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7/23/2019 Survivances Païennes dans le monde chrétien
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A L A M ~ E L I B P ~ I R I E
D U M @ . M E A U T E U R
Cléopfitre.
Sa vie et son temps.
In-S, avec 5 croquis, et 8 gravures
hors texte.
de
Il faut féliciter 1~. Artl~ur'W~igall, éminent ég~yptologuae~ fr.
nous avoir révëlé la v6ritable Cléop~tre, autrement plus belle
que sa légende, en un ouvrage passionnant, 6crit avec autant
de sfireté que de noblesse ; c'est là un ouvrage définitif.
Gdigoirê.
Néroll. In-8, avec 8 gravures hors texte ....... 30 fr.
M. Weigall avec une remarquable autorité et une interpré-
tation personnelle des textes et des témoignages fait revtvre
dans ces pages le r~gne de Néron, ainsî que les murs, le mi-
lieu, l'dpoque, les 6vénements et les personnages.
Le Journal des Ddbats.
Sappho de Lesbos
Sa vie et son époque.
In-8, avec tous les
25 ff
f r a g m e n t a c o n n u s d e l ' é p o q u e d e S a p p h o , e t . 3 c r o q u i s . :
Que cavez-vous de Sappho ? Feu de choses exactes, peut-être
rien du tout Lisez donc ce beau livre, il ne s'agit pas de « vie
romancée » mais bien d'un ouvrage de haute érudition rendue
accessible au grand public par un savant qui parle la langue
de tout le monde et qui est aussi un artiste amoureux de la vie
sous toutes ses formes. Il ressuscite Sappho, sa personne et son
existence passionnée, il nous fait goûter et admirer avec une
ferveur communicative l'oeuvre de la poétesse mytiléenne et son
éternelle beauté, victorieuse des siècles. La Revue du Centre.
Maro-Antoine. 3a vie et son temps. In-8, de 544 pages. 36 fr.
L'uvre d'un historien scrupuleux, clairvoyant et abondam-
ment rehseîgnd. Une solide érudition a rendu l'auteur marre de
son sujet. Il discute les événements comme un témoin, avec une
compétence et une force de rdalitd qui donnent à son récif la
vie et l'a'ttrait d'un émouvant roman...
Ce large tableau d'histoire romaine, revue, éclaircie et remise
au point par la sagacité et l'érudition de M. Weigall, forme une
évocation d'une vdrité illusionnante.
Le Jiurnal des Ddbat«.
30 f f .
Mexandre. In-S, avec une carte hors texte.
W ail est infi-
'Alexandre le Grand que nous campe M. ëig
niment plus vrai, plus humain et plus touchant que l'image
conventionnelle imposée par la ldgende ou par l'enseignement
scolaire; c'est un merveilleux adolescent~ mal pondéré certes,
mais irradiant d'une séduction nouvelle et irrésistible l'enthou-
siasme créateur d'une jeunesse éternelle et quasi divine.
Le P,'ogrks Mddical.
°
s ls I~or l - lSOuE SrsroRxQrJE
ARTHUR WEIGALL
BX-~NSPgCTgUR'D~S ANT~QU~T@-S Dt) GOUV~R~/gMgmT ~GYFT~~~
SURVIVANCES PAÏENNES
DANS
LE MONDE CHRÉTIEN
T R A D U I T D E L ' A N G L A I S P A R A R I A N E F L O U R N O Y
P R É F A C E D ' Ë D O U A R D C L A P A R Ë D E
P R O F E S S E U R A L ' U N I V E R S I T Ë D E G E N Ë V E
t
USP- FF~
P A Y O T , P A R I S
|06, Boulevard St-Germaln
t934
You d ro i t~ r~s rv~
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I 0 0
L ' A S C E N S I O N
dans l'idée que cet avènement glorieux était immi-
nent--on se préparait au moment suprême, on
l'attendait d'heure en heure, espérant contre toute
espérance, les yeux fixés au ciel pour y trouver
le signe qui jamais ne parut.
BIBL OTEc4
11lSTO~la. FFI.¢J~.
OSp :.
C H A P I T R E X I
L'INFLUENCE D'ADONIS ET DE
QUELQUES AUTRES DIVINITÉS PAIENNES
Lorsque les disciples eurent compris que Jésus
était le Messie, et que ce Messie n'était pas le héros
triomphant de la foi populaire, mais l'Homme
de Douleurs prédit par Isaïe, ils en vinrent à penser
que cette crucifixion à la veille de P~tques n'était
autre chose que le sacrifice suprême qui, selon
la tradition, devait avoir lieu chaque année en ce
jour. Jésus devint pour eux l'Agneau pascal, dont
le sang versé devait effacer leurs fautes. Comme
il s'était offert lui-même pour racheter les péchés
du monde, toute la tradition mystique des fils
sacrifiés parleurs pères se fit j our dans leur nou-
velle interprétation de la mort du Christ et de sa
résurrection. Mais dans le développement de cette
conception, il est naturel que l'esprit des premiers
chrétiens et de leurs adeptes ait été influencé par
les croyances religieuses de l'époque.
Antioche fut l'un des premiers foyers du chris-
tianisme ; or, on célébrait chaque année dans
cette ville la mort et la résurrection du dieu Tham-
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I 0 2 L ' IN FLU ENCE D 'ADONIS
muz ou Adonis (I), ce dernier nom signifiant « le
Seigneur ». Ce culte avait exercé de tous temps
une influence sur la pensée juive, et le prophète
Ezéchiel lui-même intervint pour morigéner les
femmes de Jérusalem qui pleuraient la mort de
Thammuz ~ la porte même du temple (Ezéchiel,
VIII, I4). A Bethléhem la place choisie par l es
premiers chrétiens comme lieu de naissance de
Jésus (car, de fait, on ignorait ce lieu), se trouvait
être un ancien sanctuaire de Thammuz, ainsi
que saint Jérôme (2) le découvrit avec effroi.
Ceci montre que Thammuz ou Adonis fut en fin de
compte confondu avec Jésus-Christ dans l'esprit
des hommes. On croyait que ce dieu avait subi une
mort cruelle, qu'il était descendu aux enfers,
qu'il en ~tait revenu pour monter au ciel ; su jour
anniversaire de sa mort, tel qu'il était célébré en
divers pays, une effigie de son cadavre était pré-
parée pour les funérailles ; on la lavait et on l'oignait,
et, dès le lendemain, son retour ~ la vie était com-
mémoré par de grandes réjouissances. On employait
sans doute la formule" ~ Le Seigneur est ressuscité. »
L'Ascension en présence des fid~es était l'acte final
de la fête (3). Dans diverses contrées, ces festi-
vités avaient lieu en ét~, mais dans les environs
(~) AMmE~ M~RCS~X~, XXlI, 9.
(z) JgRo~m, Latws, 58, ad Paulinum.
(3) LucmN, D,-Dea Syri«, 6; J~ROME, Comment. ,ur E,dd~id
viii, x4.
ET DE Ç~UELQUES
DIVINITÉS PaïENNES
Io 3
de la Palestine elles semblent s'ëtre passées au
moment de Pâques. Adonis était, sous certains
aspects, le dieu de la végétation, et sa résurrection
symbolisait le réveil de la nature au printemps.
A Antioche, selon Frazer (I), cette cérémonie
semble avoir cadré avec l'apparition de la planète
Vénus, comme Étoile du Matin. Ces fêtes cor-
respondaient si étroitement avec l'anniversaire
de la mort et de la résurrection de Jésus, que la
coïncidence n'a guère pu échapper aux premiers
chrétiens. Dans diverses parties de l'Europe, les
cérémonies actuelles du Vendredi Saint et de
Pâques semblent continuer les rites d'Adonis.
En Sicile, par exemple, et dans certaines parties
de la Grèce, une effigie du Christ mort est préparée
pour les obsèques, au milieu des lamentations du
peuple. Celles-ci se prolongent jusqu'au samedi
à minuit, heure o~ le prêtre annonce la résurrection
du Seigneur et où la foule éclate en bruyants cris
de joie.
Ces analogies ont naturellement conduit beau-
coup de critiques à déduire que l'histoire de la
sépulture et du retour à la vie de Jésus ne fut qu'un
mythe emprunté à la religion d'Adonis. Mais,
comme nous avons essayé de le démontrer dans les
chapitres précédents, le récit des Êvangiles est sans
doute véridique. Si la crucifixion a eu lieu à Piques.
(X) FRAZER. Adoni, s, At~is, Osi~s, p. x57.
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1 0 4 L ' I N F L U E N C E D ' A D O N I S
c'est-à-dire au moment des universelles fêtes du
printemps, cela ne prouve pas que l'histoire fut
tirée du paganisme, mais cela explique que Jésus
fut en réalité exécuté à cette date, à l'occasion du
sacrifice du Bar A bbas. Et il est écrit que sa
résurrection eut lieu peu aprfis, non parce qu'Adonis
et d'autres divinités eurent une même destinée,
mais parce qu'en fait il revint à lui et sortit vivant
du sépulcre. Ce fut sans doute en grande partie
grAce ~ ces deux coïncidences que la foi chrétienne
attira sur elle une attention si générale. Si Notre-
Seigneur avait mis fin à son mi nistère de quel-
que autre manière, si les idées générales au sujet de
la mort des divinités incamées n'avaient pu lui être
attribuées, la croyance en sa suprématie n'aurait
. pas été si rapidement, ni si généra/ement établie.
Il y a pourtant un trait de l'histoire évangé-
lique qui semble avoir ~té directement emprunté
la religion d'Adonis et ~ d'autres mythes païens,
c'est la descente aux enfers. Le « Credo des Apbtres »
et le « Credo d'Athanase » déclarent que du vendredi
soir au dimanche matin Jésus descendit aux enfers,
mais la chose est omise dans le Credo de Nicée.
L'évêque Pearson a montré que ce détail fut
souven~ passé sous silence dans d'autres credos
primitifs, et l'évêque Goodwin (I) estime que cet
article pourrait être mis de cété.
(X) GOODWIN, Foundaio.s o/ tha ~racd, p. x72.
E T D E Q U E L Q U E S
D I V I N I T É S
P A ï E N N E S 1 0 5
Il n'a pas de fondement biblique si ce n'est dans
les paroles ambiguës de la première épître de
Pierre (I, Pierre,
ni,
19, IV, 6), et n'apparut dans
l'Eglise, comme une doctrine chrétienne, que vers
le IV« siècle (I), On retrouve son origine païenne
non seulement dans la légende d'Adonis, mais
aussi dans celles d'Hèraclès, Dionysos, Orphée,
Osiris, Hermès, Krishna, Balder, etc., etc. Au
sujet d'Orphée, entre autres, le rapport existant
dans les esprits des chrétiens primitifs, entre cette
divinité et Jésus, se révèle par l a fréquence de
l'effigie d'Orphée dans les fresques des catacombes.
Hérodote
(II,
I22), décrit une cérémonie qui avait
lieu chaque année en Êgypte, pour commémorer la
descente aux enfers et le retour sur terre d'un
certain dieu ou roi mal identifié, nommé Rhampsi-
nitus. Lors de cette cérémonie qui semble avoir
eu un lien de p~renté avec le culte d'Osiisi les
prëtres enveloppaient un homme d'un linceul, et
le conduisaient au temple d'Isis, hors de la ville,
où ils l'abandonnaient, n était alors ramené par
deux prêtres qui jouaient le réle des deux divins
guides des morts. Un trait significatif de ce récif
est que l'homme, à son retour, devait porter un
suaire qu'on supposait lui avoir ét~ donné dans
l'au-delà. On se rappelle l'histoire relatée unique-
ment par saint Jean, où les deux compagnons
(x) lqxcol~s, Le Symbol 6 das Apat re~ , pp. ~ 2t , 364.
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I 0 6 L ' I N F L U E I ~ C E D ' A D O N I S
de Jésus venus au sépulcre y trouvèrent le suaire
plié dans un coin, et le linceul ailleurs, tandis
que deux figures célestes parurent à leurs yeux.
L'incident égyptien permet de jeter un doute sur
l'histoire du suaire dans saint Jean. Mais ceci
n'a guère d'importance si ce n'est pour montrer
avec quelle circonspection il convient d'examiner
les récits évangéliques.
