans l' analyse du processus d'ID ont des implications tant managériales
que scientifiques.
2.2.3 Contributions managériales et scientifiques
L'utilisation d'objets-référent et d'objets-émotion permet de légitimer l'ID et de
mettre fin à la flexibilité interprétative qui l'a caractérisée jusque-là et qui est souvent
à l'origine des confrontations entre les acteurs. Ainsi, au plan managérial, à travers les
objets-référent et les objets-émotion, les dirigeants peuvent apprendre comment
stabiliser un réseau d'acteurs autour d'une ID. En effectuant une redéfinition
technique par le recours à un objet-référent et en structurant son discours ou en
faisant un déplacement moral grâce à des objets-émotion, le dirigeant peut faciliter
249
l'acceptabilité de son ID (qui mérite d'être acceptée). Autrement dit, en utilisant ces
objets, le dirigeant se donne les moyens d'influencer son environnement cognitif et
institutionnel.
En particulier, nous pensons que les objets-référent et les objets-émotion sont
utiles à la phase de l'objet-frontière et, parfois, à la phase de l'objet-valise où le
dirigeant doit gérer et « fermer» des confrontations. C'est dans ces phases que les
interprétations des acteurs de ce que devrait être l'ID foisonnent, se distinguent,
s'opposent. Et, il arrive que le dirigeant, promoteur de l'ID, soit peu ou mal informé
de ces projets ou des intérêts sous-jacents aux interprétations des acteurs. Or, pour
arriver à intéresser ces acteurs issus d'univers différents autour d'un objet-frontière, le
dirigeant doit trouver des points de passages obligés qui, soit servent de cadre
commun de référence vérifiable (objet-référent) soit suscitent une réaction positive ou
un intérêt favorable (objet-émotion). C'est pourquoi finalement les objets-référent et
les objets-émotion sont des outils de coordination entre les acteurs, de consolidation
et d'élargissement de réseau.
Ainsi, l'objet-référent et l'objet-émotion constituent pour le dirigeant
développeur d'ID des ressources pour l'action innovatrice orientée vers le DD. Ils sont
appropriés pour gérer des confrontations dont les sujets sont liés à des enjeux de DD.
Nous savons que les références (p. ex.: normes de certification, règlementations
environnementales, institutions de régulation environnementale), mais aussi les
évènements émouvants (p. ex.: catastrophe de Bhopal, scandales financiers d'Enron)
ont constitué tout au long de l'histoire du DD des ressources pour la prise de décision
et pour l'action. À travers les caractéristiques de chacun de ces deux types d'objets,
nous donnons au dirigeant de PME les bases de leur définition. Et, nous pensons qu'à
travers les exemples passés d'ID, nous proposons aux dirigeants une forme de
pédagogie qui leur permet d'apercevoir rapidement un monde avec lequel la
définition d'un objet-référent ou d'un objet-émotion est indispensable.
250
Au plan scientifique, en introduisant ces deux objets dans l' analyse du
processus d'ID, les contributions sont à deux niveaux. Premièrement, nous montrons
que le processus d'innovation dans une approche de construction sociale (Bijker et al.,
1993), soit le passage d'un objet-valise à un objet-frontière (Flichy, 1995), nécessite
la définition d'objet-référent ou d'objet-émotion. Dans la littérature sur la
construction sociale de l'innovation en général (Bijker et al. , 1993), un lien « direct »
est fait entre l'objet-valise (Flichy, 1995) et l'objet-frontière (Star et Griesemer, 1989).
Nos résultats révèlent, au moins en partie, que dans le cas des ID cette relation n'est
pas directe, car très souvent les promoteurs de l'innovation doivent la légitimer avant
que celle-ci n'ait des caractéristiques précises, partagées et stables. Ce besoin ou la
stratégie de légitimation de l'ID à travers des objets-référent et des objets-émotions
constituent notre deuxième contribution scientifique.
En effet, ces objets peuvent être considérés comme des composantes d'une
convention qui fournissent des repères aux acteurs pour fonder leur décision ou pour
assurer la légitimité de leurs actions. La légitimité peut être définie comme « une
perception générale sur les actions d'une entité quant à son caractère désirable ou
approprié au sein d'un système socialement construit de normes, valeurs, croyances et
définitions » (Suchman, 1995; p. 574, traduction libre). Par conséquent, nous pensons
qu'en tant que concepts naissants, l'objet-référent et l'objet-émotion peuvent
bénéficier d'un rapprochement avec la littérature sur la légitimité (Suchman, 1995).
Selon cette littérature, les stratégies de légitimation peuvent consister à :
A. Manipuler pour antlciper et influencer des demandes (légitimité pragmatique) : par exemple, dans notre recherche, le dirigeant de PMEdéveloppeur d'ID-7 anticipe une épidémie de légionellose, tente d' influencer les députés en mobilisant des objets-émotion;
251
B. S'adapter en respectant des normes (légitimité cognitive) : c'est ce qu'ont fait la plupart de nos dirigeants qui mettait en évidence le fait que leurs ID respectent des certifications, en mobilisant des objets-référent;
C. Manipuler par la création des nouvelles valeurs (légitimité normative) par exemple, les dirigeants-développeurs d'ID-5 (le carton est citoyen et écologique), d'ID-3 (la fragrance synthétique est nocive pour les êtres humains) et d' ID-7 (la technique de détection rapide permet de prévenir l'apparition de la bactérie) développent de nouvelles croyances autour de leurs ID en utilisant des objets-émotion ou des objets-référent.
2.3 Le casting des acteurs
Toujours à la phase de l'objet-frontière, maiS précisément au mveau de
l'enrôlement des acteurs, outre les rôles explicites (fonctions, tâches) que ces derniers
jouent dans la réalisation de l'ID, nos résultats montrent que le dirigeant-développeur
d'ID négocie avec chaque acteur les conditions de leur collaboration. De ce fait,
dirigeant et acteurs construisent les caractéristiques de l'ID. Mais, c'est le dirigeant
qui choisit ou fait le casting des acteurs qu'il considère comme étant pertinents pour
développer l'ID en raison de leurs ressources, savoir et savoir-faire ainsi que leur
position sociale ou de leur influence. En fait, le casting des acteurs opéré par le
dirigeant, c'est l'art de choisir les « bons interlocuteurs ou collaborateurs» (Akrich et
al., 1988) pour réaliser l'ID.
Ces interlocuteurs ou collaborateurs sont des figures avec des vIsages
(Moriceau, 2006). Nous avons identifié cinq visages que prennent les acteurs choisis
par le dirigeant de PME-développeur d'ID et qui permettent de définir les rôles de ces
acteurs dans le processus d'ID, soit le porte-parole d'enjeu de DD (c'est souvent le
dirigeant lui-même), le gardien de temple, le promoteur, le passeur et le passant. Nos
résultats nous ont permis d'identifier ces visages à travers le regard des dirigeants
interrogés et surtout de découvrir qu'il existe une dynamique des acteurs qui ont ces
vIsages.
252
2.3.1 Le porte-parole d'enjeu de DD
Notre définition du porte-parole est celle proposée par Mintzberg (1984), et
que nous avons présentée plus haut dans le cadre théorique. Ce rôle fait partie des
facettes du travail d'agent de liaison effectué par un dirigeant. Pour rappel, dans le
rôle de porte-parole, le dirigeant parle au nom de son entreprise et représente celle-ci
(Florén et Tell, 2004, 2012; Q'Gorman et al. , 2005). En particulier dans le rôle de
porte-parole, le dirigeant sert d'expert dans le domaine d'activité de l'entreprise
(Ibid.). C'est le cas des dirigeants-développeurs d'ID-7 dont le V.-P Innovation et DD,
tout comme le Y.-P. chargé des applications et technologies et le directeur technique,
détient le titfe de docteur dans le domaine visé par l'ID.
ID-7 est le seul des sept cas d'ID où le dirigeant est un expert dans un domaine
lié à l'ID. Par exemple, les dirigeants à l'origine d'ID-2 et ID-3 sont des comptables et
des financiers de formation. Les dirigeants-développeurs d'ID-4 et ID-5 ont
respectivement une expertise en marketing et en art. La dirigeante à l'origine d'ID-4
reconnait d'ailleurs qu'elle a dû apprendre à connaître le secteur et le métier du
cosmétique. Bien évidemment, leurs expertises servent à d'autres niveaux d'un
processus d'ID tels le marketing, la commercialisation, la comptabilité, contrairement
aux dirigeants-développeurs d'ID-7.
L'analyse du travail des dirigeants de notre étude permet de découvrir d'autres
facettes du rôle de porte-parole au-delà de celles décrites par Florén et Tell (2004,
2012) ou Q' Gorman et al. (2005). Nous avons découvert que les dirigeants
développeurs d'ID parlent aussi au nom de l'enjeu de DD que vise l'ID et se posent en
représentant de celui-ci. Une illustration de ce rôle de porte-parole de l'enjeu de DD a
253
été observée dans quelques cas d'ID tant explicitement qu'implicitement. Par
exemple, dans le cas d'ID-7, lors de la rencontre avec les députés, le vice-président
chargé des applications et technologies et la coordonnatrice en DD de l'entreprise
s'étaient présentés explicitement comme « les représentants de la bactérie ». Ces
derniers portaient pour l'occasion une épinglette à l'effigie de la bactérie. Dans le cas
d'ID-4, la dirigeante se présentait en défenseur des femmes productrices d'huile
d'argan, tout comme celle à l'origine d'ID-5 qui finalement représentait implicitement
le carton.
Nous verrons plus tard que ce rôle de porte-parole est doublé de celui de
passeur. Par ailleurs, le dirigeant-développeur d'ID n'est pas toujours l'expert dans le
domaine d'activité de son organisation, si nous définissons l'expert comme un
spécialiste, une personne reconnue pour ses connaissances techniques dans un
domaine précis. Cependant, même quand il est expert, il ne porte pas toujours ce
« chapeau » lorsqu'il va au contact des acteurs externes tels les dirigeants à l'origine
d'ID-7. Dans tous les cas, que le dirigeant soit un expert ou non du domaine d'activité
de l'entreprise, le rôle de porte-parole est important lorsque celui-ci entre en contact
avec un gardien du temple notamment pour justifier l'enjeu de DD et l'ID.
2.3.2 Le gardien de temple
Nous utilisons l'expression « gardien de temple » pour désigner un acteur dont
le rôle est de protéger les principes et les règles du jeu de son monde (c'est-à-dire un
milieu ou un groupement social particulier) ou même de les changer. Si,
effectivement, un acteur occupe une position dominante dans son monde, il "adhère",
"profite" et "défend" les règles du jeu qui font de lui un gagnant. Dans ce sens, c'est
un gardien. À l' inverse, s'il occupe W1e position dominée (disons moins avantageuse),
254
il aura plutôt tendance ou intérêt à changer les règles qui prévalent dans le monde
auquel il appartient; règles qui font de lui un perdant. Dans un tel cas, il n' est pas un
gardien, mais joue le rôle d'agent de changement.
Si nous prenons l'exemple d ' ID-1 , Transport Canada et l' Agence de
l' efficacité énergétique ont pour mISSIon d' élaborer des politiques et des
règlementations respectivement dans le domaine du transport et de la consommation
d'énergie. Le pouvoir et la légitimité dont jouissent ces acteurs dans leur monde fait
d'eux des acteurs incontournables. Dans ces conditions, pour opérer dans leur monde,
le dirigeant et son équipe doivent concevoir ID-l de façon à respecter les règles
édictées par ces acteurs. Ainsi, à travers leur rôle de gardien, ces acteurs contribuent à
façonner les caractéristiques d'ID-l selon les règles dujeu de leur propre monde.
C'est aussi le cas avec ID-7 où, les députés constituent les gardiens de
"temple" des lois nationales qui cependant, avant la crise de la légionnelle, n'ont pas
joué le rôle d'agent de changement. Ces derniers se sont opposés à ID-7 jusqu'avant
la crise, malgré une rencontre avec les dirigeants de l ' entreprise alors emegistrés au
registre des lobbyistes sous l'égide de leur association. Les députés ont donc ignoré
l'utilité d ' ID-7. Ces derniers n'ont pas agi comme des agents de changement. Bien
identifier alors les acteurs qui jouent le rôle de gardien du temple dans le processus
d'une ID peut être d ' un intérêt managérial important, car ce dernier peut faire partie
plus tard des promoteurs de l'ID.
2.3.3 Le promoteur
Nous utilisons l'expression de promoteur (Akrich et al. , 1988) pour désigner
toute personne qui donne la première impulsion, contribue à la mise œuvre ou
provoque la création et la réalisation de quelque chose. À la phase de l'objet-frontière,
255
dès lors que des acteurs acceptent d'échanger leurs ressources pour le développement
de l'ID, ils deviennent aussi les promoteurs de celle-ci à l'instar du dirigeant. Dans ce
sens, ils deviennent des alliés du dirigeant dans cette "aventure", soit par
opportunisme soit parce qu' ils épousent la cause.
Comme dans le cas d' ID-2, l' entreprise de traitement des déchets
électroniques, l'entreprise d'insertion sociale ainsi que les mentors et coachs
d'affaires du dirigeant ont été des promoteurs de l'ID tout au long de son
développement. Dans certaines situations, des acteurs opposants à l' ID peuvent
devenir des promoteurs. Ainsi, grâce au travail d'intéressement du dirigeant, ces
derniers peuvent passer du statut d'opposant à celui de partisan, ou d'un rôle à un
autre.
C'est ce qui s'est passé dans les cas d'ID-3 et ID-5 où, les fournisseurs
respectivement d' emballages et étiquetages, et de cartons sont devenus, au fil du
temps, des alliés dans le processus d'ID. Par ailleurs, un tel processus ne peut faire fi
de la nécessaire présence d'acteurs jouant le rôle de passeur.
2.3.4 Le passeur
Des acteurs qui ont la capacité de traverser plusieurs univers jouent le rôle de
passeur (Flichy, 1995). Ces derniers savent négocier avec différents mondes.
Autrement dit, ils sont capables de comprendre les projets propres à chaque acteur, de
les traduire dans un langage accessible aux autres, et de créer ou proposer des
arrangements. Sans la présence des passeurs observés dans toutes les PME, leurs ID
n'auraient pu exister sous différentes versions (objet-valise, objet-frontière initial et
256
final). Et, dans ces PME, c' est très souvent le dirigeant principal ou l' acteur à
l' origine de l' ID qui joue ce rôle. Cependant, dans les cas d' ID-3 , ID-6 et ID-7, en
dehors des dirigeants, des acteurs comme le chimiste, la SADC et l ' association pour
la promotion de la chimie étaient, en plus de leur rôle de promoteurs, de véritables
passeurs et précisément des médiateurs entre la PME et d' autres acteurs.
À propos du rôle de passeur, nos résultats indiquent que le dirigeant de PME
en raison de sa position centrale dans l'entreprise joue le rôle de passeur-frontière. En
tant que telle dirigeant enrôle des acteurs-clés afin de concrétiser l'objet-frontière. Il
attribue implicitement des rôles à certains acteurs et fait passer d' autres acteurs d'un
rôle à un autre. Il faut comprendre que tout ce processus d'enrôlement n' est pas
explicitement su des acteurs et se passe dans les représentations mentales du
dirigeant, mais se traduit dans ses décisions et ses actions. Par exemple, en ayant la
connaissance qu'un acteur est un gardien de temple, le dirigeant peut mieux
s'informer sur ce dernier et voir s' il faut utiliser ou non avec lui des objets-référents
ou des objets-émotion selon ses intérêts et ses préoccupations. Dès lors, le dirigeant
peut structurer son discours et ses actions de façon à faire voir au gardien du temple
qu'ils ont une vision commune et à faire de ce dernier un partisan de l' ID ou au
mieux un promoteur. Toutefois, il ne faut pas oublier que le travail qui est décrit ici
relativement au dirigeant peut également être réalisé par un autre acteur du réseau.
Autrement dit, dans certains cas un gardien de temple peut même avoir, comme le
dirigeant, un droit de véto sur les caractéristiques de l' objet-frontière.
Par ailleurs, selon nos données, les dirigeants qui sont parvenus à jouer le rôle
de passeur ont réussi à développer leurs ID et à les commercialiser. Par contre, ceux
qui n'y sont pas arrivés connaissent soit des retards dans le développement de leur ID
ou encore ont du mal à les commercialiser. Par exemple, dans le cas de la chimie
durable (ID-7), l' ID a du mal à être commercialisée comme le veulent les dirigeants
257
tant et aussi longtemps qu'elle n'a pas reçu "l'aval" des députés et des services de
santé publique du Québec. Par contre, si certains acteurs se transforment en passeurs,
d'autres apparaissent comme des passants.
2.3.5 Le passant
Certains acteurs vont participer ou traverser un monde par erreur, soit parce
qu'ils n'en maitrisent pas les principes et règles du jeu, soit parce qu'ils veulent tirer
profit d'une situation ou alors parce qu'ils quittent le réseau d'acteurs faute d'y
trouver un intérêt (au sens d'être intéressé et d'y trouver leur compte). Nous pouvons
également penser qu'ils passent parce qu'ils ne sont pas en mesure de contribuer au
projet en « fournissant» une ressource manquante et pertinente.
Dans les cas d'ID-2 et ID-S, l'entourage (amis, parents) des dirigeants peut
constituer des passants. Les amis et proches de ces dirigeants n'étaient pas en mesure
de contribuer aux projets d'ID. Ils se sont plutôt contentés de porter un jugement de
valeur « négatif» sur les petits appareils électroniques usagés dans le cas d'ID-2 et le
carton en ce qui concerne ID-S. De même dans le cas d'ID-6, les équipementiers
américains sont passés de promoteurs à passants parce qu'ils n'ont pas pu fournir les
équipements (ressources pertinentes) qui s'adaptent au procédé technologique.
L'analyse du travail d'enrôlement nous apporte quelques enseignements.
D'abord, il se trouve que lorsque des gardiens restent des opposants, cela a un impact
négatif sur la réalisation de l'ID, comme dans le cas d'ID-7. Ensuite, il nous est
apparu clairement que des opposants à une ID peuvent devenir des promoteurs
comme dans tous les cas d'ID étudiés à l'exception d'ID-6. Enfin, nous pouvons
258
retenir que le dirigeant de PME a un rôle important à jouer comme passeur. En tant
que promoteur du projet d'ID, et contrairement aux autres acteurs qui ont le pouvoir
de quitter le projet, le dirigeant peut décider unilatéralement de l'une ou l'autre des
caractéristiques de l' ID. Ces apports de notre recherche en ce qui concerne le casting
des acteurs sont des contributions managériales et scientifiques.
2.3.6 Contributions managériales et scientifiques
Au plan managérial, les dirigeants de PME peuvent faire un casting des
acteurs s'ils veulent s'assurer que l'ID se réalise. Le casting des acteurs est aussi un
moyen qui permet au dirigeant d' identifier et d'analyser les positions des acteurs qu'il
souhaite mobiliser et de décider comment faire évoluer ces positions à son avantage.
Par exemple, comment faire d'un gardien de temple un promoteur? Ou, quel acteur
pourrait jouer au mieux le rôle de passeur? Partant de là, le casting des acteurs permet
surtout aux dirigeants d'apercevoir rapidement les mondes et de choisir les acteurs
avec lesquels des négociations et des collaborations sont indispensables à la
concrétisation des ID.
