UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
&
UNIWERSYTET WARSZAWSKI
École Doctorale V
« Concepts et Langages »
Laboratoire LACITO Langues et Civilisations à Tradition Orale
Wydział Polonistyki
Katedra Językoznawstwa Ogólnego,
Wschodnioazjatyckiego
Porównawczego i Bałtystyki
THESE EN CO-TUTELLE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS-SORBONNE & UNIWERSYTET WARSZAWSKI
Discipline : Linguistique/Językoznawstwo
Présentée et soutenue publiquement en Sorbonne le 26 février 2016 par
Asuka MATSUMOTO
Sous la direction en co-tutelle de
Alain LEMARÉCHAL & Romuald HUSZCZA
Membres du jury :
M. Jerzy BANCZEROWSKI (rapporteur), Professeur, Université UAM / Wyższa Szkoła Języków Obcych
M. Romuald HUSZCZA, Professeur, Université de Varsovie / Université de Jagellon
M. Alain LEMARÉCHAL, Professeur, Université Paris-Sorbonne / Directeur d’études, EPHE
Mme Jadwiga LINDE-USIEKNIEWICZ, Professeur, Université de Varsovie
Mme Irène TAMBA, Directeur d’études, EHESS
M. Charles ZAREMBA (rapporteur), Professeur, Université d’Aix-Marseille
Typologie des constructions verbales à prédicat complexe :
composition verbale en japonais et
préverbation en polonais
1
Position de thèse
Typologie des constructions verbales à prédicat complexe :
composition verbale en japonais et préverbation en polonais
La présente thèse consiste en une étude des verbes et des constructions verbales en
japonais et en polonais, deux langues qui ne sont pas apparentées, mais qui se trouvent ici
comparées par le biais de la notion de « prédicat complexe ». à travers laquelle les verbes
composés japonais et les verbes préverbés polonais sont examinés.
La partie I de notre étude traite du domaine de la formation des mots en général,
avant d’aborder la formation des mots verbaux, à laquelle appartiennent la composition
verbale en japonais et la préverbation en polonais. Tout d’abord, nous esquissons la notion de
« mot » qui a toujours posé des problèmes de définition en linguistique contemporaine depuis
Saussure. Chaque langue possède un terme « mot » qui n’est pas un terme proprement
linguistique mais ordinaire et quotidien, et il relève de la réalité psychologique selon Sapir.1
On pourrait même dire que c’est intuitif chez chaque locuteur. Cependant cette acception ou
cette prise de position théorique envers ce terme général a été critiquée et abandonnée par un
certain nombre de linguistes, y compris Bloomfield 2 et Martinet.
3
Ensuite, nous réflechissons sur la genèse de la notion de « mot ». Dans quel contexte
est-elle apparue dans la tradition grammaticale des langues. Pour ce faire, nous aparcourons
l’histoire de l’écriture de quelques langues indo-européennes dans l’Antiquité, à savoir le
sanskrit, le latin et le grec. Après ce parcours, nous considérons brièvement la situation de
l’écriture des langues asiatiques, par rapport au « mot ». Notamment, nous nous focalisons sur
les langues entrant dans la sphère historique et culturelle dite « sinographique », provenant de
l’écriture chinoise qui n’utilisait justement pas l’intermot, espace blanc qui sert à démarquer
les « mots » en tant que représentations linguistiques au niveau du code écrit, sur le plan de la
linguistique générale.
Notre analyse se poursuit sur l’autre face de la représentation linguistique, le code
oral. Pour ce faire, nous commençons par présenter le phénomène prosodique du français,
1 E. SAPIR, Language. An Introduction to the Study of Speech , London, 1921, p. 34.
2 L. BLOOMFIELD, Introduction to the Study of Language, New York, 1914, p. 65.
3 A. MARTINET, « le mot », Problèmes de Langaage, coll. Diogène, Paris, 1966, p.41.
2
nommément « groupe accentuel » ou « groupe rythmique ». La langue française correspond à
un cas où l’unité du groupe accentuel peut s’étendre très longuement, et même correspondre à
une phrase entière relativement longue. Face à ce phénomène, nous introduisons la notion
d’« unité accentuelle » d’après Garde 4, qui contient, selon nous, l’« intégration prosodique »
en tant que manifestation du phénomène du « mot prosodique ».