A coté du culte d'Adonis existaient d'autres
croyances païennes qui, par leur similitude, ont dû
influencer les esprits des gentils convertis au chris-
tianisme ; entre autres le culte de Dionysos, dont
il sera parlé au chapitre XXII. Une autre religion
qui eut son influence sur la nouvelle foi fut le culte
du dieu ou divin héros spartiate, Hyacinthe, qui
fut tué accidenteUement (I). Sa fête qui durait
trois jours avait lieu chaque année au printemp~
ou au commencement de l'été. Le premier jour,
on pleurait sa mort ; le l endemain, on célébrait
sa résurrection par de grandes réjouissances ;
et le jour suivant, il semble que l'on commémorait
son ascension. Les sculptures de son sépulcre le
représentaient lors de son élévation, avec sa sur
vierge, en compagnie d'anges ou de déesses.
Le culte d'Attis était aussi très populaire et
dut influencer les premiers chrétiens. Attis était
« le bon berger », tant6t fils de Cybèle, la Grande
( I ) FRAZERI Adonis, At t is, Osi~ ' is, p. x78, zo4.
E T D E ~ U E L O U ~ S D I V I N I T É S P A I ' ~ E N N E S X O 7
Mère (Magna Mater), tant6t fils de la vierge
Nâna, qui le conçut sans s'être unie à un être
mortel, comme dans l'histoire de la Vierge Marie.
Jeune homme, il se blessa et mourut au pied de
son arbre sacré, le sapin. A Rome, l'anniversaire de
sa mort et de sa résurrection était célébré chaque
année du 22 au 25 mars (I). Le rapport de cette
religion avec le christianisme est visible dans le
fait qu'en Phrygie, en Gaule, en Italie, et dans
les autres pays où le culte d'Attis régnait, les
chrétiens adoptèrent la date du 25 mar s pour
anniversaire de la Passion (2).
Lors de la fête d'Attis, le 22 mars, un sapin était
abattu, et on y attachait une effigie du Dieu, Attis
étant ainsi « tué et pendu au bois » selon le texte
biblique (Actes V, 30). Cette effigie était ensuite
ensevelie dans un tombeau. Le 24 mars ~tait le
jour du sang. Ce jour-là, le Souverain-Sacrificateur,
qui personnifiait Attis, faisait jaillir du sang de
son bras et l'offrait à la place d'un holocauste
humain. De cette façon, il s'immolait lui-même,
ce qui fait revenir à l'esprit c es mots de l'Êpître
aux Hébreux : « Le Christ est apparu; comme sou-
verain sacrificateur.., offrant non pas le sang des
boucs et des veaux, mais son propre sang.., et il
nous a acquis une rédemption éternelle. » (Hébr.
( ~ ) F a A z ~ a , A d o n i s , A l t i s , O s i r i s , p . x 6 6 , n o t e 4 .
(z) Ibid, p. ~ 99, no te 3 .
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IX, II, 12.) Cette nuit-là les prêtres venaient
au sépulcre et le trouvaient illuminé à l'intérieur,
et vide, car la divinité était ressuscitée d'entre les
morts le troisième jour. Le 25 du mois, cette résur-
.rection était célébrée par de grandes festivités ;
après un repas sacramentel, on baptisait les initiés
avec du Sang par lequel leurs péchés étaient effacés
on les disait « nés de nouveau ».
Aucun doute que ces cérémonies et croyances
n'aient beaucoup coloré l'interprétation que les
premiers chrétiens donnèrent aux faits historiques
de la Crucifixion, de la mise au tombeau et du
retour à la vie de J ésus. De fait, le passage du
culte d'Attis au culte du Christ s'effectua presque
sans transition' ces cérémonies pa]'ennes avaient
lieu sur la colline du Vatican, dans un sanctuaire
qui fut plus tard repris par les chrétiens, et à la
place duquel s'élève aujourd'hui l'dglise m~re
de Saint-pierre de Rome (I).
( x ) Beaucoup d ' i nsc r i p t i ons concernant ces cérémoni es ont e t~
trouvé~s sous J'égl ise de Sa£ut-Piorro. HXPDING» Ati is.
C H A P I T R E X I I
L'INFLUENCE D'OSIRIS ET D'ISIS
La religion populaire, très répandue, d'Osiris
et d'Isis, exerça une influence considérable sur le
christianisme primitif. Ces deux grandes divi-
nités égyptiennes, dont le culte avait passé en
, Europe, étaient adorées à Rome et dans les autres
centres où se développèrent les communautés chré-
tiennes.
Selon la légende (I), Osiris et Isis étaient à la
fo is f rère et sur et mari et femme. Osir is fut
assassiné et l'on jeta son corps dans l e Nil. Peu
après, Isis veuve et exilée mi t au monde un fils,
Horus. Un jour, le cercuei l d 'Osir is fut re jeté
sur le rivage de Syrie, et s'introduisit miraculeu-
sement dans le tronc d'un arbre, de sorte que
l'on put dire d'Osiris, comme des autres dieux
immolés, qu'il fut « tué et pendu au bois ». Le
hasard voulut que cet arbre soit abattu et trans-
formé en un pilier du palais de Byblos, où Isis
finit par le reconnaître. Elle en fit détacher le
(1) PLUTARgUE, I .ç~$ et Osi~$, 1 I8 .
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cercueil puis elle couvrit de voiles le pilier lui-
m~me, qu'elle fit placer dans le temple. Elle ramena
ensuite le corps d'Osiris en Égypte. Il y fut décou-
vert par de mauvais génies qui le taill~rent en
pièces, mais les morceaux furent rassemblés et le
dieu revint à la vie (I). Plus tard, Osiris retourna
dans l'au-delà pour régner à perpétuité sur le
Royaume des Morts. Et pendant ce temps Horus,
devenu homme, régnait sur terre, et devint par
la suite le troisième personnage de cette fameuse
trinité égyptienne.
Hérodote (2) établit que la fête de la mort et
de la résurrection d'Osiris avait lieu en Êgypte
chaque année, mais il n'en donne pas la date.
Il raconte que le peuple pleurait le dieu mort, et
que vers le soir on all umait des lampes devant
les maisons, et qu'elles brûlaient toute la nuit.
Plutarque cite également la fête annuelle d'Osiris et
précise qu'elle durait quatre jours ; il en donne
comme date le dix-septième jour du mois égyptierl
Ha~hor, ce qui, d'après le calendrier alexandrin
employé en ce temps-là, correspond au 13 novem-
bre (3)- D'autre part, nous savons par d'anciennes
archives égyptiennes qu'une fête en l 'honneur
de tous les morts avait lieu le dix-huitième iour
(x) ER~A~, H~~dbooh Egyp. Relig. p. 31.
(2) H~I~O~OTe, II, 62.
(3) FR&ZER, Ado~is, Attis, Osîris, p. 257.
L IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D * IS IS
I I I
du premier mois de l'année, et qu'on y allumait
les lampes (I) ; l'année commençait originaire-
mênt vers
le
~.I octobre ; cette fête devait donc
tomber vers le 8 novembre, et, d'après l'ajuste-
ment du ~:alendrier, ilse peut bien qu'elle ait été
la m~me que celle décrite par. Hérodote.
En d'autres termes, la fête d'Osiris fut primi-
tivement identifiée ~ la f~te des lampes, commé-
morant les morts en général, et elle avait lieu au
début de novembre (2). Le Jour des Morts des
chrétiens tombe aussi à cette mëme date, et dans
beaucoup de contrées des lampes et des cierges
brûlent toute la nuit en cette occasion. Cette
fête fut reconnue pour la première fois par l'Eglise
en l'an 998 ; mais Frazer (3) a démontré que, par
cette reconnaissance, le clergé ne faisait que régu-
lariser une coutume païenne aussi vieille que répan-
due qu'on n'avait jamais pu supprimer. Il y a peu de
dOutes que cette coutume ne fût identique ~ la
cérémonie égyptienne. A la Réformation cette
commémoration fut abolie dans l'Êglise d'Angle-
terre, bien que les Anglo-catholiques l'aient con-
servée ; la fête de la Toussaint qui a lieu ~ la veille
du Jour des Morts, et qui fut reconnue par l'Êglise
en 835, s sans doute la même origine. Cette fête
(x) B~~,AST~D, Anoia,at R«o~ds o/Egy t I. sec. 555.
(2) M. MURRAT, TI~a Osiraion at Abydos, p. 35.
(3) FI~AZXR, Adonis, A~tis, Osiri, s, p. 255.
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a élé conservée dans le calendrier ecclésiastique
et, de cette façon, les chrétiens perpétuent incons-
ciemment le culte d'Osiris et le souvenir de ses
sujets dans le Royaume des Morts.
Le Père chrétien Firmicus Maternus (I), écri-
vant au Ive siècle, raconte que les adorateurs
d'Osiris pleuraient la mort de l eur dieu pendant
un certain nombre de jours, et qu'ensuite ils se
réjouissaient, disant E Nous l'avons retrouvé. »
Le même auteur ajoute que, lors de la commé-
moration de la mort du dieu, on avait la coutume
de construire une image d'Osiris et de l a placer
sur un sapin coupé à cet effet ; et là encore, comme
.dans le cas du dieu Attis, il était « tué et pendu au
bois ».
De même que le récit de la mort et de la résur-
rection d'Osiris dut influencer la pensée des pre-
miers chr4tiens quant à la crucifixion et au retour
à la vie de Notre Seigneur, de mëme les mythes
d'Isis eurent une influence directe sur l'élévation
de Marie, mère de Jésus, à la position divine qui lui
est assignée dans la th6ologie catholique-romaine (2).
Le culte d'Isis fut introduit à Rome au premier
siècle de notre ère, et vers l'an 8o, S ulla fonda
dans cette cité un collège « Isaac ». On lui éleva
bientSt des temples à Pompéi, à Bénévent, à Malce-
(~) FI~xcus MAT~rmus, D~ errore pro/anarum rdigionum, II, 3.
(2) W. ROSC~~R, L~ikon gr~¢ch, ~. r~m. Myth. II, 428.
L ' IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS IS I I 3
sine sur le lac de Garde, et en rnaints autres lieux ;
depuis Vespasien, ce culte s'implanta progressi-
vement dans toute l'Europe occidentale, certaines
contrées étant « pénétrées de la folie d'Isis », ainsi
que le déclare un auteur chrétien primitif (T).
Il y eut un temple d'IsiS jusqu'aux environs de Lon-
dres. A Rome, la dernière fête qui lui fut consacrée
semble avoir eu lieu vers 394, mais ce culte sur-
vécut jusqu'au ve siècle, et fut une des dernières
croyances paiennes qui se maintinrent en face du
christianisme.
Les deux attitudes dans lesquelles on présentait
le plus souvent Isis à ses adorateurs étaient celle
de l'épouse affligée pleurant la mort d'Osiris, ou
celle de la mère divine, allaitant Horus, son royal
enfant. Sous son premier aspect, elle était identifiée
à la grande déesse maternelle, Dérnèter. Le trait
principal des mystères d'Eleusis consistait dans les
lamentations de Démèter pleurant Perséphone ;
elle avait aussi un lien étroit avec cette autre
Mater Dolorosa, la déesse Cybèle. On commé-
morait chaque année à Rorne la mort de son fils
Attis, et son sanctuaire était placé sur la colline
du Vatican, à l'endroit o~ se trouve actuellement~
Saint-Pierre, l'Eglise où l'on adore de nos jours
la « Mère de Dieu ».
Sous son aspect maternel, Isis était représentée
( I ) A C T A , S . S . X X . ~ a $ , p .
4 4 .