Au plan scientifique, le casting des acteurs met en évidence a) les caractères
négocié des ID et dynamique de la gestion des acteurs et b) la dimension
interprétative de la gestion de l'ID. En effet, au sujet du caractère négocié des ID, nos
résultats montrent que les caractéristiques définitives de l'ID sont le résultat de
négociations entre le dirigeant de PME et les acteurs choisis pour la réalisation de
l'ID. Dans ces négociations, aucun acteur n'impose son interprétation de ce que
devrait être l'ID. Même lorsque le dirigeant-développeur d'ID privilégie
l'interprétation d'un acteur, il conserve la collaboration avec les autres tant qu'ils
peuvent apporter des ressources utiles et pertinentes pour réaliser l'ID. Cela a été le
cas d'ID-4 (le cosmétique écologique) où tout en privilégiant l'interprétation et le
259
projet de la cosmétologue, la dirigeante a continué la collaboration avec les
biochimistes, en raison de l'expertise apportée par chacun de ces acteurs-clés. Dans ce
sens, nos résultats peuvent bénéficier d'un rapprochement avec la littérature sur la
théorie des parties prenantes telle que "revisitée" par Pasquero (2008). L'auteur
suggère d'enraciner cette théorie dans une perspective socioconstructionniste où, entre
autres, les projets des acteurs en matière de DD tels l'ID sont négociés (Strauss, 1993)
entre des acteurs aux figures avec des visages (Moriceau, 2006).
Par ailleurs, nos analyses montrent que le casting des acteurs permet au
dirigeant, selon ses propres interprétations et perceptions, de choisir « les bons
interlocuteurs ou collaborateurs » (Akrich et al. , 1988) et d'assigner « les bonnes
personnes aux bons rôles », en tenant compte des ressources et influences qui
favoriseront la réalisation de l'ID. Par conséquent, le casting des acteurs représente
une dimension interprétative du processus d'innovation très peu étudiée dans la
littérature sur la gestion de l'innovation (Lester et Pioré, 2004). Lester et Pioré (2004)
ont montré dans leurs travaux que la dimension interprétative (versus la dimension
analytique plus explicite et étudiée) fait partie des aspects cachés ("The missing
dimension") du processus de l'innovation qui méritent d'être mieux analysées. Selon
les auteurs, l'un des problèmes cruciaux qui se posent souvent aux dirigeants dans le
processus d'innovation se résume à la question suivante: "What the pie ces of the
product are and who the specialists are to whom they can be assigned?" (Ibid , p.
102). Le casting des acteurs constitue l'une des dimensions du processus interprétatif
et une des pistes de solution.
2.4 Le mix des enjeux de DD
Nos résultats montrent que la résolution par le dirigeant des confrontations par
la rhétorique, le déplacement moral ou technique entrai ne nt une redéfinition de
l' enjeu visé au départ, de l'opportunité d'ID et des caractéristiques techniques de l ' ID.
260
Par exemple, à l'enjeu de la réduction des gaz à effet de serre (résolu grâce à la
conception d'un vélo à propulsion électrique) que visait ID-1 au départ, sera associé
l'enjeu de la santé et sécurité des êtres humains (résolu grâce à l' ajout d'une
propulsion mécanique au vélo tout électrique qui devient alors un vélo hybride). Dans
le cas d'ID-4, pour devenir un cosmétique à la fois écologique, équitable et
écoresponsable, à l'enjeu des droits de la personne sélectionné auparavant sera ajouté
l'enjeu de la production et la sécurité des produits ainsi que celui de la gestion des
déchets. Cela peut expliquer pourquoi au fil du temps, dans tous les cas d'ID l'objet
valise est différent de l'objet-frontière et pourquoi dans plusieurs cas d'ID (ID-l, ID-2,
ID-3 , ID-4 et ID-7), il y a un objet-frontière initial qui se distingue de l'objet-frontière
final. C'est pourquoi nous avons introduit le concept de mlX des enjeux
environnementaux et sociaux pour exprimer leur redéfinition tout au long du
processus d'ID.
En effet, pour analyser les enjeux de DD nous avons utilisé la grille des 15
enjeux environnementaux et sociaux identifiés dans différents rapports internationaux
(OCDE, 2010; PNUE, 2006; WBCSD, 2006; WEF, 2009) ainsi que repris dans les
écrits scientifiques (Anderson et Bateman, 2000; Newman et Breeden, 1992;
Shrivastava, 1994; Starik et Rands, 1995). La description des enjeux telle que
proposée par Desjardins et Willis (2011) reflète les préoccupations des dirigeants
d'entreprises canadiennes à l'égard du développement durable. Selon les auteurs, ces
dirigeants se sont prononcés sur la pertinence de ces enjeux environnementaux et
sociaux en raison de leurs effets sur leurs activités présentes ou futures .
Ainsi, au plan managérial, la grille utilisée peut servir aux dirigeants de PME
afin d'identifier les enjeux environnementaux et sociaux pertinents pour leurs
activités. Au-delà de cette idée déjà soulignée par Desjardins et Willis (2011) et que
nous soutenons, nos résultats montrent aux dirigeants comment à partir d'un enjeu
261
visé au départ, celui-ci est redéfini par le jeu des interactions des préoccupations, des
projets, des intérêts des acteurs. Autrement dit, les enjeux environnementaux et
sociaux sont socialement construits.
Dès lors, en ayant connaissance de ce que la construction sociale des enjeux
de DD et des opportunités d'ID déterminent, au moins en partie, les caractéristiques
définitives de l'ID, et en jouant leurs rôles de stratège et de tacticien (précisément
d'entrepreneur et d'agent de liaison), les dirigeants et futurs dirigeants de PME
peuvent mieux anticiper leurs actions innovatrices orientées vers le DD. Cette
capacité que nous donnons aux dirigeants de PME-développeurs d'ID leur permet de
comprendre la complexité des enjeux environnementaux et sociaux, et le sens que ces
dirigeants et les acteurs de leur réseau donnent à ces enjeux prend une importance
centrale (Pasquero, 2008). Dans le même temps, le caractère socialement construit
des enjeux de DD « offre au chercheur de multiples occasions d' analyse » (Pasquero,
2008, p. 30).
Ainsi, au plan scientifique, l'idée du mix des enjeux de DD et des opportunités
d'ID et celle de construction sociale sont identiques. Le caractère socialement
construit des enjeux et des opportunités reste peu étudié en stratégie et management
du DD, en raison de ce que, dans la littérature, ceux-ci sont généralement considérés
comme étant donnés. Pourtant, dans une logique de DD, les enjeux, les opportunités
qu'ils comportent et les projets visant à les résoudre sont tous socialement construits
(Pasquero, 2008). Le mix ou la construction sociale des enjeux de DD et des
opportunités relève l'importance du rôle d'agent de liaison et surtout d'entrepreneur
dans un processus d'ID.
262
À propos du rôle d'entrepreneur, notre apport (résultat de la mobilisation des
approches de la Social Construction of Technology, de la Symbolic interactionism et
de l'Actor-Network) peut bénéficier d'un rapprochement avec la littérature soutenant
une perspective constructiviste du processus entrepreneurial (Hjorth et Steyaert,
2004; Lindgren et Packendorff, 2009; Steyaert, 2007), soit l'identification, la saisie et
l'évaluation des opportunités, en partie, par l' entrepreneur. C'est ce qu'ont fait, a)
Lamine, Fayolle et Chebbi (2014) dans l'étude de la dynamique de formation d'un
réseau entrepreneurial dans un contexte de création d'entreprises innovantes et b)
Korsgaard (20 Il) pour comprendre le processus entrepreneurial et comment les
opportunités sont créées, le tout en mobilisant le modèle de l'intéressement associé à
l'Actor-Network Theory (ANT). Fletcher (2006) s'est aussi appuyé sur l'approche de
la Social Construction ofTechnology (SCOT) pour étudier la construction sociale des
opportunités.
En dehors de ce tableau positif en termes de contributions à la fois
managériales et scientifiques que nos résultats nous permettent de dresser, notre
recherche comporte a) des limites, mais présentent aussi b) des perspectives de
recherche fort stimulantes. Nous abordons ces deux derniers points de notre chapitre
dans ce qui suit.
3. LIMITES DE LA RECHERCHE
En général, notre positionnement épistémologique voulant que le chercheur
influence selon ses choix et ses actions la recherche signifie que des biais inévitables
ont été introduits tant dans la collecte que dans l' analyse (condensation, présentation,
interprétation) des données.
263
Dans la collecte, il faut rappeler que les données ont été recueillies auprès des
dirigeants de PME et de leurs équipes de direction. Nous n'avons pas pu avoir accès à
des acteurs externes (sauf dans le cas d'ID-3 avec le chimiste cornn1e acteur externe)
ayant participé au développement des ID (ce n'était d'ailleurs pas notre intention dans
cette recherche). Étant donné que chaque processus d'ID mettait en jeu plusieurs
acteurs externes clés identifiés, des entretiens auraient pu être conduits auprès de ces
derniers. Dans ce sens, la diversité des propos et des interprétations aurait pu
contribuer à enrichir l'analyse des données. Toutefois, le fait que notre recherche
s'intéresse principalement à ce que font les dirigeants de PME pour développer des
ID, c'est d'abord le point de vue de ces derniers (et de leurs équipes) qui nous
apparaît pertinent pour l'analyse.
Par ailleurs, dans une approche de construction sociale, le fait que des acteurs
interprètent les représentations mentales d'autres acteurs ne réduit pas pour autant la
valeur de leurs interprétations. Le chercheur doit cependant trouver les moyens de les
corroborer ou non. Dans ce sens, pour minimiser l'impact des biais, nous avons
multiplié les sources de données documentaires qui constituent en elles-mêmes des «
acteurs muets ». En effet, dans ces documents, nous pouvions avoir accès à des
propos émanant d'acteurs externes, ainsi qu'à des propos diversifiés provenant des
dirigeants eux-mêmes sur des aspects des processus d'ID que nous n'avons pas pu
aborder durant les entretiens. Il faut aussi signaler que dans quatre cas d'ID sur sept,
plus d'un acteur interne (membre de l'équipe chargé du projet d'ID) a été interrogé.
Ainsi, nous pouvions tirer profit des propos et des interprétations d'acteurs autres que
ceux des dirigeants principaux.
Dans l'analyse des données, les récits historiques de chaque ID ont été
reconstruits par le chercheur grâce à la triangulation de données émanant des
entretiens et des sources documentaires. Le travail de reconstruction comporte aussi
264
des biais, dans la mesure où le chercheur aura tendance à présenter les données selon
ses propres perceptions. Pour minimiser ce biais, les récits ont été validés par les
répondants. Cependant, nous avons veillé à ce que des informations pertinentes
pouvant ne pas être « du goût » des répondants soient conservées tout en s'assurant de
leur confidentialité afin de préserver l' éthique de la recherche.
Enfin, l'analyse des données a porté sur des faits passés. Il s' agissait donc
d'une analyse rétrospective. Ce type d'analyse oblige le chercheur à se fier à la
mémoire du répondant et, surtout, à des propos et interprétations qui auraient pu être
"préfabriqués" pour convenir aux "désirs" du chercheur. Ici encore, a) la
multiplication des sources documentaires et b) l' accès à d' autres acteurs autres que
les dirigeants principaux nous ont aidés à minimiser ce biais, dans la mesure où nous
pouvions confronter les propos des répondants qui pouvaient sembler contradictoires.
Dans tous les cas, l' idéal aurait été de suivre les processus d'ID en train de se
produire, soit en temps réel. Mais, le risque, non moins important, était de voir le
projet de thèse ne pas prendre fin, d'autant plus que les processus d' innovation sont
souvent des processus longs et que plusieurs sont abandonnés en cours de route.
4. PERSPECTIVES DE RECHERCHE
En général, notre recherche présente des perspectives futures touchant les trois
champs théoriques que sont la gestion du développement durable, de l'innovation
ainsi que l'entrepreneuriat et la PME.
D'abord, dans le champ du développement durable, les modèles de l'objet
valise et de l'objet-frontière ainsi que les concepts d'objet-référent et d'objet-émotion,
à la lumière de nos résultats, sont fort pertinents. D'une part, le modèle de l'objet-
265
valise peut être appliqué à la définition de projets intégrant des enjeux de DD. Il
s' agira alors de s' intéresser aux formes que peut prendre un objet-valise, car la
caractérisation de celui-ci dépend des arrangements collectifs des acteurs touchés ou
sensibles aux enjeux de DD qu' il soulève. D'autre part, le modèle de l'objet-frontière
peut s'appliquer à des actions, activités ou produits intégrant des enjeux de DD. Dans
ce sens, il serait intéressant de voir comment, en tant qu'objet-frontière, ces actions,
activités ou produits sont interprétés et structurés dans différents secteurs tels que
ceux des organisations publiques et des entreprises à but non lucratif ou de
l'économie sociale. Cette idée vient du fait que dans ces secteurs, ce sont les
dimensions environnementales, sociales et même politiques qui sont souvent les plus
importantes et sont l'objet de confrontations. Ces dimensions comportent aussi des
aspects émotionnels et de légitimité, d'où l'importance de mieux étudier le rôle des
objets-émotion et des objets-référent dans la légitimation des ID. Plus
particulièrement, notre recherche suggère d'étudier le rôle de l'émotion dans la
constitution et l'intéressement d'un réseau d'acteurs par le dirigeant de PME ou
l'entrepreneur. D'autre part, dans la meure où le recourt à des objets-émotion et des
objets-référent facilite le passage de l'objet-valise (Flichy, 1995) à l'objet-frontière
(Star et Griesemer, 1989), l'étude de nos deux objets peut être approfondie pour une
meilleure compréhension du processus d'innovation en général dans une approche de
construction sociale (Bijker et al. , 2012).
Ensuite, dans le champ de l'innovation, nos résultats ont montré que l' ID
comporte des particularités en termes de degré d'impact et de processus maintes fois
soulevés par différents chercheurs s' intéressant au DD et à l ' ID. Par exemple, Hart et
Milstein (2003) ainsi qu'Hall et Vredenburg (2003) ont soutenu que les ID exigent
de nouveaux processus de gestion de la part des entreprises. Selon Lester et Pioré
(2004), la gestion de l'innovation dans les entreprises est un processus mieux connu
dans sa dimension analytique ce qui n' est pas le cas de sa dimension interprétative.
La gestion de l'ID comporte une dimension interprétative notamment sociale et
266
interactive plus importante qui mérite d'être mieux analysée. Dans ce sens, notre
recherche s'est focalisée sur le développement de l'ID en considérant cette dernière
comme l' effet d'une construction sociale et en soulignant l'importance du casting des
acteurs. Ainsi, des avenues de recherche futures peuvent s' intéresser aux dimensions
cachées du processus interprétatif de l' ID telles que le casting des acteurs.
Enfin, dans les champs de l'entrepreneuriat et de la PME, notre recherche nous
a permis de suivre des dirigeants issus de PME tant émergentes que matures. De plus,
l' innovation et l' ID sont aussi des objets d'étude abordés dans ces champs théoriques.
Des avenues de recherches futures peuvent donc se focaliser sur l' étude des processus
d'ID dans une perspective entrepreneuriale et plus particulièrement sur le caractère
socialement construit des enjeux de DD et des opportunités d'ID. Notre recherche
souhaite tracer spécialement une avenue de recherche sur le travail des entrepreneurs
et des dirigeants de PME dans le développement d'ID. Nous avons amorcé cette
recherche en nous inspirant des travaux en management de Florén et Tell (2004,
2012), O'Gorman et al. (2005) à la suite de Mintzberg (1973, 1984, 2009). Par contre,
des recherches futures peuvent s'intéresser aux formes que prend le processus de
construction sociale de l'ID en entrepreneuriat et dans la gestion de la PME.
CONCLUSION
Nous avons inscrit notre étude de l'innovation durable dans une approche de
construction sociale contrairement à ce qui nous a été donné de voir dans la littérature
sur l' étude de l' ID dans la PME. Ce positionnement se justifie dans la mesure où pour
apporter des réponses aux dirigeants de PME au sujet de comment développer des ID,
il faut se départir d'une vision déterministe et statique de l' ID. Certes, identifier des
variables qui déterminent le succès d'une ID en contexte de DD nous apporte des
informations utiles quant à la compréhension d' un objet d' étude encore nouveau. Les
résultats obtenus confirment d'ailleurs l' existence de ces variables et parfois leurs
influences sur les actions et les intentions des acteurs.
Cependant, une fois que les facteurs, les causes et les conséquences ou même
les « ingrédients » sont connus, il nous reste à répondre à la question du « comment ».
Pour répondre à cette question au centre des préoccupations des dirigeants de PME,
nous avons ancré notre étude dans les recherches issues de la nouvelle sociologie des
sciences et des techniques et à laquelle contribuent, Bijker et al. (1993), Akrich et al.
(1988) et Flichy (1995) ainsi que celles provenant de la sociologie interactionniste
des sciences telle que pratiquée par Star et Griesemer (1989). Pour ce faire, nous
avons suivi à la trace des dirigeants de PME-développeurs d'ID, tout comme l'ont fait
Florén et Tell (2004, 2012) et O'Gorman et al. (2005) à la suite de Mintzberg (1973,
2009) dans leur étude du travail du dirigeant de PME.
Dans ce sens, nous avons repéré des cadres sociotechniques dans lesquels
l' action innovatrice orientée vers le DD des dirigeants de PME se situe, en analysant
des cas d'ID. Les résultats préliminaires de notre résidence en entreprise nous ont
d' abord confortés dans la position selon laquelle pour être en mesure de fournir aux
dirigeants des moyens d'entraînements à l' action innovatrice durable, il faut suivre,
comprendre et expliquer ce qu' ils font pour produire des ID. Autrement dit, il faut
268
analyser le travail de ces dirigeants. Deux raisons justifient cette démarche au plan
managérial et scientifique.
Premièrement, nous savons déjà que les dirigeants de PME privilégient dans
leur mode de gestion comme dans le développement d'innovation des processus
sociaux et interactifs, dans la mesure où leurs spécificités leur permettent de déployer
plus facilement ceux-ci et d'opérer des ajustements collectifs relativement stables.
Deuxièmement, la nature compromissoire de toute démarche orientée vers le DD
implique que les acteurs embarqués dans les processus sociaux parviennent à une
définition commune des enjeux, des projets ou des objets qui les mobilisent. Ici
encore, les ajustements collectifs sont inévitables pour faire passer des projets et
interprétations disjoints à un projet commun.
Par conséquent, en tant qu'acteur incontournable dans son entreprise et
promoteur de toute action innovatrice, le dirigeant de PME est au cœur des processus
d'ID. Dans ce sens, toute étude portant sur le développement d'ID dans la PME ne
peut faire fi du travail effectué par le dirigeant. Si d'un point de vue théorique cette
idée se justifie, elle l'est encore plus d'un point de vue managérial, car les
préoccupations des dirigeants d'entreprises - telles que rapportées par plusieurs
rapports et travaux de recherche (voir REDD, 2012, 2013, 2014) - sont toujours
portées entre autres sur comment développer des ID.