Cela nous amène à analyser d’autres langues, avec la dichotomie des systèmes
accentuels fixe et libre, auxquels nos langues de comparaison, le polonais et le japonais,
appartiennent respectivement. Dans cette section, nous nous soucions de présenter plusieurs
types d’accentuation fixe : l’accent initial (le tchèque), l’accent médian, plus exactement sur
la pénultième (le polonais) et l’antépénultième (le macédonien), sans oublier le français avec
l’accent final, analysé auparavant. De même pour l’accentuation libre avec les analyses sur
l’anglais, le russe et le lituanien : ce dernier sert de pivot pour l’analyse du système de
l’accentuation japonaise, qui est plus complexe et se présente comme un cas intermédiaire
entre le système à accent d’intensité (stress accent) et le système à accent tonal (tonal accent),
du point de vue de la linguistique générale. Après ce parcours accentuel, nous nous attardons
sur la différence entre le mot et le syntagme, en opposant les propos de Martinet et ceux de
Saussure, à travers les analyses concernant la « composition » pour rendre compte de divers
types de « mots » sur le plan typologique. Tout cela permet de voir justement l’écart entre les
mots graphiques et les mots phonologiques. Pour le second des deux types de représentations,
nous proposons de l’appeler « mots prosodiques » en tant qu’unité de la composition., et nous
analysons différentes marques de composition sur le plan prosodique relatif au code oral du
mot, à savoir sandhi du sanskrit, liaison du français, surtout sur le traitement de la graphie
française d, rendaku (voisement d’enchaînement, sequential voicing) du japonais.
La partie I se clôt avec l’approche morphologique de la formation des mots à travers
les notions de « mot simple » et « mot complexe », ainsi que la révision et la synthèse de deux
aspects, synchronique et diachronique, de la formation des mots sur le plan de la linguistique
générale.
La partie II concerne la description détaillée de la composition verbale en japonais, et
ce tant en diachronie qu’en synchronie. Afin d’attendre cet objectif, nous analysons, tout
d’abord, les deux premières grammaires à proprement parler, écrites par deux Européens au
4 P. GARDE, L’accent, Paris, 1968.
3
XVIIe siècle, un jésuite, Rodriguez (1604-1608)
5 et un dominicain, Collado (1632)
6 : un
travail momumental en trois volumes, écrit en portugais, pour la première ; une œuvre
modeste mais concise avec beaucoup de remarques intéressantes pour la seconde.
D’une part, chez Rodriguez, parmi les verbes composés dont nous avons fait le
relevé complet, il existe une opposition entre d’un côté les verbes composés relevant du mode
de l’action (modo da acção), terminologie de trois siècles antérieure à celle qui a été proposée
par Agrell sous le nom d’Aktionsart,7 et les verbes composés à particule (particula). De plus,
on peut remarquer qu’il traite bien le système honorifique des verbes japonais. D’autre part,
Collado présente une opposition des racines comme gérondifs et infinitifs dans ses analyses
des verbes composés japonais.
Ensuite, nous proposons une synthèse de ces deux grammaires sur les deux points
suivants. Le premier touche le verbe composé qui a été traité dans les deux grammaires : c’est
môshi_mawaru ‘dire_tourner’ « courir partout pour diffuser une information ». Il s’agit d’un
verbe de mouvement, dont V1, le premier élément composé, ne signifie pas le mode de
l’action et n’est pas non plus une particule, et nous soulignons la justesse de son analyse à
travers la paraphrase avec la construction converbale en -te. Le second concerne les V2, le
second élément composé, qui ont la valeur de TAM (Temps-Aspect-Mode) en japonais, que
nous dégageons par synthèse des 11 verbes chez Rodriguez et 15 verbes chez Collado.
Dans la section suivante, nous tâchons d’esquisser la classification des verbes
composés donnée par le travail de Tagashira & Hoff (1986)8
. Elle s’organise par la
dichotomie entre process verbs et activity verbs, d’où quatre combinaisons possibles, sur
lesquelles nous donnons des analyses concrètes. Puis, celle de Matsumoto (1996)9
est
présentée brièvement.
