Une critique des études sur le journalisme en lignePour une approche de socio-économie politique
Nikos Smyrnaios Université de Toulouse
Présentation basée sur ma contribution à
l’ouvrage
Parution en octobre 2015
aux Presses de l’Université Laval
Le constatRecherche prolifique (notamment anglo-saxonne)
sur l’information en ligne Mais…
Manque de mise en perspective politique
Pas d’ancrage de la réflexion au contexte socioéconomique et politique global
Faible dimension critique
Quand elle existe elle porte sur la propriété, les stratégies, le management ou le contenu
Et le travail ?Dans l’information en ligne se déploient les
logiques du capitalisme postfordiste
Elles visent à l’extraction de plus-value à partir du travail (professionnel et profane, à l’intérieur,
autour et en dehors des rédactions)
Ce « travail immatériel » implique des usages du numérique complexes
Pistes pour une socioéconomie politique afin de mettre en évidence les logiques d’exploitation
1. Le contexte technologique et économique Financiarisation de l’économie:
influence croissante des acteurs financiers, pression pour rentabilité à court terme, shareholder value, concentration de la
propriété…
…mais aussi, faits nouveaux pour les médias, intériorisation au sein des rédactions des
contraintes comptables et intégration poussée du marketing, indicateurs chiffrés de productivité
1. Le contexte technologique et économique L’oligopole de l’infomédiation:
Un petit nombre d’acteurs (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft etc.) contrôle les
canaux de diffusion de l’information, oriente les flux de l’audience et impose sa loi aux médias
Tire des bénéfices des externalités du digital labor
Détient également la propriété sur les outils de travail quotidiens de journalistes (mail, tchat,
réseautage, recherche etc.)
2. Le travail à l’intérieur et autour de la rédaction Précarité et inversion du stigmate:
Précarité, flexibilité, abaissement des protections sociales très présents dans le journalisme
Multiplication des free lance, pigistes et autres « fournisseurs de services » pour faire baisser le
coût
Convocation de la critique artiste pour inverser le stigmate: autonomie, absence de routine, liberté
Esprit start- up: Abnégation, registre affectif voire militant du management
2. Le travail à l’intérieur et autour de la rédaction La production de soi comme labeur:
Personnalité, affects, rapports humains au service de la production de plus-value
Confusion entre espace/temps professionnel et privé
Stratégies des organisation pour s’accaparer de ce travail affectif
Exemple: la présence et activité des journalistes sur les réseaux socionumériques
2. Le travail à l’intérieur et autour de la rédaction La rationalisation du travail journalistique :
Intensification, standardisation, quantification, omniprésence de la supervision
Modèle publicitaire, pression pour accroitre la productivité, objectifs chiffrés, usage intense des
dispositifs de mesure (analytics, metrics)
Séries d’opération répétitives, denses en information, arbitrages complexes mais encadrés
par des logiciels (CMS, gabarits etc.)
2. Le travail à l’intérieur et autour de la rédaction La dispersion au travail :
Environnement du travail journalistique très instable : modifications interruptions, arbitrages
Diversité de tâches, qui peuvent être standardisées, multiplication des stimuli
sensoriels, usage simultané d’une multitude d’outils numériques
Stress, fatigue psychique, physique et cognitive
Gérer la dispersion peut être source de satisfaction mais aussi de frustration= tension
entre idéal/réalité
3. Le travail en dehors de la rédaction
Le rapport social comme rapport de production:1857: General intellect (Marx)
1964: l’usine sociale (Tronti)
1977: audience-as-commodity (Smythe)
1986: watching-as-working (Jhally & Livant)
Puis rien jusqu’en 2000: Free Labor (Terranova)
Digital Labor: Scholz, Casilli, Andrejevic etc.
3. Le travail en dehors de la rédaction
Financement indirect du journalisme en ligne :
Economie de l’attention fondée sur la collecte et l’exploitation des données personnelles
Production de contenu non rémunérée, logique participative, dissémination par le public
La participation profane comme source de valeur:
motivations économiques derrière l’idée de « faire progresser le débat », injonction à
participer
3. Le travail en dehors de la rédaction
La participation profane comme source de valeur:Participation non rémunérée de « qualité »: Le
Plus (L’Obs), Club de Médiapart, blogs du Monde etc.
Fragments d’info amateur: You (Parisien), Témoins (BFMTV), Reporter (Métro), Citizenside, Twitter
Commentaires traités industriellement comme moyens de fidélisation
Partage et évaluation de l’information sur les RSN comme multiplicateurs d’audience
En guise de conclusion…L ’hégémonie néolibérale « naturalise » les
formes d’exploitation contemporaines
Le capitalisme cognitif et le travail immatériel sont sources de confusion:
Entre espace et temps privé/professionnel
Entre plaisir, jeu/contrainte, frustration
Entre émancipation/aliénation
Nécessité d’un renouvellement d’une approche critique du journalisme