La prise en compte par le dirigeant des projets et des interprétations disjointes
des acteurs externes et internes est une démarche qui lui permet de construire son ID
de façon à ce qu'elle rejoigne les intérêts de ces derniers à des degrés divers. Par la
suite, l'ID devient un objet-valise à travers la confrontation des interprétations. La
résolution de ces confrontations permet de faire évoluer et, finalement, de « fixer»
l'objet-frontière qui deviendra l'ID avec des caractéristiques précises, partagées et
stables. En tant que telle, l'ID répond donc à des enjeux environnementaux et sociaux
269
que les acteurs priori sent. L'analyse de nos résultats nous a permis de montrer que
c' est en ant que stratège et tacticien que le dirigeant de PME-développeur d'ID réussit
le passage d 'un objet-valise à un objet-frontière.
Pour comprendre cette dynamique d' évolution de ce qui deviendra plus tard
une ID, nous avons suivi les phases de la préhistoire de l'ID, de l'objet-valise et de
l'objet-frontière. Les deux dernières phases comportent des confrontations qui
concernent des sujets liés à des aspects environnementaux, sociaux, économiques,
etc. Les modes de résolution par la rhétorique, la redéfinition technique ou le
déplacement moral constituent des moyens pour les dirigeants de PME de mettre fin
aux « débats » qui s'avèrent le plus souvent « inhibants ». En particulier, nous avons
découvert que les modes de résolution par la rhétorique et par la redéfinition morale
ou technique peuvent être consolidés par des objets-émotion et des objets-référent
utilisés par le dirigeant. Dans le même temps, la résolution des confrontations
entraine une redéfinition des enjeux environnementaux et sociaux visés au départ et
des caractéristiques techniques de l'ID. Autrement dit, le mix des enjeux de DD
(enjeu visé + nouvel enjeu évoqué par les acteurs) consacre le caractère socialement
construit de ces enjeux.
Pour intéresser les acteurs-clés, le dirigeant effectue un travail d'intéressement
(une facette du travail d'agent de liaison) au cours duquel, il choisit les acteurs-clés
qui participeront à la concrétisation de l'ID. Celui-ci a consisté à définir, seul ou avec
d'autres acteurs, des points de passages obligés, acquérir et consentir à des
investissements de formes spécifiques et enrôler des acteurs. Le casting opéré par le
dirigeant montre la présence d'acteurs aux figures avec des visages, soit des porte
parole d'enjeu de DD, des gardiens de temple, des promoteurs, des passeurs et des
passants.
270
Nous pouvons penser que tout ce travail du dirigeant se produit aussi dans des
processus sociaux d' innovation en général, autrement dit à visée économique.
Cependant, comme l'ont souligné les dirigeants de PME et l ' ont soutenu plusieurs
chercheurs dans le champ de l' ID en contexte de PME, l ' acuité avec laquelle se
posent les enjeux de DD aux entreprises, les aspects et impacts environnementaux et
sociaux d' une innovation ainsi que les efforts à entreprendre pour marier le triptyque
du DD (environnement, social, et économie), finissent par complexifier le processus
d'ID. Tout ceci exige l'adoption par les dirigeants de nouveaux moyens
d' entraînements à l ' action innovatrice orientée cette fois vers des enjeux
environnementaux et sociaux. Sinon, comment expliquer qu'après plus de quinze ans
de recherche sur les ID ainsi qu'une littérature abondante sur l'innovation, les
dirigeants continuent de manifester le besoin de savoir comment développer des
innovations orientées vers le DD. Parmi ces moyens, nos résultats révèlent
l'importance des rôles de stratège et de tacticien, du recourt à des objets-référents et
des objets-émotion, du casting des acteurs et du mix des enjeux de DD.
Dans cette recherche, nous avons suivi des dirigeants d'entreprises dans le
récit de leurs ID et nous les avons écoutés. Nous avons emprunté des concepts et des
théories à des domaines de connaissances différents des sciences de la gestion, mais
non étrangers, pour mieux comprendre ce que font ces dirigeants pour développer des
ID. Nous sommes parvenus, malgré des zones d'ombre, à découvrir des moyens
d'entraînements dont certains sont nouveaux (p. ex. : les objets-émotion et des objets
référents, le casting des acteurs) ainsi que, des formes de pédagogie (à travers les
récits historiques des cas sept d'ID) pouvant les aider dans leur progression vers les
ID. Finalement, nous croyons que les dirigeants et futurs dirigeants d' entreprise
peuvent trouver dans cette thèse des informations utiles pour effectuer le voyage de
l'ID.
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289
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Zuboff, S. (1988). In the Age of the Smart Machine. New York: Basic Books.
ANNEXE A GUIDE D'ENTRETIEN
291
1. Introduction
Bonjour/Bonsoir, monsieur [Nom du répondant], je vous remercie de m'accorder votre temps pour cett~ entrevue. Je vous remercie aussi de votre collaboration et de l'intérêt que vous portez à mon sujet de recherche. Ce premier entretien devrait durer enviroIL 1 heure 30 minutes à 2 heures, si cela est possible.
Je m'appelle Kadia Georges AKA, étudiant au doctorat en administration des Affaires à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Dans le cadre de ma thèse, je fais une étude sur des innovations durables développées par des PME. En d'autres termes, je cherche à savoir comment les PME parviennent avec des partenaires de natures différentes à développer des produits ou services économiquement rentables et respectant des exigences sociales et fou environnementales tout en étant innovants.
Dans cet entretien qui se veut une discussion ouverte, vous aurez à me raconter · l'histoire du projet qui a conduit à la réalisation de l'innovation en question. Je pourrais aussi vous poser quelques questions pour me permettre d'approfondir certains points importants. l'aimerais également savoir si vous n'avez pas d'opposition à ce que l'entretien soit enregistré afin d'optimiser la collecte d'informations et de mieux préparer l'analyse. Les résultats de cette analyse serviront pour ma thèse de doctorat. Ils pourraient aussi servir de fondements à la réalisation d'articles scientifiques.
Pour assurer la confidentialité, les noms ne seront pas évoqués et les données seront sous clés à l'Université du Québec à Trois-Rivières.
292
2. Questionnaire d'entretien
2.3 Questionnaire de préambule
Thème
Le répondant
L'entreprise
Le développement durable
Les innovations
L'équipe chargée du projet d'ID
Exemples de questions
- Quelles études avez-vous faites et quels sont les postes occupés auparavant?
- Comment êtes-vous arrivé au poste actuel? - Quelles sont vos expériences dans le poste occupé
actuellement?
- Comment l'entreprise a été créée ? - Comment l'activité de l' entreprise a évolué avec le temps? - Comment votre travail a évolué avec le temps? - Travaillez-vous avec d'autres organisations? Des exemples. - Quelles relations avez-vous avec ces organisations?
- Comment avez-vous été influencé par le DD ? - Par qui? Des exemples. - À quOI étiez-vous sensibles dans la question du DD ?
Pourquoi? _
- L'innovation a-t-elle une importance pour votre entreprise? Pourquoi?
- Quels sont les innovations que vous possédez? - Qui a eu l'idée de ces innovations? - En quoi ces innovations sont différentes les unes des autres? - En quoi vos produits intègrent-il la durabilité comme
mentionné sur votre site Internet?
- y -a-t-il une équipe chargé du projet d'ID? - Qui sont ces membres? (Nom, formation, expériences) - Que fait chacun dans le projet? - Quelles sont leur fonction dans l' entreprise
293
3 Questionnaire portant sur l'innovation durable et son processus
} ..
1 Questions de dépài-t Th,ètue Sujets Exemplés de sous-questions ...
- Qui était présent dans le projet? J'aimerais que vous - Quel était le rôle de chacun dans le projet?
L'histoire de me racontiez l'histoire - Le projet devait-il répondre à des critères? l'innovation Faits saillants et qui a conduit à ce Pourquoi? Lesquelles? durable ou principaux projet (ou à la du projet évènements réalisation de cette ID) - Comment ces critères ont-ils été élaborés?
d' ID en me précisant si - Qui était au courant du projet?
possible les dates. - Qu'est-ce que chacun a apporté dans le projet?
- Etc.
- Dans quel secteur d'activité évolue votre entreprise?
J'aimerais savoir ce - Qui sont vos concurrents? Le processus Facteurs externes
qui a poussé votre Y -a-t-il des règlementations dans votre secteur d'ID: les et internes
-contextes Enjeux de DD
entreprise à se lancer ou dans votre activité? Lesquelles? dans ce projet d' ID. - Comment les percevez-vous?
- Quelles sont les atouts de votre entreprise?
- Etc.
- Quelles étaient les contributions de chacun dans
Les acteurs J'aimerais que vous le projet?
Le processus Les intérêts
me parliez des - Attendait-il quelque chose en retour? d' ID: les
Les propose et personnes ou des
y -avait-il des incompréhensions? acteurs organisations qui -
interprétations participent à ce projet. - Sur quoi portaient ces incompréhensions?
- Etc.
- Pourquoi et comment avez-vous établi des relations avec cette personne (ou cette organisation) ?
Le contenu des - Comment les incompréhensions ont-elles été
relations J'aimerais que vous surmontées?
Le processus Les me parliez de vos - Où se tiennent vos rencontres? relations avec les
d' ID: les confrontations personnes ou les - Avez-vous apporté des changements dans le
relations Les organisations qui fonctionnement de l'équipe? Lesquels?
arrangements participent à ce projet. Pourquoi?
collectifs - y -avait-il des modifications apportées au projet? Lesquelles?
- Qui a apporté ces changements? Pourquoi
- Etc.
4 Conclusion
Monsieur [Nom du dirigeant], notre premier entretien finit ici et je vous remercie de votre aimable contribution. Je répondrai avec plaisir à vos questions. Je tiens à vous informer que les informations de cette entrevue seront retranscrites et vous en recevrez une copie afin de valider son contenu.
ANNEXEB
LETTRE D'INFORMATION
Invitation à participer à un projet de recherche
AKA, Kadia Georges Département des sciences de la gestion Doctorat en administration des affaires (DB A)
295
Ce projet de recherche s'inscrit dans le cadre d'une thèse de doctorat s'effectuant à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Les renseignements donnés dans cette lettre d'information visent à vous aider à comprendre exactement ce qu'implique votre participation à cette recherche. Nous vous demandons donc de la lire attentivement et si vous êtes d'accord de signer le formulairè de consentement joint. Vous pouvez poser toutes les questions que vous souhaitez avant de donner votre accord ou après l'avoir fait. Votre participation à ce projet de recherche sera grandement appréciée.
Objectifs de la recherche
Dans le cadre de cette recherche, nous souhaitons étudier des projets en cours, réalisés récemment ou sur le point de l'être par des organisations désirant intégrer le développement durable (DD) dans leur gestion. Ces projets visent à concevoir des innovations environnementales ou durables, c'est-à-dire des procédés, des produits, des services ou des modes d'affaires ou d'organisation destinés à réduire leurs impacts environnementaux et sociaux négatifs tout en assurant leur rentabilité économique. Ainsi nous voulons mieux documenter le travail que vous effectuez en tant que dirigeant pour produire vos innovations durables.
Rôle du participant
Votre participation à ce projet de recherche consiste à :
1. Me fournir la documentation permettant de mieux connaître votre entreprise et surtout son innovation durable ou son projet d'innovation durable;
2. Me permettre d'être présent lors de certaines rencontres internes et externes portant sur votre projet d'innovation durable;
3. M'accorder des entretiens (entre Ih et Ih 30) sur différents thèmes afin de bien comprendre comment les innovations durables ont été réalisées. Nous prévoyons des entretiens avec a) le dirigeant principal de l'entreprise, b) des membres de l'équipe chargée du projet d'innovation durable (par exemple le responsable de la R&D, de la production ou la personne responsable des questions de développement durable), et c) avec certains acteurs externes
296
impliqués dans votre projet tels qu 'un client, un fournisseur, un organisme de soutien, etc.) ;
4. Éventuellement, accepter de répondre à des questionnaires au cours du projet de recherche et de valider certains documents dont le contenu aura été réalisé avec votre participation.
L'objectif est d'avoir les récits et de comprendre les points de vue venant de personnes différentes, mais importantes dans le projet d'innovation durable afm de mieux le documenter dans ses aspects liés à la gestion des r~lations (dialogues, négociations, confrontations, collaborations, mobilisations, etc.). Il faut préciser que les entretiens peuvent avoir lieu à différents moments (pas le même jour) selon la disponibilité des personnes.
Risques, inconvénients, inconforts
Aucun risque n ' est associé à votre participation. Le temps consacré au projet, soit
environ une ou deux années, demeure le seul inconvénient.
Bénéfices
Les bénéfices prévus à votre participation sont les suivants:
1. Les résultats de cette recherche permettront de développer des modèles pratiques de gestion des innovations durables.
2. Une documentation retraçant l' histoire de votre projet sera élaborée et mise à votre disposition pour fin de mémoire.
3. La recherche se déroule avec le soutien du laboratoire DD-PME (de l' Institut de recherche sur les PME de l' UQTR). Celui-ci se forge une expertise en matière de conseil auprès des PME dans la démarche permettant de réaliser des innovations durables et, en général, d'engagement dans le DD. Votre entreprise peut bénéficier de conseils et des connaissances sur les bonnes pratiques en matière de DD et d'innovation durable.
Aucune compensation d ' ordre monétaire n ' est accordée.
Confidentialité
Les données recueillies par cette étude sont entièrement confidentielles et ne pourront
en aucun cas mener à votre identification. Votre confidentialité sera assuréepar des
codes alphabétiques et des noms fictifs. Les résultats de la recherche, qui pourront
être diffusés sous forme de thèse, d' articles et de communications, ne permettront pas
d'identifier les participants.
297
Les données recueillies (documentation, notes de journal de bord, enregistrements) seront conservées sous clé à l'Université du Québec à Trois-Rivières et les seules personnes qui y auront accès seront le chercheur principal, c'est-à-dire, Aka Kadia Georges. Elles seront détruites au bout de quatre années à compter de la date de recueil des premières données et ne seront pas utilisées à d' autres [ms que celles décrites dans le présent document. Les entrevues transcrites par écrit seront détruites au bout de huit années puisqu'elles peuvent faire l'objet d'une utilisation ultérieure dans le cadre d'une éventuelle vulgarisation des résultats de cette recherche (articles scientifiques et communications).
Participation volontaire
Votre participation à cette étude se fait sur une base volontaire. Vous êtes entièrement libre de participer ou non et de vous retirer en tout temps sans préjudice et sans avoir à fournir d'explications.
Le chercheur se réserve aussi la possibilité de retirer un participant en lui fournissant des explications sur cette décision.
Responsable de la recherche
Le responsable de la recherche et le chercheur principal est Aka Kadia Georges. Pour obtenir de plus amples renseignements ou pour toute question concernant ce projet de recherche, vous pouvez communiquer avec ce dernier au téléphone: (819) 690-6444 ou (819) 376-5011 poste 4292, et au courriel : [email protected]
Question ou plainte concernant l'éthique de la recherche Cette recherche est approuvée parle comité d'éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université du Québec à Trois-Rivières et un certificat portant le numéro CER-12-185-07-03.01 a été émis jusqu'au 18 novembre 2013.
Pour toute question ou plainte d'ordre éthique concernant cette recherche, vous devez communiquer avec la secrétaire du comité d'éthique de la recherche de l'Université du Québec à Trois-Rivières, Mme Martine Tremblay, par téléphone (819) 376-5011 , poste 2136 ou par courrier électronique [email protected].
ANNEXEC .
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
299
Engagement du chercheur:
Moi, AKA Kadia Georges m'engage à procéder à cette étude conformément à toutes les normes éthiques qui s'appliquent aux projets comportant la participation de sujets humains.
Consentement du participant:
Je, .............. , confirme avoir lu et compris la lettre d'information au sujet du projet « La construction sociale des innovations durables dans les PME». J'ai bien saisi les conditions, les risques et les bienfaits [si tel est le cas] éventuels de ma participation. On a répondu à toutes mes questions à mon entière satisfaction. J'ai disposé de suffisamment de temps pour réfléchir à ma décision de participer ou non à cette recherche. Je comprends que ma participation est entièrement volontaire et que je peux décider de me retirer en tout temps, sans aucun préjudice.
J'accepte donc librement de participer à ce projet de recherche
Participante ou participant, parent ou tuteur :
Signature:
Nom:
Date:
Chercheuse ou chercheur :
Signature:
Nom:
Date:
ANNEXED
MODÈLES DE COURRIER ÉLECTRONIQUE
301
Modèle 1 de courrier électronique
Objet: Sollicitation pour une participation à un projet de recherche
Bonjour madame/monsieur (Nom du destinataire)
Nous nous sommes rencontrés lors du . ..... Je vous avais manifesté mon intérêt de discuter avec vous de vos innovations environnementales. Vous m'avez dit que vous seriez aussi intéressé(e) en me laissant votre carte d'affaires. Je prends donc contact avec vous pour voir dans quelle mesure nous pourrions concrétiser cette démarche qui s'inscrit dans le cadre de ma thèse de doctorat à l'Université du Québec à TroisRivières.
En effet, j'étudie des innovations environnementales, responsables ou durables, c'està-dire des procédés technologiques, des produits, des services ou des modèles d'affaires ou d'organisation destinés à réduire leurs impacts environnementaux et sociaux négatifs tout en assurant leur rentabilité économique. Mon objectif est de comprendre comment vous êtes parvenu avec différents acteurs à développer l'innovation en question.
Votre participation à ce projet de recherche consiste pour l'essentiel à m'accorder des entretiens (entre 1h et 1h 30) sur différents aspects du processus d'innovation. Cela pourra se réaliser aux périodes qui vous conviennent le mieux. Les entretiens peuvent se faire par téléphone ou en face-à-face, et sont enregistrés pour me faciliter l'analyse. Ma recherche bénéficie d'un certificat d'éthique qui assure la confidentialité sur les personnes, les organisations, et sur les données qui seront recueillies, ainsi que du soutien du laboratoire de recherche sur le DD en contexte de PME de l'Université du Québec à Trois-Rivières.
En espérant que vous accepteriez de participer à cette recherche, je me tiens à votre disposition pour des informations complémentaires et détaillées.
Bien à vous.
Kadia Georges AKA
302
Modèle 2 de courrier électronique
Bonjour madame/monsieur
J'ai obtenu votre contact grâce à [Nom d'une institution]. Votre entreprise est présentée comme un leader en matière d'innovation et de développement durable au Québec. C'est pourquoi j'ai un intérêt à étudier l'une de vos innovations durables: [Description de l'innovation]. Mon objectif est de comprendre comment votre entreprise est parvenue avec différents acteurs à développer cette innovation durable. Il s'agit en fait de comprendre l'histoire du projet qui vous conduit à celle-ci.
En effet, dans le cadre de ma thèse de doctorat à l'Université du Québec à TroisRivières, j'étudie des innovations environnementales, responsables ou durables, c'està-dire des technologies, des produits, des services ou des modèles d'affaires ou d'organisation destinés à réduire des impacts environnementaux et sociaux négatifs tout en assurant leur rentabilité économique. Je prends donc contact avec vous pour voir dans quelle mesure vous seriez d'accord à m'aider dans cette étude. Cette recherche est soutenue par le Laboratoire Développement Durable - PME de l'Institut de recherche sur les PME de ladite université.
