Un village dans
la guerre
1914-1924
Comment la communauté
villageoise
de LA BOISSIERE
a-t-elle vécu la Première guerre mondiale ?
La Boissière en
1914
Eclaté en de nombreux mas, l’habitat est
dominé par la partie village qui se regroupe
autour de sa fontaine.Il n’y a pas encore
les lavoirs mais le chemin de fer dessert
la commune depuis 1894.
En cet été 1914 des rumeurs de guerre
enflent dans les discussions au café
de l’avenir…
L’engrenage
de la guerre
• C’est à Sarajevo que l’étincelle qui met le feu aux poudre se produit. L’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche François Ferdinand et de sa femme le 28 Juin 1914 provoque l’engrenage des alliances
La guerre
peut-elle
être empêchée?
• L’internationale
ouvrière décapitée, le
nationalisme l’emporte
sur le pacifisme !
• Le 3 août 1914 la
guerre est déclarée
MOBILISES Jules Bougette
Emile Héran
Jean Durand
Louis Négrou
Gabriel Imbert
Stanislas Fabre
Jean Amadou
Hippolythe Négrou
Théophile Imbert
Et aussi:
Louis BONNET, Joseph BOUGETTE, Jean-Baptiste MESTRE, Felix ALLARY, Joseph ALLARY,
Elisée REDONNEL, Raymond RICHARD, Joseph ABRIC, Jean BONNIOL, Marcel OLIVET,
EugèneBONNIOL, Paul LAZUTTE, Paulin VIEILLE…
Le départ
• Les hommes rejoignent leurs régiments, pour faire leurs classes
• ou directement le front
• Le plus souvent par le train
L’INFANTERIE
• C’est cette arme qui
est la plus nombreuse,
la plupart de nos
soldats sont des
fantassins, c’est à pied
que l’on rejoint les
premières lignes!
L’uniforme de 1914
peu discret!!
La tenue bleue
horizon et le casque
que nos poilus
toucheront à partir de
1915
De la guerre de mouvement à La guerre de
position
• Un bivouac dans la forêt, pendant la
« course à la mer » (automne 1914)
• Des hommes terrés dans des tranchées
pendant l’hiver 1914-15
Premières victimes
• Ce 19 août 1914 le soldat de deuxième classe DUPY Gabriel, né à St Guilhem le désert mais habitant La Boissière meurt en Alsace
• Le lendemain c’est au tour de Joseph ARCIS de tomber en Lorraine, il a 20 ans !
Entre le Front et l’arrière, un lien vital: le
courrier Les cartes postales sont variées: patriotiques toujours,
émouvantes souvent, humoristiques parfois…
Gabriel Imbert : du conseil de
révision au front…
• Déclaré « apte » à Aniane à l’issue
du conseil de révision, Gabriel va
faire ses classes à Valréas dans le
Vaucluse, puis rejoindre le front de
l’Artois, le 29 Mai 1915 au sein du
158° Régiment d’Infanterie
Le baptême du feu
• Lettre du 29 juin 1915 • « La vision fut épouvantable, des morts
jonchaient le sol, on leur marchait
dessus, c’était terrible!
• (…) Malgré tout nous avançons et, dans
un dernier effort, nous arrivons sur le
bord de la tranchée boche. Ce qui se
passa à ce moment, c’était horrible ! Je
fonçais sur un boche et tombe dans la
tranchée, étourdi d’abord par la chute
je revenais à moi et la tranchée était à
nous. Nous pleurons, chers parents de
joie, on s’embrasse et on se demande
comment on est encore là ! »
Gabriel Imbert écrit à ses proches…
• 28 Juin 1915 je vous raconterai ces jours passés en première ligne, au milieu d’un
ouragan de fer et de feu et d’une grêle de balles et d’obus. Nous avons attaqué déjà trois
fois à la baïonnette et pour bien comprendre tout cela il faut y passer. Aussi chers parents
quoiqu’on vous dise sur la vie du front croyez le. Vraiment il faut vivre ces minutes
angoissantes. Ah, chers parents, je vous parle à coeur ouvert et bien vous pouvez croire
que l’on a confiance et puisque nous en sommes aux confidences, je puis dire que c’est
grâce à Dieu si je suis encore vivant. Par conséquent après avoir vécu ses heures
terribles, vous pouvez croire quel bonheur on a éprouvé à se trouver sain et sauf et enfin
tranquille. Ne croyez pas chers parents que pendant ces heures terribles je fus
découragé, non pas du tout. Ma grande confiance m’a permis de conserver tout mon
sang-froid et me trouve joyeux d’avoir vu tout cela. Mon baptême du feu a été une
attaque à la fourchette. J’ai vu rouge, on ne savait plus ce que l’on faisait
Dessin:Frédéric LARGUIER
• En compagnie de ses camarades d’infortune Gabriel, assis, pose pour sa famille
Gabriel s’est battu à Notre Dame de Lorette: le cimetière actuel rappelle le sacrifice de milliers d’hommes
Gabriel découvre le monde…
• Ah oui cher frère j’aimerais que tu
puisses voir l’arrière du front, tu en
serais émerveillé! (…) tu verrais toutes
sortes de races: des noirs, des hindous,
des anglais et que sais-je encore !