S U R V I V A N C E 8 P A ï E N I ~ ~ ~ S D A N S L E M O N D E C H R É T I E N
8
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L~ IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS IS
par des milliers de statuettes et de peintures, tenant
dans ses bras l'enfant divin. Lorsque le chris-
tianisme s'établit, ces tableaux et ces images
furent attribués, sans arrêt de continuité, à la
Madone et à son enfant ; aucun archéologue, en
fait, ne peut déterminer avec exactitude, aujour-
d'hui, à qui, de la Vierge ou d'Isis, ces objets
furent oHginairement dédiés. Le titre de « Mère
de Dieu » fut appliqué pour la première fois à
Marie, Mère de Jésus, par les théologiens d'Alexan-
drie. Cette ville était le grand centre égyptien du
culte d'Isis, vers la fin du IIIe siècle. Au IVe siècle,
comme le christianisme triomphait rapidement
du paganisme, Marie ~ut toujours plus fréquem-
ment désignée sous ce terme. Peu avant l'an 4oo,
Epiphaue dénonce les femmes de Thrace, d'Arabie
et d'ailleurs, qui adoraient Marie comme une
véritable déesse, déposant des offrandes à son
autel. Vers l'an 43o cependant, le théologien
chrétien Proclus prêcha un sermon qui lui prêtait
une sorte de divinité, en l'appelant Mère de Dieu,
et médiatrice entre Dieu. et l'homme (x). Nes-
torius, autre dignitaire chrétien, fit objection à ce
point de vue, préférant considérer la vierge à
la manière des premiers chrétiens, soit comme une
femme d'essence mortelle. En 431, Cyrille d'Alexan-
drie fit à Éphèse un discours décisi f. Il usa de
(x) I.~BB~, Cona. III, 5~.
L ' IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS l S
termes si exaltés à l'égard de Marie qu'il devint
enfin possible de lui faire assumer la place laissée
vacante dans le cur des hommes depuis l'aban-
don du culte d'Isis et de son égale, Diane ou Artemis,
déesse des Éphésiens. Un résultat de ce sermon
fut que, à la grande joie du peuple, Nestorius fut
déposé, et Marie devint la suprême reine du ciel.
Vers cette époque commença à se répandre une
histoire attribuée à Mélito, évêque de Sardes
au IiO siècle, mais qui eut probablement une
origine plus tardive ; c'était que Marie avait été
miraculeusement élevée au ciel par Jésus et ses
anges. Au rie siècle, la fête de l'Assomption, qui
commémore cet événement, fut reconnue par
l'Eglise. C'est de nos jours une des grandes fêtes
catho]iques-romaines (I). Elle fut mise de cSté
par l'F.glise d'Angleterre au moment de la Réforme,
et ne revient que peu à peu en faveur, sous l'in-
fluence des Anglo-catholiques. On la célèbre le
I5 août ; c'est la date du grand festival de Diane
ou Artémis, avec laquelle Isis fut identifiée, et
l'on peut donc constater comment, au cours des siè-
cles, Marie prit la place de cette déesse.
Artémis, dans une de ses représentations, a été
identifiée à Selené, déesse de la lune, et le croissant
était alors son symbole. Isis aussi fut assimilée
à la lune. Ceci explique la présence du croissant
( I ) lq IC~PHOR]~ CALL IXTE, Hist. Ecdes. XVII , 28.
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L ' I N F L U E N C E D ' O S I R I S E T D ' I S I S
dans tant de peintures de la vierge Marie. Isis
fut encore identifiée à Vénus ou Aphrodite, et son
deuil à la mort d'Osiris, assimilé à l'aflïiction de
Vénus au sujet de la mort d'Adonis. Aphrodite
~tant née de l'écume, Isis devint peu à peu déesse
de la mer et des marins. Lorsque la Madone prit
la place d'Isis, elle hérita aussi du titre de Stells
Matis, l'Etoile de la Mer, qui lui est si souvent
donné dans les pays catholiques-rornains. A cet
égard, il est intéressant de constater qu'une image
d'Isis, un vaisseau à la main, fut sculptée sur un
panneau d'ivoire d'époque païenne, et que cette
image fut, sans idée d'inconvenance, insérée au
moyen Age sur un des c6tés de l'ambon de la cathé-
drale d'Aix, o~ elle se trouve encore (i). On peut
aussi mentionner qu'une statue d'Isis fut adaptée
au moyen âge à l'un des chapiteaux de l'Eglise
de Sainte-Ursule, à Cologne (2).
Isis fut encore identifiée à la déesse Astarté,
ou Ashtoreth (l'Ashtaroth de la Bible), reine des
cieux. Et de même que nous savons par Jérémie
(Jér. XLIV, 19), que les femmes hébraïques lui
faisaient des libations, ainsi pouvons-nous constater
que jusqu'à nos jours, les femmes de Paphos, à
Chypre, font des offrandes à la Vierge Marie, en
(x) PAuL ~MEN. Ku~~std~nkm~ler dsr Rh«inprovi~, I9x6, X,
p. xx3, fig. 68.
(2) Bonn. Jah,.buch,LXXVI, 3S.
L ' IN F L UE NC E D' O S IR I S ET D' IS I S I T 7
oe
.
tant que Reine des Cieux, dans les ruines mêmes
de l'ancien temple d'Astarté.
La fête de l'Annonciation est fixée au 25 mars
dans les Êglîses romaine et anglicane. Cette date
fut choisie parce qu'elle précède exactement de
neuf mois la date du 25 décembre, adoptée par
l'Eglise pour célébrer la naissance du Christ. Mais,
comme nous le montrerons dans un autre cha-
pitre, le 25 décembre se trouvait être non l'anni-
versaire de ~ésus, mais celui du dieu solaire Mithra;
D'autre part Homs, fils d'Isis, fut primitivement
identifié avec Râ, le dieu égyptien du soleil ( I),
puis avec Mithra, de sorte que cette fête chrétienne
-commémore en réalité l'annonciation d'Isis, et non
celle de Marie.
(1) WEIGALL» History a~ the Pharaos., i. p. 208.
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C H A P I T R E X I I I
L ' INFLUENCE DE MITHRA
Pendant trois siècles et demi la plus puissante
rivale du christianisme fut la religion connue
sous le nom de Mithracisrne. C'était le culte du
dieu solaire Nlithra, ou Mithras, qui fut introduit
à Rome par des marins de Cilicîe, vers l'an 68
avant notre ère. Cette religion se répandit plus
tard au travers dumonde romain jusqu'au triom-
phe final du christianisme. Elle fut la plus impor-
tante croyance païenne de l'Empire. Les chrétiens
la supprimèrent en 376 et 377, mais son écroule-
ment semble ëtre dû au fait que, en ce temps-là,
une grande partie de sa doctrine et de ses rites
fut adoptée par l'Église; ainsi elle fut pratiquement
absorbée par sa rivale, Jésus ayant supplanté
Mithra dans l'adoration des hommes, sans qu'il
y eût à proprement parler aucun hiatus.
A l'origine, Mithra était l'un des dieux les moins
importants de l'ancien panthéon persan, mais
on finit par l'assimiler à un soleil spirituel, à la
lumière céleste et à la personnification même des
L * I N F L U E N C E D E M I T H R A
sept esprits divins de bonté. Déjà au temps du
Christ on en avait fait l'égal d'Ormuzd (A hum-
Mazda), l'Erre suprême et le divin médiateur (I).
Mithra aurait mené une existence terrestre et
aurait été mis à mort d'une façon ou de l'autre,
pour le bien de l'humanité. On employait une
image symbolisant sa résurrection dans les céré-
monies qui le concernaient (2). Tarse, lieu d'ori-
gine de Paul, était l'un des grands centres de ce
culte. C'était aussi la capitale des Ciliciens. Et,
comme on va le montrer, on retrouve un soupçon
de mithracisme dans les épîtres et dans les évan-
giles. Ainsi, la désignation de Notre Seigneur sous
le nom de « Soleil levant qui nous a visités d'En
Haut » (Luc, I, 78), de « lumière » (2 Cor. IV, 6.
Êph. V, 13, 14 ; I, Thess. V, 5, etc.), de « soleil de
justice » (Malach. IV, 2) et autres exPressions
analogues sont tirées de la phraséologie mithriaque.
Mithra naquit d'un rocher, ainsi qu'on le voit
sur les sculptures qui le représentent, et on l'appelle .
parfois « le dieu issu du roc » (3). Son cure était
toujours célébré dans une caverne, et la croyance
générale de l'Église primitive selon laquelle Jésus
vint au monde dans une grotte, est un exemple
direct de l'influence mithriaque. Les mots de saint
(Z) ] . M. ROBERTSON, eag~~ Ch~$t$, p. 290 ; PLUTARQUE,
Isis et Orisis, ch. 46 ; J~Lm~, In Regain Solem, ch. 9, zo et: :az.
(2) TZSXULLm~r, Praes¢r , ch. 4o .
(3) F IRMICU-~, Dn Evrore, XXI , etc.
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°._
L ' IN F LU EN C E D E M IT H R A
Paul « Ils buvaient à un rocher spiri tuel.., et ce
rocher était le Christ » (I, Cor. X, 4) sont aussi
inspirés des sculptures mithriaques. Un des actes
rnythologiques de Mithra, qu'on retrouve dans les
uvres de Moïse, le représentait frappant un rocher
pour en faire jaillir une eau que ses adeptes buvaient
avec ferveur. Justin le Martyr (I) se ptamt de c e
que les paroles prophétiques du Livre de Daniel
au sujet d'une « pierre s'étant détachée du roc
sans le secours d'aucune main » (Dan. II, 34) sont
également employées dans le rituel mithriaque. Il
est évident que la grande importance attachée par
rÊglise primitive aux paroles attribuées ~ Jésus
et concernant Pierre, -- « Sur cette pierre, je bâtir.ai
mon église » --(Matt. XVI, 18) était due à leur
parenté avec l'idée mithriaque du Theos ek .Parcs,
le « Dieu issu du roc ». En fait, il se peut que la
raison pour laquelle la colline du Vatican, à Rome,
ait ét~ consacrée par Pierre comme le « Rocher »
du christianisme, venait de ce qu'elle était déjà
sacrée pour [es adeptes de Mithra, car des restes
de ce culte furent trouvés en ce lieu. Le principal
événement de la vie de Mithra consiste en un
combat avec un taureau symbolique, qu'il finit
par vaincre et qu'il immole. Du sang de ce sacri-
fice naquit la paix du monde et sa richesse, sym-
bolisée par les cornes de l'anïmal (cornes d'abon-
(x)
Dial. contre
Tryphon, ch. 7o.
L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A
dance). Le taureau semble représenter le monde
ou l'humanité, et cela implique que Mi thra, comme
le Christ, avait vaincu le monde. Mais , dans les
écrits primitifs persans, Mithra est lui-même le tau-
reau (I), le dieu se sacrifiant ainsi lui-même, ce
qui rappelle de près la conception chrétienne.
Plus tard, le taureau devient interchangeable avec
un bélier, mais le bélier du Zodiaque, &ries, associé
à Mithra, fut remplacé par un agneau dans le
zodiaque persan (Bundahish, II, 2) de sorte que
l'on sacrifiait un agneau, comme dans la conception.
pascale de Jésus (2). Socrate, l'historien ecclésias-
tique (3), pense que des victimes hurnahles furent
sacrifiées dans les mystères mithriaques jusque
vers l'an 36o de notre ère ; il est donc clair que ces
sacrifices eurent originellement une personne pour
sujet, et que c'est de là que se développa plus tard
l'idée de la mort expiatoire.
Donc, l'idée chrétienne du sacrifice de l'Agneau
de Dieu était 'familière à tous les adorateurs de
Mithra, et, de même que NIithra était une person-
nification des sept esprits de Dieu, de même l'agneau
immolé de l'Apocalypse avait sept cornes et sept
yeux « qui sont les sept esprits de Dieu » (Ap. V, 6) ....
D'anciens auteurs racontent qu'un agneau était
(x) J. M. ROBXRTSON, P~;gan Chrias» p. 298.
(2) GARuccx, Les Mystèras du Syn. Phrygien, 13. 34.
(3) Ecclds. Hist. l i v re I I I , ch. g.
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I 2 2
L ' IN F LU EN C E D E M IT H R A
consacré, immolé et mangé à P~ques. La P~que
~tait une fëte mithriaque (I), probablement l'anni-
versaire de la résurrection de Mithra ; le parallèle
est donc absolu. A cet égard il convient d'ajouter
qu'au VlIe siècle, l'Église tenta, mais en vain, de
supprimer la représentation du Christ par un
agneau, à cause de l'origine païenne de cette cou-
tume (2).