La participation de votre entreprise à ce projet de recherche consiste pour l'essentiel à m'accorder des entretiens (entre Ih et Ih 30) sur différents aspects du processus ayant conduit à la réalisation de cette innovation. Cela pourra se réaliser aux périodes qui conviennent le mieux. Les entretiens se feront avec des acteurs internes (et externes éventuellement) qui ont été impliqués dans la réalisation de cette innovation durable, soit par téléphone soit en face-à-face. Ma recherche bénéficie d'un certificat d'éthique qui assure la confidentialité sur les personnes, les organisations, et sur les données qui seront recueillies.
En espérant que vous accepteriez de participer à cette recherche qui souhaite, à travers les résultats attendus, contribuer au développement des entreprises du Québec et du Canada en matière d'innovations durables, je me tiens à votre disposition pour des informations complémentaires et détaillées.
Bien à vous.
Kadia Georges AKA
ANNEXEE
DOCUMENTS PUBLICS POUR CHAQUE CAS D'ID
304
CAS ID-l
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
Ça roule pour la technologie québécoise 8 mai 2013 Étienne Laberge 24 heures Montréal 2
10-1 , la bicyclette de l'avenir? 17 juillet 2002 Allard, Marie La Presse 3
Les courtiers à vélo Multi-Prèts Icr mai2013 Multi-Prêts http://fr- 2 sont de retour pour une Hypothèques ca. finance. yahoo. com/actual i deuxième saison! tes/les-courtiers
[ ... ] dessinera des voitures de métro pour 21 août 2002 Madeleine Guay La Presse 3 l'Asie
10-1 a trouvé son marché 12juin 2013 Frédéric Desjardins L' Éclaireur - Progrès 2
ID-I prend la route 8 mai 2013 - Métro (Montréal) 2
Le vélo électrique 10-1 , un bijou 7 mai 2013 - Canada NewsWire 2 technologique québécois
Le vélo électrique, 10-1 , sur les routes du 19 avril 2013 Isabelle Le Maléfan Québec Hebdo 2 Québec
Le vélo lD-I fait sa première traversée 17 octobre 2012 - L'Éclaireur-Progrès 2 canadienne
Le vélo ID-I traverse le pays 17 octobre 2012 Frédéric Desjardins Le Journal de Québec 2
[ ... ] présente [ID-I] (MC), un vélo électrique 19 février 2012 - Marketwire 3 révolutionnaire développé et assemblé au Québec: La parfaite symbiose entre votre énergie et celle de l'électricité
[ ... ] lance lD-I 20 avril 2013 Kevin Dubé Le Journal de Québec 2
Le lD-I a trouvé son marché - Un été chaud 12juin 2013 - L'Hebdo Régional (Beauce, 3 attend les [ ... ] QC)
Déjà une bonne présence à [ . . . ] et [ . . . ] : Un 4 juillet 2012 Frédéric Desjardins L'Éclaireur-Progrès (St- 2 premier vélo électrique 1 OO%québécois et [ .. . ] Georges, QC)
Une bicyclette électrique créée et assemblée dans [ ... ] :Un vélo 100 % québécois
2 juillet 2012 Frédéric Desjardins Le Journal de Montréal 2
Un vélo électrique «made in» Beauce 4 juillet 2012 Pierre Saucier TC-Média 24(27) 3
Un vélo électrique beauceron 20 avril 2013 Marie-Pier Duplessis Le Soleil - Affaires 2
Un vélo électrique repensé: [D-I fait son 18 février 2012 Gilbert Leduc Le Soleil - Affaires 3 entrée sur le marché québécois après trois ans et demi de travail
Une nouvelle race de vélo est née 13 juillet 2002 Dansereau, Suzanne Les Affaires -Entreprendre 2 Avec 10-1 , le Groupe Procycle de Beauce veut faire une percée internationale
Une propulsion québécoise 25 mai 2013 Benjan1in Bourque Le Journal de Montréal 2
Rechargé en 1 heure : Vélo électrique made in 7 mai 2013 - TV A interactif 2 Québec
305
CAS ID-2
Titre du document Date Auteur Lien de parution Page
1520 kilos de déchets électroniques 9 mai 2013 - L'Express d'Outremont 2 récupérés dans les [ ... ] 20( 19)
Planète verte environnement 26 novembre 20 12 - Le Journal de Montréal 2 Comment se débarrasser de ses DEEE ?
Environnement : Côte-des-Neiges vire au 29 avril 20 13 - Métro (Montréal) 2 vert
[ ... ] est une PME montréalaise qui vo it Octobre 20 13 Mathieu Régnier Novae 2 grand
[ ... ] : la PME qui veut vos vieux téléphones 30 mai 20 13 Jean-François Codère La Presse Affaires (s ite web) 3
[ ... ] : nouveau joueur en recyclage 22 novembre 20 12 Vanessa Hauguel Novae 2 électronique
Electrobac: nouveau joueur en recyclage 20 novembre 20 12 - Novae 3 électronique
La PME qui veut vos vieux téléphones 30 mai 20 13 Jean-François Codère La Presse+ 3
Le défi de l'entrepreneuriat 14 mars 2013 - L'Express d'Outremont, 3 ISe édition du Concours québécois en 20( 11 ) entrepreneuriat
Bacs de récupération [ .. ] 13 avril 2013 - TV A interactif 1 Plus d'une tonne et demie de déchets ramassée
Recycler l'électron ique 15 novembre 20 12 M. J.-F. L'Express de Mont-l3-oyal, 1 9(44)
Three recyclers tell what they do and why 26 juillet 20 13 Jeff Heinrich The Gazette 4
Recyclage: Un bac pour les objets 23 août 20 13 - Courrier Ahuntsic, 39(33) 2 électroniques au collège Ahuntsic
Un bac intelligent pour les déchets 6 avril 2013 Anne Gaignaire Les Affaires 2 électroniques
Cas ID-3
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
[ ... ] receive IGBC green business 14 mars 20 13 Institute for green Institute for green business 1 certi fication business certification certification
306
Cas ID-4
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
Prêt à entreprend re 12 septembre 20 13 Martine Letarte La Presse 2
[ ... j : Un ADN vert 12j uin 20 13 Vice prés ident 3e Colloque IDP 13
" Ça a été comme un coup de foudre" 1" décembre 2007 Pierre Théroux Les Affaires 3 [ ... ]. L'entreprise mise sur les produits bio.
Construire une usine ou continuer de 10 mai 2008 Marc Gosselin Les Affaires 3 sous-traiter. Le défi. [ ... j, de Montréal , doit décider si elle prendra les rênes de sa production
Deux prix pour [ .. . j 15 juillet 2007 - Affaires -.Progrès Villeray, 2 73(10)
Du bio dans la trousse de maquillage 28 mars 20 13 Annie Lafrance Le Soleil 2
Les biocosmétiques et les [. .j sont une 14 j u i n 20 1 1 - La Moisson 2 révélation
Le succès de [. .j souligné 15 mai 20 13 - 24 heures Montréal 2
[ ... j, une patronne pas comme les autres 28 octobre 2013 Emilie Laperrière La Presse 3
Mlle tout le monde: la femme derrière 2013 Géraldine Zaccaardelli Boutique Biosphere 5 Zorah biocosmétiques
«Naturel» n'est pas une certification! 19 octobre 2010 Ève Dumas Cyberpresse 2
Produits cosmétiques bio : bientôt un 17 juin 20 13 Boualem Hadjouti GaïaPresse 3 référentiel privé québécois
[ ... ], présidente de [ ... j : 23 décembre 2008 Pelletier-Legros, Métro (Montréal) 3 Quand cosmétique rime avec éthique Marie-Luce
Vidéo: le défi de [ ... j n'est pas la 2 mai 2008 Marc Gosselin LesAffaires 2 production
[ ... j finaliste 20 mai 2007 - Le Progrès Villeray, 73(2) 2 Concours québécois en entrepreneuriat
[ ... j remporte un Prix Desjardins 1 décembre 2009 - Nouvelles Hochelaga- 2 Entrepreneurs Maisonneuve, 2(48)
[ .. . jmultiplie les petits pots de crème de 19 novembre 20 II Marie Lyan Les Affaires No: 42 3 façon équitable
[ ... j s'envole 26 juin 2007 - Les A ffa ires 2
Quand le développement durable change 29 mai 20 10 - Les Affaires - Cahier spécial 3 la façon de faire des affaires: [ ... j Des petits pots remplis de crème équitable
[ ... j 29 mai 20 10 Anne-Marie Tremblay Les A ffa ires 2
307
Cas ID-5
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
Creating with cardboard reshaped sculptor's 26 novembre 20 13 Paul Delean The Gazette 1 world
Des créateurs à survei ller 25 mai 20 12 Marie-France Léger Maison Lapresse 2
Le design d'art à Zenith 26 mai 20 12 Alexandra Perron La Presse 3
[ ... ] : Mobi lier réinventé 28 mai 20 12 - L'anvers du decor 5
Tout en carton 18 août 20 12 Julie Lapointe Le Journal de Québec 2
308
Cas ID-6
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
806610 $ pour [ ... ] 14 av ri 1 201 0 - La Voix du Sud 49( 15) 2
Appui financier en Chaudière-Appalaches 8 avril 2010 - Canada NewsWire 3 [ ... ]
Autre déversement de plastique dans la 18 septembre - La Voix du Sud 2 rivière aux Billots 2004
Beauceville reçoit 9,5 M$ en 12 décembre 2012 Mathieu Galameau L'Éclaireur - Progres 3 investissements
Une bonne partie des efforts de récupération 21 octobre 2010 Dany Doucet Le Journal de Montréal 3 des Québécois se retrouve aux sites d'enfouissement
Et notre empreinte écologique? 21 octobre 2010 Dany Doucet Le Journal de Montréal 2
Industrie du plastique: La concurrence 8 octobre 2005 Joncas, Hugo Les Affa ires 3 chinoise se fait de plus en plus forte . C'est comme acheteur de résines que la Chine inquiète le plus les producteurs québécois
La fin d'une époque chez [ ... ] 13 octobre 2010 Leduc, Gilbert Le Soleil 3
Les recycle urs convoitent les pancartes 5 novembre 2005 Joncas, Hugo Les Affaires 3 électorales - Les partis politiques ont cependant pris peu de mesures pour les faire parvenir à ces entreprises
Les résines recyclées sont de plus en plus 8 octobre 2005 Joncas, Hugo Les Affaires 3 populaires - Même si leur prix augmente inexorablement à cause de la hausse du coût de la matière première
Ottawa accorde 275500 $ à [ ... ] 25 février 20 Il André Poulin Québec Hebdo (site web) 2
Plus de 110 nouveaux emplois à Beauceville 15 décembre 2012 Luce Dallaire Le Soleil 3
Pourquoi est-il,impossible de fabriquer ces 22 octobre 2010 Dany Doucet Journal de Montréal 2 bacs bleus avec du plastique recyclé
Près de 8 millions investis chez Recyc RPM 2 novembre 201 1 Éric Gourde La Voix du Sud, 50(45) 2
[ ... ] devra se conformer 9 octobre 2004 - La Voix du Sud 2 Le ministère de l'Environnement passe aux actes pour enrayer les déversements illicites dans la rivière des Billots
[ ... ] s'implantera en sol [. .] 20 novembre 2012 Serge Lamontagne L'Éclaireur - Progrès 2
309
Cas ID-7
Titre du document Date Auteur Lieu de parution Page
Trois PME de J'industrie chimique sont 28 juin 2003 - Les Affaires 1 honorées
La passion et l'anticipation : deux 12juin 20 13 V.-P. Innovation et 3E colloque IDP 25 ingrédients ind ispensables pour faire lever DD l' innovation durable
[ ... ] : Créer un monde plus vert 20 mars 20 13 Pierre Turbis Le Courrier du Sud 2
La légionellose fait deux autres morts à 20 août 20 12 Pierre Pel chat Le soleil 2 Québec
Entretien d'une tour d'eau: une tâche 20 septembre 201 2 Annie Mathieu Le soleil 2 complexe
Légionellose à Québec. Le bilan s'alourdit 28 août 20 12 - TVA interactif 3
Légionellose: des édi fices publics non testés 2 octobre 20 12 Matthieu Boivin Le soleil 2
Légionellose: l'entretien des tours de 16 janvier 20 13 Matthieu Boivin Le soleil 2 refroidissement sera règlementé
Légionellose: peu de ri sques à Saint-Jean 5 septembre 20 12 - L'Écho de Saint-Jean 2
Chimie innovante: [ .. . ] devance les règles Il février 20 12 Patrick Bellerose Les Affaires, no. No: 6 2
Légionellose à Québec: Pas de tests 20 septembre 20 12 - TVA interactif 3 préventifs au Complexe Jacques-Cartier
[ ... ] - Grande gagnante du Prix Innovation 22 novembre 20 Il - Canada NewsWire 1 Chimie Verte
Quebec officiaIs fight deadly outbreak 28 août 20 12 - CTV News 2
Crise de la légionellose - [ ... ] en appelle aux 19 septembre 20 12 - Canada NewsWire 2 autorités à de meilleures pratiques d'entretien et de dépistage
Prix PerforrnAS 2009 - Le ministre Clément 30 octobre 2009 - Canada NewsWire 1 Gignac applaudit le travail de l'entreprise [ ... ]
Éclosion de légionellose 21 septembre 20 12 Mathieu Boivin Le Soleil 1 Une procédure courante, selon un expert
ANNEXEF
RAPPORT PARTIEL DE LA RÉSIDENCE EN ENTREPRISE
311
INTRODUCTION
L'objectif général de la résidence en entreprise est de valider ou de reformuler
la problématique de recherche sur le terrain, c'est-à-dire, comment les innovations
durables sont socialement construites dans les PME? Plus précisément, elle devrait
consister à :
A. reconstituer les processus d'affaires utilisées par l'entreprise étudiée dans
l'initiation, la mise en œuvre et/ou la finalisation de ses projets d'innovations
durables;
B. identifier la problématique managériale vécue par cette entreprise;
C. valider ou reformuler la problématique de recherche, le cadre théorique et la
méthodologie de recherche qui en découlent.
Cela dit, dans ce qui suit, il sera présenté un rapport de cette résidence en trois
sections. Dans la section 1, nous ferons une présentation de l'entreprise étudiée tout
en dévoilant son projet d'innovation durable. Dans la section 2, nous nous attèlerons à
analyser les aspects de la conception, de la mise en place et éventuellement de la
finalisation de ce projet tout en faisant ressortir la problématique que vit l'entreprise.
Il ne s'agit pas dans cette section de faire un exercice théorique qui devrait permettre
de vérifier des théories ou de les faire émerger. C'est pourquoi nous allons
volontairement écarter les concepts théoriques pour conserver le caractère empirique
de cette section. Par exemple, tout au long des sections 1 et 2, nous n'utiliserons pas
le terme « innovation durable » mais celui utilisée par le dirigeant, « innovation
verte ». C'est dans la section 3 que nous ferons un exercice de vérification de
l'appareillage théorique et méthodologique précédemment proposé. L'objectif est
d'apprécier leur pertinence dans la perspective d'une utilisation à l'étape de la thèse
proprement dite. Nous finirons par une conclusion. Il faut préciser que chaque section
de ce rapport de résidence (en dehors de la section 3) sera abondamment illustrée par
des extraits d'entrevue.
312
1. PRÉSENT ATION DE L'ENTREPRISE ÉTUDIÉE
1.1. Historique de l'entreprise
Créée en 2002, RD est une jeune PME de moins de 50 employés spécialisée
dans le recyclage et la valorisation énergétique. Après une période
d'expérimentations de 2002 à 2005 , l' entreprise a réussi à mettre en place un modèle
d'affaires qui lui permet de détourner des matières résiduelles spécifiques des sites
d'enfouissement auxquels elles sont destinées. Pour ce faire, la PME va transformer
ces matières résiduelles en granules pour la fabrication de différents produits et les
valoriser en produisant de l'énergie.
Cette PME évolue dans un domaine particulier par le fait qu 'aucune entreprise
en Amérique du Nord ne fait jusque-là une mise en valeur de cette matière résiduelle
bien que les besoins et la demande existent. Selon son président: '
L' idée ou le modèle d'affaires a été bâti sur un besoin, une demande qui était là. Par contre, il n'y avait aucune solution encore disponible et il n'y avait pas d'équipement qui pouvait permettre de réaliser l'objectif de l'entrepreneur. L' entrepreneur avait une idée, par contre il ne savait pas la finalité, le jour 1 de la création. L' information qu' il avait en ce moment-là, c'est qu' il y a des gisements de volumes de matières disponibles et il y a une opportunité d'affaire. Outre cela, il est dans le néant au niveau technologique et, au niveau faisabilité, il n'y a pas d' informations.
À partir de 2005 , en axant défmitivement toute sa stratégie sur l' innovation et
le développement durable, RD a ainsi réussi à multiplier son chiffre d'affaires par
quatre en trois ans. En 2007, l'entreprise a collaboré avec un organisme (EVC) qui lui
a permis d'utiliser d' autres types de matières résiduelles non standards comme
matières premières. Tous ces efforts ont été reconnus et récompensés officiellement
par des organismes au Québec. En 2009, RD a obtenu le prestigieux prix de la PME
innovante. Ce prix est attribué à une entreprise possédant une culture d'innovation
basée sur une ouverture aux idées nouvelles, la créativité et une connexion étroite
avec les partenaires d'affaires. De plus, récemment en 2010, le prix de l' innovation
313
verte lui a été décerné.
L'entreprise RD est donc une PME orientée vers le développement durable et
qui possède des innovations. Nous en voulons pour preuve toutes ces reconnaissances
officielles. Ces innovations ont été réalisées avec un ensemble de partenaires avec
lesquels la PME est en étroite relation. Mieux encore, ces innovations sont qualifiées
de vertes. Cela voudrait dire que RD réussit à créer un lien entre le développement
durable et l' innovation. Tout ceci suscite plusieurs interrogations. Par exemple, on
pourrait se demander: Comment RD intègre les aspects économiques, sociaux et
environnementaux du DD dans son modèle d' affaires qu' elle qualifie de
« synergique» ? Comment RD parvient à initier et finaliser ces innovations vertes ?
Comment RD établit des relations avec ses partenaires et quelles en sont les
conditions et la finalité ? Pour le moment, contentons-nous de répondre à celle-ci :
Quelle est la vision de l'innovation, du développement durable et de l'innovation
verte de RD?