Lettre du 6 août 1915
Les progrès des techniques
Des dirigeables et
aéroplanes nous survolent
pour protéger le train
contre toute tentative des
taubes (avions allemands)
Lettre du 3 Juin 1915
Dessin:Frédéric LARGUIER
Et les horreurs de la guerre
• « (…) nous venons de toucher ce soir
un nouveau masque imprégné
d’ammoniaque, avec des lunettes au cas
ou l’idée les prendrait, ces sales types,
de nous asphyxier .» Lettre du 23 Juillet
1915
« Notre artillerie tire jour et nuit, les
canons de 75,105,155, 270, 380 crachent
la mort dans les tranchées boches.(…)Les
grosses pièces qui se trouvent ici ont tiré
chaque jour 1200 obus ! »
Lettre du 6 Septembre 1915
Gabriel succombe de ses blessures à l’hopital de Bruay en
Artois le 2 Octobre 1915, il n’a pas encore 20 ans !
•Voici ce qu’il écrivait le 29 Septembre 1915
•“ C’est de l’hôpital de Bruay que je vous écris. J’ai été blessé pendant l’attaque du 27, à la cuisse gauche, par une balle. Malgré ma souffrance, j’éprouve un grand contentement. Je suis ici encore pour un certain temps, mais lorsque cela ira mieux, que je n’aurai plus de fièvre, je serai évacué plus loin…
Au cimetière, le souvenir de six enfants de
La Boissière morts ou disparus au combat.
Quatre corps dont ceux de François
Amadou et de Gabriel Imbert rapatriés et
enterrés le 16 Mai 1922. La dépouille de
Marius Redonnel n’a pas été retrouvée.
Certaines familles sont décimées
A Aniane comme à
Saint Paul les listes
s’allongent !!!
11 habitants de La
Boissière morts pour
la France, 52 tués à
Aniane, 12 à Saint
Paul !!!
Souvent des parents,
des amis
Chez les Héran
• Emile est prisonnier tout comme ses cousins Léopold de
St Paul et Jean Amadou (du mas d’Amadou),
• son frère Hérandou de Montagnac sera blessé,
• ses cousins Amadou Léon, Amadou Gaston et
Raymond Héran de Saint Paul, seront tués !
• Il y a pire dans le village, les trois frères Arcis vont
disparaître !
Prisonnier !
• C’est en Lorraine qu’Emile Héran est
fait prisonnier
• Emprisonné au camp d’Hammelburg
en Bavière
• Il travaille dans une ferme
Il y en a deux autres
• Jean Durand (joseph) que
l’on voit ici photographié
en captivité à Giessen
écrit à sa femme Albanie .
Il y a aussi Jean Amadou
fait prisonnier le 10
Novembre 1914 qui va
mourir en captivité à
Gardelegen le 14 Février
1915
Un indicateur de la vie sociale: La nuptialité
Avant 1914 une moyenne de presque deux mariages par an,
pendant la guerre (1914 à 1918) deux mariages seulement,
entre 1919 et 1923 reprise de la nuptialité 22 mariages en cinq ans!
Nombre annuel de mariages à La Boissière 1903-1923
MARIAGES GUERRE
1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 19230
1
2
3
4
5
6
La guerre a perturbé la vie sociale, la démographie et la nuptialité.
Mélanie Coste mariée à H. Négrou en 1912, veuve de guerre en 1914, s’est remariée avec E. Héran en 1920 (elle apparaît donc à deux reprises dans le graphe).