Les cérémonies de purification qui consistaient
~t asperger les novices avec le sang des taureaux
ou béliers étaient tr~ r~pandues et on les retrouve
dans les rites de Mithra. Par le baptême, un homme
« naissait de nouveau )) (S) et rexpression chrétienne
« lavé dans le sang de l'agneau » est évidemment
un reflet de cette idée. Le rapport est apparent
dans ces mots de l'Êpître aux Hébreux " « Il est
impossible que le sang des taureaux et des boucs
6te les péchés » (Hébr. X, 4). Dans ce passage,
l'auteur ajoute " « Puisque nous avons un libre
accès dans le lieu très saint, grâce au sang de J ésus,
par le chemin nouveau et vivant qu'il nous a ~rayé
, , "
propre chair..
à travers le voile c est-a-dxre sa
approchons-nous.., le cur purifié des souillures'
d'une mauvaise conscience et le corps lavé d'une
eau pure » (Hébr. X, I9). Quand nous apprenons
(X) MACROBE0 SaturnMes, I, xS.
(2) BXNGHAM, Chvistian A ntiq.
viii, 8.
sec. II ' :KV, 2, sec. 3.
(3) BEUGNOT, Hist. de la De,tr. du Paganisme I, p. 334.
L'INFLUEIçCE ~ DE MITHRA
que la cérémonie d'initiation mithriaque consistait
à entrer dans un mystérieux souterrain « Saint
des Saints », avec les yeux bandés, puis à être
aspergé de sang et lavé à l'eau, il apparaît claire-
ment que l'auteur de l'épître pensait à ces rites
mithriaques qu'en ce temps-là tout le monde
connaissait.
Une autre cérémonie du culte de Mithra consis-
tait à traverser un canal, les mains liées aux entrail-
les d'un oiseau personnifiant le péché et à en ëtre
« libéré » sur l'autre rive. C'est à ce rite que Paul
semble faire allusion lorsqu'il écrit « C'est pour la
liberté que Christ nous a affranchis ; demeurez
donc fermes et ne vous laissez pas mettre de nou-
veau sous le joug de la servitude » (Gal. V, I).
Tertullien (Praescr. ch. 4o) établit que les adeptes
de Mithra pratiquaient le baptëme par l'eau, grâce
auquel ils étaient délivrés du péché, et que le
prêtre faisait un signe sur le front de la personne
baptisée ; mais ceci encore était un rite chrétien,
et Tertullien estime que Satan dut être, pour
quelque but inique, l'auteur de cette coïncidence.
« Le diable », écrit-il, « imite même les traits prin-
cipaux de nos divins mystères », et « il a fait appli-
quer au culte des idoles les rites mêmes que l'on
emploie pour adorer le Christ ». Par ces mots, il
fait sans doute allusion à la fois au rite du baptême
et à l'eucharistie mithriaque que Justin le Martyr
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L ' I N F L U E N C E D E M I T H P, A
(I Apol. ch. 66) avait déjà déplorée lorsqu'il décla-
rait que Satan avait plagié la cérémonie dans
laquelle les adorateurs de Mithra recevaient le
pain consacré et la coupe. Ce rite, qui consiste à
manger le corps d'un dieu incarné et à boire son
sang, a sans doute une origine très ancienne déri-
vant des couturnes cannibales ; si vraiment, d'après
l'avis de plusieurs critiques, il ne fut pas institué
par Jésus lui-même, il pourrait dériver de sources
diverses, mais sa connection avec le rite mithriaque
est la plus apparente.
Les adeptes de Mithra étaient appelés « soldats
de Mithra », ce qui est l'origine probable du terme
« soldats du Christ » et de l'exhortation cE Revë-
tons-nous des armes de la lumière » (Rom. XIII,
I2 et Eph. VI, Il, I3). Mithra était le dieu de la
lumière. Cette religion, à l'égai du christianisme, ne
reconnaissait pas de distinctions sociales ; riches
et pauvres, hommes libres et esclaves étaient éga-
lement admis dans l'armée du Seigneur. Le mithra-
cisme avait ses austérités caractérisées par l'ini-
tiation à certains rites endurés par le « soldat
de Mithra ». L'épître à Timothée exhorte de m~me
les chrétiens ~ « souffrir comme un bon soldat de
Jésus-Christ » (2 Tire. II, 3). Le mithracisme a
aussi ses nonnes et ses prêtres (I). Un de ses prin-
cipes essentiels était le contréle sur la chair et le
( I ) TZRTULLIEN. eYaesar . ch. 4o .
L'INFLUENCE DE MITHRA. .125
mépris du monde, ce qui était symbolis é dans la
cérémonie de l'initiation. Une couronne était offerte
au novice qui devait la refuser et déclarer, comme
les chrétiens, que c'était une couronne céleste
qu'il convoitait. Nous avons même entendu parier
d'hymnes pouvant ëtre charités tant par ]es chré-
tiens que par les adorateurs de Mithra (I).
Ce culte de Mithra avait toujours lieu dans des
cavernes celles-ci étant naturelles ou artificielles.
Les chrétiens primitifs, ouvertement, et sans rai-
sons de sécurité, employaient ces cavernes sou-
terraines connues sous le nom de catacombes, s6it
pour leurs enterrements, soit pour leurs cultes
publics. Comme les antres mithriaquis, les cata-
combes étaient ornées de peintures représentant
entre autres Moïse faisant jaillir l 'eau du rocher,
ce qui, comme nous l'avons vu, a aussi son paral-
lèle dans le mithracisme. Le thème le plus souvent
représenté est celui du Christ sous sa forme de
Bon Berger. On estime aujourd'hui que l 'image
de Jésus conduisant un agneau est tirée des statues
d'Hermès Criophore (Pausanias IV, 33), dieu por-
tant un chevreau. NIithra est parfois représenté
avec un taureau sur ses épaules, et Apollon, qui
dan~s son aspect solaire et en tant que patron des
[
rochers (2) peut être identifié à Mithra, est souvent
( I ) R e v . A r d z . v o l . X V I I , z 9 I x , p . 3 9 7 .
(2) Hyml~a ~ l ' .dpol lon Ddl ian.
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,
I 2 6 L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A
appelé « le bon berger ». A la naissance de Mithra,
l'enfant fut adoré par des bergers qui lui appor-
tèrent des cadeaux (I).
Le sabbat hébraïque ayant été aboli par les
chrétiens, l'Eglise sanctifia le dimanche, en partie
parce que c'était le jour de la résurrection, mais
surtout parce que c'était la fête hebdomadaire
du soleil. La politique chrétienne aimait à adopter
les fêtes pa~ennes chères à la tradition populaire
pour leur donner une nouvelle signification. Le
dimanche, jour du soleil, était aussi le jour de
Mithra. Il est intéressant de noter que Mithra étant
appelé Domi~us ou « Seigneur », le dimanche
dut être appelé le « jour du Seigneur » bien avant
l'époque chrétienne.
Nous mentionnerons ici, en passant, un sujet
auquel nous avons déjà fait allusion, et dont nous
parlerons encore dans un prochain chapitre" l'ori-
gine dej Noël. Le 25 décembre était l'anniversaire
du dieu solaire, et particulièrement celui de Mithra.
Et ce n'est que depuis le Ire siècle que ce jour fut
adopté pour la date, en fait inconnue, de la nais-
sance de Jésus.
Le chef du mithracisme était appelé le Pater
Pa~~, le « P~re des Pères » et il siégeait à Rome.
De même, le chef de l'Eglise devint le pape, ou
père, et siégeait également ~ Rome. La couronne
( x ) E n r a y e . B r i t . I X e é d . v o l . X V I I , p . 6 2 3 .
L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A
papale se nomme « tiare », ce qui est une coiffure
persane, peut-être mffhriaque. Le siège antique
conservé au Vatican et que l'on suppose avoir
été le trône pontifical de saint Pierre est en réalité
d'origine païenne ; il se peut qu'il ait appartenu
au culte de Mithra, car il est orné de certaines
sculptures qui rappellent ce dieu (I).
(I) J. M. RossRxsoN, Paga, Cht'ist, s, p. 336.
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C H A P I T R E X I V
L 'ORIGINE DE L 'EUCHARISTIE
Au chapitre précédent, nous avons montré que
le sacrement de l'Eucharistie faisait partie des
rites du mithracisme, et le lecteur, se rappelle que
les él6ments en étaient le pain et l'eau, et non le
vin. Nous avons maintenant l'intention d'expliquer
que, au I~~ siècle, la communion chrétienne
n'était qu'une cérémonie commémorative, au cours
d'un simple repas, et que c'était du vin et non de
l'eau, qu'on employait à cet effet; mais qu'au
n , s ièc le ce t t e cou tume dev in t un sac re -
ment, et que le vin fut remplacé par de l'eau, ce
qui semble prouver que le rite mithriaque in fluença
le rite chrétien.
L'allusion la plus ancienne à ce sacerdoce se
trouve dans la première épkre de Paul aux Corin-
thiens (I, Cor. XI, I7-34), 6crite environ vingt-
cinq ans après la Crucifixion. Il y est dit ~tui les
disciples avaient l'habitude de se réunir pour
célébrer la cène en partageant un repas commun.
Ces repas dégénérèrent bientSt en une sorte d'orgie
I.'O~mi~E DE z'EUcHA~isTm I29
où les uns se livraient à des excès au détriment
des autres. Saint Paul enjoint aux fidèles de se
restreindre et de s'attendre mutue~ement, ajoutant
que, puisqu'il s'agit d'un repas sacré dans lequel
on doit reconnaître le corps de Jésus, il convient
de prendre un premier repas chez soi, avant de se
réunir pour la cène. Il rappelle l'origine de la céré-
monie en ces termes « Le Seigneur Jésus, la nuit
qu'il fut livré, prit du pain et après avoir rendu
grâces, il le rompit et dit « Ceci est mon corps
qui est donné pour vous , faites ceci en mémoire
de moi. » De même aussi, après avoir soupé, il
prit la coupe et dit ' « Cette coupe est la nouvelle
alliance en mon sang ; faites ceci, toutes les fois
que vous en boirez, en mémoire de moi ». (I, Cor.
XI, 23, 25.)
Ailleurs, dans la même épître, saint Paul dit" « La
coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle
pas la communion au sang du Christ ? Le pain
que nous rompons n'est-il pas la communion au
corps du Christ ? » (I, Cor. X, 16-3I) et il prie les
Corinthiens de ne point participer A de semblables
cérémonies en l'honneur des dieux païens qu'il
traite de « démons ». « Vous ne pouvez boire à la
coupe du Seigneur et à la coupe des démons ;
vous ne pouvez participer à la table du Seigneur
et à la table des démons. Ou bien voulons-nous
S U R V X V A N 0 . . F o q P A ï ~ N ~ F . ~ S D A N S ~ M O N D ~ ~ I R ~ ~ I ~ ~ q Ç
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X3 0
L~ORIGINE DE L~EUCHARISTIE
2I, 22). L'agape était donc un rite sacré, apparenté
aux rites de certaines autres religions et peut-
ëtre inspiré du Kidd~sh, repas sacré des Juifs
la veille du Sabbat, et dans lequel le pain et la
coupe étaient bénits solennellement ; et puisqu'on
nous dit (verset I7) que tous les partici pants se
partageaient les morceaux d'un même pain con-
sacré, et que le repas se terininait en se passant
de l'un à l'autre une même coupe, nous en dédui-
ceremome avait le caractère d'un
ons que ce t t e " " "
souper en commun. Il fut conservé tel quel jusque
vers l'an 112, oh Pline en parle dans une lettre.
Ce repas est décrit, et classé par Pline (I) comme
un simple banquet, semblable k ceux d'autres
sociétés ou corporations. Il devait cependant res-
sembler plutOt aux festins sacrés du temple de
Sérapis à Alexandrie, qui, selon Aristide, établis-
saient une réelle communion avec le dieu. On a
trouvé dernièrement en Egypte une invitation
l'un de ces festins de Sérapis (2).
Dans les Didakh~, ou « Enseignement des ApO-
tres », document datant de l'an 9° environ, on
donne certaines instructions à l'égard de cette
cène qui, nous dit-on, avait lieu le dimanche (3). On
commençait par faire circuler une coupe dont le
(I) Lettre XCVIII, dont l 'authenticité est probable.
(2) GR~NFELL AND HUNT, Pap. Ox, I, Ixo.
(3) J. E. ODGE~S, D~dache (Trad. angl. ch. IX-X.)