1.2. L'innovation chez RD
Pour l'entreprise RD, l'objectif premier est de réduire le taux d ' enfouissement
ou le volume de matières résiduelles enfoui. À partir de ce moment, le défi pour cette
PME est à la fois technologique, environnemental et évidemment financier. En clair,
RD doit trouver des gisements de matières résiduelles qui ont le plus fort potentiel de
recyclage et de mise en valeur énergétique. Elle cherche à développer une technologie
qui permet de réaliser cette mise en valeur. Dans ce sens, pour RD :
L'innovation passe par l'identification d'un gisement, et à partir de cela, quelles sont les technologies qu'on doit soit développer ou adapter et, quelle est la mise en valeur ou la valeur ajoutée qu'on peut donner au produit en fonction d 'un besoin du marché.[ ... ] Ce n'est pas nécessaire le fait qu ' on ait des matières qui sont potentiellement récupérables et technologiquement transformables, il faut se questionner au niveau du marché. Entre les deux, il faut aussi s'intéresser fortement à notre capacité humaine et financière à mettre en place les différents projets. Donc, est-ce qu' on a les ressources
314
humaines, est-ce qu'on a les ressources techniques et au-delà de ça, est-ce qu'on a les moyens financiers de mettre à maturité un projet et de l'amener jusqu'à sa rentabilité.
À travers ces propos, il faut observer que l' innovation pour RD est un
processus complexe qui commence par l'identification d'une idée et s'achève par
l'exploitation réussie de cette dernière. L'innovation est aussi un processus qui va
exiger des ressources aussi bien internes qu'externes, matérielles qu'immatérielles.
Cela voudrait dire que cette entreprise devra certainement mobiliser des partenaires
internes et externes. Nous comprenons que tout ceci suscite des questionnements:
Qui sont les partenaires que RD va mobiliser? Quels sont leurs enjeux, leur intérêts?
Comment RD et ses partenaires parviennent à se comprendre pour mettre en place des
projets? Nous obtiendrons certainement des réponses dans la suite de ce rapport.
Intéressons-nous pour l' instant à la vision du développement durable de RD.
1.3. Le développement durable chez RD
Le fait pour RD d'être dans un domaine proche du développement durable ne
semble pas suffisant pour justifier toute sa conviction en la matière. Dans le processus
de recyclage des matières résiduelles, la PME va au-delà de la règlementation (qui
n'est d'ailleurs pas adaptée à la réalité selon RD) en matière de développement
durable dans son secteur. Le témoignage du président de RD suffirait à comprendre
cette démarche :
Ce qu'il mentionne dans les documents et dans les publications, c'est que pour atteindre une réduction, il faut dans un premier temps réduire à la source. Ça c'est le premier objectif: est-ce qu'on peut réduire à la source le volume de matières résiduelles? Dans certains cas c'est possible, dans d'autres cas non. Après, on se questionne: est-ce que la matière résiduelle a un potentiel de réemploi, de réutilisation. C'est une deuxième option dans sa forme actuelle. Et, troisièmement: est-ce que la matière dans le cas où on n'est pas capable de réduire à la source, on n' a pas de possibilité de réemploi, est-ce qu'on peut recycler la matière pour lui en donner une seconde vie. Finalement, si on ne peut pas recycler la matière pour lui donner une seconde vie, est-ce qu' il y a une possibilité qu'on la valorise au niveau de la production de l'énergie? Si
315
on n'obtient pas encore de résultat probant à ce niveau-là, le dernier choix est de les envoyer dans un site d' enfouissement. Nous, nous allons nous attarder sur son cheminement vers le site d' enfouissement. S' il chemine vers le site d' enfouissement, il n' y a personne encore à ce jour qui ait trouvé une possibilité de soit le recycler, soit de le valoriser. Il y a toute une chaîne de questionnements, de mise en valeur, de schématisation qui nous amène à un processus décisionnel sur une matière résiduelle pour lui donner un autre chemin que l' élimination. L'amener dans un premier temps au recyclage qui est un des produits à plus forte valeur ajoutée. Le reste de la matière qui n'est pas recyclable va être envoyé vers une valorisation énergétique.
Avec l'entreprise RD, nous sommes bien en face d' une PME qui fait du
développement durable une question centrale dans son modèle d'affaires. Ceci, à un
point tel que l' entreprise valorise ses matières résiduelles qui permettent de produire
de l' énergie qualifiée de « propre » à travers des technologies tout aussi « propres » et
de contribuer au volet social:
À l' élimination et à l' enfouissement on va créer du méthane et il y a beaucoup de gaz à effets de serres et peu d'énergie. On peut mettre des puits pour capter le méthane et faire un peu de gaz, mais les gains sont minimes et c'est très marginal. Tandis que dans une technologie où l'on va avoir une centrale thermique consommant des déchets qui iraient à l' enfouissement et est capable de respecter les émissions de C02 qui sont très contraignantes et qui (les déchets) brûlent à haute température produisant des cendres qui sont déclassées et peuvent servir d' engrais à la limite, en ce moment-là c'est une technologie propre. On a amélioré la finalité du produit. On compare avec l' enfouissement versus une centrale thermique qui va produire de l' énergie et éliminer les déchets et qui n' émettra pas ou peu d'émanation. [Par ailleurs] , il yale volet social. On fait travailler des gens beaucoup plus et [ ... ] on va installer dans leur région une unité de production d'énergie thermique qui va permettre de produire de la valeur à 50% du coût de n ' importe quel autre combustible. Cela va permettre l' attraction d' industriels dans leur région.
Cela dit, cet engagement dans le développement durable et son intégration dans les pratiques de gestion de la PME suscitent une interrogation: l' intégration des pratiques de DD dans la gestion de la PME répond-elle à l'exploitation d'opportunité d' affaires et/ou est-elle la matérialisation des convictions profondes du dirigeant ? Avant de répondre plus tard à cette question, il faut observer que RD réussit à
produire des innovations vertes.
316
1.4. La vision de l'innovation et du développement durable chez RD
Les visions de l' innovation et du développement durable chez RD ne sont pas
à considérer isolément. Bien qu'étant dans un domaine sensible aux questions de
développement durable, la PME s'est voulue cohérente par rapport à ses pratiques de
gestion. En clair, la PME ne se contente pas de récupérer et de valoriser des matières
résiduelles spécifiques à fort potentiel de mise en valeur. Elle est convaincue qu'il
faut détourner ces matières de leur destination ultime, c'est-à-dire de l'enfouissement
(de « berceau au tombeau »), pour leur accorder une seconde vie. Nous sommes donc
dans une logique de « berceau au berceau ». Pour cette PME, il est possible de
contribuer au développement durable tout en innovant et tout en étant
économiquement rentable:
Le prix de l' innovation verte, c' est pour reconnaître les efforts marqués d'une entreprise à promouvoir le développement durable (environnemental, social et économique). On ne peut pas penser (et il faut oublier la vertu) qu' on va faire du développement durable sans qu'économiquement on rentabilise les opérations. [ ... ] Nous, notre modèle d'affaires on veut le reproduire dans d'autres endroits dans le monde. Le concept est rattaché à une pérennité et cette dernière passe par le volet économique. Le prix innovation verte est le lien entre l' environnement, le social et l' économique qui fait en sorte de classer une entreprise à un niveau de reconnaissance. Une innovation verte sans mise en marché ou sans rentabilité n'est pas une innovation verte. Ça reste une idée, un concept. Ce n'est pas une innovation qu'à mon avis on peut appeler une réussite s' il n'y a pas de mise en marché et s' il n'y a pas une rentabilité en bout de ligne. On peut avoir une innovation « tout court » dans un modèle de développement durable. Mais si l' innovation fait partie prenante d'un concept de développement durable, on peut y associé le mot « vert ». Si c'est une innovation dans une entreprise manufacturière fabricant du meuble, ce n'est nécessairement une innovation verte. Si c' est une innovation dans une compagnie de meuble qui prend du bois recyclé pour faire ses meubles, làje la considèrerais comme une innovation verte. Associé au recyclage, à la réduction à la source, à la réduction des gaz à effets de serres donc, tout ce qui touche le modèle développement durable. Et si l' innovation fait en sorte de promouvoir les effets bénéfiques du développement durable, on peut dire que c'est une innovation verte.
317
L' entreprise RD matérialise sa vision de l' innovation et du développement durable
dans ses pratiques de gestion: cela s'appelle pour elle faire de l' innovation verte.
Pour preuve, elle a initié et tente de mettre en œuvre et de finaliser son projet
d' innovation verte.
1.5. Le projet d'innovation verte de RD
Rappelons que l'objectif principal de RD est de réduire le taux
d'enfouissement des matières résiduelles par le recyclage et la valorisation
énergétique. Pour arriver à ses fins, RD a décidé de mettre en place un processus
innovant28, épine dorsale de son projet d' innovation verte. Son dirigeant explique ce
processus et les conditions de sa conception:
Le modèle d'affaires est basé sur une mise en valeur qui est la plus optimale possible des différentes matières qu'on traite. Ça été un peu intuitif, basé sur notre expérience, mais aussi basé sur le gros bon sens parce que l'objectif ultime est de réduire le taux d'enfouissement des matières résiduelles et de créer une valeur. Donc, on va toujours se questionner lorsqu'on développe un produit ou que l'on recherche une matière à l'intrant. Pour nous, si c'est une matière qui était vouée à l' élimination et à l'enfouissement, on essaie de la soustraire de là pour la ramener dans le recyclage. Dans ce cas-ci, on oublie la réutilisation et le réemploi [ ... ]. Par contre, l'option recyclage a souvent été négligée faute de technologies et faute de marchés ou de récurrence en volume. La finalité c'est ça: on veut réduire l'enfouissement et créer une valeur. Pour cela, on s'est questionné: « par où faut-il passer? ». Il faut passer par les besoins du marché et par le développement technologique. Il y a une mise en valeur primaire que j ' appelle la valorisation énergétique. Cela nous permet de récupérer des volumes ou des masses critiques importantes et d'avoir le marché où la demande est beaucoup plus grande que l'offre. Sachant qu'en bout de ligne nos produits sont potentiellement valorisables au niveau de la production d'énergie, tout le volume excédentaire pour lequel on n'a pas de technologie ou de marché pour donner une valeur ajoutée est utilisé comme combustible faucille. Mais, il faut aller chercher les déchets de caoutchouc soit chez les consommateurs: c'est de la post-consommation. Il y a aussi de la post-production avec des entreprises privées qui elles ont le choix entre les envoyer chez nous pour faire de la mise en valeur ou les envoyer à
28Par souci de confidentialité, nous ne déclinerons pas le nom de ce processus
318
l' enfouissement. Ça c'est la base de notre processus. Donc, le modèle d'affaires est basé sur le respect des étapes de ce processus que je vous ai résumées. Ce processus nous préoccupe car il nous dOlme une belle image corporative et des opportunités d' affaires.
À travers ces propos, plusieurs points importants sont à relever. Premièrement,
l'idée du projet vient d'un organisme public qui a défini le processus. Cette définition
a été opérationnaliser et mise en œuvre par RD certainement en collaboration avec ce
dernier et d'autres acteurs. Deuxièmement, le point crucial du processus reste la
teclmologie qui est en construction. Troisièmement, l'aspect innovant du projet réside
dans le fait que la PME cherche à donner une nouvelle vie (( du berceau au
berceau ») à des matières résiduelles dans un domaine quasiment novateur pour des
besoins et une demande existantes. Ce faisant, elle apporte une solution à des
problèmes existants.
Nous comprenons que le projet de la PME renferme des caractéristiques d'une
innovation qui, de plus, est verte. Mieux encore, ce projet est la source d' autres
innovations vertes de la PME: les aires de jeux et les espaces d' entraînements faits de
matières recyclées. Bref, cela nous pousse donc à nous intéresser aux conditions dans
lesquelles ces innovations vertes sont produites et singulièrement le processus de RD.
En conclusion, cette présentation du cas RD pourrait convaincre de ce que
cette PME est orientée vers le développement durable, est innovante et réussit sur la
base de ces deux enjeux à produire des innovations vertes. Cependant, une question
se dégage de cette orientation : Est-ce une problématique pour cette PME de savoir
comment produire des innovations vertes. Notre rencontre avec les dirigeants de cette
entreprise montre que le processus qu' ils ont mis en place est en cours
d'expérimentation, de construction et comporte beaucoup d' incertitudes et de
complexité. Ces derniers nous laissent croire que le véritable défi pour eux est de
savoir: Comment mettre définitivement en place une teclmologie « propre » qui
permet de valoriser les matières résiduelles de façon économiquement rentable ?
Comme le souligne le dirigeant, la PME s' investit beaucoup à rechercher des
319
partenaires qui lui permettront d'atteindre cet objectif:
[ ... ] On avait de notre côté dressé un tableau de tous les différents intervenants externes qui pouvaient apporter une valeur ajoutée au développement de l'entreprise. Donc, le réseautage est très important chez RD. On a toujours été très à l'affût de ce qui se passe ailleurs au Québec, au Canada et dans le monde. On s'est promené beaucoup, on a fait des foires. Ça nous a permis de rester à niveau et de toujours être up-to-date sur les nouvelles technologies. Donc, autant les nouvelles technologies que les différents réseaux, nous permettent d'aller chercher de l'expertise. L'entreprise a toujours et encore aujourd'hui la philosophie est qu'on ne peut pas être des champions dans toutes les activités de l'entreprise. Que ce soit en ressources humaines, en finance, en production, il y a des spécialistes dans chacun des domaines. Le réseau a été bâti en fonction d'aller chercher le meilleur de tous et de chacun et de bien identifier dans une cartographie qui peut intervenir, à quel moment et pour quel besoin.
Pour analyser la problématique que vit l'entreprise RD, nous allons analyser dans la
section suivante les aspects du processus qui donnent naissance aux innovations
vertes.
2. ANALYSE DES ASPECTS DU PROCESSUS D'INNOVATION VERTE
L'analyse de la problématique de terrain (celle de RD) s'est faite dans une
logique de reconstitution des faits dans l'espace, le temps et le mouvement. Il ne
s'agit pas ici de valider des concepts à priori mais de reconstituer des bouts de
l'histoire de la construction d'un projet d'innovation verte. Pour ce faire,
premièrement, nous allons identifier les acteurs impliqués. Deuxièmement, le
processus et les contextes dans lesquels ces acteurs ont sans doute établi des
relations29, seront analysés. Troisièmement, nous tenterons de comprendre les
arguments mis en avant par ces acteurs dans l'établissement de leur relation. Et
finalement, nous allons décrire le processus qui leur a permis éventuellement de se
29 Les termes « échange », « relation », « sollicitation» ou « partenariat» sont ceux utilisés par le dirigeant. Dans ce sens, nous nous contenterons de les utiliser pour éviter de prêter des mots au répondant ayant d' autres sens. Dans la section 3, nous aurons l'occasion d' interpréter le sens de ces mots dans le but de leur attribuer à juste titre des concepts plus stables au regard de notre cadre théorique.
320
comprendre (ou non) pour arriver à établir des relations stables (ou non). Dans un
esprit de confidentialité, il faut préciser que tous les acronymes utilisés sont fictifs.
2.1. Les acteurs impliqués
Plusieurs acteurs de natures différentes sont impliqués avec RD dans divers
aspects de son projet d' innovation tel qu' identifié précédemment. Il est possible de
distinguer les acteurs publics des acteurs privés. Les acteurs publics sont des
institutions et organismes publics québécois et fédéraux. Les acteurs privés sont des
entreprises pour la majorité hors du Canada mais qui ont pour certaines une
représentation nationale. Ce sont aussi des réseaux professionnels auxquels appartient
le dirigeant principal de la PME.
2.1.1. Les acteurs publics
Les acteurs publics ont chacun des mandats d' intervention auprès des usagers
(individus, organisations) qui les sollicitent. Par exemple, les institutions publiques
ont pour objectifs de faire respecter la règlementation propre à leur zone
d'intervention ou d'apporter un soutien matériel ou immatériel aux entreprises.
Essentiellement, quatre institutions interviennent. L'une (DDM) a pour objectif de
faire respecter la règlementation en matière environnementale. L'autre (DEM) a pour
mandat d'apporter un soutien en matière d'innovation et de développement sous
forme d'aide financière ou matérielle. La troisième (MUN) est un ensemble
d' institutions (des municipalités) qui représente en fait une source d'opportunités
pour RD dans le sens où elle peut lui accorder des mandats ou des marchés dans le
cadre de sa mission de développement local. Finalement, CDE une institution qui
apporte un appui soit technologique, soit financier :
Il y a beaucoup d'aides au niveau du DEM qui a apporté son soutien soit technique, mais principalement encore là financier dans certains projets qui étaient spécifiques. Il y a aussi CDE au niveau du financement qui est encore
321
très présent dans notre dossier et, DDM, naturellement notre projet est en lien avec eux.
Les organismes publics quant à eux interviennent pour appOlier leur soutien
selon leur domaine d'expertise essentiellement technique et technologique. QCR est
spécialisé dans la recherche et l' innovation. QRE intervient dans le domaine du
recyclage. EVC est spécialisé dans la mise en place de pratiques d'affaires
respectueuses du développement durable. TTC se préoccupe du transfert de
technologie entre organisations.
2.1.2. Les acteurs privés
Les entreprises privées, quant à elles, ont des objectifs commerciaux et/ou
technologiques. Ainsi, XFI est une entreprise européenne qui possède une
technologie de production d'énergie à partir de déchets qu'elle souhaite
commercialiser. C'est le cas pour VKO (multinationale australienne) et EPO
(entreprise polonaise) qui ont développé respectivement une technologie « propre »
de production d'énergie et une technologie de broyage de matières résiduelles. Il faut
noter que RD est en relation avec ces entreprises étrangères dont les pays ont une
avancée technologique dans le domaine du recyclage et de la valorisation
énergétique. Certaines possèdent donc des technologies qui semblent plus « matures »
ou « propres ».
À côté de ces entreprises, RD est aussi en relation avec des partenaires
financiers dont l'objectif concerne essentiellement le financement. Par ailleurs, le
dirigeant de RD est un membre important de certains réseaux professionnels qui ont
des activités de promotion et de développement de réseautage :
Il y a tout l'ensemble des partenaires financiers qui ont participé à notre projet. C'est certain qu'à un moment donné, il faut aller voir des gens qui sont prêts à prendre de plus grand risques, soit sous forme de débentures ou de capital de risque . . C'est sûr que quand tu as un appui financier, cela te permet
322
de faire des choses, de faire bouger des choses. Donc c' est point crucial. Tu peux avoir le plus beau projet mais si tu n ' as pas la capacité financière de le réaliser, tu ne l ' amèneras pas à maturité.
Dans le cadre de nos différents réseaux, moi, je suis président d'un comité qui est un créneau d 'excellence au Québec. Dans le cadre de certaines activités pour lesquelles on a fait du réseautage, il y avait des rencontres interentreprises et des maillages qui étaient annoncés.
En somme, plusieurs éléments sont à retenir de cette identification des acteurs.
Premièrement, RD entretient des relations constantes avec plusieurs de ces acteurs,
surtout avec les institutions et organismes publics. À cet effet, l' entreprise est très
dépendante de certains d'entre eux comme celui chargé de faire respecter la
règlementation environnementale. Cependant, nous comprendrons que les acteurs
financiers restent aussi incontournables. Deuxièmement, les objectifs poursuivis par
ces acteurs sont multiples allant de l' économie au social en passant par
l'environnement, la technologie et la législation. Troisièmement, chacun de ces
acteurs intervient à différents niveaux du projet d'innovation de RD. Au total, il serait
donc intéressant de voir comment RD parvient à naviguer entre les objectifs multiples
de ces acteurs qui renferment certainement des intérêts divergents. Pour analyser cela,
nous proposons dans le point qui suit d' analyser le processus et les contextes dans
lesquels tous ces acteurs établissent des relations (y compris RD).