Elle n’est pas la seule veuve de guerre du village puisque Noémie Lapeyre a elle aussi perdu son mari Léon Sauvaire
Les hommes partis la vie des femmes et des
enfants est difficile…celle du maire aussi
• L’activité est essentiellement agricole et la main d’œuvre fait cruellement défaut; les ouvriers agricoles espagnols sont plus nombreux. On utilise la main d’œuvre des prisonniers de guerre comme chez les Claparède où 4 allemands sont employés pendant 31 jours au printemps 1916
• Gabriel s’inquiète: « J’ai appris par les journaux que dans l’Hérault les vignobles souffraient beaucoup, et je crois bien qu’à La Boissière vous devez être éprouvés. »
• Le rationnement apparaît et les familles se privent pour les colis des soldats: « laissez moi vous accuser réception de vos colis, un contenant: papier à lettre, encrier, porte plume et quelques amandes. Dans le deuxième, j’ai trouvé des belles tranches de jambon, une boîte de conserve, une plaque de chocolat, un paquet de cigarettes, une boîte de berlingots etc.. »
• Enfin c’est le maire qui doit s’acquiter de la lourde tâche d’avertir les familles du décès d’un proche
Le 11 Novembre 1918 , enfin l’armistice est signé…
…Mais les soldats pas encore rentrés!!!
Le 12 Décembre 1918, Jules Bougettes, écrit de Saverne où il est mobilisé, à sa femme Joséphine:
« On dit que notre classe doit être libérée, vers le commencement du mois de Février, ce ne sera, pas trop tôt de prendre la fuite de cette enclave, à quand aurons nous la liberté (sic)? »
La communauté villageoise et
l’après-guerre
Comment se reconstruire
* psychologiquement ?
* familialement ?
* Comment honorer la mémoire des disparus ?
Les destins individuels et
collectifs sont bouleversés Mélanie Coste et Noémie Lapeyre sont veuves
La guerre a transformé certains caractères:
Jules Bougette va revenir taciturne, marqué par ce conflit
Marie Imbert, la mère de Gabriel cherche à rapatrier le corps de son fils, elle paye pour qu’il soit placé dans un cercueil en plomb, elle se rend même sur place, coupe une mèche des cheveux de Gabriel elle va recopier ses 84 lettres qui sont pour nous un recueil d’informations inestimables. En 1922 elle fait rapatrier le corps de Gabriel, il sera avec François Amadou inhumé au cimetère dans un carré réservé, le 16 Mai 1922.
La société des démobilisés
• Les anciens combattants
s’organisent, ils créent le
1° août 1920 la société des
démobilisés de La
Boissière, chaque année
ils se réunieront , le
premier samedi du mois d’
août.
La nation honore ses héros…
Honneur à nos enfants !
• C’est le 30 juillet 1923
que le conseil
municipal de La
Boissière décide de
réaliser le monument
aux morts
Une oeuvre d’art originale
• La statue, en pierre de Lens, de 2,5 mètres de haut, est intitulée:
• « La reprise du sol français », elle a été réalisée par le sculpteur montpelliérain Cacetti. Elle repose sur un socle de pierres de rocaille érigé par des boissièrois
Une réalisation coûteuse
• Le monument au mort lui
même avec la plaque en
marbre a coûté 9700
francs !!
• Il fut financé grâce à une
souscription publique
(2652 francs) et par le
budget communal.
L’INAUGURATION
• Le 2 août 1924 il est enfin inauguré, la
communauté villageoise peut ainsi
honorer la mémoire de « ses chers
disparus »
Comme le disait Paul Lazuttes le 16 Mai 1922 reprenant les mots de V. Hugo
« Petits enfants restez témoins d’un si noble sacrifice!
Gravez–le dans vos jeunes mémoires,
lorsque plus tard vos fronts courbés par le nombre des ans, lorsque vos cheveux noirs seront devenus blancs,
vous ferez bégayer aux fils de vos enfants le nom de ces héros »
Remerciements et sources
Merci à tout ceux qui ont accepté de me confier des documents, particulièrement Mme Marie Jeanne
Imbert-Cripsis, la famille Héran, Jean et Elise Orts, Lysette et Robert Olivet, Marie-Line Soullier, …
L’iconographie est extraite de l’ouvrage: Le panorama de la guerre librairie
illustrée Jules Tallandier , Editeur, Paris
Certains dessins ont été réalisés par Frédéric Larguier
Sources: Odon Abbal Les prisonniers de guerre de l’Hérault (Thèse 3° cycle)
Archives municipales et départementales série 2 O 35 12 ( monument aux morts)
Mise en forme, textes de commentaire photographies
Jean-Luc SECONDY Novembre 2004 Droits de reproduction limités sous condition d’accord de l’auteur