L*O1RIGINE DE L'EUCHARISTIE I 3 T
contenu était appelé « le vin sacré de David », sans
qu'il y soit fait allusion au sang du Christ. Puis ~
on distribuait le pain préalablement rompu, et ce
devait être le symbole de « la vie et de la connais-
sance apportées aux hommes par Jésus ». Après .
quoi les convives mangeaient de bon cur leurs
provisions communes et OE une fois rassasiés » ils
rendaient grâces pour la nourriture et la boisson
données par Dieu pour le plaisir des hommes, ainsi
que pour la nourriture et les boissons spirituelles
et la vie éternelle que Jésus leur avait faît connaître.
Dans l'évangile de Marc (XIV, 22-25) datant
à peu pr~s de la mëme époque, le récit de l'incident
qui, au cours de la vie de Jésus, fut cause de cette
cérémonie, est sensiblement pareil à celui de saint
Paul, mais avec cette différence que, au sujet de l~
coupe, Jésus aurait dit « Ceci est mon sang, le
sang de l'Alliance qui est répandu pour plusieurs ».
Dans l'évangile le plus proche en date, celui de Luc,
le récif'est similaire (XXII, 19, zo). On peut recons-
truire l'événement d'après le récit de ces deux
évangiles. C'était un jeudi soir, probablement
le 6 avril de l'an 30 (I). Ils étaient r~unis pour la
Pîque traditionnelle. Jésus savait qu'il serait
arrêté d'un moment à l'autre et que son exécution
s'ensuivrait tout naturellement. C'est pourquoi,
(I) Si c'était eu l'an 3o, la date fut le 5 avril ; mais on n'est pas
certain du chiffre de l'année.
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I 3 2 L 'OR IGIN E DE L 'EUC HARIST IE
en distribuant comme de coutume ]es morceaux
de pain qui devaient être trempés dans le jus de
l'agneau r6ti, il fit la triste remarque que son corps
serait rompu de même. Lorsque, plus tard, après
le repas, il fit, selon l'habitude, circuler le vin,
il le compara ~ son sang qui allait être versé, et il
pria ses amis de ne point oublier le sacrifice qu'il
allait faire, et d'y penser chaque fois qu'ils rom-
pràient le pain ou boiraient le vin ensemble.
Rien ne peut faire, croire que Jésus ait songé à
établir une Eglise ou ~ prescrire des lois pour de
futurs rites ecclésiastiques. Il était opposé aux
formes et aux cérémonies, le Royaume des Cieux
devant ~tre, selon lui, dans le cur de l 'homme.
Il n'y a donc rien de surprenant ~ ce que les chré-
tiens du I,~ siècle aient commémoré cet inci-
dent de la manière décrite plus haut. Niais voic i
qu'un changement eut lieu dans la cérémonie.
Dans l'Evangile de Jean (lO5 ap. J. C.) on orner déli-
bérément de relater le dernier souper, comme s'il
n'était pas la cause du nouveau sacrement, et on
insère, en lieu et place (Jean, VI, 48-58) un long
passage de prétendues paroles de Jésus. Il aurait dit
qu'il était le pain de vie, l e pain vivant, que sa
chair était véritablement une nourriture, et son
sang un breuvage ; et qu'~ moins de manger sa
chair et de boire son sang, les hommes ne pourraient
avoir la vie éternelle. Cet évangile qui n'était
L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E .
en fait pas reconnu par l'Êglise primitive comme
ayant voix d'autorité est le seul dans lequel fl soit
parié de Jésus comme étant du pain ou de l'eau.
Dans le dernier synoptique (Matthieu) datant
de Ioo à IiO ap. J. C. il se trouve qu'après les mots
« Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est
répandu pour plusieurs », quelqu'un a ajouté
« pour la rémission des péchés » (XXVI, 28). Mais
il ne s'agit là que d'une interpolation ayant pour
but de donner à cet incident la valeur d'un sacri-
fice.
Au moment où la cène originelle fut cristallisée
en un rite, l'eau fut substituée au vin. Jusfin le
Martyr (I, Apol. ch. 65), écrivant vers I4o ap. J. C.,
d i t que les fidèles recevaient le pain et l 'eau
distribués par les diacres et que ces éléments
étaient considérés comme étant la chair et le sang
de Jésus (I). Il ajoute que le pain et l'eau étaient
aussi employés dans l'eucharistie des adorateurs
de Mithra, et il attribue ce fait aux machinations
de Satan. Il est significatif de remarquer que l e
pain était coupé en forme d'hosties, chacune étant
marquée d'une croix, comme on peut le voir sur un
bas-relief représentant une communion mithriaque
et que l'on a retrouvé dernièrement (2). Depuis
(I) Le cedex othobonionus ne mentionne que le pain et l 'eau,
mais dans d'autres textes, le terme de vin a ét6 inte~ol&
(2) CU~ONT, Les mya~re$ de Mithra.
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I 3 4
L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E
quelques années, l'eau était employée ~ la place
de vin dans plusieurs communautés chrétiennes.
Irénée (18o ai). J. C.) parle d'un mélange d'eau et de
vin, et cet usage peut avoir conduit à l ' interpo-
lation qui, dans l'évangile de Jean» établit que du
sang et de l' .eau s'écoulèrent du flanc bl essé de
Jésus (Jean X IX , 34 ) . L ' eau pu re , cependan t ,
était en usage jusque vers l'an 25o. A l'époque de la
suppression du paganisme, vers la fin du IVe siècle,
elle fut interdite de par la loi, ce qui indique que
cet u~age avait bien été emprunté aux rites pa~ens.
Nous pourrions encore ajouter que, de la foi de
certains critiques, l'eucharistîe mithriaque com-
mémorait le dernier repas de Mithrs avec Hélios,
avant son ascension (I).
Ces faits montrent c lairement que la simple
cène de Notre Seigneur fut transformée en un ri te
sacramentel, sous l'influence mithriaque et d'autres
croyances du temps, et c'est pourquoi nous devons
examiner quelle fut l'origine de ce caractère sacri-
ficatoire dans les religions primitives.
Aux époques les plus reculées, le cannibalisme
était pratiqué dans le but d 'acquérir les vertus
de la personne immolée en mangeant sa chair
ét en buvant son sang. On mangeait la v ictime
humaine ou animale identifiée à ]a divinité à laquelle
( I ) E n v o l . B r i t . I I e é d . v o l .
x v I I ,
p . 6 2 4 .
L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E
X 3 5
elle était consacrée, afin d'effectuer une commu-
nion réelle avec le dieu.
Le véritable cannibalisme n'était pas complè-
t e m e n t é t e i n t d a n s l e m o n d e c i v i l i s é d u I ' ~
siècle après Jésus-Christ. Certains ri tes qui en
étaient la substitution directe, étaient pratiqués
de tous cStés. Dans les mystères de Dionysos, on
mangeait un biscuit A l' image d'un enfant. Dans
ceux d'Apollon, à Larissa, l 'oracle était rendu
par une prêtresse qui devait boire le sang d'un
agneau sacrifié afin d'être investie par le dieu.
Tertul l ien (Adv. Gnosticos 7) écrivant vers l 'an
2oo, raconte que l'on buvait encore du sang humain
au culte de Jupiter Latiaris. En fait, les premiers
chrétiens devaient être habitués à l'idée de manger
rituellement le corps d'un dieu, et l'on peut dire
que des phrases telles que celle-ci « Si vous ni
mangez la chair du Fils de l'Homme et ne buvez son
sang » ne peuvent avoir ét6 écri tes que par quel-
qu'un qui avait été élevé dans le rituel d'un can-
n iba l i sme immémor ia l e t pou r leque l l ' i dée de
dévorer un dieu était parfaitement normale.
Ayant été paganisé de cette manière, le ri te
chrétien a acquis un caractère bien défini de cauni-
balisme. L'idée de transsubstantiation, par laquelle
le pain et le vin sont censés se transformer véri-
tablement en chair et en sang de J ésus, ne t arda
pas à se développer. Tertul l ien raconte que les
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I35
L'ORI«mE DE '
EUChARIStIE
prêtres prenaient grand soin qu'aucune miette
d'hostie ou q aucune goutte de liquide ne tombât
*
à terre, de peur que le corps "
^
de Jesus ne fût meurtri.
On prit bientSt l'habitude, dans certaines commu-
nautés chrétiennes, de donner au pain une forme
humaine, de façon à ce que chaque communiant
puisse manger, qui l'oreille du Christ, qui ses yeux,
qui ses doigts, et ainsi de suite, chacun selon son rang
social. Mais ceci fut interdff en fin de compte par
le pape Pélage
Ier.
En 818, Paschasius était très
t
~ l
rouble à 1 ldee que le corps du Christ, ayant été
bsorbe, pourrait ëtre transforrné en excrements ;
au moyen âge» il y eut de sérieuses discussions
pour savoir ce qu'il Conviendrait de faire ai quel-
qu'un venait à vomir après avoir reçu le sacrement,
ou si un chien ouune souris goûtaient par hasard
au corps de Dieu (I). Au Ixo siècle, Huisrnar de
Reirns affirme que la seule raison pour laquelle
l'hostie gardait son apparence de pain après la
transsubstantiation était que Dieu voulait épar-
gner au communiant l'horrible spectacle de la chair
réelle, crue et sanglante, du Christ.
Dans la bulle de Pie IV, au moment du Concile
de Trente, le dogme catholique romain était ainsi
o
J
i
onçu « Dans le sacrement de 1 Eucharistie, il y a
V F
erztablement, reellement, et en substance, la
(z) A. WAZJCSR, Popery, 2e 6d. p. z74'
voir aussi
Em, yd. Bri~. :
« Eucharist », etc.
L ' O R I G I N E D E L ' : E U C H A R I S T I E I 3 7
0
chair et le sang combinés avec l'âme et la divinité
de N. S. J.-C. et lors de cette cérémonie, l'entière
substance du pain est convertie en chair, de même
que l'entière substance du vin est convertie en
sang » (I) ; dans la Confession Helvétique de 1556 (2),
il est établi que lors de l'Eucharistie « il y a une rnas-
tication sacramentelle du corps du Seigneur ». Lors de
la Réforme, l'Eglise anglaise adopta le point de vue
selon lequel « le corps du Christ n'est mangé que
d'une façon symbolique » et elle rejeta la transsub-
stantiation comme étant idolâtre. Elle donna aussi
des orclres précis concernant les restrictions mentales
qu'il conviendrait de faire si l'on était forcé d'adorer
le sacrement à la manière romaine, comme s'il
s'agissait de la chair véritable du Christ (3).
L'ancienne idée païenne qui, comme on l'a vu,
passa dans l'Eglise au II0 siècle, tend à revenir
graduellement dans le rite anglican. Les divinités
ancestrales sont lentes à mourir et l'instinct can-
nibale est encore latent au cur du mysticisme
de la race humaine. Les protestants, en combattant
sur ce sujet les Anglo-catholiques, s'imaginent qu'ils
s'opposent à des pratiques papales ; ils ne semblent
pas s'apercevoir qu'en fait ils défendent une sorte
de rationalisme du xxe siècle contre la tradition
immémoriale de toute l'humanité primitive païenne.
(x) Con. Tri& sess. XIII ; c. IV, etc.
(2) Caput XXI, De Sacroe Ca~n¢; Domini.
(3) P~Y~R BOOK,
A rLides de
la Religion.
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C H A P I T R E X V
L ' O R I G I N E D E L ' I D E E D ' E X P I A T I O N
Il a été admis pendant si l ongtemps que la doc-
tr¤ne de l'expiation était le véritable noyau de la
foi chrétienne, que la tendance des cercles intel-
lectuels à revenir sur sa signification semble un
blasphème pour les orthodoxes. Cette doctrine,
cependant, n'est pas un des dogmes du « Credo des
Ap6tres », si l'on excepte ce que les mots « le pardon
des péchés » peuvent contenir de cett e idée.