2.2. Processus et contextes d'établissement des relations
L'idée du projet d'innovation verte de RD comporte un processus qui en est
l'épine dorsale. Ce processus avait été défini par QRE, un organisme public dont
l'objectif, rappelons-le, est de promouvoir le recyclage. L' entreprise RD s'en est
inspirée selon son dirigeant et avec l' expérience et du « bon sens », elle est passée du
concept à son opérationnalisation. C'est justement l'opérationnalisation de ce
processus qui a nécessité la mobilisation de plusieurs acteurs essentiellement aux
niveaux économique, technologique, environnemental et social. Selon le dirigeant, le
processus reste en construction bien qu' il fonctionne mais de façon non optimale.
323
Cette situation serait due à des facteurs contextuels qui rendent complexe la
finalisation des échanges ou la stabilité de la collaboration avec les différents acteurs.
Déjà, il est possible d'observer deux positions d'échange et deux types de
relation. Position d'échange et type de relation semblent liés. Ainsi, une position de
domination adoptée par un acteur coïncide avec une relation de type gagnant-perdant.
La position de coopération correspond à une relation de type gagnant-gagnant.
Comment expliquez cela?
2.2.1. Processus d'établissement des relations
L'échange prend diverses formes selon la nature des acteurs impliqués. Avec
des acteurs publics tels que les institutions (CDE, DEM, MUN) le processus est
formel et universel à toutes les organisations. L'échange débute par un processus de
soumission dont l'issue permet à l'entreprise de poursuivre ou non les relations avec
l'institution. Cependant avec DDM, la démarche est différente puisque cette
institution a pour mandat de faire respecter la règlementation environnementale. Elle
a donc un pouvoir coercitif:
Dans le cas de CDE, on présente un projet qui va être évalué sur son potentiel de création d'emplois et son potentiel de développement technologique. Donc, à partir du moment où la documentation peut faire la démonstration hors de tout doute de l'atteinte des objectifs, du plan d'action, etc., ces gens-là vont participer sans l'ombre d'un doute.
Par contre l'échange est complexe et spécifique avec des acteurs comme les
organismes et les entreprises privées comme le souligne le dirigeant:
Comment cela s'est passé avec QCR ? Premièrement, on a eu un appel téléphonique. Par la suite, il y a eu une validation du degré d'avancement technologique. Ensuite, on a essayé de voir si les gens ont la capacité de nous aider à aller plus loin dans notre développement. Si c'est oui, quelles sont les conditions pour qu'un mandat puisse nous être octroyé. Au niveau de TTC, c'est le même principe qu'avec le QCR. C'est sous forme de mandat
324
spécifique. On va solliciter leur participation dans des projets pour des besoins très techniques et très spécifiques à une activité qui est une portion de la chaîne de valeur de RD.
Il est donc possible d'observer deux styles de relation: une relation rigide
avec des étapes et des conditions à respecter (p. ex. : soumission d'un projet ou mise
en place de la règlementation environnementale) et une relation souple, spécifique à
chaque acteur. Lorsqu'on essaie de croiser la position d'échange ou le type de
relation, cela peut donner une idée du contexte dans lequel certains acteurs
collaborent avec RD.
Par exemple avec DDM ou XFI qui ont une volonté de domination dans les
échanges, les relations ont été plus difficiles pour l'un ou se sont estompées pour
l'autre. Cela voudrait dire qu'au-delà du processus d'établissement des relations, il
faudrait tenir compte des facteurs contextuels. Il est possible d'identifier des
contraintes et des opportunités liées au contexte externe de l'entreprise et un
ensemble de déterminants liés au contexte interne.
2.2.2. Contextes d'établissement des relations
La principale opportunité vient du fait que RD exerce dans un domaine où il
n'y a quasiment pas de concurrence mais dans lequel il existe des besoins et une
demande au Québec. Dès lors, elle devient l'interlocuteur privilégié de plusieurs
acteurs intéressés par ce secteur :
Je vous dirais avec le recul, entre 2000 et 2010, il faut penser que bâtir un modèle de développement durable rentable économiquement (et c'est mon avis) est (sans dire que c'est simple) beaucoup plus facile aujourd'hui en 2010 qu'en 2000. Ceci, parce que la conscience sociale, l'image verte, les nouvelles normes ISO 1464 qui obligent les entreprises à faire de la mise en valeur avec leurs déchets, favorisent le développement des entreprises comme la nôtre. J'aurai voulu faire la même démarche en 2000. Le cadre réglementaire n'était pas assez fort, la perception de la population n'était pas assez présente et
325
l'importance de recycler ne l'était pas autant qu' aujourd'hui. Donc, cela aurait été beaucoup plus difficile. Alors qu'aujourd 'hui cela nous favorise
Dans le même temps, RD fait face à des contraintes structurelles liées surtout
à la règlementation en matière environnementale imposée par DDM qui est
« inadaptée » selon son dirigeant. Ce sont des freins pour RD lorsque vient le moment
d'échanger avec des acteurs intéressés. Ces contraintes structurelles sont mises à
l'épreuve par la technologie que RD est en train de mettre en place. Ceci en raison de
ce que la règlementation environnementale est en déphasage avec l'évolution
technologique :
Il faut que tout ce qui est règlementations et législations soit adapté en fonction des besoins et de la croissance des entreprises qui sont dans le développement durable. On fonctionne sur des vieilles, des anciennes règles qui sont de la législation qui n'est plus à jour alors qu'aujourd'hui on a les nouvelles technologies qui font en sorte que la législation doit changer. Il faut avoir la participation de ces acteurs-là dans le projet sinon tu es bloqué par des règlementations qui t'empêchent d' avancer.
Cette situation contraignante s'aggrave lorsque dans la mise en œuvre du
projet, l' entreprise RD est confrontée au manque d'échange entre DEM et DDM
(deux institutions publiques). Cela a pour effet de bloquer la bonne marche du projet:
DEM et DDM doivent se parler, mais ne le font pas ou très peu. Ils ne veulent pas faire d'ingérence dans l'un ou l'autre. Et ça, moi, je l'ai vécu et ça a occasionné beaucoup d' imbroglio. Même l' année dernière, on a fait une demande d'augmentation de capacités de production qui tardait depuis 24 mois et n'aboutissait pas. C'est après études sur études et beaucoup d'investissement en argent et en temps, avec une intervention politique de deux personnalités qu'une autorisation a été émise. Donc, c' est deux ans d'acharnement. On aurait pu baisser les bras bien avant.
En définitive, il faut observer que DDM à un pouvoir de domination sur RD
en raison de ce qu'elle lui impose ses objectifs, c'est-à-dire le respect unilatéral de la
règlementation environnementale. Cette position donne l' impression d'une relation
« gagnant-perdant » dans laquelle RD doit se plier à la règlementation sinon elle
326
pourrait subir des pertes. D'ailleurs cela pose aujourd'hui d'énormes difficultés à RD
dans le développement de son projet:
L' aspect règlementation/législation en matière de développement durable a un impact au niveau des délais en ce qui concerne RD. Cela occasionne des délais imbus qui vont faire en sorte de retarder le projet parce que ça peut prendre 6 mois, 1 an ou 2 ans. Pendant cette période, il y a une certaine variable qu'on ne contrôle pas. Si on prévoit dans notre modèle d' affaires d'être à 1 an et que ça prend 2 ans, cela coûte quoi de plus d'attendre 1 an ? Qu'est-ce que je fais de mes déchets pendant ce temps, si j ' avais prévu que dans 1 an, je débutais mes activités? Donc ces incertitudes au niveau de l' aspect règlementation /législation et délais de production des permis créent des freins, des barrières à l' entrée, des résistances. Les gens envoyés par DDM nous le disent clairement « nous, notre rôle c'est d'émettre des permis et que les entreprises respectent les normes et la règlementation. Mais nous, on n'est pas là pour promouvoir le recyclage et l' industrie ».
Cependant, avec DEM, la relation semble se faire dans une logique « gagnant
gagnant » dans laquelle DEM échange avec RD.
Au-delà des contraintes et opportunités structurelles extérieures à RD, le
contexte interne d'échange retarde ou accélère la mise en œuvre du projet. C'est ainsi
que le partenariat entre RD et XFI a échoué en raison de ce que les bases de ce
partenariat ainsi que les enjeux respectifs étaient différents et divergents. En fait, XFI
semble vouloir dominer RD en profitant des avantages qu'elle pourrait lui offrir dans
une relation somme toute « gagnant-perdant » :
Notre modèle d'affaires est basé sur la fourniture de matières pour fin de production d'énergie. Notre préoccupation était principalement d'avoir une technologie à maturité (( propre »), qui a fait ses preuves, qui est fiable et qui donne des résultats prometteurs. XFI avait une technologie qui n'était pas encore à maturité et son intérêt était de promouvoir son développement en Amérique du Nord, d'avoir peu d'efforts à faire ou d' investissements et de s'associer avec une entreprise qui elle est déjà présente, a une certaine réputation et connaît bien le marché. Alors son avantage était principalement à ce niveau-là. Et finalement, je vais vous dire que XFI avait plus d'avantages que RD. Lui, étant sur le marché boursier, l' annonce d'un partenariat avec RD et la visibilité que cela lui donnait faisaient en sorte de donner un booste à son
327
titre. Mais en bout de ligne, il reste qu'ils nous ont vendu une technologie qui était presqu'à maturité ou en devenir et qu'après deux ans on se rend compte que cela n'a pas fonctionné. Nous, on n'avait plus de temps et d'énergie à mettre avec eux.
Par contre avec d'autres acteurs comme VKO ou EPO, la « collaboration »30
s'est faite sur des bases communes, en clair, une référence commune: le
développement d'une technologie respectueuse du développement durable (ou
« propre »), économiquement rentable et technologiquement fiable:
On a contacté les représentants en Amérique du Nord de VKO. On leur a fait savoir notre intérêt à développer, à collaborer avec eux et voir de quelle façon on pourrait travailler ensemble, de quelle façon on pouvait sécuriser notre projet avec eux. On a développé une alliance stratégique et un partenariat à ce niveau-là qui permet maintenant à RD de faire des projets en utilisant leur technologie. Cette alliance a été développée en deux volets sur une période d'à peu près 18 mois parce qu'il faut voir la technologie, après il faut transposer le modèle d'affaires et valider le marché potentiel : quelle est la perception de la clientèle par rapport à cette technologie-là? Est-ce qu'elle peut être reconnue comme technologie propre ? Pour nous c'est très important parce qu'en étant reconnu comme tec~ologie ou énergie propre, cela nous amène à nous positionner sur le marché du carbone. Donc cela fait partie du projet de l'entreprise de développer des technologies qui permettent de générer des crédits de gaz à effets de serres qui éventuellement seront vendus sur le marché organisé et volontaire. On a voulu aller plus loin dans la démarche pour faire quelque chose de plus solide entre les deux sociétés.
En définitive, nous comprenons que les échanges dans lesquelles la position
recherchée par un acteur est dominante, la relation est de type gagnant-perdant et très
souvent vouée à l'échec ou freine le développement du projet d'innovation de RD. Ce
type de relation est donc instable. Cependant dans un type de relation gagnant
gagnant la relation est stable et se perpétue comme nous le confie le dirigeant dans
ses « négociations» avec QCR et d'autres « partenaires» :
Entre nous et nos partenaires, il y a des approches toujours assez ouvertes où chacune des parties va évaluer ses bénéfices de participer ou non à un projet.
30 C'est le terme utilisé par le dirigeant
328
Et moi, je suis plus en processus de négociation où les deux parties vont trouver leur compte et vont gagner à travailler ensemble. On est dans une relation win-win.
À partir du moment où on avait des incertitudes et qu'on n'avait pas le niveau de connaissances, on est allé chercher de l'aide à l'externe pour combler le gap ou le manque d'expertise qu'on avait dans notre équipe interne. Ça été des relations très cordiales avec QCR où les deux parties étaient gagnantes (winwin) dans le sens où on donne un mandat, on a des livrables et QCR livre selon les besoins déterminés, spécifiés de l' entreprise.
Pour mieux comprendre les positions prises par chaque acteur, il serait intéressant
d'analyser les arguments que chacun avance pour défendre ses intérêts ou sa position.
2.3. Les arguments des acteurs
Les échanges avec différents acteurs impliqués dans le projet d' innovation de
RD donnent l'occasion d'analyser les arguments avancés par chacun à différents
niveaux du projet. Nous porterons notre analyse aux niveaux technologique
(technique), environnemental (développement durable) et économique (financier)
bien que les volets social et légal existent.
Le niveau technologique du projet d' innovation fait appel à des acteurs
comme QCR et TTC deux organismes publics québécois orientés vers la recherche et
le transfert de technologie et, VKO et EPO deux entreprises qui partagent leur
technologie avec RD. Par exemple, à travers des propos de son dirigeant, il semble
que RD et QCR ont tôt fait de s'entendre sur un principe qui devrait guider leur
négociation ou leur relation : la réduction du taux d'enfouissement grâce à une
technologie :
Dans le cas de QCR, c'était naturel qu' ils interviennent au niveau technologique parce qu' ils avaient déjà travaillé sur des projets de recyclage. L'objectif premier, c'est de réduire le taux d'enfouissement ou le volume de matières résiduelles qui est enfoui. Ce qui nous intéresse beaucoup plus ce sont des matières qui vont vers l' enfouissement. Et, c'est de là que vient notre relation avec QCR.On voulait aller vers un processus de vulcanisation. QCR
329
avait déjà travaillé sur des projets similaires pendant quelques années et un des points cruciaux est qu' ils nous ont dit: « aujourd'hui, on est rendu à l'étape où on peut, hors de tout doute, déterminer qu'un procédé de vulcanisation avec [notre matière résiduelle spécifique] recyclée est possible à faire ». Et cela nous a permis de prendre des décisions sur le développement futur et des investissements futurs qu'on n'aurait pas pris si on n'avait pas pu avoir plus d' informations assez solides à ce niveau pour renforcer notre base de connaissances.
Certains arguments avancés par les deux organismes publics mettaient en évidence
les termes «réduction », «technique », « performance », faisant penser à la
rationalité à laquelle adhère RD. Alors que DDM utilisait les termes « respect »,
« règlementation », «norme », faisant appel à la légalité que RD conçoit de façon
différente. C'est peut-être pourquoi la relation entre DDM et RD a toujours été
problématique. Ceci en raison de ce que RD pense que la règlementation devrait
s'adapter à l'évolution technologique et donc avoir une certaine flexibilité:
[ ... ] Les gens envoyés par DDM nous le disent clairement « nous, notre rôle c'est d' émettre des permis et que les entreprises respectent les normes et la règlementation. Mais nous, on n'est pas là pour promouvoir le recyclage et l'industrie.
Au niveau environnemental, les relations entre RD et les acteurs impliqués
comme EVC, QRE et certaines municipalités (MUN) sont stables et se consolident.
Ils utilisent les mêmes arguments et partagent ensemble le même principe:
Le processus a été mis en place au prime abord par QRE. QRE a défini le processus. Le « comment » l'appliquer, ce n'est pas QRE qui l'a décidé. Ce que QRE dit ou propose ou la vision de QRE, c'est de réduire le taux d'enfouissement des matières résiduelles. Ce qu' il mentionne dans les documents et dans les publications, c'est que pour atteindre une réduction, il faut dans un premier temps réduire à la source.
Avec EVC, nous étions en train de qualifier nos [matières résiduelles spécifiques]. Il fallait qualifier ces matières-là pour être capable de faire les produits qui nous seraient demandés par des clients. Donc, EVC nous a permis de cibler ce produit-là et de continuer dans notre recherche. Cela nous a
330
apporté des solutions et c'est très important au niveau de la performance de notre entreprise d'avoir participé et d' avoir eu cette aide.
A vec MUN, il Y al ' argument du développement durable : réduire le taux d' enfouissement. Les collectivités ont des objectifs à atteindre au niveau de la quantité de matières qui est envoyée à l' enfouissement ; ils doivent réduire constamment le volume. Alors nous sommes une solution de réduction de volume. Deuxièmement, il yale volet social. On fait travailler des gens beaucoup plus et troisièmement, on va installer dans leur région une unité de production d' énergie thermique qui va permettre de produire de la valeur à 50% du coût de n'importe quel autre combustible. Et cela va permettre l'attraction d' industriels dans leur région. Donc, quand on présente le concept dans une région, ce sont les points qu'on fait valoir.
À ce niveau, nous constatons que les acteurs ont des préoccupations pour
l' environnement ou le développement durable telles que: empêcher l' enfouissement
des déchets (souci pour l ' environnement), qualifier la matière résiduelle (transparence
et traçabilité), installer des unités de production d'énergie thermique (énergie propre).
Ils préconisent la mise en place de pratiques respectueuses du développement
durable. Leurs arguments auxquels adhère RD vont aussi dans le même sens.
Avec les acteurs financiers, les arguments avancés sont plutôt marchands et
orientés vers la recherche du prix, de la valeur marchande, du profit. Cela montre que
nous sommes bien dans une logique de rentabilité :
Avec les financiers, c'est plus rationnel. On parle de ratios financiers, de gestion de risques. Ce qu' il faut démontrer à nos partenaires, dans un premier temps, est-ce qu'on a l' équipe, est-ce qu'on a le management pour amener à maturité le projet. Dans un deuxième temps, quels sont les risques fmanciers que le projet va encourir durant sa phase de mise en place ; donc quelles seront la rentabilité et la finalité du projet à terme. Au niveau de la contingence, est-ce qu'on a un degré d' assurance assez élevé pour satisfaire et sécuriser notre partenaire financier. Je pense que tout ça repose dans la préparation et l'argumentation du projet.
En somme, à travers ces quelques propos du dirigeant de RD, nous pouvons
nous rendre compte que, lorsque les acteurs ne partagent un principe commun ou les
mêmes arguments, la relation s' effrite. C' est le cas de XFI dont la technologie en
331
réalité n' était pas mature et fiable. XFI était guidé par la recherche de profit au lieu de
collaborer à améliorer cette technologie comme RD l' a fait avec EPO et VKO. Pis
encore, il semble que XFI avait un dessein inavoué. Cependant, comment ces acteurs
qui, tout de même, décident d' établir « librement » des relations finissent par se
séparer, éprouvent de la difficulté dans leur relation ou réussissent à collaborer ?
Nous pensons qu' il est possible d' aller chercher quelques explications au niveau de la
compréhension des enjeux, des intérêts que les acteurs ont les uns des autres. C'est ce
que nous essaierons d' analyser dans le point suivant.
2.4. La compréhension entre les acteurs
Analyser, comment les acteurs impliqués dans le projet d' innovation de RD
parviennent à se comprendre, reviendrait d' abord à identifier la problématique qui
englobe les différents intérêts et enjeux en présence ou à décrire ce qui les fait
converger. Puisque c'est le projet de RD qui fait appel à la collaboration des acteurs,
il va s' en dire que c' est la problématique que vit l'entreprise qui les mobilise.
Cependant, pour que cela soit ainsi, cette problématique serait mieux partagée si elle
prenait en compte leurs préoccupations.