Après ce parcours tant diachronique que synchronique sur les verbes composés
japonais, nous présentons de fines analyses des verbes composés de arau « laver » en V1, qui
permettent de voir l’éventail des sens, voire effets de sens, comme on dit à propos des
5 J. RODRIGUEZ, Arte da Lingoa de Iapam composta pello Padre Ioão Rodriguez Portugues da Cõpanhia
de Iesv Diuidida em tres Livros, Nagasaki, 1604-1608. 6 D. COLLADO, Ars grammaticae iaponicae lingvae — in gratiam et adivtorivm eorum, qui praedicandi
Euangelij causa ad Iaponiae Regnum se voluerint conferre, Rome, Typis & impensis Sac. Congr. de
Propag. Fide, 1632. 7 S. AGRELL, Aspektänderung und Aktionsartbildung beim polnischen Zeitworte. Ein Beitrag zum
Studium der indogermanischen Präverbia und ihrer Bedeutungsfunktionen, Lund, Häkan Ohlsons
Buchdruckerei, 1908. 8 Y. TAGASHIRA et J. HOFF, Handbook of Japanese Compound Verbs, Tokyo, Hokuseido, 1986.
9 Y. MATSUMOTO, Complex Predicates in Japanese — A Syntactic and Semantic Study of the Notion
‘Word’, California/Tokyo, CSLI Publications/Kuroshio Publishers, 1996.
4
préverbes slaves, allant du sens concret de type coordinatif « dvandva » (en référence aux
composés nominaux en sanskrit) et de type qualificatif, où V1 précise le déroulement du V2,
jusqu’au sens métaphorique, exprimé et rendu possible grâce au deuxième élément des verbes
composés, ce qui est une caractéristique majeure de la langue japonaise.
Ensuite, nous considérons le couple des verbes ageru/agaru « monter(tr./intr.) » en
V2, dont l’analyse présente des enjeux théoriques. Le problème concerne le résultat de la
composition par rapport au statut de leur valence, entre [V1_tr] et [V1_intr], où V2 est le verbe
recteur/principal en règle générale : donc [V1_tr]tr et [V1_intr]intr. Or, ce procédé de la
formation des verbes composés n’est pas régulier, et nous analysons le cas des « verbes
composés labiles » à l’aide des exemples de nori_ageru [Vintr_Vtr] qui fonctionne tantôt
comme un transitif tantôt comme un intransitif, d’où [Vintr_Vtr]intr/tr. Afin d’expliquer cette
situation linguistique curieuse, nous attribuons cette neutralisation de la transitivité de V2 à un
effet éventuel de la composition verbale, qui est présente dans un certain nombre de couples
de verbes composés.
De plus, à l’aide de ce verbe composé labile, nous réfutons l’hypothèse de
Matsumoto (1996), selon laquelle le pendant transitif des verbes composés en paire sous
forme de [V1_ageru]tr au passif garde toujours l’agentivité que l’on peut constater avec la
proposition de but, à l’inverse du pendant intransitif [V1_agaru]intr, qui n’est pas compatible
dans ce contexte. À cela s’ajoutent les analyses d’un autre cas analogue d’un couple de verbes
composés labiles, [fuki_ageru]tr/intr.
Un autre couple des verbes en V2, mawaru/mawasu « tourner(intr./tr.) » est analysé
pour clore le chapitre II de cette partie. Il s’agit du verbe mawaru, qui a été traité par les deux
grammaires du XVIIe siècle, et nous donnons ici les analyses lexicographiques et de corpus
détaillées des verbes V1_mawaru à travers des verbes composés synonymiques parmi lesquels
ii_mawaru ‘dire_tourner’, tsuge_mawaru ‘dire_tourner’ et hure_mawaru ‘toucher_tourner’
« colporter », en japonais contemporain, tout en mentionnant leur pendant transitif en
V1_mawasu, tombé en désuétude. Puis nous donnons les analyses des verbes simples
mawasu(tr.) et mawaru(intr.) afin d’expliquer la disparition des verbes composés V1_mawasu,
par le caractère bivalent en transitivité du verbe mawaru.
Ensuite, nous nous consacrons à l’analyse lexicographique et de corpus des rapports
entre le verbe composé, V1_mawaru, et la construction converbale en -te, V1-te_mawaru,
paraphrase qui avait déjà été mentionnée par Rodriguez. Et nous terminons ce chapitre par
une brève analyse de deux autres synonymes de ii_mawaru, à savoir ii_hur-asu ‘dire_toucher-
5
CAUS’ et ii_chirasu ‘dire_se.disperser-CAUS’, qui sont suivis du suffixe causatif, à la différence
des autres synonymes, à l’égard de la formation des mots.