Dans le « Credo d'Athanase » que l'on récite à
l '~g~se anglaise lors de certaines fêtes, i l n 'y a
d'autre al lusion à cette croyance que les mots
« Le Christ, qui souffrit pour notre salut ». Mais dans
les t rente-neuf « ar t ic les de re l ig ion » de la fo i
anglicane, les termes sont précis « Le Christ a véri-
tablement souffert pour nous réconcilier avec Son
Père et pour être un sacrifice, non seulement pour
le p~ch6 originel, mais aussi pour tous l es péchés
actuels des hommes ». Et « L'oblation de Jésus-
Chrisf, une fois faite, constitue une Rédemption
parfa i te , une Prop i t ia t ion parfa i te e t une Sat is -
L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N I39
faction parfaite, pour tous les péchés du monde
entier, tant pour le péché originel que pour les
péchés actuels ; et il n'y a point d'autre expiation
pour le péché que celle-là seule. »
La doctrine, ainsi qu'elle est comprise par les
chrétiens conservateurs, est la suivante Adam
ayant désobéi en mangeant le fruit défendu, le
péché et la mort entrèrent dans le monde. Chaque
être humain doit de ce fait porter le poids d'une
malédiction, et être privé de la bénédiction divine,
sauf dans certains cas privilégiés. Dieu, cependant,
pour améliorer cette situation et se réconcil ier
avec l'humanité, envoya son fils sur la terre, afin
que le sacrifice de sa mort serve au rachat du crime
d'Adam. Les chrétiens, dès lors, ne sont plus exclus
du paradis par le péché originel. Le rétablissement
des relations normales entre Dieu et les hommes
fut donc effectué par la valeur propit iatoire des
souffrances et de la mort de Jésus.
Il faut tout d'abord remarquer que depuis que
la doctrine de l'évolutionnisme a éliminé Adam et
Ève de l'histoire, pour lesreléguer dans le domaine
des légendes mythologiques, nos idées sur le péché
originel ont été modifiées. De nos jours, ce terme
exprime l ' incl ination que nous avons tous vers
le péché, grâce à ce que notre nature comporte
d'impulsif et d'inférieur. Si l'absurdité d'une légende
telle que celle du jardin d'Eden nous fait sourire,
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.
1 4 0 L ' O R I G I N E D E L " I D É E D ' E X P I A T I O N
nous n'aurons cependant pas envie de nier que
nous sommes fous entrés dans la vie chargés d'un
fardeau d'insfincts pervers, faci]ement assirnilables
au péché originel. A cet égard, la pensée moderne
n'entre pas en conflit avec les idées chrétiennes
prirnitives, mais, en ce qui concerne l'expiation,
notre point de vue a changé. Nous ne pouvons
plus accepter la répugnante doctrine théologique
qui, pour certaines raisons d'ordre mystique, récla-
mait un sacrifice expiatoire. Cette pensée est
outrageante tant pour la conception d'un Dieu tout-
puissant que pour celle d'un Dieu Amour. Le
fameux D~ Cruden (Concordance) écrit que pour
l'accomplissement de ce sacrifice « Le Christ eut à
souffrir des peines terribles, infligées par Dieu ».
Voilà qui révolte l'esprit moderne, parce qu'un tel
sentiment s'apparente trop ouvertement avec les
tendances sadiques de la nature humaine prirni-
.rive.
En réalité, cette doctrine est d'origine païenne,
et c'est peut-ëtre le reliquat le plus évi dent de
l'idolâtrie dans notre foi. Ainsi que nous le mon-
trerons dans le chapitre suivant, elle n'est basée
sur aucune parole authentique de Jésus.
Dans l'antiquité, on pensait que les souffrances
et la mort des dieux tournaient au bénéfice de
l'homme. Adonis, Attis, Dionysos, Hêraclès, Mithra,
0siris, et d'autres, étaient tous des dieux sauveurs,
L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N
dont la mort était considérée comme un sacri-
fice fait au profit de l'humanité. Dans la plupart
des cas, le dieu s'immolait lui-même, à lui-même.
L'idée d'un dieu mourant et ressuscitant pour .le
bien de l'humanité semble avoir son origine dans
le fait que la nature paraît mourir en hiver et revivre
au printemps. Ce phénomène faisait supposer
que la mort est nécessaire a la vie. Il fallait donc
que le dieu meure, pour renaître avec la. moisson.
Les sacrifices humains se trouvent dans beau- ""
coup de religions primitives, et tout fait croire que
la victime était identifiée, en cette occasion, à
l' idole à laquelle elle était immolée. Le sacrifi-
cateur était souvent conspué et injurié selon certains
rites, après avoir accompli son devoir, ce qui semble
bien démontrer que la victime était un objet sacré.
De plus, on faisait tout pour essayer de prouver
que cette victime s'offrait d'elle-même, toute oppo-
sition étant prévenue par un calmant ou par la
rupture préalable des membres.
L'idée centrale du culte d'Adonis se trouvait dans
sa mort et sa résurrection. I l était tué par un
sanglier, mais ce sanglier était sa propre incar-
nation, de sorte que le dieu était à la fois exécu-
teur et victime. Cette idée est exprimée dans
l'Epître aux I-Iébreux (IX, xE-I4, 26-28) où Christ
est décrit comme le Souverain Sacri ficateur,. qui
pour abolir le péché s'est immolé lui- même. De
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1 î4 2 L 'O RI GI NE DE L' ID ÉE D' EX PI AT IO N
m~me Mithra immole un taureau, mais ce taureau
c'est Mithra lui-mëme. Un bouc et un taureau
étaient offerts à Dionysos, et ces cieux animaux
étalent également deux aspects de la divinité.
On sacrifiait un ours à Art~mis, et cet ours était
Artémis. L'histoire des religions abonde en exemples
de ce genre.
Dans le Havamal on trouve des runes magiques
faisant allusion à un sacrifice au dieu Odîn. « Je
sais que j'ai été pendu à l'arbre agit6 par le vent,
pendant neuf nuits, blessé par la lance, offert à
Odin, moi-même à moi-même » (z) . Attis aussi
se mutila et mourut» étant à la foîs le Dieu Père
et le Fris sacrifi~.
Ainsi, l'idée d'un dieu s'offrant de lui-même pour
les péchés de l'humanité n'était pas nouvelle. Les
sacrifices humains, symbolisant directement ou
indirectement la mort rédemptrice d'une divinité,
étaient tout naturellement l'objet des conversa-
tions et des pensées. Tertullîen (Apologétique, IX)
raconte que des enfants furent encore offerts
en holocauste à Saturne, sous le proconsulat de
Tibgre. Dion Cassius (XLII, 24) cite le sacri fice
de deux soldats à Mars, au temps de Jules César.
D'autres exemples pourraient encore être cités
pour montrer combien la croyance en l'efficacité
des offrandes humaines était générale à l'époque
(x) Fm~zEI~, Ado~is, A~tis, Osi~s, liv. II0 ch. V.
L ' o R I G I N E D E L ' I D I ~ E D ' E X P I A T I O N 1 4 3
du Christ. Cette idée 6tait loin de répugner aux
Juifs. Le récit barbare d'Abraham ne les faisait
pas frissonner. Les diverses pendaisons devant
l'Etemel ; celle, par exemple, des sept princes au
temps de la moisson de l'orge (2 Samuel, XXI, 9)
leur paraissaient tout à fait naturelles. Le sacri-
fice du Bar Abbas, dont il a été question au cha-
pitre
vII,
semble avoir été une coutume généra-
lement admise.
Dans le fameux chapitre LIII d'Isaîe, le pro-
phète développe l'idée d'une figure nationale,
distincte du Messie, qui, par ses souffrances et sa
mort, rachèterait les péchés de la nation ;
plus
tard,
le judaïsme insista sur l'i dée qu'Israël rachetait
ses iniquit6s par le sang des justes. Il est certain
qu'aucun Juif orthodoxe ne pensait que le Messie
promis aurait ~ souffrir ; il devait être un héros
conquérant, un chef divin. Mais on estimait pourtant
que les maux de la nation et la mort de ses saints
innocents étalent des expiations et qu'un peuple
juste devait forcément être un peuple soumis à
des souffrances. Ces théories des Juifs au sujet de
la r6demption étaient bien établies à l'ép0que de
Jésus. On sacrifiait partout des boucs, des agnëaUx
ou quelqu'autre animal pour la rémission des.
péchés. Le bouc émissaire, chargé de toutes les
fautes de la nation et conduit dans le désert pour
~tre dévoré par les fauves, ~.tait une variante de
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I 4 4 L ' O R I G I N E D E ~ L ' I D É E i ) ' E X P I A T I O N
cette pratique. Voici à ce sujet les plus anciennes
'
paroles de la loi (Lévk. XVII, II) « L'âme de la
chair est dans le sang ; je vous l'ai donné sur l'autel,
pour faire l'expiation de vos ~mes; car c 'est le
sang qui fait l'expiation pour l'âme. » ~ésus apporta
donc son message d'amour et de charité en un
temps où l'esprit juif était plein de ces idées de
I
boucherie rédemptrice. Tout le monde pensait
que les dieux païens devaient souffrir et verser
leur sang pour l'humanité. Les autels fumaient
du sang des victimes humaines ou animales tor-
fur~es et mises à mort pour le rachat des iniquités.
Les premiers chrétiens étaient donc bien à même
de saisir une telle interprétation de la mort de
Jésus. Aussi, dès qu'ils curent compris que le
r61e du Messie comportait la torture et la mort aux
fins d'un sacrifice expiatoire, l'opprobre qui avait
atteint leur Maître fut changé en triomphe. Le
Messie devint l'Agneau de Dîeu immolé afin que
les péchés du monde fussent lavés dans son sang.
C'était ainsi le plus important de fous les sacri-
fices traditionnels des fils princiers par les rois leurs
p~res. Jésus était le supr%me exemple d'une divi-
nité terrestre se sacrifiant d'elle-même à son
« double » céleste. Le fait qu'il avait été crucifié
la veille de Pâques corroborait le tout pour les
Juifs convertis, Il fut l'Agneau sans tache. P our
les néophytes d'origine païenne, Il fut l'Adonis,
L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N
symbole de jeunesse, tué par le sanglier, autre
forme de lui-même. Il fut le taureau de l~ithra
qui s'immole à lui-même. Il fut Hèraclès s'offrant
au feu du sacrifice ; Il fut Prométhée attaché au
rocher, Attis mutilant sa propre chair ; Il fut le
souverain sacrificateur s'offrant en holocauste au
Dieu dont il émane, et le Fils sacrifié par son
Père pour sauver la nation de la vengeance divine
(voir ch. VII). Le sacrifice que représentait la
crucifixion, la valeur sacrée de la Passion devinrent
de plus en plus évidents. Mais cette i nterpréta-
tion n'aurait pas été aussi vite agréée si tant de
croyances antérieures n'avaient pas préparé les
esprits à cette révélation. Jésus n'avait pas accompli
seulement les Êcritures judaïques, mais encore
celles du monde païen. Et c'est sur ce fait que repose
le grand appel du christianisme primitif. En lui
furent condensées en une réalité immédiate, une
série de divinités obscures. Par la crucif~ion, les
vieilles légendes de rachat par la souffrance et de
mort rédemptrice devinrent un fait positif et prirent
leur véritable sens.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que cette doc-
trine sauvage et sombre de l'expiation soit devenue
le dogme central de la foi nouvelle. M ais ce qui
peut sembler étrange, c'est qu'elle soit encore prê-
chée au xxe siècle
S U I ~ V l V A N O E S P A T E N N E S D A N S L E M O N D E C H Ê T I E N
I 0
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C H A P I T R E X V I
LE Dt~VELOPPEMENT
DE LA DOCTRINE DE L 'EXPIATION
Au chapitre précédent, nous avons montré que
l'idée d'un sacrifice propitiatoire expliquant le
« scandale » de la. Croix pouvait se présenter d'elle-
même à l'esprit des premiers cgrétiens, puisqu'une
telle doctrine était familière tant aux Juifs qu'aux
tmïens. Les souffrances expiatoires et la. mort des
dieux au profit de l'humamté étaient, rappelons-le,
des lieux communs des religions primitives. Bien
que les Juifs n'aient jamais envisagé que le Messie
dût subir une peine infamante, ils croyaient cepen-
dant que les sou~r.a.nces des chefs d'Israël étaient
exigées, d'après les ~critures, pour le rachat des
péchés du peuple. C'est pourquoi la foi des disci-
ples en la divinité du Seigneur leur parut confirmée
de façon éclatante, dès qu'ils eurent compris que le
supplice du Mattre était en accord avec les pro-
phéties messianiques, et que J ésus avait réalisé
l'idée traditionnelle du sacrifice rédempteur. Une
telle expiation étant à la portée des « gentils »,
comme à celle des Israélites, les convertis fondèrent
leurs meilleurs arguments sur cette idée.