2.4.1. La problématique de RD
La problématique de RD est la mise en place d'une technologie « propre »
économiquement rentable permettant de faire du recyclage et de la valorisation
énergétique à partir de matières résiduelles spécifiques (que nous ne pouvons nommer
ici pour éviter qu'on reconnaisse l' entreprise). Cette problématique renferme deux
points essentiels. Premièrement, il y a l' enjeu de l'innovation (technologique) en
raison de ce que dans ce domaine récent au Québec, il n' existe pratiquement aucune
solution. Cet enjeu, comme nous l' avons précédemment mis en évidence, intéresse
plusieurs acteurs dont QCR, CDE, DEM, TTC, VKO et EPO. Deuxièmement, il y a
l' enjeu du développement durable dans lequel se reconnaît QRE, EVC, DDM et
332
MUN. C'est ainsi que le projet d' innovation verte de RD fait converger tous ces
acteurs.
Cependant, jusqu'à ce jour, RD n'a pas encore finalisé ce projet en raison de
difficultés d'ordre technologique, légal et environnemental, trois défis interreliés. En
fait , c'est la technologie qui se trouve être le point crucial entre la règlementation et
l' environnement: la technologie se veut propre tout étant confrontée à des contraintes
légales. On pourrait remarquer que pour RD, le problème ne se trouve pas dans les
échanges entre les acteurs humains, c'est plutôt au niveau technologique que se pose
un problème de compréhension:
Vous comprendrez que notre préoccupation est principalement d'avoir une technologie à maturité [c'est-à-dire propre ou respectueuse du développement durable], qui a fait ses preuves, qui est fiable et qui donne des résultats prometteurs. On a toujours poursuivi notre recherche de partenaires qui ont des technologies propres au niveau de la production de l' énergie. Nous en sommes venus à rencontrer différentes entreprises, environ une vingtaine d'entreprises différentes qui ont des technologies de production d'énergies à certain niveau. Les points cruciaux ne sont pas d'ordre humain, ils sont plus d'ordre technologique. Le fait que des organismes et entreprises externes aient certaines technologies même à petite échelle, ça nous permet de valider des hypothèses et d'éviter que l'entreprise aille dans un tourbillon où elle avance très peu et que son développement en soit très victime.
Actuellement les efforts sont principalement consacrés à la mise en place de pratiques d'affaires qui sont en corrélation ou en règle avec la règlementationllégislation. Dans certains cas, la règlementationllégislation au Québec qui est gérée par DDM date de plusieurs années. Et n'étant pas actualisée, le développement du modèle d'affaires est souvent freiné ou met des barrières au modèle d'affaires parce que la règlementation n'est pas adaptée à nos pratiques. Alors, nous devons nous adapter à une règlementation qui est parfois désuète et parfois incohérente avec le développement économique. Si vous me parlez d'embûches ou de choses qui peuvent ralentir le projet et à la limite pourrait le mettre en péril ou mettre en péril même l' idée de l' entrepreneur, c' est souvent l'incohérence entre la législationlrèglementation versus le développement économique d'un modèle d'affaires durable. Par exemple, le stockage, l' entreposage de matières, le volume dont on a besoin pour nos pratiques et les coûts d' investissement reliés au volet règlementation peuvent être parfois plus importants que le coût d'acquisition de certains actifs de production. C'est une problématique qu'on
333
vit actuellement. C'est à mon avis, le volet environnement « pur » de l'entreprise qui est le plus demandant ou le plus exigeant.
À l'époque, le fait de faire voyager les déchets sur 200 à 300 km ce n'était pas important. Donc, on faisait de grosses unités et les déchets arrivaient de partout. Maintenant avec les émissions de GES, les coûts de transport, le coût du pétrole, avec tout ce qui a évolué depuis les vingt dernières années, on pense à faire de plus petits projets à proximité des gisements et de créer des projets sociaux dans de petites régions. C'est ce qui n'existait pas et c'est ça la beauté de notre projet. Nous, c'est là-dessus qu'on table, qu'on travaille.
Nous sommes d'avis que tous les acteurs convergent vers une problématique
bien identifiée et non encore résolue. L' innovation et le développement durable sont
deux enjeux bien ancrés dans le projet d'innovation verte de RD. C'est ce que la PME
tente de construire avec des acteurs aux intérêts différents faute surtout de
connaissances technologiques, de savoir-faire en matière de DD et de ressources
financières. Dès lors, il conviendrait d' analyser les investissements consentis par
chacun des acteurs dans la relation avec RD. Ce faisant, nous pourrons mIeux
apprécier leur degré d'adhésion au problème managérial que vit l' entreprise.
2.4.2. Les investissements consentis
Différentes ressources matérielles et immatérielles ont été mobilisées pour
faciliter l'établissement des relations entre les acteurs et la conduite du projet. Les
investissements immatériels prennent la forme de documentation, d' informations, de
connaissances et d'expertises consentis surtout par les organismes comme QCR et
TTC (connaissances technologiques et en innovation), QRE et EVC (savoir-faire en
matière de DD), mais aussi par les entreprises telles que VKO et EPO (savoir-faire
technologique). Les investissements matériels portent sur l'aide au financement ou à
l'acquisition d'actifs de production. Les institutions comme DEM et CDE y ont
contribué :
On a eu du soutien de CDE et de DEM qui a contribué sur un programme d'aide au financement d'acquisition d'actifs d'une entreprise.
334
D'autres types d' investissements plus politiques, en personne ou en temps ont été
aussi consentis surtout par l' entreprise RD :
L'année dernière, on a fait une demande d'augmentation de capacités de production qui tardait depuis 24 mois et n'aboutissait pas. C'est après études sur études et beaucoup d' investissement en argent et en temps, avec une intervention politique par des personnalités, que le volet permis régional a émis mon certificat d'autorisation.
On s'est déplacé physiquement pour aller voir et toucher la technologie qui fonctionne depuis 25 ans déjà. Cela nous a intéressés. On a contacté les représentants en Amérique du Nord et on leur a fait savoir notre intérêt à développer, à collaborer avec eux et voir de quelle façon on pourrait travailler ensemble.
Nos valeurs sont un gain de réduction de gaz à effets de serres. Alors, il n'y avait pas de preneur et il nous fallait en ce moment-là éduquer, sensibiliser, expliquer à des clients potentiels quel était leur gain, leur avantage à utiliser nos produits. Donc, ça a été au tout début un concours, je ne dirai pas de séduction mais, d'explications très techniques sur les gains monétaires, de crédits de gaz à effets de serres.
Notre projet est quand même sur du long terme. Par exemple analyser un projet d' installation d'une centrale thermique peut s' échelonner sur à peu près trois ans. Les études de préfaisabilité et de faisabilité, après tu as tout le volet social où il faut sécuriser la population, lui expliquer.
Au total, ce sont des investissements de diverses formes qui ont été consentis
ou mobilisés pour apporter des solutions à la problématique managériale de RD. Tous
les acteurs semblaient s'accorder sur le fait qu' il faille investir dans le projet
d' innovation verte de RD. RD aurait pu se contenter d'une technologie non mature
comme celle de XFI à la place d'une technologie mature ou « propre » comme celle
de VKO. La PME aurait pu aussi se contenter de respecter la règlementation en
matière de DD édictée par DDM sans en faire plus comme le souligne son dirigeant.
Ces investissements ont été faits parce que l'entreprise à travers ses dirigeants a sans
doute la conviction que produire une innovation verte est un passage obligé vers le
développement durable et la rentabilité. Pour preuve, à la question de savoir, qu'est-
335
ce qui est exigeant dans ce projet d' innovation verte et pourquoi la PME ne s'est pas
contentée d'une innovation « tout court », le dirigeant a tenu les propos suivants:
L' image corporative, la perception des gens, l' accessibilité au financement seraient probablement réduites. On n'aurait pas le gain innovation aussi fort parce que le gain réduction de gaz à effets (GES) de serres ne serait plus présent, le gain réduction de l'enfouissement ne serait plus présent et on n'aurait pas le gain économique de la réduction de GES. Et s' il n'y avait pas de règlementation ou du moins s' il y en avait moins au niveau de l' enfouissement, on n'existerait tout simplement pas, parce que toutes les matières qu'on récupère iraient à l'enfouissement. Et économiquement, s'il n'y avait pas de barrières à l' entrée au niveau de l'environnement et que les gens qui récupèrent, mes entreprises partenaires, n'auraient pas de gain markéting, de gain image verte parce qu' ils recyclent. Ils n'auraient pas avantage à le faire donc ils l' enverraient à l'enfouissement. Pour le même prix ou pour un prix moindre, ils ne feraient pas recycler par RD. Donc s' il n'y avait pas tout le côté développement durable qui entoure le modèle d'affaires de façon générale, on ne serait pas en affaire aujourd'hui. Donc, c' est l' aspect durable, écologique ou environnemental qui donne plus de valeurs à nos innovations, qui nous apporte plus de gain économique, plus d' image. Encorelà on peut faire le même parallèle. Reculez en 1995 ou en 2000, ce modèle d'affaires-là n'aurait pas tenu la route. Je n'aurai pas été capable de convaincre une entreprise manufacturière de caoutchouc de m'envoyer son caoutchouc chez moi qui coûte un peu plus cher que le coût de l'enfouissement parce qu'elle n'aurait pas eu le gain image verte. Elle s' en sert comme image corporative. Elle mentionne à ses employés (parce qu' ils y sont sensibles), à ses partenaires d'affaires que ses déchets ne vont pas à l' enfouissement, une partie des déchets va se faire recycler chez RD. Donc, si on lui enlève ce gain quel avantage a-t-elle. Si l'entreprise n'a plus l' avantage et qu'elle ne me les envoie plus, je n'ai plus ma raison d'être.
C'est finalement sur ces propos que nous suggérons de conclure ce rapport de
résidence au risque de l' allonger compte tenu de la richesse des informations et des
enseignements obtenus et non entièrement exploités.
Au terme de cette section 2, plusieurs questionnements et observations ont été
faits. Nous retiendrons que dans le cas de RD, les processus techniques ou
technologiques causent plus de problèmes que les processus sociaux (échanges,
négociations, relations, sollicitations, partenariats) entre humains. De plus, il semble
336
que cette difficulté s ' accroît davantage avec l' intégration des enjeux du
développement durable lorsque ceux-ci ne sont pas négociables pour le dirigeant
parce qu' ancrés dans ses convictions. Cela donne l' impression qu' il faut une double
compréhension (au niveau technique et au niveau humain) pour construire des
innovations vertes. Cela dit, cette résidence en entreprise nous aura permis d' analyser
le processus d' innovation verte de RD en essayant de réponde à la question du
« comment? ».
Ainsi, à la question de savoir comment les innovations vertes ont été produites
par l' entreprise RD, nous pourrions avancer les propositions suivantes:
A. Le processus d' innovation verte dans le cas de RD a nécessité l'établissement
de relations avec des acteurs qui défendent des intérêts et des arguments
économiques, sociaux, environnementaux, technologiques et légaux;
B. Les relations qui ont abouti à une collaboration ou un partenariat fructueux
(gagne-gagne) sont le résultat de négociations et d 'une coopération sur la base
de principe commun et d ' enjeux partagés bien compris par chaque acteur à
différents niveaux du processus;
C. Cela a nécessité une convergence de vue autour de la problématique de
l'entreprise et des investissements de tous ordres qui ont consolidé la relation;
D. Cependant, l' innovation verte est en cours de construction, car même si des
acteurs s'entendent sur la problématique et les enjeux du projet, ils semblent
éprouvés des difficultés au niveau du processus technologique ou technique
en raison de ses aspects liés au développement durable.
Une fois ces analyses et propositions faites , il devient nécessaire de vou
comment la théorie permet de comprendre les aspects du processus de production des
337
innovations vertes. Autrement dit, comment théoriser à partir des données issues du
terrain? C'est dans le même temps l' occasion d ' apprécier l' approche
méthodologique utilisée pour recueillir et analyser ces données. C'est pourquoi dans
la section 3 suivante, nous allons revenir premièrement sur le cadre théorique
temporaire de notre recherche pour le questionner au regard des données empiriques
recueillies et analysées. Deuxièmement, nous proposons d' user de cette même
approche pour discuter de la méthodologie de recherche. L'objectif est donc de
valider ou de reformuler les éléments théoriques et méthodologiques proposés lors de
nos précédents séminaires.
3. PERTINENCE DU CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
Dans notre devis de recherche, nous avons tenté d'élaborer un cadre théorique
« temporaire ». Ce dernier fait un arrimage entre l' approche normative de la théorie
des parties prenantes et les approches des économies de la grandeur, de l' acteur
réseau (ou traduction) et de l' ordre négocié. Le but est de mieux comprendre la
dynamique de construction sociale de la réalité entre une PME et ses parties
prenantes. Dans notre étude, cette réalité est représentée par un contexte dans lequel
les PME n'auraient d ' autre choix que d ' innover pour assurer leur survie tout en
faisant face aux enjeux du développement durable. Pour ce faire, les innovations
durables semblent être une solution possible pour relever ces deux défis managériaux.
Un processus, un produit ou un service peuvent être qualifiés de durables s' ils
intègrent au mOInS deux des trois dimensions (économique, social et
environnemental) du développement durable. Par exemple, un produit qui est rentable
économiquement tout en contribuant à préserver l ' environnement. Cette définition de
l'innovation durable semble au regard des données d'entrevue et de leur analyse
correspondre à la vision du dirigeant de l'entreprise étudiée. L' innovation durable est
appelée par ce dernier « innovation verte », reprenant ainsi les termes utilisés par
l' organisme qui lui a décerné ce prix. Dès lors, la définition de l' innovation durable
338
que nous avons proposée dans notre cadre théorique est en accord avec la
compréhension qu' en fait l'entreprise et certains de ses partenaires.
Dans ce qui suit, nous allons faire ressortir les implications théoriques que
nous inspire l ' analyse de ces données. Premièrement nous allons apprécier de façon
critique la problématique de notre recherche au regard de la problématique de terrain.
Deuxièmement, l' appareillage théorique sera vérifié et discuté. Troisièmement, nous
en ferons de même pour l'appareillage méthodologique.
3.1. La problématique de recherche: analyse et critique
La résidence nous a permIS de faire ressortir la problématique que vit
l'entreprise RD à savoir: Comment mettre en place et fmaliser une technologie de
valorisation énergétique à la fois respectueuse de l'environnement et
économiquement rentable? Cette problématique suppose qu ' une telle technologie est
absente pour le moment au Québec alors qu'un besoin et une demande existe. Mieux
encore, l' entreprise se soucie d'une technologie qu'elle souhaite à la fois « propre » et
rentable. Pour preuve, elle a refusé d'utiliser la technologie proposée par l' un de ses
ex-partenaires qui ne l'était pas. Cela voudrait dire, en définitive, que nous sommes
en face d'une innovation qui intègre des enjeux du développement durable. Notre
problématique de recherche cherchait à savoir comment les innovations durables sont
produites dans les PME. De ce fait, nous comprenons qu' elle correspond à une réalité
du terrain vécue par certaines PME. Elle semble donc en phase avec la préoccupation
de l'entreprise étudiée et peut dès lors être temporairement validée.
Cependant, eu égard aux résultats de l'analyse des données du terrain, le
processus qui permet à la PME de produire des innovations durables semble prendre
une double forme, c' est-à-dire que ce processus se situerait à deux niveaux. Un
processus social dans lequel, la PME va établir des relations, échanger, négocier avec
ses parties prenantes dans le but de collaborer et de lier des partenariats. Une fois que
339
ce processus social est mis en place comme préalable, un processus technique ou
technologique s'enclenche. Dans ce processus, la PME et ses parties prenantes (selon
leur nature) vont essayer de relever le défi de mobiliser, mettre en place et finaliser un
ensemble de mécanismes techniques qui permet de concevoir et de réaliser le projet
pour lequel un processus social a été élaboré. Ceci en raison de ce que, le fait que les
parties prenantes s'entendent au niveau social ne signifie qu' ils vont se comprendre
au niveau technique. C'est pourquoi en définitive, la problématique de recherche telle
que définie devrait être reformulée. Ainsi, nous proposons la formulation suivante:
Comment la PME et ses parties prenantes construisent socialement et techniquement
des innovations durables? Ou, comment celles-ci construisent des innovations
durables?
3.2. L'appareillage théorique: analyse et critique
Pour rappel, les principaux concepts sensibilisants proposés dans notre cadre
théorique temporaire concernaient les parties prenantes (élargies), les représentations,
la traduction et l'ordre négocié. Ces concepts sensibilisant sont le socle de l'approche
théorique suggérée.
3.2.1. Les parties prenantes
Sur la notion de parties prenantes, il nous a été donné d'observer que les
acteurs impliqués dans le projet de la PME avaient des intérêts et un pouvoir directs
ou indirects sur celle-ci. Les parties prenantes classiques telles que les employés, les
clients et les fournisseurs ont été peu ou pas évoqués. Cela ne voudrait pas dire que
les parties prenantes classiques ne sont pas importantes. Bien au contraire, elles sont
naturellement présentes mais leur pouvoir sur la PME semble faible étant donné
qu'elle évolue dans un secteur porteur et encore nouveau au Québec.
340
Ce sont plutôt d' autres parties prenantes apparemment non significatives qui
ont surtout meublé l' histoire du projet qui devrait conduire à la production
d'innovations durables. Il s' agissait de parties prenantes comme des organismes et
institutions publiques, des municipalités et des partenaires potentiels d' affaires. En
définitive, le recours à l' approche normative de la théorie des parties prenantes pour
identifier les parties prenantes, leurs intérêts et la nature des liens avec la PME
conviendrait dans notre étude. Qu'est-ce qui mobiliserait alors ces parties prenantes si
ce n'est probablement la nature de l' enjeu et la problématique orientée à la fois vers
l'innovation et le développement durable. Le tableau 1 ci-dessous résume la nature et
les objectifs des parties prenantes.
Tableau 1 Les parties prenantes dans le projet d'innovation durable du cas étudié
Nature des parties prenantes Objectifs QCR Organisme public Recherche et innovation CDE Organisme public Financements - Développement technologique QRE Organisme public Recyclage et DD EVC Organisme public Pratiques d' affaires respectueuses du DD TTC Organisme public Transfert technologique DEM Institution publique Financement - Développement technique DDM Institution publique Règlementation environnementale MUN Institution publique Développement local: mettre en valeur les matières
résiduelles XFI Partenaire d' affaires Technologies de production d'énergie à partir de
déchets VKO Partenaire d'affaires Technologies « propres » de production d' énergie EPO Partenaire d' affaires Broyage d 'une matière résiduelle spécifique FIN Partenaire d'affaires Financements RES Réseau professionnel Activités de réseautage pour leur membre
3.2.2. Les représentations des parties prenantes
Nous comprenons bien que ces parties prenantes sont issues de mondes
sociaux soit différents de ceux de la PME, soit complètement étrangers à sa réalité
québécoise comme ces entreprises européenne, australienne et polonaise. Avec ces
entreprises étrangères, on aurait pu penser que les échanges, les négociations allaient
aboutir plus difficilement à des partenariats étant donné les différences culturelles et
341
au niveau des valeurs. Si les négociations avec la plupart de ces entreprises (y
compris les autres parties prenantes) se sont déroulées dans une relation de
coopération, ne serait-ce pas à cause du fait qu'elle partage une préoccupation
commune: celle du développement durable à travers la promotion de technologies
« propres » et évidemment des opportunités qu'elles renferment? Cela voudrait dire
que les arguments privilégiés dans les discussions par les parties prenantes selon leur
nature et leurs intérêts trouvaient une certaine convergence.