Notre chapitre III concerne la préverbation et la typologie des constructions
préverbales de la langue polonaise, basée sur la classification donnée par Wróbel (1998)10
.
La troisième et dernière partie de notre travail traite de la perspective typologique de
la prédication complexe, et ceci à travers la comparaison multilingue entre les traductions du
Petit prince. Cela fait écho au choix de notre langue de rédaction, le français, qui sert de pivot
pour deux différentes traductions de nos langues de comparaison, le japonais et le polonais.
Nous posons d’abord le principe de la comparaison multilingue, puis la définition de la notion
de « prédicat complexe », dans laquelle peuvent être incluses la composition verbale et la
préverbation.
Nous sommes alors en état de supposer deux types de prédications, simple et
complexe, au sein des constructions verbales d’une manière générale. Dans ces analyses,
diverses stratégies de la traduction sont réinterprétées par la théorie de la prédication
complexe, et nous tâchons de dégager un certain nombre de facteurs qui permettent de rendre
la phrase en prédicat simple ou complexe, en rapport avec les compléments et avec le
contexte, tout en tenant compte de la liberté de choix du type de prédication de la part des
traducteurs, qui apparaît clairement grâce à la comparaison de différentes traductions. La
partie III se trouve donc dans une intersection entre la théorie de la prédication complexe et la
traductologie, où notre approche reste pourtant du côté des analyses proprement linguistiques
autour de la notion de la formation des mots verbaux et des constructions verbales à prédicat
complexe.
De plus, nous proposons un continuum de la construction converbale en V1-te kuru,
qui s’étend du rapport bi-propositionnel en coordination (« V1 puis venir ») et en
subordination de type gérondival (« venir en V1-ant ») au rapport mono-propositionnel à
valeur déictique du mouvement, dite vénitif en linguistique générale (« action de V1 effectuée
en direction du locuteur »), jusqu’à devenir construction converbale grammaticalisée à valeur
aspectuelle (« commencer à V1 »). Ce contiuum a sa validité grâce à la notion de degré
d’intégration entre deux prédicats, donc deux propositions, qui justifie l’ordre de différentes
constructions arrangées.
Du côté de la langue polonaise, nous remarquons que dans certains cas de figure, un
10
Chapitre CZASOWNIK (‘VERBE’) dans R. GRZEGORCZYKOWA, R. LASKOWSKI et H. WRÓBEL
(éds.), Morfologia, Warszawa, PWN, 1998, t. 2, p. 536-583.
6
traducteur choisit soit un verbe préverbé, soit un verbe simple à l’infinitif précédé par un
« verbe de phrase » (zaczynać ‘commencer’ – kontynuować ‘continuer’ – kończyć ‘finir’) que
nous qualifions comme construction infinitivale à semi-auxiliaire, par voie d’auxiliation, ce
qui peut être interprété comme une périphrase dans le cadre plus général de la construction
périphrastique verbale, comme être en train de Vinf en français et być w trakcie Vnom verbal en
polonais.
Enfin, nous terminons notre étude de la typologie des constructions verbales à
prédicat complexe en récapitulant les points avancés, et en les faisant suivre par des
perspectives de futures recherches dans le cadre de la typologie linguistique portant sur la
formation des constructions à prédicat complexe. En plus de ce que nous avons étudié — la
composition verbale, la construction converbale, la préverbation et la construction infinitivale
à semi-auxiliaire — nous pouvons tout au moins inclure la construction de verbes en série
(Serial verb construction), présente dans les langues isolantes, et la construction à thème
bipartite (Bipartite stem construction) que l’on trouve dans les langues amérindiennes, qui
appartiennent au type polysynthétique. Cette vision globale de la typologie des constructions
verbales à prédicat complexe nous permettra d’approfondir les analyses de divers
phénomènes relevant du prédicat complexe et de les intégrer en fonction des rapports sur la
combinabilité morpho-syntaxique et sémantique des deux éléments prédicatifs, en quête de
tendances universelles, voire d’universaux, si tant est qu’il en existe, même partiellement.