L A
D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N
]ésus, pourtant, n'a jamais rien dit qui puisse être
interprété avec certitude dans ce sens-là. Jamais il
n'a prétendu que le pardon des péchés, originels
ou autres, et la grande réconciliation entre Dieu et
l'homme seraient la conséquence de sa mort, ni que
son. supplice devait ëtre considéré comme un sacri-
fice expiatoire. La phrase « Le Fils de l'Homme
est venu.., pour donner sa vie en rançon pour plu-
sieurs » (Marc X, 45)est évidemment un commen-
taire de l'évangéliste et non une parole de Jésus.
D'ailleurs, même si ces mots furent prononcés
par Lui, ils pouvaientsimplement signifier que,
de même qu'il avait vécu pour apporter le bonheur à
autrui, de même ~tait-il pr~t à mourir seul, pour
sa cause. On a l'habitude de penser que les paroles
prononcées par le Maître, au cours du dernier
repas, indiquent la nature expiatoire de sa mort,
et sa valeur de sacrifice ; mais c'est 1~ une inter-
prétation erronée. Dans l']~vangile de Marc, J ésus
dit « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui
est répandu pour plusieurs. » D'après Luc, il dit
« Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang,
qui est répandu pour vous. » Ce n'est que dans
l'Evangile, beaucoup plus récent, de Matthieu que
se trouvent ajoutés les mots' « pour la rémission
des péchés ». Or, feu le doyen de Carlisle écrit à ce
sujet « Le critique" le plus conservateur n'hésitera
pas à considérer cette adjonction comme une glose
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LE
DÉVELOPPEMENT
explicative faite par l'auteur de l'Êvangile » (1).
Quant aux autres paroles, elles indiquent simple-
ment que Jésus était prët k donner sa vie pour ses
amis et à mourir pour sa cause.
Jésus ne s'est jamais préoccupé des mystères
de la théologie. Sa vie fut transparente de simpli-
cité. Son ensëignement fut basé sur la conception
d'un Dieu aimant, d'un père pardonnant les péch6s
à la seule condition d'une repentance sincè.re.
Jamais, sans doute, n'aurait-il admis l'idée d'un
Dieu vengeur et dont la col~re implacable ne serait
adoucie que par la torture et l'ignoble exécution
d'un messie. Mais saint Paul avait l'esprit théo-
logique, et, ayant été convaincu, par ceux qui lui
enseign. èrent la foi, que Jésus était mort pour
racheter les perversités humaines, il développa
cette doctrine avec ardeur (I , Cor. XV, 3). Du
reste, il ne dit pas que la mort d'une victime inno-
cente avait détourné la fureur divine, mais il expli-
que que « Dieu était dans le Christ, réconcili ant
le monde avec lui-m ême » (I, Cor. V, I9). Ces
mots sont diamétralement opposés à ceux qui se
trouvent dans les trente-neuf articles de la reli-
gion anglicane" « Le Christ souffrit pour réconcilier
son Père avec nous. » Cependant, la conception du
sacrifice est sans doute présente à l'esprit de saint
Paul quand il écrit" « Dieu envoya son Fils en
(~) H. RA~SDALL, Tho Idea o/A~on«msn~.
D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N
offrande pour le péché », « Nous sommes acquittés
par son sang », etc. On ne sait pas s i l'épître au
Éphésiêns est une lettre originale de Paul, mais
nous y trouvons que « Jésus-Christ s'est donné
lui-même à Dieu pour nous, en offrande et en sacri-
fice, comme un parfum d'agréable odeur » (Éph. V, 2).
L'épttre aux Hébreux, qui fut probablement
écrite non par Paul mais par un auteur inconnu,
insiste sur la Passion en tant que sacrifice..lésus,
y est-il, dit, chasse le péché par son propre sacri-
fice. Il fut le souverain sacrificateur s'immolant
lui-même, parce que, selon les Écritures, le pardon
était conditionn~ par l'effusion du sang, et que
l'expiation suprëme nécessitait la plus précieuse
des victimes. Jésus « obtint pour nous la Rédemption
éternelle, non par le sang des chèvres et des agneaux,
mais par son propre sang ».
La première épître de Pierre insiste sur les souf-
frances liées au sacrifice et sur l'efficacité du sang.
Les chrétiens sont élus « pour obéir k J ésus-Christ
et pour avoir part à l'asper sion de son sang ».
Ils sont « rachetés par le précieux sang du Christ,
comme de l'agneau sans défaut et sans tache »,
« lui quia porté lui-même nos péchés en son corps
sur le bois » (I, Pierre, I, 2, 19, et II, 24).
L'épître de Jacques contraste entièrement avec
les écrits de Paul et de Pierre. Elle donne plus de
citations ou d'allusions à l'enseignement de Jésus
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LE
DÉVELOPPEMENT
que n'importe quelle autre épître, et semble vrai-
ment inspirée par l'esprit du Maître. Il n'y est pas
parlé du sacrifice de la crucifixion, et c'est pourquoi
ceux qui croient fermement aux théories de l'expia-
tion la regardent avec dédain. Luther l'appelle
« une épître de paille ».
Quant à l'Apocalypse, il est sans doute tout
imprégné de l'idée de sacrifice. Le Christ « nous a
lavés de nos péchés par son sang ». « Tu as été
m
"
#
~mmole, et tu as racheté pour Dieu, par ton sang,
des hommes de toutes tribus, de toutes langues,
de tous peuples et de toutes nations ». Dans l'Rvan-
gile de Jean qui appartient à la même école, Jésus
est appelé « l'agneau de Dieu qui ~te les péchés du
monde ».
Dans tous les livres du Nouvèau Testament, il
est établi q.uê la mort de Jésus était une néces-
sit~, mais on ne dit nulle part d'où vint cette
nécessité ni de quelle façon sa mort avait pu tourner
au profit des p~cheurs. Le principe selon lequel
son sacrifice devait réconcilier l'homme avec Dieu,
et payer le prix de ses iniquités, laisse malgré tout
un certain doute dans l'esprit. Les divers auteurs
des livres canoniques étaient en fait si bien habitués
aux idées préchrétiennes de sacrifice expiatoire
et de rédemption qu'ils acceptèrent la théorie sans
la. vérifier. Mais ce vague n'était pas du goût des
premiers pères clarétiens. Au
IIe
siècle, Irénée et
D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N 1 5 1
après lui d'autres auteurs, établirent la « théorie
du rachat », que voici Le diable était, depuis la
chute d'Adam, le maître de l'humanitfi. Dieu
ne pouvant, avec justice, reprendre ses sujets sans
payer de rançon pour eux, offrit son propre fil s en
échange à Satan. Satan ayant exigé la mort sur la
croix s'aperçut que Dieu s'était joué de lui, car
le Christ étant immortel retourna au ciel. Ce fut
l'explication orthodoxe de la mort de J ésus pendant
près de mille ans (z).
Vers xo93, Anselme, archevêque de Canterbury,
et quelques années plus tard Ab~lard, curent le
courage de nier que Satan ait jamais eu sur l'huma-
nité un droit quelconque que Dieu eût été forcé
de respecter. Abélard paya sa témérité par la
réclusion perpétuelle ; mais son enseignement finit
par avoir gain de cause, et la doctrine d'un marché
avec le diable et du tour que Dieu lui joua passa
de mode.
L'Êglise revint alors à la théorie augustinienne
tous les hommes seraient condamnes par Dieu
aux tourments éternels ; mais Jésus-Christ ayant
prié son Père de le faire mourir à leur place, Dieu
accepta cette mort dont la valeur était supérieure
à celle de toute l'humanité et déchargea les hommes
d'uné damnation irrévocable.
Les vues des catholiques romains et des protes-
( I ) H . RA S HDA L L ,
T~$ Id«EE of Atoncrn6nt , p. 248.
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L E D É V E L O P P E M E N T
naissance ». Rappelons que dans les rites de Mithra,
la cérémonie d'initiation comportait aussi un bain
' de sang.
Les chrétiens libéraux voient aujourd'hui .dans
la crùcifixion de Notre-Seigneur le sacrifice suprême
qu'il fit pour sauver les principes de son enseigne-
tants Sont restées à peu près semblables à celles de
saint Augustin. Luther et quelques autres réforma-
teurs insistèrent notamment sur ce sujet en déclarant
que le Christ « réellement et véritablement s'offrit lui-
même au Père pour nous sauver de la condamnation
éternelle ».
De nos jours, l'enseignement de l'Armée du
Salut est particulièrement net dans son inter-
prétation de la Passion comme sacrifice expiatoire.
L'idée des pécheurs aspergés du sang de la victime
sacrifiée, lav~s dans ce sang et purifiés ainsi de leurs
péchés provoque de nos jours une frénésie éraotion-
nelle semblable à celle qui étreignait les adorateurs
de Cibèle lorsqu'ils étaient plongés dans le sang
du taureau égorgé et recevaient ainsi la OE nouvelle
l i
ment. Ce fut le couronnement de sa vie heroïque.
»: ii ~
l semble qu'il suff~e de méditer sur ce thème et
«~~
de s'inspirer de ce sublime exemple, pour entrer en
communion avec le principe fondamental de l'amour. ~~~
Au nom de ce principe mëme, nous répudions 1~
doctrine antique du sacrifice expiatoire, car elle se
rattache trop visiblement iL des croyances barbares.
D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N
Le goût humain pour le sang et pour le mystère
des rites est persistant, et l'on peut craindre que la
doctrine de l'expiation ne soit encore prêchée pen-
dant bien des années. Mais il convient de se rappeler
que, bien que cette théorie fasse partie de la théo-
logie chrétienne, elle n'a à tout prendre aucune rela-
tion avec le J ésus historique.
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i9o
L 'ÉVOLU T ION D U C H R IST IAN ISM E
Dans toute la chrétienté, les lieux sacrés du
paganisme furent perpétués par l'érection de cha-
pelles chr~tiennes ou d'~lises. Il existe des cen-
taines de sanctuaires de la Madone, en des endroits
autrefois dédiés aux nymphes ou aux déesses ;
et les fontaines sacrées du paganisme sont devenues
les sources bénites de l'Eglise. Les statues de Jupi-
ter et d'Apollon devinrent celles de saint Pierre
et de saint Pau]. Les représentatîons d'Isis, devînrent
celles de la Vierge Marie, les lys de la Madone
n'étant autre chose que les anciennes fleurs de lotus
d'Isis et d'Asta~té.
Il arriva aussi que le christîanisme sanctionna de
vieilles outumes pa~ennes, Comme par exemple celle
de manger du poisson le vendredi. Ce jour était dédié
dans beaucoup de religions ~ la déesse maternelle,
patronne des pêcheùrs. Nous verrons dans les cha-
pitres suivants d'autres exemples de ce genre.
Et voilà quelle théologie, et quélle ~glise se
développèrent au nom du fris d'un charpentier
qui avait confié sa vérité à quelques paysans.
Le christianisme est devenu une religion très lar-
gement paîenne. Et pourtant, au-delà de ses pompes
et de sa vanité, derrière ses formules absurdement
complexes, on peut toujours retrouver le Jésus
historique, et le salut du monde demeure dans ses
enseignements et son exemple. Que ne pouvons-
nous revenir tout simplement à Lui
C H APIT R E XXI
LE RESPECT DU DIMANCHE
L'Êglise chrétienne primitive n'avait pas de
jours f~riés, ni de sabbat, car, ainsi que le déclarait
Chrysostome « Chaque jour est une fête pour
les chrétiens, à cause de l'excellence des choses
qui leur ont ét~ données ». Selon Origine : « Tous
les jours sont des jours du Seigneur pour le chré-
tien parfait » (I). Socrate, l'historien ecclésiastique,
remarque que « les apStres n'eurent pas l'idée
d'organiser des réjouissances, et qu'ils n'étaient
occupés que de mener une vie irréprochable et
pieuse ».