Nous pensons que, cette convergence, ce cadre commun autour duquel toutes
les parties prenantes semblent s'accorder concerne le caractère à la fois innovant et
durable du projet. Autrement dit, les termes ou les mots utilisés durant les échanges et
qui appartiennent à des systèmes de valeur différents se construisent sur la base de
termes partagés de façon insoupçonnée. En somme, la production d'une technologie
propre et rentable devient un argument fédérateur des justifications et des critiques
des parties prenantes. Le tableau 2 ci-dessous résume les caractéristiques propres aux
représentations des parties prenantes.
Tableau 2 Les représentations des parties prenantes
Monde d'origine Logique dominante dans les arguments Nature des intérêts IQCR Civique Industrielle Technologique CDE Civique Marchande Socio-économique IORE Civique Civique Socio-Environnementale EVC Civique Industrielle Environnementale TTC Civique Industrielle Technologique DEM Civique Industrielle, marchande Economique DDM Civique Civique Légale et
environnementale MUN Civique Civique Socio-économique et/ou
environnementale XFI Marchande Marchande Economique VKO Marchande Opinion Technologique EPO Marchande Opinion Technologique FIN Marchande Marchande Economique RES Connexiste Connexiste Economique
342
3.2.3. La traduction entre les parties prenantes
Il semble clair que la réalisation d'une technologie à la fois propre et rentable
est un passage obligé qui fait converger les parties prenantes. Pour preuve, chacune
d' elles a dû consentir des investissements de forme de différentes natures
(documentation, informations, connaissances, savoir-faire technologique et en
matière de développement durable, déplacements physiques, argent, aide, réseaux,
aide, argent, licence, confiance, flexibilité , etc.). Cependant, la traduction ne prend
tout son sens que lorsque les parties prenantes parviennent à un compromis puis à des
réseaux.
C'est ce qui s'est passé entre la PME et par exemple les entreprises
australienne et polonaise contrairement à l ' entreprise européenne. Cette dernière était
dans une logique de domination sans se préoccuper de la problématique que vivait la
PME. Puisqu' il n 'y a pas ·eu une bonne traduction, il n'y a pas eu de compromis.
Lorsqu' il y a compromis (par exemple, dans les cas de VKO et EPO), celui-ci a
permis d' aboutir à un ensemble de relations hétérogènes construit entre les différentes
parties prenantes avec au centre les matières résiduelles spécifiques comme objets
techniques. La valorisation énergétique et le recyclage n'ont de valeur que par
l'existence de ces matières résiduelles dont le dirigeant ou sa PME s' en fait le porte
parole. Les réseauteurs sont constitués des réseaux professionnels, du dirigeant qui lui
ont permis de rentrer en contact avec les entreprises (représenté~ autonomes dans
leurs actions).
Nous comprenons en définitive que, certaines caractéristiques d' un processus
de traduction se retrouvent dans le cas étudié. Cela renforce la validité de cette
approche théorique quant à sa capacité à nous aider à comprendre en partie un aspect
du phénomène des innovations durables. Le tableau 3 ci-dessous résume quelques
principales caractéristiques du processus de traduction.
343
Tableau 3 Le processus de traduction dans le cas étudié
Rôle des acteurs Enjeux Investissements de forme Matières résiduelles QCR
Servir de matières premières dans le Disponibilité des gisements de recyclage et la valorisation énergét ique matières résiduelles Soutien technologique Création d ' une technologie de
recyclage
Potentiel de recyclage et valorisation Documentat ion, connaissance et expertise
COE QRE
EVC
TTC
DEM
DOM
MUN
XFI
VKO
EPO
FlN RES
Soutien technologique et fi nancier Impact économique de l' activité Soutien en mati ère de recyclage
Soutien technique en matière de pratiques d 'affaires respectueuses du DO Soutien technologique
Soutien financier et technologique
Faire respecter la règlementation en matière de DO Favoriser l' implantation locale du projet
Qualifier les mati ères résiduelles
Transfert technologique
Promotion du développement économique Fai re respecter la règlementation en matière environnementale Promouvoir le développement social, économique à travers la valorisation des matières résiduelles
Apporter la connaissance et l'expertise Commercialiser sa technologie en matière de technologie propre Apporter la connaissance et l'expertise Promouvoir sa technologie puis la en matière de technologie propre commercialiser Apporter la connaissance et l'expertise Promouvoir sa technologie pui s la en matière de technologie de broyage commercialiser Évaluation fi nancière Rentabilité de l' activ ité Réseauteurs Développer des relations d 'affaires
3.2.4. Processus et contexte de négociation (l'ordre négocié)
Aide matérielle et fi nancière Documentation, connaissance et expertise Documentation, connaissance et expertise
Documentation, connaissance et expertise Aide matérielle et financière
Suivi et contrôle, octroi des permis Information, octroi des mandats
Licence d 'utilisation de la technologie, savoir-faire Licence d 'utilisation de la technologie, savoir-faire Licence d ' utilisation de la technologie, savoir-faire Financements Information, réseautage
L'ordre négocié repose sur une base de négociation commune. Les bases de la
négociation devraient être fondées sur un seul objectif partagé ou un signe de
reconnaissance et d' appartenance auquel les parties prenantes peuvent se référer et
brandir contre toute contestation à une action qui irait dans le sens de cet intérêt
commun. Ce symbole se justifie en raison de la diversité des parties prenantes qui
proviennent de mondes sociaux différents Dès lors, elles peuvent avoir des objectifs
multiples et contradictoires.
Nous avons observé que les négociations qui aboutissent à des accords ou des
partenariats dans le cas étudié se font sur la base d'objectifs partagés clairement et
344
bien compris des parties prenantes. Lorsque ces objectifs sont flous ou que les vrais
intentions sont inavouées dans les échanges, l ' aboutissement à un partenariat n' est
pas possible ou la collaboration est instable comme cela a été le cas avec deux des
parties prenantes. Cependant, l' aboutissement à une forme d'ordre négocié dépend du
processus et des contextes de négociation dans lesquels il prend forme.
À travers l' analyse des données du terrain, il est possible d'observer que le
processus de négociation varie selon les parties prenantes. Dans certains cas, ce
processus est standard et renferme des étapes formelles à respecter pour aboutir à un
accord. Les négociations aboutissent à un accord lorsque toutes les parties prenantes
en respectent les conditions qui s' imposent à tous. En réalité, il semble ne pas avoir
de négociation dans ce type de processus. Par contre, dans d' autres cas, lorsque le
processus n ' est pas donné, il se construit in situ selon la nature des parties prenantes.
Il est très souvent informel au début des échanges à cause de son caractère privé.
Nous convenons que le processus de négociation est contingent même à la nature et
aux pratiques de chaque partie prenante. Cela est aussi vrai pour les facteurs internes
et externes liés au contexte de négociation.
Le contexte externe est structurel et l'entreprise n' y a pas d' influence.
Cependant, les facteurs structurelles lorsqu'ils sont favorables (ou non) à l' entreprise,
accélèrent (ou non) le processus d' innovation. La règlementation environnementale
est l' un des facteurs structurels qui freinent le développement du projet de la PME
étudiée. Par contre, l' absence d' une technologie propre de valorisation énergétique au
Québec est une opportunité pour l ' entreprise. Quant aux facteurs internes, il est
possible de les comprendre sur deux plans. La position de pouvoir privilégiée
(coopération, domination, inaction et concession) par la partie prenante dans ses
négociations avec la PME. Le type de négociation envisagée (intégrative, distributive
et mixte) avant les négociations. Il est intéressant de retenir que la position de pouvoir
et le type de négociation sont liés et vont dans le même sens. Par exemple, une
position de domination peut être liée à une relation de type gagnant-perdant donc
distributive. Dans le cas étudié,. cette forme de relation aboutit à une forme d'ordre
345
négocié instable ou n'y aboutit pas du tout. Dans le tableau 4 ci-dessous, nous
résumons quelques caractéristiques du processus et des contextes de négociation
observées dans le cas de la PME étudiée.
QCR CDE QRE EVC TTC DEM DDM MUN XFI VKO EPO FIN RES
Tableau 4 Processus et contextes de négociation dans le cas étudié
Processus de négociation
Sollicitation au niveau technologique Soumission d ' un projet Sollicitation au niveau environnemental Sollicitation au niveau environnemental Sollicitation au niveau technologique Soumission d ' un projet Mise en place de la règlementation Soumission d 'un projet Partenariat commercial Partenariat commercial et technologique Partenariat technologique Soumission d ' un projet rentable Réseautage, rencontres, maillage
Contexte de négociation Position de pouvoir Coopération Coopération Coopération Coopération Coopération Coopération Domination Coopération Domination Coopération Coopération Domination Coopération
Type de négociation Intégrative Intégrative lntégrative Intégrative 1 ntégrati ve 1 ntégrative Distributive [ntégrati ve Distributive Intégrative 1 ntégrati ve Intégrative Intégrative
En somme, nous retiendrons que l'appareillage théorique temporaire que nous
avons suggéré peut être utilisé pour tenter de comprendre comment les innovations
durables se construisent socialement dans les PME. Cependant, il faudrait reconnaître
que toutes les caractéristiques propres à chaque approche théorique n'ont pas été
observées dans l'étude de cas. La conduite des entrevues ou l'analyse des données
auraient pu aller en profondeur. Cela dit, une analyse critique pourrait être faite à
plusieurs niveaux.
3.2.5. Critique de l'appareillage théorique
Deux raisons peuvent expliquer la nécessité de comprendre le processus
technique. Premièrement, chaque partie prenante possède son propre mécanisme
technique ou technologique qui ne correspond pas nécessairement à celui d'une autre
partie prenante. Par exemple, la règlementation environnementale actuelle (imposée)
est inadaptée à l' évolution technologique. Comment la PME intègre cette
346
inadéquation incontournable pour parverur à construire l' innovation durable ? Il
semble qu'une harmonisation des processus techniques devient nécessaire.
Deuxièmement, toutes les parties prenantes n'ont pas la même compréhension de ce
processus technique mis en place. Pour preuve, la PME a dû s' investir pour
« sensibiliser, éduquer, expliquer » ce processus à certaines parties prenantes pour
avoir finalement leur adhésion. Concrètement, elle a dû par exemple utiliser la même
démarche « pour sécuriser ses partenaires financiers » sur la faisabilité technique du
processus. L'appareillage théorique qui semble approprié ici est bien celui de la
traduction qui, au stade de notre recension de la littérature, s' est intéressé au
processus social. Il faudrait donc soit approfondir cette littérature ou trouver un autre
appareillage pour mieux comprendre ce processus technique.
Dans un ordre d' idée portant sur l'ordre négocié, le dirigeant de la PME
étudiée utilise diversement les termes de négociation, collaboration, sollicitation et de
partenariat pour expliquer le processus d' établissement des relations avec les parties
prenantes à différents niveaux du projet d' innovation durable. Notre appareillage
théorique s'est plutôt focalisé sur le terme de négociation; Or, la négociation est un
processus continu alors que le partenariat ou la collaboration peuvent être compris
comme l' aboutissement d'une négociation: on négocie pour aboutir à une
collaboration ou à un partenariat. Dans ce sens, Il faudrait certainement s' intéresser à
la littérature ou aux théories sur la collaboration ou la coopération surtout en matière
d'innovation. Cela voudrait dire que l' appareillage actuel que nous avons mobilisé
sur l' ordre négocié devrait être approfondi ou éventuellement compléter.
Finalement, à côté du cadre théorique mobilisé et discuté, un cadre
méthodologique avait été aussi suggéré. Nous analysons sa pertinence dans ce qui
suit.
347
3.3. L'appareillage méthodologique: analyse et critique
Dans notre volonté d' aboutir à un cadre théorique fondé à partir des données
issues du terrain, nous avons suggéré la théorisation enracinée comme stratégie de
recherche. Cette stratégie de recherche a proposé d'utiliser a) l'étude de cas comme
objet de recherche et, comme méthodes, b) des grilles d'analyse taillées sur mesure
pour chacune des quatre approches théoriques précitées et c) le logiciel NVivo pour
recueillir, analyser et organiser systématiquement les données. L'objectif est
d'analyser à travers une structure identique des aspects du phénomène de la
construction sociale des innovations durables en vue de les reconstituer. Par cette
démarche, la méthodologie de notre recherche semble cohérente avec notre projet et
notre problématique de recherche. Dans ce qui suit, nous allons a) voir en quoi est-ce
que le cas sélectionné comme objet de recherche est pertinent pour notre résidence et
b) discuter des méthodes utilisées pour recueillir et analyser les données.
3.3.1. Sélection du cas
L' étude cas umque a été utilisée dans cette recherche pour trois raisons.
Premièrement, elle l'a été pour des raisons théoriques et non statistiques puisqu' il
s'agit de mettre en évidence des éléments de compréhension d'un phénomène peu
connu. Deuxièmement, le choix d'un cas unique se voulait cohérent avec la durée et
les objectifs d'une résidence en entreprise. Par conséquent et troisièmement, l'objectif
est de tester l' appareillage théorique et méthodologique suggéré auparavant afin de
mieux préparer l' étape de la thèse proprement dite.
Pour ce faire, nous devions tout de même respecter les critères de sélection de
notre cas. Dans ce sens, il fallait choisir un cas de PME dans lequel nous pouvions
étudier le phénomène qui nous préoccupe. C'est pourquoi et selon le cadre
méthodologique de notre devis de recherche, nous avons identifié une PME qui a)
possède un projet d' innovation durable ou des innovations durables, b) s'inscrit dans
348
une logique de développement durable et, c) utilisent des pratiques de gestion
impliquant diverses parties prenantes. Pour y arriver, nous avons consulté le site
Internet d'un organisme public nommé Enviroclub et qui fait la promotion des
pratiques de développement dans les PME. Nous avons par la suite enrichi notre
connaissance de cette PME en consultant des archives de presse ainsi que son site
Internet. À travers les informations récoltées, nous avons eu connaissance de ce que
cette PME avait été reconnue officiellement par deux organismes québécois comme
innovante et ayant des innovations vertes.
Cette méthode de sélection du cas est celle que nous avions préconisée dans
notre devis de recherche. Nous retiendrons que son application a été fructueuse car,
par cette démarche, nous avons pu sélectionner une PME qui remplissait les critères
définis précédemment. Après une revue initiale de la littérature et la sélection de
l'objet d'étude, nous nous sommes lancés dans une boucle itérative de cueillette et
d'analyse des données. C'est une démarche de théorisation enracinée.
3.3.2. Collecte et analyse des données
L'analyse des données s' est faite à travers l'utilisation de grilles d' analyse qui
nous ont aidés à reconstituer les faits qui nous paraissent essentiels à la
compréhension du phénomène étudié. C'est ainsi que dans une première collecte des
données, nous avons fait une entrevue d'une durée d'environ Ih 30 avec le dirigeant
principal de la PME sélectionnée. Par la suite, avec ces données, plusieurs analyses
ont été faites dans le but de repérer des extraits d'entrevue ou des unités de sens qui
s'inscrivent dans la logique de chacune des quatre approches théoriques suggérées.
L'objectif n ' était pas de faire émerger des concepts théoriques mais
d'appliquer des grilles d'analyse en vue de reconstituer un processus. Cette approche
nous amène à déconstruire l'entrevue pour ensuite la reconstruire dans l' espace, le
temps et le mouvement. Ceci, en raison de ce que l'entrevue ne suit pas une
trajectoire linéaire et prévue à l' avance. Nous laissions le répondant s'exprimer
349
librement sur une question ouverte de départ : Pouvez-vous nous raconter l'histoire
du projet qui a conduit à cette innovation ?
Après une première suite d' analyses des données, une seconde collecte a été
faite à travers une seconde entrevue d' une durée de lh 30. Dans cette dernière, il
s'agissait d'approfondir des éléments d' information opportuns pour comprendre un
aspect ou plusieurs aspects du phénomène: Rappelez-vous de quelques phrases ou
mots que cet acteur utilisait lors de vos rencontres? Donnez-nous en des exemples?
C'est surtout à cette étape que le guide d' entrevue a été utilisé dans le but de s'assurer
que des questions essentielles n'avaient pas été omises dans le fil des discussions
avec le répondant. Il faut noter que nous avons été aidés dans cette démarche par un
logiciel d' analyse qualitative de données: Nvivo. Le logiciel Nvivo nous a permis
d'organiser les données et leur analyse.
3.3.3. Critique de l'appareillage méthodologique
Il faut reconnaître que très peu de critiques peuvent être portées sur la
méthodologie de recherche en raison de ce qu'elle a été pertinente pour cette
recherche. De ce fait, la théorisation enracinée semble bien appropriée à la
problématique de recherche et au cadre théorique. Cependant, l' échantillon pourrait
être élargi.
En effet, la PME étudiée est un cas qui se trouve à mi-chemin de deux cas
extrêmes. Ceci en raison de ce que son projet ou son processus d' innovation durable
n'est pas finalisé. L' un des cas extrêmes qui pourrait se faire dans un prochain
échantillonnage serait un cas de PME dont le projet d' innovation durable est finalisé
et a réussi. L'autre extrême pourrait être un cas de PME dont le projet a échoué.
Ainsi, nous pourrions nous retrouver dans un échantillonnage de trois PME.
350
Dans une autre logique, il est possible d'étudier plusieurs de cas de PME en
vue de mieux apprécier la capacité de réplication du phénomène qui nous préoccupe.
Cette démarche viendrait renforcer la validité d'un cadre théorique émergent.
CONCLUSION
En somme, ce rapport de résidence a d'abord présenté une analyse sans
influence théorique (ou presque) de données recueillies sur le terrain. Puisqu' il fait
suite à deux précédents rapports portant sur le cadre théorique et le cadre
méthodologique, il nous a semblé nécessaire de vérifier ensuite la pertinence de ces
deux appareillages à la lumière des données du terrain. Nous retiendrons qu' au niveau
théorique, la problématique de recherche pourrait être reformulée pour tenir compte
des aspects non expliqués du processus de construction des innovations durables: le
processus technique, la collaboration. De plus, les approches théoriques mobilisées
semblent ne pas permettre non plus de comprendre ces aspects si l'on s' en tient à
l' état de notre revue de littérature. Nous avons donc proposé d' approfondir cette
littérature ou de la compléter par une ou plusieurs approches qui contribueraient à
mieux comprendre ces aspects. L'appareillage méthodologie quant à lui reste
pertinent bien qu' il faille élargir l' échantillon de cas. Pour terminer, nous comprenons
que certainement des améliorations auraient pu être apportées dans la conduite de
cette résidence en entreprise. Cependant, son caractère transitoire (entre les cours et la
thèse proprement dite) contient en lui-même ses forces et ses faiblesses. En nous
appuyant sur ses forces, il est possible de corriger ses faiblesses tout au long du
cheminement doctoral par un renforcement des connaissances à acquérir.