Cependant, lorsque l'F.glise fut devenue insti-
tution d'Êtat, on éprouva le besoin de sanctifier
certaines dates, et en particulier de donner une
signification chrétienne à des fêtes d'origine paîenne
qu'on n'avait pas pu supprimer. Le clergé, par
exemple, n'avait pu emp~cher le peuple, en diverses
contrées, de célébrer le jour de P~ques en l'honneur
de la resurrection d Attl~, ou d'autres idoles. Il avait
(1) OmG,%sE, Tra¢td ~ontr$ Cds$, VIII, ~2.2o9.
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I92
L~ ~sPEcT D~ »mANCH~I
"
donc fallu consentir, dit Socrate, à perpétuer cette
vieille habitude, en lui donnant une interpré-
tation chrétienne, et, de même, beaucoup d'au-
tres coutumes pa/ennes furent introduites de cette
manière dans l'Êglise. Bède (I) nous a conservé une
lettre écrite par le pape Grégoire, en l'an 6oi, dans
laquelle il est établi que la politique de FÊglise
devait consister non dans la suppression des ancien-
nes fêtes païennes, mais dans leur adaptation à des
idées chr~tiennes. En fait, l'Êglise fut très franche
au sujet de ces appropriations, mais le temps a jeté
son voile sur leurs origines, et nombre de chré-
tiens d'aujourd'hui seraient étonnés d'apprendre que
Noël et P~ues sont issus du paganisme, qu'il en
est de même pour divers autres anniversaires tels
que ceux de l'Assomption, de saint Jean-Baptiste,
de saint Georges, etc. et qu'aussi le jeûne du carëme
se trouve être d'inspiration païenne.
Au cours de ce chapitre, nous nous proposons
d'établir l'origine du dimanche, et de montrer
que Jésus ~tait tout à fait opposé à l'idée qu'un
jour de repos hebdomadaire ou « sabbat » dût
être rigoureusement respecté.
L'origine de la semaine de sept jours, employée
par les Juifs et divers autres peuples à l'exception
des Grecs et des Romains, doit provenir du cuite
primitif de la lune. Les jours de nouvelle et de
(z) B~s, Histoire 8r, d~si~t~, ch. XXX.
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
pleine lune étaient sacrés presque partout dans
1'antiquité, et ce fait impliquait la reconnaissance
d'un cycle d'environ I4 jours, dont une semaine
était la moitié. La véritable longueur d'une semaine
ainsi déterminée était de sept jours et trois hui-
tièmes. Les Babyloniens avaient déjà adopté ce
mode, et leurs calendriers contiennent des instruc-
tions au sujet de divers actes dont il fallait s'abste-
nir certains jours, appelés « sabbats », l esquels
semblent revenir une fois sur sept. Bien que le
sabbat juif ne puisse être directement rapporté
à l'usage ~abylonien, cette institution dérive évi-
demment du cuite de la lune et de la reconnais-
sance du nombre 7 comme chiffre sacré dans le
calendrier. Les Juifs attribuaient la sainteté du
septième jour au fait que Dieu était censé s'ëtre
reposé ce jour-là du travail de la c réation. Mais
cette légende dérive aussi de la mythologie baby-
lonienne et ce ne fut pas la raison primordiale
qui fit du septième jour un jour de r epos.
Dans l'astronomie ancienne on connaissait sept
planètes le soleil, la lune, Mars, Mercure, Jupiter,
Vénus et Saturne. La semaine de sept jours étan~
en usage, on a des raisons de croire que ces jours
étaient dédiés aux astres. Le premier jour de la
semaine fut consacré au soleil, le plus important:
des corps célestes, et le dernier à Saturne, la
planète la plus distante du soleil. L'ancienne religion
su~vzvAz¢c~s P~N~~S DANS ~ ~O~D~ C~TZ~N. z3
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z94
Lx mZS~ECT Dr VI~ANCEE
orientale identifia cette planète avec un dieu de
mauvais augure, et c'est pourquoi le septième jour
devint graduellement un jour néfaste, pendant
lequel aucun travail ne pouvait être entrepris.
On en fit donc un jour de repos, et plus tard, l a
légende de la création fut adaptée de manière k
expliquer ce fait. Les Israëlites développèrent cette
manière de voir, et déjà du temps de Moïse les
lois étaient si strictes, qu'un homme fut exécuté
pour avoir ramassé du bois en ce jour tabou (Nom-
bres, XV, 35). Il était même interdit, sous peine
de mort, d'allumer du feu ce jour-là (Ex. XXXV, 2,
3). Telles sont les aberrations auxquelles l'esprit
humain est conduit par la superstition ]
Du temps de Jésus, les Juifs orthodoxes ne
respectaient pas moins strictement le sabbat, mais
Notre-Seigneur s'opposa nettement à cette forme
d'esclavage, et il rîsqua même sa vie (Jean, ¥, 18),
en cherchant à émanciper ses disciples des liens
de cette coutume, et en en violant lui-même les
lois. L'effort de J ésus dans ce sens dut impres-
: "
t
sionner conszderablemen les premiers chrétiens.
On remarque dans l'Êvangile que le Christ omit
de citer au jeune homme riche le quatrième com-
mandement " « Souviens-toi du jour du Repos »
(NIatth. XIX, zS, I9) Saint Paul le passe égale-
ment sous silencë (Rom.
XlII, 9),
et reproche aux
Galates de vouloir s'assujettir de nouveau à des
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
jours fériés. (Gal. IV, 9, Il). L'épître aux Colos-
siens confirme cette attitude (Col. II, zé). Au iie
siècle, Irénée (x) dit expressément que Jésus avait
interdit l'usage du sabbat. Tertullien (2), au IIIe
siècle, écrit que « aux chrétiens les sabbats sont
inconnus ». Au zve siècle, Victorinus (3) répète
que Jésus abolit « l'observation du sabbat ». Justin,
Clément, Origène, Eusèbe, Êpiphanê, Cyrille, J éréme
et autres Pères de l'Êglise, confirment la chose en
termes expressifs.
Cependant, tandis que le sabbat des Juifs, le
samedi, était aboli par les premiers chrétiens, et
qu'il n'était permis à aucun autre jour de le r em-
placer comme jour férié, l'habitude fut prise dès
le
Ier
siècle de considérer le dimanche comme
un jour spécialement approprié aux réunions des
fidèles, apparemment parce que J ésus dtait res-
suscité ce jour-là. Nous apprenons qu'~ Troas
(Act. XX, 7), les disciples s'assemblaient chaque
dimanche pour s'entretenir et communier. D'après
les Didakh8 (ch. XIV), les chrétiens se réunissaient
le « jour du Seigneur » et nous savons par Justin
le Martyr et Tertullien que ce terme signifiait
dimanche, jour de la résurrection du Seigneur.
Tertullien (4) insiste sur l'illégalité de tout culte
(z ) IRgNgE. Tr«itd ¢o~tt~'~ les héfd$ies.
(2) TxRzv~mN, Rdpons6 au» Ju~Is.
(3) Vzc, oar~us, A nte/Vice,~a, 1. XVlII.
(4) TERT~JLLU~N, De Corona.
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I 9 6
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
particulier ce jour-l~, mais Ignace (I) établit que
les chrétiens donnaient en fait au jour du Seigneur
un caractère spécial. Denys de Corinthe (2) en
parle comme d'un jour sanctifié, tandis qu'Irénée et
Tertullien vont jusqu'à dire que le dimanche devrait
être consacré au repos des fidèles. Pline (3) écrîvit
en l'an II~ que les chrédens avaient coutume de se
réunir avant l'aube, un certain jour de la semaine,
pour chanter des hymnes et manger un repas en
COITImUII .
En définitive, bien que les chrétiens eussent
refusé d'observer un sabbat quelconque, le dimanche
fut graduellement adopté par eux pour leurs
réunions hebdomadaires, et plus tard, jusqu'à
un certain point, comme jour de repos. Mais l'idée
de faire de cette journée un véritable équivalent
de l'ancien sabbat, et de s'y tenir avec une même
rigueur, ne leur serait jamais venue.
Or le dimanche, dédié au soleil, était sacré depuis
longtemps pour beaucoup de religions paîennes.
C'était en particulier le jour sanctifié par les ado-
rateurs de Mithra, qui le désignaient sans doute
aussi sous le nom de « jour du Seigneur » (4). Le
fait que Jésus soit ressuscité un dimanche ne sem-
ble pas avoir été la raison véritable pour laquelle
(x) ION~,CE, Ad Magn. IX .
(2) DENYS, ci té par Eus~BE, Hist . Ect . IV, 23.
(3) P r rN~ , L e U r e X C V I I I .
(4) I" M. RO, BERTSON, P~~~n C~~'{$tS, p. 429.
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
les Chrétiens révéraient particulièrement ce jour-l~.
Ils auraient eu tout autant de raisons de choisir
le vendredi, anniversaire de la mort du Seigneur.
Il semble qu'ils furent influencés ---dans ce domaine
comme dans d'autres--par la coutume païenne,
et que le dimanche fut adopté parce que les adora-
teurs de Mithra et d'autres divinités solaires con-
sidéraient que ce jour était sacré, et qu'il était
impossîble de supprimer cette habitude ancestrale.
En l'an 32I, l'empereur Constantin qui n'était
pas encore un chrétien déclaré, mais qui louvoyait
déjà entre le paganisme et la nouvelle foi, pro-
mu]gua un décret faisant du dimanche un jour
de repos obligatoire. Il en parle comme du t« véné-
1-able jour du soleil », ce qui prouve qu'il pensait à la
fête païenne traditionnelle, tout en voulant en
faire un jour férié chrétien. Le décret n'eut que peu
de succès et il fut finalement révoqué au IXe siècle
par l'empereur Léon. Charlemagne, à l'Occident,
interdisait aussi tout travail dominical, et en Angle-
terre les rois anglo-saxons Ina, Athelstan et Ethelred
prohibèrent les marchés et certains sports pendant
ce jour. Plus tard, le dimanche fut obser vé en
Europe comme il l'est encore de nos jours par les
catholiques romains, c'est-à-dire comme un jour
semblable au Noël angla~, où les fidèles se rendent
le matin à :',église, et s'adonnent le reste du temps
au repos, au sport, ou à diverses réjouissances.
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I 9 8
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
. . . .
C'est sans doute l'attitude qui se rapproche le plus
de celle des premiers chrétiens. Au moment de la
Réformation, Luther (I) s'attaque aux rigoristes,
et engage ses disciples à danser et à se réjouir le
dimanche pour protester contre ce caractère sacré.
Zwingli, le réformateur suisse, écrit « Chaque
homme a le droit de poursuivre ses travaux, le
jour du Seigneur, après le service divin », et John
Knox, faisant allusion aux sabbats, explique que
OE les chrétiens ne devraient rien avoir à faire avec
l'observation superstitieuse des jours ». Cependant,
les puritains anglais du XVlIe siècle retournèrent à
l'ancienne conception juive que Jésus avait com-
battue, de sorte que le roi Jacques Ier exaspéré
par leur attitude, publia un « Livre des Sports
dominicaux » enjoignant à ses sujets de se livrer
à divers jeux ce jour-là. Plus tard on publia, sous
l'influence puritaine, un certain nombre d'arrêts,
et l'opinion publique s'écartant toujours plus de
l'enseignement authentique du Christ, maintint
l'observation rigoureuse du dimanche.
Aujourd'hui les anglicans recommencent à en
faire un jour de vacances, et bien qu'agissant
ainsi sans l'approbation des pasteurs, ils pourraient,
s'ils voulaient, trouver de bonnes raisons pour
défendre leur point de vue. Ils pourraient même
défier n'importe qui de trouver dans l'Êvangile
(x) LVTHER, Propos de,table.
L E R E S P E C T D U D I M A N C H E
I ç ç
un seul mot justifiant l'adoption du commande-
ment de Moïse « S0uviens-toi du jour du Repos »,
alors que Notre Seigneur l'avait si manîfestement
mis de cSté.
Les scrupules religieux qui privent certaines
personnes en Angleterre de travailler ou de s'amuser
le dimanche sont dus à une superstition si anti-chré-
tienne et si grossière, qu'ils peuvent ~ bon droit
étonner les honn~tes gens, et il est vraiment
stupéfiant que le commandement mosaïque relatif
à ces restrictions soit encore lu, en chaire, par
les représentants de Celui qui avait osé l'abolir
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